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Ce petit chausson frit et fort réconfortant, autrefois badigeonné d’œuf, est un classique de la cuisine sino-canadienne. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Si le réconfort en cuisine est au sommet de la liste des tendances culinaires pour 2022, le egg roll – ou pâté impérial – est à ce titre un mets de choix. À la fois croustillant et moelleux, sucré et salé, ce petit chausson farci roulé à la main est emblématique d’une cuisine chinoise qu’on connaît et qu’on aime.

Il n’y a tellement rien de chinois là-dedans, s’exclame en riant Jaime Kate Woo. Propriétaire du Wok n’ Roll, un établissement de cuisine chinoise fondé à Québec par ses grands-parents il y a près de 65 ans, Jaime Kate roule à la main en moyenne 1000 egg rolls par semaine. Sa méthode de fabrication, ainsi que la recette, sont identiques à celles que suivait sa famille autrefois.

Jaime Kate prépare à la main plus de 1000 egg rolls par semaine, un des mets les plus vendus de son menu depuis plus de 60 ans.
Jaime Kate prépare à la main plus de 1000 egg rolls par semaine, un des mets les plus vendus de son menu depuis plus de 60 ans. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Presque toutes les recettes de cuisine asiatique au Canada ont des racines chinoises, sauf que dans les années de mon grand-père Woo, c’était impossible d’avoir accès aux ingrédients de la Chine, explique la femme d’affaires. Il s’agit des premiers mets fusion. Ils ont pris des ingrédients accessibles, ils ont gardé les techniques de cuisine, puis ils ont ajusté les saveurs en fonction de la clientèle.

Au Québec, plusieurs ont découvert la cuisine asiatique par ce petit chausson frit, facile à manger et peu coûteux. On dit même que le plaisir gustatif que procure le egg roll est le facteur déterminant de la qualité de la cuisine d’un restaurant asiatique. Si le egg roll n’est pas bon, les gens ne reviendront pas, révèle la restauratrice.

« Les gens aiment les egg rolls parce que c’est une question de réconfort culinaire. C’est dans la façon que ça se mange, avec les mains, que tu "dip dip" dans la sauce, que tu mords dans le "crunch" de la pâte et le moelleux du chou et de la viande. La friture est chaude et la sauce est froide. C’est à la fois sucré et salé. »

— Une citation de  Jaime Kate Woo, chef propriétaire du Wok n’ Roll
Dans les cuisines du Wok n’ Roll dans les années 60, le chou était essoré avec une essoreuse à vadrouille.
Dans les cuisines du Wok n’ Roll dans les années 60, le chou était essoré avec une essoreuse à vadrouille. | Photo : Radio-Canada

Après seulement quelques minutes à échanger avec Jaime Kate, je salive… Ma mémoire gustative me ramène dans la cuisine de ma grand-mère Laurette, maîtresse dans la fabrication des egg rolls alors qu’elle n’a jamais mis un pied en Chine. Pour elle, comme pour bien d’autres gens du Québec, c’est un mets chinois. 

Les Chinois ont une expression pour parler des cuisiniers venus de Chine qui font ce type de nourriture : lowahkiu, affirme Jaime Kate. Ça veut dire "old overseas chinese". Des gens qui ont immigré en Amérique du Nord, qui se sont adaptés, mais qui ont conservé leur culture du mieux qu’ils pouvaient.

« Il y a des gens qui regardent de très haut et avec beaucoup de préjugés négatifs le type de cuisine que l’on fait. Ils disent que ce n’est pas du vrai chinois. Les gens ont voyagé plus et ont goûté de vrais mets asiatiques. Ce n’est pas ça que l’on fait, ce n’est pas ce que nos clients veulent. J’ai fait le deuil de ça. »

— Une citation de  Jaime Kate Woo, chef propriétaire du Wok n’ Roll

Le respect de la tradition du egg roll est ce qu’il y a de plus important dans l’élaboration de la recette du Wok n’ Roll. Le porc et le chou sont les ingrédients de base, mais le chou reste la vedette. 

La chef coupe, met en sel et essore le chou à la main. C’est 48 heures de préparation. À plusieurs reprises tout au long de la préparation, le chou est goûté, car il varie énormément de saison en saison. L’assaisonnement des cinq épices chinoises – anis étoilé, graines de fenouil, poivre de Sichuan, clou et cannelle – est ainsi ajusté.

Le chef Steven Wong élabore une recette plus recherchée afin de sublimer les traditions de la cuisine de ses ancêtres.
Le chef Steven Wong élabore une recette plus recherchée afin de sublimer les traditions de la cuisine de ses ancêtres. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Raffiner les traditions

Le chef Steven Wong, propriétaire du restaurant Chez Wong de la rue Buade dans le Vieux-Québec, puise aussi dans son patrimoine culinaire familial pour élaborer sa recette de pâtés impériaux. Celui qui a pris les rênes de l’entreprise familiale en 2014 fait de ce petit chausson frit – que l’on tient souvent un peu trop pour acquis – un vrai délice. En bon québécois, il a pimpé la recette de ses ancêtres. 

Ce n’est pas gênant de servir un egg roll, car j’adore ça, souligne Steven, qui cuisine en moyenne 500 pâtés impériaux par semaine. Lorsque j’étais petit, je ne mangeais pas le remplissage, mais seulement la pâte. Ensuite, j’ai mangé juste le remplissage. Maintenant, j’aime tout du egg roll. Steven Wong fait de cet incontournable de la cuisine sino-canadienne un chef-d’œuvre gustatif.

Steven bonifie les saveurs de la recette de son grand-père qui fait aussi appel au chou.
Steven bonifie les saveurs de la recette de son grand-père qui fait aussi appel au chou.  | Photo : Radio-Canada

Steven bonifie les saveurs de la recette de son grand-père qui fait aussi appel au chou. Il a sélectionné du porc Nagano pour l’accompagner et ajouté des aromates comme du poivre blanc, de la sauce aux huîtres ainsi que du gingembre. Si je veux avoir quelque chose d’unique, je dois faire les choses à mon image et je dois le faire à la main, croit l’homme d’affaires. C’est important pour moi d’avoir la flexibilité de m’exprimer dans ma cuisine et à ma façon.

« L’époque où le egg roll est né est bien différente de la nôtre. Les gens ne voulaient pas du tout payer pour de la nourriture chinoise. Il fallait couper dans les coûts tout le temps. Pendant plusieurs années, mon père achetait les egg rolls parce que ça demandait beaucoup trop de manipulation et trop de main-d’œuvre. Quand j’ai repris le resto en 2014, j’ai tout recommencé à faire maison. »

— Une citation de  Steven Wong, chef propriétaire du restaurant Chez Wong
La pâte à egg roll est unique : elle produit des bulles à la surface lors de la cuisson en raison du potassium de carbonate intégré dans sa confection.
La pâte à egg roll est unique : elle produit des bulles à la surface lors de la cuisson en raison du potassium de carbonate intégré dans sa confection. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Héritage laotien

Le chou est absent de la version du pâté impérial de Maxime Chanhda Tremblay, chef propriétaire de Chanhda épicerie asiatique, sur la rue des Oblats, dans le quartier Saint-Sauveur à Québec. Depuis sept ans, Maxime cuisine des mets inspirés de son héritage laotien qu’il adapte à son palais et qu’il qualifie de très québécois

« Je pense que le egg roll fait partie de mon identité culturelle, parce que je suis plus québécois qu’asiatique. Quand je mange un egg roll, je me sens plus comme un Québécois qui mange asiatique qu’un Asiatique qui mange québécois. »

— Une citation de  Maxime Chanhda Tremblay, chef propriétaire de Chanhda épicerie asiatique
La recette de Maxime est à base de poulet et de sauce soya thaïlandaise, deux ingrédients incontournables dans sa cuisine.
La recette de Maxime est à base de poulet et de sauce soya thaïlandaise, deux ingrédients incontournables dans sa cuisine.  | Photo : Radio-Canada

Contrairement aux deux recettes précédentes, il n’y a pas de chou ici. Je n’aime pas le chou, alors je n’en mets juste pas, souligne Maxime avec un rire des plus attachants. Son équipe en cuisine prépare en moyenne 500 pâtés impériaux par semaine. 

Il y a du poulet, des carottes, du céleri, des oignons, des champignons shiitakes et black fungus – aussi appelés oreilles-de-Judas – ainsi qu’un ingrédient indispensable à sa recette, la sauce soya thaïlandaise. Plus foncée et assaisonnée que la japonaise ou la chinoise, elle laisse en bouche un léger goût de fumée.

Le chef Maxime Chanhda Tremblay croit que la constance est tout aussi importante dans l’élaboration d’une bonne recette que le plaisir que celle-ci procure.
Le chef Maxime Chanhda Tremblay croit que la constance est tout aussi importante dans l’élaboration d’une bonne recette que le plaisir que celle-ci procure.  | Photo : Radio-Canada

La constance dans la création de mets aussi populaires est le nerf de la guerre pour ces trois chefs. « Dans certains produits de cuisine asiatique importés, même si c’est toujours la même marque, on dirait qu’il y a toujours des variations », souligne Maxime, qui fait régulièrement appel aux aliments sur les tablettes de son commerce pour cuisiner. 

Le client ne goûte souvent qu’une seule fois. S’il a aimé à ce moment-là, c’est à ce goût-là qu’il s’attend la prochaine fois qu’il revient, croit-il. Il y a des plats où je ne suis pas aussi constant, car je m’inspire au gré du moment, mais pour les egg rolls et les rouleaux impériaux, il ne faut surtout pas changer la recette. Une recette gagnante, on ne change pas ça!

Bien que les recettes de Maxime, de Steven et de Jaime Kate soient très différentes l’une de l’autre, le trio accorde la même importance à la stabilité dans le goût des recettes. Les trois chefs croient que si leur clientèle adopte leur cuisine avec enthousiasme, c’est qu’elle se reconnaît dans le plaisir que procurent les saveurs, qu’elles soient traditionnellement chinoises ou non.


Les spécialistes en alimentation s’entendent pour dire que l’année 2022 sera celle du réconfort en cuisine. - Radio-Canada
Les spécialistes en alimentation s’entendent pour dire que l’année 2022 sera celle du réconfort en cuisine. | Photo : Radio-Canada
Ce petit chausson frit et fort réconfortant, autrefois badigeonné d’œuf, est un classique de la cuisine sino-canadienne. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel