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Portraits de résistants - PCF Bassin d'Arcachon

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<strong>Portraits</strong> <strong>de</strong> résistants<br />

Par ordre <strong>de</strong> parution<br />

Emmanuel d’Astier <strong>de</strong> La Vigerie<br />

Jacques Duclos<br />

Pierre Villon<br />

Daniel Cordier<br />

Robert Chambeiron<br />

Jacques Solomon<br />

Addi Bâ. Le soldat inconnu<br />

François Lescure<br />

Jean Catelas<br />

René Andrieu<br />

Jean-Pierre Timbaud<br />

Pierre Messmer<br />

Lucien Bonnafé<br />

Louis Aragon<br />

Raphaël Konopnicki<br />

Jean Nicoli<br />

Gabriel Péri<br />

Charles Tillon<br />

Lucien Sampaix<br />

Joseph Epstein<br />

Georges Politzer<br />

Ma<strong>de</strong>leine Riffaud<br />

Frédéric Joliot<br />

Guy Môquet<br />

Jacques Chaban-Delmas<br />

Max Barel<br />

O<strong>de</strong>tte Nilés<br />

Jacqueline Pery d’Alincourt<br />

Henri Frenay<br />

Martha Desrumaux<br />

Benoît Frachon<br />

Geneviève <strong>de</strong> Gaulle<br />

Gerhard Leo<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier<br />

Daniel Mayer<br />

Edmon<strong>de</strong> Charles-Roux<br />

Jean Moulin<br />

Pierre Brossolette<br />

Ma<strong>de</strong>leine Vincent<br />

Honoré d’Estienne d’Orves<br />

Danielle Casanova<br />

Olga Bancic<br />

Henri Rol-Tanguy<br />

Anna Marly<br />

Henri Krasucki<br />

Maurice Kriegel-Valrimont<br />

Georges Guingouin<br />

Marcel Langer<br />

Yvonne Abbas<br />

Missak Manouchian<br />

Germaine Tillon<br />

Jean Cavaillès<br />

Lise London<br />

Le colonel Fabien<br />

Berty Albrecht<br />

Raymond Aubrac


11 Septembre 2010<br />

Emmanuel d’Astier 
<strong>de</strong> La Vigerie<br />

« L’aristocrate dandy <strong>de</strong> la liberté »<br />

Par Michel Boissard, 
Historien.<br />

Fils <strong>de</strong> baron, 
Emmanuel d’Astier 
<strong>de</strong> La Vigerie<br />

rompt 
avec son milieu d’origine 
et fon<strong>de</strong> le<br />

mouvement 
<strong>de</strong> résistance 
Libération-Sud 
en<br />

1941, avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir commissaire à l’Intérieur<br />


<strong>de</strong> la France libre en 1943.<br />

À considérer seulement son élégante silhouette<br />

digne du personnage d’un roman <strong>de</strong> Roger Vailland,<br />

on imagine mal Emmanuel d’Astier <strong>de</strong> La Vigerie en<br />

parolier d’une chanson <strong>de</strong> Leonard Cohen !<br />

Pourtant, est-ce l’auteur-compositeur-interprète<br />

canadien qui, l’année même <strong>de</strong> la disparition <strong>de</strong><br />

cette figure <strong>de</strong> proue <strong>de</strong> la Résistance, donne avec<br />

The Partisan une renommée internationale à la<br />

Complainte du partisan écrite par celui-ci à<br />

Londres, en 1943: « Les Allemands étaient chez<br />

moi / On m’a dit résigne-toi / Mais je n’ai pas pu / Et j’ai repris mon arme / J’ai changé cent<br />

fois <strong>de</strong> nom / J’ai perdu femme et enfants / Mais j’ai tant d’amis / Et j’ai la France entière. »<br />

Se révolter ce fut simplement en 1940 « une question <strong>de</strong> dignité » pour le plus jeune <strong>de</strong>s fils<br />

du baron Raoul d’Astier <strong>de</strong> La Vigerie, issu d’une famille vivaraise où l’on compte dés le<br />

XVIIe siècle chirurgiens, magistrats et officiers, et, du côté maternel, <strong>de</strong>ux ministres <strong>de</strong><br />

l’Intérieur, l’un sous Napoléon, l’autre sous Louis-Philippe… Peut-être, aussi, au regard <strong>de</strong><br />

ses frères François et Henri, l’un saint-cyrien, l’autre artilleur colonial, tous cités et décorés<br />

en 1914-18, le moyen <strong>de</strong> ne pas s’éprouver comme un « raté <strong>de</strong> héros ». Car cet ancien élève<br />

du lycée Condorcet, qui a fait Navale et découvert dans ses pérégrinations maritimes les<br />

séductions <strong>de</strong> l’opium, quitte tôt la Royale pour la plume du journaliste et <strong>de</strong> l’écrivain.<br />

Assurant le matériel par un emploi dans l’immobilier d’entreprise, le voici, rompant avec<br />

son milieu d’origine, qui côtoie Drieu La Rochelle, Kessel et Cocteau, fréquente les<br />

surréalistes, publie dans Marianne – le journal <strong>de</strong> gauche lancé en 1932 par Gallimard,<br />

entre à Vu – l’hebdomadaire antifasciste <strong>de</strong> Lucien Vogel, le père <strong>de</strong> la future résistante et<br />

déportée Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier. « Dilettante, paresseux, indifférent à la façon<br />

<strong>de</strong>s roués du XVIIIe siècle: c’est ainsi que le voyaient ses amis d’avant 1939 », écrira Lucie<br />

Aubrac. Mobilisé dans le renseignement à Lorient cette même année, démobilisé à Marseille<br />

après la capitulation <strong>de</strong> juin 1940, Astier s’indigne: « Reste l’espoir que l’histoire nous venge<br />

et replace dans l’ombre les vieillards militaires assis au sommet <strong>de</strong>s ruines et qui ont eu le<br />

cœur <strong>de</strong> douter d’une cause qui n’était pas perdue. » Et se fixe une ligne <strong>de</strong> conduite<br />

offensive: « Faire quelque chose, c’est immédiatement non pas résister (…) mais attaquer. »<br />

Avec l’as d’aviation Corniglion-Molinier, producteur du film Sierra <strong>de</strong> Teruel, d’André<br />

Malraux, il organise la « Dernière Colonne », petit groupe <strong>de</strong> résistants où se retrouveront<br />

le mathématicien et philosophe Jean Cavaillès, Lucie et Raymond Aubrac, Charles<br />

d’Aragon… Les habitants <strong>de</strong> Nîmes, <strong>de</strong> Clermont-Ferrand, <strong>de</strong> Nice, <strong>de</strong> Marseille, <strong>de</strong>


Toulouse et même <strong>de</strong> Vichy, plus tard ceux <strong>de</strong> Montluçon et <strong>de</strong> Limoges en connaîtront<br />

l’existence et le dynamisme lors <strong>de</strong> campagnes d’affichages massives contre les collabos ! En<br />

février 1941, <strong>de</strong>s arrestations déciment le réseau et d’Astier, sous le pseudonyme <strong>de</strong><br />

Bernard, entre en clan<strong>de</strong>stinité. L’homme <strong>de</strong> l’écrit qu’il n’a cessé d’être fon<strong>de</strong> alors<br />

Libération, un périodique qui sera l’organe du mouvement Libération-Sud, l’un <strong>de</strong>s trois<br />

plus importants groupements résistants <strong>de</strong> la zone non occupée, recrutant ses forces parmi<br />

les syndicalistes CGT et les milieux socialistes. Une liaison est établie avec Londres dès<br />

1942, et en mars <strong>de</strong> cette année-là, Jean Moulin, envoyé du général <strong>de</strong> Gaulle jouant son<br />

rôle <strong>de</strong> « Carnot <strong>de</strong> la Résistance » (Malraux) peut réunir en Avignon les responsables <strong>de</strong><br />

Libération (Astier), Combat (Henri Frenay) et Franc-tireur (Jean-Pierre Lévy). Emmanuel<br />

d’Astier, ayant rencontré <strong>de</strong> Gaulle, sera chargé par celui-ci <strong>de</strong> négocier avec le prési<strong>de</strong>nt<br />

Roosevelt la légitimité <strong>de</strong> la France libre. En même temps, il participe à l’unification <strong>de</strong>s<br />

forces dispersées <strong>de</strong> la Résistance métropolitaine et <strong>de</strong>vient le commissaire aux affaires<br />

politiques <strong>de</strong>s Mouvements unis <strong>de</strong> la Résistance (MUR). Membre <strong>de</strong> l’Assemblée<br />

consultative provisoire d’Alger, il est nommé en novembre 1943 – rejoignant ainsi <strong>de</strong>s<br />

fonctions exercées naguère par ses ancêtres maternel – commissaire à l’Intérieur du<br />

Comité français <strong>de</strong> libération nationale (CFLN). À ce titre, il discute avec Winston Churchill<br />

<strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> armée <strong>de</strong>s Alliés à la Résistance. Ministre – toujours <strong>de</strong> l’Intérieur – du<br />

gouvernement provisoire, il le <strong>de</strong>meure jusqu’à l’automne 1944. Ce compagnon <strong>de</strong> la<br />

Libération (tout comme ses <strong>de</strong>ux frères), refusant alors au général une ambassa<strong>de</strong> à<br />

Washington, transforme en quotidien son journal Libération qu’il dirigera pendant vingt<br />

ans, au cours d’une troisième vie <strong>de</strong> parlementaire et <strong>de</strong> militant progressiste, compagnon<br />

<strong>de</strong> route <strong>de</strong>s communistes. Esprit libre, il combattra avec eux contre le réarmement <strong>de</strong><br />

l’Allemagne via la CED (Communauté européenne <strong>de</strong> défense) en 1954, et s’opposera au<br />

traité <strong>de</strong> Rome en 1957, mais, neutraliste affirmé, il condamnera l’intervention soviétique à<br />

Budapest en 1956. Se rapprochant du gaullisme, bien qu’ayant refusés la confiance à <strong>de</strong><br />

Gaulle en 1958, l’aristocrate qui obtint le prix Lénine <strong>de</strong> la paix, le dandy résistant qui<br />

épousa en secon<strong>de</strong>s noces la fille d’un révolutionnaire bolchevique, le commentateur <strong>de</strong><br />

l’actualité d’un célèbre Quart d’heure télévisé, directeur du mensuel l’Événement, achève<br />

son temps en 1969 par une saillie <strong>de</strong> presse mémorable: « Je vote pour Pompidou-lascarlatine<br />

! » Lors <strong>de</strong> sa disparition prématurée, son collègue du Mon<strong>de</strong>, Pierre Viansson-<br />

Ponté, salua justement « un homme qui ne ressemblait à personne ».<br />

Michel Boissard


10 Septembre 2010<br />

Jacques Duclos La cheville ouvrière d’un grand<br />

parti <strong>de</strong> la Résistance<br />

Par Serge Wolikow, Historien, Professeur d’Histoire contemporaine à<br />

l’Université <strong>de</strong> Bourgogne.<br />

Par son action et son combat durant toute la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la guerre,<br />

puis <strong>de</strong> l’occupation, il a joué un rôle parfois méconnu mais<br />

essentiel. II fut l’un <strong>de</strong>s trois principaux dirigeants du <strong>PCF</strong> durant<br />

près <strong>de</strong> cinquante ans avec Maurice Thorez et Benoît Frachon.<br />

Lorsque <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> personnes suivent en 1975 la<br />

dépouille <strong>de</strong> Jacques Duclos, son image est d’abord celle d’un<br />

dirigeant communiste qui a incarné l’histoire du Parti. Avec Benoît<br />

Frachon, il assume l’essentiel <strong>de</strong> la responsabilité du Parti<br />

communiste clan<strong>de</strong>stin pendant quatre ans et qui <strong>de</strong>vient une <strong>de</strong>s<br />

principales forces politiques <strong>de</strong> la Résistance. Député <strong>de</strong> la Seine<br />

dès 1926 et à plusieurs reprises, puis sénateur <strong>de</strong> ce département <strong>de</strong><br />

1959 à sa mort, ce parlementaire à l’éloquence redoutable et brillante est le candidat du <strong>PCF</strong><br />

à l’élection prési<strong>de</strong>ntielle <strong>de</strong> juin 1969 au cours <strong>de</strong> laquelle il fait un score électoral<br />

remarquable.<br />

C’est en vacances dans les Pyrénées que Jacques Duclos apprend, le 23 août 1939, la<br />

nouvelle <strong>de</strong> la signature du Pacte germano-soviétique. Revenu d’urgence à Paris, il prépare<br />

immédiatement le passage <strong>de</strong> la direction dans la clan<strong>de</strong>stinité, tout en participant aux<br />

différentes réunions du groupe parlementaire communiste. Il suit d’abord sans réticences la<br />

ligne <strong>de</strong> l’Internationale communiste qui parle d’une « guerre impérialiste ayant un<br />

caractère révolutionnaire antifasciste ». Mais les nouvelles orientations, imposées très vite<br />

par Staline, prennent le <strong>PCF</strong> à contre pied. Dès le 9 septembre <strong>de</strong>s directives sont envoyées<br />

aux partis communistes pour qu’ils modifient complètement leur ligne politique.<br />

A la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Internationale, Duclos prend sa place dans le système <strong>de</strong> direction du<br />

<strong>PCF</strong>, en rejoignant le Tchèque Eugen Fried, dit Clément, délégué <strong>de</strong> l’Internationale<br />

communiste, déjà installé en Belgique. Il part à Bruxelles après l’interdiction du <strong>PCF</strong> le 26<br />

septembre, après avoir supervisé la rédaction <strong>de</strong> la « Lettre du Groupe ouvrier et paysan ».<br />

Mais cette initiative, préconisée par l’IC, est jugée insuffisamment offensive, à l’image du<br />

comportement <strong>de</strong>s députés communistes. Tenu pour responsable, Duclos est un moment<br />

pressenti pour retourner en France et paraître au procès <strong>de</strong>s députés. Durant plusieurs<br />

mois, il participe à l’activité du <strong>PCF</strong> <strong>de</strong>puis Bruxelles, tandis que Thorez est en URSS et<br />

Frachon est resté en France. Après l’attaque alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> mai 1940, Duclos, que l’IC a tenté<br />

sans succès <strong>de</strong> faire passer en Suisse, s’installe à Paris le 15 juin, juste après l’arrivée <strong>de</strong>s<br />

troupes alleman<strong>de</strong>s. Durant les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières semaines du mois, il s’efforce avec Maurice<br />

Tréand <strong>de</strong> reconstituer l’organisation du Parti. Parallèlement <strong>de</strong>s contacts sont pris avec les<br />

autorités alleman<strong>de</strong>s, en vue notamment <strong>de</strong> la reparution <strong>de</strong> journaux communistes.<br />

Durant ces tractations, Tréand occupe le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène, mais Duclos, qui dans ses<br />

Mémoires prétendra qu’il s’agissait d’initiatives individuelles, cosigne toute la<br />

correspondance avec l’IC à Moscou, Thorez obtient <strong>de</strong> Georges Dimitrov, secrétaire <strong>de</strong> l’IC,<br />

qu’il alerte les dirigeants soviétiques et Staline sur les inconvénients irrémédiables qu’une


compromission avec les nazis pourrait entraîner. Dès la fin juin, la tonalité <strong>de</strong>s textes<br />

envoyés en France par l’IC met l’accent sur l’indépendance nationale. A la mi-juillet, les<br />

consignes se précisent. Thorez <strong>de</strong>man<strong>de</strong> fermement que le Parti se démarque totalement<br />

<strong>de</strong>s nazis et renonce à ses projets. Duclos, qui ne possè<strong>de</strong> pas <strong>de</strong> liaison directe avec<br />

Moscou, prend le contrôle <strong>de</strong>s relations avec l’IC, au prix d’un affrontement avec Tréand<br />

progressivement privé <strong>de</strong> son appareil technique (mars 1941) et critiqué dans sa politique <strong>de</strong><br />

réorganisation <strong>de</strong>s forces communistes <strong>de</strong>puis juin 1940,- en particulier lorsque la<br />

répression s’abat sur <strong>de</strong>s cadres comme Jean Catelas, Gabriel Péri et Mounette Dutilleul.<br />

À partir du printemps 1941, Duclos <strong>de</strong>vient le seul interlocuteur <strong>de</strong> Fried et <strong>de</strong>s dirigeants<br />

moscovites. C’est lui que Thorez et Marty chargent en janvier, puis avril, d’infléchir<br />

l’orientation générale du PC, en soulignant que « la lutte pour la paix [était] subordonnée à<br />

la lutte pour l’indépendance nationale ». Le 15 mai 1941, le Parti communiste lance, sous<br />

l’impulsion <strong>de</strong> Duclos, un appel à la formation d’un « Front national <strong>de</strong> lutte pour<br />

l’indépendance <strong>de</strong> la France » et <strong>de</strong>s contacts sont pris peu à peu avec les milieux résistants<br />

les plus divers : laïcs et religieux, mé<strong>de</strong>cins, écrivains, syndicalistes, etc. Avec la ruée <strong>de</strong>s<br />

armées hitlériennes vers l’URSS à partir du 22 juin 1941, le Parti communiste et son<br />

principal lea<strong>de</strong>r mettent évi<strong>de</strong>mment tout en œuvre pour donner à la lutte un nouvel élan.<br />

Cette lutte entraîne <strong>de</strong> sévères représailles (arrestations et fusilla<strong>de</strong>s d’otages), qui frappe<br />

les adjoints les plus proches <strong>de</strong> Duclos (Félix Cadras, Georges Politzer, Danielle Casanova,<br />

etc.) et surtout Arthur Dalli<strong>de</strong>t, son principal agent <strong>de</strong> liaison qui, malgré les tortures, ne<br />

dévoile par le lieu où son chef est caché. Duclos réussit à renouer les liens <strong>de</strong> l’organisation<br />

centrale en faisant preuve d’une volonté et d’un courage peu communs.<br />

De l’été 1941 au printemps 1943, il assume la responsabilité <strong>de</strong> l’orientation politique<br />

générale en relation avec l’IC. Il tient un rôle central dans les négociations avec <strong>de</strong> Gaulle<br />

qui conduiront à l’envoi <strong>de</strong> Fernand Grenier à Londres comme représentant du <strong>PCF</strong> auprès<br />

<strong>de</strong> la France Libre. Duclos, qui correspond activement avec Grenier, sera en gran<strong>de</strong> partie<br />

tenu à l’écart <strong>de</strong>s discussions et <strong>de</strong>s négociations relatives à la participation communiste au<br />

CFLN puis au Gouvernement provisoire.<br />

De la constitution du CNR jusqu’à l’engagement du PC dans les combats <strong>de</strong> la Libération,<br />

Duclos centre son activité sur la mobilisation idéologique notamment à travers l’Humanité<br />

clan<strong>de</strong>stine qu’il supervise. Le 25 août 1944, il fait son entrée dans Paris par la rue Didot,<br />

avec Benoît Frachon à bord d’une voiture FFI. Le 31, il organise une réunion du comité<br />

central où il prononce un discours <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur qui trace en termes très généraux les<br />

tâches du Parti et ce que <strong>de</strong>vrait être le gouvernement <strong>de</strong> la France. Simultanément, il prend<br />

place à l’Assemblée consultative comme lea<strong>de</strong>r du groupe communiste. Thorez revenu à<br />

Paris le 27 novembre 1944, Duclos re<strong>de</strong>vint le numéro <strong>de</strong>ux du <strong>PCF</strong>. Jamais il ne chercha au<br />

cours <strong>de</strong> la guerre ou ensuite à supplanter le secrétaire général avec qui il travaille en réelle<br />

complémentarité.<br />

Serge Wolikow


09 Septembre 2010<br />

Pierre Villon « L’architecte du programme du<br />

CNR »<br />

Ce sont les fondations du programme du Conseil national <strong>de</strong> la<br />

Résistance (CNR) que Pierre Villon, architecte <strong>de</strong> profession,<br />

contribua à construire dès sa sortie <strong>de</strong> prison, en 1942. Compagnon<br />

<strong>de</strong> Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier, il sera député <strong>de</strong> l’Allier<br />

pendant près <strong>de</strong> vingt-cinq ans.<br />

Quelques années avant le 8 octobre 1940, ce manifestant menotté<br />

était le tranquille propriétaire d’un cabinet d’architecte. « Nous<br />

sommes <strong>de</strong>s communistes, pas <strong>de</strong>s assassins! » crie-t-il, menottes<br />

aux poignets, aux Parisiens qui le voient embarqué par la police<br />

française. Condamné à huit mois <strong>de</strong> prison, il sera maintenu bien<br />

plus longtemps en détention administrative.<br />

Fils d’un rabbin alsacien, Roger Ginsburger <strong>de</strong> son vrai nom, comprend très vite qu’il<br />

n’épousera pas la carrière <strong>de</strong> son père. Celui-ci, jugé trop « libéral » par ses collègues, quitta<br />

d’ailleurs ses fonctions religieuses au début <strong>de</strong>s années 1900 pour fon<strong>de</strong>r une revue et<br />

termina sa carrière comme chercheur et enseignant à Strasbourg. Roger, lui, a fait <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s à l’École <strong>de</strong>s beaux-arts et <strong>de</strong>s stages à Munich et Stuttgart. Son cabinet d’architecte<br />

parisien, ouvert à la fin <strong>de</strong>s années 1920, a du succès et il se passionne pour les courants<br />

mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’urbanisme.<br />

Il militait déjà dans ses années <strong>de</strong> lycée et aurait même exercé <strong>de</strong>s responsabilités au sein <strong>de</strong><br />

l’Internationale communiste. Mais ce n’est qu’en octobre 1932 qu’il prend officiellement sa<br />

carte au <strong>PCF</strong>. Secrétaire du rayon <strong>de</strong>s 5e et 6e arrondissements <strong>de</strong> Paris dès 1932, il est<br />

parachuté à Anvers en 1934, en tant que permanent <strong>de</strong> l’Internationale <strong>de</strong>s marins et<br />

dockers. Il y travaille comme rédacteur et traducteur, abandonne son cabinet et <strong>de</strong>vient ce<br />

militant acharné, épris <strong>de</strong> liberté autant que dévoué.<br />

Affecté au secrétariat administratif, il est dès l’automne 1938 responsable <strong>de</strong>s éditions du<br />

<strong>PCF</strong>. Fonction qui le conduira, lorsque le parti et ses organes <strong>de</strong> presse seront interdits, à<br />

assurer la parution clan<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> l’Humanité et <strong>de</strong>s Cahiers du bolchévisme. Déterminé à<br />

résister dès les premiers temps d’occupation, il propose à Benoît Frachon d’écrire un<br />

éditorial <strong>de</strong> l’Humanité « dans lequel, transposant l’analyse <strong>de</strong> Marx sur la guerre <strong>de</strong> 1870,<br />

(il) appellerait à lutter contre l’envahisseur ». Benoît Frachon, dirigeant syndical et<br />

politique aussi convaincu <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> la lutte antifasciste, lui fait répondre que « c’est<br />

encore trop tôt ». Le 17 juin 1940, Charles Tillon rédige pourtant un appel à la lutte<br />

populaire contre le fascisme hitlérien… et intègre la direction du <strong>PCF</strong> clan<strong>de</strong>stin, à la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> du même Benoît Frachon.<br />

L’architecte alsacien partagera d’ailleurs avec ses camara<strong>de</strong>s Tillon et Frachon la même<br />

désapprobation <strong>de</strong>s efforts un temps déployés pour obtenir la reparution légale <strong>de</strong><br />

l’Humanité. « J’étais au lit, j’ai failli m’étrangler en lisant dans l’Humanité un appel à<br />

fraterniser avec les soldats allemands », confiait-il. Mais la stratégie <strong>de</strong> lutte contre les <strong>de</strong>ux<br />

impérialismes ne durera pas. Les députés communistes sont jugés et condamnés, ainsi que


les dirigeants comme Roger Ginsburger qui, clan<strong>de</strong>stinité oblige, se fait désormais appeler<br />

Pierre Villon.<br />

Ses premiers jours d’emprisonnement à la prison <strong>de</strong> la Santé, il les consacre à l’écriture <strong>de</strong><br />

longues et riches lettres à sa compagne, Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier. Révolutionnaire<br />

acharné, Pierre Villon discute avec ses compagnons <strong>de</strong> cellule autant qu’avec les gardiens. À<br />

ces <strong>de</strong>rniers, il offre même la lecture du Manifeste du Parti communiste. « Je les ai entrepris<br />

à différentes reprises », écrit-il. Ils avouaient cyniquement que ce qu’il y avait <strong>de</strong> commun<br />

entre maintenant, où l’on traque les communistes sur l’ordre <strong>de</strong>s vainqueurs, et l’époque où<br />

on nous traquait soi-disant parce qu’« agents <strong>de</strong> Hitler », c’est qu’eux sont « toujours du<br />

bon côté du manche ». « Sur quoi je leur ai fait gentiment remarquer que le manche était<br />

pourri. »<br />

Mais, dès le 29 octobre 1940, il prévient Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier : « Les rares<br />

nouvelles <strong>de</strong> l’extérieur me confirment dans l’idée que je n’attendrai pas vingt ans pour<br />

sortir d’ici. » Le 12 janvier 1942, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa compagne, il s’éva<strong>de</strong> du château <strong>de</strong> Gaillon<br />

(Eure) où il avait été transféré. Et reprend immédiatement ses activités au sein <strong>de</strong> l’appareil<br />

clan<strong>de</strong>stin. Succédant à George Politzer qui a été fusillé, à la tête <strong>de</strong>s comités d’intellectuels<br />

du mouvement <strong>de</strong> résistance Front national, il en <strong>de</strong>vient ensuite secrétaire général. Et c’est<br />

à ce titre qu’il est chargé <strong>de</strong> travailler à la réunion <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong><br />

résistance sous la houlette du Conseil national <strong>de</strong> la résistance (CNR). Et en novembre 1943,<br />

il propose à ce conseil l’adoption d’une charte <strong>de</strong> la Résistance aujourd’hui connue sous le<br />

nom <strong>de</strong> programme du CNR. Programme qui, soixante ans plus tard, fâche encore le<br />

patronat. Il portait notamment sur « l’éviction <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s féodalités économiques et<br />

financières <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong> l’économie » et sur un « plan complet <strong>de</strong> Sécurité sociale ».<br />

À partir <strong>de</strong> février 1944, supervisant les forces françaises <strong>de</strong> l’intérieur, il est aux premières<br />

loges pour agir sur la stratégie <strong>de</strong> libération nationale qui sera l’objet <strong>de</strong> difficiles<br />

discussions avec le mouvement gaulliste. Partisans <strong>de</strong> laisser du temps pour l’arrivée <strong>de</strong>s<br />

forces alliées, Jacques Chaban-Delmas et Alexandre Parodi militent, entre le 19 et le 23 août<br />

1944, pour une trêve <strong>de</strong>s combats au sein <strong>de</strong> la capitale. « Pendant que nous étions réunis,<br />

avenue du Parc- Montsouris, les coups <strong>de</strong> fusil ne cessaient pas à cent ou <strong>de</strong>ux cents mètres<br />

», racontera-t-il plus tard. Il s’inquiète <strong>de</strong> cette stratégie qui consiste selon lui à « livrer la<br />

banlieue ouvrière aux représailles en sauvant Paris <strong>de</strong> tout combat ». Surtout, il défend au<br />

sein du CNR l’idée que la libération nationale ne doit pas être une victoire militaire mais<br />

bien l’œuvre <strong>de</strong>s travailleurs, par la grève insurrectionnelle.<br />

Le 25 août 1944, le général <strong>de</strong> Gaulle entre dans Paris et Pierre Villon le rencontre, le 29,<br />

dans la capitale libérée. Huit mois plus tard, le camp d’Auschwitz où avait été envoyée<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier, qu’il épousera en 1949, est libéré par l’Armée rouge.<br />

Pierre Villon fait en 1945 son entrée dans l’Assemblée consultative provisoire ; il y prési<strong>de</strong> la<br />

commission <strong>de</strong> défense nationale. Toujours membre <strong>de</strong> la direction nationale du <strong>PCF</strong>, il<br />

<strong>de</strong>vient dès octobre 1945, député <strong>de</strong> l’Allier, ce qu’il restera jusqu’en 1972.<br />

Avec les indispensables ressources biographiques <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Willard, prési<strong>de</strong>nt d’honneur<br />

<strong>de</strong> l’association <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong> la Commune <strong>de</strong> Paris, auteur d’un livre d’entretiens : Pierre<br />

Villon, résistant <strong>de</strong> la première heure, Éditions sociales 1983.<br />

Par Vincent Bordas, journaliste.


07 Septembre 2010<br />

Daniel Cordier « Uni à Jean Moulin jusqu’au<br />

bout, par un lien très fort »<br />

Par Anna Musso, journaliste et François Berriot, Comité régional du<br />

mémorial Jean-Moulin (Provence).<br />

Né en 1920 au sein d’une famille <strong>de</strong> la bourgeoisie catholique monarchiste, Daniel Cordier a<br />

pris une tout autre direction, en s’engageant d’abord dans la « légion <strong>de</strong> Gaulle » pour<br />

ensuite <strong>de</strong>venir le secrétaire particulier <strong>de</strong> Jean Moulin, puis un étonnant connaisseur <strong>de</strong><br />

l’art contemporain, et enfin un excellent historien et un véritable écrivain.<br />

Le jeune Daniel bénéficie très tôt d’une éducation privilégiée, cependant, dans les<br />

institutions religieuses qui le reçoivent, il se rend vite suspect par ses agissements en faveur<br />

<strong>de</strong> l’Action française et se rebelle contre le catholicisme. Au début <strong>de</strong> l’année 1940, il<br />

participe à la campagne <strong>de</strong> Maurras pour la désignation du maréchal Pétain au poste <strong>de</strong><br />

prési<strong>de</strong>nt du Conseil et, en mai 1940, il se réjouit <strong>de</strong> voir le colonel Charles <strong>de</strong> Gaulle, qui<br />

passe pour être proche <strong>de</strong> l’Action française, entrer au gouvernement… Mais, le 17 juin<br />

1940, c’est l’effondrement : à midi, Daniel Cordier entend à la radio le vainqueur <strong>de</strong> Verdun<br />

annoncer qu’il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un armistice sans condition, alors même qu’une partie <strong>de</strong> l’armée<br />

combat encore ; le jeune homme se précipite dans sa chambre pour pleurer. Le mythe<br />

Pétain s’écroule.<br />

Pendant les journées folles qui suivent, Daniel Cordier tente <strong>de</strong> réunir la petite centaine <strong>de</strong><br />

ses compagnons <strong>de</strong> l’Action française <strong>de</strong> Pau : les jeunes gens déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> se rendre en<br />

Afrique du Nord pour continuer la guerre. Le 21 juin, au matin, 17 d’entre eux se retrouvent<br />

à Bayonne et s’embarquent sur le Léopold-II. Mais le cargo, qui transporte également un<br />

ministre belge souhaitant rejoindre son gouvernement en exil à Londres, est détourné sur<br />

l’Angleterre.<br />

Après l’engagement dans la « légion <strong>de</strong> Gaulle » et la rencontre avec le général, dont il<br />

apprécie peu la hauteur (« Messieurs, je ne vous remercie pas : vous n’avez fait que votre<br />

<strong>de</strong>voir en venant ici. »), c’est l’entraînement militaire intensif : apprendre à tuer, à l’arme à<br />

feu, au poignard, à main nue. Les mois passent, et le jeune officier, venu en Angleterre pour<br />

se battre, s’impatiente. En 1941, il a l’occasion d’entrer au Bureau central <strong>de</strong> renseignements


et d’action (Bcra). Suit une nouvelle pério<strong>de</strong> d’entraînement aux fonctions d’agent secret et<br />

<strong>de</strong> radio, et viennent enfin, en juillet 1942, le vol nocturne angoissé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s tirs<br />

meurtriers <strong>de</strong> la défense antiaérienne alleman<strong>de</strong>, puis, au petit jour, le parachutage dans la<br />

région <strong>de</strong> Montluçon.<br />

Voici Daniel Cordier à Lyon où il doit, au titre <strong>de</strong> secrétaire et <strong>de</strong> radio, être mis à la<br />

disposition <strong>de</strong> Georges Bidault, alors responsable du mouvement Combat. Le <strong>de</strong>stin en<br />

déci<strong>de</strong> autrement : en l’absence <strong>de</strong> Bidault, c’est Jean Moulin qui accueille Daniel Cordier.<br />

L’ancien chef <strong>de</strong> cabinet d’un gouvernement du Front populaire, le préfet radical socialiste<br />

hors cadre, converse longuement avec l’étonnant garçon issu <strong>de</strong> l’Action française qui<br />

pourrait être son fils. D’emblée, la séduction mutuelle est totale. Daniel Cordier, à Lyon et à<br />

Paris, durant onze mois – les <strong>de</strong>rniers vécus par Jean Moulin –, <strong>de</strong>vient aussitôt le plus<br />

proche collaborateur du délégué du général <strong>de</strong> Gaulle en France : il le voit trois fois chaque<br />

jour, <strong>de</strong>puis l’aube, lorsqu’il lui apporte la baguette <strong>de</strong> pain <strong>de</strong> son petit déjeuner, jusqu’à<br />

l’instant du couvre-feu où il vient relever les messages à co<strong>de</strong>r et à adresser, durant la nuit, à<br />

Londres ; il l’accompagne dans ses rencontres avec les principaux responsables <strong>de</strong>s<br />

Mouvements unis <strong>de</strong> résistance et <strong>de</strong> l’Armée secrète ; il organise pour lui les réunions qui<br />

aboutiront, le 27 mai 1943, à la constitution du Conseil national <strong>de</strong> la Résistance. Ce soir-là,<br />

heureux, le coordonnateur <strong>de</strong> la Résistance intérieure fixe un ren<strong>de</strong>z-vous à son jeune<br />

adjoint dans une galerie <strong>de</strong> peinture et lui donne une leçon d’histoire <strong>de</strong> l’art qui marquera<br />

sa vie… Le lien très fort créé alors se rompt brutalement le 21 juin 1943, lors du guet-apens<br />

<strong>de</strong> Caluire.<br />

Une semaine plus tard, les larmes aux yeux, Daniel Cordier confie : « Notre dieu est mort. »<br />

Cependant, jusqu’à l’hiver 1943, le jeune homme reste à son poste aux côtés du successeur<br />

<strong>de</strong> Jean Moulin. Il prend notamment contact avec le milieu <strong>de</strong>s intellectuels parisiens, Jean-<br />

Paul Sartre, Albert Camus, Roger Vailland. En décembre, l’agent secret est « grillé » et doit<br />

rentrer à Londres. En mars 1944, il franchit les Pyrénées ; il est arrêté et interné à La<br />

Miranda. Libéré et arrivé à Madrid, il se souvient <strong>de</strong> ce que lui avait dit son patron (« Un<br />

jour, je vous conduirai au Prado voir les <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> Goya ! »), et passe <strong>de</strong>ux journées dans ce<br />

musée. Revenu à Londres, en mai 1944, il prend en charge, au sein du Bcra, la<br />

responsabilité du parachutage <strong>de</strong>s agents.<br />

Après la Libération, le voici chef <strong>de</strong> cabinet <strong>de</strong> Passy, à la tête du contre-espionnage. Mais,<br />

en janvier 1946, Charles <strong>de</strong> Gaulle quitte la prési<strong>de</strong>nce du gouvernement : Daniel Cordier a<br />

l’impression que l’aventure est finie. Il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> re<strong>de</strong>venir « un homme ordinaire »,<br />

refusant toute activité politique jusqu’aux années 2000, où, sentant menacé l’héritage <strong>de</strong> la<br />

Résistance, il s’engage pour défendre le programme démocratique, économique et social du<br />

CNR.<br />

Au printemps 1943, il avait <strong>de</strong>mandé un jour à Jean Moulin : « Que ferez-vous après la<br />

guerre ? » Celui-ci avait répondu en riant : « Je serai peintre, évi<strong>de</strong>mment ! » C’est ce que<br />

choisit <strong>de</strong> faire Daniel Cordier. Au bout <strong>de</strong> dix ans, il détruit ses toiles, mais il est <strong>de</strong>venu un<br />

collectionneur <strong>de</strong> haut vol et, en 1956, il ouvre une galerie à Paris et à New York ; il<br />

découvre et lance <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong> premier plan comme Dubuffet, Dewasne, Requichot…<br />

Cependant Daniel Cordier n’est pas un « marchand d’art » : en 1964, avec panache, il ferme<br />

sa galerie parisienne pour dénoncer le poids <strong>de</strong> la finance dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’art.<br />

Durant longtemps, le héros <strong>de</strong> la France Libre, compagnon <strong>de</strong> la Libération, semblait avoir<br />

rompu avec son passé, pourtant, à l’automne 1977, invité sur un plateau <strong>de</strong> télévision, il a la<br />

stupéfaction d’entendre Henri Frenay, l’ancien patron <strong>de</strong> Combat, accuser Jean Moulin <strong>de</strong>


« crypto-communisme » et <strong>de</strong> « double jeu » à l’égard <strong>de</strong> la Résistance ! Il est scandalisé. À<br />

cinquante-sept ans, il déci<strong>de</strong> donc <strong>de</strong> se muer en historien puis en écrivain et élabore cette<br />

véritable cathédrale que sont ses cinq volumineux livres sur Jean Moulin, publiés entre<br />

1983 et 1999, notamment le magistral Jean Moulin, la République <strong>de</strong>s catacombes, ainsi<br />

que, récemment, le premier volume <strong>de</strong> ses merveilleux mémoires, Alias Caracalla (1).<br />

Puisse-t-il faire la grâce, à ses contemporains et aux générations à venir, <strong>de</strong> prolonger son<br />

témoignage sur lui-même et sur ce XXe siècle et ce début du XXIe siècle qu’il aura traversés<br />

avec tant d’éclat.<br />

(1) Éditions Gallimard, 2009.<br />

Anna Musso et François Berriot


06 Septembre 2010<br />

Robert Chambeiron « La désobéissance,<br />

parfois, est une valeur morale »<br />

Par Marion D’Allard, Journaliste.<br />

Compagnon <strong>de</strong> Jean Moulin, secrétaire général du<br />

Conseil national <strong>de</strong> la Résistance, Robert Chambeiron a<br />

vécu la guerre au rythme <strong>de</strong> Londres. Résistant <strong>de</strong> la<br />

première heure, militant jusqu’à la <strong>de</strong>rnière, il continue,<br />

aujourd’hui, <strong>de</strong> défendre sa France.<br />

Paris, 16e arrondissement. Assis dans son salon, Robert<br />

Chambeiron se raconte, et à travers lui, la Résistance. À<br />

95 ans, force vive <strong>de</strong> l’histoire, le poids <strong>de</strong>s ans n’entame<br />

ni sa mémoire, ni sa volonté <strong>de</strong> défendre, encore aujourd’hui, cette République qu’il a<br />

contribué à relever quand, en 1940, elle s’est agenouillée.<br />

Septembre 1939, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’ennemi nazi et Robert<br />

Chambeiron travaille <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans, sous la direction <strong>de</strong> Pierre Meunier, dans le cabinet<br />

<strong>de</strong> Pierre Cot, au ministère <strong>de</strong> l’Air. Il n’a que vingt-quatre ans.<br />

Une brasserie <strong>de</strong> la place Saint-Michel, Paris. « Pierre Meunier, bourguignon, aimait la<br />

vian<strong>de</strong> faisandée. Un jour qu’il allait manger <strong>de</strong>s oiseaux, il tomba mala<strong>de</strong>. » Robert<br />

Chambeiron n’a plus <strong>de</strong> supérieur. On le convoque. « Pierre Meunier est à l’hôpital, je<br />

voudrais que vous le remplaciez. » Comme si c’était hier, Robert Chambeiron décrit les yeux<br />

noirs, le regard profond, le charisme <strong>de</strong> celui qui l’avait convoqué. « Personne ne discutait<br />

ce qu’il disait, on sentait qu’il n’avait pas l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> prendre la parole pour ne rien dire.»<br />

C’était Jean Moulin. Première rencontre avant que la guerre ne les sépare.<br />

Mobilisé en Afrique du Nord, la poignée <strong>de</strong> main à Montoire entre Pétain et Hitler du 2<br />

octobre 1940 signe la fin <strong>de</strong> l’engagement militaire <strong>de</strong> Robert Chambeiron, le début <strong>de</strong> sa<br />

résistance. Il rentre à Paris, reprend contact avec Meunier. Le hasard a fait le reste. Et<br />

finalement, avec le sourire <strong>de</strong> la reconnaissance, Robert Chambeiron parle <strong>de</strong> « miracle ».<br />

Un bistrot du côté <strong>de</strong> la Ma<strong>de</strong>leine, Paris. Moulin a été révoqué <strong>de</strong> ses fonctions <strong>de</strong> préfet.<br />

Nous sommes en novembre 1940. Chargé par <strong>de</strong> Gaulle d’organiser la Résistance en France,<br />

« Moulin voulait recenser les premiers frémissements». Un inventaire pour lever une armée<br />

<strong>de</strong> l’ombre. Chambeiron participera à l’unification <strong>de</strong>s cellules résistantes en zone nord,<br />

occupée.<br />

Les Buttes-Chaumont, Paris. Le jeune résistant vit ses quatre ans <strong>de</strong> clan<strong>de</strong>stinité dans le<br />

Paris allemand. Quatre ans durant lesquels « la Résistance mange toutes les minutes <strong>de</strong><br />

votre journée». Il se souvient <strong>de</strong> la Gestapo qui vient frapper à sa porte, <strong>de</strong> la gardienne <strong>de</strong><br />

l’immeuble qui joue la montre, <strong>de</strong> sa course aux Buttes-Chaumont pour échapper aux petits<br />

bras d’Hitler, <strong>de</strong> la peur, et au final, <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong>s faux papiers « qui doivent résister<br />

aux premiers coups d’œil ». Anecdote. Alors que Robert Chambeiron sort d’une enveloppe<br />

jaunie ses papiers <strong>de</strong> clan<strong>de</strong>stin, il raconte : « Il fallait se méfier. Certains se sont fait gauler<br />

parce que les initiales <strong>de</strong> leurs papiers ne correspondaient pas à celles brodées sur leur<br />

chemise. » Détail. Robert Chambeiron sera donc Robert-Paul Chaudin, Robert-Paul


Collard… RC, pour ne pas que la chemise le trahisse. La toile <strong>de</strong> la Résistance se tisse, les<br />

réseaux s’étoffent. En 1943, <strong>de</strong> Gaulle crée le Conseil national <strong>de</strong> la Résistance (CNR),<br />

structure officieuse d’une entreprise historique. Il lui faut un chef, ce sera Moulin.<br />

48, rue du Four, Paris. Le CNR se réunit pour la première fois, ce 27 mai 1943. C’est la<br />

victoire du rêve <strong>de</strong> la France libre. Citons Malraux : « Ce CNR, qui groupe les mouvements,<br />

les partis et les syndicats <strong>de</strong> toute la France, c’est l’unité précairement conquise, mais aussi<br />

la certitu<strong>de</strong> qu’au jour du débarquement, l’armée en haillons <strong>de</strong> la Résistance attendra les<br />

divisions blindées <strong>de</strong> la libération. » Ils sont une vingtaine ce soir-là, et Jean Moulin<br />

nommera <strong>de</strong>ux secrétaires généraux au CNR, Robert Chambeiron et Pierre Meunier. Les<br />

membres du CNR ne sont pas tous frères d’idéologie. Il faut fédérer à tout prix, faire fi <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux courants qui, selon Robert Chambeiron, mènent à la Résistance. « Certains, comme<br />

moi, sont entrés en Résistance parce qu’ils étaient antifascistes, résolument <strong>de</strong> gauche.<br />

Nous n’avons pas accepté l’idéologie <strong>de</strong>structrice du nazisme. D’autres, parce qu’ils étaient<br />

anti-allemands, sur <strong>de</strong>s bases patriotiques et nationalistes. » Pourtant, une chose est sûre.<br />

Les racines <strong>de</strong> la Résistance sont populaires, ses forces vives sont prolétaires. « C’est dans le<br />

peuple; en premier lieu dans la classe ouvrière, la seule, écrivait François Mauriac,<br />

<strong>de</strong>meurée fidèle à la patrie profanée, que rési<strong>de</strong> la force vive <strong>de</strong> la Resistance. » Chambeiron<br />

sourit. « On disait qu’à Vichy, dans les couloirs <strong>de</strong> l’hôtel du Parc où siégeait le<br />

gouvernement <strong>de</strong> Pétain, il y avait plus d’amiraux que sur la mer. » Opportunisme. « Les<br />

représentants <strong>de</strong>s pouvoirs économiques se sont attelés à la charrue du nazisme et ont<br />

participé au pillage <strong>de</strong> la France. » Quand Moulin est dénoncé et arrêté à Caluire, le 
 21<br />

juin 1943, le CNR se retrouve sans tête. « On nous avait chargés d’un instrument, mais<br />

personne ne nous avait dit comment en jouer. » Il a fallu renommer un prési<strong>de</strong>nt, ce sera<br />

Georges Bidault. « Parce que Moulin lui faisait confiance. »<br />

Ses quatre années <strong>de</strong> clan<strong>de</strong>stinité, Robert Chambeiron les raconte <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong> la<br />

guerre. Parce que le renouveau que promettait le programme politique du CNR adopté le 15<br />

mars 1944 ne l’a jamais quitté, <strong>de</strong>s Vosges où il fut député <strong>de</strong> 1945 à 1951 (radical), puis <strong>de</strong><br />

1956 à 1958 (progressiste), au Parlement européen où il fut élu du groupe communiste <strong>de</strong><br />

1979 à 1989, le message n’a pas faibli, habité par le vœu d’une société plus juste. « La liberté<br />

n’est qu’un leurre quand elle n’a pas la justice sociale comme compagne. » Prési<strong>de</strong>nt<br />

délégué <strong>de</strong> l’Association nationale <strong>de</strong>s anciens combattants (Anacr), intervenant dans les<br />

écoles, au ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> tous les anciens, il ne peut pas, même s’il l’avait voulu, tourner la<br />

page. « C’est comme la tunique <strong>de</strong> Nessus, ça gratte la peau. » Comment tourner la page<br />

quand les retraites, fruits du programme du CNR, sont mises à mal, quand les acquis<br />

sociaux sont ébréchés, quand les « leçons » <strong>de</strong> l’histoire ne sont plus que « <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />

mémoire ». Et si la guerre n’avait pas forcé son <strong>de</strong>stin, Robert Chambeiron aurait été, quoi<br />

qu’il arrive, un résistant. « Mon milieu familial, mes engagements <strong>de</strong> jeunesse, m’auraient<br />

poussés à résister, je ne sais ni avec qui, ni où, ni comment. » Conscient d’être « une petite<br />

partie <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> histoire », il peut encore dire haut et fort, que « la désobéissance,<br />

parfois, est une valeur morale ».<br />

MARION D’ALLARD


04 Septembre 2010<br />

Jacques Solomon « Rassembler tous les<br />

universitaires patriotes »<br />

Par Martha Cecilia Bustamante, Chercheur en Histoire et philosophie <strong>de</strong>s<br />

sciences<br />

Physicien et militant communiste, Jacques Solomon vécut la<br />

montée <strong>de</strong> Hitler au pouvoir en 1933. Il dénonça l’Allemagne nazie<br />

et s’opposa à la guerre, publiant ouvrages et articles dans <strong>de</strong>s<br />

revues clan<strong>de</strong>stines telles que la Pensée libre, cofondée avec Paul<br />

Langevin, ou l’Université libre…<br />

Jacques Solomon est né le 4 février 1908 à Paris. Il était fils d’Iser<br />

Solomon, mé<strong>de</strong>cin radiologue, et d’Alice Habib, morte en<br />

déportation. Après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s au lycée Rollin, Solomon suivit les<br />

traces <strong>de</strong> son père en s’orientant vers la mé<strong>de</strong>cine. Préférant la<br />

physique et les mathématiques, il interrompit ce parcours au<br />

moment où il <strong>de</strong>vint externe <strong>de</strong>s hôpitaux <strong>de</strong> Paris. Ayant passé la licence à la faculté <strong>de</strong>s<br />

sciences <strong>de</strong> Paris en 1927, il accompagna son père à Constantine où avait lieu le congrès <strong>de</strong><br />

l’Association française pour l’avancement <strong>de</strong>s sciences. Il y rencontra Paul Langevin, qui le<br />

poussa à suivre son enseignement au Collège <strong>de</strong> France. Il entra dans le cercle proche du<br />

physicien en épousant sa fille Hélène en 1929 et en venant habiter dans son appartement,<br />

rue Vauquelin. Chez Langevin, Solomon eut d’abord l’occasion <strong>de</strong> rencontrer Einstein et<br />

d’autres grands savants <strong>de</strong> l’époque. Il se lia d’amitié avec le physicien marxiste Léon<br />

Rosenfeld. Tout en donnant libre cours à leur intérêt réciproque pour la philosophie<br />

politique, ils travaillèrent ensemble sur <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> théorie quantique relativiste, sujet<br />

<strong>de</strong> la thèse <strong>de</strong> doctorat <strong>de</strong> Solomon.<br />

Depuis l’affaire Dreyfus, le milieu scientifique parisien baignait dans <strong>de</strong>s cercles<br />

intellectuels et politiques. Dans ce contexte, Solomon commença à fréquenter l’Union<br />

rationaliste et d’autres lieux dans lesquels sa pensée continua à se forger. Il vécut avec<br />

horreur la montée <strong>de</strong> Hitler au pouvoir en 1933. De plus, germanophone, il lut Mein Kampf<br />

et prit conscience du danger. En août 1934, au retour d’un voyage en Allemagne, en Suisse<br />

et en Union soviétique, Solomon et sa femme Hélène adhérèrent au Parti communiste,<br />

attirés par son ralliement à une stratégie d’union dont le mot d’ordre était le Front uni<br />

antifasciste. Solomon, âgé alors <strong>de</strong> vingt-six ans, se lança donc dans un double parcours, <strong>de</strong><br />

physicien et <strong>de</strong> militant. En tant que physicien, il effectua <strong>de</strong>s travaux sur les rayons<br />

cosmiques, la physique nucléaire et la quantification <strong>de</strong> la gravitation, séjournant dans les<br />

centres les plus prestigieux <strong>de</strong> la recherche scientifique européenne et bénéficiant d’une<br />

bourse <strong>de</strong> la Fondation Rockefeller. Il écrivit <strong>de</strong>ux ouvrages issus <strong>de</strong> cours et <strong>de</strong> conférences<br />

au Collège <strong>de</strong> France, où il était boursier <strong>de</strong> la Fondation Peccot. Il <strong>de</strong>vint ensuite chargé <strong>de</strong><br />

recherche <strong>de</strong> la Caisse nationale <strong>de</strong> sciences et fut invité à participer au conseil Solvay <strong>de</strong><br />

1939 qui, <strong>de</strong>puis sa création en 1911, réunissait une élite scientifique très sélecte.<br />

Le parcours du militant communiste fut aussi prenant que celui du théoricien. Passionné<br />

d’escala<strong>de</strong> et <strong>de</strong> montagne, Solomon «voulut convertir la montagne au communisme».<br />

Membre du Parti, il <strong>de</strong>vint, en 1935-1936, secrétaire, avec André Parinaud, <strong>de</strong> la cellule 426-<br />

428 du 5e arrondissement. En janvier 1936, il assista au congrès du Parti communiste à


Villeurbanne. Après la victoire du Front populaire, Solomon fut envoyé en Angleterre par<br />

Jacques Duclos pour étudier le système fiscal anglais. Avec son ami Georges Politzer, il<br />

participa à la formation <strong>de</strong>s militants à l’université ouvrière, créée en 1932 dans la tradition<br />

française d’universités populaires. Solomon y enseigna l’économie politique dans le<br />

contexte <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> l’économie française, <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> crise mondiale <strong>de</strong> 1929, <strong>de</strong>s<br />

perspectives économiques du Front populaire et du passage du capitalisme au socialisme.<br />

Solomon contribua au développement <strong>de</strong>s orientations intellectuelles du Parti, dans la<br />

droite ligne du XVIIIe siècle et <strong>de</strong> la Révolution française. Ils essayaient d’articuler le siècle<br />

<strong>de</strong>s Lumières et les matérialistes français <strong>de</strong> l’époque avec la pensée marxiste. Dans ce<br />

contexte théorique, il écrivit un petit ouvrage, la Pensée française: <strong>de</strong>s origines à la<br />

Révolution, édité à la fin <strong>de</strong> la guerre. Il publia entre 1937 et 1939 plus d’une vingtaine<br />

d’articles, dans la revue la Pensée, qu’il contribua à fon<strong>de</strong>r avec Langevin, et aussi dans les<br />

Cahiers du bolchevisme, ou dans la revue Commune. Il affirmait les valeurs <strong>de</strong> la science et<br />

du rationalisme, <strong>de</strong> même que les valeurs <strong>de</strong> la société soviétique. Enfin, sans cesse, il<br />

dénonça l’Allemagne nazie, l’esprit munichois et s’opposa à la guerre.<br />

En 1939, il fut mobilisé à Rouen dans les services <strong>de</strong> santé, puis replié dans le Calvados et à<br />

Agen d’où il fut démobilisé en 1940. Avec sa femme il prit le train à Montpellier et, après<br />

trente heures <strong>de</strong> voyage, ils se trouvèrent à Paris où ils avaient leurs relations. Le 1 er<br />

septembre, lors d’une promena<strong>de</strong> à vélo, le couple Solomon rencontra Georges Politzer et sa<br />

femme, Maï, dans une rue proche <strong>de</strong> leur appartement, rue Vauquelin. Ils programmèrent<br />

un périodique, l’Université libre, qui allait dénoncer les hommes et la politique <strong>de</strong> Vichy.<br />

Solomon, en particulier, voulait rassembler tous les universitaires patriotes sans exception<br />

<strong>de</strong> parti ou <strong>de</strong> convictions religieuses. La sortie du premier numéro fut accélérée à cause <strong>de</strong><br />

l’arrestation <strong>de</strong> Langevin, le 30 octobre. Il parut en novembre, avec un éditorial qu’on<br />

attribue soit à Solomon seul, soit à Solomon et à Politzer. Ils continuèrent la publication <strong>de</strong>s<br />

autres numéros malgré les difficultés à se procurer le stencil et le papier. Solomon participa<br />

aussi à la publication <strong>de</strong> la Pensée libre qui fit suite à la Pensée.<br />

En janvier 1941, le travail militant étant <strong>de</strong>venu trop dangereux, Solomon et sa femme<br />

«passèrent dans le brouillard». Ils quittèrent leur rési<strong>de</strong>nce et allèrent à plusieurs endroits,<br />

y compris chez <strong>de</strong>s amis. Solomon fut arrêté le 2 mars 1942 dans un café parisien, en même<br />

temps que le docteur J. Bauer – tous les <strong>de</strong>ux travaillaient pour l’Université libre. Interné au<br />

dépôt à la prison du Cherche-Midi, il fut transféré à la Santé. Il put y rencontrer sa femme<br />

qui, ayant été arrêtée à la gare Saint-Lazare le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l’arrestation <strong>de</strong> son mari, venait<br />

d’être transférée elle aussi dans cette prison. Selon son témoignage, il était très affaibli et<br />

avait une blessure importante <strong>de</strong>rrière la tête. Ce fut leur unique et <strong>de</strong>rnière entrevue.<br />

Solomon fut fusillé au mont Valérien comme otage, le 23 mai 1942.<br />

.<br />

Martha Cecilia Bustamante


03 Septembre 2010<br />

Par Lilian Thuram (1).<br />

Addi Bâ. Le soldat inconnu<br />

Qui sait que ce combattant, affecté au 12e<br />

régiment <strong>de</strong> tirailleurs sénégalais en avril 1940,<br />

a fondé le premier maquis <strong>de</strong>s Vosges, au lieudit<br />

du Chêne <strong>de</strong>s Partisans ? Torturé, Addi Bâ<br />

s’est tu obstinément. Il a été fusillé sur le<br />

plateau <strong>de</strong> la Vierge, à Epinal. Ce résistant <strong>de</strong> la<br />

première heure n’a reçu la médaille <strong>de</strong> la<br />

Résistance à titre posthume qu’en 2003,<br />

soixante ans après sa mort.<br />

Gaulle.<br />

Convaincu que c’est son <strong>de</strong>voir, que son<br />

honneur le lui comman<strong>de</strong>, le colonel Rives me<br />

parle d’un homme dont l’histoire lui tient<br />

particulièrement à cœur : Addi Bâ, un parfait<br />

«soldat inconnu » ! Évi<strong>de</strong>mment, le colonel<br />

Rives aurait pu choisir une figure célèbre,<br />

comme celle <strong>de</strong> Félix Éboué (1884-1944). Seul<br />

Noir à parvenir au sommet hiérarchique <strong>de</strong><br />

l’administration coloniale, Eboué rejoint dès le<br />

18 juin 1940 la Résistance et, en tant que<br />

gouverneur, proclame le ralliement officiel du<br />

Tchad, alors colonie française, au général <strong>de</strong><br />

Félix Éboué, lui, a vu sa résistance reconnue. Ses cendres ont été transférées le 20 mai 1949<br />

au Panthéon. Addi Bâ, lui, reste une étoile noire perdue dans le ciel <strong>de</strong> France. Pour tout<br />

honneur, le colonel Rives, avec l’accord <strong>de</strong>s Langevins, a donné son nom à une rue <strong>de</strong><br />

Langeais, en Indre-et-Loire, le 11 mai 1991…<br />

Addi Bâ est né en 1913 près <strong>de</strong> Conakry, en Guinée, colonie française. Arrivé en France, il<br />

est engagé comme cuisinier chez un notable <strong>de</strong> Langeais. En 1939, alors que la guerre est<br />

imminente, l’état-major <strong>de</strong> l’armée se souvient <strong>de</strong>s forces « indigènes » qui combattirent si<br />

courageusement en 14-18. Addi Bâ s’engage. Pour un Africain qui connaît la propagan<strong>de</strong><br />

nazie, la victoire <strong>de</strong> l’Allemagne signifierait une forme <strong>de</strong> retour à l’esclavage.<br />

En avril 1940, Addi Bâ est affecté au 12e régiment <strong>de</strong> tirailleurs sénégalais. Le 10 mai 1940,<br />

les hommes sont envoyés faire rempart <strong>de</strong> leur corps contre l’avancée <strong>de</strong> l’armée alleman<strong>de</strong>,<br />

subissant les pertes les plus massives <strong>de</strong> l’armée: cinq cent vingt mille tirailleurs seront<br />

mobilisés pour occuper la première ligne.<br />

En mai et début juin 1940, mal équipé, les pieds dans la boue, Addi Bâ lutte dans les<br />

Ar<strong>de</strong>nnes et sur la Meuse, dans <strong>de</strong>s combats terribles, parfois au corps-à-corps. Le 18 juin<br />

1940, à Harréville-les-Chanteurs, en Haute-Marne, son régiment est décimé. Certains<br />

combattants sont morts sur les champs <strong>de</strong> bataille, d’autres massacrés une fois faits


prisonniers. Cinq ou six cents tirailleurs sont froi<strong>de</strong>ment exécutés par les Allemands. Une<br />

balle dans la nuque.<br />

En dépit <strong>de</strong> toute les règles <strong>de</strong> la guerre, les nazis organisent <strong>de</strong> véritables chasses à<br />

l’homme dans la Sarthe, en Côte-d’Or, ailleurs encore. Les soldats « sénégalais » sont<br />

internés en France plutôt qu’en Allemagne, car les Allemands redoutent les maladies<br />

tropicales et, plus encore, le risque <strong>de</strong> relations sexuelles avec <strong>de</strong>s Blanches !<br />

Mais que <strong>de</strong>vient Addi Bâ ? Tandis que les luttes se poursuivent, que les bataillons noirs<br />

tombent les uns après les autres, il est capturé en 1940 et conduit à Neufchâteau, dans les<br />

Vosges. Bientôt, profitant d’une soirée <strong>de</strong> beuverie <strong>de</strong> leurs gardiens, Addi Bâ réussit à<br />

s’enfuir avec une quarantaine <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>s. Ils disparaissent dans la nuit. Non sans se<br />

munir <strong>de</strong>s armes abandonnées.<br />

Les hommes se réfugient dans les bois <strong>de</strong> Saint-Ouen-lès-Parey, où ils subsistent<br />

misérablement. Addi Bâ prend le risque d’entrer en contact avec la population <strong>de</strong> la<br />

commune. Le maire <strong>de</strong> Tollaincourt et l’institutrice du village donnent <strong>de</strong>s soins aux blessés<br />

et procurent <strong>de</strong> la nourriture aux hommes. Certains sont hébergés, cachés par les habitants<br />

du village. À cette époque, il faut beaucoup <strong>de</strong> courage, <strong>de</strong> témérité même, pour camoufler<br />

un Africain au milieu <strong>de</strong> la France aryanisée, car la répression est terrible. Il y a <strong>de</strong>s<br />

histoires formidables, comme celle du tirailleur sénégalais que les paysans vosgiens<br />

déguisent en femme et emmènent, en pleine guerre, gar<strong>de</strong>r les vaches.<br />

La présence d’Addi Bâ et <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s dans cette zone occupée par l’ennemi représente<br />

donc un grand risque, et Addi Bâ le sait. Il cherche à fuir la région. À Epinal, <strong>de</strong>s gendarmes<br />

les mettent en contact avec <strong>de</strong>s passeurs. Après avoir enterré leurs armes, les clan<strong>de</strong>stins<br />

sont acheminés vers la Suisse, où ils parviennent au début <strong>de</strong> 1941. L’adjudant Addi Bâ, lui,<br />

est resté à Tollaincourt où, camouflé en ouvrier agricole, il continue le combat. Dès le mois<br />

d’octobre, il entre en relation avec <strong>de</strong>ux futurs membres du réseau Ceux <strong>de</strong> la Résistance.<br />

Beaucoup d’entre nous ignorent que les Noirs furent nombreux à lutter pour notre liberté.<br />

Dès 1940, on en compte dans les organisations <strong>de</strong> Résistance et, en 1944, ils viennent<br />

grossir les rangs <strong>de</strong>s maquisards. Dans le Vercors, par exemple, en juillet 1944, se trouvent<br />

parmi les FFI cinquante-<strong>de</strong>ux tirailleurs sénégalais, ancien prisonniers <strong>de</strong> guerre évadés,<br />

considérés par leur chef comme « les meilleurs éléments du massif ».<br />

En mars 1943, Addi Bâ fon<strong>de</strong> avec un camara<strong>de</strong> le premier maquis <strong>de</strong>s Vosges, au lieu-dit<br />

du Chêne <strong>de</strong>s Partisans. En juillet, son organisation clan<strong>de</strong>stine, baptisée Camp <strong>de</strong> la<br />

délivrance, compte quatre-vingts réfractaires au STO, dix-huit Russes et <strong>de</strong>ux Allemands<br />

qui se disent déserteurs <strong>de</strong> la Wehrmacht. Mais, le 11 juillet, ces <strong>de</strong>ux pseudo-déserteurs<br />

s’enfuient et révèlent l’emplacement du camp à la kommandantur. Le surlen<strong>de</strong>main, ce sont<br />

plus <strong>de</strong> mille soldats allemands qui encerclent la petite colline. Heureusement, <strong>de</strong>s fermiers<br />

du cru, qui les soutiennent, les ont prévenus à temps et tous peuvent s’échapper.<br />

Pour Addi Bâ, les choses sont plus difficiles, sa peau le trahit. Le 15 juillet, il est capturé à la<br />

ferme <strong>de</strong> La Fenessière. À peine enfermé, il saute par une fenêtre. Un soldat décharge sur<br />

lui son pistolet-mitrailleur. Il est atteint à la cuisse.<br />

On le transporte à la prison d’Épinal, où il est atrocement torturé. Les Allemands veulent<br />

obtenir <strong>de</strong>s noms. Addi Bâ se tait obstinément. Il est rejoint par l’un <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s,<br />

Arburger, arrêté <strong>de</strong>ux jours auparavant par la Gestapo tandis qu’il essayait d’orienter ses<br />

compagnons d’armes du Camp <strong>de</strong> la délivrance vers d’autres maquis. Le 18 décembre 1943,


après d’interminables tortures, Addi Bâ et son ami Arburger sont fusillés sur le plateau <strong>de</strong> la<br />

Vierge, à Épinal. Ils n’ont pas parlé.<br />

Ce résistant <strong>de</strong> la première heure n’a reçu la médaille <strong>de</strong> la Résistance à titre posthume<br />

qu’en 2003, soixante ans après sa mort. Quoi d’étonnant ? Dès la veille <strong>de</strong> la Libération,<br />

notre pays a opéré un blanchiment <strong>de</strong> sa résistance. La guerre terminée, pas un <strong>de</strong> leurs<br />

noms ne figure sur les livres d’or. Quant aux monuments aux morts, il est bien rare qu’ils<br />

mentionnent un soldat africain.<br />

(1) Avec son accord, nous publions <strong>de</strong> larges extraits du portrait qui figure dans le livre Mes étoiles<br />

noires, <strong>de</strong> Lilian Thuram, Éditions Philippe Ray, 18 euros, 2010.<br />

LILIAN THURAM


02 Septembre 2010<br />

François Lescure La mo<strong>de</strong>stie têtue<br />

Par Caroline Constant, Journaliste.<br />

Le jeune étudiant communiste, qui <strong>de</strong>viendra une <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> l’Humanité et <strong>de</strong><br />

l’Humanité Dimanche, est l’un <strong>de</strong>s organisateurs <strong>de</strong> la première manifestation publique,<br />

celle <strong>de</strong>s jeunes contre l’occupant nazi le 11 novembre 1940 à l’Arc <strong>de</strong> triomphe.<br />

Ce 11 novembre 1940, il est 17h30. La nuit est déjà tombée. Pourtant, <strong>de</strong>s Champs-Élysées<br />

et <strong>de</strong>s rues adjacentes, <strong>de</strong>s centaines, <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> jeunes gens et <strong>de</strong> jeunes filles<br />

remontent vers l’Étoile. Par grappes. Ou seuls. Ils sont étudiants et lycéens. Pendant <strong>de</strong>ux<br />

heures, avant que les nazis n’interviennent, ils se rassemblent aux cris <strong>de</strong> Vive la France, en<br />

entonnant la Marseillaise et le Chant du départ. Dans les rues <strong>de</strong> Paris, <strong>de</strong>puis juin, les gens<br />

baissent la tête. Sur les murs du métro, <strong>de</strong>s affichettes rouges annoncent déjà <strong>de</strong>s<br />

exécutions. Mais la jeunesse vient <strong>de</strong> signer son premier acte <strong>de</strong> résistance. Et parmi les<br />

artisans <strong>de</strong> cette manifestation, un peu à l’écart, par mesure <strong>de</strong> sécurité, il y a François<br />

Lescure. Il a tout juste vingt ans. Il est communiste. Et il vit déjà en semi-clan<strong>de</strong>stin dans<br />

Paris occupé. Prêt à tous les risques pour cet idéal qui le porte. Et qui le portera toute sa vie.<br />

François Lescure est né le 23 avril 1920 à Paris. Sa famille a déjà dit non, dans l’histoire:<br />

ainsi, son aïeul, Jules <strong>de</strong> Lescure, un républicain, a abandonné sa particule pour marquer<br />

son opposition au Second Empire. Son père, Pierre, la reprend en 1941, lorsqu’il fon<strong>de</strong> alors<br />

les éditions <strong>de</strong> Minuit avec Jean Bruller, alias Vercors, et son fameux Silence <strong>de</strong> la mer.<br />

Pour sa part, le jeune François est un garçon engagé: «Il a adhéré à la Jeunesse communiste<br />

en 1936, au printemps du Front populaire, et au Parti <strong>de</strong>ux ans plus tard, au crépuscule <strong>de</strong><br />

Munich», racontait Étienne Fajon, directeur <strong>de</strong> l’Humanité, lors <strong>de</strong> sa remise <strong>de</strong> Légion<br />

d’honneur le 15 avril 1991. Au moment où l’Occupation commence, François Lescure est<br />

étudiant. Avec Francis Cohen et Suzanne Djian, il est co-organisateur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

manifestations <strong>de</strong>s 8 et 11 novembre 1940, premier pied-<strong>de</strong>-nez <strong>de</strong> masse organisé contre<br />

les nazis.<br />

Dès le 26 septembre 1939, lorsque le Parti communiste est dissous, François Lescure,<br />

Francis Cohen et Suzanne Djian forment une direction clan<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s étudiants<br />

communistes (UEC). François Lescure doit alors feindre l’abandon <strong>de</strong> ses convictions pour<br />

gagner la confiance <strong>de</strong>s syndicalistes étudiants <strong>de</strong> l’Unef, bientôt ralliés à Vichy. Ils lui<br />

confient les clefs <strong>de</strong> leur organisation parisienne. Comme l’Unef est proche du pouvoir,<br />

François Lescure gagne une couverture. Et surtout un local, place Saint-Michel, et une bien<br />

précieuse ronéo. Qui va servir à inon<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tracts et <strong>de</strong> papillons le Quartier latin. Dans<br />

Paris déserté, en juillet, «les premiers tracts <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s étudiants et lycéens<br />

communistes <strong>de</strong> France, sous l’occupation nazie, nous les glissons dans les livres <strong>de</strong>s<br />

bibliothèques, nous les laissons dans les amphis, dans les couloirs <strong>de</strong>s facs, sur les<br />

banquettes <strong>de</strong>s bistrots. Ils appellent à la lutte contre l’occupant, à la défense <strong>de</strong> l’université<br />

et <strong>de</strong> ses traditions. Ils reproduisent l’appel du 10 juillet 1940, paru dans l’Humanité<br />

clan<strong>de</strong>stine sous la signature <strong>de</strong> Maurice Thorez et Jacques Duclos», écrivait, en 1973,<br />

François Lescure dans le journal France nouvelle. En août 1940, l’UEC tente et réussit un<br />

coup <strong>de</strong> force: balancer un paquet <strong>de</strong> tracts du haut d’un amphi, à la Sorbonne, en pleine<br />

conférence «collabo», pour reprendre l’expression <strong>de</strong> François Lescure.


Et arrive le 30 novembre 1940. Le professeur Paul Langevin, scientifique <strong>de</strong> renommée<br />

internationale, pacifiste et progressiste, est arrêté. Dans le local <strong>de</strong> l’Unef, place Saint-<br />

Michel, se retrouvent aussitôt quelques étudiants gaullistes et clan<strong>de</strong>stins, sous la houlette<br />

<strong>de</strong> François Lescure. Ils déci<strong>de</strong>nt d’appeler les étudiants à se rassembler le 8 novembre<br />

1940, au Collège <strong>de</strong> France, à 16 heures, l’heure où Paul Langevin aurait dû débuter son<br />

cours. Frédéric Joliot-Curie fit une courte allocution <strong>de</strong>vant une trentaine d’étudiants qui<br />

s’égaillèrent en chantant la Marseillaise: les étudiants viennent <strong>de</strong> faire la démonstration<br />

qu’ils peuvent s’unir, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> leurs différences. Dans le même temps, la radio <strong>de</strong> Londres<br />

avait donné comme mot d’ordre d’aller <strong>de</strong>vant les monuments aux morts le 11 novembre. Au<br />

départ, l’UEC n’est pas favorable à une manifestation <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur, par peur <strong>de</strong> la<br />

répression. Le triangle <strong>de</strong> direction, <strong>de</strong>vant le succès <strong>de</strong> la manifestation pour Langevin, se<br />

réunit chez le père <strong>de</strong> François, et déci<strong>de</strong> d’aller manifester <strong>de</strong>vant la tombe du Soldat<br />

inconnu. Même s’ils procè<strong>de</strong>nt à 150 arrestations, cette manifestation est la première claque<br />

officielle que se prennent les nazis.<br />

Quelques semaines plus tard, le 10 décembre, François Lescure est arrêté, accusé d’être un<br />

<strong>de</strong>s dirigeants communistes qui a fomenté les <strong>de</strong>ux manifestations. « Il s’en défend, jouant<br />

sur la confusion entre le roturier communiste François Lescure et le <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> chouans<br />

François <strong>de</strong> Lescure », raconte l’Humanité du 10 novembre 1991. Le coup <strong>de</strong> bluff<br />

fonctionne. Un juge d’instruction, monsieur Angéras, lui glisse cependant à l’oreille : « La<br />

prochaine fois que vous serez convoqué, les Allemands vous arrêteront. » François Lescure<br />

n’attend pas que cette convocation tombe. Condamné à mort par contumace, en 1941, il<br />

prend le chemin du maquis et <strong>de</strong>s FTP, comme son père. Les Allemands finiront quand<br />

même par le coincer, à la fin <strong>de</strong> la guerre, en 1944. Il est attrapé et torturé, au moment où il<br />

s’apprêtait à quitter la France pour rejoindre le gouvernement provisoire <strong>de</strong> De Gaulle, à<br />

Alger, où il <strong>de</strong>vait représenter les étudiants communistes. Les Allemands le laissent pour<br />

mort, les reins brisés, dont il gar<strong>de</strong>ra <strong>de</strong>s séquelles toute sa vie. Il réussit quand même à<br />

s’échapper. Et à filer en Algérie.<br />

Après la guerre, François Lescure a assouvi une passion : il est <strong>de</strong>venu journaliste. Entré à<br />

l’Humanité en 1946, il a occupé tous les postes dans le journal. Dix ans après le début <strong>de</strong> sa<br />

retraite, il continuait à venir, tous les matins, très tôt, pour trier les dépêches <strong>de</strong> la rubrique<br />

internationale. Bruno Peuchamiel, alors journaliste à l’Humanité, se souvient : « Il était<br />

amoureux du journalisme et du journal. C’était un type ancré dans le communisme. Un type<br />

discret et mo<strong>de</strong>ste. » Il rappelle qu’alors, « on croisait dans les couloirs <strong>de</strong> l’Huma Émile<br />

Besson, Yves Moreau, André Carrel, François Lescure et Ma<strong>de</strong>leine Riffaut ». Autant <strong>de</strong><br />

petites mains <strong>de</strong> l’Histoire et <strong>de</strong> grands noms <strong>de</strong> l’Humanité.<br />

Caroline Constant


01 Septembre 2010<br />

Figure tragique <strong>de</strong> la résistance communiste<br />

Par Nicolas Devers-Dreyfus.<br />

« Martyr assassiné 
parce que voulant le bien <strong>de</strong> tous », bouleversante épitaphe rédigée<br />

du fond 
<strong>de</strong> sa cellule par 
Jean Catelas lui-même, dans la lettre adressée 
à sa femme la<br />

veille 
<strong>de</strong> son exécution, 
le 24 septembre 1941.<br />

L’immensité azurée du ciel picard, l’ombre portée du<br />

vaisseau gothique <strong>de</strong> la cathédrale d’Amiens ont abrité l’une<br />

<strong>de</strong>s plus belles aventures collectives du siècle passé : celle <strong>de</strong>s<br />

ouvriers révolutionnaires <strong>de</strong> la Somme, cheminots <strong>de</strong> la<br />

Compagnie du Nord, ouvriers <strong>de</strong>s filatures, gagnant leur<br />

émancipation <strong>de</strong>puis le guesdisme jusqu’à la résistance<br />

patriotique. Ce peuple courageux avait un héros à la stature<br />

nationale, un entraîneur d’hommes : Jean Catelas, député du<br />

Front populaire, guillotiné à quarante-cinq ans à la prison <strong>de</strong><br />

la Santé.<br />

« Ma petite fille chérie… Sais-tu d’abord ce que c’est, une<br />

prison. Souviens-toi du temps où j’étais près <strong>de</strong> toi. Avant la<br />

guerre, tu voulais toujours attraper <strong>de</strong>s oiseaux pour les mettre dans la cage. Moi, je voulais<br />

leur rendre la liberté. » Ainsi s’exprime Jean Catelas, dans une lettre à Michèle, l’une <strong>de</strong> ses<br />

quatre enfants, le 26 mai 1941.<br />

D’origine paysanne, après le certificat d’étu<strong>de</strong>s, il exerce le métier d’ouvrier bonnetier<br />

jusqu’à la mobilisation, il fait toute la Gran<strong>de</strong> Guerre au front, dans l’infanterie, poilu<br />

courageux, blessé et décoré.<br />

Cheminot syndiqué dès 1919 à Amiens, gar<strong>de</strong>-frein puis chef <strong>de</strong> train, il participe à la gran<strong>de</strong><br />

grève <strong>de</strong> 1920. Il milite également au comité local pour l’adhésion à la IIIe Internationale.<br />

Dès le congrès <strong>de</strong> Tours, il est l’un <strong>de</strong>s fondateurs du Parti communiste dans la Somme.<br />

Ar<strong>de</strong>nt dirigeant communiste, responsable du syndicat CGTU <strong>de</strong>s cheminots <strong>de</strong> la<br />

Compagnie <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> fer du Nord, créateur du Travailleur <strong>de</strong> Somme et Oise, Catelas<br />

acquiert rapi<strong>de</strong>ment une immense popularité.<br />

Il anime les luttes face à la profon<strong>de</strong> misère ouvrière amiénoise. Rassembleur dans l’âme, il<br />

s’affirme l’artisan <strong>de</strong> l’unité d’action contre les ligues fascistes menaçantes, à l’origine du<br />

miracle <strong>de</strong>s retrouvailles socialistes et communistes.<br />

Elles sont marquées à Amiens par un grand rassemblement populaire, à l’atmosphère<br />

joyeuse et déterminée, qui se tient au parc <strong>de</strong> la Hotoie, le 14 juillet 1935. Dans le même<br />

esprit, Catelas prend une part déterminante à la réunification syndicale <strong>de</strong>s cheminots du<br />

réseau.<br />

Aux législatives <strong>de</strong> mai 1936, formidable campagne électorale : partout, on voit Jean Catelas<br />

et son célèbre canotier. Marcel Cachin, venu tenir meeting salle du grand cinéma, rue <strong>de</strong>s


Capucins, notera dans ses carnets l’exceptionnel dynamisme <strong>de</strong>s militants amiénois. Jean<br />

Catelas bat le maire, Lucien Lecointe, l’homme <strong>de</strong> Laval, dans la première circonscription,<br />

tandis que son camara<strong>de</strong> Louis Prot, mécanicien cheminot, maire <strong>de</strong> Longueau <strong>de</strong>puis 1925,<br />

est élu député <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième circonscription <strong>de</strong> la Somme. Scènes d’allégresse.<br />

Au congrès d’Arles, en 1937, il est élu membre suppléant du comité central du <strong>PCF</strong> et<br />

participe dès lors activement à la direction nationale. Ainsi, durant la guerre d’Espagne,<br />

Catelas assure la liaison avec les Briga<strong>de</strong>s internationales, accomplissant <strong>de</strong> nombreuses<br />

missions au front. L’hiver 1939, à la victoire <strong>de</strong>s franquistes, il exfiltre in extremis la<br />

Pasionaria par avion à Oran, d’où elle gagnera Moscou en exil.<br />

La drôle <strong>de</strong> guerre : le Parti communiste interdit, il échappe <strong>de</strong> peu à l’arrestation… caché<br />

dans la niche <strong>de</strong> son chien. Mais pour ce militant exemplaire, les <strong>de</strong>ux ans qui vont suivre<br />

seront tragiques.<br />

La douleur <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> son fils Henri, à vingt ans. Puis un chemin particulièrement<br />

éprouvant dans la clan<strong>de</strong>stinité. Avec la défaite, Catelas, qui a gagné clan<strong>de</strong>stinement la<br />

capitale, réorganise en juillet les militants politiques et syndicaux <strong>de</strong> la région parisienne.<br />

Responsable <strong>de</strong> l’Humanité clan<strong>de</strong>stine, il est chargé avec Maurice Tréand d’en négocier la<br />

reparution auprès <strong>de</strong> l’occupant. Les témoignages concor<strong>de</strong>nt, notamment celui d’O<strong>de</strong>tte<br />

Janvier, son agent <strong>de</strong> liaison d’alors : discipliné, mais en net désaccord. Après moult<br />

péripéties, le 5 août 1940, l’Internationale fait arrêter toute démarche.<br />

Cet épiso<strong>de</strong> lui vaut l’inimitié <strong>de</strong> certains dirigeants, alors même qu’il avait manifesté sa<br />

désapprobation. La triste controverse nous est désormais connue <strong>de</strong>puis la publication <strong>de</strong>s<br />

dépêches <strong>de</strong> l’Internationale.<br />

Catelas se rebiffe : « Je m’aperçois que rien n’a changé à mon égard, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />

responsables <strong>de</strong>s cadres. J’ai accepté certaines choses, pour ne penser qu’au travail. Mais il<br />

y a <strong>de</strong>s limites à tout. J’ai mon caractère, mon amour-propre comme tout militant qui se<br />

respecte. Il faut me remplacer. Il faut me donner d’autres tâches dans une région ou une<br />

autre. À la base où j’ai tant <strong>de</strong> plaisir à lutter. »<br />

L’un <strong>de</strong>s principaux dirigeants du Parti clan<strong>de</strong>stin à Paris, il est finalement appréhendé, à la<br />

suite <strong>de</strong> l’arrestation <strong>de</strong> son agent <strong>de</strong> liaison le 14 mai 1941, ainsi que son gendre, Jean<br />

Arrachart, puis une série d’autres responsables, dont Mounette Dutilleul et Gabriel Péri.<br />

Partageant un temps sa cellule à la Santé avec celui-ci, torturé, il est condamné à mort le 21<br />

septembre par le tribunal d’État – la sinistre « section spéciale » créée par Vichy le 25 août<br />

– <strong>de</strong> même que l’architecte communiste Jacques Woog et l’ouvrier Adolphe Guyot.<br />

Jean Catelas meurt courageusement le 24 septembre. À l’aube, les trois résistants montent à<br />

l’échafaud dans la cour <strong>de</strong> la prison en chantant la Marseillaise. Les bourreaux <strong>de</strong>vront<br />

témoigner que Catelas se jeta sous la lame <strong>de</strong> la guillotine en criant « Vive la France ».<br />

À la Libération, toute une ville lui rend hommage lors <strong>de</strong> son inhumation à Amiens.<br />

Sources principales :<br />

Jean Catelas, un DVD documentaire <strong>de</strong> Jean-Pierre Denne, coauteurs Daniel Arrachart et<br />

Pascal Crépin. Association Mine <strong>de</strong> rien, avec le soutien <strong>de</strong> la région Picardie, 
en<br />

partenariat avec le CNC.


Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier 
(le « Maitron »). Éditions <strong>de</strong> l’Atelier,<br />

Paris.<br />

Moscou, Paris, Berlin, télégrammes chiffrés du Komintern (1939-1941), ouvrage collectif<br />

sous la direction 
<strong>de</strong> Denis Peschanski, avec B. H. Bayerlein, M. Narinski, B. Stu<strong>de</strong>r et S.<br />

Wolikow. Éditions Tallandier, Paris, 2003.<br />

Nicolas Devers-Dreyfus


31 Aout 2010<br />

René Andrieu : « Il faut libérer ce qu’on aime »<br />

Par Patrick Apel-Muller, directeur <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong> l’Humanité.<br />

Celui qui fut pendant 
vingt-six ans rédacteur en chef <strong>de</strong> l’Humanité 
<strong>de</strong>vint journaliste au<br />

sortir <strong>de</strong>s maquis du Lot dont 
il était <strong>de</strong>venu le chef.<br />

René Andrieu. La date était choisie : le 11<br />

novembre 1942, René Andrieu, licence <strong>de</strong><br />

littérature française et d’étu<strong>de</strong>s grecques en<br />

poche, adhérait au <strong>PCF</strong>. Après avoir milité dans<br />

la résistance étudiante, il bascule dans la<br />

clan<strong>de</strong>stinité. C’est les armes à la main qu’il<br />

poursuivra ses étu<strong>de</strong>s. Réfugié d’abord dans une<br />

ferme perdue <strong>de</strong>s Causses pour éviter le STO, il<br />

y éprouve la solidarité populaire. Celle <strong>de</strong>s<br />

militants communistes du village, <strong>de</strong>ux paysans<br />

et un électricien. Ou encore du fermier qui<br />

invite à partager un lapin <strong>de</strong> garenne. Mais tout<br />

féru <strong>de</strong> Stendhal qu’il est, il ne veut pas assister<br />

à la bataille sans rien y comprendre. Le premier<br />

ren<strong>de</strong>z-vous avec le triangle <strong>de</strong> direction <strong>de</strong>s<br />

FTP du Lot se déroule en pleine ville, près du<br />

champ <strong>de</strong> foire <strong>de</strong> Figeac. Au café, « ils sont<br />

attablés dans un coin, mais les revolvers qu’ils<br />

portent sont bien visibles. D’ailleurs, raconte-t-il (1), ils ont laissé <strong>de</strong>vant la porte, leur<br />

voiture (…) Ils n’ont pas pris la peine <strong>de</strong> cacher les grena<strong>de</strong>s et les mitraillettes Sten qui<br />

s’étalent sans pu<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>rrière la vitre arrière ».<br />

Départ en voiture vers la région <strong>de</strong> collines et <strong>de</strong> châtaigneraies où est installé le PC. Près<br />

d’un an avant la Libération, la zone échappe au contrôle <strong>de</strong> l’occupant. Le maquis prend<br />

dans les perceptions et les banques l’argent dont il a besoin, reprend les bêtes<br />

réquisitionnées par Vichy et les rend aux paysans, trouve auprès <strong>de</strong>s maires sympathisants<br />

les tickets <strong>de</strong> ravitaillement indispensables. L’armement est sommaire. Les FTP récupèrent<br />

celles qui dorment dans les planques d’autres organisations moins combatives ou<br />

s’emparent <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s Groupes mobiles <strong>de</strong> Vichy en attaquant la prison <strong>de</strong> Figeac. Bilan :<br />

<strong>de</strong>ux vieilles mitrailleuses Hotchkiss, <strong>de</strong>s mousquetons et <strong>de</strong>s munitions et trois blessés<br />

dont un maquisard. La ligne ferroviaire Toulouse-Paris est <strong>de</strong>venue quasiment impraticable<br />

d’attentats en sabotages. Les viaducs, les ponts stratégiques, les lignes téléphoniques<br />

sautent. Les routes nationales sont minées.


La guerre <strong>de</strong>s partisans, avec leurs détachements disséminés, les rend presque<br />

invulnérables. René Andrieu y excelle. Il <strong>de</strong>vient l’adjoint du responsable départemental,<br />

Georges, un ancien chef d’équipe du bâtiment, force <strong>de</strong> la nature et organisateur hors pair.<br />

Une amitié se forge dans les coups <strong>de</strong> main et sous les balles, qui résistera à l’exclusion du<br />

<strong>PCF</strong> <strong>de</strong> Georges après-guerre. Pour <strong>de</strong>s raisons « parfaitement injustifiées », s’indignera<br />

René Andrieu. Des camara<strong>de</strong>s tombent. D’autres en réchappent, quelques fois par miracle.<br />

Une fois mitraillé par les GMR, un autre par l’avant-gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la division SS Das Reich qui<br />

remonte dans un sillon sanglant <strong>de</strong> Figeac à Brive. « Quelques fractions <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>,<br />

quelques centimètres <strong>de</strong> plus ou <strong>de</strong> moins et le <strong>de</strong>stin bascule », écrit-il.<br />

Désormais, il s’appelle le capitaine Alain. Intraitable quant à la discipline et à la rectitu<strong>de</strong><br />

morale <strong>de</strong> ses combattants qui doivent gagner et conserver la confiance <strong>de</strong> la population. Il<br />

fait ainsi rendre une montre en argent dérobée à un pétainiste. Cela se sait et c’est apprécié.<br />

Mais il sait aussi plai<strong>de</strong>r l’indulgence quand <strong>de</strong>ux partisans en faction sur un pont miné, las<br />

d’attendre les Allemands, partent à la ferme voisine et laissent passer les troupes. Les<br />

conséquences auraient pu en être dramatiques et ils sont condamnés à mort. Il plai<strong>de</strong><br />

l’indulgence et se fait sévèrement admonester pour « sentimentalisme hors <strong>de</strong> saison ». Les<br />

<strong>de</strong>ux coupables d’abandon <strong>de</strong> poste seront cependant graciés.<br />

Républicains espagnols, soldats russes déserteurs, mé<strong>de</strong>cin opérant au maquis,<br />

restauratrice qui offre planque et abri, communistes allemands, un mé<strong>de</strong>cin italien… se<br />

fon<strong>de</strong>nt dans le réseau <strong>de</strong> résistants qui irriguent les villes et les campagnes du Lot. C’est «<br />

le temps <strong>de</strong>s monts enragés et <strong>de</strong>s amitiés fantastiques », écrit René Char. Des amours<br />

aussi. Des jeunes femmes assurent les liaisons du maquis, transmettant les messages, les<br />

tracts, les informations sur les mouvements <strong>de</strong>s troupes alleman<strong>de</strong>s ou transportant <strong>de</strong>s<br />

armes. Elles circulent à vélo et prennent <strong>de</strong> grands risques. « Trois ans plus tard, l’une d’elle<br />

<strong>de</strong>viendra ma femme », raconte-t-il.<br />

Passionné <strong>de</strong> littérature, René Andrieu la croise dans les entrelacs <strong>de</strong> la clan<strong>de</strong>stinité. Il fait<br />

la connaissance <strong>de</strong> Malraux qui, faisant retraite dans un château <strong>de</strong> Dordogne, sort <strong>de</strong> sa<br />

léthargie en 1944. Une imprimerie <strong>de</strong> Figeac est réquisitionnée (et l’imprimeur avec…) puis<br />

cachée en plein bois. Le poète Jean Marcenac, alias capitaine Walter, supervise l’opération<br />

pour tirer un journal, le Partisan du Lot. On y imprime aussi <strong>de</strong>s poèmes d’Aragon :<br />

« Il faut libérer ce qu’on aime,<br />

Soi-même, Soi-même, Soi-même ».<br />

À la veille <strong>de</strong> la Libération, les FTP du Lot qui se fon<strong>de</strong>nt dans les FFI représentent 
3 000<br />

hommes sur 5 000 au total, désormais bien armés et structurés. Une force qui en impose à<br />

la garnison alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> Cahors qui préfère la retraite à l’assaut que préparent les<br />

résistants. Le 17 août 1944, la capitale départementale est libre et un préfet du maquis,<br />

Robert Dumas, est installé. René Andrieu, chef départemental <strong>de</strong>s FFI, <strong>de</strong>vient


commandant <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> Cahors tandis que son ami Georges reçoit l’ordre <strong>de</strong> marcher<br />

sur Toulouse où il <strong>de</strong>vient commandant <strong>de</strong> la place. Mais les combats se poursuivent et l’on<br />

voit s’élever les fumées <strong>de</strong>s villages incendiés. 800 personnes sont raflées par les nazis à<br />

Figeac et sont déportées. La plupart n’en reviendront pas. Ici <strong>de</strong>s pendaisons, là <strong>de</strong>s<br />

tortures, ailleurs <strong>de</strong>s maquisards massacrés. À Cahors, un tribunal militaire composé <strong>de</strong>s<br />

différents mouvements <strong>de</strong> résistance, présidé par le colonel Vincent puis par René Andrieu,<br />

juge les agents <strong>de</strong> l’ennemi. On n’oublie pas que le maquis Douaumont, l’un <strong>de</strong>s premiers du<br />

Lot, a été décimé sur dénonciation d’un « collabo ». René Andrieu rejoint ensuite l’armée <strong>de</strong><br />

l’Atlantique avec le général Larminat, qui réduit les poches alleman<strong>de</strong>s à la pointe du Grave.<br />

Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la guerre, le capitaine Alain <strong>de</strong>vient rédacteur diplomatique au quotidien<br />

Ce soir, dirigé par Jean-Richard Bloch et Aragon. « C’était une autre manière <strong>de</strong> poursuivre<br />

le combat que j’avais commencé dans la Résistance. La différence était qu’au lieu <strong>de</strong> tenir<br />

une mitraillette, je me servais d’une plume. Le journalisme, pour moi, n’était pas seulement<br />

un métier. C’est un combat pour mon idéal », écrivait celui qui allait <strong>de</strong>venir, durant vingtsix<br />

ans, un flamboyant rédacteur en chef <strong>de</strong> l’Humanité.<br />

(1) Un rêve fou ? Un journaliste dans le siècle, par René Andrieu. Éditions l’Archipel.<br />

1996.<br />

Par Patrick Apel-Muller


30 Aout 2010<br />

Jean-Pierre Timbaud Le caractère bien trempé<br />

du métallo parisien<br />

Par Roger Bour<strong>de</strong>ron, historien.<br />

Le jeune apprenti d’une fon<strong>de</strong>rie <strong>de</strong> Decazeville, <strong>de</strong>venu adulte, jouera un rôle <strong>de</strong> premier<br />

plan dans l’organisation <strong>de</strong>s grèves <strong>de</strong> 1936. Le syndicaliste communiste mettra la même<br />

énergie au service <strong>de</strong> la résistance. Arrêté le 18 octobre 1940, son nom reste attaché aux 27<br />

<strong>de</strong> Châteaubriant.<br />

Jean-Pierre Timbaud est né le 20 septembre 1904 à Payzac<br />

(Dordogne). Il entre en apprentissage dès l’âge <strong>de</strong> douze ans<br />

dans une fon<strong>de</strong>rie à Decazeville, où son père est affecté dans<br />

une usine <strong>de</strong> guerre. La paix revenue, la famille est à Paris.<br />

Timbaud achève son apprentissage, trouve du travail dans <strong>de</strong><br />

petites fon<strong>de</strong>ries, <strong>de</strong>vient militant syndical à la CGTU, est<br />

embauché par le fon<strong>de</strong>ur d’art Antoine Rudier, qui a pour<br />

clients Maillol, Renoir, Rodin, Bour<strong>de</strong>lle, dans le 15e<br />

arrondissement. En 1922, il a adhéré aux Jeunesses<br />

communistes. Il se marie en 1927. De cette union naît une<br />

fille, Jacqueline, en 1928.<br />

Syndicaliste très actif, il est élu à la commission exécutive <strong>de</strong><br />

l’Union syndicale CGTU <strong>de</strong>s travailleurs <strong>de</strong> la métallurgie <strong>de</strong><br />

la région parisienne en 1930, dont il <strong>de</strong>vient en 1931 l’un <strong>de</strong>s<br />

secrétaires permanents. Il suit cette même année l’école centrale du Parti communiste, qui<br />

veut l’envoyer ensuite à Moscou mais il refuse, voulant notamment préserver sa vie <strong>de</strong><br />

famille. Le Parti le présente aux élections législatives <strong>de</strong> 1932 dans le 15e. Il dirige en 1933<br />

une grève <strong>de</strong> trente-cinq jours aux usines Citroën du département <strong>de</strong> la Seine. Il affirme<br />

dans ce combat son grand talent d’organisateur et <strong>de</strong> tribun. Lorsque la CGT est réunifiée<br />

en 1936, il <strong>de</strong>vient secrétaire <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s travailleurs <strong>de</strong>s métaux <strong>de</strong> la Seine et membre<br />

<strong>de</strong> la commission exécutive fédérale. Il joue un rôle <strong>de</strong> premier plan dans les grèves et les<br />

occupations d’usines <strong>de</strong> mai-juin 1936, puis dans l’organisation <strong>de</strong> la solidarité avec<br />

l’Espagne républicaine, où il se rend en 1937 avec une délégation <strong>de</strong> métallurgistes<br />

parisiens, pour apporter <strong>de</strong>s fonds recueillis dans les usines. Cette même année, il <strong>de</strong>vient<br />

l’un <strong>de</strong>s secrétaires <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s métallurgistes inaugurée par Benoît Frachon, rue<br />

d’Angoulême dans le 11e – aujourd’hui rue Jean-Pierre-Timbaud.<br />

À la veille <strong>de</strong> la guerre, une équipe est soli<strong>de</strong>ment constituée à la commission exécutive <strong>de</strong>s<br />

métallos parisiens avec Henri Jourdain, Maurice Lacazette, Henri Tanguy, Henri Gautier,<br />

qui en est le trésorier, autour <strong>de</strong> Jean-Pierre Timbaud – qu’Henri Jourdain caractérise<br />

ainsi : « Sous la fermeté <strong>de</strong> caractère et son abord joyeux et démonstratif, Timbaud<br />

dissimulait une sensibilité vivante que seuls pouvaient déceler ceux qui partageaient<br />

intimement sa vie militante et sa confiance. Mêlée à ses dispositions d’orateur et ses<br />

qualités d’agitateur qui le distinguaient entre nous, cette sensibilité soulevait d’émotion les<br />

ouvriers et gagnait leur esprit. » La guerre disperse cette équipe <strong>de</strong> syndicalistes


communistes, mais les convictions radicalement antifascistes <strong>de</strong> chacun d’eux ne seront pas<br />

entamées par les conséquences du pacte germano-soviétique et le virage <strong>de</strong> « la guerre<br />

impérialiste <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés ».<br />

Jean-Pierre Timbaud est mobilisé le 3 septembre 1939 au camp <strong>de</strong> Mourmelon (Marne), où<br />

il est chauffeur d’un colonel. L’invasion et la retraite le conduisent en Haute-Vienne.<br />

Démobilisé le 28 août 1940, il rentre immédiatement à Paris. Il reprend contact avec ses<br />

camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s métaux, entre autres Henri Gautier, Henri Jourdain, Roger Linet, Henri<br />

Tanguy. Tous œuvrent à la constitution <strong>de</strong>s comités populaires clan<strong>de</strong>stins dans les usines<br />

<strong>de</strong> la région parisienne. Tous sont d’accord sur les objectifs, initialement mo<strong>de</strong>stes vu la<br />

déstructuration du mouvement ouvrier : retrouver <strong>de</strong>s militants, les convaincre <strong>de</strong> s’investir<br />

dans l’objectif majeur qu’est la défense <strong>de</strong>s revendications ouvrières, et par là s’affirmer «<br />

contre Vichy et, <strong>de</strong>rrière Vichy, contre l’occupant », comme le dira plus tard Henri<br />

Jourdain, qui précise : « Nous insistons sur la nécessité <strong>de</strong> développer la production non<br />

militaire, afin <strong>de</strong> satisfaire les besoins pressants <strong>de</strong> la population française, et <strong>de</strong> ne pas<br />

alimenter la machine <strong>de</strong> guerre alleman<strong>de</strong>. Cette démarche ouvrira la voie au sabotage <strong>de</strong> la<br />

production <strong>de</strong> guerre. » Difficile pério<strong>de</strong> fondatrice, où il n’est pas toujours facile <strong>de</strong> se<br />

retrouver car, pour reprendre une expression d’Henri Jourdain, « il y a parfois distorsion<br />

entre l’analyse et l’action » – allusion à l’analyse <strong>de</strong> « la guerre impérialiste » que continue<br />

<strong>de</strong> diffuser la direction communiste. À cette activité qui portera tous ses fruits plus tard,<br />

Timbaud apporte toute son énergie. Il est en ce sens incontestablement l’un <strong>de</strong>s fondateurs<br />

<strong>de</strong> la résistance communiste. Eugène Hénaff, à la tête <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s syndicalistes<br />

communistes parisiens, lui a par ailleurs confié la responsabilité <strong>de</strong> la Vie ouvrière<br />

clan<strong>de</strong>stine, dont les articles sont axés sur la lutte revendicative et la nécessité <strong>de</strong> remettre<br />

en marche les entreprises pour un travail pacifique, contre tout travail pour la machine <strong>de</strong><br />

guerre alleman<strong>de</strong>.<br />

Cette activité ne dure pas. Début octobre 1940, lors <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> rafle <strong>de</strong> militants<br />

communistes par la police parisienne, Gautier est arrêté le 5, Timbaud le 18. Interné à<br />

Aincourt puis en décembre à la centrale <strong>de</strong> Fontevrault, en janvier 1941 à celle <strong>de</strong> Clairvaux,<br />

il est transféré le 14 mai à Châteaubriant. Ses camara<strong>de</strong>s le désignent comme responsable<br />

<strong>de</strong> l’organisation politique <strong>de</strong>s détenus <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux camps – celui <strong>de</strong>s femmes comme celui <strong>de</strong>s<br />

hommes. Il assure la liaison avec les autorités françaises du camp, toujours actif, toujours<br />

dévoué à ses camara<strong>de</strong>s, s’occupant tout particulièrement <strong>de</strong> Guy Môquet. Désigné parmi<br />

les 27 otages exigés par les nazis après l’attentat <strong>de</strong> Nantes du 20 octobre 1941, il est fusillé<br />

le 22 octobre avec ses camara<strong>de</strong>s. Dans sa <strong>de</strong>rnière lettre, adressée à sa femme et à sa fille, il<br />

rappelle le combat <strong>de</strong> toute sa vie « pour une humanité meilleure » et sa confiance dans la<br />

réalisation <strong>de</strong> ce rêve du vivant <strong>de</strong>s « <strong>de</strong>ux amours » <strong>de</strong> sa vie. Face au peloton d’exécution,<br />

il crie « Vive le Parti communiste allemand », hautement symbolique <strong>de</strong> l’internationalisme<br />

dont il était porteur.<br />

Bibliographie : Jean-Pierre Timbaud, <strong>de</strong> Lucien Monjauvis, Éditions sociales, 1971.<br />

Comprendre pour accomplir, dialogue avec Clau<strong>de</strong> Willard, d’Henri Jourdain, Éditions<br />

sociales, 1982. 1933-1943 la Traversée <strong>de</strong> la tourmente, <strong>de</strong> Roger Linet, avant-propos <strong>de</strong><br />

Gaston Plissonnier, préface d’Henri Rol-Tanguy, Éditions Messidor, 1990. La Vie à en<br />

mourir, lettres <strong>de</strong> fusillés, 1941-1944, préface <strong>de</strong> François Marcot, lettres choisies et<br />

présentées par Guy Krivopissko, Éditions Tallandier, 2003.<br />

Roger Bour<strong>de</strong>ron


27 Aout 2010<br />

Pierre Messmer Le raisonnable et le passionné<br />

Par Michel Boissard, Historien.<br />

« Le passionné 
a vécu, le raisonnable 
a duré. » Ainsi Simone Veil rendait-elle hommage,<br />

en lui succédant à l’Académie française, à celui qui répondra à trente ans 
à l’Appel du 18<br />

juin. 
Il accompagnera l’épopée <strong>de</strong> la France libre en Afrique 
jusqu’à se retrouver 
en<br />

Normandie, 
au même mois <strong>de</strong> juin, mais en 1944.<br />

nationale.<br />

Passionné et raisonnable : en écho au discours du général<br />

<strong>de</strong> Gaulle caractérisant d’un mot du moraliste Chamfort les<br />

premiers compagnons <strong>de</strong> la France libre, tel apparaît le<br />

résistant Pierre Messmer (1916-2007) à la rescapée <strong>de</strong> la<br />

Shoah et déportée Simone Veil, lui succédant à l’Académie<br />

française. « Le passionné a vécu, le raisonnable a duré. » À<br />

ce <strong>de</strong>rnier, Pierre Messmer emprunte la fidélité à ses<br />

origines. S’il est né à Vincennes, sa lignée est à la fois<br />

alsacienne et lorraine. Son grand-père paternel, un paysan<br />

<strong>de</strong> Marmoutier, non loin <strong>de</strong> Strasbourg, choisit la France,<br />

et donc l’exil, en 1871. Du côté maternel, on est lié à cette<br />

Lorraine qui regar<strong>de</strong> vers la Haute-Marne où Jeanne<br />

naquit à Domrémy, et vers la Moselle, dont il sera vingt ans<br />

durant (1968-1988) le représentant à l’Assemblée<br />

Cet ancrage terrien nourrit paradoxalement l’appel du grand large. Éduqué chez les<br />

Oratoriens, au lycée Charlemagne, puis à Louis-le-Grand, le bon élève rêve d’ailleurs et<br />

d’aventures au long cours. « Entre la mer et le désert, il hésitera longtemps », dira <strong>de</strong> lui le<br />

professeur François Jacob, autre résistant notoire. Bachelier en 1933, breveté <strong>de</strong> l’École<br />

nationale <strong>de</strong> la France d’outre-mer, docteur en droit, diplômé <strong>de</strong> l’École <strong>de</strong>s langues<br />

orientales, il opte pour l’Afrique. Sous-lieutenant <strong>de</strong> tirailleurs sénégalais durant son service<br />

militaire, maintenu sous les drapeaux en 1939, c’est dans le Puy-<strong>de</strong>-Dôme, où il est replié,<br />

qu’il entend, non pas l’Appel du 18 juin 1940, qu’il n’entendra d’ailleurs pas, mais, la veille,<br />

le 17 juin, la déclaration du maréchal Pétain annonçant la capitulation <strong>de</strong> la France.<br />

Et voici le passionné. Sur-le-champ, c’est-à-dire immédiatement et sans délai, avec son ami<br />

le lieutenant Jean Simon, à moto, en auto-stop et en train, tous <strong>de</strong>ux gagnent Marseille.<br />

L’objectif est simple : se battre. Tous les moyens sont bons : faux ordres <strong>de</strong> mission,<br />

uniformes troqués pour <strong>de</strong>s vêtements civils, il s’agit d’embarquer pour l’Afrique du Nord<br />

ou la Gran<strong>de</strong>-Bretagne. À bord du Capo-Olmo qui se dirige vers Oran, Messmer, Simon, le<br />

commandant Vuillemin et quelques camara<strong>de</strong>s clan<strong>de</strong>stins imposent un changement <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>stination et déroutent le bâtiment vers Gibraltar, d’où il rallie Liverpool, en France libre…<br />

Le patriote alsacien-lorrain, rigi<strong>de</strong>, travailleur et croyant, s’est fait déserteur. « Pas un<br />

instant, nous ne nous sommes interrogés pour savoir si nous <strong>de</strong>vions suivre les<br />

mouvements <strong>de</strong> notre cœur plutôt que les ordres <strong>de</strong> nos chefs : aucun doute n’a assailli<br />

notre esprit ; aucun doute n’y entra jamais les années suivantes. »


L’exercice <strong>de</strong> ce droit inaliénable à l’insoumission a, cependant, <strong>de</strong> surprenantes<br />

conséquences. François Jacob a raconté la suite : reçu, avec Jean Simon, par <strong>de</strong> Gaulle, dans<br />

ses bureaux londoniens, le lieutenant Messmer n’est ni félicité ni remercié. À peine le chef<br />

<strong>de</strong> la France libre lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-il dans quelle arme il veut servir. « À la Légion étrangère !<br />

» est la réponse. Commence alors l’épopée épique qui mène les combattants <strong>de</strong> la France<br />

libre <strong>de</strong> l’Érythrée en Syrie, d’Égypte en Libye à Bir-Hakeim et El-Alamein, jusqu’à la<br />

Tunisie. À l’issue d’un stage parachutiste à Londres où il est retourné en octobre 1943, le<br />

capitaine Pierre Messmer débarque en Normandie en août 1944. Il dirige vers Paris l’étatmajor<br />

du général Koenig, son chef en Afrique, maintenant gouverneur militaire <strong>de</strong> la<br />

capitale libérée par l’insurrection populaire appuyant l’arrivée <strong>de</strong> la 2e DB <strong>de</strong> Leclerc. Le<br />

raisonnable ressort sous le passionné : la France libérée n’est pas toujours celle dont on<br />

rêvait dans les « horizons flamboyants » du désert africain. Pierre Messmer repart : «<br />

J’avais l’illusion que, pour être propre, il suffisait que je risque ma vie. »<br />

Pour l’ancien élève <strong>de</strong> l’École <strong>de</strong> la France d’outre-mer, l’Indochine, la Mauritanie, la Côte<br />

d’Ivoire, le Cameroun tisseront les années suivant la Libération. Et c’est cet officier<br />

supérieur, ex-haut-commissaire du gouvernement en AOF et AEF, qui fut directeur <strong>de</strong><br />

cabinet du ministre socialiste <strong>de</strong> l’Outre-Mer Gaston Defferre, qui écrit plus tard dans son<br />

livre Les Blancs s’en vont : « J’ai compris que d’autres peuples avaient, comme le mien, le<br />

goût <strong>de</strong> la liberté. Il était absur<strong>de</strong>, coupable et contraire à la vocation comme aux intérêts <strong>de</strong><br />

la France <strong>de</strong> s’y opposer. Le colonial que j’étais est ainsi <strong>de</strong>venu acteur <strong>de</strong> la décolonisation.<br />

» Le réalisme, il en fera encore preuve dans sa charge <strong>de</strong> ministre <strong>de</strong> la Défense nationale<br />

(1960-1969) confronté aux soubresauts tragiques qui accompagnent dans l’armée la marche<br />

inéluctable vers l’indépendance <strong>de</strong> l’Algérie. Premier ministre, <strong>de</strong> 1972 à 1974, dans <strong>de</strong>s<br />

conditions économiques complexes et un climat politique parasité par la maladie du<br />

prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République, son caractère entier lui vaut une réputation <strong>de</strong> rigidité. C’est<br />

parce qu’il donnait à la politique son sens étymologique, le service <strong>de</strong> la cité, que le résistant<br />

Pierre Messmer s’écarte vite du bourbier prési<strong>de</strong>ntiel qui suit le décès subit <strong>de</strong> Georges<br />

Pompidou (1974). Le raisonnable a parlé. Mais le passionné, qui s’éteint nonagénaire, perce<br />

encore dans cet hommage étonnant rendu sous la Coupole à un Victor Hugo militaire qui<br />

écrivait à son fils : « J’aime les gens d’épée, en étant moi-même un (Hugo, fils <strong>de</strong> général,<br />

était enfant <strong>de</strong> troupe). À une condition pourtant. C’est que l’épée soit sans tache. »<br />

Michel Boissard<br />

Messmer et la décolonisation<br />

je suis avec intérêt les portraits <strong>de</strong> résistants que publie l’Humanité (...). La présence <strong>de</strong><br />

Pierre Messmer, parmi ces résistants, m’a paru naturelle. En revanche, s'agissant <strong>de</strong> sa<br />

carrière politique et <strong>de</strong> ses liens avec le processus <strong>de</strong> décolonisation, il faut rappeler ici qu'il<br />

a épousé, parfois avec <strong>de</strong>s états d'âme, parfois en y ajoutant <strong>de</strong>s sentiments libéraux, la<br />

politique <strong>de</strong> la IVe puis <strong>de</strong> la Ve République. Parachuté au Vietnam en 1945, il était porteur<br />

du plan gaulliste <strong>de</strong> reconquête <strong>de</strong> la colonie extrême-orientale, qui échoua, neuf ans après,<br />

dans la cuvette <strong>de</strong> Diên Biên Phu. Il fut ensuite, directeur du cabinet <strong>de</strong> Gaston Defferre qui<br />

présenta une loi cadre pour l’Afrique à double facette : une avancée démocratique, mais<br />

aussi la mise en place du système néocolonial et la perpétuation <strong>de</strong> la balkanisation du<br />

continent noir. C’est sans doute ce passage qui lui valut le poste <strong>de</strong> Haut commissaire <strong>de</strong>


France au Cameroun à partir <strong>de</strong> 1956. Il y dirigea une impitoyable répression contre les<br />

maquis <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s populations du Cameroun (UPC), taxée <strong>de</strong> para-communiste. Dans<br />

ses Mémoires, il s’attribua la gloire <strong>de</strong> cette éradication : « Ayant réussi à contenir la révolte<br />

<strong>de</strong> l’UPC dans son berceau du pays bassa, je l’y étoufferai. Et j’y parviendrai, remportant<br />

l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux succès français <strong>de</strong> l’après-guerre contre <strong>de</strong>s insurrections outre-mer (l’autre<br />

étant Madagascar). » (Après tant <strong>de</strong> batailles, 1992). Enfin, il fut le <strong>de</strong>rnier ministre <strong>de</strong>s<br />

Armées <strong>de</strong> la guerre d’Algérie, chargé jusqu’au bout <strong>de</strong> mener la guerre contre le FLN<br />

(1960-1962). Il ne fut pas une brute coloniale, il fut un gaulliste <strong>de</strong> son temps, c’est-à-dire<br />

certes un réformateur, mais pas un décolonisateur luci<strong>de</strong>.<br />

Alain Ruscio, historien


26 Aout 2010<br />

Lucien Bonnafé « Le désaliéniste qui activait<br />

<strong>de</strong>s résistances en tous genres »<br />

Par Patrick Faugeras, psychanalyste, écrivain.<br />

« La poésie doit avoir pour but la vérité pratique. » Lucien Bonnafé avait faite sienne cette<br />

<strong>de</strong>vise. Mé<strong>de</strong>cin, poète profondément marqué par le surréalisme, il cultivait en politique<br />

comme en psychiatrie l’esprit d’insurrection.<br />

Lucien Bonnafé, psychiatre <strong>de</strong> son état, aimait à citer la formule<br />

<strong>de</strong> Lautréamont : « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique<br />

», s’opposant ainsi non seulement au partage convenu entre les<br />

doux rêveurs et les « pragmatiques », ceux qui se coltinent la<br />

concrète et rugueuse réalité, mais aussi, par contrecoup, associant<br />

la poésie à la vérité (pratique), il la laïcisait en quelque sorte, et<br />

l’affirmait comme étant <strong>de</strong> toute première importance et <strong>de</strong> toute<br />

nécessité. Si le poète Fernando Pessoa a pu écrire que d’aucuns<br />

souffraient dans leur être, faute d’avoir été suffisamment rêvés,<br />

accordant ainsi à l’imaginaire une place essentielle dans l’appréhension du réel et la<br />

constitution du sujet, Lucien Bonnafé, à l’écoute quotidienne <strong>de</strong>s souffrances psychiques, a<br />

soutenu, maintes fois, que ces souffrances-là pouvaient résulter d’une carence poétique<br />

dans la perception du mon<strong>de</strong>. En appeler au poétique, ce fut le moyen trouvé pour lutter<br />

contre les discours à prétention scientifique qui ne s’occupent que du cerveau ou qui, pris<br />

d’une passion classificatrice, recouvrent le sujet <strong>de</strong> signes avant d’en conclure au caractère<br />

radicalement aliéné du mala<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> l’abandonner à sa folle solitu<strong>de</strong>. C’est opposer aux<br />

discours savants mais ignorants, à la parole tranchante, « autoritaire, sectaire, dogmatique,<br />

ségrégative, discriminatoire, rejetante, réductrice, morcelante, démembrante », le tumulte<br />

<strong>de</strong>s contradictions que la parole poétique, conscience palpitante au plus près <strong>de</strong> la vie, celle<br />

<strong>de</strong> tout voleur <strong>de</strong> feu, arrache à l’épaisseur <strong>de</strong> la langue.<br />

C’est ainsi que Lucien Bonnafé, étudiant à Toulouse, le regard rendu fertile par sa rencontre<br />

avec le surréalisme, découvrit avec quelques camara<strong>de</strong>s, sous le fatras d’objets ordinaires et<br />

hétéroclites, la potentielle beauté <strong>de</strong> toute chose lorsqu’elle est livrée au pouvoir infini <strong>de</strong><br />

l’imagination, lorsqu’elle est libérée <strong>de</strong> la pression utilitariste à laquelle la société la soumet,<br />

lorsque, ouverte au sens, elle échappe encore à toute version univoque et codifiée. Lucien<br />

Bonnafé fut fidèle toute sa vie à la principale leçon qu’enseigna le surréalisme, une leçon <strong>de</strong><br />

liberté et <strong>de</strong> combat : la poésie est un acte insurrectionnel.<br />

Membre <strong>de</strong>s Jeunesses communistes, puis du <strong>PCF</strong> dès 1934 jusqu’à la fin <strong>de</strong> sa vie,<br />

recherché pour ses menées antifascistes par <strong>de</strong> trop zélés fonctionnaires, il eut<br />

soudainement <strong>de</strong> très bonnes raisons pour quitter au plus vite la région parisienne,<br />

déclinant au passage les responsabilités qui lui étaient proposées, pour gagner la zone Sud,<br />

et accepter un poste <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin, en 1942, à l’hôpital psychiatrique <strong>de</strong> Saint-Alban, en<br />

Lozère.


L’hôpital dont il <strong>de</strong>vint le mé<strong>de</strong>cin directeur en 1943, tout en <strong>de</strong>meurant dans la<br />

clan<strong>de</strong>stinité, fut certainement pour Lucien Bonnafé le lieu et le moment où se<br />

cristallisèrent ce que seront désormais les axes majeurs <strong>de</strong> ses combats théoriques et<br />

politiques. « Sur ces hauteurs, écrit-il, s’activèrent <strong>de</strong>s résistances en tous genres : contre la<br />

plus inhumaine <strong>de</strong>s occupations… contre les malfaçons <strong>de</strong>s esprits… contre les inhumanités<br />

en tous genres, asilaires entre autres. » La résistance à l’occupation nazie s’organisa hors et<br />

dans l’hôpital, en accueillant d’abord un certain nombre <strong>de</strong> combattants contre l’occupant<br />

qui vinrent s’y réfugier, tels le philosophe Georges Canguilhem, le poète Paul Éluard,<br />

lorsqu’il fallut que « la poésie prît le maquis », pour ne citer que les plus connus <strong>de</strong> ce<br />

cortège <strong>de</strong> proscrits. Une autre façon <strong>de</strong> résister à l’oppresseur se fit jour, sous la forme <strong>de</strong> la<br />

communauté humaine <strong>de</strong> soignés et <strong>de</strong> soignants qui aussitôt s’organisa, ce qui eut d’abord<br />

pour conséquence que tout le mon<strong>de</strong> put survivre à ces temps <strong>de</strong> disette, mais où surtout se<br />

révéla avec évi<strong>de</strong>nce la profon<strong>de</strong> et commune humanité <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s soignants. Alors<br />

que l’Allemagne nazie avait conçu et mis en œuvre un programme d’extermination « <strong>de</strong>s<br />

vies indignes d’être vécues », en France, sous le régime <strong>de</strong> Vichy, 45 000 personnes<br />

moururent <strong>de</strong> faim dans les hôpitaux psychiatriques, comme par inadvertance.<br />

« C’est le champ même <strong>de</strong> la folie comme événement humain qui a d’abord été nié, avant<br />

l’organisation <strong>de</strong>s assassinats », écrivait le psychiatre catalan François Tosquelles, qui,<br />

fuyant le franquisme, avait lui aussi trouvé refuge à Saint-Alban. La rencontre <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

hommes fut un événement d’importance, car tous <strong>de</strong>ux dénonçant la misère <strong>de</strong> la pratique<br />

aliéniste, qui consistait essentiellement, en les enfermant, à protéger la société <strong>de</strong> ses fous,<br />

développèrent, dans le cadre <strong>de</strong> la Société du Gévaudan, créée pour la circonstance, une<br />

autre forme <strong>de</strong> résistance : le travail <strong>de</strong> la pensée. Tous <strong>de</strong>ux s’étaient bien rendu compte<br />

que la folie était en quelque sorte une coproduction du mala<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la société, qu’un certain<br />

nombre <strong>de</strong> symptômes attribués à une pathologie particulière étaient <strong>de</strong> fait induits et<br />

provoqués par un contexte institutionnel, un certain regard pseudo-scientifique, <strong>de</strong>s<br />

positions théorico-idéologiques déterminant un certain rapport à l’autre. De cette lutte<br />

contre l’asile, dans sa version la plus sombre, et <strong>de</strong> cette considération <strong>de</strong> la folie comme<br />

une possibilité proprement humaine, naquit d’un côté le mouvement <strong>de</strong> psychothérapie<br />

institutionnelle et <strong>de</strong> l’autre la psychiatrie <strong>de</strong> secteur, vouée à développer une pratique<br />

psychiatrique « désenclavée », hors les murs, et dont Lucien Bonnafé fut un défenseur<br />

acharné. La folie étant plutôt un moment critique dans l’aventure <strong>de</strong> toute une vie, cela<br />

suppose un accompagnement, mais aussi, et cela est plus original, un travail avec<br />

l’environnement puisque l’on ne peut dissocier le trouble mental du grouillement<br />

d’interactions au milieu <strong>de</strong>squelles il apparaît.<br />

Les volontés actuelles qui veulent confondre folie et dangerosité et contraindre la<br />

psychiatrie à un contrôle social pur et simple laissent à penser que la voie ouverte par<br />

Lucien Bonnafé, notamment celle d’une psychiatrie populaire visant à « changer la façon<br />

commune <strong>de</strong> penser », la folie entre autres, reste encore à parcourir.<br />

Lucien Bonnafé ne cessa dès lors d’être lui-même : résistant au dogmatisme et à<br />

l’orthodoxie, il fut et reste le combattant <strong>de</strong>s « nains du jour noyés dans leur sourire béat».<br />

Patrick Faugeras est également directeur 
<strong>de</strong> collection aux Éditions Érès.<br />

Patrick Faugeras


25 Aout 2010<br />

Louis Aragon<br />

« Où je meurs renaît la patrie »<br />

Par Michel Apel-Muller, Universitaire.<br />

Comment l’aventure 
<strong>de</strong> la publication du poème les Lilas et les roses éclaire le double<br />

mouvement d’un poète qui allait révolutionner son art et <strong>de</strong>venir la voix <strong>de</strong> toute la<br />

Résistance en convoquant la poésie française <strong>de</strong>puis Chrétien <strong>de</strong> Troyes.<br />

Le 21 septembre 1940, le Figaro, replié à Lyon, publie un<br />

poème dont la présence dans ses colonnes provoque<br />

quelque étonnement : il s’agissait d’un texte clé du Crève-<br />

Cœur d’Aragon, les Lilas et les roses, publié, lui, en volume,<br />

le 29 avril 1940. Cette publication engendra quelques<br />

remous, qu’ignora sur l’instant le poète ; elle motiva en<br />

particulier une réserve faite par le secrétariat du <strong>PCF</strong> (alors<br />

interdit) auprès du Parti soviétique, reprochant à Aragon<br />

d’avoir publié son texte dans le Figaro sans consulter<br />

personne. En réalité – Aragon lui-même a raconté toute<br />

cette affaire –, c’est Jean Paulhan qui avait, <strong>de</strong> mémoire, reconstitué le texte du poème, que<br />

lui avait lu son auteur, et qui l’avait communiqué au journal.<br />

La publication en tout cas ne choqua pas Aragon puisque celui-ci, ayant repéré une erreur,<br />

obtint du Figaro une rectification et une secon<strong>de</strong> publication du poème. On a beaucoup<br />

glosé autour <strong>de</strong> ce petit événement ; on s’est <strong>de</strong>mandé pourquoi le poète avait accepté <strong>de</strong><br />

confier le poème au Figaro ; on ne se posa, par contre, jamais la question inverse : dans<br />

quelles conditions le Figaro fut-il amené à déci<strong>de</strong>r la publication d’un poème que son auteur<br />

ne lui avait pas proposé ? Jean Paulhan ne semblait pas mandaté par Aragon pour lui en<br />

faire la proposition. Petit mystère, donc, qu’il serait intéressant d’éclaircir.<br />

Il paraît bien tenir dans la conviction à laquelle est parvenu Aragon et selon laquelle il vient<br />

d’opérer une révolution poétique capitale, un renouvellement complet du système français<br />

en vers, à l’instar <strong>de</strong>s grands maîtres du passé, Hugo, Ronsard, Apollinaire ou Rimbaud. Il<br />

s’en expliqua par les préfaces ou écrits théoriques dont il accompagna le Crève-Cœur et les<br />

Yeux d’Elsa, notamment dans la Rime en 1940. Il n’y a pas lieu <strong>de</strong> douter qu’il y avait au<br />

Figaro quelques gens qui savaient lire et qui ont perçu la nouveauté et l’incomparable<br />

beauté <strong>de</strong>s Lilas et les roses, <strong>de</strong>s gens qui, en même temps, pouvaient reconnaître pour leurs<br />

les émotions exprimées dans ces vers. Tout cela est à rapprocher <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong><br />

réception <strong>de</strong>s textes d’Aragon durant l’occupation alleman<strong>de</strong>, en France d’abord, chez les<br />

Alliés ensuite.<br />

Dans son livre, Aragon, Londres et la France libre, John Bennett pose d’une façon<br />

minutieuse le problème <strong>de</strong> la reconnaissance d’Aragon comme l’une <strong>de</strong>s très gran<strong>de</strong>s voix<br />

françaises <strong>de</strong> la Résistance par d’autres que les siens. Il montre la complexité <strong>de</strong>s personnes<br />

en présence, la lutte qui les oppose, dont les racines sont à chercher plus avant dans<br />

l’histoire. L’Angleterre et les Français libres <strong>de</strong>vront attendre longtemps pour rencontrer et


découvrir les textes : ainsi, le Crève-Cœur et les Yeux d’Elsa furent publiés à Londres<br />

presque en même temps, au milieu <strong>de</strong> l’hiver 1942.<br />

Déjà, on notait une évolution positive <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> Londres à l’égard du poète. Ce fut le<br />

cas en particulier d’André Philip, député socialiste du Rhône et nommé par <strong>de</strong> Gaulle<br />

commissaire national à l’Intérieur et au Travail, qui, dans une conférence donnée à Londres<br />

après avoir rejoint le général, fit l’éloge d’Aragon. En témoigne Maurice Schumann dans<br />

une lettre à J. Bennett : « J’ai aussitôt dans ma mémoire et maintes fois récité l’admirable<br />

tira<strong>de</strong> qui commence par ―Il est <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong> chair comme Les An<strong>de</strong>lys‖ et se clôt par ―Ma<br />

patrie est la faim, la misère et l’amour‖. »<br />

Éloge fort significativement reçu et partagé par le général <strong>de</strong> Gaulle lui-même, dans son<br />

discours d’Alger le 30 octobre 1943, retransmis par Radio Alger. Il récita trois vers <strong>de</strong> Plus<br />

belle que les larmes, poème – écrit John Bennett – qui avait si fort impressionné Maurice<br />

Schumann, plus d’un an auparavant, à Londres. « Comment, ajoutait <strong>de</strong> Gaulle, comment<br />

ne pas sentir la déchirante qualité <strong>de</strong> ces poèmes qu’aujourd’hui toute la France récite en<br />

secret. Ainsi <strong>de</strong>s vers d’Aragon ―Qu’importe que je meure avant que se <strong>de</strong>ssine le visage<br />

sacré s’il doit renaître un jour (…) Ma patrie est la faim, la misère et l’amour‖. »<br />

Les paroles <strong>de</strong> Charles <strong>de</strong> Gaulle viennent exalter l’œuvre d’Aragon, poète <strong>de</strong> la Résistance,<br />

avec un certain décalage toutefois entre le vécu français <strong>de</strong> la France occupée et celui <strong>de</strong><br />

Londres. Rien n’y est dit <strong>de</strong> l’activité militante d’Aragon, ni <strong>de</strong>s responsabilités qui furent<br />

les siennes alors. Et elles furent gran<strong>de</strong>s. Au fur et à mesure que sa réputation grandit, les<br />

épiso<strong>de</strong>s s’ajoutent significativement. C’est d’abord la création du Comité national <strong>de</strong>s<br />

écrivains, <strong>de</strong>s Lettres françaises clan<strong>de</strong>stines avec Jacques Decour et, très vite, les<br />

arrestations qui frappent leurs dirigeants, Jacques Decour, Georges Politzer, Danielle<br />

Casanova, Jacques Solomon, Georges Dudach, presque tous fusillés.<br />

C’est aussi, dès octobre 1941, la dénonciation d’Aragon par Drieu La Rochelle dans<br />

l’Émancipation nationale, par laquelle Drieu faisait la preuve qu’on ne pouvait pas toujours<br />

berner les censeurs <strong>de</strong> la collaboration, « toute cette indignation, tout cet attendrissement<br />

sur la dignité, tous ces appels à <strong>de</strong>mi-mot qu’Aragon répand dans les revues littéraires et<br />

poétiques cousus <strong>de</strong> fil rouge pour la Résistance ». En fait, il s’en prenait à toute la sélection,<br />

à laquelle Aragon venait <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r, du patrimoine littéraire médiéval <strong>de</strong> la France : « Ici,<br />

<strong>de</strong>rrière le laudateur échauffé du Moyen Âge, nous voyons le communiste déjà réapparaître.<br />

»<br />

Début 1942, Me Joë Nordmann, alias Jean, vient rencontrer Aragon à Nice. Il lui apporte<br />

une liasse <strong>de</strong> papiers. C’étaient les témoignages directs <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> Châteaubriant sur<br />

l’exécution <strong>de</strong>s otages en octobre 1941. Un mot bref accompagnait cet envoi : « Fais <strong>de</strong> cela<br />

un monument. » L’écriture ne lui est pas inconnue, c’est celle <strong>de</strong> Jacques Duclos. Aragon<br />

fera <strong>de</strong> tout cela, le Témoin <strong>de</strong>s martyrs, ce grand texte sobre et poignant qui révéla au pays<br />

le martyre <strong>de</strong> Guy Môquet.<br />

Puis, vient le passage dans la clan<strong>de</strong>stinité dans le Lyonnais, dans la Drôme à Saint-Donat<br />

où Elsa et Aragon fon<strong>de</strong>nt un journal clan<strong>de</strong>stin, la Drôme en armes. Les maquisards<br />

récitent maintenant <strong>de</strong>s textes du Musée Grévin, qui achève <strong>de</strong> situer Aragon parmi les plus<br />

hautes figures <strong>de</strong> la création française en poésie.


Laissons-là les petitesses et les mesquineries dont on tenta <strong>de</strong> l’accabler, la Libération à<br />

peine intervenue, et laissons le <strong>de</strong>rnier mot à son indéfectible amie, Nancy Cunard, qui,<br />

après son premier voyage à Paris libéré (Our Time, novembre 1944), évoquait ainsi le poète<br />

<strong>de</strong> Brocélian<strong>de</strong> « Aragon est <strong>de</strong> retour à Paris. Un poème <strong>de</strong> sa main, Paris, a fait la une <strong>de</strong><br />

l’Humanité », ce 28 septembre, sous une énorme manchette : « Louis Aragon, poète du<br />

maquis, a chanté pour l’Humanité. »<br />

Michel Apel-Muller


24 Aout 2010<br />

Raphaël Konopnicki « Camara<strong>de</strong> Édouard<br />

Voisin, imprimeur clan<strong>de</strong>stin à Nice »<br />

Par Philippe Jérôme.<br />

Engagé dès 1934 dans la lutte antifasciste en Lorraine, le jeune socialiste Raphaël<br />

Konopnicki <strong>de</strong>viendra durant l’Occupation le résistant communiste Édouard Voisin. Puis,<br />

à la tête <strong>de</strong>s FTPF 
<strong>de</strong> Cannes, il participera 
aux combats libérateurs jusqu’à Monaco<br />

mais s’opposera au nom du <strong>PCF</strong> à l’annexion <strong>de</strong> la principauté par la France.<br />

Né en pleine Gran<strong>de</strong> Guerre dans une Pologne<br />

marquée alors par un intégrisme catholique<br />

viscéralement antisémite, c’est quasiment dès le<br />

berceau que Raphaël Konopnicki aura dû se<br />

bagarrer ! Et cette volonté combative, d’abord pour<br />

la survie et contre le racisme, puis pour<br />

l’émancipation et la liberté, ne lâchera plus celui «<br />

qui a toujours eu conscience d’être juif ». D’autant<br />

que ses parents ont la bonne idée, durant l’entre<strong>de</strong>ux-guerres,<br />

d’émigrer en Alsace-Lorraine. « Je me<br />

suis engagé très tôt pour le socialisme », raconte le<br />

bientôt centenaire, resté fidèle à son idéal <strong>de</strong><br />

jeunesse : « Je militais en Moselle lorsque les nazis<br />

ont pris le pouvoir. Tout près <strong>de</strong> nous, les SA et SS<br />

se déchaînaient contre les juifs. À Metz, les fascistes<br />

menaient <strong>de</strong> violentes campagnes antisémites… » À<br />

cette époque, Raphaël, secrétaire <strong>de</strong>s Jeunesses<br />

socialistes <strong>de</strong> Moselle et responsable syndical dans<br />

un grand magasin où il est étalagiste, milite à fond pour l’unité d’action avec les<br />

communistes. C’est donc logiquement qu’en 1936 il prend la tête du comité départemental<br />

<strong>de</strong> Front populaire et anime <strong>de</strong>s grèves dans le commerce. Et que, dès la débâcle <strong>de</strong> juin<br />

1940 un tant soit peu digérée, il cherche à reprendre le chemin <strong>de</strong> la lutte.<br />

Il est à Marseille après la débanda<strong>de</strong> <strong>de</strong> son régiment et le chacun pour soi d’une ferme à<br />

l’autre pour gagner la zone libre. Sur son nouveau lieu <strong>de</strong> travail, il reconstitue<br />

clan<strong>de</strong>stinement un syndicat CGT, interdit par Vichy. « J’ai eu <strong>de</strong>s contacts avec <strong>de</strong>s<br />

gaullistes mais ils se préparaient pour le jour J. Moi je voulais agir tout <strong>de</strong> suite. C’est là que<br />

j’ai retrouvé Alfred Muller, ce ―Freddy‖ qui représentait le <strong>PCF</strong> au comité <strong>de</strong> Front populaire<br />

<strong>de</strong> Moselle. Il m’a proposé sans attendre d’entrer au PC clan<strong>de</strong>stin pour passer à l’action. »<br />

Il plonge alors dans la clan<strong>de</strong>stinité dans un Marseille en proie à la misère et au pétainisme<br />

avant d’être muté, la Gestapo à ses trousses, dans les Alpes-Maritimes. C’est loin d’une mise<br />

au vert ! Il retrouve le toujours militant Freddy Muller à Monaco et renoue avec la<br />

Résistance durant l’été 1943 grâce au responsable <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s juifs pour la résistance et<br />

l’entrai<strong>de</strong> (UJRE), l’avocat communiste Rosenbaum, alias « Roos », qui lui propose <strong>de</strong><br />

s’occuper d’une imprimerie du <strong>PCF</strong> à Nice. « Elle était située dans une maisonnette<br />

entourée d’un mo<strong>de</strong>ste jardin dont je <strong>de</strong>venais le locataire légal au nom <strong>de</strong> Voisin. Le<br />

mobilier était réduit au strict minimum mais il y avait l’essentiel, machine à écrire, ronéo,


papier, encre, stencils… », a-t-il raconté dans un livre récemment réédité par la fédération<br />

communiste <strong>de</strong>s Alpes-Maritimes (1).<br />

Pourquoi Voisin ? « Il me fallait un faux nom et <strong>de</strong>s faux papiers… Alors que je cherchais un<br />

nom j’ai dit ―comme le voisin‖. Le voisin s’appelait Georges, donc j’ai fabriqué Georges<br />

Voisin. Mais comme il y avait déjà un Georges parmi nos cadres, j’ai changé pour Édouard…<br />

né à Besançon, où je n’avais jamais mis les pieds. Ma femme, Rose Hoffnung, qui était mon<br />

agent <strong>de</strong> liaison, a pris le nom <strong>de</strong> Renée Collin. Mais officiellement nous n’étions plus<br />

mariés. C’était plus pru<strong>de</strong>nt pour dissimuler l’existence <strong>de</strong> notre fille, Marlène, cachée à<br />

Monaco puis dans une pension près <strong>de</strong> Cannes. » De septembre 1943 à février 1944, Rose et<br />

Raphaël, dans une discrétion absolue, craignant à chaque heure pour leurs vies, travaillent<br />

nuit et jour à la confection <strong>de</strong>s journaux du <strong>PCF</strong> (le Cri <strong>de</strong>s travailleurs) et <strong>de</strong>s FTPF (France<br />

d’abord), mais aussi, dans une région où juifs et Italiens fuyant le fascisme ont afflué, à la<br />

confection <strong>de</strong> tracts en yiddish, en italien et en allemand pour les soldats <strong>de</strong> la Wehrmacht<br />

ainsi que du journal <strong>de</strong> l’UJRE (Notre Parole) et du MRAP (Fraternité). Voisin fabrique tout<br />

en solo, Collin, chaque jour, transporte les colis d’imprimés vers différents dépôts. Jusqu’à<br />

ce matin d’hiver où « Roos » est arrêté. Ordre arrive, une semaine d’angoisse plus tard,<br />

d’enterrer tout le matériel et <strong>de</strong> quitter les lieux. Édouard Voisin prend alors du galon dans<br />

la Résistance : il est nommé responsable politique et militaire <strong>de</strong>s FTPF pour la rive droite<br />

du (fleuve) Var avec rési<strong>de</strong>nce à Cannes.<br />

Il est ainsi aux premières loges, en 1944, dans les combats pour la libération, par les<br />

résistants eux-mêmes, <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> la Côte d’Azur, bouleversant les plans du général Patch,<br />

commandant <strong>de</strong>s forces alliées débarquées en Provence, lequel n’avait pas prévu <strong>de</strong> percer<br />

vers Nice et Monaco. Pério<strong>de</strong> exaltante autant que douloureuse puisque « Ralph » apprend<br />

alors qu’une partie <strong>de</strong> sa famille a été exterminée dans les camps nazis.<br />

Fin août, les FTPF libèrent le Rocher du très pétainiste Louis II. C’est la prise du palais<br />

princier par les communistes ! « Il y avait vacance du pouvoir, le prince avait disparu et la<br />

principauté était administrée par un conseil provisoire dirigé par Freddy Muller ! », se<br />

souvient Raphaël Konopnicki, qui, pour l’histoire, précise : « En septembre 1944, les<br />

communistes <strong>de</strong> Monaco étaient partagés, quelques camara<strong>de</strong>s prônaient le rattachement à<br />

la France mais d’autres, tels que le secrétaire <strong>de</strong> l’union <strong>de</strong>s syndicats, imaginaient une<br />

république populaire <strong>de</strong> Monaco ! Le bureau fédéral du <strong>PCF</strong> m’a mandaté pour ramener<br />

tout le mon<strong>de</strong> à la raison, ce que j’ai réussi à faire. Nous ne pouvions prendre le risque d’une<br />

confrontation avec les Américains qui avaient <strong>de</strong>s intérêts à Monaco et dont la flotte croisait<br />

au large… Et notre gouvernement provisoire à Paris avait bien d’autres priorités ! »<br />

Quelques semaines plus tard, <strong>de</strong> Gaulle mettra en selle Rainier III. On serait Albert II, on<br />

inviterait l’an prochain Raphaël Konopnicki à notre mariage.<br />

(1) Le Parti communiste et ses militants dans la Résistance <strong>de</strong>s Alpes-Maritimes, <strong>de</strong> Max<br />

Burlando. 
À lire aussi : Camara<strong>de</strong> Voisin, <strong>de</strong> Raphaël Konopnicki 
(JC Gawsewitch<br />

Éditeur).<br />

Philippe Jérôme


23 Aout 2010<br />

Jean Nicoli. De la Vertu dans le combat<br />

antifasciste<br />

Par Léo Micheli, 
secrétaire du Parti communiste dans la clan<strong>de</strong>stinité,<br />

responsable aux cadres, dirigeant <strong>de</strong> la Résistance.<br />

Exalter l’action <strong>de</strong>s résistants, qui feront <strong>de</strong> la Corse le premier département français<br />

libéré à la suite 
<strong>de</strong> l’insurrection du 9 septembre 1943, c’est nécessairement revenir à<br />

Jean Nicoli, décapité le 30 août 1943 par les fascistes italiens parce qu’il refusait d’être<br />

fusillé dans le dos.<br />

Ancien compagnon <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> Jean Nicoli,<br />

Léo Micheli (1) souligne les enjeux et les<br />

raisons qui pouvaient conduire « ces hommes à<br />

se surpasser au point d’affronter la mort<br />

sereinement. Ils avaient la certitu<strong>de</strong> d’agir<br />

conformément à leurs convictions. Leur<br />

combat était social et politique ». Après<br />

l’écrasement <strong>de</strong> la jeune République espagnole,<br />

dans le prolongement du Front populaire, il<br />

fallait rassembler sur le vécu quotidien. Ce<br />

seront les gran<strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong>s 22 et 23<br />

mars 1943 avec pour mots d’ordre « le pain et<br />

la liberté ». L’axe politique contre l’occupant<br />

fasciste (2) et le pouvoir <strong>de</strong> Vichy était fondé,<br />

lui, sur le thème patriotique et unificateur <strong>de</strong> la<br />

« Corse française » comme sur l’orientation<br />

majeure considérant que « la libération <strong>de</strong> la<br />

Corse ne pouvait être que l’œuvre du peuple<br />

corse lui-même ». L’appel au peuple corse du 1er mai 1943, imprimé à plusieurs milliers<br />

d’exemplaires dans la grotte <strong>de</strong> Porri, la reprendra.<br />

Léo Micheli explique : « Dans certaines circonstances, nous étions amenés à nous servir <strong>de</strong><br />

nos armes, mais nous n’avions pas le culte <strong>de</strong> la mitraillette, nous préférions l’arme <strong>de</strong> la<br />

conviction. Nous avions fait nôtre la <strong>de</strong>vise <strong>de</strong> Paoli, à la une du journal Terre corse : ―Forti<br />

seremu si seremu uniti.‖ Le mouvement <strong>de</strong> résistance prit un essor considérable englobant<br />

tous les milieux, gagnant les moindres villages où les patriotes, c’est ainsi que les habitants<br />

les appelaient, étaient accueillis, entourés et préservés <strong>de</strong>s représailles <strong>de</strong>s chemises noires.<br />

Ce mouvement populaire reposait sur une dynamique unitaire fondamentale. Elle trouva en<br />

Jean un promoteur efficace et disponible. À ses côtés, ils seront nombreux, les anciens <strong>de</strong>s


Briga<strong>de</strong>s internationales, ―ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas‖, à<br />

arpenter la Corse pour préparer l’insurrection dès la capitulation italienne. »<br />

L’ancien dirigeant <strong>de</strong> la Résistance précise : « Cette perspective n’était pas acceptée par les<br />

autorités d’Alger, qui préféraient une libération plus conventionnelle avec les militaires en<br />

tête et un peuple spectateur plutôt qu’acteur <strong>de</strong> sa propre <strong>de</strong>stinée. Il en sera autrement<br />

grâce à ces hommes et ces femmes qui se tenaient <strong>de</strong>bout face à l’occupant dans le refus <strong>de</strong><br />

la barbarie et le combat antifasciste, quand d’autres se montraient ―serviles‖ avec l’occupant<br />

et le pouvoir <strong>de</strong> Vichy. L’option militaire, voulue par <strong>de</strong> Gaulle et le général Giraud, partait<br />

du principe qu’il ne fallait pas faire le jeu <strong>de</strong>s communistes. Au lieu d’analyser l’irruption<br />

communiste pour ce qu’elle pouvait signifier comme expression nécessaire d’un mouvement<br />

<strong>de</strong> société dans un pays aussi économiquement arriéré que la Corse, il disait sa fureur à ses<br />

ministres, eux-mêmes effrayés par le ―coup <strong>de</strong> Corse‖ qui pouvait être réédité dans la<br />

France. Dans ses mémoires, <strong>de</strong> Gaulle dira sa hantise <strong>de</strong> voir reparaître (―comme durant la<br />

Commune <strong>de</strong> Paris‖) les travailleurs sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène à la fois patriotes et<br />

révolutionnaires.<br />

Si certains s’interrogent sur la permanence du message laissé par Jean et ses camara<strong>de</strong>s, ils<br />

trouveront pour partie réponse dans le fait qu’ils se battaient pour une cause juste. C’est la<br />

raison pour laquelle nous pouvons dire encore aujourd’hui que nos morts restent vivants<br />

dans nos combats pour changer <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. Il y avait une gran<strong>de</strong> fraternité entre nous,<br />

forgée dans l’action et les épreuves, mais surtout il y avait la volonté partagée <strong>de</strong> privilégier<br />

en toutes choses l’intérêt supérieur <strong>de</strong> la cause, celle dont Jean parle dans sa <strong>de</strong>rnière lettre<br />

en évoquant ―tous les spoliés <strong>de</strong> la terre‖ au nom <strong>de</strong>squels il s’apprêtait à mourir. »<br />

Léo Micheli évoque alors sa personnalité : « Il était un homme <strong>de</strong> son temps, qui avait vu en<br />

Afrique ce que pouvaient être les aspirations <strong>de</strong>s peuples enchaînés alors qu’ils étaient sous<br />

l’administration coloniale. Dans ce cheminement, il découvre les communistes et le Parti<br />

auquel il adhéra avec enthousiasme. Quelques heures avant <strong>de</strong> mourir, il écrira à ses<br />

camara<strong>de</strong>s : ―Pourquoi ne vous ai-je pas connus plus tôt ?‖. L’enseignant qu’il est lit,<br />

beaucoup, avec appétit, Romain Rolland et ses rêves humanistes d’une Europe <strong>de</strong> peuples<br />

fraternels, tandis que s’accumulent les signes annonciateurs <strong>de</strong> ce qui <strong>de</strong>viendra la Gran<strong>de</strong><br />

Guerre. Il étudie L’État et la révolution <strong>de</strong> Lénine, approche la Commune <strong>de</strong> Paris et les<br />

questions d’unité nationale par la démocratie communale. Il lira L’Éthique <strong>de</strong> Spinosa, pour<br />

lequel ―le bonheur n’est pas la récompense <strong>de</strong> la vertu mais la vertu elle-même…‖ »<br />

À ses enfants, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> porter pour tout <strong>de</strong>uil « un œillet rouge et une tête <strong>de</strong> Maure<br />

». « ―À cette heure suprême, je comprends le sourire <strong>de</strong>s martyrs… si vous saviez le bonheur<br />

<strong>de</strong> mourir pour les spoliés <strong>de</strong> la terre.‖ Jean combattait le fascisme et entrevoyait cette<br />

perspective d’une vie meilleure pour les exploités. Elle était inscrite dans sa vision<br />

humaniste, internationaliste comme dans le programme du Conseil national <strong>de</strong> la<br />

Résistance. Plus d’un <strong>de</strong>mi-siècle après, il semble bien que la manière la plus pertinente <strong>de</strong>


gar<strong>de</strong>r vivant son exemple serait d’avoir une réflexion sur les raisons profon<strong>de</strong>s qui ont pu<br />

déterminer un tel engagement. Pour autant que l’on veuille, en ce début <strong>de</strong> siècle si<br />

tourmenté, comprendre et poursuivre convenablement, en lui souriant, le combat <strong>de</strong> Jean<br />

Nicoli. »<br />

(1) Extraits du discours prononcé lors du baptême du navire <strong>de</strong> la SNCM Jean-Nicoli. Lire<br />

également Jean Nicoli : un instituteur républicain <strong>de</strong> la colonie à la Résistance, 
1925-<br />

1943. Éditions Donniya.<br />

(2) Le 11 novembre 1942, les troupes italiennes occupent la Corse, 85 000 soldats pour 220<br />

000 habitants. En juin 1943, 12 000 soldats allemands se trouvent sur l’île.<br />

Précision. Le texte d’hommage <strong>de</strong> Léo Micheli
à Jean Nicoli, publié lundi, a été recueilli<br />

par 
Michel Stéfani, secrétaire départemental <strong>de</strong> Haute-Corse et conseiller à l’Assemblée<br />

territoriale.<br />

Michel Stéfani


20 Aout 2010<br />

Gabriel Péri. La culture et l’intelligence au<br />

peloton d’exécution<br />

Par Alexandre Courban, Historien, prési<strong>de</strong>nt 
<strong>de</strong> Mémoires d’Humanité.<br />

Député communiste d’Argenteuil 
et Bezons sous 
le Front populaire, 
le chef <strong>de</strong> la<br />

rubrique internationale 
<strong>de</strong> l’Humanité 
sera emprisonné 
à la Santé avant d’être fusillé<br />

par les nazis,
le 15 décembre 1941.<br />

Né le 9 février 1902 à Toulon, Gabriel Péri grandit à<br />

Marseille où son père travaille comme comptable à la<br />

chambre <strong>de</strong> commerce. Élève brillant, il côtoie au lycée<br />

<strong>de</strong> nombreux enfants <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie (et<br />

quelques enfants <strong>de</strong> la petite bourgeoisie comme lui).<br />

C’est au cours <strong>de</strong> la Première Guerre mondiale qu’il<br />

s’engage pour la première fois. En juillet 1915, il propose<br />

<strong>de</strong> faire paraître un journal polycopié pour collecter <strong>de</strong><br />

l’argent au profit <strong>de</strong>s soldats. En mars 1917, la révolution<br />

éclate en Russie ; le régime tsariste est balayé. D’après le<br />

témoignage d’un ancien camara<strong>de</strong> <strong>de</strong> classe, la Russie<br />

<strong>de</strong>vient alors le pôle d’attraction <strong>de</strong> Gabriel Péri et <strong>de</strong> ses<br />

amis. On s’intéresse aux événements qui s’y déroulent<br />

avec beaucoup d’attention. Quand les partisans <strong>de</strong><br />

Lénine s’emparent du pouvoir en novembre 1917,<br />

Gabriel Péri s’est engagé <strong>de</strong>puis peu au sein du<br />

mouvement socialiste. Rapi<strong>de</strong>ment, il défend les thèses <strong>de</strong> l’aile gauche du parti.<br />

Au len<strong>de</strong>main du Congrès <strong>de</strong> Tours, Gabriel Péri <strong>de</strong>vient secrétaire du groupe <strong>de</strong>s Jeunesses<br />

communistes <strong>de</strong> Marseille ; pour la première fois <strong>de</strong> sa vie, il est poursuivi et condamné par<br />

la justice pour avoir distribué <strong>de</strong>s tracts antimilitaristes à proximité d’une caserne. Un an<br />

plus tard, il est élu à la direction nationale <strong>de</strong>s Jeunesses communistes. À compter <strong>de</strong> ce<br />

jour du mois <strong>de</strong> mai 1922, Gabriel Péri sera rétribué pour son action militante.<br />

Emprisonné à la suite <strong>de</strong> son action contre l’occupation du bassin houiller allemand <strong>de</strong> la<br />

Ruhr par les armées belges et françaises, il quitte les Jeunesses communistes et intègre<br />

l’appareil du Parti communiste, au printemps 1923.<br />

En octobre 1924, il se voit confier la responsabilité <strong>de</strong> la rubrique internationale <strong>de</strong><br />

l’Humanité, charge qu’il assumera sans interruption, indépendamment <strong>de</strong>s fluctuations <strong>de</strong><br />

la ligne politique <strong>de</strong> l’Internationale communiste, jusqu’à l’interdiction du quotidien<br />

communiste à la suite <strong>de</strong> la signature du pacte germano-soviétique, en août 1939.<br />

Par ailleurs, le chef du service <strong>de</strong> politique étrangère du quotidien communiste se voit<br />

également confier d’autres tâches, en particulier dans sa région d’origine où il est


égulièrement candidat jusqu’à son élection, comme député en mai 1932 dans la première<br />

circonscription <strong>de</strong> Versailles, qui regroupe essentiellement les électeurs <strong>de</strong>s communes<br />

d’Argenteuil et <strong>de</strong> Bezons.<br />

Brillamment réélu député en mai 1936, Gabriel Péri profite pleinement <strong>de</strong> la nouvelle<br />

orientation politique en faveur du Front populaire. Il se voit confirmer son rôle <strong>de</strong> porteparole<br />

en matière <strong>de</strong> politique étrangère, allant jusqu’à définir la ligne politique du Parti<br />

communiste, et même l’incarner au moment <strong>de</strong> la discussion parlementaire autour <strong>de</strong> la<br />

signature <strong>de</strong>s accords <strong>de</strong> Munich, en octobre 1938.<br />

Tout au long <strong>de</strong> cette année 1938, Gabriel Péri s’inquiète du « <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> la paix », comme en<br />

témoigne par exemple un article pour la revue du Comité mondial contre la guerre et le<br />

fascisme. D’après lui, il convient avant tout <strong>de</strong> tirer le plus vite possible les conclusions <strong>de</strong> la<br />

politique <strong>de</strong> non-intervention en Espagne, « l’une <strong>de</strong>s plus lour<strong>de</strong>s erreurs diplomatiques »<br />

par laquelle le gouvernement <strong>de</strong> Front populaire présidé par Léon Blum « s’est signalé au<br />

mon<strong>de</strong> ». Selon Gabriel Péri, « le sort <strong>de</strong> la paix dépend <strong>de</strong> la vigueur avec laquelle la<br />

démocratie française, sûre <strong>de</strong> sa mission, saura mobiliser autour d’elle les forces populaires<br />

et démocratiques qui sont l’Europe <strong>de</strong> <strong>de</strong>main ». Par avance, Gabriel Péri prend<br />

définitivement position dans tous les autres débats <strong>de</strong> politique extérieure à venir, répétant<br />

son refus <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à la volonté hégémonique <strong>de</strong> l’Allemagne nazie.<br />

Son impitoyable réquisitoire contre la politique étrangère du gouvernement présidé par<br />

Édouard Daladier révèle tout à la fois sa culture, son intelligence et sa perspicacité. Chef <strong>de</strong><br />

file <strong>de</strong>s antimunichois, sa renommée est considérable. Mais il se trouve également en porteà-faux<br />

avec l’immense majorité <strong>de</strong> la société française largement munichoise.<br />

Au len<strong>de</strong>main du pacte germano-soviétique, Gabriel Péri se montre particulièrement<br />

discret, évitant <strong>de</strong> légitimer sans pour autant la condamner publiquement la volte-face<br />

diplomatique du gouvernement soviétique. En revanche, il continue <strong>de</strong> défendre un point<br />

<strong>de</strong> vue conforme à la ligne antifasciste du Parti communiste français, y compris après<br />

l’invasion <strong>de</strong> la Pologne par l’Armée rouge, le 17 septembre 1939. C’est ainsi qu’il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

rejoindre l’armée, bien qu’il ait été exempté <strong>de</strong> faire son service militaire pour raison <strong>de</strong><br />

santé. Déclaré apte, il est obligé <strong>de</strong> se cacher pour échapper à un mandat d’arrêt lancé entretemps<br />

contre tous les députés communistes signataires <strong>de</strong> la lettre à Édouard Herriot<br />

<strong>de</strong>mandant que soient engagées <strong>de</strong>s négociations <strong>de</strong> paix avec l’Allemagne.<br />

Obligé <strong>de</strong> se cacher, Gabriel Péri concourt à l’édition clan<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> l’Humanité dès son<br />

lancement, en octobre 1939. Quelques-uns <strong>de</strong> ses articles – trop longs – sont ronéotés pour<br />

être diffusés auprès <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> l’organisation communiste. Tout au long <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>,<br />

il contribue à sa façon à infléchir la ligne du Parti communiste, qui prend, dès l’automne<br />

1940, <strong>de</strong>s accents anti-allemands, à l’opposé <strong>de</strong> la politique anticapitaliste, pacifiste et<br />

légaliste <strong>de</strong> l’été 1940.<br />

Le 18 mai 1941, Gabriel Péri est arrêté à la suite d’un vaste coup <strong>de</strong> filet qui commence le 14<br />

mai 1941. Plusieurs dizaines <strong>de</strong> militants communistes sont interpellés, dont un responsable<br />

<strong>de</strong> la commission <strong>de</strong>s cadres à l’origine <strong>de</strong> la chute <strong>de</strong> l’ancien responsable <strong>de</strong> la rubrique<br />

internationale <strong>de</strong> l’Humanité.<br />

Emprisonné à la Santé, Gabriel Péri partage sa cellule avec l’ex-député d’Amiens Jean<br />

Catelas, guillotiné le 24 septembre 1941.


Conformément à une décision prise par les autorités alleman<strong>de</strong>s en représailles à une<br />

attaque subie, Gabriel Péri est fusillé comme otage le 15 décembre 1941, à l’image <strong>de</strong> quatrevingt-quatorze<br />

personnes, toutes arrêtées pour activité communiste clan<strong>de</strong>stine, comme<br />

l’ancien secrétaire général du quotidien l’Humanité Lucien Sampaix, fusillé à Caen.<br />

Alexandre Courban


19 Aout 2010<br />

Charles Tillon L’insoumis qui « chantait rouge<br />

»<br />

Par Jean Vigreux, 
historien.<br />

Il dirigea la fédération CGT <strong>de</strong>s ports 
et docks avant d’être élu à Aubervilliers dans la<br />

foulée 
du Front populaire. 
La débâcle le voit réfugié à Bor<strong>de</strong>aux, d’où il lance, 
le 17 juin<br />

1940, un appel à la résistance avant <strong>de</strong> se lancer dans l’organisation clan<strong>de</strong>stine 
du <strong>PCF</strong><br />

et <strong>de</strong>s FTP.<br />

Charles Tillon fait partie <strong>de</strong> cette génération qui entre dans le<br />

XXe siècle avec l’horreur <strong>de</strong> la guerre. Engagé dans la marine, il<br />

embarque en 1916 sur le Guichen comme mécanicien. Au cœur<br />

<strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> 1919, il fait signer une pétition à ses<br />

compagnons <strong>de</strong> l’équipage exigeant leur retour en métropole.<br />

Face au refus du comman<strong>de</strong>ment éclate une « grève mutinerie<br />

». Charles Tillon est alors arrêté avec d’autres « meneurs », jugé<br />

et emprisonné. Il n’est relâché qu’un an plus tard.<br />

Cet épiso<strong>de</strong> renforce ses convictions ; au caractère bien trempé,<br />

il adhère à la Sfic et à la CGTU et <strong>de</strong>vient responsable <strong>de</strong> l’Union<br />

départementale CGTU d’Ille-et-Vilaine en 1923. Commence une<br />

carrière <strong>de</strong> permanent syndical, puis politique. En 1928, Tillon est secrétaire <strong>de</strong> l’Union<br />

régionale CGTU <strong>de</strong> Nantes, un an plus tard secrétaire régional du PC. Très vite repéré pour<br />

son travail accompli comme syndicaliste, il <strong>de</strong>vient un cadre <strong>de</strong> la direction thorézienne du<br />

<strong>PCF</strong>. Au cours <strong>de</strong> l’hiver 1933, il organise la marche <strong>de</strong>s chômeurs <strong>de</strong> Dunkerque à Paris et<br />

prend la direction <strong>de</strong> la fédération CGTU <strong>de</strong>s ports et docks. Dans l’élan du Front populaire,<br />

il est élu conseiller général d’Aubervilliers en 1935, puis député en 1936. Il est alors chargé<br />

par son parti <strong>de</strong> lutter contre Jacques Doriot. En 1939, il est choqué par le sort réservé aux<br />

réfugiés républicains espagnols et interpelle le gouvernement. Il est même arrêté à Alicante,<br />

puis libéré. Comme ses camara<strong>de</strong>s députés communistes, il vote les crédits <strong>de</strong> guerre le 2<br />

septembre 1939. Toutefois, dans l’atmosphère ambiguë du pacte germano-soviétique, il<br />

entre en clan<strong>de</strong>stinité après la dissolution du <strong>PCF</strong>.<br />

Caché, il n’est pas arrêté comme la plupart <strong>de</strong>s députés communistes, mais il n’échappe pas<br />

au procès d’avril 1940 où il est condamné par contumace à cinq ans <strong>de</strong> prison ferme et 5<br />

000 francs d’amen<strong>de</strong>. Entre-temps, il est <strong>de</strong>venu l’un <strong>de</strong>s responsables qui réorganisent le<br />

Parti, ayant en charge le sud-ouest du pays. Le 17 juin 1940, en pleine débâcle, il appelle<br />

<strong>de</strong>puis Bor<strong>de</strong>aux à la constitution d’un nouveau gouvernement : « Les gouvernements<br />

bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la<br />

Tchécoslovaquie… Et maintenant, ils livrent la France. Ils ont tout trahi », et d’ajouter : «<br />

Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs,<br />

établissant la légalité du Parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200<br />

familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance<br />

nationale et prenant <strong>de</strong>s mesures contre les organisations fascistes. » Cet appel est prolongé<br />

après la mise en place du régime <strong>de</strong> Vichy et <strong>de</strong> la Révolution nationale par son manifeste<br />

du 18 juillet.


Manifeste explicitement résistant, qui souligne les paradoxes du <strong>PCF</strong> lors <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong><br />

trouble, alors que certains négocient avec l’occupant pour faire reparaître légalement<br />

l’Humanité, Charles Tillon déclare : « L’ordre nouveau du gouvernement <strong>de</strong> la 5e colonne,<br />

c’est le fascisme hitlérien ! Une terrible tragédie vient <strong>de</strong> se jouer, qui précipite les<br />

travailleurs <strong>de</strong> France dans <strong>de</strong> nouvelles souffrances et <strong>de</strong> redoutables épreuves. Dans le<br />

désarroi et le bouleversement où la trahison <strong>de</strong> classe la plus formidable <strong>de</strong> son histoire l’a<br />

plongé, notre pays entièrement subjugué quoique partagé en <strong>de</strong>ux zones (celle <strong>de</strong> la France<br />

occupée par Hitler, celle <strong>de</strong> la France occupée par le gouvernement <strong>de</strong> la 5e colonne) ne<br />

peut entendre qu’une seule voix qui traduise, à la mesure <strong>de</strong>s aspirations <strong>de</strong> la nation<br />

véritable, la vérité, la colère salvatrice contre les traîtres (…). Notre <strong>de</strong>voir à tous est <strong>de</strong> nous<br />

unir pour conquérir notre patrie, <strong>de</strong> nous unir pour libérer son territoire <strong>de</strong> tous les<br />

oppresseurs et exploiteurs, pour en chasser à la fois les capitalistes, leur tourbe <strong>de</strong> valets et<br />

<strong>de</strong> traîtres et les envahisseurs ! »<br />

Dans ce manifeste qui appelle à lutter contre la tyrannie, pour la liberté, on retrouve la ligne<br />

antifasciste du Front populaire, la verve patriotique qui n’a rien à voir avec la dénonciation<br />

d’une guerre impérialiste. Il déci<strong>de</strong> également <strong>de</strong> cacher <strong>de</strong>s armes pour les combats futurs.<br />

Charles Tillon l’insoumis est un <strong>de</strong>s premiers résistants.<br />

Il organise l’activité clan<strong>de</strong>stine du <strong>PCF</strong> et met sur pied, en 1942, les FTP, éléments <strong>de</strong> la<br />

lutte armée contre l’occupant et les forces <strong>de</strong> Vichy, participant aux combats <strong>de</strong> la<br />

Libération.<br />

Auréolé <strong>de</strong> ce passé résistant, il <strong>de</strong>vient maire d’Aubervilliers en 1945. Réélu en 1947, il est<br />

élu député aux <strong>de</strong>ux Assemblées nationales constituantes, puis député <strong>de</strong> la IVe République.<br />

Entre-temps, il entre au gouvernement du général <strong>de</strong> Gaulle comme ministre <strong>de</strong> l’Air (du 10<br />

septembre 1944 au 21 novembre 1945), puis ministre <strong>de</strong> l’Armement, le 21 novembre 1945.<br />

Après le départ du général <strong>de</strong> Gaulle, il gar<strong>de</strong> son poste au sein du tripartisme et s’occupe <strong>de</strong><br />

la lour<strong>de</strong> tâche du ministère <strong>de</strong> la Reconstruction et <strong>de</strong> l’Urbanisme du 22 janvier au 4 mai<br />

1947 (date du renvoi <strong>de</strong>s ministres communistes). En guerre froi<strong>de</strong>, il dirige le Mouvement<br />

<strong>de</strong> la paix, met sur pied l’Anacr (Association nationale <strong>de</strong>s anciens combattants <strong>de</strong> la<br />

Résistance). Mais le député maire d’Aubervilliers est victime, en 1952, comme André Marty,<br />

d’un véritable procès stalinien à Paris. Écarté, il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> partir à Montjustin, dans le<br />

Lubéron, avec sa femme et son fidèle gar<strong>de</strong> du corps, Armand Simonnot, ancien chef du<br />

maquis FTP Vauban dans le Morvan, qui l’avait rejoint à Aubervilliers en 1945.<br />

Il publie une histoire <strong>de</strong>s FTP en 1962. Restant communiste, il dénonce le coup <strong>de</strong> Prague et<br />

la normalisation qui s’abat en Tchécoslovaquie. En 1970, il cosigne avec Garaudy, Pronteau<br />

et Kriegel-Valrimont, un manifeste appelé Il n’est plus possible <strong>de</strong> se taire, critiquant la<br />

politique stalinienne du PC. Il engage une bataille pour la vérité sur le passé <strong>de</strong> Georges<br />

Marchais, parti travailler en Allemagne. Exclu par sa cellule d’Aix-en-Provence, il se retire<br />

dans sa Bretagne natale et publie On chantait rouge. Il meurt le 13 janvier 1993.<br />

Jean Vigreux


18 Aout 2010<br />

Lucien Sampaix Un communiste combattant <strong>de</strong><br />

l’Humanité<br />

Par Alexandre Courban, Historien, Mémoire d’Humanité.<br />

L’ajusteur, militant communiste reconnu dans sa région <strong>de</strong>s Ar<strong>de</strong>nnes, <strong>de</strong>vient journaliste<br />

puis secrétaire général 
à l’Humanité, dont 
il assurera la publication clan<strong>de</strong>stine avant<br />

d’être arrêté puis fusillé à Caen 
en 1941.<br />

Né le 13 mai 1899 à Sedan, Lucien Sampaix est le<br />

cinquième enfant d’une famille ouvrière qui en<br />

compte sept. Sa mère est ménagère. Après avoir<br />

obtenu son certificat d’étu<strong>de</strong>s primaires, Lucien<br />

Sampaix entre en apprentissage comme ajusteurmécanicien<br />

à l’âge <strong>de</strong> douze ans. Trois ans plus<br />

tard, la Première Guerre mondiale éclate.<br />

À l’image <strong>de</strong> neuf autres départements, les<br />

Ar<strong>de</strong>nnes sont occupées par l’armée alleman<strong>de</strong>.<br />

Un vent <strong>de</strong> panique souffle sur la région. Le récit<br />

<strong>de</strong>s atrocités réelles ou supposées jette la<br />

population sur les routes <strong>de</strong> l’exo<strong>de</strong>. La famille<br />

Sampaix se réfugie dans le département voisin <strong>de</strong><br />

la Marne, où Lucien travaille chez <strong>de</strong>s paysans<br />

avant d’être embauché dans une brasserie à<br />

Rouen. Mobilisé en avril 1918, il est incorporé<br />

dans un service infirmier.<br />

Démobilisé en 1921, il retourne à Sedan. Il y trouve du travail comme ajusteur-mécanicien.<br />

Il adhère d’abord au syndicat <strong>de</strong> la métallurgie affilié à la Confédération générale du travail<br />

unitaire, animée par <strong>de</strong>s militants communistes comme Gaston Monmousseau. Lucien<br />

Sampaix rejoint ensuite le Parti communiste ; il est alors âgé <strong>de</strong> vingt-quatre ans. Bientôt, il<br />

<strong>de</strong>vient secrétaire du syndicat local <strong>de</strong>s métaux et secrétaire du rayon communiste <strong>de</strong><br />

Sedan, cumulant ces différentes responsabilités politiques et syndicales.<br />

Lucien Sampaix est également membre <strong>de</strong> l’Association républicaine <strong>de</strong>s anciens<br />

combattants, fondée par l’écrivain Henri Barbusse, et milite au Secours rouge international,<br />

ancêtre du Secours populaire. Dès lors, Lucien Sampaix participe à toutes les actions<br />

engagées par le Parti communiste. Peu à peu, il incarne le communisme dans la région. À tel<br />

point que le responsable <strong>de</strong> la rédaction du journal le Socialiste ar<strong>de</strong>nnais utilise le<br />

patronyme <strong>de</strong> Lucien Sampaix comme épithète, parlant <strong>de</strong>s « Sampaix » et non plus <strong>de</strong>s<br />

communistes ! En 1929, Lucien Sampaix <strong>de</strong>vient secrétaire régional du Parti communiste.<br />

Il s’installe d’abord à Reims, puis à Charleville. Officiellement, ce déménagement a pour<br />

objectif <strong>de</strong> renforcer la direction régionale, qui se résume à Lucien Sampaix comme<br />

l’explique un militant <strong>de</strong> Saint-Quentin : « La région, la direction <strong>de</strong> la région, c’est<br />

Sampaix, le secrétaire régional, c’est Sampaix ; le trésorier, c’est Sampaix, le secrétaire <strong>de</strong><br />

rédaction <strong>de</strong> l’Exploité, c’est Sampaix ; l’administrateur <strong>de</strong> l’Exploité, c’est Sampaix. »


Tout le mon<strong>de</strong> sait que la situation ne durera pas ; d’autant plus que Sampaix est sous la<br />

menace d’une arrestation à la suite d’une condamnation pour provocation <strong>de</strong> militaires à la<br />

désobéissance. À la fin <strong>de</strong> l’année 1931, il est arrêté et n’est libéré qu’à la faveur <strong>de</strong> l’amnistie<br />

prési<strong>de</strong>ntielle qui suit l’élection d’Albert Lebrun à la prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la République, en mai<br />

1932.<br />

Quelques mois après sa libération, l’ancien ajusteur-mécanicien est embauché à<br />

l’Humanité, et <strong>de</strong>vient journaliste au sein du service <strong>de</strong>s informations générales et<br />

politiques. Chargé <strong>de</strong> suivre l’actualité <strong>de</strong> la gauche non communiste, Lucien Sampaix<br />

s’intéresse peu à peu à l’activité <strong>de</strong> l’extrême droite. Il s’emploie alors à dénoncer les<br />

agissements <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> cette mouvance « aux ordres du grand patronat et <strong>de</strong>s<br />

ennemis du pays ».<br />

Quatre ans après avoir été candidat aux élections législatives à Sedan, l’ancien secrétaire <strong>de</strong><br />

la région Nord-Est du Parti communiste se présente à Paris contre l’ancien ministre <strong>de</strong> la<br />

Guerre et député sortant <strong>de</strong> droite <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième circonscription du 10e arrondissement,<br />

Jean Fabry. Comme en 1932, le total <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong> gauche au premier tour est supérieur au<br />

nombre <strong>de</strong> suffrages obtenus par le candidat <strong>de</strong> droite. Mais en 1936, la gauche n’est plus<br />

divisée. Lucien Sampaix se désiste au profit du candidat radical-socialiste Jean-Baptiste<br />

Bossoutrot. Ce <strong>de</strong>rnier l’emporte au second tour par 12 voix d’avance. En France, le Front<br />

populaire triomphe. Pour la première fois, le gouvernement est présidé par un socialiste,<br />

Léon Blum.<br />

Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la victoire électorale du Front populaire, Lucien Sampaix est nommé<br />

secrétaire général du quotidien communiste. Par ailleurs, il continue <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s<br />

enquêtes et on lui confie la rubrique militaire.<br />

En juillet 1939, le journaliste est poursuivi <strong>de</strong>vant la justice pour avoir dénoncé les<br />

agissements <strong>de</strong> la cinquième colonne, comme le rappellera le directeur <strong>de</strong> l’Humanité<br />

Marcel Cachin au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale. Finalement, il est acquitté. Un<br />

mois plus tard, l’Allemagne et l’URSS signent un pacte <strong>de</strong> non-agression. Immédiatement,<br />

la presse communiste est suspendue puis interdite. En réponse à l’invasion <strong>de</strong> la Pologne,<br />

Londres et Paris déclarent la guerre à Berlin. Les députés communistes votent les crédits <strong>de</strong><br />

guerre. Mobilisé, Lucien Sampaix est affecté dans une usine. Mais le patron refuse <strong>de</strong> le<br />

prendre.<br />

Quelques semaines plus tard, le Parti communiste est interdit. Hors-la-loi, l’ancien<br />

journaliste participe à l’édition clan<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> l’Humanité jusqu’à son arrestation le 19<br />

décembre 1939. Tout au long <strong>de</strong> l’année 1940, Lucien Sampaix est régulièrement transféré<br />

d’un lieu <strong>de</strong> détention à un autre. À la fin <strong>de</strong> l’année, il s’éva<strong>de</strong> et se réfugie à Paris chez un<br />

ancien ouvrier <strong>de</strong> l’imprimerie <strong>de</strong> l’Humanité, où il est arrêté trois mois plus tard. Ce<br />

<strong>de</strong>rnier est interpellé alors qu’il transportait <strong>de</strong>s brochures illégales éditées par le Parti<br />

communiste clan<strong>de</strong>stin.<br />

Emprisonné à la Santé, Lucien Sampaix est traduit <strong>de</strong>vant la section spéciale auprès <strong>de</strong> la<br />

cour d’appel <strong>de</strong> Paris. Contre toute attente, ce tribunal d’exception spécialement mis en<br />

place pour réprimer les activités communistes le condamne aux travaux forcés, et non pas à<br />

la peine capitale.<br />

Mi-septembre 1941, il est transféré à la prison centrale <strong>de</strong> Beaulieu. Le 15 décembre 1941,<br />

Lucien Sampaix est fusillé à Caen en compagnie <strong>de</strong> douze autres otages. Le 15 mai 1943,


l’aînée <strong>de</strong> ses enfants – sa fille Simone – militante clan<strong>de</strong>stine communiste, est arrêtée à<br />

son tour. Internée au fort <strong>de</strong> Romainville, elle est déportée à Auschwitz d’où elle reviendra<br />

en 1945.<br />

Alexandre Courban


17 Aout 2010<br />

Joseph Epstein « Bon pour la légen<strong>de</strong> »<br />

Par Pascal Convert, Artiste et documentariste.<br />

Né en 1911, 
Joseph Epstein fuit la Pologne du dictateur Pilsudski à vingt ans. Sa<br />

participation aux Briga<strong>de</strong>s internationales, 
en Espagne, le rend prêt à la lutte armée sous<br />

l’occupation nazie. Organisateur audacieux, il dirigera les FTP d’Ile-<strong>de</strong>-France jusqu’en<br />

1943 
où il tombe, 
en même temps 
que Manouchian.<br />

« L’homme qui, <strong>de</strong> loin, est le plus grand <strong>de</strong> nos<br />

officiers <strong>de</strong> toute la France, le plus grand tacticien <strong>de</strong> la<br />

guerre populaire, est inconnu du grand public. De tous<br />

les chefs militaires, il fut le plus audacieux, le plus<br />

capable, celui qui donna à la résistance française son<br />

originalité par rapport aux autres pays d’Europe. »<br />

Albert Ouzoulias, 
commissaire militaire national<br />


<strong>de</strong>s Francs-tireurs et partisans français<br />

est sorti <strong>de</strong> la nuit :<br />

Depuis le 23 février 2008 et l’hommage solennel rendu<br />

par le chef <strong>de</strong> l’État à <strong>de</strong>ux figures <strong>de</strong> la Résistance<br />

fusillées au mont Valérien : Honoré d’Estienne d’Orves<br />

et Joseph Epstein, le nom du responsable <strong>de</strong>s Francstireurs<br />

et partisans d’Île-<strong>de</strong>-France au printemps 1943<br />

« Epstein et d’Orves n’avaient pas grand-chose en commun, à l’exception <strong>de</strong> l’essentiel :<br />

l’amour <strong>de</strong> la liberté jusqu’au sacrifice <strong>de</strong> sa vie. Epstein était juif, polonais, communiste. Il<br />

fut l’un <strong>de</strong>s chefs militaires <strong>de</strong> la Résistance les plus efficaces et les plus talentueux. Il<br />

voulait l’unité <strong>de</strong> la résistance intérieure par-<strong>de</strong>là les clivages partisans. Son courage sous la<br />

torture n’eut d’égal que la sobriété <strong>de</strong> ce message, quelques semaines avant sa mort : ―J’ai<br />

passé <strong>de</strong> mauvais moments, j’en passerai encore d’autres (…). Je m’attends au pire mais<br />

saurai mourir le front haut.‖ »<br />

Epstein et d’Orves avaient en commun la conviction que même si un homme peut être<br />

détruit, il ne peut être vaincu. Parmi les premiers à avoir rejoint les combattants<br />

républicains espagnols à Irun durant l’été 1936, blessé par un éclat d’obus, rapatrié en<br />

France où il participa à l’organisation <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> militaire à l’Espagne via la compagnie<br />

France-Navigation, <strong>de</strong> retour au front lors <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong> l’Èbre, interné au camp <strong>de</strong> Gurs,<br />

engagé volontaire dans la Légion étrangère en 1939 pour se battre contre l’Allemagne nazie,<br />

prisonnier <strong>de</strong> guerre dans un stalag à Leipzig, évadé en décembre 1940, Joseph Epstein<br />

n’était pas <strong>de</strong> ceux qui renoncent.<br />

Dès son retour en France, alors qu’il apprend la naissance <strong>de</strong> son fils Georges, il prend la<br />

tête <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> sabotage et <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction. Dynamitage <strong>de</strong> trains, <strong>de</strong> voies ferrées,


<strong>de</strong>struction <strong>de</strong> pylônes électriques, <strong>de</strong> ponts, sabotage dans les usines, ces techniques <strong>de</strong><br />

guérilla sont celles qu’il avait apprises en Espagne. Début 1943, malgré leur difficulté à<br />

trouver <strong>de</strong>s armes, les FTP n’en réussissent pas moins à mener dans la région parisienne<br />

une guérilla urbaine qui fait écho à la victoire soviétique à Stalingrad (2 février). Et cela leur<br />

vaut une aura auprès <strong>de</strong> la population, généralement peu prisée par les chefs <strong>de</strong>s autres<br />

mouvements <strong>de</strong> résistance qui craignaient que les communistes ne fassent cavalier seul.<br />

L’arrivée <strong>de</strong> Joseph Epstein à la tête <strong>de</strong>s FTPF d’Île-<strong>de</strong>-France sous la responsabilité<br />

d’Albert Ouzoulias a eu une double conséquence.<br />

Tout d’abord, il a modifié la stratégie militaire <strong>de</strong>s FTP en proposant d’engager neuf, douze<br />

ou quinze combattants dans une opération là où précé<strong>de</strong>mment ils n’étaient que trois. Ce<br />

changement a permis <strong>de</strong>s opérations spectaculaires d’attaque <strong>de</strong> militaires allemands dans<br />

Paris mais aussi <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> <strong>de</strong>structions industrielles décisives pour les Alliés : le 10<br />

novembre, par exemple, dans l’usine <strong>de</strong> l’Air liqui<strong>de</strong> à Boulogne-sur-Seine, ce sont vingtcinq<br />

combattants armés qui, après avoir dispersé le personnel présent, ont disposé dix<br />

engins explosifs sur différentes machines <strong>de</strong> l’atelier. Cette usine produisait l’oxygène<br />

nécessaire à la mise au point <strong>de</strong>s missiles balistiques V1 et V2 produits par l’Allemagne<br />

nazie en vue d’une attaque sur l’Angleterre. Par ailleurs, conscient que les risques étaient<br />

grands d’une guerre civile et que seule l’unité <strong>de</strong> la Résistance permettrait la victoire, il a<br />

favorisé l’intégration <strong>de</strong> toutes les sensibilités politiques dans les FTP et a soutenu l’action<br />

d’unification <strong>de</strong> l’armée secrète voulue par le général <strong>de</strong> Gaulle et Jean Moulin en vue <strong>de</strong><br />

l’insurrection nationale au moment du débarquement, sans renoncer à l’action immédiate.<br />

Il est arrêté le 16 novembre 1943, lors d’un ren<strong>de</strong>z-vous avec Missak Manouchian,<br />

responsable <strong>de</strong> la MOI sous ses ordres, mais ni le nom, ni le visage d’Epstein ne figurent sur<br />

l’Affiche rouge qui fera la gloire paradoxale du groupe Manouchian.<br />

C’était pourtant un « étranger », juif polonais, qui dirigeait les FTP <strong>de</strong> Paris et d’Île-<strong>de</strong>-<br />

France. Il incarnait parfaitement cette « juiverie internationaliste communiste » haïe par<br />

l’occupant et le gouvernement <strong>de</strong> Vichy. Mais, doté « d’un physique <strong>de</strong> bon aryen », blond,<br />

les yeux bleus, parlant la langue française sans aucun accent, Joseph Epstein a dissimulé<br />

jusqu’au bout son i<strong>de</strong>ntité sous le nom <strong>de</strong> Joseph Estain, communiste français né au<br />

Bouscat en Giron<strong>de</strong>. Joseph Epstein, n’étant considéré ni comme étranger, ni comme juif,<br />

ne servait pas la propagan<strong>de</strong> nazie et n’a donc pas été fusillé le 21 février 1944 avec le<br />

groupe Manouchian mais le 11 avril 1944 avec seize compagnons <strong>de</strong> combat, tous français.<br />

L’art <strong>de</strong> la clan<strong>de</strong>stinité <strong>de</strong> Joseph Epstein lui aura évité la gloire <strong>de</strong>s « vingt-trois » sans<br />

pour autant lui éviter la torture. Consciente <strong>de</strong> détenir le responsable régional FTPF, la<br />

briga<strong>de</strong> spéciale <strong>de</strong> Vichy appliquera un traitement particulièrement effroyable à Joseph<br />

Epstein. Littéralement écorché et « massacré », il ne donnera même pas sa réelle i<strong>de</strong>ntité.<br />

S’il a été détruit mais pas vaincu par les nazis, l’oubli dont il fut l’objet après-guerre n’a<br />

finalement pas pu, lui non plus, effacer son combat.<br />

Pascal Convert a publié en 2007 
une biographie sur Joseph Epstein 
(Éditions Séguier).<br />

Il prépare une biographie (Éditions du Seuil) et un film documentaire 
(Les Films d’ici et<br />

France 2) sur Raymond Aubrac.<br />

Pascal Convert


16 Aout 2010<br />

Georges Politzer. Le philosophe qui s’opposa<br />

au théoricien nazi Rosenberg<br />

Par Jean-Numa Ducange, 
historien.<br />

De très nombreux communistes ont découvert la philosophie en étudiant ses Principes<br />

élémentaires. Fusillé au mont Valérien 
en 1942, ce jeune pédagogue avait écrit 
un essai<br />

réfutant 
les thèses nazies.<br />

Parmi les « révolutions oubliées », il faut faire<br />

une place à la révolution <strong>de</strong>s Conseils en<br />

Hongrie qui, malgré sa courte durée, fut le seul<br />

exemple <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> pouvoir réussie dans le<br />

sillage <strong>de</strong> la révolution russe <strong>de</strong> 1917. C’est dans<br />

ce contexte que quelques brillants intellectuels<br />

font leurs premiers pas politiques : parmi eux<br />

György Lukacs, commissaire à l’Instruction<br />

publique, et un jeune homme, Georges Politzer,<br />

qui n’a alors que dix-sept ans. Après<br />

l’écrasement <strong>de</strong> la révolution et la mise en place<br />

du régime autoritaire <strong>de</strong> l’amiral Horthy,<br />

Politzer fuit le pays et arrive en France, suit <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> philosophie et obtient l’agrégation en<br />

1926. Intéressé par la psychanalyse – il était<br />

passé avant la France par Vienne où il avait pris<br />

connaissance <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> Freud –, il publie<br />

en 1928 Critique <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la<br />

psychologie (1), essai controversé où il défend la<br />

« psychologie concrète » qui lui vaudra une<br />

certaine postérité.<br />

Georges Politzer adhère au <strong>PCF</strong> en 1929 et <strong>de</strong>vient rapi<strong>de</strong>ment influent dans ses cercles<br />

intellectuels, côtoie entre autres Paul Nizan et Henri Lefebvre. Il participe comme<br />

professeur à l’université ouvrière créée en 1932 par un petit groupe d’enseignants<br />

communistes sous le patronage <strong>de</strong> grands écrivains, dont Romain Rolland et Henri<br />

Barbusse. Politzer y enseigne la philosophie sous l’angle du matérialisme dialectique ;<br />

après-guerre, ces cours, à partir <strong>de</strong>s notes prises par ses élèves, seront retravaillés par Jean<br />

Kanapa et donneront lieu à un ouvrage, Principes élémentaires <strong>de</strong> philosophie (2), réédité à<br />

<strong>de</strong> nombreuses reprises comme manuel pour la formation <strong>de</strong>s communistes et traduit en<br />

plusieurs langues. Ouvrage <strong>de</strong> défense intransigeante d’un matérialisme dialectique qui<br />

apparaît aujourd’hui vieillie à certains égards, il doit être compris pour ce qu’il veut être en<br />

son temps : s’adressant à <strong>de</strong>s militants <strong>de</strong> toute condition sociale, souvent dépourvus <strong>de</strong><br />

culture philosophique, il témoigne <strong>de</strong> l’effort <strong>de</strong> pédagogie et <strong>de</strong> formation politique liée à la<br />

structuration d’une organisation politique.<br />

Homme <strong>de</strong> revue, Politzer participe au lancement <strong>de</strong> la Pensée, revue du rationalisme<br />

mo<strong>de</strong>rne, en 1939. Il y signe, à l’heure du cent-cinquantenaire <strong>de</strong> 1789, un article exaltant la


philosophie du XVIIIe siècle. Politzer est <strong>de</strong> ces communistes qui ont la « passion <strong>de</strong>s<br />

Lumières », comme le dit Roger Bour<strong>de</strong>ron dans la belle anthologie <strong>de</strong> textes <strong>de</strong> Politzer<br />

contre le nazisme. C’est en effet contre celui-ci que le philosophe va s’illustrer en 1940-1941.<br />

Sa réfutation du discours <strong>de</strong> l’idéologue national-socialiste Arthur Rosenberg va lui donner<br />

une place d’honneur dans l’histoire <strong>de</strong> la résistance communiste. Rosenberg prononce le 28<br />

novembre 1940 une conférence à la Chambre <strong>de</strong>s députés à Paris intitulée « Sang et Or »,<br />

règlement <strong>de</strong> comptes avec les idées <strong>de</strong> 1789 qui « récupère » la révolte populaire <strong>de</strong> la fin<br />

du XVIIIe siècle pour présenter le national-socialisme comme une authentique révolution<br />

nationale. Politzer répond dans Révolution et contre-révolution au XXe siècle. Réponse à «<br />

Sang et Or » <strong>de</strong> M. Rosenberg (3), texte <strong>de</strong> première importance paru sous forme <strong>de</strong><br />

brochure au début 1941, soit avant l’entrée en guerre <strong>de</strong> l’URSS. Son propos – au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />

débats sur l’attitu<strong>de</strong> à adopter face à l’occupant entre 1939 et 1941 – montre l’ancrage d’un<br />

antinazisme qui plonge ses racines dans une continuité historique revendiquée : s’il défend<br />

avant tout le Parti communiste et l’Union soviétique, la lutte contre l’obscurantisme nazi se<br />

fait au nom <strong>de</strong> l’exaltation <strong>de</strong> traditions antérieures, celles du rationalisme, <strong>de</strong>s Lumières et<br />

surtout <strong>de</strong> la Révolution française, négation <strong>de</strong> l’hitlérisme : autant <strong>de</strong> thèmes hérités du<br />

Front populaire, qui avait exalté les philosophes du XVIIIe siècle et 1789. À l’heure <strong>de</strong><br />

l’occupation alleman<strong>de</strong>, Politzer incarne aussi un internationalisme qui n’oublie pas «<br />

l’autre Allemagne », celle qui a été écrasée par le nazisme triomphant ; il appelle à ne pas<br />

confondre « le peuple allemand avec ceux qui, aujourd’hui, oppriment la France ».<br />

« Il est clair que, par ses insultes au souvenir <strong>de</strong> la Révolution française, M. Rosenberg<br />

prouve qu’il est en lutte aussi contre l’esprit allemand, dont les plus grands représentants<br />

ont toujours professé l’admiration et l’enthousiasme pour le XVIIIe siècle français et le<br />

grand acte qui a renversé la féodalité. »<br />

Signalons que ce texte sera même traduit en allemand, probablement par Jacques Decour,<br />

même si, sous cette forme, la réception fut nécessairement confi<strong>de</strong>ntielle. Propos marqué<br />

par son contexte mais qui n’en développe pas moins quelques réflexions sur le mythe et<br />

l’idéologie et la façon dont elles sont productrices d’illusion, méritant d’être relues<br />

aujourd’hui. Arrêté le 19 février 1942, au moment où paraît la Pensée libre – qui reprend le<br />

flambeau <strong>de</strong> la Pensée, interdite comme toutes les publications communistes –, Georges<br />

Politzer est fusillé le 23 mai 1942 avec d’autres au mont Valérien. Il avait trente-neuf ans.<br />

Republié au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l’apogée du Parti communiste en 1947, Révolution et contrerévolution<br />

au XXe siècle entre dans la légen<strong>de</strong>. S’il faut attendre 1956 pour que Politzer soit<br />

reconnu à titre posthume comme « interné résistant » après une longue bataille juridique, il<br />

est une figure longtemps présente dans la mémoire communiste : son nom est donné à <strong>de</strong>s<br />

rues et établissements scolaires tandis que, s’inscrivant dans la continuité <strong>de</strong> son<br />

implication dans les réseaux intellectuels, est créé un Cercle Politzer, cercle <strong>de</strong> philosophies<br />

communistes dont fit partie, entre autres, Louis Althusser.<br />

(1) L’ouvrage est réédité en 2003 aux Presses Universitaires <strong>de</strong> France dans la collection «<br />

Quadrige ».<br />

(2) Réédité aux Éditions Delga en 2009.<br />

(3) Éditions sociales, 1984.<br />

Jean-Numa Ducange


13 Aout 2010<br />

Ma<strong>de</strong>leine Riffaud « Elle écrivait <strong>de</strong>s vers et<br />

menait ses hommes à l’assaut <strong>de</strong>s SS »<br />

Par Vladimir Pozner, écrivain<br />

La poétesse et écrivaine, qui fut gran<strong>de</strong> reporter à l’Humanité, déci<strong>de</strong>, encore adolescente,<br />

<strong>de</strong> se battre contre l’occupant nazi. Elle fut dans son groupe <strong>de</strong> partisans une actrice<br />

intrépi<strong>de</strong> du soulèvement parisien <strong>de</strong> 1944.<br />

Nous nous sommes rencontrés peu <strong>de</strong><br />

temps après la fin <strong>de</strong> la guerre. C’était<br />

un coup <strong>de</strong> chance : si, en août 1944,<br />

Paris s’était soulevé avec trois jours <strong>de</strong><br />

retard, il ne serait resté <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine<br />

Riffaud qu’un souvenir, quelques vers<br />

et le nom d’une rue. (…)<br />

De tous les sujets dont elle témoignait,<br />

celui qu’elle gardait le plus volontiers<br />

sous silence, c’était elle-même.(…) Ses<br />

parents étaient limousins, tous <strong>de</strong>ux<br />

pauvres enfants <strong>de</strong> paysans sans terre,<br />

qui s’étaient connus en faisant leurs<br />

étu<strong>de</strong>s à l’École normale <strong>de</strong> Limoges en compagnie du garçon qui <strong>de</strong>vait enseigner à<br />

Oradour-sur-Glane et mourir dans l’église, mais pour ce qui est du couple, pour être nommé<br />

dans <strong>de</strong>ux hameaux voisins et vivre ensemble, il avait accepté <strong>de</strong> gagner un pays dévasté par<br />

la guerre, pas la guerre <strong>de</strong> 1939, celle <strong>de</strong> 1914, que M. Riffaud avait faite et qui était toujours<br />

présente : <strong>de</strong>ux camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine ont été tués en essayant <strong>de</strong> démonter <strong>de</strong> vieux<br />

obus qu’ils avaient trouvés dans les champs, pas loin <strong>de</strong> Folies, la bourga<strong>de</strong> que la famille<br />

habitait et dont Mme Riffaud était l’institutrice ; tous les jours elle conduisait sa fille en<br />

classe et, le dimanche, l’envoyait à la messe ; la petite était nulle en calcul, excellente en<br />

français et écrivait <strong>de</strong>s vers qu’elle ne montrait à personne, pas même à son grand-père, un<br />

ancien berger qui savait le nom <strong>de</strong>s étoiles, avait fait pousser <strong>de</strong>s rosiers autour <strong>de</strong> l’école et,<br />

<strong>de</strong> sa belle voix, chantait <strong>de</strong> belles chansons : « C’était le premier poète que j’ai connu », m’a<br />

dit Ma<strong>de</strong>leine.<br />

Avec ses grands-parents, elle allait bientôt fuir la plaine du Santerre pour se réfugier dans le<br />

Limousin. C’était le bel été 1940 (...). Le train s’arrêta au milieu d’une ville en ruine, dans<br />

une gare débordant d’uniformes gris-verts ou noirs. Grand-père ne pouvait plus marcher :<br />

la petite-fille partit à la recherche d’une ai<strong>de</strong>. Au passage, les soldats étrangers lui jetaient<br />

<strong>de</strong>s paroles incompréhensibles en riant aux éclats. L’un <strong>de</strong>ux lui envoya un grand coup <strong>de</strong><br />

pied au <strong>de</strong>rrière, et c’est l’instant même où la fillette, folle <strong>de</strong> peur et <strong>de</strong> rage, décida <strong>de</strong> se<br />

battre. Elle avait quinze ans. (…) D’abord Ma<strong>de</strong>leine tomba mala<strong>de</strong>. Envoyée dans un sana,<br />

elle connut Marcel Gagliardi, un étudiant communiste. C’est lui qui mit Ma<strong>de</strong>leine en<br />

relations avec la Résistance.


Elle vivait une vie clan<strong>de</strong>stine et ne portait plus son nom. (... ) « Rainer » était agent <strong>de</strong><br />

liaison. Il y avait tant <strong>de</strong> rafles dans le métro qu’il était dangereux, donc interdit <strong>de</strong> le<br />

prendre. Elle <strong>de</strong>vait traverser Paris à pied. (…) De message en message, les promena<strong>de</strong>s<br />

étaient longues, <strong>de</strong> ce qu’elle venait <strong>de</strong> voir ou d’entendre naissait un poème <strong>de</strong> trois lignes<br />

que Rainer crayonnait, assise sur un banc ou appuyée contre un arbre. (…) Transférée dans<br />

un groupe <strong>de</strong> combat, ce groupe <strong>de</strong> poètes, Rainer <strong>de</strong>vait apprendre à écrire : neuf balles<br />

dans son chargeur, et <strong>de</strong>ux lignes plus loin, sept balles seulement. « Quand tu tues pour la<br />

première fois, me dit Ma<strong>de</strong>leine, c’est très dur. »<br />

Le temps s’écoulait, Rainer commandait son groupe, les vers et la vie se frôlaient. J’ai voulu<br />

savoir si le pigeon tout blanc dans l’air bleu, dont elle avait noté la caresse contre sa joue,<br />

avait pris son vol au milieu <strong>de</strong> Paris ou au milieu du poème. Elle m’a dit que l’oiseau blanc<br />

l’avait effleurée le dimanche 23 juillet 1944 dans l’après-midi, à l’instant où Rainer, qui<br />

venait d’abattre, pont <strong>de</strong> Solferino, un officier allemand et s’était sauvée vers la gare d’Orsay<br />

pour être arrêtée aussitôt, était sur le point <strong>de</strong> franchir le seuil d’une prison, face à Notre-<br />

Dame, exactement comme elle <strong>de</strong>vait l’écrire dans sa première cellule (...). La <strong>de</strong>uxième se<br />

trouvait rue <strong>de</strong>s Saussaies, au centre <strong>de</strong> tortures <strong>de</strong> la Gestapo. « Ce qui était insupportable,<br />

c’était les tortures <strong>de</strong>s autres. » (…) Elle griffonna d’autres poèmes, plus à Paris mais à<br />

Fresnes, avec un bout <strong>de</strong> graphite, sans doute abandonné par un condamné à mort (…).<br />

On se battait dans Paris. Au lieu <strong>de</strong> tomber dans sa dix-neuvième année, Ma<strong>de</strong>leine fêtait<br />

ses vingt ans au milieu <strong>de</strong>s barrica<strong>de</strong>s. Place <strong>de</strong> la République, les partisans montaient à<br />

l’assaut du <strong>de</strong>rnier fort <strong>de</strong>s SS, et Rainer, un grain <strong>de</strong> folie dans la tête, menait au feu son<br />

détachement d’une trentaine d’hommes. « J’ai été suicidaire un long temps », dit-elle. Elle<br />

sourit. « Je suis une âme errante. » Elle est prête à rire. « J’ai, dit-elle, le désespoir<br />

décontracté. »<br />

Le 11 novembre, <strong>de</strong>vant un bistrot <strong>de</strong> la rue Troyon, près <strong>de</strong> l’Étoile, elle a fait la<br />

connaissance d’Eluard. « Il m’a regardée, explique-t-elle, et a <strong>de</strong>mandé : – Que fais-tu<br />

maintenant ? Je n’avais pas <strong>de</strong> métier. Je savais tirer à la mitraillette, rien d’autre. J’ai écrit<br />

<strong>de</strong>s poèmes en prison. Et j’étais bonne en composition <strong>de</strong> français. Il a compris : j’avais<br />

besoin <strong>de</strong> décrocher le Christ un peu partout. Il m’a envoyée chez Aragon et je suis <strong>de</strong>venue<br />

journaliste. »<br />

(…) C’est la guerre du Vietnam et la guerre d’Algérie, Athènes ou Madrid, la voix <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine et celle <strong>de</strong>s autres : une vieille femme chassée <strong>de</strong> l’hôpital, Eluard parlant <strong>de</strong><br />

Nusch, sa femme, qu’il vient <strong>de</strong> perdre, Leila, algérienne, ou Nguyen Dinh Thi, poète<br />

vietnamien. « Je me suis toujours considérée comme un micro », dit Ma<strong>de</strong>leine. ( …)<br />

Elle s’observe, raconte la nuit où, après avoir passé trois mois dans les maquis du Sud-<br />

Vietnam, elle attendait dans la jungle le moment <strong>de</strong> traverser la frontière. Elle entendait<br />

crisser sur sa poitrine cent lettres d’amour que lui avaient confiées les combattants et qu’elle<br />

leur avait promis <strong>de</strong> faire parvenir à leurs femmes. Ma<strong>de</strong>leine aperçut <strong>de</strong>vant elle une<br />

orchidée qu’elle cueillit. Un <strong>de</strong>s hommes qui l’accompagnaient en ramassa plusieurs autres<br />

pour lui faire ca<strong>de</strong>au d’un bouquet qu’elle emporta en rampant entre les sentinelles<br />

ennemies. L’imagination ne consiste pas à inventer mais à choisir. C’est toute la vie <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine : franchir les frontières, armée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux yeux, <strong>de</strong> passion, d’un stylo, <strong>de</strong> fleurs, <strong>de</strong><br />

grena<strong>de</strong>s explosives et <strong>de</strong> vers, et <strong>de</strong> lettres d’amour, celles <strong>de</strong>s autres et aussi les siennes.


Extraits <strong>de</strong> la préface <strong>de</strong> Vladimir Pozner pour Cheval rouge (Éditeurs français réunis),<br />

l’anthologie poétique <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Riffaud. L’œuvre <strong>de</strong> Vladimir Pozner, écrivain majeur<br />

du XXe siècle est en cours <strong>de</strong> réédition.<br />

Vladimir Pozner


12 Aout 2010<br />

Frédéric Joliot « Un universitaire <strong>de</strong>bout au<br />

cœur <strong>de</strong>s années noires »<br />

Par Michel Pinault, historien.<br />

Joliot, un <strong>de</strong>s pionniers <strong>de</strong> la physique nucléaire, prix Nobel <strong>de</strong> chimie, avec son épouse<br />

Irène Curie, en 1935, était connu avant la guerre pour son engagement pacifiste.<br />

À l’été 1940, Frédéric Joliot décida <strong>de</strong> rester en France et<br />

d’expédier ses collaborateurs en Angleterre avec la mission <strong>de</strong><br />

réaliser une expérience décisive <strong>de</strong>stinée à provoquer <strong>de</strong>s<br />

réactions en chaîne dans l’uranium. Il confirma ensuite ce<br />

choix, écrivant par exemple au physicien américain Lawrence<br />

« qu’il y avait un intérêt primordial à maintenir intacte la vie<br />

<strong>de</strong>s activités scientifiques sur ce coin <strong>de</strong> continent » et qu’il le<br />

ferait « tant qu’on (lui) laissera la liberté <strong>de</strong> le faire ». Son<br />

laboratoire était à la pointe <strong>de</strong> la physique nucléaire et les<br />

nazis auraient pu y mener <strong>de</strong>s travaux à but militaire, aussi<br />

Joliot prit-il les <strong>de</strong>vants comme il l’indiquait au ministre <strong>de</strong> la<br />

Production industrielle <strong>de</strong> Vichy : « Je puis affirmer qu’aucun<br />

<strong>de</strong>s résultats obtenus ne peuvent être utilisés directement ou<br />

indirectement pour la guerre. J’ai eu plusieurs fois l’occasion<br />

<strong>de</strong> préciser ma position à <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s services<br />

allemands et ils savent que je me refuserai à toute participation à l’effort scientifique <strong>de</strong><br />

guerre allemand. » Un hasard rendit ce choix possible : le scientifique allemand chargé <strong>de</strong><br />

surveiller son laboratoire, Wolfgang Gentner, avait noué, quelques années plus tôt, <strong>de</strong>s<br />

relations amicales avec les Joliot-Curie lors <strong>de</strong> séjours à leur laboratoire. Ses sentiments<br />

antinazis étaient avérés et c’est pourquoi Joliot remit sa sécurité entre ses mains. Arrêté à<br />

<strong>de</strong>ux reprises par la Gestapo, il lui dut, chaque fois, sa libération. Cependant, au début <strong>de</strong><br />

1944, Joliot passa dans la clan<strong>de</strong>stinité totale.<br />

À l’automne 1940, Joliot eut très tôt l’occasion <strong>de</strong> rendre publique sa position : dans le<br />

premier numéro <strong>de</strong> l’Université libre, publiée par <strong>de</strong>s communistes parisiens, on pouvait<br />

lire qu’« à la suite <strong>de</strong> l’arrestation <strong>de</strong> son maître Paul Langevin, Frédéric Joliot (sic) a décidé<br />

<strong>de</strong> suspendre toute collaboration avec les représentants <strong>de</strong> l’autorité alleman<strong>de</strong> et <strong>de</strong> ne plus<br />

revenir à son laboratoire ». Un meeting eut lieu au Collège <strong>de</strong> France, où enseignaient<br />

Langevin et Joliot, au cours duquel ce <strong>de</strong>rnier réaffirma son engagement. Vercors, écrivain<br />

résistant, indiquait, en 1955, dans une lettre au général <strong>de</strong> Gaulle, que « la première réunion<br />

à laquelle (il avait) assisté, en octobre (1940), chez le poète Arcos, s’était faite à l’initiative<br />

du même, accompagné du communiste Frédéric Joliot, du communiste Wallon, du<br />

communiste Maublanc, du communiste Francis Jourdain, et il nous y fut lu <strong>de</strong>s lettres<br />

d’Eluard et d’Aragon, tous <strong>de</strong>ux 
en zone libre ».<br />

Ainsi commença, pour Joliot, l’Occupation. Décidé à maintenir une activité scientifique en<br />

France, refusant l’exil, cherchant à mobiliser ses collègues en faveur <strong>de</strong> l’université et <strong>de</strong> la<br />

recherche, menant une intense action clan<strong>de</strong>stine, en particulier au sein du groupe <strong>de</strong>


l’Université libre et, à partir du printemps 1941, du Front national universitaire (FNU) dont<br />

il <strong>de</strong>vint un <strong>de</strong>s principaux animateurs, Joliot amplifia ainsi le rôle <strong>de</strong> représentant <strong>de</strong>s<br />

universitaires scientifiques engagés à gauche qu’il avait assumé à la fin <strong>de</strong>s années 1930 et il<br />

<strong>de</strong>vint même finalement leur principal porte-parole. C’est sans doute à ce titre que le Parti<br />

communiste, auquel il adhéra, fit <strong>de</strong> lui le prési<strong>de</strong>nt du Front national.<br />

Les universitaires résistants n’étaient pas si nombreux pendant les années noires. En<br />

témoigne une note manuscrite <strong>de</strong> Joliot en marge d’un rapport interne du FNU indiquant<br />

que, sur 750 universitaires parisiens, 70 étaient au FNU. C’est en prenant le risque <strong>de</strong><br />

s’exprimer publiquement à diverses reprises que Joliot tenta d’élargir les rangs <strong>de</strong><br />

l’université résistante. Par exemple, lors <strong>de</strong> l’élection d’un remplaçant à la chaire <strong>de</strong><br />

Langevin, révoqué par Vichy, Joliot rappela <strong>de</strong>vant l’assemblée <strong>de</strong>s professeurs l’action<br />

passée du Front populaire et énonça un programme <strong>de</strong> développement futur <strong>de</strong> la recherche<br />

française. À l’automne 1942, après une <strong>de</strong> ses conférences, un auditeur lui écrivit : « Tu ne<br />

peux savoir quel plaisir j’ai éprouvé à ta conférence <strong>de</strong> la semaine <strong>de</strong>rnière en te voyant<br />

aussi tranquillement courageux. Tu as gagné par cette calme audace la sympathie <strong>de</strong> tout<br />

l’auditoire (…). Il est réconfortant <strong>de</strong> constater qu’il y a encore en France <strong>de</strong>s ―hommes‖<br />

dans le sens le plus élevé du mot, conscients <strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>voirs, fiers <strong>de</strong> leurs responsabilités.»<br />

L’élection <strong>de</strong> Joliot à l’académie <strong>de</strong>s sciences fut, à l’été 1943, une étape clé <strong>de</strong> cette<br />

conquête <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>rship. Langevin, relégué à Troyes, rédigea le rapport présentant le<br />

candidat. Les savants les plus marqués à gauche, comme Cotton et Borel, détenus pendant<br />

plusieurs mois par les nazis, Maurain et Roussy, tous <strong>de</strong>ux recteurs révoqués par Vichy,<br />

intervinrent en sa faveur. Un parti hostile défendait la candidature <strong>de</strong> Becquerel, ingénieur<br />

<strong>de</strong>s Ponts et Chaussées et l’élection se joua par 23 voix contre 19, témoignant <strong>de</strong> ce que<br />

Joliot était désormais, au sein d’un groupe étoffé <strong>de</strong> scientifiques et d’universitaires, un <strong>de</strong>s<br />

principaux représentants d’une opposition à Vichy et à l’occupant désormais affirmée.<br />

Vint la Libération. Joliot organisa, au Collège <strong>de</strong> France, la production <strong>de</strong> cocktails Molotov<br />

et autres armes antichars pour les FFI parisiens. Pendant l’Occupation son laboratoire avait<br />

construit <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> radio, fabriqué <strong>de</strong>s faux papiers et même redistribué <strong>de</strong>s<br />

armes que la police <strong>de</strong> Vichy remettait après saisie au laboratoire <strong>de</strong> la préfecture <strong>de</strong> Paris,<br />

dirigée par Henri Moureu, membre du FNU.<br />

Joliot fut membre <strong>de</strong> l’Assemblée consultative au titre du Front national. En août 1944, il<br />

<strong>de</strong>vint directeur du CNRS puis, à l’automne 1945, il créa le Commissariat à l’énergie<br />

atomique. Mais ceci est une autre histoire.<br />

Michel Pinault<br />

Frédéric Joliot-Curie. Rectificatif<br />

Suite à la parution <strong>de</strong> l’article <strong>de</strong> Michel Pinault, jeudi <strong>de</strong>rnier, dans la série portrait <strong>de</strong><br />

résistants, consacré à Frédéric Joliot-Curie, l’auteur précise : « J’avais écrit que ―Joliot était<br />

connu, avant la guerre, pour son engagement en faveur du Front populaire‖, ce que vous<br />

avez remplacé par ―pour son engagement pacifiste‖. Ce qui introduit un contresens. En effet<br />

et quoi qu’il en soit <strong>de</strong>s sentiments pacifistes <strong>de</strong> Joliot nés au moment <strong>de</strong> la Première<br />

Guerre mondiale, dès le début <strong>de</strong> la guerre d’Espagne il a été convaincu <strong>de</strong> refuser la<br />

politique d’apaisement vis-à-vis <strong>de</strong>s agressions <strong>de</strong>s régimes fascistes. Les ―pacifistes‖, dans<br />

le contexte <strong>de</strong>s années 1937-1939, ce sont ceux qui ont nié la gravité du péril, préférant s’en<br />

tenir au pacifisme le plus intransigeant. D’où la scission intervenue au Comité <strong>de</strong> vigilance


<strong>de</strong>s intellectuels antifascistes, qui conduisit la tendance dirigée par Paul Langevin, à laquelle<br />

appartenait Joliot, à créer, avec Jacques Solomon, l’Union <strong>de</strong>s intellectuels français (UDIF).<br />

Elle regroupait ceux qu’on appelait les antimunichois parce qu’en 1938, ils se sont opposés<br />

vivement à la politique <strong>de</strong> trahison que menaient les gouvernements français et anglais,<br />

sous prétexte <strong>de</strong> sauver la paix. C’est ainsi que les dirigeants <strong>de</strong> cette même UDIF, dont<br />

Joliot, fidèles à leur antifascisme résolu, comme ils avaient dénoncé les accords <strong>de</strong> Munich<br />

en 1938, dénoncèrent, par voie <strong>de</strong> presse, la nouvelle <strong>de</strong> la signature du pacte germanosoviétique,<br />

en août 1939.»<br />

Michel Pinault est l’auteur <strong>de</strong> la biographie Frédéric Joliot-Curie parue aux éditions Odile Jacob .<br />

Michel Pinault


11 Aout 2010<br />

Guy Môquet « Je n’ai aucun regret, si ce n’est<br />

<strong>de</strong> vous quitter tous »<br />

Par Manon Ferrandi, étudiante en histoire 
à l’université <strong>de</strong> Nice.<br />

Désigné pour 
le peloton d’exécution par le ministre français Pucheu, 
ce jeune<br />

communiste meurt à dix-sept ans 
avec 26 autres otages à Châteaubriant.<br />

Guy Môquet a dix-sept ans quand il est interné<br />

dans le camp <strong>de</strong> Châteaubriant. Il est né à Paris en<br />

1924, a assisté à la victoire du Front populaire en<br />

1936. Il a alors douze ans et une idole : son père,<br />

Prosper, cheminot et député communiste du 17e<br />

arrondissement <strong>de</strong> Paris. Guy l’accompagne aux<br />

meetings, rejoint la Jeunesse communiste en 1938.<br />

Jusqu’au <strong>de</strong>rnier moment, l’adolescent le répétera :<br />

« Sache que j’ai fait <strong>de</strong> mon mieux pour suivre la<br />

voie que tu m’as tracée. »<br />

Il voit également le franquisme gagner l’Espagne et<br />

court accueillir les réfugiés à la gare <strong>de</strong> Lyon. Il<br />

organise pour eux un bal. Le 23 août 1939,<br />

signature du pacte germano-soviétique. La même<br />

année, le Parti communiste est interdit en France.<br />

Prosper est ainsi arrêté le 10 octobre 1939, déchu <strong>de</strong><br />

son mandat en février 1940 et interné en Algérie. Le<br />

dynamisme <strong>de</strong> Guy n’en est pourtant pas altéré, au contraire. Il quitte sa mère et son petit<br />

frère, réfugiés en Normandie, pour rejoindre Paris afin <strong>de</strong> « le remplacer ». Il organise les<br />

Jeunesses communistes clan<strong>de</strong>stines du 17e arrondissement. Tout en pédalant, il lance <strong>de</strong>s<br />

tracts, attend la nuit pour écrire « libérez les emprisonnés » sur les murs. Au lycée Carnot, il<br />

joue du poing pour défendre ses camara<strong>de</strong>s juifs. Guy Môquet résiste. Ami <strong>de</strong> la poésie, il<br />

écrit <strong>de</strong>s vers en alexandrins au prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Assemblée, Édouard Herriot, pour obtenir la<br />

libération <strong>de</strong> son père. En ces temps <strong>de</strong> haine contre le communisme, il y clame son amour<br />

pour la patrie : « Je suis jeune Français, et j’aime ma patrie / J’ai un cœur <strong>de</strong> Français, qui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> et supplie / Qu’on lui ren<strong>de</strong> son père, lui qui a combattu / Pour notre belle France<br />

avec tant <strong>de</strong> vertu ».<br />

Les choses tournent mal le 13 octobre 1940. Guy est arrêté à la gare <strong>de</strong> l’Est. D’abord interné<br />

à la Santé puis à Fresnes, il est théoriquement acquitté en janvier 1941 mais maintenu en<br />

détention à Clairvaux puis enfin à Châteaubriant, près <strong>de</strong> Nantes. La police française tente<br />

<strong>de</strong> le forcer à avouer le nom <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> son père. L’adolescent résiste aux coups et ne lâche<br />

rien. Courageux, il répond même : « Ce sont les braves gens qui l’ont élu en 1936. »<br />

La vie continue tant bien que mal dans le camp. Malgré les barbelés et les barrières, Guy<br />

s’éprend d’O<strong>de</strong>tte, une belle jeune fille <strong>de</strong> dix-sept ans. Il raconte <strong>de</strong>s histoires, <strong>de</strong>s films,<br />

joue <strong>de</strong> l’harmonica. Passionné <strong>de</strong> foot, il entraîne l’équipe <strong>de</strong> jeunes. Rien n’entrave son<br />

enthousiasme. Accoudé aux barrières, il plaisante encore. Les événements le forcent à<br />

<strong>de</strong>venir un homme très tôt. Pourtant, ses mots gar<strong>de</strong>nt le goût <strong>de</strong> l’enfance.


Le 20 octobre 1941, bien loin <strong>de</strong> Guy, se déroule le fil <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin. Un officier allemand, le<br />

lieutenant-colonel Hotz, commandant <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> Nantes, est abattu. Le général<br />

Stülpnagel ordonne <strong>de</strong> fusiller cinquante otages. Pierre Pucheu, ministre <strong>de</strong> l’Intérieur 
<strong>de</strong><br />

Pétain, choisit vingt-sept internés <strong>de</strong> Châteaubriant. Tous sont liés 
à la CGT et au Parti<br />

communiste. Cinq d’entre eux ont négocié les accords <strong>de</strong> branches succédant aux accords<br />

Matignon. Charles Michels, Jean Poulmarch, Jean-Pierre Timbaud, Jules Vercruysse et<br />

Désiré Granet ont gagné les congés payés et ont permis l’instauration <strong>de</strong>s quarante heures…<br />

Quand il choisit son nom, Pucheu sait que Guy n’a que dix-sept ans. Le ministre veut<br />

terroriser la jeunesse, lui montrer que l’âge ne la protégera pas <strong>de</strong> la barbarie. Il voit<br />

également en Guy le fils d’un député communiste. 
Il s’agit d’un choix à la fois politique et<br />

stratégique.<br />

Quand il apprend sa mort imminente, Guy ne répond qu’un mot : « présent ». Présent et<br />

<strong>de</strong>bout. Il suit son bourreau sans tressaillir. Les vingt-sept sont rassemblés dans la baraque<br />

6. On leur donne <strong>de</strong>s enveloppes et du papier. C’est là que Guy écrit la lettre qui restera à<br />

jamais dans l’histoire. Ses <strong>de</strong>rnières pensées montrent toute la force <strong>de</strong> caractère <strong>de</strong> ce<br />

jeune homme fauché à la fleur <strong>de</strong> l’âge. Rien n’est capable <strong>de</strong> l’empêcher d’exprimer tout<br />

l’amour dont il est capable. En adolescent qu’il est, ses pensées vont à sa « petite maman<br />

chérie, (son) tout petit frère adoré, (son) petit papa aimé » qu’il « embrasse <strong>de</strong> tout (son)<br />

cœur d’enfant ». « Ce que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être<br />

courageuse (…) Courage ! (…) Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite <strong>de</strong> tout<br />

mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. (…) Je n’ai aucun regret, si ce n’est <strong>de</strong><br />

vous quitter tous. » Il écrit une <strong>de</strong>uxième lettre à sa « petite O<strong>de</strong>tte », <strong>de</strong>s paroles<br />

bouleversantes pour une jeune fille <strong>de</strong> dix-sept ans : « Je vais mourir avec vingt-six<br />

camara<strong>de</strong>s, nous sommes courageux. Ce que je regrette est <strong>de</strong> n’avoir pas eu ce que tu m’as<br />

promis. Mille grosses caresses <strong>de</strong> ton camara<strong>de</strong> qui t’aime. » La promesse d’« un patin »<br />

qu’il ne reçut jamais.<br />

Sa vie prend fin le 22 octobre 1941 dans une carrière. Il fait beau. Louis Aragon racontera<br />

l’exécution. Guy chante la Marseillaise avec ses camara<strong>de</strong>s, le Chant du départ et<br />

l’Internationale. Si en montant dans le camion, l’adolescent a une faiblesse bien<br />

compréhensible, le courage du jeune homme n’a, lors du transport, rien à envier à celui <strong>de</strong><br />

ses camara<strong>de</strong>s âgés <strong>de</strong> vingt et un à cinquante-huit ans. Tous veulent aller à la mort les<br />

mains libres et les yeux non bandés. Leurs <strong>de</strong>rniers cris sont : « Vive la France ! Vive l’URSS<br />

! Vive le Parti communiste ! » Guy s’évanouit. Ses bourreaux n’affronteront même pas son<br />

regard. Ils exécutent les martyrs en trois fournées. 15 h 55, 16 heures et 16 h 10. Guy meurt à<br />

16 heures.<br />

Manon Ferrandi


10 Aout 2010<br />

JACQUES CHABAN-DELMAS « Il vécut<br />

l’armistice comme la fin du mon<strong>de</strong> »<br />

PAR CHRISTINE LEVISSE-TOUZÉ (1)<br />

Avant d’accomplir une longue carrière politique dans le gaullisme, Chaban figura parmi<br />

les acteurs <strong>de</strong> la reddition alleman<strong>de</strong>, à Paris.<br />

Né à Paris en 1915, il est éduqué au sein d’une<br />

famille <strong>de</strong> la petite bourgeoisie dans l’amour <strong>de</strong><br />

la patrie. Jacques Delmas collabore au journal<br />

l’Information économique et financière, <strong>de</strong><br />

tendance radicale, tout en poursuivant <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> droit et en obtenant un diplôme <strong>de</strong><br />

sciences politiques. Appelé en juin 1938, il<br />

intègre le bataillon <strong>de</strong>s élèves officiers <strong>de</strong><br />

réserve puis choisit Saint-Cyr parce qu’il donne<br />

priorité à sa vie <strong>de</strong> famille. Marié en avril 1939,<br />

il est sous-lieutenant au 7e bataillon alpin <strong>de</strong><br />

forteresse, à Peira-Cava, près <strong>de</strong> Nice, durant<br />

toute la campagne <strong>de</strong> France ; sa femme, qui a<br />

pu s’installer à proximité, donne naissance à<br />

leur premier enfant. Il vit la nouvelle <strong>de</strong><br />

l’armistice comme une fin du mon<strong>de</strong> et fon<strong>de</strong><br />

ses espoirs sur la Gran<strong>de</strong>-Bretagne. Le spectacle<br />

<strong>de</strong> Paris occupé lui est insupportable. Il<br />

manifeste une volonté <strong>de</strong> revanche qu’il libère<br />

en rejoignant le groupe du colonel Groussard,<br />

son ancien instructeur à Saint-Cyr. Par ce<br />

<strong>de</strong>rnier, il est mis en contact avec le colonel<br />

Heurteaux, chef du réseau Hector. Spécialisé dans le renseignement sur l’industrie, il<br />

intègre le ministère <strong>de</strong> la Production industrielle pour mieux renseigner. Fin 1941, il entre à<br />

l’inspection <strong>de</strong>s finances. Fin 1942, il informe le BCRA à Londres du démantèlement du<br />

réseau Hector et adopte alors le pseudonyme <strong>de</strong> Chaban, nom d’un château près <strong>de</strong><br />

Moustier, en Dordogne. Chargé <strong>de</strong> remédier au besoin <strong>de</strong> financement <strong>de</strong> la Résistance, il<br />

participe à la mise sur pied, en 1943, du Cofi, avec Pierre <strong>de</strong> Bénouville, François Bloch-<br />

Lainé et Michel Debré, et <strong>de</strong>vient le conseiller financier du délégué militaire national. En<br />

octobre, il <strong>de</strong>vient l’adjoint d’André Bouloche, délégué militaire <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Paris. À la<br />

suite d’arrestations, Louis Mangin, délégué militaire en Zone- Nord doit gagner Alger et<br />

Chaban assure l’intérim <strong>de</strong> la zone correspondant à l’ancienne zone occupée. Un problème<br />

se pose cependant : il n’est pas militaire <strong>de</strong> carrière et son <strong>de</strong>rnier gra<strong>de</strong> dans l’armée est<br />

celui <strong>de</strong> souslieutenant. Or le général <strong>de</strong> Gaulle exige que le délégué militaire national soit<br />

général pour traiter à égalité avec les membres <strong>de</strong> l’Organisation <strong>de</strong> résistance <strong>de</strong> l’armée<br />

(ORA) et les chefs militaires <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> résistance. Un message <strong>de</strong> Radio Alger, le<br />

1er mai 1944, résout le problème: « Arc (autre pseudonyme <strong>de</strong> Chaban) est nommé général<br />

<strong>de</strong> briga<strong>de</strong> et chevalier <strong>de</strong> la Légion d’honneur. Il est chargé <strong>de</strong> l’intérim du délégué


militaire national. » Le colonel Ely, envoyé par le Comité français <strong>de</strong> la libération nationale<br />

d’Alger pour prendre les fonctions <strong>de</strong> délégué militaire national en titre pour coordonner<br />

l’insurrection, jugeant sa propre connaissance du terrain et <strong>de</strong>s hommes insuffisante,<br />

propose le maintien <strong>de</strong> Chaban. Il le juge l’homme <strong>de</strong> la situation, en dépit <strong>de</strong> son jeune âge,<br />

il a alors vingt-neuf ans, et se met à son service. Un ordre d’Alger confirme Chaban dans ses<br />

fonctions d’adjoint militaire du délégué général, Alexandre Parodi, représentant le<br />

gouvernement provisoire <strong>de</strong> la République française à Paris. Général sans troupe, il se<br />

heurte à la dualité <strong>de</strong>s pouvoirs, le Comité d’action militaire (Comac) créé par le Conseil<br />

national <strong>de</strong> la Résistance voulant déclencher l’action au plus vite et coordonner les<br />

opérations militaires. Pour éviter l’hécatombe, en raison du manque d’armes <strong>de</strong>s résistants,<br />

l’insurrection ne doit pas être déclenchée trop tôt et il prône la synchronisation avec<br />

l’arrivée <strong>de</strong>s troupes alliées. Début août, il fait un bref aller-retour à Londres pour informer<br />

le général Koenig, commandant les Forces françaises <strong>de</strong> l’intérieur, <strong>de</strong> la montée <strong>de</strong><br />

l’insurrection et <strong>de</strong> l’urgence <strong>de</strong> l’envoi à Paris <strong>de</strong>s troupes alliées. Il faut convaincre le<br />

général Eisenhower qui envisage <strong>de</strong> contourner la capitale car elle n’est pas un objectif<br />

stratégique. De retour <strong>de</strong> Londres le 16 août, il est porteur d’instructions <strong>de</strong> Koenig : « pas<br />

d’insurrection sans ordre ». Mais la situation a changé et les événements se sont précipités :<br />

« Paris était mûr pour un grand soulèvement », confiera Alexandre Parodi, vingt ans plus<br />

tard, à un journaliste et le mouvement insurrectionnel ne peut plus être freiné. C’est<br />

pourquoi le colonel Rol- Tanguy, commandant les FFI d’Île-<strong>de</strong>- France, avait décrété, le 18<br />

août, l’ordre <strong>de</strong> mobilisation générale apposé sur les murs <strong>de</strong> la capitale. Le 19,<br />

l’insurrection entre dans sa phase active, avec la prise <strong>de</strong> la préfecture <strong>de</strong> police. Inquiet,<br />

Chaban alerte <strong>de</strong> nouveau Koenig : « Mon impression personnelle est que l’ambiance est<br />

très lour<strong>de</strong> et qu’il serait nécessaire que vous interveniez pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’occupation<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Paris. Si c’est impossible, il serait urgent : primo, <strong>de</strong> nous prévenir pour les<br />

consignes à donner, secundo, d’avertir la population <strong>de</strong> façon nette par la BBC d’un nouveau<br />

Varsovie. Quartus (Parodi) et Algèbre (colonel Ely) sont d’accord avec moi. » Il considère «<br />

que l’action extérieure est essentielle et que l’action intérieure doit lui être subordonnée ». Il<br />

est favorable, avec Parodi, à la trêve parce qu’elle fait gagner du temps. Le 22, il se rend à<br />

l’avis général <strong>de</strong> reprise <strong>de</strong>s combats pour ne pas compromettre l’unité <strong>de</strong> la résistance et<br />

installe son PC à la préfecture <strong>de</strong> police, où se trouve le préfet <strong>de</strong> police, Charles Luizet,<br />

<strong>de</strong>puis le 19. Du 23 au 25 août, jusqu’à l’arrivée du gros <strong>de</strong> la 2e DB, le rôle essentiel <strong>de</strong><br />

Chaban est <strong>de</strong> renseigner le général Leclerc sur les forces ennemies et les itinéraires à<br />

emprunter. Le 25, Chaban accueille le chef <strong>de</strong> la 2e DB un peu au sud <strong>de</strong> la porte d’Orléans<br />

et gui<strong>de</strong> Leclerc à bord <strong>de</strong> son command car. Il intervient avec Maurice Kriegel-Valrimont<br />

en faveur <strong>de</strong> Rol-Tanguy pour qu’il signe un <strong>de</strong>s exemplaires <strong>de</strong> la convention <strong>de</strong> reddition<br />

au PC <strong>de</strong> Leclerc, à la gare Montparnasse. De Gaulle interpelle sur ce point Leclerc un peu<br />

plus tard. Chaban reconnaît sa responsabilité. Étonné par sa jeunesse, <strong>de</strong> Gaulle le gratifie<br />

d’un : « Bravo Chaban ! » Fait Compagnon <strong>de</strong> la Libération, il mène ensuite une carrière<br />

politique marquée par le gaullisme. Maire <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> 1947 à 1991, il a été premier<br />

ministre <strong>de</strong> Georges Pompidou (1969-1972) et prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Assemblée nationale, <strong>de</strong> 1958 à<br />

1969. Il décè<strong>de</strong> le 10 novembre 2000.<br />

(1) Directrice du Mémorial du Maréchal-Leclerc<strong>de</strong>- Hauteclocque et <strong>de</strong> la Libération <strong>de</strong><br />

Paris et du Musée Jean-Moulin (Ville <strong>de</strong> Paris), directrice <strong>de</strong> recherche associée à<br />

Montpellier-III.


Orientation bibliographique : Mémoires pour <strong>de</strong>main, Chaban-Delmas, Flammarion,<br />

1997, L’Ar<strong>de</strong>ur, Éditions Stock, 1975. Jacques Chaban-Delmas, août 1944, délégué militaire<br />

national, <strong>de</strong> Christine Levisse-Touzé, dans Armées d’aujourd’hui nº 190, 1994, et<br />

Dictionnaire historique <strong>de</strong> la Résistance (direction François Marcot, avec la collaboration<br />

<strong>de</strong> Bruno Leroux et Christine Levisse-Touzé), collection « Bouquins », Robert Laffont,<br />

2006.<br />

CHRISTINE LEVISSE-TOUZÉ


9 Aout 2010<br />

Max Barel. Polytechnicien, communiste<br />

résistant, martyr<br />

Par Philippe Jérôme, journaliste<br />

Arrêté en juillet 1944, Max Barel a été torturé à mort à Lyon par Klaus Barbie et <strong>de</strong>ux<br />

auxiliaires français <strong>de</strong> la Gestapo. Son père, le député communiste niçois Virgile Barel,<br />

n’aura <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> faire condamner les bourreaux <strong>de</strong> celui qui luttait pour une France où «<br />

l’honnêteté 
sera exigée <strong>de</strong> tous, 
la liberté égale 
pour tous et la justice garantie à tous».<br />

« Il fut torturé <strong>de</strong> toutes les façons possibles. Il<br />

fut tour à tour flagellé jusqu’au sang ; ce<br />

traitement n’ayant pas donné <strong>de</strong> résultat, il fut<br />

baigné dans l’eau glacée ; pendant ce traitement<br />

il tenta <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r <strong>de</strong> différentes façons ; ceci<br />

n’ayant pas donné <strong>de</strong> résultat il fut mis dans<br />

une baignoire et arrosé d’eau bouillante ce qui<br />

occasionna <strong>de</strong>s brûlures du 2e et 3e <strong>de</strong>gré ; cela<br />

a été fait par l’Oberstumpführer 
Barbie,<br />

commandant du SD. » C’est ainsi que, <strong>de</strong> l’aveu<br />

même <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong> ses bourreaux français<br />

griffonné sur une feuille <strong>de</strong> carnet, est mort, à<br />

tout juste trente et un ans, Max Barel,<br />

vraisemblablement le 12 juillet 1944, dans une<br />

cave <strong>de</strong> la place Bellecour, à Lyon. Selon Marcel<br />

Cachin, qui avait été invité à donner une<br />

conférence <strong>de</strong>vant le cercle d’étu<strong>de</strong>s marxistes<br />

créé à l’École polytechnique en 1934 : « Il est<br />

vraiment la préfiguration <strong>de</strong> ce que pourra<br />

donner la jeunesse dans l’avenir. » Et lorsque la<br />

mort <strong>de</strong> Max, dont le corps ne fut jamais<br />

retrouvé, aura été confirmée, l’emblématique directeur <strong>de</strong> l’Humanité adressera à son ami<br />

proche, le député communiste Virgile Barel, un message dans lequel il le remerciait «<br />

d’avoir donné à notre parti l’héritage d’une telle existence et un exemple impérissable ».<br />

Élu à Nice en 1936, l’instituteur Virgile Barel était monté au front en 1914, « précisément le<br />

jour où Max a marché tout seul » comme le racontera son épouse Françoise. Vingt-six ans<br />

plus tard, c’est au tour <strong>de</strong> Max <strong>de</strong> partir à la guerre. Comme tout X qui respecte son<br />

engagement décennal, il est lieutenant (d’artillerie). Il se bat héroïquement et est fait<br />

prisonnier trois fois, il s’échappe tout autant pour finir, le 25 juin 1940, par rallier Lyon.<br />

Pendant ce temps, son père est… emprisonné à la Santé. Car Virgile Barel a été arrêté en<br />

octobre 1939 puis condamné à cinq ans d’emprisonnement pour « reconstitution <strong>de</strong> ligue<br />

dissoute » (le <strong>PCF</strong> interdit). Max ne pourra le voir brièvement qu’une fois, le 27 avril 1940,<br />

avant son transfert vers le bagne <strong>de</strong> Maison-Carrée, à Alger. « C’était humiliant <strong>de</strong> voir à<br />

travers <strong>de</strong>s barreaux grillagés mon fils me montrant sa petite fille et m’encourageant », se<br />

souviendra douloureusement le futur doyen <strong>de</strong> l’assemblée nationale, à qui Max réussit à<br />

faire parvenir une missive pour lui annoncer qu’il venait <strong>de</strong> se voir décerner la croix <strong>de</strong><br />

guerre.


Nous sommes en mars 1941 et cet « officier d’une rare énergie » vient <strong>de</strong> retourner à la vie<br />

civile car il refuse <strong>de</strong> prêter serment à Pétain. Père <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux enfants – un petit Jean est né en<br />

1939 après Annette en 1937 –, il doit se remettre aux étu<strong>de</strong>s à l’Institut électrotechnique <strong>de</strong><br />

Grenoble, d’où il sort major <strong>de</strong> sa promo en juillet 1941. Il est aussitôt embauché aux<br />

ateliers <strong>de</strong> constructions électriques Delle <strong>de</strong> Villeurbanne et, selon ceux qui l’ont connu à<br />

l’époque, il est déjà entré en résistance. Tout du moins dans l’opposition politique au<br />

pétainisme, contre lequel il distribue <strong>de</strong>s tracts.<br />

Chez Delle, le jeune ingénieur monte rapi<strong>de</strong>ment en gra<strong>de</strong> jusqu’à <strong>de</strong>venir, en novembre<br />

1943, directeur adjoint <strong>de</strong>s fabrications. Un poste stratégique qui va lui permettre, comme<br />

le révélera après-guerre Georges Marranne, du comité directeur du Front national pour la<br />

zone Sud, <strong>de</strong> faire fabriquer <strong>de</strong>s grena<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s explosifs pour les maquis. Il est aussi<br />

l’inventeur d’une arme redoutable : le crève-pneu <strong>de</strong> camion. Mais son apport principal à la<br />

Résistance est <strong>de</strong> participer à la création <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s cadres industriels <strong>de</strong> la France<br />

combattante (UCIFC). Le principal objectif <strong>de</strong> ces ingénieurs et techniciens antifascistes est<br />

<strong>de</strong> freiner, voire <strong>de</strong> saboter, toute production qui pourrait servir l’occupant.<br />

Mais alors que le vent <strong>de</strong> la guerre est en train <strong>de</strong> tourner en faveur <strong>de</strong>s Soviétiques après<br />

Stalingrad et <strong>de</strong>s Anglo-Américains qui débarquent en Afrique du Nord en 1942, libérant du<br />

même coup Virgile Barel et ses collègues, la chasse aux communistes s’intensifie dans la<br />

France que les nazis occupent dès lors entièrement. Le fils du chef adjoint <strong>de</strong> cabinet du<br />

communiste François Billoux, ministre du gouvernement d’Alger, est une cible <strong>de</strong> choix !<br />

C’est ainsi que Max Barel manque <strong>de</strong> peu d’être arrêté à son domicile <strong>de</strong> Villeurbanne, à<br />

Pâques 1944. Il plonge alors dans la clan<strong>de</strong>stinité sous le pseudo <strong>de</strong> Savoy, intensifiant lui<br />

aussi son activité, notamment en ciblant la manufacture d’armes <strong>de</strong> Saint-Étienne où, avec<br />

son camara<strong>de</strong> Gustave Lau<strong>de</strong>t, directeur adjoint <strong>de</strong> la « Manu », il travaille à mettre sur<br />

pied une milice patriotique <strong>de</strong> 300 hommes.<br />

« La <strong>de</strong>rnière fois que j’ai vu mon père, j’avais cinq ans, c’était pour mon anniversaire, le 26<br />

juin », racontera Jean. Le 11 juillet, Savoy n’est pas au ren<strong>de</strong>z-vous hebdomadaire avec son<br />

contact stéphanois. Il agonise entre les mains <strong>de</strong> Barbie. Le 15 juin précé<strong>de</strong>nt, il avait<br />

participé à la rédaction d’un appel au combat contre les nazis lancé par l’UCIFC, pour une<br />

France « où l’honnêteté sera exigée <strong>de</strong> tous, la liberté égale pour tous et la justice garantie à<br />

tous ». Mais le 6 juillet 1944, porteur <strong>de</strong> faux papiers, Max Barel est arrêté sur un quai <strong>de</strong> la<br />

gare <strong>de</strong> Lyon-Perrache par <strong>de</strong>ux miliciens. Il est aussitôt emmené au siège <strong>de</strong> la Gestapo.<br />

Atrocement torturé pendant quatre jours et cinq nuits au quatrième étage <strong>de</strong> l’hôtel<br />

Terminus, il ne parle pas. Ses bourreaux s’appellent Barbie mais aussi Payot et Moine,<br />

entrés au service <strong>de</strong> la Gestapo. Les <strong>de</strong>ux traîtres seront condamnés à mort puis graciés au<br />

début <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong>. Quant à Barbie, on sait aujourd’hui quelles furent ses protections<br />

et sa fin misérable.<br />

Il n’y aurait pas eu <strong>de</strong> « procès Barbie » sans le combat que mena jusqu’à son <strong>de</strong>rnier souffle<br />

Virgile Barel pour que justice soit faite. Pas seulement pour son fils mais pour toute une<br />

génération fracassée que Pablo Picasso a génialement représentée sous les traits à la fois<br />

doux et énergiques d’un Max Barel, jeune homme au large front intelligent et aux grands<br />

yeux étonnés.<br />

Philippe Jérôme


6 Aout 2010<br />

O<strong>de</strong>tte Nilès : La mémoire <strong>de</strong> Châteaubriant<br />

O<strong>de</strong>tte Nilès, un nom à jamais associé à celui <strong>de</strong> Guy Môquet. Arrêtée en 1941, elle est<br />

internée au camp <strong>de</strong> Châteaubriant où elle rencontre Guy Môquet. Ils ont dix- sept ans.<br />

Le chemin paraît tracé pour O<strong>de</strong>tte, qui admire son père, l’antimunichois, arrêté en 1940 et<br />

dont la mère, «seule à faire bouillir la marmite», assure le quotidien par <strong>de</strong> multiples petits<br />

emplois. Cette même année, elle entre aux Jeunesses communistes à quinze ans, décidée à<br />

sensibiliser les jeunes à la lutte contre l’occupant. Pas si facile que cela, dans une France<br />

effondrée, <strong>de</strong>s familles disloquées par la guerre et <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> vie assez rigi<strong>de</strong>s. « Mais la<br />

Résistance, encore embryonnaire, était faite d’actions multiples. Distribution <strong>de</strong> tracts,<br />

lâchage <strong>de</strong> papillons dans les salles <strong>de</strong> cinéma, transport <strong>de</strong> documents, communication <strong>de</strong><br />

messages, tout était bon pour alerter la population.» Le 14 juillet 1941, lors d’une<br />

manifestation où se trouve André Leroy, responsable <strong>de</strong>s JC, les choses tournent mal. «Les<br />

Allemands ont commencé à nous donner la chasse et à ouvrir le feu. » Elle échappe <strong>de</strong> peu à<br />

l’arrestation. Le 13 août 1941, elle participe à une autre manifestation où <strong>de</strong>vait venir<br />

Danielle Casanova, pourtant clan<strong>de</strong>stine. Mais l’heure tourne, tourne, chaque minute<br />

compte pour la sécurité, et Danielle n’est pas là, par contre la police, oui. Ils étaient dix-sept<br />

jeunes, elle la seule fille, ils sont tous arrêtés et présentés <strong>de</strong>vant une cour martiale<br />

alleman<strong>de</strong> qui prononce une condamnation à mort. Pour O<strong>de</strong>tte, ce sera le camp <strong>de</strong><br />

Châteaubriant, un camp d’otages, qui peuvent être fusillés à n’importe quel moment. Des<br />

baraques crasseuses, <strong>de</strong>s vermines, une mauvaise nourriture et <strong>de</strong>s grabats pour dormir,<br />

Châteaubriant est abominable. Mais c’est aussi la fraternité. Quand elles arrivent, <strong>de</strong> nuit, «<br />

les militants avaient récupéré <strong>de</strong>s boîtes <strong>de</strong> conserve, en avaient fait <strong>de</strong>s vases et installé <strong>de</strong>s<br />

marguerites ». Et si le dangereux Touya sévit, matraque à la main, il y règne aussi une<br />

organisation assez disciplinée, avec <strong>de</strong> nombreuses activités, dont Jean-Pierre Timbaud a<br />

pris l’initiative. Auguste Delaune, le sportif, Charles Michels, le boxeur, et bien d’autres<br />

animent la vie du camp, assurant <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> français, d’anglais, <strong>de</strong> couture pour «vaincre<br />

l’oisiveté. Une barrière <strong>de</strong> pieux en bois <strong>de</strong> châtaignier et un mètre <strong>de</strong> barbelés séparaient<br />

les hommes et les femmes. Dès le len<strong>de</strong>main, tous les gars étaient sortis, une trentaine <strong>de</strong><br />

jeunes, dont une vingtaine venant <strong>de</strong> Drancy que je connaissais. Nous avions tous moins <strong>de</strong><br />

vingt ans». Et ce fut la rencontre avec Guy Môquet, convivial, « mon amour <strong>de</strong> jeunesse, et<br />

ses camara<strong>de</strong>s Roger Semap et Rino Scolari. Il me plut par sa joie <strong>de</strong> vivre, il avait milité


comme moi très jeune et, en plus, il écrivait <strong>de</strong>s poèmes et <strong>de</strong>s textes ironiques ». Ils se<br />

rencontrent régulièrement à la barrière, parlent, discutent, se racontent leurs familles, se<br />

font <strong>de</strong>s confi<strong>de</strong>nces, les mois s’écoulent et leurs sentiments s’aiguisent. Guy, fougueux, lui<br />

arrache la promesse d’un baiser, elle y consent, mais quand ? « Je crois que j’ai eu le coup<br />

<strong>de</strong> foudre, le seul <strong>de</strong> ma vie.»<br />

Le 21 octobre 1941, Karl Hotz, un officier allemand <strong>de</strong> Nantes, est abattu. Châteaubriant<br />

doit payer le tribut exigé par les nazis. L’atmosphère du camp s’assombrit. Dans la baraque<br />

19, <strong>de</strong>s internés sont regroupés et Guy a confié à O<strong>de</strong>tte son inquiétu<strong>de</strong>. On connaît la suite.<br />

À 15 h 30, <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu trouent l’espace <strong>de</strong> la clairière <strong>de</strong> la Sablière et l’appel aux morts<br />

retentit. Vingt-sept noms défilent les uns après les autres… Môquet Guy… fusillé. O<strong>de</strong>tte et<br />

ses amies regagnent, désespérées, leur baraque. Sur le chemin, elle est alors interpellée par<br />

un gendarme qui lui dit à voix basse : «Tenez, Guy Môquet m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> vous donner<br />

une lettre, surtout, ne dites rien !» Sa première lettre d’amour, dans laquelle il lui rappelle la<br />

promesse du baiser… C’était le 22 octobre 1941. Le massacre <strong>de</strong> Châteaubriant allait<br />

marquer un tournant décisif, et le besoin d’agir pour rétablir les libertés s’en est trouvé<br />

renforcé. Un peu réservée, mais sûre d’elle, elle confie : « Après Châteaubriant, c’était<br />

terrible, je ne pouvais pas voir les Allemands et j’ai eu envie <strong>de</strong> tuer mes bourreaux. Ce qui<br />

m’a délivrée, c’est d’aller en Allemagne, à la Libération ; la misère était partout, les gens<br />

erraient dans la ville, c’était affreux ce que la guerre avait détruit. »<br />

Le sinistre tour <strong>de</strong>s camps, dont la France n’est pas avare, commence pour O<strong>de</strong>tte. Jusqu’en<br />

1944, elle va connaître Aincourt (Seine-et-Oise), Gaillon (Eure), Lalan<strong>de</strong> (Indre-et-Loire),<br />

Mérignac (Giron<strong>de</strong>). Aincourt, un ancien sanatorium, à peine moins sale que<br />

Châteaubriant, est tenu par le commissaire Andrey qui établit <strong>de</strong>s listes <strong>de</strong> meneurs<br />

utilisées pour les fusilla<strong>de</strong>s et les déportations. Beaucoup <strong>de</strong> femmes et d’enfants juifs y sont<br />

internés. «Puis un jour, les occupants sont venus chercher les femmes juives et les ont<br />

séparées brutalement <strong>de</strong> leurs enfants. Nous ne les avons pas revues.» En 1943, elle est<br />

transférée au camp <strong>de</strong> Gaillon, un lieu infect où <strong>de</strong>s rats courent partout sur <strong>de</strong>s paillasses<br />

immon<strong>de</strong>s. Les femmes, révoltées, flanquent les paillasses <strong>de</strong>hors. Six mois après, O<strong>de</strong>tte<br />

est emmenée au camp <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong>, où la brutalité ordinaire <strong>de</strong>s matons et <strong>de</strong>s matonnes le<br />

dispute à la nourriture infecte. Là encore, elle prend la tête d’une manifestation avec ses<br />

camara<strong>de</strong>s, et toutes les femmes se rebellent, renversent leurs gamelles. Otages, oui, mais<br />

dans la dignité. Les représailles sont immédiates, et le len<strong>de</strong>main, O<strong>de</strong>tte est déplacée avec<br />

ses camara<strong>de</strong>s au camp <strong>de</strong> Mérignac, où beaucoup <strong>de</strong> juifs sont incarcérés et évacués vers le<br />

camp <strong>de</strong> Drancy et en Allemagne. En 1944, dans le désordre qui commence à l’approche <strong>de</strong><br />

la Libération, elle s’éva<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>ux amies, ne sachant où aller. « Nous avons rencontré une<br />

vieille dame qui nous a dirigées chez la famille Durroux à Bègles. Puis, on m’a expédiée à<br />

Bor<strong>de</strong>aux à l’Hôtel <strong>de</strong> Normandie où se trouvaient <strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s FTP. » Elle y rencontre<br />

son futur mari, Maurice Nilès, résistant communiste chargé <strong>de</strong> la région Sud-Ouest, maire<br />

<strong>de</strong> Drancy <strong>de</strong> 1959 à 1997 et député <strong>de</strong> 1958 à 1986. Elle était entrée adolescente à<br />

Châteaubriant, elle a vingt ans et c’est une jeune femme. O<strong>de</strong>tte Nilès, prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong><br />

l’Amicale <strong>de</strong> Châteaubriant, qui, à quatre-vingt-sept ans, transmet inlassablement l’histoire<br />

<strong>de</strong> la Résistance et celle <strong>de</strong> Guy Môquet, en particulier dans les établissements scolaires. «<br />

Notre amicale s’attache surtout à cultiver une mémoire non pas recroquevillée sur le passé,<br />

mais porteuse <strong>de</strong>s valeurs indispensables pour la citoyenneté d’aujourd’hui, génératrice<br />

d’espérances d’un autre mon<strong>de</strong> pour l’avenir. » Une femme mémoire.<br />

Monique Houssin, journaliste, écrivain


5 Aout 2010<br />

Jacqueline Pery d’Alincourt.<br />

Le courage et la grâce<br />

Par François Berriot, professeur d'Université<br />

Issue d’une famille chrétienne et patriote, Jacqueline Pery d’Alincourt entre en résistance<br />

dès le début <strong>de</strong> la guerre, <strong>de</strong> façon individuelle puis organisée dans un groupe du Comité<br />

National Français <strong>de</strong> Londres. « Co<strong>de</strong>use » et agent <strong>de</strong> liaison, elle travaillera au sein <strong>de</strong> la<br />

Délégation Générale dirigée par Jean Moulin, avant d’être déportée 
à Ravensbrück.<br />

Jacqueline Pery d’Alincourt naît (<strong>de</strong> la<br />

Rochebrochard) en décembre 1919, au sein<br />

d’une très vieille famille <strong>de</strong> l’ouest <strong>de</strong> la France,<br />

chrétienne et patriote. À peine préadolescente,<br />

elle perd son père et, aînée <strong>de</strong> sept orphelins,<br />

elle comprend qu’elle <strong>de</strong>vra gagner sa vie, ce<br />

qu’elle fera bientôt comme enseignante. En<br />

septembre 1939, la veille du jour <strong>de</strong> la<br />

déclaration <strong>de</strong> guerre, elle épouse le jeune souslieutenant<br />

Joseph d’Alincourt, mais le couple<br />

doit se séparer dès le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong>s noces car<br />

Joseph est fait prisonnier et conduit en<br />

Allemagne où il mourra neuf mois plus tard.<br />

Le 17 juin 1940, Jacqueline entend avec stupeur<br />

le discours du maréchal Pétain, qui se prépare à<br />

livrer la France vaincue à la violence <strong>de</strong><br />

l’Allemagne nazie. Jacqueline prend sa décision<br />

immédiatement : à <strong>de</strong>ux pas <strong>de</strong> la ligne <strong>de</strong><br />

démarcation, sur les rives <strong>de</strong> l’Allier, elle ai<strong>de</strong><br />

les soldats sénégalais <strong>de</strong> l’armée française –<br />

ceux-là mêmes dont le préfet Jean Moulin, à<br />

Chartres, a défendu l’honneur – à échapper à l’encerclement allemand. Revenue dans sa<br />

famille, après la débâcle, elle organise, dès l’automne 1940, sa propre « résistance » : en<br />

compagnie <strong>de</strong> ses sœurs ca<strong>de</strong>ttes, très tôt le matin, elle parcourt les rues <strong>de</strong> Poitiers pour<br />

lacérer les affiches antisémites et anti-anglaises. Puis, en mars 1941, elle rencontre, pour la<br />

première fois, Geneviève <strong>de</strong> Gaulle, la nièce du général : Jacqueline quitte sa famille pour<br />

venir, à Paris, ai<strong>de</strong>r ceux qui souffrent <strong>de</strong> l’occupation. La voici dans le milieu <strong>de</strong>s groupes<br />

<strong>de</strong> réflexion catholiques où elle effraie les bien-pensants par la vigueur <strong>de</strong> ses propos<br />

patriotiques et antinazis. Durant l’été 1942, elle fait la connaissance du théologien Yves <strong>de</strong><br />

Montcheuil (le rédacteur <strong>de</strong> Témoignage chrétien qui sera fusillé en juillet 1944), et elle<br />

entre enfin en contact avec un groupe <strong>de</strong> résistance organisé militairement et dépendant du<br />

Comité national français <strong>de</strong> Londres, du général <strong>de</strong> Gaulle donc : dans un premier temps,<br />

elle travaille pour le bureau central <strong>de</strong> renseignements et d’action sous les ordres <strong>de</strong><br />

l’officier Jean Ayral ; elle est « co<strong>de</strong>use », puis agent <strong>de</strong> liaison. En avril 1943, Jean Ayral est<br />

arrêté et Jacqueline est placée sous la responsabilité <strong>de</strong> Daniel Cordier, au sein <strong>de</strong> la<br />

délégation générale que dirige Jean Moulin et qui prépare la création du Conseil national <strong>de</strong>


la Résistance (CNR). De Pâques à l’automne 1943, les jeunes gens vivent follement l’action<br />

clan<strong>de</strong>stine, risquant chaque jour l’arrestation, la torture, l’assassinat. Mais l’aventure<br />

s’achève brutalement, fin septembre 1943, avec le coup <strong>de</strong> filet <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong> la Pompe.<br />

Durant cinq jours et cinq nuits, Jacqueline est aux mains <strong>de</strong> la Gestapo, rue <strong>de</strong>s Saussaies.<br />

Hurlements, tentatives <strong>de</strong> séduction (grâce à un concerto <strong>de</strong> Bach !), coups sur la poitrine et<br />

sur la tête, brûlures <strong>de</strong> cigarettes, et surtout chantage : « Vous ne voulez rien nous dire,<br />

mais quand nous aurons arrêté votre mère et que nous la battrons <strong>de</strong>vant vous, vous<br />

parlerez ! » La réponse <strong>de</strong> Jacqueline est inspirée par son éducation chrétienne : « Si je<br />

parlais, ma mère me réprouverait comme le fit la mère <strong>de</strong>s Macchabées ! » Suivent douze<br />

mois à Fresnes, avec <strong>de</strong> nouveaux interrogatoires et <strong>de</strong>s menaces d’exécution capitale.<br />

Le 17 avril 1944, elle part pour l’inconnu. Au long cauchemar du voyage dans les wagons à<br />

bestiaux succè<strong>de</strong> l’arrivée hallucinante à Ravensbruck. Le camp, c’est d’abord la promiscuité<br />

extrême, la violence, la faim, le froid, le travail forcé, et surtout le compagnonnage<br />

permanent avec la mort, le spectacle dantesque <strong>de</strong>s cadavres jetés hors <strong>de</strong>s blocks au petit<br />

matin ou la cheminée du crématoire que Surhen, le commandant SS, montre avec un rire<br />

obscène. C’est aussi la déchéance et ses tentations auxquelles il faut résister à tous les<br />

instants, par la solidarité entre femmes, par un effort <strong>de</strong> lucidité intellectuelle, par la prière,<br />

le chant, or Jacqueline, qui a une voix merveilleuse, ai<strong>de</strong> souvent ainsi ses camara<strong>de</strong>s. C’est<br />

enfin la rencontre avec d’autres femmes qui vont marquer l’existence entière : Margaret<br />

Büber-Neumann, la communiste alleman<strong>de</strong> qui révèle à ses compagnes l’existence du<br />

goulag ; Germaine Tillion, l’ethnologue qui démonte scientifiquement les mécanismes du<br />

système concentrationnaire ; Geneviève <strong>de</strong> Gaulle, qui partage l’atelier et le châlit <strong>de</strong><br />

Jacqueline ; Anise Postel-Vinay, l’autre « sœur en Résistance ».<br />

À la fin avril 1945, Himmler, sentant l’imminence du dénouement et espérant vainement<br />

susciter pour lui-même la bienveillance <strong>de</strong>s Américains, consent à livrer, à la Croix-Rouge<br />

suédoise, Jacqueline, absolument épuisée, et le groupe <strong>de</strong>s Françaises. Quand elle retrouve<br />

Paris puis ses proches, à l’automne 1945, elle croit que la vie va pouvoir reprendre son<br />

cours, mais elle mesure encore mal les conséquences <strong>de</strong> la déportation. Elle épouse Pierre<br />

Pery, un compagnon <strong>de</strong> son réseau <strong>de</strong> la délégation générale, arrêté puis déporté comme<br />

elle.<br />

À partir <strong>de</strong> 1985, Jacqueline consacre la <strong>de</strong>rnière partie <strong>de</strong> sa vie à la « mémoire » en France<br />

et à l’étranger, dans les maisons <strong>de</strong> quartier, les établissements scolaires, les comités<br />

d’entreprise, les associations. En 2006, elle rédige un livre <strong>de</strong> souvenirs (Témoignages sur la<br />

Résistance et la déportation, Paris, L’Harmattan, 2008), et son ultime sortie publique est<br />

dédiée à cet ouvrage, à l’occasion d’une rencontre organisée par les Amis <strong>de</strong> la Fondation<br />

Charles-<strong>de</strong>-Gaulle. Ce soir-là, toujours belle malgré la maladie, elle vient redire les paroles<br />

d’adieu adressées à ses compagnes, fin avril 1945, par Lola, une vieille déportée <strong>de</strong><br />

Ravensbruck trop détruite physiquement pour que les SS la laissent sortir du camp <strong>de</strong>vant<br />

la presse internationale et qu’ils préférèrent jeter à la chambre à gaz : « Dites-le au mon<strong>de</strong> !<br />

» Jacqueline aura répété ce cri, fidèlement jusqu’à son <strong>de</strong>rnier souffle, au printemps 2009.<br />

François Berriot


4 Aout 2010<br />

Henri Frenay « L’inventeur » <strong>de</strong> la Résistance<br />

Par Roger Belot (*)<br />

Le 27 juin 1940, lorsqu’il s’éva<strong>de</strong> après avoir été fait prisonnier dans les Vosges, le<br />

capitaine Henri Frenay a trente-cinq ans et n’est guère connu hors 
du milieu militaire.<br />

Deux ans après, 
il est à la tête du plus important mouvement <strong>de</strong> résistance avant <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir ministre 
à la Libération.<br />

Né en 1903 dans une famille catholique, patriote et austère, le jeune Frenay n’a d’autre<br />

ambition que <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir officier, comme son père, combattant <strong>de</strong> la Première Guerre, et<br />

comme son frère. Après Saint-Cyr, il commence une carrière exemplaire, qui le conduit en<br />

Syrie, en Rhénanie, dans les Alpes et où il se révèle un jeune officier audacieux et<br />

indépendant. Ses qualités, rehaussées par un physique avantageux, expliquent l’ascendant<br />

qu’il exerce sur ses hommes. Il entre à l’École supérieure <strong>de</strong> guerre en 1935. Cette même<br />

année, il fait une rencontre exceptionnelle, celle <strong>de</strong> Berty Albrecht, qui bouleverse sa vie.<br />

Cette femme proche <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme et du Parti communiste est alors<br />

engagée dans le combat féministe et antifasciste, et c’est tout naturellement qu’elle accueille<br />

chez elle les premiers bannis <strong>de</strong> Hitler. Henri Frenay découvre alors la réalité <strong>de</strong> la menace<br />

nazie, qui est plus qu’un avatar du pangermanisme. Il déci<strong>de</strong> ainsi <strong>de</strong> partir pour<br />

Strasbourg, au Centre d’étu<strong>de</strong>s germaniques (1937-1938), pour approfondir sa connaissance<br />

<strong>de</strong> l’Allemagne et <strong>de</strong> l’Europe.<br />

À l’été 1940, le capitaine Frenay, l’un <strong>de</strong>s officiers français les mieux informés du péril nazi,<br />

pressent que la défaite <strong>de</strong>s armes peut prélu<strong>de</strong>r à la défaite <strong>de</strong>s âmes. Aussi déci<strong>de</strong>-t-il,<br />

malgré le découragement ambiant, <strong>de</strong> préparer les moyens <strong>de</strong> forger l’arme <strong>de</strong> la revanche.<br />

Ce projet n’est pas initialement conçu en opposition à Pétain et à Vichy. Affecté au<br />

Deuxième Bureau, Frenay est persuadé qu’il lui faut dire et faire « ce que le Maréchal ne<br />

peut ni dire ni faire ». Le manifeste <strong>de</strong> son Mouvement <strong>de</strong> libération nationale (automne<br />

1940) se termine par une phrase qui fera scandale lorsqu’elle sera révélée à la fin <strong>de</strong>s années<br />

1980 : « Puisse le Maréchal vivre suffisamment longtemps pour assister au couronnement<br />

<strong>de</strong> notre œuvre. » Mais le 24 janvier 1941, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un congé d’armistice, expliquant au<br />

ministre <strong>de</strong> la Guerre que « la confiance » qu’il avait dans le comman<strong>de</strong>ment « a disparu »,<br />

avouant sa « déception profon<strong>de</strong> et douloureuse ».<br />

Il rejoint alors Lyon, ville <strong>de</strong> sa naissance, pour <strong>de</strong>venir un clan<strong>de</strong>stin intégral et inventer la<br />

« cellule mère » (Passy) <strong>de</strong> la résistance intérieure en organisant son mouvement autour <strong>de</strong><br />

trois fonctions : le renseignement, la propagan<strong>de</strong> et le « choc », c’est-à-dire le paramilitaire,<br />

préfiguration <strong>de</strong> l’Armée secrète. C’est d’abord à la guerre informationnelle qu’il se<br />

consacre. Il s’agit <strong>de</strong> livrer à l’opinion, pour qu’elle sorte <strong>de</strong> sa torpeur, <strong>de</strong>s informations que<br />

lui cachent tant Vichy que l’occupant. Après les Petites Ailes, Frenay crée Vérités, premier<br />

journal imprimé. Conscient qu’il faut aussi au mouvement une « doctrine », il imagine un<br />

groupe d’étu<strong>de</strong>s auquel participent Emmanuel Mounier et le père Chaillet. Son souci du<br />

regroupement le pousse à s’allier avec les démocrates-chrétiens du mouvement Liberté<br />

(François <strong>de</strong> Menthon, Pierre-Henri Teitgen) avec qui il fon<strong>de</strong>, à l’automne 1941, le<br />

Mouvement <strong>de</strong> libération française (MLF), plus connu sous le nom qui a été donné à son<br />

journal : Combat. Le manifeste du MLF indique clairement que ses objectifs sont à présent


politiques et visent à préparer les équipes et les idées qui <strong>de</strong>vront prendre le pouvoir après<br />

la victoire <strong>de</strong>s armes. La Libération <strong>de</strong>vra correspondre à une révolution sociale.<br />

Frenay n’est pas encore gaulliste lorsqu’il rencontre, l’été 1941, Jean Moulin qui s’apprête à<br />

partir pour Londres. C’est le premier homme que, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du général <strong>de</strong> Gaulle,<br />

Moulin retrouve lors <strong>de</strong> son retour en janvier 1942. Frenay et Moulin sont <strong>de</strong>s hommes<br />

d’exception, prêts tous <strong>de</strong>ux à risquer le pire. Et pourtant, les <strong>de</strong>ux hommes vont se heurter.<br />

Moulin, fidèle exécutant <strong>de</strong> la politique du chef <strong>de</strong> la France libre, s’efforce d’unifier, voire<br />

<strong>de</strong> subordonner la résistance intérieure. Frenay aussi prône l’union, mais à condition <strong>de</strong><br />

jouer le premier rôle, compte tenu <strong>de</strong> la légitimité que lui donnerait son antériorité dans le<br />

combat. S’il accepte <strong>de</strong> verser à l’Armée secrète l’essentiel <strong>de</strong> ses éléments paramilitaires<br />

(80 %), il se résout mal à voir le général Deslestraint en prendre la tête et ne dépendre que<br />

<strong>de</strong> Londres ; s’il encourage la formation <strong>de</strong>s MUR (Mouvements unis <strong>de</strong> la Résistance), il<br />

crée une délégation en Suisse que Moulin interprète comme une volonté d’autonomisation ;<br />

s’il combat l’idée d’une séparation stricte entre l’activité politique <strong>de</strong>s résistants et l’action<br />

militaire, il accepte la tutelle militaire <strong>de</strong> Londres mais refuse l’allégeance politique. En fait,<br />

comme il le dira au général <strong>de</strong> Gaulle à Londres, à l’automne 1942, le patron <strong>de</strong> Combat se<br />

pense comme un révolutionnaire et entend qu’on regar<strong>de</strong> son mouvement « comme un<br />

parti politique dans un gouvernement ». C’est pourquoi il s’oppose au CNR, opération <strong>de</strong><br />

relégitimation <strong>de</strong>s partis politiques à ses yeux, et rêve d’un « parti <strong>de</strong> la Résistance » qui<br />

s’imposerait à la Libération. C’est aussi pourquoi il accepte, à l’automne 1943, l’offre que lui<br />

fait <strong>de</strong> Gaulle d’entrer au Comité français <strong>de</strong> la libération nationale (CFLN) comme<br />

commissaire aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés.<br />

Cette mission le conduit à gérer, dans l’urgence, le délicat problème du retour <strong>de</strong>s millions<br />

<strong>de</strong> Français dispersés dans l’Europe nazifiée. Après la guerre, il tente une incursion en<br />

politique en fondant l’Union démocratique et socialiste <strong>de</strong> la Résistance (UDSR). Devant<br />

l’impossibilité à faire <strong>de</strong> la Résistance autre chose qu’une référence morale, il quitte la scène<br />

politique française. Fidèle à l’idée européenne qu’il célébrait dans ses articles <strong>de</strong> Combat et<br />

qu’il avait entrevue au Centre d’étu<strong>de</strong>s germaniques, il est jusqu’en 1958, date <strong>de</strong> son<br />

ralliement à <strong>de</strong> Gaulle à la suite <strong>de</strong> l’affaire algérienne, le chef <strong>de</strong> file <strong>de</strong>s fédéralistes<br />

européens à la tête <strong>de</strong> l’Union européenne <strong>de</strong>s fédéralistes. Cette prescience et cette<br />

constance seront ternies par sa volonté tardive <strong>de</strong> faire apparaître Jean Moulin comme un «<br />

cryptocommuniste ». C’est un combat <strong>de</strong> trop, qui exprime d’abord le ressentiment d’un<br />

héros conscient d’avoir montré le chemin sans avoir réussi à s’y installer. Il meurt en 1988.<br />

(*) Coauteur et conseiller historique 
du documentaire TV, commandé 
par France 5 et<br />

coproduit par l’INA (financé 
par le Centre national <strong>de</strong> la cinématographie française),<br />

intitulé : Henri Frenay, « l’inventeur » <strong>de</strong> la Résistance. Première diffusion 
le 19<br />

septembre 2004 sur France 5.<br />

Roger Belot


3 Aout 2010<br />

Martha Desrumaux « Chacune <strong>de</strong> nous était un<br />

embryon <strong>de</strong> résistance »<br />

Par Pierre Outteryck, historien<br />

Militante ouvrière emblématique 
du Nord, elle connut l’usine dès neuf ans. Communiste<br />


et syndicaliste, 
elle fut déportée 
à Ravensbrück. 
Elle avait participé aux négociations<br />


<strong>de</strong> Matignon en 1936.<br />

Évenos (Var), le 30 novembre 1982. Tôt le matin, Louis Manguine, dirigeant <strong>de</strong>s métallos<br />

CGT, meurt ; en fin d’après-midi, Martha Desrumaux, son épouse, disparaît à son tour.<br />

Martha, ouvrière textile, dirigeante essentielle <strong>de</strong> la CGT et du <strong>PCF</strong> <strong>de</strong> 1920 à 1950, resterait<br />

ignorée, méconnue, sans une récente publication <strong>de</strong> la CGT (1).<br />

Le 7 juin 1936, hôtel Matignon, face au patronat, aux côtés <strong>de</strong> Léon Jouhaux et <strong>de</strong> Benoît<br />

Frachon, une seule femme est présente, Martha Desrumaux. Née à Comines (Nord) en<br />

1897, orpheline à neuf ans, Martha aurait dû être Cosette !<br />

Elle entre à l’usine à neuf ans pour travailler le lin, adhère à la CGT à treize ans. À vingt ans,<br />

elle dirige victorieusement sa première grève. Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la guerre, elle est une <strong>de</strong>s<br />

fondatrices du <strong>PCF</strong> et <strong>de</strong> la CGTU dans le Nord. Elle <strong>de</strong>viendra membre du bureau politique<br />

du <strong>PCF</strong> en 1929 et du bureau confédéral <strong>de</strong> la CGTU puis <strong>de</strong> la CGT réunifiée.<br />

Dans l’entre-<strong>de</strong>ux-guerres, elle va organiser les ouvrières du textile, si nombreuses, si<br />

exploitées, si humiliées, dans l’agglomération lilloise et la vallée <strong>de</strong> la Lys. Elle est <strong>de</strong> toutes<br />

les luttes : en 1920-1922 à Comines, en 1928-1929 à Halluin, en 1930 autour <strong>de</strong>s assurances<br />

sociales, en 1931 contre le puissant patronat roubaisien, en 1933 à Armentières… Martha<br />

pilote les premières marches <strong>de</strong> chômeurs entre Lille et Paris, avant d’être l’organisatrice<br />

<strong>de</strong>s grèves du Front populaire ! Dès 1936, elle organise la solidarité avec l’Espagne<br />

républicaine.<br />

Partout elle se bat pour défendre la dignité <strong>de</strong>s femmes, pour que les ouvrières aient toute<br />

leur place dans les luttes et dans les organisations syndicales et politiques.


Le 26 août 1941, rue <strong>de</strong> Paris, à Lille… De violents coups à la porte : la police française et la<br />

Gestapo ! Martha se savait menacée. La veille, elle était venue retrouvée son fils Louis, âgé<br />

<strong>de</strong> quatre ans, caché chez une nourrice. Elle avait voulu passer la nuit avec lui.<br />

Depuis l’automne 1939, Martha est clan<strong>de</strong>stine ; elle a refusé <strong>de</strong> dénoncer le pacte germanosoviétique<br />

et a perdu ses mandats syndicaux. Malgré les pressions, les injures et les<br />

crachats, elle <strong>de</strong>meure fidèle à son Parti.<br />

Durant la « drôle <strong>de</strong> guerre » elle est à Bruxelles, où elle réorganise le <strong>PCF</strong> avec J. Hentgès,<br />

J.-M. Fossier et É. Pattiniez, restés dans le Nord. Elle refait paraître clan<strong>de</strong>stinement<br />

l’Enchaîné. Le 6 juin 1940, elle revient à Lille, refuse tout contact avec l’occupant, et cherche<br />

du papier pour poursuivre la parution <strong>de</strong> l’Enchaîné. Mi-juillet, à la nuit tombée, avec <strong>de</strong><br />

jeunes communistes, elle saccage l’office <strong>de</strong> la propagan<strong>de</strong> nazie à Lille ; ce fut une <strong>de</strong>s<br />

premières actions publiques <strong>de</strong> la Résistance dans le Nord. Elle sillonne le Nord–Pas-<strong>de</strong>-<br />

Calais pour reconstruire le <strong>PCF</strong> et le mouvement syndical en s’appuyant sur les jeunes filles<br />

<strong>de</strong> l’UJFF, qu’elle avait créée en 1936, sur <strong>de</strong>s soldats démobilisés et d’anciens syndicalistes.<br />

À l’automne, lors d’une réunion dans le Douaisis, elle met au point avec <strong>de</strong>s délégués<br />

mineurs le cahier <strong>de</strong> revendications du bassin minier. Cette plate-forme sera la base <strong>de</strong><br />

plusieurs grèves entre janvier et mai 1941, puis <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> grève patriotique fin mai-début<br />

juin 1941 durant laquelle plus <strong>de</strong> 200 000 mineurs refuseront <strong>de</strong> travailler malgré les<br />

menaces <strong>de</strong>s troupes alleman<strong>de</strong>s et du préfet.<br />

Le 13 mai 1945, à la mairie <strong>de</strong> Lille. Martha, malgré l’épuisement dû à quatre ans <strong>de</strong><br />

déportation et à la maladie, vient d’être élue au conseil municipal.<br />

Au mois d’août 1941, elle faisait partie d’une liste d’otages dressée par le préfet Carles. De<br />

septembre 1941 à janvier 1942, enfermée à la prison <strong>de</strong> Loos, elle voit assassiner plusieurs<br />

<strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s. Elle y apprend ainsi l’exécution <strong>de</strong> Jules Domisse, maire d’Aniche, qui<br />

l’avait mariée à Louis Manguine en septembre 1938.<br />

Le 12 janvier 1942, Martha débute un long voyage qui la conduira, le 28 mars, dans l’enfer<br />

<strong>de</strong> Ravensbrück. Martha y est une <strong>de</strong>s premières Françaises. Très vite, elle entre en contact<br />

avec les déportées antifascistes tchèques, alleman<strong>de</strong>s, polonaises, puis soviétiques… pour<br />

organiser la résistance clan<strong>de</strong>stine dans le camp. Elle nous a laissé un témoignage poignant<br />

et luci<strong>de</strong> : « Pour ceux qui ont connu la véritable Résistance du maquis (…) il peut paraître<br />

vain <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> ―résistance‖ dans un camp <strong>de</strong> concentration. Il est vrai que l’immense<br />

masse <strong>de</strong>s détenues (…) était amorphe, affaiblie par la sous-alimentation, usée par le travail,<br />

minée par la maladie (…). Mais il est certain aussi que <strong>de</strong> cette masse se dégageait (…) une<br />

sorte <strong>de</strong> bouée qui surnageait et à laquelle les faibles se raccrochaient. Chacune était déjà un<br />

embryon <strong>de</strong> résistance, et c’est leur réunion qui constitua une véritable organisation <strong>de</strong><br />

résistance. »<br />

Au cœur <strong>de</strong> sa démarche, former <strong>de</strong>s militants en organisant <strong>de</strong>s conférences clan<strong>de</strong>stines,<br />

ai<strong>de</strong>r les plus faibles dès leur arrivée dans le camp, saboter vareuses et matériels prévus<br />

pour la Wehrmacht, faire en sorte que <strong>de</strong>s déportées politiques prennent <strong>de</strong>s responsabilités<br />

à la place <strong>de</strong>s détenues <strong>de</strong> droit commun. Martha veut donner aussi un petit coin <strong>de</strong> ciel<br />

bleu, un espoir. Ainsi, pour Noël 1943, elle collectera quelques friandises pour <strong>de</strong>s enfants<br />

juifs récemment arrivés au camp.<br />

Revenue en France en avril 1945, Martha se verra reprocher ses actions <strong>de</strong> résistance et <strong>de</strong><br />

solidarité qui l’ont conduite à avoir <strong>de</strong>s contacts avec les autorités SS du camp. Ces


calomnies, parfois répandues par ses « propres camara<strong>de</strong>s », l’affecteront et la meurtriront,<br />

comme l’a souligné Alain Bocquet, député, lors d’une conférence donnée à Saint-Amand en<br />

avril <strong>de</strong>rnier.<br />

Toujours fidèle à ses engagements, Martha fut le modèle <strong>de</strong> ces militantes qui savaient lier<br />

le désir et la volonté d’émancipation aux luttes quotidiennes pour les revendications, la<br />

promotion <strong>de</strong>s classes laborieuses et tout particulièrement celle <strong>de</strong>s femmes ouvrières.<br />

(1) Martha Desrumaux, ouvrière, syndicaliste, déportée, féministe, association Cris, 
166,<br />

avenue <strong>de</strong> Bretagne, 59000 Lille. 
Tél. : 03 20 08 97 44. Prix : 25 euros.<br />

Pierre Outteryck


2 Aout 2010<br />

Benoît Frachon. Luttes revendicatives et<br />

libération nationale<br />

La Résistance doit au dirigeant <strong>de</strong> la CGT d’avoir lié la lutte syndicale et le combat<br />

antinazi. Il avait assis son autorité lors du Front populaire en négociant les accords <strong>de</strong><br />

Matignon. En 1939, il dirige le <strong>PCF</strong> et prépare l’action clan<strong>de</strong>stine.<br />

Benoît Frachon naît le 13 mai 1893 au Chambon-Feugerolles<br />

(Loire) où son père est mineur. Il passe le certificat d’étu<strong>de</strong>s<br />

en 1904. Apprenti puis ouvrier tourneur, il se syndique dès<br />

1909, fait grève pour la première fois en 1910. Mobilisé en<br />

1914 comme ouvrier à l’Arsenal <strong>de</strong> Guérigny (Nièvre), à<br />

nouveau métallo dans la Loire en 1919, il adhère au Parti<br />

communiste dès 1920, il est l’un <strong>de</strong>s fondateurs <strong>de</strong> la CGTU,<br />

dont il est secrétaire départemental <strong>de</strong> la Loire, permanent en<br />

1924. Il se marie en 1925 et a un fils en 1929. Membre du<br />

Bureau politique du Parti communiste en 1928, secrétaire <strong>de</strong><br />

la CGTU en 1933, il s’installe à Montreuil. C’est en 1936 l’un<br />

<strong>de</strong>s principaux artisans <strong>de</strong> la réunification syndicale. Il<br />

négocie les accords <strong>de</strong> Matignon en tant que co-secrétaire confédéral <strong>de</strong> la CGT réunifiée,<br />

dont Léon Jouhaux est resté secrétaire général.<br />

Sommé, comme tous les communistes <strong>de</strong> la CGT, <strong>de</strong> désavouer le pacte germano-soviétique<br />

et refusant <strong>de</strong> le faire, il est déchu <strong>de</strong> son mandat par le bureau confédéral le 6 octobre 1939.<br />

La vigueur <strong>de</strong> la répression anticommuniste en France est pour beaucoup dans son<br />

acceptation <strong>de</strong> la nouvelle ligne <strong>de</strong> l’Internationale <strong>de</strong> la « guerre impérialiste <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés<br />

». En raison <strong>de</strong> son incontestable autorité politique et syndicale, il est désigné, le 8 octobre,<br />

secrétaire du Parti en France, au cours d’une réunion <strong>de</strong> direction en Belgique où se trouve<br />

Jacques Duclos. Il <strong>de</strong>vient « l’oncle », « tonton », en liaison avec Duclos à Bruxelles et<br />

Thorez à Moscou. Aux côtés d’Arthur Dalli<strong>de</strong>t, responsable <strong>de</strong> l’organisation, il s’efforce <strong>de</strong><br />

renouer les fils d’un Parti exsangue, fait paraître la presse clan<strong>de</strong>stine, notamment<br />

l’Humanité et la Vie ouvrière. Avec l’invasion alleman<strong>de</strong>, Frachon infléchit la ligne officielle<br />

vers la recherche <strong>de</strong>s conditions d’une défense nationale : il fait transmettre, le 6 juin 1940,<br />

au ministre Monzie <strong>de</strong>s propositions visant, en particulier, à l’organisation <strong>de</strong> la défense <strong>de</strong><br />

Paris, démarche <strong>de</strong>meurée sans réponse.<br />

Dans <strong>de</strong>s conditions mal connues, Frachon et Dalli<strong>de</strong>t déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> quitter Paris le 12 juin<br />

avec d’autres dirigeants pour le Limousin, d’où ils rétablissent <strong>de</strong>s liaisons avec Bor<strong>de</strong>aux,<br />

Clermont-Ferrand, Toulouse. Pendant ce séjour, Frachon apprend – et désapprouve – la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> reparution <strong>de</strong> l’Humanité. Il revient au plus vite à Paris et, le 10 août, rencontre<br />

Duclos, investi le 5 août par l’Internationale <strong>de</strong> la responsabilité du Parti. Frachon acceptera<br />

sa version <strong>de</strong>s faits sur les négociations avec Abetz. Ils assurent ensemble la direction <strong>de</strong> la<br />

lutte clan<strong>de</strong>stine du Parti, qui sort peu à peu <strong>de</strong>s impasses <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> la « guerre<br />

impérialiste ». L’objectif premier est <strong>de</strong> renouer avec les diverses couches <strong>de</strong> la population,<br />

en particulier via la lutte revendicative. Pour mettre en place <strong>de</strong>s premiers groupes <strong>de</strong><br />

protection du Parti, l’organisation spéciale (OS), Frachon rencontre, en novembre, Charles<br />

Tillon, qui rejoint ainsi l’équipe Duclos-Frachon.


L’activité essentielle <strong>de</strong> Benoît Frachon est axée sur le mouvement syndical. Dans la presse<br />

clan<strong>de</strong>stine, en particulier dans la Vie ouvrière et dans l’Humanité, il démystifie la<br />

démagogie sociale vichyste, appelle à la lutte revendicative <strong>de</strong>s travailleurs dans l’unité, les<br />

invite à s’organiser dans les comités populaires clan<strong>de</strong>stins et dans les syndicats légaux.<br />

Alors qu’à l’automne 1940 les invectives restent fréquentes contre les « traîtres réformistes<br />

», il est soucieux <strong>de</strong> refaire l’unité syndicale et établit, en novembre, un contact avec Louis<br />

Saillant, ex-confédéré, membre <strong>de</strong> la commission exécutive <strong>de</strong> la CGT, hostile au projet <strong>de</strong><br />

charte du travail <strong>de</strong> Pétain et à la Collaboration. Frachon participe, le 17 mai 1941, à une<br />

première réunion entre ex-confédérés et ex-unitaires. D’autres contacts ont lieu,<br />

notamment en juillet 1942, pour une plate-forme commune. Il faudra du temps pour<br />

surmonter certains désaccords – par exemple sur la lutte armée – mais les rencontres<br />

aboutissent en avril 1943 à la réunification <strong>de</strong> la CGT par les accords du Perreux. Frachon a<br />

directement participé à l’élaboration <strong>de</strong> la plate-forme revendicative proposée aux exconfédérés.<br />

Jusqu’à la Libération, l’activité syndicale sur le terrain comme au plan national est surtout<br />

le fait <strong>de</strong>s unitaires, qui conquièrent dans la clan<strong>de</strong>stinité la majorité <strong>de</strong> la CGT. Frachon<br />

acquiert ainsi l’autorité pour en <strong>de</strong>venir secrétaire général – lui-même proposera qu’elle ait<br />

<strong>de</strong>ux secrétaires généraux, un ex-confédéré et un ex-unitaire. Frachon est aussi pour<br />

beaucoup dans la spécificité <strong>de</strong> l’intervention <strong>de</strong>s travailleurs dans la lutte pour la libération<br />

nationale, à savoir la liaison constante entre luttes revendicatives, sabotage <strong>de</strong> la<br />

production, formation et action <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> combat dans les entreprises, les consignes<br />

immédiates évoluant en fonction <strong>de</strong> la conjoncture – ainsi la lutte contre le STO – ou <strong>de</strong> la<br />

situation générale – préparation <strong>de</strong> l’insurrection nationale en 1944. Pendant celle-ci,<br />

Frachon signe, le 22 août 1944, dans l’Humanité, un appel aux armes à l’intention <strong>de</strong>s<br />

métallos parisiens.<br />

Le 27 août 1944, Frachon s’installe avec le bureau confédéral au siège <strong>de</strong> la CGT, rue La<br />

Fayette. Symbole <strong>de</strong> l’unité retrouvée, il exerce la fonction <strong>de</strong> secrétaire général avec Louis<br />

Saillant, Léon Jouhaux étant en captivité. Le 10 septembre 1944, il énonce les gran<strong>de</strong>s<br />

tâches <strong>de</strong> la CGT <strong>de</strong>vant les cadres syndicaux <strong>de</strong> la région parisienne : achever la guerre,<br />

reconstruire l’économie. Il lance la bataille <strong>de</strong> la production pour la reconstruction du pays,<br />

mais en la liant toujours à la satisfaction <strong>de</strong>s revendications ouvrières. Il cé<strong>de</strong>ra rarement au<br />

discours productiviste, sauf, provisoirement, avec la « bataille du charbon », fin 1945.<br />

Après la guerre, Frachon est secrétaire général <strong>de</strong> la CGT avec Léon Jouhaux jusqu’à la<br />

scission <strong>de</strong> Force ouvrière, en 1947, avec Alain Le Léap, jusqu’en 1957, puis seul, jusqu’en<br />

1967. Démissionnaire alors pour raison <strong>de</strong> santé, il est remplacé par Georges Séguy et<br />

<strong>de</strong>vient prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la CGT. Il participe activement, en 1968, aux négociations <strong>de</strong> Grenelle.<br />

En 1973, il se retire aux Bor<strong>de</strong>s (Loiret) où il décè<strong>de</strong> le 4 août 1975.<br />

Bibliographie : Au rythme <strong>de</strong>s jours, 
1944-1967, <strong>de</strong> Benoît Frachon, préface d’Henri<br />

Krasucki, Éditions Sociales, 1968 ; Pour la CGT, Mémoires <strong>de</strong> lutte, 1902-1939, <strong>de</strong> Benoît<br />

Frachon, préface <strong>de</strong> Georges Séguy, Éditions Sociales, 1981 ; Benoît Frachon, communiste<br />

et syndicaliste, Jacques Girault, Presses <strong>de</strong> la FNSP, 1989 ; 
Histoire <strong>de</strong> la CGT, <strong>de</strong> Michel<br />

Dreyfus, 
Éditions Complexe, 1995.<br />

Par Roger Bour<strong>de</strong>ron, Historien


30 Juillet 2010<br />

Geneviève <strong>de</strong> Gaulle « L’honneur est un<br />

instinct, comme l’amour »<br />

Par Frédérique NEAU-DUFOUR, agrégée er docteur en histoire<br />

Jeune résistante, elle fut déportée à Ravensbrück. Elle survécut avec la conviction que la<br />

déportation n’était pas éloignée <strong>de</strong> l’exclusion où sont enfermés les plus pauvres. Elle a<br />

fondé ATD Quart Mon<strong>de</strong>.<br />

Née en 1920, Geneviève <strong>de</strong> Gaulle est la nièce du général <strong>de</strong> Gaulle. Son<br />

père, Xavier, frère aîné <strong>de</strong> Charles <strong>de</strong> Gaulle, l’élève dans la tolérance et la<br />

foi catholique. Il l’éveille également aux menaces <strong>de</strong> son époque : c’est<br />

ainsi que Geneviève découvre Mein Kampf à l’âge <strong>de</strong> quatorze ans. Son<br />

enfance est marquée par une série <strong>de</strong> drames. À l’âge <strong>de</strong> quatre ans et<br />

<strong>de</strong>mi, elle perd sa mère, puis sa sœur en 1938. Cette nouvelle tragédie la<br />

conforte dans la seule voie qui vaille : résister.<br />

Dès le 17 juin 1940, outrée par le message <strong>de</strong> Pétain annonçant l’arrêt <strong>de</strong>s combats, elle<br />

déci<strong>de</strong> d’entrer dans la lutte, individuellement, mo<strong>de</strong>stement, puis <strong>de</strong> façon organisée.<br />

Devenue clan<strong>de</strong>stine, elle rejoint le mouvement encore peu gaulliste Défense <strong>de</strong> la France.<br />

Elle y incarne la voix du général <strong>de</strong> Gaulle et ne recule <strong>de</strong>vant aucune témérité pour diffuser<br />

le message <strong>de</strong> la Résistance. Arrêtée le 20 juillet 1943, lors d’un coup <strong>de</strong> filet, elle est<br />

emprisonnée à Fresnes, où elle noue <strong>de</strong> premières amitiés avec les prisonnières résistantes,<br />

puis elle est envoyée à Ravensbrück, début février 1944.<br />

Peut-être est-elle plus préparée que d’autres à résister à l’épreuve du camp. Très forte<br />

moralement, elle est dotée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux armes redoutables : sa foi et son sens <strong>de</strong> l’humour. En<br />

dépit <strong>de</strong> la maladie (pleurésie, typhus...), <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong>s SS, <strong>de</strong>s morts qui s’amoncellent, elle<br />

tient bon grâce à sa volonté, mais aussi et surtout à l’extraordinaire solidarité entre<br />

déportées. Lieu <strong>de</strong> l’horreur absolue, Ravensbrück est également celui <strong>de</strong>s amitiés les plus<br />

incroyables. Jacqueline Péry d’Alincourt, Anise Postel-Vinay, Germaine Tillion <strong>de</strong>viennent<br />

pour Geneviève <strong>de</strong> véritables sœurs, avec qui elle décrypte le système nazi pour mieux y<br />

résister.<br />

Alors que la guerre tourne en faveur <strong>de</strong>s Alliés, son nom lui vaut l’attention d’Himmler, qui<br />

la met à l’isolement en octobre 1944 pour la protéger. Les longs mois <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> au Bunker<br />

sont pour elle une expérience terrible, qu’elle restituera dans la Traversée <strong>de</strong> la nuit.<br />

Après sa libération, en avril 1945, son engagement continue, nourri par les thématiques <strong>de</strong><br />

la Résistance et <strong>de</strong> la déportation. C’est ainsi que Geneviève <strong>de</strong> Gaulle, qui a épousé Bernard<br />

Anthonioz et <strong>de</strong>vient mère <strong>de</strong> quatre enfants, s’investit dans l’Association nationale <strong>de</strong>s<br />

anciennes déportées et internées <strong>de</strong> la Résistance (Adir), dont elle <strong>de</strong>vient prési<strong>de</strong>nte en<br />

1958. Elle se bat notamment pour la reconnaissance <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong>s<br />

expérimentations médicales nazies, à Ravensbrück et dans les autres camps.<br />

Cette lutte pour les droits <strong>de</strong>s plus faibles la conduit, un soir d’hiver 1958, sur le chemin du<br />

bidonville <strong>de</strong> Noisy-le-Grand. Comme elle l’explique dans son second livre, le Secret <strong>de</strong>


l’espérance, c’est un choc. Elle retrouve Ravensbrück : même noirceur, même misère, même<br />

espace encerclé <strong>de</strong> grillages, couvert <strong>de</strong> baraques, où la population erre avec le regard épuisé<br />

et où, surtout, la dignité humaine est niée. Geneviève ressent la même indignation qu’en<br />

1940 et réagit avec la même détermination : sa bataille est là, dans la boue, aux côtés <strong>de</strong><br />

celui qui sera son inspirateur, le père Joseph Wresinski.<br />

Cette nouvelle lutte va durer quarante ans. Geneviève occupe une fonction cruciale <strong>de</strong> relais<br />

entre les révoltés <strong>de</strong> l’association Ai<strong>de</strong> à toute détresse (ATD), fondée par le père Joseph, et<br />

les pouvoirs publics. Elle n’est pas une dame d’œuvre. Au contraire, elle est comme ces<br />

pauvres, pour avoir vécu la même négation.<br />

Devenue en 1964 prési<strong>de</strong>nte d’ATD, elle est reçue par les prési<strong>de</strong>nts successifs <strong>de</strong> la Ve<br />

République. Après la mort du père Joseph, en 1988, elle lui succè<strong>de</strong> à la section <strong>de</strong>s affaires<br />

sociales du Conseil économique et social.<br />

Pendant dix ans, Geneviève se bat pour que soit votée une loi générale d’orientation qui<br />

reconnaisse en la pauvreté une atteinte aux droits <strong>de</strong> l’homme et donne à l’État les moyens<br />

d’y remédier. Le 15 avril 1997, à l’Assemblée nationale, sa loi est enfin soumise aux<br />

discussions. Geneviève <strong>de</strong> Gaulle est appelée à s’exprimer à la tribune. Elle a soixante-dixsept<br />

ans, sa santé est fragile. Un huissier accompagne cette petite dame frêle jusqu’au cœur<br />

<strong>de</strong> l’hémicycle. Le brouhaha va bon train ; l’opposition vient <strong>de</strong> moquer les défenseurs <strong>de</strong> la<br />

loi avec <strong>de</strong>s quolibets : « Le prêche va commencer. » La voix douce mais ferme <strong>de</strong> Geneviève<br />

ramène le silence dans les rangs. Le discours qu’elle prononce rassemble ses combats en un<br />

seul : « Après les terribles épreuves que lui ont fait subir l’oppression nazie et celle <strong>de</strong> ses<br />

complices <strong>de</strong> Vichy, la France a resouscrit à un pacte avec les valeurs républicaines. […]<br />

Puisque nous vivons aujourd’hui une nouvelle montée d’atteinte aux valeurs fondatrices <strong>de</strong><br />

notre République, il ne sert à rien <strong>de</strong> les défendre morceau par morceau, tout en tolérant<br />

par ailleurs <strong>de</strong>s reculs. La seule riposte possible, la seule voie consiste à nous rassembler<br />

pour vouloir et mettre en œuvre plus <strong>de</strong> démocratie. C’est l’attente ar<strong>de</strong>nte <strong>de</strong>s plus pauvres<br />

d’en <strong>de</strong>venir les artisans. »<br />

À peine une semaine plus tard, le 22 avril 1997, le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République Jacques<br />

Chirac dissout l’Assemblée nationale. Pour Geneviève et ceux qui ont combattu en faveur <strong>de</strong><br />

la loi, la déception est gran<strong>de</strong>. Il faudra tout reprendre avec le gouvernement suivant,<br />

puisque la gauche remporte les législatives. C’est donc en 1998 qu’est adoptée la loi.<br />

Geneviève <strong>de</strong> Gaulle-Anthonioz, première femme à avoir été élevée à la dignité <strong>de</strong> grandcroix<br />

<strong>de</strong> la Légion d’honneur, est décédée le 14 février 2002. Elle lègue à l’humanité un<br />

superbe message d’espoir : l’homme ne doit jamais tolérer ce qui est insupportable à son<br />

honneur. Geneviève <strong>de</strong> Gaulle-Anthonioz s’adressait ainsi à <strong>de</strong>s lycéens en 1997 : «<br />

Cherchez au fond <strong>de</strong> vous-mêmes ce que vous croyez être le meilleur, et trouvez une raison<br />

pour que votre vie soit digne d’être vécue. Si vous le faites, votre vie aura un sens. Sinon,<br />

vous vous amuserez, vous aurez <strong>de</strong>s distractions, comme dit Pascal, mais vous n’aurez pas<br />

l’honneur <strong>de</strong> vivre. » Quelle plus belle définition <strong>de</strong> ce que signifie être un être humain ?<br />

Conseiller mémoire du secrétaire d’État 
à la Défense et aux Anciens Combattants,<br />

Auteur <strong>de</strong> Geneviève <strong>de</strong> Gaulle-Anthonioz. Éditions du Cerf, 2004, et d’Yvonne <strong>de</strong> Gaulle.<br />

Éditions Fayard, 2010.


29 Juillet 2010<br />

Gerhard Leo « En première ligne »<br />

Par Jean-Paul Piérot, journaliste<br />

Installé à Paris avec ses parents dès 
1933, il se fait embaucher en 1942 sous une fausse<br />

i<strong>de</strong>ntité comme interprète <strong>de</strong> l’armée alleman<strong>de</strong> à Toulouse. Il transmettra à la Résistance<br />

<strong>de</strong> précieux renseignements.<br />

Toulouse 1942. Le jeune homme pousse la porte, se fait<br />

annoncer à l’officier qui doit lui poser les questions d’usage<br />

d’un ton badin tout en s’efforçant <strong>de</strong> débusquer la faille qui le<br />

trahisse. La Kommandantur <strong>de</strong> la Wehrmacht recrute un<br />

interprète pour son service <strong>de</strong>s transports. Il faut un homme<br />

<strong>de</strong> confiance maîtrisant bien la langue alleman<strong>de</strong>. Au cours<br />

<strong>de</strong> l’entretien, se souviendra-t-il plusieurs décennies plus<br />

tard, « je m’efforçais <strong>de</strong> glisser quelques fautes, quelques<br />

gallicismes, <strong>de</strong> m’exprimer avec un léger accent français ».<br />

Sur sa carte d’i<strong>de</strong>ntité, il se nomme Gérard Laban. Il explique<br />

qu’il est étudiant en allemand à Lyon, et voudrait gagner un<br />

peu d’argent pour payer ses étu<strong>de</strong>s… Il réussit l’entretien<br />

d’embauche. Et c’est ainsi que, quelques jours plus tard, le<br />

jeune communiste allemand Gerhard Leo, âgé <strong>de</strong> dix-neuf<br />

ans, <strong>de</strong>vient interprète <strong>de</strong> l’armée d’occupation à Toulouse.<br />

Ce sera son premier poste <strong>de</strong> combat contre le nazisme.<br />

Gerhard Leo fait partie <strong>de</strong> ces émigrés allemands qui s’engagèrent dans la Résistance en<br />

relation avec le Parti communiste. Le <strong>PCF</strong> avait créé une section <strong>de</strong> la MOI (Main-d’œuvre<br />

immigrée) nommée TA (travail allemand) dans le cadre <strong>de</strong> laquelle <strong>de</strong>s antifascistes<br />

allemands entreprirent <strong>de</strong>s actions qu’eux seuls pouvaient accomplir : approcher les troupes<br />

d’occupation, recueillir <strong>de</strong>s renseignements pour la Résistance et diffuser dans la plus<br />

gran<strong>de</strong> discrétion <strong>de</strong>s publications clan<strong>de</strong>stines, Soldat am Westen (Soldat à l’Ouest, éditée<br />

par TA). En 1943, s’est constitué, en Union soviétique, le Comité national Allemagne libre<br />

(NKFD), dont la déclinaison en France prit le nom <strong>de</strong> Calpo (Comité Allemagne libre pour<br />

l’Ouest) qui publia Volk und Vaterland, coordonna toute la Résistance alleman<strong>de</strong> et fut<br />

officiellement intégrée dans la Résistance française.<br />

Le parcours <strong>de</strong> Gerhard Leo rejoint celui qui fut emprunté par d’autres femmes et hommes<br />

courageux : Irène Wosikowskii, qui fut décapitée à Berlin, les marins Hans Heisel, Kurt<br />

Hälker et Arthur Eberhard, radios à l’état-major <strong>de</strong> la Kriegsmarine, à Paris, Dora Schaul,<br />

qui se fit embaucher à la poste militaire, à Lyon, Peter Gingold, qui renseignait la Résistance<br />

<strong>de</strong>puis la Luftwaffe, Ernst Scholz, qui combattit dans le maquis <strong>de</strong> la Tarentaise et fut<br />

nommé, bien <strong>de</strong>s années plus tard, premier ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la République démocratique<br />

alleman<strong>de</strong> à Paris… Selon l’historien et résistant Gilbert Badia, plus <strong>de</strong> cent d’entre eux ont<br />

péri entre 1941 et 1944. Dès septembre 1939, les antifascistes allemands et autrichiens<br />

installés en France, dont certains avaient combattu au côté <strong>de</strong>s républicains espagnols,<br />

furent suspectés d’appartenir à la « 5e colonne », d’être <strong>de</strong>s agents infiltrés par l’Allemagne.<br />

Ils furent nombreux à être internés dans <strong>de</strong>s camps comme celui <strong>de</strong>s Milles (Bouches-du-<br />

Rhône) et <strong>de</strong> Rieucros (Lozère), d’où les autorités <strong>de</strong> Vichy ne les sortiront que pour les<br />

livrer à l’Allemagne après l’armistice <strong>de</strong> juin 1940, ouvrant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Collaboration.


La famille <strong>de</strong> Gerhard Leo était arrivée à Paris dès 1933. Le père, Wilhelm Leo, juif, avocat<br />

et militant social-démocrate, avait été interné « préventivement » au camp d’Oranienburg à<br />

l’avènement du IIIe Reich. À Paris il ouvre une petite librairie, où se retrouvent d’autres<br />

exilés antinazis. Gerhard et sa sœur suivent leur scolarité en français. Quand en juin 1940<br />

les premières unités <strong>de</strong> la Wehrmacht défilent sur les Champs-Élysées, le jeune résistant<br />

Gerhard Leo est parfaitement bilingue. Toute la famille s’installe sous une fausse i<strong>de</strong>ntité<br />

dans le Sud-ouest. C’est là que Gerhard aura ses premiers contacts avec les communistes<br />

allemands et avec la section TA.<br />

Pendant <strong>de</strong>ux ans à la Kommandantur, Gerhard Leo (alias Gérard Laban) fournira la<br />

Résistance en précieux renseignements sur les mouvements <strong>de</strong> trains et la nature <strong>de</strong>s<br />

transports. Il réussit à n’éveiller aucun soupçon jusqu’au début <strong>de</strong> 1944, quand la Gestapo<br />

finit par s’intéresser à ce jeune Français, qui pourrait être la taupe responsable <strong>de</strong>s déboires<br />

subis par la Wehrmacht <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s maquisards, très bien informés. Des indiscrétions au<br />

sein même <strong>de</strong> la Kommandantur permettent à Gerhard Leo d’être averti <strong>de</strong> l’imminence <strong>de</strong><br />

son arrestation. Il quitte alors Toulouse pour Castres, reçoit <strong>de</strong> nouveaux faux papiers. Là, il<br />

fréquente les cafés où se retrouvent les soldats. Dénoncé par un sous-officier à qui, trop<br />

confiant, il avait remis un tract du Comité Allemagne libre, Gerhard est promis à une mort<br />

certaine. Il avoue alors son i<strong>de</strong>ntité alleman<strong>de</strong> afin <strong>de</strong> retar<strong>de</strong>r la procédure en changeant le<br />

chef d’accusation. Allemand, il sera jugé à Paris pour trahison. Dans le train qui l’emmène<br />

vers la capitale, il est menotté et gardé par cinq gendarmes. En gare d’Allassac, le convoi est<br />

attaqué par les maquisards et Gerhard parvient à s’échapper.<br />

Libéré, il rejoint les partisans, il participera aux combats contre la division 55 Das Reich, qui<br />

a commis le massacre d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. Intégré dans les Forces<br />

françaises <strong>de</strong> l’intérieur (FFI) avec le gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> lieutenant, il recevra la médaille <strong>de</strong> la<br />

Résistance française avant <strong>de</strong> rentrer en Allemagne libérée du nazisme. D’abord dans la<br />

Ruhr, puis à Berlin qu’il avait quitté enfant plus <strong>de</strong> vingt ans plus tôt. Tout est à rebâtir sous<br />

<strong>de</strong> nouvelles bases dans cette Allemagne « relevée <strong>de</strong>s ruines et tournée vers l’avenir »<br />

comme le dit le premier vers <strong>de</strong> l’hymne <strong>de</strong> la République démocratique alleman<strong>de</strong>, dont<br />

Gerhard Leo sera un citoyen jusqu’à la réunification, en 1990. Il est décédé dans la capitale<br />

alleman<strong>de</strong> le 14 septembre 2009. Mais entre-temps, il aura <strong>de</strong> nouveau vécu longtemps en<br />

France. Journaliste, il <strong>de</strong>viendra le correspondant <strong>de</strong> Neues Deutschland, le journal le plus<br />

influent <strong>de</strong> la RDA. Une anecdote, lui l’ancien FFI, médaillé <strong>de</strong> la Résistance, à qui le<br />

prési<strong>de</strong>nt Jacques Chirac remettra les insignes <strong>de</strong> la Légion d’honneur, se vit interdire <strong>de</strong><br />

séjourner en France pendant un an lors du mouvement <strong>de</strong> mai 1968…<br />

Jean-Paul Piérot


28 Juillet 2010<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier L’élégance du<br />

parti pris<br />

Roger Martelli, historien<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier était ce que l’on appelle une gran<strong>de</strong> dame. Des yeux d’un<br />

bleu profond, une diction remarquablement posée, une gran<strong>de</strong> finesse <strong>de</strong> pensée et un<br />

courage inaltérable.<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Vogel naît à gauche, en novembre 1912, dans une<br />

famille <strong>de</strong> bonne bourgeoisie intellectuelle, protestante et<br />

dreyfusar<strong>de</strong>. Sa mère écrit <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> cuisine et dirige le<br />

Jardin <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s. Son père est un grand journaliste et un<br />

esthète confirmé. Il est le créateur <strong>de</strong> Vu, le premier magazine<br />

qui, à partir <strong>de</strong> 1928, fait <strong>de</strong> la photographie un pivot <strong>de</strong><br />

l’information distillée. André Kertesz, Gyula Halasz dit Brassaï,<br />

Robert Capa, Gerda Taro travaillent pour lui.<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> suit <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> jeune fille <strong>de</strong> bonne famille, au<br />

collège Sévigné. Elle veut faire <strong>de</strong> la peinture : ce n’est pas un<br />

métier, lui rétorque-
t-on chez elle. Puisqu’il faut un métier, elle<br />

choisit la photographie… et travaille pour son père. En mai 1933,<br />

Vu publie les premières images <strong>de</strong> camps <strong>de</strong> concentration<br />

construits par les nazis dès leur prise <strong>de</strong> pouvoir, Dachau et<br />

Oranienburg notamment. Le texte du reportage est <strong>de</strong> Philippe Soupault, un <strong>de</strong>s fondateurs<br />

du surréalisme. La photographie est… <strong>de</strong> Marie-Clau<strong>de</strong> Vogel, qui parle parfaitement<br />

l’allemand et qui a servi <strong>de</strong> mentor à Soupault.<br />

Lucien Vogel admire la révolution d’Octobre et s’entiche <strong>de</strong> la jeune Union soviétique.<br />

Singulièrement attiré par cette avant-gar<strong>de</strong> que représente le constructivisme <strong>de</strong> Vladimir<br />

Tatline, d’Alexandre Rodtchenko et <strong>de</strong> Lazar Lissitsky, il accepte même d’être le<br />

commissaire du pavillon soviétique à l’Exposition internationale <strong>de</strong>s arts décoratifs <strong>de</strong> 1926.<br />

Il transmet sa passion révolutionnaire et mo<strong>de</strong>rniste à sa fille. Elle va très vite la partager<br />

avec d’autres. En 1932, elle rencontre chez son père le brillant journaliste et ancien<br />

combattant qu’est Paul Vaillant-Couturier. Elle l’épouse cinq ans plus tard, à Villejuif, dont<br />

Paul est <strong>de</strong>venu le maire. Pour <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> jeunes intellectuels, l’antifascisme et la<br />

révolution s’entremêlent alors pour constituer l’horizon du militantisme. Aux yeux <strong>de</strong><br />

Marie-Clau<strong>de</strong>, il passe par l’exercice <strong>de</strong> son métier. Elle participe comme photographe aux<br />

activités <strong>de</strong> l’Association <strong>de</strong>s artistes et écrivains révolutionnaires, publie dans<br />

l’hebdomadaire Regards, un émule <strong>de</strong> Vu. C’est pour Regards qu’elle photographie les<br />

briga<strong>de</strong>s internationales, honneur <strong>de</strong> l’Europe démocratique face à la conjonction <strong>de</strong>s<br />

fascismes.<br />

Paul-Vaillant Couturier meurt en octobre 1937. Marie-Clau<strong>de</strong> prend sa relève en <strong>de</strong>venant<br />

reporter-photographe à l’Humanité, dont Vaillant fut le brillantissime rédacteur en chef. Un<br />

peu plus tard, elle assume la responsabilité <strong>de</strong> tout le service photographique du journal,<br />

tout en militant, aux côtés <strong>de</strong> Danièle Casanova, à l’Union <strong>de</strong>s jeunes filles <strong>de</strong> France, qu’elle<br />

a rejointe en 1934, sans même en informer Paul.


Dès l’automne 1939, le quotidien interdit par les autorités <strong>de</strong> la République, voilà la jeune<br />

femme plongée dans la clan<strong>de</strong>stinité. Une nouvelle vie commence, qu’elle partage avec<br />

Roger Ginsburger qui, sous le nom <strong>de</strong> Pierre Villon, va <strong>de</strong>venir un <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> la Résistance<br />

française. Marie-Clau<strong>de</strong> lutte aux côtés <strong>de</strong> Danielle Casanova, <strong>de</strong> Jacques Decour, <strong>de</strong><br />

Georges Politzer et <strong>de</strong> Jacques Solomon. Elle participe à la rédaction <strong>de</strong> tracts, à celle <strong>de</strong><br />

l’Humanité clan<strong>de</strong>stine, à celle <strong>de</strong> l’Université libre à partir <strong>de</strong> novembre 1940. À partir <strong>de</strong><br />

1941, son action se diversifie. Elle fait le lien entre la résistance intellectuelle et la lutte<br />

armée ; comme tant d’autres femmes, elle va même jusqu’à transporter <strong>de</strong>s explosifs.<br />

Elle tombe le 9 février 1942, en même temps que Decour, Politzer et Solomon. Tous trois<br />

vont connaître le martyre suprême. Marie-Clau<strong>de</strong>, elle, échappe à la mort. Arrêtée le 9<br />

février 1942, elle va <strong>de</strong> prison en prison, avant d’être déportée en Allemagne, le 24 janvier<br />

1943, avec Danièlle Casanova. Elle fait partie <strong>de</strong> ce convoi exceptionnel <strong>de</strong> 230 femmes qui<br />

entrent au camp <strong>de</strong> Birkenau en jetant la Marseillaise à la tête <strong>de</strong>s bourreaux. Elle reste dixhuit<br />

mois à Auschwitz, puis est transférée à Ravensbrück en août 1944. Cette femme<br />

indomptable se dépense sans compter, auprès <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, contre la maladie,<br />

l’épuisement, le désespoir et la pente terrible <strong>de</strong> l’abandon. Son élégance et sa fermeté<br />

laisseront à ses compagnes <strong>de</strong> déportation une image ineffaçable.<br />

Quand l’Armée rouge libère le camp, le 30 avril 1945, elle refuse d’être rapatriée<br />

immédiatement : elle reste au Revier, à l’infirmerie du camp, pour soutenir jusqu’au bout<br />

les plus affaiblies <strong>de</strong> ses compagnes. Elle ne regagne Paris que le 25 juin 1945. Son aura<br />

personnelle et le souvenir <strong>de</strong> Paul la propulsent aussitôt dans les rangs du comité central du<br />

<strong>PCF</strong>, qu’elle ne quittera qu’en 1985. Elle est désormais happée par l’action politique :<br />

députée en 1946, secrétaire générale <strong>de</strong> la Fédération démocratique internationale <strong>de</strong>s<br />

femmes, responsable <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s femmes françaises.<br />

La mémoire <strong>de</strong> la Résistance et <strong>de</strong> la déportation sera jusqu’au bout le plus déterminé <strong>de</strong> ses<br />

combats. Quand elle revient du tribunal <strong>de</strong> Nuremberg où elle témoigne en 1946, elle<br />

explique. « En racontant les souffrances <strong>de</strong> ceux qui ne pouvaient plus parler, j’avais le<br />

sentiment que, par ma bouche, ceux qu’ils avaient torturés, exterminés, accusaient leurs<br />

bourreaux. » En 1987, elle témoigne contre Barbie, puis, en 1990, elle prési<strong>de</strong> la Fondation<br />

pour la mémoire <strong>de</strong> la déportation.<br />

À Nuremberg, elle s’était approchée <strong>de</strong>s dignitaires nazis regroupés dans le box <strong>de</strong>s accusés.<br />

Elle les avait longuement regardés dans les yeux. Au fond, ces yeux bleus ont été peut-être<br />

leur châtiment le plus cruel. Il fut en tout cas le plus pur.<br />

Roger Martelli


27 Juillet 2010<br />

Daniel Mayer « Un militant socialiste engagé<br />

dans la Résistance »<br />

Par Martine PRADOUX, historienne.<br />

Daniel Mayer 
né à Paris en 1909, fait partie <strong>de</strong>s résistants <strong>de</strong> la première heure. Dès l’été<br />

1940, le jeune militant socialiste choisit <strong>de</strong> se battre pour la libération <strong>de</strong> la France.<br />

Inconnu en 1940, il <strong>de</strong>viendra sous l’Occupation le secrétaire du parti socialiste clan<strong>de</strong>stin<br />

et il siègera 
au Conseil national 
<strong>de</strong> la Résistance.<br />

Daniel Mayer est originaire <strong>de</strong> la petite bourgeoisie juive pauvre. Son enfance est marquée<br />

par la guerre <strong>de</strong> 14-18 et la mort <strong>de</strong> sa mère, tuberculeuse. À quatorze ans, le certificat<br />

d’étu<strong>de</strong>s primaires en poche, il gagne sa vie comme grouillot à la Bourse, représentant <strong>de</strong><br />

commerce, employé administratif. Bouleversé par l’affaire Sacco et Vanzetti, Mayer adhère<br />

à dix-huit ans à la Ligue <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme puis à la SFIO et aux Jeunesses socialistes.<br />

Il entre à vingt-quatre ans au Populaire, le quotidien <strong>de</strong> la SFIO, dont le directeur politique<br />

est Léon Blum. En 1936, il suit les grèves et les occupations d’usines et noue avec les<br />

responsables syndicaux socialistes et communistes <strong>de</strong>s contacts qui lui seront très utiles<br />

sous l’Occupation. Farouchement antimunichois, il dénonce en mars 1939, dans un article<br />

consacré à l’Allemagne, la suppression <strong>de</strong>s partis politiques et <strong>de</strong>s syndicats, le régime <strong>de</strong><br />

terreur <strong>de</strong>s nazis et la multiplication <strong>de</strong>s pogromes.<br />

En 1940 son engagement dans la Résistance est immédiat : patriote et républicain, il refuse<br />

à la fois l’occupation nazie et le régime <strong>de</strong> Vichy. Alors que la France est en pleine débâcle et<br />

que la SFIO a disparu dans la défaite, il est convaincu <strong>de</strong> la victoire inéluctable <strong>de</strong> la<br />

démocratie sur la barbarie. En septembre 1940, faute <strong>de</strong> pouvoir partir se battre en<br />

Angleterre, Mayer et sa femme, Cletta, se réfugient à Marseille sous leur véritable i<strong>de</strong>ntité.<br />

Cletta Mayer travaille dans un comité d’ai<strong>de</strong> aux réfugiés et sera très active dans la<br />

Résistance. Privé d’emploi, Mayer parvient à rendre visite à Léon Blum, emprisonné à<br />

Bourassol, près <strong>de</strong> Riom. Il <strong>de</strong>vient le messager et l’interprète du prisonnier Blum qui,<br />

jusqu’en mars 1943, date <strong>de</strong> sa déportation en Allemagne, fixe les orientations et les choix<br />

décisifs : reconstituer un parti socialiste épuré et rénové et préparer le retour à la<br />

démocratie <strong>de</strong> la France libérée. En juin 1941, Mayer et une poignée <strong>de</strong> militants créent le<br />

Comité d’action socialiste pour la zone Sud (CAS Sud). Mayer est nommé secrétaire. Il offre<br />

plusieurs atouts sous l’Occupation : protégé par son anonymat, il connaît les responsables<br />

socialistes et syndicaux en France et à Londres et il est connu d’eux. Il bénéficie <strong>de</strong> la<br />

confiance et <strong>de</strong> la caution <strong>de</strong> Léon Blum. Il sait faire preuve d’audace, <strong>de</strong> sang-froid et<br />

d’autorité. Enfin, comme il le dira avec humour, on ne se bousculait pas en 1941 pour être le<br />

secrétaire d’une organisation politique illégale et fantomatique.<br />

À Marseille avec Félix Gouin et Gaston Defferre, Mayer assure les liaisons entre les<br />

socialistes résistants dispersés au sud <strong>de</strong> la France. Contrairement à la plupart <strong>de</strong>s membres<br />

du CAS qui sont – au sud et plus encore, au nord – engagés dès 1941 dans un mouvement <strong>de</strong><br />

résistance, Mayer choisit <strong>de</strong> se consacrer entièrement au parti. Il a une conception<br />

exclusivement politique du socialisme résistant et <strong>de</strong> son propre rôle : aux mouvements <strong>de</strong><br />

résistance l’action militaire, indispensable mais limitée dans le temps, au PS la vocation<br />

politique et les objectifs à long terme car, contrairement aux communistes, les socialistes ne


sont pas préparés à l’action clan<strong>de</strong>stine. Il découvre la peur, la faim, l’épuisement, les<br />

pseudonymes et les logements <strong>de</strong> fortune. Il bénéficie <strong>de</strong>s conseils et du soutien financier <strong>de</strong><br />

socialistes polonais du Bund. Il apprend à résoudre les problèmes <strong>de</strong> locaux, faux papiers,<br />

imprimeries. En mai 1942, Mayer fon<strong>de</strong> le Populaire clan<strong>de</strong>stin en zone sud. Il écrira<br />

plusieurs articles sur le « martyre <strong>de</strong>s juifs », les rafles et le soulèvement <strong>de</strong> Varsovie.<br />

Il est l’un <strong>de</strong>s plus fervents avocats <strong>de</strong> la création du Conseil national <strong>de</strong> la Résistance<br />

(CNR). En avril 1943, à Londres, il rappelle au général <strong>de</strong> Gaulle que les socialistes lui ont<br />

apporté un soutien constant et qu’ils atten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lui, en contrepartie, la reconnaissance <strong>de</strong>s<br />

partis politiques et du PS et leur présence au CNR. Il n’y a pas chez Mayer d’adhésion<br />

personnelle mais un ralliement raisonné au chef <strong>de</strong> la France combattante. Il apprécie peu<br />

le chef militaire, son entourage, son comportement autoritaire et son anglophobie.<br />

À son retour, Mayer est nommé secrétaire du PS clan<strong>de</strong>stin unifié, épuré et rénové, mais il<br />

ne parvient pas à donner à la résistance socialiste la place qui lui revient face aux<br />

mouvements et au <strong>PCF</strong>. Les relations avec le <strong>PCF</strong> sont difficiles. Au nom <strong>de</strong> l’union<br />

nationale, les communistes refusent une alliance privilégiée avec les socialistes. Au CNR, à<br />

partir d’octobre 1943, Mayer représente le PS à l’assemblée plénière, faute d’obtenir un<br />

siège au bureau permanent où le <strong>PCF</strong> a un représentant, Pierre Villon, qui siège au nom du<br />

Front national. Mayer et Villon négocient âprement lors <strong>de</strong> l’élaboration du programme du<br />

CNR et ils sont en opposition totale sur la question <strong>de</strong> l’insurrection. Le 21 août 1944, Mayer<br />

défend farouchement la trêve. Le 26, avec les représentants du CNR, il <strong>de</strong>scend les Champs-<br />

Élysées aux côtés du général <strong>de</strong> Gaulle. À trente-cinq ans, il <strong>de</strong>vient officiellement secrétaire<br />

général <strong>de</strong> la SFIO. Il incarnera dans son parti la parenthèse résistante, vite refermée. Il<br />

sera député, ministre puis prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme et enfin prési<strong>de</strong>nt du<br />

Conseil constitutionnel. Jusqu’à sa mort, en 1996, Daniel Mayer défendra l’esprit et la<br />

mémoire <strong>de</strong> la Résistance avec fierté et nostalgie.<br />

Martine Pradoux, Daniel Mayer, un socialiste dans la Résistance. Les éditions <strong>de</strong> l’Atelier,<br />

Paris, 2002.<br />

Daniel Mayer<br />

Martine PRADOUX


26 Juillet 2010<br />

Edmon<strong>de</strong> Charles-Roux « Le discours du<br />

général <strong>de</strong> Gaulle fut un choc »<br />

Anne Roy, journaliste<br />

Edmon<strong>de</strong> Charles-Roux avait vingt ans lors <strong>de</strong> l’Appel 
du 18 juin. Pour elle, pas <strong>de</strong><br />

concession possible avec l’ennemi. Et c’est tout naturellement que cette fille<br />

d’ambassa<strong>de</strong>ur, issue <strong>de</strong> la bourgeoisie marseillaise, élevée au carrefour <strong>de</strong>s cultures et<br />

<strong>de</strong>venue infirmière, a offert 
ses services 
à la Résistance.<br />

«On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qui se serait passé s’il n’avait pas été<br />

là. » Quand on l’interroge sur son premier souvenir lié à la<br />

Résistance, Edmon<strong>de</strong> Charles-Roux n’a aucune hésitation : le<br />

discours du général <strong>de</strong> Gaulle, écouté clan<strong>de</strong>stinement dans une<br />

bibliothèque <strong>de</strong> la maison familiale, à Marseille. « Mon cousin<br />

était ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> camp du général, ma famille était formidablement<br />

concernée, on ne ratait pas Radio Londres, c’était notre oxygène.<br />

» Elle avait vingt ans, rentrait <strong>de</strong> Rome où son père venait <strong>de</strong><br />

passer huit ans comme ambassa<strong>de</strong>ur au Vatican et où elle avait<br />

étudié au lycée français. Elle se souvient d’un « choc monstrueux<br />

» et du sentiment d’appartenir à une « manne <strong>de</strong> jeunes<br />

horrifiés, sonnés, abasourdis », qui n’avaient jamais imaginé que<br />

leur pays « pourrait un jour perdre la guerre ». Quel avenir<br />

désormais ? Quelles étu<strong>de</strong>s entreprendre ? À ses yeux, ce moment marque une fracture<br />

entre ceux qui allaient résister et ceux qui étaient déjà prêts à s’accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la présence<br />

alleman<strong>de</strong>. Elle, elle a déjà fait son choix.<br />

De nouvelles solidarités se forment, et avec elles, un mon<strong>de</strong> nouveau, « une formidable<br />

aventure ». La jeune Edmon<strong>de</strong>, « issue <strong>de</strong> la bourgeoisie française » et amenée à fréquenter<br />

d’autres milieux sociaux, se lance avec un enthousiasme qui anime encore ses souvenirs.<br />

Elle s’oriente vers <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s d’infirmière. Formation accélérée, diplôme – « <strong>de</strong> guerre » –<br />

en un an. Elle raconte : « On était mises au travail le jour où l’on rentrait dans ce cursus, les<br />

infirmières en chef qui avaient fait la guerre <strong>de</strong> 14 étaient dans leur majorité très favorables<br />

au général <strong>de</strong> Gaulle. » Marseille, où vivait la jeune fille <strong>de</strong>venue ambulancière, était un<br />

vaste carrefour servant <strong>de</strong> refuge à <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> personnes venues <strong>de</strong> l’étranger. « Je<br />

n’étais pas entrée à la Croix-Rouge pour faire <strong>de</strong> la résistance, précise Edmon<strong>de</strong> Charles-<br />

Roux. Mais c’est cette expérience qui m’a amenée à en rencontrer <strong>de</strong>s membres actifs –<br />

parfois sans le savoir. » Un terreau familial, une enfance itinérante, polyglotte et ouverte sur<br />

l’étranger, un contexte, un métier, puis <strong>de</strong>s rencontres : voilà chacune <strong>de</strong>s pierres,<br />

indissociables, du chemin qui a conduit progressivement la jeune fille à s’impliquer dans la<br />

clan<strong>de</strong>stinité.<br />

« Des gens m’ont <strong>de</strong>mandé si je pouvais effectuer <strong>de</strong>s transports avec mon ambulance, à<br />

une époque où l’essence était rationnée », se souvient Edmon<strong>de</strong> Charles-Roux. Elle accepte,<br />

sans savoir à qui elle a affaire. Elle ne le découvrira pas avant la fin <strong>de</strong> la guerre. Pas plus<br />

qu’elle ne connaîtra la nature <strong>de</strong>s marchandises transportées et stockées chez elle : après six<br />

à huit mois <strong>de</strong> menus services, elle a gagné la confiance <strong>de</strong> ses interlocuteurs qui lui confient


<strong>de</strong>s armes. C’est la Main-d’œuvre immigrée – la célèbre MOI –, liée au Parti communiste<br />

français, qui a approché l’infirmière. « Ils savaient où ils mettaient les pieds », explique-telle,<br />

rappelant qu’un beau matin, ses contacts lui ont <strong>de</strong>mandé d’héberger à <strong>de</strong>meure, en<br />

secret, <strong>de</strong>s Tchèques. La famille comptait déjà quatre anciens ressortissants tchèques. Des<br />

anciens cuisiniers <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> qui avaient préféré suivre leur patron et prendre la<br />

nationalité française. Cloisonnement <strong>de</strong>s résistances et discrétion obligent, Edmon<strong>de</strong><br />

Charles-Roux est loin d’imaginer qu’elle offre ses services à la MOI. Impossible, à ce<br />

moment-là, d’envisager <strong>de</strong> poser la moindre question, pas même sur la nature <strong>de</strong>s<br />

marchandises qui lui sont confiées : « Le secret n’a ni commencement ni fin. »<br />

Pas <strong>de</strong> questions, non plus, quand un envoyé du général <strong>de</strong> Lattre <strong>de</strong> Tassigny vient la<br />

trouver dans son hôpital, lors du débarquement <strong>de</strong>s troupes françaises sur les côtes <strong>de</strong><br />

Provence. « Vous <strong>de</strong>vez rejoindre l’armée », s’entend-elle dire, sans explication. Après la<br />

bataille <strong>de</strong> Marseille, en août 1944, elle la rejoint à Aix. Le général fait d’elle sa secrétaire<br />

pendant toute la campagne <strong>de</strong> France. « À chaque étape, <strong>de</strong>s résistants se précipitaient pour<br />

nous saluer, nous les engagions dans l’armée. » Elle se souvient d’un brassage culturel<br />

inédit : « La cinquième division blindée dans laquelle j’étais comptait un maximum<br />

d’étrangers. » Après-guerre, Edmon<strong>de</strong> n’a « pas l’intention <strong>de</strong> faire les campagnes<br />

coloniales ». Elle veut retourner à la vie civile, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sa démobilisation et trouve un<br />

poste à France Soir. Commence alors la <strong>de</strong>uxième carrière d’Edmon<strong>de</strong> Charles-Roux,<br />

journaliste, avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir écrivain, <strong>de</strong> recevoir, en 1966, le prix Goncourt pour son<br />

roman Oublier Palerme. Et <strong>de</strong> rejoindre l’académie Goncourt qu’elle prési<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis 2002.<br />

Une carrière dans laquelle elle n’aura <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> continuer sur la voie <strong>de</strong> ses activités <strong>de</strong> la<br />

Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale : rester une femme libre, multiplier les rencontres fortes, effacer<br />

les frontières intellectuelles et culturelles.<br />

Anne Roy


23 Juillet 2010<br />

Jean Moulin « Il voulait rétablir la République,<br />

il était intransigeant sur ce plan-là »<br />

Par Daniel Cordier, ancien secrétaire <strong>de</strong> Jean Moulin durant l'occupation.<br />

Né en 1899 à Béziers, Jean Moulin est l’un <strong>de</strong>s grands symboles <strong>de</strong> la Résistance en<br />

France. Chargé par le général <strong>de</strong> Gaulle d’unifier la Résistance en zone libre, il constitua le<br />

Conseil national <strong>de</strong> la Résistance en 1943, avant d’être arrêté et torturé par la Gestapo.<br />

«Je suis arrivé en Angleterre en novembre 1940, à<br />

vingt et un ans. Nous n’avions qu’une idée, nous<br />

venger, tuer <strong>de</strong>s Boches. On nous a entraînés, nous<br />

étions prêts mais il ne se passait rien. J’étais désespéré<br />

jusqu’au jour où l’on apprit qu’un officier recrutait et<br />

j’ai été accepté. Nous avons été parachutés le 25 juin<br />

1942, j’attendais cela <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans ! La mission que<br />

l’on me confiait était le secrétariat <strong>de</strong> Georges Bidault,<br />

qui était alors directeur d’une agence <strong>de</strong> presse<br />

clan<strong>de</strong>stine qui diffusait <strong>de</strong>s informations très<br />

importantes en France et surtout en Angleterre à la<br />

BBC. Mon officier me dit qu’avant <strong>de</strong> prendre contact<br />

avec Georges Bidault, je <strong>de</strong>vrais voir le représentant <strong>de</strong><br />

De Gaulle, Rex, le chef <strong>de</strong> la Résistance, le supérieur<br />

<strong>de</strong> tous les agents. Parachuté à Montluçon, je me rends<br />

à Lyon. Après avoir été enfermé <strong>de</strong>ux trois jours chez<br />

une famille, on me prévient que je vais rencontrer le patron. C’était dans un appartement du<br />

côté <strong>de</strong> la place <strong>de</strong>s Terreaux, un très bel appartement. On me fait entrer dans un grand<br />

salon, où il y avait un homme assis dans un fauteuil. Il s’est levé, m’a <strong>de</strong>mandé si j’avais fait<br />

un bon voyage et il m’a donné ren<strong>de</strong>z-vous le soir, dans un restaurant. C’était un homme<br />

charmant, très bronzé, très élégant. Au dîner, il m’interroge : ―Pourquoi êtes-vous allé en<br />

Angleterre ? – Je voulais me battre. – Mais la guerre est finie ? – Non, Pétain est un vieux<br />

con, l’armistice ce n’est pas possible.‖ Il était intéressé, curieux. Je ne lui cache pas mon<br />

engagement à l’Action française. Après un long moment, il dit : ―Je me rends compte <strong>de</strong> la<br />

chance que j’ai eue d’avoir une enfance républicaine.‖ À la fin, nous avons suivi les quais du<br />

Rhône jusqu’à un autre appartement et il m’a dit : ―Je vous attends <strong>de</strong>main à 7 heures, je<br />

vous prends comme secrétaire.‖ Avec cet homme que je voyais pour la première fois, nous<br />

avions passé une soirée ensemble, et en plus il me gardait comme secrétaire !<br />

Le len<strong>de</strong>main à 7 heures, Moulin me fait entrer dans sa chambre, une toute petite pièce, et<br />

je lui explique pourquoi je ne peux pas travailler avec lui. ―Ne vous inquiétez pas, je le<br />

signalerai à Londres.‖ La décision était prise et il m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> déco<strong>de</strong>r les documents<br />

que j’avais apportés. Voilà comment nous nous sommes rencontrés. Ensuite, ce fut la<br />

routine. Il passait six jours sur sept à Lyon, et le samedi soir partait dans sa maison<br />

familiale près d’Avignon, son domicile officiel, pour se montrer. À l’époque, il était préfet<br />

retraité d’office après son éviction par le régime <strong>de</strong> Vichy <strong>de</strong> son poste <strong>de</strong> Chartres. Il avait<br />

un agent <strong>de</strong> liaison à Avignon qui me portait tous les jours <strong>de</strong>s plis, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

ren<strong>de</strong>z-vous. Moulin attendait son départ pour Londres pour unifier les mouvements <strong>de</strong><br />

résistance, notamment unir les trois mouvements : Combat, Libération et les Francs-


Tireurs. Quand je suis arrivé, les relations entre Moulin et ces mouvements étaient bonnes.<br />

Moulin apportait <strong>de</strong> l’argent, ce qui explique son emprise. Il était arrivé en janvier 1942 avec<br />

1 200 000 francs <strong>de</strong> l’époque, qui ont servi pendant six mois. Je suis arrivé en juin avec 2<br />

millions <strong>de</strong> francs.<br />

La vie avec lui était simple. Le matin, on se voyait à 7 heures dans sa chambre, que j’étais le<br />

seul à connaître. J’apportais le courrier, les journaux et un petit pain. Je ne savais pas où il<br />

allait dans la journée. On se revoyait à midi. J’avais beaucoup <strong>de</strong> travail. Pour faire passer<br />

un message <strong>de</strong> trois minutes, un ren<strong>de</strong>z-vous par exemple, ça pouvait prendre une journée.<br />

Je l’accompagnais parfois à <strong>de</strong>s réunions, et comme il était très pru<strong>de</strong>nt, je transportais les<br />

documents et les lui donnais au <strong>de</strong>rnier moment. Je dînais souvent avec lui et avec Bidault<br />

parfois, qui était au comité directeur du Combat <strong>de</strong> Freinet et apportait <strong>de</strong>s informations<br />

capitales diffusées en France, mais elles avaient peu d’écho, et surtout en Angleterre.<br />

Les Anglais avaient bien vu les qualités <strong>de</strong> Moulin. Ils ne souhaitaient pas une rencontre<br />

avec <strong>de</strong> Gaulle. C’était un homme <strong>de</strong> gauche, très méfiant à l’égard d’un général. On ne<br />

savait rien <strong>de</strong> <strong>de</strong> Gaulle et, en France en 1941, personne n’imaginait ce qu’était la France<br />

libre à Londres. Moulin rencontre donc les Anglais qui lui font comprendre qu’il peut<br />

<strong>de</strong>venir le patron <strong>de</strong> la Résistance en France. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’abord à voir <strong>de</strong> Gaulle pour<br />

donner sa réponse. L’entrevue a lieu en octobre. Moulin était républicain, il voulait rétablir<br />

la République, il était intransigeant sur ce plan-là. De Gaulle avait une réputation <strong>de</strong><br />

fasciste. La première chose que Moulin a <strong>de</strong>mandée à <strong>de</strong> Gaulle fut <strong>de</strong> préciser si son<br />

mouvement était républicain. De Gaulle l’affirme. La rencontre Moulin-<strong>de</strong> Gaulle c’était<br />

d’abord la République. En novembre, lors <strong>de</strong> son premier grand discours au Albert Hall <strong>de</strong><br />

Londres, <strong>de</strong> Gaulle a effectivement pris l’engagement <strong>de</strong> rétablir la République. Ensuite, il a<br />

ajouté <strong>de</strong> sa main, sur l’ordre <strong>de</strong> mission <strong>de</strong> Jean Moulin, une phrase qui n’y figurait pas au<br />

départ : ―Le général <strong>de</strong> Gaulle est le chef <strong>de</strong> la Résistance.‖ Ce texte n’a jamais été accepté<br />

par les résistants. Le jour où Moulin a été arrêté, ils ont pu prendre le pouvoir qu’ils<br />

voulaient <strong>de</strong>puis toujours. Ils ne voulaient pas du Conseil national <strong>de</strong> la Résistance (CNR).<br />

Lors <strong>de</strong> la première réunion du CNR, en mai 1943, il n’y avait aucun <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong>s<br />

mouvements, pour <strong>de</strong>s raisons politiques. Seuls leurs représentants étaient présents.<br />

Je suis étonné par ce que Jean Moulin représente aujourd’hui. Cette aura date <strong>de</strong> son entrée<br />

au Panthéon et du discours d’André Malraux. Avant, il était inconnu, il ne figurait même<br />

pas dans les ouvrages <strong>de</strong> l’après-guerre. Personnellement, tout ce que je pourrai faire pour<br />

perpétuer son souvenir, je le ferai, le plus longtemps possible. C’est un homme qui fait<br />

partie <strong>de</strong> l’imaginaire d’un peuple. Même si on ne sait pas exactement ce qu’il a fait, son<br />

nom est attaché à l’idée d’un homme libre. »<br />

Jean moulin - Propos recueillis par Jacques Moran


22 Juillet 2010<br />

Pierre Brossolette « Il s’impose parmi les<br />

déci<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la France combattante »<br />

Par Guillaume Piketty, historien<br />

Journaliste 
et homme politique socialiste, Pierre Brossolette fut 
un haut responsable <strong>de</strong>s<br />

services secrets <strong>de</strong> la France combattante. 
Il rejoignit le Groupe du musée 
<strong>de</strong> l’Homme<br />

avant 
<strong>de</strong> participé 
à la formation 
<strong>de</strong> l’Organisation civile et militaire 
et à Libération-<br />

Nord. 
Arrêté et torturé 
en 1944, il se suicida sans avoir parlé.<br />

Né à Paris le 25 juin 1903 dans une famille<br />

d’enseignants républicains, normalien et agrégé<br />

d’histoire, Pierre Brossolette <strong>de</strong>vient journaliste en<br />

1926 et s’impose comme un spécialiste <strong>de</strong> la politique<br />

internationale. Immédiatement hostile aux régimes<br />

fasciste puis nazi, il met dix ans à renoncer aux idéaux<br />

briandistes mais s’affirme comme un antimunichois<br />

farouche. Franc-maçon, membre <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong>s<br />

droits <strong>de</strong> l’homme (LDH) et <strong>de</strong> la Ligue internationale<br />

contre l’antisémitisme (Lica), un temps proche <strong>de</strong>s<br />

Jeunes Turcs du Parti radical, il milite à la Section<br />

française <strong>de</strong> l’internationale ouvrière (SFIO), du<br />

printemps 1930 à l’été 1939.<br />

Mobilisé comme officier <strong>de</strong> réserve, il est emporté par<br />

la débâcle mais échappe à la captivité. Patriote et<br />

conscient du caractère mondial <strong>de</strong> la lutte pour la<br />

liberté, antinazi et hostile au régime <strong>de</strong> Vichy, il rejoint le Groupe <strong>de</strong> résistance du musée <strong>de</strong><br />

l’Homme à la fin <strong>de</strong> l’hiver 1941. Il entre ensuite en contact avec les socialistes résistants<br />

puis avec Libération-Nord. Devenu chef <strong>de</strong> la section presse et propagan<strong>de</strong> du réseau<br />

Confrérie Notre-Dame, en novembre 1941, il rédige pour la France libre une série <strong>de</strong><br />

rapports sur l’opinion et la classe politique françaises et sur la résistance en zone occupée. Il<br />

donne la liaison avec Londres à l’Organisation civile et militaire et à Libération-Nord. En<br />

zone libre, il noue <strong>de</strong>s contacts avec Combat, Libération-Sud et le groupe Pierre-Bertaux.<br />

Parvenu à Londres au printemps 1942, fort <strong>de</strong> son expérience politique, <strong>de</strong> sa connaissance<br />

<strong>de</strong> la France occupée et <strong>de</strong> son aura <strong>de</strong> pionnier <strong>de</strong> la Résistance, il s’impose parmi les<br />

déci<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la France combattante. Le 1er octobre, il <strong>de</strong>vient adjoint du colonel Passy à la<br />

tête du Bureau central <strong>de</strong> renseignements et d’action (BCRA). Compagnon <strong>de</strong> la Libération<br />

et membre du conseil <strong>de</strong> l’ordre, il appartient alors au saint <strong>de</strong>s saints <strong>de</strong>s forces gaullistes<br />

mais <strong>de</strong>meure luci<strong>de</strong> sur « l’homme du 18 juin ».<br />

Au cours <strong>de</strong> cet automne londonien, il re<strong>de</strong>vient propagandiste et homme politique. Il<br />

dénonce Vichy et la Collaboration. Il plai<strong>de</strong> pour l’union <strong>de</strong>s résistants <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong> Gaulle. Il<br />

réfléchit à la rénovation politique, économique et sociale d’une France démocratique<br />

régénérée dans la Résistance. Il se fait le chantre du combat <strong>de</strong>s ombres. C’est ainsi que le<br />

22 septembre 1942, au micro <strong>de</strong> la BBC, il prononce <strong>de</strong>s mots passés <strong>de</strong>puis à la postérité : «<br />

Tués, blessés, fusillés, arrêtés, torturés, chassés toujours <strong>de</strong> leur foyer, coupés souvent <strong>de</strong>


leur famille, combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni<br />

d’étendards, régiment sans drapeau dont les sacrifices et les batailles ne s’inscriront point<br />

en lettres d’or dans le frémissement <strong>de</strong> la soie mais seulement dans la mémoire fraternelle<br />

et déchirée <strong>de</strong> ceux qui survivront (…). La gloire est comme ces navires où l’on ne meurt pas<br />

seulement à ciel ouvert mais aussi dans l’obscurité pathétique <strong>de</strong>s cales. C’est ainsi que<br />

luttent et que meurent les hommes du combat souterrain <strong>de</strong> la France. Saluez-les, Français !<br />

Ce sont les soutiers <strong>de</strong> la gloire. »<br />

De juin 1942 à mars 1944, Pierre Brossolette effectue trois missions clan<strong>de</strong>stines en France.<br />

Au cours <strong>de</strong> la première (du 3 juin au 13 septembre 1942), il fait partir à Londres André<br />

Philip et Louis Vallon, et convainc l’ancien lea<strong>de</strong>r du PSF Charles Vallin <strong>de</strong> rallier la France<br />

combattante. Si Philip <strong>de</strong>vient commissaire à l’Intérieur, l’opération politique liée à la venue<br />

<strong>de</strong> Vallin fait long feu. Durant la mission Brumaire (du 27 janvier au 16 avril 1943), tandis<br />

que Passy et l’agent du SOE Forest Yeo-Thomas se concentrent sur les enjeux paramilitaires<br />

et <strong>de</strong> renseignement, Brossolette coordonne l’action civile <strong>de</strong> la résistance en zone nord. Il<br />

convainc Passy d’ignorer les instructions prescrivant <strong>de</strong> former directement un Conseil <strong>de</strong> la<br />

Résistance unique pour toute la France et comportant, outre les mouvements, <strong>de</strong>s partis<br />

politiques et <strong>de</strong>s syndicats. Tenant compte <strong>de</strong> l’hostilité aux partis manifestée par les<br />

résistants, les <strong>de</strong>ux hommes forment un comité <strong>de</strong> coordination limité aux cinq plus<br />

importants mouvements <strong>de</strong> la zone qu’ils réunissent le 26 mars.<br />

Candidat malheureux à la succession <strong>de</strong> Moulin, Brossolette revient en France avec Yeo-<br />

Thomas le 19 septembre 1943 pour installer dans ses fonctions le nouveau délégué général<br />

du CFLN, Émile Bollaert, et travailler à la réforme <strong>de</strong> la presse. Avec Yeo-Thomas, il<br />

renforce les instances <strong>de</strong> coordination paramilitaire <strong>de</strong> la Résistance. Il soutient l’action du<br />

Comité central <strong>de</strong>s mouvements, rival du CNR. Ce faisant, il désobéit aux instructions<br />

d’Alger et s’oppose à Bidault, Bingen et Serreulles. Il profite <strong>de</strong> sa mission pour préparer la<br />

Libération avec ceux <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s socialistes <strong>de</strong> l’Aube qui sont entrés en résistance.<br />

Rappelé à Londres, il refuse <strong>de</strong> partir en novembre puis échoue dans ses tentatives <strong>de</strong><br />

départ <strong>de</strong> décembre 1943 et <strong>de</strong> janvier 1944. Dans la nuit du 2 au 3 février, il essaie <strong>de</strong><br />

quitter la Bretagne par mer avec Bollaert. Ils sont arrêtés le 3 février au soir à la suite d’un<br />

contrôle <strong>de</strong> routine et incarcérés à Quimper puis à Rennes. I<strong>de</strong>ntifié le 16 mars, transféré à<br />

Paris dans la nuit du 19 au 20, torturé pendant <strong>de</strong>ux jours et <strong>de</strong>mi, Brossolette se suici<strong>de</strong> le<br />

22, sans avoir parlé.<br />

Quelques mois plus tôt, le 18 juin 1943, il avait prononcé, à l’Albert Hall <strong>de</strong> Londres, un<br />

vibrant « hommage aux morts <strong>de</strong> la France combattante ». Il avait conclu par ces mots dont<br />

l’actualité, <strong>de</strong>puis, ne s’est jamais démentie :<br />

« Colonels <strong>de</strong> trente ans, capitaines <strong>de</strong> vingt ans, héros <strong>de</strong> dix-huit ans, la France<br />

combattante n’a été qu’un long dialogue <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> la vie. Les ri<strong>de</strong>s qui fanaient le<br />

visage <strong>de</strong> la patrie, les morts <strong>de</strong> la France combattante les ont effacées ; les larmes<br />

d’impuissance qu’elle versait, ils les ont essuyées ; les fautes dont le poids la courbait, ils les<br />

ont rachetées. En cet anniversaire du jour où le général <strong>de</strong> Gaulle les a convoqués au<br />

banquet sacré <strong>de</strong> la mort, ce qu’ils nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ce n’est pas <strong>de</strong> les plaindre, mais <strong>de</strong> les<br />

continuer. Ce qu’ils atten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nous, ce n’est pas un regret, mais un serment. Ce n’est pas<br />

un sanglot, mais un élan. »


(*) Guillaume Piketty est l’auteur <strong>de</strong> Pierre Brossolette, un héros <strong>de</strong> la Résistance, Éditions<br />

Odile Jacob.<br />

Guillaume Piketty


21 Juillet 2010<br />

Ma<strong>de</strong>leine Vincent. Dans les prisons <strong>de</strong><br />

Ravensbrück à Mauthausen<br />

Par Roger Bour<strong>de</strong>ron, historien<br />

Résistante 
<strong>de</strong> la première heure, ancienne déportée 
et gran<strong>de</strong> figure du <strong>PCF</strong>, Ma<strong>de</strong>leine<br />

Vincent fit partie 
<strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s jeunes filles <strong>de</strong> France, 
dès sa fondation. Responsable<br />

interrégionale 
<strong>de</strong> la JC, elle fut 
en charge 
<strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong> l’action en zone interdite.<br />

Née le 4 mai 1920, dans une famille ouvrière à Asnières (Hauts-<strong>de</strong>-Seine), Ma<strong>de</strong>leine<br />

Vincent suit une formation <strong>de</strong> mécanographe, puis est embauchée dans une boutique<br />

d’articles <strong>de</strong> Paris où elle travaille jusqu’au début <strong>de</strong> la guerre. Adhérente <strong>de</strong> la JC en 1935,<br />

elle passe à l’Union <strong>de</strong>s jeunes filles <strong>de</strong> France (UJFF) lors <strong>de</strong> sa fondation, en 1936, à<br />

l’initiative <strong>de</strong> Danielle Casanova – création vécue à l’époque, alors que la mixité n’existe pas,<br />

comme un moyen pour les jeunes filles d’affirmer leur autonomie en participant ellesmêmes<br />

à la vie sociale, sportive, culturelle, et politique, ce que fait le foyer que Ma<strong>de</strong>leine<br />

anime à Boissy-Saint-Léger où elle habite avec ses parents. Elle adhère en 1938 au Parti<br />

communiste, dont elle suit une école pour la formation <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> l’UJFF. Elle <strong>de</strong>vient<br />

membre du bureau <strong>de</strong> la région Paris-Sud <strong>de</strong> celle-ci.<br />

Sans état d’âme sur le pacte germano-soviétique, Ma<strong>de</strong>leine Vincent conserve après la<br />

dissolution du Parti, en septembre 1939, <strong>de</strong>s contacts avec l’UJFF, et notamment avec l’une<br />

<strong>de</strong> ses responsables nationales, Claudine Chomat. Dès le mois d’août 1940, au début <strong>de</strong><br />

l’occupation, elle est envoyée dans le Nord, en zone interdite, pour remettre sur pied la<br />

Jeunesse communiste dans une région ouvrière essentielle pour l’activité du Parti.<br />

Ma<strong>de</strong>leine Vincent rencontre Martha Desrumaux, cheville ouvrière <strong>de</strong> la reconstruction du<br />

Parti dans la région, et <strong>de</strong>vient à l’automne 1940 responsable interrégionale <strong>de</strong> la JC, pour<br />

les Ar<strong>de</strong>nnes, l’Aisne, la Meuse, le Nord et le Pas-<strong>de</strong>-Calais, mais c’est surtout dans ces <strong>de</strong>ux<br />

départements miniers qu’elle interviendra. Dans ce travail clan<strong>de</strong>stin, Ma<strong>de</strong>leine Vincent<br />

est en liaison avec <strong>de</strong>s responsables communistes du bassin houiller, notamment Germinal<br />

Martel dans le Nord et Julien Hapiot dans le Pas-<strong>de</strong>-Calais. Les premiers objectifs sont<br />

mo<strong>de</strong>stes, ainsi qu’elle-même le dira plus tard : lutter contre la résignation et redonner<br />

confiance, démystifier Pétain et Vichy, ai<strong>de</strong>r à la manifestation <strong>de</strong>s mécontentements dès


qu’une occasion peut être saisie, appeler à <strong>de</strong>s actes revendicatifs limités ; pour elle, c’est<br />

déjà une façon <strong>de</strong> lutter contre l’occupant.<br />

Dans cette tâche, <strong>de</strong>s jeunes femmes <strong>de</strong> l’UJFF jouent un rôle essentiel <strong>de</strong> liaison entre les<br />

militants, et pour la fabrication et la distribution <strong>de</strong>s tracts et <strong>de</strong>s journaux clan<strong>de</strong>stins.<br />

Dans les départements miniers, la JC est à l’origine <strong>de</strong>s premiers groupes <strong>de</strong> l’Organisation<br />

spéciale (OS) du Parti communiste. Commencent aussi <strong>de</strong>s récupérations d’armes et<br />

d’explosifs. Durant ces mois décisifs <strong>de</strong> reconstruction, à laquelle s’emploie Ma<strong>de</strong>leine<br />

Vincent et qui débouche sur la grève <strong>de</strong>s mineurs du printemps 1941, s’amorce une<br />

composante majeure <strong>de</strong> la résistance communiste, la liaison et l’interaction entre lutte<br />

revendicative, lutte politique, lutte pour l’indépendance nationale.<br />

Été 1941 : après l’agression contre l’URSS et le passage du Parti à ce qui <strong>de</strong>viendra la lutte<br />

armée, Danielle Casanova charge Ma<strong>de</strong>leine Vincent <strong>de</strong> promouvoir l’action directe contre<br />

l’occupant. En juillet, Ma<strong>de</strong>leine a ren<strong>de</strong>z-vous à Escaudain, dans le canton <strong>de</strong> Douai, avec<br />

<strong>de</strong>ux militants <strong>de</strong> la JC, Germinal Martel et Félicien Joly, pour envisager la création <strong>de</strong><br />

groupes <strong>de</strong> la JC en vue du sabotage <strong>de</strong>s voies ferrées, <strong>de</strong>s écluses, <strong>de</strong>s installations<br />

électriques. Des premiers groupes, noyau <strong>de</strong>s futurs FTP, se constituent les semaines<br />

suivantes.<br />

Pendant cette pério<strong>de</strong>, Ma<strong>de</strong>leine Vincent – que ses camara<strong>de</strong>s appellent plus volontiers la<br />

Parisienne que par ses pseudos, Mariette ou Paulette – voue sa vie à l’activité militante,<br />

dans l’insécurité permanente, la crainte <strong>de</strong>s filatures, les risques <strong>de</strong> rafles, <strong>de</strong> contrôles<br />

policiers, notamment dans les lieux publics, comme les gares, alors qu’elle est amenée à se<br />

déplacer continuellement, à Lille, Valenciennes, Escaudain, Fenain, Loos-en-Gohelle…, et à<br />

Paris, ce qui est particulièrement dangereux car Nord et Pas-<strong>de</strong>-Calais étant en zone<br />

interdite, une véritable frontière les sépare <strong>de</strong> la zone occupée. En août 1940, le premier<br />

passage s’est fait avec la complicité <strong>de</strong> cheminots communistes du triage <strong>de</strong> Longueau,<br />

prévenus par le député Jean Catelas. Ma<strong>de</strong>leine utilise cette filière, le plus souvent dans le<br />

ten<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la locomotive, pour ses ren<strong>de</strong>z-vous parisiens avec Danielle Casanova.<br />

Janvier 1942 : Ma<strong>de</strong>leine Vincent est rappelée à Paris pour d’autres tâches, qu’elle ignorera<br />

toujours. Avant son départ, elle doit rencontrer Germinal Martel qui <strong>de</strong>vient « inter » à sa<br />

place. Mais le 9 janvier, en gare <strong>de</strong> Douai, reconnue par un homme qui a déjà « donné » un<br />

militant, elle tente <strong>de</strong> fuir, est rattrapée et arrêtée. Elle est emprisonnée à Loos, à Bruxelles,<br />

transférée en août en Allemagne, emprisonnée à Essen, Zweibrücken, à nouveau Essen,<br />

dont la prison atteinte par un bombar<strong>de</strong>ment allié est évacuée. Incarcérée à la prison <strong>de</strong><br />

Kreutzburg en basse Silésie, Ma<strong>de</strong>leine Vincent invoque avec une prisonnière belge les<br />

conventions internationales pour appeler les prisonnières à refuser <strong>de</strong> travailler au<br />

terrassement d’un terrain d’aviation. Elle est mise au cachot avec sa complice, tandis que<br />

leurs codétenues refusent effectivement ce travail. Toutes sont déportées à Ravensbrück en<br />

juillet 1944. Ma<strong>de</strong>leine Vincent achève la déportation à Mauthausen, d’où elle est libérée<br />

par la Croix-Rouge en avril 1945. Elle recevra la croix <strong>de</strong> guerre au titre <strong>de</strong> la Résistance et<br />

<strong>de</strong>viendra officier <strong>de</strong> la Légion d’honneur.<br />

Après-guerre, Ma<strong>de</strong>leine Vincent rencontre Guy Ducoloné, résistant lui aussi déporté. Ils se<br />

marient le 23 novembre 1946 et ont un fils en 1963. Permanente du Parti communiste,<br />

Ma<strong>de</strong>leine gravit les échelons <strong>de</strong> sa direction et est membre <strong>de</strong> son bureau politique <strong>de</strong> 1970<br />

à 1990. Elle est décédée le 22 novembre 2005.


Bibliographie : Jacques Estager, Ami entends-tu la Résistance populaire dans le Nord-<br />

Pas-<strong>de</strong>-Calais, Messidor/Éditions sociales, 1986 ; les Femmes dans la Résistance, actes du<br />

colloque, Éditions du Rocher, 1977 ; Roger Bour<strong>de</strong>ron, Des résistantes communistes :<br />

Ma<strong>de</strong>leine Vincent et Cécile Rol-Tanguy, communication faite le 8 mars 2006 à l’hôtel <strong>de</strong><br />

ville <strong>de</strong> Paris (journée d’étu<strong>de</strong> « Des résistantes parisiennes 1940-1944 »), à paraître dans<br />

Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique.<br />

Roger Bour<strong>de</strong>ron


20 Juillet 2010<br />

Honoré d’Estienne d’Orves. « Le compagnon <strong>de</strong><br />

la Libération “qui croyait au ciel” »<br />

Par Michel Boissard, 
historien.<br />

Martyr 
<strong>de</strong> la Résistance, Honoré d’Estienne d’Orves était 
un officier 
<strong>de</strong> marine, issu<br />


d’un milieu aristocrate, qui créa une filière 
<strong>de</strong> renseignement majeure en France, avant<br />

d’être fusillé 
au Mont-Valérien 
en 1941.<br />

Dans son Premier Journal parisien, le capitaine<br />

Ernst Jünger, en poste à Paris à l’état-major <strong>de</strong><br />

la Wehrmacht, note à la date du 29 août 1941 : «<br />

Lu cet après-midi les lettres d’adieu du comte<br />

d’Estienne d’Orves, fusillé après jugement du<br />

tribunal militaire. (…) Lecture <strong>de</strong> haute valeur,<br />

j’avais le sentiment <strong>de</strong> tenir entre mes mains un<br />

document qui <strong>de</strong>meurera. » À la même date, le<br />

père dominicain Couturier écrit à Élisabeth <strong>de</strong><br />

Miribel, secrétaire du général <strong>de</strong> Gaulle : « Dans<br />

le drame qui vient <strong>de</strong> se jouer à Paris, il est bon<br />

que la première victime soit un noble. Il est<br />

tombé à la place exacte que l’honneur assignait<br />

à la noblesse française. » Mais quelle est donc<br />

cette figure pionnière <strong>de</strong> la résistance à<br />

l’occupant nazi, volontiers parée <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong><br />

la chevalerie, à qui Aragon dédiera son poème la<br />

Rose et le Réséda, fraternellement accolé aux<br />

communistes Gabriel Péri et Guy Môquet<br />

comme à l’étudiant chrétien Gilbert Dru,<br />

tombés ensemble dans la lutte pour la libération<br />

nationale ? Le <strong>de</strong>scendant d’une lignée<br />

aristocratique provençale dont la <strong>de</strong>vise est « inspirée par le chêne vert au feuillage<br />

persistant » : « Il ne perd jamais ses feuilles. » Par alliance conjugale associée à la<br />

prestigieuse dynastie <strong>de</strong> grainetiers et sélectionneurs <strong>de</strong> semences, les Levêque <strong>de</strong> Vilmorin.<br />

En un mot, une « gran<strong>de</strong> famille » : « Enracinement dans l’histoire <strong>de</strong> France, sens du<br />

service, goût <strong>de</strong> la connaissance, du travail et <strong>de</strong>s voyages… »(*) Tel est le bagage d’Honoré<br />

d’Estienne d’Orves, né en 1901, <strong>de</strong>uxième d’une fratrie <strong>de</strong> cinq enfants installée au château<br />

<strong>de</strong> Verrières-le-Buisson, près <strong>de</strong> Paris. Bachelier à seize ans, reçu à l’École polytechnique à<br />

vingt, il intègre l’École navale <strong>de</strong>ux ans plus tard. Son cursus militaire est significatif :<br />

lieutenant <strong>de</strong> vaisseau en 1930, chevalier <strong>de</strong> la Légion d’honneur en 1935. Ayant parcouru<br />

les mers du Brésil à la Chine, du Maroc à Bali, l’armistice le trouve en 1940 à Alexandrie, à<br />

l’état-major <strong>de</strong> la Force X. À son supérieur, l’amiral Godfroy, il écrit alors : « Vous <strong>de</strong>vinez<br />

mes sentiments. J’ai été élevé dans le culte <strong>de</strong> la patrie. 1870 et 1914 ont tellement marqué<br />

mes parents et moi-même que je ne puis concevoir l’asservissement actuel <strong>de</strong> la France. »<br />

Prenant le nom d’emprunt <strong>de</strong> Chateauvieux, brisant avec la discipline <strong>de</strong> la Royale, formant<br />

un petit groupe <strong>de</strong> marins et d’officiers, il rejoint la France libre à Londres, où <strong>de</strong> Gaulle «


assumait le non du premier jour » (André Malraux). Affecté à l’état-major <strong>de</strong>s Forces<br />

navales françaises libres, adjoint du colonel Passy au Bureau central <strong>de</strong> renseignements et<br />

d’action (BCRA), il est impatient d’agir en France occupée. Jetant les bases du réseau<br />

Nemrod, embarqué en Cornouailles sur un bateau <strong>de</strong> pêche, il accoste à Plogoff d’où, sous le<br />

pseudo <strong>de</strong> Jean-Pierre Girard, il sillonne la Bretagne pour mettre sur pied une filière <strong>de</strong><br />

renseignement, vite efficace, sur les défenses côtières <strong>de</strong> l’ennemi, ses bâtiments <strong>de</strong> guerre,<br />

les aérodromes et les dépôts <strong>de</strong> carburant <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Nantes… Or la trahison fait son<br />

œuvre. S’étant tardivement rendu compte du comportement suspect du radio Marty,<br />

Estienne d’Orves et vingt-cinq <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s sont arrêtés par la Gestapo, le 22 janvier<br />

1941. Commence alors ce que l’on peut, sans excès <strong>de</strong> plume, appeler la Passion du<br />

lieutenant <strong>de</strong> vaisseau Henri, Louis, Honoré, comte d’Estienne d’Orves. À ses compagnons<br />

incarcérés, dès avant le procès qui a lieu du 13 au 16 mai, il fixe une ligne <strong>de</strong> conduite : « Ne<br />

faites pas <strong>de</strong> patriotisme cocardier. Cherchez et trouvez <strong>de</strong>s alibis. Je les confirmerai et je<br />

vous couvre tous. Mettez tout sur mon compte autant que possible. » Pour lui, il fait siennes<br />

les phrases prémonitoires <strong>de</strong> Charles Péguy, le poète « patriote, socialiste et chrétien » : «<br />

Nous ne nous abusons pas quand nous croyons que tout un mon<strong>de</strong> est intéressé dans la<br />

résistance <strong>de</strong> la France aux empiétements allemands. Et que tout un mon<strong>de</strong> périrait avec<br />

nous. Et que ce serait le mon<strong>de</strong> même <strong>de</strong> la liberté. Et ainsi que ce serait le mon<strong>de</strong> même <strong>de</strong><br />

la grâce » (Note conjointe sur Monsieur Descartes, 1914). De milieu catholique pratiquant,<br />

d’Estienne a retrempé sa foi <strong>de</strong>puis son mariage. En 1929, il s’unit avec Éliane <strong>de</strong> Lorgeril et<br />

ensemble ils auront cinq enfants. Et c’est ensemble qu’ils déci<strong>de</strong>nt, elle à Verrières, lui à la<br />

prison <strong>de</strong> Fresnes, <strong>de</strong> prier aux mêmes heures. Car le verdict <strong>de</strong> la cour martiale est tombé :<br />

neuf peines <strong>de</strong> mort et le reste en travaux forcés. En dépit <strong>de</strong> multiples démarches pour la<br />

grâce, suscitées par l’inquiétu<strong>de</strong> mêlée d’émotion parmi les juges, même les dignitaires <strong>de</strong><br />

Vichy et dans l’opinion publique, le 29 août 1941, au Mont-Valérien (Hauts-<strong>de</strong>-Seine), le<br />

marin Estienne d’Orves est fusillé entre le commerçant hollandais Guillaume Doornik et<br />

l’agent commercial Maurice Barlier. Quatre mois plus tard, le 15 décembre, le journaliste et<br />

député communiste Gabriel Péri est exécuté dans les mêmes lieux. Dans l’Humanité<br />

clan<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> juin 1942, on lira un appel à la lutte <strong>de</strong>s FTP du « Détachement Jean (!)<br />

d’Estienne d’Orves » … Puis, le 1er mars 1943, le journal marseillais le Mot d’ordre, dirigé<br />

par le catholique Stanislas Fumet, fait paraître les strophes d’Aragon liant l’histoire à la<br />

légen<strong>de</strong> : « Qu’importe comment s’appelle / Cette clarté sur leur pas / Que l’un fût <strong>de</strong> la<br />

chapelle / Et l’autre s’y dérobât / Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas. »<br />

(*) Honoré d’Estienne d’Orves, un héros français, d’Étienne <strong>de</strong> Montety, Éditions Perrin,<br />

2001.<br />

Michel Boissard


19 Juillet 2010<br />

Danielle Casanova « La conquête du bonheur<br />

est pour la femme liée à son libre<br />

épanouissement »<br />

Par Maurice Ulrich, journaliste.
<br />

Communiste, créatrice <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s jeunes<br />

filles <strong>de</strong> France, Danielle Casanova fut aux<br />

premières heures 
<strong>de</strong> la résistance 
et <strong>de</strong> la<br />

lutte armée. Arrêtée en 
février 1942 lors d’un<br />

terrible coup <strong>de</strong> filet <strong>de</strong> la Gestapo, elle est<br />

déportée et meurt à Auschwitz-Birkenau le 9<br />

mai 1943.<br />

rayées…<br />

Le 27 janvier 1943, le jour se lève sur Birkenau,<br />

le <strong>de</strong>uxième camp <strong>de</strong> l’énorme complexe<br />

d’Auschwitz. C’est à son entrée que les nazis ont<br />

inscrit « Arbeit macht frei » (le travail rend<br />

libre). Un train <strong>de</strong> wagons à bestiaux entre en<br />

gare. Deux cent trente femmes y ont été<br />

entassées. Le voyage a duré trois jours <strong>de</strong>puis la<br />

France, pratiquement sans nourriture et sans<br />

eau. Les portes s’ouvrent sur une plaine glacée,<br />

sur les SS et leurs chiens, et les ordres claquent.<br />

Il faut <strong>de</strong>scendre, vite, s’aligner sous la menace<br />

et les coups <strong>de</strong>s matraques. Les résistantes<br />

françaises voient apparaître d’autres femmes,<br />

aux cheveux pratiquement rasés, aux robes<br />

Danielle Casanova est à côté d’une <strong>de</strong> ses compagnes, Raymon<strong>de</strong> Salez. Celle-ci, membre <strong>de</strong><br />

la direction <strong>de</strong>s Jeunesses communistes, était en tête <strong>de</strong> la manifestation <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong><br />

Paris le 14 juillet 1941, brandissant le drapeau tricolore. Il faut chanter, aurait dit Danielle<br />

Casanova. Elles entonnent la Marseillaise, reprise par les 230 déportées, et entrent ainsi<br />

dans le camp. Ces femmes sont ouvrières, paysannes, intellectuelles et lycéennes,<br />

communistes pour la moitié d’entre elles, gaullistes. Il y a parmi elles Marie-Clau<strong>de</strong><br />

Vaillant-Couturier, Maï Politzer… Quarante-neuf d’entre elles survivront. Danielle Casanova<br />

mourra du typhus, quatre mois plus tard. Entre-temps, la défaite <strong>de</strong>s nazis à Stalingrad a<br />

marqué le premier grand tournant <strong>de</strong> la guerre.<br />

Vincentella Perini, qui prendra en 1933 le nom <strong>de</strong> son époux, Laurent Casanova, naît en<br />

1909 à Ajaccio dans une famille d’instituteurs laïques et républicains. Quatre filles, un<br />

garçon. Son frère, André, la décrit comme turbulente, tapageuse, toujours en mouvement et<br />

qui, lors même qu’elle ne sait que barbouiller, « veut toujours lire et écrire ». Jeune fille,<br />

gran<strong>de</strong> et un peu forte, elle pose sur les murs <strong>de</strong> sa chambre <strong>de</strong>ux images. Une reproduction


du Marat assassiné <strong>de</strong> David et Rouget <strong>de</strong> l’Isle chantant la Marseillaise. Ses parents la<br />

voient à Normale supérieure. Elle veut être <strong>de</strong>ntiste et fera ses étu<strong>de</strong>s à Paris où André, qui<br />

est journaliste, aux idées plutôt modérées, habite déjà. Très vite, le parcours <strong>de</strong> Danielle<br />

Casanova, en même temps que ses étu<strong>de</strong>s qu’elle réussit sans difficulté, va être militant. Elle<br />

a dix-huit ans quand elle adhère à l’Union fédérale <strong>de</strong>s étudiants, vingt et un quand elle<br />

adhère au Mouvement <strong>de</strong> la jeunesse communiste et rencontre Laurent qu’elle fait adhérer<br />

à son tour. Les années 1930 vont être celles <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> rassemblement <strong>de</strong>s<br />

communistes. Membre en 1934 <strong>de</strong> la direction du Mouvement, elle crée en 1936 l’Union <strong>de</strong>s<br />

jeunes filles <strong>de</strong> France, avant l’Union <strong>de</strong>s femmes françaises. Mais dès le début son objectif<br />

est large. Le premier éditorial <strong>de</strong> Jeunes filles <strong>de</strong> France, qu’elle signe, s’adresse aux jeunes<br />

socialistes et républicaines, aux jeunes filles chrétiennes. Au congrès <strong>de</strong> l’Union, quelques<br />

mois plus tard elle déclare : « Il n’est plus possible à la femme <strong>de</strong> se désintéresser <strong>de</strong>s<br />

problèmes politiques, économiques et sociaux que notre époque pose avec tant <strong>de</strong> force (…),<br />

la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société,<br />

cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social. »<br />

Montée du nazisme, guerre d’Espagne. Danielle, avec l’UJFF, organise l’ai<strong>de</strong> aux enfants<br />

d’Espagne. En février 1939, alors que les républicains sont vaincus, elle écrit : « C’est notre<br />

propre <strong>de</strong>stin qui se joue sur les champs <strong>de</strong> bataille <strong>de</strong> Catalogne. » Intellectuelle, féministe,<br />

Danielle Casanova est une dirigeante communiste luci<strong>de</strong>. Elle sait que <strong>de</strong>s heures terribles<br />

vont venir : « Partout où il a passé, le fascisme a apporté la servitu<strong>de</strong> et semé la mort (…),<br />

comme nos aînés <strong>de</strong> 1792, nous connaissons notre <strong>de</strong>voir et nous le remplirons. » Dès<br />

septembre 1939, alors que Laurent est mobilisé, elle prépare les dirigeantes <strong>de</strong> l’UJFF <strong>de</strong> la<br />

région parisienne à la lutte contre le nazisme, lors d’une réunion à Montreuil.<br />

À partir <strong>de</strong> mai 1940, c’est la peine <strong>de</strong> mort qui menace les militants communistes, avant<br />

même la débâcle qui arrive en juin, comme l’avaient espéré ceux qui préféraient Hitler au<br />

Front populaire. Quel est le rôle alors <strong>de</strong> Danielle Casanova ? Organiser les femmes, les<br />

amener à revendiquer, d’abord. Il y aura à l’automne 1940 <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> manifestations<br />

<strong>de</strong> femmes. Mais très vite, aux heures les plus sombres, c’est <strong>de</strong> la lutte armée qu’il s’agit.<br />

«Ça y est, dit-elle à une camara<strong>de</strong>, Claudine Chomat, le 21 août 1941, Fred a réussi un gros<br />

coup. » Fred, c’est le colonel Fabien. C’est elle qui charge Albert Ouzoulias <strong>de</strong> former les<br />

Bataillons <strong>de</strong> la jeunesse qui <strong>de</strong>viendront les FTP.<br />

Danielle Casanova a trente-<strong>de</strong>ux ans et elle a changé. Curieusement, dans les souvenirs <strong>de</strong><br />

ses camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> combat d’alors, on relève plusieurs fois <strong>de</strong>s remarques sur son élégance.<br />

Elle a minci, elle s’habille avec goût. Elle-même, déjà internée au fort <strong>de</strong> Romainville, alors<br />

qu’elle écrit : « Maintenant je connais ce que c’est que la haine », poursuit quelques lignes<br />

plus loin : « J’ai beaucoup maigri. Pas <strong>de</strong> trace en ma mémoire d’avoir eu une silhouette<br />

pareille, et juste au moment où il n’y a personne pour apprécier mon élégance. » L’élégance,<br />

aux heures les plus tragiques, comme ce qu’on se doit à soi-même, peut-être, face à la mort.<br />

On pense aussi à cette élégance, à Nuremberg (*), <strong>de</strong> Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant-Couturier,<br />

faisant face, sans faillir, aux bourreaux nazis.<br />

Le 15 février 1942, elle est arrêtée. Les nazis, après <strong>de</strong>s semaines <strong>de</strong> filatures frappent un<br />

coup terrible. Arthur Dalli<strong>de</strong>t, Félix Cadras, Georges et Maie Politzer, Jacques Decour,<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Vaillant Couturier… Plus <strong>de</strong> cent arrestations en quelques jours. La Santé,<br />

puis le fort <strong>de</strong> Romainville. Le convoi <strong>de</strong> janvier 1943. Dentiste, Danielle sera requise pour<br />

soigner les <strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s kapos et évitera les conditions les plus dures <strong>de</strong> détention, mais elle<br />

part, le 9 mai. Et il semble que retentisse encore ce cri vers elle, lorsqu’elle vivait encore,


d’une jeune fille emmenée à bord d’un camion vers les chambres à gaz, après une sélection :<br />

« Danielle !…» (**).<br />

(*) Le procès <strong>de</strong> Nuremberg se déroula <strong>de</strong> novembre 1945 à octobre 1946.<br />

(**) Cet article doit beaucoup au livre 
<strong>de</strong> Pierre Durand, Danielle Casanova l’indomptable,<br />

Éditions Messidor.<br />

Maurice Ulrich


16 Juillet 2010<br />

Olga Bancic « Malgré <strong>de</strong>s tortures ignobles, elle<br />

ne céda jamais »<br />

Par Max Weinstein, 
Vice-Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

l’association Mémoire <strong>de</strong>s Résistants<br />

Juifs 
<strong>de</strong> la MOI (MRJ-MOI).<br />

Juive, roumaine et communiste, Olga Bancic a<br />

toujours combattu le système fasciste. Seule<br />

femme du groupe Manouchian, engagée dans<br />

les FTP-MOI, elle fut parmi les premières à<br />

organiser <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> résistance qui 
se<br />

transformèrent 
en lutte armée.<br />

C’est un honneur pour la France d’avoir pu<br />

compter dans les rangs <strong>de</strong> la résistance à<br />

l’envahisseur nazi une femme <strong>de</strong> la trempe<br />

d’Olga (Golda) Bancic. Elle était d’un courage<br />

inébranlable, une gran<strong>de</strong> figure féminine, une<br />

mère aimante, qui rehausse avec force le rôle<br />

qu’ont joué <strong>de</strong> très nombreuses femmes et<br />

jeunes filles avec l’ensemble <strong>de</strong>s résistants. Et<br />

l’on sait que, malgré les tortures ignobles <strong>de</strong> ses<br />

geôliers, elle n’a pas cédé ni concédé le moindre<br />

renseignement pouvant les servir dans leurs tristes besognes. On sait aussi que, durant le<br />

laps <strong>de</strong> temps qui s’est écoulé entre la date <strong>de</strong> sa condamnation et son exécution en<br />

Allemagne elle fut <strong>de</strong> nouveau lour<strong>de</strong>ment harcelée et torturée, sans jamais cé<strong>de</strong>r. Une<br />

véritable héroïne, communiste, juive et résistante.<br />

Sixième enfant d’un petit fonctionnaire, à quatorze ans, elle a commencé à travailler comme<br />

ouvrière. Après une enfance et une jeunesse active et animée en Roumanie, pays où elle est<br />

née en mars 1912 dans la ville <strong>de</strong> Kichinev, alternant travail clan<strong>de</strong>stin et séjours en prison<br />

pour ses activités syndicales et revendicatives, à seize ans et <strong>de</strong>mi, elle se marie et part à<br />

Bucarest, où elle adhère aux Jeunesses communistes. Recherchée, traquée <strong>de</strong> toutes parts,<br />

elle quitte son pays et arrive en France en 1938 pour suivre <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s à la faculté <strong>de</strong>s<br />

lettres. Alors âgée <strong>de</strong> vingt-six ans, elle participe avec un <strong>de</strong> ses compatriotes, Jacob<br />

Salomon, à l’envoi d’armes aux républicains espagnols. Elle épouse Alexandre Jar, ancien<br />

<strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales et écrivain (1911-1988), et donne naissance en 1939 à une<br />

petite fille, Dolorès.<br />

1940, c’est la guerre avec l’occupation alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> la France. Sans la moindre hésitation,<br />

Olga s’engage et fait partie <strong>de</strong>s FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans <strong>de</strong> la main-d’œuvre<br />

immigrée) dans la lutte contre les nazis. Elle hésite d’autant moins que le système fasciste,<br />

sinistre ennemi, elle l’a vécu en Roumanie où elle fut persécutée. Elle fut parmi les


premières à organiser et réaliser <strong>de</strong>s actes divers <strong>de</strong> résistance qui se transformèrent assez<br />

rapi<strong>de</strong>ment en lutte armée.<br />

Pour être libre <strong>de</strong> ses mouvements et pouvoir se consacrer entièrement à la Résistance, elle<br />

confie sa petite fille à une famille française qui en prendra bien soin.<br />

Elle est chargée <strong>de</strong> l’assemblage <strong>de</strong> bombes et divers engins explosifs, <strong>de</strong> leur transport à<br />

<strong>de</strong>stination et également du convoiement d’armes <strong>de</strong>stinées aux opérations, armes qu’elle<br />

récupère après chaque opération pour les mettre en lieu sûr.<br />

Le 16 novembre 1943, elle est arrêtée par les briga<strong>de</strong>s spéciales <strong>de</strong> la préfecture <strong>de</strong> police <strong>de</strong><br />

Paris, en même temps que Marcel Rayman et Joseph Sevec, combattants <strong>de</strong>s FTP-MOI, en<br />

tout 23 d’entre eux qui donneront à la propagan<strong>de</strong> nazie l’occasion <strong>de</strong> faire placar<strong>de</strong>r la<br />

célèbre Affiche rouge, dite du groupe Manouchian, à Paris et dans toute la France.<br />

Le 21 février 1944, les 23 sont condamnés à mort par une cour martiale alleman<strong>de</strong>, réunie à<br />

Paris le 15 février 1944. Les 22 hommes du groupe sont fusillés le jour même <strong>de</strong> leur<br />

condamnation, au mont Valérien, dans la banlieue parisienne. Olga Bancic est transférée en<br />

Allemagne. Elle est incarcérée à Karlsruhe puis, le 3 mai 1944, dans la prison <strong>de</strong> Stuttgart<br />

où elle est décapitée le 10 mai, à trente-<strong>de</strong>ux ans, le jour même <strong>de</strong> son anniversaire.<br />

Avant d’être exécutée, elle fit parvenir à la Croix-Rouge le 9 mai 1944 la lettre à sa fille<br />

accompagnant une note rédigée (texte à l’orthographe corrigé) ainsi :<br />

« Chère Madame, je vous prie <strong>de</strong> bien vouloir remettre cette lettre à ma petite fille Dolorès<br />

Jacob après la guerre. C’est le <strong>de</strong>rnier désir d’une mère qui va vivre encore douze heures.<br />

Merci. »<br />

Lettre à sa fille (1) :<br />

« Ma chère petite fille, mon cher petit amour,<br />

« Ta mère écrit la <strong>de</strong>rnière lettre, ma chère fille, <strong>de</strong>main à 6 heures, le 10 mai, je ne serai<br />

plus.<br />

« Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience<br />

tranquille et avec toute la conviction que <strong>de</strong>main tu auras une vie et un avenir plus heureux<br />

que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière <strong>de</strong> ta mère, mon petit amour.<br />

« J’ai toujours ton image <strong>de</strong>vant moi.<br />

« Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que<br />

j’ai toujours pensé à lui comme à toi. Je vous aime <strong>de</strong> tout mon cœur.<br />

« Tous les <strong>de</strong>ux vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est pour toi une mère aussi. Il<br />

t’aime beaucoup.<br />

« Tu ne sentiras pas le manque <strong>de</strong> ta mère.<br />

« Mon cher enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta<br />

vie, avec ton père, avec tout le mon<strong>de</strong>. Je vous embrasse <strong>de</strong> tout mon cœur, beaucoup,<br />

beaucoup.


« Adieu mon amour.<br />

« Ta mère. »<br />

Olga Bancic est <strong>de</strong>venue le symbole <strong>de</strong>s femmes et jeunes filles étrangères engagées dans la<br />

Résistance en France. En 1995, la Ville <strong>de</strong> Paris lui a rendu hommage en apposant une<br />

plaque à sa mémoire sur un <strong>de</strong>s murs du carré <strong>de</strong>s fusillés du cimetière d’Ivry, juste <strong>de</strong>rrière<br />

les tombes <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> combat, Missak Manouchian et Marcel Rayman. Le 26<br />

octobre 1999, sa mémoire fut à nouveau honorée par le Conseil supérieur <strong>de</strong> la mémoire,<br />

avec celle <strong>de</strong> quatre autres personnalités célèbres : Jean Moulin, Félix Éboué, Pierre<br />

Brossolette et Jacques Trolley <strong>de</strong> Prévaux.<br />

Jamais elle n’inclina son visage <strong>de</strong>vant les bandits tueurs <strong>de</strong> peuples. Jamais elle ne cessa <strong>de</strong><br />

lutter. Elle est morte fièrement pour que l’abominable régime fasciste ne puisse triompher<br />

ni en France ni en Europe.<br />

Pensons à elle et à toutes ses compagnes !<br />

(1) Transcription <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière lettre d’Olga Bancic à sa fille. Extrait <strong>de</strong> la plaquette 
sur<br />

l’Affiche rouge d’Adam Rayski publiée par la Mairie <strong>de</strong> Paris/Comité d’histoire 
<strong>de</strong> la ville<br />

<strong>de</strong> Paris, septembre 2009.<br />

olga bancic<br />

Max Weinstein


15 Juillet 2010<br />

Henri Rol-Tanguy « Un métallo <strong>de</strong>venu colonel<br />

à l’origine <strong>de</strong> l’insurrection »<br />

par Roger Bour<strong>de</strong>ron, historien.<br />

Ouvrier métallo, syndicaliste, membre <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales, responsable<br />

communiste avant 
<strong>de</strong> <strong>de</strong>venir le colonel Rol-Tanguy, Henri Tanguy, <strong>de</strong> son 
vrai nom, a<br />

vécu 
la résistance chevillée au corps.<br />

Né à Morlaix le 12 juin 1908, installé à Paris en 1923<br />

avec sa mère, Henri Tanguy <strong>de</strong>viendra ouvrier<br />

métallurgiste hautement qualifié, membre <strong>de</strong> la CGTU<br />

et du Parti communiste. C’est la menace fasciste révélée<br />

en février 1934 qui fait vraiment entrer dans le combat<br />

politique, et surtout syndical, ce métallo passionné <strong>de</strong><br />

vélo et d’une gran<strong>de</strong> curiosité intellectuelle. Coopté en<br />

octobre 1936 permanent du Syndicat <strong>de</strong>s métaux CGT<br />

<strong>de</strong> la Seine après avoir été licencié pour fait <strong>de</strong> grève, il<br />

s’engage en février 1937 en Espagne, est en mai 1938<br />

commissaire politique <strong>de</strong> la 14e Briga<strong>de</strong> internationale<br />

et participe à la bataille <strong>de</strong> l’Èbre, pério<strong>de</strong> capitale pour<br />

l’acquisition <strong>de</strong> sa compétence militaire et sa<br />

compréhension <strong>de</strong>s hommes. En 1944, il choisit son<br />

<strong>de</strong>rnier pseudo-clan<strong>de</strong>stin, Rol, en hommage à Théo<br />

Rol, tué sur l’Èbre. Fin 1938, les Briga<strong>de</strong>s<br />

internationales dissoutes, il retrouve le Syndicat <strong>de</strong>s<br />

métaux. Le 15 avril 1939, il épouse Cécile Le Bihan, l’une <strong>de</strong>s secrétaires du syndicat, sa<br />

marraine <strong>de</strong> guerre.<br />

En 1939, le pacte germano- soviétique ne change en rien sa détermination antifasciste.<br />

Mobilisé, il passe l’hiver en Lorraine et participe en juin aux <strong>de</strong>rniers combats dans le Cher,<br />

où il est cité à l’ordre <strong>de</strong> son régiment. Démobilisé le 18 août 1940, à Paris le 19, il retrouve<br />

ses camara<strong>de</strong>s métallos grâce à Cécile en contact avec l’un d’eux, Henri Gautier. Ignorant<br />

tout <strong>de</strong>s tentatives légalistes <strong>de</strong> la direction communiste <strong>de</strong> l’été, il participe à la création<br />

<strong>de</strong>s comités populaires clan<strong>de</strong>stins <strong>de</strong> la métallurgie et en <strong>de</strong>vient l’un <strong>de</strong>s responsables. En<br />

mars 1941, Henri Tanguy change d’affectation et est jusqu’en juillet 1941 responsable<br />

politique du triangle <strong>de</strong> direction d’un secteur <strong>de</strong> Paris du Parti communiste.<br />

Henri Tanguy est alors appelé par Danielle Casanova à militer dans la lutte armée que le<br />

Parti commence à organiser. Cécile, déjà engagée pour les comités populaires, sera jusqu’à<br />

la Libération sa secrétaire et son agent <strong>de</strong> liaison. D’août 1941 à septembre 1942, Henri<br />

Tanguy est le « militaire » du triangle <strong>de</strong> direction <strong>de</strong>s groupes armés – FTP début 1942 –<br />

<strong>de</strong> la région parisienne, sous la responsabilité politique <strong>de</strong> Raymond Losserand, le<br />

«technique» étant Gaston Carré, remplacés après leur arrestation en mai 1942 par Roger<br />

Linet et Raymond Colin. L’expérience <strong>de</strong>s attentats, sabotages, manifestations, conduit<br />

Henri Tanguy à préconiser une nouvelle tactique : pour mieux assurer la protection du<br />

groupe <strong>de</strong> trois chargés d’une opération, celui-ci sera secondé par un <strong>de</strong>uxième groupe, un<br />

troisième couvrant le repli général. Ce dispositif est utilisé une première fois pour la


manifestation <strong>de</strong> ménagères conduite par Lise London, rue Daguerre, à Paris, en août 1942.<br />

Linet et Colin arrêtés, Tanguy est muté pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> sécurité en septembre 1942 en<br />

Anjou-Poitou comme responsable politique FTP, mais est rappelé à Paris dès avril 1943, en<br />

raison du manque <strong>de</strong> cadres, à la suite <strong>de</strong> nombreuses chutes. Responsable politique, il<br />

déploie la tactique <strong>de</strong> 1942 avec les <strong>de</strong>ux autres membres du triangle, Joseph Epstein<br />

(militaire) et Édouard Vallerand (technique).<br />

Muté début septembre 1943 au Comité d’action contre la déportation (CAD), il est versé fin<br />

1943 comme FTP dans les FFI (Forces françaises <strong>de</strong> l’intérieur) en cours <strong>de</strong> constitution à<br />

l’état-major d’une région englobant Paris et onze départements, dont le chef est le colonel<br />

Robert Fouré, officier <strong>de</strong> la Coloniale. Il y dirige le bureau <strong>de</strong>s opérations. À la suite <strong>de</strong> la<br />

restructuration <strong>de</strong> ce vaste ensemble, il est, début juin 1944, chef régional FFI <strong>de</strong> la région<br />

P1 (Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne). Désormais colonel Rol, il sait gagner la confiance<br />

<strong>de</strong> son état-major, qui compte <strong>de</strong> nombreux officiers <strong>de</strong> réserve ou d’active, par sa<br />

compétence et son indépendance à l’égard <strong>de</strong> sa formation d’origine. En dépit <strong>de</strong> difficultés<br />

multiples, venant notamment <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> la clan<strong>de</strong>stinité, un travail considérable<br />

d’état-major permet, avec la conjoncture nouvelle du débarquement du 6 juin, d’intégrer les<br />

directives d’actions <strong>de</strong> guérilla dans une logique militaire fondée sur la connaissance précise<br />

<strong>de</strong> l’évolution du rapport <strong>de</strong>s forces. Cette connaissance conduit Rol à se prononcer en août<br />

pour l’insurrection, déclenchée le 19. En plein accord avec son état-major, il est un acteur<br />

essentiel <strong>de</strong> l’échec <strong>de</strong> la trêve, envoie son chef d’état-major, le commandant Cocteau,<br />

auprès <strong>de</strong> l’armée américaine – mission très importante pour faire accepter la marche <strong>de</strong> la<br />

2e DB <strong>de</strong> Leclerc sur Paris –, appelle aux barrica<strong>de</strong>s, l’objectif étant, non <strong>de</strong> libérer Paris par<br />

ses seules forces, mais <strong>de</strong> contraindre l’ennemi à se retrancher dans quelque bastion d’où<br />

les Alliés le chasseront. L’objectif est atteint le 25 août, avec la capitulation <strong>de</strong> von Choltitz,<br />

dont Rol cosigne un exemplaire gare Montparnasse. Le 18 juin 1945, date emblématique, le<br />

général <strong>de</strong> Gaulle le fait compagnon <strong>de</strong> la Libération ; il gravira tous les échelons <strong>de</strong> l’ordre<br />

<strong>de</strong> la Légion d’honneur, jusqu’à la grand-croix en août 1994. Cécile est <strong>de</strong>venue<br />

comman<strong>de</strong>ur en décembre 2008.<br />

Engagé dans l’armée dès la Libération, Rol est d’abord aux côtés du gouverneur militaire <strong>de</strong><br />

Paris, le général Koenig. En avril 1945, il participe à la campagne d’Allemagne dans la 1re<br />

armée du général <strong>de</strong> Lattre <strong>de</strong> Tassigny comme lieutenant-colonel stagiaire adjoint du<br />

colonel Gandoët, commandant le 151e régiment d’infanterie issu <strong>de</strong> la colonne Fabien. Le 8<br />

mai 1945 le trouve à Waldsee, entre Danube et lac <strong>de</strong> Constance.<br />

La guerre terminée, alors que Cécile s’occupe essentiellement <strong>de</strong>s enfants – <strong>de</strong>ux sont nés<br />

pendant la clan<strong>de</strong>stinité, <strong>de</strong>ux après la guerre –, Henri Rol-Tanguy connaît d’abord la vie <strong>de</strong><br />

garnison d’un officier supérieur, avant d’être victime <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong> : reconnu excellent<br />

officier, mais suspect comme communiste, il est en 1952 relégué « personnel sans emploi »,<br />

avant d’être mis à la retraite d’office en 1962. Membre du comité central du <strong>PCF</strong> <strong>de</strong> 1964 à<br />

1987, il n’y exerce pas <strong>de</strong> responsabilité importante. Toutes ces années et jusqu’à son décès<br />

le 8 septembre 2002, il se consacre à la mémoire <strong>de</strong> la guerre d’Espagne et <strong>de</strong> la Résistance,<br />

enjeux pour lui essentiels.<br />

Bibliographie : Colonel Rol-Tanguy et Roger Bour<strong>de</strong>ron, Libération <strong>de</strong> Paris, les cent<br />

documents, avant-propos <strong>de</strong> Jacques Chaban-Delmas, Hachette Littératures, 1994. Rol-<br />

Tanguy, <strong>de</strong> Roger Bour<strong>de</strong>ron, préface <strong>de</strong> Christine Levisse-Touzé, Tallandier, 2004.<br />

Roger Bour<strong>de</strong>ron,


13 Juillet 2010<br />

Anna Marly « Une émigrée russe à l’origine du<br />

Chant <strong>de</strong>s partisans »<br />

Par Guy Krivopissko,
Professeur d’histoire détaché 
au Musée <strong>de</strong> la<br />

Résistance nationale 
et Conservateur du Musée 
<strong>de</strong> la Résistance nationale.<br />

Anna Bétoulinsky, <strong>de</strong> son nom <strong>de</strong> scène Anna Marly, est l’un <strong>de</strong>s trois auteurs 
du Chant<br />

<strong>de</strong>s partisans. 
Le parcours <strong>de</strong> cette femme, artiste, russe d’origine <strong>de</strong>venue selon ses dires<br />

« française par formation», à l’instar <strong>de</strong> la création du Chant <strong>de</strong>s partisans, interroge <strong>de</strong><br />

manière surprenante ce que nous nommons l’i<strong>de</strong>ntité 
<strong>de</strong> la France.<br />

L’histoire d’Anna Marly s’écrit d’abord dans la langue maternelle, dans la filiation avec sa<br />

patrie d’origine.<br />

Smolensk, le nom d’une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> Russie est à l’origine du Chant <strong>de</strong>s partisans.<br />

En Gran<strong>de</strong>-Bretagne, un soir <strong>de</strong> 1942, en tournée aux armées, les nouvelles d’une levée <strong>de</strong><br />

partisans dans la région <strong>de</strong> Smolensk parviennent à Anna Marly.<br />

Pour Anna Marly, seule, ce nom, en ce lieu, à cette date, pouvait lever une espérance :<br />

pouvoir <strong>de</strong> la culture, force <strong>de</strong> l’imaginaire, magie <strong>de</strong> la langue maternelle. L’évocation <strong>de</strong><br />

Smolensk fait resurgir chez la <strong>de</strong>scendante <strong>de</strong> l’hetman Mattieu Platoff (1) la campagne <strong>de</strong><br />

Russie, l’année 1812, le général Koutouzov et l’appel à la mère patrie auquel répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s<br />

armées <strong>de</strong> paysans partisans. Prélu<strong>de</strong>s au coup <strong>de</strong> grâce porté à l’armée napoléonienne.<br />

Réminiscence <strong>de</strong> cette histoire familiale et nationale, le crayon court sur la feuille<br />

inscrivant, en russe, un hymne aux partisans <strong>de</strong> la mère patrie. Pour accompagner la<br />

mélopée dédiée à la patrie du cœur, les doigts martèlent la caisse et les cor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la guitare<br />

dont elle ne se sépare jamais en tempo d’une marche puissante, victorieuse.<br />

Devant un auditoire <strong>de</strong> marins anglais, malgré la barrière <strong>de</strong> la langue, le succès est<br />

immédiat. La BBC s’empare du chant et le popularise sous le titre Guerilla Song.<br />

L’année suivante, au Park Lane, Liouba Krassine (fille du premier ambassa<strong>de</strong>ur d’URSS en<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne) organise la rencontre décisive pour le futur chant national français avec<br />

Emmanuel d’Astier <strong>de</strong> La Vigerie et Henri Frenay. Anna entonne en russe la Marche <strong>de</strong>s<br />

partisans. L’auditoire est conquis. Peu après, une autre rencontre a lieu au Petit Club<br />

français, à laquelle assistent Maurice Schumann, Germaine Sablon, Maurice Druon et<br />

Joseph Kessel, d’origine russe lui-même, qui s’enthousiasme en ces termes « voilà ce qu’il<br />

faut pour la France ». Peu après, chez Liouba, Joseph Kessel tend à Anna Marly un texte<br />

écrit avec son neveu Maurice Druon. Événement qu’Anna Marly conte ainsi : « Je n’osai pas<br />

avouer que j’avais mon propre texte dans la poche… J’étais légèrement vexée. Celui-là était<br />

beau, très beau même. Germaine Sablon l’entonna à son tour. Quelqu’un prononça le Chant<br />

<strong>de</strong>s partisans. De l’original russe, il ne restait que les corbeaux et la musique. » Et,<br />

j’ajouterai, l’élément essentiel du titre Partisans. Ainsi, au printemps 1943, <strong>de</strong> l’adoption et<br />

<strong>de</strong> l’adaptation française <strong>de</strong> la Marche <strong>de</strong>s partisans (russes) naît le Chant <strong>de</strong>s partisans<br />

(français).


Les fruits <strong>de</strong> ce métissage culturel sont plus étonnants encore. Jusqu’à la création du Chant<br />

<strong>de</strong>s partisans et <strong>de</strong> la Complainte du partisan (autre composition d’Anna Marly pour<br />

laquelle Emmanuel d’Astier écrit un poème (2) <strong>de</strong>ux mots dans notre langue désignent le<br />

Français libre en lutte contre l’oppression et l’envahisseur : patriote, en référence aux<br />

volontaires <strong>de</strong> 1792 et franc-tireur, immortalisé en 1870 par l’adresse <strong>de</strong> Victor Hugo à ces<br />

groupes <strong>de</strong> civils en arme dressés sur les arrières <strong>de</strong>s troupes prussiennes.<br />

En revanche, le mot partisan est inscrit dans la langue russe <strong>de</strong>puis les guerres<br />

napoléoniennes en passant par la gran<strong>de</strong> révolution jusqu’à l’expression du surgissement<br />

patriotique face à l’envahisseur nazi.<br />

Aussi, force est <strong>de</strong> constater que c’est à Anna Marly, une émigrée russe blanc ayant choisi la<br />

France et la France libre mais vibrant <strong>de</strong> toute son âme pour la mère patrie agressée par le<br />

nazisme, à sa Marche <strong>de</strong>s partisans (russes) que nous <strong>de</strong>vons l’entrée dans l’histoire<br />

culturelle française contemporaine du mot partisan. Remarquons qu’à la même pério<strong>de</strong> (été<br />

1942) dans la France occupée, la même synthèse <strong>de</strong> références culturelles différentes (franctireur<br />

d’une part et partisan d’autre part) est effectuée par les résistants <strong>de</strong>s groupes armés<br />

<strong>de</strong> grands mouvements <strong>de</strong> la Résistance.<br />

Mais l’histoire d’Anna Marly, en premier lieu sa place à Londres, aux côtés <strong>de</strong> la France<br />

libre, s’écrit, elle, en français : la langue <strong>de</strong> sa patrie d’élection, celle <strong>de</strong> sa citoyenneté. «<br />

Chacun <strong>de</strong> mes actes est lié par une sorte d’osmose à l’histoire. » Par ces simples mots,<br />

Anna Marly ramasse en une formule les choix successifs familiaux et personnels qui, <strong>de</strong><br />

Saint-Pétersbourg où elle naît, la conduisent à quitter Paris le 13 juin 1940 – à nouveau<br />

l’exil ! – pour rejoindre Londres en mars 1941 et là, « à faire <strong>de</strong> son talent une arme pour la<br />

France », comme dira d’elle le général <strong>de</strong> Gaulle.<br />

Elle s’emploie utilement auprès <strong>de</strong>s forces alliées et <strong>de</strong> la France Libre tout en continuant <strong>de</strong><br />

composer et <strong>de</strong> chanter : marche pour « les Volontaires françaises » ; la chanson <strong>de</strong>s V ;<br />

Plaine ma plaine, l’un <strong>de</strong>s chants <strong>de</strong> l’Armée rouge qu’elle popularise ; etc.<br />

Anna Marly, <strong>de</strong>venue alors une ve<strong>de</strong>tte, refuse les tournées internationales à gros cachets et<br />

diffère les projets <strong>de</strong> films. À la rencontre <strong>de</strong>s combattants <strong>de</strong> toutes les nations coalisées,<br />

elle affûte son art en arme : la guitare en bandoulière, en une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> langues… en<br />

russe parfois, en français toujours.<br />

Maintenant comme le troubadour… à la grâce <strong>de</strong> celui qui m’écoute<br />

Je marche au bras <strong>de</strong> l’avenir<br />

Chaque jour qui s’achève n’est plus qu’un mauvais rêve<br />

Il faut lutter, il faut bâtir<br />

Je marche au bras <strong>de</strong> l’avenir. (3)<br />

À Londres, troubadour <strong>de</strong> la Résistance française, Anna Marly a achevé la construction <strong>de</strong><br />

sa France : un combat pour la liberté. À la fin <strong>de</strong> la guerre, après un bref retour, elle quitte<br />

définitivement le pays nommé France. À nouveau l’exil ! L’art sera désormais sa seule patrie<br />

à la rencontre <strong>de</strong> l’humanité entière.<br />

Encore et toujours le Chant <strong>de</strong>s partisans


Chantez compagnons dans la nuit la liberté nous écoute.<br />

(1) Commandant <strong>de</strong>s troupes cosaques 
sous les ordres <strong>de</strong> Koutouzov, <strong>de</strong> Borodino jusqu’à<br />

Paris.<br />

(2) Léonard Cohen puis Joan Baez, 
quelques décennies plus tard, en pleine guerre du<br />

Vietnam, redonnent une nouvelle actualité au chant.<br />

(3) Anna Marly, Troubadour <strong>de</strong> la Résistance, 
Éditions Tallandier, Paris, 2000.<br />

Anna Marly<br />

Guy Krivopissko


12 Juillet 2010<br />

Henri Krasucki « Fidèle, comme au premier<br />

jour, à l’idéal <strong>de</strong> sa jeunesse »<br />

Par Henri Malberg, 
membre <strong>de</strong> la direction du <strong>PCF</strong> <strong>de</strong> paris.<br />

Membre actif 
<strong>de</strong> la section juive 
<strong>de</strong>s FTP-MOI, militant<br />

<strong>de</strong> la jeunesse communiste, il fut déporté à Auschwitz.<br />

C’est un homme public et infiniment proche 
<strong>de</strong>s<br />

travailleurs.
Futur dirigeant <strong>de</strong> la CGT, Henri Krasucki, a<br />

fait <strong>de</strong> son nom d’enfant d’immigré
un <strong>de</strong>s symboles 
<strong>de</strong><br />

la gran<strong>de</strong> histoire <strong>de</strong> la classe ouvrière.<br />

Henri Krasucki, «Krasu» comme on l’appelait, est une<br />

gran<strong>de</strong> figure du mouvement ouvrier. Avec sa casquette, la<br />

voix traînante et la gouaille du titi parisien, il semblait sorti<br />

d’un poème <strong>de</strong> Prévert.<br />

Ses parents, ouvrier et ouvrière <strong>de</strong> la confection, juifs et<br />

communistes, avaient quitté la Pologne pour le « pays <strong>de</strong> la<br />

liberté » avec le petit garçon <strong>de</strong> six ans. Il allait à l’école sur<br />

la place qui porte désormais son nom dans le 20e arrondissement <strong>de</strong> Paris, allait aux manifs<br />

avec ses parents. Ceux-ci souhaitaient lui voir poursuivre <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, la guerre en a décidé<br />

autrement : il a préféré passer son CAP d’ajusteur. C’était l’époque où on était fier d’être<br />

prolétaire.<br />

Vient la terrible année 1940, quand les armées alleman<strong>de</strong>s entrent à Paris, Henri a seize<br />

ans. Un vieux maréchal à la voix chevrotante vient <strong>de</strong> vendre le pays à Hitler. À Londres, un<br />

général qui rompt avec l’obéissance militaire et en quelque sorte avec sa classe sociale lance<br />

le 18 juin un fameux appel. La veille, à Bor<strong>de</strong>aux, le communiste, Charles Tillon, futur chef<br />

d’état-major <strong>de</strong>s Francs-tireurs et partisans français, avait aussi lancé un appel, moins<br />

connu malheureusement. À Paris, dès l’été 1940, <strong>de</strong>s jeunes communistes <strong>de</strong> la Maind’œuvre<br />

immigrée (MOI), organisation qui avait été créée par le Parti communiste pour ses<br />

adhérents étrangers, se regroupent.<br />

À l’automne 1940, ils étaient plus <strong>de</strong> 50 jeunes communistes organisés clan<strong>de</strong>stinement<br />

dans les 11e et 20e arrondissements <strong>de</strong> Paris. Que faisaient-ils ? Incroyable, sous la botte<br />

nazie, ils distribuaient à la volée <strong>de</strong>s tracts <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s métros et <strong>de</strong>s entreprises, collaient<br />

<strong>de</strong>s papillons, prenaient la parole dans <strong>de</strong>s cinémas, coupaient <strong>de</strong>s câbles <strong>de</strong> transmission<br />

<strong>de</strong> la Wehrmacht dans les forêts d’Île-<strong>de</strong>-France, incendiaient <strong>de</strong>s panneaux indicateurs en<br />

allemand et commençaient à ai<strong>de</strong>r les enfants juifs à se cacher.<br />

Comme l’explique Roger Trugnan, l’ami <strong>de</strong> toujours : « C’était pour nous naturel, notre<br />

combat contre le fascisme continuait. »


Plus tard, Krasucki, <strong>de</strong>venu responsable parisien, était, comme il le raconte, le point <strong>de</strong><br />

passage <strong>de</strong> la Jeunesse communiste vers la lutte armée, les FTP. Il écrit : « Nous n’avons<br />

jamais manqué <strong>de</strong> volontaires, mon problème était <strong>de</strong> faire preuve <strong>de</strong> discernement. »<br />

Mais la traque s’organise. On connaît maintenant le grand panneau – surréaliste – sur<br />

lequel les policiers, <strong>de</strong> métro en métro, <strong>de</strong> planque en planque, notaient systématiquement<br />

les déplacements <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres, jusqu’au coup <strong>de</strong> filet du 23 mars 1943, quand sont<br />

arrêtés d’un seul coup une quarantaine <strong>de</strong> jeunes communistes MOI <strong>de</strong> Paris (*).<br />

Les interrogatoires furent ru<strong>de</strong>s, d’autant que Léa, la mère d’Henri, agent liaison <strong>de</strong> la<br />

Résistance, est arrêtée le même jour. Il raconte : « Je laisse à penser le parti que les sbires<br />

<strong>de</strong>s briga<strong>de</strong>s spéciales ont essayé <strong>de</strong> tirer l’un et <strong>de</strong> l’autre quand ils se sont aperçus qu’ils<br />

avaient le fils et la mère. Elle fut admirable… »<br />

Ce furent les prisons, puis Drancy et le départ vers Auschwitz. À Auschwitz, le trio d’amis –<br />

Krasucki, Trugnan et Radzinski – fut sélectionné dans la colonne <strong>de</strong> ceux qui rentraient au<br />

camp. Les autres prenaient « le transport » vers les chambres à gaz. Puis ce fut le camp<br />

annexe <strong>de</strong> Jawischowitz et ses mines <strong>de</strong> charbon. Et tout <strong>de</strong> suite, la recherche du contact,<br />

en particulier avec <strong>de</strong>s antifascistes allemands, anciens <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales. On est<br />

en 1943. Henri a dix-neuf ans et raconte : « La question principale était <strong>de</strong> préserver la<br />

dignité, ne pas sombrer dans la sauvagerie et la dégradation morale. »<br />

Le 18 janvier 1945, alors qu’approche l’armée soviétique, c’est la terrible marche <strong>de</strong> la mort<br />

vers Buchenwald. À pied et en wagons découverts sous la neige. Trugnan raconte : « La<br />

moitié <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> notre wagon étaient morts <strong>de</strong> froid pendant le voyage. » À Buchenwald,<br />

une organisation fonctionne avec le communiste Marcel Paul et le gaulliste Frédéric<br />

Manhes. Le 11 avril 1945, à l’approche du général Patton, l’ordre <strong>de</strong> libérer le camp est<br />

lancé, <strong>de</strong>s armes distribuées. Trugnan et Krasucki en sont. Le camp s’est donc libéré seul,<br />

comme Paris l’avait fait en août. Fierté…<br />

Au camp, il s’était passé <strong>de</strong>s choses inouïes.<br />

Les communistes allemands qui travaillaient à la cuisine donnaient en cachette <strong>de</strong>s bols <strong>de</strong><br />

soupe chau<strong>de</strong> à ces jeunes Français sortant <strong>de</strong> la mine épuisés. Solidarité sans faille, la<br />

soupe était distribuée dans un ordre rigoureux, les faibles d’abord.<br />

Et encore ceci : le soir <strong>de</strong> Noël 1943, une dizaine <strong>de</strong> jeunes Français ont décidé <strong>de</strong> manger<br />

ensemble et d’organiser une soirée culturelle. Il y eut une causerie sur Molière, Henri<br />

proposa un morceau <strong>de</strong> musique. Et il siffla l’allegretto <strong>de</strong> la Septième Symphonie <strong>de</strong><br />

Beethoven, <strong>de</strong> la première à la <strong>de</strong>rnière note.<br />

À la Libération, plus tard, les jeunes communistes du 20e se réunissaient pour entendre<br />

Krasucki expliquer et commenter Beethoven, Mozart, Bach. Drôle <strong>de</strong> bonhomme, l’ouvrier<br />

cultivé, le syndicaliste, le communiste, le mélomane ne faisait qu’un.<br />

De retour <strong>de</strong> Buchenwald vers la fin avril 1945, Henri défile le 1er mai dans Paris. On se<br />

souvient <strong>de</strong> cette manifestation, le premier 1er Mai <strong>de</strong> la liberté. À l’Est, l’armée rouge<br />

finissait, parfois maison par maison, <strong>de</strong> prendre Berlin. À l’Ouest, les armées américaine,<br />

anglaise, française, canadienne fonçaient à la rencontre <strong>de</strong>s soldats soviétiques. Il y avait le<br />

programme du Conseil national <strong>de</strong> la Résistance, <strong>de</strong>s temps nouveaux semblaient s’ouvrir.<br />

Mais dès 1947, ce fut la guerre froi<strong>de</strong> et ici commence une autre histoire.


Henri retourne à l’usine, <strong>de</strong>vient secrétaire <strong>de</strong> l’union locale CGT du 20e, dirigeant <strong>de</strong><br />

l’union départementale CGT <strong>de</strong> la Seine, puis dirigeant national <strong>de</strong> la CGT et membre <strong>de</strong> la<br />

direction du Parti communiste.<br />

Parlant <strong>de</strong> sa vie, il a écrit : « J’ai perdu <strong>de</strong>s illusions, cela vaut mieux même si c’est<br />

douloureux, mais j’ai conservé <strong>de</strong>s convictions et je n’en finis pas <strong>de</strong> les enrichir. Au fond, je<br />

ne suis jamais blasé. Je <strong>de</strong>meure fidèle, comme au premier jour, à l’idéal et à l’élan <strong>de</strong> ma<br />

jeunesse. »<br />

(*) Roger Trugnan et Paulette Sarcey sont aujourd’hui les seuls survivants.<br />

Henri Malberg


9 Juillet 2010<br />

Maurice Kriegel-Valrimont « Quand tout est à<br />

refuser, il faut dire non »<br />

Par Michel Boissard, 
historien.<br />

Militant antifasciste dès son adolescence, secrétaire général du syndicat CGT <strong>de</strong>s agents<br />

d’assurance, Maurice Kriegel-Valrimont joua un rôle essentiel au sein <strong>de</strong>s Mouvements<br />

unis 
<strong>de</strong> la Résistance
et contribua 
au déclenchement <strong>de</strong> l’insurrection populaire pour 
la<br />

libération <strong>de</strong> Paris.<br />

Rebelle, Maurice Kriegel-Valrimont, né au printemps 1914, l’était jusque pour le prononcé<br />

<strong>de</strong> son nom. Issu d’une famille juive fuyant la double monarchie austro-hongroise pour<br />

prendre commerce à Strasbourg, il <strong>de</strong>mandait que son patronyme fût articulé Krié-gel, et<br />

non – à l’alleman<strong>de</strong> – Kri-gueul, afin <strong>de</strong> « marquer qu’en 1918, l’Alsace avait cessé d’être<br />

germanisée ». Dans ses Mémoires rebelles (1), il rapporte ses premiers mots dans notre<br />

langue, lorsque les troupes françaises entrent dans la capitale du Bas-Rhin, il a alors quatre<br />

ans : « Bonjour papa, salut poilu ! » Grandir à Strasbourg après la Première Guerre<br />

mondiale, c’est non seulement avec les gamins <strong>de</strong> son âge pouvoir franchir le Rhin à la nage,<br />

mais encore être attentif à ce qui se passe <strong>de</strong> l’autre côté du pont <strong>de</strong> Kehl. Où se manifestent<br />

les prodromes <strong>de</strong> l’avènement du nazisme. Maurice Kriegel y est d’autant plus sensible que,<br />

s’étant fait traiter <strong>de</strong> « sale juif » par un condisciple <strong>de</strong> lycée, il n’hésite pas à corriger<br />

physiquement son insulteur. « Je suis <strong>de</strong>venu un militant antifasciste dès mon adolescence,<br />

et le suis toujours resté », dira-t-il. Ce choix <strong>de</strong> vie précoce oriente sa trajectoire. C’est un<br />

étudiant en droit brillant ; ses parents souhaitent qu’il passe l’agrégation et intègre un grand<br />

cabinet d’avocats. Mais « un rebelle est un rebelle ». À vingt-<strong>de</strong>ux ans, – nous sommes en<br />

1936, aux « jours ensoleillés du Front populaire » – il s’installe à Paris, adhère à la Ligue<br />

d’action universitaire républicaine et socialiste (Laurs), s’emploie dans une compagnie<br />

d’assurances, <strong>de</strong>vient secrétaire général du syndicat CGT <strong>de</strong>s agents d’assurance, milite<br />

pour les 40 heures et les congés payés. Ce « battant » sol<strong>de</strong> son engagement par un<br />

licenciement pour « insuffisance professionnelle » (sic)… Prélu<strong>de</strong> à une activité syndicale<br />

permanente particulièrement formatrice pour lui à la veille <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.<br />

Marquée par sa mobilisation en 1940, juste avant une exemption sanitaire à la fin <strong>de</strong> cette<br />

terrible année. Au cours <strong>de</strong> laquelle il aura connu l’exo<strong>de</strong> : « J’ai vu, en Auvergne, <strong>de</strong>s<br />

paysans qui vendaient <strong>de</strong> l’eau pour les bébés… Notre France… C’était misérable ! » Si,<br />

comme le dit, dès 1935, l’écrivain André Chamson, « résister, c’est refuser par avance la loi<br />

<strong>de</strong> la défaite », on ne s’étonnera pas que Maurice Kriegel, imbu <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>s Lumières,<br />

témoin et acteur <strong>de</strong>s « exaltations <strong>de</strong> la liberté », regimbe au défilé <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> la<br />

Wehrmacht sur les Champs-Élysées, s’insurge — en attendant d’être <strong>de</strong>s leurs à la<br />

Libération — <strong>de</strong>vant la proscription <strong>de</strong>s militants communistes, refuse le port <strong>de</strong> l’étoile<br />

jaune, se révolte <strong>de</strong> l’indignité <strong>de</strong>s collabos et s’alarme <strong>de</strong>s combines du marché noir…<br />

«Quand tout est à refuser, il faut dire non. Il y a un moment où ne plus être un homme, c’est<br />

pire que <strong>de</strong> mourir. » Au début <strong>de</strong> 1942, à Toulouse où il a rejoint sa famille, il se voit<br />

proposer par Raymond Aubrac, très lié à son frère David, d’adhérer au mouvement <strong>de</strong>


ésistance Libération-Sud, fondé par Emmanuel d’Astier <strong>de</strong> La Vigerie. Avec sa femme<br />

Paulette (Mala Ehrlichster), il vient à Lyon où, sous le nom d’emprunt <strong>de</strong> Valrimont, aux<br />

côtés <strong>de</strong> Ravanel, Morin-Forestier, Raymond et Lucie Aubrac, Jean Cavaillès, il travaillera à<br />

l’organisation <strong>de</strong> la branche armée <strong>de</strong> Libération-Sud. La Résistance n’est alors, selon le<br />

mot <strong>de</strong> Malraux, qu’« un désordre <strong>de</strong> courages ». Dès janvier 1943, avec la fusion <strong>de</strong>s<br />

groupements Libération-Sud, Franc-Tireur et Combat au sein <strong>de</strong>s Mouvements unis <strong>de</strong> la<br />

Résistance (MUR), Kriegel-Valrimont joue un rôle essentiel dans le combat clan<strong>de</strong>stin<br />

(recrutement, faux papiers, actions commandos…). Arrêté, puis libéré par un commando<br />

déguisé en agents <strong>de</strong> la Gestapo, lorsque le CNR (Conseil national <strong>de</strong> la Résistance) se dote<br />

d’un comité d’action militaire (Comac), il y siège aux côtés du communiste Pierre Villon<br />

(Ginsburger) et <strong>de</strong> Vaillant (l’industriel Jean <strong>de</strong> Vogüé, engagé à droite). À ce titre, il<br />

contribue auprès <strong>de</strong> l’état-major <strong>de</strong>s FFI (Forces françaises <strong>de</strong> l’intérieur) <strong>de</strong> la région<br />

parisienne, au déclenchement <strong>de</strong> l’insurrection populaire qui facilitera la libération <strong>de</strong> la<br />

capitale (25 août 1944). Ce jeune trentenaire, en civil et lunettes fines, que l’on voit sur les<br />

photos d’époque, <strong>de</strong>rrière le général Leclerc, escortant Von Choltitz, le commandant <strong>de</strong> la<br />

place militaire <strong>de</strong> Paris, jusqu’à la gare Montparnasse, pour y signer la reddition alleman<strong>de</strong>,<br />

c’est le rebelle juif alsacien qui obtiendra que cet acte symbolique soit, en dépit du général<br />

<strong>de</strong> Gaulle, paraphé par Rol-Tanguy, le chef <strong>de</strong>s résistants parisiens. Soixante ans plus tard,<br />

en 2004, Kriegel-Valrimont signera avec le couple Aubrac, Daniel Cordier, Philippe<br />

Dechartre, Jean-Pierre Vernant, Lise London, Georges Séguy et quelques autres un appel à<br />

célébrer l’actualité et à défendre les valeurs civiques et sociales du programme du Conseil<br />

national <strong>de</strong> la Résistance. Il boucle ainsi un itinéraire atypique entrelaçant fidélité et liberté.<br />

Parlementaire progressiste, puis communiste, à la Libération œuvrant précisément à la<br />

concrétisation <strong>de</strong>s engagements du CNR. Militant anticolonialiste et pacifiste, opposé à la<br />

force <strong>de</strong> frappe nucléaire. Communiste <strong>de</strong> toutes ses fibres, victime comme Charles Tillon,<br />

Georges Guingouin et trop d’autres <strong>de</strong> pratiques <strong>de</strong> parti condamnables (et condamnées par<br />

Robert Hue en 1998) qui, écrira sa fille, la philosophe Blandine Kriegel, relevaient d’une<br />

sorte d’« écologie française du stalinisme ». Malgré tout, écrira-t-il : « Nous avons vécu nos<br />

vies en osant <strong>de</strong>s choix. C’est au tour <strong>de</strong>s jeunes d’oser leurs choix. »<br />

(1) Éditions Odile Jacob, 1999.<br />

Michel Boissard<br />

Après la publication <strong>de</strong> l’article consacré à Maurice Kriegel-Valrimont, sa fille<br />

nous écrit.<br />

Kriegel-Valrimont et son combat<br />

Par Anne Fortier-Kriegel.<br />

Je souhaite tout d’abord rendre hommage à l’Humanité et à Michel Boissard qui ont pris<br />

soin d’évoquer Maurice Kriegel-Valrimont, mon père, parmi les figures <strong>de</strong> la Résistance. Je<br />

veux cependant corriger quelques imperfections. La première touche quelque chose <strong>de</strong><br />

sensible à la famille. Paulette Lesouëf, Mme Kriegel-Valrimont, ma mère, n’est pas Mala<br />

Ehrlicherter. Mala est la première femme. Étudiant, Maurice rencontre la jeune fille à<br />

Strasbourg. Ils se séparent lorsque Maurice arrive à Paris. C’est aux assurances, en militant<br />

au syndicat, qu’il rencontre Paulette dans les années 1937-1938. C’est avec Paulette, qu’il<br />

fait sa vie et qu’il a ses <strong>de</strong>ux filles. C’est avec Paulette qu’il traverse l’épreuve <strong>de</strong> la<br />

Résistance. Cette précision permet <strong>de</strong> mieux expliquer le sens <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> Maurice.<br />

Certes, Maurice est d’une famille juive et jamais il n’a renié aucun <strong>de</strong>s siens. C’est la nation<br />

<strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme et du citoyen que Maurice défend avant tout. Il est né à Strasbourg


dans la cité où Rouget <strong>de</strong> Lisle a composé la Marseillaise. C’est un patriote, il n’est pas «<br />

imbu », il est simplement nourri <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>s Lumières. C’est cette volonté que la famille<br />

a cherché à honorer dans son faire-part à l’occasion <strong>de</strong> sa disparition, en mentionnant le<br />

beau vers d’Aragon : « Où je meurs, renaît la patrie… » Cette précision me semble<br />

indispensable pour ne pas qualifier Maurice et ne pas le maintenir dans une catégorie dans<br />

laquelle son action ne s’est pas située.<br />

Pour la Résistance, je suis sensible à l’évocation du Comac. L’existence même du Comac<br />

montre que la Résistance n’était pas une entreprise désordonnée. Elle atteste au contraire<br />

qu’elle était structurée, organisée et hiérarchisée. Le Comac existe dès mai 1944, il forme «<br />

le comman<strong>de</strong>ment suprême <strong>de</strong>s forces militaires <strong>de</strong> l’intérieur, l’état-major national <strong>de</strong>s FFI<br />

». C’est le Comac qui nomme sous son autorité le colonel Rol-Tanguy. Les trois V – Villon<br />

(Ginsburger), Vaillant (<strong>de</strong> Voguë), Valrimont (Kriegel) – refusent le titre <strong>de</strong> général parce<br />

que leur conception <strong>de</strong> la guerre réclamait le soulèvement <strong>de</strong> l’action populaire, mettant en<br />

œuvre une armée <strong>de</strong> volontaires, où la population tout entière servait d’armée <strong>de</strong> réserve. Le<br />

25 août, lors <strong>de</strong> la reddition <strong>de</strong> Paris, les Alliés comme <strong>de</strong> Gaulle craignent le soulèvement<br />

populaire et son affirmation face aux pouvoirs. Ils ne souhaitent pas la présence <strong>de</strong><br />

résistants. « Pas <strong>de</strong> civils ici », disaient-ils… Si les forces <strong>de</strong> l’intérieur ont pu signer l’acte <strong>de</strong><br />

reddition, c’est grâce à la hauteur <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Leclerc après la discussion qu’il a eue avec<br />

Maurice. « Nous ne pouvons pas laisser signer seulement du nom d’une unité du souscomman<strong>de</strong>ment<br />

américain et écarter ceux qui avaient pris l’initiative du soulèvement à<br />

Paris », avait expliqué Maurice. Leclerc a donné son accord et il a fait placer le nom <strong>de</strong> Rol<br />

en premier sur l’acte <strong>de</strong> reddition. « Ce qui symbolise la défaite du fascisme, c’est la<br />

traversée <strong>de</strong> Paris dans le half-track <strong>de</strong> la 2e DB <strong>de</strong> Leclerc, où Von Choltitz fait prisonnier<br />

est vu <strong>de</strong> toute la population parisienne. »<br />

Le sens <strong>de</strong> toute la vie <strong>de</strong> Maurice Kriegel-Valrimont, c’est la lutte contre le fascisme et<br />

l’oppression, c’est la lutte pour la dignité humaine. Il a œuvré à la Libération avec énergie et<br />

pugnacité, comme parlementaire, pour la création <strong>de</strong> la Sécurité sociale et <strong>de</strong> la retraite <strong>de</strong>s<br />

vieux travailleurs. De cela, il est resté mo<strong>de</strong>ste mais aussi le plus fier. Anticolonialiste, il a<br />

défendu les peuples d’Afrique et leur droit à la Sécurité sociale. Cette partie <strong>de</strong> son action<br />

mérite d’être mieux connue. Maurice a été au centre d’avancées majeures, pourtant son rôle<br />

a trop longtemps été occulté. Pour leur apport à la Libération, lui-même comme les <strong>de</strong>ux<br />

autres membres du Comac, se sont accommodés avec un minimum d’amertume d’êtres<br />

passés par pertes et profits. Si cela me semble juste et heureux <strong>de</strong> rétablir Maurice Kriegel-<br />

Valrimont dans son histoire, je ne pouvais pas ne pas relever les insuffisances qui<br />

risqueraient <strong>de</strong> marginaliser une fois encore son action. Toute interprétation erronée <strong>de</strong><br />

cette époque ne permettrait pas d’affronter avec efficacité les luttes actuelles sur la Sécurité<br />

sociale et la retraite.<br />

par Anne Fortier-Kriegel.


8 Juillet 2010<br />

Georges Guingouin « Le préfet du maquis »<br />

Par Magali Jauffret, journaliste.<br />

Chef <strong>de</strong> la Résistance du Limousin, maire 
<strong>de</strong> Limoges, décédé en 2005, il était 
un<br />

personnage 
<strong>de</strong> légen<strong>de</strong>, héroïque et désobéissant. 
Il ne se soumettra pas, d’ailleurs, 
aux<br />

directives 
du Parti communiste lorsqu’elles lui sembleront injustifiées, ce qui lui vaudra<br />

d’être évincé pour n’être réhabilité qu’en 1998.<br />

Nous sommes en février 1941. Il vient d’avoir vingt-huit ans. À quoi pense Georges<br />

Guingouin, caché dans la cabane souterraine d’une sapinière du mont Gargan, en ce<br />

Limousin boisé et peuplé <strong>de</strong> croquants, pour échapper aux Allemands et à la milice ?<br />

S’autorise-t-il même à penser, à rêver alors que le temps dicte <strong>de</strong> faire entrer les paroles<br />

dans la vie ? Il faut faire tourner la ronéo pour sortir l’Humanité clan<strong>de</strong>stine, imaginer un<br />

plan pour nourrir le maquis, trouver <strong>de</strong> quoi imprimer <strong>de</strong> faux papiers, arriver à saboter les<br />

batteuses. Empêcher la livraison <strong>de</strong> blé à Hitler sera <strong>de</strong> la première importance…<br />

Les soirs <strong>de</strong> combat, quand la mort rô<strong>de</strong> trop, après avoir assisté les blessés, accompagné les<br />

mourants, <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> Victor Hugo, appris par cœur à l’école à Bellac, puis transmis aux<br />

enfants du temps où il était instituteur à Saint-Gilles-les-Forêts, remontent le fil <strong>de</strong> sa<br />

mémoire et calment son envie <strong>de</strong> hurler. Dans ces moments-là, toucher ainsi à la fragilité <strong>de</strong><br />

l’humain le rapproche <strong>de</strong> son père qu’il n’a pas eu le temps <strong>de</strong> connaître et qui repose, avec<br />

sept cents <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, dans la fosse commune d’un village du Nord.<br />

Évoquer Georges Guingouin, c’est explorer les qualités <strong>de</strong> désobéissance, d’héroïsme, <strong>de</strong><br />

loyauté <strong>de</strong> l’homme, lorsqu’il est à son meilleur niveau. C’est aussi comprendre la<br />

singularité fondatrice <strong>de</strong> ce Limousin rouge qui, après avoir bercé <strong>de</strong> nombreux<br />

communards, offre à la nation <strong>de</strong> sacrés maquisards.<br />

Juste après ce 18 juin 1940, blessé, mais déterminé à ne pas être fait prisonnier par les<br />

Allemands, Guingouin s’enfuit <strong>de</strong> l’hôpital Sainte-Ma<strong>de</strong>leine <strong>de</strong> Moulins. Il est l’un <strong>de</strong>s<br />

premiers à penser la nécessité <strong>de</strong> créer un réseau clan<strong>de</strong>stin contre Vichy. Il n’a aucun mal à<br />

convaincre les paysans communistes <strong>de</strong> la région d’Eymoutiers, parmi lesquels Andrée<br />

Audouin, qui <strong>de</strong>viendra journaliste à l’Humanité, <strong>de</strong> grimper avec lui dans la montagne avec<br />

<strong>de</strong>s fusils. « Tu as été le seul normalien <strong>de</strong> Limoges à participer à la grève du 12 février 1934,<br />

lui disent-ils. Tu es soli<strong>de</strong>. On te suit. »<br />

Les années passent. Le charisme, l’intelligence terrienne <strong>de</strong> Georges Guingouin s’affirment.<br />

Chef <strong>de</strong> la résistance civile dans la région, il est capable <strong>de</strong> diriger, à l’apogée <strong>de</strong> la lutte, <strong>de</strong>s<br />

hommes aussi différents que 
8 750 FTP, 4 100 membres <strong>de</strong> l’Armée secrète, 1 000<br />

membres <strong>de</strong> l’organisation Résistance armée, 300 républicains espagnols et 500 ex-Vlassov.<br />

Cerveau <strong>de</strong> nombreux sabotages, il multiplie les coups gagnants contre l’économie <strong>de</strong><br />

guerre, contre les lignes <strong>de</strong> communication <strong>de</strong> l’armée alleman<strong>de</strong>. Ce faisant, il ne néglige<br />

pas la lutte <strong>de</strong>s classes et s’allie les paysans en leur permettant <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le fourrage et le<br />

blé, en rémunérant correctement les produits agricoles, en faisant revenir le pain blanc sur<br />

les tables grâce à <strong>de</strong>s décrets signés « le préfet du maquis ».


Enfin, on le découvre stratège. La capture, le 9 juin 1944, du Sturmbannführer Kämpfe, «<br />

héros » <strong>de</strong> la division d’élite SS Das Reich, retar<strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours, dans sa<br />

mise en mouvement vers la Normandie. Le général Eisenhower reconnaît que ce retard a<br />

sauvé la tête <strong>de</strong> pont alliée. Mais ce n’est pas tout. Le 3 août, procédant à une manœuvre<br />

d’encerclement <strong>de</strong> Limoges, il obtient sans effusion <strong>de</strong> sang la capitulation du général<br />

Geiniger. Mieux : <strong>de</strong>s escadrons <strong>de</strong> gendarmes et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s mobiles, qui se terraient dans la<br />

campagne limousine, se ren<strong>de</strong>nt à lui après l’avoir pourchassé.<br />

Les années passant, l’isolement gagnant, Georges Guingouin, sans contacts ni directives,<br />

prend insensiblement ses distances avec les décisions du Parti qui ne lui semblent pas<br />

opportunes. Lorsqu’il ne partage pas les mêmes analyses, lorsque les directives lui semblent<br />

aventureuses, lorsque le coût en vies humaines lui paraît trop élevé, il désobéit. Son<br />

personnage n’en finit pas <strong>de</strong> soulever la controverse. Prend-il conscience que pareilles<br />

libertés, insoumissions, prises <strong>de</strong> distance avec l’appareil sont inconcevables dans un<br />

contexte <strong>de</strong> guerre froi<strong>de</strong>, d’adhésion à la IIIe Internationale, <strong>de</strong> culte <strong>de</strong> la personnalité ?<br />

En tout cas, le portrait dressé <strong>de</strong> lui, à l’époque, est terriblement schizophrénique.<br />

Surnommé affectueusement Lou Grand à l’intérieur du maquis, il est, à l’extérieur, traité <strong>de</strong><br />

« fou qui vit dans les bois, se levant la nuit pour écraser <strong>de</strong>s chiens ».<br />

Guingouin l’ignore, mais il est déjà diabolisé, pris dans les mâchoires d’une étrange et<br />

double tenaille, étranglé par les manœuvres conjointes <strong>de</strong> socialistes, <strong>de</strong> vichystes<br />

revanchards, mais aussi <strong>de</strong>s siens, qui l’accusent <strong>de</strong> « travail fractionnel », d’« acceptation<br />

sans protestation <strong>de</strong>s éloges <strong>de</strong> la presse américaine », <strong>de</strong> razzia sur les fonds secrets <strong>de</strong> la<br />

Résistance ! Deux exclusions valant mieux qu’une, un procès <strong>de</strong> Moscou est en marche dans<br />

le Limousin contre celui qui <strong>de</strong>vient maire communiste <strong>de</strong> Limoges <strong>de</strong> 1945 à 1947 et que <strong>de</strong><br />

Gaulle élève au gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> compagnon <strong>de</strong> la Libération. Un grave acci<strong>de</strong>nt automobile, une<br />

machination judiciaire qui l’envoie en prison, dans le coma et en hôpital psychiatrique<br />

parachèvent ce tableau <strong>de</strong> l’indignité.<br />

Georges Guingouin, finalement réhabilité par le secrétaire national du <strong>PCF</strong> d’alors, Robert<br />

Hue, en février 1998, est l’honneur <strong>de</strong>s communistes français. Anticipant la déstalinisation,<br />

sa vie atteste que les valeurs communistes se vali<strong>de</strong>nt à l’aune d’une liberté ressentie,<br />

questionnée en permanence et nourrie <strong>de</strong> l’humain. En 1964, il rédige une adresse aux<br />

membres du 17e Congrès du Parti communiste français. Se plaignant <strong>de</strong> la rupture entre les<br />

paroles et les actes au détriment <strong>de</strong> l’idéal proclamé, il conclut par ces mots : « Au soir <strong>de</strong>s<br />

combats, j’ai bercé dans mes bras <strong>de</strong>s mourants (...), j’ai tenté <strong>de</strong>s actions désespérées pour<br />

sauver ceux qui étaient <strong>de</strong>stinés aux fours crématoires et au poteau d’exécution. Croyezmoi,<br />

c’est cette vertu <strong>de</strong> compréhension qu’il faut pratiquer pour trouver l’art d’avancer. »<br />

Par Magali Jauffret


7 Juillet 2010<br />

Marcel Langer « L’ouvrier métallo, héros <strong>de</strong> la<br />

35e briga<strong>de</strong> FTP-MOI »<br />

Par Alain Raynal<br />

Immigré polonais et militant communiste, ancien lieutenant <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales,<br />


il est guillotiné par 
les autorités <strong>de</strong> Vichy, condamné à mort 
par la section spéciale <strong>de</strong><br />

la cour d’appel <strong>de</strong> Toulouse à l’issue d’un procès qualifié <strong>de</strong> « monument d’iniquité » (1)<br />


par les historiens.<br />

Sortant <strong>de</strong> sa cellule pour être guillotiné, rapporte le procès-verbal d’exécution, il s’écrie :<br />

«Vive la France ! À bas les Boches ! Vive le Parti communiste !» Au même moment, les<br />

détenus <strong>de</strong>s cellules voisines entonnent la Marseillaise. C’est au petit matin du 23 juillet<br />

1943, à 5 h 40 précisément, que Marcel, Men<strong>de</strong>l <strong>de</strong> son prénom polonais, Langer est<br />

guillotiné dans la prison Saint-
Michel à Toulouse.<br />

Cinq mois plus tôt, le 5 février 1943, il est arrêté gare Saint-Agne, à Toulouse, alors qu’il<br />

réceptionne une valise remplie <strong>de</strong> dynamite portée par une jeune étudiante résistante,<br />

Marie, arrivant d’Ariège. Durement interrogé, torturé, il ne fournit aucun nom et ne donne<br />

aucun renseignement à la police française sur l’origine et la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> ces explosifs.<br />

Lors du procès intenté par les services <strong>de</strong> Vichy, le procureur Lespinasse <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la peine<br />

<strong>de</strong> mort à l’issue d’un réquisitoire scandaleux <strong>de</strong> sévérité contre l’origine et les engagements<br />

<strong>de</strong> l’inculpé. L’accusateur français ajoute du zèle dans sa soumission à l’égard <strong>de</strong> l’occupant<br />

allemand. Ce Lespinasse insiste sur la nécessité <strong>de</strong> punir ce « sans-patrie » pour l’exemple.<br />

Pour « éviter » soi-disant <strong>de</strong>s prises d’otage par les nazis. « Vous êtes juif, étranger et<br />

communiste, trois raisons pour moi <strong>de</strong> réclamer votre tête », aurait même déclaré le<br />

magistrat. Les frères <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> Marcel Langer le vengent quelques mois plus tard en<br />

exécutant le procureur collabo. Jusqu’à la Libération, plus aucun magistrat toulousain ne va<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la peine <strong>de</strong> mort pour motif politique. Les autorités <strong>de</strong> Vichy restent sour<strong>de</strong>s aux<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> grâce formulées par Me Arnal. L’avocat choisi par les membres <strong>de</strong> la MOI<br />

(Main-d’œuvre immigrée) assure une défense courageuse et tenace.<br />

Dans une lettre <strong>de</strong> prison rédigée dans les <strong>de</strong>rniers jours <strong>de</strong> mars 1943 à ses camara<strong>de</strong>s,<br />

Marcel Langer indique que son moral est bon, qu’il est bien traité. « Sachez que 95 % du<br />

personnel pénitentiaire me manifeste ouvertement leurs sentiments anti-hitlériens. » Il sait<br />

que l’exécution approche. « Si je dois mourir, écrit-il, je saurai dans mes <strong>de</strong>rniers instants<br />

prendre une attitu<strong>de</strong> digne d’un ouvrier révolutionnaire. » L’ouvrier antifasciste poursuit : «<br />

N’oubliez pas que le 1er mai qui approche est pour moi une date historique. Il y aura vingt<br />

ans que j’ai adhéré au mouvement révolutionnaire prolétarien. Toujours actif, dans les<br />

premiers rangs au combat, je n’ai jamais reculé <strong>de</strong>vant aucun danger. Cela me donne à<br />

penser que je pourrais être un exemple pour d’autres. »<br />

« Marcel Langer est le représentant exemplaire <strong>de</strong> ces combattants qui ont consacré une vie<br />

à la défense <strong>de</strong>s libertés menacées par le fascisme », souligne Rolan<strong>de</strong> Trempé en ouverture<br />

<strong>de</strong> la biographie consacrée au héros combattant <strong>de</strong> la MOI. Après l’exécution <strong>de</strong> son chef, la<br />

35e briga<strong>de</strong> prend le nom <strong>de</strong> briga<strong>de</strong> Marcel-Langer. Elle va s’honorer par <strong>de</strong> très nombreux<br />

et courageux actes <strong>de</strong> résistance contre l’occupant à Toulouse et dans toute la région. Une


cinquantaine <strong>de</strong> jeunes résistants communistes – pour la plupart juifs d’Europe centrale et<br />

orientale, antifascistes italiens, guérilleros espagnols – renforcent ses rangs jusqu’en avril<br />

1944, avant que le groupe ne soit démantelé par la police française.<br />

Retour sur un itinéraire <strong>de</strong> combat à travers le Proche-Orient et l’Europe pour<br />

l’émancipation humaine, pour la liberté, et contre le fascisme.<br />

Men<strong>de</strong>l Langer naît en Pologne, à Szezucin, le 13 mai 1903. Il est le fils d’Alter Langer et <strong>de</strong><br />

Rosa Eiger ; les persécutions antisémites marquent sa jeunesse.<br />

La famille émigre en Palestine en 1920. Le père est membre du Bund, parti socialiste juif. Le<br />

frère aîné <strong>de</strong>vient un militant actif du mouvement sioniste. Men<strong>de</strong>l adhère au Parti<br />

communiste palestinien. Arrêté puis emprisonné pour activité communiste par les<br />

Britanniques, il vient en France, à Paris, puis à Toulouse, à partir <strong>de</strong> 1931, où il travaille<br />

comme fraiseur-ajusteur. Militant communiste, il adhère à une section <strong>de</strong> la MOI,<br />

organisation alors créée au sein <strong>de</strong> la CGTU (Confédération générale du travail unitaire)<br />

pour réunir les travailleurs immigrés.<br />

En 1936, c’est l’engagement en Espagne dans les Briga<strong>de</strong>s internationales. D’abord dans<br />

une briga<strong>de</strong> polonaise, puis dans la 35e division <strong>de</strong> mitrailleurs, dans laquelle il est nommé<br />

lieutenant après un passage au quartier général d’Albacète.<br />

Il épouse en juin 1937 une jeune Espagnole, Cecilia Molina. De cette union naît seize mois<br />

plus tard une petite Rosa. Avec la défaite <strong>de</strong>s républicains, il retourne en France. Il est<br />

interné dans les camps d’Argelès puis <strong>de</strong> Gurs d’où il s’éva<strong>de</strong> pour rejoindre Toulouse.<br />

De nouveau ouvrier métallo aux Ateliers <strong>de</strong> construction mécanique du Midi, il reprend<br />

contact avec ses anciens camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la MOI, entrés dans la clan<strong>de</strong>stinité. Avec<br />

l’occupation en 1942 <strong>de</strong> la zone Sud par les Allemands, la MOI <strong>de</strong>vient un mouvement <strong>de</strong><br />

résistance militaire affilié aux FTP (francs-tireurs et partisans). Marcel Langer dirige, le<br />

premier, la 35e briga<strong>de</strong> formée dans la région toulousaine et nommée ainsi en souvenir <strong>de</strong><br />

la 35e division <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales.<br />

Marcel Langer a été un pionnier, souligne Serge Ravanel, ancien commandant <strong>de</strong>s FFI <strong>de</strong> la<br />

région <strong>de</strong> Toulouse et compagnon <strong>de</strong> la Libération, pour le 40e anniversaire <strong>de</strong> la 35e<br />

briga<strong>de</strong>. « Son sang, que la guillotine française avait répandu, fut le levain qui fit germer<br />

dans la région <strong>de</strong> Toulouse <strong>de</strong>s générations <strong>de</strong> résistants. Gloire à ces hommes audacieux<br />

qui surent créer l’espoir à une époque où le pays se trouvait dans une situation dramatique,<br />

ayant non seulement perdu la guerre et se trouvant occupé, mais ayant perdu son moral et<br />

doutant <strong>de</strong> lui-même, ils surent l’ai<strong>de</strong>r à relever la tête. »<br />

Aujourd’hui, après <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> mobilisation du comité <strong>de</strong> quartier Saint-Michel et<br />

d’associations d’anciens résistants, la station <strong>de</strong> métro située à Toulouse <strong>de</strong>vant la prison où<br />

il fut guillotiné porte désormais le nom <strong>de</strong> Marcel Langer.<br />

(1) Sources : une biographie <strong>de</strong> Marcel Langer par l’historienne Rolan<strong>de</strong> Trempé. Hommage<br />

à la 35e briga<strong>de</strong> FTP-MOI, Marcel Langer, ouvrage collectif édité par le Comité <strong>de</strong> quartier<br />

Saint-Michel à Toulouse. Toulouse, 1940-1944, <strong>de</strong> Jean Estèbe, Éditions Perrin.<br />

Comité <strong>de</strong> quartier Saint Michel Toulouse


Par Alain Raynal, 
Journaliste.


7 Juillet 2010<br />

Yvonne Abbas « Entrer en résistance est<br />

naturel »<br />

Par Laurence Thibault, Laure Bougon, Fabrice Bourrée, Clémence Piet et<br />

Aurélie Pol 
<strong>de</strong> l’Association pour 
<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sur la Résistance intérieure<br />

(AERI).<br />

À dix-sept ans, la jeune communiste Yvonne Abbas entre en résistance, mais le soir <strong>de</strong> ses<br />

vingt ans elle est arrêtée sur dénonciation et passe <strong>de</strong> prison en prison jusqu’à être<br />

déportée à Ravensbrück. 
Elle poursuit son combat aujourd’hui en tant que prési<strong>de</strong>nte 
du<br />

musée <strong>de</strong> la Résistance à Denain.<br />

Yvonne Abbas naît le 29 avril 1922 à Pérenchies (Nord), d’une mère flaman<strong>de</strong>, Marie<br />

Huysentruyt, ouvrière textile, et d’un père algérien, Mustapha Abbas, manutentionnaire,<br />

mort en 1933 <strong>de</strong> tuberculose. Avec une formation <strong>de</strong> sténodactylo, elle entre dès quatorze<br />

ans aux Nouvelles Épiceries du Nord, où elle adhère à la CGT alimentation, puis dans<br />

l’industrie textile où elle milite au syndicat CGT du textile. En 1938, elle <strong>de</strong>vient militante<br />

<strong>de</strong>s Jeunes Filles <strong>de</strong> France et participe également aux activités <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong> la nature et à<br />

celles <strong>de</strong>s auberges <strong>de</strong> jeunesse.<br />

Lorsque la guerre éclate en 1939, pour Yvonne Abbas, jeune communiste <strong>de</strong> dix-sept ans,<br />

entrer en résistance est naturel. « Nous étions entourés par le fascisme en Espagne, en<br />

Italie, en Allemagne, et comme les hommes étaient à la guerre, beaucoup <strong>de</strong> jeunes ont<br />

rejoint <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> Résistance. » Au côté <strong>de</strong> son mari Florent Debels (1920-1942),<br />

qui organise un <strong>de</strong>s premiers groupes FTP du Nord, elle se lance dans la résistance. Elle se<br />

charge notamment du matériel <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>, du ravitaillement et du logement <strong>de</strong><br />

nombreux résistants.<br />

Mais, le 29 avril 1942, soir <strong>de</strong> ses vingt ans, elle est arrêtée sur dénonciation d’un <strong>de</strong> ses<br />

camara<strong>de</strong>s qui n’a pu résister à la torture. « La fatalité », dit-elle. Elle est emmenée au<br />

commissariat central <strong>de</strong> Lille où <strong>de</strong>s policiers s’efforcent, sans ménagements mais en vain,<br />

<strong>de</strong> lui faire dénoncer son mari et d’autres illégaux. Le 31 juillet 1942, la section spéciale <strong>de</strong><br />

la cour d’appel <strong>de</strong> Douai la condamne à <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> prison pour « activité terroriste ». Elle<br />

est incarcérée à la prison <strong>de</strong> Cuincy (Nord), emprisonnée dans une cellule <strong>de</strong> 8 m2, avec<br />

trois ou quatre autres détenues. La pério<strong>de</strong> est difficile. Elle part ensuite à la prison <strong>de</strong> la<br />

Roquette à Paris, puis à la centrale <strong>de</strong> Rennes (Ille-et-Vilaine).<br />

Son mari, Florent Debels, est arrêté le 2 mai 1942, à Sin-le-Noble (Nord) chez Charles<br />

Loubry (jeune résistant <strong>de</strong> dix-sept ans) à la suite d’une « fuite » d’un résistant gravement<br />

blessé, puis torturé et fusillé. De la prison <strong>de</strong> Cuincy, il est envoyé à la prison <strong>de</strong> Louvain<br />

(Belgique) où le tribunal militaire allemand le condamne à mort le 5 juin 1942 pour «<br />

détention d’armes à feu et propagan<strong>de</strong> illégale communiste ». Il est fusillé au crépuscule du<br />

1er juillet 1942 au fort du Vert-Galant, à Wambrechies (Nord).<br />

Libérable en mai 1944, Yvonne Abbas doit à la « vigilance » du préfet du Nord son<br />

internement à sa sortie <strong>de</strong> prison car, « militante et propagandiste active du Parti


communiste, l’intéressée me paraît susceptible <strong>de</strong> reprendre son activité communiste ».<br />

Elle est internée à la forteresse <strong>de</strong> Romainville (Seine). De là, elle est déportée au camp <strong>de</strong><br />

Ravensbrück. Le convoi ferroviaire durera cinq jours et quatre nuits dans <strong>de</strong>s conditions<br />

épouvantables avant d’arriver dans ce camp pour femmes dont 92 000 déportées ne sont<br />

jamais revenues. « Ravensbrück était surnommé l’enfer <strong>de</strong>s femmes, comme dans les<br />

autres camps, tout y était fait pour déshumaniser l’être humain. »<br />

Elle <strong>de</strong>vient le matricule nº35138, travaille douze heures par jour. Elle vit sans hygiène,<br />

dans la même tenue. « C’est l’humiliation la plus complète », résume-t-elle. Mais, toujours,<br />

elle résiste. Elle est déplacée en Tchécoslovaquie à Holleischen, dans un camp <strong>de</strong> travail. Fin<br />

avril 1945, les nombreux bombar<strong>de</strong>ments apparaissent comme un espoir au bout <strong>de</strong> trentesept<br />

mois <strong>de</strong> captivité. « C’était très long, chaque jour, on s’attendait à quelque chose », se<br />

rappelle « Vonnie », son surnom dans le camp. Le 5 mai 1945, les alliés arrivent.<br />

De retour <strong>de</strong> déportation, jeune veuve, Yvonne Abbas-Debels a du mal à retrouver du<br />

travail. Elle <strong>de</strong>vient employée municipale <strong>de</strong> La Ma<strong>de</strong>leine (Nord) jusqu’à sa retraite. Plus<br />

tard, elle est élue conseillère municipale communiste. Elle consacre une partie importante<br />

<strong>de</strong> son militantisme aux anciens résistants, comme vérificatrice <strong>de</strong>s médailles militaires,<br />

membre du comité national <strong>de</strong> l’Amicale <strong>de</strong> Ravensbrück, et comme prési<strong>de</strong>nte du comité<br />

<strong>de</strong> Lille <strong>de</strong> l’ANACR. Elle est nommée officier <strong>de</strong> la Légion d’honneur le 18 juin 1992 et<br />

élevée au gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> chevalier dans l’ordre <strong>de</strong>s Palmes académiques.<br />

Aujourd’hui, prési<strong>de</strong>nte du musée <strong>de</strong> la Résistance à Denain, Yvonne Abbas témoigne dans<br />

le cadre du Concours national <strong>de</strong> la Résistance et <strong>de</strong> la déportation à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s<br />

collégiens et lycéens <strong>de</strong> la région Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais. « Je fais le choix <strong>de</strong> parler pour tous<br />

ceux qui ne sont pas revenus (…). C’est un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> mémoire. »


5 Juillet 2010<br />

Missak Manouchian « 15 000 affiches<br />

placardées sur les murs <strong>de</strong> Paris »<br />

Par Michel Dreyfus, historien<br />

Arrivé en France 
à dix-neuf ans, 
Missak Manouchian avait échappé, 
enfant, au<br />

génoci<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Arméniens par les Turcs. L’Affiche rouge fit <strong>de</strong> son groupe <strong>de</strong>s FTP-MOI le<br />

symbole <strong>de</strong> l’engagement 
<strong>de</strong>s « étrangers » 
dans la Résistance.<br />

Né le 1er septembre 1906 à Adyaman dans la partie arménienne <strong>de</strong> l’Empire ottoman,<br />

Missak Manouchian fut élevé dans le souvenir du massacre <strong>de</strong>s Arméniens <strong>de</strong> 1894-1896. Il<br />

n’avait que neuf ans quand les Turcs recommencèrent ces massacres et leur donnèrent la<br />

dimension d’un génoci<strong>de</strong>. Lui-même échappa à la mort, mais après avoir perdu presque<br />

toute sa famille, il fut recueilli avec son frère dans un orphelinat du protectorat français <strong>de</strong><br />

Syrie.<br />

En 1925, il arriva en France où il se fit embaucher aux usines Citroën à Paris comme<br />

tourneur. En 1934, il adhéra au Parti communiste. Membre du Groupe communiste<br />

arménien lié à l’organisation <strong>de</strong> la Main-d’œuvre immigrée (MOI), il <strong>de</strong>vint responsable <strong>de</strong><br />

son journal, Zangou, du nom d’un fleuve arménien. En 1938-1939, il était secrétaire <strong>de</strong><br />

l’Union populaire arménienne, organisation <strong>de</strong> gauche dans laquelle les communistes se<br />

montraient extrêmement actifs.<br />

La Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale <strong>de</strong>vait bouleverser l’itinéraire <strong>de</strong> Missak Manouchian. Il<br />

semble avoir d’abord été arrêté et interné comme étranger puis incorporé et affecté dans<br />

une usine <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Rouen. Revenu à Paris après la défaite <strong>de</strong> juin 1940, il poursuivit<br />

son action communiste dans les milieux arméniens. Il s’engagea définitivement dans la lutte<br />

à partir <strong>de</strong> l’invasion <strong>de</strong> l’URSS par les armées nazies, le 22 juin 1941. Il avait même été<br />

arrêté avant cette date mais, interné au camp <strong>de</strong> Compiègne dans l’Oise, il fut libéré au bout<br />

<strong>de</strong> quelques semaines, aucune charge n’ayant pu être relevée contre lui.<br />

Missak Manouchian <strong>de</strong>vint alors responsable <strong>de</strong> la section clan<strong>de</strong>stine arménienne <strong>de</strong> la<br />

MOI, puis en février 1943, il fut versé dans les Francs-tireurs et partisans (FTP) <strong>de</strong> la MOI<br />

parisienne, groupes armés constitués sur le modèle <strong>de</strong>s FTP, en avril 1942 sous la direction<br />

<strong>de</strong> Boris Holban, juif, qui était né en Bessarabie. En juillet 1943, Missak Manouchian <strong>de</strong>vint,<br />

sous le pseudonyme <strong>de</strong> Georges, le commissaire technique <strong>de</strong>s FTP-MOI, et ce en<br />

remplacement du Tchèque Alik Neuer qui était tombé aux mains <strong>de</strong> la police française. Puis<br />

il fut le principal dirigeant <strong>de</strong>s FTP-MOI parisiens à partir d’août 1943.<br />

Le groupe Manouchian constitua à lui seul une véritable organisation internationale<br />

puisque combattirent dans ses rangs <strong>de</strong>ux Arméniens, (Missak Manouchian et Armenak<br />

Manoukian), un Espagnol (Celestino Alfonso), <strong>de</strong>s Hongrois (Joseph Boczov, Thomas Elek,<br />

Imre Glasz), <strong>de</strong>s Italiens (Spartaco Fontano, Cesare Luccarini, Rino <strong>de</strong>lla Negra Antoine<br />

Salvadori, Azma<strong>de</strong>o Udsséglio), <strong>de</strong>s Polonais (Maurice Fingercwaig, Jonas Geduldig, Léon<br />

Goldberg, Stalislas Kubacki), une Roumaine (Olga Bancic) et <strong>de</strong>s Français (Georges Cloarec,<br />

Roger Rouxel et Robert Wtitchitz).


Tous furent arrêtés en novembre 1943. Leur procès, qui eut lieu en février 1944, fut prétexte<br />

à une vaste opération <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> visant à dresser l’opinion contre la Résistance. Il<br />

donna lieu à une campagne <strong>de</strong> presse intense : le 19 février 1944, soit quatre jours après la<br />

première audience, le procès Manouchian fit la une <strong>de</strong>s journaux et ne <strong>de</strong>vait plus la quitter<br />

jusqu’à son épilogue. Le verdict – 22 condamnations à mort – tomba le 21 février et, le<br />

même jour, tous furent fusillés, à l’exception d’Olga Bancic qui <strong>de</strong>vait être décapitée en<br />

Allemagne en mai 1944.<br />

Afin <strong>de</strong> donner un écho sans précé<strong>de</strong>nt à ce verdict, 15 000 affiches furent placardées sur les<br />

murs <strong>de</strong> Paris. En utilisant un montage habile, la propagan<strong>de</strong> nazie entendait, avec l’Affiche<br />

rouge, jouer sur les ressorts traditionnels <strong>de</strong>s sociétés en temps <strong>de</strong> crise, donc sur la<br />

xénophobie et le racisme. Mais ce fut un échec total car la réaction <strong>de</strong> la population fut toute<br />

différente : elle prit en sympathie les martyrs du groupe Manouchian qui <strong>de</strong>vaient <strong>de</strong>venir<br />

<strong>de</strong>s symboles <strong>de</strong> la lutte contre le nazisme à quelques mois <strong>de</strong> la Libération. Par la suite, le<br />

poème d’Aragon, l’Affiche rouge, écrit en 1955, <strong>de</strong>vait perpétuer leur souvenir. Puis l’Affiche<br />

rouge fut mise en musique et chantée par Léo Ferré en 1959 ; d’autres chanteurs, parmi<br />

lesquels Marc Ogeret, chantèrent aussi l’Affiche rouge. Les membres du groupe<br />

Manouchian reposent maintenant au cimetière d’Ivry-sur-Seine (Val-<strong>de</strong>-Marne) et une stèle<br />

a été érigée à leur mémoire.<br />

En 1985, une polémique éclata à partir <strong>de</strong> la diffusion d’un film, Des terroristes à la retraite,<br />

qui accusait le Parti communiste clan<strong>de</strong>stin d’avoir lâché, voire vendu, le groupe<br />

Manouchian. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette grave accusation qui ne fut jamais prouvée – et pour cause –,<br />

la lutte <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s FTP-MOI entra à partir <strong>de</strong> cette décennie dans une actualité<br />

mémorielle marquée par un renouveau <strong>de</strong> réveil <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités sur fond <strong>de</strong> déclin du<br />

communisme. Les membres du groupe Manouchian apparurent alors, comme dit l’historien<br />

Denis Peschanski, comme <strong>de</strong>s « laissés-pour-compte <strong>de</strong> la mémoire nationale, victimes<br />

d’une forme <strong>de</strong> nationalisation <strong>de</strong> la Résistance dont on n’aurait pas reconnu la diversité<br />

<strong>de</strong>s composantes ».<br />

Michel Dreyfus


3 Juillet 2010<br />

Germaine Tillon « Résistante instantanée le 17<br />

juin 1940 »<br />

Par Charles Silvestre, journaliste, secrétaire <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong> l’Humanité<br />

Ethnologue, Germaine Tillion a participé à la création du réseau du musée <strong>de</strong> l’Homme,<br />

avant <strong>de</strong> mettre à nu les mécanismes <strong>de</strong> domination <strong>de</strong> Ravensbrück et <strong>de</strong> dénoncer la<br />

torture pendant la guerre d’Algérie.<br />

Quand Pétain appelle à cesser le combat, le 17 juin 1940, Germaine Tillion vomit. C’est la<br />

capitulation qui lui donne la nausée. Durant l’hiver 1932-1933, elle a vu sur place, en<br />

Allemagne, ce qu’était le nazisme. La mécanique se met en place. Elle rendra visite à son<br />

maître, Marcel Mauss. Il l’a orientée vers son métier, l’ethnologie. Chez lui, elle prend <strong>de</strong><br />

plein fouet l’ignominie: sur sa veste, il porte l’étoile jaune. Une seule image, touchant au<br />

plus fort du sensible, peut marquer un <strong>de</strong>stin.<br />

Germaine Tillion, à l’été 1940, ne sait plus très bien ce qu’est la France. La jeune femme, née<br />

le 30 mai 1907 à Allègre (Haute-Loire), est partie en 1934 dans les Aurès, étudier les<br />

systèmes <strong>de</strong> parenté chez les Chaouias. Seule, elle a planté sa tente dans le douar <strong>de</strong><br />

Tadjemout, le plus pauvre et le plus éloigné, à quatorze heures <strong>de</strong> cheval d’un centre, Arris.<br />

L’Algérie <strong>de</strong>s Chaouias <strong>de</strong>viendra sa thèse d’ethnologie. Et, plus qu’une thèse, ce sera sa<br />

métho<strong>de</strong>, qu’elle appliquera au camp <strong>de</strong> concentration <strong>de</strong> Ravensbrück, où elle est déportée<br />

le 31 janvier 1944.<br />

Résistante instantanée, Germaine Tillion ne part pas à Londres. C’est à Paris, dans le nœud<br />

<strong>de</strong> vipères, qu’elle se met en route. Ou plutôt en chasse. Elle se retrouve avec Boris Vildé et<br />

Anatole Lewitsky, plus tard fusillés, eux aussi élèves <strong>de</strong> Marcel Mauss et qui constitueront le<br />

fameux réseau du musée <strong>de</strong> l’Homme. Le réseau est trahi. La lutte, à la vie à la mort, entre<br />

la collaboration et la Résistance, est une histoire d’héroïsmes, mais aussi <strong>de</strong> trahisons. Le 13<br />

août 1942, Germaine Tillion est arrêtée. Elle a été donnée par un prêtre, l’abbé Alesch, qui<br />

recrutait <strong>de</strong>s jeunes pour la Résistance pour mieux les livrer à la Gestapo! Sa mère aussi,<br />

Émilie, au doux visage rayonnant, dont elle ne quittera jamais la photo <strong>de</strong>s yeux dans son<br />

salon <strong>de</strong> Saint-Mandé, qui sera une gazée « cheveux blancs » dans le camp <strong>de</strong> sa fille.<br />

À Ravensbrück, Germaine Tillion adopte une règle <strong>de</strong> résistance : « Survivre est notre<br />

ultime sabotage. » Et que fait-on pour survivre ? On s’entrai<strong>de</strong>, on est caché au Revier<br />

(l’infirmerie), on prépare même, en douce, une opérette, le Verfügbar aux enfers, à l’ironie<br />

mordante pour les geôliers. Il faut imaginer ces déportées, dans la baraque, « répétant » les<br />

personnages <strong>de</strong> Titine, Lulu <strong>de</strong> Colmar, Bébé, imaginer Nénette chantant « J’irai dans un<br />

camp modèle, avec tout confort, eau, gaz, électricité… » et le chœur répondant : « Gaz<br />

surtout… ». Du camp, sortira surtout un maître ouvrage : Ravensbrück. Ni un récit, ni<br />

même un cri d’épouvante. Germaine Tillion met à nu, dans le régime concentrationnaire, le<br />

système économique – celui du profit, Himmler était le propriétaire du camp ! – les<br />

mécanismes psychologiques <strong>de</strong> la domination, <strong>de</strong> la détention. Elle en tirera <strong>de</strong>s leçons pour<br />

toute la vie. Y compris quand elle aura affaire à un autre « système concentrationnaire »,<br />

celui du goulag. En 1951, elle participe à une commission internationale pour auditionner<br />

les témoins <strong>de</strong>s camps soviétiques. La controverse éclate alors avec <strong>de</strong>s anciennes déportées


communistes, notamment avec une amie tchèque qui lui a sauvé la vie. Et qui lui reprochera<br />

amèrement cette entorse à leur idéal, avant <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r… lors <strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong>s troupes du<br />

pacte <strong>de</strong> Varsovie à Prague, en 1968. Germaine Tillion ne confondait pas, cependant,<br />

stalinisme et communisme, faisant l’éloge <strong>de</strong>s résistantes communistes à Ravensbrück,<br />

d’une Jeannette jeune ouvrière du Nord.<br />

Le 1 er novembre 1954 éclatent les premiers coups <strong>de</strong> feu <strong>de</strong> la guerre d’Algérie. Dans les<br />

Aurès, et on est tenté <strong>de</strong> dire dans « ses » Aurès ! Années <strong>de</strong> déchirement pour l’ethnologue<br />

que Louis Massignon renvoie sur le « terrain ». Germaine Tillion va faire cette « traversée<br />

du mal », pour ainsi dire sans prendre parti, mais hostile à la guerre, jusqu’à l’indépendance<br />

<strong>de</strong> juillet 1962. Des Algériens, comme l’écrivain Jean Amrouche, lui reprocheront <strong>de</strong> ne pas<br />

être allée plus loin… Mais refuser <strong>de</strong> mettre en cause le principe même du fait colonial n’est<br />

pas s’abstenir <strong>de</strong> combattre ses crimes.<br />

Elle découvre la « clochardisation » du peuple algérien. Elle crée <strong>de</strong>s centres sociaux. La<br />

logique <strong>de</strong> la guerre coloniale broie cet idéalisme. Inspectant, avec d’autres, cette Algérie <strong>de</strong><br />

la répression, <strong>de</strong>s camps d’internement – encore <strong>de</strong>s camps ! – les témoignages <strong>de</strong> sévices,<br />

les liquidations <strong>de</strong> ses propres éducateurs, l’incitent à tout faire pour arrêter « ça ». Elle<br />

rencontre même Yacef Saadi, le chef du FLN à Alger, pour proposer une trêve : arrêt <strong>de</strong>s<br />

exécutions capitales <strong>de</strong> combattants FLN, d’un côté, suspension <strong>de</strong>s attentats contre <strong>de</strong>s<br />

civils, <strong>de</strong> l’autre. La trêve sera rompue par Paris : la guillotine reprend du « service » sous la<br />

pression <strong>de</strong> l’armée et <strong>de</strong>s pieds-noirs ultras. Les <strong>de</strong>ux camps aux prises ne s’y tromperont<br />

pas. Des Algériens témoigneront envers elle, le plus souvent, <strong>de</strong> leur gratitu<strong>de</strong>. À l’inverse,<br />

les jusqu’au-boutistes <strong>de</strong> l’Algérie française ne lui pardonnèrent jamais : elle dut même, un<br />

jour, changer son numéro <strong>de</strong> téléphone…<br />

Son <strong>de</strong>rnier acte, si l’on peut dire, concernant la guerre d’Algérie, fut <strong>de</strong> signer, le 31 octobre<br />

2000, un texte <strong>de</strong>mandant aux autorités <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> reconnaître et <strong>de</strong> condamner la<br />

torture pratiquée en son nom, ce qui <strong>de</strong>vint l’Appel <strong>de</strong>s douze. Et <strong>de</strong> se retrouver, ainsi, aux<br />

côtés d’Henri Alleg, <strong>de</strong>ux personnages <strong>de</strong> l’histoire, elle l’humaniste et lui le communiste,<br />

que la guerre froi<strong>de</strong> avait durement séparés, et qui avaient fait montre, chacun dans leur<br />

registre, dans les pires circonstances, d’un engagement exemplaire.<br />

On ne peut évoquer Germaine Tillion sans parler <strong>de</strong> la complicité féminine qui a marqué sa<br />

vie. Deux d’entre elles en témoignent pour d’autres, innombrables : Anise Postel-Vinay à<br />

Ravensbrück et Nelly Forget en Algérie, arrêtée et torturée par les parachutistes français.<br />

Cette complicité qui semble in<strong>de</strong>structible, qui confère sa force à l’Association <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong><br />

Germaine Tillion, a donné un bel ouvrage, réalisé sous la direction <strong>de</strong> Tzevan Todorov (1).<br />

Car l’enfant d’Allègre, disparue en 2007, a eu le « bon goût » <strong>de</strong> vivre cent ans et un peu<br />

plus… pour inspirer ce titre : le Siècle <strong>de</strong> Germaine Tillion. La marque, déposée, en vaut pas<br />

mal d’autres…<br />

(1) Éditions du Seuil.<br />

Charles Silvestre


2 Juillet, 2010<br />

Jean Cavaillès « Un philosophe explosif, un<br />

intellectuel embarqué »<br />

Par Fabienne Fe<strong>de</strong>rini, sociologue, chargée <strong>de</strong> recherche du CNRS (*).<br />

Résistant <strong>de</strong> la première heure, Jean Cavaillès (1903-1944) n’en finit pas <strong>de</strong> fasciner. Il faut<br />

dire – même si lui-même ne s’est jamais considéré comme tel – qu’il est « un cas » (1),<br />

philosophe mathématicien, il a participé à toutes sortes d’opérations contre les nazis.<br />

Voilà un « Saint-Luc » (2), professeur à la Sorbonne qui, une fois la nuit venue, <strong>de</strong>vient le<br />

«grand patron» d’une armée <strong>de</strong>s ombres composée <strong>de</strong> combattants volontaires sans<br />

uniforme ni statut légal. Voilà un ancien cacique <strong>de</strong> l’École normale supérieure, petit<br />

camara<strong>de</strong> <strong>de</strong> Jean-Paul Sartre, qui ne s’est pas uniquement opposé par les mots aux «chiens<br />

<strong>de</strong> l’enfer» (3), en laissant à d’autres le soin <strong>de</strong> se salir les mains. Voilà donc un universitaire<br />

qui, arrêté après une tentative, avortée, d’embarquement pour Londres, est qualifié par le<br />

préfet <strong>de</strong> Narbonne d’«individu suspect, dangereux pour la sûreté <strong>de</strong> l’État». Voilà enfin un<br />

philosophe qui, sous différents pseudonymes, participe à <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> renseignements<br />

en vue du bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> Lorient (4), organise <strong>de</strong>s groupes paramilitaires<br />

pour l’armée secrète, exige <strong>de</strong>s «engins incendiaires» et «<strong>de</strong>s charbons explosifs» pour<br />

perpétrer <strong>de</strong>s sabotages en Bretagne (5), bref, s’engage dans toutes sortes d’activités<br />

résistantes nécessitant bien d’autres compétences que celles acquises lors <strong>de</strong> sa formation<br />

philosophique. Il aurait pu pourtant – comme le firent d’autres philosophes contemporains<br />

– se consacrer à la rédaction <strong>de</strong> son Traité <strong>de</strong> logique, dont l’essence même l’aurait tenu<br />

éloigné <strong>de</strong>s préoccupations politiques les plus immédiates. Mais Jean Cavaillès n’a jamais<br />

été un philosophe mathématicien perdu dans l’abstraction pure <strong>de</strong> ses travaux <strong>de</strong> logique.<br />

Même attelé à un travail philosophique ardu durant ses années <strong>de</strong> recherche, il n’est jamais<br />

resté enfermé dans «l’ingrat pays <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong>s sciences» (6). Il était tout le<br />

contraire. C’était un intellectuel «embarqué», selon l’heureuse expression <strong>de</strong> Pascal.<br />

Intéressé par les questions théologiques, passionné par la politique, il <strong>de</strong>vint, au fil <strong>de</strong>s<br />

années, un témoin privilégié et attentif <strong>de</strong> l’évolution politique d’une Allemagne où il assista<br />

à l’inquiétante montée en puissance du nazisme. L’existence <strong>de</strong>s camps <strong>de</strong> concentration, la<br />

violence verbale et physique exercée contre les juifs, tout cela était connu <strong>de</strong> Jean Cavaillès<br />

dès 1933. L’afflux <strong>de</strong>s opposants antinazis et <strong>de</strong>s réfugiés juifs à Strasbourg, où il enseignait<br />

à la veille <strong>de</strong>s hostilités, n’en était finalement que l’amère conséquence. La guerre ne l’a<br />

donc pas surpris. Il la souhaitait même, pressé qu’il était d’en découdre avec l’ennemi nazi.<br />

Ce qu’il fit. Ses <strong>de</strong>ux citations pour faits <strong>de</strong> guerre en sont l’illustration, son engagement<br />

dans la Résistance, aussi. D’ailleurs, jusqu’à son arrestation, fin août 1943, Jean Cavaillès<br />

refusa <strong>de</strong> déposer les armes : il refusa l’armistice et ses sinistres conséquences; il refusa son<br />

statut <strong>de</strong> prisonnier, s’évadant <strong>de</strong>ux fois; il refusa d’être retiré du combat alors même qu’il<br />

se savait menacé. «Je suis officier, fils d’officier. Je continue en officier avec les moyens à<br />

ma portée, le reste ne m’intéresse pas» (7), déclara-t-il à ses bourreaux <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong>s<br />

Saussaies. Incarcéré à Fresnes, puis à Compiègne, Jean Cavaillès est finalement transféré à<br />

Arras où, après un supplément d’instruction, il est condamné à mort par un tribunal<br />

militaire allemand. Il est fusillé le 17 février 1944.<br />

Longtemps et encore aujourd’hui, il est souvent dit, écrit, voire enseigné, qu’il était difficile,<br />

à l’époque, <strong>de</strong> savoir ce qui se passait en Allemagne nazie ou <strong>de</strong> choisir entre une IIIe<br />

République qui avait failli et un État français dirigé par le vainqueur <strong>de</strong> Verdun, laissant


ainsi à penser que la poignée d’individus qui espéraient, dès 1940, pouvoir « retourner<br />

l’innommable situation » dans laquelle était plongée la France, étaient soit <strong>de</strong>s illuminés<br />

soit <strong>de</strong>s aventuriers. Or l’exemple <strong>de</strong> Jean Cavaillès, ayant plutôt le profil d’un « père<br />

tranquille » que d’un jeune échevelé, doit contribuer à confondre – espérons-le<br />

définitivement – ce grossier mensonge, pour ne pas dire cette falsification, qui a trop<br />

souvent servi d’excuse à certains comportements. Non, tous les Français n’ont pas été<br />

aveugles <strong>de</strong>vant le péril hitlérien. Non, tous les Français ne se sont pas égarés dans les<br />

méandres d’un anticommunisme primaire. Non, tous les Français ne se sont pas déshonorés<br />

par lâcheté en applaudissant les accords <strong>de</strong> Munich et le sabordage <strong>de</strong> la République. Et<br />

parmi eux, il y eut même <strong>de</strong>s intellectuels qui, comme Jean Cavaillès, surent tirer les<br />

conclusions pratiques <strong>de</strong> ce qu’ils savaient <strong>de</strong> la brutalité nazie, préférant l’efficacité <strong>de</strong>s<br />

armes à l’impuissance <strong>de</strong>s mots. De cette trempe-là, ils furent quelques autres « cas » : Marc<br />

Bloch, Pierre Brossolette, François Cuzin, Valentin Feldman, Jean Gosset, Pierre Kaan,<br />

Albert Lautman, Boris Vildé. Ainsi, les intellectuels les plus engagés, pour ne pas dire les<br />

plus exemplaires, ne sont pas nécessairement ceux dont le mon<strong>de</strong> intellectuel et médiatique<br />

parle le plus, ni même ceux qui, à ce titre, sont passés à la postérité.<br />

(*) Auteure d’Écrire ou combattre : <strong>de</strong>s intellectuels prennent les armes, Éditions La<br />

Découverte, 2006.<br />

(1) Vie et mort <strong>de</strong> Jean Cavaillès 1903-1944, Georges Canguilhem, Éditions Allia, 1996, page<br />

50.<br />

(2) Luc Jardie, dit Saint-Luc, est le « grand patron » du réseau <strong>de</strong> résistance décrit par<br />

Joseph Kessel dans l’Armée <strong>de</strong>s ombres. Ce personnage est librement inspiré <strong>de</strong> Jean<br />

Cavaillès.<br />

(3) Billets à F. C., in Recherche <strong>de</strong> la base et du sommet, René Char (1941), Éditions<br />

Gallimard, 1955, page 20.<br />

(4) Ce projet <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> Lorient sera finalement abandonné mais remplacé<br />

par la <strong>de</strong>struction systématique <strong>de</strong>s installations qui l’alimentaient en électricité.<br />

(5) La Bretagne avait été classée « zone interdite » par les Allemands en raison <strong>de</strong> son<br />

importance stratégique. Cela signifiait qu’elle était placée sous leur contrôle direct. Il était<br />

interdit d’y accé<strong>de</strong>r et d’y séjourner, à l’exception <strong>de</strong>s habitants.<br />

(6) Lettre à Albert Lautman, 17 mai 1938.<br />

(7) Propos <strong>de</strong> Jean Cavaillès cités par Georges Canguilhem, « Jean Cavaillès (1903-1944) »,<br />

dans Mémorial <strong>de</strong>s années 1939-1945, Publications <strong>de</strong> la faculté <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> Strasbourg,<br />

fascicule 103, Éditions Les Belles Lettres, 1947, page 148.


1 Juillet, 2010<br />

Lise London<br />

« Combattante <strong>de</strong>puis son enfance »<br />

Par José Fort, journaliste.<br />

Fille d’une famille espagnole venue en France au début du XXe siècle à la recherche <strong>de</strong><br />

travail, ancienne <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales, capitaine dans la Résistance, déportée… Lise<br />

London, née Élisabeth Ricol, est une femme rebelle et combative <strong>de</strong>puis son plus jeune âge.<br />

Lise London est un personnage d’exception, d’une intelligence pétillante avec un parcours<br />

plein, fait <strong>de</strong> drames et <strong>de</strong> joies, <strong>de</strong> courage et d’amour, <strong>de</strong> partage et <strong>de</strong> lucidité. Elle répète<br />

souvent à ses plus jeunes visiteurs : « Ouvrez grands les yeux, ne vous laissez pas enfermer<br />

dans les certitu<strong>de</strong>s, n’hésitez pas à douter, battez-vous contre les injustices, ne laissez pas la<br />

perversion salir les idéaux communistes. Soyez vous-mêmes. »<br />

Combattante, elle l’a été <strong>de</strong>puis son enfance. D’abord à Saint-Étienne où elle vend en<br />

cachette <strong>de</strong> ses parents <strong>de</strong>s cacahuètes grillées pour ai<strong>de</strong>r à faire bouillir la marmite<br />

familiale, puis à Vénissieux où elle étudie la sténodactylographie et s’engage dans l’action<br />

communiste. Secrétaire aux usines Berliet, puis au comité lyonnais du <strong>PCF</strong>, elle croise<br />

Wal<strong>de</strong>ck Rochet et engage une forte amitié avec Jeannette Wermeersch, la future compagne<br />

<strong>de</strong> Maurice Thorez qui disait, comme un signe prémonitoire pour Lise : « Il est difficile <strong>de</strong><br />

rompre les amarres d’un couple quand on a rien à reprocher à son partenaire si ce n’est <strong>de</strong><br />

ne plus l’aimer d’amour. » Elle est envoyée par le <strong>PCF</strong> à Moscou en 1934 au siège du<br />

Kominterm où elle rencontre pour la première fois Dolorès Ibarruri, la future Pasionaria (1).<br />

Elle a dix-huit ans et s’étonne déjà <strong>de</strong>s « purges », d’un référendum à main levée contre le<br />

droit à l’avortement. Elle résiste à la bêtise bureaucratique et sera blâmée.<br />

Lise, c’est l’histoire d’un amour. À Moscou, elle rencontre Artur London, militant du Parti<br />

communiste tchécoslovaque. Au self-service du Kominterm, « j’ai aperçu un jeune homme,<br />

grand et beau, planté au milieu <strong>de</strong> la salle, comme pétrifié. Il me fixait intensément sans<br />

s’apercevoir que la tasse <strong>de</strong> thé qu’il tenait à la main dégoulinait le long <strong>de</strong> son poignet. » Ils<br />

déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> vivre ensemble en 1935.<br />

Lise rentre seule en France au début <strong>de</strong> l’été 1936, travaille comme secrétaire auprès du<br />

responsable <strong>de</strong> la MOI (Main-d’œuvre immigrée, section rattachée au comité central du<br />

<strong>PCF</strong>).<br />

À la mi-juillet 1936 commence le putsch franquiste contre la jeune République espagnole.<br />

Elle participe à Paris à la constitution <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales et quelques mois plus<br />

tard rejoint André Marty au quartier général <strong>de</strong>s BI à Albacete. Elle se souvient avec<br />

émotion du long voyage en train et <strong>de</strong>s milliers d’Espagnols rassemblés dans les gares criant<br />

« merci frères ». « Innombrables étaient alors ceux, écrit-elle, qui payaient tribut à la mort<br />

par amour pour la vie. Sans leur sacrifice que serait-il advenu <strong>de</strong> notre humanité.» En 1937,<br />

elle retrouve Gérard (pseudo d’Artur London) qui a rejoint lui aussi les Briga<strong>de</strong>s. Enceinte,<br />

Lise regagne Paris au mois <strong>de</strong> juillet 1938 et donne naissance à sa fille Françoise. Gérard la<br />

rejoint en février 1939.


L’ancienne <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales, capitaine dans la Résistance, ancienne déportée,<br />

sera faite bien plus tard officier <strong>de</strong> la Légion d’honneur. Elle, elle mérite cet honneur.<br />

Sous l’occupation nazie, une première opération est organisée par les FTP. Henri Rol,<br />

Tanguy en est le principal artisan. Lise prend la parole <strong>de</strong>vant un magasin à Paris, dénonce<br />

l’occupant et s’enfuit sous la protection <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux résistants armés. C’est la célèbre<br />

manifestation <strong>de</strong> la rue Daguerre. Elle sera la seule accusée pour « assassinat, association <strong>de</strong><br />

malfaiteurs, activités communistes ». Suivra ensuite l’emprisonnement à La Petite Roquette<br />

où elle accouchera <strong>de</strong> Michel, puis à Fresnes, à Rennes où on lui retirera son fils, avant <strong>de</strong><br />

prendre le chemin <strong>de</strong> Romainville, étape avant le camp <strong>de</strong> concentration. Son père, son<br />

frère Frédo et son compagnon Gérard, eux aussi, sont emprisonnés.<br />

Lise a vécu les années noires, sa famille écartelée, ses copines fusillées, gazées… Elle se<br />

souvient avec émotion <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, Danièle (Casanova), Henriette et les autres,<br />

l’horreur <strong>de</strong>s appels, les corvées, les bastonna<strong>de</strong>s, la faim, les fusilla<strong>de</strong>s, les fours<br />

crématoires, le long transfert à pied sous les coups alors que les troupes soviétiques et<br />

américaines s’approchaient <strong>de</strong>s camps. Elle laisse aller une larme et préfère, vite, évoquer<br />

l’organisation clan<strong>de</strong>stine installée à la barbe <strong>de</strong>s SS. Pour Lise, le combat prime tout.<br />

Elle n’en avait pas fini. La famille communiste Ricol-London vivra dans sa chair le<br />

stalinisme. Vice-ministre tchécoslovaque <strong>de</strong>s Affaires étrangères, Artur London, ancien<br />

déporté lui aussi, comme <strong>de</strong> nombreux anciens <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales que Staline et<br />

ses sbires tchécoslovaques voulaient faire disparaître, va vivre l’épouvantable. Il est accusé<br />

d’espionnage et Lise, au début, doute. « Et si cela est vrai », s’interrogeait-elle. Elle<br />

n’hésitera pas longtemps, comprenant le complot planifié à Moscou. Pour Artur London, ce<br />

sera quatre ans et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> prison, vingt-sept mois d’isolement, le cachot, la privation <strong>de</strong><br />

sommeil, les interrogatoires, les coups et les tortures, le chantage. Artur London écrira plus<br />

tard dans son livre l’Aveu : « Ces métho<strong>de</strong>s, qui ten<strong>de</strong>nt à briser en l’homme sa dignité, sont<br />

à l’opposé <strong>de</strong> la morale socialiste. Elles sont celles, barbares, du Moyen Âge et du fascisme.<br />

En les subissant on se sent dégradé, dépouillé <strong>de</strong> son titre d’homme. »<br />

L’objectif <strong>de</strong>s tortionnaires visait à détruire les anciens <strong>de</strong>s Briga<strong>de</strong>s internationales, <strong>de</strong><br />

tenter <strong>de</strong> salir les proches compagnons d’Artur et aussi les dirigeants communistes français,<br />

notamment Raymond Guyot, membre du Bureau politique du <strong>PCF</strong>, beau-frère <strong>de</strong> Lise. Elle<br />

aura à subir à Prague une perquisition en présence <strong>de</strong> son père, <strong>de</strong> sa mère, <strong>de</strong> ses enfants et<br />

dira aux flics : « Vous ne vous conduisez pas mieux que les policiers nazis qui nous ont<br />

arrêtés mon mari et moi en 1942. » Elle travaille en usine pour survivre, placée aux postes<br />

les plus durs. Elle est marginalisée, ses anciennes amitiés se détournent, et elle est exclue du<br />

Parti communiste tchécoslovaque. À ses procureurs staliniens, elle dira : « J’étais, je suis et<br />

je resterai communiste, avec ou sans carte du Parti. » Aujourd’hui, à Paris, Lise London ne<br />

dit pas autre chose (2).<br />

(1) Dolorès Ibarruri <strong>de</strong>viendra secrétaire générale du Parti communiste espagnol en 1942<br />

puis prési<strong>de</strong>nte en 1960.<br />

(2) Lise London a publié <strong>de</strong>ux livres : le Printemps <strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s, et la Mégère <strong>de</strong> la rue<br />

Daguerre, Éditions du Seuil.<br />

Lise London<br />

José Fort


30 Juin, 2010<br />

Le colonel Fabien « Quand lutte sociale et lutte<br />

armée se confon<strong>de</strong>nt »<br />

Par Ian Brossat, Conseiller <strong>de</strong> Paris (*). (*) Prési<strong>de</strong>nt du groupe communiste<br />

au Conseil <strong>de</strong> Paris<br />

Les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sur le colonel Fabien citent pêle-mêle son<br />

extrême jeunesse, sa détermination, ses cicatrices <strong>de</strong> la guerre d’Espagne et son incroyable<br />

courage. La fascination qu’il exerce encore dans l’imaginaire collectif tient à ce genre<br />

d’énumération, à un sentiment d’exception et <strong>de</strong> force.<br />

Le colonel Fabien, <strong>de</strong> son vrai nom Pierre Georges, né le 21 janvier 1919 à Paris. À peine<br />

adolescent, il commence à travailler comme apprenti boulanger. À quatorze ans, il s’engage<br />

au Parti communiste, à dix-sept, il part rejoindre les Briga<strong>de</strong>s internationales en Espagne.<br />

Interné à vingt et un ans en 1939, il s’éva<strong>de</strong> au bout <strong>de</strong> quelques mois et <strong>de</strong>vient le colonel<br />

Fabien. Il verse le premier sang allemand <strong>de</strong> la Résistance à vingt-<strong>de</strong>ux ans, organise et<br />

combat l’occupant jusqu’à la libération <strong>de</strong> Paris en août 1944 où il joue un rôle important.<br />

Ayant rejoint avec ses partisans l’armée <strong>de</strong> De Lattre <strong>de</strong> Tassigny, il meurt lors <strong>de</strong><br />

l’explosion d’une mine à seulement vingt-cinq ans. Cette trajectoire, fulgurante et sans<br />

pareille, est à l’image d’un Rimbaud en poésie, sauf qu’il s’agit <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> mort.<br />

L’impression <strong>de</strong>meure qu’il a vécu plusieurs existences. À ce point que son décès semble<br />

irréel.<br />

Pour tous les jeunes militants communistes, le colonel Fabien est un exemple indépassable.<br />

De toutes les personnalités qui ont fait l’histoire <strong>de</strong> ce mouvement, c’est probablement la<br />

plus héroïque au sens classique du terme. Comme les personnages romanesques<br />

médiévaux, Lancelot ou Jeanne d’Arc, c’est un enfant du peuple. Comme eux, il vole au<br />

secours <strong>de</strong> sa patrie (ou <strong>de</strong> son seigneur, disons les choses sans détour), trahie par ses<br />

dirigeants ou occupée par l’ennemi. L’histoire excè<strong>de</strong> pourtant le roman ou la légen<strong>de</strong><br />

dorée. Pierre Georges ne répond pas à un appel mystique et ne s’engage pas par sacrifice<br />

pour son roi.<br />

Ce qui frappe, c’est qu’il s’agit avant tout d’un ouvrier et d’un militant, d’un homme pénétré<br />

<strong>de</strong> convictions politiques si fortes qu’il passe à l’acte, dans la continuité <strong>de</strong> ses idées et pour<br />

le salut du peuple. Entre 1940 et 1942, la naissance d’une résistance intérieure en France est<br />

très complexe, on le sait, et se fait selon <strong>de</strong>s motivations très diverses. Amour <strong>de</strong> la patrie,<br />

haine <strong>de</strong> l’Allemagne, lutte contre le fascisme ou l’antisémitisme, valeurs républicaines, tout<br />

se mélange. La particularité <strong>de</strong> nombreux communistes et <strong>de</strong> Pierre Georges, c’est que son<br />

engagement n’est pas nouveau. Tout est dans tout, <strong>de</strong>puis les premiers combats syndicaux<br />

jusqu’à la guerre d’Espagne – et finalement, la Résistance.<br />

Dès l’automne 1939, le Parti communiste français est dissous. En 1940, ce sera le tour <strong>de</strong>s<br />

syndicats d’être interdits. Dans la clan<strong>de</strong>stinité, cependant, les militants, dont Pierre<br />

Georges, sont déjà à l’œuvre. La droite française (et parfois la gauche) a souvent soutenu<br />

que les communistes n’avaient rejoint la Résistance qu’en juin 1941, au moment où Hitler<br />

lance ses blindés contre Staline. Rien n’est plus faux en ce qui concerne celui qui n’est pas


encore le colonel Fabien. Comme <strong>de</strong> nombreux autres membres du Parti et <strong>de</strong>s Jeunesses<br />

communistes, il est à pied d’œuvre dès 1940.<br />

Il y a <strong>de</strong>s manifestations et <strong>de</strong>s sabotages contre l’occupant, un peu partout en France, et<br />

notamment à Paris. Des mouvements se montent dans les <strong>de</strong>ux zones, libre et occupée,<br />

auxquels les communistes participent – certains seront arrêtés, et plusieurs, exécutés. Le fil<br />

ténu du courage qui mène Pierre Georges à l’assassinat <strong>de</strong> l’aspirant Moser, le 21 août 1941,<br />

sur le quai <strong>de</strong> la station <strong>de</strong> métro Barbès-Rochechouart, direction Porte d’Orléans, vient <strong>de</strong><br />

cette histoire-là. La première victime militaire alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Résistance est<br />

l’aboutissement <strong>de</strong> longs mois d’humiliations, <strong>de</strong> défis, <strong>de</strong> débats et <strong>de</strong> douleurs. Elle<br />

change radicalement le visage <strong>de</strong> l’occupation en France. C’est une nouvelle déclaration <strong>de</strong><br />

guerre.<br />

Tout comme il faut se méfier <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong>, cependant, et faire d’un militant communiste un<br />

chevalier <strong>de</strong> la Table ron<strong>de</strong>, il faut se méfier du symbole. La portée considérable <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

coups <strong>de</strong> feu tirés, ce 21 août 1941, tient au symbole. En revanche, l’action déterminante <strong>de</strong><br />

Pierre Georges pendant la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale tient à tout autre chose : au courage,<br />

certes, mais aussi à la persévérance, à un don singulier pour l’organisation et à une vraie<br />

intelligence <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s événements.<br />

Il ne <strong>de</strong>vient pas le colonel Fabien en pressant sur la gâchette. C’est quand il structure les<br />

premiers maquis en Franche-Comté puis dans les Vosges, en 1942 et 1943. C’est quand la<br />

police française l’arrête et le livre aux Allemands. Le colonel Fabien naît à ce moment-là,<br />

dans la solidarité et les difficultés <strong>de</strong> la clan<strong>de</strong>stinité, dans la douleur et les humiliations <strong>de</strong><br />

la torture qu’il subit pendant trois mois. En 1943, quand il s’éva<strong>de</strong> du fort <strong>de</strong> Romainville,<br />

l’ouvrier est <strong>de</strong>venu soldat <strong>de</strong> la liberté.<br />

La suite est soli<strong>de</strong>ment ancrée dans les mémoires. Au moment <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> Paris, le<br />

colonel Fabien mène une troupe <strong>de</strong> FFI à l’assaut du Palais du Luxembourg. Il est rejoint<br />

par la <strong>de</strong>uxième division blindée du général Leclerc, puis intègre avec ses camara<strong>de</strong>s<br />

l’armée <strong>de</strong> De Lattre <strong>de</strong> Tassigny. On dit que celui-ci l’admirait tant qu’il aurait voulu qu’il<br />

soit général. Ce qui est certain, c’est que les hommes <strong>de</strong> ce que l’on appelait le « premier<br />

régiment <strong>de</strong> Paris », ou plus simplement la « colonne Fabien » ont été <strong>de</strong> tous les combats<br />

dans l’est <strong>de</strong> la France et le sud <strong>de</strong> l’Allemagne.<br />

Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> parfois ce qu’aurait fait ce grand militant communiste s’il n’avait pas été tué<br />

par une mine en Moselle. Je suis certain qu’il n’aurait pas pris sa retraite. Les combattants<br />

comme lui ne se rangent pas. Et comme le sang et la sueur revenaient au même pour lui,<br />

comme les luttes sociales et armées se confondaient, je veux croire qu’il aurait continué à<br />

être un grand militant communiste. C’est dans ce rêve probablement que se retrouvent les<br />

jeunes membres du Parti aujourd’hui quand ils se ren<strong>de</strong>nt « place du Colonel-Fabien ». Ils<br />

rêvent <strong>de</strong> cette suite qui n’est pas venue – et s’il faut se méfier <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s symboles,<br />

il ne faut pas se méfier <strong>de</strong>s rêves. C’est avec eux aussi que l’on construit la vie.<br />

Iian Brossat


29 Juin, 2010<br />

Berty Albrecht « Une figure du féminisme et du<br />

futur Mouvement <strong>de</strong> libération française »<br />

Par Michel Dreyfus, historien directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS<br />

Née Berty Wild à Marseille en 1893, Berty Albrecht a joué un rôle déterminant tant pour les<br />

droits <strong>de</strong> la femme qu'au sein <strong>de</strong> la direction du mouvement Combat pendant la Résistance.<br />

Issue d'une famille <strong>de</strong> la haute bourgeoisie protestante d'origine suisse, Berty Wild semblait<br />

<strong>de</strong>stinée à une existence paisible. Elle fit ses étu<strong>de</strong>s secondaires à Marseille et à Lausanne<br />

puis prépara un diplôme d'infirmière, qu'elle obtint en 1912. Elle partit alors pour Londres,<br />

où elle fut surveillante dans une pension <strong>de</strong> jeunes filles. Puis elle revint à Marseille au<br />

début <strong>de</strong> la Première Guerre mondiale et elle travailla pour la Croix-Rouge dans plusieurs<br />

hôpitaux militaires. Elle rencontra le banquier néerlandais Frédéric Albrecht, qu'elle épousa<br />

en 1918 ; le couple, qui <strong>de</strong>vait avoir <strong>de</strong>ux enfants, vécut d'abord aux Pays-Bas puis à Londres<br />

à partir <strong>de</strong> 1924. Là, Berty Albrecht se lia aux féministes britanniques et se passionna pour<br />

la lutte <strong>de</strong>s femmes : elle y découvrit le mouvement pour le contrôle <strong>de</strong>s naissances, le Birth<br />

Control.<br />

Séparée ensuite <strong>de</strong> son époux, elle vécut seule à Paris à partir <strong>de</strong> 1932. Elle se lia alors avec<br />

Victor Basch, qui était professeur à la Sorbonne et prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong><br />

l'homme. Berty Albrecht commença à militer pour la cause <strong>de</strong>s femmes et, en 1933, elle mit<br />

sur pied une revue trimestrielle, le Problème sexuel, dans laquelle elle défendit la liberté <strong>de</strong><br />

contraception et <strong>de</strong> l'avortement. Rappelons qu'à cette date, les Françaises étaient<br />

considérées comme <strong>de</strong>s citoyennes <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> zone puisqu'elles ne disposaient pas du droit<br />

<strong>de</strong> vote : il ne <strong>de</strong>vait pas leur être accordé avant 1944. En 1936, Berty Albrecht suivit les<br />

cours <strong>de</strong> l'École <strong>de</strong>s surintendantes d'usine puis, <strong>de</strong>venue assistante sociale, elle exerça son<br />

nouveau métier dans une fabrique d'instruments d'optique. En 1940, elle était<br />

surintendante aux usines Fulmen <strong>de</strong> Clichy et <strong>de</strong> Vierzon.<br />

Sensibilisée très tôt par la montée du nazisme, Berty Albrecht avait accueilli dès 1933 dans<br />

sa villa <strong>de</strong> Sainte-Maxime les réfugiés allemands qui fuyaient le régime hitlérien. C'est dans<br />

ce cadre qu'elle fit la connaissance d'un jeune capitaine, Henri Frenay, qui <strong>de</strong>vait jouer un<br />

rôle <strong>de</strong> premier plan dans la Résistance. Henri Frenay fut subjugué par cette femme<br />

exceptionnelle.<br />

Après la défaite <strong>de</strong> la France, Berty Albrecht retrouva Henri Frenay en décembre 1940 à<br />

Vichy. Elle participa alors avec lui à la constitution du Mouvement <strong>de</strong> libération nationale,<br />

futur Mouvement <strong>de</strong> libération française. Tout d'abord, Berty Albrecht et Henri Frenay<br />

rassemblèrent <strong>de</strong>s informations sur les premiers actes <strong>de</strong> Résistance et ils les publièrent à<br />

partir <strong>de</strong> mai 1941 dans un bulletin que Berty Albrecht dactylographiait elle-même. Fin<br />

1941, Berty Albrecht et Henri Frenay reconnurent, non sans réserves, le général <strong>de</strong> Gaulle<br />

comme symbole et dirigeant <strong>de</strong> la Résistance. Henri Frenay se détacha alors peu à peu <strong>de</strong> la<br />

Révolution nationale que, <strong>de</strong> son côté, Berty Albrecht avait toujours rejetée. Tous <strong>de</strong>ux<br />

publièrent plusieurs revues clan<strong>de</strong>stines : Bulletin d'information et <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>, les


Petites Ailes <strong>de</strong> France puis Vérités et enfin Combat. Le mouvement prit alors le nom <strong>de</strong><br />

Combat.<br />

Á partir <strong>de</strong> 1941, Berty Albrecht travailla au Commissariat au chômage à Villeurbanne, près<br />

<strong>de</strong> Lyon. Elle organisait le service social, qui aidait les personnes emprisonnées et leurs<br />

familles. C'est là qu'elle se lia avec un imprimeur, Martinet, qui tira les Petites Ailes entre 2<br />

000 et 3 000 exemplaires, puis que, à partir <strong>de</strong> septembre 1941, elle publia Vérités. Mais<br />

<strong>de</strong>venue fonctionnaire <strong>de</strong> l'État français dans le cadre <strong>de</strong> son nouveau travail, Berty<br />

Albrecht était étroitement surveillée par la police française et sans doute par les services<br />

allemands<br />

Devenue codirigeante, avec Henri Frenay, du mouvement Combat et responsable <strong>de</strong> son<br />

service social, Berty Albrecht fut arrêtée en janvier 1942 ; relâchée, elle fut à nouveau<br />

arrêtée et internée à Vals-les-Bains. Elle entreprit alors une grève <strong>de</strong> la faim, ce qui entraîna<br />

son transfert à l'hôpital d'Aubenas, puis en octobre à la prison Saint-Joseph, à Lyon.<br />

Simulant alors la folie, elle fut placée en novembre 1942 à l'asile du Vinatier, près <strong>de</strong> Lyon,<br />

d'où elle fut libérée par un commando <strong>de</strong> Combat. Elle refusa ensuite <strong>de</strong> partir à Londres et<br />

reprit son action clan<strong>de</strong>stine dans la Résistance. L'invasion <strong>de</strong> la zone libre par les<br />

Allemands rendit sa situation encore plus difficile. Capturée par la Gestapo le 28 mai 1943 à<br />

Cluny, elle fut aussitôt transférée dans la prison <strong>de</strong> Fresnes, où elle se donna la mort. Son<br />

corps fut retrouvé dans le cimetière <strong>de</strong> la prison en mai 1945. Son corps repose dans la<br />

crypte du Mémorial <strong>de</strong> la France combattante au mont Valérien où, avec Renée Lévy, elle<br />

est la seule femme à y avoir été inhumée. Enfin, Berty Albrecht est l'une <strong>de</strong>s six femmes<br />

compagnon <strong>de</strong> la Libération. Comme le disent Laurent Douzou et Dominique Veillon dans<br />

la notice qu'ils lui ont consacrée dans le Dictionnaire historique <strong>de</strong> la Résistance (Éditions<br />

Robert Laffont, collection Bouquins, 2006, page 344), cette « figure du féminisme s'engagea<br />

très tôt dans la défense <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la femme avant <strong>de</strong> jouer un rôle déterminant à la<br />

direction du mouvement Combat pendant la Résistance ».<br />

(*) Coauteur du livre Le Siècle <strong>de</strong>s communismes, éditions Points, 790 pages, 12,50 euros.<br />

Par Michel Dreyfus,<br />

Historien, directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS (*).


28 Juin, 2010<br />

Raymond Aubrac « Il faut être optimiste, c’est<br />

cela, l’esprit <strong>de</strong> la Résistance »<br />

Par Pascal Convert, artiste plasticien, auteur (*).<br />

La trajectoire <strong>de</strong> Raymond Aubrac (Raymond Samuel), né dans une famille juive laïque et<br />

républicaine, témoigne d’une volonté exceptionnelle <strong>de</strong> justice et d’égalité, qui se prolongera<br />

toute sa vie.<br />

 gé <strong>de</strong> quatre-vingt-seize ans, Raymond Aubrac fait partie <strong>de</strong> cette rareté statistique qui ne<br />

compte qu’un pour cent <strong>de</strong> la population mondiale et à laquelle on a donné le nom <strong>de</strong> grand<br />

âge. Celui qui entre dans ce territoire lointain se pose immédiatement la question <strong>de</strong> son<br />

utilité. Depuis 2007, sa compagne Lucie Aubrac l’a quitté et comme il le dit, celui qui reste<br />

est puni. Mais il a conscience que le simple fait <strong>de</strong> vivre plus longtemps que d’autres lui a<br />

permis <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r en mémoire <strong>de</strong>s événements qui n’étaient désormais plus accessibles que<br />

dans les livres d’histoire. La Première Guerre mondiale, la gran<strong>de</strong> dépression, la Secon<strong>de</strong><br />

Guerre mondiale et la Résistance, les épreuves <strong>de</strong> la décolonisation, la guerre froi<strong>de</strong>, la<br />

guerre du Vietnam, il a vécu ces pério<strong>de</strong>s et parfois en a infléchi le cours. Il sait bien sûr que<br />

pour les jeunes générations et même pour leurs parents l’arrivée au pouvoir d’Hitler, la<br />

défaite <strong>de</strong> 1940, la préhistoire <strong>de</strong> la Résistance et la naissance <strong>de</strong>s mouvements Libération<br />

ou Combat, les espoirs liés au programme du Conseil national <strong>de</strong> la Résistance, la<br />

disparition <strong>de</strong>s empires coloniaux, la dislocation <strong>de</strong> l’URSS n’ont plus aujourd’hui aucun<br />

sens particulier et appartiennent au seul champ scolaire ou universitaire.<br />

Depuis la disparition <strong>de</strong> Lucie, on ne compte plus le nombre <strong>de</strong> ses visites dans <strong>de</strong>s<br />

établissements scolaires. Prenant le bus <strong>de</strong>vant sa rési<strong>de</strong>nce, il se rend à la gare et prend un<br />

train pour une <strong>de</strong>stination souvent lointaine. Quand on l’interroge sur les raisons d’un tel<br />

activisme, il élu<strong>de</strong> la question.<br />

« Vous savez mon système est très au point. Dès que l’on m’invite, j’accepte <strong>de</strong> venir.<br />

Comme cela, je ne suis pas seul. Et puis les salles <strong>de</strong> classe sont chauffées et la cantine<br />

agréable. Et je ne manque jamais <strong>de</strong> saluer le cuisinier ! »<br />

Il faut avoir assisté à une rencontre <strong>de</strong> Raymond Aubrac avec <strong>de</strong>s collégiens ou <strong>de</strong>s lycéens<br />

pour comprendre les enjeux d’un tel dialogue. Loin <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une simplification hâtive<br />

ou à une héroïsation <strong>de</strong> la Résistance, Raymond Aubrac entreprend d’initier les jeunes à la<br />

complexité et à l’évolution d’une situation.<br />

« À la fin <strong>de</strong> la guerre, le général <strong>de</strong> Gaulle a fait <strong>de</strong>s discours dans lesquels il disait que les<br />

Français avaient été résistants. Dans la même pério<strong>de</strong>, les communistes disaient la même<br />

chose. Les uns et les autres ne disaient pas la vérité mais ils ne disaient pas non plus<br />

quelque chose d’erroné. Au printemps 1944, les résistants pouvaient <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r du secours,<br />

<strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> à peu près à tout le mon<strong>de</strong>. L’opinion publique en France entre 1940 et 1944 avait<br />

beaucoup changé. Il faut en tenir compte. »


Les interventions <strong>de</strong> Raymond Aubrac dans les collèges et lycées peuvent parfois prend une<br />

tournure étrange et les enseignants en sortir quelque peu perturbés.<br />

« Vous savez, quand je suis parti aux États-Unis, en 1937-1938, Roosevelt était détesté par<br />

le grand patronat américain. Avec le News Deal, il avait pris le parti <strong>de</strong>s pauvres et <strong>de</strong>s<br />

syndicats. Même les communistes avaient changé d’avis sur Roosevelt. À cette époque, il<br />

était possible d’approuver à la fois l’URSS et les États-Unis. J’aurais voté pour lui. Obama<br />

s’est inspiré du News Deal dans son programme. »<br />

Un jour, invité dans un collège dit « sensible », adjectif utilisé pour désigner une population<br />

<strong>de</strong> banlieue aux origines multicolores, il a perçu que l’attention <strong>de</strong>s élèves était flottante<br />

quand il a raconté sa première rencontre avec Jean Moulin. Et il leur a parlé <strong>de</strong> l’autre<br />

Résistance, la Résistance <strong>de</strong>s peuples colonisés, <strong>de</strong> l’arrivée d’Hô Chi Minh chez lui, <strong>de</strong> leur<br />

amitié, <strong>de</strong> la manière dont il avait convaincu le pape d’intervenir pour faire arrêter les<br />

bombar<strong>de</strong>ments américains sur les digues du fleuve Rouge, <strong>de</strong> ses rencontres avec Kissinger<br />

ou Mac Namara quand il tentait d’éviter une escala<strong>de</strong> <strong>de</strong> la guerre au Vietnam, du 30 avril<br />

1975 où, à Hanoï, il assista à la joie silencieuse d’un peuple qui s’était libéré. Le professeur<br />

d’histoire n’avait jamais vu une telle attention dans sa classe.<br />

De manière rituelle, Raymond Aubrac termine ses visites en incitant ses jeunes<br />

interlocuteurs à l’optimisme.<br />

« La Résistance était une action volontaire. C’est-à-dire qu’on pouvait y entrer et en sortir<br />

quand l’on voulait. Et on s’aperçoit que les gens qui sont entrés en Résistance y sont restés.<br />

Beaucoup d’entre eux ont été arrêtés, fusillés, déportés, mais ils sont restés… pourquoi ? À<br />

mon avis personnel, par solidarité avec leurs camara<strong>de</strong>s. Les résistants sont liés par <strong>de</strong>s<br />

liens très forts, comme <strong>de</strong>s frères et sœurs. Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit <strong>de</strong> la<br />

Résistance. C’est une chose qu’on ne dit pas assez. Tous les gens qui se sont engagés dans la<br />

Résistance sont <strong>de</strong>s optimistes. Ils ne baissent pas les bras et sont persuadés que ce qu’ils<br />

vont faire va servir à quelque chose. Il faut avoir confiance en soi, être optimiste et croire<br />

que ses combats sont utiles. »<br />

« Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit <strong>de</strong> la Résistance. » Derrière cette phrase en<br />

apparence paradoxale, il y a toute la philosophie <strong>de</strong> Raymond Aubrac et le message qu’il<br />

veut délivrer à une jeunesse que l’on laisse souvent sans projets d’avenir.<br />

(*) Il a publié en 2007 une biographie sur Joseph Epstein (Éditions Séguier).<br />

Pascal Convert

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