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Démarche de participation - démarche de projet. Comment la participation habitante interroge-t-elle les pratiques et les métiers du projet urbain ? François Meunier, Irène Sornein, Jodelle Zetlaoui-Leger To cite this version: François Meunier, Irène Sornein, Jodelle Zetlaoui-Leger. Démarche de participation - démarche de projet. Comment la participation habitante interroge-t-elle les pratiques et les métiers du projet urbain ?. 2018. ฀hal-03225707฀ HAL Id: hal-03225707 https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-03225707 Submitted on 17 May 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les dossiers d’Aptitudes Urbaines Démarches de participation Démarches de projet Comment la participation habitante interroge-t-elle les pratiques et les métiers du projet urbain ? Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives L’apport de la participation habitante dans les projets urbains semble faire de moins en moins débat pour les maîtrises d’ouvrage urbaines. Ce sont en revanche les conditions concrètes de mise en place et de conduite des démarches participatives qui interrogent. Elu-e-s, Technicien-nes, assistant-es à maîtrise d’ouvrage, maître d’œuvre, expert-es mais aussi aménageurs et opérateurs privés … Face à des habitant-e-s concerné-e-s et de mieux en mieux outillé-e-s pour prendre part à la définition de leur cadre de vie, les pratiques de projet évoluent. Dans le même temps, l’avènement des outils numériques collaboratifs a ouvert de nouvelles perspectives pour amplifier le recueil de l’avis habitants et stimuler le débat citoyen autour des projets urbains et architecturaux … sans pour autant répondre totalement à la question des modalités concrètes de prise en compte de la contribution des habitants dans l’élaboration des projets. Dans quelles mesures la participation habitante questionne-telle les démarches de projets ? Comment les compétences et les postures professionnelles qui les accompagnent sont-elles invitées à se redéfinir et à se réorganiser, pour reconnaître, intégrer, et positionner à sa juste place la contribution des habitants dans le projet ? C’est sur ces questions qu’a choisi de se pencher le présent dossier d’Aptitudes Urbaines. Sur chaque thème déjà traité par nos précédentes Newsletters, « Les visages de la programmation urbaine », «Montages opérationnels des projets urbains», «Formation en urbanisme, quels enjeux aujourd’hui ? » nous recueillons et croisons les regards sur des sujets qui interpellent notre actualité. Propos recueillis par François Meunier, Irène Sornein et Laura Serre. Cette nécessité de clarification collective des méthodes pour organiser la participation habitante apparaît d’autant plus importante à l’heure de l’urbanisme négocié et de la coproduction publique-privée, pour veiller à réserver un rôle à l’habitant-e dans le projet malgré les impératifs temporels, opérationnels et financiers de ces nouvelles commandes. Date de publication : Décembre 2018 Merci à Juliette DENEUFBOURG, Clémence CRETON, Chloé VERGUES pour leur participation à la rédaction de cette newsletter. Photo de couverture, en haut à gauche : Taipei Taiwan : déploiement par Morgane le Guiloux et Clément Tricot Irène Sornein Directrice pédagogique et du développement d’Aptitudes Urbaines Introduction François Meunier Co-fondateur Aptitudes Urbains Gérant d’Attitudes Urbaines SOMMAIRE EDITO Jodelle Zetlaoui-Léger Professeure à l’ENSA Paris La Villette Jean-Didier Laforgue Architecte-urbaniste ARTICLE Barbara Allen Psychosociologue 5 8 11 Formateur Consultant 15 22 Jean-Didier Laforgue Alain Renk Architecte-urbaniste Patrick Chotteau Secrétaire général adjoint MIQCP Patrick Norynberg Gwenaëlle d’Aboville Urbaniste associée Ville Ouverte 26 30 Amandine Crambes Ingénieure urbaniste - ADEME 33 36 Olivier Ansart Président ASA PNE ARTICLE Eleonore Hauptmann Consultante Urbaniste-environnementaliste 41 45 François Meunier Gérant d’Attitudes Urbaines Samira Hajjat Urbaniste programmiste Eric Ruiz Directeur du Renouvellement Urbain Ville de Grenoble 50 54 Alice Collet Chargée de mission cohésion sociale et gestion urbaine ANRU Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives EDITO Si l’on constate aujourd’hui en France un vif intérêt pour « l’urbanisme participatif », cela n’a pas toujours été le cas . Après un certain engouement suscité par les « luttes urbaines » des années 19601970, ce thème tombe en désuétude. Jusqu’au début des années 2000, s’y intéresser supposait de se positionner forcément « pour ou contre », les attitudes oscillant entre « idéalisation et stigmatisation », supplantant toute préoccupation d’objectivation et de production de connaissances. Lorsque je commence ma carrière d’enseignantechercheuse au début des années 1990, cette question fait même l’objet d’une véritable défiance de la part des élus, des milieux professionnels comme des universitaires et des organismes publics finançant la recherche architecturale et urbaine en France. Les travaux précurseurs de Michel Conan et Michel Bonetti sur la programmation générative des constructions, qui visent à impliquer gestionnaires, utilisateurs, habitants dès l’amont des démarches de projet, peinent à se diffuser, malgré des expertises externes encourageantes. Les efforts auxquels je contribue pour les étendre à l’évaluation d’usage des bâtiments (travaux avec Éric Daniel-Lacombe) et au domaine de l’urbanisme (avec Pierre Dimeglio) restent limités à quelques expérimentations, soutenues par des administrateurs de la recherche et des élus enthousiastes mais bien isolés. Les premiers enseignements que nous dispensons à ce sujet avec Jean-Didier Laforgue intéressent clairement nos étudiants, beaucoup moins la majeure partie de nos collègues. Les tentatives d’importation des démarches de community planning en France par John Thompson et Éléonore Hauptmann restent aussi limitées. En plein avènement de la décentralisation, rien ne doit perturber la nouvelle idylle que connaissent les élus et leurs architectes à la recherche de « l’effet Bilbao »,... et surtout pas l’habitant, cet éternel « conservateur ». À partir du début des années 2000, le thème de la participation recommence à mobiliser quelques sociologues, anthropologues et politistes qui interrogent la notion de citoyenneté urbaine notamment dans les quartiers de la Politique de la Ville, mais sans l’articuler directement à celui du projet urbain dans son opérationnalité. Les contributions recueillies dans ce dossier témoignent du chemin parcouru depuis quinze ans. Outre le fait qu’elles illustrent la façon dont la participation habitante est redevenue un sujet incontournable dans le domaine production urbaine, elles relient étroitement des questionnements sur la nature des « savoirs de l’habitant » - considéré à travers ses pratiques de l’espace et comme citoyen -, sur « l’exercice du projet » et sur les compétences politiques et professionnelles qui y sont associées. Elles expriment aussi de manière frappante, les convergences fondamentales qui existent aujourd’hui chez des acteurs ayant développé une grande expertise de ce sujet, à partir de domaines d’exercice pourtant très différents. Celles-ci portent d’abord sur le fait que l’enjeu de la participation ne concerne pas seulement le fait de donner la parole à l’habitant, mais de l’engager dans un travail collectif. Il s’agit bien de lui conférer un rôle « actif » dans l’élaboration des projets. Il y va de la crédibilité de la participation. Il revient aux élus et aux praticiens de lui en donner la possibilité, en allant au devant de lui, et en trouvant les moyens de le mettre à contribution (Patrick Norynberg). Des nouvelles générations de professionnels s’y attèlent, stimulées en cela par l’évolution des formations en urbanisme et en architecture. Plusieurs entretiens dans ce dossier soulignent par ailleurs que la participation ne concerne pas seulement le résident, mais aussi le riverain, l’usager, et plus largement l’habitant d’un lieu ou d’un territoire qui accueille dans l’une de ses parties, un processus de projet. Cette position permet de contester les arguments encore récurrents de ceux qui affirment qu’il ne peut y avoir de participation lorsque les « futurs habitants » - comprendre en fait « résidents » de leur point de vue - ne sont pas connus. Or même lorsqu’ils le sont, ils ont été jusqu’à présent peu impliqués dans les orientations stratégiques des projets urbains au delà d’un stade consultatif. Une vision élargie de « l’habitant concerné », au-delà du périmètre opérationnel, constitue sans doute la meilleure réponse à ceux qui pensent encore que la participation risque de fabriquer de « l’entre soi ». Il s’agit bien de réfléchir à ce qui peut être mis en partage à différentes Edito 5 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives échelles. La participation est présentée dans ce dossier comme une démarche de respect mutuel, même si souvent elle commence par l’expression d’une colère, la formulation de contre-projets, après plusieurs années d’absence de prise en compte de problèmes de vie quotidienne par les pouvoirs locaux. Comme le soulignent Barbara Allen et Jean-Didier Laforgue, cette étape est souvent nécessaire mais il faut savoir aussi en sortir, en s’appuyant sur des dispositifs d’engagement, notamment de la maîtrise d’ouvrage urbaine. Les conflits qui s’expriment en amont des démarches de projet traduisent un manque de considération pour « l’existant » au sens large, et pour l’habitant en particulier. La « coproduction » invoquée par plusieurs contributeurs dans ce dossier, engage au dépassement des positions qui s’affrontent au départ. Elle invite de ce fait à se détourner de la tentation de la mise au vote qui revient à désigner des perdants et des gagnants, et donc à demeurer dans une logique clivante. La coproduction repose sur des mécanismes de transactions socio-spatiales. Elle génère de ce fait bien souvent des solutions inattendues, voire de l’innovation, à condition que le praticien accepte de se laisser surprendre, et organise des méthodes permettant de recueillir autre chose que ce qu’il pense déjà savoir (Gwenaëlle D’Aboville). Il peut s’appuyer aujourd’hui sur un ensemble de dispositifs et d’outils, éprouvés depuis longtemps, ou plus récents basés sur des systèmes de préfiguration in situ ou des technologies numériques. Ces dernières peuvent stimuler une « capacité à imaginer ensemble », à condition que leurs usages s’inscrivent dans des processus délibératifs et des situations « présentielles », comme le souligne Alain Renk. La mise en œuvre de démarches participatives bouscule les cultures politiques et professionnelles traditionnelles, basées sur des délégations de pouvoir, et une approche dissymétrique de la qualité des différentes formes de savoirs. Elle suppose de se placer dans une dynamique de coapprentissage, et de (re)considérer globalement l’ingénierie du projet pour y impliquer acteurs publics, privés, propriétaires, commerçants porteurs de projets qu’il s’agisse d’investisseurs économiques professionnels ou de groupes d’habitants (Amandine Crambes). Plusieurs contributeurs insistent sur le fait que cette dynamique collaborative doit s’amorcer dès la phase de diagnostic. Celle-ci est fondamentale pour (ré)instaurer un rapport de confiance avec les élus et les techniciens qui s’est souvent érodé. La coproduction suppose aussi l’intégration de dispositifs d’évaluation, in itinere et ex-post, dont l’habitant doit être partie prenante, ce qui lui permet de monter en compétence, y compris sur des sujets très techniques. Les travaux de recherche que nous menons depuis dix ans sur le processus national de labellisation des écoquartiers en France montrent le chemin qu’il reste encore à parcourir à ce sujet, notamment parce que, comme le soulignent plusieurs contributeurs, l’évaluation est rarement pensée dès l’amont du projet. Elle apparaît ainsi comme une tâche « en plus » et impossible à mener à la fin d’une opération alors qu’on ne dispose pas des données nécessaires. Cette difficulté révèle souvent aussi un déficit d’explicitation et d’adaptation des objectifs ou des performances à atteindre tout au long d’un projet, c’est-à-dire de programmation. Voilà qui incite une fois de plus à envisager celle-ci de manière itérative et continue, et non plus comme une phase ou un moment d’un projet. Cet enjeu est soutenu par Patrick Chotteau de la Mission Interministerielle pour la Qualité des Constructions Publiques (MIQCP), pour qui la démarche de programmation doit être portée par une collectivité appréhendée dans un sens élargi, aidée si nécessaire par une AMO maintenue dans la durée. Or les nouvelles formes d’appels à projets dits innovants peuvent constituer une certaine limite à cet égard, car en se dessaisissant de la maîtrise d’ouvrage, la collectivité se désengage de la programmation. À moins qu’elle ne considère l’évaluation participative comme une façon d’apprécier la valeur d’habitabilité des propositions qui lui sont soumises... ce qui est encore loin d’être le cas. Le risque autrement, est de voir les villes comme les opérateurs privés, se contenter pour toutes formes de participation, d’initiatives ponctuelles, spectaculaires et rentables en termes de marketing, telles que les « occupations temporaires » d’espaces en transformation, ainsi que le soulignent Olivier Ansart et Éléonore Hauptmann. Bien que porteurs de dynamiques intéressantes, ces dispositifs semblent aujourd’hui faire diversion pour Edito 6 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives éviter une fois de plus, l’élaboration de démarches n’est pas non plus revendiquer l’avènement d’une pseudo-démocratie directe par la multiplication des participatives de projet urbain « au long cours ». votations, en oubliant l’importance des ingénieries Il s’agit plus généralement aujourd’hui de de projet et des processus délibératifs. C’est dépasser une participation principalement plutôt faire confiance en la construction d’une « centrée sur l’aménagement d’espaces publics intelligence collective » soutenue par une volonté particuliers, places, rues, jardins,..., pour politique locale et des initiatives citoyennes à l’étendre à la définition d’une stratégie urbaine, à accompagner. La participation apparaît ainsi, à la production d’habitations et des équipements. travers les témoignages riches de ce dossier, à Davantage d’initiatives sont prises en ce sens, la fois comme un antidote contre les tentations comme le montrent les réflexions territoriales populistes, et un moyen de limiter l’ampleur et engagées par la métropole grenobloise auxquelles a les conséquences du changement climatique. contribué Attitudes Urbaines, les politiques locales de soutien à l’habitat participatif évoquées par Jodelle Zetlaoui-Léger, Eric Ruiz, ou les intentions de l’Agence Nationale professeure à l’ENSA Paris La Villette de la Rénovation Urbaine qui apporte un soutien Let-Umr Cnrs n°7218 Lavue financier à l’ingénierie de la co-construction (Alice Collet). Sans doute, le principe de « co-construction » affirmé par la loi pour la Ville et la Cohésion urbaine de 2014, pourra t-il ainsi gagner en précision et en ambition. On évitera ainsi qu’il ne devienne un nouveau mot valise, comme la réglementation en a tant produit depuis les années 1970. Et à ce titre, « co-construction » signifie t-il seulement coproduction ou aussi codécision ? Si on est marqué par la convergence d’un grand nombre de positions exprimées dans ce dossier, on notera aussi que quelques divergences subsistent sur ce dernier point. Le « vivre ensemble » ne peut plus être décrété de manière incantatoire au nom d’une morale civique que beaucoup d’habitants ne partagent plus, face à des phénomènes de discrimination et d’injustices sociales criants. Il doit se travailler, à travers tout un ensemble d’actions dont font partie la gestion des espaces de la vie quotidienne et le développement de projets urbains. Il s’agit à ce titre de sortir du registre des expériences isolées, ambitieuses mais sans lendemain, pour en faire de véritables expérimentations qui se diffusent. Certaines collectivités commencent à s’y atteler comme le montre ce dossier, espérons que d’autres les suivent. Faire de la participation, ce n’est pas chercher à « flatter le peuple » ou « l’opinion publique ». Ce Edito 7 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Jean-Didier Laforgue est architecte DPLG et Professeur associé au Master d’Aménagement de Paris I – La Sorbonne. Il est également formateur à l’Ecole du Renouvellement Urbain (ERU) Architecte-urbaniste et chercheur au Laboratoire CRIA (Centre de Rercherches sur les réseaux, l’Industrie et l’Aménagement). Avec Michel Bonetti et le laboratoire de Sociologie Urbaine Générative, il a participé à une évaluation du premier programme de rénovation urbaine pour le compte du CES de l’ANRU, et notamment sur le volet implication des habitants. Enfin, en tant qu’architecte-urbaniste indépendant, il intervient dans le cadre de projets urbains en France dont certains ont mis en jeu des dispositifs de participation poussés. Jean-Didier LAFORGUE François Meunier (FM) : Du PNRU au NPNRU, l’ANRU et ses partenaires semblent avoir mieux pris en compte l’enjeu d’inclure les habitants dans l’élaboration des projets urbains. En tant qu’architecte – concepteur impliqué dans différents projets de renouvellement urbain, partagez-vous ce constat, et quel regard portez-vous sur ces évolutions ? tants, car s’il n’y a pas de méthode de travail claire et impliquante, la possibilité de jouer avec une supposée implication citoyenne est considérable. Aujourd’hui si les conseils citoyens doivent être intégrés à l’élaboration des projets de renouvellement urbain, la différence entre ce qui pourrait être travaillé avec les habitants et ce qui leur est finalement soumis est trop variable. On risque de retrouver en Jean-Didier Laforgue (JDL) : L’ANRU est l’un des très fin de programme les mêmes critiques sur l’implirares endroits si ce n’est l’unique endroit, en tout cas cation insuffisante des habitants, sur une politique que je connaisse, qui s’interroge pour changer ses dans les quartiers qui fait passer « l’urbain avant le modèles et faire évoluer sa manière d’investir les social ». réflexions. Avec le NPNRU, l’ANRU s’est posée les bonnes questions sur l’inclusion des habitants dans FM : La clef reste donc, avant tout, une question de la transformation d’un quartier. A travers les conseils méthode et de posture avec les habitants ? Comcitoyens notamment, l’Agence invite aujourd’hui ment poser les bonnes bases pour travailler avec eux clairement à modifier ses pratiques et à mettre l’ac- dès les phases amont du projet, et existent-ils selon cent sur la participation dans l’élaboration des pro- vous des sujets plus « légitimes » que d’autres pour les habitants ? jets. La limite à mon sens de l’ANRU en partie sur ce champ, c’est sans doute l’excès de précaution, parce qu’elle se refuse à être prescriptrice de méthodes plus engageantes. Cela part d’une intention sincère et bienveillante : ne pas être trop « bottom-up » vis-à-vis des porteurs de projets et de leurs partenaires, et les laisser déterminer sur le terrain la façon dont ils entendent répondre aux attentes posées par l’Agence. Mais de ce fait, les méthodes restent de l’ordre de l’injonction, de la bonne pratique et la marge d’interprétation entre ce qui est attendu et ce qui se pratique en matière de participation des habitants est trop importante. Par exemple, le plan masse reste encore trop souvent dessiné en amont sans bien identifier la vocation du territoire, le rôle futur du quartier et les attentes des habitants et usagers. JDL : A mon sens, il n’y a pas des sujets « habitants » et des sujets « non-habitants ». C’est une question de contexte. Je pense que les habitants sont légitimes sur tous les sujets dès lors qu’ils sont bien positionnés dans le processus de conception. Il faut aussi que les habitants adoptent une bonne posture adaptée à la collaboration dans ces contextes de co-production. S’impliquer en tant que conseil citoyen dans un projet de renouvellement urbain, ce n’est pas utiliser le comité de pilotage comme tribune ou transformer ces temps d’échanges et de compréhension en moment de pression. En revanche, je crois qu’il y a une erreur récurrente de penser que les habitants ne pourraient pas s’impliquer parce qu’ils ne sont pas suffisamment professionnels. Ce n’est pas l’objet de la demande. Cela risque d’avoir un impact direct pour les habi- On leur demande dans un premier temps de faire Interview Jean-Didier LAFORGUE 8 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives émerger des problématiques à partir de leur propre expertise. Ensuite, s’assurer que ce qui est proposé a du sens, à partir des thématiques et des enjeux qu’ils portent, dans l’objectif d’aider à l’enrichissement du projet. Il ne s’agit pas de savoir dessiner un plan ou comprendre un règlement financier abscons … Car c’est au contraire en les pseudo-professionnalisant que leurs inhibitions et craintes sont renforcées. En travaillant sur leurs enjeux et en engageant les habitants à lire les différents scénarios non comme des professionnels mais à partir de leur grille de lecture, les intentions d’un plan deviennent plus lisibles pour eux et leur analyse à toute légitimité. En revanche, essayer de faire lire l’intentionnalité d’un plan si vous n’avez pas donné à la personne des clés de lecture, c’est presque impossible ! Et on contribue alors à placer les conseils citoyen dans une situation passive. Il y a aussi des points nodaux qu’il faut savoir aborder dans le détail pour permettre à des participants de lever des inquiétudes qui font écran au fait de se projeter dans une évolution de leur environnement. Le relogement lié aux démolitions, par exemple, est souvent un point bloquant. Mais lorsqu’on donne aux habitants les clés pour comprendre que l’ANRU axe toute une partie de son programme sur l’accompagnement des ménages dans le relogement, que les coûts sont pris en charge... alors, ce verrou levé, et il est possible d’aborder des enjeux portant aussi bien sur l’école, les commerces ou la sécurité… Ils ne sont plus dans une angoisse de la transformation, ils sont en train de regarder si ce qui est proposé correspond à des problèmes identifiés. ticulièrement ceux relevant du champ de la maîtrise d’œuvre), il faut comprendre que son point de vue va être travaillé avec d’autres parties prenantes, qu’il y aura des dissensus à surmonter et que c’est là que se situe les moments les plus riches de la collaboration. S’il y a un temps d’enseignement « technique » à prévoir, je dirais qu’il s’agit essentiellement de faire comprendre ce qu’est une opération d’aménagement, sa logique d’équilibre financier à l’œuvre pour responsabiliser la demande et la replacer dans un champ d’arbitrage. Un projet urbain n’est pas une liste de course : « je veux une piscine », « je veux une maison de santé », « je veux que des maisons » etc. car plus on fait monter les dépenses, plus il faudra trouver des recettes, c’est-à-dire des droits à bâtir. Les habitants le comprennent très bien et cela évite les effets déceptifs des retours à la réalité. FM : Comment dès lors faire véritablement évoluer la pratique du projet urbain ? Après tout, ne fait-on pas de l’urbanisme sans les habitants depuis tellement longtemps ? JDL : Je ne suis pas tout à fait d’accord. La réflexion sur la conception des villes a longtemps été « au service » du modèle de société qu’elles accueillent. Les villes médiévales traduisent une société qui a besoin de se protéger pour se développer. Le Baron Haussmann crée le Paris d’une bourgeoisie financière et commerçante, à son image. Il y a sans doute une rupture avec les Grands Ensembles où l’on s’est détaché des aspirations et modèles des personnes qui allaient y habiter au profit d’approches techniques (l’hygiène, les réseaux) ou bureaucratique (le regrouIl est donc indispensable dès le départ de conforter pement par revenu des habitants). C’est cette désinles habitants dans leur rôle, en les installant dans la carnation originelle du projet qu’il s’agit aujourd’hui bonne dynamique, le bon positionnement, en les de corriger en apportant la diversité propre à la vie aidant à construire leur légitimé pour qu’ils soient de la cité depuis son origine, et c’est pour cela qu’on force de proposition… Et ils peuvent l’être seulement a besoin des habitants. s’ils sont pleinement intégrés au processus de travail. C’est à ce titre qu’une formation des habitants Mais aujourd’hui encore, on a du mal à les écouter telle qu’elle est pratiquée à l’Ecole du Renouvelle- sur comment ses quartiers pourraient évoluer. Et ment Urbain est nécessaire. Dans ces formations, notre profession a, de ce point de vue, une réelle nous passons du temps à expliquer la bonne posture difficulté à ouvrir la conception du projet à d’autres. pour collaborer avec les autres partenaires du pro- L’architecte ou l’urbaniste qui arrive avec une idée jet et obtenir des évolutions sans pour autant impo- préconçue du projet qu’il veut faire (ce que j’ai apser ses idées, mais en faisant débattre, en portant pelé « l’inside » de l’architecte dans un ancien article à connaissance, en demandant à travailler d’autres pour le PUCA) ne va naturellement pas aller vers les hypothèses… Lorsque l’on collabore, et cela vaut habitants s’il pressent que ce parti ne correspond pas pour tous les partenaires et acteurs du projet (et par- à une attente pour eux. Il adoptera alors une position Interview Jean-Didier LAFORGUE 9 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives hostile à la participation en considérant que les habitants ne sont pas des experts habilités à s’exprimer sur les sujets touchant à la conception de l’espace, sorte de domaine réservé. Or en matière de renouvellement urbain, c’est encore trop souvent l’architecte-maître d’œuvre – au détriment de l’urbaniste - programmiste – « qui a les clés du camion » ! Et ce mauvais positionnement en amont va l’empêcher d’adopter une posture d’exploration au profit d’une posture formaliste, ce qui encore une fois risque de creuser un écart fort avec les ambitions de l’ANRU. Avec les habitants, vous avez souvent des questions comme « pourquoi vous faites ça ? ». Or si le projet a été travaillé avec les usagers, à partir de méthodes éthiques et rigoureuses, il est facile d’en parler simplement, avec leurs mots, en expliquant le sens de ce que l’on cherche à faire du lieu selon leurs préoccupations. C’est comme cela qu’on fera renaître le sentiment que les politiques publiques s’adressent vraiment à eux, car le quartier qu’ils vont habiter aura des qualités qu’ils auront contribué à porter : c’est là à mon sens, un enjeu considérable pour notre démocratie, qui dépasse le cadre du simple projet urbain. Car en règle générale, mais plus particulièrement dans ces quartiers fragiles, notre métier est avant tout social. Interview Jean-Didier LAFORGUE 10 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Patrick NORYNBERG Formateur et consultant Patrick Norynberg est consultant sur la ville, les territoires, le développement social et également enseignant et formateur. Parmi ses sujets de prédilection : la démocratie participative mais également les modes de travail collaboratifs et transversaux dans les services publics. Il a notamment participé à la rédaction de la «charte de la participation du public» auprès du Commissariat Général du Développement Durable au Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. Son parcours l’a également amené à exercer à différents niveaux d’administration en Seine-Saint-Denis. besoins des habitants. Ce travail permet de nourrir le projet dans un quartier par exemple, mais il permet aussi aux habitants de ne pas être passifs. Ils s’inscrivent dans une dynamique de travail, avec des centres d’intérêt qui convergent, pour monter en compétences et devenir des interlocuteurs crédibles Patrick Norynberg (PN) : Titulaire d’une Licence face aux différentes parties prenantes du projet. Sciences de l’Education et d’un Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales, mon intérêt pour Avec ce type de processus véritablement particil’éducation populaire m’a amené à œuvrer auprès patif, j’ai le sentiment de faire grandir les habitants des collectivités locales, notamment dans les terri- collectivement et individuellement au sens où chatoires les plus relégués en termes de politique de la cun peut prendre conscience de son environnement ville. J’étais plus précisément attaché à l’idée d’édu- – habitat, quartier, commune…, de la place et du cation populaire et mutuelle. Le terme populaire si- rôle qu’il peut y jouer. Je conçois mon implication gnifie pour le plus grand nombre, c’est son essence autour de cette relation humaine, qui est d’ailleurs même. La notion de mutualisation renvoie au pro- au centre de l’éducation populaire et mutuelle : processus d’apprentissage horizontal. Il n’y a pas les mouvoir l’émancipation individuelle et collective, en experts d’un côté et de l’autre les non-sachants : au offrant à chacun le moyen de s’autonomiser, de faire contraire, chacun peut apporter sa richesse, son sa- des choix éclairés pour soi-même et le collectif, sa ville et plus globalement la nation et le monde. Car voir, ses connaissances. nous sommes tous des citoyens du monde et il est Après avoir travaillé autour de l’inclusion des jeunes important de s’acquitter de sa conscience politique ! en amont de la conception des politiques publiques dont ils sont destinataires, j’ai occupé des fonctions Aujourd’hui, la frontière entre les citoyens et la au sein d’un service habitat-logement. Bailleur, Col- chose publique, les élus, la République, tend à s’élarlectivité, habitants… l’objectif était de mettre en gir. Or il faut donner à voir et pratiquer au quotidien place une méthode efficace pour associer ces trois l’idéal républicain et démocratique, dans la proximiacteurs majeurs à la définition des projets de réhabi- té. Faire de la participation sur des projets urbains, litation et de renouvellement urbain. C’est là que j’ai d’infrastructures, ou d’équipements, c’est une bonne pu expérimenter les processus de co-construction et occasion pour montrer que la démocratie a du sens, notamment la méthode des Ateliers de l’Avenir. Par que les élus et le service public en général écoutent, la suite, et dans mes différentes missions durant plus font progresser le collectif et améliorent le cadre de 15 années comme DGA et DG de collectivités, de vie. C’est un enjeu sociétal, au-delà du projet luicette préoccupation et ces pratiques ont toujours même sur lequel il s’agit de travailler. été centrales dans mon activité professionnelle. FM : Pouvez-vous revenir sur la démarche des AteLe principe de ces Ateliers est de mettre en avant les liers de l’Avenir, et sur leur place dans le processus François Meunier (FM) : Comment votre vocation pour la participation est-elle née ? Quels sont vos éléments de vocabulaire concernant l’implication citoyenne ? Qu’est-ce qui positionne votre pratique, vos enjeux et vos ambitions ? Interview Patrick NORYNBERG 11 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives A mon sens, l’un des maux dans nos quartiers aujourd’hui, c’est la défiance à l’égard de la chose PN : La démarche des Ateliers de l’Avenir se construit publique, des élus, des services publics… Cette déen trois phases. Tout d’abord, la phase critique. Il marche permet de pallier ce manque de confiance s’agit d’exprimer les difficultés rencontrées au quo- et produit une dynamique positive permettant la tidien. Cela passe souvent par la colère et l’objectif co-élaboration. n’est pas de la brider. Nous essayons de créer les conditions sereines de son expression et de son FM : Vous êtes régulièrement amené à conseiller écoute, de façon à ce que les choses puissent être des élus et des professionnels du service public sur dites, sans jugement ou réactions hâtives. la mise en place de ce type de démarche. Quelles sont les craintes et réticences les plus fréquentes – La deuxième phase est la phase imaginative, avec et quels arguments clefs mettez-vous en avant ? comme question de départ : « de quoi rêvez-vous pour votre quartier ? ». Cela semble simple, pourtant, Lorsque je m’adresse aux élus ou aux techniciens c’est une phase qui est souvent plus difficile pour pour parler de participation, mon principal objectif les habitants que la phase critique. Il est plus facile est de les aider à prendre conscience que le travail d’être en colère que de rêver… En revanche, c’est collectif peut nourrir et enrichir le projet. La particiune étape clef d’enrichissement collectif et mutuel pation permet de gagner du temps. Elle représente au service du projet ! un gage de réussite pour les projets. En effet, si l’on associe en amont de la conception un maximum de Enfin, la phase création et construction consiste parties prenantes dont les habitants, les choix faits à revenir au principe de réalité afin d’explorer les seront confortés. Ils seront plus proches des attentes différentes solutions qui pourraient nous amener de chacun. Les habitants auront amendé et enrichi vers l’idéal formulé, mais avec des objectifs et des le projet. La décision ne sera que meilleure si elle est moyens concrets pour y parvenir. travaillée en amont. d’élaboration des projets ? Il arrive qu’entre la phase de l’imagination et la concrétisation, le processus soit compliqué et source de conflits. Mon accompagnement consiste alors à mettre en avant les axes d’amélioration et les objets à travailler. Des choses sont toujours possibles sur les espaces extérieurs et les bâtiments publics par exemple, mais il y aussi des objets qui dépassent le cadre du projet urbain, comme les axes vie sociale et quotidienne, sur lesquelles il faut travailler... Les thématiques d’éducation et de formation, de l’emploi, des transports préoccupent entre autres fortement les habitants. Les Ateliers de l’Avenir permettent en quelque sorte « d’entrer en projet » pour pouvoir ensuite travailler véritablement sur des objets urbains et des aménagements concrets. On ressent une certaine fierté lorsqu’en en aval, lors du travail de conception, l’architecte prend connaissance d’un programme établi de manière concertée, et qu’il comprend l’intérêt du lieu, les arguments, les attentes des utilisateurs… Cela permet d’établir une confiance entre les différentes parties prenantes. En cela, la participation permet aussi de garantir le respect du projet par les habitants. En effet, lorsqu’ils sont acteurs de sa réalisation, bien souvent les choses sont davantage respectées. Nous prêtons plus d’attention à l’ouvrage quand « il y a un peu de nous dedans ». Finalement, en facilitant la mise en œuvre, la réalisation et l’exploitation du projet, la participation peut aussi être source d’économies financières importantes pour la Collectivité ou le bailleur ! Un autre apport de la participation authentique sur lequel il me semble important d’insister est celui de la valorisation de l’image du service public et des professionnels. En effet, lorsque les professionnels s’investissent dans une dynamique de projets participatifs, c’est le moyen de prouver que le service public est bel et bien au service des habitants. Ce n’est pas juste une personne « derrière un guichet ». Elle est là pour participer au projet, accompagner et faciliter la démarche. On sort alors de la simple offre de services pour entrer dans une posture d’accompagnement des projets des habitants. Cet enrichissement mutuel grâce à la transmission de connais- Interview Patrick NORYNBERG 12 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives sance permet non seulement de faire avancer dans le bon sens un projet, mais permet également de retrouver un sens et à son travail, et à la notion même de service public. Chez les professionnels comme chez les élus, il est nécessaire d’apprendre à dépasser les réticences. Passer de « je n’ai pas besoin d’aller voir des gens pour qu’ils me disent ce que je dois faire » à « je peux aussi être celui qui contribue modestement à transmettre des connaissances, à donner une vision sur un certain nombre de sujet ». Les réticences peuvent aussi être du côté des habitants qui peuvent penser que « si l’on dit quelque chose, de toute façon on ne sera pas écouté » ou « de toute façon le projet est déjà bouclé, on vient nous voir juste pour choisir la couleur de la peinture ». Elus, professionnels, habitants : il y a un véritable enjeu à apprendre à travailler autrement sur les territoires. Arrêter de faire pour, mais faire avec, au moyen d’intelligence collective. En cela, le service public doit apprendre à s’adapter aux habitants. Les habitants doivent aussi apprendre à être moins dans une posture de doléances, et se positionner plus en force de proposition. FM : Quel devrait être le rôle des élus ? Sont-ils suffisamment formés aujourd’hui pour mettre en place et assumer ce type de dispositif ? PN : Les élus ont certes une légitimité mais celleci s’altère considérablement. Il ne faut pas oublier qu’avec l’abstention croissante aux élections, cette légitimité s’acquière auprès de moins en moins de personnes ! Dans les quartiers populaires par exemple, c’est 70 à 80% des gens inscrits sur les listes électorales qui s’abstiennent ! Il faut aussi ajouter ceux qui ne peuvent pas voter… C’est pourquoi il est fondamental que l’élu écoute et se retourne régulièrement vers les habitants pendant son mandat, vérifie que ce qui a été prévu correspond bien à leurs attentes. Les démarches participatives peuvent soulever chez les élus certaines craintes, c’est pourquoi la formation est essentielle. Il est nécessaire de leur donner toutes les clés, car l’élu local est aussi le garant de la qualité du débat public sur son territoire. citoyenne. Il s’agit là de savoir-être plus que de savoir-faire, qui devrait d’ailleurs être travaillé dès le plus jeune âge, pour l’ensemble des citoyens : savoir écouter, argumenter pour défendre une idée, prendre la parole en public, créer les conditions d’un véritable échange, travailler collectivement et en coopération… Le manque d’éducation en France dans ce domaine se reflète dans la plupart des réunions de concertation que nous connaissons malheureusement tous : des chaises en rang d’oignons, le bureau d’étude, le bailleur, le maire, le powerpoint… et deux heures maximum de réunion pour présenter, faire comprendre et débattre d’un projet urbain ou d’aménagement dans sa complexité ! C’est une illusion, travailler véritablement ensemble dans ce type de configuration est impossible. La formation des élus doit également leur permettre de s’interroger sur leur posture. L’élu de la République doit avoir un comportement exemplaire. Certains élus ont la volonté sincère d’aller vers les habitants, mais leur comportement va créer de la défiance. Arriver en retard à des réunions que l’on a soi-même convoquées, partir avant la fin, ou encore lever les yeux au ciel quand une question est posée… sont autant de comportements souvent inconscients mais qui rendent très difficile le dialogue et la co-élaboration saine sur le projet ! C’est pourquoi dans les formations que j’anime avec des élus, le jeu de rôle est une méthode efficace, pour prendre conscience de cet enjeu : attention, ce sont des personnes sensibles que vous avez à côté de vous. Ce que vous dites compte, mais vos attitudes, postures et comportements ont autant d’importance. FM : Que pensez-vous du sujet de la représentativité des groupes habitants ? Faut-il d’après vous, élargir l’assiette des participants ? Que pensez-vous des moyens du numérique dans ce processus de projet ? PN : La représentativité se joue à l’échelle d’un territoire quand toutes les catégories de population - les jeunes et les moins jeunes, ceux qui sont là depuis dix ans, ceux qui sont arrivés il y a six mois - sont représentées… Je trouve que le tirage au sort - qui fait loi aujourd’hui pour les conseils citoyens - est un système qui a du sens lorsqu’il est bien organisé, par exemple à partir du fichier du bailleur ou de La Poste Je pense que le premier niveau de formation est ce- et non pas des listes électorales. On observe d’aillui d’une acculturation générale de la participation leurs que 60% de ceux qui sont tirés au sort acceptent Interview Patrick NORYNBERG 13 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives de jouer le jeu et se sentent valorisés ! La plupart du temps, ce sont des gens qui n’auraient jamais fait la démarche de s’impliquer par eux-mêmes. Ce constat montre aussi que même si on ne s’implique pas toujours concrètement dans son quartier, pour de multiples raisons, nous ne sommes pas moins intéressés par ce qui s’y passe. Pour toucher une population différente, que l’on ne voit jamais et que j’appelle les « invisibles », la multiplication des outils peut être une solution, notamment en s’appuyant sur le numérique. Néanmoins, je m’inscris en faux contre ceux qui pense que la participation va se développer uniquement grâce au numérique. Lorsque l’on regarde bien, ce sont principalement les CSP + qui s’emparent de ce type d’outils. C’est le cadre qui travaille, qui ne peut venir à une réunion à 19h. Mais de chez lui ou sur son smartphone, il peut répondre à un questionnaire en ligne, laisser son avis sur un forum... Cela ne concerne qu’une catégorie de personnes. Si le numérique s’inscrit dans une panoplie d’outils que l’on mobilise pour faciliter la participation du plus grand nombre, il ne faut bien sûr, pas s’en priver. Mais à mon sens, c’est loin d’être la panacée. Plus que de représentativité, je préfère parler de diversité des publics à prendre part au débat. Par exemple dans un projet urbain, il est intéressant que les enfants et les jeunes nous disent comment ils imaginent leur futur quartier, mais aussi les personnes âgées, parce que selon son âge et sa situation, les usages sont vécus différemment. C’est cette diversité qu’il faut toujours rechercher. Lors des formations pour les élus, la question du nombre de participants revient souvent : « Comment faire pour que cela fonctionne si ce sont toujours les mêmes ? » Il y a là aussi un enjeu de méthode. Souvent je propose d’aller vers les gens plutôt que de leur demander de venir à eux ! Il faut de plus en plus travailler de manière itinérante, aller là où les gens sont déjà réunis par exemple, les espaces d’accueil des équipements publics… Pour doubler le nombre de participants, il est facile pour chacun de venir avec quelqu’un d’autre la prochaine fois. Les enfants, le mari, l’épouse, un voisin, une voisine, un ami. C’est à la portée de tout le monde de convaincre un voisin de palier. C’est cette chose-là qu’il faut réapprendre à faire : le lien de proximité. FM : Depuis 2017, vous êtes garant inscrit sur la liste nationale de la Commission Nationale du Débat Public. Pouvez-vous nous expliquer ce rôle ? La Commission Nationale du Débat Public a lancé depuis trois ans un important travail pour élargir ses missions. Aujourd’hui, elles consistent, à l’occasion de projets qui ont des dimensions environnementales, à organiser en amont des débats publics et des concertations préalables. Pour cela il y a un vivier de garants, qui sont à disposition des maîtres d’ouvrage publics ou privés. Ils peuvent être sollicités pour jouer un rôle de tiers, garants de la bonne conduite d’un débat public sur un projet. L’idée est d’éviter des crispations et de travailler sur la bonne compréhension du sujet par les habitants, leur permettre d’avoir tous les éléments de connaissance sur le projet et ses impacts. La mission du garant, c’est de « donner la parole et la faire entendre ». Il doit être force de proposition en termes de méthode de débat. Nous ne portons pas d’avis sur les projets : ce qui nous importe, c’est de veiller à ce que tous les éléments du projet soient donnés, débattus, transparents, de façon que les habitants impactés aient toute la matière pour se faire une opinion. Il y a de nombreux acteurs qui ont des connaissances spécifiques sur le territoire. L’enjeu est que tout le monde puisse avoir cette information, et éviter les phénomènes de rétention d’information. Le processus va dans le bon sens. Pas de démocratie sans partage d’information ! Partager l’information c’est le b.a-ba de la démocratie. Les garants veillent en permanence à ce que les différentes parties prenantes, les habitants et leurs associations en particulier, aient tous les éléments en main sur le projet pour pouvoir se faire une opinion et faire un choix éclairé. C’est aussi cela une dynamique d’éducation populaire et mutuelle ! Patrick Norynberg est auteur de plusieurs ouvrages : ↘ « Faire la ville autrement ». 2e édition revue et augmentée, 170 pages, éditions Yves Michel. Mars 2011 ↘ « Ville, démocratie, citoyenneté : expérience du pouvoir partagé ». 249 pages, éditions Yves Michel. Mars 2011 ↘ « Une nouvelle ambition pour la démocratie participative ». 133 pages, éditions Yves Michel. Octobre 2014 Interview Patrick NORYNBERG 14 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Conditions et apports d’un véritable processus de coproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly Cet article se propose de présenter le processus de co-élaboration de la programmation d’un projet d’aménagement dans lequel les habitants ont joué un rôle déterminant. Il rend compte du processus, des conditions qui l’ont favorisé et de ses principaux apports et enseignements. Par Barbara Allen (Psychosociologue, Le Sens Urbain), Jean-Didier Laforgue (Architecte Urbaniste, Agence JDL) Les raisons d’un processus spécifique des conditions de vie de ceux qui y habitaient ou résidaient autour. Les Carrières à Orly, « un secteur » par défaut à un Ce secteur a la particularité de se situer aujourd’hui moment charnière de son histoire à l’interface de plusieurs zones à enjeux importants Les Carrières constituent un secteur particulier d’Or- qui se déploient à différentes échelles : à la fois mély, entre son centre historique, la zone industrielle du tropolitaine, avec notamment la connexion attenSENIA et l‘aéroport. Les habitants les plus anciens due de la ligne 14 du métro et du RER C au niveau qui y habitent ou résident dans sa proximité immé- de la gare Orly-Rungis, et locale, avec de nombreux diate gardent le souvenir d’une zone champêtre, secteurs mutables d’ores et déjà à l’étude pour rétacampagnarde. Celle-ci s’est progressivement trans- blir une continuité urbaine qui fait aujourd’hui cruelformée en un « non-lieu », ni quartier résidentiel, lement défaut dans la ville d’Orly. ni zone d’activités. Un ensemble hétéroclite d’entrepôts, d’activités et de maisons posées au milieu. Un secteur dont le diagnostic montrera qu’il a été progressivement sacrifié à une pratique d’aménagement sans cohérence et sans soucis de la qualité Localisation du secteur Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 15 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Dans ce contexte de zone en pleine mutation, deux Conflits d’usages entre les fonctions résidentielles et les activités, nuisances subies, problèmes de circuladestins étaient possibles pour ce secteur : tion ou encore dangerosité des déplacements pour - soit, « un devenir par défaut », sans projet spéci- les riverains… le diagnostic produit par le groupe fique, conservant ainsi son statut de « non-lieu », d’habitants est unanimement partagé avec la maîzone résiduelle à l‘intersection de l’aménagement trise d’ouvrage. Pourtant, la tension – voire l’agressivité de certains participants - est palpable lors des de différents secteurs ; premiers ateliers. - soit « un devenir propre », à l’articulation de différents projets à forts potentiels, envisagés comme La suspicion (il y a forcément un « projet caché ») et autant d’éléments constitutifs d’une identité future, la crainte de la manipulation (nous ne serons jamais assumée et valorisante, pour le secteur des Car- vraiment écoutés) semblent alors insurmontables, faisant obstacle à toute tentative de dialogue – y rières. compris sur les conditions de la démarche de co-proUne démarche portée par une maîtrise d’ouvrage duction elle-même ! Progressivement, les raisons de la perte de confiance des habitants envers la Collectiaux intérêts convergents vité et de la suspicion ambiante vont être formulées Mise en cohérence entre les stratégies d’aménage- : installation d’entrepôts générateurs de nuisances ment métropolitaines et locales, recherche d’une importantes, détérioration des conditions d’habitat, véritable qualité urbaine, mais également volonté gestion urbaine a minima ont engendré plusieurs d’implication des habitants dans l’élaboration du années de conflit entre l’association d’habitants qui projet urbain… dès le départ, l’EPA-ORSA, établisse- s’était constituée et l’ancienne municipalité. ment public d’aménagement en charge de l’opération d’intérêt national Orly Rungis-Seine Amont, et Toutes ces difficultés ont généré un repli massif des la ville d’Orly ont affiché des ambitions communes habitants sur la maison que chacun occupe et son jardin, seul lieu « habitable » dans un contexte où pour l’aménagement des Carrières. toutes les échelles socio spatiales proches dysfoncPour l’EPA-ORSA, ce projet devait notamment per- tionnent (zone elle-même et son environnement mettre de préparer les mutations territoriales de coté SENIA et gare RER, le centre-ville d’Orly qui a grandes échelles prévues dans cette zone, en en- perdu presque tous ses commerces.) Plus loin, de clenchant sur ce secteur un processus vertueux de l’autre côté de la voie ferrée qui coupe la ville en deux, l’ex « grand ensemble » est associé à l’arrivée production d’une véritable qualité urbaine. massive d’une population d’origine étrangère, et à La ville d’Orly cherchait quant à elle à poser un acte une perte d’identité de la ville « d’avant ». Des expéfort qui contribue à son changement d’image et lui riences antérieures de participation ont été vécues confère une véritable attractivité, tout en contri- comme une immense tromperie par les habitants. buant à l’enjeu de production et de diversification de Une charte d’engagements pour relancer sur de l’offre de logements sur son territoire. nouvelles bases le dialogue avec les habitants Une première phase difficile (juin à décembre Le sentiment d’impuissance est grand. Puis, une 2013) De la violence à la confiance réparée Malgré des conditions favorables à la mise en place d’un processus de co-élaboration du projet, une défiance très forte des habitants envers la puissance publique va s’exprimer de manière ouverte, dès la réunion publique de lancement et de présentation de la méthode de travail proposée. idée va progressivement faire son chemin, celle d’une « charte d’engagements » pris par la maîtrise d’ouvrage (Ville et EPA ORSA) vis-à-vis des habitants. Cette charte est présentée et discutée avec les habitants avant qu’un exemplaire ne leur soit remis lors de la dernière réunion publique. Cette charte reconnait les attentes des habitants et acte leur légitimité. Elle constitue en quelque sorte une forme de réparation par rapport au passé. La garantie que Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 16 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives tout projet à venir devra respecter ces engagements En effet, l’enseignement sans doute le plus imporcrée enfin un espace dans lequel une collaboration tant de cette première phase est qu’une fois rassurés pour préparer l’avenir sera possible. sur ce qui était fondamental pour eux, les habitants ont changé de posture et leurs apports à la seconde phase de construction d’un projet partagé ont été décisifs. Extrait charte d’engagements Phase 2 : la construction d’un projet partagé « ville-nature », renouant avec l’histoire du quartier et avec l’environnement immédiat très valorisé du qui fasse sens (décembre 2014-juin 2015) coteau et du parc Méliès. Des engagements à l’émergence d’une identité Trois scénarios ont ainsi été élaborés par l’équipe d’AMO. partagée, le travail de scénarisation Pour l’essentiel, la charte des engagements a permis de formaliser et de valider la prise en compte dans le projet des principaux problèmes rencontrés par les habitants du secteur des Carrières et de ses abords, et de garantir le respect de ce qui constituait les conditions fondamentales de leur habiter. Partant de ce socle d’invariants, la ville, l’EPA ORSA et l’AMO se sont ensuite livrés à un travail de scénarisation, consistant à spatialiser de manière différenciée les engagements programmatiques et spatiaux, et à décliner pour chacun une forme particulière de Outre le respect des huit engagements issus de la première phase de travail participatif, ces scénarios prennent tous en charge les mêmes invariants validés par la maîtrise d’ouvrage, comme par exemple : le nombre de logements visé (550), et la volonté de proposer une variété de type de bâti (individuel sur sa parcelle, individuel en bande, individuel dense ou habitat intermédiaire, petit collectif, moyen collectif) ; la recherche d’un nouveau réseau viaire qui Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 17 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives permette de bien desservir le quartier tout en évitant les raccourcis générateurs d’insécurité ; le maintien d’une certaine mixité fonctionnelle, incluant notamment la disparition des activités nuisantes mais la conservation de celles qui ne posent pas problème. En revanche, les scénarios se différencient sur un certain nombre de questions qui concernent principalement l’importance respective des espaces privés et de l’espace public, l’organisation du réseau viaire, ou encore la répartition par sous-secteurs des différents types de bâtis envisagés. Point essentiel pour la conduite de la démarche de co-production, les trois scénarios ont été validés par la maîtrise d’ouvrage avant d’être mis en débat avec les habitants, permettant ainsi d’ouvrir un véritable espace de liberté et de négociation avec les habitants légitimés à co-produire à partir de marges de manœuvre clairement identifiées. riche possible en contenu et éviter l’écueil d’une focalisation formelle sur l’un ou l’autre des scénarios, une grille d’analyse multi-critères a par ailleurs été mise au point par l’AMO et proposée aux habitants. Cet outil sera présenté aux habitants, amendé et complété avec eux. Il va leur permettre d’analyser, individuellement ou en groupe, chacun des scénarios : il donne à la fois des clés de lecture des plans, des éléments de continuité dans le travail du groupe et une légitimité d’analyse du lieu des intentions programmatiques consensuelles portées par le groupe. Ces analyses seront présentées et débattues avec l’ensemble du groupe. Un scénario de synthèse comme aboutissement de la démarche Au terme de ce processus, c’est finalement un quatrième scénario qui va émerger : un « scénario de synthèse », nourri des propositions et des critiques des participants. Ce scénario respecte les invariants mis au point avec la maîtrise d’ouvrage tout en proUn outil partagé pour permettre aux habitants posant une perspective appréciable dans laquelle d’analyser et de comparer les scénarios chacun peut trouver des qualités suffisantes pour que certains a priori de départ soient définitivement Afin de rendre cette phase de co-production la plus dépassés. Exemple de restitution d’analyse critique d’un des trois scénarios par les habitants - Zoomer pour afficher le texte en plus grand Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 18 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Le nombre de logements envisagé est sans commune mesure avec les positions d’origine des uns et des autres. La pluralité des typologies, des statuts d’occupation variés constitue également une résultante du processus. Dans le débat actuel sur la densification, il semble intéressant de souligner l’apport d’une forme urbaine respectueuse du passé et porteuse d’avenir, produite collectivement. Cela a permis d’aboutir à une proposition qui apparaît accueillante aux habitants, respectueuse de leur environnement, et porteuse d’une plus grande richesse de pratiques, s’étageant progressivement des espaces publics aux espaces privés. La dernière réunion publique permettra de présenter et valider ce scénario. Un document sera alors remis à l’ensemble des habitants dans lequel outre le scénario de synthèse, figurera l’engagement de la maîtrise d’ouvrage à répondre à la demande des habitants d’être d’associés aux phases ultérieures du projet, notamment en matière de conception architecturale. Scénario de synthèse Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 19 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Les apports Le passage d’une préservation défensive à la vision d’un quartier de ville pour tous L’évolution des arguments mobilisés par les habitants durant cette seconde phase est tout à fait notable. Tout d’abord, une pluralité de points de vue reflétant une histoire toujours singulière aux lieux, des pratiques variées et des perceptions différenciées en fonction du lieu d’habitat des participants ont pu être exprimées et débattues. Les participants ont fait nombre de critiques et de propositions nécessaires et très utiles concernant les circulations, les stationnements, etc. mais ils ont surtout œuvré à la constitution d’un quartier de ville pour tous. les exemples de dispositifs purement formels sont nombreux. La participation, en particulier la coproduction, ne se décrète pas, elle se construit. On tend à systématiquement occulter que la participation des habitants – usagers s’inscrit dans un ensemble d’interactions : les contextes politiques et institutionnels, les formes de relations qui existent entre les différentes organisations qui participent à un projet, les relations au sein de mêmes organisations. La participation de type « co-élaboration » ne peut réellement advenir que si la maîtrise d’ouvrage est absolument convaincue de son utilité, de sa pertinence, de sa légitimité et s’engage résolument dans le processus du début à la fin. Il s’agit pour la maîtrise d’ouvrage d’un processus exigeant en temps, en disBien loin des positions défensives exprimées dans ponibilité, en capacité à admettre l’incertitude. une première période, ils ont opté pour un quartier que certains habiteraient, d’autres pratiqueraient A Orly, on peut réellement évoquer la co-construcpour le plaisir de le traverser, de la déambulation, de tion, dans la mesure où les contenus, les visées, les arbitrages se sont construits dans une itération l’usage des espaces publics crées. Ils ont ainsi : continue au sein de la maîtrise d’ouvrage et avec les privilégié une organisation faisant la part habitants sans que l’on puisse distinguer un moment belle à des circulations de qualité, des micro espaces d’élaboration et un moment de décision. publics et d’autres plus importants ; plébiscité une organisation des construc- La volonté de la maîtrise d’ouvrage de permettre à tions sur chacune des parcelles qui permette à tous ce processus de se déployer, la conviction de la léles nouveaux habitants de disposer de vues qualita- gitimité des habitants à y participer, les relations de travail continues au sein de la maîtrise d’ouvrage, tives ; souhaité que les jardins privés s’ouvrent sur et le dispositif mis en place constituent les compol’espace public et le qualifient afin que le promeneur santes fondamentales du cadre à l’intérieur duquel puisse profiter au moins visuellement d’ambiances un espace de liberté a pu réellement se déployer. Il nous semble que les principales composantes qui paysagères de qualité ; fortement défendu la perspective d’am- ont permis à cet espace de se déployer résident dans biances urbaines différenciées au sein du quartier : et exprimé le souhait que l’architecture contribue à la reconnaissance pleine et entière du droit cette différenciation. des habitants et des riverains à souhaiter protéger, préserver la manière dont « ils s’étaient arrangés » Quelques enseignements sur la participation d’un environnement très défavorable en « effaçant Quelques enseignements intéressants peuvent être le monde extérieur » et en investissant massivement retirés de ce processus concernant la participation et leur maison et leur jardin ; la proposition de trois scénarios validés par les conditions d’une réelle co-élaboration. la maîtrise d’ouvrage avant l’engagement de la seLa participation, son obligation légale désigne le conde phase qui a permis une liberté totale dans l’ souci d’impliquer la société civile dans le devenir analyse, la critique, la déconstruction, la reconstrucde son environnement, de sa ville. Mais l’obliga- tion. tion, l’injonction à la participation ne constituent en aucun cas une garantie d’une telle implication et Le second principe directeur de la méthode propo- Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 20 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives sée aux habitants a été de ne pas choisir, de ne pas opposer les scénarios les uns aux autres mais de les analyser pour eux-mêmes avec leurs forces et leurs faiblesses : il s’agissait de chercher à identifier apports et faiblesses en se projetant, en imaginant le fonctionnement du type d’espaces créés, les pratiques différenciées qu’ils allaient induire pour eux et pour de nouveaux venus. Article Conditions et apports d’un véritable processus de corproduction avec les habitants Le chemin des Carrières à Orly 21 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Gwenaëlle d’Aboville Fondatrice de Ville Ouverte Gwenaëlle d’Aboville est associée-fondatrice de l’agence Ville Ouverte, lauréate du palmarès des jeunes urbanistes de 2016. Assistante à Maître d’Ouvrage, programmiste et urbaniste, elle défend avec conviction la place de l’habitant-usager dans l’élaboration des projets urbains. François Meunier (FM) : Quelle définition donnez-vous à la démarche participative ? Comment qualifierez-vous votre rôle en tant que « professionnelle de la concertation » ? n’avait pas imaginé avant. Parfois mes intuitions de départ vont être confirmées et d’autres fois elles seront contredites. Cela me motive d’autant plus que nous travaillons dans un champ qui est celui de l’urbanisme : un champ tellement complexe, avec tant Gwenaëlle d’Aboville (Gd’A) : Nous travaillons sur de voies possibles que je ne comprends pas qu’on deux types de démarches participatives. La pre- puisse défendre des positions « vraies », contre mière se dirige spécifiquement vers les habitants et celles de l’autre qui elles, seraient fausses. les usagers au sens large, c’est-à-dire tous ceux qui sont amenés à pratiquer un territoire. La deuxième En tant qu’experte de la concertation, je ne suis pas s’adresse à ceux qu’on a coutume d’appeler les ac- en mesure de prédire ce que les habitants vont dire, teurs, c’est-à-dire ceux qui en plus de la maîtrise ou « ce qui va sortir de tel atelier ou de telle réunion ». d’ouvrage, sont associés plus ou moins directement Souvent, les services ou les élus posent la question. aux décisions. En premier lieu les partenaires insti- Mais je suis incapable de leur répondre, car une fois tutionnels, mais également et de plus en plus, dif- sur deux les habitants me disent exactement ce à férents représentants de la société civile : commer- quoi je ne m’attends pas… et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je trouve ce métier passionçants, entreprises, etc. nant ! A mon sens, ce qui va définir le caractère vraiment participatif d’une démarche, c’est la réelle volonté Selon moi, le bon positionnement à adopter pour « de faire ensemble. Quels qu’en soient les destina- l’expert en concertation » est semblable à celui du taires, c’est donc avant tout une question de mé- professeur face à la révolution numérique en cours thode d’élaboration de projet. S’il n’y a pas cette dans le champ de l’éducation… Avant, le professeur était celui qui avait la connaissance et qui la transambition, alors pour moi c’est de l’affichage. mettait à ses élèves. Aujourd’hui, l’ensemble de la Je suis d’ailleurs souvent stupéfaite par le fait que classe a directement accès à la connaissance : le même quand cette volonté est clairement posée, professeur doit davantage apprendre à médiatiser on a énormément de mal à tirer les conséquences cette connaissance, apprendre à la situer, l’analyser de cette ambition-là. On continue à préparer entiè- de manière critique mais aussi la mettre en perspecrement des workshops, et dont les conclusions sont tive avec d’autres connaissances… De manière semdéjà connues au lancement de la démarche… Alors blable en concertation, nous ne sommes pas là parce que par définition, si il y démarche participative, que nous savons ce que pense l’habitant, ou parce c’est qu’on a besoin d’être ensemble pour avancer. que nous connaissons ce que le Maire, l’architecte C’est qu’on est prêt à entendre l’autre pour être sur- ou le technicien ne sait pas. Nous sommes là parce que nous sommes capables d’aller chercher une papris voire parfois dépassé par ce qu’il va nous dire. role et de l’entendre, de rassembler des éléments de Cela nous amène à remettre en question nos pos- discours différents, de prendre du recul par rapport tures professionnelles, car nous pouvons avoir le à une parole donnée, mais aussi de faire en sorte que sentiment de ne pas faire notre travail si nous ne cette parole soit prise en compte en la convoquant sommes pas capables de proposer aux habitants de au bon moment puis en la resituant intelligemment faire un choix entre deux ou trois options… Mais ce dans le processus de projet. n’est justement pas de la participation ! Au contraire ce que je trouve intéressant dans la démarche par- Ce changement de posture est aussi valable pour un ticipative, c’est d’aboutir à quelque chose que l’on directeur de service dans une Collectivité. Avant, un Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE 22 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives directeur d’espace public par exemple, c’était une personne qui maîtrisait un ensemble de compétences techniques, comme la largeur d’une chaussée, ou encore le type d’enrobé et de mobiliers qui correspond aux usages attendus… Aujourd’hui, c’est quelqu’un qui doit aussi être capable d’écouter un conseil de quartier, ou d’aller sur une application collaborative, et de prendre en compte les paroles et attentes des usagers et de leurs différentes pratiques sur un espace public. pensable si nous voulons que les habitants s’impliquent vraiment dans la démarche, au-delà du simple diagnostic ! Prendre la peine de nommer précisément ce pour quoi on travaille permet aussi de mettre à jour les contradictions entre les différents usagers et acteurs du projet. C’est à mon sens un autre aspect très fort de la participation. Les intérêts autour d’un même projet sont souvent très différents, voire divergents. Il faut lever les malentendus et sortir d’une vision FM : Quelles sont vos méthodes, sur quoi et com- édulcorée du projet qui chercherait à mettre tout ment travaillez-vous pour mener à bien une dé- le monde d’accord. Et le seul moyen de pointer ces contradictions et de les arbitrer, c’est de les formuler marche participative ? clairement et donc d’être lisible sur les objectifs atGd’A : Dans le cadre d’une démarche participative, tendus au départ. la première chose sur laquelle nous allons travailler c’est sur le « quoi », c’est-à-dire sur ce qu’il y a en Et cela passe nécessairement par de la transparence commun, au milieu de la table. Ce n’est pas forcé- vis-à-vis des participants, et faire comprendre les ment évident à définir. Au démarrage d’une mission, marges de manœuvre dont ils disposent d’un côté, cela arrive souvent qu’un habitant demande : « pour- et les priorités et prérogatives de ceux qui vont porquoi faire un projet ? » nous devons alors collective- ter et financer le projet de l’autre. Ce projet a un budment essayer de comprendre, et de parler de ce que get et des contraintes opérationnelles… L’informal’on voit. Il faut pour cela réussir à déconstruire les tion doit être partagée et donc être mise sur la table automatismes, et ils sont très nombreux en urba- au lancement de la démarche. nisme, et aller au-delà des premières justifications qui nous paraissent évidentes. Je trouve que c’est là En termes de méthode, nous cherchons avant tout à une des richesses et un des leviers les plus puissants nous adapter à chaque mission. Mais nos premières de transformation que permet la participation ! investigations vont toujours porter sur les qualités du site. C’est une étape importante car avant A partir de là, nous travaillons ensuite sur le pour d’aborder un projet, il est essentiel de connaître ce quoi : « quels sont les objectifs de notre action ? ». qui fait adhésion, appropriation, représentation et Dans certains cas peut-être, la motivation peut être aménité du lieu. Cette phase nous permet d’entrer purement politique : un Maire par exemple veut en- dans l’épaisseur du site, en créant par la même ocgager une action en direction d’une population ou casion un vocabulaire commun avec les habitants. d’un quartier spécifique, sans qu’il y ait vraiment de C’est aussi comme cela que nous allons fonder notre besoin exprimé à la base. Mais souvent, le projet se légitimité et la confiance que les participants nous justifie par des objectifs de fond, liés par exemple au accorderons par la suite. désenclavement ou à la redynamisation … Cette méthode nous permet d’éviter un bon nombre Derrière ces concepts généraux, il est nécessaire de d’erreurs... C’est la garantie de s’accrocher à des revenir aux fondamentaux du projet pour se poser fonctionnements existants, parce qu’il me semble la question de ce qui est réellement attendu par les qu’en urbanisme lorsque l’on part de rien, lorsque habitants et les usagers. Par exemple sur un projet l’on se contente de décréter, l’objectif est souvent d’espace public, l’objectif « rénover la place » ne raté. va pas nécessairement parler aux habitants. En revanche, en approfondissement le sujet avec eux, en FM : Quelles sont les grandes situations d’exercice cherchant à comprendre concrètement ce qui est dans lesquelles vous êtes amenés à mettre en œuvre inconfortable ou dangereux quand on est un piéton la participation ? Et parmi elles, y-a-t-il selon vous par exemple, le projet va prendre sens. C’est indis- une situation plus adaptée à la démarche participa- Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE 23 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives tive – notamment dans l’articulation de l’étape pro- une certaine confusion sur la nature de la démarche, grammation et de l’étape conception ? et plus précisément sur le degré de participation réellement attendu des habitants. Partagez-vous ce Gd’A : Nos commanditaires sont assez variés : des constat et y-a-t-il des prérequis minimum pour enCollectivités, mais aussi des bailleurs sociaux, et nos gager une démarche de participation ? échelles d’intervention vont de la planification aux études de conception, en passant bien sûr par les Gd’A : Cette confusion entre les différents degrés études urbaines et de programmation. Nous avons de démarches participatives est tangible, mais loin aussi eu l’occasion de travailler pour quelques pro- de me décourager, cette confusion me stimule. Je moteurs dans le cadre d’appels à projets urbains pense que le seul moyen de lever le malentendu et innovants, mais à mon sens ce sont des cadres de de faire avancer la cause de la participation, c’est commande qui ne sont pas tout à fait adaptés pour indéniablement de faire la démonstration d’une défaire de la vraie concertation, car les marges de marche participative qui produit réellement quelque manœuvre sont assez limitées... chose de différent, avec à la clef un projet qui ait du sens. C’est même notre responsabilité en tant que Il y a quelques années j’aurais dit que la program- professionnel ! Autrement dit, les processus que mation était l’étape idéale, voire la seule étape qui nous mettons en place doivent en permanence faire vaille, pour concerter. Cette étape interroge la voca- la preuve de ce qu’ils sont … Car il n’y a aucun autre tion du projet, la nature des usages, des pratiques… moyen de convaincre un élu, un directeur de l’urbac’est par essence le moment où l’on peut vraiment nisme, ou même un habitant de la valeur de la partiouvrir le champ des possibles et réfléchir sur ce qui cipation dans le projet urbain. sera mis en commun dans le projet. Par définition, un projet entré en phase conception ne présente Et pour cela, il faut aussi pouvoir identifier a posplus les mêmes marges de manœuvre pour concer- teriori ce que la concertation a apporté au projet, ter : sur la base du programme, c’est au tour du c’est-à-dire ce en quoi le travail avec les habitants concepteur, qu’il soit architecte, urbaniste ou paysa- a conforté, ou au contraire contredit, les intentions giste, d’apporter sa vision du site, et son « parti pris programmatiques et spatiales initiales du projet. » pour le projet… Or, j’ai parfois l’impression qu’une fois que les habitants ont été consultés, on ne s’intéresse pas assez D’une certaine manière, je continue à le penser, mais aux résultats et aux impacts concrets apportés par mon positionnement a évolué. En travaillant sur des la démarche… Voire qu’on ne les assume pas, car ces projets déjà entrés en phase conception, je me suis résultats vont sembler de prime abord trop mineurs, rendu compte que les marges de manœuvre étaient ou trop subtils ! certes, réduites – particulièrement quand le projet a été sélectionné à l’issue d’un concours. Toutefois, C’est en ce sens que je parle souvent de délicatesse : la concertation peut apporter une vraie valeur ajou- la concertation vient apporter de la délicatesse dans tée au projet. A condition que la démarche soit bien les projets ! La place de la République aurait quand organisée, avec un discours honnête vis-à-vis des même été la place de la République, même s’il n’y habitants sur les marges de manœuvre et les adap- avait pas eu de concertation. Mais c’est plus délitations encore possibles. C’est ce qui s’est passé par cat, de faire en sorte que les personnes à mobilité exemple pour la place de la République à Paris. Les réduite puissent traverser la place, ou d’avoir pensé habitants ont pu faire valoir leur vision d’un espace aux enfants qui allaient venir jouer au ballon… Je dis public de qualité, praticable au quotidien par tous, souvent « nommons ce que change la concertation avec des propositions concrètes qui ont été prises ». Ce sont parfois des petites choses, mais des peen compte par l’équipe de concepteurs. Ce sont ces tites choses qui comptent ! petites choses qui font la réussite de la place aujourd’hui ! L’un des prérequis pour mener à bien une mission, c’est que le commanditaire ait envie de faire de la FM : Animation, information, communication terri- participation. Pour de bonnes ou pour de mauvaises toriale… Les maîtres d’ouvrage entretiennent parfois raisons, peu importe … Car s’il n’y a pas un peu de Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE 24 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives volonté, ou à minima de curiosité politique au démarrage, cela ne mènera nulle part. L’autre condition pour moi c’est d’avoir du temps, en amont. Une bonne préparation peut permettre de gagner du temps par la suite. La concertation ne ralentit pas beaucoup le processus de projet quand il est bien lancé. Mais il y a une première phase d’immersion, d’observation sur le terrain et de discussion avec les gens, qui elle est incompressible. Interview Gwenaëlle d’ABOVILLE 25 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Alain RENK Architecte-Urbaniste, Fondateur du réseau 7 milliards d’urbanistes Alain Renk est architecte urbaniste, programmiste urbain et architectural, cofondateur du réseau 7 Milliards d’Urbanistes et du laboratoire de recherche indépendant HOST. Ses recherches et projets sont liés à l’intelligence collective, aux villes contributives et aux communs. En créant ses méthodes et logiciels « Unlimited Cities » en 2010, le HOST lab a été l’un des acteurs pionniers de la création et de la mise en œuvre de dispositifs d’intelligence collective visuelle pour les projets urbains et architecturaux. Suite aux partenariats avec ONU-Habitat et la FREE IT foundation de Genève, les différents dispositifs “Unlimited Cities” sont déployés par des collectivités locales, des concepteurs, des associations citoyennes et des chercheurs sur les quatre continents. François Meunier : Pouvez-vous revenir sur la notion communication horizontale et d’un accès de tous à de Civic Tech, et la déclinaison qui en est faite via la connaissance, la culture de base est de définir les protocoles de contribution et de partage de cette HOST et 7 milliards d’urbanistes ? connaissance. Il me semble qu’à l’inverse, ce sont Alain Renk (AR) : Les Civics Tech sont des organi- des notions nouvelles pour la fabrique urbaine, où sations qui développent des plateformes technolo- les acteurs professionnels commencent seulement giques dans le but louable et bien difficile “d’amélio- à identifier que la communication envers la société rer la démocratie”. La naïveté qu’on prête aux Civics civile n’est pas seulement de la participation ou du Tech, à savoir une fascination pour des technologies collaboratif, et que les ambiguïtés sur les règles du plus que pour la complexité humaine, est surtout le jeu à ce sujet, avec les manques de transparences fait de personnes qui ne les ont pas rencontrés. Car qui les accompagnent, éloignent la possibilité de le point de départ de tous est d’aider cette complexi- construire la confiance. Cette confiance à construire té humaine à mieux fonctionner. L’expression Civics est-elle ressentie comme un enjeu, ou est-il possible Tech est liée au mouvement de l’Open Gouv, litté- de s’en passer en augmentant la communication, les ralement « gouvernement ouvert ». Elle désigne à projets temporaires et les procédures contre les rel’origine un ensemble de technologies visant à aider cours ? Suivant les cultures des autorités politiques la puissance publique à être plus collaborative et à et des concepteurs, suivant les pays, différentes posaugmenter ainsi la capacité des citoyens à interagir tures sont encore possibles. avec la sphère politique. Par exemple en permettant aux citoyens de participer à la co-conception des François Meunier : Plus largement, pouvez-vous exlois à grande échelle, ce qui nécessite la création de pliquer en quoi la ville est un lieu d’expériences ou un démonstrateur intéressant pour la sphère Civics plateformes spécifiques. Tech ? Utiliser la notion de Civics Tech dans le domaine de la ville correspond donc une extension par rapport à AR : Ce sont probablement plus les Civics Tech qui l’origine du concept. Est-ce utile ? Au sein du labora- sont intéressantes pour les hommes politiques et toire Host, nous cherchons depuis 2007 à créer des les professionnels de l’urbain que le contraire. Nous moyens de faire interagir la société civile, les auto- avons commencé à développer le concept d’urbarités politiques et les techniciens sur d’autres bases nisme collaboratif et non participatif avant que le que les concertations légales. Et de fait, le besoin terme soit diffusé, mais nous partageons avec ce de construire la confiance à partir de règles du jeu monde des convictions et modes d’action. claires et transparentes est davantage présent dans le monde des Civics Tech que dans celui des transfor- Par exemple nous pensons que la théorie et l’action mations urbaines. Les Civics Tech perpétuent en ef- doivent s’enrichir sur des cycles courts tout en resfet l’utopie initiale d’un numérique au service d’une tant constant sur nos objectifs. C’est-à-dire que d’un Interview Alain RENK 26 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives côté nous testons, nous évaluons et nous amélio- ger la co-imagination du projet avec de jeunes archirons nos dispositifs de façon contributive. De l’autre, tectes. nous répondons à des appels à recherche pluridisciplinaires sur des cycles de trois ans. FM : La transformation de l’espace urbain apparait comme un élément de contextualisation très fort et La rapidité des tests des prototypes mis en regard très concret pour stimuler les échanges. d’analyses critiques de chercheurs permet de stabiliser des versions de nos dispositifs pour pouvoir AR : C’est effectivement une grande force et c’est ce les partager quand ils sont opérationnels. C’est le ressort que nous utilisons à travers le principe d’incas pour la famille de dispositifs “Unlimited Cities”. telligence collective visuelle. Les variations en grand Notre objectif reste de chercher de nouvelles pistes nombre d’un contexte, permises par nos logiciels, pour améliorer les conditions d’exercice de la démo- permettent de faire réagir en manipulant, au precratie participative. Pour simplifier, nous cherchons mier degré, la complexité du fait urbain. à établir des rituels et des engagements vérifiables destinés à rétablir la confiance entre trois groupes Prenons par exemple les Objectifs du Développequi ne se respectent plus. Les experts, les élus et les ment Durable exprimés par l’ONU qui peuvent pacitoyens. Sans cette confiance, l’intelligence collec- raitre théoriques et abstraits. Comment lutter contre tive reste enfermée dans des cadres mentaux qui ce risque de démobilisation que produisent des inl’empêchent de se déployer. jonctions quand elles semblent contradictoires ? Par exemple, il est souhaitable de décréter qu’il faudra Les Civics Tech doivent intégrer cette connaissance allier développement économique et inclusion, mais de la fabrique de règles du jeu et de gouvernance, au l’expérience montre que le plus souvent ce déveloprisque de n’avoir aucun participant. Et c’est inspirant pement creuse les inégalités en raison des processus pour les sphères de l’architecture et de l’urbanisme. de gentrification. Pour autant, la ville peut aussi servir aux Civics Tech Manipuler des variations du réel, ou même manipucar elle a un avantage évident par rapport à des do- ler le réel tel que le permet l’intelligence collective maines plus techniques comme la fabrication des visuelle permet d’envisager des transformations de lois par exemple. En effet, ce qui va naître d’une pra- l’espace urbain qui conservent à l’évidence des mixitique de partage des décisions et d’inclusion réelle tés de cultures, de temporalités et de revenus. Ce de tous les acteurs impliqués et/ou impactés dans le travail en couche est loin d’être simplificateur. Il perdomaine de l’urbanisme va avoir un impact directe- met d’envisager le défi de développements inclusifs, ment visible. basés sur des actes et non des promesses, en conservant tel ou tel îlot. On est loin des dualités simplistes Nous avons déjà constaté qu’une démarche urbaine et sclérosantes comme celle qui opposerait sachants participative efficace peut avoir tendance à se dupli- et non-sachants. quer naturellement à travers une prise en main par des citoyens et des associations citoyennes de la lo- Car face à la contextualisation de variations visuelles gique de contribution et de collaboration. Cela de- qui permettent d’expliquer «preuve à l’appui» que mande évidemment de penser le design du disposi- la ville est plastique, qu’on peut la sculpter en restif en intégrant cette capacité de “portage citoyen”. pectant des façons de vivre différentes, hors des Nous avons observé ce cas dès 2012 lors du déploie- standards habituels, en associant modernité et mément d’Unlimited Cities sur le projet de ZAC de la moire, bâtis et végétaux, des espaces de créativités Pompignagne à Montpellier. Un groupe de citoyens et d’imaginaires s’ouvrent sans limite. Avec autant de la Pompignagne avait formé de façon autonome de défis à résoudre. un groupe citoyens d’un autre quartier à l’usage d’Unlimited Cities. Le nouveau groupe avait eu en- Ce que nous essayons de faire c’est d’associer cette vie de faire une première esquisse entre habitants mise en abyme vers les différents possibles, cet acet s’était rapidement tourné vers la ville pour qu’un cès à des univers parallèles avec un respect entre les financement soit trouvé pour permettre de prolon- différents acteurs qu’ils soient élus, société civile, ex- Interview Alain RENK 27 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives perts. Quand c’est le cas, il est évident pour tous que les démarches ascendantes ne sont pas suffisantes seules, de même que les démarches descendantes seules. et l’architecture ont évidemment un immense précédent avec l’architecte mathématicien Christopher Alexander dont les travaux ont été immédiatement compris dans leurs conséquences par des informaticiens, et beaucoup moins par les architectes. La clé est d’utiliser ces dispositifs d’intelligence collective visuelle comme des passerelles vers des pro- FM : Qu’apportent plus précisément des outils nucessus délibératifs équilibrés à partir de la complexi- mériques qui vont dans ce sens, quelle est leur valeur té du réel. ajoutée ? Taipei Taiwan : déploiement par Morgane le Guiloux et Clément Tricot FM : Plus que la collecte de données, vous semblez dire que c’est donc l’articulation des échanges qui est au centre de l’usage du numérique... AR : Exactement. Cette articulation des échanges est au centre de l’internet et du web qui ont été construits sur des logiques contributives. C’est une construction progressive qui passe par l’établissement de modes de gouvernance qui sont évidemment un des éléments centraux des processus contributifs issus du numérique. Nous continuons d’apprendre et de nous questionner en nous confrontant à des communs technologiques comme Open Street Map et Wikipedia. Que pouvons-nous utiliser de leur philosophie et de leurs modes de gouvernance pour en tirer des enseignements pour co-construire des villes durables inclusives, où la notion de contribution se déploie à toutes les échelles. Ce que nous nommons par raccourci la ville contributive. Ces chemins et ces rencontres entre le numérique AR : Le numérique apporte un élément crucial sur un projet d’intelligence collective, la capacité à enregistrer sur le temps long les échanges. C’est d’autant plus nécessaire quand les procédures sont complexes. Cela peut sembler paradoxal tant l’immédiateté rendue possible par le numérique semble tout recouvrer, mais le numérique, c’est de plus en plus ce qui enregistre, ce qui mémorise. Cet atout du numérique permet à l’ensemble des acteurs de vérifier factuellement si les règles du jeu données au départ sont suivies, ou non, et par qui. Car le partage des règles de façon claire et accessible n’est pas suffisant pour co-construire un projet avec la société civile. Les professionnels doivent pouvoir conserver la confiance et l’implication de leurs interlocuteurs tout au long de démarches qui peuvent durer des années. On ne peut le faire avec des post-it. Le numérique permet à tous, par sa capacité d’enregistrement et de diffusion, de vérifier que les différents acteurs et particulièrement les plus puissants suivent les règles de la démarche. Une plateforme destinée à la co-construction va pouvoir créer la confiance entre les acteurs si et seulement si elle accompagne un processus en rendant manifeste les principes de transparence et de loyautés entre acteurs, sur la durée. FM : L’outil numérique permet d’assurer une médiation dans le cadre de concertation, en prise direct avec le projet urbain. Comment la transition numérique - et plus largement la culture numérique - change-t-elle le rapport à la pratique de l’espace urbain selon vous ? AR : Le numérique permet d’étendre le nombre d’acteurs et de sujets embarqués dans un processus de co-construction. Oui, il n’y a pas qu’une nouvelle facilité à archiver de façon dynamique les échanges Interview Alain RENK 28 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives définir une pré-progammation et un phasage. Cette programmation croise les résultats de la démarche avec la société civile et la vision politique des autorités. Cela se prolonge avec des restitutions plus délibératives que ce qui se passe habituellement. Ensuite comme l’a dit le maire de Saint-Nazaire, « Le maire d’un village en Suisse m’a dit que ces mé- C’est la ville entière qui peut passer au prisme du colthodes pourraient peut-être aider les autorités po- laboratif. » litiques à retrouver ce qui leur manque le plus aujourd’hui, la capacité d’articuler les dynamiques FM : La culture numérique peut-elle vraiment faire individuelles dans de vastes projets communs, rai- évoluer les pratiques et les représentations des acsonnés, progressivement mis en place. teurs, en changeant les jeux d’intérêt, en recréant de la confiance, et finalement en introduisant plus de FM : Mais concrètement, comment dépasser les démocratie ? grandes idées générales ? AR : Oui, c’est déjà le cas ! AR Cela se passe progressivement, cela n’a rien de magique ni d’instantané. Il faut d’abord que les habitants démontent eux-mêmes leurs propres idées générales en multiples idées concrètes. Puis nous insérons ces idées et d’autres sous forme d’images et d’histoires interactives dans l’outil numérique. Enfin des médiateurs vont à la rencontre des habitants qui vont fabriquer et argumenter leurs visions. Puis il y une analyse des données avec les techniciens pour et à se transporter sur les lieux de vie des personnes qu’on souhaite interroger. Ces méthodes sont beaucoup plus que des post-it électroniques. Elles ouvrent les imaginaires et en ouvrant les imaginaires, elles changent les postures. 7m illiards-urbanist es.org Schéma produit par le laboratoire d’architecture collaborative HOST, Alain Renk Licence cc attribution share alike ONG internationale pour le partage des dispositifs d’urbanisme collaboratif Date : 27.08.2017 URBANISM E COLLABORATIF Boucle inÞnie ETAT REGULATIONS INTERET GENERAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES RESSOURCES DURABLES ACTIVATIONS LOCALES PILOTAGE GLOBAL ACTEURS RECHERCHE PROJETS CAPABLES IN TELLIGEN CE COLLECTIVE EQUIPES CONCEPTION OPEN SOURCE PRODUCTION DE COM M UNS SOCIETE CIVILE ET COLLECTIFS M ONTEE EN CONNAISSANCE EM POWERM ENT ET AUTONOM ISATION ACTEURS PRIVES Host Alain Renk / Boucle Infinie Interview Alain RENK 29 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Amandine CRAMBES Ingénieure-urbaniste service Organisations Urbaines - ADEME Amandine Crambes est ingénieure au Service Organisations Urbaines de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). Dans le cadre de la deuxième génération de l’Approche Environnementale de l’Urbanisme (AEU2), l’Agence a publié en 2015 un cahier méthodologique sur l’animation et la participation dans les projets, auquel Attitudes Urbaines et Jodelle Zetlaoui-Léger ont participé. Les cahiers méthodologiques de l’AUE2 : « La participation citoyenne – Réussir la planification et l’aménagement durables » Ce cahier s’adresse aux maires, aux porteurs de projets dans les collectivités, aux entreprises, aux habitants et aux riverains. Il rappelle les fondamentaux de la participation citoyenne et surtout, tous les bénéfices pour le projet qui peuvent en résulter, à la fois pour son pilotage et sa concrétisation. Il doit permettre de dépasser les préjugés et les craintes qui peuvent encore subsister chez les uns et les autres, vis-à-vis d’une implication significative des habitants dans la production de notre cadre de vie. Présentation et rôle de l’ADEME L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) participe à la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et du développement durable. Elle met ses capacités d’expertise et de conseil à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, afin de leur permettre de progresser dans leur démarche environnementale. était une composante essentielle de la gouvernance de projet, notamment pour une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux, qui sont souvent plus difficiles à partager. Nous avions une méthode globale, articulant des expertises techniques sectorielles, presque scientifiques, de la ville durable. Il manquait les compétences transverses d’animation, mais aussi de participation et d’évaluation, pour accompagner cette méthode. Or, un réel besoin de nos ingénieurs en région pour accompagner les Collectivités était émergeant, mais aussi des bureaux d’études, qui nous demandaient comment faire pour mettre en œuvre et animer la démarche de projet ! Cela constitue en quelque sorte la genèse du guide : compléter la collection initiée par les cahiers méthodologiques « réussir la planification et l’aménagement durables », en proposant une approche méthodologique complète sur la participation dans le projet. L’approche de l’usager, la prise en compte de la parole habitante, n’étaient pas des thématiques des plus connues à l’Ademe. Nous pressentions également que ces questions allaient prendre de plus en plus d’ampleur dans le projet urbain comme dans le champ environnemental, au service d’une approche plus transversale. FM : En matière de transversalité, quelles sont les François Meunier (FM) : Pouvez-vous revenir en nouvelles pratiques que votre service a encouragé quelques mots sur l’histoire de la fabrication de ce ou a permis de développer au sein de l’Ademe ? Y-aguide ? t-il un « avant » et un « après » guide ? Amandine Crambes (AC) : Avec les premiers retours d’expérience de l’Approche Environnementale de l’Urbanisme 21 , nous nous étions rendu compte que la participation de l’ensemble des parties prenantes AC : En interne, nous sommes effectivement un service transversal sur la ville durable. Avec la participation, nous poussons également d’autres réflexions, comme par exemple l’intelligence 1 L’approche environnementale de l’urbanisme (AEU2) est une méthodologie au service des collectivités locales et des acteurs de l’urbanisme pour les aider à prendre en compte les principes et finalités du développement durable dans leurs projets. Interview Amandine CRAMBES 30 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives collective, ou la coopération de projet. Nous sommes un petit service par rapport aux autres services sectoriels, mais nous agissons au quotidien pour promouvoir et diffuser l’expertise qui est la nôtre : la transversalité ! Nous avons pour cela mis en place notre propre communication, en direction de l’ensemble des autres services de l’Ademe, mais aussi des directions régionales, avec notamment un site Internet dédié, et une newsletter. tiques, notamment des chefs de projet locaux ? AC : Les chefs de projet locaux s’appuient sur ce guide pour se former – notamment quand ils sont amenés à conseiller leur Collectivité sur des démarches de projet : le guide est pour eux un outil concret, qui est véritablement entré dans leur pratique. Il y a également de plus en plus de demandes de financement du poste d’animateur – notamment pour de petites maîtrises d’ouvrage Notre force, c’est d’avoir pu véritablement co- qui manquent souvent de moyens humains et construire notre stratégie sur l’animation et la techniques pour accompagner les projets. Mais ce participation, en interne et en externe, en associant qu’il est intéressant d’observer, c’est que même sur les directions régionales de l’Ademe, mais aussi les des gros projets métropolitains de type écoquartiers ministères, les agences d’urbanisme, des experts, et ou type Démonstrateur Industriel pour la Ville en étant à l’écoute d’un ensemble de signaux faibles Durable, où les compétences techniques sont très sur les évolutions de la ville et de la société… De présentes, la demande de poste d’animateur existe manière générale, l’animation et la concertation, également… Car pour que le projet puisse vivre, il c’est l’ADN de notre manière de travailler sur les faut un animateur ! projets. Cet enjeu de fil rouge, pour associer l’ensemble des Et je dirais que notre stratégie fonctionne, puisque les parties prenantes en interne et en externe, mais autres services viennent nous demander nos cahiers également assurer le suivi et l’évaluation du projet des charges d’appels à projets, pour voir comment par la suite, c’est un message que nous portions dès nous intégrons l’animation et la concertation dans le départ avec le guide. Il apparaît donc comme un nos démarches de projets. vrai support scientifique sur lequel s’appuyer en matière de participation. On entend de plus en plus Depuis 2015, date de la sortie du guide, nous parler aujourd’hui de co-design, de design thinking constatons une réelle évolution dans les pratiques de etc. Ce sont en fait des mots différents, qui parlent l’agence en matière d’animation et de participation. aussi de concertation et d’animation ! Notre Projet d’Entreprise, qui a associé l’ensemble des services et des directions en mode « bottom-up FM : Selon vous, quelles sont les fonctions et les », est d’ailleurs à l’image des méthodes transversales compétences qui sont à l’œuvre derrière la notion et participatives que notre service défend. Nous d’animation ? avons également redéfini la stratégie « urbanisme durable », autour de 4 grands principes fondateurs, AC : Je dirais qu’il n’y a pas de modèle applicable à dont l’un est « animer ». Cela illustre bien la direction toutes les situations : la fonction d’animation doit qui est prise sur ce sujet. Car l’animation, c’est pour être spécifique à chaque projet, en fonction de son nous l’un des prismes de la concertation. dimensionnement, de ses acteurs, de son ambition... Mais certaines bases communes peuvent cependant Mais je dirais aussi que le guide – avant tout – être posées. concrétise une dynamique amorcée, en capitalisant sur un ensemble de retours d’expérience et de Par exemple, il est indispensable que l’animation soit remontées du terrain. Il constitue aujourd’hui un articulée dès l’amont à l’élaboration et à la conception cadre de références sur lequel nous nous appuyons, du projet, et jusqu’à sa réalisation, en véritable « pour continuer à faire grandir et évoluer les fil rouge ». L’animateur doit donc être associé au pratiques. pilotage politique et opérationnel du projet, pour avoir un poids et être clairement identifié comme une F.M : En matière de conseil auprès des Collectivités, composante essentielle du projet. Il doit également comment le guide a-t-il permis d’améliorer les pra- disposer d’une connaissance approfondie du sujet, Interview Amandine CRAMBES 31 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives de son contexte, de ses rouages et de ses dynamiques car l’animateur doit organiser et gérer l’apport de la participation de l’ensemble des parties prenantes au projet, tout au long de la démarche. Il ne s’agit pas simplement de poser un cadre et d’organiser les ateliers ! C’est vraiment une compétence propre, et on ne peut pas s’improviser animateur. Il faut aussi avoir des capacités « d’animation » au sens propre, pour accompagner l’ensemble des acteurs et leurs permettre d’impulser des choses nouvelles, de capitaliser et de synthétiser ce que chacun fait de son côté, c’est-à-dire de faire le lien. L’autre volet indissociable de l’animation, c’est celui de l’évaluation. Un projet doit donner lieu à une évaluation en continue, à la fois du projet luimême et de la méthode d’élaboration de ce projet. L’évaluation doit donc être réfléchie en amont, autour de la notion de cycle de vie du futur quartier, de manière collaborative et itérative. Elle ne doit pas arriver une fois que le projet est sorti de terre ! Il faut notamment s’interroger sur les indicateurs, et sur leur fonctionnement : à partir de quelles bases de données seront-ils renseignés ? Les acteurs concernés seront-ils en capacité d’accéder à ces données, de les exploiter et de les analyser ?... C’est un process, et cela peut impliquer de réfléchir à comment mettre en place une donnée pérenne sur un territoire. pas été identifiées sans eux, et in fine alimenter des programmations spécifiques, autour de l’économie verte, ou de l’Economie Sociale et Solidaire par exemple, avec à la clef des modèles économiques viables … La transversalité passe nécessairement par une approche écosystémique, et pour obtenir un écosystème d’acteurs efficient et efficace au service du projet, il faut veiller à identifier et à impliquer toutes les parties prenantes de cet écosystème, y compris à des échelles qui dépassent celle du projet. Par ailleurs, il est nécessaire d’accepter que la Collectivité ou la maîtrise d’ouvrage ne soient plus les seules à impulser les initiatives, mais que leur rôle se situe davantage sur l’organisation et la coordination. Le développement numérique comme levier de participation pourrait également être développé. Ce sujet a vraiment pris de l’ampleur depuis la publication du guide. Avec l’intégration de données produites par les usagers, pour l’élaboration du projet comme pour son évaluation, le crowdsourcing urbain … Mais aussi la possibilité d’un outil numérique au service d’une approche inclusive et sans rupture. Dans le guide, le sujet de la ville inclusive est amplement abordé mais nous constatons qu’en matière de participation citoyenne, ce sont toujours les mêmes catégories socio-professionnelles qui s’impliquent. FM : Si l’on devait réécrire le guide aujourd’hui, que Comment – via le numérique notamment - mobiliser manquerait-il sur ce sujet, par rapport à la manière les populations et les personnes que l’on n’entend jamais ? Ce sont souvent les populations les plus dont il a été produit en 2015 ? précaires qu’on ne sait pas faire participer… Les AC : Le guide est axé sur le citoyen. A mon sens, mêmes qui sont les plus éloignées du numérique ! il manque une approche différenciée incluant l’ensemble des parties prenantes du projet. Je Il y a enfin des thématiques nouvelles que nous pense notamment aux acteurs économiques. Trop pourrions intégrer dans un nouveau guide, comme souvent, ces acteurs pourtant présents sur le terrain, la question des montages, en auto-construction et très impliqués dans la fabrication de la ville, ou en auto-gestion. On parle des PPP : Partenariat sont oubliés. Des réflexions vont être entamées Public Privé. Je rajouterais un P supplémentaire sur une reconversion de friche, sur un quartier en : la Population. C’est le 4ème P qui manque à mon renouvellement, avec en toile de fond l’enjeu de sens et qui permettrait de voir émerger des modèles la revitalisation économique… sans pour autant différents. mettre dans le tour de table les CCI, les pôles de compétitivité présents sur le territoire, ou encore les associations de commerçants ou les porteurs de projet eux-mêmes ! Or, ces acteurs sont porteurs d’une vision qui peut impulser de nouvelles choses, faire émerger des problématiques qui n’auraient Interview Amandine CRAMBES 32 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Patrick CHOTTEAU Secrétaire Général Adjoint de la MIQCP Patrick Chotteau est architecte urbaniste en chef de l’Etat, Secrétaire Général Adjoint de la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques. Il est régulièrement amené à intervenir auprès des maîtrises d’ouvrage publiques et des Conseils en Architecture, Urbanisme et Environnement – notamment dans des territoires ruraux - pour conseiller et accompagner la mise en place de processus de projets adaptés à des situations de projets parfois complexes. Il est à l’origine de la publication du guide de la MIQCP sur la démarche stratégique de programmation urbaine. François Meunier (FM) : Telle que présentée dans le guide de la MIQCP, la démarche de programmation urbaine promeut la mise en place d’un processus intégré, dans lequel les habitants –associés en amont à la définition des contenus – peuvent pleinement contribuer à la définition du projet. Pourquoi autant de place accordée à ces partenaires « civils » dans le guide ? Patrick Chotteau (PC) : La participation citoyenne doit cesser d’être perçue comme une figure imposée. La demande citoyenne existe et elle s’exprime de multiples manières. Tout est sujet à question dans le projet urbain : la pratique de la participation ne se borne donc pas à un temps du projet. Je dis souvent qu’un projet se construit sur un substrat de consentement. Il est indispensable que les habitants soient associés à la critique de l’existant, à son évaluation pour que le diagnostic porte des valeurs et soit une réelle source d’orientations programmatiques. Par la suite, l’élaboration du projet va souvent se faire à partir de scénarios. A cette étape, il importe de vérifier, et de comparer, la sensibilité de chacune des propositions aux pratiques et habitudes. La solution retenue n’est pas qu’une composition spatiale, un dispositif politique ou un objet de marketing ; elle doit emporter l’adhésion ! Enfin, un projet doit être raisonnable, son utilité publique doit être avérée, les coûts d’exploitation des opérations pour la collectivité doivent être anticipés, et cela dès la phase de programmation ! Une fois le projet livré, la participation des futurs utilisateurs à l’évaluation de la réalisation peut permettre de rendre compte efficacement de l’adéquation entre les investissements consentis et leur utilité. On voit donc que les habitants sont très attendus tout au long du processus de projet. Ils apportent un éclairage qui peut tempérer les ardeurs des concepteurs et des prescripteurs. C’est ce message que cherche à faire passer le guide de la MIQCP, en défendant l’idée d’une démarche soutenue par une ingénierie unique de programmation et de suivi du processus de projet sous l’autorité de la collectivité. Car seule une démarche continue, attribuée à un seul prestataire qui assure la synthèse de toutes les questions et arbitrages sur le temps long des projets, peut réellement assumer l’association complexe des multiples ayants-droits, parties prenantes et contributeurs à l’élaboration du projet. Dans ce cadre, la participation citoyenne pleine et entière est prise en charge dans toutes ses acceptions par la collectivité porteuse de l’intérêt général et ne vient pas interférer avec les ingénieries de la conception. FM : Justement, en quoi l’étape de programmation par rapport au travail de conception vous semble-telle la plus opportune pour conduire à bien la participation ? Les habitants n’ont-ils pas aussi leur mot à dire sur le travail du concepteur ? PC : La programmation, parce qu’elle structure la maîtrise d’ouvrage et organise son cheminement de pensée, lui permet de discerner avec précision ses responsabilités et ses propres marges de manœuvre. La programmation est éminemment structurante et demeure, à plus d’un titre, l’apanage de la maîtrise d’ouvrage. Comme la participation dans toutes ses motivations constitue manifestement la substance de la démarche de programmation, il serait inimaginable que cette activité essentielle pour façonner Interview Patrick CHOTTEAU 33 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives la commande ne soit pas un déterminant de la pro- dans une démarche participative… sans vraiment grammation. La mission d’animation de la participa- toutefois savoir comment s’y prendre. tion est forcément confiée à l’équipe (en régie ou en AMO) qui instruit la démarche de programmation. Ils n’ignorent pas que s’ils n’assument pas à minima une concertation, la sanction tombera à plus Associée au partage du diagnostic, interrogée à pro- ou moins brève échéance. Les élus ont également pos des scénarios correctifs de ce diagnostic, l’as- conscience qu’ils ne représentent pas toutes les subsociation des habitants ne pourrait être l’otage des tilités de tout ce qui habite les composantes de la prestataires de la conception. Le discernement des société civile, et ils ne doutent pas de la nécessité de publics ne peut être orienté par des dispositifs for- devoir s’immerger dans les diversités d’opinions et mels géométriques. Le public des habitants ne doit de ressentis.... Nombreux sont ceux qui conviennent pas être impliqué dans les questions de montage fi- malgré tout que les expertises techniques voire nancier et de faisabilités. technicistes sont bien trop souvent arrogantes Associés à la conception, les habitants bénéficient et dédaignent les aspirations des habitants. Ils d’une animation articulée aux enjeux de la participa- pressentent que la confrontation entre les experts tion. Le niveau d’association est modulé au fur et à et les habitants peut être source d’invention voire mesure que les prestataires de la conception voient de modération des ardeurs des prescripteurs. Aussi leur niveau de responsabilité augmenté avec le dé- sont-ils intéressés à ce qu’au moins le diagnostic soit roulé des missions. partagé ; que les orientations des projets reflètent réellement les besoins. Mais pour cela, la participaFM : En matière de démarche participative, quels tion citoyenne doit dépasser la simple réunion pusont les écueils fréquemment rencontrés par les blique ! maîtrises d’ouvrage que vous êtes amené à conseiller ? Entre volonté d’agir et manque de pratique, Selon moi, un autre enjeu de fond, auquel devraient quels sont vos retours de terrain, notamment chez particulièrement être sensibles les élus, et plus parles élus et dans les territoires ruraux et périurbains, ticulièrement les petites maîtrises d’ouvrage de ces plus faiblement dotés en moyens et en ingénierie ? territoires ruraux et périurbains, est celui de l’intérêt de mobiliser et d’associer durablement la « sphère PC : Je constate malheureusement que l’exercice privée » au projet de territoire. La cité est en effet « qui consiste à associer les habitants à la production espace public », lieu de parole des citoyens… mais de la décision reste très marginal. Alors que chacun c’est aussi l’espace où se joue la vie privée. Les acteurs sait que la pratique de la participation citoyenne publics, même s’ils ont compétence en urbanisme, contribue utilement à la qualité des arbitrages et doivent composer avec de multiples « agenceurs » permet une meilleure consolidation des politiques petits et grands, des porteurs de projets diffus, des publiques. Pour autant, les élus ne voient pas for- personnes qui ont des rêves d’aménagement de leur cément l’intérêt de construire collectivement des habitat. Ces administrés opèrent sur un vaste tissu ambitions politiques partagées. Ils ont tendance à urbain privé, et ils seront à ce titre demain de potenconsidérer bien plus les obstacles que les potentia- tiels pétitionnaires sollicitant l’instruction d’une autorisation ! lités offertes ! Les élus nous renvoient ainsi le plus souvent leurs angoisses d’avoir à entamer le débat public, par peur de la réunion publique houleuse ou du projet « bloqué »… Dans une démocratie moderne, la participation au débat public devrait pourtant nous être familière. Si elle l’était d’ailleurs, les citoyens, plus régulièrement sollicités seraient sûrement moins enclins à déballer leurs humeurs ! Cependant, à défaut d’en maîtriser toujours clairement les principes, beaucoup d’élus perçoivent bien l’enjeu de s’engager Le renouvellement urbain, comme alternative à l’urbanisme ordinaire de l’étalement urbain, est très difficile à mettre en œuvre. Les élus n’ignorent pas qu’ils doivent forcément négocier avec tous les propriétaires pour construire leurs ambitions. En tout état de cause, les ambitions urbaines de la ville durable recomposée ne peuvent pas se faire sans le consentement des habitants, voire leur contribution. Les élus sont bien conscients que cet urbanisme-là requiert un consentement des populations, Interview Patrick CHOTTEAU 34 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives une contribution étendue des acteurs économiques. Les collectivités publiques n’ont pas seulement vocation à être maîtres d’ouvrage ; en ont-elles encore les moyens d’ailleurs ? Elles devront s’appuyer sur tout le spectre de ce qui constitue potentiellement la maîtrise d’ouvrage privée. Et à cet effet, elles n’échapperont pas à une recherche de consensus. Je pense même qu’elles y trouveront à ce moment-là un réel intérêt. L’élu n’est dès lors plus seulement faiseur de projet mais devient animateur des politiques publiques. FM : C’est d’ailleurs un des points forts de l’idée de commande d’ingénierie intégrée d’aménagement, que vous cherchez aujourd’hui à promouvoir auprès des Collectivités pour qu’elles se dotent d’une prestation complète et continue pour accompagner l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de leur projet de territoire dans le temps. Pouvez-vous nous en dire plus ? En quoi une démarche de participation peut apporter une vraie dynamique au projet de territoire ? attentes et leurs ambitions de projet, sinon elle ne produira aucun effet. C’est pourquoi, il importe que les prestataires missionnés pour l’élaboration du PLU soient présents pour auditionner les habitants et proposent une traduction de la règle le plus possible en conformité avec leurs attentes ; c’est pourquoi, les mêmes prestataires doivent demeurer pour la mise en œuvre du document, non seulement pour accompagner les habitants dans leurs projets, mais aussi pour que leur travail soit réellement évalué. L’idée de l’accord-cadre d’ingénierie d’aménagement est que la collectivité compétente en urbanisme puisse valoriser au mieux le capital accumulé par le bureau d’études qui s’est penché longuement sur le projet urbain. Fort de tout ce capital mémoire, il est le mieux placé pour faire vivre le projet, activer la stratégie, réagir à tous les évènements, permettre à la collectivité d’exercer utilement son droit de préemption et même encourager des projets qui ne se feraient pas sans un accompagnement technique. Il ne peut y avoir de stratégie de planification proprement opératoire sans l’assentiment des habitants, sinon, le PLU est juste silencieux ou il discute avec quelques propriétaires qui surveillent la valorisation de leur foncier ; et tout au plus est-il bavard à propos des espaces que la collectivité détient en propre quand la collectivité a encore les moyens de ses ambitions ! C’est un fait, la pression exercée sur les périphéries urbaines et les communes périurbaines ou rurales se traduit inexorablement par l’artificialisation des terres agricoles. A cet urbanisme-là, la participation citoyenne se limite aux grands propriétaires de foncier agricole. La discussion a lieu entre les élus et un petit nombre de personnes. Dès que le débat s’oriente en direction des secteurs déjà urbanisés, le nombre des citoyens intéressés augmente singulièrement et proportionnellement aux difficultés qu’il y a à faire muter les tissus urbains. Le sujet du renouvellement urbain est passionnant et il impose de fait d’y associer le plus grand nombre des habitants. Il n’y aura pas de bonne stratégie urbaine collective si le projet ne prend pas en considération les multiples projets individuels des occupants. La règle doit, tant que faire se peut, refléter leurs Interview Patrick CHOTTEAU 35 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Olivier ANSART Président ASA PNE Olivier Ansart est fondateur d’ASA Paris Nord - Est (Association pour le Suivi de l’Aménagement Paris Nord - Est), structure indépendante, créée en 2008 à l’initiative d’habitants du quartier la Chapelle dans le 18e arrondissement de Paris et dont l’objectif est d’accompagner l’élaboration et la mise en œuvre de l’un des plus vastes projets d’aménagement de Paris. François Meunier (FM) : Pourriez-vous nous présenter l’origine de la mobilisation citoyenne locale autour du projet Chapelle International, et notamment sur la réhabilitation de la Halle Pajol ? C’est donc dans ce contexte que nous avons été quelques-uns, riverains, associations locales mais aussi professionnels bénévoles (urbanistes, sociologues…) à nous mobiliser. Nous avons créé un collectif d’habitants : la CEPA (Coordination Espace Pajol), qui portait deux attentes fortes. La première était de conserver et de valoriser les éléments du patrimoine industriel, en s’appuyant sur leur capacité à s’adapter à de nouveaux usages. Sur ce point, la mobilisation a permis d’aboutir à la conservation des 2/3 de la Halle : nous étions dans une démarche de développement durable sans le savoir ! La deuxième attente était d’être associé à toutes les phases d’élaboration du projet, dans le cadre d’un véritable processus de concertation, avec des réunions régulières, des ateliers et des comités de suivi. Olivier Ansart (OA) : Le premier acte de cette mobilisation remonte au début des années 2000 lorsque nous nous sommes mobilisés, avec des habitants du quartier, autour du nouveau projet de réhabilitation de la Halle Pajol porté par la Ville de Paris et la Mairie du 18ème. Dans les années 1990, après la cessation des activités industrielles et ferroviaires, la Ville avait proposé de raser le lieu devenu une friche urbaine, pour construire 650 logements. Sur un site enclavé entre deux faisceaux ferroviaires, dans un quartier alors très touché par la toxicomanie et particulièrement marqué par l’absence d’équipements de proximité, les habitants et associations locales s’étaient FM : Comment la CEPA a-t-elle réussi à s’intégrer déjà à l’époque largement mobilisés contre ce pre- dans le processus très descendant qui avait été mis mier projet, qui n’avait en conséquence pas abouti. en place initialement ? Quels ont été les apports et les moments forts de cette démarche ? Dans les années 2000, le projet a été relancé, mais sur de nouvelles bases, plus en phase avec les at- OA : Il s’agissait effectivement d’une approche très tentes du quartier, car mieux orienté en termes « descendante » : au départ, il n’était pas question d’équipements – socio-culturels, d’enseignements, de discuter de quoi que ce soit avec la maîtrise d’oumais aussi récréatifs. Néanmoins, la question pa- vrage. Je crois même qu’avant notre mobilisation, il trimoniale n’était toujours pas traitée, alors que la n’y avait eu qu’une seule réunion publique pour préconservation de la halle fret, au même titre que le senter le projet avec une programmation déjà arrêbâtiment des messageries, nous paraissait être un tée …. Démarche finalement assez classique jusqu'à élément fondamental pour la qualité du projet et la fin des années 1990 ! la mémoire industrielle et ferroviaire du quartier La Chapelle ! Et puis, à la fin des années 2000, la mairie du 18e a bien voulu jouer le jeu, et intégrer les habitants dans 2000 2001 Mobilisation des habitants Intégration des habitants dans le processus de projet Interview Olivier ANSART 36 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives le processus de projet déjà lancé. Nous étions alors dans un contexte très favorable à la participation, avec les premières lois sur la démocratie participative comme la loi Voynet notamment, qui systématisait le principe de consultation des habitants sur les grands projets d’urbanisme. Pendant 10 ans, nous avons donc été associés à l’élaboration du projet, en donnant notre avis et en ayant été écoutés sur un certain nombre de choses, et ce jusqu’à l’inauguration de la halle en novembre 2013. Le site étant contraint, la question de l’emprise au sol était complexe. Nous nous sommes consentis sur la création d’une continuité paysagère à l’intérieur du site à créer dans la Halle. Il s’agit de l’un des éléments forts du projet. Aujourd’hui, même si à mon sens certains aspects de la réalisation auraient pu être améliorés, l’expérience de concertation sur la Halle Pajol a été une vraie réussite. La singularité du site et son patrimoine bâti sont réellement mis en valeur par les programmes accueillis. Nous sommes par ailleurs fiers que des étudiants et universitaires s’intéressent encore à ce projet et à la démarche de concertation associée. FM : De l’élaboration du programme au projet de maîtrise d’œuvre, quelles ont été les différentes séquences de la démarche ? Comment avez-vous été associés aux différentes phases ? Et côté maîtrise d’ouvrage, qui portait la démarche et assurait la prise en compte et la capitalisation de l’apport des habitants ? OA : Nous avons été impliqués assez tôt dans la phase de programmation avec la connaissance d’un pré programme au moment de la constitution du collectif, ce qui avait permis d’enclencher rapidement La Halle Pajol les discussions. Dès la fin de l’année 2002, la Mairie s’était engagée à ce que la halle soit conservée, et Il ne s’agissait pas seulement de participer à des réà ce que la concertation continue. Par la suite, les unions, il fallait aussi être présent sur le terrain… Et discussions et les négociations avec le maître d’ounous avons connu des périodes assez tendues ! Par vrage ont surtout porté sur l’équilibre avec les proexemple après un an de discussion, il nous a été exgrammes bureaux, la préservation du patrimoine et pliqué qu’une ZAC « sans logements et sans bureaux les espaces verts. », ce n’était tout simplement pas possible pour un aménageur, et on nous a présenté un programme C’est la ville de Paris et la SEMAEST (Société d’écotertiaire de 8000 m² imposant, et qui allait totalenomie mixte d’animation économique au service ment à l’encontre des intentions urbaines et paysades territoires) qui pilotaient la démarche de concergères que nous défendions pour le site. La concertatation. De manière assez classique, la maîtrise d’oution a permis de réduire ce programme de 8000m² à vrage organisait régulièrement des réunions avec 5000m². C’est l’une des illustrations de l'apport de la nous, rédigeait puis diffusait les comptes-rendus. concertation sur ce projet. C’est le délai de diffusion souvent trop long de ces Le travail avec les habitants a également permis comptes-rendus qui posait problème : cela ne facilid’avancer sur la programmation des espaces verts. tait pas le suivi du projet et avait tendance à décou- 2002 2003 Engagement de la Mairie sur la conservation de la Halle Désignation de la MOE urbaine Interview Olivier ANSART 37 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives rager certains habitants pourtant investis ! C'est une perçue par l’équipe de maîtrise d’œuvre en charge donnée qu'il faut prendre en compte dans les dé- de l’aménagement du site, qui nous a reproché de marches de concertation. sortir de notre rôle, car selon elle, nous n’avions pas le droit, en tant qu’habitants, de consulter un autre Au cours de l’année 2003, la maîtrise d’œuvre ur- confrère ! baine du projet a été désignée, sans que nous soyons Par la suite, les choses se sont normalisées, et de associés à la sélection. Ce n’est donc qu’a posteriori bonnes conditions de dialogue se sont instaurées. des Jurys et commissions techniques que l’équipe Nous avons réussi à perdre l’étiquette « militante » nous a été présentée. Pendant deux ans, nous avons qui nous marquait, pour faire valoir une vraie pospu travailler jusqu’à un niveau de prescriptions as- ture constructive pour le projet… Mais cela montre sez fin avec le maître d’œuvre sur l’aménagement que la susceptibilité des « gens de l’art » vis-à-vis des urbain, paysager et environnemental du site. A par- habitants était encore très vive il y a une quinzaine tir de 2008, les premiers programmes de la Halle et d’années ! du bâtiment des messageries ont été engagés. A ce stade, nous avons été associés aux différents Jurys Aujourd’hui, et je le constate notamment sur les produ concours par programme (collège, gymnase, jets Paris Nord Est, je perçois un vrai changement de halle…), puis au suivi dans les phases de conception pratique du côté de certains jeunes architectes, qui sont de plus en plus ouverts aux démarches partiet de chantier. cipatives, et qui améliorent leur façon de travailler FM : Quelles ont été les relations avec la maîtrise avec les habitants. Cela dépend encore de la sensid’œuvre et la perception qu’elle portait sur votre dé- bilité des équipes, mais les choses évoluent dans le bon sens. Par exemple sur la gare Hébert, des ateliers marche ? avec les habitants ont été organisés très tôt, avec OA : Le dialogue a parfois été compliqué, en particu- des maquettes, alors que le projet n’était pas enlier au départ. Parallèlement au processus « officiel core arrêté. Les échanges étaient très constructifs. », nous avions pris des contacts avec des personnes C’était vraiment très satisfaisant de travailler avec susceptibles d’être intéressées par le projet en tant une équipe d’architectes et d’urbanistes à l’écoute, que futurs usagers par exemple, mais aussi avec des prête à discuter, à faire évoluer leurs premières idées architectes, pour recueillir un avis extérieur... Ainsi, et intuitions, et à revoir le projet ! nous avions rencontré en 2004 l’architecte Françoise Hélène Jourda, qui trois ans plus tard a d’ailleurs par- FM : Quelles ont été les suites données au processus ticipé au concours pour le projet de la halle. Nous de projet de la halle Pajol ? Comment votre action avions pris contact car elle avait une expérience en est-elle perçue ? réhabilitation d'immeubles industriels, notamment en Allemagne et en Autriche. Elle nous avait présen- OA : En 2008, lorsque le projet de la halle Pajol était té la façon dont elle voyait la préfiguration de la halle, largement avancé, nous avons été plusieurs à vouavec notamment le maintien de la structure métal- loir étendre l’expérience à l’ensemble du secteur dit lique et la réalisation d’une « boîte dans la boîte ». de Paris Nord-Est. Un territoire en pleine mutation, A la suite de ces échanges, elle nous avait transmis où la dynamique de projets avait déjà été engagée, une note que nous avions transféré en toute trans- sans qu’il n’y ait eu de véritable concertation avec parence à la Ville de Paris, dans l’idée de contribuer les habitants. C’est dans ce contexte que nous avons à la réflexion sur la réhabilitation de la halle, dans le créé ASA PNE (Association pour le Suivi de l’Amécadre du projet d’aménagement global du site. nagement Paris Nord Est). Nous sommes alors pasCette prise d’initiative de notre part a été très mal sés du statut de collectif à celui d’association, avec 2008 2009 1er programme de la Halle et du batiment des messageries engagés Le Collectif se transforme en association : ASA PNE 18 Interview Olivier ANSART 38 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives comme objectif d'accompagner l'aménagement urbain, paysager et environnemental du secteur Paris Ainsi, au moment de la création de l’association Nord-Est, en étant associé le plus en amont possible en 2009, il n'y avait pas de « charte de la concertadans les processus de concertation. tion » co-signée entre les différents acteurs et les habitants, alors qu’il y en avait une pour Paris Rive Par la suite, le périmètre de Paris Nord Est a évolué. Gauche par exemple. Une de nos premières actions Avec François Leclerc, l’urbaniste du projet, on est a donc été de construire une telle charte. Vu l’ampassé d’un secteur d’environ 200 ha (de la porte de pleur du projet d’aménagement concerné, cela semla Villette à la porte de la Chapelle) à un triangle de blait nécessaire afin d’accompagner le projet dans le 600 ha prolongé jusqu’à la porte de Clignancourt et temps. Cela passe par la mise en place d’un certain jusqu’au secteur des deux gares du Nord et de l’Est. nombre de règles de fonctionnement, et les faire Outre les deux gares, le nouveau périmètre se ca- reconnaître de manière officielle. Tout le processus ractérise par de nombreux secteurs mutables, es- de concertation mis en place sur Pajol relevait pour sentiellement des friches ferroviaires propriétés de ainsi dire et jusqu’à présent de la « tradition orale », la SNCF. Nous nous appelions initialement ASA PNE et de la bonne volonté de quelques habitants moti18, en référence au 18e arrondissement, mais il y a vés… deux ans le « 18 » a été enlevé, pour bien montrer que notre implication concerne l’ensemble du terri- Avoir un cadre, c’était aussi un moyen de montoire de projet, y compris dans sa dimension inter- trer que nous voulions faire avancer la cause de la communale, pour valoriser les continuités urbaines concertation, à une échelle plus large. Un tel docuentre Paris et la proche banlieue. ment, ce n’est pas seulement du papier en plus ! Il permet d’institutionnaliser certaines bonnes pratiques, comme le fait d’associer le plus en amont possible les habitants au processus de concertation ou de participer au choix de la maîtrise d’œuvre... En 2009, nous avons donc demandé à la Mairie de Paris de doter le projet d’une charte de la concertation. Il a fallu trois ans pour la co-produire. Elle est aujourd’hui disponible sur le site dédié au projet et sur notre blog . Globalement, notre volonté d’implication a dès le départ été plutôt bien accueillie par la Mairie de Paris, qui a pressenti l’intérêt d’avoir des interlocuteurs possédant déjà une certaine expérience de la concertation, et une véritable expertise à faire valoir... Des représentants d’habitants qui s’impliquent vraiment dans le processus de concertation au serPérimètre d’intervention ASA PNE vice d’un projet, et qui ne sont pas dans une posture de contestation « par principe » ! Les situations En tant qu’association, et sur la base de notre ex- peuvent toutefois varier en fonction des opérations périence sur la halle Pajol, nous avons dès le départ et des interlocuteurs. cherché à mieux structurer notre action et à la rendre plus lisible. Sur Ordener-Poissonniers par exemple, la concerta- 2013 2016 Inauguration de la Hall Pajol ASA PNE 18 devient ASA PNE Interview Olivier ANSART 39 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives tion est assez tendue. Il y a un désaccord de fond sur la vocation même du projet, sur un site beaucoup plus central et plus urbanisé que les autres. Nous cherchons donc à améliorer la part des espaces publics et des espaces verts, dans un quartier déjà très dense et très congestionné. Je crois que nous avons réussi à faire évoluer le projet sur ce point ! FM : Budget participatif, Réinventer Paris … De manière générale, comment voyez-vous ces évolutions pratiques côté Ville de Paris – qui reste un interlocuteur incontournable pour impulser ces démarches auprès des autres opérateurs ? OA : D’un côté, je pense que les mentalités évoluent en faveur de la concertation, la réussite de nombreuses démarches et initiatives comme la nôtre montre que les résultats existent, et que les pratiques doivent changer ! Mais de l’autre, comme dit le dicton, "chassez le naturel il revient au galop"… il y a encore trop souvent la volonté de « passer en force » de la part des maîtrises d’ouvrage sur certains projets, et donc de revenir en arrière … produit, et également une carte interactive du quartier ! Il y avait donc de la part de la ville de Paris une vraie volonté de faire participer…jusqu’à un certain point ! Cependant à mon sens la limite de l'exercice dans Réinventer Paris, c’est qu’une fois cette phase d’implication en amont achevée, nous restons face à un projet qui est livré clé en main avec un parti pris architectural et une programmation déjà arrêtés, sans que la concertation puisse modifier quoi que ce soit. Selon moi, c’est le même principe que le budget participatif : on nous dit qu’il y a des marges de manœuvre au niveau des usages, peut être aussi par rapport aux aménagements paysagers, mais pour ce qui concerne les espaces bâtis ou les programmes principaux, il n’y a plus aucune possibilité de discussion. ↘ Site ASA PNE : http://asa-pne.over-blog.com Aujourd’hui à Paris, j'ai le sentiment qu'avec les nouvelles démarches comme le budget participatif ou Réinventer Paris, on enlève du contenu à la participation citoyenne, parce que finalement tout est décidé en amont. Selon moi, le budget participatif c'est une façon de restreindre le champ de la concertation, de la contourner, en disant « je confie aux habitants des petits morceaux de projets, mais laissez-nous faire pour le reste, c’est-à-dire pour les grands projets d'aménagement qui structurent la ville » ! C’est une manière de dire « chacun reste à sa place… », et de réduire l’implication des citoyens. Nous avons également eu l’occasion de participer à Réinventer Paris, sur le projet « îlot fertile » du triangle Eole Evangile, qui faisait partie des 23 sites. Nous avons été amenés à participer à des ateliers avec les équipes pluridisciplinaires en phase concours, avec un certain nombre de réunions, et nous avons été sollicités pour parler du projet Paris Nord-Est. Un travail de repérage et de consultation a été fait auprès des acteurs locaux, des régies de quartiers, des associations… Un film a même été Interview Olivier ANSART 40 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Eléonore HAUPTMANN Consultante, urbaniste-environnementaliste Eléonore Hauptmann est urbaniste – environnementaliste. Forte d’une formation en écologie, urbanisme et management d’entreprise, de 20 ans d’expérience en urbanisme opérationnel et rénovation urbaine (dont 7 ans à l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine), elle est aujourd’hui consultante indépendante. L’approche stylistique de territoires qu’elle promeut maintenant s’appuie à la fois sur des pratiques d’innovation et sur la concertation citoyenne, essentielle à ses yeux. En 1993, elle intègre un réseau européen d’experts spécialistes du « Community planning », de la participation des habitants et de l’écologie urbaine. Elle a participé ou organisé de nombreux processus de ce type et de publications sur ce thème. La « Concertation citoyenne en urbanisme », parue en 2010, dont elle est co-auteure, est la version française adaptée du guide pratique anglais sur cette méthode de travail passionnante visant à rendre habitants et professionnels actifs dans l’élaboration d’opérations urbaines souvent portées exclusivement par des opérateurs privés. François Meunier (FM) : Comment avez-vous connu le Community Planning, un dispositif participatif peu connu en France, mais très développé hors de l’hexagone ? Eléonore Hauptmann (EH) : Au début des années 1990, j’ai terminé mes études à l’Institut d’Urbanisme de Paris par un stage dans une entité nommée E.D.A., une filiale spécialisée en études d’aménagement, au sein du Groupe Suez-Lyonnaise des Eaux-Dumez. Ce grand groupe souhaitait alors apporter des solutions globales en vue d’améliorer les conditions de vie des habitants. E.D.A. travaillait sur les « banlieues » et les quartiers d’habitat social et avait un double rôle : du conseil transversal au sein du groupe (et de ses filiales) mais aussi des missions auprès de collectivités locales (dans le cadre de réponse aux appels d’offres de la Politique de la Ville). Ma mission comportait une enquête poussée sur le « projet urbain écologique ». Il incluait la visite plusieurs sites pilotes en Europe (Danemark, PaysBas, Allemagne) où la manière de concevoir et de prendre en compte les enjeux socio-spatiaux, l’environnement et déjà la concertation publique était novatrice. C’est à l’occasion de ma visite à Berlin dans le Kreuzberg, que j’ai entendu la première fois parler de la méthode de Community planning, encore inédite en Europe, mais qui venait tout juste d’être expérimentée avec succès à Moscou. mais me semblait déséquilibrée car les experts, architectes et urbanistes présents étaient aussi nombreux que les habitants. Il faut dire que ce Community planning se déroulait dans une zone industrielle en périphérie urbaine non habitée, ce qui n’était pas propice pour mobiliser les habitants, de surcroît, peu coutumiers de ces démarches ! Or l’objectif du Community planning est de parler des usages avec les usagers, ce que les habitants font très bien… En termes de méthode d’organisation, il faut donc vraiment prêter attention à la proportion professionnels / habitants, acteurs locaux et de trouver les moyens de les mobiliser. Mon intérêt pour le Community planning s’est renforcé avec la rencontre de John Thompson, fondateur de l’agence d’architectes et d’urbanistes londonienne John Thompson & Partners. Lui-même avait appris la méthode du Community planning aux Etats-Unis, avant de la pratiquer et de l’adapter en Europe. Puis, j’ai été sollicitée pour intervenir avec son équipe dans un workshop Community planning organisé en région parisienne. Il s’agissait d’un processus ambitieux et il fallait compléter l’équipe d’encadrants et d’animateurs pour animer un large groupe de personnes. L’objectif de ce Community planning était à la fois d’apporter des idées sur un quartier qui allait être réhabilité, mais aussi de conduire une réflexion d’ensemble sur la ville. Dans un contexte de politique complexe et une charge Puis l’année suivante, en 1992, j’ai eu l’occasion de lourde pour l’architecte garant de l’organisation du participer à un premier workshop de Community community planning, je me suis retrouvée à animer planning à Turin. Il portait sur le projet de reconver- la table des élus ! Cet imprévu m’a permis de faire sion des usines Fiat. L’expérience était intéressante mes preuves, en tant que jeune professionnelle, no- Interview Eléonore HAUPTMANN 41 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives tamment sur mes qualités d’animatrice. Par la suite, John Thompson m’a demandé de promouvoir et d’expérimenter le Community planning en France. C’était en 1998, le sujet m’enthousiasmait et il avait une valeur particulière à mes yeux : parler avec les habitants d’un lieu. Suite à des collaborations avec l’IAU1 , nous avons pu mener plusieurs processus de ce type dans le Val de Sambre, pour la Ville de Paris et pour l’agglomération de Nancy. dans un même processus : les acteurs privés, publics, les habitants, les associatifs, sans oublier le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage… C’est-à-dire toutes les parties qui ont envie de travailler ensemble et de se doter d’une vision collective. Et cette notion de « vision commune d’avenir » est centrale dans le Community planning. La vraie finalité de la démarche est autant le projet que la dynamique fédératrice qu’il va pouvoir générer, à travers une forme d’élan collectif, une ligne de conduite collective et une certaine créaFM : Pouvez-vous donner une définition du Commu- tivité collective… C’est là que se situe la pertinence nity planning ? En quoi cette méthode se distingue- et la vraie force du processus ! t-elle des autres approches participatives ? Avec le recul, le Community planning a bien foncEH : Le Community planning est une méthode de « tionné, notamment en Angleterre, la loi imposant visioning » appliquée à l’urbanisme. En Angleterre que les projets urbains soient concertés. L’investisseet aux Etats-Unis, cette notion a une acception plus ment public sur les projets urbains y étant limité, les large. Elle trouve ses racines à la fois dans le mouve- opérateurs privés se sont montrés plus qu’intéressés ment de l’Ecole de Chicago, et l’Advocacy planning par une méthode permettant d’organiser un débat en particulier dans l’idée de contre-projet, initié et et des formes de conciliation entre plusieurs parties défendu par les habitants d’un quartier. La particu- prenantes pour enrichir les projets et proposer des larité de la démarche du Community planning est solutions urbaines acceptables. La notion d’accepd’avoir été portée et développée par l’Ordre des tabilité est un point important pour comprendre la Architectes des Etats-Unis, dans les années 1970 et pratique du Community planning outre-Atlantique, 1980, comme outil permettant aux citoyens, com- où la maîtrise d’ouvrage publique classique, telle que munautés et acteurs locaux de s’exprimer dans le nous l’entendons en France, est en retrait. projet. FM : L’objet des ateliers reste axé sur le projet urbain, Le Community planning désigne donc une méthode sous une forme souple et interactive. De ce que vous de travail ouverte, autour d’un projet ou d’un quar- avez pu observer, comment ce type de dispositif rétier – au même titre que d’autres méthodes améri- interroge la posture traditionnelle des habitants et caines assez proches, comme la charrette, ou encore des maîtres d’œuvre ? le place-making plus récent… Avec le Community Planning, il s’agit, au travers d’un processus de par- EH : Le Community planning permet aux groupes ticipation et d’ateliers publics assez sophistiqués et de participants qui s’y adonnent d’étudier ensemble très ouverts, de « bâtir une vision d’avenir avec les différentes hypothèses de projet, de dessiner des parties prenantes d’un projet ». C’est-à-dire que l’on formes urbaines en se confrontant au plan et aux mobilise de manière assez large et spontanée les ha- contraintes des lieux. Les gens discutent de ce qu’ils bitants pour ne pas décourager. C’est d’ailleurs sur souhaitent, et il est frappant de constater que, ce point que se porte la principale critique de la mé- quelques soient les cultures, les gens rêvent de la thode: au départ, on ne connaît pas toujours exac- « bonne ville » : c’est à dire de l’espace public dans tement les participants, s’ils sont représentatifs ou lequel tu te sens bien, des rues, squares, places… non de la population locale ou du lieu à la façon d’un avec des bancs, des maisons ou immeubles à taille panel sociologique... Mais c’est aussi pour moi ce qui humaine, des ilots urbains qui organisent la ville... Et fait la richesse de cette méthode et son dynamisme ! en travaillant en atelier avec les habitants, avec des schémas, des cartes, ils vont progressivement arriver A mon sens, la nuance avec une approche de la parti- à la conclusion qu’une place ne peut pas seulement cipation plus classique est sa dimension intégratrice. accueillir trois maisons basses, mais qu’elle doit être Car l’essence de cette démarche vise justement à ré- tenue par des bâtiments plus hauts et une certaine unir, ou tenter de réunir, toutes les parties prenantes organisation urbaine. Les habitants finissent par le 1. Participation au séminaire de l’IAURIF séminaire de l’IAURIF Démocratie participative et aménagement régional, 2000 Interview Eléonore HAUPTMANN 42 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives comprendre, alors qu’au départ, ils étaient contre l’idée même de densité ! Une des réussites les plus célèbres en matière de Community planning par l’équipe de John Thompson & Partners a eu lieu dans une petite ville du Surrey au sud de Londres, à Caterham, autour de la réhabilitation d’un ancien site militaire et de ses casernes. Les habitants s’étaient largement mobilisés contre un premier projet, qui prévoyait de construire une vingtaine de pavillons. La mobilisation avait pris de l’ampleur et quand John Thompson & Partners a démarré sa mission, près d’un millier de personnes se sont mobilisées pour participer aux ateliers du Community planning. Progressivement, le projet a évolué vers un nouveau quartier dans l’esprit des cités jardins anglo-saxonnes de près de 400 logements, avec l’approbation des habitants. Suite à cette démarche, un « Community Development Trust » a été créé : il s’agit d’une structure coopérative regroupant habitants, acteurs locaux et acteurs privés pour continuer à fédérer les parties prenantes et maintenir la dynamique positive du Community planning dans le temps. Caterham Barracks Community Trust s’est vue confier la gestion de certains bâtiments et des équipements culturels, mais aussi la mission de réfléchir à de nouveaux projets pour la ville ! Au même titre que les démarches participatives au sens large, le Community planning questionne la posture « d’expert » des maîtres d’œuvre ou professionnels du métier. Ces derniers se confrontent directement, sans filtre, à la manière dont les locaux (habitants et acteurs) parlent, perçoivent et vivent les formes urbaines ou architecturales et à la manière parfois « brutes » dont ils font état de leurs attentes. Et ces aspirations désignent souvent la « bonne ville », avec de l’espace, des lieux où habiter et travailler, vivre ensemble, des bâtiments pas trop hauts, avec de « belles » façades…, un urbanisme et une architecture parfois plutôt classiques (qui peut sembler sans ambition aux adeptes de performances) ! En toile de fond, on retrouve l’idée d’une trame urbaine organisée. L’approche d’un « master plan » est fortement défendue par l’équipe de John Thompson & Partners. En revanche, quand je suis venue parler de ces pratiques de participation anglophones en France, et notamment de la possibilité d’ouvrir un débat avec les habitants et les usagers sur les formes urbaines, l’accueil a parfois été mitigé : on nous reprochait de défendre une vision passéiste et conservatrice de l’urbanisme, au détriment de la créativité et de l’innovation du concepteur ! De notre point de vue, le débat ne se situe pas sur tel ou tel courant architectural ou immobilier. Il faut dépasser ces considérations. Le débat porte sur la compréhension « en profondeur » des usages et l’intégration des aspirations locales dans des formes urbaines qui font sens pour permettre de constituer ou reconstituer un tissu urbain ou environnemental garant d’une qualité de vie ou de travail agréable. De plus, c’est une condition pour rendre les gens actifs dans le processus de projet et responsables dans la gestion future de leur lieu de vie. FM : Est-ce qu’il existe une commande publique en Community planning en France ? Quelles sont les évolutions et les perspectives que vous percevez ? EH : Il n’existe pas aujourd’hui de commande publique en matière de Community planning en France. Mais à l’heure du numérique, les démarches collaboratives foisonnent aujourd’hui par la mobilisation de communautés d’utilisateurs via des applications numériques diverses et variées. Dans les années 1990, certaines communes voulaient expérimenter de nouvelles méthodes. Nous avons été sollicités par la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme et nous avons pu organiser plusieurs processus en France2. Puis la loi sur les conseils de quartier en 2004 a institutionnalisé la concertation, et le Community planning ne trouve pas forcément sa place dans ce type d’organisation car il tend justement à rester dans l’informel et la participation élargie ! De plus, le Community planning s’inscrit mieux dans une démarche en mode projet. Ceci dit, à Nancy où nous avons pu tester avec succès la méthode, les instances locales de concertation avaient joué le jeu en co-organisant avec nous la démarche pour élargir la mobilisation à tout le quartier. L’autre raison est sans doute aussi que le Community planning exige un budget suffisant de la part de la maîtrise d’ouvrage. Il s’agit de proposer un processus ouvert et organisé en mode projet de plusieurs mois. Le travail préparatoire en amont, de communication notamment, est important pour toucher une large population au délà des influenceurs des quartiers et donner aux « sans voix » l’envie de s’investir. C’est au moins trois à quatre mois de travail. Ensuite il faut 2. Organisation de 4 grands processus en France sur des projets de renouvelles urbains : Programmation du Grand Projet de Ville de l’agglomération de Maubeuge (59), Reconversion industrielle du site Berger-Levrault à Nancy (54), Concertation autour du Grand Projet de Renouvellement Urbain et de la couverture du périphérique du quartier Plaisance-Porte de Vanves à Paris 14ème (75), Le Plateau de Haye à Nancy (54) Interview Eléonore HAUPTMANN 43 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives organiser une série d’ateliers collectifs. C’est-à-dire réunir des experts et une équipe d’animation. Puis il y a bien sûr le travail aval, de synthèse… Finalement, l’ensemble de la démarche peut aller jusqu’à un an voir plus... Ailleurs, y compris en Angleterre, il y a moins de moyens pour des processus longs de co-conception. La pratique évolue avec des approches de type « design thinking » ou « place making », plus plastiques et plus rapides à monter, axées sur l’occupation temporaire ou la réappropriation de certains lieux existants, comme des friches, et non sur la mobilisation autour de la définition d’un projet urbain d’ensemble. Les perspectives d’organiser ce type de processus ouverts m’apparaissent intéressantes. D’abord, je pense que le Community planning pourrait être repensé, en France, dans cet esprit selon des modalités plus souples. Il peut être fait à petite échelle autour d’une soirée d’atelier ou un samedi après-midi d’atelier. Je m’y emploie pour trouver cette nouvelle formule. Par définition, il s’agit en effet d’une démarche flexible : le Community planning ne vaut pas tant pour ce qu’il est précisément, mais plutôt pour ce qu’il véhicule comme valeur, état d’esprit et idée du projet urbain et comme dynamique d’élaboration et de travail collaboratif. L’arrivée du numérique organise plus facilement le travail des communautés, au sens de communauté de gens qui ont envie de suivre une idée… L’exercice qui serait intéressant, ce serait de savoir qu’est-ce que la méthode du Community planning pourrait être aujourd’hui, à l’aune de ces nouveaux outils ? D’autre part, l’une des vraies forces de cette méthode est sa dimension pratique, ancrée dans le local ainsi que sa capacité à enrichir et clarifier une programmation urbaine, ce qui est déterminant pour les démarches de transformation urbaine actuelles. La plasticité de la démarche lui permet d’être menée à différentes échelles sur différents types d’interventions : éco-quartiers, rénovation urbaine etc. Elle me semble aussi particulièrement adaptée pour les petites villes, l’urbanisme transitoire, les parcs naturels régionaux et sites d’agriculture urbaine… tous les objets territoriaux où la mobilisation d’un écosystème est nécessaire… que nous connaissons aujourd’hui avec les ateliers de design thinking, les démarches d’innovation et d’excellence qui font florès. Une hybridation me semble intéressante avec des nouveaux outils et je m’y emploie en travaillant sur la maturation de projets d’innovation pluriannuels3. A n’en pas douter, cette méthode du « Community planning » a transformé ma réflexion pour une approche territoriale et un urbanisme plus humains. Elle m’a conduite aussi à envisager mes activités et mes missions autrement. Elle m’a donné envie d’aller vers l’innovation et un nouvel horizon, celui du « stylisme de territoire »4 que je pratique aujourd’hui. Je souhaite aussi travailler à la renaissante écologie5 des territoires. Pour aller plus loin encore, il est intéressant de réfléchir comment, à l’instar des grands biomes, les territoires aujourd’hui artificialisés pourront, aussi bien dans leur fabrique et leur fonctionnement, mieux se mettre au diapason du monde du vivant. Ces approches sont sources de nombreuses innovations dans le monde. On peut penser qu’elle peut créer un renouveau dans l’économie des connaissances d’un territoire si l’on sait mettre en synergie les innovateurs pour réfléchir à de nouveaux modèles économiques. Je suis convaincue que le processus de transformation des territoires peut réussir s’il repose sur une dynamique d’acteurs organisée et un accompagnement de proximité renforcé. C’est un vrai défi de savoir comment conduire, sans heurt et de manière constructive, cette transformation des lieux, en même temps que du quotidien. Le challenge est d’organiser ce processus ouvert au long court sur les démarches de projets novatrices qui comportent plusieurs thématiques, plusieurs échelles temporelles et spatiales d’intervention tout en restant collaboratif. A cet égard, il me semble que le Community planning est toujours dans l’air du temps, non ? Ouvrages d’Eléonore Hauptmann : ↘ La participation citoyenne : réussir la planification et l’aménagement durables, Cahiers méthodologies de l’AEU2, ADEME 2014 ↘ L’Urbanisme participatif : l’atelier, la carte, la méthode, Les cahiers de l’IAU, octobre 2013 ↘ La participation des habitants dans les projets de rénovation urbaine», PCM, ENPC CDC-EPL, 2012 ↘ Concertation citoyenne en urbanisme. La méthode Enfin, sa dimension créative se rapproche de celle du Community planning. Eléonore Hauptmann et Nick Wates. ADELS, Ed.Yves Michel, 2010 3. NPNRU Mulhouse Péricentre – secteur Briand, « Briand, site école », un projet de services pour développer l’hospitalité et les savoir-faire commerciaux dans le cadre du projet d’innovation et de recherche labellisé PIA 3 ANRU+ 4 - 5 Concept déposé à l’INPI Interview Eléonore HAUPTMANN 44 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Grenoble La semaine de la co-construction Retour d’expérience Entre 2014 et 2015, Attitudes Urbaines a été missionné par Grenoble Alpes Métropole pour assurer la mise en cohérence et la capitalisation de deux dispositifs de participation simultanés organisés sur Grenoble et sur Echirolles. Objectifs de cette double démarche ambitieuse : contribuer à l’élaboration du projet urbain et social des Villeneuves, et aboutir à la rédaction d’un cahier de recommandations habitantes au moment du lancement du NPNRU sur les Villeneuves et Essart-Gâtinais. Il y a quelques années maintenant, les villes de Grenoble et d’Echirolles ont respectivement mené des démarches de participation auprès de leurs habitants, impliquant également leurs élus et leurs services. Ces démarches s’inscrivaient dans le cadre de la préparation du NPNRU sur les Villeneuves de Grenoble et d’Echirolles. Pilotées par les deux villes, elles devaient permettre d’alimenter la rédaction d’un cahier des charges commun pour l’équipe de maîtrise d’œuvre urbaine que la Métropole souhaitait alors recruter pour l’élaboration de ce vaste projet de renouvellement urbain intercommunal. Cette mission a notamment impliqué le bureau d’études dans le cadre de la préparation et de l’animation de la Semaine de Co-Construction sur le Village Olympique et la Villeneuve de Grenoble : une expérience originale, passionnante et intense de participation citoyenne bottom-up, sur laquelle cet article propose de revenir. Alors que la ville d’Echirolles organisait sur son territoire « les Printemps de la Concertation », la ville de Grenoble s’engageait dans la Semaine de la Co-Construction : une initiative citoyenne originale, portée plus précisément par un Collectif d’habitants. Par Samira Hajjat et François Meunier Carte de localisation générale des principales pièces urbaines de la Polarité Sud. Source : Attitudes Urbaines. Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience 45 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Une mission d’AMO en immersion au cœur de la contre des habitants – notamment de ceux qui ne Semaine de Co-Construction grenobloise seraient pas venus participer dans des cadres plus formels, les situer au plus près de leurs pratiques Sur le fond comme sur la forme, la Semaine de quotidiennes, et leur permettre d’exprimer leurs beCo-Construction grenobloise proposait une dé- soins, idées et propositions autour du projet. marche de participation originale, destinée à recueillir sur le quartier une parole habitante élargie et à mettre en débat objectifs, attendus et priorités, mais également modalités de gestion et de gouvernance du projet urbain et social avec les habitants. Initiée par le Collectif d’habitants, et portée par la ville de Grenoble et la Métropole, la Semaine de Co-construction était pensée comme un « espace-temps » participatif condensé et emblématique sur les quartiers Villeneuve et Village Olympique de Grenoble. L’ensemble du dispositif reposait sur deux formats complémentaires, co-animés par le Collectif et les Collectivités : d’un côté, des temps de rencontre thématiques et « hors les murs » organisés sur sept journées consécutives, et de l’autre un lieu physique unique, localisé au cœur de la Maison des habitants : le « Quartier Général ». Balades et ateliers ont ainsi été proposés pendant toute une semaine dans différents lieux – parfois insolites - de la Villeneuve et du Village Olympique (équipements, espaces publics…), mais également sur différents moments clefs de la vie du quartier (marché, sortie d’école…). Objectif : aller à la ren- Ateliers, maquettes, questionnaires … des techniques d’animation et de recueils variées ! Le programme de la Semaine, jour après jour. Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience 46 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Le second pilier du dispositif était le Quartier Général ou QG – lieu physique de rassemblement et de recueil des données, situé au cœur de la Villeneuve, dans le Hall d’accueil de la Maison des Habitants. Sur place, les personnes pouvaient s’informer sur le projet et son historique, contribuer à la réflexion par le biais de questionnaires ou d’un mur d’expression libre de type post-it, ou tout simplement échanger avec les animateurs présents en permanence. de la Métropole et de la ville de Grenoble à la préparation de l’évènement et à la mise au point du programme avec le Collectif, Assurer durant la semaine de co-construction la retranscription quasi « en direct » des différentes contributions – notamment sur le QG, et contribuer par la même occasion à rendre lisible et appropriable la parole habitante dans le cadre des différentes restitutions, A l’issue de la Semaine, veiller à la mise en cohérence des apports sur Echirolles et sur Grenoble, et rédiger le cahier des prescriptions en restituant de manière la plus fidèle possible la parole des habitants, et en problématisant leurs apports pour alimenter efficacement l’élaboration du projet urbain et social sur les deux Villeneuves. Cette séquence a représenté au total pour le bureau d’études la mobilisation de deux chefs de projet à temps plein pendant plus de deux mois! Le QG remplissait également la fonction essentielle de capitalisation et de restitution quasi en direct des contributions, avec des panneaux et des expositions actualisés au jour le jour en fonction des différents temps d’échanges organisés en parallèle sur le quartier ! Ce QG « physique » disposait également d’un double numérique : un blog dédié, donnant accès au programme des évènements à venir et aux comptes-rendus de la journée, et permettant aussi de recueillir la parole habitante via les commentaires. Concrètement, l’organisation de la Semaine de Co-Construction a nécessité une mobilisation humaine et technique intense. En tant qu’Assistant à Maîtrise d’Ouvrage mandaté par la Métropole, Attitudes Urbaines était spécifiquement attendu pour : - Le QG et le blog Villeneuve – Village Olympique : je participe. Animation et actualisation « en temps réel » par Attitudes Urbaines. En amont de la Semaine, participer au côté Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience 47 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives sur la programmation urbaine de la polarité sud, territoire plus large qui inclut les Villeneuves depuis 2012. Nous pouvions donc faire valoir auprès des habitants comme du Collectif une très bonne connaissance du terrain et de ses acteurs, ce qui renforçait Ce qui a fait la particularité de cette intervention de fait notre crédibilité. pour Attitudes Urbaines – au-delà de l’originalité et de l’ambition du dispositif participatif mis en œuvre Entre ces deux forces en présence, dont la légitimisur la Semaine, fut justement l’équilibre difficile à té et la qualité d’actions étaient indiscutables, nous tenir notre positionnement d’Assistant à Maîtrise nous devions donc de jouer à la fois le rôle de fil d’Ouvrage : à la fois représentant de la Métropole, rouge, assurant une capitalisation fidèle et transpaet au cœur d’un projet citoyen porté par un Collectif. rente des contributions, mais également de médiateur pour équilibrer les apports entre ce Collectif de Le Collectif est un véritable acteur de terrain, très nature militante, et l’ensemble des habitants. présent dans le tissu associatif local. Fort de son implantation historique sur le quartier, il est recon- Cette posture, parfois inconfortable, mais toujours nu pour la qualité de son travail et de ses expertises passionnante, nous a confronté à des réflexions de d’usages, et investi de longue date dans le projet de fond sur la gouvernance et la participation des habirenouvellement de la Villeneuve de Grenoble. A l’ori- tants, car il s’est avéré que les formes démocratiques gine de l’initiative de la Semaine de la Co-construc- pensées depuis la Collectivité et depuis le Collectif tion, et ayant à ce titre bénéficié du soutien de cer- n’étaient pas les mêmes. Ces divergences se sont tains élus de Grenoble, le dialogue avec la Métropole notamment exprimées à l’occasion du premier aterestait à construire. Le Collectif pouvait en effet se lier thématique, organisé – justement – sur le thème sentir en quelque sorte « dépossédé » du pilotage de de la gouvernance locale, sujet hautement politique. la démarche globale qu’il avait lui-même initiée, et dont il avait également pensé toute l’ingénierie (par- Grenoble – Echirolles : la programmation urbaine comme prisme pour capitaliser sur deux ticipation « hors les murs », préfiguration, etc…). démarches participatives fondamentalement difCependant, toute l’ambiguïté – et donc la limite - de férentes ! leur positionnement, était justement cette double casquette revendiquée : à la fois d’expert « neutre », Au-delà de notre implication sur la Semaine de à même d’assumer un rôle d’animateur de la partici- Co-Construction grenobloise, notre mission d’AMO pation habitante au sens large… tout en étant un ac- auprès de la Métropole était de veiller à la cohérence teur militant, porteur d’une vision et de convictions et à l’articulation des processus participatifs engagés sur Grenoble et sur Echirolles, avec les habitants, affirmées pour le quartier. mais également entre les services et les élus. Plus De son côté, la présence active de la Métropole et précisément, il s’agissait de : de la ville de Grenoble dans ce dispositif était légiFaire émerger des axes de travail transvertime et pleinement justifiée : d’abord parce qu’elles mettaient à disposition les ressources humaines et saux et partagés permettant de fédérer acteurs, inimatérielles nécessaires au bon déroulement de la tiatives, projets, financements autour d’actions coSemaine, ensuite parce qu’elles devaient s’assurer – hérentes et coordonnées tout le long du projet ; Rédiger un cahier de prescriptions citoyennes au même titre que sur Echirolles - du bon niveau de capitalisation des contributions dans le cadre de la commun aux deux villes faisant office de cahier des charges pour le lancement d’une future étude de mise au point du projet global. maîtrise d’œuvre urbaine intercommunale. En tant qu’AMO, notre légitimité à intervenir émanait naturellement de la Collectivité. Nous assurions Or, les deux démarches de participation, bien que depuis plusieurs mois un travail de concertation avec simultanées, n’étaient pas du tout conçues de la les élus et les services. Nous travaillions également même manière par les deux villes : d’une part une Le maître d’ouvrage, le Collectif citoyen et l’Assistant à Maîtrise d’Ouvrage : un positionnement délicat et passionnant au cœur d’un système d’acteurs complexe Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience 48 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Cet article n’évoque ici qu’une petite part de ce qui s’est déroulé durant cette période et pointe les éléments les plus saillants de cette expérience complexe, intense et passionnante. Le travail de capitalisation et de synthèse, qui s’est effectué dans des contextes très différents, tant en termes de méSi les habitants de part et d’autre de la limite com- thode que de configuration urbaine, a néanmoins munale faisaient état des mêmes problématiques constitué une étape décisive pour la mise en place (emploi, économie, habitat, environnement...), du protocole comme pour la rédaction du cahier des celles-ci n’étaient pas reformulées de la même charges de maîtrise d’œuvre urbaine. manière, que ce soit par les habitants d’une part, et d’autre part par les Collectivités porteuses de la démarche puisque chacun avait son propre vocabulaire en matière de politiques publiques. initiative citoyenne co-animée avec par un Collectif et se traduisant par une forme d’évènementiel multisites sur Grenoble, et de l’autre une approche plus « descendante », entièrement pilotée par les élus et mise en œuvre par les services sur Echirolles ! Par ailleurs, certains points soulevés par la concertation touchaient à des actions très territorialisées, nécessitant parfois des investissements lourds – sur de la correction d’espaces publics par exemple. Enfin, d’autres thèmes plus « immatériels » abordés par les habitants, autour par exemple de la gouvernance locale, ou de la gestion, pouvaient quant à eux renvoyer à des conceptions assez différentes entre les deux villes. De ce fait, le travail a été structuré par thématiques, par temporalité, par territoire parfois, et par priorité. La difficulté a donc été de trouver une sorte de grammaire commune aux deux villes, tout en respectant les spécificités territoriales et les priorités de chacune, et en restituant le plus fidèlement possible la contribution des habitants. Pour atteindre cet objectif la méthode employée a été décisive, notre leitmotiv tout au long du processus ayant été l’articulation entre les différentes contributions afin que chaque démarche ne fonctionne pas en tunnel. Davantage encore il nous a semblé important d’éclairer les débats, points communs et divergences, afin de clarifier les jeux d’intérêts au profit d’une coopération en pleine conscience. « Le diable se cache dans les interstices ! » Pour illustrer cela nous avons notamment organisé ce que nous avons nommé le « Ring », un débat opérant entre élus et habitants s’appuyant sur le face à face et la complémentarité de leurs contributions préalables. Nous avions fait le même travail en amont de la semaine de la co-construction entre les services de la Métro, de Grenoble et d’Echirolles. Article - Grenoble, La semaine de la co-construction. Retour d’expérience 49 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Eric RUIZ Directeur du Renouvellement Urbain Grenonle Eric Ruiz est directeur du Renouvellement Urbain à Grenoble Alpes Métropole et chercheur associé à l’école d’architecture de Grenoble. Il est également l’auteur d’une thèse sur l’autopromotion . Dans le cadre de ce travail de recherche, il a exploré les différentes typologies de ces nouvelles « maîtrises d’ouvrage collectives non professionnelles » d’habitants, et analysé les atouts et les résultats de leurs productions, du point de vue spatial et urbain, mais également du point de vue de l’évolution des pratiques du projet. François MEUNIER (FM) : L’autopromotion est souvent présentée comme une troisième voie alternative à la production de logement par les maîtrises d’ouvrage publiques et privées. Quelles sont les caractéristiques de ce type de produit ? En quoi ces maîtrises d’ouvrage habitantes, non professionnelles, peuvent-elles répondre en partie à des problématiques mal résolues par les maîtrises d’ouvrage classiques dans le logement ? lativement calibrés. J’identifie ainsi trois grands champs dans lesquels l’autopromotion permet vraiment d’ouvrir les possibles et d’apporter des solutions concrètes par rapport aux autres modes de production. Le premier, c’est celui que l’on pourrait appeler le « vivre ensemble ». Des gens vont se regrouper autour d’un projet commun, puis s’engager dans un Eric RUIZ (ER): Je préfère parler de troisième mo- processus long et complexe de production du logedalité de production, plutôt que de troisième voie, ment. Ils vont confronter leurs idées, échanger, tracar cela laisserait supposer qu’en termes de volume, vailler ensemble et apprendre à gérer une opération autopromotion et filières publiques et privées tradi- immobilière qui représente un niveau de difficulté tionnelles seraient sur des quantités équivalentes, parfois élevé. Cela va construire une connaissance ou du moins sensiblement comparables... Or c’est de l’autre, un mode relationnel au quotidien que l’on n’a pas quand on arrive dans un logement dont on très loin d’être le cas ! nous a donné les clefs et où l’on ne connait pas nos Mais cela ne veut pas dire que l’autopromotion n’est voisins. Par la suite, on constate que dans les projets pas intéressante – au contraire. L’autopromotion va développés en autopromotion, il n’y a pas moins de proposer des solutions originales et innovantes à des problèmes de fonctionnement et de gestion quotiquestions que ne prennent pas en compte – ou très dienne, mais il y a une beaucoup plus grande capacipeu – les modes de production classiques… Juste- té à les résoudre entre voisins ! ment parce que l’autopromotion va être portée par une maîtrise d’ouvrage non professionnelle : c’est là Le deuxième sujet important est selon moi les modalités d’appropriation de l’espace. Sur une opéral’élément le plus important. Avec l’autopromotion, c’est en effet l’usager futur tion en autopromotion, chacun va s’investir autant qui va définir et porter la conception de l’ouvrage. sur la conception de la partie privée de son logement Il va donc pouvoir imaginer, se projeter dans les que sur celle des parties communes. Chacun va donc usages, dans le fonctionnement de son logement se projeter dans l’espace au-delà de la simple sphère demain… Là où les maîtrises d’ouvrage classiques – privée. Certains usages, qui dans un autre mode qu’elles soient publiques ou privées - vont raisonner d’acquisition ou d’accès au logement s’appréhendeen termes de standards et de normes, pour pouvoir raient uniquement dans l’espace intime, vont ainsi facilement louer, ou vendre leur bien en fonction des être envisagés dans l’espace commun. Les chambres grands profils de ménages ciblés. Même si certains d’enfants peuvent par exemple être plus petites dans promoteurs et bailleurs vont de plus en plus faire les opérations en autopromotion, parce qu’on va se preuve d’innovation, cela va donner des produits re- projeter dans les espaces extérieurs. De la même Interview Eric RUIZ 50 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives manière, il n’y a pas systématiquement de chambre d’amis parce qu’on a pensé à un studio partagé. Il y a un usage que j’appelle plus « élastique ». Cela ne veut pas dire que tout est collectif, car au contraire les limites sont plus claires, mais il y a une porosité des usages entre l’intime et le commun. La notion de la propriété est élargie. Les gens ont pleinement conscience d’être propriétaire de l’immeuble et non pas que de leur logement. La dernière spécificité à mon sens de l’autopromotion par rapport aux autres modes de production, c’est le fait que les habitants vont se projeter de manière différente dans le temps, mais aussi dans l’espace. Le locatif représente souvent une étape dans un parcours résidentiel : il s’agit d’un ancrage territorial provisoire. De même, quand on achète un logement, il y a souvent une dimension spéculative sur le moyen – long terme, particulièrement en zone tendue. Dans l’habitat en autopromotion au contraire, les gens vont se projeter sur la très longue durée. Le projet a souvent mis 5 ou 6 ans à aboutir : les rapports à la temporalité et la projection de vie dans le logement sont forcéments différents. Certains y envisagent déjà leur vieillesse. J’ai visité une opération où la salle de réunion du rez-de-chaussée pouvait à terme devenir la chambre d’un aidant, et où la place pour une cage d’ascenseur avait déjà été prévue. Cette projection dans le temps entraîne une projection dans sa ville, dans son quartier et dans sa rue qui elle aussi est différente. L’ancrage territorial a tendance à être plus fort, les habitants vont avoir tendance à s’impliquer davantage dans la vie associative locale, sur des questions urbaines, de gestion, de citoyenneté… Tous ces aspects font que l’autopromotion est davantage une solution « d’habitat » qu’une simple solution de logement. cela peut poser problème dans les dynamiques de co-construction car le concepteur peut être amené à induire les décisions ou à prendre les décisions à la place de son maître d’ouvrage. C’est souvent le cas sur les solutions techniques. En autopromotion, les gens vont par exemple avoir tendance à privilégier des systèmes simples de chauffage, en misant avant tout sur l’isolation du bâtiment. Mais fut un temps où la mode était aux VMC double flux dans l’habitation : un système assez complexe à gérer et au final loin d’être adapté à toutes les situations. Sous l’impulsion du concepteur, certaines opérations en autopromotion ont pu se retrouver « contre leur gré » avec ce genre de système complexe à gérer au quotidien. Mais je constate aussi que de nombreux concepteurs savent aussi se mettre à l’écoute. D’un point de vue architectural, l’autopromotion représente pour eux une opportunité de proposer des choses différentes car justement, le commanditaire n’est pas un professionnel qui arrive avec des standards à respecter. Des formes architecturales très intéressantes peuvent ainsi voir le jour en autopromotion, et ces explorations sont aussi possibles sur l’agencement et l’organisation intérieure des espaces, avec notamment la possibilité de concevoir des espaces communs beaucoup plus généreux que sur une opération classique. Je dirais donc qu’il y a chez les concepteurs une double lecture de l’autopromotion. D’un côté toujours la volonté de « garder la main » sur certaines questions, c’est-à-dire une posture de sachant, d’expert qui a du mal à partager son savoir et à reconnaître ces maîtrises d’ouvrage non professionnelles. Mais d’un autre côté, il y a aussi je pense de plus en plus une volonté réelle de faire évoluer les pratiques. Je le constate notamment dans les écoles d’architecture et d’urbanisme, où les enseignants témoignent d’une appétence nouvelle au sujet de la co-conception et de la co-construction des ouvrages. FM : Comment se passe en général la collaboration architecte-habitants sur le terrain ? Ces maîtrises d’ouvrage habitantes ont-elles vocation à faire évoluer les pratiques en matière de conception, et plus largement le rapport au concepteur et à « l’acte de FM : Comment la métropole de Grenoble encouconstruire » ? rage-t-elle ce type de projet ? Et plus largement en matière de politiques publiques, existent-ils ER : J’ai pu remarquer en effet une certaine difficul- des leviers pour encourager ce type d’initiatives cité de la part du concepteur à reconnaitre à des non toyennes dans la production de l’habitat – notamprofessionnels ce statut de maître d’ouvrage... et ment dans les Quartiers Prioritaires de la Politique Interview Eric RUIZ 51 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives de la Ville (QPV), où cette piste commence à être une dynamique collective de co-gestion de leur imévoquée comme produit alternatif pour accompa- meuble. C’est un modèle que l’on essaye de reprogner la diversification résidentielle ? duire, mais qui suppose à l’origine un bailleur volontaire et demandeur, prêt à jouer le jeu avec les ER : Le précédent PLH (Plan Local de l’Habitat) pro- habitants. Certains bailleurs vont être à l’écoute, posait une action spécifique pour soutenir les struc- mais d’autres vont avant tout y voir une difficulté tures qui faisaient la promotion de l’habitat partici- supplémentaire à leur mission. On se heurte aussi à patif au travers de l’Economie Sociale et Solidaire. un cadre de la loi contraignant en matière d’attribuLa ville de Grenoble organisait également des appels tion, ce qui représente un gros frein au montage de à projets sur des fonciers disponibles pour accueillir ce type de projet. des opérations en autopromotion. Cet appel à projet sur les fonciers est désormais passé à l’échelle mé- L’autopromotion dans les QPV pose encore à mon tropolitaine. L’accès au foncier est en effet une ques- sens un autre niveau de difficulté. Il y a en effet un tion récurrente pour l’autopromotion, un premier vrai engouement à Grenoble, et plus spécifiqueobstacle à lever, qui peut vite être en concurrence ment sur le quartier de la Villeneuve. Soutenue par les élus et de nombreux habitants, l’autopromotion, avec les maîtrises d’ouvrage professionnelles. sur des produits en accession ou dans le locatif, apDe manière générale, les élus sont toujours très inté- paraît comme le moyen de renouer avec l’histoire et ressés par les opérations en autopromotion : ce sont les origines de ce quartier, fondamentalement liées toujours des projets qualitatifs, riches en termes à l’idée d’autogestion, de projet de vie collectif et d’usages, avec une valeur démonstrative et expéri- d’expérimentation. mentale forte. Mais ce sont aussi des projets longs et complexes à faire aboutir. Il faut faire émerger En matière de diversification sur certains quartiers des groupes d’habitants solides, capables de s’inves- comme l’Arlequin, il y a aussi l’idée de dire que le tir dans le temps long du projet. Il faut aussi que le marché de l’immobilier n’est pas encore assez mur foncier proposé dans le cadre des appels à projets pour développer des produits en accession standard. corresponde à leurs attentes et à leurs contraintes. On espère donc, avec des produits immobiliers inEt de fait, les terrains proposés dans ce type d’appels novants dans leurs formes, dans la qualité et dans à projets ne sont pas toujours les plus simples ! C’est le mode vie qu’ils peuvent proposer, pouvoir attirer d’ailleurs une des limites de ces appels à projets. A ce des ménages qui viendraient là parce que ce produit titre la démarche proposée par Strasbourg est très immobilier innovant se démarque et n’existe pas ailintéressante : l’appel à projet propose du foncier, leurs. Et pourquoi pas faire de cette opération « pimais également une ingénierie auprès des groupes lote » l’élément déclencheur d’un retour progressif à une certaine normalité de marché en matière de lopour accompagner l’élaboration de leurs projets. gement car l’opération autoproduite aura contribué La métropole incite également les bailleurs sociaux à changer l’image et l’attractivité du quartier. à mener des opérations en locatif, où seront proposées des modalités de gestion au quotidien qui Mais encore une fois, nous parlons d’opérations lons’apparentent à celles de l’habitat participatif, no- gues et complexes à monter. Et sur un QPV qui va tamment autour des notions de vivre ensemble et déjà avoir tendance à cumuler les difficultés, le nide communauté de vie avec les locataires. L’idée veau de complexité de l’opération en autopromosur ces nouvelles opérations est que les attributions tion va augmenter ! Mais cela ne veut pas dire qu’il tiennent compte de la volonté et de la capacité du ne faut pas être ambitieux, car une fois que l’opérademandeur à entrer dans cette dynamique collec- tion sera sortie de terre, sa dimension exemplaire et ses retombées positives en matière d’usages sur tive. le quartier auront forcément un impact positif pour Il y a notamment une opération historique à Mey- l’ensemble du projet de renouvellement urbain. Et si lan1, commune proche de Grenoble, portée depuis on arrive à faire une opération qui fonctionne difféplus de 30 ans par un bailleur public qui fonctionne remment et qui amène de la qualité… alors il y a fort très bien : les locataires sont vraiment rentrés dans à parier que la deuxième opération sera plus facile et 1. Les Naifs – 13 logements locatifs sociaux - Ce projet d’habitat groupé est l’un des rares en gestion locative sociale. Il prend place sur l’une des trois parcelles proposées pour de l’habitat autogéré de la ZAC des Béalières créée par la commune de Meylan en 1984. Les membres du groupe, n’ayant pas les moyens ou l’envie d’être propriétaires, font appel aux bailleurs sociaux. C’est Pluralis qui accepte de porter ce projet. L’association «Les Naïfs» est créée pour signer une convention avec le bailleur social. Le groupe est alors partie prenante des choix décisifs lors des études. Interview Eric RUIZ 52 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives ainsi de suite. FM : Changeons d’échelle justement, pour passer de l’autopromotion à l’échelle du logement à la co-construction du projet de renouvellement urbain désormais inscrite au cœur du NPNRU. Quelle lecture faites-vous de ce nouveau niveau d’ambition ? Y a-t-il des bonnes pratiques, enseignements à tirer de l’autopromotion ? ER : Je vais avoir un discours un peu différent sur la co-construction dans le cadre du projet urbain que sur l’auto-promotion dans le cadre d’une opération d’habitat… Quitte à donner l’impression de me contredire ! La loi LAMI impose en effet désormais de faire de la co-construction dans le cadre l’élaboration du projet de renouvellement urbain. L’ambition est vertueuse et personne ne la conteste ! Mais qu’entend-t-on par co-construction ? Je pense que le cadre posé n’est pas assez clair – et que cela génère au final beaucoup de confusion, voire de l’incompréhension chez une partie des habitants notamment pour ceux qui s’impliquent dans le conseil citoyen. d’ailleurs le support du conventionnement avec l’ANRU. Décider du nombre de démolitions ou du niveau de réhabilitation n’est pas non plus des décisions simples à prendre. Je pense également que le cadre institutionnel n’est pas tout fait prêt à accepter qu’il y ait une réelle co-décision avec les habitants sur des sujets comme la gestion des équipements ou encore le choix du mode de collecte. Et lorsque l’on a des habitants organisés et qui ont lu la loi LAMI… Cette confusion entretenue dans les différentes instances de participation va en effet générer de la frustration parce qu’ils découvrent que oui, ils sont bien impliqués dans le processus d’élaboration du projet, mais que non, ils n’ont pas de réel pouvoir de décision. Que l’on associe au mieux et systématiquement les habitants à la formulation du projet et à l’élaboration plan guide, en prenant en compte leur expertises d’usages et leurs attentes, je pense que c’est un acquis et une valeur ajoutée certaine pour le projet. Mais je pense aussi qu’il faudrait clairement lever le flou : les habitants ne sont pas co-décisionnaires de cette étape de définition amont des orientations. A mon sens, cette confusion vient du fait que la Loi, reprise par l’ANRU dans le cadre du NPNRU, reste dans le flou entre le « Community development » et le « Community organizing ». Or en fonction de ce qui est choisi, ce n’est pas la même chose qui est attendue des habitants ! Si la co-construction, c’est de faire des habitants des interlocuteurs en capacité de réagir et de participer au projet, nous sommes alors dans le registre du Community development. Si la co-construction c’est de donner les moyens techniques, financiers et le pouvoir de décision aux habitants pour faire le projet, nous sommes alors dans le Community organizing. En revanche, je pense qu’il faudrait aussi que l’on arrive à reconnaître un statut de co-maître d‘ouvrage aux habitants sur certains sujets, un peu comme dans le cadre de l’autopromotion. Cela semble beaucoup plus crédible sur les phases aval, dans la mise en œuvre du projet, quand chacune des maîtrise d’ouvrage – la Collectivité sur de l’espace public, les bailleurs … - aura pris la main sur ses opérations. Sur ces échelles plus fines, le nombre d’acteurs est réduit, la place des habitants est donc proportionnellement plus importante. On sera alors plus à même de faire de la participation active en impliquant beaucoup plus l’expertise d’usage des habitants et des Or dans un projet NPNRU, c’est avant tout la Collec- usagers, et en allant sur de véritables dispositifs de tivité et ses élus qui portent le projet, et qui vont le co-décision voire d’auto-gestion sur certains projets. négocier avec l’ANRU et ses multiples partenaires et co-financeurs institutionnels. L’habitant est bien reconnu comme étant un acteur du projet, son avis et son expertise d’usages sont de plus en plus pris en compte, mais dans les faits il n’est pas décisionnaire. Il y une aussi une question d’échelle. On peut à mon avis discuter sur l’opportunité de la co-décision avec les habitants sur les grandes orientations urbaines stratégiques à l’échelle métropolitaine qui seront Interview Eric RUIZ 53 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives Alice COLLET Chargée de mission cohésion sociale et gestion urbaine à l’ANRU Alice Collet est chargée de mission cohésion sociale et gestion urbaine à l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (Anru). Elle intervient au sein de la direction de la stratégie et de l’accompagnent des acteurs, dont le rôle est de concevoir des programmes pilotés par l’Agence et d’accompagner les acteurs locaux (services de l’Etat, collectivités locales, maîtres d’ouvrage etc.) en charge des projets relatifs à ces programmes, par des actions d’animation, de formation et de capitalisation. Ses champs d’expertise portent sur les stratégies de relogement et d’attributions, les stratégies scolaires et éducatives, les enjeux d’insertion professionnelle, gestion et sûreté urbaine et santé, qui sont intégrés aux projets de renouvellement urbain. Alice Collet est également référente sur le thème de la co-construction des projets de renouvellement urbain. François MEUNIER (FM) : Avec le NPNRU, l’ANRU semble avoir placé la participation des habitants au cœur des objectifs du renouvellement urbain. Pouvez-revenir sur cette inflexion majeure entre les deux programmes, et plus précisément sur les attendus de l’Agence en matière de co-construction pour les projets qui seront conventionnés ? Alice COLLET (AC) : Dans le premier Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU), la participation des habitants était pensée comme nécessaire pour l’accompagnement et l’acceptabilité des projets. Avec le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), on parle de co-construction des projets : cela témoigne d’une montée en puissance de l’ambition de l’Agence et de ses partenaires. L’habitant n’est plus pensé uniquement comme bénéficiaire du projet. Il en est l’un des acteurs à part entière, au même titre que les autres parties prenantes. Son expertise d’usages est reconnue, et même recherchée comme contribuant à la qualité des projets. Le principe de co-construction est inscrit dans le Règlement Général de l’Agence (RGA) relatif au NPNRU. Celui-ci précise que les habitants doivent être associés à toutes les étapes du projet de renouvellement urbain : en amont lors de sa préfiguration, lors de la définition de ses orientations, pendant sa mise en œuvre et après la livraison des opérations … Co-construire vise à mettre en place un dialogue participatif et itératif pour mieux prendre en compte les enjeux d’usages dans le projet. La conviction de l’Agence est que la co-construction est gage de qualité pour les projets et de durabilité pour les investissements qu’elle co-finance. L’Anru souhaite que les enjeux liés au fonctionnement social des quartiers, à leur gestion et à leurs usages soient intégrés dès la définition du projet de renouvellement urbain et pris en compte dans les aménagements et les programmes immobiliers. Cela permet de concevoir des projets adaptés aux besoins des habitants et susceptibles de transformer l’attractivité de leur quartier. Cette approche ne se limite pas aux seuls habitants du quartier. Elle doit prendre en compte l’ensemble de ses usagers : ceux qui résident à proximité, sont amenés à le fréquenter, y travaillent … Elle a vocation à dépasser le seul projet urbain d’ensemble, pour s’appliquer aux opérations immobilières, espaces et équipements publics. Ainsi, nous venons de finaliser un cahier « Ecole et renouvellement urbain », qui montre l’intérêt d’associer à la programmation et à la conception des établissements scolaires l’ensemble de leurs usagers : équipes éducatives, gestionnaires, parents d’élèves et élèves. Cela suppose une structuration forte de la maîtrise d’ouvrage et une réflexion préalable sur la vocation, le projet pédagogique et le projet de fonctionnement de l’équipement pour nourrir sa programmation et sa conception architecturale. Plus largement, la co-construction répond à une exigence démocratique, d’autant plus légitime que le projet de renouvellement urbain est porteur de transformations profondes pour le quartier. Les retours d’expérience du PNRU attestent d’une très grande diversité d’initiatives de participation. Les maîtres d’ouvrage et porteurs de projet sont montés en compétence, au même titre que les équipes de maîtrise d’œuvre. Toutefois, ces actions ayant été portées par une grande diversité d’acteurs Interview Alice COLLET 54 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives avec des approches et des cultures différentes en la matière, il n’a pas été facile de construire une vision stratégique et cohérente de la participation et d’identifier ses apports aux projets. se professionnaliser : le porteur du projet, les maîtres d’ouvrage, mais également les équipes d’assistant à maîtrise d’ouvrage, de maîtrises d’œuvre des opérations etc. FM : Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les démarches participatives n’étaient donc pas absentes dans les projets issus du premier programme. C’est plutôt la méthode et la lisibilité de ces démarches qui semble avoir fait défaut dans l’ensemble. Quel bilan tirez-vous de ces premières expériences ? FM : Justement, quels sont aujourd’hui les retours de terrain des Porteurs de Projets et des Délégués Territoriaux concernant les difficultés ou les obstacles rencontrés dans la mise en œuvre de ces démarches ? Au-delà de l’objectif de participation, l’Agence arrive-t-elle à être la pourvoyeuse d’une véritable « méthode » de participation ? AC : La plupart des actions participatives du PNRU relevaient plus du registre de l’information et de la consultation que de la co-construction. Certaines initiatives de concertation (ateliers urbains, jury citoyens etc.) ont pu aller plus loin, mais souvent sur des objets et opérations isolés, laissant la définition des orientations stratégiques du projet hors du champ de la discussion avec les habitants. AC : Il n’est pas facile de porter un regard sur un tel sujet au niveau national, à ce stade de mise en œuvre du programme. La co-construction des projets relève de la gouvernance et des dynamiques locales. En tant que pilote d’une politique publique nationale, qui se déploie dans des contextes sociaux, urbains et politiques très différents, l’Anru n’est qu’un maillon dans une communauté plus large d’acteurs locaux et L’autre limite a souvent été la difficulté à sortir d’une nationaux. Sur ce sujet, comme sur d’autres, la quesvision monolithique de « l’Habitant avec un grand tion est de trouver un juste équilibre entre le niveau H », pour saisir la parole habitante dans sa diversi- de prescription à l’échelle nationale et le niveau de té. Celle des plus jeunes, des plus âgés, de l’habitant délégation et d’initiatives à l’échelon local. Le RGA présent sur le quartier depuis 30 ans, qui vient de s’y pose un cadre et fait de la co-construction l’un des installer ou souhaite en partir… Enfin, la participation critères d’appréciation d’un projet de renouvellea bien souvent été limitée aux habitants du quartier, ment urbain. L’ambition est forte. Mais cela veut dire laissant de côté le reste du territoire. que l’Agence, avec ses délégués territoriaux, doit acAu final, certains projets ont pu donner le sentiment compagner cette exigence. d’instrumentaliser la parole des habitants, plus par manque de méthode des porteurs de projet que par A la mi-2018, la co-construction semble bien amorréelle volonté de manipulation d’ailleurs ! On a pu cée dans plusieurs projets, parfois à la suite du voir par exemple des réunions publiques mettant en premier programme. Les conseillers citoyens sont débat des orientations de projet, alors même que membres des instances de pilotage du projet et parcelles-ci avaient déjà été validées en amont par la ticipent à la réflexion sur ses orientations. Si cette mobilisation marque une nouvelle dynamique, elle Collectivité et ses partenaires … reste une expérience parfois encore en demi-teinte, Aujourd’hui, il s’agit d’impulser une démarche de et même décevante pour certains conseillers cico-construction vraiment articulée au projet de re- toyens, qui n’ont pas le sentiment de pouvoir enrichir nouvellement urbain, et qui donne leur place aux ha- de manière concrète les projets. bitants – y compris sur ses enjeux de fond. Le RGA « donne le LA » en quelque sorte... Cela peut Au-delà de la mobilisation des conseillers citoyens, passer pour une contrainte, mais c’est surtout une nous avons des signes d’une place plus grande faite opportunité. Cela permet au directeur de projet de aux questions sociales dans l’élaboration des projets. dire aux élus « regardez, la co-construction fait partie Plusieurs AMO de programmation urbaine intègrent des critères d’appréciation de la qualité des projets par des compétences sociologiques pour analyser les l’Anru … Il faut donc mettre en place des démarches dynamiques habitantes, le fonctionnement social, qui répondent à cette exigence ! ». Et c’est bien, sur ce les modes de vie et les usages. De même, le démarsujet, l’ensemble des acteurs qui doit se mobiliser et rage de certains projets est amorcé par des appels à Interview Alice COLLET 55 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives projet auprès d’associations pour faire émerger des initiatives locales. Toutefois, dans de nombreux cas, le porteur de projet éprouve encore une certaine appréhension à engager un processus de co-construction dans la phase de maturation du projet, alors que ses orientations ne sont pas encore validées et qu’il subsiste des incertitudes. C’est notamment sur ce point que les pratiques doivent évoluer : la co-construction s’initie en amont, dès la phase de conception du projet. Ce n’est pas parce que ses orientations sont encore ouvertes qu’on ne peut pas associer les habitants. Au contraire : si les habitants participent au diagnostic et aux orientations du projet, ils permettent de hiérarchiser les enjeux à prendre en compte. C’est le sens de l’expertise d’usage. Les habitants sont légitimes pour formuler leurs attentes vis-à-vis du projet, tout en étant en capacité de comprendre qu’elles ne pourront pas toutes être intégrées. A charge au porteur de projet de resituer leurs attentes dans le temps long et dans les contraintes du projet. Et donner à voir les points de consensus, de débats et de compromis sur lesquels le projet se construit de manière progressive et itérative. FM : Cela renvoie à la question de la méthode à mettre en place pour co-élaborer le projet. L’ANRU à ce titre finance l’ingénierie de la co-construction, et certains éléments comme la mise en place des Maisons Du Projet (MDP). Pouvez-vous formuler certaines des recommandations et bonnes pratiques pour la mise en œuvre de la co-construction sur les projets en renouvellement urbains ? AC : La dynamique de co-construction, qui est une vraie exigence, sera d’autant plus riche que le porteur de projet aura pris le temps de se poser la question de ce qu’il en attend vraiment, pour ne pas la vivre comme une règle prescrite ou imposée. Il faut également avant tout que le porteur de projet clarifie au plus tôt avec les habitants l’ambition du projet de renouvellement urbain et ses invariants, pour les associer de manière sereine. Cela suppose aussi que l’ensemble des incertitudes physico financières et techniques qui constituent en quelque sorte les « données d’entrée » du projet soient partagées. C’est fondamental. Il serait inutile et dangereux de faire croire que tout peut être envisagé, amélioré… ou que le projet de renouvellement urbain pourra répondre à l’ensemble des attentes ! Les habitants savent très bien que des projets d’une telle ampleur appellent des arbitrages et des choix, dans une négociation entre ambitions et moyens techniques et financiers. Ils comprennent que certaines dynamiques – sociales, économiques, réglementaires etc. - ne dépendent pas seulement de la collectivité locale qui porte le projet. Faire l’impasse, ou minimiser l’importance de cet exercice de transparence et de sincérité au démarrage d’un projet, c’est prendre le risque que les oppositions se durcissent, ou pire, que le sentiment de manipulation et la perte de confiance vis-à-vis des institutions ne se développent. Il faut donc bien poser les règles du jeu, et parmi elles, identifier les parties prenantes de la co-construction. A ce titre, le conseil citoyen défini dans le cadre de la réforme LAMY a toute sa place dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet. Il s’agit non seulement de lui donner une place dans le projet, mais plus largement d’accompagner la mobilisation des conseillers citoyens. Cela suppose d’expliciter les objectifs et la méthode du projet de manière simple et accessible, sans l’enfermer dans une technicité trop forte. Les instances de pilotage du projet peuvent être préparées avec les conseillers citoyens, afin qu’ils se sentent à l’aise pour prendre la parole et contribuer aux débats. En effet, des débats trop techniques peuvent susciter leur retrait et leur donner le sentiment de ne pas prendre part aux décisions. De même, leur implication dans un atelier de programmation urbaine nécessite d’être accompagnée, pour les amener à identifier les mutations possibles sur le quartier et se projeter sur le long terme du devenir du quartier. A côté du conseil citoyen, il semble intéressant d’associer l’ensemble des habitants, du tissu associatif et des acteurs de terrain à la conception et à la mise en œuvre des projets. Ceux-ci sont suffisamment larges pour que chacun y trouve sa place ! Et la co-construction doit tenir compte de la culture locale et des dynamiques habitantes qui ne sont jamais les mêmes d’un quartier à l’autre. La co-construction doit également être clairement structurée. Différentes modalités de rencontre Interview Alice COLLET 56 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives peuvent être imaginées pour capter la parole de publics différents, dans une logique de complémentarité et non d’opposition. Certains habitants sont familiers du travail avec les institutions, tandis que d’autres en sont plus éloignés, ne se sentent pas spontanément concernés ou expriment une forme de scepticisme. Il faut dans ce cas « aller les chercher » avec des méthodes de sollicitation adaptés à leurs lieux et rythmes de vie, dans le cadre de rencontres « hors les murs » : enquêtes, micros-trottoirs, événements aux pieds des immeubles, à la sortie des écoles … Il est important de solliciter des habitants ancrés dans le quartier, mais aussi des nouveaux arrivants et des résidents extérieurs, qui rendent compte de l’image du quartier à une échelle plus large. La Maison du Projet (MDP) constitue un point d’appui intéressant pour initier et mettre en œuvre la co-construction. En réponse au « temps long » du projet, dont les premières opérations ne seront souvent livrées que 3 à 5 ans après son lancement, la MDP propose d’emblée quelque chose de concret et de physique, de l’ordre du « tout de suite et maintenant ». Elle permet de travailler sur l’attente du projet et à l’anticipation de sa mise en œuvre : adaptations de la gestion urbaine, dispositions pour le relogement, les clauses d’insertion dans les chantiers etc. Le rôle de la MDP, c’est à la fois d’accompagner et de « donner à voir » l’élaboration du projet - de manière physique et symbolique. Elle permet d’incarner la co-construction. Elle doit donc être investie dès le départ, pour construire le diagnostic puis des orientations programmatiques et spatiales. Elle peut être un point de rassemblement pour des diagnostics en marchant conduits sur le quartier ou des ateliers de travail urbains avec les habitants et les usagers… Elle peut aussi être envisagée comme un lieu de ressources et de diffusion pour donner de la visibilité au projet, et créer une certaine curiosité, au travers d’événements ou d’expositions présentant maquettes ou reportages photos. Le choix du lieu de la MDP a donc son importance. S’agit-il d’un local existant ou d’un bâtiment neuf ? D’une construction pérenne ou transitoire ? Avec une implantation au cœur du quartier en projet, ou à l’inverse, mobile à l’échelle de l’agglomération pour toucher le maximum de personnes ? Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses : cela dépend du contexte du quartier, de l’intensité du projet mais aussi du message que le porteur de projet souhaite faire passer… Et au-delà de la MDP, il peut être utile d’organiser des manifestations sur le projet dans des lieux situés en dehors du quartier, pour donner à voir sa transformation depuis l’extérieur. Ou de créer des événements festifs d’ampleur dans le quartier qui associent les habitants de l’ensemble de la ville pour valoriser sa transformation. Un autre aspect essentiel de la co-construction, c’est le travail sur l’« après-projet » qui peut être utilement engagé avec les habitants, dans une approche d’évaluation spatialisée du projet. Cette évaluation peut se faire à l’échelle du quartier, de secteurs spécifiques, d’équipements ou encore d’opérations de résidentialisation après leur livraison. L’intérêt est d’analyser in situ, avec les habitants, les usagers et les gestionnaires, si les enjeux de gestion et d’usages identifiés en amont ont bien été pris en compte, si les espaces neufs ou restructurés sont correctement investis, si les règles d’usage et les modes de gestion y sont clairement définis ou nécessitent d’être adaptés etc. Des actions correctives et d’accompagnement peuvent alors être envisagées. L’évaluation in situ permet d’apprécier si les effets positifs escomptés du projet sont bien au rendez-vous et permettent de transformer son attractivité … C’est important de prendre régulièrement la température avec les habitants, et l’ensemble des acteurs pourrait à ce titre y travailler de manière plus collégiale ! FM : En partenariat avec le Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (CGET), l’Ecole du Renouvellement Urbain propose de former les Conseils Citoyens. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette action de formation à destination des habitants, finalement assez originale dans le fond comme dans la forme ? AC : Il s’agit en effet d’une action de formation très importante, qui a été redimensionnée pour le NPNRU. L’objectif est de former les conseillers habitants pour développer leur capacité à prendre part à l’élaboration d’un projet de renouvellement urbain, à en saisir toute la complexité et à être force de proposition dans son élaboration comme dans sa mise en œuvre. Les différentes dimensions du projet de renouvellement urbain leur sont expliquées ainsi que le cadre Interview Alice COLLET 57 Les dossiers d’Aptitudes Urbaines - Les démarches participatives de la démarche de conventionnement avec l’Anru. A partir de là, les conseillers citoyens sont invités à travailler en groupe sur un cas pratique pour élaborer des orientations d’un projet de renouvellement urbain, qu’ils présentent devant un Jury, auquel des membres de l’Anru et de ses partenaires sont invités. Les formateurs sont des équipes mixtes d’architectes-urbanistes et sociologues. La formation se déroule sur 5 jours complets. Deux sessions sont organisées par mois. Cela demande une mobilisation importante pour les habitants, qui viennent de la France entière. Les retours des participants sont très positifs : ils prennent conscience de la diversité des situations locales, mais aussi des lignes de force et des ressources communes pour agir et porter leur parole ! A l’issue de la formation, chaque conseiller citoyen repart avec une feuille de route qui met à plat la façon dont il va concrètement prendre part à l’élaboration du projet une fois rentré dans son quartier. On sent une vraie volonté de porter ces questions, une réelle motivation et montée en compétence. Cette formation pose la question de la capacité et volonté des porteurs de projet à soutenir ces nouveaux acteurs du projet de renouvellement urbain et à les intégrer dans des dispositifs de co-construction. Il reste sans doute beaucoup à faire mais nous sommes confiants, car de très belles expériences voient le jour, avec de plus en plus de professionnels convaincus du sens et de l’intérêt de la démarche. Interview Alice COLLET 58 Aptitudes Urbaines Un organisme de formation dédiée à la programmation urbaine Des partenaires professionnels et institutionnels investis dans la formation En 2010, Attitudes Urbaines et un ensemble de partenaires consultants et bureaux d’études (Nathalie Bonnevide, Pablo Katz, François Kossmann, Emmanuel Redoutey, Jodelle ZetlaouiLéger…) mais aussi de personnalités du monde de l’urbanisme et d’institutions parmi lesquelles la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques, ont éprouvé le besoin de se réunir pour capitaliser sur la pratique émergente de la programmation urbaine, en s’investissant dans le premier programme de formation continue dédiée à cette démarche. illustrés et enrichis par la présentation de cas réels et/ou de cas pratiques avec mise en situation professionnelle. Le public de la formation : La formation continue Aptitudes Urbaines s’adresse à tout acteur de l’urbanisme et de l’aménagement en prise avec la définition et la mise en œuvre des projets urbains : maîtres d’ouvrage publics et privés et leurs équipes, partenaires institutionnels, mais aussi professionnels et bureaux d’études privés investis dans la transformation du cadre de vie. Les objectifs pédagogiques : - Comprendre les stratégies d’acteurs et les enjeux de la ville contemporaine ; - Acquérir le langage, les méthodes et les outils de la programmation urbaine pour améliorer les conditions de réalisation des projets urbains dans lesquels vous êtes engagés ; - Etre en capacité d’organiser les partenariats entre les différents acteurs pour les positionner et les responsabiliser au service de l’opération urbaine ; - Savoir mettre en pratique une démarche de projet intégrée et partenariale pour obtenir des résultats Réunis au sein du Collectif Scientifique et de plus performants dont bénéficieront tant les l’équipe pédagogique d’Aptitudes Urbaines, ces opérations, que les équipes de suivi et de pilotage, partenaires historiques et ceux qui sont venus ainsi que les usagers et les utilisateurs finaux. progressivement nous rejoindre accompagnent aujourd’hui cette formation, exclusivement animée Les modalités pédagogiques par des professionnels – praticiens. Avec pour fil rouge l’analyse de pratiques Le cursus certifiant comprend 11 modules d’une professionnelles entre acteurs de différents journée, de septembre à juin. Le cursus s’organise horizons, la qualité de notre enseignement se fonde autour d’une première séquence managériale sur une pédagogie collaborative et participative, (modules 1 à 6) et d’une seconde séquence privilégiant l’échange entre intervenants et thématique (modules 6 à 11). Le cursus peut être participants. suivi en cursus complet certifiant ou en cursus à la Les formateurs sont des professionnels en activité. carte. Au côté des apports techniques et méthodologiques, Chaque module d’une journée est animé par des chaque session est enrichie d’études de cas experts-praticiens, et s’articule autour de temps concrètes, permettant d’illustrer et de mettre en d’apprentissages théoriques systématiquement pratique les enseignements de la formation afin de favoriser une meilleure acquisition des savoirs et savoir-faire dispensés. Un cursus certifiant A l’issue du cursus complet composé de 11 modules, chaque stagiaire peut désormais prétendre à une certification d’Assistant-e à Maîtrise d’Ouvrage en Programmation Urbaine. Cette certification est délivrée sur la base d’un jury d’évaluation. Elle atteste de sa capacité à organiser et à conduire la démarche de programmation urbaine. adaptés à l’opération urbaine Animé par Jacques Cabanieu et Claire Mémier | Jeudi 6 décembre 2018 de 9h à 17h30 N°5 Construire le montage opérationnel de l’opération urbaine Animé par Jean-Philippe Pichevin | Jeudi 10 janvier 2019 de 9h à 17h30 N°6 Concevoir le projet de vocation programmatique Animé par François Meunier et Irène Sornein | Cette certification a pour objectif de valoriser la Jeudi 7 février 2019 de 9h à 17h30 maîtrise des compétences acquises dans le cadre de la formation Aptitudes Urbaines tout en participant à la diffusion et à la reconnaissance de la pratique de la programmation urbaine comme démarche de projet. Pour plus d’information, n’hésitez pas à nous contacter : apu@attitudes-urbaines.com N°7 Programmer l’habitat et traiter les questions de peuplement Animé par Simon Goudiard et Claire Mémier | Jeudi 14 mars 2019 de 9h à 17h30 Journée cas du club - Jeudi 21 mars 2019 N°8 Programmer les offres de services et d’équipements Un esprit club Animé par Nathalie Bonnevide et Marjorie En complément de la formation et des événements, Ravily | Jeudi 4 avril 2019 de 9h à 17h30 qui réunissent une fois par an des des professionnels de l’urbain afin de débattre sur des sujets clés de l’actualité, nous publions des dossiers et newsletters thématiques. Le programme 2018-2019 en résumé N°1 Conduire la démarche de programmation urbaine Animé par François Meunier et Emmanuel Redoutey | Jeudi 13 septembre 2018 de 9h à 17h30 N°2 Mener la concertation et la participation citoyenne Animé par Jodelle Zetlaoui-Léger | Jeudi 11 octobre 2018 de 9h à 17h30 N°3 Manager l’opération urbaine et ses prestataires Animé par Pablo Katz et François Meunier | Jeudi 8 novembre 2018 de 9h à 17h30 N°4 Choisir et préparer les marchés publics N°9 Programmer les commerces et les activités économiques Animé par François Kossmann | Jeudi 16 mai 2019 de 9h à 17h30 N°10 Programmer l’espace public et les mobilités Animé par Léna Bouzemberg et Sébastien Simonnet | Jeudi 6 juin 2019 de 9h à 17h30 N°11 Définir la stratégie environnementale de l’opération urbaine Animé par Jean-Pierre Marielle et François Meunier | Jeudi 27 juin 2019 de 9h à 17h30 Module de préparation à la certification d’Assistant.e à Maîtrise d’Ouvrage en Programmation urbaine | Date à définir Journée Evénement Club - Jeudi 4 juillet 2019 Attitudes Urbaines 103 rue La Fayette 75010 Paris apu@attitudes-urbaines.com Tél. 01 40 34 91 74