Démarche de participation - démarche de projet.
Comment la participation habitante interroge-t-elle les
pratiques et les métiers du projet urbain ?
François Meunier, Irène Sornein, Jodelle Zetlaoui-Leger
To cite this version:
François Meunier, Irène Sornein, Jodelle Zetlaoui-Leger. Démarche de participation - démarche de
projet. Comment la participation habitante interroge-t-elle les pratiques et les métiers du projet
urbain ?. 2018. hal-03225707
HAL Id: hal-03225707
https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-03225707
Submitted on 17 May 2021
HAL is a multi-disciplinary open access
archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from
teaching and research institutions in France or
abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destinée au dépôt et à la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
émanant des établissements d’enseignement et de
recherche français ou étrangers, des laboratoires
publics ou privés.
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines
Démarches de participation
Démarches de projet
Comment la participation habitante
interroge-t-elle les pratiques et les métiers
du projet urbain ?
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
L’apport de la participation habitante dans les projets urbains
semble faire de moins en moins débat pour les maîtrises d’ouvrage
urbaines. Ce sont en revanche les conditions concrètes de mise en
place et de conduite des démarches participatives qui interrogent.
Elu-e-s, Technicien-nes, assistant-es à maîtrise d’ouvrage, maître
d’œuvre, expert-es mais aussi aménageurs et opérateurs privés
… Face à des habitant-e-s concerné-e-s et de mieux en mieux
outillé-e-s pour prendre part à la définition de leur cadre de vie, les
pratiques de projet évoluent.
Dans le même temps, l’avènement des outils numériques
collaboratifs a ouvert de nouvelles perspectives pour amplifier le
recueil de l’avis habitants et stimuler le débat citoyen autour des
projets urbains et architecturaux … sans pour autant répondre
totalement à la question des modalités concrètes de prise en
compte de la contribution des habitants dans l’élaboration des
projets.
Dans quelles mesures la participation habitante questionne-telle les démarches de projets ? Comment les compétences et les
postures professionnelles qui les accompagnent sont-elles invitées
à se redéfinir et à se réorganiser, pour reconnaître, intégrer, et
positionner à sa juste place la contribution des habitants dans le
projet ?
C’est sur ces questions qu’a choisi de se pencher le présent
dossier d’Aptitudes Urbaines. Sur chaque thème déjà traité par
nos précédentes Newsletters, « Les visages de la programmation
urbaine », «Montages opérationnels des projets urbains»,
«Formation en urbanisme, quels enjeux aujourd’hui ? » nous
recueillons et croisons les regards sur des sujets qui interpellent
notre actualité.
Propos recueillis par François Meunier, Irène Sornein
et Laura Serre.
Cette nécessité de clarification collective des méthodes pour
organiser la participation habitante apparaît d’autant plus
importante à l’heure de l’urbanisme négocié et de la coproduction
publique-privée, pour veiller à réserver un rôle à l’habitant-e dans le
projet malgré les impératifs temporels, opérationnels et financiers
de ces nouvelles commandes.
Date de publication : Décembre 2018
Merci à Juliette DENEUFBOURG, Clémence CRETON,
Chloé VERGUES pour leur participation à la rédaction
de cette newsletter.
Photo de couverture, en haut à gauche :
Taipei Taiwan : déploiement par Morgane le Guiloux
et Clément Tricot
Irène Sornein
Directrice pédagogique et
du développement
d’Aptitudes Urbaines
Introduction
François Meunier
Co-fondateur Aptitudes Urbains
Gérant d’Attitudes Urbaines
SOMMAIRE
EDITO
Jodelle Zetlaoui-Léger
Professeure à l’ENSA
Paris La Villette
Jean-Didier Laforgue
Architecte-urbaniste
ARTICLE
Barbara Allen
Psychosociologue
5
8
11
Formateur Consultant
15 22
Jean-Didier Laforgue
Alain Renk
Architecte-urbaniste
Patrick Chotteau
Secrétaire général adjoint MIQCP
Patrick Norynberg
Gwenaëlle d’Aboville
Urbaniste associée
Ville Ouverte
26 30
Amandine Crambes
Ingénieure urbaniste - ADEME
33 36
Olivier Ansart
Président ASA PNE
ARTICLE
Eleonore Hauptmann
Consultante
Urbaniste-environnementaliste
41 45
François Meunier
Gérant d’Attitudes Urbaines
Samira Hajjat
Urbaniste programmiste
Eric Ruiz
Directeur du Renouvellement Urbain
Ville de Grenoble
50 54
Alice Collet
Chargée de mission cohésion
sociale et gestion urbaine ANRU
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
EDITO
Si l’on constate aujourd’hui en France un vif intérêt
pour « l’urbanisme participatif », cela n’a pas
toujours été le cas . Après un certain engouement
suscité par les « luttes urbaines » des années 19601970, ce thème tombe en désuétude. Jusqu’au
début des années 2000, s’y intéresser supposait
de se positionner forcément « pour ou contre
», les attitudes oscillant entre « idéalisation et
stigmatisation », supplantant toute préoccupation
d’objectivation et de production de connaissances.
Lorsque je commence ma carrière d’enseignantechercheuse au début des années 1990, cette
question fait même l’objet d’une véritable défiance
de la part des élus, des milieux professionnels
comme des universitaires et des organismes publics
finançant la recherche architecturale et urbaine en
France. Les travaux précurseurs de Michel Conan et
Michel Bonetti sur la programmation générative des
constructions, qui visent à impliquer gestionnaires,
utilisateurs, habitants dès l’amont des démarches de
projet, peinent à se diffuser, malgré des expertises
externes encourageantes. Les efforts auxquels je
contribue pour les étendre à l’évaluation d’usage des
bâtiments (travaux avec Éric Daniel-Lacombe) et
au domaine de l’urbanisme (avec Pierre Dimeglio)
restent limités à quelques expérimentations,
soutenues par des administrateurs de la recherche
et des élus enthousiastes mais bien isolés. Les
premiers enseignements que nous dispensons à
ce sujet avec Jean-Didier Laforgue intéressent
clairement nos étudiants, beaucoup moins la
majeure partie de nos collègues. Les tentatives
d’importation des démarches de community
planning en France par John Thompson et Éléonore
Hauptmann restent aussi limitées. En plein
avènement de la décentralisation, rien ne doit
perturber la nouvelle idylle que connaissent les
élus et leurs architectes à la recherche de « l’effet
Bilbao »,... et surtout pas l’habitant, cet éternel «
conservateur ».
À partir du début des années 2000, le thème de la
participation recommence à mobiliser quelques
sociologues, anthropologues et politistes qui
interrogent la notion de citoyenneté urbaine
notamment dans les quartiers de la Politique de la
Ville, mais sans l’articuler directement à celui du
projet urbain dans son opérationnalité.
Les contributions recueillies dans ce dossier
témoignent du chemin parcouru depuis quinze
ans. Outre le fait qu’elles illustrent la façon dont
la participation habitante est redevenue un sujet
incontournable dans le domaine production urbaine,
elles relient étroitement des questionnements sur
la nature des « savoirs de l’habitant » - considéré à
travers ses pratiques de l’espace et comme citoyen
-, sur « l’exercice du projet » et sur les compétences
politiques et professionnelles qui y sont associées.
Elles expriment aussi de manière frappante,
les convergences fondamentales qui existent
aujourd’hui chez des acteurs ayant développé une
grande expertise de ce sujet, à partir de domaines
d’exercice pourtant très différents. Celles-ci portent
d’abord sur le fait que l’enjeu de la participation ne
concerne pas seulement le fait de donner la parole à
l’habitant, mais de l’engager dans un travail collectif.
Il s’agit bien de lui conférer un rôle « actif » dans
l’élaboration des projets. Il y va de la crédibilité de
la participation. Il revient aux élus et aux praticiens
de lui en donner la possibilité, en allant au devant
de lui, et en trouvant les moyens de le mettre à
contribution (Patrick Norynberg). Des nouvelles
générations de professionnels s’y attèlent,
stimulées en cela par l’évolution des formations en
urbanisme et en architecture.
Plusieurs entretiens dans ce dossier soulignent
par ailleurs que la participation ne concerne pas
seulement le résident, mais aussi le riverain,
l’usager, et plus largement l’habitant d’un lieu ou
d’un territoire qui accueille dans l’une de ses parties,
un processus de projet. Cette position permet de
contester les arguments encore récurrents de ceux
qui affirment qu’il ne peut y avoir de participation
lorsque les « futurs habitants » - comprendre en
fait « résidents » de leur point de vue - ne sont
pas connus. Or même lorsqu’ils le sont, ils ont été
jusqu’à présent peu impliqués dans les orientations
stratégiques des projets urbains au delà d’un stade
consultatif. Une vision élargie de « l’habitant
concerné », au-delà du périmètre opérationnel,
constitue sans doute la meilleure réponse à ceux
qui pensent encore que la participation risque de
fabriquer de « l’entre soi ». Il s’agit bien de réfléchir
à ce qui peut être mis en partage à différentes
Edito
5
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
échelles.
La participation est présentée dans ce dossier
comme une démarche de respect mutuel, même
si souvent elle commence par l’expression d’une
colère, la formulation de contre-projets, après
plusieurs années d’absence de prise en compte
de problèmes de vie quotidienne par les pouvoirs
locaux. Comme le soulignent Barbara Allen et
Jean-Didier Laforgue, cette étape est souvent
nécessaire mais il faut savoir aussi en sortir, en
s’appuyant sur des dispositifs d’engagement,
notamment de la maîtrise d’ouvrage urbaine. Les
conflits qui s’expriment en amont des démarches
de projet traduisent un manque de considération
pour « l’existant » au sens large, et pour l’habitant
en particulier. La « coproduction » invoquée par
plusieurs contributeurs dans ce dossier, engage
au dépassement des positions qui s’affrontent au
départ. Elle invite de ce fait à se détourner de la
tentation de la mise au vote qui revient à désigner
des perdants et des gagnants, et donc à demeurer
dans une logique clivante. La coproduction repose
sur des mécanismes de transactions socio-spatiales.
Elle génère de ce fait bien souvent des solutions
inattendues, voire de l’innovation, à condition
que le praticien accepte de se laisser surprendre,
et organise des méthodes permettant de recueillir
autre chose que ce qu’il pense déjà savoir (Gwenaëlle
D’Aboville). Il peut s’appuyer aujourd’hui sur un
ensemble de dispositifs et d’outils, éprouvés depuis
longtemps, ou plus récents basés sur des systèmes
de préfiguration in situ ou des technologies
numériques. Ces dernières peuvent stimuler une
« capacité à imaginer ensemble », à condition
que leurs usages s’inscrivent dans des processus
délibératifs et des situations « présentielles »,
comme le souligne Alain Renk.
La mise en œuvre de démarches participatives
bouscule les cultures politiques et professionnelles
traditionnelles, basées sur des délégations de
pouvoir, et une approche dissymétrique de la
qualité des différentes formes de savoirs. Elle
suppose de se placer dans une dynamique de coapprentissage, et de (re)considérer globalement
l’ingénierie du projet pour y impliquer acteurs
publics, privés, propriétaires, commerçants
porteurs de projets qu’il s’agisse d’investisseurs
économiques professionnels ou de groupes
d’habitants (Amandine Crambes). Plusieurs
contributeurs insistent sur le fait que cette
dynamique collaborative doit s’amorcer dès la
phase de diagnostic. Celle-ci est fondamentale
pour (ré)instaurer un rapport de confiance avec
les élus et les techniciens qui s’est souvent érodé.
La coproduction suppose aussi l’intégration de
dispositifs d’évaluation, in itinere et ex-post, dont
l’habitant doit être partie prenante, ce qui lui permet
de monter en compétence, y compris sur des sujets
très techniques. Les travaux de recherche que nous
menons depuis dix ans sur le processus national de
labellisation des écoquartiers en France montrent
le chemin qu’il reste encore à parcourir à ce sujet,
notamment parce que, comme le soulignent
plusieurs contributeurs, l’évaluation est rarement
pensée dès l’amont du projet. Elle apparaît ainsi
comme une tâche « en plus » et impossible à mener
à la fin d’une opération alors qu’on ne dispose
pas des données nécessaires. Cette difficulté
révèle souvent aussi un déficit d’explicitation et
d’adaptation des objectifs ou des performances
à atteindre tout au long d’un projet, c’est-à-dire
de programmation. Voilà qui incite une fois de
plus à envisager celle-ci de manière itérative et
continue, et non plus comme une phase ou un
moment d’un projet.
Cet enjeu est soutenu par Patrick Chotteau de
la Mission Interministerielle pour la Qualité des
Constructions Publiques (MIQCP), pour qui la
démarche de programmation doit être portée par
une collectivité appréhendée dans un sens élargi,
aidée si nécessaire par une AMO maintenue dans
la durée. Or les nouvelles formes d’appels à projets
dits innovants peuvent constituer une certaine
limite à cet égard, car en se dessaisissant de la
maîtrise d’ouvrage, la collectivité se désengage de
la programmation. À moins qu’elle ne considère
l’évaluation participative comme une façon
d’apprécier la valeur d’habitabilité des propositions
qui lui sont soumises... ce qui est encore loin d’être le
cas. Le risque autrement, est de voir les villes comme
les opérateurs privés, se contenter pour toutes
formes de participation, d’initiatives ponctuelles,
spectaculaires et rentables en termes de marketing,
telles que les « occupations temporaires » d’espaces
en transformation, ainsi que le soulignent Olivier
Ansart et Éléonore Hauptmann.
Bien que porteurs de dynamiques intéressantes, ces
dispositifs semblent aujourd’hui faire diversion pour
Edito
6
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
éviter une fois de plus, l’élaboration de démarches n’est pas non plus revendiquer l’avènement d’une
pseudo-démocratie directe par la multiplication des
participatives de projet urbain « au long cours ».
votations, en oubliant l’importance des ingénieries
Il s’agit plus généralement aujourd’hui de de projet et des processus délibératifs. C’est
dépasser une participation principalement plutôt faire confiance en la construction d’une «
centrée sur l’aménagement d’espaces publics intelligence collective » soutenue par une volonté
particuliers, places, rues, jardins,..., pour politique locale et des initiatives citoyennes à
l’étendre à la définition d’une stratégie urbaine, à accompagner. La participation apparaît ainsi, à
la production d’habitations et des équipements. travers les témoignages riches de ce dossier, à
Davantage d’initiatives sont prises en ce sens, la fois comme un antidote contre les tentations
comme le montrent les réflexions territoriales populistes, et un moyen de limiter l’ampleur et
engagées par la métropole grenobloise auxquelles a les conséquences du changement climatique.
contribué Attitudes Urbaines, les politiques locales
de soutien à l’habitat participatif évoquées par Jodelle Zetlaoui-Léger,
Eric Ruiz, ou les intentions de l’Agence Nationale professeure à l’ENSA Paris La Villette
de la Rénovation Urbaine qui apporte un soutien Let-Umr Cnrs n°7218 Lavue
financier à l’ingénierie de la co-construction (Alice
Collet). Sans doute, le principe de « co-construction
» affirmé par la loi pour la Ville et la Cohésion urbaine
de 2014, pourra t-il ainsi gagner en précision et
en ambition. On évitera ainsi qu’il ne devienne un
nouveau mot valise, comme la réglementation
en a tant produit depuis les années 1970. Et à ce
titre, « co-construction » signifie t-il seulement
coproduction ou aussi codécision ? Si on est
marqué par la convergence d’un grand nombre de
positions exprimées dans ce dossier, on notera aussi
que quelques divergences subsistent sur ce dernier
point.
Le « vivre ensemble » ne peut plus être décrété
de manière incantatoire au nom d’une morale
civique que beaucoup d’habitants ne partagent
plus, face à des phénomènes de discrimination et
d’injustices sociales criants. Il doit se travailler, à
travers tout un ensemble d’actions dont font partie
la gestion des espaces de la vie quotidienne et le
développement de projets urbains. Il s’agit à ce
titre de sortir du registre des expériences isolées,
ambitieuses mais sans lendemain, pour en faire
de véritables expérimentations qui se diffusent.
Certaines collectivités commencent à s’y atteler
comme le montre ce dossier, espérons que d’autres
les suivent.
Faire de la participation, ce n’est pas chercher à «
flatter le peuple » ou « l’opinion publique ». Ce
Edito
7
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Jean-Didier Laforgue est architecte DPLG et Professeur associé
au Master d’Aménagement de Paris I – La Sorbonne. Il est
également formateur à l’Ecole du Renouvellement Urbain (ERU)
Architecte-urbaniste
et chercheur au Laboratoire CRIA (Centre de Rercherches sur les
réseaux, l’Industrie et l’Aménagement). Avec Michel Bonetti et
le laboratoire de Sociologie Urbaine Générative, il a participé à
une évaluation du premier programme de rénovation urbaine pour le compte du CES de l’ANRU, et notamment sur le volet implication des habitants. Enfin, en tant qu’architecte-urbaniste indépendant, il intervient
dans le cadre de projets urbains en France dont certains ont mis en jeu des dispositifs de participation poussés.
Jean-Didier LAFORGUE
François Meunier (FM) : Du PNRU au NPNRU,
l’ANRU et ses partenaires semblent avoir mieux pris
en compte l’enjeu d’inclure les habitants dans l’élaboration des projets urbains. En tant qu’architecte
– concepteur impliqué dans différents projets de renouvellement urbain, partagez-vous ce constat, et
quel regard portez-vous sur ces évolutions ?
tants, car s’il n’y a pas de méthode de travail claire
et impliquante, la possibilité de jouer avec une supposée implication citoyenne est considérable. Aujourd’hui si les conseils citoyens doivent être intégrés à l’élaboration des projets de renouvellement
urbain, la différence entre ce qui pourrait être travaillé avec les habitants et ce qui leur est finalement
soumis est trop variable. On risque de retrouver en
Jean-Didier Laforgue (JDL) : L’ANRU est l’un des très fin de programme les mêmes critiques sur l’implirares endroits si ce n’est l’unique endroit, en tout cas cation insuffisante des habitants, sur une politique
que je connaisse, qui s’interroge pour changer ses dans les quartiers qui fait passer « l’urbain avant le
modèles et faire évoluer sa manière d’investir les social ».
réflexions. Avec le NPNRU, l’ANRU s’est posée les
bonnes questions sur l’inclusion des habitants dans FM : La clef reste donc, avant tout, une question de
la transformation d’un quartier. A travers les conseils méthode et de posture avec les habitants ? Comcitoyens notamment, l’Agence invite aujourd’hui ment poser les bonnes bases pour travailler avec eux
clairement à modifier ses pratiques et à mettre l’ac- dès les phases amont du projet, et existent-ils selon
cent sur la participation dans l’élaboration des pro- vous des sujets plus « légitimes » que d’autres pour
les habitants ?
jets.
La limite à mon sens de l’ANRU en partie sur ce
champ, c’est sans doute l’excès de précaution, parce
qu’elle se refuse à être prescriptrice de méthodes
plus engageantes. Cela part d’une intention sincère
et bienveillante : ne pas être trop « bottom-up »
vis-à-vis des porteurs de projets et de leurs partenaires, et les laisser déterminer sur le terrain la façon
dont ils entendent répondre aux attentes posées
par l’Agence. Mais de ce fait, les méthodes restent
de l’ordre de l’injonction, de la bonne pratique et la
marge d’interprétation entre ce qui est attendu et
ce qui se pratique en matière de participation des
habitants est trop importante. Par exemple, le plan
masse reste encore trop souvent dessiné en amont
sans bien identifier la vocation du territoire, le rôle
futur du quartier et les attentes des habitants et usagers.
JDL : A mon sens, il n’y a pas des sujets « habitants »
et des sujets « non-habitants ». C’est une question de
contexte. Je pense que les habitants sont légitimes
sur tous les sujets dès lors qu’ils sont bien positionnés dans le processus de conception. Il faut aussi que
les habitants adoptent une bonne posture adaptée
à la collaboration dans ces contextes de co-production. S’impliquer en tant que conseil citoyen dans un
projet de renouvellement urbain, ce n’est pas utiliser
le comité de pilotage comme tribune ou transformer
ces temps d’échanges et de compréhension en moment de pression.
En revanche, je crois qu’il y a une erreur récurrente
de penser que les habitants ne pourraient pas s’impliquer parce qu’ils ne sont pas suffisamment professionnels. Ce n’est pas l’objet de la demande.
Cela risque d’avoir un impact direct pour les habi- On leur demande dans un premier temps de faire
Interview Jean-Didier LAFORGUE
8
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
émerger des problématiques à partir de leur propre
expertise. Ensuite, s’assurer que ce qui est proposé a
du sens, à partir des thématiques et des enjeux qu’ils
portent, dans l’objectif d’aider à l’enrichissement du
projet. Il ne s’agit pas de savoir dessiner un plan ou
comprendre un règlement financier abscons … Car
c’est au contraire en les pseudo-professionnalisant
que leurs inhibitions et craintes sont renforcées.
En travaillant sur leurs enjeux et en engageant les
habitants à lire les différents scénarios non comme
des professionnels mais à partir de leur grille de
lecture, les intentions d’un plan deviennent plus lisibles pour eux et leur analyse à toute légitimité. En
revanche, essayer de faire lire l’intentionnalité d’un
plan si vous n’avez pas donné à la personne des clés
de lecture, c’est presque impossible ! Et on contribue
alors à placer les conseils citoyen dans une situation
passive.
Il y a aussi des points nodaux qu’il faut savoir aborder dans le détail pour permettre à des participants
de lever des inquiétudes qui font écran au fait de se
projeter dans une évolution de leur environnement.
Le relogement lié aux démolitions, par exemple, est
souvent un point bloquant. Mais lorsqu’on donne
aux habitants les clés pour comprendre que l’ANRU
axe toute une partie de son programme sur l’accompagnement des ménages dans le relogement, que
les coûts sont pris en charge... alors, ce verrou levé,
et il est possible d’aborder des enjeux portant aussi
bien sur l’école, les commerces ou la sécurité… Ils ne
sont plus dans une angoisse de la transformation, ils
sont en train de regarder si ce qui est proposé correspond à des problèmes identifiés.
ticulièrement ceux relevant du champ de la maîtrise
d’œuvre), il faut comprendre que son point de vue va
être travaillé avec d’autres parties prenantes, qu’il y
aura des dissensus à surmonter et que c’est là que se
situe les moments les plus riches de la collaboration.
S’il y a un temps d’enseignement « technique » à
prévoir, je dirais qu’il s’agit essentiellement de faire
comprendre ce qu’est une opération d’aménagement, sa logique d’équilibre financier à l’œuvre pour
responsabiliser la demande et la replacer dans un
champ d’arbitrage. Un projet urbain n’est pas une
liste de course : « je veux une piscine », « je veux une
maison de santé », « je veux que des maisons » etc.
car plus on fait monter les dépenses, plus il faudra
trouver des recettes, c’est-à-dire des droits à bâtir.
Les habitants le comprennent très bien et cela évite
les effets déceptifs des retours à la réalité.
FM : Comment dès lors faire véritablement évoluer
la pratique du projet urbain ? Après tout, ne fait-on
pas de l’urbanisme sans les habitants depuis tellement longtemps ?
JDL : Je ne suis pas tout à fait d’accord. La réflexion
sur la conception des villes a longtemps été « au service » du modèle de société qu’elles accueillent. Les
villes médiévales traduisent une société qui a besoin
de se protéger pour se développer. Le Baron Haussmann crée le Paris d’une bourgeoisie financière et
commerçante, à son image. Il y a sans doute une
rupture avec les Grands Ensembles où l’on s’est détaché des aspirations et modèles des personnes qui
allaient y habiter au profit d’approches techniques
(l’hygiène, les réseaux) ou bureaucratique (le regrouIl est donc indispensable dès le départ de conforter pement par revenu des habitants). C’est cette désinles habitants dans leur rôle, en les installant dans la carnation originelle du projet qu’il s’agit aujourd’hui
bonne dynamique, le bon positionnement, en les de corriger en apportant la diversité propre à la vie
aidant à construire leur légitimé pour qu’ils soient de la cité depuis son origine, et c’est pour cela qu’on
force de proposition… Et ils peuvent l’être seulement a besoin des habitants.
s’ils sont pleinement intégrés au processus de travail. C’est à ce titre qu’une formation des habitants Mais aujourd’hui encore, on a du mal à les écouter
telle qu’elle est pratiquée à l’Ecole du Renouvelle- sur comment ses quartiers pourraient évoluer. Et
ment Urbain est nécessaire. Dans ces formations, notre profession a, de ce point de vue, une réelle
nous passons du temps à expliquer la bonne posture difficulté à ouvrir la conception du projet à d’autres.
pour collaborer avec les autres partenaires du pro- L’architecte ou l’urbaniste qui arrive avec une idée
jet et obtenir des évolutions sans pour autant impo- préconçue du projet qu’il veut faire (ce que j’ai apser ses idées, mais en faisant débattre, en portant pelé « l’inside » de l’architecte dans un ancien article
à connaissance, en demandant à travailler d’autres pour le PUCA) ne va naturellement pas aller vers les
hypothèses… Lorsque l’on collabore, et cela vaut habitants s’il pressent que ce parti ne correspond pas
pour tous les partenaires et acteurs du projet (et par- à une attente pour eux. Il adoptera alors une position
Interview Jean-Didier LAFORGUE
9
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
hostile à la participation en considérant que les habitants ne sont pas des experts habilités à s’exprimer
sur les sujets touchant à la conception de l’espace,
sorte de domaine réservé. Or en matière de renouvellement urbain, c’est encore trop souvent l’architecte-maître d’œuvre – au détriment de l’urbaniste
- programmiste – « qui a les clés du camion » ! Et ce
mauvais positionnement en amont va l’empêcher
d’adopter une posture d’exploration au profit d’une
posture formaliste, ce qui encore une fois risque de
creuser un écart fort avec les ambitions de l’ANRU.
Avec les habitants, vous avez souvent des questions
comme « pourquoi vous faites ça ? ». Or si le projet a
été travaillé avec les usagers, à partir de méthodes
éthiques et rigoureuses, il est facile d’en parler simplement, avec leurs mots, en expliquant le sens de
ce que l’on cherche à faire du lieu selon leurs préoccupations. C’est comme cela qu’on fera renaître le
sentiment que les politiques publiques s’adressent
vraiment à eux, car le quartier qu’ils vont habiter
aura des qualités qu’ils auront contribué à porter :
c’est là à mon sens, un enjeu considérable pour notre
démocratie, qui dépasse le cadre du simple projet
urbain. Car en règle générale, mais plus particulièrement dans ces quartiers fragiles, notre métier est
avant tout social.
Interview Jean-Didier LAFORGUE
10
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Patrick NORYNBERG
Formateur et consultant
Patrick Norynberg est consultant sur la ville, les territoires, le développement social et également enseignant et formateur. Parmi ses sujets de prédilection : la démocratie participative mais également les modes de travail
collaboratifs et transversaux dans les services publics. Il a notamment participé à la rédaction de la «charte de la participation du public» auprès du
Commissariat Général du Développement Durable au Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. Son parcours l’a également amené à
exercer à différents niveaux d’administration en Seine-Saint-Denis.
besoins des habitants. Ce travail permet de nourrir
le projet dans un quartier par exemple, mais il permet aussi aux habitants de ne pas être passifs. Ils
s’inscrivent dans une dynamique de travail, avec des
centres d’intérêt qui convergent, pour monter en
compétences et devenir des interlocuteurs crédibles
Patrick Norynberg (PN) : Titulaire d’une Licence face aux différentes parties prenantes du projet.
Sciences de l’Education et d’un Diplôme des Hautes
Etudes des Pratiques Sociales, mon intérêt pour Avec ce type de processus véritablement particil’éducation populaire m’a amené à œuvrer auprès patif, j’ai le sentiment de faire grandir les habitants
des collectivités locales, notamment dans les terri- collectivement et individuellement au sens où chatoires les plus relégués en termes de politique de la cun peut prendre conscience de son environnement
ville. J’étais plus précisément attaché à l’idée d’édu- – habitat, quartier, commune…, de la place et du
cation populaire et mutuelle. Le terme populaire si- rôle qu’il peut y jouer. Je conçois mon implication
gnifie pour le plus grand nombre, c’est son essence autour de cette relation humaine, qui est d’ailleurs
même. La notion de mutualisation renvoie au pro- au centre de l’éducation populaire et mutuelle : processus d’apprentissage horizontal. Il n’y a pas les mouvoir l’émancipation individuelle et collective, en
experts d’un côté et de l’autre les non-sachants : au offrant à chacun le moyen de s’autonomiser, de faire
contraire, chacun peut apporter sa richesse, son sa- des choix éclairés pour soi-même et le collectif, sa
ville et plus globalement la nation et le monde. Car
voir, ses connaissances.
nous sommes tous des citoyens du monde et il est
Après avoir travaillé autour de l’inclusion des jeunes important de s’acquitter de sa conscience politique !
en amont de la conception des politiques publiques
dont ils sont destinataires, j’ai occupé des fonctions Aujourd’hui, la frontière entre les citoyens et la
au sein d’un service habitat-logement. Bailleur, Col- chose publique, les élus, la République, tend à s’élarlectivité, habitants… l’objectif était de mettre en gir. Or il faut donner à voir et pratiquer au quotidien
place une méthode efficace pour associer ces trois l’idéal républicain et démocratique, dans la proximiacteurs majeurs à la définition des projets de réhabi- té. Faire de la participation sur des projets urbains,
litation et de renouvellement urbain. C’est là que j’ai d’infrastructures, ou d’équipements, c’est une bonne
pu expérimenter les processus de co-construction et occasion pour montrer que la démocratie a du sens,
notamment la méthode des Ateliers de l’Avenir. Par que les élus et le service public en général écoutent,
la suite, et dans mes différentes missions durant plus font progresser le collectif et améliorent le cadre
de 15 années comme DGA et DG de collectivités, de vie. C’est un enjeu sociétal, au-delà du projet luicette préoccupation et ces pratiques ont toujours même sur lequel il s’agit de travailler.
été centrales dans mon activité professionnelle.
FM : Pouvez-vous revenir sur la démarche des AteLe principe de ces Ateliers est de mettre en avant les liers de l’Avenir, et sur leur place dans le processus
François Meunier (FM) : Comment votre vocation
pour la participation est-elle née ? Quels sont vos
éléments de vocabulaire concernant l’implication
citoyenne ? Qu’est-ce qui positionne votre pratique,
vos enjeux et vos ambitions ?
Interview Patrick NORYNBERG
11
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
A mon sens, l’un des maux dans nos quartiers aujourd’hui, c’est la défiance à l’égard de la chose
PN : La démarche des Ateliers de l’Avenir se construit publique, des élus, des services publics… Cette déen trois phases. Tout d’abord, la phase critique. Il marche permet de pallier ce manque de confiance
s’agit d’exprimer les difficultés rencontrées au quo- et produit une dynamique positive permettant la
tidien. Cela passe souvent par la colère et l’objectif co-élaboration.
n’est pas de la brider. Nous essayons de créer les
conditions sereines de son expression et de son FM : Vous êtes régulièrement amené à conseiller
écoute, de façon à ce que les choses puissent être des élus et des professionnels du service public sur
dites, sans jugement ou réactions hâtives.
la mise en place de ce type de démarche. Quelles
sont les craintes et réticences les plus fréquentes –
La deuxième phase est la phase imaginative, avec et quels arguments clefs mettez-vous en avant ?
comme question de départ : « de quoi rêvez-vous
pour votre quartier ? ». Cela semble simple, pourtant, Lorsque je m’adresse aux élus ou aux techniciens
c’est une phase qui est souvent plus difficile pour pour parler de participation, mon principal objectif
les habitants que la phase critique. Il est plus facile est de les aider à prendre conscience que le travail
d’être en colère que de rêver… En revanche, c’est collectif peut nourrir et enrichir le projet. La particiune étape clef d’enrichissement collectif et mutuel pation permet de gagner du temps. Elle représente
au service du projet !
un gage de réussite pour les projets. En effet, si l’on
associe en amont de la conception un maximum de
Enfin, la phase création et construction consiste parties prenantes dont les habitants, les choix faits
à revenir au principe de réalité afin d’explorer les seront confortés. Ils seront plus proches des attentes
différentes solutions qui pourraient nous amener de chacun. Les habitants auront amendé et enrichi
vers l’idéal formulé, mais avec des objectifs et des le projet. La décision ne sera que meilleure si elle est
moyens concrets pour y parvenir.
travaillée en amont.
d’élaboration des projets ?
Il arrive qu’entre la phase de l’imagination et la
concrétisation, le processus soit compliqué et source
de conflits. Mon accompagnement consiste alors à
mettre en avant les axes d’amélioration et les objets
à travailler. Des choses sont toujours possibles sur
les espaces extérieurs et les bâtiments publics par
exemple, mais il y aussi des objets qui dépassent le
cadre du projet urbain, comme les axes vie sociale
et quotidienne, sur lesquelles il faut travailler... Les
thématiques d’éducation et de formation, de l’emploi, des transports préoccupent entre autres fortement les habitants.
Les Ateliers de l’Avenir permettent en quelque sorte
« d’entrer en projet » pour pouvoir ensuite travailler
véritablement sur des objets urbains et des aménagements concrets. On ressent une certaine fierté
lorsqu’en en aval, lors du travail de conception, l’architecte prend connaissance d’un programme établi
de manière concertée, et qu’il comprend l’intérêt du
lieu, les arguments, les attentes des utilisateurs…
Cela permet d’établir une confiance entre les différentes parties prenantes.
En cela, la participation permet aussi de garantir le
respect du projet par les habitants. En effet, lorsqu’ils sont acteurs de sa réalisation, bien souvent
les choses sont davantage respectées. Nous prêtons
plus d’attention à l’ouvrage quand « il y a un peu de
nous dedans ». Finalement, en facilitant la mise en
œuvre, la réalisation et l’exploitation du projet, la
participation peut aussi être source d’économies financières importantes pour la Collectivité ou le bailleur !
Un autre apport de la participation authentique sur
lequel il me semble important d’insister est celui de
la valorisation de l’image du service public et des
professionnels. En effet, lorsque les professionnels
s’investissent dans une dynamique de projets participatifs, c’est le moyen de prouver que le service public est bel et bien au service des habitants. Ce n’est
pas juste une personne « derrière un guichet ». Elle
est là pour participer au projet, accompagner et faciliter la démarche. On sort alors de la simple offre
de services pour entrer dans une posture d’accompagnement des projets des habitants. Cet enrichissement mutuel grâce à la transmission de connais-
Interview Patrick NORYNBERG
12
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
sance permet non seulement de faire avancer dans
le bon sens un projet, mais permet également de retrouver un sens et à son travail, et à la notion même
de service public.
Chez les professionnels comme chez les élus, il est
nécessaire d’apprendre à dépasser les réticences.
Passer de « je n’ai pas besoin d’aller voir des gens pour
qu’ils me disent ce que je dois faire » à « je peux aussi
être celui qui contribue modestement à transmettre
des connaissances, à donner une vision sur un certain
nombre de sujet ». Les réticences peuvent aussi être
du côté des habitants qui peuvent penser que « si
l’on dit quelque chose, de toute façon on ne sera pas
écouté » ou « de toute façon le projet est déjà bouclé,
on vient nous voir juste pour choisir la couleur de la
peinture ».
Elus, professionnels, habitants : il y a un véritable
enjeu à apprendre à travailler autrement sur les territoires. Arrêter de faire pour, mais faire avec, au
moyen d’intelligence collective. En cela, le service
public doit apprendre à s’adapter aux habitants. Les
habitants doivent aussi apprendre à être moins dans
une posture de doléances, et se positionner plus en
force de proposition.
FM : Quel devrait être le rôle des élus ? Sont-ils suffisamment formés aujourd’hui pour mettre en place
et assumer ce type de dispositif ?
PN : Les élus ont certes une légitimité mais celleci s’altère considérablement. Il ne faut pas oublier
qu’avec l’abstention croissante aux élections, cette
légitimité s’acquière auprès de moins en moins
de personnes ! Dans les quartiers populaires par
exemple, c’est 70 à 80% des gens inscrits sur les
listes électorales qui s’abstiennent ! Il faut aussi ajouter ceux qui ne peuvent pas voter… C’est pourquoi il
est fondamental que l’élu écoute et se retourne régulièrement vers les habitants pendant son mandat,
vérifie que ce qui a été prévu correspond bien à leurs
attentes. Les démarches participatives peuvent soulever chez les élus certaines craintes, c’est pourquoi
la formation est essentielle. Il est nécessaire de leur
donner toutes les clés, car l’élu local est aussi le garant de la qualité du débat public sur son territoire.
citoyenne. Il s’agit là de savoir-être plus que de savoir-faire, qui devrait d’ailleurs être travaillé dès le
plus jeune âge, pour l’ensemble des citoyens : savoir écouter, argumenter pour défendre une idée,
prendre la parole en public, créer les conditions d’un
véritable échange, travailler collectivement et en
coopération… Le manque d’éducation en France
dans ce domaine se reflète dans la plupart des réunions de concertation que nous connaissons malheureusement tous : des chaises en rang d’oignons,
le bureau d’étude, le bailleur, le maire, le powerpoint… et deux heures maximum de réunion pour présenter, faire comprendre et débattre d’un projet urbain ou d’aménagement dans sa complexité ! C’est
une illusion, travailler véritablement ensemble dans
ce type de configuration est impossible.
La formation des élus doit également leur permettre
de s’interroger sur leur posture. L’élu de la République doit avoir un comportement exemplaire.
Certains élus ont la volonté sincère d’aller vers les
habitants, mais leur comportement va créer de la
défiance. Arriver en retard à des réunions que l’on
a soi-même convoquées, partir avant la fin, ou encore lever les yeux au ciel quand une question est
posée… sont autant de comportements souvent inconscients mais qui rendent très difficile le dialogue
et la co-élaboration saine sur le projet ! C’est pourquoi dans les formations que j’anime avec des élus,
le jeu de rôle est une méthode efficace, pour prendre
conscience de cet enjeu : attention, ce sont des personnes sensibles que vous avez à côté de vous. Ce
que vous dites compte, mais vos attitudes, postures
et comportements ont autant d’importance.
FM : Que pensez-vous du sujet de la représentativité
des groupes habitants ? Faut-il d’après vous, élargir
l’assiette des participants ? Que pensez-vous des
moyens du numérique dans ce processus de projet ?
PN : La représentativité se joue à l’échelle d’un territoire quand toutes les catégories de population - les
jeunes et les moins jeunes, ceux qui sont là depuis
dix ans, ceux qui sont arrivés il y a six mois - sont
représentées… Je trouve que le tirage au sort - qui
fait loi aujourd’hui pour les conseils citoyens - est un
système qui a du sens lorsqu’il est bien organisé, par
exemple à partir du fichier du bailleur ou de La Poste
Je pense que le premier niveau de formation est ce- et non pas des listes électorales. On observe d’aillui d’une acculturation générale de la participation leurs que 60% de ceux qui sont tirés au sort acceptent
Interview Patrick NORYNBERG
13
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
de jouer le jeu et se sentent valorisés ! La plupart du
temps, ce sont des gens qui n’auraient jamais fait la
démarche de s’impliquer par eux-mêmes. Ce constat
montre aussi que même si on ne s’implique pas toujours concrètement dans son quartier, pour de multiples raisons, nous ne sommes pas moins intéressés
par ce qui s’y passe.
Pour toucher une population différente, que l’on ne
voit jamais et que j’appelle les « invisibles », la multiplication des outils peut être une solution, notamment en s’appuyant sur le numérique. Néanmoins,
je m’inscris en faux contre ceux qui pense que la participation va se développer uniquement grâce au numérique. Lorsque l’on regarde bien, ce sont principalement les CSP + qui s’emparent de ce type d’outils.
C’est le cadre qui travaille, qui ne peut venir à une réunion à 19h. Mais de chez lui ou sur son smartphone,
il peut répondre à un questionnaire en ligne, laisser
son avis sur un forum... Cela ne concerne qu’une catégorie de personnes. Si le numérique s’inscrit dans
une panoplie d’outils que l’on mobilise pour faciliter
la participation du plus grand nombre, il ne faut bien
sûr, pas s’en priver. Mais à mon sens, c’est loin d’être
la panacée.
Plus que de représentativité, je préfère parler de
diversité des publics à prendre part au débat. Par
exemple dans un projet urbain, il est intéressant
que les enfants et les jeunes nous disent comment
ils imaginent leur futur quartier, mais aussi les personnes âgées, parce que selon son âge et sa situation, les usages sont vécus différemment. C’est cette
diversité qu’il faut toujours rechercher.
Lors des formations pour les élus, la question du
nombre de participants revient souvent : « Comment
faire pour que cela fonctionne si ce sont toujours les
mêmes ? » Il y a là aussi un enjeu de méthode. Souvent je propose d’aller vers les gens plutôt que de
leur demander de venir à eux ! Il faut de plus en plus
travailler de manière itinérante, aller là où les gens
sont déjà réunis par exemple, les espaces d’accueil
des équipements publics… Pour doubler le nombre
de participants, il est facile pour chacun de venir avec
quelqu’un d’autre la prochaine fois. Les enfants, le
mari, l’épouse, un voisin, une voisine, un ami. C’est
à la portée de tout le monde de convaincre un voisin
de palier. C’est cette chose-là qu’il faut réapprendre
à faire : le lien de proximité.
FM : Depuis 2017, vous êtes garant inscrit sur la liste
nationale de la Commission Nationale du Débat Public. Pouvez-vous nous expliquer ce rôle ?
La Commission Nationale du Débat Public a lancé
depuis trois ans un important travail pour élargir
ses missions. Aujourd’hui, elles consistent, à l’occasion de projets qui ont des dimensions environnementales, à organiser en amont des débats publics
et des concertations préalables. Pour cela il y a un
vivier de garants, qui sont à disposition des maîtres
d’ouvrage publics ou privés. Ils peuvent être sollicités pour jouer un rôle de tiers, garants de la bonne
conduite d’un débat public sur un projet. L’idée est
d’éviter des crispations et de travailler sur la bonne
compréhension du sujet par les habitants, leur permettre d’avoir tous les éléments de connaissance
sur le projet et ses impacts.
La mission du garant, c’est de « donner la parole et
la faire entendre ». Il doit être force de proposition
en termes de méthode de débat. Nous ne portons
pas d’avis sur les projets : ce qui nous importe, c’est
de veiller à ce que tous les éléments du projet soient
donnés, débattus, transparents, de façon que les habitants impactés aient toute la matière pour se faire
une opinion.
Il y a de nombreux acteurs qui ont des connaissances
spécifiques sur le territoire. L’enjeu est que tout le
monde puisse avoir cette information, et éviter les
phénomènes de rétention d’information. Le processus va dans le bon sens. Pas de démocratie sans
partage d’information ! Partager l’information c’est
le b.a-ba de la démocratie. Les garants veillent en
permanence à ce que les différentes parties prenantes, les habitants et leurs associations en particulier, aient tous les éléments en main sur le projet
pour pouvoir se faire une opinion et faire un choix
éclairé. C’est aussi cela une dynamique d’éducation
populaire et mutuelle !
Patrick Norynberg est auteur de plusieurs
ouvrages :
↘ « Faire la ville autrement ». 2e édition
revue et augmentée, 170 pages, éditions Yves Michel. Mars 2011
↘ « Ville, démocratie, citoyenneté : expérience du
pouvoir partagé ». 249 pages, éditions Yves Michel.
Mars 2011
↘ « Une nouvelle ambition pour la démocratie participative ». 133 pages, éditions Yves Michel. Octobre
2014
Interview Patrick NORYNBERG
14
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Conditions et apports d’un véritable processus
de coproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
Cet article se propose de présenter le processus de co-élaboration de la programmation d’un projet d’aménagement dans lequel les habitants ont joué un rôle déterminant. Il rend compte du processus, des conditions qui
l’ont favorisé et de ses principaux apports et enseignements.
Par Barbara Allen (Psychosociologue, Le Sens Urbain), Jean-Didier Laforgue (Architecte Urbaniste, Agence JDL)
Les raisons d’un processus spécifique
des conditions de vie de ceux qui y habitaient ou résidaient autour.
Les Carrières à Orly, « un secteur » par défaut à un
Ce secteur a la particularité de se situer aujourd’hui
moment charnière de son histoire
à l’interface de plusieurs zones à enjeux importants
Les Carrières constituent un secteur particulier d’Or- qui se déploient à différentes échelles : à la fois mély, entre son centre historique, la zone industrielle du tropolitaine, avec notamment la connexion attenSENIA et l‘aéroport. Les habitants les plus anciens due de la ligne 14 du métro et du RER C au niveau
qui y habitent ou résident dans sa proximité immé- de la gare Orly-Rungis, et locale, avec de nombreux
diate gardent le souvenir d’une zone champêtre, secteurs mutables d’ores et déjà à l’étude pour rétacampagnarde. Celle-ci s’est progressivement trans- blir une continuité urbaine qui fait aujourd’hui cruelformée en un « non-lieu », ni quartier résidentiel, lement défaut dans la ville d’Orly.
ni zone d’activités. Un ensemble hétéroclite d’entrepôts, d’activités et de maisons posées au milieu.
Un secteur dont le diagnostic montrera qu’il a été
progressivement sacrifié à une pratique d’aménagement sans cohérence et sans soucis de la qualité
Localisation du secteur
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
15
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Dans ce contexte de zone en pleine mutation, deux Conflits d’usages entre les fonctions résidentielles et
les activités, nuisances subies, problèmes de circuladestins étaient possibles pour ce secteur :
tion ou encore dangerosité des déplacements pour
- soit, « un devenir par défaut », sans projet spéci- les riverains… le diagnostic produit par le groupe
fique, conservant ainsi son statut de « non-lieu », d’habitants est unanimement partagé avec la maîzone résiduelle à l‘intersection de l’aménagement trise d’ouvrage. Pourtant, la tension – voire l’agressivité de certains participants - est palpable lors des
de différents secteurs ;
premiers ateliers.
- soit « un devenir propre », à l’articulation de différents projets à forts potentiels, envisagés comme La suspicion (il y a forcément un « projet caché ») et
autant d’éléments constitutifs d’une identité future, la crainte de la manipulation (nous ne serons jamais
assumée et valorisante, pour le secteur des Car- vraiment écoutés) semblent alors insurmontables,
faisant obstacle à toute tentative de dialogue – y
rières.
compris sur les conditions de la démarche de co-proUne démarche portée par une maîtrise d’ouvrage duction elle-même ! Progressivement, les raisons de
la perte de confiance des habitants envers la Collectiaux intérêts convergents
vité et de la suspicion ambiante vont être formulées
Mise en cohérence entre les stratégies d’aménage- : installation d’entrepôts générateurs de nuisances
ment métropolitaines et locales, recherche d’une importantes, détérioration des conditions d’habitat,
véritable qualité urbaine, mais également volonté gestion urbaine a minima ont engendré plusieurs
d’implication des habitants dans l’élaboration du années de conflit entre l’association d’habitants qui
projet urbain… dès le départ, l’EPA-ORSA, établisse- s’était constituée et l’ancienne municipalité.
ment public d’aménagement en charge de l’opération d’intérêt national Orly Rungis-Seine Amont, et Toutes ces difficultés ont généré un repli massif des
la ville d’Orly ont affiché des ambitions communes habitants sur la maison que chacun occupe et son
jardin, seul lieu « habitable » dans un contexte où
pour l’aménagement des Carrières.
toutes les échelles socio spatiales proches dysfoncPour l’EPA-ORSA, ce projet devait notamment per- tionnent (zone elle-même et son environnement
mettre de préparer les mutations territoriales de coté SENIA et gare RER, le centre-ville d’Orly qui a
grandes échelles prévues dans cette zone, en en- perdu presque tous ses commerces.) Plus loin, de
clenchant sur ce secteur un processus vertueux de l’autre côté de la voie ferrée qui coupe la ville en
deux, l’ex « grand ensemble » est associé à l’arrivée
production d’une véritable qualité urbaine.
massive d’une population d’origine étrangère, et à
La ville d’Orly cherchait quant à elle à poser un acte une perte d’identité de la ville « d’avant ». Des expéfort qui contribue à son changement d’image et lui riences antérieures de participation ont été vécues
confère une véritable attractivité, tout en contri- comme une immense tromperie par les habitants.
buant à l’enjeu de production et de diversification de
Une charte d’engagements pour relancer sur de
l’offre de logements sur son territoire.
nouvelles bases le dialogue avec les habitants
Une première phase difficile (juin à décembre
Le sentiment d’impuissance est grand. Puis, une
2013)
De la violence à la confiance réparée
Malgré des conditions favorables à la mise en place
d’un processus de co-élaboration du projet, une défiance très forte des habitants envers la puissance
publique va s’exprimer de manière ouverte, dès la
réunion publique de lancement et de présentation
de la méthode de travail proposée.
idée va progressivement faire son chemin, celle
d’une « charte d’engagements » pris par la maîtrise
d’ouvrage (Ville et EPA ORSA) vis-à-vis des habitants. Cette charte est présentée et discutée avec les
habitants avant qu’un exemplaire ne leur soit remis
lors de la dernière réunion publique. Cette charte
reconnait les attentes des habitants et acte leur légitimité. Elle constitue en quelque sorte une forme
de réparation par rapport au passé. La garantie que
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
16
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
tout projet à venir devra respecter ces engagements En effet, l’enseignement sans doute le plus imporcrée enfin un espace dans lequel une collaboration tant de cette première phase est qu’une fois rassurés
pour préparer l’avenir sera possible.
sur ce qui était fondamental pour eux, les habitants
ont changé de posture et leurs apports à la seconde
phase de construction d’un projet partagé ont été
décisifs.
Extrait charte d’engagements
Phase 2 : la construction d’un projet partagé « ville-nature », renouant avec l’histoire du quartier
et avec l’environnement immédiat très valorisé du
qui fasse sens (décembre 2014-juin 2015)
coteau et du parc Méliès.
Des engagements à l’émergence d’une identité Trois scénarios ont ainsi été élaborés par l’équipe
d’AMO.
partagée, le travail de scénarisation
Pour l’essentiel, la charte des engagements a permis
de formaliser et de valider la prise en compte dans le
projet des principaux problèmes rencontrés par les
habitants du secteur des Carrières et de ses abords,
et de garantir le respect de ce qui constituait les
conditions fondamentales de leur habiter.
Partant de ce socle d’invariants, la ville, l’EPA ORSA
et l’AMO se sont ensuite livrés à un travail de scénarisation, consistant à spatialiser de manière différenciée les engagements programmatiques et spatiaux,
et à décliner pour chacun une forme particulière de
Outre le respect des huit engagements issus de la
première phase de travail participatif, ces scénarios
prennent tous en charge les mêmes invariants validés par la maîtrise d’ouvrage, comme par exemple :
le nombre de logements visé (550), et la volonté de proposer une variété de type de bâti (individuel sur sa parcelle, individuel en bande, individuel dense ou habitat intermédiaire, petit collectif,
moyen collectif) ;
la recherche d’un nouveau réseau viaire qui
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
17
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
permette de bien desservir le quartier tout en évitant les raccourcis générateurs d’insécurité ;
le maintien d’une certaine mixité fonctionnelle, incluant notamment la disparition des activités nuisantes mais la conservation de celles qui ne
posent pas problème.
En revanche, les scénarios se différencient sur un
certain nombre de questions qui concernent principalement l’importance respective des espaces privés et de l’espace public, l’organisation du réseau
viaire, ou encore la répartition par sous-secteurs des
différents types de bâtis envisagés.
Point essentiel pour la conduite de la démarche de
co-production, les trois scénarios ont été validés par
la maîtrise d’ouvrage avant d’être mis en débat avec
les habitants, permettant ainsi d’ouvrir un véritable
espace de liberté et de négociation avec les habitants légitimés à co-produire à partir de marges de
manœuvre clairement identifiées.
riche possible en contenu et éviter l’écueil d’une focalisation formelle sur l’un ou l’autre des scénarios,
une grille d’analyse multi-critères a par ailleurs été
mise au point par l’AMO et proposée aux habitants.
Cet outil sera présenté aux habitants, amendé et
complété avec eux. Il va leur permettre d’analyser,
individuellement ou en groupe, chacun des scénarios : il donne à la fois des clés de lecture des plans,
des éléments de continuité dans le travail du groupe
et une légitimité d’analyse du lieu des intentions programmatiques consensuelles portées par le groupe.
Ces analyses seront présentées et débattues avec
l’ensemble du groupe.
Un scénario de synthèse comme aboutissement
de la démarche
Au terme de ce processus, c’est finalement un quatrième scénario qui va émerger : un « scénario de
synthèse », nourri des propositions et des critiques
des participants. Ce scénario respecte les invariants
mis au point avec la maîtrise d’ouvrage tout en proUn outil partagé pour permettre aux habitants posant une perspective appréciable dans laquelle
d’analyser et de comparer les scénarios
chacun peut trouver des qualités suffisantes pour
que certains a priori de départ soient définitivement
Afin de rendre cette phase de co-production la plus dépassés.
Exemple de restitution d’analyse critique d’un des trois scénarios par les habitants - Zoomer pour afficher le
texte en plus grand
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
18
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Le nombre de logements envisagé est sans commune mesure avec les positions d’origine des uns
et des autres. La pluralité des typologies, des statuts d’occupation variés constitue également une
résultante du processus. Dans le débat actuel sur la
densification, il semble intéressant de souligner l’apport d’une forme urbaine respectueuse du passé et
porteuse d’avenir, produite collectivement. Cela a
permis d’aboutir à une proposition qui apparaît accueillante aux habitants, respectueuse de leur environnement, et porteuse d’une plus grande richesse
de pratiques, s’étageant progressivement des espaces publics aux espaces privés.
La dernière réunion publique permettra de présenter et valider ce scénario. Un document sera alors
remis à l’ensemble des habitants dans lequel outre
le scénario de synthèse, figurera l’engagement de
la maîtrise d’ouvrage à répondre à la demande des
habitants d’être d’associés aux phases ultérieures du
projet, notamment en matière de conception architecturale.
Scénario de synthèse
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
19
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Les apports
Le passage d’une préservation défensive à la vision d’un quartier de ville pour tous
L’évolution des arguments mobilisés par les habitants durant cette seconde phase est tout à fait notable. Tout d’abord, une pluralité de points de vue
reflétant une histoire toujours singulière aux lieux,
des pratiques variées et des perceptions différenciées en fonction du lieu d’habitat des participants
ont pu être exprimées et débattues. Les participants
ont fait nombre de critiques et de propositions nécessaires et très utiles concernant les circulations,
les stationnements, etc. mais ils ont surtout œuvré à
la constitution d’un quartier de ville pour tous.
les exemples de dispositifs purement formels sont
nombreux.
La participation, en particulier la coproduction, ne se
décrète pas, elle se construit. On tend à systématiquement occulter que la participation des habitants
– usagers s’inscrit dans un ensemble d’interactions :
les contextes politiques et institutionnels, les formes
de relations qui existent entre les différentes organisations qui participent à un projet, les relations au
sein de mêmes organisations.
La participation de type « co-élaboration » ne peut
réellement advenir que si la maîtrise d’ouvrage est
absolument convaincue de son utilité, de sa pertinence, de sa légitimité et s’engage résolument dans
le processus du début à la fin. Il s’agit pour la maîtrise
d’ouvrage d’un processus exigeant en temps, en disBien loin des positions défensives exprimées dans ponibilité, en capacité à admettre l’incertitude.
une première période, ils ont opté pour un quartier
que certains habiteraient, d’autres pratiqueraient A Orly, on peut réellement évoquer la co-construcpour le plaisir de le traverser, de la déambulation, de tion, dans la mesure où les contenus, les visées,
les arbitrages se sont construits dans une itération
l’usage des espaces publics crées. Ils ont ainsi :
continue au sein de la maîtrise d’ouvrage et avec les
privilégié une organisation faisant la part habitants sans que l’on puisse distinguer un moment
belle à des circulations de qualité, des micro espaces d’élaboration et un moment de décision.
publics et d’autres plus importants ;
plébiscité une organisation des construc- La volonté de la maîtrise d’ouvrage de permettre à
tions sur chacune des parcelles qui permette à tous ce processus de se déployer, la conviction de la léles nouveaux habitants de disposer de vues qualita- gitimité des habitants à y participer, les relations de
travail continues au sein de la maîtrise d’ouvrage,
tives ;
souhaité que les jardins privés s’ouvrent sur et le dispositif mis en place constituent les compol’espace public et le qualifient afin que le promeneur santes fondamentales du cadre à l’intérieur duquel
puisse profiter au moins visuellement d’ambiances un espace de liberté a pu réellement se déployer.
Il nous semble que les principales composantes qui
paysagères de qualité ;
fortement défendu la perspective d’am- ont permis à cet espace de se déployer résident dans
biances urbaines différenciées au sein du quartier :
et exprimé le souhait que l’architecture contribue à
la reconnaissance pleine et entière du droit
cette différenciation.
des habitants et des riverains à souhaiter protéger,
préserver la manière dont « ils s’étaient arrangés »
Quelques enseignements sur la participation
d’un environnement très défavorable en « effaçant
Quelques enseignements intéressants peuvent être le monde extérieur » et en investissant massivement
retirés de ce processus concernant la participation et leur maison et leur jardin ;
la proposition de trois scénarios validés par
les conditions d’une réelle co-élaboration.
la maîtrise d’ouvrage avant l’engagement de la seLa participation, son obligation légale désigne le conde phase qui a permis une liberté totale dans l’
souci d’impliquer la société civile dans le devenir analyse, la critique, la déconstruction, la reconstrucde son environnement, de sa ville. Mais l’obliga- tion.
tion, l’injonction à la participation ne constituent
en aucun cas une garantie d’une telle implication et Le second principe directeur de la méthode propo-
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
20
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
sée aux habitants a été de ne pas choisir, de ne pas
opposer les scénarios les uns aux autres mais de les
analyser pour eux-mêmes avec leurs forces et leurs
faiblesses : il s’agissait de chercher à identifier apports et faiblesses en se projetant, en imaginant le
fonctionnement du type d’espaces créés, les pratiques différenciées qu’ils allaient induire pour eux et
pour de nouveaux venus.
Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants
Le chemin des Carrières à Orly
21
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Gwenaëlle d’Aboville
Fondatrice de Ville Ouverte
Gwenaëlle d’Aboville est associée-fondatrice de l’agence Ville Ouverte, lauréate du palmarès des jeunes urbanistes de 2016. Assistante
à Maître d’Ouvrage, programmiste et urbaniste, elle défend avec
conviction la place de l’habitant-usager dans l’élaboration des projets
urbains.
François Meunier (FM) : Quelle définition donnez-vous à la démarche participative ? Comment
qualifierez-vous votre rôle en tant que « professionnelle de la concertation » ?
n’avait pas imaginé avant. Parfois mes intuitions de
départ vont être confirmées et d’autres fois elles seront contredites. Cela me motive d’autant plus que
nous travaillons dans un champ qui est celui de l’urbanisme : un champ tellement complexe, avec tant
Gwenaëlle d’Aboville (Gd’A) : Nous travaillons sur de voies possibles que je ne comprends pas qu’on
deux types de démarches participatives. La pre- puisse défendre des positions « vraies », contre
mière se dirige spécifiquement vers les habitants et celles de l’autre qui elles, seraient fausses.
les usagers au sens large, c’est-à-dire tous ceux qui
sont amenés à pratiquer un territoire. La deuxième En tant qu’experte de la concertation, je ne suis pas
s’adresse à ceux qu’on a coutume d’appeler les ac- en mesure de prédire ce que les habitants vont dire,
teurs, c’est-à-dire ceux qui en plus de la maîtrise ou « ce qui va sortir de tel atelier ou de telle réunion ».
d’ouvrage, sont associés plus ou moins directement Souvent, les services ou les élus posent la question.
aux décisions. En premier lieu les partenaires insti- Mais je suis incapable de leur répondre, car une fois
tutionnels, mais également et de plus en plus, dif- sur deux les habitants me disent exactement ce à
férents représentants de la société civile : commer- quoi je ne m’attends pas… et c’est d’ailleurs une des
raisons pour lesquelles je trouve ce métier passionçants, entreprises, etc.
nant !
A mon sens, ce qui va définir le caractère vraiment
participatif d’une démarche, c’est la réelle volonté Selon moi, le bon positionnement à adopter pour «
de faire ensemble. Quels qu’en soient les destina- l’expert en concertation » est semblable à celui du
taires, c’est donc avant tout une question de mé- professeur face à la révolution numérique en cours
thode d’élaboration de projet. S’il n’y a pas cette dans le champ de l’éducation… Avant, le professeur
était celui qui avait la connaissance et qui la transambition, alors pour moi c’est de l’affichage.
mettait à ses élèves. Aujourd’hui, l’ensemble de la
Je suis d’ailleurs souvent stupéfaite par le fait que classe a directement accès à la connaissance : le
même quand cette volonté est clairement posée, professeur doit davantage apprendre à médiatiser
on a énormément de mal à tirer les conséquences cette connaissance, apprendre à la situer, l’analyser
de cette ambition-là. On continue à préparer entiè- de manière critique mais aussi la mettre en perspecrement des workshops, et dont les conclusions sont tive avec d’autres connaissances… De manière semdéjà connues au lancement de la démarche… Alors blable en concertation, nous ne sommes pas là parce
que par définition, si il y démarche participative, que nous savons ce que pense l’habitant, ou parce
c’est qu’on a besoin d’être ensemble pour avancer. que nous connaissons ce que le Maire, l’architecte
C’est qu’on est prêt à entendre l’autre pour être sur- ou le technicien ne sait pas. Nous sommes là parce
que nous sommes capables d’aller chercher une papris voire parfois dépassé par ce qu’il va nous dire.
role et de l’entendre, de rassembler des éléments de
Cela nous amène à remettre en question nos pos- discours différents, de prendre du recul par rapport
tures professionnelles, car nous pouvons avoir le à une parole donnée, mais aussi de faire en sorte que
sentiment de ne pas faire notre travail si nous ne cette parole soit prise en compte en la convoquant
sommes pas capables de proposer aux habitants de au bon moment puis en la resituant intelligemment
faire un choix entre deux ou trois options… Mais ce dans le processus de projet.
n’est justement pas de la participation ! Au contraire
ce que je trouve intéressant dans la démarche par- Ce changement de posture est aussi valable pour un
ticipative, c’est d’aboutir à quelque chose que l’on directeur de service dans une Collectivité. Avant, un
Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE
22
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
directeur d’espace public par exemple, c’était une
personne qui maîtrisait un ensemble de compétences techniques, comme la largeur d’une chaussée, ou encore le type d’enrobé et de mobiliers qui
correspond aux usages attendus… Aujourd’hui, c’est
quelqu’un qui doit aussi être capable d’écouter un
conseil de quartier, ou d’aller sur une application
collaborative, et de prendre en compte les paroles
et attentes des usagers et de leurs différentes pratiques sur un espace public.
pensable si nous voulons que les habitants s’impliquent vraiment dans la démarche, au-delà du
simple diagnostic !
Prendre la peine de nommer précisément ce pour
quoi on travaille permet aussi de mettre à jour les
contradictions entre les différents usagers et acteurs
du projet. C’est à mon sens un autre aspect très fort
de la participation. Les intérêts autour d’un même
projet sont souvent très différents, voire divergents.
Il faut lever les malentendus et sortir d’une vision
FM : Quelles sont vos méthodes, sur quoi et com- édulcorée du projet qui chercherait à mettre tout
ment travaillez-vous pour mener à bien une dé- le monde d’accord. Et le seul moyen de pointer ces
contradictions et de les arbitrer, c’est de les formuler
marche participative ?
clairement et donc d’être lisible sur les objectifs atGd’A : Dans le cadre d’une démarche participative, tendus au départ.
la première chose sur laquelle nous allons travailler
c’est sur le « quoi », c’est-à-dire sur ce qu’il y a en Et cela passe nécessairement par de la transparence
commun, au milieu de la table. Ce n’est pas forcé- vis-à-vis des participants, et faire comprendre les
ment évident à définir. Au démarrage d’une mission, marges de manœuvre dont ils disposent d’un côté,
cela arrive souvent qu’un habitant demande : « pour- et les priorités et prérogatives de ceux qui vont porquoi faire un projet ? » nous devons alors collective- ter et financer le projet de l’autre. Ce projet a un budment essayer de comprendre, et de parler de ce que get et des contraintes opérationnelles… L’informal’on voit. Il faut pour cela réussir à déconstruire les tion doit être partagée et donc être mise sur la table
automatismes, et ils sont très nombreux en urba- au lancement de la démarche.
nisme, et aller au-delà des premières justifications
qui nous paraissent évidentes. Je trouve que c’est là En termes de méthode, nous cherchons avant tout à
une des richesses et un des leviers les plus puissants nous adapter à chaque mission. Mais nos premières
de transformation que permet la participation !
investigations vont toujours porter sur les qualités du site. C’est une étape importante car avant
A partir de là, nous travaillons ensuite sur le pour d’aborder un projet, il est essentiel de connaître ce
quoi : « quels sont les objectifs de notre action ? ». qui fait adhésion, appropriation, représentation et
Dans certains cas peut-être, la motivation peut être aménité du lieu. Cette phase nous permet d’entrer
purement politique : un Maire par exemple veut en- dans l’épaisseur du site, en créant par la même ocgager une action en direction d’une population ou casion un vocabulaire commun avec les habitants.
d’un quartier spécifique, sans qu’il y ait vraiment de C’est aussi comme cela que nous allons fonder notre
besoin exprimé à la base. Mais souvent, le projet se légitimité et la confiance que les participants nous
justifie par des objectifs de fond, liés par exemple au accorderons par la suite.
désenclavement ou à la redynamisation …
Cette méthode nous permet d’éviter un bon nombre
Derrière ces concepts généraux, il est nécessaire de d’erreurs... C’est la garantie de s’accrocher à des
revenir aux fondamentaux du projet pour se poser fonctionnements existants, parce qu’il me semble
la question de ce qui est réellement attendu par les qu’en urbanisme lorsque l’on part de rien, lorsque
habitants et les usagers. Par exemple sur un projet l’on se contente de décréter, l’objectif est souvent
d’espace public, l’objectif « rénover la place » ne raté.
va pas nécessairement parler aux habitants. En revanche, en approfondissement le sujet avec eux, en FM : Quelles sont les grandes situations d’exercice
cherchant à comprendre concrètement ce qui est dans lesquelles vous êtes amenés à mettre en œuvre
inconfortable ou dangereux quand on est un piéton la participation ? Et parmi elles, y-a-t-il selon vous
par exemple, le projet va prendre sens. C’est indis- une situation plus adaptée à la démarche participa-
Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE
23
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
tive – notamment dans l’articulation de l’étape pro- une certaine confusion sur la nature de la démarche,
grammation et de l’étape conception ?
et plus précisément sur le degré de participation
réellement attendu des habitants. Partagez-vous ce
Gd’A : Nos commanditaires sont assez variés : des constat et y-a-t-il des prérequis minimum pour enCollectivités, mais aussi des bailleurs sociaux, et nos gager une démarche de participation ?
échelles d’intervention vont de la planification aux
études de conception, en passant bien sûr par les Gd’A : Cette confusion entre les différents degrés
études urbaines et de programmation. Nous avons de démarches participatives est tangible, mais loin
aussi eu l’occasion de travailler pour quelques pro- de me décourager, cette confusion me stimule. Je
moteurs dans le cadre d’appels à projets urbains pense que le seul moyen de lever le malentendu et
innovants, mais à mon sens ce sont des cadres de de faire avancer la cause de la participation, c’est
commande qui ne sont pas tout à fait adaptés pour indéniablement de faire la démonstration d’une défaire de la vraie concertation, car les marges de marche participative qui produit réellement quelque
manœuvre sont assez limitées...
chose de différent, avec à la clef un projet qui ait du
sens. C’est même notre responsabilité en tant que
Il y a quelques années j’aurais dit que la program- professionnel ! Autrement dit, les processus que
mation était l’étape idéale, voire la seule étape qui nous mettons en place doivent en permanence faire
vaille, pour concerter. Cette étape interroge la voca- la preuve de ce qu’ils sont … Car il n’y a aucun autre
tion du projet, la nature des usages, des pratiques… moyen de convaincre un élu, un directeur de l’urbac’est par essence le moment où l’on peut vraiment nisme, ou même un habitant de la valeur de la partiouvrir le champ des possibles et réfléchir sur ce qui cipation dans le projet urbain.
sera mis en commun dans le projet. Par définition,
un projet entré en phase conception ne présente Et pour cela, il faut aussi pouvoir identifier a posplus les mêmes marges de manœuvre pour concer- teriori ce que la concertation a apporté au projet,
ter : sur la base du programme, c’est au tour du c’est-à-dire ce en quoi le travail avec les habitants
concepteur, qu’il soit architecte, urbaniste ou paysa- a conforté, ou au contraire contredit, les intentions
giste, d’apporter sa vision du site, et son « parti pris programmatiques et spatiales initiales du projet.
» pour le projet…
Or, j’ai parfois l’impression qu’une fois que les habitants ont été consultés, on ne s’intéresse pas assez
D’une certaine manière, je continue à le penser, mais aux résultats et aux impacts concrets apportés par
mon positionnement a évolué. En travaillant sur des la démarche… Voire qu’on ne les assume pas, car ces
projets déjà entrés en phase conception, je me suis résultats vont sembler de prime abord trop mineurs,
rendu compte que les marges de manœuvre étaient ou trop subtils !
certes, réduites – particulièrement quand le projet
a été sélectionné à l’issue d’un concours. Toutefois, C’est en ce sens que je parle souvent de délicatesse :
la concertation peut apporter une vraie valeur ajou- la concertation vient apporter de la délicatesse dans
tée au projet. A condition que la démarche soit bien les projets ! La place de la République aurait quand
organisée, avec un discours honnête vis-à-vis des même été la place de la République, même s’il n’y
habitants sur les marges de manœuvre et les adap- avait pas eu de concertation. Mais c’est plus délitations encore possibles. C’est ce qui s’est passé par cat, de faire en sorte que les personnes à mobilité
exemple pour la place de la République à Paris. Les réduite puissent traverser la place, ou d’avoir pensé
habitants ont pu faire valoir leur vision d’un espace aux enfants qui allaient venir jouer au ballon… Je dis
public de qualité, praticable au quotidien par tous, souvent « nommons ce que change la concertation
avec des propositions concrètes qui ont été prises ». Ce sont parfois des petites choses, mais des peen compte par l’équipe de concepteurs. Ce sont ces tites choses qui comptent !
petites choses qui font la réussite de la place aujourd’hui !
L’un des prérequis pour mener à bien une mission,
c’est que le commanditaire ait envie de faire de la
FM : Animation, information, communication terri- participation. Pour de bonnes ou pour de mauvaises
toriale… Les maîtres d’ouvrage entretiennent parfois raisons, peu importe … Car s’il n’y a pas un peu de
Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE
24
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
volonté, ou à minima de curiosité politique au démarrage, cela ne mènera nulle part. L’autre condition pour moi c’est d’avoir du temps, en amont. Une
bonne préparation peut permettre de gagner du
temps par la suite. La concertation ne ralentit pas
beaucoup le processus de projet quand il est bien
lancé. Mais il y a une première phase d’immersion,
d’observation sur le terrain et de discussion avec les
gens, qui elle est incompressible.
Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE
25
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Alain RENK
Architecte-Urbaniste, Fondateur du réseau 7 milliards d’urbanistes
Alain Renk est architecte urbaniste, programmiste urbain et architectural, cofondateur du réseau 7 Milliards d’Urbanistes et du laboratoire de recherche indépendant HOST. Ses recherches et projets sont liés à l’intelligence collective, aux villes
contributives et aux communs. En créant ses méthodes et logiciels « Unlimited
Cities » en 2010, le HOST lab a été l’un des acteurs pionniers de la création et de
la mise en œuvre de dispositifs d’intelligence collective visuelle pour les projets
urbains et architecturaux. Suite aux partenariats avec ONU-Habitat et la FREE IT foundation de Genève,
les différents dispositifs “Unlimited Cities” sont déployés par des collectivités locales, des concepteurs, des
associations citoyennes et des chercheurs sur les quatre continents.
François Meunier : Pouvez-vous revenir sur la notion communication horizontale et d’un accès de tous à
de Civic Tech, et la déclinaison qui en est faite via la connaissance, la culture de base est de définir les
protocoles de contribution et de partage de cette
HOST et 7 milliards d’urbanistes ?
connaissance. Il me semble qu’à l’inverse, ce sont
Alain Renk (AR) : Les Civics Tech sont des organi- des notions nouvelles pour la fabrique urbaine, où
sations qui développent des plateformes technolo- les acteurs professionnels commencent seulement
giques dans le but louable et bien difficile “d’amélio- à identifier que la communication envers la société
rer la démocratie”. La naïveté qu’on prête aux Civics civile n’est pas seulement de la participation ou du
Tech, à savoir une fascination pour des technologies collaboratif, et que les ambiguïtés sur les règles du
plus que pour la complexité humaine, est surtout le jeu à ce sujet, avec les manques de transparences
fait de personnes qui ne les ont pas rencontrés. Car qui les accompagnent, éloignent la possibilité de
le point de départ de tous est d’aider cette complexi- construire la confiance. Cette confiance à construire
té humaine à mieux fonctionner. L’expression Civics est-elle ressentie comme un enjeu, ou est-il possible
Tech est liée au mouvement de l’Open Gouv, litté- de s’en passer en augmentant la communication, les
ralement « gouvernement ouvert ». Elle désigne à projets temporaires et les procédures contre les rel’origine un ensemble de technologies visant à aider cours ? Suivant les cultures des autorités politiques
la puissance publique à être plus collaborative et à et des concepteurs, suivant les pays, différentes posaugmenter ainsi la capacité des citoyens à interagir tures sont encore possibles.
avec la sphère politique. Par exemple en permettant
aux citoyens de participer à la co-conception des François Meunier : Plus largement, pouvez-vous exlois à grande échelle, ce qui nécessite la création de pliquer en quoi la ville est un lieu d’expériences ou
un démonstrateur intéressant pour la sphère Civics
plateformes spécifiques.
Tech ?
Utiliser la notion de Civics Tech dans le domaine de
la ville correspond donc une extension par rapport à AR : Ce sont probablement plus les Civics Tech qui
l’origine du concept. Est-ce utile ? Au sein du labora- sont intéressantes pour les hommes politiques et
toire Host, nous cherchons depuis 2007 à créer des les professionnels de l’urbain que le contraire. Nous
moyens de faire interagir la société civile, les auto- avons commencé à développer le concept d’urbarités politiques et les techniciens sur d’autres bases nisme collaboratif et non participatif avant que le
que les concertations légales. Et de fait, le besoin terme soit diffusé, mais nous partageons avec ce
de construire la confiance à partir de règles du jeu monde des convictions et modes d’action.
claires et transparentes est davantage présent dans
le monde des Civics Tech que dans celui des transfor- Par exemple nous pensons que la théorie et l’action
mations urbaines. Les Civics Tech perpétuent en ef- doivent s’enrichir sur des cycles courts tout en resfet l’utopie initiale d’un numérique au service d’une tant constant sur nos objectifs. C’est-à-dire que d’un
Interview Alain RENK
26
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
côté nous testons, nous évaluons et nous amélio- ger la co-imagination du projet avec de jeunes archirons nos dispositifs de façon contributive. De l’autre, tectes.
nous répondons à des appels à recherche pluridisciplinaires sur des cycles de trois ans.
FM : La transformation de l’espace urbain apparait
comme un élément de contextualisation très fort et
La rapidité des tests des prototypes mis en regard très concret pour stimuler les échanges.
d’analyses critiques de chercheurs permet de stabiliser des versions de nos dispositifs pour pouvoir AR : C’est effectivement une grande force et c’est ce
les partager quand ils sont opérationnels. C’est le ressort que nous utilisons à travers le principe d’incas pour la famille de dispositifs “Unlimited Cities”. telligence collective visuelle. Les variations en grand
Notre objectif reste de chercher de nouvelles pistes nombre d’un contexte, permises par nos logiciels,
pour améliorer les conditions d’exercice de la démo- permettent de faire réagir en manipulant, au precratie participative. Pour simplifier, nous cherchons mier degré, la complexité du fait urbain.
à établir des rituels et des engagements vérifiables
destinés à rétablir la confiance entre trois groupes Prenons par exemple les Objectifs du Développequi ne se respectent plus. Les experts, les élus et les ment Durable exprimés par l’ONU qui peuvent pacitoyens. Sans cette confiance, l’intelligence collec- raitre théoriques et abstraits. Comment lutter contre
tive reste enfermée dans des cadres mentaux qui ce risque de démobilisation que produisent des inl’empêchent de se déployer.
jonctions quand elles semblent contradictoires ? Par
exemple, il est souhaitable de décréter qu’il faudra
Les Civics Tech doivent intégrer cette connaissance allier développement économique et inclusion, mais
de la fabrique de règles du jeu et de gouvernance, au l’expérience montre que le plus souvent ce déveloprisque de n’avoir aucun participant. Et c’est inspirant pement creuse les inégalités en raison des processus
pour les sphères de l’architecture et de l’urbanisme. de gentrification.
Pour autant, la ville peut aussi servir aux Civics Tech Manipuler des variations du réel, ou même manipucar elle a un avantage évident par rapport à des do- ler le réel tel que le permet l’intelligence collective
maines plus techniques comme la fabrication des visuelle permet d’envisager des transformations de
lois par exemple. En effet, ce qui va naître d’une pra- l’espace urbain qui conservent à l’évidence des mixitique de partage des décisions et d’inclusion réelle tés de cultures, de temporalités et de revenus. Ce
de tous les acteurs impliqués et/ou impactés dans le travail en couche est loin d’être simplificateur. Il perdomaine de l’urbanisme va avoir un impact directe- met d’envisager le défi de développements inclusifs,
ment visible.
basés sur des actes et non des promesses, en conservant tel ou tel îlot. On est loin des dualités simplistes
Nous avons déjà constaté qu’une démarche urbaine et sclérosantes comme celle qui opposerait sachants
participative efficace peut avoir tendance à se dupli- et non-sachants.
quer naturellement à travers une prise en main par
des citoyens et des associations citoyennes de la lo- Car face à la contextualisation de variations visuelles
gique de contribution et de collaboration. Cela de- qui permettent d’expliquer «preuve à l’appui» que
mande évidemment de penser le design du disposi- la ville est plastique, qu’on peut la sculpter en restif en intégrant cette capacité de “portage citoyen”. pectant des façons de vivre différentes, hors des
Nous avons observé ce cas dès 2012 lors du déploie- standards habituels, en associant modernité et mément d’Unlimited Cities sur le projet de ZAC de la moire, bâtis et végétaux, des espaces de créativités
Pompignagne à Montpellier. Un groupe de citoyens et d’imaginaires s’ouvrent sans limite. Avec autant
de la Pompignagne avait formé de façon autonome de défis à résoudre.
un groupe citoyens d’un autre quartier à l’usage
d’Unlimited Cities. Le nouveau groupe avait eu en- Ce que nous essayons de faire c’est d’associer cette
vie de faire une première esquisse entre habitants mise en abyme vers les différents possibles, cet acet s’était rapidement tourné vers la ville pour qu’un cès à des univers parallèles avec un respect entre les
financement soit trouvé pour permettre de prolon- différents acteurs qu’ils soient élus, société civile, ex-
Interview Alain RENK
27
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
perts. Quand c’est le cas, il est évident pour tous que
les démarches ascendantes ne sont pas suffisantes
seules, de même que les démarches descendantes
seules.
et l’architecture ont évidemment un immense précédent avec l’architecte mathématicien Christopher
Alexander dont les travaux ont été immédiatement
compris dans leurs conséquences par des informaticiens, et beaucoup moins par les architectes.
La clé est d’utiliser ces dispositifs d’intelligence collective visuelle comme des passerelles vers des pro- FM : Qu’apportent plus précisément des outils nucessus délibératifs équilibrés à partir de la complexi- mériques qui vont dans ce sens, quelle est leur valeur
té du réel.
ajoutée ?
Taipei Taiwan : déploiement par Morgane le Guiloux
et Clément Tricot
FM : Plus que la collecte de données, vous semblez
dire que c’est donc l’articulation des échanges qui
est au centre de l’usage du numérique...
AR : Exactement. Cette articulation des échanges
est au centre de l’internet et du web qui ont été
construits sur des logiques contributives. C’est une
construction progressive qui passe par l’établissement de modes de gouvernance qui sont évidemment un des éléments centraux des processus
contributifs issus du numérique.
Nous continuons d’apprendre et de nous questionner en nous confrontant à des communs technologiques comme Open Street Map et Wikipedia. Que
pouvons-nous utiliser de leur philosophie et de leurs
modes de gouvernance pour en tirer des enseignements pour co-construire des villes durables inclusives, où la notion de contribution se déploie à toutes
les échelles. Ce que nous nommons par raccourci la
ville contributive.
Ces chemins et ces rencontres entre le numérique
AR : Le numérique apporte un élément crucial sur
un projet d’intelligence collective, la capacité à
enregistrer sur le temps long les échanges. C’est
d’autant plus nécessaire quand les procédures sont
complexes. Cela peut sembler paradoxal tant l’immédiateté rendue possible par le numérique semble
tout recouvrer, mais le numérique, c’est de plus en
plus ce qui enregistre, ce qui mémorise.
Cet atout du numérique permet à l’ensemble des
acteurs de vérifier factuellement si les règles du jeu
données au départ sont suivies, ou non, et par qui.
Car le partage des règles de façon claire et accessible n’est pas suffisant pour co-construire un projet avec la société civile. Les professionnels doivent
pouvoir conserver la confiance et l’implication de
leurs interlocuteurs tout au long de démarches qui
peuvent durer des années. On ne peut le faire avec
des post-it.
Le numérique permet à tous, par sa capacité d’enregistrement et de diffusion, de vérifier que les différents acteurs et particulièrement les plus puissants
suivent les règles de la démarche. Une plateforme
destinée à la co-construction va pouvoir créer la
confiance entre les acteurs si et seulement si elle
accompagne un processus en rendant manifeste les
principes de transparence et de loyautés entre acteurs, sur la durée.
FM : L’outil numérique permet d’assurer une médiation dans le cadre de concertation, en prise direct avec le projet urbain. Comment la transition
numérique - et plus largement la culture numérique
- change-t-elle le rapport à la pratique de l’espace urbain selon vous ?
AR : Le numérique permet d’étendre le nombre d’acteurs et de sujets embarqués dans un processus de
co-construction. Oui, il n’y a pas qu’une nouvelle
facilité à archiver de façon dynamique les échanges
Interview Alain RENK
28
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
définir une pré-progammation et un phasage. Cette
programmation croise les résultats de la démarche
avec la société civile et la vision politique des autorités. Cela se prolonge avec des restitutions plus
délibératives que ce qui se passe habituellement.
Ensuite comme l’a dit le maire de Saint-Nazaire, «
Le maire d’un village en Suisse m’a dit que ces mé- C’est la ville entière qui peut passer au prisme du colthodes pourraient peut-être aider les autorités po- laboratif. »
litiques à retrouver ce qui leur manque le plus aujourd’hui, la capacité d’articuler les dynamiques FM : La culture numérique peut-elle vraiment faire
individuelles dans de vastes projets communs, rai- évoluer les pratiques et les représentations des acsonnés, progressivement mis en place.
teurs, en changeant les jeux d’intérêt, en recréant de
la confiance, et finalement en introduisant plus de
FM : Mais concrètement, comment dépasser les démocratie ?
grandes idées générales ?
AR : Oui, c’est déjà le cas !
AR Cela se passe progressivement, cela n’a rien de
magique ni d’instantané. Il faut d’abord que les habitants démontent eux-mêmes leurs propres idées
générales en multiples idées concrètes. Puis nous insérons ces idées et d’autres sous forme d’images et
d’histoires interactives dans l’outil numérique. Enfin
des médiateurs vont à la rencontre des habitants qui
vont fabriquer et argumenter leurs visions. Puis il y
une analyse des données avec les techniciens pour
et à se transporter sur les lieux de vie des personnes
qu’on souhaite interroger. Ces méthodes sont beaucoup plus que des post-it électroniques. Elles ouvrent
les imaginaires et en ouvrant les imaginaires, elles
changent les postures.
7m illiards-urbanist es.org
Schéma produit par le laboratoire
d’architecture collaborative HOST, Alain Renk
Licence cc attribution share alike
ONG internationale pour le partage
des dispositifs d’urbanisme collaboratif
Date : 27.08.2017
URBANISM E COLLABORATIF
Boucle inÞnie
ETAT
REGULATIONS
INTERET
GENERAL
COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES
RESSOURCES
DURABLES
ACTIVATIONS
LOCALES
PILOTAGE
GLOBAL
ACTEURS
RECHERCHE
PROJETS
CAPABLES
IN TELLIGEN CE
COLLECTIVE
EQUIPES
CONCEPTION
OPEN
SOURCE
PRODUCTION
DE COM M UNS
SOCIETE CIVILE
ET COLLECTIFS
M ONTEE
EN CONNAISSANCE
EM POWERM ENT
ET AUTONOM ISATION
ACTEURS
PRIVES
Host Alain Renk / Boucle Infinie
Interview Alain RENK
29
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Amandine CRAMBES
Ingénieure-urbaniste service Organisations Urbaines - ADEME
Amandine Crambes est ingénieure au Service Organisations Urbaines de
l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). Dans
le cadre de la deuxième génération de l’Approche Environnementale de
l’Urbanisme (AEU2), l’Agence a publié en 2015 un cahier méthodologique
sur l’animation et la participation dans les projets, auquel Attitudes Urbaines
et Jodelle Zetlaoui-Léger ont participé.
Les cahiers méthodologiques de l’AUE2 :
« La participation citoyenne – Réussir la
planification et l’aménagement durables »
Ce cahier s’adresse aux maires, aux porteurs de
projets dans les collectivités, aux entreprises,
aux habitants et aux riverains. Il rappelle les
fondamentaux de la participation citoyenne
et surtout, tous les bénéfices pour le projet qui
peuvent en résulter, à la fois pour son pilotage et
sa concrétisation. Il doit permettre de dépasser
les préjugés et les craintes qui peuvent encore
subsister chez les uns et les autres, vis-à-vis d’une
implication significative des habitants dans la
production de notre cadre de vie.
Présentation et rôle de l’ADEME
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie (ADEME) participe à la mise en œuvre
des politiques publiques dans les domaines de
l’environnement, de l’énergie et du développement
durable. Elle met ses capacités d’expertise et
de conseil à disposition des entreprises, des
collectivités locales, des pouvoirs publics et du
grand public, afin de leur permettre de progresser
dans leur démarche environnementale.
était une composante essentielle de la gouvernance
de projet, notamment pour une meilleure prise en
compte des enjeux environnementaux, qui sont
souvent plus difficiles à partager. Nous avions
une méthode globale, articulant des expertises
techniques sectorielles, presque scientifiques,
de la ville durable. Il manquait les compétences
transverses d’animation, mais aussi de participation
et d’évaluation, pour accompagner cette méthode.
Or, un réel besoin de nos ingénieurs en région pour
accompagner les Collectivités était émergeant, mais
aussi des bureaux d’études, qui nous demandaient
comment faire pour mettre en œuvre et animer la
démarche de projet !
Cela constitue en quelque sorte la genèse du
guide : compléter la collection initiée par les
cahiers méthodologiques « réussir la planification
et l’aménagement durables », en proposant
une approche méthodologique complète sur la
participation dans le projet. L’approche de l’usager, la
prise en compte de la parole habitante, n’étaient pas
des thématiques des plus connues à l’Ademe. Nous
pressentions également que ces questions allaient
prendre de plus en plus d’ampleur dans le projet
urbain comme dans le champ environnemental, au
service d’une approche plus transversale.
FM : En matière de transversalité, quelles sont les
François Meunier (FM) : Pouvez-vous revenir en nouvelles pratiques que votre service a encouragé
quelques mots sur l’histoire de la fabrication de ce ou a permis de développer au sein de l’Ademe ? Y-aguide ?
t-il un « avant » et un « après » guide ?
Amandine Crambes (AC) : Avec les premiers retours
d’expérience de l’Approche Environnementale de
l’Urbanisme 21 , nous nous étions rendu compte que
la participation de l’ensemble des parties prenantes
AC : En interne, nous sommes effectivement un
service transversal sur la ville durable. Avec la
participation, nous poussons également d’autres
réflexions, comme par exemple l’intelligence
1 L’approche environnementale de l’urbanisme (AEU2) est une méthodologie au service des collectivités locales et des acteurs de l’urbanisme pour les aider à
prendre en compte les principes et finalités du développement durable dans leurs projets.
Interview Amandine CRAMBES
30
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
collective, ou la coopération de projet. Nous
sommes un petit service par rapport aux autres
services sectoriels, mais nous agissons au quotidien
pour promouvoir et diffuser l’expertise qui est la
nôtre : la transversalité ! Nous avons pour cela mis
en place notre propre communication, en direction
de l’ensemble des autres services de l’Ademe, mais
aussi des directions régionales, avec notamment un
site Internet dédié, et une newsletter.
tiques, notamment des chefs de projet locaux ?
AC : Les chefs de projet locaux s’appuient sur
ce guide pour se former – notamment quand ils
sont amenés à conseiller leur Collectivité sur des
démarches de projet : le guide est pour eux un
outil concret, qui est véritablement entré dans
leur pratique. Il y a également de plus en plus de
demandes de financement du poste d’animateur
– notamment pour de petites maîtrises d’ouvrage
Notre force, c’est d’avoir pu véritablement co- qui manquent souvent de moyens humains et
construire notre stratégie sur l’animation et la techniques pour accompagner les projets. Mais ce
participation, en interne et en externe, en associant qu’il est intéressant d’observer, c’est que même sur
les directions régionales de l’Ademe, mais aussi les des gros projets métropolitains de type écoquartiers
ministères, les agences d’urbanisme, des experts, et ou type Démonstrateur Industriel pour la Ville
en étant à l’écoute d’un ensemble de signaux faibles Durable, où les compétences techniques sont très
sur les évolutions de la ville et de la société… De présentes, la demande de poste d’animateur existe
manière générale, l’animation et la concertation, également… Car pour que le projet puisse vivre, il
c’est l’ADN de notre manière de travailler sur les faut un animateur !
projets.
Cet enjeu de fil rouge, pour associer l’ensemble des
Et je dirais que notre stratégie fonctionne, puisque les parties prenantes en interne et en externe, mais
autres services viennent nous demander nos cahiers également assurer le suivi et l’évaluation du projet
des charges d’appels à projets, pour voir comment par la suite, c’est un message que nous portions dès
nous intégrons l’animation et la concertation dans le départ avec le guide. Il apparaît donc comme un
nos démarches de projets.
vrai support scientifique sur lequel s’appuyer en
matière de participation. On entend de plus en plus
Depuis 2015, date de la sortie du guide, nous parler aujourd’hui de co-design, de design thinking
constatons une réelle évolution dans les pratiques de etc. Ce sont en fait des mots différents, qui parlent
l’agence en matière d’animation et de participation. aussi de concertation et d’animation !
Notre Projet d’Entreprise, qui a associé l’ensemble
des services et des directions en mode « bottom-up FM : Selon vous, quelles sont les fonctions et les
», est d’ailleurs à l’image des méthodes transversales compétences qui sont à l’œuvre derrière la notion
et participatives que notre service défend. Nous d’animation ?
avons également redéfini la stratégie « urbanisme
durable », autour de 4 grands principes fondateurs, AC : Je dirais qu’il n’y a pas de modèle applicable à
dont l’un est « animer ». Cela illustre bien la direction toutes les situations : la fonction d’animation doit
qui est prise sur ce sujet. Car l’animation, c’est pour être spécifique à chaque projet, en fonction de son
nous l’un des prismes de la concertation.
dimensionnement, de ses acteurs, de son ambition...
Mais certaines bases communes peuvent cependant
Mais je dirais aussi que le guide – avant tout – être posées.
concrétise une dynamique amorcée, en capitalisant
sur un ensemble de retours d’expérience et de Par exemple, il est indispensable que l’animation soit
remontées du terrain. Il constitue aujourd’hui un articulée dès l’amont à l’élaboration et à la conception
cadre de références sur lequel nous nous appuyons, du projet, et jusqu’à sa réalisation, en véritable «
pour continuer à faire grandir et évoluer les fil rouge ». L’animateur doit donc être associé au
pratiques.
pilotage politique et opérationnel du projet, pour
avoir un poids et être clairement identifié comme une
F.M : En matière de conseil auprès des Collectivités, composante essentielle du projet. Il doit également
comment le guide a-t-il permis d’améliorer les pra- disposer d’une connaissance approfondie du sujet,
Interview Amandine CRAMBES
31
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
de son contexte, de ses rouages et de ses dynamiques
car l’animateur doit organiser et gérer l’apport de la
participation de l’ensemble des parties prenantes
au projet, tout au long de la démarche. Il ne s’agit
pas simplement de poser un cadre et d’organiser les
ateliers ! C’est vraiment une compétence propre, et
on ne peut pas s’improviser animateur. Il faut aussi
avoir des capacités « d’animation » au sens propre,
pour accompagner l’ensemble des acteurs et leurs
permettre d’impulser des choses nouvelles, de
capitaliser et de synthétiser ce que chacun fait de
son côté, c’est-à-dire de faire le lien.
L’autre volet indissociable de l’animation, c’est
celui de l’évaluation. Un projet doit donner lieu à
une évaluation en continue, à la fois du projet luimême et de la méthode d’élaboration de ce projet.
L’évaluation doit donc être réfléchie en amont,
autour de la notion de cycle de vie du futur quartier,
de manière collaborative et itérative. Elle ne doit
pas arriver une fois que le projet est sorti de terre !
Il faut notamment s’interroger sur les indicateurs, et
sur leur fonctionnement : à partir de quelles bases
de données seront-ils renseignés ? Les acteurs
concernés seront-ils en capacité d’accéder à ces
données, de les exploiter et de les analyser ?... C’est
un process, et cela peut impliquer de réfléchir à
comment mettre en place une donnée pérenne sur
un territoire.
pas été identifiées sans eux, et in fine alimenter des
programmations spécifiques, autour de l’économie
verte, ou de l’Economie Sociale et Solidaire par
exemple, avec à la clef des modèles économiques
viables …
La transversalité passe nécessairement par une
approche écosystémique, et pour obtenir un
écosystème d’acteurs efficient et efficace au service
du projet, il faut veiller à identifier et à impliquer
toutes les parties prenantes de cet écosystème,
y compris à des échelles qui dépassent celle du
projet. Par ailleurs, il est nécessaire d’accepter que
la Collectivité ou la maîtrise d’ouvrage ne soient
plus les seules à impulser les initiatives, mais que
leur rôle se situe davantage sur l’organisation et la
coordination.
Le développement numérique comme levier de
participation pourrait également être développé.
Ce sujet a vraiment pris de l’ampleur depuis la
publication du guide. Avec l’intégration de données
produites par les usagers, pour l’élaboration du projet
comme pour son évaluation, le crowdsourcing urbain
… Mais aussi la possibilité d’un outil numérique au
service d’une approche inclusive et sans rupture. Dans
le guide, le sujet de la ville inclusive est amplement
abordé mais nous constatons qu’en matière de
participation citoyenne, ce sont toujours les mêmes
catégories socio-professionnelles qui s’impliquent.
FM : Si l’on devait réécrire le guide aujourd’hui, que Comment – via le numérique notamment - mobiliser
manquerait-il sur ce sujet, par rapport à la manière les populations et les personnes que l’on n’entend
jamais ? Ce sont souvent les populations les plus
dont il a été produit en 2015 ?
précaires qu’on ne sait pas faire participer… Les
AC : Le guide est axé sur le citoyen. A mon sens, mêmes qui sont les plus éloignées du numérique !
il manque une approche différenciée incluant
l’ensemble des parties prenantes du projet. Je Il y a enfin des thématiques nouvelles que nous
pense notamment aux acteurs économiques. Trop pourrions intégrer dans un nouveau guide, comme
souvent, ces acteurs pourtant présents sur le terrain, la question des montages, en auto-construction
et très impliqués dans la fabrication de la ville, ou en auto-gestion. On parle des PPP : Partenariat
sont oubliés. Des réflexions vont être entamées Public Privé. Je rajouterais un P supplémentaire
sur une reconversion de friche, sur un quartier en : la Population. C’est le 4ème P qui manque à mon
renouvellement, avec en toile de fond l’enjeu de sens et qui permettrait de voir émerger des modèles
la revitalisation économique… sans pour autant différents.
mettre dans le tour de table les CCI, les pôles de
compétitivité présents sur le territoire, ou encore
les associations de commerçants ou les porteurs de
projet eux-mêmes ! Or, ces acteurs sont porteurs
d’une vision qui peut impulser de nouvelles choses,
faire émerger des problématiques qui n’auraient
Interview Amandine CRAMBES
32
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Patrick CHOTTEAU
Secrétaire Général Adjoint de la MIQCP
Patrick Chotteau est architecte urbaniste en chef de l’Etat, Secrétaire Général Adjoint de la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques.
Il est régulièrement amené à intervenir auprès des maîtrises d’ouvrage publiques
et des Conseils en Architecture, Urbanisme et Environnement – notamment dans
des territoires ruraux - pour conseiller et accompagner la mise en place de processus de projets adaptés à des situations de projets parfois complexes. Il est à
l’origine de la publication du guide de la MIQCP sur la démarche stratégique de
programmation urbaine.
François Meunier (FM) : Telle que présentée dans le
guide de la MIQCP, la démarche de programmation
urbaine promeut la mise en place d’un processus intégré, dans lequel les habitants –associés en amont
à la définition des contenus – peuvent pleinement
contribuer à la définition du projet. Pourquoi autant
de place accordée à ces partenaires « civils » dans le
guide ?
Patrick Chotteau (PC) : La participation citoyenne
doit cesser d’être perçue comme une figure imposée. La demande citoyenne existe et elle s’exprime
de multiples manières. Tout est sujet à question
dans le projet urbain : la pratique de la participation
ne se borne donc pas à un temps du projet.
Je dis souvent qu’un projet se construit sur un substrat de consentement. Il est indispensable que les
habitants soient associés à la critique de l’existant,
à son évaluation pour que le diagnostic porte des
valeurs et soit une réelle source d’orientations programmatiques. Par la suite, l’élaboration du projet va
souvent se faire à partir de scénarios. A cette étape,
il importe de vérifier, et de comparer, la sensibilité
de chacune des propositions aux pratiques et habitudes. La solution retenue n’est pas qu’une composition spatiale, un dispositif politique ou un objet de
marketing ; elle doit emporter l’adhésion ! Enfin, un
projet doit être raisonnable, son utilité publique doit
être avérée, les coûts d’exploitation des opérations
pour la collectivité doivent être anticipés, et cela dès
la phase de programmation ! Une fois le projet livré,
la participation des futurs utilisateurs à l’évaluation
de la réalisation peut permettre de rendre compte
efficacement de l’adéquation entre les investissements consentis et leur utilité.
On voit donc que les habitants sont très attendus
tout au long du processus de projet. Ils apportent un
éclairage qui peut tempérer les ardeurs des concepteurs et des prescripteurs.
C’est ce message que cherche à faire passer le guide
de la MIQCP, en défendant l’idée d’une démarche
soutenue par une ingénierie unique de programmation et de suivi du processus de projet sous l’autorité
de la collectivité. Car seule une démarche continue,
attribuée à un seul prestataire qui assure la synthèse
de toutes les questions et arbitrages sur le temps
long des projets, peut réellement assumer l’association complexe des multiples ayants-droits, parties
prenantes et contributeurs à l’élaboration du projet.
Dans ce cadre, la participation citoyenne pleine et
entière est prise en charge dans toutes ses acceptions par la collectivité porteuse de l’intérêt général
et ne vient pas interférer avec les ingénieries de la
conception.
FM : Justement, en quoi l’étape de programmation
par rapport au travail de conception vous semble-telle la plus opportune pour conduire à bien la participation ? Les habitants n’ont-ils pas aussi leur mot à
dire sur le travail du concepteur ?
PC : La programmation, parce qu’elle structure la
maîtrise d’ouvrage et organise son cheminement de
pensée, lui permet de discerner avec précision ses
responsabilités et ses propres marges de manœuvre.
La programmation est éminemment structurante et
demeure, à plus d’un titre, l’apanage de la maîtrise
d’ouvrage. Comme la participation dans toutes ses
motivations constitue manifestement la substance
de la démarche de programmation, il serait inimaginable que cette activité essentielle pour façonner
Interview Patrick CHOTTEAU
33
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
la commande ne soit pas un déterminant de la pro- dans une démarche participative… sans vraiment
grammation. La mission d’animation de la participa- toutefois savoir comment s’y prendre.
tion est forcément confiée à l’équipe (en régie ou en
AMO) qui instruit la démarche de programmation.
Ils n’ignorent pas que s’ils n’assument pas à minima une concertation, la sanction tombera à plus
Associée au partage du diagnostic, interrogée à pro- ou moins brève échéance. Les élus ont également
pos des scénarios correctifs de ce diagnostic, l’as- conscience qu’ils ne représentent pas toutes les subsociation des habitants ne pourrait être l’otage des tilités de tout ce qui habite les composantes de la
prestataires de la conception. Le discernement des société civile, et ils ne doutent pas de la nécessité de
publics ne peut être orienté par des dispositifs for- devoir s’immerger dans les diversités d’opinions et
mels géométriques. Le public des habitants ne doit de ressentis.... Nombreux sont ceux qui conviennent
pas être impliqué dans les questions de montage fi- malgré tout que les expertises techniques voire
nancier et de faisabilités.
technicistes sont bien trop souvent arrogantes
Associés à la conception, les habitants bénéficient et dédaignent les aspirations des habitants. Ils
d’une animation articulée aux enjeux de la participa- pressentent que la confrontation entre les experts
tion. Le niveau d’association est modulé au fur et à et les habitants peut être source d’invention voire
mesure que les prestataires de la conception voient de modération des ardeurs des prescripteurs. Aussi
leur niveau de responsabilité augmenté avec le dé- sont-ils intéressés à ce qu’au moins le diagnostic soit
roulé des missions.
partagé ; que les orientations des projets reflètent
réellement les besoins. Mais pour cela, la participaFM : En matière de démarche participative, quels tion citoyenne doit dépasser la simple réunion pusont les écueils fréquemment rencontrés par les blique !
maîtrises d’ouvrage que vous êtes amené à conseiller ? Entre volonté d’agir et manque de pratique, Selon moi, un autre enjeu de fond, auquel devraient
quels sont vos retours de terrain, notamment chez particulièrement être sensibles les élus, et plus parles élus et dans les territoires ruraux et périurbains, ticulièrement les petites maîtrises d’ouvrage de ces
plus faiblement dotés en moyens et en ingénierie ? territoires ruraux et périurbains, est celui de l’intérêt
de mobiliser et d’associer durablement la « sphère
PC : Je constate malheureusement que l’exercice privée » au projet de territoire. La cité est en effet «
qui consiste à associer les habitants à la production espace public », lieu de parole des citoyens… mais
de la décision reste très marginal. Alors que chacun c’est aussi l’espace où se joue la vie privée. Les acteurs
sait que la pratique de la participation citoyenne publics, même s’ils ont compétence en urbanisme,
contribue utilement à la qualité des arbitrages et doivent composer avec de multiples « agenceurs »
permet une meilleure consolidation des politiques petits et grands, des porteurs de projets diffus, des
publiques. Pour autant, les élus ne voient pas for- personnes qui ont des rêves d’aménagement de leur
cément l’intérêt de construire collectivement des habitat. Ces administrés opèrent sur un vaste tissu
ambitions politiques partagées. Ils ont tendance à urbain privé, et ils seront à ce titre demain de potenconsidérer bien plus les obstacles que les potentia- tiels pétitionnaires sollicitant l’instruction d’une autorisation !
lités offertes !
Les élus nous renvoient ainsi le plus souvent leurs
angoisses d’avoir à entamer le débat public, par
peur de la réunion publique houleuse ou du projet «
bloqué »… Dans une démocratie moderne, la participation au débat public devrait pourtant nous être
familière. Si elle l’était d’ailleurs, les citoyens, plus
régulièrement sollicités seraient sûrement moins
enclins à déballer leurs humeurs ! Cependant, à défaut d’en maîtriser toujours clairement les principes,
beaucoup d’élus perçoivent bien l’enjeu de s’engager
Le renouvellement urbain, comme alternative à
l’urbanisme ordinaire de l’étalement urbain, est
très difficile à mettre en œuvre. Les élus n’ignorent
pas qu’ils doivent forcément négocier avec tous les
propriétaires pour construire leurs ambitions. En
tout état de cause, les ambitions urbaines de la ville
durable recomposée ne peuvent pas se faire sans
le consentement des habitants, voire leur contribution. Les élus sont bien conscients que cet urbanisme-là requiert un consentement des populations,
Interview Patrick CHOTTEAU
34
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
une contribution étendue des acteurs économiques.
Les collectivités publiques n’ont pas seulement vocation à être maîtres d’ouvrage ; en ont-elles encore
les moyens d’ailleurs ? Elles devront s’appuyer sur
tout le spectre de ce qui constitue potentiellement
la maîtrise d’ouvrage privée. Et à cet effet, elles
n’échapperont pas à une recherche de consensus. Je
pense même qu’elles y trouveront à ce moment-là
un réel intérêt. L’élu n’est dès lors plus seulement faiseur de projet mais devient animateur des politiques
publiques.
FM : C’est d’ailleurs un des points forts de l’idée de
commande d’ingénierie intégrée d’aménagement,
que vous cherchez aujourd’hui à promouvoir auprès des Collectivités pour qu’elles se dotent d’une
prestation complète et continue pour accompagner
l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de leur projet de territoire dans le temps. Pouvez-vous nous en
dire plus ? En quoi une démarche de participation
peut apporter une vraie dynamique au projet de territoire ?
attentes et leurs ambitions de projet, sinon elle ne
produira aucun effet. C’est pourquoi, il importe que
les prestataires missionnés pour l’élaboration du
PLU soient présents pour auditionner les habitants
et proposent une traduction de la règle le plus possible en conformité avec leurs attentes ; c’est pourquoi, les mêmes prestataires doivent demeurer pour
la mise en œuvre du document, non seulement pour
accompagner les habitants dans leurs projets, mais
aussi pour que leur travail soit réellement évalué.
L’idée de l’accord-cadre d’ingénierie d’aménagement est que la collectivité compétente en urbanisme puisse valoriser au mieux le capital accumulé
par le bureau d’études qui s’est penché longuement
sur le projet urbain. Fort de tout ce capital mémoire,
il est le mieux placé pour faire vivre le projet, activer
la stratégie, réagir à tous les évènements, permettre
à la collectivité d’exercer utilement son droit de
préemption et même encourager des projets qui ne
se feraient pas sans un accompagnement technique.
Il ne peut y avoir de stratégie de planification proprement opératoire sans l’assentiment des habitants, sinon, le PLU est juste silencieux ou il discute
avec quelques propriétaires qui surveillent la valorisation de leur foncier ; et tout au plus est-il bavard
à propos des espaces que la collectivité détient en
propre quand la collectivité a encore les moyens de
ses ambitions !
C’est un fait, la pression exercée sur les périphéries
urbaines et les communes périurbaines ou rurales
se traduit inexorablement par l’artificialisation des
terres agricoles. A cet urbanisme-là, la participation citoyenne se limite aux grands propriétaires de
foncier agricole. La discussion a lieu entre les élus
et un petit nombre de personnes. Dès que le débat
s’oriente en direction des secteurs déjà urbanisés, le
nombre des citoyens intéressés augmente singulièrement et proportionnellement aux difficultés qu’il y
a à faire muter les tissus urbains. Le sujet du renouvellement urbain est passionnant et il impose de fait
d’y associer le plus grand nombre des habitants. Il
n’y aura pas de bonne stratégie urbaine collective si
le projet ne prend pas en considération les multiples
projets individuels des occupants.
La règle doit, tant que faire se peut, refléter leurs
Interview Patrick CHOTTEAU
35
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Olivier ANSART
Président ASA PNE
Olivier Ansart est fondateur d’ASA Paris Nord - Est (Association pour le Suivi de l’Aménagement Paris Nord - Est), structure indépendante, créée en
2008 à l’initiative d’habitants du quartier la Chapelle dans le 18e arrondissement de Paris et dont l’objectif est d’accompagner l’élaboration et la mise
en œuvre de l’un des plus vastes projets d’aménagement de Paris.
François Meunier (FM) : Pourriez-vous nous présenter l’origine de la mobilisation citoyenne locale autour du projet Chapelle International, et notamment
sur la réhabilitation de la Halle Pajol ?
C’est donc dans ce contexte que nous avons été
quelques-uns, riverains, associations locales mais
aussi professionnels bénévoles (urbanistes, sociologues…) à nous mobiliser. Nous avons créé un collectif d’habitants : la CEPA (Coordination Espace Pajol),
qui portait deux attentes fortes. La première était de
conserver et de valoriser les éléments du patrimoine
industriel, en s’appuyant sur leur capacité à s’adapter à de nouveaux usages. Sur ce point, la mobilisation a permis d’aboutir à la conservation des 2/3 de la
Halle : nous étions dans une démarche de développement durable sans le savoir ! La deuxième attente
était d’être associé à toutes les phases d’élaboration
du projet, dans le cadre d’un véritable processus de
concertation, avec des réunions régulières, des ateliers et des comités de suivi.
Olivier Ansart (OA) : Le premier acte de cette mobilisation remonte au début des années 2000 lorsque
nous nous sommes mobilisés, avec des habitants du
quartier, autour du nouveau projet de réhabilitation
de la Halle Pajol porté par la Ville de Paris et la Mairie
du 18ème. Dans les années 1990, après la cessation
des activités industrielles et ferroviaires, la Ville avait
proposé de raser le lieu devenu une friche urbaine,
pour construire 650 logements. Sur un site enclavé
entre deux faisceaux ferroviaires, dans un quartier
alors très touché par la toxicomanie et particulièrement marqué par l’absence d’équipements de proximité, les habitants et associations locales s’étaient FM : Comment la CEPA a-t-elle réussi à s’intégrer
déjà à l’époque largement mobilisés contre ce pre- dans le processus très descendant qui avait été mis
mier projet, qui n’avait en conséquence pas abouti. en place initialement ? Quels ont été les apports et
les moments forts de cette démarche ?
Dans les années 2000, le projet a été relancé, mais
sur de nouvelles bases, plus en phase avec les at- OA : Il s’agissait effectivement d’une approche très
tentes du quartier, car mieux orienté en termes « descendante » : au départ, il n’était pas question
d’équipements – socio-culturels, d’enseignements, de discuter de quoi que ce soit avec la maîtrise d’oumais aussi récréatifs. Néanmoins, la question pa- vrage. Je crois même qu’avant notre mobilisation, il
trimoniale n’était toujours pas traitée, alors que la n’y avait eu qu’une seule réunion publique pour préconservation de la halle fret, au même titre que le senter le projet avec une programmation déjà arrêbâtiment des messageries, nous paraissait être un tée …. Démarche finalement assez classique jusqu'à
élément fondamental pour la qualité du projet et la fin des années 1990 !
la mémoire industrielle et ferroviaire du quartier La
Chapelle !
Et puis, à la fin des années 2000, la mairie du 18e a
bien voulu jouer le jeu, et intégrer les habitants dans
2000
2001
Mobilisation
des habitants
Intégration des
habitants dans le
processus de projet
Interview Olivier ANSART
36
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
le processus de projet déjà lancé. Nous étions alors
dans un contexte très favorable à la participation,
avec les premières lois sur la démocratie participative comme la loi Voynet notamment, qui systématisait le principe de consultation des habitants sur les
grands projets d’urbanisme.
Pendant 10 ans, nous avons donc été associés à l’élaboration du projet, en donnant notre avis et en ayant
été écoutés sur un certain nombre de choses, et ce
jusqu’à l’inauguration de la halle en novembre 2013.
Le site étant contraint, la question de l’emprise au
sol était complexe. Nous nous sommes consentis sur
la création d’une continuité paysagère à l’intérieur
du site à créer dans la Halle. Il s’agit de l’un des éléments forts du projet.
Aujourd’hui, même si à mon sens certains aspects de
la réalisation auraient pu être améliorés, l’expérience
de concertation sur la Halle Pajol a été une vraie
réussite. La singularité du site et son patrimoine bâti
sont réellement mis en valeur par les programmes
accueillis. Nous sommes par ailleurs fiers que des
étudiants et universitaires s’intéressent encore à ce
projet et à la démarche de concertation associée.
FM : De l’élaboration du programme au projet de
maîtrise d’œuvre, quelles ont été les différentes séquences de la démarche ? Comment avez-vous été
associés aux différentes phases ? Et côté maîtrise
d’ouvrage, qui portait la démarche et assurait la
prise en compte et la capitalisation de l’apport des
habitants ?
OA : Nous avons été impliqués assez tôt dans la
phase de programmation avec la connaissance d’un
pré programme au moment de la constitution du collectif, ce qui avait permis d’enclencher rapidement
La Halle Pajol
les discussions. Dès la fin de l’année 2002, la Mairie
s’était engagée à ce que la halle soit conservée, et
Il ne s’agissait pas seulement de participer à des réà ce que la concertation continue. Par la suite, les
unions, il fallait aussi être présent sur le terrain… Et
discussions et les négociations avec le maître d’ounous avons connu des périodes assez tendues ! Par
vrage ont surtout porté sur l’équilibre avec les proexemple après un an de discussion, il nous a été exgrammes bureaux, la préservation du patrimoine et
pliqué qu’une ZAC « sans logements et sans bureaux
les espaces verts.
», ce n’était tout simplement pas possible pour un
aménageur, et on nous a présenté un programme
C’est la ville de Paris et la SEMAEST (Société d’écotertiaire de 8000 m² imposant, et qui allait totalenomie mixte d’animation économique au service
ment à l’encontre des intentions urbaines et paysades territoires) qui pilotaient la démarche de concergères que nous défendions pour le site. La concertatation. De manière assez classique, la maîtrise d’oution a permis de réduire ce programme de 8000m² à
vrage organisait régulièrement des réunions avec
5000m². C’est l’une des illustrations de l'apport de la
nous, rédigeait puis diffusait les comptes-rendus.
concertation sur ce projet.
C’est le délai de diffusion souvent trop long de ces
Le travail avec les habitants a également permis
comptes-rendus qui posait problème : cela ne facilid’avancer sur la programmation des espaces verts.
tait pas le suivi du projet et avait tendance à décou-
2002
2003
Engagement de la
Mairie sur la conservation de la Halle
Désignation de la
MOE urbaine
Interview Olivier ANSART
37
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
rager certains habitants pourtant investis ! C'est une perçue par l’équipe de maîtrise d’œuvre en charge
donnée qu'il faut prendre en compte dans les dé- de l’aménagement du site, qui nous a reproché de
marches de concertation.
sortir de notre rôle, car selon elle, nous n’avions pas
le droit, en tant qu’habitants, de consulter un autre
Au cours de l’année 2003, la maîtrise d’œuvre ur- confrère !
baine du projet a été désignée, sans que nous soyons Par la suite, les choses se sont normalisées, et de
associés à la sélection. Ce n’est donc qu’a posteriori bonnes conditions de dialogue se sont instaurées.
des Jurys et commissions techniques que l’équipe Nous avons réussi à perdre l’étiquette « militante »
nous a été présentée. Pendant deux ans, nous avons qui nous marquait, pour faire valoir une vraie pospu travailler jusqu’à un niveau de prescriptions as- ture constructive pour le projet… Mais cela montre
sez fin avec le maître d’œuvre sur l’aménagement que la susceptibilité des « gens de l’art » vis-à-vis des
urbain, paysager et environnemental du site. A par- habitants était encore très vive il y a une quinzaine
tir de 2008, les premiers programmes de la Halle et d’années !
du bâtiment des messageries ont été engagés. A ce
stade, nous avons été associés aux différents Jurys Aujourd’hui, et je le constate notamment sur les produ concours par programme (collège, gymnase, jets Paris Nord Est, je perçois un vrai changement de
halle…), puis au suivi dans les phases de conception pratique du côté de certains jeunes architectes, qui
sont de plus en plus ouverts aux démarches partiet de chantier.
cipatives, et qui améliorent leur façon de travailler
FM : Quelles ont été les relations avec la maîtrise avec les habitants. Cela dépend encore de la sensid’œuvre et la perception qu’elle portait sur votre dé- bilité des équipes, mais les choses évoluent dans le
bon sens. Par exemple sur la gare Hébert, des ateliers
marche ?
avec les habitants ont été organisés très tôt, avec
OA : Le dialogue a parfois été compliqué, en particu- des maquettes, alors que le projet n’était pas enlier au départ. Parallèlement au processus « officiel core arrêté. Les échanges étaient très constructifs.
», nous avions pris des contacts avec des personnes C’était vraiment très satisfaisant de travailler avec
susceptibles d’être intéressées par le projet en tant une équipe d’architectes et d’urbanistes à l’écoute,
que futurs usagers par exemple, mais aussi avec des prête à discuter, à faire évoluer leurs premières idées
architectes, pour recueillir un avis extérieur... Ainsi, et intuitions, et à revoir le projet !
nous avions rencontré en 2004 l’architecte Françoise
Hélène Jourda, qui trois ans plus tard a d’ailleurs par- FM : Quelles ont été les suites données au processus
ticipé au concours pour le projet de la halle. Nous de projet de la halle Pajol ? Comment votre action
avions pris contact car elle avait une expérience en est-elle perçue ?
réhabilitation d'immeubles industriels, notamment
en Allemagne et en Autriche. Elle nous avait présen- OA : En 2008, lorsque le projet de la halle Pajol était
té la façon dont elle voyait la préfiguration de la halle, largement avancé, nous avons été plusieurs à vouavec notamment le maintien de la structure métal- loir étendre l’expérience à l’ensemble du secteur dit
lique et la réalisation d’une « boîte dans la boîte ». de Paris Nord-Est. Un territoire en pleine mutation,
A la suite de ces échanges, elle nous avait transmis où la dynamique de projets avait déjà été engagée,
une note que nous avions transféré en toute trans- sans qu’il n’y ait eu de véritable concertation avec
parence à la Ville de Paris, dans l’idée de contribuer les habitants. C’est dans ce contexte que nous avons
à la réflexion sur la réhabilitation de la halle, dans le créé ASA PNE (Association pour le Suivi de l’Amécadre du projet d’aménagement global du site.
nagement Paris Nord Est). Nous sommes alors pasCette prise d’initiative de notre part a été très mal sés du statut de collectif à celui d’association, avec
2008
2009
1er programme de
la Halle et du batiment des messageries engagés
Le Collectif se transforme en association
: ASA PNE 18
Interview Olivier ANSART
38
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
comme objectif d'accompagner l'aménagement urbain, paysager et environnemental du secteur Paris Ainsi, au moment de la création de l’association
Nord-Est, en étant associé le plus en amont possible en 2009, il n'y avait pas de « charte de la concertadans les processus de concertation.
tion » co-signée entre les différents acteurs et les
habitants, alors qu’il y en avait une pour Paris Rive
Par la suite, le périmètre de Paris Nord Est a évolué. Gauche par exemple. Une de nos premières actions
Avec François Leclerc, l’urbaniste du projet, on est a donc été de construire une telle charte. Vu l’ampassé d’un secteur d’environ 200 ha (de la porte de pleur du projet d’aménagement concerné, cela semla Villette à la porte de la Chapelle) à un triangle de blait nécessaire afin d’accompagner le projet dans le
600 ha prolongé jusqu’à la porte de Clignancourt et temps. Cela passe par la mise en place d’un certain
jusqu’au secteur des deux gares du Nord et de l’Est. nombre de règles de fonctionnement, et les faire
Outre les deux gares, le nouveau périmètre se ca- reconnaître de manière officielle. Tout le processus
ractérise par de nombreux secteurs mutables, es- de concertation mis en place sur Pajol relevait pour
sentiellement des friches ferroviaires propriétés de ainsi dire et jusqu’à présent de la « tradition orale »,
la SNCF. Nous nous appelions initialement ASA PNE et de la bonne volonté de quelques habitants moti18, en référence au 18e arrondissement, mais il y a vés…
deux ans le « 18 » a été enlevé, pour bien montrer
que notre implication concerne l’ensemble du terri- Avoir un cadre, c’était aussi un moyen de montoire de projet, y compris dans sa dimension inter- trer que nous voulions faire avancer la cause de la
communale, pour valoriser les continuités urbaines concertation, à une échelle plus large. Un tel docuentre Paris et la proche banlieue.
ment, ce n’est pas seulement du papier en plus ! Il
permet d’institutionnaliser certaines bonnes pratiques, comme le fait d’associer le plus en amont
possible les habitants au processus de concertation
ou de participer au choix de la maîtrise d’œuvre...
En 2009, nous avons donc demandé à la Mairie de
Paris de doter le projet d’une charte de la concertation. Il a fallu trois ans pour la co-produire. Elle est
aujourd’hui disponible sur le site dédié au projet et
sur notre blog .
Globalement, notre volonté d’implication a dès
le départ été plutôt bien accueillie par la Mairie de
Paris, qui a pressenti l’intérêt d’avoir des interlocuteurs possédant déjà une certaine expérience de la
concertation, et une véritable expertise à faire valoir... Des représentants d’habitants qui s’impliquent
vraiment dans le processus de concertation au serPérimètre d’intervention ASA PNE
vice d’un projet, et qui ne sont pas dans une posture de contestation « par principe » ! Les situations
En tant qu’association, et sur la base de notre ex- peuvent toutefois varier en fonction des opérations
périence sur la halle Pajol, nous avons dès le départ et des interlocuteurs.
cherché à mieux structurer notre action et à la rendre
plus lisible.
Sur Ordener-Poissonniers par exemple, la concerta-
2013
2016
Inauguration de la
Hall Pajol
ASA PNE 18 devient
ASA PNE
Interview Olivier ANSART
39
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
tion est assez tendue. Il y a un désaccord de fond sur
la vocation même du projet, sur un site beaucoup
plus central et plus urbanisé que les autres. Nous
cherchons donc à améliorer la part des espaces publics et des espaces verts, dans un quartier déjà très
dense et très congestionné. Je crois que nous avons
réussi à faire évoluer le projet sur ce point !
FM : Budget participatif, Réinventer Paris … De manière générale, comment voyez-vous ces évolutions
pratiques côté Ville de Paris – qui reste un interlocuteur incontournable pour impulser ces démarches
auprès des autres opérateurs ?
OA : D’un côté, je pense que les mentalités évoluent
en faveur de la concertation, la réussite de nombreuses démarches et initiatives comme la nôtre
montre que les résultats existent, et que les pratiques doivent changer ! Mais de l’autre, comme dit
le dicton, "chassez le naturel il revient au galop"… il y
a encore trop souvent la volonté de « passer en force
» de la part des maîtrises d’ouvrage sur certains projets, et donc de revenir en arrière …
produit, et également une carte interactive du quartier ! Il y avait donc de la part de la ville de Paris une
vraie volonté de faire participer…jusqu’à un certain
point !
Cependant à mon sens la limite de l'exercice dans
Réinventer Paris, c’est qu’une fois cette phase d’implication en amont achevée, nous restons face à un
projet qui est livré clé en main avec un parti pris architectural et une programmation déjà arrêtés, sans
que la concertation puisse modifier quoi que ce soit.
Selon moi, c’est le même principe que le budget
participatif : on nous dit qu’il y a des marges de
manœuvre au niveau des usages, peut être aussi par
rapport aux aménagements paysagers, mais pour ce
qui concerne les espaces bâtis ou les programmes
principaux, il n’y a plus aucune possibilité de discussion.
↘ Site ASA PNE :
http://asa-pne.over-blog.com
Aujourd’hui à Paris, j'ai le sentiment qu'avec les nouvelles démarches comme le budget participatif ou
Réinventer Paris, on enlève du contenu à la participation citoyenne, parce que finalement tout est décidé en amont.
Selon moi, le budget participatif c'est une façon
de restreindre le champ de la concertation, de la
contourner, en disant « je confie aux habitants des
petits morceaux de projets, mais laissez-nous faire
pour le reste, c’est-à-dire pour les grands projets
d'aménagement qui structurent la ville » ! C’est une
manière de dire « chacun reste à sa place… », et de
réduire l’implication des citoyens.
Nous avons également eu l’occasion de participer à Réinventer Paris, sur le projet « îlot fertile »
du triangle Eole Evangile, qui faisait partie des 23
sites. Nous avons été amenés à participer à des ateliers avec les équipes pluridisciplinaires en phase
concours, avec un certain nombre de réunions, et
nous avons été sollicités pour parler du projet Paris
Nord-Est. Un travail de repérage et de consultation
a été fait auprès des acteurs locaux, des régies de
quartiers, des associations… Un film a même été
Interview Olivier ANSART
40
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Eléonore HAUPTMANN
Consultante, urbaniste-environnementaliste
Eléonore Hauptmann est urbaniste – environnementaliste. Forte d’une formation
en écologie, urbanisme et management d’entreprise, de 20 ans d’expérience en
urbanisme opérationnel et rénovation urbaine (dont 7 ans à l’Agence Nationale de
Rénovation Urbaine), elle est aujourd’hui consultante indépendante. L’approche
stylistique de territoires qu’elle promeut maintenant s’appuie à la fois sur des pratiques d’innovation et sur la concertation citoyenne, essentielle à ses yeux.
En 1993, elle intègre un réseau européen d’experts spécialistes du « Community planning », de la participation des habitants et de l’écologie urbaine. Elle a participé ou organisé de nombreux processus de ce type
et de publications sur ce thème. La « Concertation citoyenne en urbanisme », parue en 2010, dont elle est
co-auteure, est la version française adaptée du guide pratique anglais sur cette méthode de travail passionnante visant à rendre habitants et professionnels actifs dans l’élaboration d’opérations urbaines souvent
portées exclusivement par des opérateurs privés.
François Meunier (FM) : Comment avez-vous connu
le Community Planning, un dispositif participatif
peu connu en France, mais très développé hors de
l’hexagone ?
Eléonore Hauptmann (EH) : Au début des années
1990, j’ai terminé mes études à l’Institut d’Urbanisme de Paris par un stage dans une entité nommée E.D.A., une filiale spécialisée en études d’aménagement, au sein du Groupe Suez-Lyonnaise des
Eaux-Dumez. Ce grand groupe souhaitait alors apporter des solutions globales en vue d’améliorer les
conditions de vie des habitants. E.D.A. travaillait sur
les « banlieues » et les quartiers d’habitat social et
avait un double rôle : du conseil transversal au sein
du groupe (et de ses filiales) mais aussi des missions
auprès de collectivités locales (dans le cadre de réponse aux appels d’offres de la Politique de la Ville).
Ma mission comportait une enquête poussée sur
le « projet urbain écologique ». Il incluait la visite
plusieurs sites pilotes en Europe (Danemark, PaysBas, Allemagne) où la manière de concevoir et de
prendre en compte les enjeux socio-spatiaux, l’environnement et déjà la concertation publique était novatrice. C’est à l’occasion de ma visite à Berlin dans
le Kreuzberg, que j’ai entendu la première fois parler de la méthode de Community planning, encore
inédite en Europe, mais qui venait tout juste d’être
expérimentée avec succès à Moscou.
mais me semblait déséquilibrée car les experts, architectes et urbanistes présents étaient aussi nombreux que les habitants. Il faut dire que ce Community planning se déroulait dans une zone industrielle
en périphérie urbaine non habitée, ce qui n’était pas
propice pour mobiliser les habitants, de surcroît,
peu coutumiers de ces démarches ! Or l’objectif du
Community planning est de parler des usages avec
les usagers, ce que les habitants font très bien… En
termes de méthode d’organisation, il faut donc vraiment prêter attention à la proportion professionnels
/ habitants, acteurs locaux et de trouver les moyens
de les mobiliser.
Mon intérêt pour le Community planning s’est renforcé avec la rencontre de John Thompson, fondateur de l’agence d’architectes et d’urbanistes londonienne John Thompson & Partners. Lui-même
avait appris la méthode du Community planning aux
Etats-Unis, avant de la pratiquer et de l’adapter en
Europe. Puis, j’ai été sollicitée pour intervenir avec
son équipe dans un workshop Community planning organisé en région parisienne. Il s’agissait d’un
processus ambitieux et il fallait compléter l’équipe
d’encadrants et d’animateurs pour animer un large
groupe de personnes. L’objectif de ce Community
planning était à la fois d’apporter des idées sur un
quartier qui allait être réhabilité, mais aussi de
conduire une réflexion d’ensemble sur la ville. Dans
un contexte de politique complexe et une charge
Puis l’année suivante, en 1992, j’ai eu l’occasion de lourde pour l’architecte garant de l’organisation du
participer à un premier workshop de Community community planning, je me suis retrouvée à animer
planning à Turin. Il portait sur le projet de reconver- la table des élus ! Cet imprévu m’a permis de faire
sion des usines Fiat. L’expérience était intéressante mes preuves, en tant que jeune professionnelle, no-
Interview Eléonore HAUPTMANN
41
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
tamment sur mes qualités d’animatrice. Par la suite,
John Thompson m’a demandé de promouvoir et
d’expérimenter le Community planning en France.
C’était en 1998, le sujet m’enthousiasmait et il avait
une valeur particulière à mes yeux : parler avec les
habitants d’un lieu. Suite à des collaborations avec
l’IAU1 , nous avons pu mener plusieurs processus de
ce type dans le Val de Sambre, pour la Ville de Paris
et pour l’agglomération de Nancy.
dans un même processus : les acteurs privés, publics,
les habitants, les associatifs, sans oublier le donneur
d’ordre ou le maître d’ouvrage… C’est-à-dire toutes
les parties qui ont envie de travailler ensemble et de
se doter d’une vision collective. Et cette notion de «
vision commune d’avenir » est centrale dans le Community planning. La vraie finalité de la démarche est
autant le projet que la dynamique fédératrice qu’il va
pouvoir générer, à travers une forme d’élan collectif,
une ligne de conduite collective et une certaine créaFM : Pouvez-vous donner une définition du Commu- tivité collective… C’est là que se situe la pertinence
nity planning ? En quoi cette méthode se distingue- et la vraie force du processus !
t-elle des autres approches participatives ?
Avec le recul, le Community planning a bien foncEH : Le Community planning est une méthode de « tionné, notamment en Angleterre, la loi imposant
visioning » appliquée à l’urbanisme. En Angleterre que les projets urbains soient concertés. L’investisseet aux Etats-Unis, cette notion a une acception plus ment public sur les projets urbains y étant limité, les
large. Elle trouve ses racines à la fois dans le mouve- opérateurs privés se sont montrés plus qu’intéressés
ment de l’Ecole de Chicago, et l’Advocacy planning par une méthode permettant d’organiser un débat
en particulier dans l’idée de contre-projet, initié et et des formes de conciliation entre plusieurs parties
défendu par les habitants d’un quartier. La particu- prenantes pour enrichir les projets et proposer des
larité de la démarche du Community planning est solutions urbaines acceptables. La notion d’accepd’avoir été portée et développée par l’Ordre des tabilité est un point important pour comprendre la
Architectes des Etats-Unis, dans les années 1970 et pratique du Community planning outre-Atlantique,
1980, comme outil permettant aux citoyens, com- où la maîtrise d’ouvrage publique classique, telle que
munautés et acteurs locaux de s’exprimer dans le nous l’entendons en France, est en retrait.
projet.
FM : L’objet des ateliers reste axé sur le projet urbain,
Le Community planning désigne donc une méthode sous une forme souple et interactive. De ce que vous
de travail ouverte, autour d’un projet ou d’un quar- avez pu observer, comment ce type de dispositif rétier – au même titre que d’autres méthodes améri- interroge la posture traditionnelle des habitants et
caines assez proches, comme la charrette, ou encore des maîtres d’œuvre ?
le place-making plus récent… Avec le Community
Planning, il s’agit, au travers d’un processus de par- EH : Le Community planning permet aux groupes
ticipation et d’ateliers publics assez sophistiqués et de participants qui s’y adonnent d’étudier ensemble
très ouverts, de « bâtir une vision d’avenir avec les différentes hypothèses de projet, de dessiner des
parties prenantes d’un projet ». C’est-à-dire que l’on formes urbaines en se confrontant au plan et aux
mobilise de manière assez large et spontanée les ha- contraintes des lieux. Les gens discutent de ce qu’ils
bitants pour ne pas décourager. C’est d’ailleurs sur souhaitent, et il est frappant de constater que,
ce point que se porte la principale critique de la mé- quelques soient les cultures, les gens rêvent de la
thode: au départ, on ne connaît pas toujours exac- « bonne ville » : c’est à dire de l’espace public dans
tement les participants, s’ils sont représentatifs ou lequel tu te sens bien, des rues, squares, places…
non de la population locale ou du lieu à la façon d’un avec des bancs, des maisons ou immeubles à taille
panel sociologique... Mais c’est aussi pour moi ce qui humaine, des ilots urbains qui organisent la ville... Et
fait la richesse de cette méthode et son dynamisme ! en travaillant en atelier avec les habitants, avec des
schémas, des cartes, ils vont progressivement arriver
A mon sens, la nuance avec une approche de la parti- à la conclusion qu’une place ne peut pas seulement
cipation plus classique est sa dimension intégratrice. accueillir trois maisons basses, mais qu’elle doit être
Car l’essence de cette démarche vise justement à ré- tenue par des bâtiments plus hauts et une certaine
unir, ou tenter de réunir, toutes les parties prenantes organisation urbaine. Les habitants finissent par le
1. Participation au séminaire de l’IAURIF séminaire de l’IAURIF Démocratie participative et aménagement régional, 2000
Interview Eléonore HAUPTMANN
42
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
comprendre, alors qu’au départ, ils étaient contre
l’idée même de densité !
Une des réussites les plus célèbres en matière de
Community planning par l’équipe de John Thompson
& Partners a eu lieu dans une petite ville du Surrey au
sud de Londres, à Caterham, autour de la réhabilitation d’un ancien site militaire et de ses casernes.
Les habitants s’étaient largement mobilisés contre
un premier projet, qui prévoyait de construire une
vingtaine de pavillons. La mobilisation avait pris de
l’ampleur et quand John Thompson & Partners a démarré sa mission, près d’un millier de personnes se
sont mobilisées pour participer aux ateliers du Community planning. Progressivement, le projet a évolué vers un nouveau quartier dans l’esprit des cités
jardins anglo-saxonnes de près de 400 logements,
avec l’approbation des habitants. Suite à cette démarche, un « Community Development Trust » a été
créé : il s’agit d’une structure coopérative regroupant habitants, acteurs locaux et acteurs privés pour
continuer à fédérer les parties prenantes et maintenir la dynamique positive du Community planning
dans le temps. Caterham Barracks Community Trust
s’est vue confier la gestion de certains bâtiments et
des équipements culturels, mais aussi la mission de
réfléchir à de nouveaux projets pour la ville !
Au même titre que les démarches participatives au
sens large, le Community planning questionne la
posture « d’expert » des maîtres d’œuvre ou professionnels du métier. Ces derniers se confrontent directement, sans filtre, à la manière dont les locaux
(habitants et acteurs) parlent, perçoivent et vivent
les formes urbaines ou architecturales et à la manière parfois « brutes » dont ils font état de leurs
attentes. Et ces aspirations désignent souvent la «
bonne ville », avec de l’espace, des lieux où habiter
et travailler, vivre ensemble, des bâtiments pas trop
hauts, avec de « belles » façades…, un urbanisme
et une architecture parfois plutôt classiques (qui
peut sembler sans ambition aux adeptes de performances) ! En toile de fond, on retrouve l’idée d’une
trame urbaine organisée. L’approche d’un « master
plan » est fortement défendue par l’équipe de John
Thompson & Partners. En revanche, quand je suis
venue parler de ces pratiques de participation anglophones en France, et notamment de la possibilité d’ouvrir un débat avec les habitants et les usagers sur les formes urbaines, l’accueil a parfois été
mitigé : on nous reprochait de défendre une vision
passéiste et conservatrice de l’urbanisme, au détriment de la créativité et de l’innovation du concepteur ! De notre point de vue, le débat ne se situe pas
sur tel ou tel courant architectural ou immobilier. Il
faut dépasser ces considérations. Le débat porte sur
la compréhension « en profondeur » des usages et
l’intégration des aspirations locales dans des formes
urbaines qui font sens pour permettre de constituer
ou reconstituer un tissu urbain ou environnemental
garant d’une qualité de vie ou de travail agréable. De
plus, c’est une condition pour rendre les gens actifs
dans le processus de projet et responsables dans la
gestion future de leur lieu de vie.
FM : Est-ce qu’il existe une commande publique en
Community planning en France ? Quelles sont les
évolutions et les perspectives que vous percevez ?
EH : Il n’existe pas aujourd’hui de commande publique en matière de Community planning en France.
Mais à l’heure du numérique, les démarches collaboratives foisonnent aujourd’hui par la mobilisation de
communautés d’utilisateurs via des applications numériques diverses et variées. Dans les années 1990,
certaines communes voulaient expérimenter de
nouvelles méthodes. Nous avons été sollicités par
la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme
et nous avons pu organiser plusieurs processus en
France2. Puis la loi sur les conseils de quartier en
2004 a institutionnalisé la concertation, et le Community planning ne trouve pas forcément sa place
dans ce type d’organisation car il tend justement à
rester dans l’informel et la participation élargie ! De
plus, le Community planning s’inscrit mieux dans
une démarche en mode projet. Ceci dit, à Nancy où
nous avons pu tester avec succès la méthode, les instances locales de concertation avaient joué le jeu en
co-organisant avec nous la démarche pour élargir la
mobilisation à tout le quartier.
L’autre raison est sans doute aussi que le Community
planning exige un budget suffisant de la part de la
maîtrise d’ouvrage. Il s’agit de proposer un processus
ouvert et organisé en mode projet de plusieurs mois.
Le travail préparatoire en amont, de communication
notamment, est important pour toucher une large
population au délà des influenceurs des quartiers et
donner aux « sans voix » l’envie de s’investir. C’est au
moins trois à quatre mois de travail. Ensuite il faut
2. Organisation de 4 grands processus en France sur des projets de renouvelles urbains : Programmation du Grand Projet de Ville de l’agglomération de Maubeuge
(59), Reconversion industrielle du site Berger-Levrault à Nancy (54), Concertation autour du Grand Projet de Renouvellement Urbain et de la couverture du périphérique du quartier Plaisance-Porte de Vanves à Paris 14ème (75), Le Plateau de Haye à Nancy (54)
Interview Eléonore HAUPTMANN
43
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
organiser une série d’ateliers collectifs. C’est-à-dire
réunir des experts et une équipe d’animation. Puis il
y a bien sûr le travail aval, de synthèse… Finalement,
l’ensemble de la démarche peut aller jusqu’à un an
voir plus...
Ailleurs, y compris en Angleterre, il y a moins de
moyens pour des processus longs de co-conception.
La pratique évolue avec des approches de type « design thinking » ou « place making », plus plastiques
et plus rapides à monter, axées sur l’occupation
temporaire ou la réappropriation de certains lieux
existants, comme des friches, et non sur la mobilisation autour de la définition d’un projet urbain d’ensemble.
Les perspectives d’organiser ce type de processus
ouverts m’apparaissent intéressantes.
D’abord, je pense que le Community planning pourrait être repensé, en France, dans cet esprit selon
des modalités plus souples. Il peut être fait à petite
échelle autour d’une soirée d’atelier ou un samedi
après-midi d’atelier. Je m’y emploie pour trouver
cette nouvelle formule. Par définition, il s’agit en effet d’une démarche flexible : le Community planning
ne vaut pas tant pour ce qu’il est précisément, mais
plutôt pour ce qu’il véhicule comme valeur, état d’esprit et idée du projet urbain et comme dynamique
d’élaboration et de travail collaboratif.
L’arrivée du numérique organise plus facilement le
travail des communautés, au sens de communauté
de gens qui ont envie de suivre une idée… L’exercice
qui serait intéressant, ce serait de savoir qu’est-ce
que la méthode du Community planning pourrait
être aujourd’hui, à l’aune de ces nouveaux outils ?
D’autre part, l’une des vraies forces de cette méthode est sa dimension pratique, ancrée dans le local
ainsi que sa capacité à enrichir et clarifier une programmation urbaine, ce qui est déterminant pour
les démarches de transformation urbaine actuelles.
La plasticité de la démarche lui permet d’être menée
à différentes échelles sur différents types d’interventions : éco-quartiers, rénovation urbaine etc. Elle me
semble aussi particulièrement adaptée pour les petites villes, l’urbanisme transitoire, les parcs naturels
régionaux et sites d’agriculture urbaine… tous les
objets territoriaux où la mobilisation d’un écosystème est nécessaire…
que nous connaissons aujourd’hui avec les ateliers
de design thinking, les démarches d’innovation et
d’excellence qui font florès. Une hybridation me
semble intéressante avec des nouveaux outils et je
m’y emploie en travaillant sur la maturation de projets d’innovation pluriannuels3.
A n’en pas douter, cette méthode du « Community
planning » a transformé ma réflexion pour une approche territoriale et un urbanisme plus humains.
Elle m’a conduite aussi à envisager mes activités et
mes missions autrement. Elle m’a donné envie d’aller vers l’innovation et un nouvel horizon, celui du «
stylisme de territoire »4 que je pratique aujourd’hui.
Je souhaite aussi travailler à la renaissante écologie5
des territoires. Pour aller plus loin encore, il est intéressant de réfléchir comment, à l’instar des grands
biomes, les territoires aujourd’hui artificialisés pourront, aussi bien dans leur fabrique et leur fonctionnement, mieux se mettre au diapason du monde
du vivant. Ces approches sont sources de nombreuses innovations dans le monde. On peut penser qu’elle peut créer un renouveau dans l’économie
des connaissances d’un territoire si l’on sait mettre
en synergie les innovateurs pour réfléchir à de nouveaux modèles économiques. Je suis convaincue que
le processus de transformation des territoires peut
réussir s’il repose sur une dynamique d’acteurs organisée et un accompagnement de proximité renforcé.
C’est un vrai défi de savoir comment conduire, sans
heurt et de manière constructive, cette transformation des lieux, en même temps que du quotidien.
Le challenge est d’organiser ce processus ouvert au
long court sur les démarches de projets novatrices
qui comportent plusieurs thématiques, plusieurs
échelles temporelles et spatiales d’intervention tout
en restant collaboratif. A cet égard, il me semble
que le Community planning est toujours dans l’air du
temps, non ?
Ouvrages d’Eléonore Hauptmann :
↘
La participation citoyenne : réussir la
planification et l’aménagement durables, Cahiers méthodologies de l’AEU2, ADEME 2014
↘ L’Urbanisme participatif : l’atelier, la carte, la méthode, Les cahiers de l’IAU, octobre 2013
↘ La participation des habitants dans les projets de
rénovation urbaine», PCM, ENPC CDC-EPL, 2012
↘ Concertation citoyenne en urbanisme. La méthode
Enfin, sa dimension créative se rapproche de celle du Community planning. Eléonore Hauptmann et Nick
Wates. ADELS, Ed.Yves Michel, 2010
3. NPNRU Mulhouse Péricentre – secteur Briand, « Briand, site école », un projet de services pour développer l’hospitalité et les savoir-faire commerciaux dans le
cadre du projet d’innovation et de recherche labellisé PIA 3 ANRU+
4 - 5 Concept déposé à l’INPI
Interview Eléonore HAUPTMANN
44
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Grenoble
La semaine de la co-construction
Retour d’expérience
Entre 2014 et 2015, Attitudes Urbaines a été missionné par Grenoble Alpes Métropole pour assurer la mise en cohérence et la capitalisation de
deux dispositifs de participation simultanés organisés sur Grenoble et sur Echirolles. Objectifs de
cette double démarche ambitieuse : contribuer à
l’élaboration du projet urbain et social des Villeneuves, et aboutir à la rédaction d’un cahier de
recommandations habitantes au moment du
lancement du NPNRU sur les Villeneuves et Essart-Gâtinais.
Il y a quelques années maintenant, les villes de Grenoble et d’Echirolles ont respectivement mené des
démarches de participation auprès de leurs habitants, impliquant également leurs élus et leurs services. Ces démarches s’inscrivaient dans le cadre
de la préparation du NPNRU sur les Villeneuves de
Grenoble et d’Echirolles. Pilotées par les deux villes,
elles devaient permettre d’alimenter la rédaction
d’un cahier des charges commun pour l’équipe de
maîtrise d’œuvre urbaine que la Métropole souhaitait alors recruter pour l’élaboration de ce vaste
projet de renouvellement urbain intercommunal.
Cette mission a notamment impliqué le bureau
d’études dans le cadre de la préparation et de
l’animation de la Semaine de Co-Construction
sur le Village Olympique et la Villeneuve de Grenoble : une expérience originale, passionnante et
intense de participation citoyenne bottom-up, sur
laquelle cet article propose de revenir.
Alors que la ville d’Echirolles organisait sur son
territoire « les Printemps de la Concertation », la
ville de Grenoble s’engageait dans la Semaine de
la Co-Construction : une initiative citoyenne originale, portée plus précisément par un Collectif d’habitants.
Par Samira Hajjat et François Meunier
Carte de localisation générale des principales pièces urbaines de la Polarité Sud. Source : Attitudes Urbaines.
Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience
45
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Une mission d’AMO en immersion au cœur de la contre des habitants – notamment de ceux qui ne
Semaine de Co-Construction grenobloise
seraient pas venus participer dans des cadres plus
formels, les situer au plus près de leurs pratiques
Sur le fond comme sur la forme, la Semaine de quotidiennes, et leur permettre d’exprimer leurs beCo-Construction grenobloise proposait une dé- soins, idées et propositions autour du projet.
marche de participation originale, destinée à recueillir sur le quartier une parole habitante élargie
et à mettre en débat objectifs, attendus et priorités,
mais également modalités de gestion et de gouvernance du projet urbain et social avec les habitants.
Initiée par le Collectif d’habitants, et portée par
la ville de Grenoble et la Métropole, la Semaine
de Co-construction était pensée comme un « espace-temps » participatif condensé et emblématique sur les quartiers Villeneuve et Village Olympique de Grenoble. L’ensemble du dispositif reposait
sur deux formats complémentaires, co-animés par
le Collectif et les Collectivités : d’un côté, des temps
de rencontre thématiques et « hors les murs » organisés sur sept journées consécutives, et de l’autre un
lieu physique unique, localisé au cœur de la Maison
des habitants : le « Quartier Général ».
Balades et ateliers ont ainsi été proposés pendant
toute une semaine dans différents lieux – parfois
insolites - de la Villeneuve et du Village Olympique
(équipements, espaces publics…), mais également
sur différents moments clefs de la vie du quartier
(marché, sortie d’école…). Objectif : aller à la ren-
Ateliers, maquettes, questionnaires … des techniques
d’animation et de recueils variées !
Le programme de la Semaine, jour après jour.
Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience
46
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Le second pilier du dispositif était le Quartier
Général ou QG – lieu
physique de rassemblement et de recueil
des données, situé
au cœur de la Villeneuve, dans le Hall
d’accueil de la Maison
des Habitants. Sur
place, les personnes
pouvaient s’informer
sur le projet et son
historique, contribuer
à la réflexion par le biais de questionnaires ou d’un
mur d’expression libre de type post-it, ou tout simplement échanger avec les animateurs présents en
permanence.
de la Métropole et de la ville de Grenoble à la préparation de l’évènement et à la mise au point du programme avec le Collectif,
Assurer durant la semaine de co-construction
la retranscription quasi « en direct » des différentes
contributions – notamment sur le QG, et contribuer
par la même occasion à rendre lisible et appropriable
la parole habitante dans le cadre des différentes restitutions,
A l’issue de la Semaine, veiller à la mise en
cohérence des apports sur Echirolles et sur Grenoble, et rédiger le cahier des prescriptions en restituant de manière la plus fidèle possible la parole des
habitants, et en problématisant leurs apports pour
alimenter efficacement l’élaboration du projet urbain et social sur les deux Villeneuves.
Cette séquence a représenté au total pour le bureau
d’études la mobilisation de deux chefs de projet à
temps plein pendant plus de deux mois!
Le QG remplissait également la fonction essentielle
de capitalisation et de restitution quasi en direct
des contributions, avec des panneaux et des expositions actualisés au jour le jour en fonction des différents temps d’échanges organisés en parallèle sur
le quartier ! Ce QG « physique » disposait également
d’un double numérique : un blog dédié, donnant accès au programme des évènements à venir et aux
comptes-rendus de la journée, et permettant aussi de recueillir la parole habitante via les commentaires.
Concrètement, l’organisation de la Semaine de
Co-Construction a nécessité une mobilisation humaine et technique intense. En tant qu’Assistant à
Maîtrise d’Ouvrage mandaté par la Métropole, Attitudes Urbaines était spécifiquement attendu pour :
-
Le QG et le blog Villeneuve – Village Olympique : je
participe. Animation et actualisation « en temps réel
» par Attitudes Urbaines.
En amont de la Semaine, participer au côté
Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience
47
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
sur la programmation urbaine de la polarité sud,
territoire plus large qui inclut les Villeneuves depuis
2012. Nous pouvions donc faire valoir auprès des habitants comme du Collectif une très bonne connaissance du terrain et de ses acteurs, ce qui renforçait
Ce qui a fait la particularité de cette intervention de fait notre crédibilité.
pour Attitudes Urbaines – au-delà de l’originalité et
de l’ambition du dispositif participatif mis en œuvre Entre ces deux forces en présence, dont la légitimisur la Semaine, fut justement l’équilibre difficile à té et la qualité d’actions étaient indiscutables, nous
tenir notre positionnement d’Assistant à Maîtrise nous devions donc de jouer à la fois le rôle de fil
d’Ouvrage : à la fois représentant de la Métropole, rouge, assurant une capitalisation fidèle et transpaet au cœur d’un projet citoyen porté par un Collectif. rente des contributions, mais également de médiateur pour équilibrer les apports entre ce Collectif de
Le Collectif est un véritable acteur de terrain, très nature militante, et l’ensemble des habitants.
présent dans le tissu associatif local. Fort de son
implantation historique sur le quartier, il est recon- Cette posture, parfois inconfortable, mais toujours
nu pour la qualité de son travail et de ses expertises passionnante, nous a confronté à des réflexions de
d’usages, et investi de longue date dans le projet de fond sur la gouvernance et la participation des habirenouvellement de la Villeneuve de Grenoble. A l’ori- tants, car il s’est avéré que les formes démocratiques
gine de l’initiative de la Semaine de la Co-construc- pensées depuis la Collectivité et depuis le Collectif
tion, et ayant à ce titre bénéficié du soutien de cer- n’étaient pas les mêmes. Ces divergences se sont
tains élus de Grenoble, le dialogue avec la Métropole notamment exprimées à l’occasion du premier aterestait à construire. Le Collectif pouvait en effet se lier thématique, organisé – justement – sur le thème
sentir en quelque sorte « dépossédé » du pilotage de de la gouvernance locale, sujet hautement politique.
la démarche globale qu’il avait lui-même initiée, et
dont il avait également pensé toute l’ingénierie (par- Grenoble – Echirolles : la programmation urbaine comme prisme pour capitaliser sur deux
ticipation « hors les murs », préfiguration, etc…).
démarches participatives fondamentalement difCependant, toute l’ambiguïté – et donc la limite - de férentes !
leur positionnement, était justement cette double
casquette revendiquée : à la fois d’expert « neutre », Au-delà de notre implication sur la Semaine de
à même d’assumer un rôle d’animateur de la partici- Co-Construction grenobloise, notre mission d’AMO
pation habitante au sens large… tout en étant un ac- auprès de la Métropole était de veiller à la cohérence
teur militant, porteur d’une vision et de convictions et à l’articulation des processus participatifs engagés
sur Grenoble et sur Echirolles, avec les habitants,
affirmées pour le quartier.
mais également entre les services et les élus. Plus
De son côté, la présence active de la Métropole et précisément, il s’agissait de :
de la ville de Grenoble dans ce dispositif était légiFaire émerger des axes de travail transvertime et pleinement justifiée : d’abord parce qu’elles mettaient à disposition les ressources humaines et saux et partagés permettant de fédérer acteurs, inimatérielles nécessaires au bon déroulement de la tiatives, projets, financements autour d’actions coSemaine, ensuite parce qu’elles devaient s’assurer – hérentes et coordonnées tout le long du projet ;
Rédiger un cahier de prescriptions citoyennes
au même titre que sur Echirolles - du bon niveau de capitalisation des contributions dans le cadre de la commun aux deux villes faisant office de cahier des
charges pour le lancement d’une future étude de
mise au point du projet global.
maîtrise d’œuvre urbaine intercommunale.
En tant qu’AMO, notre légitimité à intervenir émanait naturellement de la Collectivité. Nous assurions Or, les deux démarches de participation, bien que
depuis plusieurs mois un travail de concertation avec simultanées, n’étaient pas du tout conçues de la
les élus et les services. Nous travaillions également même manière par les deux villes : d’une part une
Le maître d’ouvrage, le Collectif citoyen et l’Assistant à Maîtrise d’Ouvrage : un positionnement
délicat et passionnant au cœur d’un système d’acteurs complexe
Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience
48
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Cet article n’évoque ici qu’une petite part de ce qui
s’est déroulé durant cette période et pointe les éléments les plus saillants de cette expérience complexe, intense et passionnante. Le travail de capitalisation et de synthèse, qui s’est effectué dans des
contextes très différents, tant en termes de méSi les habitants de part et d’autre de la limite com- thode que de configuration urbaine, a néanmoins
munale faisaient état des mêmes problématiques constitué une étape décisive pour la mise en place
(emploi, économie, habitat, environnement...), du protocole comme pour la rédaction du cahier des
celles-ci n’étaient pas reformulées de la même charges de maîtrise d’œuvre urbaine.
manière, que ce soit par les habitants d’une part,
et d’autre part par les Collectivités porteuses de la
démarche puisque chacun avait son propre vocabulaire en matière de politiques publiques.
initiative citoyenne co-animée avec par un Collectif
et se traduisant par une forme d’évènementiel multisites sur Grenoble, et de l’autre une approche plus
« descendante », entièrement pilotée par les élus et
mise en œuvre par les services sur Echirolles !
Par ailleurs, certains points soulevés par la concertation touchaient à des actions très territorialisées,
nécessitant parfois des investissements lourds – sur
de la correction d’espaces publics par exemple. Enfin, d’autres thèmes plus « immatériels » abordés
par les habitants, autour par exemple de la gouvernance locale, ou de la gestion, pouvaient quant
à eux renvoyer à des conceptions assez différentes
entre les deux villes. De ce fait, le travail a été structuré par thématiques, par temporalité, par territoire
parfois, et par priorité.
La difficulté a donc été de trouver une sorte de
grammaire commune aux deux villes, tout en respectant les spécificités territoriales et les priorités
de chacune, et en restituant le plus fidèlement possible la contribution des habitants. Pour atteindre
cet objectif la méthode employée a été décisive,
notre leitmotiv tout au long du processus ayant été
l’articulation entre les différentes contributions afin
que chaque démarche ne fonctionne pas en tunnel.
Davantage encore il nous a semblé important
d’éclairer les débats, points communs et divergences, afin de clarifier les jeux d’intérêts au profit
d’une coopération en pleine conscience. « Le diable
se cache dans les interstices ! »
Pour illustrer cela nous avons notamment organisé ce que nous avons nommé le « Ring », un débat
opérant entre élus et habitants s’appuyant sur le
face à face et la complémentarité de leurs contributions préalables. Nous avions fait le même travail en
amont de la semaine de la co-construction entre les
services de la Métro, de Grenoble et d’Echirolles.
Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience
49
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Eric RUIZ
Directeur du Renouvellement Urbain Grenonle
Eric Ruiz est directeur du Renouvellement Urbain à Grenoble Alpes Métropole et
chercheur associé à l’école d’architecture de Grenoble. Il est également l’auteur
d’une thèse sur l’autopromotion . Dans le cadre de ce travail de recherche, il a exploré les différentes typologies de ces nouvelles « maîtrises d’ouvrage collectives
non professionnelles » d’habitants, et analysé les atouts et les résultats de leurs
productions, du point de vue spatial et urbain, mais également du point de vue de
l’évolution des pratiques du projet.
François MEUNIER (FM) : L’autopromotion est
souvent présentée comme une troisième voie alternative à la production de logement par les maîtrises d’ouvrage publiques et privées. Quelles sont
les caractéristiques de ce type de produit ? En quoi
ces maîtrises d’ouvrage habitantes, non professionnelles, peuvent-elles répondre en partie à des
problématiques mal résolues par les maîtrises d’ouvrage classiques dans le logement ?
lativement calibrés.
J’identifie ainsi trois grands champs dans lesquels
l’autopromotion permet vraiment d’ouvrir les possibles et d’apporter des solutions concrètes par rapport aux autres modes de production.
Le premier, c’est celui que l’on pourrait appeler le «
vivre ensemble ». Des gens vont se regrouper autour d’un projet commun, puis s’engager dans un
Eric RUIZ (ER): Je préfère parler de troisième mo- processus long et complexe de production du logedalité de production, plutôt que de troisième voie, ment. Ils vont confronter leurs idées, échanger, tracar cela laisserait supposer qu’en termes de volume, vailler ensemble et apprendre à gérer une opération
autopromotion et filières publiques et privées tradi- immobilière qui représente un niveau de difficulté
tionnelles seraient sur des quantités équivalentes, parfois élevé. Cela va construire une connaissance
ou du moins sensiblement comparables... Or c’est de l’autre, un mode relationnel au quotidien que l’on
n’a pas quand on arrive dans un logement dont on
très loin d’être le cas !
nous a donné les clefs et où l’on ne connait pas nos
Mais cela ne veut pas dire que l’autopromotion n’est voisins. Par la suite, on constate que dans les projets
pas intéressante – au contraire. L’autopromotion va développés en autopromotion, il n’y a pas moins de
proposer des solutions originales et innovantes à des problèmes de fonctionnement et de gestion quotiquestions que ne prennent pas en compte – ou très dienne, mais il y a une beaucoup plus grande capacipeu – les modes de production classiques… Juste- té à les résoudre entre voisins !
ment parce que l’autopromotion va être portée par
une maîtrise d’ouvrage non professionnelle : c’est là Le deuxième sujet important est selon moi les modalités d’appropriation de l’espace. Sur une opéral’élément le plus important.
Avec l’autopromotion, c’est en effet l’usager futur tion en autopromotion, chacun va s’investir autant
qui va définir et porter la conception de l’ouvrage. sur la conception de la partie privée de son logement
Il va donc pouvoir imaginer, se projeter dans les que sur celle des parties communes. Chacun va donc
usages, dans le fonctionnement de son logement se projeter dans l’espace au-delà de la simple sphère
demain… Là où les maîtrises d’ouvrage classiques – privée. Certains usages, qui dans un autre mode
qu’elles soient publiques ou privées - vont raisonner d’acquisition ou d’accès au logement s’appréhendeen termes de standards et de normes, pour pouvoir raient uniquement dans l’espace intime, vont ainsi
facilement louer, ou vendre leur bien en fonction des être envisagés dans l’espace commun. Les chambres
grands profils de ménages ciblés. Même si certains d’enfants peuvent par exemple être plus petites dans
promoteurs et bailleurs vont de plus en plus faire les opérations en autopromotion, parce qu’on va se
preuve d’innovation, cela va donner des produits re- projeter dans les espaces extérieurs. De la même
Interview Eric RUIZ
50
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
manière, il n’y a pas systématiquement de chambre
d’amis parce qu’on a pensé à un studio partagé. Il y
a un usage que j’appelle plus « élastique ». Cela ne
veut pas dire que tout est collectif, car au contraire
les limites sont plus claires, mais il y a une porosité
des usages entre l’intime et le commun. La notion
de la propriété est élargie. Les gens ont pleinement
conscience d’être propriétaire de l’immeuble et non
pas que de leur logement.
La dernière spécificité à mon sens de l’autopromotion par rapport aux autres modes de production,
c’est le fait que les habitants vont se projeter de
manière différente dans le temps, mais aussi dans
l’espace. Le locatif représente souvent une étape
dans un parcours résidentiel : il s’agit d’un ancrage
territorial provisoire. De même, quand on achète
un logement, il y a souvent une dimension spéculative sur le moyen – long terme, particulièrement
en zone tendue. Dans l’habitat en autopromotion au
contraire, les gens vont se projeter sur la très longue
durée. Le projet a souvent mis 5 ou 6 ans à aboutir :
les rapports à la temporalité et la projection de vie
dans le logement sont forcéments différents. Certains y envisagent déjà leur vieillesse. J’ai visité une
opération où la salle de réunion du rez-de-chaussée
pouvait à terme devenir la chambre d’un aidant, et
où la place pour une cage d’ascenseur avait déjà été
prévue. Cette projection dans le temps entraîne une
projection dans sa ville, dans son quartier et dans sa
rue qui elle aussi est différente. L’ancrage territorial
a tendance à être plus fort, les habitants vont avoir
tendance à s’impliquer davantage dans la vie associative locale, sur des questions urbaines, de gestion, de citoyenneté…
Tous ces aspects font que l’autopromotion est davantage une solution « d’habitat » qu’une simple solution de logement.
cela peut poser problème dans les dynamiques de
co-construction car le concepteur peut être amené
à induire les décisions ou à prendre les décisions à la
place de son maître d’ouvrage.
C’est souvent le cas sur les solutions techniques. En
autopromotion, les gens vont par exemple avoir
tendance à privilégier des systèmes simples de
chauffage, en misant avant tout sur l’isolation du
bâtiment. Mais fut un temps où la mode était aux
VMC double flux dans l’habitation : un système assez complexe à gérer et au final loin d’être adapté
à toutes les situations. Sous l’impulsion du concepteur, certaines opérations en autopromotion ont pu
se retrouver « contre leur gré » avec ce genre de système complexe à gérer au quotidien.
Mais je constate aussi que de nombreux concepteurs savent aussi se mettre à l’écoute. D’un point
de vue architectural, l’autopromotion représente
pour eux une opportunité de proposer des choses
différentes car justement, le commanditaire n’est
pas un professionnel qui arrive avec des standards
à respecter. Des formes architecturales très intéressantes peuvent ainsi voir le jour en autopromotion,
et ces explorations sont aussi possibles sur l’agencement et l’organisation intérieure des espaces, avec
notamment la possibilité de concevoir des espaces
communs beaucoup plus généreux que sur une opération classique.
Je dirais donc qu’il y a chez les concepteurs une
double lecture de l’autopromotion. D’un côté toujours la volonté de « garder la main » sur certaines
questions, c’est-à-dire une posture de sachant, d’expert qui a du mal à partager son savoir et à reconnaître ces maîtrises d’ouvrage non professionnelles.
Mais d’un autre côté, il y a aussi je pense de plus en
plus une volonté réelle de faire évoluer les pratiques.
Je le constate notamment dans les écoles d’architecture et d’urbanisme, où les enseignants témoignent
d’une appétence nouvelle au sujet de la co-conception et de la co-construction des ouvrages.
FM : Comment se passe en général la collaboration
architecte-habitants sur le terrain ? Ces maîtrises
d’ouvrage habitantes ont-elles vocation à faire évoluer les pratiques en matière de conception, et plus
largement le rapport au concepteur et à « l’acte de FM : Comment la métropole de Grenoble encouconstruire » ?
rage-t-elle ce type de projet ? Et plus largement
en matière de politiques publiques, existent-ils
ER : J’ai pu remarquer en effet une certaine difficul- des leviers pour encourager ce type d’initiatives cité de la part du concepteur à reconnaitre à des non toyennes dans la production de l’habitat – notamprofessionnels ce statut de maître d’ouvrage... et ment dans les Quartiers Prioritaires de la Politique
Interview Eric RUIZ
51
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
de la Ville (QPV), où cette piste commence à être une dynamique collective de co-gestion de leur imévoquée comme produit alternatif pour accompa- meuble. C’est un modèle que l’on essaye de reprogner la diversification résidentielle ?
duire, mais qui suppose à l’origine un bailleur volontaire et demandeur, prêt à jouer le jeu avec les
ER : Le précédent PLH (Plan Local de l’Habitat) pro- habitants. Certains bailleurs vont être à l’écoute,
posait une action spécifique pour soutenir les struc- mais d’autres vont avant tout y voir une difficulté
tures qui faisaient la promotion de l’habitat partici- supplémentaire à leur mission. On se heurte aussi à
patif au travers de l’Economie Sociale et Solidaire. un cadre de la loi contraignant en matière d’attribuLa ville de Grenoble organisait également des appels tion, ce qui représente un gros frein au montage de
à projets sur des fonciers disponibles pour accueillir ce type de projet.
des opérations en autopromotion. Cet appel à projet
sur les fonciers est désormais passé à l’échelle mé- L’autopromotion dans les QPV pose encore à mon
tropolitaine. L’accès au foncier est en effet une ques- sens un autre niveau de difficulté. Il y a en effet un
tion récurrente pour l’autopromotion, un premier vrai engouement à Grenoble, et plus spécifiqueobstacle à lever, qui peut vite être en concurrence ment sur le quartier de la Villeneuve. Soutenue par
les élus et de nombreux habitants, l’autopromotion,
avec les maîtrises d’ouvrage professionnelles.
sur des produits en accession ou dans le locatif, apDe manière générale, les élus sont toujours très inté- paraît comme le moyen de renouer avec l’histoire et
ressés par les opérations en autopromotion : ce sont les origines de ce quartier, fondamentalement liées
toujours des projets qualitatifs, riches en termes à l’idée d’autogestion, de projet de vie collectif et
d’usages, avec une valeur démonstrative et expéri- d’expérimentation.
mentale forte. Mais ce sont aussi des projets longs
et complexes à faire aboutir. Il faut faire émerger En matière de diversification sur certains quartiers
des groupes d’habitants solides, capables de s’inves- comme l’Arlequin, il y a aussi l’idée de dire que le
tir dans le temps long du projet. Il faut aussi que le marché de l’immobilier n’est pas encore assez mur
foncier proposé dans le cadre des appels à projets pour développer des produits en accession standard.
corresponde à leurs attentes et à leurs contraintes. On espère donc, avec des produits immobiliers inEt de fait, les terrains proposés dans ce type d’appels novants dans leurs formes, dans la qualité et dans
à projets ne sont pas toujours les plus simples ! C’est le mode vie qu’ils peuvent proposer, pouvoir attirer
d’ailleurs une des limites de ces appels à projets. A ce des ménages qui viendraient là parce que ce produit
titre la démarche proposée par Strasbourg est très immobilier innovant se démarque et n’existe pas ailintéressante : l’appel à projet propose du foncier, leurs. Et pourquoi pas faire de cette opération « pimais également une ingénierie auprès des groupes lote » l’élément déclencheur d’un retour progressif à
une certaine normalité de marché en matière de lopour accompagner l’élaboration de leurs projets.
gement car l’opération autoproduite aura contribué
La métropole incite également les bailleurs sociaux à changer l’image et l’attractivité du quartier.
à mener des opérations en locatif, où seront proposées des modalités de gestion au quotidien qui Mais encore une fois, nous parlons d’opérations lons’apparentent à celles de l’habitat participatif, no- gues et complexes à monter. Et sur un QPV qui va
tamment autour des notions de vivre ensemble et déjà avoir tendance à cumuler les difficultés, le nide communauté de vie avec les locataires. L’idée veau de complexité de l’opération en autopromosur ces nouvelles opérations est que les attributions tion va augmenter ! Mais cela ne veut pas dire qu’il
tiennent compte de la volonté et de la capacité du ne faut pas être ambitieux, car une fois que l’opérademandeur à entrer dans cette dynamique collec- tion sera sortie de terre, sa dimension exemplaire
et ses retombées positives en matière d’usages sur
tive.
le quartier auront forcément un impact positif pour
Il y a notamment une opération historique à Mey- l’ensemble du projet de renouvellement urbain. Et si
lan1, commune proche de Grenoble, portée depuis on arrive à faire une opération qui fonctionne difféplus de 30 ans par un bailleur public qui fonctionne remment et qui amène de la qualité… alors il y a fort
très bien : les locataires sont vraiment rentrés dans à parier que la deuxième opération sera plus facile et
1. Les Naifs – 13 logements locatifs sociaux - Ce projet d’habitat groupé est l’un des rares en gestion locative sociale. Il prend place sur l’une des trois parcelles proposées pour de l’habitat autogéré de la ZAC des Béalières créée par la commune de Meylan en 1984. Les membres du groupe, n’ayant pas les moyens ou l’envie
d’être propriétaires, font appel aux bailleurs sociaux. C’est Pluralis qui accepte de porter ce projet. L’association «Les Naïfs» est créée pour signer une convention
avec le bailleur social. Le groupe est alors partie prenante des choix décisifs lors des études.
Interview Eric RUIZ
52
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
ainsi de suite.
FM : Changeons d’échelle justement, pour passer de l’autopromotion à l’échelle du logement à la
co-construction du projet de renouvellement urbain
désormais inscrite au cœur du NPNRU. Quelle lecture faites-vous de ce nouveau niveau d’ambition ? Y
a-t-il des bonnes pratiques, enseignements à tirer de
l’autopromotion ?
ER : Je vais avoir un discours un peu différent sur la
co-construction dans le cadre du projet urbain que
sur l’auto-promotion dans le cadre d’une opération d’habitat… Quitte à donner l’impression de me
contredire !
La loi LAMI impose en effet désormais de faire de la
co-construction dans le cadre l’élaboration du projet
de renouvellement urbain. L’ambition est vertueuse
et personne ne la conteste ! Mais qu’entend-t-on par
co-construction ? Je pense que le cadre posé n’est
pas assez clair – et que cela génère au final beaucoup
de confusion, voire de l’incompréhension chez une
partie des habitants notamment pour ceux qui s’impliquent dans le conseil citoyen.
d’ailleurs le support du conventionnement avec
l’ANRU. Décider du nombre de démolitions ou du
niveau de réhabilitation n’est pas non plus des décisions simples à prendre. Je pense également que le
cadre institutionnel n’est pas tout fait prêt à accepter qu’il y ait une réelle co-décision avec les habitants
sur des sujets comme la gestion des équipements ou
encore le choix du mode de collecte.
Et lorsque l’on a des habitants organisés et qui ont
lu la loi LAMI… Cette confusion entretenue dans les
différentes instances de participation va en effet générer de la frustration parce qu’ils découvrent que
oui, ils sont bien impliqués dans le processus d’élaboration du projet, mais que non, ils n’ont pas de réel
pouvoir de décision.
Que l’on associe au mieux et systématiquement les
habitants à la formulation du projet et à l’élaboration plan guide, en prenant en compte leur expertises d’usages et leurs attentes, je pense que c’est un
acquis et une valeur ajoutée certaine pour le projet.
Mais je pense aussi qu’il faudrait clairement lever le
flou : les habitants ne sont pas co-décisionnaires de
cette étape de définition amont des orientations.
A mon sens, cette confusion vient du fait que la Loi,
reprise par l’ANRU dans le cadre du NPNRU, reste
dans le flou entre le « Community development » et
le « Community organizing ». Or en fonction de ce
qui est choisi, ce n’est pas la même chose qui est attendue des habitants ! Si la co-construction, c’est de
faire des habitants des interlocuteurs en capacité de
réagir et de participer au projet, nous sommes alors
dans le registre du Community development. Si la
co-construction c’est de donner les moyens techniques, financiers et le pouvoir de décision aux habitants pour faire le projet, nous sommes alors dans le
Community organizing.
En revanche, je pense qu’il faudrait aussi que l’on arrive à reconnaître un statut de co-maître d‘ouvrage
aux habitants sur certains sujets, un peu comme
dans le cadre de l’autopromotion. Cela semble beaucoup plus crédible sur les phases aval, dans la mise
en œuvre du projet, quand chacune des maîtrise
d’ouvrage – la Collectivité sur de l’espace public, les
bailleurs … - aura pris la main sur ses opérations. Sur
ces échelles plus fines, le nombre d’acteurs est réduit, la place des habitants est donc proportionnellement plus importante. On sera alors plus à même de
faire de la participation active en impliquant beaucoup plus l’expertise d’usage des habitants et des
Or dans un projet NPNRU, c’est avant tout la Collec- usagers, et en allant sur de véritables dispositifs de
tivité et ses élus qui portent le projet, et qui vont le co-décision voire d’auto-gestion sur certains projets.
négocier avec l’ANRU et ses multiples partenaires et
co-financeurs institutionnels. L’habitant est bien reconnu comme étant un acteur du projet, son avis et
son expertise d’usages sont de plus en plus pris en
compte, mais dans les faits il n’est pas décisionnaire.
Il y une aussi une question d’échelle. On peut à mon
avis discuter sur l’opportunité de la co-décision avec
les habitants sur les grandes orientations urbaines
stratégiques à l’échelle métropolitaine qui seront
Interview Eric RUIZ
53
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
Alice COLLET
Chargée de mission cohésion sociale et gestion urbaine à l’ANRU
Alice Collet est chargée de mission cohésion sociale et gestion urbaine à l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (Anru). Elle intervient au sein de la direction de la stratégie et de l’accompagnent des acteurs,
dont le rôle est de concevoir des programmes pilotés par l’Agence et d’accompagner les acteurs locaux (services de l’Etat, collectivités locales, maîtres d’ouvrage etc.) en charge des projets relatifs à ces programmes,
par des actions d’animation, de formation et de capitalisation. Ses champs d’expertise portent sur les stratégies de relogement et d’attributions, les stratégies scolaires et éducatives, les enjeux d’insertion professionnelle, gestion et sûreté urbaine et santé, qui sont intégrés aux projets de renouvellement urbain. Alice
Collet est également référente sur le thème de la co-construction des projets de renouvellement urbain.
François MEUNIER (FM) : Avec le NPNRU, l’ANRU
semble avoir placé la participation des habitants au
cœur des objectifs du renouvellement urbain. Pouvez-revenir sur cette inflexion majeure entre les deux
programmes, et plus précisément sur les attendus
de l’Agence en matière de co-construction pour les
projets qui seront conventionnés ?
Alice COLLET (AC) : Dans le premier Programme
National de Rénovation Urbaine (PNRU), la participation des habitants était pensée comme nécessaire pour l’accompagnement et l’acceptabilité
des projets. Avec le Nouveau Programme National
de Renouvellement Urbain (NPNRU), on parle de
co-construction des projets : cela témoigne d’une
montée en puissance de l’ambition de l’Agence et de
ses partenaires. L’habitant n’est plus pensé uniquement comme bénéficiaire du projet. Il en est l’un des
acteurs à part entière, au même titre que les autres
parties prenantes. Son expertise d’usages est reconnue, et même recherchée comme contribuant à la
qualité des projets.
Le principe de co-construction est inscrit dans le
Règlement Général de l’Agence (RGA) relatif au
NPNRU. Celui-ci précise que les habitants doivent
être associés à toutes les étapes du projet de renouvellement urbain : en amont lors de sa préfiguration,
lors de la définition de ses orientations, pendant sa
mise en œuvre et après la livraison des opérations
… Co-construire vise à mettre en place un dialogue
participatif et itératif pour mieux prendre en compte
les enjeux d’usages dans le projet.
La conviction de l’Agence est que la co-construction
est gage de qualité pour les projets et de durabilité
pour les investissements qu’elle co-finance. L’Anru
souhaite que les enjeux liés au fonctionnement social
des quartiers, à leur gestion et à leurs usages soient
intégrés dès la définition du projet de renouvellement urbain et pris en compte dans les aménagements et les programmes immobiliers. Cela permet
de concevoir des projets adaptés aux besoins des
habitants et susceptibles de transformer l’attractivité de leur quartier. Cette approche ne se limite pas
aux seuls habitants du quartier. Elle doit prendre
en compte l’ensemble de ses usagers : ceux qui résident à proximité, sont amenés à le fréquenter, y
travaillent … Elle a vocation à dépasser le seul projet
urbain d’ensemble, pour s’appliquer aux opérations
immobilières, espaces et équipements publics. Ainsi,
nous venons de finaliser un cahier « Ecole et renouvellement urbain », qui montre l’intérêt d’associer à
la programmation et à la conception des établissements scolaires l’ensemble de leurs usagers : équipes
éducatives, gestionnaires, parents d’élèves et élèves.
Cela suppose une structuration forte de la maîtrise
d’ouvrage et une réflexion préalable sur la vocation,
le projet pédagogique et le projet de fonctionnement de l’équipement pour nourrir sa programmation et sa conception architecturale.
Plus largement, la co-construction répond à une
exigence démocratique, d’autant plus légitime que
le projet de renouvellement urbain est porteur de
transformations profondes pour le quartier.
Les retours d’expérience du PNRU attestent d’une
très grande diversité d’initiatives de participation.
Les maîtres d’ouvrage et porteurs de projet sont
montés en compétence, au même titre que les
équipes de maîtrise d’œuvre. Toutefois, ces actions
ayant été portées par une grande diversité d’acteurs
Interview Alice COLLET
54
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
avec des approches et des cultures différentes en
la matière, il n’a pas été facile de construire une vision stratégique et cohérente de la participation et
d’identifier ses apports aux projets.
se professionnaliser : le porteur du projet, les maîtres
d’ouvrage, mais également les équipes d’assistant à
maîtrise d’ouvrage, de maîtrises d’œuvre des opérations etc.
FM : Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les
démarches participatives n’étaient donc pas absentes
dans les projets issus du premier programme. C’est
plutôt la méthode et la lisibilité de ces démarches qui
semble avoir fait défaut dans l’ensemble. Quel bilan
tirez-vous de ces premières expériences ?
FM : Justement, quels sont aujourd’hui les retours de
terrain des Porteurs de Projets et des Délégués Territoriaux concernant les difficultés ou les obstacles
rencontrés dans la mise en œuvre de ces démarches
? Au-delà de l’objectif de participation, l’Agence arrive-t-elle à être la pourvoyeuse d’une véritable «
méthode » de participation ?
AC : La plupart des actions participatives du PNRU
relevaient plus du registre de l’information et de la
consultation que de la co-construction. Certaines
initiatives de concertation (ateliers urbains, jury citoyens etc.) ont pu aller plus loin, mais souvent sur
des objets et opérations isolés, laissant la définition des orientations stratégiques du projet hors du
champ de la discussion avec les habitants.
AC : Il n’est pas facile de porter un regard sur un tel
sujet au niveau national, à ce stade de mise en œuvre
du programme. La co-construction des projets relève de la gouvernance et des dynamiques locales.
En tant que pilote d’une politique publique nationale,
qui se déploie dans des contextes sociaux, urbains et
politiques très différents, l’Anru n’est qu’un maillon
dans une communauté plus large d’acteurs locaux et
L’autre limite a souvent été la difficulté à sortir d’une nationaux. Sur ce sujet, comme sur d’autres, la quesvision monolithique de « l’Habitant avec un grand tion est de trouver un juste équilibre entre le niveau
H », pour saisir la parole habitante dans sa diversi- de prescription à l’échelle nationale et le niveau de
té. Celle des plus jeunes, des plus âgés, de l’habitant délégation et d’initiatives à l’échelon local. Le RGA
présent sur le quartier depuis 30 ans, qui vient de s’y pose un cadre et fait de la co-construction l’un des
installer ou souhaite en partir… Enfin, la participation critères d’appréciation d’un projet de renouvellea bien souvent été limitée aux habitants du quartier, ment urbain. L’ambition est forte. Mais cela veut dire
laissant de côté le reste du territoire.
que l’Agence, avec ses délégués territoriaux, doit acAu final, certains projets ont pu donner le sentiment compagner cette exigence.
d’instrumentaliser la parole des habitants, plus par
manque de méthode des porteurs de projet que par A la mi-2018, la co-construction semble bien amorréelle volonté de manipulation d’ailleurs ! On a pu cée dans plusieurs projets, parfois à la suite du
voir par exemple des réunions publiques mettant en premier programme. Les conseillers citoyens sont
débat des orientations de projet, alors même que membres des instances de pilotage du projet et parcelles-ci avaient déjà été validées en amont par la ticipent à la réflexion sur ses orientations. Si cette
mobilisation marque une nouvelle dynamique, elle
Collectivité et ses partenaires …
reste une expérience parfois encore en demi-teinte,
Aujourd’hui, il s’agit d’impulser une démarche de et même décevante pour certains conseillers cico-construction vraiment articulée au projet de re- toyens, qui n’ont pas le sentiment de pouvoir enrichir
nouvellement urbain, et qui donne leur place aux ha- de manière concrète les projets.
bitants – y compris sur ses enjeux de fond.
Le RGA « donne le LA » en quelque sorte... Cela peut Au-delà de la mobilisation des conseillers citoyens,
passer pour une contrainte, mais c’est surtout une nous avons des signes d’une place plus grande faite
opportunité. Cela permet au directeur de projet de aux questions sociales dans l’élaboration des projets.
dire aux élus « regardez, la co-construction fait partie Plusieurs AMO de programmation urbaine intègrent
des critères d’appréciation de la qualité des projets par des compétences sociologiques pour analyser les
l’Anru … Il faut donc mettre en place des démarches dynamiques habitantes, le fonctionnement social,
qui répondent à cette exigence ! ». Et c’est bien, sur ce les modes de vie et les usages. De même, le démarsujet, l’ensemble des acteurs qui doit se mobiliser et rage de certains projets est amorcé par des appels à
Interview Alice COLLET
55
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
projet auprès d’associations pour faire émerger des
initiatives locales.
Toutefois, dans de nombreux cas, le porteur de projet éprouve encore une certaine appréhension à engager un processus de co-construction dans la phase
de maturation du projet, alors que ses orientations
ne sont pas encore validées et qu’il subsiste des incertitudes. C’est notamment sur ce point que les
pratiques doivent évoluer : la co-construction s’initie
en amont, dès la phase de conception du projet. Ce
n’est pas parce que ses orientations sont encore ouvertes qu’on ne peut pas associer les habitants. Au
contraire : si les habitants participent au diagnostic
et aux orientations du projet, ils permettent de hiérarchiser les enjeux à prendre en compte. C’est le
sens de l’expertise d’usage. Les habitants sont légitimes pour formuler leurs attentes vis-à-vis du projet, tout en étant en capacité de comprendre qu’elles
ne pourront pas toutes être intégrées. A charge au
porteur de projet de resituer leurs attentes dans le
temps long et dans les contraintes du projet. Et donner à voir les points de consensus, de débats et de
compromis sur lesquels le projet se construit de manière progressive et itérative.
FM : Cela renvoie à la question de la méthode à
mettre en place pour co-élaborer le projet. L’ANRU
à ce titre finance l’ingénierie de la co-construction,
et certains éléments comme la mise en place des
Maisons Du Projet (MDP). Pouvez-vous formuler
certaines des recommandations et bonnes pratiques
pour la mise en œuvre de la co-construction sur les
projets en renouvellement urbains ?
AC : La dynamique de co-construction, qui est une
vraie exigence, sera d’autant plus riche que le porteur de projet aura pris le temps de se poser la question de ce qu’il en attend vraiment, pour ne pas la
vivre comme une règle prescrite ou imposée.
Il faut également avant tout que le porteur de projet
clarifie au plus tôt avec les habitants l’ambition du
projet de renouvellement urbain et ses invariants,
pour les associer de manière sereine. Cela suppose
aussi que l’ensemble des incertitudes physico financières et techniques qui constituent en quelque sorte
les « données d’entrée » du projet soient partagées.
C’est fondamental. Il serait inutile et dangereux de
faire croire que tout peut être envisagé, amélioré…
ou que le projet de renouvellement urbain pourra répondre à l’ensemble des attentes !
Les habitants savent très bien que des projets d’une
telle ampleur appellent des arbitrages et des choix,
dans une négociation entre ambitions et moyens
techniques et financiers. Ils comprennent que certaines dynamiques – sociales, économiques, réglementaires etc. - ne dépendent pas seulement de la
collectivité locale qui porte le projet. Faire l’impasse,
ou minimiser l’importance de cet exercice de transparence et de sincérité au démarrage d’un projet,
c’est prendre le risque que les oppositions se durcissent, ou pire, que le sentiment de manipulation et
la perte de confiance vis-à-vis des institutions ne se
développent.
Il faut donc bien poser les règles du jeu, et parmi elles,
identifier les parties prenantes de la co-construction.
A ce titre, le conseil citoyen défini dans le cadre de la
réforme LAMY a toute sa place dans l’élaboration et
la mise en œuvre du projet. Il s’agit non seulement
de lui donner une place dans le projet, mais plus largement d’accompagner la mobilisation des conseillers citoyens. Cela suppose d’expliciter les objectifs
et la méthode du projet de manière simple et accessible, sans l’enfermer dans une technicité trop forte.
Les instances de pilotage du projet peuvent être
préparées avec les conseillers citoyens, afin qu’ils
se sentent à l’aise pour prendre la parole et contribuer aux débats. En effet, des débats trop techniques peuvent susciter leur retrait et leur donner le
sentiment de ne pas prendre part aux décisions. De
même, leur implication dans un atelier de programmation urbaine nécessite d’être accompagnée, pour
les amener à identifier les mutations possibles sur le
quartier et se projeter sur le long terme du devenir
du quartier.
A côté du conseil citoyen, il semble intéressant d’associer l’ensemble des habitants, du tissu associatif et
des acteurs de terrain à la conception et à la mise en
œuvre des projets. Ceux-ci sont suffisamment larges
pour que chacun y trouve sa place ! Et la co-construction doit tenir compte de la culture locale et des dynamiques habitantes qui ne sont jamais les mêmes
d’un quartier à l’autre.
La co-construction doit également être clairement
structurée. Différentes modalités de rencontre
Interview Alice COLLET
56
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
peuvent être imaginées pour capter la parole de
publics différents, dans une logique de complémentarité et non d’opposition. Certains habitants sont
familiers du travail avec les institutions, tandis que
d’autres en sont plus éloignés, ne se sentent pas
spontanément concernés ou expriment une forme
de scepticisme. Il faut dans ce cas « aller les chercher
» avec des méthodes de sollicitation adaptés à leurs
lieux et rythmes de vie, dans le cadre de rencontres
« hors les murs » : enquêtes, micros-trottoirs, événements aux pieds des immeubles, à la sortie des écoles
… Il est important de solliciter des habitants ancrés
dans le quartier, mais aussi des nouveaux arrivants
et des résidents extérieurs, qui rendent compte de
l’image du quartier à une échelle plus large.
La Maison du Projet (MDP) constitue un point d’appui intéressant pour initier et mettre en œuvre la
co-construction. En réponse au « temps long » du
projet, dont les premières opérations ne seront souvent livrées que 3 à 5 ans après son lancement, la MDP
propose d’emblée quelque chose de concret et de
physique, de l’ordre du « tout de suite et maintenant
». Elle permet de travailler sur l’attente du projet et à
l’anticipation de sa mise en œuvre : adaptations de la
gestion urbaine, dispositions pour le relogement, les
clauses d’insertion dans les chantiers etc.
Le rôle de la MDP, c’est à la fois d’accompagner
et de « donner à voir » l’élaboration du projet - de
manière physique et symbolique. Elle permet d’incarner la co-construction. Elle doit donc être investie dès le départ, pour construire le diagnostic puis
des orientations programmatiques et spatiales. Elle
peut être un point de rassemblement pour des diagnostics en marchant conduits sur le quartier ou des
ateliers de travail urbains avec les habitants et les
usagers… Elle peut aussi être envisagée comme un
lieu de ressources et de diffusion pour donner de la
visibilité au projet, et créer une certaine curiosité, au
travers d’événements ou d’expositions présentant
maquettes ou reportages photos.
Le choix du lieu de la MDP a donc son importance.
S’agit-il d’un local existant ou d’un bâtiment neuf
? D’une construction pérenne ou transitoire ? Avec
une implantation au cœur du quartier en projet, ou à
l’inverse, mobile à l’échelle de l’agglomération pour
toucher le maximum de personnes ? Il n’y a pas de
bonnes ou de mauvaises réponses : cela dépend du
contexte du quartier, de l’intensité du projet mais
aussi du message que le porteur de projet souhaite
faire passer… Et au-delà de la MDP, il peut être utile
d’organiser des manifestations sur le projet dans des
lieux situés en dehors du quartier, pour donner à voir
sa transformation depuis l’extérieur. Ou de créer des
événements festifs d’ampleur dans le quartier qui
associent les habitants de l’ensemble de la ville pour
valoriser sa transformation.
Un autre aspect essentiel de la co-construction, c’est
le travail sur l’« après-projet » qui peut être utilement engagé avec les habitants, dans une approche
d’évaluation spatialisée du projet. Cette évaluation
peut se faire à l’échelle du quartier, de secteurs spécifiques, d’équipements ou encore d’opérations de
résidentialisation après leur livraison. L’intérêt est
d’analyser in situ, avec les habitants, les usagers et
les gestionnaires, si les enjeux de gestion et d’usages
identifiés en amont ont bien été pris en compte, si
les espaces neufs ou restructurés sont correctement
investis, si les règles d’usage et les modes de gestion
y sont clairement définis ou nécessitent d’être adaptés etc. Des actions correctives et d’accompagnement peuvent alors être envisagées. L’évaluation in
situ permet d’apprécier si les effets positifs escomptés du projet sont bien au rendez-vous et permettent
de transformer son attractivité … C’est important de
prendre régulièrement la température avec les habitants, et l’ensemble des acteurs pourrait à ce titre y
travailler de manière plus collégiale !
FM : En partenariat avec le Commissariat Général
à l’Egalité des Territoires (CGET), l’Ecole du Renouvellement Urbain propose de former les Conseils
Citoyens. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette
action de formation à destination des habitants, finalement assez originale dans le fond comme dans
la forme ?
AC : Il s’agit en effet d’une action de formation
très importante, qui a été redimensionnée pour le
NPNRU. L’objectif est de former les conseillers habitants pour développer leur capacité à prendre part à
l’élaboration d’un projet de renouvellement urbain,
à en saisir toute la complexité et à être force de proposition dans son élaboration comme dans sa mise
en œuvre.
Les différentes dimensions du projet de renouvellement urbain leur sont expliquées ainsi que le cadre
Interview Alice COLLET
57
Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives
de la démarche de conventionnement avec l’Anru.
A partir de là, les conseillers citoyens sont invités à
travailler en groupe sur un cas pratique pour élaborer des orientations d’un projet de renouvellement
urbain, qu’ils présentent devant un Jury, auquel des
membres de l’Anru et de ses partenaires sont invités.
Les formateurs sont des équipes mixtes d’architectes-urbanistes et sociologues. La formation se
déroule sur 5 jours complets. Deux sessions sont
organisées par mois. Cela demande une mobilisation importante pour les habitants, qui viennent de
la France entière. Les retours des participants sont
très positifs : ils prennent conscience de la diversité
des situations locales, mais aussi des lignes de force
et des ressources communes pour agir et porter leur
parole !
A l’issue de la formation, chaque conseiller citoyen
repart avec une feuille de route qui met à plat la façon dont il va concrètement prendre part à l’élaboration du projet une fois rentré dans son quartier. On
sent une vraie volonté de porter ces questions, une
réelle motivation et montée en compétence.
Cette formation pose la question de la capacité et
volonté des porteurs de projet à soutenir ces nouveaux acteurs du projet de renouvellement urbain
et à les intégrer dans des dispositifs de co-construction. Il reste sans doute beaucoup à faire mais nous
sommes confiants, car de très belles expériences
voient le jour, avec de plus en plus de professionnels
convaincus du sens et de l’intérêt de la démarche.
Interview Alice COLLET
58
Aptitudes Urbaines
Un organisme de formation dédiée à la programmation urbaine
Des partenaires professionnels et
institutionnels investis dans la formation
En 2010, Attitudes Urbaines et un ensemble
de partenaires consultants et bureaux d’études
(Nathalie Bonnevide, Pablo Katz, François
Kossmann, Emmanuel Redoutey, Jodelle ZetlaouiLéger…) mais aussi de personnalités du monde
de l’urbanisme et d’institutions parmi lesquelles
la Mission Interministérielle pour la Qualité des
Constructions Publiques, ont éprouvé le besoin de
se réunir pour capitaliser sur la pratique émergente
de la programmation urbaine, en s’investissant
dans le premier programme de formation continue
dédiée à cette démarche.
illustrés et enrichis par la présentation de cas
réels et/ou de cas pratiques avec mise en situation
professionnelle.
Le public de la formation :
La formation continue Aptitudes Urbaines
s’adresse à tout acteur de l’urbanisme et de
l’aménagement en prise avec la définition
et la mise en œuvre des projets urbains :
maîtres d’ouvrage publics et privés et leurs
équipes, partenaires institutionnels, mais aussi
professionnels et bureaux d’études privés investis
dans la transformation du cadre de vie.
Les objectifs pédagogiques :
- Comprendre les stratégies d’acteurs et les enjeux
de la ville contemporaine ;
- Acquérir le langage, les méthodes et les outils
de la programmation urbaine pour améliorer les
conditions de réalisation des projets urbains dans
lesquels vous êtes engagés ;
- Etre en capacité d’organiser les partenariats entre
les différents acteurs pour les positionner et les
responsabiliser au service de l’opération urbaine ;
- Savoir mettre en pratique une démarche de projet
intégrée et partenariale pour obtenir des résultats
Réunis au sein du Collectif Scientifique et de plus performants dont bénéficieront tant les
l’équipe pédagogique d’Aptitudes Urbaines, ces opérations, que les équipes de suivi et de pilotage,
partenaires historiques et ceux qui sont venus ainsi que les usagers et les utilisateurs finaux.
progressivement nous rejoindre accompagnent
aujourd’hui cette formation, exclusivement animée Les modalités pédagogiques
par des professionnels – praticiens.
Avec pour fil rouge l’analyse de pratiques
Le cursus certifiant comprend 11 modules d’une professionnelles entre acteurs de différents
journée, de septembre à juin. Le cursus s’organise horizons, la qualité de notre enseignement se fonde
autour d’une première séquence managériale sur une pédagogie collaborative et participative,
(modules 1 à 6) et d’une seconde séquence privilégiant l’échange entre intervenants et
thématique (modules 6 à 11). Le cursus peut être participants.
suivi en cursus complet certifiant ou en cursus à la Les formateurs sont des professionnels en activité.
carte.
Au côté des apports techniques et méthodologiques,
Chaque module d’une journée est animé par des chaque session est enrichie d’études de cas
experts-praticiens, et s’articule autour de temps concrètes, permettant d’illustrer et de mettre en
d’apprentissages théoriques systématiquement pratique les enseignements de la formation afin de
favoriser une meilleure acquisition des savoirs et
savoir-faire dispensés.
Un cursus certifiant
A l’issue du cursus complet composé de 11 modules,
chaque stagiaire peut désormais prétendre à une
certification d’Assistant-e à Maîtrise d’Ouvrage
en Programmation Urbaine. Cette certification
est délivrée sur la base d’un jury d’évaluation. Elle
atteste de sa capacité à organiser et à conduire la
démarche de programmation urbaine.
adaptés à l’opération urbaine
Animé par Jacques Cabanieu et Claire Mémier |
Jeudi 6 décembre 2018 de 9h à 17h30
N°5 Construire le montage opérationnel de
l’opération urbaine
Animé par Jean-Philippe Pichevin | Jeudi 10
janvier 2019 de 9h à 17h30
N°6 Concevoir le projet de vocation
programmatique
Animé par François Meunier et Irène Sornein |
Cette certification a pour objectif de valoriser la Jeudi 7 février 2019 de 9h à 17h30
maîtrise des compétences acquises dans le cadre de
la formation Aptitudes Urbaines tout en participant
à la diffusion et à la reconnaissance de la pratique
de la programmation urbaine comme démarche de
projet.
Pour plus d’information, n’hésitez pas à nous
contacter : apu@attitudes-urbaines.com
N°7 Programmer l’habitat et traiter les
questions de peuplement
Animé par Simon Goudiard et Claire Mémier |
Jeudi 14 mars 2019 de 9h à 17h30
Journée cas du club - Jeudi 21 mars 2019
N°8 Programmer les offres de services et
d’équipements
Un esprit club
Animé par Nathalie Bonnevide et Marjorie
En complément de la formation et des événements, Ravily | Jeudi 4 avril 2019 de 9h à 17h30
qui réunissent une fois par an des des professionnels
de l’urbain afin de débattre sur des sujets clés de
l’actualité, nous publions des dossiers et newsletters
thématiques.
Le programme 2018-2019 en résumé
N°1 Conduire la démarche de programmation
urbaine
Animé par François Meunier et Emmanuel
Redoutey | Jeudi 13 septembre 2018 de 9h à
17h30
N°2 Mener la concertation et la participation
citoyenne
Animé par Jodelle Zetlaoui-Léger | Jeudi 11
octobre 2018 de 9h à 17h30
N°3 Manager l’opération urbaine et ses
prestataires
Animé par Pablo Katz et François Meunier |
Jeudi 8 novembre 2018 de 9h à 17h30
N°4 Choisir et préparer les marchés publics
N°9 Programmer les commerces et les activités
économiques
Animé par François Kossmann | Jeudi 16 mai
2019 de 9h à 17h30
N°10 Programmer l’espace public et les
mobilités
Animé par Léna Bouzemberg et Sébastien
Simonnet | Jeudi 6 juin 2019 de 9h à 17h30
N°11 Définir la stratégie environnementale de
l’opération urbaine
Animé par Jean-Pierre Marielle et François
Meunier | Jeudi 27 juin 2019 de 9h à 17h30
Module de préparation à la certification
d’Assistant.e à Maîtrise d’Ouvrage en
Programmation urbaine | Date à définir
Journée Evénement Club - Jeudi 4 juillet 2019
Attitudes Urbaines
103 rue La Fayette
75010 Paris
apu@attitudes-urbaines.com
Tél. 01 40 34 91 74