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09_+Russie,+mille+ans+d'enigme

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5 0 M M A 1 R ERussie~ mille ans d~énigmes4Actualité de l'histoirePAR JEAN-JACQUES MOURREAU7Agenda de l'histoirePAR ÉRIC COUTANCES10ÉditorialQuand la Russie s'éveillera ...PAR DOMINIQUE VENNER12Mille ans d'histoireChronologiePAR ANNE COLDEFY13Anne de KievPAR ALAIN SANDERS18La sainte RussiePAR HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE20Joseph de Maistreauprès du tsarPAR ÉRIC VATRÉ21La Russie et l'EuropePAR ÜSWALD SPENGLER22Le rôle de l'armée dansl'histoire russeL'aigle bicéphale, symbole impérial.24Un empire messianiqueEssai de géographiehistoriquePAR VLADIMIR GESTKOFF31Une musique surgie de la terrePAR JEAN-FRANÇOIS GAUTIER34Wrangel, le dernier généralblancPAR DOMINIQUE VENNER36Une heure chez KerenskiPAR GILBERT COMTE38Nicolas BerdiaevPAR JEAN-JACQUES MOURREAU41Le tragique destindu général VlassovPAR CHARLES VAUGEOIS46Les chiffres du GoulagPAR ÜLEG KOBTZEFF49Le mensonge des intellectuelsPAR GILBERT COMTE56L'implosion de l'URSSétait-elle inévitable ?PAR VLADIMIR GESTKOFF63Les idées nationales en RussiePAR BORIS 80LDYREV67Slavophiles et occidentalistesPAR ALEXANDRE GÉDILAGHINE68Il n'y a pas d'énigme russeENTRETIEN AVEC VLADIMIR VOLKOFF71Promenadedans le Paris des RussesPAR MACHA MANSKI74L'URSS dans leslivres scolairesPAR JEAN-PAUL ANGELELLI77Les livres et l'histoire82La parole est aux lecteursEn couverture :Nicolas li


Actualité de !->histoireL~histoireallemande endiscussionÀ l'origine de la fameuse« querelle des historiens »déclenchée en 1987, Ernst Noltepoursuit sa croisade contre lestabous et la > ), 1 'Autriche est encore unemarche exposée aux confins desmondes germanique, slave ethongrois. Vingt ans plus tôt,1 'empereur Othon II, le fils duvainqueur des Magyars au Lechfeld,en a confié la garde à un certainLiutpold, l'ancêtre de la branchecomtale des Babenberg.Austria, la formule néo-latinequi fait référence à la situationgéographique, apparaît pour lapremière fois en 1147. Elle désignela marche militaire, alors vouée auxdéfrichements de la colonisation.Mentionnée dix ans plus tôt commecivitas, Vienne n'est aux mains desBabenberg que depuis peu et nedevient leur résidence définitivequ 'en 1156.L'extinction de la dynastie desBabenberg ouvre la voie au longdestin autrichien des Habsbourg.Celui-ci commence véritablement àDümkrut sur le Marchfeld, avec lavictoire de l'empereur Rodolphe surOttokar (26 août 1278), victoire quiassure aux Habsbourg la couronnede Bohême. Longtemps, les poètesvont préférer chanter 1 'Osterlant,>.Gemob, Chemin de Plouy, La Mie au Roy,60000 Beauvais.EXPOSITIONSGustave DoréTalentueux et prolixe, GustaveDoré (1832-1883) est 1 'un desgrands illustrateurs du XIX' siècle. Ilnaquit à Strasbourg d'où le vifintérêt porté à son œuvre par sa villenatale, laquelle présente une partiede 1 'importante collection del'Américain Samuel Clapp qu'ellevient d'acquérir. Aquarelles,gouaches, lavis, dessins,lithographies, eaux-fortes, boisdessinés ou gravés et albums etlivres illustrés, lettres autographes :toute l'alchimie de la création chezun artiste célèbre surtout pour sesillustrations d'œuvres littéraires,mais dont l'ambition était aussid'être un grand peintre historique.Palais Rohan, Galerie Robert Heitz(2, place du Château, 67000 Strasbourg).Tél. 88 52 50 00. Tous les jours, sauf lemardi, de 10 heures à 12 heures et de13 h 30 à 18 heures. Jusqu'au 23 janvier.Ve•·sailles et lestables royales enEurope (XVII" etXIX" siècle)Le rituel du repas monarchique,lentement modifié à partir du modèlemis en pratique à la fin du MoyenÂge par les fastueux ducs deBourgogne atteint un degré desplendeur avec Louis XIV. Pour leRoi-Soleil qui se fait obligation dedonner à ses su jets le spectacle detoutes les actions de sa journée, lerepas qu'il prend en public est untemps fort du cérémonial quotidiende la monarchie sacralisée. L'apparatde ce véritable spectacle inspire lesprinces de l'Europe entière. Jusqu 'auXIX' siècle, les usages françaisdemeurent dans les courseuropéennes, lesquelles prisent lescréations - orfèvrerie et porcelainede la manufacture royale de Sèvresdesarts somptuaires français. De cesderniers, il ne reste que peu detémoignages en France, du fait duvandalisme révolutionnaire et desventes successives. Ce sont surtoutles prêts des plus grandes collectionspubliques et privées d'Europe quiont permis cet exceptionnelregroupement de plus de millepièces de provenances royales.Parmi les trésors présentés : la tablede Catherine Il de Russie ; le servicede porcelaine offert par Louis XV àMarie-Thérèse d'Autriche ; le Grandservice de Louis XVI, aujourd'huipropriété de la reine d'Angleterre ;le fabuleux service de porcelaineégyptien offert par Napoléon 1~ au


ACTUALITÉ DE L'HISTOIREtsar Alexandre l", sorti pour lapremière fois de Russie depuis 1807.Musée national des châteaux de Versailleset de Trianon (Château de Versailles,78000 Versailles), Tél. (1) 30 84 74 00. Dumardi au vendredi, de 9 heures à 16 h 15 ;samedi et dimanche, de 9 heures à 17 h 15.Jusqu'au 27 février.Dispute autourdu trésor dePriamLe trésor de Priam - douze millepièces en or ou en argent, dont descoupes, des plats gravés et des bijoux-est 1 'un des plus fabuleux héritagesdu monde antique. L'archéologueallemand Heinrich Schliemannl'avait découve1t en 1873 sur le siteprésumé de Troie, en se guidant dansses recherches par l' /liaded'Homère. Confié au Musée deBerlin par Schliemann, il avait dèslors enflammé les imaginations etdécidé de plus d'une vocationd'archéologue. Sa disparition aulendemain de la Seconde Guerremondiale était devenue une énigme.Au cours de l'été dernier, fin dumystère. Les nouvelles autoritésrusses font savoir que le trésor estcaché dans les caves du MuséePouchkine à Moscou, depuis quel'Armée rouge l'a rapporté de Berlin.En visite officielle en Grèce, BorisEltsine propose que le trésor soitexposé à Athènes, dans l'anciennemaison de Schliemann. L'Allemagnefait immédiatement valoir ses droitsen réclamant la restitution du trésor.Arguant du fait que le trésor a étédécouvert sur l'actuel territoire de laTurquie, le directeur des musées auministère turc de la Culture estimeque « l' exposilion à Athènes commele retour en Allemagne sontinacceptables ». Pour l'heure, laGrèce n'émet aucune revendicationsur le trésor, elle réclame seulementl'honneur de l'exposer pour lapremière fois au public.Maathaus Meriant~Ancien~dessinateur~graveur et éditeurIl séjourna à Zurich, àStrasbourg, à Paris, à Francfort et àBâle où il avait vu le jour. Réputédans toute l'Europe pour ses plans etses vues de villes, le RhénanMaathaus Merian l'Ancien (1593-1650) est l'un des artistes les plusproductifs de son temps. Qu'ils'agisse de vues topographiques oude paysages, son trait allie élégance,assurance et précision. Lesnombreux ouvrages édités par sessoins sont de véritables poèmes.Pour marquer le quatrièmecentenaire de sa naissance, sa villenatale présente une magnifiqueexposition où figurent, notamment,des dessins exécutés à Bâle de 1615à 1624. Une symphonie graphiquemajeure.Kunstmuseum de Bâle. Kunferstichkabinett(St Alban-Graben 16, Basel). Tél. (41) 61271 08 28. Tous les jours, sauf lundi, de10 heures à 17 heures. Jusqu'au 13 février.L~art en Hollandeau temps deDavid et Philippede Bourgogne :trésors du HetCatharijneconventà UtrechtSi le Het Catharijneconventpossède la première collectionnéerlandaise d'art médiéval, celatient à l'importance d'Utrecht, l'unedes plus anciennes villes et l'un desfoyers de la christianisation desPays-Bas. Siège du premier évêché,elle accueillit dans ses murs ateliersd'enluminure, de broderie et desculpture. Philippe le Bon, lepuissant duc de Bourgogne nemanqua pas de lui porter intérêt et fitnommer au siège épiscopal deux deses bâtards : David de Bourgogne,évêque de 1456 à 1496, et Philippede Bourgogne, évêque de 1517 à1524. Soixante-quinze piècesillustrent le règne à Utrecht de cesdeux rejetons du Grand-Duc duPonant : sculptures en bois,vêtements liturgiques, manuscrits etincunables, des chroniques et desvies de saints. Ces reflets de lagrandeur bourguignonne serontprésentés à Dijon au printemps.Institut Néerlandais (121, rue de Lille,75007 Paris). Tél. (1) 47 05 85 99. Tous lesjours, sauf lundi, de 13 heures à 19 heures.Jusqu'au 30 janvier.FIGURESTémoignage surHenri De ManFigure centrale du socialismebelge de l'entre-deux guerres, HenriDe Man (1885-1953) fut de ceux quifirent la critique du marxisme,plaidèrent pour une économiedirigée et subirent la séduction desexpériences fascistes. Favorable àune politique de collaboration avec1 'Allemagne, il fut condamné par lajustice belge à l'issue de la SecondeGuerre mondiale. Mortaccidentellement en Suisse où ilavait trouvé refuge, il demeurecontroversé. Sur l'insistance del'historienne Mieke VanHaegendoren (Centre universitairedu Limbourg et université d'Anvers)qui a consacré ses travaux ausocialisme belge et donné unebiographie sur Henri De Man,Marlène De Man-Flechtheim, labelle-fille de 1 'ancien ministre, vientde publier un livre de souvenirs quis'inscrit en faux contre lesjugements manichéens portés sur1 'inspirateur du>adopté en 1933 par le Parti ouvrierbelge. Elle conteste notammentl'imputation d'antisémitisme. Sontémoignage est difficile à récuser :née en 1915 à Char! ottenburg, elle adû fuir 1 'Allemagne en raison de sesorigines juives et a vécu, aulendemain de la guerre, le paradoxed'être placée en résidence surveilléeavec son époux Jan De Man, l'exéchevindu Gross-Brussel,condamnée à payer avec lui desmillions de dommages à l'État belgepour faits de collaboration, en mêmetemps qu'elle recevaitl'indemnisation versée par l'Étatallemand aux victimes du III' Reich.Marlène De Man-Fiechtheim, Geschiedenisvan mijn /even, een ti;dsdocument(AccoLouvain, 485 francs belges).RedécouvrirHippolyte TaineHippolyte Taine (1828-1893)dont le centenaire de la mort a étécélébré l'an dernier par l'acquisitionde ses manuscrits par laBibliothèque nationale et uncolloque organisé par laBibliothèque nationale et la Sociétédes études romantiques, reste encoreà redécouvrir. Trois ouvrages récentspeuvent y contribuer: MonsieurTaine de François Leger (Critérion,1993), La Pensée politiqued'Hippolyte Taine : entretraditionalisme et libéralisme d'ÉricGasparini (Presses Universitairesd'Aix-Marseille, 1993) et Taine et lacritique scientijïque de Jean-ThomasNordmann (PUF, 1992).Hommage àSouvorovLors de sa visite officielle enSuisse, en novembre dernier, legénéral Pavel Gratchev, ministrerusse de la Défense, s'est rendu àAndernatt où se dresse le mémorialélevé à la mémoire du feld-maréchalAlexandre Vassiliévi teh Souvorov(1729-1800) dont la traversée desAlpes, à l'automne 1799, fut unsuperbe exploit militaire. À cetteoccasion, Kaspar Villiger, le chef dudépartement militaire suisse, asuggéré que soldats russes et suissespuissent marquer 1 'événement parune marche commémorative entrel'Italie et le Vorarlberg.Un manuscritde .Joseph RothUn manuscrit original signé del'écrivain autrichien Joseph Roth(1896-1939), célèbre en France poursa Crypte des Capucins (Seuil,1983), a été découvert par hasarddans l'héritage de Marlène Dietrich,racheté par la ville de Berlin.Chantre de 1 'Autriche-Hongrieimpériale et royale, Roth s'étaitréfugié en France en 1933, cinq ansavant 1 'Anschluss. Le manuscritretrouvé date d'août 1935. Il a étérédigé sur du papier à lettres, lorsd'un séjour à l'hôtel-restaurantFayot à Paris.Disparition deJulien FreundSociologue et philosophe derenommée mondiale, directeur dela faculté des sciences sociales deStrasbourg, Julien Freund estmort le 10 septembre dernier àl'âge de 72 ans. Fondateur de1 'Institut de polémologie deStrasbourg, Julien Freund avaitsoutenu une thèse célèbre surL'Essence du politique. Cetancien résistant avait fortementcontribué à faire connaître enFrance la pensée de Max Weber,de Vilfredo Pareto et de CarlSchmitt. Auteur de nombreuxouvrages, Julien Freund avaitcollaboré au no 6 d'Enquête surl'histoire (L'Âge d'or de ladroite ) avec un article surGeorges Sorel. Nous lui rendronshommage dans notre prochainnuméro .


LITÉ DE L'HISTOIRE'LIVRES ANNONCESÉtudes historiquesLe Crépuscule des Preux, la fin dela Chevalerie, par EmmanuelBourassin. En février/mars, chezPicollec.Jeûnes et festins sacrés (la symboliquede la nourriture à travers la vie desgrandes mystiques du Moyen Âge), parCaroline Walker-Bynum. En janvier,aux Éditions du Cerf, collection ).Les Bourbons d'Espagne ( 1700-1808), par Yves Bottineau. Enjanvier, chez Fayard.Histoire des Sioux, le peuple de RedCloud, par George E. Hyde. Enjanvier, au Rocher (collection«Nuage rouge»).La Louisiane française (1682-1804),par Bernard Lugan. En février, chezPerrin.La mort de la sensibilité dans l'artcontemporain, par Georges Mathieu.En mars, chez Picollec.Les Chrétiens d'Orient, par PierreValognes. En février, chez Fayard.Histoire du Maghreb (1830-1962),par Jean Caniage. En janvier, chezFayard.La Musique du XX' siècle en Russie,par Frans Lemaire. En février, chezFayard(« Les chemins de laMusique>>).Les Fins du communisme, parFrançoise Thom. En février, chezCritérion.La France et le Roi. Le sentimentmonarchique, par Jean-FrançoisChiappe. En février, chez Perrin.La Chair, le diable et leconfesseur (histoire de laconfession) par Guy Bechtel. Enjanvier, chez Plon.Guerres~ batailleset guerriersLa Légion étrangère (1831-1962),par Douglas Porch. Traduit del'anglais par le colonel J. Vernet. Enjanvier, chez Fayard.Histoire du réseau Jade-Fitzroy, parAglan. En février, aux Éditions duCerf (collection« histoire >> ).Le Pouvoir militaire en France, parSam y Cohen. En janvier, chezFayard.Histoire de l'Armée allemande( 1939-1945 ), par Philippe Masson.En février, chez Perrin.L'Église et la Guerre, par GeorgesMinois. En février, chez Fayard.L'Avenir de la Guerre, par AlvinToffler et Heidi Toffler. En février,chez Fayard.ClassiquesLa Gaule romaine, de Fustel deCoulanges. Introduction et notes deHenri La v agne. En février, chez deFallois.Du Droit du peuple à faire laRévolution, de Johann-BenjaminErhard. En février, à 1 'Âged'Homme.Eugène Onegine, de Pouchkine.Enfévrier, à l'Âge d'Homme.Le Monde comme il va, deChesterton. En février, à 1 'Âged'Homme.Mes Cahiers, et Journal de ma vieextérieure, de Maurice Barrès. Enmars, chez Julliard.Mémoires etbiographiesAnatole France, par Marie-ClaireBancquart. En janvier, chezJulliard.Dreyfus, Une affaire de famille(1789-1945), par Michael Burns. Enjanvier, chez Fayard.Mémoires d'Europe. Otto deHabsbourg-Lorraine s'entretientavec Jean-Paul Picaper. Préfaced'Alain Lamassoure. En janvier,chez Critérion.Heinrich Kleist, par Joël Schmid. Enmars, chez Julliard.Giordano Bruno, par BertrandLevergeois. En février, chezFayard.Christine, reine de Suède :lesPensées d'une vie, (autobiographieécrite en français) . En février, auxÉditions du Cerf (collection« passages >> ).Henriette de France, reined'Angleterre, par Micheline Dupuy.En janvier, chez Perrin.Malesherbes, l'avocat de Louis XVI,par Christian Bazin. En février/mars,chez Picollec.Zoé Du Cayla (la dernière favoriteet le grand amour de Louis XVIII) ,par Catherine Decours. En janvier,chez Perrin.La Dernière année deDostoïevski, par Igor Volguine.En janvier, chez de Fallois/ L'Âged'Homme.Abd el-Kader, par Smaïl Aouli,Ramdane Redjala et PhilippeZoummeroff. En janvier, chezFayard.Marcel Proust, par Michel Erman.En février, chez Fayard.Thierry Maulnier, par Étienne deMontety. En mars, chez Julliard.Saint-Exupéry, par AlainVircondelet. En janvier, chezJulliard.Saint-Exupéry, par EmmanuelChadeau. En janvier, chez Plon.Dialogue sur la France, Charles deGaulle et le Comte de Paris. DeGaulle était-il monarchiste?,présenté et annoté par Jean Tulard.En janvier, chez Fayard.Paul Morand, par Pascal Louvrier etÉric Canal Forgues. En février, chezPerrin.Michel Déon, par Éric Neuhoff. Enjanvier, au Rocher.1REVUES• Les Cahiers d'Histoire sociale,revue trimestrielle de 1 'Institutd'Histoire sociale. Au sommaire dupremier numéro figurent notammentune analyse critique de ClaudeHarmel sur le Dictionnairebiographique du Mouvementouvrier français de Maitron et unremarquable Dossier Souvarine où1 'on relève les contributions dePierre Rigoulot.Institut d'Histoire sociale : 4, avenue Benoît­Frachon, 92023 Nanterre Cedex. Tél. (1) 4614 <strong>09</strong> 29. Le numéro : 80 F.• La Revue d'Allemagne et des paysde langue allemande, publicationtrimestrielle éditée par la Société desétudes allemandes, consacre sadernière livraison aux actes ducolloque organisé à Strasbourg, du13 au 15 mai 1993, par le Centred'études germaniques, sur le thème :Humanisme et humanité dans lapensée allemande depuis deuxsiècles. Son précédent numéroportait sur La Scandinavie etl'Allemagne depuis 1945.Centre d'études germaniques : 8, rue desÉcrivains, 67000 Strasbourg. Tél. 88 36 45 14.Le numéro : 90 F (numéro spécial : 100 F).• L'Outre-Forêt, revue trimestrielle duCercle d'histoire et d'archéologie de1' Alsace du Nord, vient de publier unepassionnante et minutieuse étude deJean-Claude Streicher surL'administration du canton de Soultzaprès la Grande Fuite de 1793. Dansla même livraison : Le Rhin, une mined'or insoupçonnée de HubertSiegfried!, et la fin des Tribulationsd'un prêtre alsacien sous la Révolutionfi·ançaise de Sébastien Krumreich.Abonnements et anciens numéros auprèsde M~ L.Guyonet : 35, rue des Voyageurs,67250 Preuschdorf. Le numéro : 40 F.• Boréales, revue du Centre derecherches inter-nordiques, a publié,sous la forme d'un numéro spécial de400 pages, une étude de ChristianMalet sur Les Peuples du Nordaujourd'hui qui livre de précieuxrepères ethnologiques sur les sociétéstraditionnelles des peuples d'Amériqueet d'Eurasie septentrionales.Centre de recherches inter-nordiques :28, rue Georges Appay, 92150 Suresnes.Tél. : 47 72 73 78. Le numéro simple: 40 F.Pages rt>ali!iiées parJean-Jacques Monrreau


Décembre1er décembre' 1925 -La France, la Grande­Bretagne, la Belgique, l'Allemagneet l'Italie signent le pacte deLocarno, lequel est censé assurerune paix durable en Europe.2 décembre1135 - Mort à Lyons-la-Forêt du roid'Angleterre et duc de NormandieHenri Beauclerc. Son corps seraexposé à Rouen, puis à Caen, avantd'être transporté au-delà de laManche et enseveli à Reading.3 décembre1799- Pour être plus près deGoethe et du théâtre, Schillers'installe définitivement à Weimar.4 décembre1875- Naissance à Prague du poèteRainer Maria Rilke.Rainer Maria Rilke5 décembre1443- Naissance à Albissola, prèsde Savone, de Guiliano dellaRovere. Sous le nom de Jules II, cepape en armure sera un mécènefastueux et avisé, utilisant le géniede Michel-Ange, de Raphaël et deBramante.6 décembre1240- Les Mongols prennent Kiev.7 décembre1815- Accusé de trahison pours'être rallié à Napoléon, le maréchalNey est condamné à mort etexécuté.8 décembre1918- Victorieux des Rouges, lemaréchal Mannerheim devientrégent du duché de Finlande.Agenda de!~histoire10 décembre1992- Mort de 1 'écrivain JacquesPerret.11 décembre1873- Reconnu coupable d'avoir«capitulé en rase campagne, traitéavec l'ennemi et rendu la place deMetz sans avoir épuisé tous lesmoyens de défense dont il disposaitet sans avoir fait tout ce que luiprescrivait le devoir de l'honneur »,le maréchal Bazaine est condamné àla peine de mort. Celle-ci seracommuée en détention. :s12 décembre1943- L'abbé Jean-Marie Perrot,recteur de Scrignac, fondateur duBleun-Brug et directeur de Fetz-ha­Breiz, est assassiné sur ordre d'unresponsable local du PCF. Ce crimecommis contre la plus haute autoritéspirituelle bretonne soulèvel'indignation en Bretagne.13 décembre1076- Après sept mois de siège, laville de Salemo, au sud-est deNaples, tombe aux mains desNormands, lesquels s'emparent detoute 1 'Italie méridionale et de laSicile.14 décembre1931- Mort à Mames-la-Coquettede Gustave Le Bon, auteur de laPsychologie des foules et denombreux autres ouvrages.15 décembre1892- A bord du KaiserinElisabeth, l'archiduc d'AutricheFrançois-Ferdinand quitte Triestepour effectuer le tour du monde.17 décembre1770- Naissance à Bonn deLudwig van Beethoven.18 décembre1511 - Mort à Argenton de PhilippeGustave Le Bonde Comynes, le biographe de LouisXI. Il avait été pendant plus de dixans au service du Téméraire.19 décembre1854- Le comte Arthur deGobineau est nommé à la missionextraordinaire auprès du shah dePerse. En février, il part rejoindreTéhéran. Sa femme et sa fillel'accompagnent.21 décembre1879- Naissance à Gori, près deTiflis, de VissarionovitchDjougatchvili qui se fera connaîtresous le nom de Staline.Joseph Staline22 décembre1940 -Le lieutenant de vaisseauHonoré d'Estienne d'Orvesdébarque clandestinement dans unecrique de Plogoff. Capturé dès la finjanvier, il est condamné à mort.Malgré les démarches de l'amiralDarlan et de la Commissiond'armistice de Wiesbaden, il estfusillé le 29 août 1941 au Mont­Valérien. Dans une note laissée auxsiens, il recommande: «N'ayez, àcause de moi, de haine pourpersonne. Chacun a fait son devoirpour sa patrie. Apprenez, aucontraire, à connaître et àcomprendre mieux le caractère despeuples voisins de la France. »23 décembre918- Conrad l", roi de Germanie,meurt d'une blessure reçue encombattant les Hongrois.24 décembre1918- Entrée del 'armée roumainedans la ville transylvanienne deKolozsvar-Kiausenburg, aujourd'huiCluj.25 décembre875- Charles II le Chauve estcouronné à Rome par le pape Jean Vill.26 décembre1793 - Refoulé par l'arméerévolutionnaire reprise en main,le feld-maréchal Wurmser qui avaitété jusqu'aux portes de Strasbourg,doit quitter Wissembourg et passerla frontière, suivi par trente millefugitifs alsaciens soucieuxd'échapper à la Terreur.28 décembre1950 -Les forces chinoisesfranchissent le 38' parallèle enCorée.31 décembre406- Non loin de Mayence,Vandales, Alains et Suèvesfranchissent le Rhin gelé. LesSuèves, dont certains s'installent enAlsace, traversent la Gaule. LesAlains se fixent en Lusitanie où ilsseront presque entièrement anéantispar les Wisigoths. Les Vandalespassent en Afrique du Nord, serendent maîtres de Carthage etmême de Rome, avant d'être défaitspar Byzance qui enrôlera un grandnombre de leurs guerriers.


DA DE L'HISTOIREJanvier1er janvier1502- Le Portugais AndréGonçalves, membre de l'expéditionde Vespucci, découvre la baie deRio. Persuadé de se trouver enprésence de 1 'estuaire d'un fleuve, illui donne le nom de Rio de Janeiro(, consacrant leschisme anglican.16 janvier1794 - Mort à Londres del'historien Edward Gibbon, auteurde l'immense fresque intituléeHistoire du déclin et de la chute del'empire romain.17 janvier1823 - Nais sance à Lille ducompositeur Edouard Lalo.20 janvier1873- Naissance dans leHimmerland de l'écrivain danoisJohannes Vilhelm Jensen.22 janvier1690- Naissance à Paris de NicolasLancret. Il sera reçu à 1 'Académieen 1719, avec le titre de peintre desfêtes galantes.23 janvier1844- Vienne accorde la loi deslangues à la Hongrie : le hongroisdevient langue officielle et d'écoleau lieu du latin employé jusque-là.Henri VIII d'AngleterreWinston Churchill24 janvier1965 -Mort à Londres de WinstonChurchill.25 janvier1886- Naissance à Berlin du chefd'orchestre Wilhelm Furtwiingler.28 janvier814- Mort à Aix-la-Chapelle deCharlemagne, empereur d'Occident.29 janvier1617 - Louis XIII joue le rôle deRenaud dans le ballet de laDélivrance de Renaud, composépar Estienne Durand. Depuis samajorité, c'est la deuxième foisseulement que le roi accepte de seproduire en public. Il est vrai que lelivret contient diverses allusionspolitiques qui permettent au jeunesouverain de marquer son désir des'affranchir de la tutelle de samère.30 janvier1933- Appelé par le maréchalHindenburg, Adolf Hitler devientchancelier du Reich.31 janvier1677- Commandées par lesgénéraux de Montclar et de Boys­David, les troupes françaisesachèvent la mise à sac de la ville deHaguenau, suspecte de fidélité àl'Empire. La colombe quisurmontait la coupole de la basiliquede Frédéric Barberousse estdémontée pour être vendue.Quelques jours plus tard, Haguenauest livrée au feu .


AGENDA DE L'HISTOIREFévrierl cr février1587- Elisabeth d'Angleterre signe1 'ordre d'exécution de Marie Stuartreine d'Écosse et veuve de François 'II, roi de France. Celle-ci affronte lamort avec courage le 8 du mêmemois. Sa disparition précipitel'intervention espagnole contre1 'Angleterre et donne lieu àl'expédition malheureuse de1 'Invincible Armada.Marie Stuart2 février1925 -La France supprime sonambassade auprès du Vatican.3 février1954- Début de la bataille de DiênBiên Phu.4 février1536- François l" s'empare de laSavoie et occupe Turin. Dans Jemême temps, il fait alliance avec JeTurc Soliman.Catherine II de Russie5 février1679 - L'empereur Léopold l" etLouis XIV signent Je traité deNimègue.6 février1793- Mort à Paris du VénitienCarlo Goldoni. Contesté dans saville natale, il s'était installé à Parisoù il avait donné plusieurs pièces enfrançais. Professeur d'italien desprincesses royales, il avait été réduità la pauvreté par la Révolution.7 février1920- L'amiral Koltchak, ancien


RIALQuand la RussieAu XVIII< siècle, on parlait déjà dela Russie comme d'un colosse auxpieds d'argile. Malgré la fragilitéde ses pieds, le colosse parvint pourtant àflanquer une raclée à Napoléon. Triomphanteen 1815, la puissance russe semblaitruinée quarante ans plus tard quands'acheva la petite guerre de Crimée(1856). Rien d'étonnant. Avec une flottevétuste, un armement désuet, des moyensde transport inexistants, elle était surclasséepar une Angleterre et une France enpleine expansion industrielle.Rétablie en 1912, par la main ferme etavisée de Stolypine, la Russie des annéesvingt sort brisée de la guerre et de laRévolution. Remise en selle par Staline(mais à quel prix !), soulevée d'une fureursacrée par l'invasion allemande, la Russieest une nouvelle fois victorieuse en 1945.La voici projetée au premier rang. Ellesemble atteindre les sommets de la puissancevers 1970, pour s'effondrer soudainvingt ans plus tard.La dimensionéconomique de laquestionPour nous aider à voir clair dans cemystère, voici qu'arrive à point une étudeoriginale qui tranche sur les écrits de circonstance.Dans La Puissance pauvre,Georges Sokoloff, professeur à l'Inalco etconsultant international, cerne d'uneplume impertinente les mystères de cette« puissance sous-développée ». Il insiste àjuste titre sur la dimension économique dumystère russe, mais il se garde d'oublierle reste ou l'essentiel, c'est -à-dire leshommes, le peuple, la culture, l'histoire.Dans sa conclusion en forme de prudenteprospective, on le sent partagé.Sans doute la société russe (actuelle) nese confond-elle pas avec 1' « âme russe »dépeinte par Pouchkine ou Dostoïevski.« Âme immense comme la Russie ellemême,capable d'aller de la plus exquisetendresse à la férocité atroce qui avaitmarqué la révolte de Pougatchev ; incroyablementtalentueuse, mais incapable de sediscipliner ; intransigeante sur la justice,mais indifférente à la loi ; humble aveccela, mais fière de s'être hissée au rang desuperpuissance nucléaire. » Bref, suggèreSokoloff avec un clin d'œil au vieux sloganléniniste, quelque chose comme MitiaKaramazov plus l'électrification. « Unesociété comme celle-là demande toutnaturellement un despote à la tête duCérémonie à Moscou, le 4 novembre 1990 pour la posepays, prêt à ramener l'ordre par le knoutet à rassembler de nouveau les terresrusses, à commencer par l'Ukraine. Letout dans un bon bain de sang. »Les Russes d'aujourd'hui ne sont pascomme dans les livres et ne l'ont sans doutejamais été. Leurs aspirations sont celles detout petits bourgeois. Une vie paisible, unpeu de confort, une retraite assurée et dupot-au-feu tous les jours ... Ce rêve est communà la plupart des gens, dans la plupartdes pays. Jusqu'au jour où les imaginationss'emballent à moins que ce ne soit la colère.Alors les petits-bourgeois se transformentparfois en lions. Cela s'est vu .


ÉDITORIA·11 ' eve1 era.., ;l'• •1 première pierre de la nouvelle cathédrale Notre-Dame de Kazan.Il n'est pas sûr que le tournant postgorbatchevienen faveur d'un capitalismepur et dur donne les résultats attendus parles experts occidentaux. Une politiquemonétariste au couteau, version FMI, avecce que cela suppose de catastrophes, a peude chance de réussir dans une société totalementimpréparée, sans marché, sansdroit, sans fonction publique, sans disciplinefinancière. Tous les retournementssont possibles. Les « libéraux » aupouvoir sont des apparatchiks issus d'unetradition fort peu libérale. Pour eux l'arbitraireet les solutions musclées ne sont pasque des tentations. Verra-t-on surgir,comme le suggère Sokoloff, un capitalismeà la russe et donc pour le moinsbaroque ? C'est possible. En revancheimaginer que la Russie devienne demainune « démocratie industrielle comme lesautres » est certainement du domaine de1 'illusion.Une prodigieuse facultéd'assimilationDans les toutes dernières pages de sonlivre éclairant, Sokoloff souligne uneconstante russe qui est un formidable atout :la prodigieuse faculté que ce pays ad'assimiler à sa façon les apports étrangers.Cette constatation tirée de l'histoirepulvérise une idée reçue : l'explication del'arriération russe par l'irréductible oppositionentre une culture de l'élite européaniséeet une culture des masses enfoncéedans son archaïsme. On voit au contraireque, depuis les origines, la Russie a fait,plus que tout autre pays (sinon récemmentle Japon), des emprunts innombrables aumonde extérieur, mais en les digérant, enrestant elle-même, pour constituer sapropre personnalité. Elle « emprunte cequi lui convient : sa langue littéraire, sonartillerie, sa marine. Où cela lui convient:à l'étranger ou dans son passé, d'autantplus riche que la Russie est immense etdiverse. Comme cela lui convient : en élisantdélicatement ou en rejetant rageusement.Et puis, une fois assimilés, les produitsde ces tris parfaitement éclectiquesacquièrent la propriété d'être russes.1 ncontestablement autant qu'inexplicablementrusses ».Si nous demandons à l'histoire d'éclairerle présent, il n'est pas difficile de prévoirque l'on assistera dans l'avenir à unereconstitution sociale parallèlement à cellede l'empire, comme cela s'est déjà faitplusieurs fois dans le passé après despériode de recul ou de dislocation (voir àce sujet l'étude remarquable de VladimirGestkoff page 24). D'une façon ou d'uneautre, la Russie redeviendra une grandepuissance. Il appartient aux Européens defaire en sorte que ce soit une puissanceamie. Cela ne va pas sans l'acceptationdes différences et sans le désir réel decomprendre. C'est à quoi tend notre dossier.DOMINIQUE VENNERGeorges Sokoloff, La Puissance pauvre.Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours,Fayard, 940 pages, index, 220 F.


UNECHRONOLOGIEMilleans d~histoirePAR ANNE COLDEFY«Notre pays est vaste et riche,mais le désordre y règne ; venezet gouvernez-nous », auraientdéclaré les émissaires slavesaux Varègues (Vikings), si l'onen croit la plus ancienne deschroniques russes, dite de Nestor.De ce récit parfois contestécommence l'histoire encoreimprécise de la future puissancerusse.862 : Selon la chronique, trois chefsvarègues vinrent s'établir dans le nord de laSlavie orientale : Rurik (transcription slave dunom scandinave Hroerekr, Sinéous (Snigotr)et Trouvor (Thorvardr). La chronique schématiseévidemment un phénomène plus complexeet de beaucoup plus longue durée : unelente pénétration économique et militaire.911 : Parti de Novgorod pour s'emparerde Kiev, Oleg (Helgi), que la chronique donnecomme successeur de Rurik, impose un traitéà Byzance.980 : Au terme d'une lutte fratricide, leprince Vladimir reste seul maître de Kiev. Ilen sera prince jusqu'en 1015.988 : Conversion de Vladimir au christianismebyzantin et baptême collectif des Kiéviens.1036 : Victoire sur les Petchenègues(nomades de la steppe), remportée par Iaroslavle Sage.Église de la Sainte Trinité de Jérusalem à Moscou.1


1MILLE ANS D'HISTOIREANNE DE KIEVREINE DE FRANCEKiev, place stratégique et première capitale de la Russie de 980 à 1240, date à laquelle la ville estprise par les Mongols.1043-1046: Guerre byzantino-russe.1051 :Mariage d'Anne de Kiev et du roide France Henri 1".1054: Schisme d'Orient.1110-1112 : Achèvement de la Chroniquedes temps passés (dite de Nestor) au monastèredes Grottes, à Kiev.1136 : Une république s'instaure à Novgorod.1147 : Première mention de Moscou dansles chroniques. C'est la date communémentadmise de la fondation de la ville par le princeIouri Dolgorouki.1220 : Après avoir conquis la Chine duNord et l'actuel Turkestan, Genghis-Khanpénètre en Europe par le nord de la mer Caspienne.1223 : Les princes russes, réunis à Kiev,décident de se porter à la rencontre de l'envahisseur.La bataille a lieu sur les bords de laKalka. Les princes russes sont vaincus.1237-1240 : Conquête de la Russie par lesTatars qui saccagent Moscou en 1238 et prennentKiev en 1240. La capitale de la Russie esttransférée à Vladimir.1240 : Le prince Alexandre de Novgorodest vainqueur des Suédois sur la Néva, d'oùson surnom de « Nevski ».1241 :La mort d'Ogodaï et la victoire deschevaliers allemands à Liegnitz contre lesMongols sauvent 1 'Europe. Mais la Russiesubira le joug tartare durant quelque deuxsiècles.1242 : Alexandre Nevski est vainqueurdes chevaliers livoniens Porte-Glaive, sur lelac Peïpous. En 1252, il devient grand-princede la principauté de Vladimir et Souzdal où ilrégnera jusqu'à sa mort, en 1263.1328 : Ivan Kalita, premier grand-princede Moscou.1380 : Dimitri, prince de Moscou, infligeaux Tartares leur première grande défaite àKoulikova (le champ des Bécasses) sur leDon, ce qui lui vaudra le nom de Donskoï.1458 : L'Église russe se proclame autonomede Constantinople.1462 : Début du règne d'Ivan III, dit leGrand.1480 : Ivan III cesse de payer tribut aukhan tartare.1533 : Début du règne d'Ivan IV le Terriblequi, en 1547, prend définitivement le titrede tsar. Couronné par le métropolite, il devratoutefois attendre 1561 pour obtenir dupatriarche de Constantinople la reconnaissancede sa nouvelle dignité.1552 : Ivan IV s'empare de Kazan, aprèsun siège en règle où son artillerie fait merveillecontre les flèches des archers tartares.En 1556, la prise d'Astrakhan achève de fairede la Volga un fleuve entièrement russe.1558 : Début de la guerre de Livoniecontre les Polonais et les Suédois. Le conflitdurera jusqu'en 1583.1564 : Le tsar Ivan quitte le Kremlin ets'installe à une centaine de kilomètres de lacapitale. De sa retraite, il adresse des appels aupeuple contre les boyards (nobles). Rappelépar ses sujets, Ivan se déclare disposé àreprendre le pouvoir, mais il impose ses conditions.Il crée notamment 1 'opritchina, institutioncomposée d'un millier de fonctionnaires,Anne de Kiev était la fille de Iaroslav, princede Kiev et d'Ingrid de Suède. Son père, Iaroslav,était l'un des douze fils de Vladimir le Grand.Veuf en 1044 de Mathilde, le capétien Henri l"envoie une ambassade à Kiev, en décembre1049, pour négocier son mariage avec la jeuneAnne dont on lui a vanté la piété et la grandebeauté. Iaroslav -ses deux autres filles (ilavait neuf enfants en tout, dont six garçons),Elisabeth et Anastasie seront respectivementreines de Norvège et de Hongrie- acceptevolontiers la proposition du roi de France.Le mariage aura lieu à Senlis, en mai 1051.Anne a entre 25 et 27 ans. Henri a passé laquarantaine. Ils auront quatre enfants : en1052, Philippe, héritier de la couronne deFrance ; Robert, mort à l'âge de 10 ans ;Hugues (il sera comte de Vermandois) ; Emma.Selon la tradition des premiers Capétiens,Philippe est sacré roi à Reims le 23 mai 1059du vivant de son père. En 1 060, Henri l"décède subitement. Anne doit alors assumerson rôle de régente. Elle le fait avecbeaucoup de courage, fondant denombreuses églises et des monastères.Bientôt, pourtant, l'amour s'en mêle. Annes'éprend d'un personnage que leschroniqueurs du temps nous dépeignentcomme ambitieux et arriviste mais qui futsurtout un politique très courageux : Raoul li dePéronne, comte de Crépy, de Valois et de Vexin.En 1062- entretemps Baudouin V deFlandre, oncle de Philippe, a été désignétuteur-régent - Anne épouse Raoul. Cedernier étant marié, Il se sert d'un artificel'adultèrenon prouvé de son épouse- pourobtenir la dissolution de son mariage.L'épouse rejetée fera appel à Rome. Raoul etAnne seront excommuniés, ce qui entraîneraune brouille passagère avec Philippe 1".En 1071, Philippe épouse Berthe deHollande. Mais il meurt en septembre de lamême année. On perd alors la trace d'Anne.Dans son remarquable Dictionnaire des reinesde France (Perrin), Christian Bouyer indique :" La tradition veut qu'elfe soit retournéedans son pays. Plus sûrement, ayant obtenuune terre sise à Verneuil, près de Melun, ef/ey serait morte avant 1080 sans avoir connuson petit-tifs, le futur Louis VI, né en 1081. »Cette histoire peu connue a fait l'objetd'un récit d'Oiha Witochynska, La Reineoubliée, Université ukrainienne libre, Paris­Munich, 1990.ALAIN SANDERS


ANS D'HISTOIREL'AIGLE BICÉPHALEles opritchniki, entièrement dévoués au tsar etqui deviennent les instruments de la tyranniedu Terrible. Ils parcourent la Russie, pillant,incendiant et massacrant.1581: Le Cosaque Ermak franchit l'Ouralavec une petite troupe, bat les Tartares sur lesbords de la Tobol et ajoute aux couronnesd'Ivan IV celle de la Sibérie.1584 : Ivan IV s'éteint après un règne decinquante et un ans. Sa disparition marque ledébut d'une grave crise dynastique. Ayant tuéson héritier légitime, Ivan le Terrible laissedeux fils, de deux épouses différentes : Fiodor,de santé précaire, et Dimitri, alors âgé de dixans. Fiodor règne officiellement jusqu'à samort, en 1598. Avec lui, s'éteint la premièredynastie russe (dynastie des Rurik). Entretemps,en effet, le jeune tsarévitch Dimitri asuccombé lui aussi. La rumeur rendra BorisGodounov, ancien conseiller d'Ivan le Terrible,responsable de sa mort (une version accréditéepar le fameux Boris Godounov de Pouchkine).1598 : Boris Godounov réussit à se faireélire tsar. Son règne sera brillant mais court. Ilparviendra cependant à restaurer en Russie lecalme et une certaine prospérité.1613 : Élection du tsar Mikhaïl Romanov.1649 : Le Code légalise définitivement leservage. Une décision qui contredit des innovationsplus « libérales » du tsar Alexis.1654 : Rattachement de la petite-Russie(Ukraine).1654-1655 : Avec l'approbation du tsarAlexis Mikhaïlovitch, le patriarche Nikoneentreprend une réforme de 1 'Église orthodoxe,perçue par la masse du peuple comme uneatteinte à la pureté de la foi. La réaction esttrès forte et déclenche le Raskol : le schisme.L'âme du Raskol est le protopope Avvakoum,qui mourra en martyr pour la défense de la« Vieille Foi ». Il fera de nombreux émules,les « Vieux Croyants » ou « Schismatiques »qui fuiront les persécutions en Sibérie et sediviseront en une multitude de sectes.1670-1671 : Les paysans et Cosaques duDon se révoltent sous la conduite de StenkaRazine.1676 : Alexis Mikhailovitch meurt sans désignerde successeur. Son fils aîné, Fiodor Ill,règne jusqu'en 1682, date à laquelle il meurt àson tour. La lutte s'engage entre les familles desdeux épouses d'Alexis, pour imposer, d'un côtéIvan, de santé fragile, de l'autre Pierre (le futurPierre le Grand), encore enfant. Ivan est proclamépremier tsar, Pierre second tsar, et la sœur d'Ivan,Sophie, devient régente. Le jeune Pierre, emmenépar sa mère hors de Moscou, passe sa jeunesse àNicolas Il en costume russe duXVI' siècle, décoré de l'aigle bicéphale.Entité ethnique jusqu'au règne d'Ivan Ill,la Russie devient avec lui une entitépolitique nettement définie. Évitantsoigneusement tout rapprochement avecl'Église latine, Ivan Ill fait de l'État moscovitel'héritier de l'Empire d'Orient disparu. Iladopte pour armoiries l'aigle bicéphale deByzance, se dote d'une généalogiefantaisiste qui le fait descendre del'empereur Auguste. Puis il ajoute à son titrede grand-prince celui de tsar (" César , ),ainsi que le qualificatif de samoderjets(l'autocratôr grec).Symbole de la nouvelle puissance russe,Moscou prend alors figure de capitale etl'architecte italien Fioraventi construit auKremlin la cathédrale de l'Assomption et lePalais à Facettes.constituer des régiments et une flottille.1689 : Avènement de Pierre 1", à la mortde son frère Ivan.1696 : Pierre l" effectue un voyage enEurope. Il est le premier tsar à quitter les frontièresde son État. Durant son séjour à l'étranger,il apprend que Sophie a tenté de prendrele pouvoir. Il revient aussitôt en Russie etcommence une répression féroce. Puis il entreprendde transformer le pays. Un bouleversementbrutal et forcé des institutions et deshabitudes qui lui vaudra de devenir « Pierre leGrand » pour les uns, et « 1 'Antéchrist » pourles autres.1700 : Défaite de Narva devant les Suédoisde Charles XII.17<strong>09</strong> : Victoire de Poltava. L'armée suédoiseest mise en déroute .1712 : La capitale est transférée à Saint­Pétersbourg (la ville de Pierre) fondée en1706. Pierre l" prend le titre d'empereur(lmperator) en 1721.1725 : Mort de Pierre le Grand. Sa veuvelui succède pendant deux ans, sous le nom deCatherine 1'"'.1730-1740 : Règne d'Anna Ivanovna,duchesse de Courlande. Influence allemande.1741 : Elisabeth, fille de Pierre le Grand,monte sur le trône pour vingt ans. Elle reprend1 'œuvre de son père.1756-1762: La Russie participe à la guerrede Sept Ans au côté de 1 'Autriche contre laPrusse. Ses troupes occupent Berlin en 1760.1762 : Début du règne de Catherine II,après l'assassinat (auquel elle n'est pas étrangère)de son époux Pierre III. La tsarine poursuitl'œuvre de Pierre le Grand. Éprise des« Lumières », elle entretient des liens étroitsavec Voltaire, Rousseau, Diderot et biend'autres.1772 : Premier partage de la Pologne.1773-1775 : Révolte du Cosaque EmelianPougatchev. Les troupes rebelles menacent lepouvoir de Catherine qui, dès lors, oublie définitivementses idées « libérales ».1796: Paul 1", fils de Catherine II et PierreIII, monte sur le trône.1799 : Campagnes de Souvorov en Italieet en Suisse.1801 : Rattachement de la Géorgie orientaleà la Russie. La même année, mort de Paul l"et avènement d'Alexandre 1".1804-1813 : Guerre russo-iranienne. Letraité de Gulistan donne à la Russie le Daghestanet le nord de l'Azerbaïdjan.1806-1812 : Guerre rosso-turque. Par letraité de Bucarest, la Russie reçoit la Bessarabieet la Géorgie occidentale.1807 : Entrevue de Tilsitt. Traité de paixentre la Russie et la France.18<strong>09</strong> : Annexion de la Finlande.1812-1814 : Guerre contre Napoléon, dite« Guerre patriotique » par les Russes.1815 : Alexandre l" organise la Sainte­Alliance. Quatrième partage de la Pologne.1825 : Mettant à profit la disparitiond'Alexandre 1", des officiers de la garde se soulèventau mois de décembre, dans l'espoird'obtenir une monarchie constitutionnelle.Nicolas 1", pour lequel vient d'abdiquer sonfrère Constantin, fait donner l'artillerie. Échecabsolu, cette « Révolte des décembristeséveillera toutefois, selon le philosopheAlexandre Herzen, toute une génération ».Nihilisme, populisme, terrorisme, marxisme,


MILLE ANS D'HISTOIRELE TEMPS DESTROUBLESLes années 1604-1613 sont entrés dansl'histoire de Russie sous le nom de " Tempsdes Troubles"· Dès 1604, le bruit se répanden Moscovie que le tsarévitch Dimitri amiraculeusement survécu et qu'il s'estréfugié en Pologne. La rumeur ne part pasde rien : un jeune Russe, soutenu par le roide Pologne Sigismond Ill qui lui procure unepetite armée, prétend en effet être le fils duTerrible. La troupe de " Dimitri , part versl'est. Elle va de succès en succès, leshommes de Godounov n'osant pascombattre le " tsar légitime "·En 1605, Boris Godounov meurt, laissantle trône à son fils Fiodor. Mais les boyards,conduits par Vassili Chouïski, ameutent lepeuple. Fiodor est massacré en avril. Enjuin, " Dimitri » fait une entrée triomphale àMoscou.Le nouveau tsar n'a toutefois pas que desamis. On lui reproche son épouse polonaise,Marina Mniszek, et ses sympathies pour le"latinisme». Mettant à profit la situation,Vassili Chouïski traite le tsar de moinedéfroqué et d'hérétique. Il soulève contre luila populace et le " faux Dimitri , estmassacré au Kremlin. Chouïski se faitproclamer tsar le 19 mai 1606.Mais l'imagination populaire ne peut serésigner à la disparition des souverainslégitimes. Un second faux Dimitri apparaît en1608 et, à la tête d'une horde de Cosaques etde Polonais, bat l'armée de Chouïski ets'installe à douze kilomètres de Moscou. Laguerre civile fait rage, compliquée par uneintervention étrangère : les Polonaisobligent Chouïski à abdiquer en 1610 ets'installent à Moscou.Vient alors le réveil national, favorisé parla mort subite du second faux Dimitri. Desmilices de volontaires se forment un peupartout, contre le roi polonais et les boyards.L'une d'elles, réunie par le boucher Minine etcommandée par le prince Pojarski, assiègele Kremlin en 1612 et chasse les Polonais.Le 21 février 1613 voit l'élection deMikhaïl Romanov, premier tsar d'unedynastie qui ne s'éteindra qu'avec larévolution de 1917.bolchevisme, durant tout le XIX' siècle les« ismes » et leurs mouvements se succèdent.1826-1828 : Guerre rosso-iranienne. Letraité de Tourkmantchaï rattache 1 'Arménie àla Russie.1830-1833: Insurrection de Pologne.1834-1859 : Guerre d'indépendance desmontagnards du Caucase.1852-1856 : Guerre de Crimée. Le Traitéde Paris sanctionne la défaite russe.1855 : Alexandre II succède à Nicolas l".1861 : Alexandre II abolit le servage, cequi lui vaut le nom de« tsar-libérateur».1863 : Écrasement de l'insurrection polonaise.1873 : Dostoïevski (1821-1881) commencela publication du Journal d'un écrivain.1877-1878 :Guerre russo-turque. Traité deSan Stefano.1881 : Alexandre II est assassiné par unterroriste du mouvement la « Volonté duPeuple ». C'est l'aboutissement d'une longuesuccession d'attentats. Son fils lui succède,sous le nom d'Alexandre III, et entame uneguerre sans pitié contre le terrorisme.1891: Début de l'alliance franco-russe.1894 : Avènement de Nicolas II.1898 : Congrès de Minsk. Fondation duParti ouvrier social-démocrate russe d'oùsortiront en 1903 les deux fractions : bolcheviks(majoritaires) et mencheviks (minoritaires).1904-1905 : Guerre rosso-japonaise, marquéeentre autres, les 27 et 28 mai 1905, par ledésastre naval de Tsou-Shima.1905 : Première révolution russe. Lessoviets font leur apparition. Le tsar promet,dans un manifeste, 1 'octroi des libertés politiqueset la convocation d'une Douma législative.1906 : Élection et dissolution de deuxDoumas. Pierre Stolypine, nommé Premiermm1stre, s'appuie sur la troisième Douma(1907) pour entreprendre ses réformes fondamentales(propriété personnelle des paysans).Il est assassiné par un jeune juif révolutionnaireen 1911.1914 : Le 1" août, la Russie entre en guerrecontre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.Saint-Pétersbourg prend le nom de Petrograd.1918 : En mars, Moscou redevient la capitale.Le même mois, un traité de paix séparéeavec l'Allemagne est signé à Brest-Litovsk.1918-1921: Guerre civile qui s'achève surla défaite des Armées Blanches à l'automne1920. Les révoltes paysannes sont écrasées parle pouvoir soviétique .LES COSAQUESL'existence du phénomène cosaque estlié à l'histoire d'un pays sans frontièresnaturelles. À la veille de la Révolution, lesCosaques étaient répartis sur onzeterritoires, appelés " Voïska "· De la merNoire à l'Oussouri, ils constituent la ligne dedéfense avancée de la Sainte Russie face àl'Asie et à l'empire turc.Historiquement les cosaques sont desinsoumis ralliés. Le mot cosaque (Kazakenrusse) vient d'un mot turc qui signifiehomme libre. Les premiers cosaques sontdes Russes qui fuient le servage au momentoù celui-ci s'établit sur le territoire contrôlépar le Grand Prince de Moscou (fin XV•siècle) et se mettent hors d'atteinte dupouvoir central. Leur zone de refugeprivilégiée au XVI' siècle est un no man'sland, situé au carrefour des influences de laRussie, du Khanat de Crimée et de laPologne, régulièrement balayé par desrazzias venant de toutes parts. Ils payentleur liberté d'une menace permanente surleur vie. Ils y font face en s'organisant encommunautés d'autodéfense. La pluscélèbre se constitue sur les chutes duDniepr, au lieu-dit Zaporogue.Malgré son organisation militaire, lacommunauté a des mœurs démocratiques.Elle élit son chef, l'hetman. Lorsque le tsars'empare du territoire des cosaques, appeléUkraine (de Kraïna, qui signifie " marche »)au XVII' siècle, il comprend tout l'intérêt qu'ilpeut tirer de la cosaquerie pour l'extensionella sécurité de ses terres. Un accord devassalité est conclu, au terme duquell'autonomie administrative est laissée auxCosaques en échange d'un service dedéfense. Dès lors les successeurs desinsoumis du XVI' siècle se ferontprogressivement les meilleurs serviteurs del'Empire. Ils en portent les limites jusqu'àl'océan Pacifique, et après quelquesmouvements de révolte au XVIII' siècle,(Mazeppa, Pougatchev), ils en assurentloyalement la défense. Durant la guerrecivile (1918-1920) les Cosaques penchenttour à tour du côté des rouges et des blancs.Le pouvoir bolchevique supprimera leurslibertés et usera contre eux de la terreur.Aussi les troupes allemandes qui pénètrentjusqu'en Crimée en 1941-1942 sont-ellesaccueillies en libératrices, ce qui entraînerades représailles massives après la victoiresoviétique.c.v.


1ANS D'HISTOIREUNE ÉCONOMIEFLORISSANTEL'empereur Nicolas II, l'impératrice Alexandra et leurs cinq enfants. Tous serontmassacrés par les bolcheviques à Ekaterinbourg, le 16 juillet 1918.LES PARTAGESDE LA POLOGNETandis qu'à la fin du X• siècle, la Russiedevenait orthodoxe, la Pologne devintcatholique par la volonté de son souverain,Mieszko 1". Au conflit religieux qui opposerales deux pays, s'ajouteront d'incessantsconflits territoriaux. Russie et Polognes'empareront successivement d'immensesterritoires revendiqués par l'autre enprofitant de périodes d'affaiblissement. Desconflits territoriaux analogues opposerontégalement la Pologne à la Prusse, héritièrede l'Ordre Teutonique, et à l'Autriche,héritière à la fois de l'Empire germanique etde la couronne de Hongrie. À la fin du XVII'siècle, la Pologne se trouvera prise dans lecycle des guerres opposant les deux grandsroyaumes du nord, la Suède et la Russie. Lavictoire de la seconde et les visées desautres puissances sur la région entraînerontles partages successifs de la Pologne entrela Russie, la Prusse et l'Autriche en 1772,1793, 1795 et 1815.1921 : Le X' Congrès du Parti se réunit enfévrier-mars. Le soulèvement des marins deCronstadt est noyé dans le sang. Lénine adoptela NEP (Nouvelle politique économique),accordant ainsi un répit au pays. La Russie estexsangue, la famine sévit. Un accord est passéentre le gouvernement soviétique et l'organisationphilanthropique ARA pour ravitailler lepays.1922 : Création de l'URSS. En avril, Stalineest élu secrétaire général du Comité central.1924 :Mort de Lénine, le 21 janvier.1927 : La « gauche » dirigée par Trotskiest éliminée du pouvoir.1928-1932 : Mise en pratique du premierplan quinquennal qui donne la priorité à1 'industrie lourde.1929 : Staline annonce l'adoption d'unepolitique de « collectivisation et de liquidationdes koulaks (paysans libres) en tant que classe». La « droite », incarnée par Boukharine,est éliminée à son tour.1930 : En janvier et février, la collectivisationforcée bat son plein.1931 : Début du génocide-famine programmépar le pouvoir soviétique contre lespaysans en Ukraine, dans le Caucase, en Russieet en Asie centrale.L'économiste français Edmond Théry, quiexamina les statistiques disponibles à la findu règne de Nicolas Il, publia en 1914 unouvrage consacré à la Transformationéconomique de la Russie. La conclusion decette étude attentive mérite que l'on s'yarrête : « Si les choses, dans les grandesnations européennes, se passent entre 1912et 1950 comme elles viennent de se passerentre 1900 et 1912, vers le milieu du présentsiècle, la Russie dominera l'Europe tant aupoint de vue politique qu'au point de vueéconomique et financier. "En URSS, le physicien louri Orlov, membrede l'Académie des sciences d'Arménie,parvient aux mêmes conclusions : « LaRussie prérévolutionnaire n'était un pays niretardé ni totalitaire. Elle occupait lacinquième place dans le monde pour laproduction économique, et la première pourle développement industriel[ ... ] Ces faits,ajoute Orlov, ont été grossièrementdéformés par la propagande soviétique[ ... ]La recherche fondamentaleprérévolutionnaire a donné des découvertesqui n'ont pas été surpassées par la sciencesoviétique » (Cahiers du Samizdat, juin·juillet 1976).Entre 1898 et 1913, la Russie a battu tousles records mondiaux de croissanceindustrielle, avec 10% par an. Cedéveloppement intense sera d'ailleurs l'unedes causes des bouleversements sociauxqui conduiront à la situationprérévolutionnaire de 1914.Depuis la fin du XIX• siècle, la populationde l'Empire s'est multipliée de façonétonnante. Dans les dix années quiprécèdent la guerre, elle est passée de 125 à167 millions. Son taux d'accroissement estde 18 pour 1 000, le plus élevé de tout lecontinent européen. En 1913, on prévoit quela population passera vers 1980 à environ350 millions d'habitants.En 1970, la population de l'URSS comptait245 millions d'habitants seulement, malgrél'annexion de nouveaux territoires avec leurpopulation. La cause du déficit considérableest à rechercher dans les pertes des deuxguerres mondiales, les massacresconsécutifs à la révolution de 1917, la guerrecivile, la famine, les répressionsantipaysannes, les purges gigantesques, lesdéportations de populations, et, enfin, labaisse de la natalité.CHARLES VAUGEOIS


MILLE ANS D'HISTOIRELES RÉVOLUTIONSDE 1917En février 1917, des manifestationsouvrières dégénèrent en révolution,conduisant Nicolas Il à abdiquer, le 3 mars.Un gouvernement provisoire est créé, sousla direction du prince Lvov. Aussitôt, lessoviets s'érigent en pouvoir parallèle.Au mois d'avril, Lénine, jusqu'alors exilé enSuisse, rentre en Russie, avec l'aide desautorités allemandes. Au mois d'août, lesAllemands passent à l'offensive et Riga faitsa reddition. En septembre, Kerenski prendla tête du gouvernement provisoire. Legénéral Kornilov tente un putsch. Lesbolcheviks obtiennent la majorité au sovietde Petrograd. Le 25 octobre (7 novembre ducalendrier grégorien), ces derniersréussissent un coup d'État. Le lendemain, lepouvoir des soviets est proclamé. Léninedevient président du Soviet descommissaires du peuple. Le 7 décembre,création de la police politique (Tcheka).1932-1937 : Deuxième plan quinquennal.La priorité reste à l'industrie lourde.1934 : XVII' congrès du Parti, dit« congrès des vainqueurs », en janvier. Endécembre, Kirov est assassiné.1935 : Après un premier procès de Zinovievet Kamenev en janvier et le « Procès des16 » en août, commence la Grande Terreur.1939 : Le 23 août, signature d'un pacte denon-agression avec l'Allemagne et d'une clausesecrète sur le partage de la Pologne. Le 17septembre, 1 'Armée Rouge entre en Pologneorientale.1939-1940: Guerre soviéto-finlandaise.1940 : Le pouvoir soviétique annexe lesPays baltes.1941 : Début de la Seconde Guerre mondialeen URSS : l'Allemagne attaque 1 'Unionsoviétique. Après des débuts catastrophiquespour l'armée soviétique décapitée par lespurges staliniennes, l'armée allemande subitun premier revers à l'occasion de la bataille deMoscou (octobre 1941-janvier 1942). Dejuillet 1942 à février 1943, a lieu la bataille deStalingrad. Le 2 mai 1945, prise de Berlin.1953 : Le 5 mars, Staline meurt. Aprèsquelques mois de direction collective,Khrouchtchev deyient Secrétaire général duComité central, en septembre.1954 : Signature du Pacte de Varsovie, enréplique à l'Otan. L'année est également marquéepar des révoltes dans les camps (goulag).1956 : XX' Congrès du Parti. Rapportsecret de Khrouchtchev sur les « consé-Nikita Khrouchtchev (1894-1971). Premiersecrétaire du parti après la mort de Staline,il est l'initiateur de la « déstalinisation »à partir de 1956. Éliminé le 15 octobre 1964au profit deL. Brejnev.quences du culte de la personnalité ». Durantle printemps et l'été, les détenus des campssont libérés en masse et nombre de victimes dela Grande Terreur sont réhabilitées. L'insurrectionnationale hongroise est écrasée par l'ArméeRouge.1959 : La Chine maoïste dénonce le « révisionnisme» des dirigeants soviétiques.1961 : 12 avril, lauri Gagarine, premierhomme dans l'espace.1962 : Devant la menace de guerre brandiepar le président Kennedy, Khrouchtchevordonne le retrait des fusées soviétiques deCuba.1964 : Khrouchtchev est limogé. C'est lapremière révolution de palais dans l'histoire del'URSS. Léonid Brejnev est élu premier secrétairedu comité central.1966 : Le procès des écrivains A. Siniavskiet 1. Daniel marque, de fait, la fin du« Dégel » khrouchtchévien.1968 :Au mois d'août, les armées du pactede Varsovie occupent la Tchécoslovaquie.1973 : Publication de L'Archipel du Goulagd'Alexandre Soljenitsyne. L'année suivante,Vladimir Maximov crée à Munich la revueContinent.1975 : La Conférence internationaled'Helsinki reconnaît l'inviolabilité de la zoned'influence soviétique en Europe.1979 : Les troupes soviétiques envahissent1 'Afghanistan en décembre.1982 : 10 novembre, mort de Brejnev.lauri Andropov devient Secrétaire général.BIBLIOGRAPHIE-Mille ans de christianisme russe, 988·1988,Actes du Colloque international del'université Paris X-Nanterre, janvier 1988.Paris, Ymca-Press, 1989.- Alain Besançon, Présent soviétique etpassé russe, Paris, Hachette, 1980.- Henry Bogdan, Histoire des peuples de/'ex-URSS, Paris, Perrin, 1993.-Hélène Carrère d'Encausse, L'Unionsoviétique, de Lénine à Staline, 1917·1953,Paris, Éditions Richelieu, 1972.-Michel Helier et Alexandre Nekrich,L'Utopie au pouvoir, histoire de l'URSS de1917 à nos jours, Calmann-Lévy, 1982.- Pierre Kovalevsky, Histoire de la Russie etde l'URSS, Paris, Librairie des cinqcontinents, 1970.- Nicolas Riazanovsky, Histoire de la Russie,(vaut notamment par son importantebibliographie) Paris, Laffont-Bouquins, 1987.- Leonard Schapiro, Les Révolutions russesde 1917, Flammarion, 1987.- Georges Sokoloff, La Puissance pauvre,une histoire de la Russie de 1815 à nosjours, Paris, Fayard, 1993.-Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel duGoulag, 3 volumes, Paris, Fayard, 1973,1974, 1976.-Dominique Venner, Histoire de l'Arméerouge, 1917·1924, Paris, Plon, 1981.Après sa mort en 1984, il est remplacé parKonstantin Tchernenko.1985: 10 mars, mort de Tchernenko. Électionde Mikhaïl Gorbatchev au poste de secrétairegénéral du comité central.1989 : Premières élections à plusieurs candidatsau Congrès des députés du peuple.1991 : En juin, Boris Eltsine est élu à laprésidence de Russie. Août donne lieu à unetentative de putsch, dont les circonstances restentobscures. Boris Eltsine prend alors la têtedes « réformateurs » et promulgue un décretinterdisant le Parti communiste.Le 8 décembre, l'URSS cesse d'exister.L'ancien drapeau tricolore remplace le drapeaurouge. À partir de 1992, la politique monétaristed'Egor Gaïdar frappe les défavorisés,soulevant de vives oppositions. Celle du Parlement(général Routzkoï) est brisée le 4 octobre1993. Mais les élections législatives du 12décembre montrent l'existence d'un fort courantnational et populaire.ANNE COLDEFYAnne Coldefy a publié en 1993 aux Éditionsautrement (Paris), Quelle Russie ? Lesracines et les rêves d'une société dépaysée .


LASAINTE RUSSIEUne violencerédemptricePAR HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSEDE L'ACADÉMIE FRANÇAISEPour nombre d'historiens, la Russiene s'est jamais complètementremise de la longue conquête mongole.Mais n'est-ce pas dans les souffrancesd'un destin terrible qu'ajailli sa sainteté ?La Russie, on ne le soulignera jamaisassez, est avant tout un espace ouvert,sans frontières, frontière elle-mêmeentre 1 'Europe qui se constitue et l'Asie. Dèsles origines, les princes de Kiev ont dû défendrepied à pied leur espace contre les envahisseursqui les menaçaient de tous côtés. L'épanouissementde Kiev, dans ces conditions, tint dumiracle. Mais aussi de 1 'opiniâtreté de ceux quiy régnèrent et de leur choix chrétien, européenen définitive. C'est en 1237, année fatale, quel'armée mongole fond sur le pays, écrase lesprincipautés, impose pour deux siècles et demisa domination. État sans frontières, la Russie,qui retient dans son espace les Mongols, est lafrontière qui sépare ceux-ci d'une Europe dont1 'histoire, pendant ces deux siècles et demi, sepoursuit à l'abri d'une Russie écrasée. Quandvient l'heure de l'émancipation, la Russie quiémerge des ténèbres d'une domination qui y alaissé bien des traces, a tout manqué du développementeuropéen. Il lui faut constituer laNation, définir un espace, décider là où se situeHélène Carrère d'Encaussesa frontière- en Europe? ou face à l'Europe?-,créer un État qui puisse administrer et défendreun espace immense dont la protection imposeque toujours la frontière soit repoussée.Ailleurs, c'est la gloire de la Renaissance ; enRussie, c'est la difficile naissance de la Nation.Le temps de la Russie ne sera jamais plus celuide l'Europe : en arrière d'elle jusqu'en 1917; enavant dans l'utopie, ensuite.La conséquence de ce décalage chronologiquepar rapport à une Europe jamais rejointeà qui la Russie servit de sentinelle face àl'Asie, est double. C'est le système socialdécalé - le servage, au temps où les hommesétaient émancipés ailleurs - qui fera de la Russie,pour l'Europe, un objet de curiosité oud'horreur. C'est aussi l'incapacité de la Russieà se développer autour d'un projet communqui unifie ceux qui détiennent le pouvoir etceux qui le subissent. La construction descathédrales, les croisades, tout ce qui consolidealors les nations de l'Europe chrétienne, laRussie 1 'a manqué ; ensuite, le temps lui a faitdéfaut pour y remédier. De l'absence de ceprojet commun autour duquel se forgent lesmythes des nations et leur cohérence, découlel'éternel conflit russe. La Russie s'est développéeen juxtaposant deux cultures : celle d'uneclasse dirigeante et d'élites pour qui la volontéde « rattraper l'Europe », de s'y intégrer, ou dedéfinir sa spécificité par rapport à elle, fut uneconstante ; et une culture populaire horizontale,statique, ressentant les efforts de la culture desélites comme autant de coups portés contreelle. Un signe symbolique, mais combienimportant, de cette discontinuité culturelle estl'éternelle migration des capitales du pays : deKiev à Souzdal, puis à Moscou et Saint­Pétersbourg, pour en revenir à Moscou, nedirait-on pas le cheminement d'un pouvoir enquête de son identité ? Les ruptures historiquesradicales : Kiev ; les siècles mongols ; letemps des Troubles ; Moscou ; l'œuvre occidentalisantede Pierre le Grand ; Saint-Pétersbourg; enfin la révolution. Quel peuple s'yreconnaîtrait, y trouverait son identité définitiveet ce qui le relie aux maîtres du moment ?C'est cette histoire tourmentée qui a faitdu peuple russe un peuple malheureux, en1


MEDITATION SUR UNE ENIGMEDOSTOÏEVSKI ET LETEMPÉRAMENTRUSSEDostoïevski reflète toutes lescontradictions de l'esprit russe, toutes sesantinomies qui ont provoqué à leur tour tantde jugements contradictoires sur la Russieet sur son peuple. L'architecture spirituellede ce peuple, on peut la suivre et l'étudier enlui. Les Russes se classent eux-mêmes en" apocalyptiques » et en " nihilistes "•entendant par là qu'ils ne supportent pas unclimat psychique moyen, et que leurtempérament les mène irrésistiblement versles extrêmes. Apocalyptisme, nihilisme, lamême tendance excessive, le même besoinde pousser les choses jusqu'à leur terme,les entraînent vers ces deux pôles.NICOLAS BERDIAEVL'Esprit de Dostoïevski ,Stock, Paris 1945, 1975.«C'est en Russieseulement, au coursde mes deux grandsvoyages dans cepays, que j'ai sentice qu'est une patrie ;j'étais là-bas enquelque sorte chezmoi, peut-être parceque le temps, letemporel, y est sipeu visible, parceque l'avenir y esttoujours déjàprésent, et quechaque heures'écoule plus près del'éternité. >Rainer Maria RilkeLettre à Ellen Key,1899.quête de mythes consolateurs. L'influencedurable et diverse de la religion lui doit beaucoup.La quête d'identité et d'unité culturellesde ce peuple déchiré a sans nul doute trouvédans les mythes religieux la réponse la pluspropre à permettre d'engager l'œuvre deconstruction nationale commencée à Kiev, etcelle de reconstruction qui se poursuivit auXVI' siècle. Dans l'extrême misère morale dela Russie, la religion a eu de surcroît pourfonction d'en rendre possible l'acceptationsociale. La sainteté du tsar escamote la sauvageriede son règne. Son despotisme extrêmeexige une légitimation elle aussi extrême, cellede la soumission au dessein divin. Et si lessouffrances constantes du peuple sont dominées,c'est parce que la vision eschatologiquequi sous-tend toute la mythologie politiquedonne à cette souffrance l'allure d'une marchesur les traces du Christ de la Passion.C'est aussi cette conception religieuse -où s'entremêlent dans un étonnant syncrétismechrétienté orthodoxe, rigorisme des vieuxcroyants,croyances hétérodoxes d'innom-REMARQUES ÀREBROUSSE-POILCependant que les peuples occidentauxs'usaient dans leur lutte pour la liberté et,plus encore, dans la liberté acquise (rienn'épuise tant que la possession ou l'abus dela liberté), le peuple russe souffrait sans sedépenser, car on ne se dépense que dansl'histoire, et, comme il en fut évincé, force luifut de subir les Infaillibles systèmes dedespotisme qu'on lui infligea : existenceobscure, végétative, qui lui permit des'affermir, d'accroître son énergie,d'entasser des réserves et de tirer de saservitude le maximum de profit biologique.L'orthodoxie l'y a aidé, mals l'orthodoxiepopulaire, admirablement articulée pour lemaintenir en dehors des événements, aurebours de l'officielle qui, elle, orientait lepouvoir vers des visées impérialistes[ ... ].Pour que la Russie s'accommodât d'unrégime libéral, il faudrait qu'elle s'affaiblîtconsidérablement, que sa vigueurs'exténuât ; mieux : qu'elle perdît soncaractère spécifique et se dénationalisât enprofondeur. Comment y réussirait-elle, avecses ressources intérieures inentamées etses mille ans d'autocratie ? À supposerqu'elle y arrivât par un bond, elle sedisloquerait sur-le-champ. Plus d'une nation,pour se conserver et s'épanouir, a besoind'une certaine dose de terreur. La Franceelle-même n'a pu s'engager dans ladémocratie qu'au moment où ses ressortscommencèrent à se relâcher, où, ne visantplus à l'hégémonie, elle s'apprêtait à devenirrespectable et sage. Le Premier Empire futsa dernière folie. Après, ouverte à la liberté,elle devait en prendre péniblementl'habitude, à travers nombre de convulsions,contrairement à l'Angleterre qui, exempledéroutant, s'y était faite de longue main,sans heurts ni dangers, grâce auconformisme et à la stupidité éclairée de seshabitants (elle n'a pas, que je sache, produitun seul anarchiste).E.M. CIORAN" Quelques imprécisions sur la Russie ,La Nouvelle Revue Française, no 61,1" janvier 19581


TAliON SUR UNE ENIGME1brables sectes et vestiges du paganisme primitif- qui guidera les concepts plus modernesproduits par les intellectuels : le peuple - élude Dieu et souffrant de par Sa volonté -, lafaute et le nécessaire rachat.La Passion de JivagoÀ cet égard, la révolution n'a pas constituéune rupture, même si elle s'est efforcée desubstituer ses mythes propres à la mythologieque les siècles avaient développée. Mais l'idéologiesalvatrice reste au cœur d'un système enquête d'unanimité. La révolution a pris acte del'existence des deux cultures que l'histoireavait échoué à réconcilier, et tout en offrant àson tour une vision eschatologique, elle a résoluce divorce culturel par l'usage de la languede bois. Nul mieux que Boris Pasternak, dansLe Docteur Jivago, n'a aussi parfaitementrendu compte du conflit culturel qui est aucœur du malheur russe et qui transcendeépoques et événements, et jusqu'à la révolution.Jivago, dont le nom même, comme lesouligne J. Billington, vient de la liturgie pascale,est à lui seul un concentré de la plupartdes mythes de la Russie. Ce héros douloureux,acceptant sans révolte extérieure un ordre quilui est étranger et qui le détruit, est la véritablealternative à l'Homo sovieticus qui feintl'adhésion, s'insère dans le collectif et se pervertitdans le double langage. La Passion deJivago, qui subit la tourmente révolutionnaire,celle de la guerre civile, des privations physiqueset des dégradations morales, est symboliquedu destin du peuple, du malheur russe.C'est ce peuple qui, derrière le personnage deJivago, vit la Passion à l'image de celle duChrist, en un temps dont on soupçonne qu 'ilest celui séparant le mont des Oliviers d'unelointaine Résurrection. La violence qui jalonnele roman, violence inévitable, violencerédemptrice, est en fait celle de toute l'histoirede la Russie. Le problème de Jivago recouvred'ailleurs également un autre problème éternelde ce pays : la volonté de ne pas céder à ladéformation, au maquillage de la vérité, et dediscerner, derrière le faux, ce qui est le vrai.HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSEde l'Académie françaiseOn ne saurait citer tous les ouvrages consacréspar Hélène Carrère d'Encausse à l'URSSd'hier et à la Russie de toujours. On peut cependantporter une attention toute particulière àL'Empire éclaté, publié par Flammarion en 1978,ainsi qu'à Victorieuse Russie, publié par Fayarden 1992.JOSEPH DE MAISTRE,UN ULTRAMONTAIN AUPRÈS DU TSARPlacé sous les signes conjugués del'insuffisance matérielle et de la relativeinefficacité diplomatique, le séjour de quatorzeannées qu'accomplit Joseph de Maistre à Saint­Pétersbourg en qualité d'ambassadeurextraordinaire de Victor-Emmanuel l", roi deSardaigne, trouve en dernier ressort sajustification pour sa fécondité littéraire.Observatoire privilégié de la politiqueeuropéenne, Saint-Pétersbourg accueille sansfracas (13 mai 1803 à 9 heures du matin) lesénateur savoyard âgé de cinquante ans. Lequel,dépourvu de liste civile et sans fortunepersonnelle, ne disposant ni de bureau ni d'unsecrétaire, pratique noblement l'art d'être pauvre :" J'ai pris le parti de partager la soupe de monvalet de chambre. " Le contraire d'un courtisan,peu prisé du roitelet sarde, en butte à l'hostilitédu cabinet royal jaloux de la ponctualité et de laqualité de ses dépêches diplomatiques bellescomme des dissertations, Maistre, s'il peutespérer jouer un rôle en faveur de son pays, saitqu'il ne pourra compter que sur sa seule habileté.L'objet de sa légation auprès du jeune tsarAlexandre l" relève d'une triple attente : lerétablissement de Victor-Emmanuel dans sesanciens États ; la sûreté de son séjour sur lecontinent ; les moyens de subvenir au train de lamaison royale. Au vrai, les prétentions sardesprovoquent le sourire de l'opinion puisqu'aussibien la couronne ne représente plus rien sur lascène internationale. Quant à la requête avancéepour la spoliation de la Savoie, du Piémont et duNiçois, l'intransigeance même de Victor­Emmanuel fait obstacle à l'évaluation d'uneraisonnable indemnisation.Force est donc à Joseph de Maistre de s'entenir à la besogne de médiateur occulte. Avecsuccès dans un premier temps il noue des liensauprès de Louis XVIII, s'acquiert la confianced'Alexandre, échafaude un plan de rencontre avecl'Ogre corse, agence un réseau catholiqueultramontain. Ce royaliste convaincu doublé d'unhomme d'influence agit au mieux des intérêtssardes : solliciteur zélé, il réussit à obtenir pourson gouvernement une aide annuelle de soixante·quinze mille roubles.Il reste que l'entourage de Victor-Emmanuelmilite obstinément contre lui ; de guerre lasse,Maistre songe à résigner sa mission afind'adopter la nationalité russe : "Jusqu'à mondernier soupir, je ne cesserai de me rappeler laRussie et de faire des vœux pour elle. Naturalisépar la bienveillance que j'ai rencontrée au milieude ses habitants, j'écoute volontiers lareconnaissance lorsqu'elle essaie de me prouverque je suis russe. "Reçu et fêté dans les salons de l'aristocratie -notamment chez le prince Czartoryski puis chezles grandes duchesses - , mandaté par Alexandrepour rédiger des écrits officiels, Maistre fait officeun temps de collaborateur particulier du tsar.Entre le souverain soucieux des fins dernières etfamilier des cénacles illuministes et le prophètecontre-révolutionnaire une commune observancedes décrets de la Providence, perçus comme lesmanifestations de la volonté divine, crée lesconditions d'une entente mystique.Tenant d'une société sacrale gouvernée selonles principes d'une fol transcendante, Maistreintègre le combat de catholicité au cœur même dela lutte contre l'apostasie révolutionnaire et soninstrument, Napoléon. À Saint-Pétersbourg,M"" Svétchine, d'une part, les Jésuites de l'autretravaillent à développer l'implantation de laminorité catholique sous le regard de Maistre.Et soudain, rompant avec quarante ans d'unepolitique religieuse qui, de Catherine Il à Pauli",visait à défendre l'enseignement de la Compagniede Jésus contre l'esprit des Lumières, Alexandrerétablit l'orthodoxie comme religion d'État tandisqu'il ordonne l'expulsion des Jésuites. Maistrerapporte les termes du tsar dans leur dernierentretien : " Maintenant, tout est fini, et leschoses reprennent leur ancien pied. "Pièce maîtresse, Les Soirées de Saint·Pétersbourg n'ont pas été écrites en Russie,sinon le début, contrairement au Principegénérateur des Constitutions politiques- quifâcha Louis XVIII apôtre de la monarchie selon lacharte. Mais le climat des Soirées, les entretiensqui réunissent Maistre, le sénateur et le chevalierau bord de la Néva où l'on évoque le Trône,l'Autel et la Providence forment autant de thèmesrécurrents, habituels à cette œuvre extraordinaire,et dont l'exil pétersbourgeois rompu au printemps1817 fut le cadre provisoire et l'objet d'uneconstante nostalgie.ÉRICVATRÉ


1La Russie et !~EuropePAR OSWALD SPENGLERRédigée en 1918, dans uneEurope en plein chaos, cette méditationsur la Russie reste d'unesurprenante actualité.Les Russes ne sont point un peuple à lamanière du peuple allemand ou anglais ;ils portent en eux, tels les Germains àl'époque carolingienne, la virtualité d'une multitudede peuples futurs. Les Russes sont la promessed'une culture à venir au moment où lesombres du soir s'allongent sur l'Occident. Onne marquera jamais assez la différence entrel'esprit russe et celui de l'Occident. LesAnglais, les Allemands, les Américains et lesFrançais ont beau connaître entre eux l'oppositionla plus profonde au plan psychique (seelisch)comme au plan religieux, politique etéconomique, ils forment, dès qu'on les compareaux Russes, un monde clos et homogène.L'apparence occidentalisée de quelques citadinsrusses nous abuse. Le véritable Russe nous estaussi profondément étranger qu'un Romain del'époque monarchique ou qu'un Chinoisd'avant Confucius qui réapparaîtrait soudainparmi nous aujourd'hui. Cela, le Russe luimêmel'a toujours su, et déjà au moment où iltraçait une limite entre sa « Mère Russie » etl'« Europe ».L'âme russe primitive (Urseele), occultéepar la saleté, la musique, la vodka, 1 'humilitéet une étrange tristesse, a pour nous quelquechose d'impénétrable[ ...].Cet esprit russe, secret comme un enfant etlourd de pressentiments, a été en effet torturé,bouleversé, blessé, empoisonné par cette autreculture qu'est l'« Europe », étrangère et dominatrice,parvenue à l'âge d'une virilité parfaite,et qui lui impose ses propres formes de pensée.Des villes, portant l'empreinte de notre style devie et les exigences de notre comportementintellectuel, ont percé la terre et la chair de cepeuple ; une tournure d'esprit sophistiquée, unefaçon de concevoir la vie, des idées sur l'État,des connaissances scientifiques, tout cela a étéinoculé à une conscience non encore dévelop-pée. Autour de 1700, Pierre le Grand impose aupeuple, avec la diplomatie de cabinet propre austyle politique baroque, un pouvoir dynastique(Hausmachtpolitik) (1) ainsi qu'une administrationet une armée calqués sur le modèle occidental; vers 1800, parviennent en Russie, dansla version qu'en donne la littérature française,des idées anglaises parfaitement incompréhensiblespour ce peuple, qui ne font que troublerl'intelligentsia de la maigre classe supérieure ;bien avant 1900 cette intelligentsia russe, entichéede livres, introduit le marxisme, ce produitparticulièrement compliqué de la dialectiqueouest-européenne, dont elle ignore les raisonsprofondes. Pierre le Grand a transformé le tsarismetypiquement russe en une grande puissancequi commença à faire partie, dès lors, du systèmedes États occidentaux ; et ce faisant il en agâché le développement naturel ; 1' intelligentsia,elle-même émanation de cet esprit authentiquementrusse et corrompu dans les villes devenuesétrangères, a perverti la pensée originellede son pays [ ... ].La voix prophétiquec;le DostoïevskiLe peuple russe n'a connu lui-même,jusqu'à présent, que des expériences religieuses,mais aucune qui ne soit réellement sociale oupolitique. C'est méconnaître Dostoïevski, cesaint auquel l'Occident prête les traits absurdeset ridicules de 1 'écrivain, que de saisir les « problèmes»sociaux qu'il évoque, autrement qu'entermes de forme romanesque. Ce qui, pour lui,est essentiel s'écrit entre les lignes et prend,avec Les Frères Karamazov, une intensité et uneprofondeur religieuses qui n'ont leur pareil quechez Dante. Cependant, la politique révolutionnaireest le fait d'un petit groupe social qui, issudes grandes villes, à peine d'origine russe luimême,n'est plus très sûr dès lors de partager lessentiments russes; c'est pourquoi cette politiquerévolutionnaire se développe en prenant lesformes d'une contrainte doctrinaire d'une part,et d'un réflexe de défense d'autre part.D'où cette profonde et terrible haine séculaireque les Russes nourrissent envers l'Ouest,envers le poison instillé dans leur chair ; cettehaine nous parle avec la même intensité dessouffrances intérieures de Dostoïevski, desbrusques éclats de Tolstoï et des sentiments nonexprimés de l'homme de la rue[ ... ]. Les seulesréalisations de la doctrine bolcheviquen'auraient pas suffi à déclencher la violenceavec laquelle le mouvement de nos jours se perpétue.Le bolchevisme est lui-même poussé parles instincts de la Russie profonde à s'opposer àl'Ouest qu'incarna d'abord la politique de Pierrele Grand ; et, produit de ce « pétrinisme », lebolchevisme sera, finalement, anéanti à son tourafin que la Russie soit totalement délivrée detout ce qui est « européen » [ ... ].En Russie, le bolchevisme va être remplacépar la seule forme qui convienne à unpeuple placé dans les conditions que l'on sait- à savoir par un nouveau tsarisme, peu importelequel. Et il est aisé de croire que ce tsarismesera plus proche du socialisme prussien que duparlementarisme capitaliste. Mais la confusionpolitique et sociale n'est pas une solution pourl'avenir de la Russie ; cet avenir réside bienplutôt dans la naissance d'une religion nouvellequi se prépare - la troisième dans l'ordredes riches possibilités du christianisme - à lamanière de la culture germano-occidentaledont les débuts coïncidèrent, vers l'an 1000,avec la création inconsciente de la deuxièmereligion. Dostoïevski fut l'une des voix prophétiques,annonciatrices de cette foi encoreinnommée, qui aujourd'hui déjà s'avance,force silencieuse d'une infinie tendresse.OSWALD SPENGLERCes lignes sont extraites de Prussianité et socialismequi fut écrit et publié à chaud par OswaldSpengler entre les deux tomes du Déclin de l'Occident(1918 et 1922). Au-delà d'une thèse féconde surl'antagonisme du capitalisme libéral anglo-saxon etde l'ordre prussien continental, ce texte propose uneméditation de fond sur l'âme des peuples et leur rapportavec l'histoire. Oswald Spengler est né à Blakenburg,dans le Harz. Il est mort à Munich en 1936.Prussianité et socialisme a fait l'objet d'une traductionen français d'Eberhard Gruber qui a été publiéepar Hubert Nyssen, Éditions Actes Sud, Arles, 1986,avec une préface de Gilbert Merlio.(1) Ce terme désigne une politique qui renforce lepouvoir d'une famille régnante par la confusion entreaffaires publiques et liens de parenté. Pourrait donc setraduire aussi par népotisme.


L'ARBITRE DES TEMPS TROUBLESLe rôle de l ~arméedans l ~histoire russePAR GUY CHAMBARLACEmpire sans frontière, la Russie est née de l'épée. D'Ivan le Terrible à Boris Eltsine, à travers batailles,émeutes ou complots, l'épée n'a jamais cessé de peser sur la marche de l'État.Unité d'infanterie de la garde impériale russe en 1912.L'institution militaire domine 1 'histoirede l'empire russe. Son origine seconfond, au IX' siècle, avec l'entréeen scène des Varègues, nom donné auxVikings dans l'espace qui va devenir celui dela Russie. Appelés au secours par les populationsslaves pour résister aux assauts des Khazarset des Bulgares, les Varègues sont organi-sés en droujinas (détachements armés) quipacifient les immenses contrées baignées parla Volga et le Dniepr. Au nord, Rurik fondeNovgorod en 860. Au sud, Oleg s'établit àKiev en 882.La Russie kievienne, on l'oublie, est l'undes royaumes les plus civilisés de son temps etles drou jin as de ses princes sont considéréscomme un modèle de perfection militaire.« C'est à cette époque, écrit l'historien militaireStrokov, que commencent à se former lestraits spécifiques de l'art militaire russe. »Le règne de Yaroslav (1016-1054) marquel'apogée du royaume de Kiev. Ma)s le déclins'amorce avec les querelles qui opposent sessuccesseurs. Lorsque les invasions mongoles


LE RÔLE DE L'ARMÉEmenaceront la Russie kievienne, celle-ci nepourra s'unir pour sa défense. La défaite de lachevalerie russe devant les Mongols à Kalka,en 1224, ouvre deux siècles de servitude. Seulle nord de la Russie reste libre, malgré lamenace, cette fois, des Suédois et des chevaliersteutoniques.Alexandre Nevski, prince de Novgorod,bat les premiers sur la Néva, en 1242, et lesseconds sur le lac Peïpous, en 1245.L'emprise mongole ne sera secouée, unepremière fois, qu'en 1380, par Dimitri Donskoïà la bataille de Koulikovo, au « champ desbécasses ». Cette victoire est toujours célébréecomme une fête nationale.L'œuvre libératrice est achevée un siècleplus tard par Ivan III. Son petit-fils, Ivan IV« le Terrible », prend, en 1547, le titre de tsar(csar= césar). À l'extérieur, il s'impose définitivementaux Mongols. En 1552, il s'emparede Kazan, leur capitale, sur la Volga. Il pousseà la fois vers 1' Asie par la conquête de laBachikirie et d'Astrakan, mais également versle Nord-Ouest contre la Suède, la Lituanie etla Pologne. À la fin de son règne, en 1580,commence la conquête de l'immense Sibériepar les Cosaques de Yermak, pendant continentalet oriental de 1 'expansion entreprise à lamême époque par les conquistadors versl'Amérique.Les mousquetairesd'Ivan le TerribleIvan IV se donne une garde de 40 000arquebusiers, les streltzi (mousquetaires), premièrearmée permanente de la Russie. Lesstreltzi interviendront fréquemment dans lesaffaires de l'État. À la mort de Fedor III, en1682, ils imposent la régence de SophieAlexeïevna, puis s'insurgent contre elle, avantde s'opposer à Pierre l" le Grand en 1698. Malleur en prendra. Le tsar fera donner contre euxles deux régiments de sa garde personnelle.Les streltzi seront décapités et pendus par centaines; les survivants déportés et réduits à laservitude.Les deux premiers régiments de la nouvelleGarde, qui ont mené la répression, le Preobrajenskiet le Semenov ski, avaient été levés par lejeune tsar Pierre parmi ses compagnons de jeudes deux bourgades de Preobrajenskoïe et deSemenovskoïe, à l'époque de son éloignementdu trône.Pour entreprendre le dressage de la nationrusse, pour la contraindre aux lumières del'Europe, l'institution militaire sera l'instrumentprivilégié du tsar révolutionnaire. Tousles futurs serviteurs de 1 'État doivent passerpar elle. Mais le peuple russe renâcle sous lemors, rue et se débat. Il lui faut une cravache.Ce sera la Garde. Elle ne cessera d'intervenirdans les affaires de l'Empire.En 1741, la tsarine Elisabeth, digne continuatricede Pierre, marche à la tête du régimentPreobrajenski, afin de renverser le calamiteuxIvan VI et se proclamer impératrice. Sanièce par alliance, la future Grande Catherine,est elle-même portée au trône, en 1762, par uncoup d'État de la Garde, conduite par lesfrères Orlov qui assassinent Pierre III.Quarante années ne se sont pas écouléesque Paul l" est lui aussi mis à mort par les officiersde la Garde qui saluent en son fils,Alexandre 1", le nouveau tsar.En 1825, le soulèvement des officiersdécembristes est brisé par le Preobrajenski etla Garde à cheval, qui soutiennent la légitimitéde Nicolas 1".L'alerte a été chaude. La tentative insurrectionnelleest venue d'officiers acquis auxidées « libérales » répandues par la Révolutionfrançaise et ses armées. Nicolas l" et ses successeurss'efforceront de tenir l'armée à l'abride la politique. Une partie des réformes deMilioutine, ministre de 1861 à 1881, ira dansce sens. C'est à la Garde seule qu'est assignéela fonction politique de défendre l'autocratie.Elle s'en acquitte effectivement lorsque ladéfaite devant le Japon provoque les troublesgraves de 1905-1906. La fidélité de la Gardepermet d'écraser la menace de révolution.Inversement, c'est la mutinerie des dépôts dela Garde, en 1917, à Petrograd, qui entraîne lachute de Nicolas Il et la disparition de l'autocratie.Mais la Garde, à ce moment, n'existedéjà plus. Ses régiments ont été entièrementsacrifiés dans les combats de Masurie en 1914.Trois ans après, en février 1917, il n'en resterien, sinon des formes vides.On ne peut ignorer le rôle du haut commandementdans le renversement de Nicolas Il.C'est en effet sur intervention personnelle dugénéral Alexeiev, un libéral, et des commandantsdu front, que Nicolas II sera contraintd'abdiquer. Un an plus tard, ce même généralAlexeiev deviendra le premier chef d'unembryon d'armée blanche au tout début de laguerre civile. Il est rejoint par le général Kornilov,célèbre pour avoir tenté de renverser,tout au moins d'imposer ses vues au calamiteuxPremier ministre socialiste Kerenski, enaoût 1917 avec les cosaques de la divisionsauvage.Créée en 1918 sur les débris de l'arméeimpériale, l'Armée Rouge assume d'embléeune fonction politique vitale dans les combatsde la guerre civile, puis dans les multiplesrépressions qui suivront. Staline, qui se méfied'elle, la décapite dans des proportions inimaginableslors des purges de 1936 et 1937.Reconstituée à l'épreuve du feu, au prix depertes gigantesques, devant le péril mortel desoffensives allemandes de 1941, elle renouealors avec tous les rites et les traditions del'époque impériale.Un prestige intactCette armée victorieuse, qui a conquis unpan énorme de l'Europe en 1945, intervient enla personne du maréchal Joukov, contre Beria,quand s'ouvre la succession de Staline.Seule institution sortie relativement intactede l'effondrement du régime soviétique, en1991, elle joue un rôle direct à 1' occasion desdeux premières crises traversée par la Russiepost-soviétique. Une première fois lors de latentative de putsch paléo-communiste d'août1991. Tandis que le maréchal Yakov, ministrede la Défense, acteur du putsch, lance àl'armée un appel qui n'est pas entendu, lecolonel Alexandre Routskoï, ancien héros descombats d'Afghanistan, pistolet calé sousl'aisselle, intervient de façon décisive poursoutenir Boris Eltsine. Deux ans plus tard,devenu général et président du parlementrusse, ce même Routskoï se dressera contre leprésident Eltsine lors des dramatiques et sanglantesjournées d'octobre 1993 à Moscou(plusieurs centaines de morts). Mais Routskoïétait devenu un homme seul, tandis que1 'armée, sensible peut-être à la politique derefondation de l'ancien empire (CEl) et à sesefforts en direction d'une diplomatie autonome,soutenait l'homme qui lui apparaissait commele meilleur défenseur des intérêts nationauxrusses et de son propre statut.Il est à prévoir que l'armée, seule institutionforte et stable de la Russie nouvelle,continuera de peser sur les choix dramatiquesqui seront imposés au pays dans les années àvenir, et cela d'autant plus que les officiers ontété constamment sollicités de participer à lavie publique depuis les événements de 1991.GUY CHAMBARLACGénéral Andolenko, Histoire de l'armée russe,Flammarion, Paris 1967.Dominique Yenner, Histoire de l'Armée Rouge,Plon, Paris 1981.


ESSAI DE GEOGRAPHIE HISTORIQUEUn empire messianiqueQu'est-ce que la Russie?Qu'est-ce que l'État russe? Toutcommence vraiment au XV• sièclequand l'État de Moscou devientpuissance régionale, puis véritableempire sous les Romanov.Analyse d'une expansion continue,de sa logique et de seslimites.PAR VLADIMIR GESTKOFFUne sentence russe, prisée par l'intelligentsiadu début de ce siècle, stipulequ 'avant d'entamer une partie decartes, il vaut mieux se mettre d'accord sur cequ 'on entend par « carreaux ». Dans cet esprit,nous préciserons tout de suite que par« État russe » nous désignerons ici 1 'État deMoscou, entité politique devenue grande puissancerégionale dès le XV' siècle et grandepuissance tout court dès le XVII'. En effet,c'est bien l'État de Moscou qui donnera naissanceen 1613 à l'Empire des Romanov et,quelque trois cents ans plus tard, à l'Unionsoviétique ...Durant tout le haut Moyen Âge, la rivalitéentre les différentes principautés d'apanagevisant à asseoir leur domination sur tout oupartie des terres russes, fut vive et quelquefoisféroce, nonobstant certains facteurs aussi tragiquesque le joug tartaro-mongol (définitivementétabli vers 1240 et pour près de troissiècles). Bien souvent, les princes russes,oublieux de la grandeur passée de la Russie deKiev, dont ils étaient les héritiers présomptifs,allaient s'humilier à la Horde d'Or, faisant de.\ fl . HEL PH E l )ORWITZ G R AND D"V C/. ; •• 1· .!t' l~•: tCu. ilr-lfJ:.~ r~0J~:~~ .l!'s JN('l jèlr: · "r '"! • • .. ' .. " :-t O Nt li' ( '~l'' dlflf'.Mikhail (Michel) Romanov, élu tsar en 1613 à l'issue du « Temps des Troubles » par le ZemskiSobor (Assemblée nationale) qui voulait un souverain authentiquement russe. 1l est le fondateur de ladynastie des Romanov qui règnerajusqu'en 1917.1


UN EMPIRE MESSIANIQUELa conquête de la Sibérie et de l'Asie centraleÇPol'occupant asiatique l'arbitre de leurs querellesintestines. Bien entendu, au fil des ans, lesrevers de fortune étaient nombreux. En effet,les khans tartares s'étaient réservé le droit dedésigner les « grands-princes » russes en leuraccordant leur « yarlik ». Et c'est au demeurantgrâce à une compromission passablementhonteuse avec les tartaro-mongols que laprincipauté de Moscou, au début du XIV'siècle, commença à émerger ...Pour la première fois , la chronique faitmention de la « ville » de Moscou en 1147, àl'occasion du festin qu 'y organisa le prince deRostov-Souzdal, Youri Dolgorouki, en l'honneurd'un autre prince, Sviatoslav de Novgorod-Severski.Cependant, jusqu'au milieu duXIII' siècle, Moscou ne bénéficie même pasdu statut de principauté. Ce qui, au demeurant,ne l'empêche pas de commencer à profiter deson atout principal qui tient à une localisationgéographique presque idéale, située à la croiséedes grandes voies commerciales del'époque. À la même époque, Moscou voit sapopulation augmenter rapidement grâce à unafflux de réfugiés des régions moins paisiblesdu sud-ouest. À partir de la seconde moitié duXIII' siècle, les tout nouveaux princes de Moscoudéploient une activité débordante visant àétendre leurs terres, par acquisition ou parconquête, et à établir de bonnes relations avecles suzerains tartares. Alors que d'autres principautéssont au plus mal, Moscou intrigue,Moscou s'enrichit, Moscou gagne en territoire,en population et en influence. C'est en1327 que se produit un événement aussiimportant que peu glorieux : la ville de Tvers'étant soulevée contre le représentant plénipotentiairedu khan, le prince de Moscou, IvanKalita, se précipite à la Horde d'Or et enrevient à la tête d'une armée tartare qui met larégion rebelle à feu et à sang. À la suite decette expédition punitive contre ses congénères,le prince de Moscou se voit octroyer parl'occupant le titre de grand-prince de Vladimir.En outre, il se trouve chargé de collecterle tribut dû à la Horde d'Or par les populationsrusses. Il n'en reste pas moins que, dans l'historiographietraditionnelle, Ivan Kalita est toujoursprésenté comme l'un des premiers«grands rassembleurs des terres russes ». Cequi n'est pas foncièrement faux : en effet, c'estbien son règne qui marque le début del'expansionnisme de l'État moscovite appelé àdevenir l'État russe ...Quoi qu 'il en soit, les Tartares ne tardentpas trop à regretter d'avoir favorisé l'émergencede la principauté de Moscou dont la montéelimites de la Russiefin XVIe sièclelimites de la Russieen 1600en puissance menace leur hégémonie. En1380, le prince de Moscou Dimitri Donskoï,petit-fils d'Ivan Kalita, à la tête d'une arméerusse forte de quelque 150 000 combattants,leur inflige une défaite cuisante à la bataille deKoulikovo. Au cours des décennies suivantes,la principauté de Moscou n'arrêtera pas des'étendre en absorbant, par tous les moyens,les autres principautés russes. Quant aux relationsavec la Horde d'Or, elles seront tantôtcomplices, tantôt conflictuelles.La· troisième RomeLe grand tournant dans 1 'histoire de laMoscovie et, partant, de la Russie, se produitincontestablement sous le règne d'Ivan III(1462-1505). Non seulement ce grand-princeparticulièrement déterminé et constant dansl'effort parvient à soumettre, en ayant recoursà la force, à la ruse ou aux espèces sonnanteset trébuchantes, la quasi totalité des principautésrusses, y compris, en 1478, Novgorod larebelle, qui capitule à la suite d'un long siège,et, en 1485, Tver, la concurrente héréditaire deMoscou. Mais de surcroît, Ivan III réussit àjeter les bases d'un État centralisé et à le doterd'une doctrine « messianique » dont certainesidées-forces, par-delà les vicissitudes d'undemi-millénaire d'histoire, ont survécu jusqu'àce jour. Cette doctrine, visant à proclamer queMoscou est la troisième Rome et qu'il n'y enaura pas de quatrième, résulte curieusementd'une initiative du pape Paul II : celui-ci, cherchantà rapprocher la Moscovie de l'esprit0 1000 kmlimites de la Russiefin XVIIe siècleconquêtes du XIXe siècled'union du concile de Florence, qui s'étaitefforcé de gommer les conséquences duschisme de 1054 entre ·chrétiens d'Orient etd'Occident, favorisa en 1467 le mariaged'Ivan III, veuf depuis peu, avec Sophie (Zoé)Paléologue, nièce du dernier empereur deByzance, Constantin Paléologue (depuis laprise de Constantinople par les Turcs, en 1453,Zoé vivait en exil à Rome).Le mariage eut bien lieu, mais ses résultatsfurent à l'opposé de ceux qu'avaitescompté le souverain pontife. Pour confortersa puissance nouvellement acquise, Ivan IIIavait besoin d'une légitimité : ilia trouva fortopportunément dans cette union qui lui permitde se poser en héritier de Byzance ( « laseconde Rome >) ainsi qu 'en chef de file etgrand protecteur de l'ensemble de la chrétientéorientale de rite orthodoxe. Dans la foulée,et pleinement soutenu par sa nouvelle épouse,Ivan III se proclame « tzar » (alias « césar »)de toutes les Russies et reprend commearmoiries d'État l'aigle à deux têtes del'empire byzantin. Sophie, quant à elle, fait deson mieux pour imposer à la cour de Moscoule faste et le protocole qu 'elle a connus àConstantinople. Ainsi, les dés en sont jetés :la Russie de Moscou s'arroge non seulementun statut et une légitimité de grande puissance,mais aussi « une mission » consistant àlutter contre l'infidèle quel qu 'il soit et àdéfendre et à propager la foi orthodoxe. Lemessianisme russe, qui servira à justifiertoutes les conquêtes et tous les comportementsintérieurs, est né .


.. .,.., --MPIRE·~ MESSIANIQUE' .. ... - - ~. ' ... . · ' -· ... .. ---À partir du moment où, à la fin duXV• siècle, il se sera réellement constitué etaura acquis sa doctrine messianique, l'Étatrusse connaîtra une expansion perpétuelle quine se trouvera suspendue que durant despériodes relativement courtes et consécutivessoit à des défaites, soit à des troubles intérieurs.À la différence d'autres puissances, laRussie ne connaîtra pas de « frontières naturelles» pouvant servir de limite à son extension.« Qui n'avance pas, recule » : telle serala logique implacable de son attitude vis-à-visdu monde extérieur, une attitude qui, au coursdes siècles, parviendra à prendre une dimensionplanétaire ...Au cours des XVI' et XVII' siècles, laRussie s'affirme comme une puissance régionale,sinon prépondérante, du moins de premierplan. Des ennemis, elle en trouve pratiquementaux quatre points cardinaux : à l'estet au sud-est, ce qui subsiste des khanats tartares;au sud, les Turcs ; à l'ouest et au nordouest,les « faux frères >> slaves, lituaniens etpolonais, ayant embrassé le catholicismeromain. Et, tout à l'est, au-delà de l'Oural, elledécouvre des terres immenses, pratiquementdésertes et ne demandant qu'à être colonisées :la Sibérie!Sous Ivan IV« le Terrible» (1547-1584), laRussie s'empare des khanats tartares de Kazanet d'Astrakhan sur la Volga, mène contrel'ordre des chevaliers Porte-Glaive d'abord, lespolono-lituaniens ensuite, une longue guerre peuheureuse dont l'enjeu est (déjà!) le contrôle dela rive orientale de la Baltique, et entame en1582 la conquête de la Sibérie. Sous le règne dedeux successeurs d'Ivan le Terrible, Fédor etBoris (Godounov), ainsi que durant la périodedite des « temps troubles » (1605-1613), laRussie se trouve placée sur la défensive et unmoment envahie, les Polonais parvenant mêmeà s'emparer de Moscou en 1610. Néanmoins,les troupes russes, et notamment les milicespopulaires de Minine et Pojarski, finissent parlibérer le pays et favorisent 1 'accession autrône, en 1613, du premier des Romanov, le tzarMikhaïl.Sous son règne, jusqu'en 1645, la Russiecontinue de se battre contre la Pologne,connaissant tour à tour succès et revers. Enoutre, c'est à lui que les cosaques du Don,jusqu 'alors éléments incontrôlables, demandenten 1641 protection et tutelle. Cependant,c'est à son fils Alexis (1645-1676) qu'ilreviendra de franchir une étape importantedans 1 'expansion territoriale de la Russie enacceptant en 1654, à la demande des cosaquesPierre le Grand (1672-1725). Parvenu aupouvoir après avoir écrasé la révolte des gardesdu palais (streltsi), il fait de la Russie une grandepuissance en s'inspirant de méthodes et de techniquesimportées d'Europe. En 1703, il fonde sanouvelle capitale orientée face à l'Ouest, Saint­Pétersbourg.zaporogues et de leur hetman, Bogdan Khmelnitski,en rébellion ouverte contre les autoritéspolonaises, le rattachement de l'Ukraine. Bienentendu, cette annexion provoque une nouvelleguerre, longue et cruelle, entre la Russie et laPologne. En définitive, le traité d' Androussov,conclu en 1667, accorde définitivementl'Ukraine « rive gauche » (sous-entendu duDniepr) à la Russie, la Pologne conservant, enrevanche, la Biélorussie. Cependant, l'Étatrusse continue à s'étendre à un rythme sidérantau-delà de l'Oural. Ayant fondé sur leur passagedes dizaines de villes, les pionniers russesatteignent dès le milieu du XVII' siècle lescontrées de 1 'Extrême-Orient et s'installent surles berges du fleuve Amour et sur les rivagesde l'Océan Pacifique. Cette expansion russe enExtrême-Orient est (déjà !) considérée avec laplus grande méfiance par la Chine. Un conflitéclate, et par le traité de Nertchinsk ( 1689), laRussie se voit contrainte de renoncer, bienprovisoirement, aux régions riveraines del'Amour.Pierre le Grandet l'expansion mondialeAinsi, dans la dernière décennie duXVII' siècle, alors qu'accède au pouvoir, aprèsde cruelles luttes de succession, le jeune Pierre l"( « le Grand » ), le territoire de la Russie est,grosso modo, comparable à celui de la Fédérationde Russie de 1993, certains territoires enmoins et une grande partie de l'Ukraine enplus. Mais, à l'instigation de Pierre 1", l'expansionnismerusse acquiert une nouvelle dimension,non plus régionale, mais potentiellementmondiale. En effet, l'ambition du nouveausouverain, qui a voyagé en Europe de l'Ouestet y a appris beaucoup de choses, est de fairede son pays un État moderne et une puissanceplanétaire. Pour arriver à cela, il bouleverse lescoutumes des Russes, les obligeant à se raserla barbe et à abandonner leurs habits traditionnelsau profit de vêtements« à l'européenne »,fait appel à des kyrielles de spécialistes etd'ingénieurs étrangers, crée une armée et unemarine de guerre parfaitement modernes. Surtout,Pierre l" se rend compte que pour accéderau rang de puissance mondiale, la Russie abesoin, au nord et au sud, des débouchés maritimesdont elle ne dispose pas encore, sesmodestes ports, Arkhangelsk et Mourmansk,étant pris par les glaces tout au long de 1 'hiver.Pour acquérir ces façades maritimes, il fautdonc se battre, et on se battra. La « GrandeGuerre du Nord » contre la Suède (1700-1721)est marquée pour les Russes par des défaites,mais aussi par de grandes victoires (Poltava en17<strong>09</strong>). Quoi qu'il en soit, elle aboutit au traitéde Nystad (1721) par lequel la Suède cède à laRussie ses provinces baltiques. Dès avant(1703), Pierre l" crée à l'embouchure de laNéva la ville de Saint-Pétersbourg, qui deviendrasa capitale, ainsi que le port de guerre deCronstadt. Au nord, donc, tout va bien. Ausud, un peu moins. La guerre de 1711 contre laTurquie se solde par un échec, mais ce n'estque partie remise. En revanche, en direction dela Perse, les opérations se déroulent de manièresatisfaisante : en 1722, les troupes russess'emparent des villes de Bakou et Derbentainsi que de trois provinces sur la rive méridionalede la Caspienne. Notons au passageque le titre de « tzar » ne lui suffisant plus,Pierre l" se fait proclamer « Empereur detoutes les Russies ».À la mort de Pierre le Grand (1725), sesdifférents successeurs reprennent à leur compteses principales options en politique étrangère(et guerrière). Tout au long du XVIII' siècle, laRussie aura pour objectif : au sud, d'affaiblirles « infidèles musulmans » de 1 'Empire ottoman,à l'ouest, d'abattre la Pologne catholique,et, partout où cela est possible, de sefrayer un chemin vers les « mers chaudes ».Citons quelques épisodes dans l'ordre chronologique:


L'EXPANSION TERRITORIALE DE LA RUSSIEEN EUROPE AU XVIIIE SIËCLE___ Frontières de la Russieà l'avènement de Pierre le GrandAcquisitions russes lors du traitéde Nystad! (1721)Acquisitions russes lors du premierpartage de la Pologne (1772)Acquisitions russes lors du deuxièmepartage de la Pologne (1793)Acquisitions russes lors du troisièmepartage de la Pologne (1795)Territoires du Khanat de Criméeannexés en 1783-1792Finlande annexée en 18<strong>09</strong>~ac OnegaCatherine II Ill Grande (1729-1796). Princesseallemande mariée au futur Pierre Ill qu'assassinerontses favoris, les frères Orlov, en 1762. Ellese voulut foncièrement russe et contribua fortementà l'expansion de l'Empire.Lac Ladoga- 1733-1734 : la Russie s'immisce militairementdans les affaires intérieures de laPologne et favorise l'accession au trône du roiAuguste III.- 1736-1739 : la Russie fait la guerre à laTurquie et, à la suite de ses succès, obtient parle traité de Belgrade quelques concessions territoriales.- 1741 : à la suite d'une guerre contre laSuède, la Russie obtient la partie sud-est de laFinlande.- 1756 : la Russie prend part à la guerre deSept Ans. Ses troupes battent l'armée du roide Prusse, Frédéric le Grand, et s'emparent deBerlin (1760). Cependant, pour des raisonsintérieures, la Russie se retire de la guerre en1761.- 1768-1774 et 1787-1791 : deux guerrespleinement victorieuses menées par la Russiecontre la Turquie sous le règne de CatherineII. La Russie obtient la Crimée et tout le littoralnord de la mer Noire ainsi qu'un droit deregard sur les Balkans. Elle se fait ainsi reconnaîtrecomme protectrice des Slaves du sud.- 1772-1773, 1793, 1795 : les trois partagesde la Pologne. Conjointement avec laPrusse et 1 'Autriche, la Russie raie la Polognede la carte politique de 1 'Europe.Les guerres contre la France napoléonienneconstituent un épisode totalement à part del'histoire russe. D'une part, elles étaientdavantage imposées que voulues et ne correspondaienten tout cas à aucun dessein géopoli-MER NOIREtique. D'autre part, tout en faisant accéder laRussie au rang de première puissance militaireet, accessoirement, de gendarme de 1 'Europe,elles firent prendre conscience à l'opinioneuropéenne de l'existence d'une menacepotentielle venue de 1 'Est et de la nécessité dela contrecarrer. De ce point de vue, l'entréevictorieuse des cosaques dans Paris, en 1814,n'eut pas que des résultats heureux .Cependant, au cours de la première décenniedu XIX' siècle, la Russie ne fut pas exclusivementpréoccupée par ses relations avec laFrance. Elle trouva également le moyen demarquer des points par ailleurs.En 1801, la Géorgie, menacée par la Perse,demande à être intégrée à 1 'Empire russe. Ils'ensuit une guerre russo-perse de neuf ans(1804-1813) qui se solde par une victoire tota-


PIRE MESSIANIQUEle de la Russie et par l'annexion de toutes lesprovinces de la Géorgie, ainsi que du Daghestanet de 1 'Azerbaïdjan. La guerre de 1806-1812 contre la Turquie permet à la Russied'acquérir la Bessarabie (actuelle Moldavie) eta pour effet la proclamation, dans les Balkans,d'une principauté autonome serbe qui doit toutaux Russes. Enfin, la guerre de 1808-18<strong>09</strong>contre la Suède aboutit à l'annexion par laRussie de l'ensemble de la Finlande et del'archipel Aland dans la Baltique.Le principeméta statiqueÀ 1 'issue des guerres napoléoniennes, lapolitique d'expansion russe entre dans unephase qualitativement nouvelle. Tout en gardantses priorités antérieures, visant notammentà la destruction de 1 'Empire ottoman,elle se mondialise et tend à emprunter desdirections « tous azimuts ». Dans le mêmetemps, elle se heurte de plus en plus à l'opposition,non plus de ses voisins immédiats, maisdes grandes puissances mondiales, inquiètesde sa montée en puissance. C'est alors, auXIX' siècle, que se manifeste pleinement leprincipe « métastatique » des avancées russes,principe qui ne se démentira pas jusqu'à ladislocation de l'Union soviétique. Le principe,exposé en termes peu médicaux, est le suivant :toute tumeur maligne qui ne donne pas demétastases est condamnée à dépérir. Lorsquela progression des métastases qu'elle lâchedans une direction se trouve artificiellementcontrariée, elle doit, pour se maintenir, lancerdes métastases dans une autre direction. Ceschéma, même s'il paraît simplifié, s'appliqueaussi bien à 1 'expansionnisme russe duXIX' siècle qu'à l'expansionnisme soviétiquedu XX' siècle.En 1827, à la suite du soulèvement desGrecs contre la Sublime Porte, l'Angleterre, laFrance et la Russie agissent de concert : leursvaisseaux de guerre envoient par le fond1 'escadre turque à la bataille de Na varin. En1828, la Russie, seule, déclare la guerre à laTurquie et obtient d'importants succès militaires.Par le traité d'Andrinople de 1829, elleacquiert la rive orientale de la mer Noire ainsiqu'un droit de passage pour ses navires dansles détroits. Le sultan reconnaît à la Grèce (quisera indépendante un an plus tard), à la Serbie,à la Moldavie et à la Valachie une très largeautonomie, la Russie obtenant le statut de protectriceofficielle des chrétiens des Balkans,avec droit d'ingérence. Tout en poursuivant la« pacification », fort longue et cruelle, despeuplades du Caucase, elle gagne, presque aumême moment, une nouvelle guerre contre laPerse.À la fin des années 1830, le cours pris parles événements suscite une certaine inquiétudeen Europe, surtout en Angleterre. On « internationalise» donc le problème et, par laconvention de Londres de 1840, la Turquie setrouve placée sous la protection de cinqgrandes puissances : la Russie, 1 'Angleterre, laFrance, 1 'Autriche et la Prusse. Cette situationne convient guère à l'empereur Nicolas l"(1825-1855) qui cherche à imposer, sur différentspoints, sa volonté politique à la Turquie.Celle-ci, confortée par l'exaspération desEuropéens vis-à-vis des Russes, leur déclare laguerre en 1853 et ne tarde pas à subir desrevers militaires. La France, 1 'Angleterre et laSardaigne décident alors d'agir militairement :à la suite de la campagne de Crimée et de laprise de Sébastopol, la Russie est forcée delâcher prise et d'épargner provisoirement1 'Empire ottoman.Freinée d'un côté, l'expansion russereprend dans une autre direction. Cette fois,elle prend pour cible 1 'Asie Centrale et1 'Extrême-Orient. À la faveur de la guerre quela France et 1 'Angleterre déclarent en 1857 à laChine, la Russie s'empare de larges territoiresLE CHRISTIANISME ET LA FORMATION D'UNE IDÉOLOGIE POLITIQUEDANS LA RUSSIE MÉDIÉVALEIl est aujourd'hui admis que la " conversionde la Russie "• c'est-à-dire le baptême du princede Kiev Vladimir, suivi de celui d'une partie desKieviens, fut un acte politique. Cette affirmationne tient pas seulement aux circonstancesconcrètes de ces événements, l'alliance militaireentre Vladimir et l'empereur Basile Il, affronté àune grave sédition, mais à l'évolution desstructures sociales et politiques de l'Étatslavo-varègue. Cette évolution n'était paspropre à la Russie, on la retrouve, avec le mêmeaboutissement- la conversion du prince et desclasses dirigeantes au christianisme- chez laplupart des peuples que les missionnaires desépoques précédentes, ceux de l'empirecarolingien notamment, n'avaient pas atteints :Bulgares du Danube, Polonais, Hongrois,différents pays scandinaves. C'est pourquoi, leproblème du " millénaire de la conversion de laRussie , ne devrait pas être étudié en lui-même,mais dans le contexte général de l'histoire de laconversion des peuples du nord et de l'est del'Europe du IX' au Xl' siècle .Dans la plupart de ces cas, il s'agissait pourles classes dirigeantes d'élaborer une idéologiesusceptible de cimenter autour du pouvoir" royal , nouvellement créé les plus largescouches de la population. En Russie, unepremière tentative fut faite par Vladimir dèsqu'il se fût emparé de Kiev, en 980 si l'on encroit la Chronique des temps passés : c'estlacréation d'un culte païen public autour d'unpanthéon, ou peut-être du seul dieu Peroun sil'on se réfère à la description d'une initiativesimilaire à Novgorod, sous l'impulsion del'oncle de Vladimir, Dobrynia. Mais les Étatschrétiens fournissaient aux pays barbares, unmodèle idéologique beaucoup plus élaboré.Dans le cas de la Russie, ce modèle fut apportépar l'empire byzantin où le christianisme detype constantinien avait trouvé sa terred'élection.Il est, en effet, superflu d'insister sur le fait quele christianisme russe à ses débuts se trouvasous la dépendance étroite de Constantinople.( ... ]La conversion de la Russie, un actepolitique du prince, a contribué à sacraliser,sous une forme très différente du modèlebyzantin, le pouvoir princier polycéphale. Elle asurtout, grâce à l'introduction de la cultureécrite slave, abouti à une prise de conscience" nationale , où l'appartenance ethnique etreligieuse se sont trouvées confondues. Grâceà des structures centralisées et à uneindéniable souplesse dans la pratique, l'Églisea su donner, pour plusieurs siècles, aux Slavesorientaux une certaine unité spirituelle etculturelle, que seule la fondation, à la fin duMoyen Âge, de deux États de types différents,la Moscovie et la Lituanie, a détruite.VLADIMIR VODOFFDirecteur d'études à l'École Pratiquedes Hautes Études.Contribution au Colloque international organisé enjanvier 1988 par l'Université de Paris X-Nanterre enl'honneur du millénaire du baptême de la Russie.Ymca-Press, Paris, 1989.


UN EMPIRE MESSIANIQUEle long des fleuves Amour et Oussouri et yfonde plusieurs villes, dont Khabarovsk etVladivostok. Du Japon, en échange des îlesKouriles, elle reçoit la partie méridionale de1 'île de Sakhaline. En Asie centrale, entre1867 et 1884, les troupes russes s'emparentnotamment des khanats de Kokand, de Boukharaet de Khiva, parvenant jusqu'aux frontièresde la Perse et de 1 'Afghanistan. Là encore,la progression des Russes est stoppée parles vives protestations de 1 'Angleterre, préoccupéepar la sécurité de son Empire des Indes.Qu'à cela ne tienne ! L'expansion russe seréoriente à nouveau pour viser une fois deplus, après quelque vingt ans de pause, la Turquie.À la suite d'une série de soulèvements depeuples slaves dans les Balkans et malgré lesmises en garde de Londres, la Russie déclareen avril 1877 la guerre à la Turquie. Après dedurs combats, l'armée turque est vaincue et lestroupes russes arrivent jusque dans les faubourgsde Constantinople, imposant au sultanle traité de San Stefano, qui comporte pour luidifférentes concessions et créée notammentune « Grande Bulgarie » sous influence russe.Là encore, les puissances européennes, agitantla menace d'une guerre, interviennent pourpriver la Russie, au Congrès de Berlin de1878, d'une grande partie des fruits de sa victoire.Entre autres, la Bosnie-Herzégovine estplacée sous administration austro-hongroise etl'Angleterre reçoit l'île de Chypre.La situation dans les Balkans lui étantmomentanément défavorable, la Russie seconcentre sur son expansion en Extrême­Orient. Contribuant activement au dépeçaged'une Chine très affaiblie, elle s'empare dansles années 1890 de Port-Arthur et, sous prétextede raccourcir le tracé du Transsibérien, créed'importants points d'appui dans le nord, puisdans le sud de la Mandchourie. Après la révoltedes «boxers »de 1900, l'armée russe, à lagrande irritation du Japon, s'installe carrémenten Mandchourie. Tokyo propose néanmoinsun arrangement, aux termes duquel le Japonreconnaîtrait la prépondérance russe en Mandchourieà condition que la Russie lui laisse lesmains libres en Corée. La Russie refuse. En1902, le Japon conclut une alliance avecl'Angleterre, qui se méfie tou jours des Russes,et entame des préparatifs guerriers. Soulignonsau passage que l'hostilité anglo-russe est parfaitementréciproque : durant la guerre duTransvaal (1899-1902), la Russie fournit auxBoers, en lutte contre l'Angleterre, des armeset même des volontaires .. .Alexandre/" (1777-1825). Tout d'abordvaincu par Napoléon, il prendra sarevanche de 1812 à 1815.Alexandre Ill (1845-1894), artisan de l'alliancefranco-russe.La guerre contre le Japon (1904-1905) sesolde pour la Russie par des défaites militaireshumiliantes suivies d'une révolution qui faittrembler l'Empire sur ses bases. Le traité dePortsmouth (1905), négocié sous l'égide bienveillantedes États-Unis, n'est pas trop cruel auregard des revers subis. Pourtant, il met provisoirementun terme aux « métastases » russesen Extrême-Orient. Dans les années qui suivent,la Russie panse ses plaies, tout en réactivant,sans pour autant intervenir directement,l'agitation des Slaves du sud contre la Turquieet 1 'Autriche-Hongrie. Cependant, un certainjour de l'été 1914, tout bascule... Et aprèsquelque quatre années d'une guerre féroce, laRussie se retrouve, en mars 1918, face à laréalité du traité léonin de Brest-Litovsk. Pourassurer la survie de leur régime issu de larévolution d'Octobre, les communistes russes,emmenés par Lénine, ont consenti au démantèlementde l'Empire. La Russie, de fait, setrouve territorialement ramenée trois siècles enarrière : elle perd la Finlande et les pays baltes,la Pologne et une grande partie de la Biélorussie,l'Ukraine, la Bessarabie, la Bukovine, laTranscaucasie, 1 'Asie centrale et quelquesautres territoires moins importants. En quelquesorte, à ce moment crucial où le messianismede la « troisième Rome » cède la place au messianismede la « révolution mondiale », toutest à refaire. Et, en définitive, tout se referatrès vite.MessianismesparallèlesÀ cet égard, il faut s'attarder un court instantsur les similitudes existant entre le messianismede 1 'État tsariste et celui de l'Étatbolchevique. Depuis le XVI' siècle, la Russiese donnait bonne conscience et justifiait sesconquêtes par la mission qu'elle aurait reçu deDieu, de défendre et de propager la foi chrétiennevéritable, celle de l'orthodoxie reçue deByzance. Cette « idéologie » supposait (cf.Dostoïevski et d'autres) que le salut del'humanité, la Lumière, viendraient « del'Orient », c'est-à-dire de la Russie. En soumettantd'autres peuples à sa loi, celle-ci nefaisait donc qu'accomplir sa mission divine.Ainsi, en s'efforçant de les « russifier» et deles amener dans le giron de 1 'Église orthodoxe,elle ne les opprimait pas, mais, bien aucontraire, les mettait sur la voie du salut. ..À cet égard, le problème des Juifs russesest particulièrement significatif. On sait quejusqu'en 1917, ils faisaient 1 'objet, en Russie,


MPIRE MESSIANIQUEde toutes sortes de discriminations. Notamment,ils ne pouvaient pas, à leur gré, venirvivre dans les régions proprement russes del'Empire délimitées pour eux par une sorte de« ligne de démarcation » (tcherta osedlosti).L'origine de cette mesure est simple :jusqu'auXVII' siècle, le territoire de 1 'État russe était,pour employer un terme odieux, « judenfrei ».Par la suite, au cours de ses conquêtes, la Russieannexa des territoires à forte populationjuive (Ukraine, Biélorussie, Pologne, paysbaltes, Bessarabie, etc.). L'objectif des autoritésfut alors de laisser les Juifs où ils étaient,afin de protéger du judaïsme « antichrétien »le cœur de la Sainte Russie, le messianismejudaïque étant jugé totalement incompatibleavec le messianisme orthodoxe russo-byzantin.Cette politique discriminatoire, gui futmaintenue par les Romanov jusqu'en 1917,avait un caractère purement religieux et necomportait aucun élément racial : tout Juif guise convertissait au christianisme devenait aussitôtun sujet à part entière de l'Empire. Il pouvaits'installer n'importe où et exercern'importe quelle profession. Le pouvoirencourageait ces conversions qu'il trouvaitconformes à sa mission de propagation de lafoi chrétienne. Bien gue le statut des Juifs, parson caractère tatillon, fût différent de celui desautres minorités religieuses et ethniques,celles-ci étaient également incitées, parfoisvigoureusement, à s'intégrer au grandensemble russo-orthodoxe en dehors duquel iln'y avait point de salut.La révolution de 1917 vint bouleverserl'ordre établi depuis près de quatre siècles,mais, en quelque sorte, en surface davantagequ'en profondeur. En effet, elle mit au servicede 1 'État russe un messianisme tout aussi universalisteque le précédent. Le socialismeayant été édifié, faute de mieux, « dans unseul pays », ce pays devenait, ipso facto, la> de Truman,elle s'en prend, non sans succès, à l'Asie. Dès1949, la Chine devient communiste. Mise enéchec en Corée, l'URSS parvient (au bout de30 ans!) à l'emporter en Indochine. Grâce auxmoyens de la technique moderne et à la flottegigantesque dont elle s'est dotée, elles'implante sur les cinq continents. Elle subitun revers en Amérique latine ? Tant pis !Demain, elle sera en Afrique australe... Etpuis, un certain jour de décembre 1991, touts'écroule. L'Union soviétique, la Rome communiste,la « quatrième »Rome, cesse d'exister,et la Fédération de Russie revient presqueexactement aux frontières « étriquées » quifurent les siennes après mars 1918. Pour combiende temps, cette fois-ci ?VLADIMIR GESTKOFFVladimir Gestkoff est docteur ensciences politiques.


UNE MUSIQUE SURGIE DE LA TERREUn peuple à 1->0péraPAR JEAN-FRANÇOIS GAUTIERLe peuple était l'un des principaux personnages de la scène musicale russe avant l'arrivéedes bolcheviques au pouvoir. Il fut même, au XIX• siècle, le premier moteur de l'émancipation de l'écolerusse dans le concert européen. Histoire d'une expression authentiquement nationale.De 1836 à 1917, chaque saison lyriquede Saint-Pétersbourg et de Moscous'ouvrit, par ordre des empereurs, surune représentation du même immuable ouvrage: La Vie pour le Tsar, de Mikhaïl Glinka(1804-1857). Créé pour 1 'inauguration duGrand-Théâtre de la capitale de Nicolas l", cetopéra marqua l'entrée dans la musique savanted'une thématique héritée du folklore populaire,et J'arrivée du peuple russe lui-même sur lascène lyrique européenne.Cette irruption de la tradition dans J'artsavant fut soutenue par la famille impériale,mais guère appréciée par une aristocratie finissantevivant à la remorque de la bourgeoisie.Au début du XIX' siècle en effet, les partitionsque l'on entend en Russie sont celles que l'onjoue partout ailleurs en Europe, tant à Londresque dans les grandes capitales si provinciales.L'Italie règne en maître sur l'opéra, tandis queles chambristes allemands tiennent la musiquede salon et les compositeurs français lamusique de ballet. L'élite cosmopolite subitpassivement sa colonisation culturelle. Lechant du paysan, la danse du village ne représententpour elle qu'une musique folklorisée etméprisée, bien qu 'il s'agisse d'un fonds trèsriche, émané d'une culture populaire slavemélangeant les sources épiques et les somptueuxdérivés de la liturgie byzantine.Là où l'école allemande médite J'écriture1bstraite et la mélodie thématique, là oùl'école italianisante cultive le chant orné, artistique,la mélodie russe, elle, relève de ce quele musicologue Souvtchinski appelait « unecorme de confession humaine » , dans laquelleFedor Chaliapine dans Boris Godounov de Moussorski.


EUPLE À L'OPÉRAchanter signifie tout à la fois réciter, dire etparler. Langage de la déclamation intérieure,cette musique dense et rude organise sa structuremélodique et rythmique sur l'expressiondu drame, de la joie, de la vitalité, de la tragédie.Elle révèle une complexion interne plusqu'elle ne raconte un sentiment.On ne fait pas carrière dans ce genre-là.Les meilleurs parmi les jeunes musiciensslaves s'en vont étudier en Allemagne ou enItalie. Glinka lui-même, au début des années1830, s'éduque à Rome, à Milan et à Naplesoù triomphent les maîtres de 1 'heure, Bellini etDonizetti. Voyage salutaire, qui lui révèle laprofonde originalité des mélodies que luichantait sa nourrice russe, et lui trace la voie àsuivre : trouver un mode d'expression savanteréélaborant les traditions de son pays, et leurdonner une forme qui tienne le temps et débordeles frontières. L'année 1836 est celle ducoup d'éclat de La Vie pour le tsar, encoreparsemé d'italianismes mais fixant dans sonfinale une référence pour les successeurs : unScène de La Vie pour letsar de Glinka, qui contel'héroïsme du paysanSoussanine arrachant en1613 son pays à ladomination polonaise etsauvant ainsi le trône deMikhai1 Romanov, lefontûlteur de la dynastie.L'administrationsoviétique, après 1917,n'a pas pu retirerl'ouvrage du répertoire àcause de son succèspopulaire réel ; elle l'atoutefois rebaptisé dunom de son hérosprincipal, IvanSoussanine, titre souslequel il a été donné parla troupe du Bolchoi: Lescribe Gorodetski - del'Union des écrivains- aremanié le livret en 1939,le centrant sur lesdirigeants du coup demain héroïque contre lesPolonais, ce qui nemanquerait pas d'êtrebientôt utile à lapropagande ... 1l est ànoter que La Vie pour letsar a retrouvérécemment son nom, enmême temps que Saint­Pétersbourg.Ici, Ossip Petrov, créateurdu rôle d'Ivan Soussanineen 1836.peuple en fête, des volées de cloches, deschœurs multiples, un grand renfort d'instrumentsà vent. Polyphonie, polyrythmie, polymodalitésont les moyens de cette vitalitépopulaire grouillante, émanée de la terre ellemême.Les jugements de la critique germanophilesont sans appel : « De la musique decocher ». Elle va pourtant féconder l'inspirationde trois générations de musiciens russes.Le soutien de Berliozet de LisztGlinka trouvera à Paris un soutien sansfaille en la personne de Berlioz et s'attirera, enAllemagne, 1' admiration de Liszt. Ce dernier,grand nationaliste européen, n'aura de cessedurant toute sa longue vie de pousser lesjeunes compositeurs à utiliser la forme du« poème symphonique », plus libre que cellede la symphonie à l'allemande, pour magnifierle langage de leur tradition populaire. Il encourageraet protégera ainsi l'émergence del'école bohémienne avec Smetana, de l'écolescandinave avec Grieg, de l'école polonaiseavec Moniuszko, de l'école espagnole avecAlbeniz, il soutiendra les jeunes français Berlioz,Gounod, Saint-Saëns, et tant d'autres surle continent.Le premier successeur de Glinka, mort enexil à Berlin, sera Alexander Dargomyjszki(1813-1869) dont les opéras Esmeralda (1839,d'après Hugo) et surtout Roussalka (1856,d'après Pouchkine) s'essaient à une harmoniemouvante, débarrassée des règles classiques,des cadences obligées et des développementsconvenus. Le public ne suit pas. La coupe decette musique s'efforce de suivre les schémasrythmiques du texte littéraire, divisé en brèveset en longues. La courbe mélodique rugueuses'éloigne de l'air facilement mémorisable,l'œuvre est conçue comme un long récitatif,une amplification musicale d'une langue surgiedes profondeurs de la terre russe et de1 'histoire de son peuple. Les élites culturellementdévoyées sont incapables de comprendre.C'est l'époque où tel prince de la cour confie àLiszt en souriant qu'il punit ses officiers enleur imposant une représentation de La Viepour le tsar. Lui et les siens vont être bientôtdébordés par les assauts musicaux d'uneclique de jeunes compositeurs dont l'identitécollective restera dans 1 'histoire sous le nomde groupe des Cinq.Le cc groupe des Cinq »Réunie dans le salon de Dargomyjszkisous la houlette de Balakirev, né à Kiev en1855, cette phalange regroupe un lieutenant duGénie, César Cui, un officier de Marine, NicolasRimski-Korsakov, un chimiste, Borodine,et un officier de la garde, Moussorgski. Libresde toute formation technique de base, ces amateurspassionnés vont s'instruire entre eux etse donner les moyens de fonder une esthétiqueentièrement nouvelle dans le concert européen.Héritiers de Glinka, ils veulent être russes etcompositeurs sans imiter les mœurs étrangères.Rimski en vient même à nier que puisseexister une musique non nationale. Contre euxse lèveront le cosmopolitisme de la Société demusique russe d'Anton Rubinstein, du Conservatoireà l'allemande fondé par le même àSaint-Pétersbourg, de la direction des Théâtresimpériaux, de l'Opéra italien, des théâtres deKiev, de Moscou, de Kharkov, d'Odessa, deTifflis et toute la critique officielle tournéevers l'Allemagne wagnérienne.La Flûte enchantée de Mozart, singspiel


UN PEUPLE À L'OPÉRApopulaire créé dans les faubourgs de Vienne,avait connu dans son pays de semblablesoppositions antinationales. À l'adversité, legroupe des Cinq oppose l'activité, sinon l'activisme.Le problème à résoudre est colossal :trouver un système harmonique capabled'accueillir et de magnifier l'instinct musicalrusse, qui ne peut pas se plier sans déformationsaux règles de composition des écolesfrançaise, allemande ou italienne. Les fortunesdes uns et des autres dans cette tâche serontdiverses. La contribution la plus étonnante etla plus magistrale, dont les novations inquiéterontRimski lui-même, qui n'aura de cesse derectifier les « erreurs » de son ami, sera cellede Moussorgski (1839-1881).Le peuple est l'âmede la musiqueIl se donne une règle de conduite dont laprésentation abrupte n'est pas sans faire penserà Nietzsche : « La vie partout où elle semanifeste, la vérité, fut-elle amère, l'audace,le franc-parler devant tous, à bout portant,voilà mon levain. » On en trouve les applicationsdirectes dans ses cycles de mélodies, lesChants et danses de la mort, les fabuleusesEnfantines, ou Sans soleil dans lequel Debussylisait « la quintessence de la musique, àl'exception de tout ce qui lui est étranger ».Trouver la musique qui répond aux leçonsimmémoriales de la langue, de son rythme, dela terre et du peuple qui l'ont portée, tel estl'objectif du révolutionnaire Moussorgski, cefrère spirituel de Dostoïevski. C'est loin dupolonisme de Chopin, qui est un art d'adaptation.Il s'agit moins, chez Moussorgski, defaire russe que d'être russe en musique, moinsde plier le folklore aux besoins d'une harmonieapprise que de trouver une essence harmoniqueencore inouïe, propre à une manière dechanter qu'il n'est pas question de déformer. Ilfaut tout apprendre à l'école de la vieille liturgieet des berceuses immémoriales, il fauttourner et retourner la langue elle-même pouren découvrir les secrets rythmiques, les mélodiesinternes et cachées. Composer veut direici la même chose qu 'écrire pour Dostoïevskiou Gogol, c'est-à-dire « prêcher, convaincre,défie~ ; tout en plaidant la cause d' un peuple'Jpprimé dont on essayait de comprendre lesgrandes vérités et de traduire les tréfondsnystérieux » (Souvtchinski).L'objectif est magnifiquement réalisé dansm opéra qui n'a pas d'équivalent dans la traiitioneuropéenne, Boris Godounov. Le rôlePiotr llitch Tchaïkovski (1840-1893).On célèbre cette année le centenaire de sa mort.de Boris est fort bref, qui cède la place du personnagecentral au peuple russe lui-même,éminemment divers, hésitant, contrasté.Comme chez Glinka, le peuple est l'âme de lamusique, et la musique l'âme du destin collectif.L'ivrogne, le moine, la cabaretière, le vagabond,le traître font partie du paysage, aumême titre que le tsar meurtrier dont le pouvoirillégitime entraîne son peuple dans ledrame, au même titre que 1 'Innocent pétrifié,prophétique, à la voix déchirée venue des profondeursde la terre et qui commente, chœurantique ramassé en un seul homme, les malheursà venir de sa Russie éternelle.Dans ses chœurs magnifiques, le compositeurmontre avec une rare intelligence toutesles nuances et tous les errements d'une foule àla fois enthousiaste et fataliste, portée par unedimension rare : le temps historique d'unpeuple entier, sa dilatation fabuleuse dans laberceuse de la mort qui accompagne la fin deBoris, ses contractions foudroyantes dans lesscènes de taverne ou de désespoir collectif.Une musique nouvelleet immémorialeÀ Moussorgski, musicien d'un peuplesaisi dans ses profondeurs historiques, s'opposerontbientôt les champions de la bourgeoisie« comme il faut », Tchaikovski par exemple,formé à l'allemande par les soins de Rubinstein,qui fera un excellent produit d'exportationtouristique colorié en russe. À la fin dusiècle, les jeunes activistes français, Debussyqui professera une admiration sans borne pourMoussorgski, ou Ravel qui sifflotera Borodinedans les couloirs du Conservatoire pour provoquerle corps professoral, tireront des leçonsdécisives du travail des Cinq. En montant leurpeuple sur la scène et en trouvant le langageadéquat pour le faire, ils auront montré à unsystème harmonique européen figé, parvenuau bord de la sclérose, une voie d'évolutionautre que celle proposée par Wagner. Ils aurontfixé les principes d'un nouveau milieu harmoniquedans lequel d'autres mélodies peuventrespirer librement, à leur rythme.L'écho des foules et du peuple présentsdans les opéras de Glinka et de Moussorgskis'entendra plus tard chez Rimski, chez Borodine,chez Stravinski aussi, dans les folies harmoniqueset rythmiques de Petrouchka (1911)ou dans le paganisme de la « Danse sacrale »du Sacre du Printemps (1913). Il ne s'agit paslà de prétextes populistes bourgeois, mais depures nécessités internes : c'est l'héritage collectifentier qui parle par le moyen d'unemusique nouvelle dans sa forme, mais antiquedans son instinct forcené de rester elle-même,sans compromission. Ainsi les traditions dupeuple russe servirent à l'émancipation d'uneécole musicale jusqu'alors inféodée à des critèresétrangers et à des techniques importées.Prokofiev etChostakovitchAprès 1917, la révolution brouillera lescartes. Les musiciens russes se voudront leshéritiers de leur école nationale du XIX' siècle,mais ils subiront en même temps les assauts del'abstraction à l'occidentale, qui prend l'écriturepour une fin en soi, et de l'utilitarismeaméricain qui la confond avec une illustrationhollywoodienne. Si Prokofiev et Chostakovitchn'en sortent pas toujours indemnes, ilsgarderont néanmoins, le plus souvent, l'instinctd'un enracinement sans lequel l'écrituretourne au dogme et à l'axiome. Ainsi desmarées humaines de la cantate de ProkofievAleksander Niewski (1938), qui magnifient àla fois la musique populaire et la polyphonieorthodoxe.D'autres tempéraments hybrides apparaîtront.Ils formeront les phalanges de l'académismestalinien placé sous la houlette du commissairepolitique Andreï Jdanov qui, à partirde 1934, rappelle chacun à ses devoirs de« dévouement à l'idéologie communiste » etd'illustration de la « réalité soviétique », c'està-direl'alliance des soviets et de l'électricité.Tel barrage sur le Dniepr aura ainsi sa cantate,de même que le béton, la fonderie d'acier, le1" Mai, la machine agricole, le travailleur, laRévolution, le blé en germe et de nombreuxautres saints du calendrier stalinien réformé.Ces mises en scène ne seront plus l'âme d'unpeuple, mais la caricature sonore de sa trahisonpar les clercs de l'Union des compositeurs.JEAN-FRANÇOIS GAUTIER


DANS LA GUERRE CIVILE 1918-1921Wrangel., le derniergénéral blancParmi les généraux blancs, ilétait à part. Son prestige, sadétermination et son instinct politiqueauraient pu inverser lecours de l'histoire.PAR DOMINIQUE VENNERCapi taine des cavaliers-garde en 1914,le baron Wrangel s'était distingué dèsles premiers jours de la guerre mondialeen s'emparant, sabre au poing, d'une batterieprussienne. Devenu général, à la tête d'uncorps de cavalerie cosaque en 1917, saméthode n'avait pas changé. C'était toujours :« L'arme à la main et suivez-moi ! » Ce traitde tempérament explique, avec quelquesautres qualités rares, ses succès durant la guerrecivile (1918-1920) au Caucase et sur la Volga,la libération du Kouban et du Terek, la prisede Rostov et de Tsaritsyne (future Stalingrad),enfin l'exploit final de Crimée alors qu 'ilvenait d'être désigné par ses pairs commerégent de Russie.Le général Pierre Wrangel ( 1878-1928)naquit dans une très illustre famille qui s'étaitdistinguée au cours des siècles au service dessouverains de Prusse, de Suède et de Russie.Lui-même se sentait totalement russe et assumajusqu'aux plus extrêmes conséquences ledestin de sa patrie.Long, maigre, la figure hautaine, sanglé leplus souvent dans la traditionnelle tenuecosaque, ainsi nous apparaît-il sur les photosLe général Wrangel (1878-1928), dernier chef des Armées Blanches et régent de Russie en 1920.prises à l'époque de la guerre civile où sonrôle fut si grand.Contrairement à beaucoup de ses pairs, ilne se laissa pas abattre par le chaos révolutionnairedans lequel sombrèrent l'armée et laRussie à partir de l'abdication de Nicolas II enmars 1918. Comprenant que tout s'effondraitsans espoir, il prit du champ.Arrêté en Crimée par une bande de marinsrouges après la prise du pouvoir bolchevique,


LE DERNIER GÉNÉRAL BLANCil n'abdiqua rien de sa dignité et ne dut sonsalut qu'à une intervention pathétique de safemme.En septembre 1918, il parvint à rejoindrel'Armée Blanche que Denikine organisait auKouban, et se mit aussitôt à ses ordres :- « Votre Excellence sait qu'en 1917j' étais à la tête d'un corps de cavalerie ; maisen 1914 je ne commandais qu'un escadron. Jene crois pas avoir vieilli depuis ce temps ... »Le pouvoir ... trop tardDès le lendemain, il était à cheval pourreprendre en main une division cosaque enloques et à demi mutinée. Quinze jours plustard, il remportait son premier vrai succèscontre les rouges. Ses cosaques le saluèrentd'une succession de « hourras » frénétiq ues.Dans ses Mémoires, il commentera sobrementmais non sans orgueil : « Dès ce moment mesunités étaient à moi. »Parmi les chefs des Armées Blanches, legénéral Wrangel fut le seul qui montrât le tempérament,la culture, le sens politique, l'audaceet l'énergie capables d'inverser le cours del'histoire. Mais quand ses pairs lui confièrentle pouvoir suprême, en avril 1920, il était troptard, ce qu 'il n'ignorait pas. Il accepta pourtantle fardeau pour tenter de sauver d'un massacreinéluctable ses compagnons acculés dansla souricière de Crimée. Ses adversaires euxmêmesreconnurent qu'il fit alors desmiracles.En quelques semaines, il apporta commeune transfusion de sang neuf et d'énergie,réorganisa les administrations civiles et militairesen pleine déconfiture, transforma sessoldats débandés et démoralisés en une arméeprête au combat. Il définit des objectifs politiquesclairs et audacieux, rétablit des règlesde droit, rallia autour de lui les ennemis lesplus décidés du pouvoir bolchevique, se cherchades alliés parmi les minorités nationales etdans la paysannerie. Bref, il montra ce quiaurait pu être fait pour changer la face deschoses à 1 'époque où les forces blanches disposaientencore d'atouts puissants.En 1920, il était trop tard pour songer àune victoire, mais il était encore temps de lais­;er une trace nette pour 1 'histoire et de priverl'adversaire d'un beau massacre de blancs.:Juand vint 1 'assaut final , à cinq contre un,Wrangel avait pris les dispositions pour éva­;uer tout son monde par mer. Ce fut son derliertour de force.DOMINIQUE VENNERCHRONOLOGIE DE LA GUERRE CIVILE (1918-1921)1917-15 mars: victoire de l'émeute à Petrograd.Abdication de Nicolas Il imposée par sesgénéraux. Kerenski devient chef dugouvernement provisoire en juillet.- 7·9 novembre: putsch bolchevique àPetrograd. Lénine et Trotski renversentKerenski. Révolte du général Kaledine surle Don. En décembre, Petlioura proclamel'indépendance de l'Ukraine.Indépendance de la Finlande. Création del'Armée Rouge qui intervient sur cesdifférents fronts.- 20 décembre : création par Lénine de laTchéka (police d'exception).1918-janvier-avril : au Kouban, " campagne deglace" d'une poignée de "gardes blancs ''•conduits par les généraux Kornilov,Alexeiev et Denikine. Victoire des rougessur le Don, au Caucase et en Ukraine.- 3 mars : signature entre les bolcheviques etl'Allemagne du traité de Brest·Litovsk.Les Allemands occupent l'Ukraine, le Donet la Crimée, dont ils chassent les rouges.-avril : victoire des blancs (généralMannerheim) en Finlande.- 27 mai : soulèvement de la Légion tchèque enSibérie. Révolte des cosaques du Don(mai). Création d'une Armée Blanche duNord avec le général Miller quesoutiennent les Anglais (juin). Massacrede la famille impériale à Ekaterinbourg(16 juillet).-août : intervention alliée en Sibérie. Trotskiréorganise l'Armée Rouge. Staline àTsaritsyne. 30 août : tentatived'assassinat de Lénine par Fanny Kaplan.Intensification de la terreur, création duGoulag.- 18 novembre : l'amiral Koltchak est élu chefsuprême des Armées Blanches, mais il nepourra jamais exercer cette fonctionpurement fictive.1919- mars-mai : offensive de Koltchak en directionde Moscou.- mai-décembre : intervention des corps-francsallemands en Courlande. Indépendancedes trois États baltes.-juin-août : offensive victorieuse de Denikinesur le front Sud en direction de Moscou.Wrangel, en désaccord avec ce plan,obéit cependant et enlève Tsaritsyne(17 juin). En Ukraine, Denikine écrasePetlioura (septembre), mais ses arrièresseront détruits par les partisans deMakhno.-octobre : début de l'effondrement de Denikineau Sud. Échec de l'offensive deloudenitch, sur le front Nord.-décembre : Koltchak est abandonné par lesalliés. Le général Janin le livre auxbolcheviques qui l'exécutent (7 février1920).1920-mars : Dans le Sud, Denikine ordonne uneintervention au Kouban. Crise au sommetchez les blancs. Denikine est remplacépar Wrangel.- mai-septembre : offensives et initiativespolitiques de Wrangel dans le Sud.-avril : la Pologne intervient en Ukraine, maisen est chassée par l'Armée Rouge quimarche sur Varsovie. Interventionfrançaise. Le plan Weygand met endéroute Toukhatchevski devant Varsovie(20 août).-été : révolte des paysans de Tambov, sous ladirection d' Antonov.- octobre : offensive générale des rougescontre Wrangel qui parvient à évacuer laCrimée, sauvant son armée du massacre(novembre). La France et l'Angleterreabandonnent les blancs.- conquête par les rouges de l'Azerbaïdjan etde l'Arménie.-début des campagnes du Turkestan qui sepoursuivront jusqu'en 1926.1921-occupation de la Géorgie par l'Armée Rouge.-février : résistance des cosaques de l'Oural.Rescapé des combats de Sibérieorientale, le général Ungern s'empared'Ourga en Mongolie. Il sera capturé etfusillé en août.- été : écrasement des paysans de la Volga etdes résistances organisées sur le Don, auKouban et dans le Térek. Fin tragique des" Vendées russes>>.


L~HOMME QUI N~ETAIT/'PAS A SA PLACEUne heure chezl(erensl~iPAR GILBERT COMTEKerenski ! L'homme par quiLénine accéda au pouvoir! Il atenu le sort du monde entre sesmains, mais il ne le savait pas.Souvenirs d'une rencontre avecun raté célèbre.Les Français d'aujourd'hui ne se souviennentcertainement plus qu 'un an aprèsles convulsions de Mai 1968, des portraitsde Marx, Lénine, Mao Tsé-toung, surgissaientencore au Quartier Latin, à Billancourt,parmi les drapeaux écarlates, comme les figurestutélaires d'authentiques bienfaiteurs du genrehumain. Malgré ses échecs, ses crimes, le communismepassait toujours pour le meilleurexemple à suivre, auprès de jeunes bourgeoisralliés à sa cause. Impossible alors de pénétrerdans une librairie sans apercevoir sur les tablessix, huit, dix ouvrages consacrés à sa glorification.Bizarre période pour reprendre la publicationdes Mémoires d'Alexandre Kerenski, dernierchef d'un gouvernement russe avant laprise du pouvoir par les bolcheviques, enoctobre 1917, et devenu de la sorte la premièregrande victime d'un communisme depuis lorsconstarnrnent victorieux à travers le monde, dePrague à Saigon, de La Havane à Luanda.À Paris, le succès presque continu de cesdéferlantes n'empêchait pas quelques hommesde garder la tête froide. Parmi eux, l'aimableAlexandre Feodorovitch Kerenski (1881-1970). Avocat, socialiste réformiste, membre de la quatrièmeDouma en 1912, il devint chef du gouvernement provisoire en juillet 1917.11 se montra incapablede dominer une situation qu'il avait beaucoup contribué à aggraver. Les bolcheviques le renversèrentsans peine le 7 novembre 1917 .


UNE HEURE CHEZ KERENSKIrédacteur en chef des Nouvelles Littéraires,André Bourin, ne prétendait certes pas renverserla marche des choses. Journaliste à1' ancienne, il s'estimait tenu d'offrir à ses lecteursune information générale honnête, indifférenteaux modes. Puisque Alexandre Kerenskipassait chez son nouvel éditeur (Plon), poursurveiller le lancement de son livre, quelqu'unde la maison irait l'interroger. Peut-être gardait-ildans un coin de sa tête quelques histoirespeu connues à raconter, d'un intérêt aumoins égal au maoïsme du jeune Philippe Sollers.Pour joindre l'ancien interlocuteur deNicolas II à Tsarkoïé-Sélo, il suffisait d'appelerau téléphone un appartement proche duBois de Boulogne.Tout de même ! Curieuse impression de saisirson appareil pour obtenir un rendez-vousavec ce fantôme tenu pour l'un des plus tristeshéros de son temps, mais aussi l'une de sesfigures principales. Certes, la médiocre staturedu pauvre vaincu d'Octobre 1917 se comparedifficilement aux ombres des puissants colossesde l'histoire. Peu d'entre eux auront cependantexercé une influence comparable à la sienne surl'avenir du monde. Influence négative, détestable,mais influence quand même.La corvéePlus imaginatif, plus vigoureux, plus retors,Alexandre Feodorovitch arrêtait Lénine auxportes du pouvoir. Le visage du monde en étaitchangé. Peut-être pas de national-socialisme enréaction contre le bolchevisme ; peut-être pasde Seconde Guerre mondiale ... À partir de sonéchec, les historiens ne cesseront plus d'exigerde Kerenski des explications sur ces six moisdécisifs où le destin roule entre ses mains malhabiles.Auparavant, sa vie n'intéresse personne.Ensuite, pas davantage. Sa jeunesse comme savieillesse laissent indifférent. Demeurent cesvingt-six semaines remplies de tumultes, deconfusions, qu'illui faut incessamment justifier,sans répit, jusqu'au terme de ses jours. Or, il atrente-six ans tout juste quand il les traverse.Ce 2 juin 1969, 1 'ancien tribun socialdémocratenous reçoit sous l'aspect d'unvieillard menu, aux abondants cheveux deneige, dans une élégante bibliothèque ovale,aux rayons, fauteuils et meubles d'acajou. Il selève, examine le visiteur d'un œil bleu pâlejélavé, tend une main molle, avec le sourire1ffable, machinal, du politicien professionnelxêt à saluer n'importe quel passant dans la·ue. Dans son dos s'alignent plusieurs volumes;ur Mai 1968, dont celui de Daniel Cohn-Bendit,et le Rapport Kinsey sur la sexualité de lafemme américaine. Nous voilà loin desgrandes tragédies de l'hiver à l'automne 1917,avec leurs millions de cadavres.Le regard bienveillant, il entame l'entretiendans un curieux français, bourré de verbesà 1 'infinitif, sans articles, pareil à celui desgrands-ducs devenus chauffeurs de taxi, dansles pièces de théâtre du Boulevard, vers 1930.« 1917 1 Année terrible ! Peuple mécontent,affamé ! Explosion fatale ! Gouvernement rienretenir ! Désordres partout ! Provinces enrévolte comme Petrograd ! >> Cette évocationd'événements exceptionnels emprunte dans sabouche un ton récitatif, monocorde.Non! Non!Sa tête s'appuie en arrière sur le fauteuil,ses paupières battent comme s'il s'apprêtait àdormir. Dans la première version de son livre,parue à Paris en 1929, il se réjouissait d'avoirobtenu très promptement du grand-ducMichel, frère de Nicolas II, qu'il renonçât autrône, malgré l'abdication du tsar en sa faveur.Avec le recul, ne regrette-t-il pas d'avoiranéanti, avec la légitimité du pouvoir, l'ultimemoyen de résistance au chaos ?- > Sur le bras du fauteuil, la main impatientechasse encore toute cette bande vers la porte.Et l'affaire Kornilov? Quand le courageuxgénéral marcha sur Petrograd avec la fameuseDivision Sauvage, pour en finir avec l'impuissancegouvernementale, lui, Alexandre Féodorovitch,ne connaissait-il vraiment rien de lapréparation du putsch militaire, ou entretenait-ildes rapports secrets avec ses organisateurs, parl'intermédiaire de son ami Boris Savinkov?-Non ! Non ! Savinkov agir seul! Savinkovhomme entreprenant, ancien terroriste. Nedemandait jamais /'autorisation de personnedans affaires sérieuses. Remuait ciel et terredans mon dos. Homme intelligent, courageux,de grande valew: Cachait beaucoup de choses!Comment ne pas insister un peu ? Quandles mutins se rapprochèrent de Petrograd, lesbolcheviques encombraient les prisons, détenusen très grand nombre après leur premièretentative de prendre le pouvoir, en juillet 1917.Lui, Kerenski, ne les avait-il pas fait libérer, neleur avait-il pas remis des am1es pour ledéfendre contre l'extrême droite?Cette antique accusation le réveille d'uncoup. Et même, elle 1 'indigne.- Moi ? Armer les bolcheviques ?Jamais! Jamais! Plutôt mourir!Pour la première fois, l'œil s'allume. Iln'admet toujours pas l'imputation calomnieuse.Il sourit avec l'indulgence d'un voyageurassez récemment revenu d'un périple aumilieu des étoiles.-Non ! Non ! Pas de violences 1 ViolencesentraÎner Russie dans convulsions mortelles.Je n'ai jamais voulu verser du sang. Ni sangdu tsar, ni sang du peuple !Et il sourit, heureux de son personnage.L'idée qu 'un coup de revolver, un attentatréussi contre quelque monstrueux paranoïaqueà la Lénine, à la Hitler, à la Staline, à la MaoTsé-toung peuvent rendre de grands services àl'espèce humaine n'effleura sans doute jamaisl'esprit de ce Girondin, disciple sans le savoir,et contemporain, de Gandhi. Désormais, cetteconversation 1 'assomme. Pour en finir unebonne foi, à son avantage, il la clôt d'une formulefatidique :- Et chute Empire russe fut comme chuteEmpire romain!Qu'ajouter encore, sinon qu'il se trompe !L'Empire romain du XX' siècle ne s'effondrapas avec les Romanov. Intact, tout-puissant, ilsubsiste avec son Sénat, son Capitole àWashington, sa plèbe à Los Angeles, ses jeuxdu cirque à Hollywood.- Non ! Non ! Amérique, pourriture !J'habite États-Unis depuis trente ans. Bien lesconnaÎtre. Pays faible. Président Johnsonimbécile. Guerre du Viêt-nam bourbier. Questionnoire destructrice !Ah ! monsieur ...Rencontrer Kerenski afin de recueillir sonopinion sur Lénine, Trotski, pour l'entendrevitupérer les choix de la Maison-Blanche enAsie du Sud-Est! Quel témoignage sur l'irresponsabilitépathologique du politicien ordinairequi laisse mettre le feu au monde, puis retournesans remords à ses minuscules intrigues. Lesyeux mi-clos, un doux sourire aux lèvres,celui-là nous quitte en pensée pour un autresonge. Manifestement, il rêvasse aux solutionspropres à sortir du gouffre cette sotte et adipeusedémocratie américaine. Quoi qu'il n'enexprime rien à haute voix, une certitude, unregret doublent chacune de ses phrases :-Ah ! monsiew; si seulement j'étais sénateurdu Massachusetts 1GILBERT COMTE


UN ITINER_AIRE NON CONFORMELes sources et le sensde Nicolas BerdiaevPAR JEAN-JACQUES MOURREAU«Il y a la Russie de Kiev, la Russiesous le joug tartare, la Russiemoscovite, la Russie de Pierre leGrand et la Russie soviétique, et ilest possible qu'il y ait encore uneRussie nouvelle. » Berdiaev écritces lignes en 1946 (1).Deux ansavant sa mort, alors que lemonde tremble devant Staline, ilne désespère pas de la Russie.Quarante-cinq ans après sa disparition,Nicolas Alexandrovitch Berdiaev resteun personnage controversé. Une partiede 1 'émigration russe lui tient rigueur d'avoirété marxiste dans sa jeunesse, de n'avoir pasménagé 1 'Église orthodoxe russe, d'avoir cru,au terme de sa vie, que la Russie soviétique,victorieuse au lendemain de la Seconde Guerremondiale, se transformerait. Affaire de familleet confrontation des visions sur le long tem1e.Plus surprenant : l'oubli dans lequelBerdiaev est tombé chez les intellectuelsfrançais (2), lui qui fut l'une des grandesfigures parmi les « non-conformistes desannées trente» (3), l'ami de Jacques Maritain,l'inspirateur d' Emmanuel Mounier et du per-Nicolas Alexandrovitch Berdiaev (1874-1948) .


NICOLAS BERDIAEVsonnalisme, le collaborateur actif de la revueEsprit, 1 'animateur de la revue russe Pout} (LeChemin) et des Cahiers de la nouvelle époque.Est-ce parce que ses écrits qui conjuguentsociologie, histoire, esthétique, philosophie etthéologie, ont été non seulement une dénonciationdu communisme et de l'égalitarisme,mais aussi l'appel à Un nouveau MoyenÂge (4), à une spiritualité créatrice et à la fulgurantevision de 1 '« humano-divinité » ?Né à Kiev, Je 19 mars 1874, dans unefamille appartenant à la haute noblesse, d'unpère officier des cavaliers-gardes, libéral ettantôt épris de Voltaire, tantôt de Tolstoï, etd'une mère « plus française que russe » (5),fille de la comtesse Mathilde de Choiseul­Gouffier, Nicolas Alexandrovitch, d'un « tempéramentirritable et emporté » selon sonpropre aveu, s'intéresse, enfant, à la figure deSouvorov. Admis au corps des cadets et promisà la carrière des armes, il se détourne vitede l'idéal militaire pour la peinture et la littérature.Il connaît une enfance « privée desimpressions joyeuses et captivantes que procurela religion russe orthodoxe ». Il manifestepeu de goût pour les offices de 1 '« orthodoxieimpériale et nationale ». Il préfère, ditl'un de ses biographes,« lesforêts et les parcsaux églises » (6). L'adhésion à 1 'Église orthodoxede ce penseur de 1 'orthodoxie se fait seulementà l'âge de 35 ans. Entre-temps, Berdiaeva connu les engagements révolutionnairesd'une partie de l'intelligentsia, lesarrestations, la prison et la résidence surveillée.Il a collaboré au bi-hebdomadaireclandestin Libération d'où sortira en 1905, leParti constitutionnel-démocrate (KD) de Millioukov.En chemin, il a rencontré Serge Boulgakov,lequel s'opposera, plus tard, aupatriarche de Moscou et deviendra le recteurde 1 'Institut Saint-Serge en France. Surtout.Berdiaev s'est libéré de Marx par Nietzsche.Il a aussi retrouvé Dostoïevski qui, plusque tout autre, marque sa conscienced'homme et de philosophe. À ce dernier, ilconsacre un livre : L'Esprit de Dostoïevski (7).Rédigé au cours de l'hiver 1920-1921 , cetouvrage porte un souffle prophétique. Berdiaevy écrit : « La destinée historique de laRussie a justifié la prophétie dostoïevskienne :la Révolution a eu lieu dans une large mesureselon Dostoïevski. Et quelque destructrice etmeurtrière qu'elle apparaisse, elle ne doit pasmoins être considérée comme russe, et commenationale. L'autodestruction et /' autocompositionsont en Russie des traits nationaux. >Mais il affirme également: > - et d'être élu membredu Conseil de la République, en tant que> .Mal à l'aise sous Kerenski, Berdiaev sesent soulagé lorsqu 'éclate la révolutiond'Octobre et pas du tout effrayé par l'arrivéedes Bolcheviques. Ceux-ci, loin de le combattre,1 ui accordent un traitement de faveur etle couvrent d'honneurs. Il obtient la permissionofficielle de garder son appartement et sabibliothèque. Il est élu à la vice-présidence del'Union des écrivains, admis à l'Académie desbeaux-arts.Dès 1918, année décisive, Berdiaev aentrepris une révision de ses idées de jeunesse,en rédigeant La Philosophie de l'inégalité (8).Dans ce réquisitoire véhément contre tous lesréductionnismes, il dénonce < la passion égalitaire» qui « provoque toujours un abaissementdu niveau de la personne >> et critique ladémocratie, « idéologie des quantités >> qui« ne peut manquer de conduire au règne despires et non des meilleurs >>. Il oppose


LAS BERDIAEVMoscou. Dans la nuit, il est arrêté à son domicile,conduit à la prison de la Tcheka et, aubout d'une semaine, sommé de quitter la Russiesoviétique et de n'y point reparaître souspeine d'être fusillé. « C'était une mesureétrange, écrira Berdiaev. J'étais chassé de mapatrie non pour une raison politique, maispour des raisons idéologiques. » (9)Septembre 1922. Avec d'autres expulsésrassemblés à Saint-Pétersbourg, Berdiaevembarque sur la Neva, gagne Berlin, via Stettin.Le séjour allemand va durer deux ans etpermet au proscrit de rencontrer Max Scheler,Oswald Spengler qui le surprend par son allurebourgeoise, et Keyserling. Ce dernier voit enBerdiaev


,REVOLTE CONTRE STALINELe tragique destindu général VlassovPAR CHARLES VAUGEOISDe 1942 à 1945, plus d'un million de soldats russes ont pris les armes au côté de l'Allemagne dans l'espoirde libérer leur patrie du communisme. Massacrés pour la plupart ou déportés après 1945, ils ont étécondamnés à l'Est comme à l'Ouest jusqu'à leur réhabilitation par Soljenitsyne. Une histoire controversée.Le 12 juillet 1942, dans le secteur deNovgorod tenu par le 38' corps d'annéede la Wehnnacht, une patrouille commandéepar le capitaine Schwerdtner captureun officier supérieur soviétique. L'homme estd'une taille élevée. Il porte des lunettes à monturede come. Son visage est creusé par la faimet l'épuisement. Il tend son pistolet à l'officierallemand, disant seulement :-Je suis le général Vlassov.La nouvelle, transmise à Vinnitza, quartiergénéral allemand du front de l'Est, estaccueillie comme une victoire. L'homme quivient d'être capturé est l'un des plus célèbreset des plus redoutables généraux de 1 'AnnéeRouge.Andreï Andreïevitch Vlassov était né en1900 dans la province de Nijni-Novgorod(Gorki), huitième enfant d'un tailleur de village.Élève au séminaire de la ville, il avait étémobilisé dans 1 'Année Rouge en 1919 alorsque la guerre civile faisait rage. Engagé sur lefront Sud dans les combats contre les troupesde Denikine et de Wrangel, il reçut bientôt Jecommandement d'une section, puis d'unecompagnie. Sa fonnation d'officier rouge futconfinnée dans les années vingt à 1 'école militaireVystrel (« Coup de feu »). Chef debataillon, membre du parti en 1930, il épousaen 1933 une jeune paysanne qui venait de terminerses études de médecine.Après sa capture par la Wehrmacht en juillet 1942, le général Vlassov, patriote russe en révoltecontre Staline, se laissera tenter par les projets d'officiers allemands qui seront désavoués par Hitler.Il


ESTIN DE VLASSOVte beaucoup de généraux improvisés et incapables,Vlassov se distingue comme l'un desplus doués.Dans l'atmosphère apocalyptique de 1941,Staline lui confie le commandement de la37' armée, avec mission de défendre à toutprix le secteur de Kiev, alors que les tenaillesallemandes se sont déjà refermées sur le grouped'armées Sud-Ouest. Vlassov résiste sur leDniepr alors que tout bascule autour de lui.Puis il se fraye un passage vers l'Est, sauvantles restes de son armée.À l'hôpital de Voronej, où il échoue àl'issue de la retraite, dans un état de completépuisement, il médite douloureusement sur1 'effondrement effroyable de 1 'Armée Rouge,sur la mauvaise organisation de la défense etles fautes du haut commandement. Ses amis lecroient compromis dans le désastre de Kiev, ets'écartent. Ils ne lui adresseront de nouveau laparole que le 10 novembre, lorsque Staline leconvoque au Kremlin pour lui confier le commandementde la 20' armée de choc. Le hautcommandement est en pleine panique. Il règneà Moscou une sourde atmosphère de fin dumonde. On attend d'un jour à l'autre l'entréedes Panzer, et l'on craint que la population neles salue en libérateurs.Par la faute de StalineLe nombre de prisonniers de guerre russes (soviétiques) capturés par la Wehrmacht s'élève à5,75 millions. Un million devait rejoindre l'armée Vlassov et les unités auxiliaires de l'armée allemande.Entre 1944 et 1947, les Alliés occidentaux livrèrent aux Soviétiques 2 272 000 prisonniers ou assimilésqui, à leur retour, furent jugés collectivement pour trahison. 15 à 20% furent exterminés à leur arrivéeou moururent durant les transferts. 15% furent condamnés à 5 ou JO ans de goulag. 25% furentcondamnés à l'exil en Sibérie ou au travail forcé. Seuls 15 à 20% purent rentrer librement chez eux.20 %furent condamnés à mort ou à 25 ans de goulag.Vient l'année 1936 et les purges sanglantesqui décapitèrent 1 'Armée Rouge. Troismaréchaux sur cinq, quatorze générauxd'armée sur seize, soixante généraux de corpsd'armée sur soixante-sept, en tout 35 000 officiersde tout grade, soit près de la moitié ducorps des officiers, arrêtés, torturés, exécutésou expédiés dans des camps de concentration.La femme de Vlassov, fille de paysans, doncsuspecte, doit se séparer de lui pour ne pas lecompromettre ...Une mission en Chine, comme conseillermilitaire de Tchang Kaï-chek, l'éloigne ducouperet. À son retour en Russie quelquesannées plus tard, il voit son père et ses amisd'enfance dans la misère la plus extrême. Laréalité semble fuir toujours plus les promessesde la révolution. La signature du pactegermano-soviétique accroit son trouble.En 1940, comme beaucoup d'autres jeunesofficiers, il bénéficie d'une promotion éclair. Ilfaut remplacer d'urgence les généraux liquidésdans les caves du NKVD. Le voici commandantde la 99' division, une unité médiocre etindisciplinée dont il va faire en peu de tempsune troupe exemplaire. La 99' division ne serapas disloquée par l'invasion hitlérienne del'été 1941. Dans le reflux général, elle avancemême vers l'Ouest et reprend Peremysl. Ausein du « second échelon » stalinien qui comp-Vlassov conduit la contre-offensive miraculeusequi dégage la capitale et brise l'élandes blindés de Hoth et de Guderian. Il a l'honneurdu communiqué du 12 décembre 1941,immédiatement derrière Joukov. Illya Ehrenbourgchante sa gloire dans la Pravda. Sonnom est sur toutes les lèvres.Le 7 janvier 1942, nouvelle convocationnocturne au Kremlin. Dardant vers le grandgénéral ses petits yeux jaunes, Staline ordonneune nouvelle mission impossible : prendre latête de la 2' armée de choc et forcer le blocusde Leningrad. Il reçoit le soutien théorique detrois autres armées qui ne se mettront jamaisen mouvement. La 2' armée de Vlassov lancedonc seule une offensive victorieuse qui laconduit en février 1942 à 75 kilomètres àl'intérieur du dispositif allemand. C'est lapoche du Volkhov. Elle n'est reliée à l'arrièreque par une étroite bande de marais renduepraticable par le gel. Les Allemands lancentattaque sur attaque pour refermer la nasse.Dans cette situation périlleuse, le commandementsuprême semble se désintéresser du sortde la 2' armée. Il n'envoie plus ni renforts, nivivres, ni armes, ni munitions, ni couvertureIl


LE DESTIN DE VLASSOVaérienne. En revanche, malgré les demandespressantes de Vlassov, Staline interdit l'évacuationde la poche.Avec le retour du printemps, les maraiscommencent à dégeler, coupant définitivementla route du repli, maintenue au prix de combatsépuisants. Le 20 mai, l'encerclement de la2' armée est consommé. Staline peut biendésormais ordonner l'évacuation, il est troptard. Seize divisions sont prises au piège. Desdizaines de milliers d'hommes vont mourir.Les soldats de la 2' armée sont réduits à mangerles cadavres de leurs camarades.Vlassov refuse de prendre l'avion qui luiaurait permis de s'échapper. Il veut partagerjusqu'au bout le sort de ses hommes. Il erredans les marécages, comme le général Samsonoven 1914, dans les marais de Mazurie,après l'anéantissement de son armée. Plustard, il dira pourquoi, à la différence de Samsonov,il choisit de ne pas se suicider :- Samsonov savait pourquoi il se tuait. Ilcroyait au tsm; à la patrie, à l'honneur. Samort avait un sens. C'était un acte de jïdélité.Moi, je ne pouvais plus croire en rien.Après sa capture, Vlassov fut traité enadversaire malheureux et conduit au campspécial de Vinnitza destiné aux officiers supérieurssoviétiques. Il y retrouva d'ancienscamarades. Pour la première fois dans sa viede soldat, il lui était possible de parler à cœurouvert, sans crainte d'être espionné. Paradoxalement,dans ce camp de prisonniers, il éprouvaune grisante sensation de liberté. Le généralBoïarski, commandant la 41' armée de lagarde, blessé et capturé avant lui, exprimaitdevant tous son ressentiment contre Staline etson espoir de voir 1 'Allemagne renverser laclique bolchevique, créant ainsi les conditionsd'une renaissance de la Russie, libre et nouvelle.La plupart des prisonniers du camp spécialpartageaient cette espérance.Au sein du quartier général allemand, plusieursjeunes officiers s'efforçaient de donnerconsistance à ce rêve. Ce groupe comprenaitnotamment le colonel comte von Stauffenberg,commandant en second le service d'organisationde l'état-major du front de l'Est, spécialementchargé des Hiwi (diminutif de Hilfswilligen),supplétifs levés spontanément par lespetites unités de la Werhmacht, chez les prisonniersou les civils. Le groupe comptaitaussi le colonel von Tresckow, premier officierd'état-major du maréchal von Kluge, lecolonel Roenne, chef du département III duservice de renseignements militaires, le capitaineGrote du service de la guerre psychologique,le capttame interprète Strik-Strikfeld,qui sera plus tard attaché à la personne deVlassov, bien d'autres encore.Tous ces officiers avaient en commun unebonne connaissance de la Russie, pour laquelleils nourrissaient une sympathie confinant parfoisà la dévotion. Tous parlaient le russe. Certains,d'origine balte, comme le capitaineGrote, journaliste dans le civil, avaient mêmeservi autrefois dans l'armée impériale russe autemps de leur jeunesse, avant la révolution. Ilsestimaient que la politique allemande à l'Estétait une erreur tragique, bientôt, ils diront uncrime. L'Allemagne devait se présenter enlibératrice et annoncer la libération des paysanset des kolkhozes. Ils attendaient de cettenouvelle politique un effet aussi explosifcontre le régime stalinien que l'avait été, en1917 contre le tsarisme, la propagande bolcheviqued'appropriation des terres.Un véritable RusseIls n'ignoraient pas que cette orientationne cadrait nullement avec les objectifs définispar Hitler. lis espéraient cependant que lesfaits et la raison l'emporteraient sur l'égarementdu commandement suprême.La capture d'un général aussi importantque Vlassov leur parut un signe de la providence.D'autant que ce général se révélait unepersonnalité peu commune.-C'est le véritable Russe, disait le capitaineStrik-Strikfeld. Un Russe authentique,grand et solide comme un arbre et cependantintelligent et fin comme l'ambre. Avec uneâme d'une profondeur ...Strik-Strikfeld fut chargé justement desonder Vlassov sans chercher à lui masquer lesdifficultés de 1 'entreprise :- Nous sommes de ceux qui avions cru àune guerre de libération, à la libération dupeuple russe par l'armée allemande. Malheureusement,nos dirigeants politiques sontaveuglés par leur présomption et leurs préjugés.Le résultat, c'est la situation catastrophiquedes camps de prisonniers et des territoiresoccupés. Pourtant, il subsiste un espoir.Les chefs militaires souhaitent ardemment uneautre politique. Ils veulent créer des relationsnouvelles avec le peuple russe. Ils sont doncdisposés à collaborer loyalement avec lesRusses prêts à lutter contre Staline.Vlassov répondit :-Contre Staline, soit. Mais dans quel but ?Les officiers allemands nous permettront-ils delever une armée russe contre Staline ? Cette« VENT D'EST »DE ROBERT ENRICOTerrible destin que celui de ces Russes,de ces Ukrainiens et de ces Baltes quicomposèrent la l"' Armée nationale russe delibération et combattirent aux côtés del'Allemagne. Accusés de mille crimes ettraités en parias, ils furent livrés auxautorités soviétiques par les Alliés, soucieuxde respecter les accords de Yalta et nedéplaire en rien au camarade Staline. Dèsleur retour au pays, ils furent passés par lesarmes ou envoyés au goulag. Dans lesannées cinquante, lorsque le gouvernementfrançais demandait des nouvelles desAlsaciens et Mosellans incorporés dansl'armée allemande, Moscou répliquait enexigeant la liste des " citoyens soviétiques ,,restés sur le territoire français et envoyaitses commissaires pour récupérer les" volontaires , au retour. Cette paged'histoire, accablante pour la lâchetéoccidentale, a longtemps été cachée. Lecomte Nicolas Tolstoï, arrière petit-fils del'écrivain russe, l'a révélée dans son livreLes Victimes de Yalta. L'historienbritannique Nicolas Bethell l'a évoquée dansLe Dernier Secret. Il est question ici del'odyssée du général Smyslowosky, Russed'origine finlandaise, et de ses cinq centshommes. Suivis par femmes et enfants, avecarmes et bagages, ils forcent, dans la nuitdu 2 au 3 mai 1945, la frontière de laprincipauté du Liechtenstein. Entrel'Autriche et la Suisse, le Liechtenstein estun petit État neutre qui n'a rien à gagner à semêler aux querelles des grandespuissances. Pourtant ... D'aucuns estimentqu'il aurait été courageux de traiter le sujetplus tôt, s'interrogent sur l'anticommunismetardif du réalisateur ou discutent le jeu desacteurs. En tous cas, ce film qui a été tournéen Pologne, existe et mérite d'être vu. Iln'est jamais trop tard pour dire l'histoire ...JEAN-JACQUES MOURREAUVent d'Est, de Robert EnricoMC4 Production/Éditeur vidéo :CGR/Disponible en location.armée ne doit pas être une armée de mercenaires.Sa tâche doit lui être fixée par un gouvernementnational russe. Ce n'est qu'un idéalélevé qui peut laver ces combattants dureproche qu'on peut leur faire, celui de porterles armes contre le gouvernement de leur pays,bien que ce ne soit pas contre ses citoyens ...Vlassov ne devait jamais s'écarter de cetteposition définie dès son premier entretien avec


ESTIN DE VLASSOVses interlocuteurs allemands. Mais ces derniersn'étaient pas en mesure de satisfaire de tellesexigences. Ils ne pouvaient que proposer uneapproche indirecte pour ébranler etconvaincre des gens frappés d'aveuglement,comme Hitler, il fallait selon eux prouver quele nom de Vlassov avait un effet décisif sur1 'Armée Rouge. Ils suggérèrent à Vlassov delancer un appel exhortant les Russes à combattreStaline, sans mentionner immédiatementla création d'une armée nationale.Vlassov hésita longtemps. II se refusait àun appel à la désertion. II finit par rédiger letexte connu comme« l'appel de Smolensk » :


LE DESTIN DE VLASSOV1tive depuis 1917, pour offrir à la Russie une« troisième voie » qui ne soit ni le communismeou le fascisme, ni le libéralisme anglosaxon.Le 5 mai 1945, les régiments « Vlassov »chargés de la défense de la capitale de laBohême retournaient leurs armes, dansl'espoir désespéré de se faire reconnaître parles Américains.Ils seront les véritables libérateurs dePrague avant l'entrée de l'Armée Rouge (2).Vlassov lui-même et 100 000 de ses hommesfuyaient vers l'Ouest. Quelques jours plustard, les Américains les livraient aux troupesspéciales de Staline, comme les Anglais le faisaientde leur côté avec des dizaines de milliersde Cosaques. Alexandre Soljenitsyne adécrit le calvaire atroce de ces réprouvés dansles camps du goulag.Vlassov et onze officiers de son entouragefurent emprisonnés à la sinistre Loubianka.Contrairement à ce qui a parfois été avancé, ilsne reconnurent jamais avoir eu tort. Il faut surce point essentiel faire encore appel aux révélationsdu général Grigorenko qui rapportedans ses Mémoires le témoignage d'un officiersoviétique, acteur du dernier acte de cette tragédie:« Il y eut un communiqué officiel annonçantque les chefs de la ROA seraient jugéspubliquement. On avait déjà tout mis en placepour ce procès à portes ouvertes, mais le comportementdes vlassoviens a tout fait rater. Ilsont refusé de se reconnaître coupables de trahison.Ils ont tous déclaré qu'ils ne s'étaient pasbattu contre leur peuple, mais uniquementcontre le régime de Staline. Qu'ils voulaientlibérer la Russie de ce régime. Et que donc, ilsn'étaient pas des traîtres mais des patriotes. Lapolice les a torturés mais sans rien obtenir ».Torturés et pendusL'officier reçut alors mission de leur proposerde s'avouer coupables au procès enéchange de la vie sauve. Il leur fit la descriptiondes tortures qui les attendaient s'ils refusaientce marché. À ces menaces, Vlassovrépondit:« Je sais ce qui nous attend. Et ce n'estpas beau. Mais le pire est de se calomnier soimême.Je n'ai pas trahi et jamais je ne mereconnaîtrai coupable de trahison. Je haisStaline. C'est un tyran, et je le dirai au procès.Les tortures me font peur, mais nous ne souffrironspas pour rien. Le jour viendra ou lepeuple honorera notre mémoire. »HONNEUR AULIECHTENSTEIN !Chaque fois que j'arrive dans laprincipauté du Liechtenstein, je meremémore avec éiJlotion l'exceptionnelleleçon de courage tfue ce minuscule État etson Prince estimé, feO franz-Joseph Il,donnèrent au monde en 1945: résistant àl'implacable menace militaire soviétique, ilsn'ont pas hésité à abriter un détachementd'anticommunistes russes qui cherchaitrefuge contre la tyrannie de Staline.Cet exemple est d'autant plus instructifqu'au même moment les grandespuissances démocratiques, signataires de lacharte de l'Atlantique- vibrante promessede liberté pour tous les opprimés de la terre- cherchant à gagner les bonnes grâces duvictorieux Staline, lui livraient en esclavage,sans murmurer, l'intégralité de l'Europe del'Est. Ainsi que des centaines et descentaines de milliers de citoyenssoviétiques, qu'elles renvoyèrent contre leurgré de leurs propres territoires. Certains ontpréféré se suicider. On n'en a tenu aucuncompte.À la pointe des baïonnettes, avec uneviolence infâme, on les a littéralementpoussés dans les mains meurtrières deStaline, vers les tortures des camps deconcentration et vers la mort. Que lesSoviétiques aient sacrifié des millions devies à la victoire commune aux côtés del'Occident, cela allait de soi, mais, une foisl'objectif atteint, eux n'avaient pas mêmedroit à la liberté. Il est d'ailleurs surprenantque la presse libre occidentale ait contribuéà dissimuler ce crime pendant vingt-cinqans. Ni à l'époque ni plus tard, personne n'atraité les généraux et commissairesbritanniques et américains impliqués dansces faits de criminels de guerre - et neparlons même pas de les passer enjugement.ALEXANDRE SOWENITSYNEDiscours du LiechtensteinL'officier cité par Grigorenko poursuit :> créées sur lesarrières du front par la SS. Cette confusion fut longtempsentretenue par la propagande soviétique pourdéconsidérer le mouvement Vlassov.(2) L'année Patton était parvenue à 80 km dePrague. Un Comité national tchèque déclenchal'insurrection dans la ville avec le soutien de laROA, et lança un appel aux Américains. Pattonvoulait marcher sur Prague, mais il reçut 1 'ordred'Eisenhower de n'en rien faire . Cette décision futreprochée aux Américains par Churchill.(3) Voir dans Enquête sur l'histoire n° 7, p. 67,l'article de Wolfgang Venohr consacré au destin dugénéral von Tresckov.Bibliographie :- Michel Garder, Une guerre pas comme lesautres, La Table ronde, Paris, 1962.-Général Grigorenko, Mémoires, Presses de laRenaissance, Paris, 1980.- Jacques de Launay, La Grande débâcle,Albin-Michel, Paris, 1985.- Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag,tome 1, Le seuil, Paris, 1974.- Wilfried Strick-Strickfelt, Contre Staline etHitler, le général Vlassov et le mouvement de libérationrusse, Presses de la Cité, Paris, 1971.- Jürgen Thorwald, L'illusion, les soldats de/'Armée Rouge dans les troupes d'Hitler, Albin­Michel , Paris, 1975.- Nicolas Tolstoy, Les victimes de Yalta , France-Empire,Paris 1980 .


L E SCHIFFRES DU GOULAGUn révisionnismerampantLa publication récente sous letitre fracassant d'un documentqui minimise l'ampleur des atrocitésdu régime communiste asuscité une vive indignation dansla communauté russe et le scepticismedes historiens. Le professeurOleg Kobtzeff répond calmement.PAR OLEG KOBTZEFFNous connaissions les millions d'êtreshumains qui périrent dans 1 'horreurconcentrationnaire nazie. Nous commençonsà prendre conscience de l'exterminationdes Arméniens lors de la Première Guerremondiale. Il a fallu attendre la Perestroïkapour que le génocide qui s'est déroulé enUnion soviétique soit enfin reconnu comme unfait historique.Étant donné les témoignages qui avaientréussi à percer le mur de silence bâti par lesbourreaux, on pouvait s'attendre à ce que legrand public reçoive à présent une déferlantede révélations macabres. Le titre du numéro deseptembre dernier du magazine L'Histoiresemblait annoncer la première onde de choc :« Goulag : les vrais chiffres ». Une telle présentationpréparait le lecteur à une expériencepénible mais nécessaire comme avait pu l'êtrela première vision du Nuit et Brouillard deAlexandre Soljenitsyne. Photo prise durant sa détention (1945 à 1953) dans les camps de la mortsoviétiques. Les trois tomes de L'Archipel du Goulag feront connaître au monde entier l'ampleur et klperversion du système.


LES CHIFFRES DU GOULAGAu cours de conversations que Churchill rapporte dans ses Mémoires de Guerre (Édition anglaise, vol. IV, livre 2, pp. 218-219), Staline avoua que lacollectivisation forcée des campagnes qui frappa surtout l'Ukraine de 1929 à 1933, avait fait quelque dix millions de morts.Resnais. Pourvu seulement qu'on n'ait pas faitde sensationnalisme morbide en se servant desmorts pour réussir un bon tirage ! À ce propos,on est vite rassuré par le sérieux de 1 'article.C'est pour de toutes autres raisons qu'on engarde une impression de gêne.Minimiserl'effroyable bilanLa présentation détaillée des statistiquesdu goulag, tableaux à l'appui, par l'historienNicolas Werth, rendent bien compte du phénomènede masse que fut la répression politiqueen URSS. Mais un sentiment désagréables'insinue en cours de lecture.Le lecteur en retient avant tout que leschiffres avancés jusqu'ici par des auteurs aussirespectés que Soljenitsyne (plus de dix millionsde prisonniers détenus simultanément,vingt millions de morts à l'époque stalinienne)étaient fortement exagérés. Nicolas Werthnous parle bien de centaines de milliers de victimes.Il est clair pourtant que son propos estde minimiser l'effroyable bilan.Michel Tatu (Le Monde du 18 septembre1993) reconnaît la valeur de son article maisrelève déjà une des difficultés à produire deschiffres complets : « Aucune statistique nerend compte des personnes condamnées à ladétention et qui ne sont jamais arrivées à destination». Nicolas Werth reconnaît lui-mêmeque les sources sont encore limitées : « Ungrand nombre de fonds d'archives reste pra tiquementinaccessible » (p. 38) et que « nousdisposons ainsi aujourd'hui d'un corpus statistiquecertes encore incomplet » (ibid.). Dansces conditions, comment peut-on affirmerdétenir les vrais chiffres du goulag ?Certaines archives du goulag ne sont devenuesaccessibles aux savants soviétiques qu'àla fin des années quatre-vingt et aux Occidentauxseulement après août 1991. Elles reposentencore pour la plupart dans les locaux duKGB.Il faut imaginer les difficultés d'exploitationscientifique des archives. Un ou deuxchercheurs menant une enquête en histoiresérielle et quantitative mettent facilement troisans, voire beaucoup plus, pour porter un jugementdéfinitif ou émettre des hypothèses qualitativessur quelques milliers d'affairespénales. Comment peut-on alors régler le problèmehistorique des millions de prisonniersdu goulag en l'espace de deux ans ? Il faudrade longues années et des dizaines de chercheurspour dépouiller des tonnes d'archives.Des équipes de recherche commencent à peineà constituer leurs projets, ce qui n'est passimple sur le plan politique : l'infrastructurepolicière et une partie des cadres sont lesmêmes qu'autrefois. Ils sont incontournablespour l'accès aux documents et ne manifestentaucun enthousiasme lorsqu'il s'agit de constituerun mémorial de l'holocauste de l'èresoviétique.Avant que ce travail de longue haleine nesoit accompli et recoupé avec les témoignagesdes survivants, il faudra donc se garder deconclusions hâtives. Surtout si c'est pour minimiserles chiffres, étant donné la gravité de cequi est étudié.Une évaluationhasardeuseIl ne faut cependant pas oublier les qualitésd'historien de Nicolas Werth, dont la réputationn'est plus à faire. L'honnêteté de sonpropos et le courage de son entreprise révèlentun grand professionnalisme. Les chiffres qu'ilreprésente donnent bien l'impression qu'ungénocide s'est déroulé des années trente audébut des années cinquante. Il ne cherche pasdu tout à camoufler 1 'horreur. Il était nécessairequ'un historien puisse prendre le relaisdes militants politiques afin d'analyser le goulagde manière scientifique. Jusqu'au milieudes années quatre-vingt, nous n'avions lechoix qu'entre ceux qui niaient en bloc l'existencemême du goulag et ceux qui n'avançaientque des estimations. Il incombait auxhistoriens de l'époque post-communiste devérifier de façon critique, à tête reposée et àl'aide de documents enfin rendus consultables,les chiffres d'un Soljenitsyne. C'est le but deNicolas Werth et c'est aussi son mérite.M. Werth rappelle à juste titre commentDallin et Nikolaevski en 1948 puis AbdulramanAvtorkhanov en 1951 sont arrivés à leurestimation d'environ dix millions de détenuspar an dans les camps soviétiques à la fin des


HIFFRES DU GOULAGLES CHIFFRES DEL'HOLOCAUSTERUSSE -1917-1958Les évaluations du terrifiant holocausteque le régime communiste a fait subir aupeuple russe et aux autres nationalités del'ex-URSS reposent sur des étudesdémographiques.En excluant les pertes de toutes sortes dela Seconde Guerre mondiale, la plus modestede ces estimations due au démographesoviétique Maksudov, atteint le chiffreénorme de 27,5 millions de victimes. Pour laseule période de la guerre civile et de lafamine qui l'a suivie, de 1918 à 1926, lespertes sont évaluées à plus de 10 millions demorts. Pour la période de 1926 à 1938 quiinclut la " dékoulakisation " et les grandespurges : 7,5 millions de victimes. Enfin, de1939 à 1958, les exécutions et lesdéportations de populations ordonnées parle régime auraient coûté la vie à environ10 millions d'individus (1).Se fondant sur des taux de natalité et demortalité différents, le démographe Kourganovobtient un chiffre global beaucoup plus important,plus de 66 millions de morts entre 1918 et1953 (sans compter les pertes dues à laSeconde Guerre mondiale). Pour la période deguerre civile, de 1918 à 1922, il conclut à15 millions de vies humaines, dont 1700 000personnes massacrées ou exécutées par lesrouges. Cette étude a été publiée en 1964 dansle Novoïé Rousskoië Slovo à New York et traduitedans Est et Ouest na 594 du 16 mai 19n.Voir aussi Robert Conques!, The HumanCost of Soviet Communism (Washington, 1971 ).{1) Cf. Cahiers du monde russe et soviétique.Vol XVII-3, juillet-septembre 1977 (Mouton éditeur).années 1930. Chiffres popularisés ensuite parRobert Conquest, Roy Medvedev, AndreïSakharov et surtout Alexandre Soljenitsyne.M. Werth évoque les historiens qui avaientdéjà critiqué leurs décomptes sans nier pourautant le caractère massif des répressions(Timasheff, Wheatcroft, Jasny ou A. Bergson).Il cite surtout les premiers historiens soviétiquesqui eurent le courage, sous la Perestroïka,de publier des chiffres fondés sur desrecherches dans les archives. Se basant sur cestravaux, sur les recensements de 1937 et 1939et sur une note du 24 avril 1939, de Beria,Nicolas Werth ramène le chiffre des prisonniersà 2 ou 2,5 millions de prisonniers au plussous Staline. Il semble douter sérieusement desvingt millions de morts avancés par le classiqueArchipel du Goulag de Soljenitsyne et ilrejette catégoriquement l'idée que sept millionsd'arrestations aient pu être effectuées pour desmotifs politiques, en 1937-1938.Rien ne nous permet encore de nier cettenouvelle estimation. Rien ne nous permet nonplus de nier actuellement les estimations beaucoupplus élevées. Il est encore bien trop tôtpour faire le compte des prisonniers et desmorts : « Il faut ajouter plusieurs centaines demilliers d'exécutions pour obtenir un bilanencore très approximatif des victimes de la"Grande Terreur" de 1937-1938 », nous prévientM. Werth en précisant « qu'aucune donnéestatistique précise n'est actuellement disponibleen ce qui concerne la mortalité » et quele nombre des exécutés reste «jusqu'à présentinvérifiable » (p. 50, c'est nous qui soulignons).Les chiffres posent encore bien d'autres problèmesd'interprétation ! Par exemple le tableau2 de l'article (p. 41) fait apparaître une chutespectaculaire du nombre de prisonniers entre1942 et 1944. On passe de 1 415 996 prisonniersà 663 594 alors que le nombre de décès etd'arrivages de détenus a diminué presque dansles mêmes proportions. On pourrait se réjouirque le régime pénitentiaire se fût assoupli si onne tenait compte de la raison de certains départs.Sait-on par exemple qu'un grand nombred'internés du goulag n'a quitté le camp que pourcombattre dans des bataillons disciplinaires dontle taux de pertes était extrême ?Les statistiques du goulagne rendent pas comptede l'ampleur du génocideLes statistiques du goulag ne peuventrendre compte de toute la dimension du génocide.Il manquera toujours des éléments essentiels.Peut-on dès aujourd'hui chiffrer lesmorts qui ne sont même pas parvenusjusqu 'aux camps, les suicides suspectsd'opposants politiques, les disparitions, lesvictimes de bavures policières ou des torturesen prison, les exécutions sommaires, les victimesde déplacements de nations entières,celles de famines fomentées en Ukraine etailleurs dans les années trente, les morts dansles opérations de « nettoyage » de villages deprétendus « koulaks » (paysans « riches ») oules cobayes humains d'expériences nucléairespratiquées à leur insu sur de vastes territoires ?Il est donc surprenant de lire sous la plumede Nicolas Werth cette affirmation si catégoriquedu génocide : « Le chiffre de sept millionsde personnes arrêtées, pour des motifspolitiques, en 1937-1938, est indéfendable »(p. 41 ). Non moins surprenante est cette façonque Nicolas Werth a de prendre sur soi detourner la page de l'histoire russe : « Aujourd'hui,les peuples de l'ex-URSS ontretrouvé la mesure de la liberté. Celle-ci nepeut être solidement assise que sur la vérité,non sur le repentir [.. .] le temps est venud'étudier historiquement le goulag. » Pourfaire une telle proclamation, tout en donnantune leçon au passage à Soljenitsyne et à ungrand nombre de partisans d'un « renouveaude la Russie par le repentir >> , il faut avoir unesolide confiance en sa capacité de prendre durecul par rapport aux événements. Or, le goulagest encore d'actualité.Aujourd 'hui encore des enfants de douzeou treize ans croupissent par milliers dans desbagnes dignes de la Guyane des années vingt.On nous dira que ce ne sont là que des délinquantset qu'il n'y a plus de prisonniers politiquesen Russie en 1994. Peut-être. Maispeut-on franchement affirmer que les peuplesde l'ex-URSS ont entièrement retrouvé « lamesure de la liberté » alors que ni les conditionsde détention, ni l'infrastructure pénitentiaire,ni le KGB, ni une grande partie de sescadres n'ont disparu?Le dossier du goulag est loin d'être classé.Les répressions furent loin d'être seulement« staliniennes ». Elles ont commencé dèsLénine et se sont poursuivies jusque dans lesannées 1980. Les structures du système répressifont en partie survécu au communisme etrendent l'accès aux archives extrêmementsélectif. Peut-on dans ces conditions parler dunécessaire recul de 1 'historien et de « vraischiffres >> du Goulag ? Cela peut sembler bienimprudent. Surtout si c'est pour effectuer une« révision à la baisse ». Nous devons à lamémoire des victimes un peu plus de rigueurdans le traitement de nos sources.OLEG KOBTZEFFOleg Kobtzeff, docteur en histoire (universitéde Paris 1), fut le directeur et co-fondateur dumusée Veniaminov à Kodiak en Alaska, puisconservateur en chef de la bibliothèque Gogol deRome dont il assura l'entière rénovation. Ilenseigne aujourd'hui l'histoire est-européenne etrusse à l'université américaine de Paris et àl'Institut Saint-Tikhon (auprès du patriarchatorthodoxe de Moscou et de l'université de Moscou)où ses collègues et supérieurs hiérarchiquesont entamé une étude préliminaire à un projet dedépouillement d'archives devant restaurer lamémoire d'un grand nombre de personnes éminenteset de familles ayant disparu à jamais dansles camps et prisons soviétiques .


LE MENSONGE DES INTELLECTUELSLa Russie destartuffes et des sotsEn 1935, Boris Souvarine proposele manuscrit accusateur deson Staline aux Éditions Gallimardqui le retournent avec cecommentaire d'André Malraux :« Je pense que vous avez raison,vous, Souvarine et vos amis, maisje serai avec vous quand vousserez les plus forts. » Au moinsMalraux avait-il le courage deson cynisme.PAR GILBERT COMTEDans notre récente histoire, le termed'« années folles » désigne ces curieuxlendemains du 1! novembre 1918 oùde jeunes snobs, soudain affranchis du cauchemarde rejoindre le front, transforment la Francevictorieuse en un joyeux cortège d'allègresfêtards. Aux confins orientaux de 1 'Europe,une folie beaucoup plus sérieuse, autrementmeurtrière, dévaste l'ancien Empire des tsarscomme un vent de mort. Il en faudrait biendavantage pour émouvoir les joyeux drilles dutourbillon parisien et, derrière eux, toute unepartie des nouveaux intellectuels à la mode.Très rapidement, des témoignages défini-Jean-Paul Sartre (1968) :


NSONGE DES INIEu.EC'RJELSsans examen ni délai, 700 détenus aux pelotonsd'exécution. Staline n'assuma aucune responsabilitédans cette décision épouvantable.Entre 1918 et 1920, des nouvelles analoguesarrivent régulièrement aux journauxparisiens. Le collaborateur du Temps à Moscou,Ludovic Naudeau, séjourne plusieursmois dans les cachots où les commissaires dupeuple enferment et vouent à la mort des milliersd'innocents. Il en sort par miracle et livreà son tour, chez Hachette, ses observationssous un titre sans équivoque : En prison sousla terreur russe. Entre le témoignage de Sergede Chessin et le sien, même identité dansl'horreur.


1LE MENSONGE DES INIELLEC'IUEpart français . On offre au public Faust, LesDeux Orphelines, Fantômas, etc. » À la mêmeépoque, d'autres voyageurs décrivent unpeuple enseveli sous une propagande rudimentaire.Celui-là n'en souffle pas un mot. Enpleine rue, il aperçoit soudain des prisonnierssous escorte ; « on m'affirme que ce sont simplementdes bandits », ajoute-t-il. Après plusieursprojections de Fantômas, pourquoi nepas l'imaginer ?Pèlerins d'une nouvelle« Terre Promise »Rassemblées sous le titre commun La Russienouvelle, ces notes se proposent d'offrir untableau général du pays, où le lecteur ne tomberapas dans « une apologie », ni dans « unréquisitoire ». L'auteur n'en détaille pas moinsamoureusement toutes ses raisons d'espérer.« Au régime de rigueur du blocus et de laguerre civile succède un régime plus souple,plus humain, plus vivant... La Russie commenceà respira >> Dans une ancienne résidenceimpériale, il remarque un portraitd'Alexandre III. La Révolution n'a donc,selon lui,« rien détruit du passé ». Rien !Dans Notre Avant-Guerre, Robert Brasillachraconte comment le concours d'entrée àNormale supérieure s'accompagnait d'unétrange « exercice oratoire >>, qu'il qualified'ailleurs de «fort dangereux >. Les candidatss'y entraînaient à «parler avec aplomb » surtoutes sortes de sujets, même s'ils n'enconnaissaient pas grand-chose, sinon rien dutout. Normalien lui-même, le volumineuxmaire de Lyon sait comment s'y prendre pourpresser les mots, afin qu'ils rendent l'impressionvoulue. Le thème d'un communismeapaisé, raisonnable, soutient son livre d'unbout à l'autre. Il ne peut pour autant se bomerà séduire une gauche déjà presque acquise àses thèses. Il lui faut enjoler aussi cette bonnevieille droite conservatrice, demeurée sentimentalementfidèle aux souvenirs des Romanov.Or, quatre ans plus tôt, les bolcheviquesont proprement exterminé le Tsar et sa famille.Exploit peu propre à les rendre sympathiquesaux abonnés du Figaro (1).Sans trop d'embarras, notre parlementairede grande culture élabore assez vite la manière.Malgré son anticléricalisme vigoureux, sonrépublicanisme sans inquiétudes, il s'émerveillede ce qu 'au-dessus des bulbes du Kremlin,les communistes laissent « subsister lescroix comme les aigles >> de J'Empire. La visitedes appartements où Nicolas II vivait naguèreL'affectueux maréchal Staline au temps de sa toute-puissance, tel que se le représentait une bonnepartie de l'intelligentsia occidentale.avec sa femme, ses enfants, l'émeut davantageencore. « Dès le seuil, on se rend compte queNicolas II aimait notre pays >>, murmure-t-il, aubord des larmes. Des coups de baïonnetteslacèrent encore un portrait de l'Impératrice.Après ce déplorable incident, les profanateursont, selon lui, « laissé ou du moins remis touten place : .les porte-plumes, les crayons, unbloc-notes ... Une boÎte à musique fonctionnetoujours ,- nous la mettons en mouvement :d'une voix grêle et comme lointaine, elle chanteLa Marseillaise ... Il semble vraiment quel'Impératrice va revenir et qu'elle irareprendre sa place favorite dans l'angle dusalon ... Non, cet appartement impérial n'estpas luxueux. >> Pour un peu, les soldats rougesen sentinelles aux portes sangloteraient presquesur son épaule, devant ces souvenirs princiers,comme n'importe quel garde blanc du généralDenikine!Certes, Herriot n'oublie pas plus qu'unautre le massacre d'Ekaterinbourg. « Quoi deplus inutilement atroce que l'exécution sansjugement de la famille impériale ? >> demande+il, dans une formule quand même assez malheureuse.En effet, personne n'imagine commentle verdict après« jugement » d'un tribunalde circonstance aurait rendu plus acceptable1 'assassinat du tsarévitch et de ses sœurs.Au fond, Je bilan qu 'il propose lui-mêmeapparaît à notre politicien « prématuré >>. IlL' ANTI-SARTRESi la révolution communiste n'est pas lamort, la terreur et l'esclavage pour desmillions d'hommes, alors nous avons mentiou nous nous sommes trompés, et nouspouvons faire pénitence. Mais si larévolution communiste est bien, pour desmillions d'hommes, la mort, la terreur etl'esclavage, alors il faut crier, il ne faut pass'arrêter de crier, et peu importe celui quicrie, et peu importe si celui qui crie a ounon, lui même quelque chose à cacher. S'il ya effectivement quelque part les cadavres deKatyn, les cadavres des révoltes paysannes,les cadavres des compagnons de Lénineexécutés, les cadavres de tous ceux qui sesont opposés à la marche de la révolutioncommuniste, les cadavres qui marchent etrespirent encore du Goulag,- s'il y aquelque part des cadavres, nous nepouvons pas admettre qu'on vienne nousdire «Ce n'est pas la question». Car si cen'est pas là la question, je le demande,qu'est-ce qui sera la question ?THIERRY MAULNIER"La Face de méduse du communisme "•articles parus de 1948 à 1951.Gallimard, 1951, p.44.


NSONGE DES INIEil.EClUELS«UN PASSÉ IMPARFAIT. LES INTELLECTUELSEN FRANCE 1944-1956 »PAR TONY JUDTOn avait oublié ce que fut l'imposture, leridicule et l'abjection des plus célèbresintellectuels français des années 1950,dégoulinant de servilité devant l'URSS alorstoute puissante. C'est un voyage cruel au boutde cette nuit-là qu'a effectué Tony Judt,universitaire britannique exactement informédes petits et grands travers de l'intelligentsiafrançaise. On ne peut relire aujourd'hui sanseffarement ni dégoût les écrits où Sartre,Aragon, Merleau-Ponty et beaucoup d'autresmaîtres à penser, se prévalant d'une Résistancequ'ils avaient peu faite, ont façonné l'espritpublic tel qu'il survit encore, malgré le piteuxeffondrement de l'idole communiste.Il est dommage que Tony Judt ne parlepratiquement pas des seuls écrivains qui, à côtéd'estimables libéraux comme François Mauriac,Jean Paulhan ou Raymond Aron, furent, en cetteépoque de bassesse, l'honneur des lettresfrançaises. Thierry Maulnier, Jacques Laurent,Roger Nimier, Jules Monnerot, Paul Sérant, JeanAnouilh, Louis Pauwels, Jacques Perret ne sontparfois pas même cités.Cette réserve faite, Tony Judt, qui maniel'ironie mordante, offre sans nul doute l'analysela plus complète et la plus impitoyable duterrorisme intellectuel au temps du stalinismetriomphant. Faut-il suivre l'auteur dans satentative d'explication ? À ses yeux, l'absencede tradition libérale et d'impératif moral chezles intellectuels français fournirait la clef del'ajourne donc jusqu'à des temps meilleurs. Àcourt terme, 1 'essentiel consiste pour lui à cequ '« entre les bolcheviques et nous » se dégage« une reprise d'activité franco-russe ».En précurseur, le maire de Lyon suggèrede la sorte aux capitalistes français d'investiren Russie, au risque d'aider un gouvernementen opposition doctrinale absolue avec le capitalisme.L'exquise formule ! Elle fournirad'ailleurs de précieux concours à d'innombrablessatellites de l'URSS et fonctionnera,soixante ans d'affilée, jusqu'à la mort de LéonidBrejnev.En ces mois de 1922 où La Russie nouvellesort en librairie, le Bureau central du Partisocialiste russe réfugié en France édite, sous letitre Tchéka, des révélations précises, accablantes,sur les crimes perpétrés par Lénine etles siens, sur les vastes territoires qu 'ilscontrôlent. Pour ne prendre qu 'un exemplepanni des centaines d'autres, ils massacrentnon plus les seuls aristocrates, les bourgeois,mais des milliers de prolétaires dans la régiond'Astrakhan. Pendant quelques mois, desl'énigme. Il serait facile d'objecter que, la modeaméricaine succédant à la mode soviétiquedans les années 1980-1990, on a vu triompherchez les anciens staliniens reconvertis dansl'antiracisme, à la fois l'idéologie libérale etl'invocation de la morale. On ne voit pas quecela ait modéré chez eux le goût sadique de lachasse aux sorcières. Il faut donc chercherailleurs, et pourquoi pas dans l'histoire ? LaFrance ne s'est jamais vraiment remis de laguerre civile endémique qui sévit depuis 1789et connut un retour paroxystique en 1943-1944.Une réalité que n'a d'ailleurs pas négligéel'universitaire anglais. Les pages qu'il consacreau sort de Robert Brasillach sont exemplaires.Aux causes historiques, ne faut-il pas ajouterun travers intellectuel qui a sans doute aussi sasource dans l'histoire, l'esprit de systèmetypiquement français qui peut transformer touteidée- fut-elle morale et libérale- en machineabsurde, voire meurtrière ? Tony Judt, en a eul'intuition dans ce livre important qui invite àbien des réflexions.DOMINIQUE VENNERUn passé imparfait. Les intellectuels enFrance 1944-1956, par Tony Judt. Fayard, 404pages, 160 F.Rappel sur le même sujet : Pierre Rigoulot,Les Paupiéres lourdes, Éditions Universitaires,Paris 1991. Voir aussi Paul Johnson, Le GrandMensonge des intellectuels, vices privés etvertus publiques, Robert Laffont, Paris 1993.révélations semblables discréditent les Soviets.Guère plus longtemps ! Après tout, de droitecomme de gauche, les émigrés accourus deMoscou ne sont pas « cubistes ».À son insu peut-être, Édouard Herriotinaugure le genre littéraire nouveau du voyageen Russie rouge. Après lui, jusqu'aux alentoursde 1985, cette spécialité inspirera desauteurs innombrables avec Henri Barbusse,Romain Rolland, André Malraux, Aragon etElsa Triolet, Alfred Fabre-Luce, GeorgesCogniot, Georges Soria, le couple Jean-PaulSartre-Simone de Beauvoir, etc.D'une manière générale, les pèlerinscurieux de connaître la nouvelle Terre Promiseappartiennent au parti communiste entièrementacquis à la cause révolutionnaire, ou figurentparmi les compagnons de route disposés à luireconnaître toutes les vertus possibles àquelques réserves près, d'ailleurs toujours insignifiantes.Pour les uns comme pour lesautres, 1927 ouvre un âge magique. L'apparemmentvigoureuse URSS atteint ennovembre son dixième anniversaire. Désor-mais reconnue par les grandes puissances, elleinvite à Moscou des étrangers illustres. Lessolennités commencent néanmoins dansl'équivoque. Une crise intérieure grave diviseentre eux les héritiers de Lénine. Staline affermitson pouvoir, avec le concours des bureaucratesnantis, contre les trotskistes fidèles auxirréalisables idéaux de 1917.Malgré le vocabulaire marxiste toujours enusage, les amis du dehors n'entendent généralementpas se compromettre avec des doctrinairesmenacés de perdre leurs places. JacquesSadoul susurre ainsi, à l'oreille de l'irréductibleVictor Serge, l'œil sur les reins de jeuneset jolies déléguées hindoues : « Regardez cesformes, cette grâce. » Le système ne retientdéjà plus des jouisseurs de cette sorte qu'enfonction des avantages personnels qu'il leurgarantit. Parmi ces roués, le cas particulierd'Henri Barbusse mérite l'attention.Henri Barbusse,l'hypocrisie mêmeÉcrivain de médiocre renom jusqu'en1914, il s'engage au 35' régiment territorialdès les premiers jours du conflit. En 1916, ilpublie Le Feu, ouvrage misérabiliste sur la viedes soldats au front, obtient le Prix Goncourtet une large notoriété. Dans sa critiqued'ensemble, sur la littérature des tranchées,qu'il publiera en 1929 sous le titre Témoins, leconsciencieux mais implacable Norton Cruporte sur l'œuvre de Barbusse un jugementtrès sévère. Pour lui, cet auteur peu recommandable« se trompe sciemment » sur ce qu 'ilrapporte. Son « imagination chimérique ... adéformé >> bien des choses. Frère en esprit deNorton Cru, par une intransigeance commune,Victor Serge rapporte dans ses Mémoiresqu 'en 1927, Barbusse loge au très confortablehôtel Métropole, à Moscou. La dictature lepourvoie également d'« une fort jolie secrétaire-poupée>>. Du balcon, il admire les réalisationsdu régime, sans trop se soucier desavoir si, à deux ou trois cents mètres de latable où il déjeune en boyard, les ouvriersmangent à leur faim. « J'étais devant l' hypocrisiemême >>, affirme encore Victor Serge àson sujet.Peu après, Barbusse rentre en France avecdes fonds importants fournis par le SecoursRouge international. Ils servent à lancer unepublication favorable à Staline. Bon connaisseurdes faiblesses humaines, cetui-ci avaitflairé qu 'il s'attacherait bien des « intellectuels »occidentaux s'il flattait leurs dispositions vani-1


1LE MENSONGE DES INIEUEC'RJEteuses. Pour les moins scrupuleux, il suffiraitd'y ajouter de l'argent et des filles.En remerciement des fave urs qu 'il obtient,Barbusse déploie un zèle infatigable. En 1935,il signe chez le très bourgeois éditeur Flammarionun Staline d'une flagornerie sans mesure.Toutes les fables somptueuses, tous les mensongesgrandioses consacrés aux plans quinquennaux,à Manitogorsk et ses merveilles, auDombass, aux statistiques industrielles ahurissantes,aux kolkhozes et sovkhozes, aux progrèsincomparables des lettres, des arts et dessciences disposent en sa personne d'un chantreébloui. Grâce à ce qu'il désigne comme « uneprogression unique dans les annales du genrehumain », l'URSS devient sous sa plume « leplus civilisé » des États modernes.Staline diviniséComposé comme un Hymne à la Joie entrois cent vingt pages, le livre ne comporte pasla moindre réserve, aucune espèce de restrictionmentale. Bon militant discipliné dudehors, 1 'auteur se croit même tenu d'accablerd'outrages Léon Trostki alors en exil, avec lacolère d'un jeune komsomol. L'ouvrage se termineen apothéose, avec un portrait de Stalineproche de l'exaltation. Nous apprenons ainsiqu'il s'agit d'un « homme lumineux ... Quandon le rencontre, il est cordial et familier. »Suprême délice, il « rit comme un enfant » ;bien entendu, il « aime les enfants ». Puis1 'hagiographie se clôt par un prêche : « Quique vous soyez, la meilleure partie de votredestinée, elle est dans les mains de cet ...homme, qui veille aussi sur tous, et qui travaille-,homme à la tête de savant, à la figured'ouvrier, et à l'habit de simple soldat. »Pour l'honneur de l'intelligence française,les sympathisants du communisme envolésvers Moscou, pleins d'espoir, n'y abandonnèrentpas tous leur conscience. Admis au comitécentral du Parti communiste français, collaborateurde L'Humanité, un Paul Marionramène de son séjour une analyse impitoyable.En 1936, André Gide part à son tour versle pays des Soviets. Anxieux, souvent ballottéentre les extrêmes, naguère proche de 1 'Actionfrançaise, il ramena en 1927 du Congo unVoyage accueilli avec joie par toute la gauchehostile à 1 'administration coloniale.Dès ce moment, il réunit avec Barbusseles conditions suffisantes pour devenir uncompagnon de route en vue, avec évidemmentles avantages matériels et moraux du genre.De Paris à Moscou, les acclamations desAlbert Camus dans Combat du 7 octobre1944 : « L'anticommunisme est le commencementde la dictature. » L'écrivain, qui avaitadhéré au parti communiste en 1935 pour endémissionner l'année suivante, restera un« compagnonde route » jusqu'en 1948.foules militarisées saluent ce grand solitaire. Ila trop le goût de la vérité, celui de son indépendanceaussi, pour s'en satisfaire. Souvent,il reconnaît l'imposture, identifie le mensonge.Il rapporte un Retour d'URSS iconoclaste,accablant pour ses hôtes. Sa franchise l'exposeimmédiatement aux insultes de rigueur. Dumoins y gagne-t-ille respect de la postérité.L'URSS au-dessus de toutEn septembre 1939, la guerre interrompt lessympathiques escapades vers 1 'Est, sauf pour detrès grands privilégiés comme le secrétairegénéral du PCF, Maurice Thorez. Elles reprennentau compte-goutte dès la fin des hostilités.Malgré les ravages de l'invasion allemande, lesbesoins d'une propagande active demeurent.Des récits enthousiastes sur le redressementrusse paraissent ou s'élaborent assez tôt. Parmieux, Georges Soria étonne par sa fringante audace.« Juif d'origine espagnole » selon la noticenécrologique publiée dans Le Monde en octobre1991, il adhéra très jeune au parti communiste.« Lié au Kominform », il séjourna en URSSassez longtemps. Dans son livre Que préparentles Russes ? il évalue son séjour à cinq ans.Expérience personnelle suffisante pour bienconnaître son su jet. Il assure dès la préface deson récit : « Chacun des faits rapportés ici a étévérifié minutieusement. » Voyons donc !Par la force des choses, l'Union soviétiquetrès cruellement éprouvée par la guerre souffrePOINT DE VUED'UN RUSSENON ORTHODOXESi les intellectuels de gauche bienpensantsont rompu avec l'URSS et lemarxisme, ce n'est nullement par l'effetd'une noble indignation lorsqu'ils auraientsoudain découvert, derrière la tribune dumarxisme soviétique, de la boue et desossements (attributs normaux de l'histoire).C'est parce qu'ils ont, enfin, compris unevérité incontestable de portée locale : lemarxisme ne l'emporterait pas dansl'Hospice occidental ! (L'occasion avait étémanquée.)Ayant adhéré au mouvement communisteaprès la guerre, l'intellectuel moyen l'aabandonné assez rapidement pour desmouvements plus à la mode : maoïsme,trotskisme, libéralisme ... Les dissidentssoviétiques vinrent à la rescousse,beaucoup d'entre eux étant des fils deboyards bolcheviques, cibles privilégiées deStaline. Ainsi Elena Sonner, épouseSakharov, fille d'un secrétaire du PCd'Arménie disparu dans une purge.On est étonné de voir les intellectuels,occidentaux ou soviétiques, trouver une joiemauvaise dans l'échec de la GrandeExpérience Russe. Or, la Russie availlamment servi de cobaye au Grand Rêvede l'Humanité sur une Société Communistede Justice. Il serait plus noble de lui entémoigner une reconnaissance affligée.Edward LimonovLe Grand Hospice occidental,Les Belles Lettres, Paris 1993.encore de pénuries effroyables, et même desous-alimentation. Sur le ton du dithyrambe,ou de la suffisance goguenarde, ce nouveautémoin sur mesure n'en aligne pas moins desrecords extraordinaires : « La production de lafonte augmente de 29 % par rapport à 1940,celle de l'acier de 49 % et de laminés 59 % ...L'industrie alimentaire accuse une augmentationgénérale par rapport à 1940 : beurre57 %, huile et graisse JO %, viande 7 %, charcuterie20 %, conserves 48 % ... La productivitédu travail augmente de 27 %. »Dans n'importe quelle économie, il encoûte déjà beaucoup d'efforts pour gagnerquatre à six points de plus en résultats du travail,avec des équipements intacts. Les performancesaffirmées par Georges Soria, au lendemainde l' invasion allemande, défient le sens


NSONGE DES INIEu.EClUELS~LEPROCÈS ~KRAVTCHENKOEn 1947, paraît en France la traduction dulivre d'un inconnu, V.H. Kravtchenko : J'aichoisi la liberté. L'auteur, envoyé aux États­Unis, en 1943, comme membre de lacommission soviétique d'achats à crédit,avait refusé de retourner à Moscou.Son ouvrage, traduit en vingt-deuxlangues, révélait l'existence des camps deconcentration sous Staline, le génocide despaysans ukrainiens de 1929 à 1933, lesinfernales conditions de vie dans son pays.Les Lettres françaises, journalcommuniste dont le rédacteur en chef étaitClaude Morgan et l'un des chroniqueursattitrés, André Wurmser, lancent contrel'auteur et son livre une violente campagnediffamatoire : Kravtchenko n'est pas l'auteurde l'ouvrage et ce qui y est raconté n'est quemensonges.Kravtchenko porte plainte contre les deuxjournalistes. Le procès correctionnel duredu 24 janvier au 28 mars 1949.Les témoins pour Kravtchenko, unevingtaine de personnes« déplacées ••,vivant dans les zones française, anglaise etaméricaine d'Allemagne, ont été choisisparmi plus de cinq mille volontaires.La mauvaise foi des journalistescommunistes et de leurs avocats crèvera lesyeux, égale à celle de leurs témoins : legénéral Roudenko en uniforme (frère dugénéral qui représentait l'URSS au procèsde Nuremberg), les historiens Jean Baby etJean Bruhat, mais aussi Albert Bayet,Emmanuel d'Astier de laVigerie, Vercors,Louis Martin-Chauffier, Frédéric Joliot-Curie,Jean Cassou, Pierre Cot. Sous serment, tousmentent consciemment. Il déclarent qu'ilsn'ont rien vu en Union soviétique de ce querapporte Kravtchenko, ni le chômage, ni lesfamines, ni les disparitions inexplicables, niles camps. Simone de Beauvoir le traite decrapule et d'escroc.M' Nordmann, l'avocat du PC, s'écrie à labarre: «En URSS? il n'y a pas de prison outrès peu de prisons ... La rééducation d'uncoupable se fait par l'émulation. " Unserrurier ukrainien, cité comme témoin, luirépond : " Dans la Russie de Staline, il y ades centaines de Buchenwald. »Le jugement, favorable à Kravtchenko, futconfirmé l'année suivante, en cour d'appel.L'Affaire Kravtchenko, par Nina Berberova,Actes Sud, 1992,290 pages, 155 F.Traité de« crapule>> et


LE MENSONGE DES INTEu.EC'IUESous Khrouchtchev, de telles horreurs ne sereproduisent plus. Mais le délit d'opinionmène encore au goulag ou à l'internementpsychiatrique. Le reste de la population vitmédiocrement. Grands bourgeois éclairés, nosvoyageurs s'en accommodent sans trop depeine. Il leur suffit d'analyser Karl Marx pouren même temps, à leur échelle, s'entreteniravec le Peuple. Accueillis en hauts seigneursde l'Intelligence, ils se soucient d'abord deleurs semblables : écrivains, cinéastes, critiques,poètes, gens de théâtre, architectes.Non sans résultats parfois très honorables. Parexemple, ils publient Soljenitsyne dans LesTemps Modernes et contribuent peut-être ainsià le sauver. Barbusse aurait réclamé le bagne.Si elle n'ignore pas 1 'arbitraire policier,notre grave commère en parle du bout deslèvres, dans un chuchotement, sans jamais lecondamner dans les termes impitoyablesqu'elle utilise contre la France en Algérie. Àcette époque, cependant, le Mur de Berlinexiste. Le silence règne à Prague. Lessouvenirs de la répression épouvantent Budapest.En même temps, Sartre et sa compagnene ménagent-ils pas leurs hôtes parce qu'illeur faut, quand même, éponger les fameux etsi importants droits d'auteur ? Hypothèse évidemmentsacrilège, calomnieuse pour lesdévots du couple. Un examen soutenu desécrits de la Régente révèle néanmoins une personneconstamment prête à partir en voyage,toujours très attentive à noter ses arrêts dansles restaurants, les bars.En 1968, l'entrée des troupes du Pacte deVarsovie en Tchécoslovaquie rompt soudainles rapports affectueux entre la gauche intellectuelleet sa chère Union soviétique. Sartre etBeauvoir ne retourneront plus à Moscou. Leshécatombes staliniennes n'en n'avaient pasobtenu autant. Qu'il ait fallu cinquante anspour en arriver là situe à sa juste place laconscience morale de nos chers humanistes.Devant la postérité, leurs compromissionsavec 1 'une des tyrannies les plus féroces del'histoire leur inflige peu de honte. Des ruesHenri-Barbusse existent toujours dans ungrand nombre de grandes villes françaises .Même à Paris, aucun conseil municipal de« droite » n'envisage de débaptiser la sienne,au profit de quelque disparu moins compromettant.Toujours à Paris, un Sartre statufié sedresse dans 1' une des cours intérieures de laBibliothèque Nationale. Raymond Aron nerecevra pas de longtemps un pareil honneur.GILBERT COMTEGilbert Comte, ancien chroniqueur du journalLe Monde, a publié La Révolution russe parses témoins, La Table Ronde, 1963.( 1) Sur le massacre de la famille impériale àEkaterinbourg, le 16 juillet 1918, voir 1 'article deDominique Yenner dans Enquête sur l'histoire n° 7(été 1993), consacré aux grands crimes politiques.L'HOMME QUI NE S'EST PAS LAISSÉ BERNERLe Voyage au bout de la nuit (1933) avait étécélébré par toute la gauche (et à droite par LéonDaudet). Il fut traduit et publié en URSS. En 1936,comme beaucoup d'autres écrivains, Célineeffectua un voyage en Russie soviétique oùl'attendaient des droits d'auteur confortables. Ily resta deux mois. À son retour il avait compris,mais contrairement à d'autres, il eut le cran del'écrire. Cela donna Mea Cu/pa, publié en 1937.Chez nous il pourrait se divertir, Prolovitch ! Ya encore des petits loisirs, des drôles defredaines clandestines, du plaisir enfin ! Mêmel'exploité 600 pour 100, il a gardé sesdistractions !. ..Là-bas, l'Homme se tape du concombre. Il estbattu sur toute la ligne, il regarde passer ~" Commissaire » dans sa Packard pas trèsneuve ... Il travaille comme au régiment, unrégiment pour la vie ... La rue même faut pas qu'ilabuse ! On connaît ça, ses petites manières !Comment qu'on le vide à la crosse !. .. C'estl'avenir seulement qu'est à lui ! Comme iciexactement !. .. " Demain on rasera gratis •• ...Pourquoi le bel ingénieur il gagne des 7 000roubles par mois ? Je parle de là-bas en Russie,la femme de ménage que 50 ? Magie ! Magie !Qu'on est tous des fumiers ! là-bas comme ici !Pourquoi la paire de tatanes elle coûte déjà 900francs ? et un ressemelage bien précaire ü'ai vu)dans les 80 ? ... Et les hôpitaux? ... Celui, le beau....'Louis-Ferdinand Célinedu Kremlin à part et les salles pour" l'lntourisme ». Les autres sont franchementsordides ! Ils ne vivent guère qu'au 1/1 0' dubudget normal, sauf Police, Propagande,Armée ...Tout ça c'est encore l'injustice rambinée sousun nouveau blase, bien plus terrible quel'ancienne, encore bien plus anonyme, calfatée,perfectionnée, intraitable, bardée d'une myriadede poulets extrêmement experts en sévices. Oh !pour nous fournir des raisons de la déconfiturecanaille, de la carambouille gigantesque, ladialectique fait pas défaut !.. . Les Russesbaratinent comme personne ! Seulement qu'unaveu pas possible, une pilule qu'est pas avalable:que l'Homme est la pire des engeances ! ... qu'ilfabrique lui-même sa torture dans n'importequelles conditions, comme la vérole son tabès ...C'est ça la vraie mécanique, la profondeur dusystème !... Il faudrait buter les flatteurs, c'est çale grand opium du peuple ...Mais les Soviets ils donnent dans le vice,dans les artifices saladiers. Ils connaissent tropbien les goupilles. Ils se perdent dans lapropagande. Ils essayent de farcir l'étron, de lefaire passer au caramel. C'est ça l'infection dusystème. Ah ! il est remplacé le patron ! Sesviolences, ses fadaises, ses ruses, toutes sesgarceries publicitaires ! On sait la farder lacamelote ! Ça n'a pas traîné bezef ! Ils sontremontés sur l'estrade les nouveauxsouteneurs ! ... Voyez les nouveaux apôtres ...Gras de bide et bien chantants !. .. GrandeRévolte ! Grosse Bataille ! Petit butin ! Avarescontre Envieux ! Toute la bagarre c'était donc ça! En coulisse on a changé de frime ... Néotopazes,néo-Kremlin, néo-garces, néo-lénines,néo-jésus ! Ils étaient sincères au début... Àprésent, ils ont tous compris ! (Ceux quicomprennent pas on fusille). Ils sont pas fautifsmais soumis !. ..LOUIS-FERDINAND CÉLINEMea Cu/pa, Denoël et Steele, Paris, 1937.


CHRONIQUE DUNE IMPLOSIONLa fin du piredes mondesPAR VLADIMIR GESTKOFFEn 1985, quand Gorbatchev est appelé au pouvoir suprême, l'URSS tient tête aux États-Unis.C'est encore une puissance redoutable et redoutée. Six ans plus tard, il n'en reste que des décombres.L'implosion était-elle inévitable ?Et tout d'un coup, sous les yeux médusésde la planète entière, le plus grandempire des temps modernes disparutdans un méchant bruit de chasse d'eau ... Rappelez-vous,c'était hier, à la Noël de 1991. UnGorbatchev livide était apparu sur les écransde télévision pour annoncer urbi et orbi quel'Union soviétique avait cessé d'exister. Lamission historique du prédateur du communismemondial, de ce grand démolisseur devantl'Éternel, venait de s'achever à son corpsdéfendant et dans des conditions qu'il n'imaginaitcertes pas six ans et neuf mois plus tôt,en ce jour fatidique où son heure avaitsonné ...Ce 10 mars 1985, à la nuit tombée, noussommes une vingtaine de Français, diplomateset correspondants de presse, à grelotter enplein air à l'aéroport de Chérémétiévo pouraccueillir le ministre des Relations extérieures,Roland Dumas. L'avion a du retard et, chosecurieuse, nous ne sommes rejoints par aucunofficiel soviétique de rang tant soit peu élevé.Au bout d'un certain temps, nous apercevonsmalgré tout la Caravelle du Glam qui se poseen bout de piste. Et au même moment, nousvoyons débouler plusieurs Zil noires : leministre soviétique des Affaires étrangères,l'inamovible Andreï Gromyko arrive in extremispour recevoir son homologue français.Lorsque Dumas et Gromyko, avant deÀ partir de 1989, partout en Europe de l'Est,les symboles du communisme sont abattus. lei,enlèvement d'une statue de Lénine à Nowa Huta,Pologne, en 1991 .s'engouffrer dans une limousine et filer vers leKremlin, serrent les mains de l'assistance, unpetit détail me stupéfie : le chef de la diplomatiesoviétique, personnage morose s'il en est,arbore un large sourire. C'est à peine si ce tristesire, au sens propre comme au figuré, ne ritpas aux éclats. Le fin mot de l'histoire, nousne le connaîtrons que quelques jours plus tard.Le dernier de la lignée des gérontocrates,Constantin Tchernenko, était mort quelquetemps plut tôt. Comme d'habitude, on avaitdifféré l'annonce du décès. En revanche, lePolitburo s'était réuni d'urgence pour lui donnerun successeur. La réunion, passablementtendue, avait duré plus longtemps que prévu.Ne pouvant arriver à l'heure pour accueillirDumas, Gromyko avait donné l'ordre de fairetourner l'avion du Glam au-dessus de Moscou.Quant à son sourire hilare, il était dû au faitque ses amis et lui avaient fini par imposer auPolitburo la nomination de leur poulain,Mikhaïl Gorbatchev, au poste de secrétairegénéral du Comité central.Bien entendu, la petite ruche que constituaitalors la communauté occidentale de Moscouse trouva plongée dans l'effervescence laplus totale. Certes, chacun possédait « sa »fiche sur Gorbatchev. On connaissait son parcourssans faute d'apparatchik, on ~avait qu ' ilbénéficiait du soutien de la frange la moinsobtuse des caciques du Parti et qu'il avait fait


LA FIN DU PIRE DES MONDEMikhail Gorbatchev et son épouse Raïssa, dont l'influence fut déterminante sur l'évolution de son mari.plutôt bonne impression lors de deux voyagesà l'étranger, au Canada et en Angleterre.Cependant, et alors que, par rapport à sespairs, il faisait figure de gamin en culottecourte (54 ans tout juste !), on ignorait à peuprès tout aussi bien de sa personnalité que deses intentions. « Dur » ou « libéral », «faucon »ou« colombe » ? Franchement, personne n'ensavait rien. Et surtout, personne ne s'imaginaitque ce pur produit de l'appareil du Parti deLénine était en réalité un mutant.Une femme d'influenceSans adhérer aux conceptions de LéonTolstoï sur la place du « Grand Homme » dansl'histoire, il est impossible de nier le rôle capitalde prédateur du communisme mondial qu'ajoué Gorbatchev. Même si, dans bien des circonstances,il eut la main forcée par le coursdes événements qu'il avait lui-même déclenchés,ce grand destructeur alla jusqu'au boutde sa tâche. Partant, sa personnalité et sa biographiene peuvent nous être indifférentes. Néen mars 1931 dans une famille de paysans dela région de Stavropol, ce Russe est un méridionalavec tout ce que cela implique commetraits de caractère. À la différence de sesparents et de ses grands-parents, il n'a pasdirectement vécu la collectivisation stalinienne,mais il en a subi très jeune les conséquences.Enfant, il a connu l'occupation allemandeet la répression qui a suivi la libérationde sa région par 1 'Armée Rouge. Intelligent,ambitieux, il a travaillé dès son plus jeune âgecomme un forcené dans les champs pour mériterle privilège de faire des études supérieures.D'abord, des études d'ingénieur agronome surplace, puis des études de droit à Moscou. Toutcela, en servant loyalement le système communisteau sein du komsomol, puis du Parti.C'est dans la capitale des dernières années staliniennes,où il était venu faire ses études à la« Faculté des choses inutiles » (selon le titredu très grand roman de Dombrovski), que lejeune provincial, plutôt gauche, fit la connaissancede celle qui devint la femme de sa vie,son égérie et son plus proche conseiller : RaïssaTitarenko. Raïssa, à la différence deMikhaïl, était issue d'une famille de l'intelligentsia(son père était professeur d'université)dont plusieurs membres avaient été victimesde la terreur politique et avaient connu le goulag.Les idées qu'on professait dans l'entouragedes Titarenko n'étaient pas forcémentorthodoxes. Pour être accepté par ce milieu, lejeune Gorbatchev dut parfaire son instruction,lire beaucoup de livres et réfléchir à beaucoupde questions. Il dut, en quelque sorte, se refaireune « Weltanschauung » (1).Le protégé d'AndropovAprès avoir épousé Raïssa et achevé sesétudes de droit, Gorbatchev retourna dans sarégion natale de Stavropol. Il y effectua unparcours sans faute, gravissant un à un leséchelons de la nomenklatura, pour parvenir,dès 1970, au poste de Premier secrétaire ducomité régional du Parti et faire peu après sonentrée au Comité central du PCUS. La quarantaineà peine dépassée, il faisait déjà figure,dans ces fonctions élevées, de « petit génie ».La région de Stavropol, berceau des cosaquesdu Kouban, a été, de tout temps, l'un des greniersà blé de la Russie, et même le pouvoircommuniste, en dépit de sa grande persévérance,n'a pas réussi à la ruiner complètement.En outre, grâce à ses stations balnéaires sur lamer Noire, la région possède des attraits touristiquescertains auxquels n'étaient pas insensiblesles satrapes du Kremlin. Ainsi, lessomptueuses datchas d'État des environs deStavropol voyaient-elles défiler chaque annéeles plus hauts responsables du Parti auxquelsGorbatchev, de par ses fonctions, servait systématiquementd'amphitryon. Bien qu'il fûtmoins que d'autres enclin à la flagornerie etqu'il détestât, pour cause de santé, les grandesbeuveries, il n'en réussit pas moins à se faireconnaître et apprécier de plusieurs habitants del'olympe soviétique. Parmi ses protecteurs (ily en eut d'autres), on peut citer à coup sûr lesnoms de Mikhaïl Souslov, gardien du templede 1 'orthodoxie idéologique, d' Andréï Gromyko,inamovible ministre des Affaires étrangèreset, surtout, de Youri Andropov, maîtredu KGB. C'est grâce à celui-ci qu'il devienten 1978 (à 47 ans !) membre suppléant duPolitburo et qu'il« monte» par la suite à Moscou,en qualité de secrétaire du Comité central.Durant le court règne d'Andropov (novembre1982-février 1984), il devient de facto lenuméro deux du régime, assurant notammentla liaison entre le leader malade et le reste duPolitburo. Pourtant, à la mort d'Andropov, lesdinosaures de la hiérarchie, cherchant à retarderl'échéance des changements et de leurpropre mise à la retraite, lui préfèrent uncadavre ambulant en la personne de ConstantinTchernenko.Un système capablede durer éternellementToujours est-il que ce 11 mars 1993, sonprédécesseur immédiat ayant rejoint Brejnevet Andropov dans la tombe, Mikhaïl Gorbatchevaccède au pouvoir suprême (ce qui, enURSS, n'est pas un vain mot!). Âgé de 54 anstout juste, il a, en quelque sorte, l'éternitédevant lui. À condition de le vouloir, les ressourcesnaturelles du pays ainsi que la patiencedes Soviétiques face à la pénurie étant quasimentinépuisables, il peut, grâce au systèmetotalitaire dont il hérite, garder les choses enl'état ou presque. Il peut perpétuer le culte dela personnalité à son profit, continuer à fairetrembler 1 'Occident et à faire taire les dissidents,il peut conserver le glacis de l'empiresoviétique de La Havane à Berlin en passantpar Hanoi, il peut, à l'instar de ses prédécesseurs,goûter à son aise et sur de longues


N DU PIRE DES MONDESDeux manifestations étrangement semblables à soixante-quinze ans de distance. Elles symbolisent la permanence de la Russie au-delà de la parenthèsecommuniste. À gauche, la foule rassemblée à Saint-Pétersbourg pour la déclaration de guerre, le 2 août 1914. À droite, cérémonie pour la pose de la premièrepierre de la nouvelle cahédrale de Kazan, à Moscou, le 4 novembre 1990.années, toutes les délices de la vie de château.Malgré ses difficultés économiques et Je retardtechnologique qu'elle prend, l'Union soviétique,en 1985, n'est pas le moins du mondeau bord de l'effondrement. Et, lorsque le nouveaumaître du Kremlin se met à parler deréformes « radicales », puis « révolutionnaires», personne ne le prend au pied de lalettre. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. Gorbatchevest un ambitieux. Mais, s' il aime Jepouvoir, sa principale ambition est d'entrerdans l'histoire non seulement comme un « bontsar », mais surtout comme un grand réformateur,dans la lignée de Pierre le Grand etd'Alexandre II. Les manuels d'histoire dufutur lui tiennent lieu de miroir et flattent savanité. Alors, le « nouveau despote » se lance.Et comme pour Pierre Je Grand, 280 ans plustôt, ses objectifs prioritaires sont l'ouverturevers 1 'Occident et la modernisation du systèmeen place. Et, comme Pierre Je Grand en sontemps, il se heurte immédiatement à la résistancedes boyards.Perestroïka et GlasnostPourtant, les débuts furent assez modesteset davantage marqués par une rhétoriquesomme toute habituelle que par des actesconcrets de grande envergure. Au cours del'année 1985, il fut beaucoup question de lanécessité de changements, mais les changementseux-mêmes se firent attendre. On procédasurtout à un dépoussiérage du sommet de lapyramide du pouvoir. On « propulsa » auposte purement honorifique de chef de 1 'ÉtatAndreï Gromyko, pour mettre à sa place lesémillant Edouard Chévamadze qui, moyennantd'innombrables turpitudes et trahisons,avait successivement dirigé Je KGB, puis JeParti, dans sa Géorgie natale. On évinça duPolitburo 1 'une des personnalités les plusodieuses et les plus corrompues du régime,Grigori Romanov, ancien maître absolu deLeningrad. Par la même occasion, volèrentquelques têtes de hauts fonctionnaires. Certainsde ces changements n'allaient cependantpas sans risque. Egor Ligatchev, successeur deRomanov et, à ce titre, numéro deux du Parti,n'allait pas tarder, en stalinien pur et dur, àprendre la tête de J'opposition conservatriceaux réformes de Gorbatchev. Dans Je mêmetemps, en remplaçant à la tête de J'organisationdu Parti de la ville de Moscou son vieiladversaire Viktor Grichine par un certain BorisEltsine, le nouveau dirigeant donnait un leaderà ce qui devint par la suite son opposition « degauche >>. Quoi qu 'il en soit, il fallut attendreJe mois de février 1986 et Je XXVII' congrèsdu Parti pour que fussent prononcés à haute etintelligible voix les mots-clés de J'ère gorbatchévienne,« perestroi.ka » et « glasnost ».En Russe, « perestroïka » signifie« reconstruction », et ce terme, en politique,peut désigner à peu près tout et son contraire.Reconstruction, mais de quoi? De J'économie,de la société, du Parti ? Sur ce point, les slogansofficiels demeuraient flous. Quant à la« glasnost », la « transparence », elle faisaitréférence à une certaine liberté d'expression,le peuple étant censé avoir le droit deconnaître« la vérité». À cela venait s'ajouterla notion, chère à Gorbatchev, de « penséenouvelle >!, c'est-à-dire de nouvelle approchedes problèmes existants. Tout cela était suffisammentconfus, mais en même temps, suffisammentnovateur pour susciter les appréhensionsdes caciques de l'appareil du Parti.cc Révolution culturelle »contre cc conservateurs »En fait, on peut penser que Gorbatchev etson entourage étaient, en 1986, surtout préoccupéspar le problème des relations avecl'Occident et par celui de la modernisation deJ'économie et du potentiel industriel du pays.À J'époque, il n'était encore nullement questiond'une quelconque transition vers une économiede marché. Il s'agissait simplement dedécentralisation, de rentabilisation et d'autonomiecomptable des entreprises (« khozrastchot!> ). Mais déjà sur ces deux points, 1 'économieet les affaires étrangères, les réticencesde l'appareil du Parti commençaient à se fairesentir. Et c'était bien sur ces deux points, timidementabordés, que Nikita Khrouchtchevavait chuté 22 ans plus tôt, en octobre 1964.C'est ainsi que, dans le courant de l'année1986, Gorbatchev commença à se trouver enbutte à 1 'hostilité croissante, non seulement decertains de ses pairs du Politburo, mais aussid'une large frange de l'appareil du Parti qui nedemandait qu 'une chose, à savoir que sur lefond on ne touche à rien. Depuis 1917, Je régimecommuniste soviétique avait connu unelutte quasi permanente pour Je pouvoir. Cependant,cette lutte, qui s'était atténuée sous Brejnevdu fait de l'immobilisme dont celui-ciétait l'apôtre et Je symbole, n'avait jamaisréellement impliqué que les échelons supérieursde l'appareil. Même le membre moyendu Comité central, lorsqu'il était épargné, pré-


LA FIN DU PIRE DES MONDEférait se tenir à l'écart du combat des chefs,trop heureux de continuer à jouir de ses multiplesprivilèges. Or, sous Gorbatchev, avecses idées encore non précisées de « changementsradicaux », tout commençait à prendreune autre tournure. Et le « marais » desbureaucrates du Parti commençait à pencheren faveur de l'opposition « conservatrice »emmenée par Ligatchev. Or, ce « marais », etle Kremlin était bien placé pour le savoir, étaitmajoritaire aussi bien au Comité central quedans les instances dirigeantes du Parti. Gorbatchev,sauf à se dénier complètement, étaitdonc à la merci d'une déposition« à la M. K. »à l'occasion d'un quelconque plénum. Pourgarder Je pouvoir et continuer dans la voie desréformes, il fallait donc réagir et affaiblirl'adversaire. Mais comment ? C'est là que,disons vers la fin de l'année 1986, Gorbatchevopta pour la solution maoïste, ô combien risquée,de la « révolution culturelle ».L'effondrementdes tabousEn quoi consiste la« révolution culturelle»,sinon à jouer la carte des masses afin d'affaiblirl'appareil et à asseoir son propre pouvoir?Or, c'est bien ce que fit Gorbatchev au nom dela « glasnost ». Presque du jour au lendemain,la presse, la télévision, les maisons d'édition,se virent octroyer le droit de dire et de publierà peu près tout et de critiquer quasiment toutle monde. Liberté contrôlée, certes, mais libertéquand même, après sept décennies de silenceet de mensonge. Le résultat fut fulgurant :les tabous tombaient l'un après l'autre, lesgens s'arrachaient les journaux et ne décollaientplus de leur poste de télévision. Lesjournalistes et les écrivains, quant à eux, s'endonnaient à cœur joie. Staline (voire Lénine !)et leurs crimes, les privilèges de la nomenklatura,l'incurie économique et les tares de lasociété, telles que la prostitution, la drogue etla criminalité, tout y passait ! En même temps,dans la rue, dans les interminables filesd'attente devant les magasins, les langues sedéliaient, pour la première fois depuis 1917,un semblant d'opinion publique commençait àémerger. Simultanément, le Goulag se vidaitprogressivement de ses détenus politiques. Endécembre 1986, à la suite d'un coup de fil personnelde Gorbatchev, Andreï Sakharov, figurede proue de la dissidence intérieure, pouvaitrevenir en triomphe à Moscou après plus desix années d'exil à Gorki ... Ce n'était plus ledégel, c'étaient les grandes crues de prin-Boris Eltsine, au temps où les dirigeants occidentauxle boudaient pour cause de populisme.temps, susceptibles de tout emporter sur leurpassage.C'est dans cette effervescence, ce tourbillond'idées et de révélations que se déroulal'année 1987. Pourtant, malgré l'ivresse de laliberté recouvrée, le cours des événements nes'était pas arrêté. Sur la scène internationale,Gorbatchev qui se dépensait sans compter etvoyageait aux quatre coins du monde, apparaissaitde plus en plus crédible, même auxyeux du grand pourfendeur de « l'empire dumal» qu 'était Ronald Reagan. Et cela en dépitde la guerre d'Afghanistan et de la catastrophede Tchernobyl qui, en avril 1986, avait secouéla planète entière. Dans le domaine économique,certaines évolutions, bien timides audemeurant, pouvaient être portées à l'actif duKremlin. Quant à la lutte pour le pouvoir, ellese poursuivait avec une aigreur et une acuitéaccrues. Au plénum du Comité Central de juin1987, Gorbatchev avait réussi à faire entrer auPolitburo plusieurs de ses fidèles partisans,dont son « âme damnée », Alexandre Yakovlev.Bousculée, poussée dans ses retranchements,l'opposition « conservatrice », Ligatcheven tête, n'avait pas désarmé. Et, parallèlement,une opposition « radicale », avec pourchef de file le patron du Parti de la ville deMoscou, Boris Eltsine, commençait à fairesurface. Pris en sandwich entre ces deux courants,Gorbatchev fut contraint de réagir :après avoir limogé Eltsine, il décida de convoquer,pour juin 1988, une Conférence du Parti,la XIX' du nombre.Conséquencesformidables des électionsde 1989Le premier semestre de 1988 fut marqué parplusieurs événements d'importance majeure. Onvit apparaître une floraison de mouvementspolitiques de « droite », comme de « gauche »,se situant en dehors du Parti et en opposition àcelui-ci ou, tout au moins, à son leader. Aumois de février, signe avant-coureur de la futuredislocation de l'empire, les premiers incidentsviolents entre Arméniens et Azéris se produisirentau Nagorny Karabakh. Ce même printemps,1 'armée soviétique se retirait d' Afghanistan.. . Tout en paraissant dépassé par certainsévénements, Gorbatchev conservait lesrênes du pouvoir. Fort de sa popularité sur lascène internationale, parant . habilement lescoups qui lui étaient portés, il paraissait plusque jamais maître du jeu. En juin-juillet, ilparvint, en manœuvrant avec un art consommé,à retourner à son profit la Conférence duParti dont les délégués lui étaient pourtantmajoritairement hostiles.Cependant, en dépit de sa victoire à l'arraché,Mikhaïl Gorbatchev se rend compte que1 'appareil du Parti, à ses différents échelons,lui reste majoritairement hostile et qu'il freinepar tous les moyens les timides réformes économiquesqui s'esquissent. La lutte pour lepouvoir se poursuit de manière permanente,sur l'ensemble du pays, alors même qu'ellesemble s'atténuer au sommet. Pour casser lesreins à l'opposition de la nomenklatura, Gorbatchevne voit plus qu 'une seule solution :faire appel au suffrage universel. En d'autrescirconstances, il aurait certainement préféréremettre à plus tard une telle mise en œuvre dela démocratie qu'en paroles il appelle de sesvœux. li eût été bien préférable pour lui decommencer, en faisant usage du pouvoir dontil avait hérité, par mettre en œuvre desréformes économiques prudentes, susceptiblesd'améliorer progressivement le niveau de vieet, partant, de conforter sa popularité. Mais, en1 'occurrence, Gorbatchev pense ne pas avoir lechoix et annonce dans la foulée de la XIX'Conférence du Parti la tenue, au début del'année 1989, d'élections législatives.Ce scrutin, appelé à désigner les membresd'une « grande assemblée », le Congrès desDéputés du Peuple, qui, à son tour, doit élire


N DU PIRE DES MONDESmilitaires. Il n'en reste pas moins que lesdémocrates et les représentants des forcesnationalistes des républiques allogènes fontune entrée fracassante sur la scène politiqueofficielle. Boris Eltsine qui, encore en juin1988, faisait son mea culpa devant les autreshiérarques du Parti, est triomphalement élu àMoscou. Il en est de même d' Andréï Sakharovet d'autres figures de proue de la dissidence.L'erreur de GorbatchevMisère et chaos, résultats de soixante-dix ans de communisme. Femme de Bakou privée d'abri,demandant justice pour son mari et son fils assassinés par des inconnus.en son sein les membres d'une « assembléerestreinte », le Soviet Suprême, est marqué partoutes sortes d'ambiguïtés : en effet, dès ledépart, le Parti communiste et ses organisationssatellites se réservent tout bonnement40 % des sièges, le reste étant mis en jeu enl'absence de partis politiques tant soit peuconstitués. Là où ils votent vraiment, les électeursont à choisir entre des candidats qui nereprésentent qu 'eux-mêmes. En dépit de tout,ces élections à moitié libres provoquent dansle pays un intérêt et une effervescence sansprécédent. Les candidats tiennent des meetings,distribuent des tracts et des professionsde foi imprimés avec des moyens de fortune,couvrent les murs d'affiches. Dans cet immensedébat, les esprits s'émancipent et les languesse délient. Ces élections de 1989, ce « printempsde Moscou » et d'ailleurs, marquentvéritablement le début de la rupture définitiveavec le totalitarisme issu du coup de forced'octobre 1917. Certes, le Parlement, très partiellementissu des urnes, est toujours dominépar les apparatchiks communistes civils etDès l'ouverture de la première session,« l'opposition démocratique » commence à sefédérer au sein, notamment, du « groupe interrégional». Les débats parlementaires, souventretransmis en direct par la télévision, atteignentrapidement un degré d'âpreté qui laissebouche bée la grande majorité des Soviétiques.Gorbatchev lui-même se prête à ce jeu, ce qui,d'un point de vue psychologique, constituesans doute une grave erreur. En effet, descendantrégulièrement dans la « fosse aux lions »et présidant en personne les débats, il affronteen direct les uns et les autres, subit desattaques, se fait invectiver et invective luimêmeses contradicteurs. Aux yeux de millionsde téléspectateurs, il n'est plus un « deusex machina », il n'est plus le « maître » dupays (au sens stalinien du terme). Et même sile Parlement, pour la première fois dans l'histoire,lui confere le titre de président del'URSS, il n'est plus qu'un politicien parmid'autres, appelé à se défendre et à rendre descomptes. Il en est de même du Parti, ouvertementcritiqué au Parlement et dans la presse,aussi bien pour son passé que pour son présent.Tous les tabous s'écroulent les uns aprèsles autres, et Lénine lui-même cesse d'êtreintouchable. De plus en plus, cette « révolutionculturelle » médiatisée échappe au contrôled'un pouvoir qui l'a lui-même provoquée. Laboîte de Pandore s'est bel et bien ouverte .. .L'année 1989, année-charnière à touségards, est marquée, outre l'apparition d'uncertain « parlementarisme »et d'une contestationinstitutionnalisée à Moscou, par le démantèlementde l'empire « extérieur » et les premièreslézardes sérieuses au sein de l'empire«intérieur ». Sous le regard complice du Kremlin,qui ne fait rien, bien au contraire, poursoutenir ses fidèles de la veille, les pays del'Europe de l'Est secouent, l'un après l'autre,le joug communiste qui leur avait été imposéen 1945. Gorbatchev non seulement ne freinepas le mouvement : dans bien des cas, il lefavorise. Ainsi de l'écroulement du mur deIl


LA FIN DU PIRE DES MONDESBerlin, en novembre, et de la révolution roumaine,en décembre. Tout cela, bien évidemment,ne peut pas ne pas avoir de répercussionsà l'intérieur même de l'URSS où plusieurspeuples, soumis dans un passé plus ou moinsrécent, aspirent à 1 'indépendance. Les électionssemi-libres de 1989 ainsi que l'effondrementdu communisme en Europe de 1 'Est enflammentles esprits, surtout dans les trois républiquesbaltes, mais aussi en Transcaucasie eten Ukraine. On y voit se dérouler les premièresgrandes manifestations nationalistes, alors que,par endroits, en Lituanie notamment, lanomenklatura communiste saute en marchedans le train de l'indépendance. Par ailleurs, lepouvoir central fait la preuve de son incapacitéà venir à bout des sanglants conflits interethniques,dont le premier, celui du Haut-Karabakh,opposant Arméniens et Azéris, avait éclatédès février 1988.Apparitiondes « rouges-bruns »L'année 1990 est marquée de bout en boutpar le développement et l'accentuation desphénomènes apparus précédemment. L'oppositiondémocrate, menée en Russie par BorisEltsine, se renforce et se radicalise. Dans lesdifférentes républiques, les tendances centrifugesse manifestent au grand jour et lescontre-pouvoirs nationalistes s'affermissent.En parallèle, s'organise en Russie une nouvelleopposition, regroupant, au sein d'un largefront du refus, communistes bon teint et nationalistes(voire fascistes) russes, ayant en communun rejet absolu de la politique gorbatchévienne,des réformes démocratiques et de ladécomposition de l'Empire. Ces « nationauxpatriotes» (que leurs adversaires qualifierontde « rouges-bruns ») se retrouvent au sein deplusieurs organisations et mouvements, dont leplus important et le plus ancien est le mouvement« Pamiat », créé au tout début de la« perestroïka ». L'homme de la rue, en ce quile concerne, est de plus en plus mécontent dumarasme économique, de l'absence de résultatdes timides réformes qui ont été annoncées,des interminables palabres politiciennes. Isolé,contesté dans son pouvoir, voyant sa popularitéchuter de manière catastrophique, Gorbatchevparaît de moins en moins maître du jeu.L'année 1991 commence pour lui sous lespires auspices. En décembre 1990, sonministre des Affaires étrangères Edouard Chévamadzél'abandonne et démissionne avecéclat. Son nouveau Premier ministre, ValentinLe 4 octobre 1993, le président Eltsine fait tirer au canon sur la Maison blanche, siège du parlementde Russie.Pavlov, se lance dans une opération impopulaired'échange des billets de banque qui lèsede nombreux épargnants. Enfin, au mois dejanvier, à Riga, les forces du ministère del'Intérieur (Ornon) montent une provocationqui fait couler le sang.L'État russe de BorisEltsine et le putschde 1991Le phénomène le plus important de cettepériode est, sans l'ombre d'un doute, l'émergenced'un État à part entière qui, sous laconduite de Boris Eltsine s'oppose, directementet pratiquement en tout à l'État soviétiqueque dirige Gorbatchev. Face à son vieilennemi, Eltsine possède deux atouts majeurs :sa grande popularité dans le peuple, qu'il cultiveassidûment et non sans démagogie, et lefait qu'en juin 1991 , il a réussi à se faire élireau suffrage universel président de la Russie.Cette dualité du pouvoir à Moscou même, quel'on retrouve alors à tous les niveaux des institutions,provoque une paralysie quasi totale del'État, les structures « eltsiniennes » n'appliquantpas les décisions de Gorbatchev et deson appareil, et vice versa. En définitive, lessix premiers mois de 1991 sont dominés parune question : l'URSS survivra-t-elle ? Les sixmois suivants apporteront la réponse.Le lundi 19 août 1991 au matin, le mondeentier apprend avec stupéfaction qu 'un coupd'État, organisé par plusieurs hauts responsablesdu régime soviétique, a eu lieu à Moscou.Au nombre des « conjurés » figurent levice-président Yanaïev, le Premier mm1strePavlov, le ministre de la Défense Yazov, leministre de l'Intérieur Pougo, le chef du KGBKrioutchkov, le Président du Soviet suprêmeLoukianov et plusieurs autres personnalités depremier plan. Annonçant à la télévision queGorbatchev est incapable, pour raisons desanté, d'exercer ses fonctions, les putschistesdécrètent l'état d'urgence dans le pays. Lemotif invoqué ne trompe personne. En fait,Gorbatchev a été isolé avec sa famille dans savilla de Foros en Crimée et mis dans l'impossibilitéde communiquer avec le monde extérieur.L'histoire du putsch de 1991 qui, parbien des côtés, produit 1 'impression d'une tragiquepantalonnade, est loin d'avoir été totalementéclaircie. On peut, néanmoins, distinguerplusieurs éléments peu contestables. Toutd'abord, le motif : prévenir la conclusion dunouvel accord sur l'Union, affaiblissant considérablementl'URSS, que Gorbatchev devaitsigner quelques jours plus tard. Ensuite,l'impréparation et l'indécision: les putschistesn'ont manifestement décidé de passer à l'actequ'au tout dernier moment, sans se risquer àemployer la force. Contrairement à cequ 'espéraient les putschistes, Gorbatchev refusacatégoriquement de reprendre à son comptela proclamation de l'état d'urgence. Lesrumeurs malveillantes, distillées notammentpar des amis de Boris Eltsine, selon lesquellesGorbatchev aurait été informé par avance ducoup d'État, ne reposent sur rien. Au contraire,en refusant, au risque de sa vie, de transigeravec les factieux, il les plongea dans le désarroiet contribua à leur faire perdre la partie. Lereste des événements, à savoir la résistance


IN DU PIRE DES MONDESManifestation patriotique devant le Palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg au début du siècle. Le 7 septembre 1991, Leningrad a retrouvé son nom de Saint Pétersbourg.organisée par Eltsine et ses compagnonsautour du Parlement de Russie, la pitoyablereddition des conjurés, la libération et le retourà Moscou de Gorbatchev, est largement connu.La fin piteusedu communismeAinsi, après l'épisode tragi-comique duputsch avorté, on retrouve à Moscou, dès le 22août, un pouvoir à deux têtes. Cependant, cettedualité apparaît d'ores et déjà comme facticeet forcément éphémère. Gorbatchev, affaiblipar la trahison des siens, ne peut plus véritablements'opposer à un Eltsine triomphant etdominateur qui s'attache à démanteler au plusvite les derniers vestiges du régime soviétique.Le couperet de ses oukases s'abat en premierlieu sur le Parti communiste qui est mis hors laloi avec 1 'ensemble de ses institutions satellites.Les autorités russes font main basse surla radio et la télévision. Alors que l'appareilentourant Gorbatchev se délite définitivement,Eltsine reprend pour son propre compte lesnégociations avec les autres républiques del'ex-URSS. Petit à petit, Gorbatchev devientun président sans pouvoir et, plus grave encore,sans pays. L'estocade politique lui sera portéeau mois de décembre à l'occasion de ceque l'on peut considérer comme un coup deforce de Boris Eltsine. Le 8 décembre, sans eninformer Gorbatchev, le Président russeconclut avec ses homologues biélorusse etukrainien l'accord de Minsk qui jette les basesd'une nouvelle Union, baptisée Communautédes États indépendants, et, quelque jours plustard, fait approuver cet accord par ses députés.Le 15 décembre, Boris Eltsine s'installe auKremlin et prive les députés russes au Parlementsoviétique de leur mandat et de leursalaire. Certains d'entre eux se voient physiquementinterdire l'accès au Kremlin. Bref,pour employer l'expression du journalisteClaude-Marie Vadrot, Eltsine inflige à Gorbatchevle plus ancien et le plus cruel des supplicestartares : il l'enterre vivant. Il ne resteplus alors qu 'à mettre le droit en conformitéavec les faits. Au terme de pourparlers entreles deux parties, il est convenu que 1 'URSSdisparaîtra officiellement le 31 décembre.Mais Mikhaïl Gorbatchev préfère raccourcirl'agonie de quelques jours : après une allocutiontélévisée au cours de laquelle il annoncesa démission, il quitte le Kremlin le 25décembre. Aussitôt, le drapeau rouge frappéde la faucille et du marteau qui flottait encoreau-dessus de son bureau est remplacé par ledrapeau tricolore qui fut celui de la Russied'avant 1917. Ainsi se refermait la parenthèsesanglante de 74 ans de communisme russe.VLADIMIR GESTKOFF(!)conception du monde.Il


LE FEU s 0 us LA CENDRELes idées nationalesen RussiePAR BORIS BOLDYREVEn interdisant l'expression de toute idée étrangère à l'orthodoxie marxiste-léniniste, la révolutiond'octobre 1917 mit entre parenthèses le débat entre slavophiles et occidentalistes, hérité du XIX• siècle.L'implosion de l'URSS et la faillite du communisme lui rendent toute son actualité et révèlent que,depuis plus de vingt ans, les idées nationales étaient en pleine renaissance.Dès l'origine, la révolution bolcheviquea mené une lutte sans merci contre leprincipe national russe que perpétuaientdans la clandestinité des organisationscomme l'Union nationale du travail (NationalnoTrroudovoi Soyouz). Après 1934, avec l'éliminationdes trotskistes, puis avec la guerre, onassista toutefois à un timide retour de 1 'idéenationale dont Staline entendait se servir etdont témoignèrent les films d'EisensteinAlexandre Nevski ou Ivan le Terrible, la restaurationdes monuments impériaux et la relativetolérance accordée à l'Église orthodoxe.L'athéisme militant et le mondialisme deKhrouchtchev devaient donner un coup d'arrêtà cette timide ouverture nationaliste. Ilsdevaient pourtant favoriser l'apparition d'uncourant national où s'exprimaient deux tendances: les vosrozhdentsy (traditionalistes),surtout représentés au sein de la dissidenceintérieure (Soljenitsyne, Chafarevitch, Ossipov),et les « nationaux-communistes » (Sémanov,Chevtsev, Lobanov) qui se distinguaientdes premiers par une adhésion formelleau régime soviétique qu'ils entendaient dépasserpar une vision impériale et slavophile de1 'histoire. La liaison intellectuelle, si 1 'on peutdire, entre les deux groupes se faisant parl'école littéraire des ruralistes (Derevenskaia Alexandre Nevski, .film d'Eisenstein, marque un timide retour au patriotisme instrumentalisé par Staline .


U SOUS LA CENDRELÉONTIEVETL'IDÉOLOGIEBYZANTINELa publication en Italie de la premièretraduction en une langue occidentale del'ouvrage fondamental de Konstantin Léontiev,attire l'attention sur ce précurseur de Spengler.Né en 1875, le philosophe russe rejette lachronologie occidentale, faisant se succéderl'Antiquité, le Moyen Âge et les Tempsmodernes. Héritier de Danilevski, Léontiev parlede " cycles historiques "• pour en privilégier un,le byzantisme. Byzance avait été négligée parles auteurs occidentaux qui ne l'avaientconsidérée que comme une survivancenégligeable du monde greco-latin, confite debigoterie (péché cardinal pour l'historiographielibérale). Spengler rangeait le byzantinismedans l'ensemble des cultures magiques. PourLéontiev, au contraire, le byzantinisme est uneidée-force originale, un principe universel. Ceprincipe agit sur l'élément populaire, sur lesmoujiks accrochés à leur terre, et sembledemeurer inefficace sur l'élément bourgeois eturbain. Léontiev s'oppose au nationalisme et aupanslavisme au nom de l'orthodoxie byzantine.Le nationalisme et le panslavisme sont infectésde miasmes démocratiques, libéraux etoccidentaux. Ainsi, quand les activistespanslavistes exhortent les masses russes etslaves à secouer le joug turc, ils font leurs deséléments de la mentalité anti-traditionnellevenue d'Occident. L'assaut désagrégateur del'Occident ne pourra être contré que par deuxforces : l'Islam et l'Orthodoxie. En effet, pourLéontiev, l'Islam turc dans les Balkans empêcheles peuples slaves-balkaniques de sombrerdans l'abîme du progressisme occidental. Lejoug turc est donc salutaire et contribue àmaintenir l'orthodoxie en Orient. Berdiaevs'insurgeait contre cette prise de position,assortie d'un appel aux Turcs à mater lesSlaves des Balkans et aux Allemands à materles Tchèques libéraux et illuministes. PourLéontiev, chasser les Turcs, ce n'était pas uneidée russe et slave, mais une idée occidentale.Léontiev prônait l'alliance des Russes, appelésà sauver l'Europe décadente et libérale, avec lespeuples asiatiques de religions nonchrétiennes. L'objectif de cette gigantesquealliance : barrer la route à l'esprit délétère dulibéralisme occidental.KONSTANTIN LÉONTIEVBizantinismo e mondo slavo,Edizioni all'insegna del Veltro, Parma, 1987, 190 p.,Vou/oirjuillet-août 1989.proza) avec Belov, Chouchkine, Astafiev,Abramov, Solooukhine ou Raspoutine.À l'origine de la tendance traditionaliste,on trouve l'Union panrusse sociale-chrétiennede la libération du peuple (Vskhson), alliancefondée dans la clandestinité en février 1964par Igor Ogourtsov, Evguéni Vagin et LéonidBorodine, qui se réclamaient de la pensée deNicolas Berdiaev. Ce groupe fut totalementdécapité en 1968 par un régime brejnévien quitolérait cependant le développement de tendancesrussophiles.En 1965, la société« Racines » (Radina),fondée par plusieurs centaines d'étudiants enarchitecture de l'université de Moscou aprèsun pèlerinage dans les cités de l'ancienne Russie,Zagorsk, Souzdal et Vladimir, était officialisée.Peu après était réalisé le film très controverséd' Andreï Tarkovsky, Andrei· Roublev.Préserverl'héritage russeEn juillet 1965, était fondée la très officielleSociété panrusse pour la préservationdes monuments historiques et culturels (Vserossikogo Obchetsv-koié Okhrany Pamiatnikovlstoruui kultury) qui axait son action sur lapréservation de 1 'héritage russe ce qui rejoignitles préoccupations des dissidents de l' intérieur.Cette association non directement politiquedevait connaître un succès foudroyant.Dès 1966, elle compta trois millions d'adhérents,et plus de douze millions au début de1977.Au début des années 1970, le courantnational influençait de puissants journauxcomme Molodaia Gvardia («Jeune Garde »),organe des jeunesses communistes, ou NashSovremennik (Notre Contemporain), revuepubliée par la prestigieuse Union des écrivainsde Russie.L'Union des écrivains de Russie s'était eneffet très vite laissée submerger par la vaguemontante des écrivains ruralistes dont leslivres atteignaient des tirages énormes. V éritablepôle où se cristallisaient les éléments culturelsrusses perdus depuis l'avènement dubolchevisme, et toutes les traditions spirituelleset nationales refoulées par le matérialisme,elle était devenue le défenseur farouchedes valeurs nationales, de l'identité du peupleet de l'État, de l'idée impériale et de la primautédu spirituel.Héritiers d'Essenine, les ruralistes surent,avec Choukchine, se positionner dans uneAlexandre Zinoviev : « Celui qui dira que noussommes condamnés et que c'est pourquoi nousdevons combattre jusqu'au bout (comme disent lesRusses, tant qu'à mourir, il faut le faire enmusique), celui-Iii ne sera pas un pessimiste. Cesera un optimiste historique. L'optimisme historiquesignifie qu'on sait la vérité, si cruelle qu'ellesoit, et qu'on est déterminé à se battre, quoi qu'il encoûte. L'optimisme historique ne compte sur rien nipersonne, sauf sur soi-même et sur la bagarre ».Nous et l'Occident,l'Âge d'homme, Lausanne, 1981.révolte contre le monde moderne à travers lacritique radicale de la ville maudite.Le thème du retour à la « Terre-Mère »,fréquent chez les ruralistes, se retrouve particulièrementchez Vladimir Solooukhine. Néen 1924 à Alepino, fils d'une vieille famillepaysanne, ancien combattant de la Guerrepatriotique, il s'imposa dès 1957 comme l'undes plus grands écrivains russes de sa génération.Avec Sur les Chemins de Vladimir etautres romans, il sut introduire un vaste publicau cœur de la Russie éternelle, celle des travauxdes champs, des fêtes agraires, de lafamille traditionnelle, des jeux d'enfants et despremières amours.National-communismeVassili Bélov appartient à la même veine,ainsi que Victor Astafiev, ancien secrétairegénéral de l'Union des écrivains d'URSS, néen Sibérie en 1924, qui est connu pour sescontes pour enfants, ses nouvelles de guerre,ses romans sur les campagnes et les villagesrusses.Bénéficiant de la complaisance discrète dupuissant Mikhaïl Souslov, ce fut en toute liber-


LE FEU SOUS LA CENDRE~ .------------------------------.;;;ALEXANDRESOLJENITSYNEAndreï Sakharov (1921-1989). Physicienéminent. Manifeste so11 opposition au régime dès1968. Prix Nobel de la paix en 1975. Assigné àrésidence en 1980. Libéré en1984.té que « néo-staliniens » et « néo-russophiles» purent, avec notamment Victor Chalmaevet Mikahaïl Lobanov, organiser des campagnescontre l'esprit bourgeois, et les idéescosmopolites de la très officielle revue Noviymir.Mais bientôt ce « national-communisme »par trop hétérodoxe qui avait poussé l'audacejusqu'à soutenir Alexandre Soljenitsyne, commençad'inquiéter. En novembre 1970, ledirecteur de Molodaia Gvardia, AnatoliiNikonov fut limogé. Dans un article retentissantparu le 15 novembre 1972 dans LiteraturnayaGazera, Alexandre Yakovlev, principalidéologue du Parti dénonça le poids d'une «idéologie réactionnaire », dans les arts, la littératureet 1 'historiographie.Les « nationaux-communistes » étaientainsi consacrés en tant qu 'opposition interneau régime, une opposition qui devait se radicaliseravec la mort de Brejnev, la libéralisationamorcée par Andropov et Gorbatchev.Le mouvement dissident de 1 'Intérieurétait marqué par la personnalité de VladimirOssipov, fondateur en 1971 de la revue Vetche(« le tocsin »), ainsi nommée en souvenir dunom que s'était donné au Moyen Âge l'assembléepopulaire de la cité libre de Novgorod.Né en 1938, Vladimir Ossipov, expulsé deAlexandre Soljenitsyne (né en 1918).Condamné en 1945 à huit ans de travaux forcés.Prix Nobel de littérature en 1970. Il publiera en1973 L'Archipel du Goulag.1 'université en février 1958, arrêté en octobre1961 , condamné à sept ans de camps de travailen février 1962, fut déporté au goulag, où ilrenonça définitivement au marxisme pour seconvertir à la Russie et à la religion orthodoxe.Libéré, il rejoignit le groupe orthodoxe d'AnatoliiLévitine et du père Dimiti Doudko, lequelaprès avoir passé huit ans dans les camps staliniensétait devenu le directeur de conscienced'Alexandre Soljenitsyne.Dans sa revue, Ossipov se fit l'avocatd'un État multinational respectueux des identitésculturelles. Partisan d'une révolutionspirituelle, il ne croyait guère à la démocratisationprônée par la dissidence extérieure.Elle ne pouvait pour lui que conduire à1 'anarchie et au chaos. Universelle et tolérante,Vetche conquit très vite une autorité moraledans la dissidence. Mais Ossipov fut denouveau condamné à huit ans d'internementdans un camp de travail rééducatif à régimesévère.C'est par l'intermédiaire de Chimanov,l'un des disciples hétérodoxes d'Ossipov, quese fit la jonction entre les dissidents de droitecomme Léonid Borodine ou le Père Doudko,et les « nationaux-communistes ».Personnage hors du commun par sonhéroïsme ascétique, Chimanov qui fut internéIl est clair que l'hostilité (de Soljenitsyne)au régime totalitaire s'inscrit dans un refusplus vaste de la civilisation matérialisteoccidentale. Face à l'« européanisme , de lacivilisation industrielle de troisièmegénération, Soljenitsyne dénonce unecommune et mortelle " course aux biens , àl'Est comme à l'Ouest, et il se moque del'eurocentrisme qui laisse croire que toutesles cultures humaines n'ont d'autre cheminà prendre que celui de l'industrialisation àoutrance et de la démocratie juridique (oùchacun mène sa propre expansionjusqu'aux extrêmes limites de son droit).Soljenistyne rejette le " modèle occidental "•et l'Occident lui répond de plus en plussouvent avec hargne.Profondément persuadé que les culturesrécalcitrantes à l'Occident ne lui céderontpas, il met parmi ses cultures, à côté del'Islam, de l'Inde et de la Chine, la Russie,cachée sous son fard idéologique. C'est lavieille idée de Spengler, mais repenséeaprès une catastrophe de la conditionhumaine dont Spengler et sescontemporains n'avaient pas idée.La grandeur de Soljenitsyne, c'est que savision globale, son penchant vers un régimethéocratique, son appel angoissé à une" auto-restriction , de chaque nationpassent toujours par l'appel à la personnehumaine. Sa forme inférieure, laïque, estcelle de J'honneur. L'honneur consiste à nepas souiller son âme, à être victime plutôtque bourreau : c'est à l'honneur que faitappelle colonel Vorotyntsev dans Août 14;l'honneur exige de " ne pas vivre selon lemensonge"· Mais la forme supérieure,positive, de cet appel est le sacrifice.L'honneur rapproche les hérossoljenitsyniens de ceux de l'Antiquité, desstoïciens ou de Socrate. Le sacrifice lesappelle à une sainteté chrétienne.GEORGES NIVATSoljenitsyne, Paris, Seuil, 1980.


U SOUS LA CENDREdurant 14 ans dans un asile psychiatrique, pensaitque l'utopie communiste étant irrémédiablementcondamnée, la Russie devait se préparerà affronter un danger plus terrible encore,représenté par l'occidentalisme libéral, contrelequel il convenait de lutter en s'appuyant surun parti communiste démarxisé et christianisé.. .Ces positions, qui ont été brillammentreprises par Alexandre Prokhanov, animateurde l'hebdomadaire Dyenn jusqu 'à son interdictionen octobre 1993, ou par le philosopheAlexandre Douguine, ne font pourtant pasl'unanimité.Il faut d'ailleurs se garder de confondre1 'agitation politique qui retient l'attention desmédias et l'intense débat d'idées qui se poursuitdans les universités ou les cercles deréflexion. On en chercherait en vain l'équivalentaujourd'hui ailleurs qu 'en Russie.BORIS BOLDYREVMathématicien de réputation mondiale, Igor Chafarevitch est né en 1923. Membre-correspondant del'Académie des Sciences de l'URSS depuis 1958, membre honoraire de l'A cadémie nationale américainedes Sciences, docteur honoris causa de l'Université Paris-Sorbonne, compagnon de Soljenitsyne, il futsuspendu en1969 pour sa défense des droits de l'homme. Son livre La Russophobie, tentative pathétiquede réappropriation du passé russe, où d'aucuns ont cru déceler des relents d'antisémitisme, a été traduiten français aux Éditions Chapitre Douze en1993.Il n'existe aucune étude sérieuse sur l'histoiredes idées nationales en Russie (ex­URSS ). Malgré un titre provocant et inexact,on peut se reporter cependant à J'enquêterécente de 1 'historien libéral Walter Laquer,Black Hundred, The Rise of Russian fascism,Harpers Collins, New York, 1993.LA PHILOSOPHIE POLITIQUE EN RUSSIE AUJOURD'HUIL'état de la philosophie dans la Russieactuelle est caractérisé par un pluralisme sanslimites. Toutes les forces intellectuelles etpolitiques peuvent y élaborer leurs théoriespropres, les discuter ouvertement et les diffuserdans le public. Ces jeunes cercles, dynamiques,tentent par tous les moyens d'étayer cesdiscussions, de porter le débat au-delà desfrontières et d'entretenir des contactspermanents avec des philosophes étrangers.La droite nationale russe a organisé un congrèsinternational, auquel le Français Alain deBenoist a participé. Le rédacteur en chef del'hebdomadaire Dyenn (tirage : 100 000exemplaires), l'écrivain Alexandre Prokhanov, adit, au cours de sa conférence de presse : " Lesconservateurs de l'Ouest sont aujourd'hui lesinvités des conservateurs russes. " Autre sujetd'étonnement : un quotidien libéral, dont letirage est de 200 000 exemplaires, consacre unepage entière aux interprétations de la penséed'Ortega y Gasset. Si cette publication populaire,la Nezavizimaïa Gazeta (Journal indépendant),traite de cette thématique alors que la lutte detous les jours est ardue, devant cette économiede concurrence de facture libérale qui est unenouveauté en Russie, c'est une preuve que lesjournalistes russes estiment que leurs lecteursont des préoccupations de haut niveau.Le philosophe le plus prisé dans cette Russieen phase de transition est incontestablement MaxWeber. Une table ronde publiée dans les colonnesde Voprosi Filosofii sur l'" éthique du travailcomme problème de la culture patriotique •• aconnu un écho inattendu dans les medias.Résumé du commentateur de Moscow News : "La religion prend sa revanche dans la philosophie,dans l'éthique et dans la pensée économique"· Lapensée de Max Weber établit un pont entre lareligion et l'économie, ce qui fascine les Russesd'aujourd'hui. " Nous n'avions pas compris, enRussie soviétique, que le capitalisme reposait surune éthique du travail très particulière, que laRéforme avait mise à l'avant-plan "• pense leprofesseur J. Davidov, bon connaisseur de lasociologie allemande. Si, dans la Russied'aujourd'hui, on se représente le capitalismecomme une idéologie de pillards, visant à mettre àsac les propriétés de l'État, on imagine dans lafoulée que l'on vivra bientôt dans un affreuxchaos, comme dans les années qui ont suivi 1917.Le concept wébérien de Beruf (de" profession/vocation ,. ), dérivé du sens que lui aconféré Luther à l'époque de la Réforme, impliqued'accomplir envers et contre tout son devoir ; encela, réside la mission éthique suprême del'homme, plongé dans l'existence historique. Cettevision luthérienne/wébérienne du devoir confèreensuite un sens religieux au travail quotidien. Lapresse libérale de masse à Moscou propage cetteéthique, en se réclamant de Max Weber.Les thématiques habituelles duconservatisme -la religion, la nation, l'histoiresontau centre des préoccupations desphilosophes russes d'aujourd'hui.ANATOLI FRENKINProfesseur au département de philosophiepolitique de l'Institut de Philosophie de l'Académiedes Sciences de l'ex-URSS. Anatoli Frenkin a publiéen 1992 à Munich un essai remarqué, Was istRechts ? (Qu'est-ce que la droite ?). On lui doitentre autre une analyse de la philosophie politiquerusse dans la revue Criticon, traduite en languefrançaise dans la revue Vouloir, dirigée par RobertSteuckers .


LE FEU SOUS LA CENDRSLAVOPHILES ET OCCIDENTALISTESQuelle est la nature de « l'âme russe » ?Quelle voie historique la Russie doit-elleemprunter ? La polémique, autour de cesthèmes, qui s'est installée au XIX' siècle entre« occidentalistes » et « slavophiles » traduit lepremier grand clivage qu'ait connu l'opinionpublique en Russie. Ces courants d'idées, toutdeux d'essence oppositionnelle, disparaissent,au moins formellement, avant la fin du siècledernier. Mais les questions qu'ils ont soulevéesont largement survécu aux protagonistes. Desidées sont empruntées aux uns et aux autres :les nationalistes et les traditionalistes puisentdes éléments chez les slavophiles tandis que leslibéraux et la gauche se réclament volontiers desoccidentalistes. Au-delà de la question desréformes sociales et politiques, lesoccidentalistes et les slavophiles soulèventchacun à leur manière un grand problèmemétaphysique : celui de l'identité de la Russie etde sa conscience nationale : qui sommes-nous ?Quel est le sens de notre existence en tant quenation?En 1836 paraît la Lettre philosophique de PiotrTchaadaiev. Idéologiquement proche desDécembristes, ces officiers " libéraux », dont lecomplot avait été écrasé en décembre 1825 parNicolas l", Tchaadaiev dresse dans sa lettre un" sombre réquisitoire '' contre la Russie :«Nous n'appartenons à aucune des grandesfamilles du genre humain[ ... ] nous ne vivonsque dans le présent le plus étroit, sans passé,sans avenir[ .. . ] "Selon Tchaadaiev, la Russie n'adonc rien apporté aux autres nations. Faute depassé, une seule voie s'ouvre à elle, si elle veutavoir un avenir : elle doit renoncer à sa " religionbyzantine "• se convertir au catholicisme etimiter l'Occident.Publiée par la revue Télescope, la lettresoulève de vives réactions. Le poète AlexandrePouchkine réplique : " Le réveil de la Russie, ledéveloppement de sa puissance, sa marche versl'unité ... quoi ? Tout cela ne serait pas del'histoire ? ... Et Pierre le Grand qui est à lui seulune histoire universelle ? Et Catherine Il qui aplacé la Russie sur le seuil de l'Europe ? "Deux courants d'opinions s'opposent : c'est lanaissance des occidentalistes et des slavophiles.Les premiers adoptent les vues de Tchaadaiev.Sa lettre est " un coup de feu dans les ténèbres "s'écrie Alexandre Herzen. Vissarion Bielinskideviendra le champion des occidentalistes.Les slavophiles, eux, se révoltentviolemment contre de telles thèses. Parmi euxKhomiakov, Ivan et Pierre Kireievski, YouriSamarine, en attendant Dostoïevski. À leursyeux, la Russie a un passé, beau et glorieux ;chaque nation du reste a sa culture propre ;celle de la Russie a été déterminée par lareligion orthodoxe. Quant à l'état déplorable dupays, il est dû aux réformes de Pierre le Grand,qui a orienté la Russie dans une voie qui n'étaitpas la sienne.Pourtant, les occidentalistes sont tout aussipatriotes que les slavophiles, et ces derniers nesont aucunement antieuropéens. La revuepubliée par le slavophile lva Kireievski a,d'ailleurs, pour titre L'Européen. Mais ilsconsidèrent que la Russie a son propre parcoursà accomplir. Elle a sa raison d'être et doitdévelopper sa propre civilisation.Leur querelle est en fait d'essence religieuse.Berdiaeff l'exprimera de la façon la plus nette endisant que c'est une querelle entre une culturespirituelle et une civilisation mécaniste.Les occidentalistes souvent athées,imprégnés des idées de penseurs tels queProudhon et Saint-Simon, ont pour héros lesjacobins français. Ils s'écartent rapidement deleur libéralisme initial au profit des idéessocialistes. La revue Annales de la patrie, animéepar Bielinski, devient leur principale tribune. AunoL" du socialisme, Herzen met en cause lasociété bourgeoise occidentale dans ses Lettresde la rue Marigny qu'il écrit lors de son exil enFrance, en 1847. Au nom du" réalisme "•Bielinski définit la littérature comme une formed'engagement social (Sartre n'a rien inventé). Ilaccuse Nicolas Gogol d'avoir « trahi sa missiond'écrivain " : Gogol était en effet convaincu quel'amélioration de la société passait par leperfectionnement intérieur de l'homme plutôtque par une révolte contre l'ordre établi.La " gauche occidentaliste » se lance dansune surenchère continuelle. Se contenter decritiquer les réformes sans les rejeter en blocrelève à ses yeux d'une attitude réactionnaire. Enfait, à partir des années 1870, les successeursdes premiers occidentalistes adoptent la doctrinepopuliste selon laquelle la solution auxproblèmes de la Russie se trouve entre les mainsdes paysans, dont la vocation est de construirele socialisme. Après une infructueuse «croisadevers le peuple " en 187 4, les populistespréconisent une forme d'action violente. Larévolution, décidément, ne viendra pas desmasses mais sera le fait d'un groupe derévolutionnaires professionnels. Théoriequ'appliqueront les terroristes de la " Volonté dupeuple », puis, sous une forme différente, lesbolcheviks.La révolution de 1917 mettra enfin tout lemonde d'accord.Ce n'est que vers le milieu des années 1960,lors du " dégel » khrouchtchévien, qu'apparaîtdans la littérature un courant" néo-slavophile "·Allant à l'encontre de l'idéologie communiste,ses adeptes soutiennent la thèse d'une culturenationale et tentent de retrouver un passé afin derenouer le lien du temps rompu par la révolution.C'est parmi eux qu'émergent les écrivains« ruralistes » tels que Belov, Astafiev,Raspoutine ... Dénonçant les dégâts de lacollectivisation, ils estiment que seul le mondepaysan a sauvegardé les richesses spirituellesdu passé.Une décennie plus tard, dans les années 1970,le mouvement des " dissidents » bat son plein.Ils militent pour les droits de l'homme, pour lerespect des accords d'Helsinki ou, toutsimplement, pour le respect de la Constitution.C'est " l'âge d'or » du Samizdat. Le professeurde logique Alexandre Zinoviev, dans ses livresL'Avenir radieux et Les Hauteurs béantes,emploie l'arme de l'ironie et de la dérision contrela « nouvelle société » communiste.Sakharov, infatigable défenseur des droits del'homme, dénonce les arrestations abusives ;Soljenitsyne dévoile l'existence et décrit toutel'horreur de l'Archipel du Goulag. Les deuxhommes deviennent des autorités moralesincontestables, aussi bien en URSS qu'àl'étranger.Sakharov est un libéral, un réformisteconvaincu comme il se définit lui-même (" Monpays est le monde »). C'est un humaniste pourlequel l'avenir du monde dépend de notresagesse, dont la manifestation concrète doit être" la capacité de surmonter la division del'humanité au nom de l'homme et de ses droits "·Sakharov croit encore au Progrès. Ses opinionsparaissent faire écho à certaines idées desoccidentalistes du siècle dernier. Mais Sakharovest également hostile aux changementsrévolutionnaires qui " aboutissent toujours audéferlement massif des souffrances, des actesarbitraires, de l'horreur " ; or, c'est bien l'opinionque professaient les slavophiles. Il se prêtera aujeu de Gorbatchev en devenant député en 1989 ;sa première tâche sera alors de militer pourl'abrogation de l'article 6 de la Constitution quifaisait du parti communiste le parti unique.Soljenitsyne, lui, est profondément croyant etpatriote. Il s'élève contre ceux, en Occident ou enRussie, qui font porter à son peuple laresponsabilité du CO!lJmunisme, et présentent labarbarie stalinienne comme la continuation de labarbarie russe, et les Soviets comme les héritiersdirects des Tsars. C'est la position que défendavec force son ami le mathématicien IgorChafarévitch dans La Russophobie. PourSoljenitsyne, il importe en fait de respecter le« précieux pluralisme des cultures à travers lemonde et leur légitime recherche de solutionssociales distinctes "·Il insiste surtout sur le rôle de la morale enpolitique et croit découvrir ce concept dans lesprofondeurs de l'âme du peuple russe. «Leprogrès, d'accord, mais en quoi ? " écrit-il." Non, impossible de confier tous ses espoirs àla science, à la technologie, à la croissanceéconomique "· Certes, personne ne peut arrêterle progrès, mais «il ne tient qu'à nous de ne plusvoir le progrès[ ... ] comme un flot de bienfaitsillimités, mais comme un cadeau venu d'en hautqui soumet notre libre arbitre à une épreuve desplus ardues "· Ce libre arbitre dont la Russies'est trouvée si longtemps privée ...ALEXANDRE GEDILAGHINE1


ENTRETIEN AVEC VLADIMIR VOLKOFF


LEGENDES ET DETERMINISMEtières naturelles. On sera avisé de bien vouloiradmettre cette particularité. On sera sur labonne voie en acceptant de retenir que la Russiea eu plusieurs capitales en mille ans- Novgorod,Kiev, Souzal, Moscou et Saint-Pétersbourg-dont trois sont restées majeures.Il est banal de rappeler que le destin russes'accomplit sur un espace immense. Il l'estmoins de dire que l'histoire sert de géographieà la Russie, laquelle n'est pas une nation, maisun empire. Il n'y a pas de nation russe, mais ily a les peuples russes. La question ukrainiennele montre bien.L'histoire est le cadre du destin russe. Elleexplique toute l'importance de la monarchiequi en a été la colonne vertébrale. Vous pouvez,à la limite, imaginer la France se fairesans ses quarante rois. Mais la Russie sans lamonarchie ne serait pas. Lorsqu'il n'y a plusde monarchie, la Russie se défait.Plus de Russie ?Lorsque nous disons « la Russie », nousvoulons dire aussi la Sibérie, l'Ukraine, laBiélorussie. Aujourd'hui, le mot de Russie nesignifie plus rien. Preuve : pour qualifier sescompatriotes, Boris Nicolaévitch Eltsine ne ditplus « russes », mais « russiens ». D'un pointde vue strictement ethnique, les Ukrainiens,les Russes et les Petits Russes appartiennentau même groupe, pas les Mongols. Or,aujourd'hui, Mongols et Russes relèvent d'unemême organisation administrative, alors queles Ukrainiens et le Biélorussiens appartiennentà une autre. Linguistiquement, la questionest encore plus complexe. Savez-vous que peud'Ukrainiens parlent 1' ukrainien ...Plus d'identité russe ?Bien sûr que si, mais cette identité russe estnomade sur l'espace de l'empire russe.Contrairement à la France, la Russie n'a pas uncentre de gravité. Lorsqu'il fait de Pétersbourgsa nouvelle capitale, Pierre le Grand choisit lesite le plus excentré. Imagineriez-vous NapoléonIII portant sa capitale à Sedan ? Le cadrerusse n'est pas géographique, il est historique.À l'œil de l'Européen occidental, l'histoirerusse apparaît marquée par la discontinuité: la Russie de Novgorod, la Russie deKiev, la Russie sous le joug tartare, la Russiede Pierre le Grand, la Russie des Romanov,la Russie soviétique ...La continuité russe est autre. Elle s'alimentede l'orthodoxie, de la langue et de lamonarchie.Ivan le Terrible (1530-1584). Un grand tsarcalomnié?Dans l'Ouest européen, la compréhensionde l'histoire russe semble perpétuellementfaussée par une connotation d'exotisme.Comment l'expliquez-vous?Cela commence avec Voltaire, continueavec Custine, puis avec Michel Strogoff deJules Verne. L'Europe des Lumières regarde laRussie comme une terre exotique. Cela tient àla fantaisie, à la prétention de juger selon sespropres normes et à la distance.Où commence l'Europe? Où se termine+elle ? « De l'Atlantique à l'Oural », la formulegaullienne n'a aucune signification géographique,1 'Oural étant loin de constituer unecésure. L'Europe n'est qu 'un « petit cap del'Asie ». La Russie appartient à l'Eurasie. Pendantmille ans, elle s'est battue, a préservél'Europe et a épongé les assauts asiatiques.Elle a connu le joug tartare durant trois siècles.Des Tartares, elle a gardé certaines mœurs (leterem, le pal...).La rupture avec l'Europe tient à l'arrivéedes Tartares qui détruisent Kiev et isolent laRussie. J'en veux pour preuve les relationsque la Russie kiévienne entretient jusque-làavec le reste de l'Europe. Toutes les filles deIaroslav, le fils de saint Vladimir, épousèrentles fils de princes européens. Anne devintreine de France à Reims. Son mariage avecHenri l" fut d'ailleurs une mésalliance pourcette princesse élevée à Kiev, « la mère desvilles russes > et 1 'une des plus prestigieusescapitales du temps.Et l'appartenance à l'orthodoxie, à « lavraie foi»?Les graves effets de la rupture entre Romeet Byzance vont peser plus tard. Rome marqueraune certaine aigreur et tiendra lestenants de l'orthodoxie pour des « schismatiques» et des « rebelles ». Les chevaliers allemandsdéfaits par Alexandre Nevski, le princede Novgorod, sur les glaces du lac Peipous(1242), sont mandatés par Rome pour laconversion par le glaive d'une croisade. Noussommes là au cœur d'un antagonisme qui perdure.Voyez la campagne de désinformationsur la Serbie ...La thèse du « malheur russe >> procède-tellede la même intention ?Il s'agit d'une mystification. Le thème estaccrocheur et les journalistes savent bien quele public s'intéresse plus aux catastrophesqu'aux trains qui arrivent à l'heure. À considérerles mille ans de la Russie, l'histoire comportedes pages rouges de sang, des massacres,des horreurs. Mais à regarder les guerres dereligions en France, la guerre des Deux-Rosesen Angleterre, la guerre de Trente Ans enAllemagne, la Guerre civile en Espagne, laTerreur révolutionnaire en France, les massacrespendant et après la Commune de Parisou la condamnation au bûcher de Jeanne d'Arcpar des évêques, la Russie n'est pas uneexception.Les premiers drames de la Russie tiennentpeut-être au fait que les Rurikides n'ont pasinstauré la primogéniture. Jusqu'aux princesde Moscou, c'est-à-dire pendant trois à quatrecents ans, la Russie a vécu sous le système desapanages. Ses princes se sont entre-dévorés.L'Occident n'a-t-il pas connu la querelle desfils de Charlemagne ? La couronne françaisen'a-t-elle pas été disputée longtemps par lesPlantagenêts ? Et la longue querelle des Armagnacset des Bourguignons ...La Russie a également ignoré la loisalique. Ce fut un bienfait, car il permit auxfemmes de régner et nous eûmes de grandesimpératrices.L'histoire russe échappe à une fatalité dumalheur. Songez au règne de saint Vladimir.Ce fut un temps heureux où la Russie vécut1 'éblouissement du christianisme. Songezaussi au règne d'Ivan III, le rassembleur desterres. À celui d'Ivan le Terrible. Certes, lesdernières années du règne de ce grand souverainfurent assombries, mais n'en a-t-il pasété de même pour Louis, le Roi-Soleil ?Grand aussi fut le règne de Catherine. Decette impératrice, il n'a souvent été retenuque le fait qu 'elle avait du tempérament (tantmieux), en oubliant qu'elle a excellemmentservi l'Empire. D'aucuns lui reprochentd'avoir confirmé Je servage- qui n'était pas1


NDES ET DÉTERMINISMESl'esclavage - et renforcé les prérogatives dela noblesse. Vrai et faux. La noblesse russe,assez différente de la française, était au servicedu tsar. Noble, en russe, veut dire « hommede service ».Le XIX' siècle est un« siècle d'or» à touspoints de vue. La Russie administre une racléeà Napoléon. Elle porte ses frontières jusqu'aulac Balkhach, aux portes de la Chine. AvecPouchkine, Gogol, Dostoïevski, Tolstoï, Lermontov,Glinka, Moussorgski, Tcha'1kovski,Répine, Bilibine, Diaghilev, elle brille par leslettres, la poésie, la peinture, la musique, ladanse. Elle bouillonne dans le domaine desidées avec des penseurs comme Berdiaev etSerge Boulgakov, et le conflit des slavophiles etdes occidentalistes ... À la faveur de la guerre,la Révolution va briser tout cela.Où est le malheur russe? Jusqu'à 1917, ilest surtout dans les caricatures nées de la frustrationde 1 'intelligentsia radicale, dans la propagandedes agitateurs exilés qui s'astreignentà « noircir » leur patrie. Avant Lénine, Tourguenieva pratiqué ce dénigrement. Après1917, le malheur russe devient effectif. LaRévolution - utopie devenue cauchemar - sefait destructrice et sanguinaire. Elle éreinte lapaysannerie et s'applique à J'élimination desélites, supprime les pères et interdit aux fils depoursuivre leurs études. Malgré la dictaturerouge qui a duré plus de soixante-dix ans, laRussie a cependant pu voir surgir la figuremiraculeuse d'un Soljenitsyne.La formation des stéréotypes négatifss'alimenterait-elle de la disposition desRusses à l'autodénigrement?D'une certaine façon. Une anecdote enfournit l'illustration. Allez savoir pourquoi, enFrance, au XIX' siècle, les Russes passaientpour des '' mangeurs de chandelles ». Persuadéde la véracité de cette fable , un Françaisoffre une chandelle à son ami russe. Celui-ci,plutôt que d'éclater de rire, remercie courtoisementet ajoute : « Cette chandelle est sibelle que je la consommerai dimanche. »Les Russes ont souvent laissé dire. Ils sesont joués de leur propre créateur. La comtessede Ségur, créatrice du brave Général Dourakine- dourak en russe veut dire « idiot » - estnée à Saint-Pétersbourg. Elle est la fille ducomte Rostopchine, le gouverneur de Moscou.Vos .figures préférées de l'histoire russe?Saint Vladimir, bien sûr, les impératricesCatherine et Elisabeth. Cette dernière a suppriméla peine de mort. En France, à la mêmeépoque, on suppliciait Damiens en faisant coulerdu plomb fondu dans ses blessures, avantde l'écarteler. J'aime assez Alexandre I", bienqu'il se soit considéré comme « républicaindans l'âme », Nicolas I" qui n'a fait pendreque cinq hommes au lendemain de la révoltedécembriste, a traité Pouchkine avec douceur,protégé Gogol et gracié Dostoïevski.Alexandre III aussi mérite d'être salué. Alorsque son père était tombé sous les coups desterroristes, il se promenait tout seul avec sonchien dans le parc de sa résidence au bout dedix ans de règne. Il avait compris la spécificitérusse. Hélas, il n'a régné que douze ans. Jeretiens également le général Souvorov quiécrivait des lettres au Vendéen Charette, lepoète Lermontov, le très grand Stolypine ...Et Dostoïevski ?Le plus russe des écrivains russes est trèscher à mon cœur. Il montre que la Russieoscille entre la léthargie et le déchaînementdes passions, que les Russes sont portés àl'excès et ignorent la mesure. Mais il faut lireaussi Tolstoï dont se réclame Soljenitsyne, carles contrastes entre ces deux géants permettentde comprendre le peuple russe.De Pierre le Grand et de Staline, vous nedites rien?Pierre Je Grand est un paradoxe. Il faudraitdes heures pour cerner le profil de cette figurecolossale à tous égards, très russe et pourtantséduite par le rigorisme du protestantisme germanique.Son terrible duel avec Charles XII deSuède est une épopée fabuleuse. Quant à Staline,il est d'abord 1 'incontestable vainqueurde la plus grande guerre jamais livrée sur laPierre Stolypine (1862-1911).Nommé Premier ministre(juillet 1906) en pleine criserévolutionnaire, il écrasera lesrebellions. Il saura ensuitegouverner avec lareprésentation nationale etentreprendra une immenseréforme en faveur des paysans.Assassiné en 1911, son destin aété longuement évoqué dansEnquête sur l'histoire n°7(Les grands crimes politiques).surface de la terre. Ce personnage qui a su sibien manœuvrer Roosevelt et Churchill, a faittuer le plus grand nombre d'Allemands etimposé un lourd tribut de sang au peuplerusse. Comme Catherine II qui était née allemande,ce Géorgien qui parlait russe avec unfort accent, s'était reconnu dans la grandeur deJ'empire russe. Sa relation au passé de la Russieétait si forte qu'il souffrait des anciennesdéfaites russes et parlait du désastre de Port­Arthur comme d'une humiliation personnelle,ce qui explique son attitude à J'égard des Japonaiset les lourdes compensations exigées àYalta.Permanence de l'idée impériale ?Incontestablement. L'historien Tikhomirovdit de la monarchie russe que le monarque yest « l'incarnation et le gardien de l'idéal dupeuple ». Tous les monarques doivent êtrejugés selon ce double critère. À l'instar dePierre le Grand, Staline a tenté de remplir cesconditions à son propre avantage. Mais il s'esttrompé d'idéal, car J'idéal russe est fondamentalementchrétien. Il a été, en quelque sorte, untsar illégitime ...PROPOS RECUEILLISPAR JEAN-JACQUES MOURREAUVladimir Volkoff a publié notamment Vladimir,le soleil rouge (L'Âge d'Homme, 1981),biographie du fondateur de la Russie orthodoxe; Les Faux tsars (De Fallois/L' Âged'Homme, 1991). Son roman Le Berkeley àcinq heures vient de paraître aux Éditions deFallois/L' Âge d'Homme.


ITINERAIRE NOSTALGIQUEPromenade dansle Paris des RussesSamovars, blinis, vodka etauthentique bœuf Strogonoff,églises orthodoxes, musées, souvenirsdes grands-ducs exilés, desécrivains maudits et des danseursétoiles. On trouve tout cela àParis. Visite guidée.PAR MACHA MANSKI'Aregarder couler la Seine sous le pontAlexandre III, on ne s'imagine peutêtrepas sur les bords de la Moscova.Et pourtant, c'est en l'honneur du tsar, père del'alliance franco-russe de 1891 que ce pont futainsi nommé, cinq ans plus tard. Faisonsquelques pas. Nous voici sur les Champs-Élysées.Les cosaques ne bivouaquent plus icicomme en 1814, mais ils nous ont laissé unsouvenir. « Bistro, bistro » : vite, vite, lançaient-ilsaux tenanciers des estaminets quitardaient à les servir. Le mot a fait souche.Après une pensée nostalgi'lue pour le naufragede la piscine Deligny, hantée, dit-on, parle fantôme de Gabriel Matzneff, allons chinerchez les bouquinistes sur les quais de Seine, àla recherche de nos premières lectures. Quitrouverons-nous ? La comtesse de Ségur, néeRostopchine, bien sûr - L'Auberge de l'Ange­Gardien, ou Le Général Dourakine ... Peutêtrey dénicherons-nous quelques merveilleuxgros livres qu'Henri Troyat consacre aux épi-La cathédrale Saint-Alexandre-Nevski, rue Daru, dont la première pierre fut posée en 1859 .


RAIRE DE L'HISTOIREsodes tumultueux de 1 'histoire russe. Au dosde la jaquette des plus anciens apparaissait enpetits caractères le véritable patronyme del'auteur, Lev Tarassov, avec pour toute précisionbiographique : « Né à Moscou en 1911. »Troyat-Tarassov n'appartenait pas encore àl'illustre compagnie instituée par Richelieu engardienne de nos lettres.Laissons-nous guider vers Drouot, devantles boutiques des numismates. Ici dorment,depuis longtemps dévalués, les fameuxemprunts russes qui firent la ruine d'un millionet demi de Français. Au passage, un petitdétour par la Bourse : n'est-ce pas dans lachambre d'un hôtel qui lui faisait face queGogol commença d'écrire Les Âmes mortes?Les plus grands noms de la littératurerusse du XIX' siècle sont, comme lui, passéspar Paris : Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski ...Ivan Tourgueniev, lui, s'était épris à Moscoude la cantatrice Pauline Viardot, la sœur de laMalibran, qu 'il avait décidé de suivre dans lacapitale française. Il s'éteignit quarante ansplus tard à Bougival, dans le curieux chaletaux allures d'isba qu'il s'était fait bâtir, enguise de cabinet de travail, face à sa propriété.Aujourd'hui, seul vestige au milieu du parc, lamaison de rondins, emplie des souvenirs qu'ylaissèrent George Sand, Flaubert, les Goncourt... est devenue le Musée Tourgueniev.Réfugiés blancsAu cimetière du Trocadéro, une étrangechapelle aux coupoles byzantines surmontéesd'une croix orthodoxe. À l'intérieur, dans lapénombre, on distingue le buste d'une bellejeune femme : Marie Bashkirtseff. À dix-septans, pour suivre les cours de l'académieJulian, elle avait persuadé ses parents de s'installerà Paris. Atteinte de tuberculose, ellemeurt à vingt-six ans. Son journal intime,publié après sa mort, lui attire une gloire posthume.Et Barrès, même, s'éprend de sa figure.Rue Daru, en bordure de la plaine Monceau,voici les bulbes dorés de la cathédraleSaint-Alexandre-Nevski. La première pierresera posée en 1859. La beauté des servicesreligieux impressionne fortement la jeuneAnna Brancovan, future Anna de Noailles,qui chaque dimanche assiste à la liturgie avecses parents. Déjà les années 1900 se profilent.Le public parisien va s'enthousiasmerpour les Ballets russes de Diaghilev. En 19<strong>09</strong>,au théâtre du Châtelet, Anna Pavlova danseLa Mort du cygne. C'est un triomphe. L'annéesuivante, la troupe crée Shéhérazade àNijinski et la Pavlova.l'Opéra. Nijinsky est ovationné. Chaliapine,lui, a fasciné les mélomanes. La vogue deMontparnasse retentit à travers l'Europe. Dejeunes artistes russes se pressent dans les ateliersdes peintres. Chagall, Soutine, Zadkine,Sonia Delaunay sont encore des inconnus, etvivent sous les mansardes du quartier dans undénuement extrême.La Révolution de 1917 jette sur les routesde l'exil une cohorte de réfugiés blancs. Combattantsdes armées Wrangel et Denikine,civils de toutes origines transitent parConstantinople, Prague ou Belgrade, et pour laplupart gagnent Paris. Joseph Kessel, dansNuits de Princes, a retracé le destin tragiquede ces Russes, souvent confrontés à la misère,vivant d'expédients, ou exerçant les métiersles plus inattendus. Authentiques aristocratesmétamorphosés en portiers de boîtes de nuit,Marina Grey, écrivain parisien dont l'œuvrechaleureuse est éclairée par la fidélité à son père,le général Denikine .maîtres d'hôtel. .. Les chauffeurs de taxi russessont légion : dans les années trente, on encompte pas loin de trois mille, pour la plupartanciens officiers de 1 'Armée Impériale. Lesusines Renault accueillent à bras ouverts cettemain-d'œuvre providentielle - près de troismillions d'hommes ne sont pas revenus de laGrande Guerre ... En outre, ces anciens officiers,soldats ou cosaques des ArméesBlanches ne sauraient être des instigateurs degrève ! Plusieurs milliers de Russes s'installentà Boulogne, aux portes mêmes des ateliersdu constructeur automobile. Nina Berberovadans ses Chroniques de Billancourt met enscène, parfois avec dérision, ces Russes quel'exil a soudain prolétarisés.Les premiers cabarets russes apparaissentà Pigalle. En 1926, on en dénombrera une centaine.Le plus célèbre est sans doute le CaveauCaucasien. Le Yar, la Troïka, Shéhérazade- leseul qui subsiste aujourd'hui - ne sont qu 'àquelques pas. Guitares et violons se fontentendre jusqu'à l'aube. Un chant tzigane, ouune vieille romance russe s'élèvent parfois. Làaussi le champagne est servi par d'anciensofficiers, et les hôtesses, voire les chanteuses,sont peut -être princesses ou comtesses.Des cours de danse ouvrent. Au milieu desannées trente, Lucette Almonsor qui deviendraMadame Louis-Ferdinand Céline, fréquentele studio de Madame Egorova. C'estd'ailleurs là que Céline, friand du spectacle del'entraînement des danseuses, la rencontre.Bulbes dorés sur ParisSelon les statistiques, en 1926, plus desoixante-dix mille Russes vivent en France. Lacommunauté s'organise. Un lycée russe estcréé rue du Docteur-Blanche. Transféré par lasuite à Boulogne, il préparera une générationentière à l'épreuve du baccalauréat, puisqu'ilne ferme ses portes qu'en 1961.Des professeurs des conservatoires impériauxfondent le Conservatoire russe de Paris.Il s'installe en 1932 dans les locaux qu'iloccupe encore aujourd'hui avenue de New­York. Au sous-sol, la cantine propose toujoursà ses membres pour un prix modique bortsch,pirojkis, blinis ...Des librairies voient le jour. Face à lacathédrale, rue Daru, Sialsky diffuse toujoursLa Pensée russe, l'hebdomadaire de l'émigration.Il y a encore dix ans, à Auteuil, où habi-15 taient de nombreux Russes, on pouvait l'acheterdans le moindre kiosque. Rue de la Montagne-Sainte-Geneviève,en plein Quartier


ITINÉRAIRE DE L'HISTOIRLes« montagnes russes», des tremplins glacés à l'origine,Jerontjureur à Paris.latin, les Éditeurs-Réunis, dès 1925, offrentquantité d'ouvrages en langue russe. En 1971,ils sont les premiers en Occident à publierAlexandre Soljenitsyne.Des épiceries russes font leur apparition.Demeurent encore Soukhanoff à Auteuil et LeRégal à Passy. À l'approche des fêtes dePâques, des quatre coins de Paris, on vient yacheter les ingrédients nécessaires à la confectiondes traditionnels paskhas et koulitchs.Mais le cœur de la vie de l'émigration, cesont les églises. Aux fins fonds du XIX' arrondissement,entre le canal de l'Ourq et les Buttes­Chaumont, un portail anonyme dissimule unchemin pentu qui mène à une petite église debois perchée sur une colline. C'est une anciennechapelle protestante bâtie en 1861 pour lesouvriers allemands d'une briqueterie voisine.Mise sous séquestre en 1914, elle est vendueaux enchères après la guerre et acquise le jourde la Saint-Serge par un groupe d'émigrés qui larestaurent, et, dissimulant 1 'autel derrière desportes chinées chez un antiquaire berlinois, latransforment en église orthodoxe. L'hiver, lorsqu'un peu de neige parsème le jardin, on a brusquementl'illusion d'être en Russie.Auteuil compte deux églises mais chacunesous la tutelle d'un patriarcat différent- vieillequerelle de l'émigration! Boulevard Exelmans,coincée entre deux immeubles modernes,Notre-Dame-du-Signe paraît quelque peuincongrue. La petite bâtisse abrite, au rez-dechaussée,le Musée des Cadets. Rue Claude­Lorrain, l'Église « hors frontière » occupe lepremier étage d'un hôtel particulier qui jouxtele cimetière du quartier. Sur la façade, rien nelaisse deviner la destination du lieu. Seul indice: les petits groupes qui s'attardent sur leRESTAURANTS VRAIMENT RUSSES• Cantine du Conservatoire Rachmaninoff(réservée aux membres, simple cotisation,70 Flan). 26, avenue de New-York, 75016 Paris(tél. 47 23 51 44). Bortsch, blinis, pirojkis, pelmeni,bœuf Strogonoff, côtelettes pojarski ... Compter 80-100 F le dîner.• La Balalaïka. 60, rue de la Montagne-Sainte­Geneviève, 75005 Paris (tél. 46 33 23 23). Tenu pardes Russes de


.1'.1'NON-ASSISTANCE AUX ENFANTS DESINFORMESL~URSS dans lesmanuels scolairesPendant des décennies, lespotaches qui forment l'élite françaised'aujourd'hui ont été gavésde mensonges sur l'URSS et lecommunisme. Les choses cornmenceraient-ellesà bouger ?PAR JEAN-PAUL ANGELELLIL'étude de l'URSS dans les manuelsscolaires remonterait fort loin(avant même 1939) mais cette étudesera limitée ici aux livres d'histoire et de géographiedes années soixante-dix à nos jours.L'essentiel de la documentation sur le sujets'est appuyé sur la consultation des ouvragesscolaires, sur des études parues dans Est etOuest et Historiens-Géographes et enfin surles actes du colloque que l'Association françaisepour la Russie libre organisa le 6 mai1987 au Sénat, sous la présidence de Jean­François Revel (1).Dans des communiqués publiés ultérieurementpour répondre à diverses attaques, deséditeurs ont souvent protesté de leur indépendanceet de l'objectivité des rédacteurs demanuels, du libre choix des intéressés (les professeursdans leurs établissements) et du pluralismedes livres proposés.Pourtant, à s'en tenir au seul plan quantitatif,le simple recensement des livres d'histoirede 1930 à 1983 permettait de chiffrer à 24 lesouvrages classés « pro-bolcheviques », à 21 lesEn présentant cette affiche qui date de 1919, les manuels scolaires tendent à tourner en dérisionl'anticommunisme comme relevant de l'obscurantisme de pauvres demeurés n'ayant rien compris à lanature progressiste du système .


L'URSS DANS LES MANUELSEn 1920-1921, la révolte des paysans de la Volga fut réduite à coups de canon mais aussi par la famine. Cette méthode, amplifiée de 1929 à 1933 contre lespaysans ukrainiens, fit plus de six millions de morts.livres critiques et à 10 les manuels« mixtes» (2) ...À noter que suivant les années on peut retrouverle même éditeur dans les trois catégoriesévoquées ...Traitant d'un sujet parallèle (3), J'universitaireaméricaine Daniela Pinto fut amenée àfaire des comparaisons entre les images et lestextes consacrés aux deux superpuissances.Elle en conclut que ce sont les livres de géographiequi contiennent le plus de désinformation.Ainsi plusieurs ouvrages manifestent del'intérêt ou de J'enthousiasme pour les grandstravaux soviétiques en oubliant que ceux-cifurent surtout réalisés par une main-d'œuvreforcée fournie par les camps de concentration.L'URSS de (certains)géographesL'édulcoration des réalités s'appliquemême à la description des reliefs et des climats.Lors de la réunion de commissions franco-soviétiquesen 1967 portant sur Je contenudes manuels, les Soviétiques, tout en étant fortsatisfaits du contenu des livres français ( 4),émirent des réserves parce que les paysages deleur pays étaient qualifiés de « monotones ».Un manuel (Bordas) trouvait pourtant Je relief«grandiose ».Les duretés climatiques servaient souventd'excuses pour les variations (et les faiblesses)de la production agricole de 1 'URSS, alors queJe Canada qui connaissait les mêmes conditionss'en tirait fort bien. Sur les autres chapitres,le professeur Dupâquier (5) signalait la« véritable stalinisation qui avait sévi dans leslivres à partir de 1953 » (année de la mort deStaline). Pour la démographie, les manuelsinsistaient sur la « terrible saignée de laSeconde Guerre mondiale » (Hachette) ou parlaientde « pertes sensibles » sans en donnerles causes. Or, dans un livre de quatrième,publié chez Bordas en 1969, M. Dupâquierinséra la pyramide des âges en URSS (fourniepar un spécialiste de l'Institut national desétudes démographiques) qu 'il qualifiaitd' « arbre de Noël sanglant » et qui démontraitcombien les périodes de surmortalité eurentdes causes extra-démographiques.Pour J'agriculture, les livres minimisaientles faiblesses ou J'expliquaient par la faute deskolkhoziens qui « s'obstinent à consacrer tropde soins à leur jardin ou à leur vache audétriment des terres collectivisées » (Bordas).Voilà des ingrats, voire des saboteurs ! Unlivre (le Cholley) donnait pour exemple « lesrésultats obtenus par les disciples de Mitchourineet les élèves de Lyssenko ». Au-delà deces détails, les manuels citant les statistiquessoviétiques avec leurs chiffres faramineux,sans esprit critique, l'URSS était créditée de« seul pays au monde à connaître une expansionindustrielle rapide et continue » (Bordas)en pleine période des « Trente Glorieuses »,alors que les États-Unis, le Japon, 1 'Allemagne,la France connaissaient leur expansionrecord. Quand des « retards » étaient signalés,ils étaient imputés « au tsarisme ou à Hitler,rarement à la guerre civile, à la famine , auxpurges staliniennes » (J. Dupâquier).Une autre forme d'intoxication (et non lamoins efficace) résidait dans l'iconographie(photos et documents). Daniela Pinto note que« les photos sortent tout droit d'une brochureofficielle de tourisme ». Quand Dupâquier proposepour illustrer un livre de terminale desphotos personnelles prises au cours d'unrécent voyage en URSS, c'est un refus qui luiest opposé (chez Bordas). Celles-ci auraientjuré avec Je texte ...


S DANS LES MANUELSCertes tous les livres n'étaient pas dans lemême ton. Par exemple, pour s'en tenir auxannées soixante-dix, le Belin et le Nathandisaient la vérité sur l'URSS mais souventavec des précautions de langage ou desnuances. D'ailleurs en 1970 s'amorce une« déstalinisation prudente » et on a pu parlerde « manuels brejneviens ».Quant à 1 'histoire, une synthèse limitéeaux livres de troisième (fin du premier cycledans les collèges) ( 6) illustre des déviations oudes fausses vérités qui se retrouveront defaçon plus subtile dans les classes de premièreet de terminale. Quelques exemples ... Dès1918, le nouveau régime est crédité de l'adhésionpopulaire. La dictature bolchevique estjustifiée par « la gravité des périls » (Ratier).Les communistes sont identifiés aux Jacobinsde 1793, ce qui était alors élogieux ... « LaTcheka, puissance de plus en plus indépendante,répond à la terreur blanche par la terreurrouge » peut-on lire dans un livre de Nathan.Changement de tonLe Hachette de troisième réussit l'exploitd'évoquer tous les aspects du régime stalinienen un paragraphe de 24 lignes où la « dékoulakisation», c'est -à-dire le massacre programméde plusieurs millions de paysans(dont le bilan n'est pas fourni), est justifiée« parce que les paysans ne cédaient pas leursrécoltes ». L'« essor prodigieux » de l'URSSy est glorifié ainsi que la planification stalinienne.Dans tous les livres, la comparaisonentre chapitres montre un antifascisme vigilantet systématique qui réserve le terme de« dictatures » ou de < régimes totalitaires »(le terme venait d'apparaître en science politiqueà la suite de la traduction en français del'essai d'Hannah Arendt) (7) au fascisme italienet au national-socialisme allemand. Alorsque de nombreux dossiers sont consacrés auxatrocités nazies, un manuel (le Bordas) publiela photo d'un camp de concentration soviétiquequi ressemble à une agréable colonie devacances.Cependant, pour la période postérieure à1945, les études deviennent plus critiques.Elles sont souvent dues à des auteurs différents.Devenue « supe1puissance », l'URSSn'incarne plus une espérance révolutionnairequi s'est portée sur des pays du tiers monde(Viêt-nam, Algérie) ou sur la Chine. L'URSSs'est« embourgeoisée» pour la génération deMai 68. Elle a trahi désormais l'« idéal socialiste», qui n'est pas remis en cause ...Il y a des excuses aux échecs et aux retards :« La crise mondiale est en partie responsabledes difficultés actuelles de l'économie soviétique» (Delagrave). Khrouchtchev a laissé desespoirs : « Les Soviétiques ont droit au mieuxêtreet même les droits civiques sont mieuxrespectés que naguère » (Belin terminale). Deplus, comme il est écrit dans le Bordas (Tempsprésent 1980), l'histoire de l'URSS impliquequ'« on ne projette pas les concepts hérités dela "démocratie bourgeoise" dont, au premierchef, celui de la liberté».1983 marque un tournant : notammentdans les livres d'histoire où à l'inverse desÉtats-Unis, qui sont étudiés plus favorablement,1 'URSS cesse d'être considérée à traversdes lunettes roses. Le terme socialisme est misentre guillemets. Pour le Bordas qui évoque legoulag et les zeks, « le modèle a perdu sonpouvoir », tandis que le Belin parle de« l'impérialisme soviétique »,d'« une productiondifficile à évaluer », de « contradictionsfondamentales », et le Colin d'un système« essoufflé » marqué par la « pénurie ». LeBordas souligne que le système a connu de« réels succès » mais l'URSS n'est ni « unedémocratie politique ni une terre d'abondance »(ce qui en 1983 est une tardive découverte).Il n'était que temps pour les rédacteurs desmanuels ... Car ils sont désormais dépassés par1 'actualité et les médias.Le mal est faitAprès 1989 et déjà dans les livres publiéscette année-là, où le nouveau programme1945-1989 était appliqué en terminale, c'estle déluge, surtout dans les livres remis à jouraprès la chute du mur de Berlin et qui sortenten 1992. Pour le Hachette (CollectionGregh), voici où a abouti « la pratique totalitaire», la « dérive totalitaire », un systèmemarqué par « l'immobilisme, le vieillissement,la sclérose ''· Le Magnard analyse minutieusement« la chute d'une superpuissance » et« l'éclatement de l'Empire ». Le Hatierdénonce « une dictature totalitaire » (leterme devient courant) avec le goulag et sesmillions de prisonniers, l'échec desréformes ... L'ABC Breal Géographie se metde la partie avec ce préambule (savoureux) :« Aujourd'hui [c'est-à-dire en 1993], on saitque l'homo sovieticus n'a pu s'imposer. » Etles tares du régime sont décrites sans complaisance: l'impasse économique, la faillitede la bureaucratie, les trous de la démographie,etc.Encore n'est-il plus possible, depuis deuxans, de poser des sujets sur l'URSS au baccalauréatet les professeurs doivent se contenterd'informer leurs élèves sur l'actuelle CEl etles conditions naturelles et humaines del'Empire rouge. La page est-elle vraimenttournée?Le mal a été fait et bien fait. Comme l'adit le professeur Jacques Dupâquier, « lesmanuels staliniens ont contribué à intoxiquerune génération entière et à accorder vingt ansde survie au mythe du socialisme soviétique ».Voir les faibles réactions des lycéens et étudiants(formés dans les années soixante) auxagressions soviétiques en Tchécoslovaquie etAfghanistan, à comparer aux furieuses campagnescontre la guerre américaine du Viêtnam.Sur le plan intérieur, on peut penser quela complaisance pro-soviétique de la majoritédes manuels a favorisé l'intégration du particommuniste dans 1 'Union de la gauche quiporta au pouvoir François Mitterrand en 1981.Ceux qui ont écrit des manuels ou des chapitressur l'URSS telle qu'elle était se sont parfoisheurtés à des réseaux bien en place.Jacques Dupâquier en a fait l'expérience. Sonlivre (Bordas quatrième), jugé antisoviétique,après avoir été attaqué dans L'École et laNation (bulletin des enseignants communistes)a été boycotté. Les communistes (avoués) sontestimés à 6 % au sein du corps enseignant,mais ils tiennent le principal syndicat du secondaire(le Snes) et souvent les postes clés dansles établissements (8). Pour un éditeur, il vautmieux que son livre ne soit pas mis à l'index.JEAN-PAUL ANGELELLI(1) Voir l'Astrolabe, « L"URSS racontée à nosenfants >~, n° 89 (1988).(2) Évolution de la perception de l'URSS dansles manuels d'histoire, par Maurice Decrop. Inl'Astrolabe pp. 9 à 14.(3) L'Amérique dans les livres d'histoire et degéographie, par D. Pinto. Historiens-Géographesn° 303 (mars 1985).(4) L'Union soviétique dans les manuels scolairesfrançais. La première étude publiée dans leno 538 d'Est et Ouest (16-31 octobre 1974).(5) La Déstalinisation des manuels de géographie.In l'Astrolabe pp. 17 à 22.(6) L'Histoire de l'URSS (1917-1968) dans lesmanuels de troisième, Est et Ouest du n° 564 (1"-15janvier 1976) au n° 567 (16-29 février 1976).(7) Il a fallu attendre vingt ans pour que ce livrequi a fait date dans la science politique après sapublication aux États-Unis soit traduit en français etsorte aux Éditions du Seuil... '(8) Responsable du bureau d 'histoire-géographieou de la documentation.Il


LIVREAlexandre leGrandpar Philippe GuilhaumeL'ancien président d'Antenne 2et de France 3, après avoir réglé sescomptes avec le pouvoir socialiste,revient à ses premières amours. Luiqui fut docteur en histoire signe iciune biographie simple d'Alexandre,alerte et vivante, qui est cependantloin de 1 'époustouflant portrait léguépar Benoist-Méchin.France-Empire, 283 pages, 110 F.La Nativité etl'arbre de noëlpar Oscar CullmannB.C.De nos jours encore, lachrétienté est divisée sur lacélébration de la Nativité. LesÉglises orthodoxes de Russie, deSerbie et de Bulgarie, notamment lafêtent toujours à la date du 6 janvier.Le 25 décembre, date à laquelle lemonde romain célébrait le Solinvictus, avant même l'apparition ducul te de Mithra, est attesté à Romecomme anniversaire de la naissancedu Christ dès 336. Rappelant le soucisyncrétique de Constantin quientendait lier le culte solaire au cultechrétien, 1 'auteur montre 1 'utilisationpar l'Église d'une symboliqueancienne qui va faire du Christ « lalumière du monde». Il s'attacheensuite à faire le point sur 1 'originedu sapin de Noël dont l'apparition,sous sa forme actuelle, est attestée enAlsace dès 1600. Cullmann soulignela correspondance entre l'événementcosmique de la naissance du Christet le solstice d'hiver.Cerfrrhéologies, 93 pages, 65 F.J-J.M.Traitéd"hét•aldiquepar Michel PastoureauLe Traité de Michel Pastoureau,directeur d'études à l'École pratiquedes hautes études, présente pour lapremière fois 1 'héraldique sous1 'angle scientifique. Travail complet,d'érudition, qui recensesystématiquement les deux domainesdistincts mais complémentaires desarmoiries. L'héraldique fait 1 'objetd'une mutation : dans 1 'espace desquinze dernières années, leschercheurs ont su élargir le champ deleurs investigations, renouveler enLivrespartie leurs méthodes et s'ouvrir à1 'ensemble des sciences sociales. Ladimension symbolique, voireésotérique, du blason a trouvé sesillustrateurs jusqu'au XVII' siècle. Ils'agissait de l'héritage, transmis ouredécouvert, des principes del'initiation chevaleresque. D'oùl'exceptionnelle richesse de« lalangue du blason >>.Grands manuels Picard, 407 pages, 470 F.E.V.Les Quatrebranchesdu Mabinogitraduit et annotépar Pierre-Yves LambertLes contes gallois du MoyenÂge, (Mabinogion), regorgentd'apparitions horribles oumerveilleuses, de fées et deguerriers, de pactes avec les forcesde l'au-delà, de symboles et demagie. Derrière les combats et lesquêtes des chevaliers apparaît sanscesse en filigrane la légendaire figuredu roi Arthur, incarnation de l'ordredans un univers tourmenté. Lalecture de ces contes amène àconcevoir le monde sous un angletotalement différent, où lemerveilleux est omniprésent. Elleinvite à une méditation sur un mondequi n'a rien de.Gallimard, collection " L'Aube des peuples ",432 pages, 180 F.B.C.Du Guesclinpar Georges Minois« Si en 1380 la Castille est unbon allié de la France, si leroyaume est un peu plus sûr, si lesAnglais n'y possèdent plus queCalais, Cherbourg, Brest etBordeaux, c'est avant tout à DuGuesclin qu'on le doit », observeGeorges Minois. Cependant, DuGuesclin, 1 'instrument des grandsdesseins royaux de Charles V,1 'archétype du héros national et dulibérateur de la patrie dont il « boutel'Anglais >> hors les frontières nenous est connu que de sourcefragile. Georges Minois s'est doncemployé à vérifier, infirmer,corroborer ce que la tradition nous atransmis. En résulte le portrait d'un« chef instinctif », d' « un militaire,rien qu'un militaire > à la lisière dela guerre chevaleresque et de laguerre moderne. Et, d'abord, del'homme d'une seule paroleindéfectiblement mise au serviced'une seule cause, celle du royaumedes lys.Fayard, 518 pages, 150 F.E.V.Bossuetpar Jean MeyerÉcrire sur Bossuet, c'estprendre le XX' siècle finissant àrebrousse-poil. Ce qui n'est paspour déplaire à Jean Meyer, qui avécu plusieurs années en compagniedes écrits- cinquante et un volumes-de l'évêque. « J'ai infinimentaimé, et parfois détesté, celui quidemeure, quoi qu'on en pense, legrand Bossuet, avec son lot depetitesses. »De l'écrivain, de l'orateur, del'homme politique, Jean Meyerparle, et fort bien. Ce n'est pourtantqu'accessoire. « Demeure l'essentiel:Bossuet se veut prêtre, absolument,totalement >>, note son biographe.Sanguin aux colères promptes etviolentes, imbu de son autorité,mariant le faste et la simplicitéévangélique, « gendarme de la viespirituelle », prosélyte attaché à laconversion de 1 'hérétique (il menaced'utiliser les dragonnades),pourfendeur du quiétisme de Mm'Guyon, défendue par Fénelonl'aristocrate, héraut d'une Églisegallicane et héros de la fidélitéenvers le successeur de Pierre,Bossuet, dont le dossier encanonisation « semble contenir plusd'une bonne pièce utilisable parl'avocat du diable »,échappe à nosnormes.Plon, 318 pages, 150 F.Le Secret dumondepar Jean KeplerEn 1596, à Tübingen, un demisiècleaprès Corpemic, un jeunehomme de vingt-cinq ans, JeanKepler, établit le bien-fondé et lasupériorité du système élaboré parl'illustre mathématicien etastronome. Traduit pour la premièrefois en français , ce petit livremontre avec prudence que la penséede Copernic n'avait rien desulfureux.Gallimard, 294 pages, 85 F.B.C.Journal etmémoh•es deThomas de Listière,valet de la 01arquise deSévignépar François BincheDans ce Journal, pour notredivertissement, François Bluchesoutient la comparaison avec lesgrands pasticheurs. Ill' emporte parle souci de la vérité historique et parla préoccupation du mot juste, celuiqui n'est pas anachronique.François Bluche a créé, pournotre plaisir, une double illusion.D'abord en inventant le personnage.Son Thomas, témoin directd'événements notables et annalistelucide d'un grand règne (son journals'étend de 1628 à 1683), a sapersonnalité ; il n'est pas seulementun prétexte à développer un savoirhistorique. C'est la plus divertissantefaçon d'entrer de plein pied dans lesiècle de Louis XIV.Critérion, 260 pages, 99 F.F.V.


jHistoiredu ••attachementde I~Alsaceà la Francepar Jeannine SiatDans sa préface, l'éminentGeorges Livet souligne toute ladifficulté de l'historien devant unsujet qui, aujourd'hui encore, donnelieu à des interprétationscontradictoires. L'auteur, même s'ilsacrifie parfois inconsciemment auxidées qui prévalent dansl'historiographie française, présenteun travail honnête et sérieux,richement illustré, qui pennettra augrand public de mieux comprendre leparticularisme des Alsaciens. Àl'issue de la funeste guerre de TrenteAns, les belligérants se retrouventpour conclure les traités dits deWestphalie. Rédigés en latin, lestextes sont à dessein ambigus. Lesreprésentants de la couronne deFrance veulent obtenir 1 'Alsace. Maisla veulent-ils en fief ou en pleinepropriété ? Ils hésitent. La premièresolution pennettrait au Roi trèschrétien de siéger à la Diète et d'êtreainsi étroitement mêlé aux affaires del'Empire. À Munster, lesplénipotentiaires de la Maisond'Autriche qui ne voulaient pas lâcherl'Alsace, donnèrent leurs faveurs à laseconde solution. Ils cédèrent leslandgraviats de Haute et Basse­Alsace. Or, 1 'Alsace est alors loin decorrespondre à une entité politiquehomogène. Le lien fédérateur résidedans l'immédiateté impériale, laquellen'est pas une sujétion, mais lagarantie de l'autonomie. Elle assure laplus grande liberté aux villes libres età la République de Strasbourg. Pourréduire les libertés alsaciennes, LouisXIV devra recourir à la force. LaRépublique strasbourgeoise devras'incliner devant les troupes deLouvois. Cette capitulation vaentraîner la destruction progressivedes institutions politiques. Elles nesera pas sans conséquencesreligieuses. Dans une ville en majoritéprotestante, Louis XIV n'hésitera pasà rendre la cathédrale au cultecatholique. Lorsque le jeune Goethevient étudier à Strasbourg où ilrencontre Herder, la ville est toujoursallemande par sa langue et par sesmœurs. Ce que les Jacobins,fanatiques de la réduction à 1 'unité, nemanqueront pas de lui reprocher en1793.J Horvath, 239 pages, 158 F.J-J.M.Maurice de Saxepar Jean-Pierre BoisLouis XV pleura sincèrementMaurice de Saxe (1696-1750), mortdans la force de l'âge et dansl'apogée de sa gloire. Fils natureld'Auguste Il, électeur de Saxe et roide Pologne, et de la comtesse Aurorede Koenigsmark, ce prince allemanddevenu maréchal général de France,était Je vainqueur légendaire dePrague (1741) et de Fontenoy(1745). Du Maréchal que détestaitChoiseul et que la Cour tenait àdistance, la petite histoire a retenuseulement l'orgueil, l'ardeuramoureuse, la force physique et Jerefus des conventions de la sociétéde son temps. «Rien n'a fait plus/'éloge de ce général que la conduitede ceux qui ont comrru:mdé nos arméesaprès lui » a dit le spirituel Bernis.Fayard, 538 pages, 150 FJ-J.M.La Francedans le mondeau XVIII" sièclepar Jean Bérangeret Jean MeyerQuand la France était ladeuxième puissance navale dumonde .. . Remarquable synthèseaccessible à tous malgré uneprésentation austère. Les auteursdéveloppent une idée forte, auxrésonnances modernes: l'équilibreeuropéen pennet à la France deconsacrer ses efforts à garantir saprésence dans le monde.Sedes, 380 pages, 115 F.F.V.Paysans de I~Oisesous la Révolution françaisepar Christian MénardCette histoire au microscoped'un village de l'Oise de 1789 à1799, apporte beaucoup de neuf parrapport à ce que l'on sait- ou quel'on croit savoir- des relationsaffectives que les paysans ontentretenues avec la Révolutionfrançaise. Depuis la grande thèse deGeorges Lefebvre sur les paysans duNord, on sait que la Révolutionn'avait pas tou jours été tendre pour lepeuple des campagnes : elle avaitréquisitionné ses grains pour nourrirle peuple des villes, ses chevaux pourles convois, ses fils pour les jeter enmasse contre les lignes et les feux desalve de l'Europe coalisée ; mais ondisait qu'en revanche elle l'avaitdébarrassé des droits féodaux, luiavait pennis d'acheter les biens de lanoblesse et du clergé, de partager lescommunaux ; et surtout qu'elle luiavait apporté, en même temps que laliberté et l'égalité, la dignité. Lespaysans passaient pour les grandsbénéficiaires de la Révolutionfrançaise. En regardant à la loupe,avec Christian Ménard, on ydécouvre des détails horrifiques, quel'histoire officielle avait occultés.Gemob (Chemin de Plouy, La Mie au Roy,60000 Beauvais). 156 pages grand format,120 F.G.C.L~Embellissementdes villes~l'urbanisme français auXVIII• sièclepar Jean-Louis HarouelUn grand livre sur l'un desaspects mal connus du dernier sièclede la monarchie. S'il est pratique (lacirculation, la création de jardins,l'évacuation des eaux, etc.),1 'urbanisme du XVIII' siècle estaussi esthétique et politique.L'auteur en examine tous les aspects.Picard, 336 pages, 350 F.F.V.Napoléon~ lesacrepar Jean TulardLe sacre de Napoléon, date> dans l'avènement dela IV' dynastie, qui devait faire suiteaux Mérovingiens, aux Carolingienset aux Bourbons ... Le sacre s'achevapar un sennent. Napoléons'engageait à défendre les conquêtesde la Révolution. C'était affinnerainsi la légitimité de 1789. JeanTulard présente ici la réimpressionpar l'Imprimerie nationale duprocès-verbal de la cérémonie du2 décembre 1804. Il en dégage lasignification et en fait revivre lefaste.Imprimerie Nationale, 216 pages, broché170 F, relié 270 F.À signaler aussi un remarquablepetit livre de Jean Tu lard et GuyThuillier dans la collection QueSais-je? (n° 2323, 40 F), La méthodeen Histoire, clair pratique et utilepour tous, historiens, étudiants,amoureux de l'histoire.c.v.Maratpar Olivier CoquardÀ la laideur de la physionomie,il se plut à joindre le vocabulaire dela folie meurtrière, aux délicatesutopies des Lumières, il associa lamystique de la guillotine, à Rousseauil combina le ruisseau: Marat, 1l'homme qui siégeait à laConvention les pieds dans dessabots, le chef sous le bonnet rouge,la carmagnole jetée sur les épaules,trouve en Olivier Coquard unbiographe attentif. Un rien sévèremais secrètement fervent, évitant lepiège de la réhabilitation, l'ouvrageéchappe aux catégories habituellesde l'historiographie : ni contrerévolutionnaireni libéral ni marxiste,il propose une vision puisée auxtextes originaux et aux archives.Fayard, 565 pages, 160 F.E.V.Le Corps de)~histoirepar Antoine de BaecqueSous la monarchie, le roi incarnela France. Pamphlétaires et gazetiersl'ont compris qui n'ont de cesse de letourner en ridicule. Avec la 1décapitation du roi s'ouvre une ère 1nouvelle. Désonnais, la nation se1cherche une autre représentationsymbolique : ce sera une femme, à11 'allure tout à la fois pure et1généreuse, qui incarnera l'idéal de laliberté. En établissant une rechercheprécise sur les rapports entremétaphores et politique de 1770 à1800, l'auteur explique comment lesrépublicains, en choisissant de sereprésenter sous une fonnetotalement nouvelle, ont inauguréune autre façon de concevoir lapolitique.Calmann-Lévy, 420 pages, 175 F.B.C.Sir Waltet• Scottpar Henl'Ï SuhamyDe l'Écosse, sa patrie, il a faitune


LIVREhistoriens. Professeur de langue et delittérature anglaise à l'Université deParis X-Nanterre, son biographenous relate la destinée exceptionnellede Walter Scott, l'enfant boiteux duRoxburgshire qui se fit le chantre dela geste chevaleresque et de 1 'Écossede jadis. n voit en lui (( l'historiendes mentalités, de la sensibiliténationale et ethnique, de l'imaginairecollectif ».Éditions de Fallois, 460 pages, 170 F.J-J.M.Hector Berlioz~compositt•ur romantiquef••ançaispar Alban RamantAvec Hugo poète et Delacroixpeintre, Berlioz compositeurconstitue la « trinité » des grandsromantiques français, ceux de lagénération de 1830. Professeur demusicologie à l'université deToulouse, l'auteur montre toute lasingularité de Berlioz (1803-1869).Au-delà des contradictions, desexcès et du souci de poser unpersonnage, il y a le créateur inspiréd'une œuvre multiforme etfougueuse, marquée par 1 'originalitéfrançaise.Actes Sud, 171 pages, 125 F.J-J.M.L~Esotét•ismepar Jean-Pierre LaurantCo-fondateur, avec le regrettéVictor Nguyen, de l'associationPolitica Hermetica et de la revue dumême nom, Jean-Pierre Laurant estl'un des bons connaisseurs desdoctrines ésotériques. Sans prétendretraiter ici l'ensemble de ce sujetinépuisable, il s'emploie à dissiperles principales confusions tropsouvent commises à son propos. Unlivre qui rendra service à ceux quiveulent comprendre de quoi il s'agit.Éditions du Cerf, 128 pages, 48 F.P.S.Cot•t•espondaneeuvee i\.nd•·é et ColetteJérumecpar Pien·e Drieula RochelleNécessaire complément à lalecture du Journa/1939-1945, laCorrespondance en est en quelquesorte 1 'antichambre. Drieu âgé devingt ans, barrésien, nietzschéen,affronte dans le même temps laLa Page n~est pas tournée - Janviet·-octobre 1945par Henri AmourouxAvec le dixième et derniervolume de sa Grande histoire desFrançais sous (et après)l'Occupation, Henri Amourouxparvient au terme de cette œuvreimmense et unique entreprise en1976. Ce dixième volume couvre1 'année 1945. Il se termine sur lerécit de la démission du général deGaulle (20 janvier 1946), paralysépar le retour en force de ces partisqui avaient pourtant précipité laFrance, cinq ans plus tôt, dans laguerre et la défaite. Paradoxeétonnant de cette époque marquéepar la poursuite de la guerre enAlsace et en Allemagne jusqu'à lavictoire, avec la participation de laI'u Armée et de la 2' DB. Nouvelleflambée de 1 'épuration sauvage,assassinats aux coins des bois etdes prisons. Premiers grandsprocès de 1 'épuration qui sont, pourHenri Amouroux, 1 'occasion debrillantes synthèses sur toutes lesambiguïtés de l'époque, le récit desprocès de Charles Maurras, RobertBrasillach, du maréchal Pétain oude Pierre Laval, sont chacun depetits chefs d'œuvre en leur genre.La guerre se poursuit également enFrance face aux poches del'Atlantique. Henri Amourouxn'est pas tendre pour nos bons amisanglo-américains qui rasent d'uncœur léger les villes de Royan, Ladouble expérience de l'amour et dela guerre. À Sciences po il se lied'amitié avec André Jéramec,rejeton d'une famille aisée de labourgeoisie juive et s'éprend de lasœur de celui-ci, Colette. Août1914 : Drieu reçoit le baptême dufeu à Charleroi où il est blessé à latête. Jéramec, quant à lui , est tué àl'ennemi. Au fil descantonnements et des lieuxd'hospitalisation parviennent desnouvelles à Colette : deChampagne, des Dardanelles, deVerdun, du Midi ... Cultivant leremords, l'auteur de Feu follet necessera, par-delà le divorce, lesengagements politiques,d'éprouver une passion vraie pourColette. Qui continuera de l'aimeret le cachera en 1945 dans sonappartement des Ternes, jusqu'ausuicide.Gallimard, 588 pages, 250 F.E.V.Rochelle ou Saint-Nazaire avecleurs habitants, tandis que legénéral de Larminat s'offre undérisoire et coûteux


(1920). Hissé par Lénine aux plushautes responsabilités, membreéminent du Komintern, Souvarine,parce qu'il a pris la défense deTrotski contre Staline, se trouveexclu du jour au lendemain du PCF(1924). Bien qu'il revendique encoreun communisme idéal, se voulantplus orthodoxe que les maîtres duKremlin, il s'assigne un doubleobjectif : rétablir la vérité sur lespurges sanglantes du Komintern, etaider les Occidentaux à prendreconscience de la nature du régimesoviétique. Ami de Simone Weil,collaborateur d'Est et Ouest,Souvarine, mort en 1984, prévoyaitill'effondrement proche du systèmesoviétique ?Robert Lattant, 492 pages, 149 F.E.V.Hôtel Luxpar Arkadi V aksherdParce qu'il était animé de lacrainte superstitieuse d'un perpétuelcomplot trotskiste, Staline décima lesrangs du Komintern. C'est l'histoirede cette purge sanglante mise enmouvement par la Lou biankaqu' Arkadi Vaksberg, communisterepenti, relate ici, en puisant sesinformations dans la partieaccessible des archives secrètessoviétiques. L'hôtel Lux, au cœur deMoscou, sert à l'accueil des militantsles plus zélés de l'Internationalecependant qu'il constitue unlaboratoire d'observation de la policepolitique et un écran infrangibleentre les visiteurs et les milieuxintellectuels russes. Les pluséprouvés des apparatchiks ne setrouvaient guère à l'abri del'accusation d'espionnage. Cheminfaisant, l'auteur souligne la constantesoumission des partis frères au grandfrère del 'Est. Un ouvrage intéressantà consulter mais qui ne renouvelleguère l'état de la question.Fayard, 275 pages, 120 F.E.V.Le Sangdes Glièrespar Pierre VialL'histoire du maquis desGlières, c'est avant tout un dramemarqué par la forte personnalité dequelques personnages hors ducommun. Le plus singulier d'entreeux est certes le futur généralVallette d'Osia, qui commanda aprèsl'armistice le 27' bataillon dechasseurs alpins à Annecy et fut levéritable créateur des forces arméesde la Résistance dans les montagnesde Savoie. En contrepoint de l'actionde ce militaire de tradition,farouchement nationaliste, ondécouvre le rôle de Rosenthal, ditCantinier, qui mena la politique deLondres et voulut créer un maquispermanent sur le plateau des Glières.Cette erreur stratégique coûta fortcher aux volontaires regroupés1derrière le lieutenant Tom Morel.Quant au gouvernement de Vichy, ilmontra toute son impuissance lors decette étape tragique de la guerrecivile de l'année 1944.Presses de la Cité, 250 pages, 120 F.J.M.Indochine11940-1955par Jacques de FolinAncien des Forces NavalesFrançaises Libres, diplomate decarrière (il fut ambassadeur àSaigon) l'auteur raconte l'histoire del'Indochine encore française de ladéfaite de 1940 aux lendemains desAccords de Genève. Il est sévèrepour les illusions et les erreurs de DeGaulle et de ses représentants en1945-1946. Juge bien Hô Chi Minh« léniniste fanatique et cynique "mais croit qu 'il aurait fallu luiopposer un nationaliste vietnamiendécidé comme Ngô Dinh Diem.Démystifie Mendès France quidisposa à Genève de dossierspréparés par ses prédécesseurs.Explique pourquoi les Américains nesont pas intervenus pour sauver DiênBiên Phu. Une conclusion très lucidefait le point sur le drame indochinois.Excellente et vigoureuseintroduction d'Olivier Todd, bienrevenu de sa vietcongophilie.Perrin, collection Vérités et Légendes,362 pages, 140 F.J-P.A.Combats sahat•iens1955-1962par Patrick-CharlesRenaudPendant la guerre d'Algérie, leFLN essaya à plusieurs reprises decréer un front saharien qui visait lecontrôle des populations et lamainmise sur le pétrole. Si ce fut unéchec, c'est parce que les méharisteset autres compagnies portées(notamment de la Légion Étrangère)réussirent à détruire ou à étouffer leséléments subversifs. Non sans pertecar ce furent souvent des combatssinguliers.L'auteur a très bien sureconstituer et restituer ces dernierscombats français pour protéger unimmense espace qui fut livré à1 'Algérie en 1962 avec sespopulations et ses richesses. Lessources sont les acteurs, les témoinset les archives historiques illustréespar des photos et des cartes. Préfacedu général Bigeard, qui se souvientde son sergent -chef Sentenaoagonisant dans les dunes.Jacques Grancher, 280 pages, 148 F.J-P.A.La Guerred~Algériepar Pierre MiquelL'auteur n'est pas connu commeun spécialiste du conflit algérienmais il a eu accès aux archivesmilitaires qui commencent às'ouvrir. D'où le côté original de cetouvrage qui permet de connaître laguerre sur le terrain, une guerre qui,dans les années soixante, n'était pasjouée. Le livre n'apporte cependantrien que l'on ne sache déjà. On ydécèle un parti pris an ti activiste quiétonne. Et Pierre Miquel veut aussidémontrer que la politiqued'association (l'une des trois optionsde l'autodétermination proposée parDe Gaulle) aurait été la meilleuresolution si ... le conflit n'avait pasconduit à des situations inextricables.À noter des erreurs de nomspropres et de lieux.Fayard, 554 pages, 150 F.(Bibliographie, Index, cartes).J-P.A.Mes dix mille plusbelles annéespar Jean SchmittLes romanciers inspirés parl'histoire abondent et il en est mêmed'excellents. Rares sont ceuxtoutefois qui osent embarquer lelecteur dans un voyage défiant lessiècles et les idées aujourd'huiétablies. Barbe au vent, Jean Schmitts'y est aventuré avec bravoure pourcultiver d'allègre façon la nostalgiedes temps révolus : « Dix mille ansd'une vie de soldat. Armé d'un épieuet vêtu d'une cape en peau de loup,ou portant rapière et powpointbrodé du seigneur de Montesquieu,[ ... ]toujours, dit-il, jefus soldat ence pays. " Reître vaincu pour Je prixde sa solde, ou pillard vainqueurplein de repentir, il a servi rois etempereurs. Il se souvient desCroisades, de la Guerre de CentAns, des plaines d'Abraham àQuébec, de Montebello, deCamerone, de Mers-el-Kébir, desrizières indochinoises, de l'Algérieet du Liban. «J'en ai vu des finsd'empires, des veilles de défaites,elles se ressemblent étrangement.Les riches tentent de fuir, les autresjettent leurs dernières pièces pours'étourdir. "Grasset, 280 pages, 11 0 F.J-J.M.Saint-Cyrpar Pierre PellissierC'est à un voyage à l'intérieurde 1 'uni vers des saint -cyriens quenous convie Pierre Pellissier enadoptant pour limite de sesinvestigations l'horizon de lapromotion 1946-1948, dite. Pourquoi cechoix ? «Parce qu'elle a affrontéune période singulièrement fertile enévénements et en bouleversements detoute nature. » Pellissier prend pouracteurs de son récit une vingtained'élèves-officiers dont il relate1 'itinéraire de la préparation duconcours au départ de l'armée. Deson livre ressort la certitude qu'uncyrard doit s'exercer à la patiencecar la route qu'il suivra est biendistincte de ce qu'il imagine enrecevant le casoar.Plon, 460 pages, 140 F.E.V. 1La Mort en faeepar François BrigneauEn 1967 François Brigneaupubliait aux Éditions du Clan La 1Mort en face, un saisissant recueil en 'forme d'évocation des grandesfigures disparues pour faits deRésistance, de Collaboration ou dansles dernières batailles de l'Algériefrançaise. Cet album-mémorialhonorant selon la formule deBrasillach les « adversairesfraternels» réunis dans 1 'amour dela patrie, illustre une idée simple : lahaine est étrangère au combattant.L'ouvrage reparaît, augmenté d'uneimportante préface de PhilippeVilgier.Publications F.B. (24, rue de l'Amiral­Roussin, 75015 Paris), 172 pages, 145 F.E.V.


LIVREMes livrespolitiquespar Georges LafflyPlusieurs journaux d'avantguerrese définissaient comme«politiques et littéraires ». Voilà unedéfinition qui convient parfaitement àla personnalité de Georges Laffly. Cequi le passionne depuis toujours, cen'est pas la >,mais la pensée politique, telle qu 'elies'exprime dans des œuvres littérairesparmi les plus vigoureuses et les plusnobles.Dans ce livre bref, mais trèssubstantiel, Laffly nous offre lasynthèse de ses lectures et de cequ 'elles lui ont apporté. Il nous parleavec le même bonheur d'auteurs trèscélèbres et d'autres qui le sontmoins, mais qui méritent assurémentd'être sauvés de l'oubli.ll en résulteun petit chef-d 'œuvre dont on auraittort de se priver.Publications FB, 24, rue de l'Amiral Roussin,75015 Paris.P.S.La Cavalerieaméricaineau Viêt-nampar Jacques-Françoisde ChaunacLes Américains, en s'engageantdans la guerre du Viêt-nam, ne sedoutaient certes pas qu'ils allaient audevant d'une des plus sévères défaitesde leur histoire. Pourtant, nombreuxsont les soldats américains qui ontlutté courageusement en Extrême­Orient, à commencer par les BéretsVerts des Forces Spéciales ou lesMarines. On connaît moins 1 'épopéed'une des meilleures divisions de 1 'USArmy : la > ou Premièrede Cavalerie. C'est à bord d'un demimillierd'hélicoptères que se sontbattus les modernes cavaliers du ciel.Leur charge n'en rejoint pas moins lagrande mythologie du Western.Presses de la Cité, 348 pages, 130 F.J.M.Lettres du Nordpar Pol VandrommeBeaucoup d'écrivains françaiscontemporains ont une dette enversPol Vandromme, cet écrivain etcritique littéraire belge qui a suivi etanalysé leurs œuvres avec uneattention généreuse et pénétrante.Cette fois, c'est la Francophonie touteentière qui devra lui êtrereconnaissante de ses Lettres du Nord.Dans ce nouveau livre, il nous faitcomprendre 1 'originalité de lalittérature de son pays, et son apportspécifique à la littérature d'expressionfrançaise. Nous autres Françaisconnaissons mai le patrimoine culturelde nos voisins belges, et nous avonstort: nul n'était plus qualifié que PolVandromme pour nous Je rappeler.Éditions l'Âge d'Homme, Lausanne.P.S.Françoise Dolto~itinéraire d'unepsychanalystepar Jean-FrançoisSauverzacOn regrette que l'auteurs'interroge au passage sur l'attitudede Françoise Dolto pendantl'Occupation :elle a certainement étéplus utile à son pays en se consacrantà ses jeunes patients qu 'en rédigeantdes journaux clandestins. On regretteaussi qu 'il soit un peu bref sur1 'évolution religieuse de Dolto, quiest un élément très in1portant de sonœuvre.Cela étant, le livre de M. deSauverzac facilitera à beaucoup ladécouverte d'une personnalité quin'était pas une « seconde M~ Soleil »,comme certains l'ont prétendu, mais1' une des grandes figures de lapsychologie contemporaine.Aubier, 408 pages, 130 F.P.S.Une histoirede la Polognepar Michal TymowskiRares sont les publicationsfrançaises récentes sur l'histoire de laPologne. Des lointaines originesjusqu 'à 1 'effondrement ducommunisme et 1 'élection de LechWalesa, cet ouvrage synthétiquepropose une vision générale surplusieurs siècles, et des repères. Sonsecond mérite est d'éviter lestéréotype d'une >,l'auteur contestant que le « schémade /'histoire malheureuse " puisses'appliquer à l'intégralité de sonhistoire : « Pendant six ans au moins,de la seconde moitié du X' sièclejusqu'à la chamière des XVI' etXV/l', c'est une histoire heureuse etdénuée de soubresauts, couronnée auXVI' siècle par/' instauration d'unÉtat au système de gouvernementoriginal et par/' émergence d'uneculture qui rayonne au-dehors. »Loin de nier les cassures politiques, ils'attache à les relativiser, rappelantqu 'elles sont le fait d'autres peuplesd'Europe centrale et orientale, et eninsistant sur le fait qu'ellesn'entament en rien la constance et lacontinuité de la culture polonaise.Professeur à l'Institut d'histoire del'Université de Varsovie, MichalTymonwski a dirigé le Centre decivilisation polonaise de Paris-IVSorbonne de 1989 à 1991.Les Éditions Noir sur Blanc 1 La LibrairiePolonaise, 176 pages, 59 F.J.J.M.La Guerre desidées - 1958-1992Le Temps du refuspar Michel Mourlet«Je crois profondément àl'existence d'un lien entre lesdévoiements contemporains de lacréation intellectuelle et artistique,principal sujet du Temps du refus, etla formidable machine de guerreintestine que fut le communismemondial " : Michel Mourlet, fondateurdu magazine littéraire Matulu,chroniqueur théâtral à Valeursactuelles, écrivain, a placé d'embléeson talent au service d'une guerresainte contre la subversion culturelle.On l'a vu batailler sur tous les frontsoù Je bon usage de la langue et la> des idées souffraientviolence. Ses écrits nous sont uneleçon de français ; sa pensée un sûrhommage aux principes de J'universtraditionnel. Dans cette Guerre desidées le critique joue, déjoue, se joueen chasses subtiles et contrepieds.Entre pertinence et allégresse.Guy Trédaniel Éditeur, 261 pages, 120 F.E.V.Raymond Aronpar Nicolas BaverezL'auteur a le mérite d'évoquerl'ensemble de la vie politique aumoment où Raymond Arons'exprimait; de ce fait, son livre,remarquablement construit, estaccessible à ceux qui n'ont pas vécucette longue période de notre histoirecontemporaine aussi bien qu 'à ceuxqui 1 'ont vécue.En donnant une place importanteà la querelle entre Sartre et Aron,Nicolas Baverez remarque que legénie de ce dernier était« celui d'unpédagogue, non d'un créateur ».Aron , en effet ne pouvait rivaliseravec Sartre dans le domaine de lacréation littéraire. Mais, tandis quedans le domaine politique, Sartre àsouvent écrit d'incroyables sottises,Raymond Aron a fait preuve d'uneétonnante lucidité, à laquelles'a joutait une rare indépendanced'esprit.Flammarion, 541 pages, 150 F.P.S.La NouvelleInquisitionses acteurs, ses méthodes,ses victimespar Charles ChampetierRues débaptisées, journalistesque l'on traîne devant les tribunauxau lieu de leur répondre par l'écrit,livres dont on ne parle pas ou quel'on ne réédite pas quel que soit leurintérêt, recomposition arbitraire del'histoire contemporaine, écrivainsécartés des médias parce qu 'on leurattribue une pensée qui n'est pas laleur : ainsi se manifeste cette« nouvelle Inquisition " ici évoquéepar David Barney, CharlesChampetier et C. La virose.On aimerait que cet « essai surle terrorisme intellectuel et la policede la pensée " soit lu par tous nos> politiques,médiatiques, intellectuels. Maiscombien d'entre eux prendront lapeine de J'ouvrir ?Éditions du Labyrinthe, 126 pages, 100 F.P.S.Dictionnaire degéopolitiquesous la direction d'YvesLacosteUne somme énormed'informations classées par États,nationalités, religions, ethnies, idéeset thèmes variés en relation avectoutes les causes de conflit dans Jemonde. Une


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LA PAROLE EST AUX LECTEURSMarins etcoloniauxÀ PROPOS DU NUMÉRO 7 SUR LES CRIMES POLITIQUESMalgré la référence faite au« parti colonial » (encadré de la page43), votre dossier manque d'unevision d'ensemble sur les diversmilieux, minoritaires mais ne manquantpas d'influence, qui eurent surl'> (Témoignagede Louise d'Astier à AlainDecaux en 1979).Geoffroy d'Astier de la VigerieLe petit-fils du général Françoisd'Astier de la Vigerie confirmedonc que ce dernier, envoyéen mission à Alger par le généralde Gaulle en décem~re 1942,s'efforça avec succès deconvaincre ses interlocuteurs,notamment le comte de Paris, decette nécessité, sinon de ce préalable:

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