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Sciences

Visite du chantier d’ITER, le réacteur à fusion nucléaire

09-12-2020

Image: Iter Organization

Après des années de retard, la construction du réacteur nucléaire ITER, dans le sud de la France, est enfin sur les rails. L’objectif: dompter l’énergie des étoiles.

C’est un chantier pharaonique, à la hauteur de l’ambition scientifique qu’il va servir. Le site d’ITER, en Provence, bourdonne malgré la pandémie. Des convois exceptionnels y apportent des pièces immenses produites aux quatre coins de la planète qui sont assemblées avec une précision inférieure au quart de millimètre. Au total, 10 millions de composants s’emboîteront pour constituer le casse-tête d’ingénierie le plus complexe du moment.

Ce que l’on construit ici ? Un réacteur nucléaire unique dont le but est de démontrer qu’il est possible de disposer d’une source d’énergie propre, sûre et quasiment intarissable en reproduisant ce qui se passe au cœur des étoiles.

Le concept tient en deux mots : fusion nucléaire. Contrairement aux centrales nucléaires classiques, dans lesquelles on brise des atomes lourds comme l’uranium pour libérer de l’énergie (c’est la fission), ITER vise à maîtriser le processus inverse. « La fusion consiste à envoyer les noyaux de deux atomes très légers l’un contre l’autre et à vaincre la répulsion pour les faire se coller », explique Alain Bécoulet, physicien en chef du volet Ingénierie d’ITER. En l’occurrence, on utilisera deux isotopes de l’hydrogène, le tritium et le deutérium, afin de former de l’hélium et des tonnes d’énergie.

Au centre du tokamak, le plasma sera contenu par les champs magnétiques que produiront 18 bobines verticales et 6 bobines horizontales. Image: Iter Organization

Pour opérer cette magie atomique, il faut des moyens hors du commun. C’est ici qu’entre en scène le « tokamak », une chambre à vide en forme de beigne de 30 m de diamètre et de 29 m de hauteur. Ce réacteur contiendra du plasma, un gaz électriquement chargé, chauffé à 150 millions de degrés, ce qui est 10 fois plus chaud que le cœur du Soleil. Évidemment, aucun matériau ne résiste à cette température délirante. « Il faut donc isoler le plasma à distance des parois grâce à un puissant champ magnétique produit par des bobines placées tout autour de l’enceinte », indique Alain Bécoulet.

Le cryostat, qui refroidira ces aimants géants, est en cours d’installation. « Et l’on a reçu tous les morceaux d’enceinte à vide et de bobines pour la suite », se réjouit-il. Si tout se déroule comme prévu, ITER produira son premier plasma de test fin 2025 et sa première fusion nucléaire en 2035.

Un projet de longue haleine

Cela fait plus d’un siècle que les physiciens caressent l’ambition de maîtriser la fusion. Depuis les années 1950, plus de 200 tokamaks ont vu le jour à petite échelle pour faire avancer la recherche. Ces projets « compacts », comme le SPARC du Massachusetts Institute of Technology, dont la construction doit commencer en juin 2021, ont l’avantage d’être rapides à mettre en œuvre.

L’idée d’ITER, elle, est née à la fin de la guerre froide. En 1987, l’URSS, les États-Unis, l’Europe et le Japon signent le démarrage du projet International Thermonuclear Experimental Reactor. Aujourd’hui, sept partenaires font partie de l’aventure : l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis. Le Canada, qui était désigné pour accueillir l’installation au départ, s’est finalement retiré du projet fin 2003 pour des questions financières.

Après le choix du site français en 2005, il a fallu s’armer de patience pour coordonner ce petit monde, chaque pays contribuant « en nature », c’est-à-dire en fournissant des pièces du puzzle. Doté d’un budget de 18 milliards d’euros, ce qui est trois fois supérieur à ce qui était initialement prévu, ITER s’est attiré son lot de critiques et d’opposants.

Mais il nourrit aussi des rêves énergétiques universels. La fusion deutérium-tritium libère à masse égale quatre millions de fois plus d’énergie que la combustion du gaz, du charbon ou du pétrole ! Elle est aussi quatre fois plus efficace que la fission de l’uranium enrichi et présente l’avantage de ne pas laisser dans son sillage de déchets radioactifs de longue vie. Enfin, il n’y a pas d’emballement possible, contrairement aux centrales nucléaires : si l’on coupe l’alimentation en combustible, tout s’arrête.

Quant à la matière première, elle combine de l’eau de mer (riche en deutérium) et du lithium. Ce dernier, abondant dans la croûte terrestre, sert à la fabrication du tritium. Selon l’équipe d’ITER, les futures centrales à fusion, si elles voient le jour, ne consommeront que 250 kg de combustible chaque année sans émettre de gaz à effet de serre.

La machine en construction n’a pas vocation à fabriquer de l’électricité, mais son successeur industriel, DEMO, est déjà à l’étude. ITER porte donc sur ses épaules une lourde responsabilité : si sa démonstration échoue, la fusion nucléaire restera l’apanage des étoiles.

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