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Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

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AVERTISSEMENT<br />

Cette thèse n’a été imprimée qu’en 20 exemplaires en vue de la soutenance. Or depuis dix<br />

ans, plusieurs personnes m’en ont demandé la communication, mais je n’ai pu le faire que partiellement<br />

pour une raison trop simple : passé d’Appleworks qui fait tout (texte, base de données, tableurs,<br />

dessin) mais n’est pas commun, à Word de tout le monde, les polices API de l’un n’allaient<br />

pas sur l’autre, et réciproquement ; j’ai cherché celles qui allaient sur Word, et quand je les ai eues,<br />

m’a manqué le temps de les changer dans mon texte. Ce que je n’ai fait que par petits morceaux…<br />

Ayant décidé d’en finir, je présente ici une réédition .pdf aussi fidèle que possible ; en particulier,<br />

la pagination a été strictement respectée pour ne pas modifier les tables et les renvois internes.<br />

Cependant, à la demande du jury, j’ai corrigé ou supprimé quelques courts passages et corrigé<br />

quelques termes impropres ; ont été aussi corrigés les titres de deux premiers membres du jury, extérieurs<br />

à l’Université de Rennes 2, que j’avais noté d’abord, respectivement, « Directeur de recherche,<br />

CNRS » et « Professeur, Université d’Amiens ». Et aussi, bien sûr, les fautes de frappe apparues<br />

au fil des relectures ont été corrigées.<br />

Sur le fond, la finale posttonique notée par ! a été corrigée en œ, plus conforme à la prononciation<br />

observée entre 1941 et 1963 par les enquêteurs de l’Atlas linguistique de la Gascogne.<br />

Mais depuis, l’eau a coulé sous les ponts de la Garonne, de l’Adour et des gaves…<br />

Le principal évènement date de la fin Juillet 2008 ; c’est l’introduction dans le titre XI “Collectivités<br />

territoriales” de la Constitution d’un article 75-1 selon lequel « Les langues régionales appartiennent<br />

au patrimoine de la France. » Cela n’a l’air de rien, mais est gros de conséquences : ces<br />

collectivités sont placées au premier rang de la conservation de ce « patrimoine », qui ne peut être<br />

que celui de leur territoire, et comme tout patrimoine, il ne peut s’agir que de la langue transmise<br />

continument de génération en génération, avec son nom propre et son système d’écriture ; ne sont<br />

plus légalement possible que les innovations dans la continuité, pour adapter le patrimoine aux<br />

changements de la société. En matière de graphie, sont donc consacrées les graphies modernes (voir<br />

définition, p. 98), tandis que les classiques sont écartées en tant qu’elles rompent la tradition par un<br />

retour à un lointain passé, qui n’est même pas toujours celui du territoire.<br />

Comme à ce cadre légal s’ajoute aujourd’hui l’impérative nécessité de ne pas gaspiller les<br />

fonds publics, une graphie conçue pour un enseignement plus facile n’en sera que plus utile.<br />

Pratiquement, mes propositions pour actualiser la graphie moderne des Félibres répondent à<br />

cet objectif ; mais celles qui tendaient à améliorer la graphie classique ne sont plus de mise. Cependant,<br />

en labourant à cette fin le champ phonétique de l’ensemble gascon à travers les siècles, je<br />

pense avoir facilité la reprise de la graphie moderne comme une plante chétive reprend dans une<br />

bonne terre, et ainsi orienté son adaptation aux changements sociaux intervenus en un siècle.<br />

Dans cette perspective, j’ai poursuivi ma réflexion et envisagé quelques nouvelles menues retouches<br />

aux règles proposées dans cette thèse ; cette édition .pdf n’en tient pas compte.<br />

J’envisage donc un complément à cette thèse qui réunira les études que j’ai rédigées depuis<br />

dix ans. Après, s’il plait à Dieu, je pense à une refonte de la thèse en rangeant dans le passé tout ce<br />

qui concerne la graphie classique et en faisant des graphies modernes le thème central de l’ouvrage.<br />

Une remarque pour finir : le lecteur aura tôt fait de constater la place prépondérante des occitanistes<br />

ou sympathisants parmi les auteurs que je cite. Depuis 50 ans en effet, ils ont presque été<br />

les seuls à publier sur la langue gasconne et béarnaise ; mais convaincus de détenir la Vérité, tout<br />

comme les “hussards noirs de la République” qui apportaient le français aux patoisants arriérés, ils<br />

ont découragé la réflexion critique et précipité le déclin de la langue vivante. Hélas !<br />

5 novembre 2011


Université de Rennes 2 - Haute Bretagne<br />

École Doctorale Humanités et Sciences de l’Homme<br />

CREDILIF (EA ERELLIF 3207)<br />

THÈSE SUR TRAVAUX<br />

pour obtenir le grade de<br />

DOCTEUR DE L!UNIVERSITÉ DE RENNES 2<br />

Discipline : Sciences du langage<br />

présentée et soutenue publiquement<br />

par<br />

Jean LAFITTE<br />

le 17 octobre 2005<br />

SITUATION<br />

SOCIOLINGUISTIQUE<br />

ET<br />

ÉCRITURE DU GASCON<br />

AUJOURD’HUI<br />

Directeur de thèse : Professeur Philippe BLANCHET<br />

JURY<br />

Madame Liselotte BIEDERMANN-PASQUES, Directeur de recherche, Paris III-Sorbonne.<br />

Monsieur Jean-Michel ELOY, Professeur, Université de Picardie – Jules Verne – Amiens.<br />

Monsieur Francis MANZANO, Maitre de Conférences HDR, Université Rennes 2.<br />

Monsieur Philippe BLANCHET, Professeur, Université Rennes 2.<br />

TOME I


A la mie moulhè Annick,<br />

qui’m soustienou capvath de plân loungs estùdis<br />

enta la loengue dous mêns payrans.<br />

A touts lous més amics<br />

qui, dou paysân gascoûn au proufessou d’universitat,<br />

e’s hidèn a you<br />

e m’encouradyèn sus ûn camîn pas toustém exenyë de trebucs.<br />

E especiauméns a la memòrie dou proufessou Jacques Allières<br />

qui m’oubri amistouseméns las portes dous mieylocs de la lingüistique.<br />

Aus regéns e proufessous<br />

chepicous d’ue loengue vive, blousse e de boûn ensegna.


SOMMAIRE<br />

<strong>Tome</strong> I er<br />

Prologue 5<br />

Chapitre préliminaire - La langue gasconne 13<br />

Première partie - Situation sociolinguistique du gascon 35<br />

Chapitre I er - La représentation de la langue chez les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong> 36<br />

Chapitre II - La pratique de la langue par les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong> 54<br />

Chapitre III - La transmission artificielle : l’enseignement 65<br />

Chapitre IV - Les institutions qui militent pour la langue 76<br />

Chapitre V - Y a-t-il un avenir pour des langues “régionales” ? 90<br />

Deuxième partie – Écrire le gascon aujourd’hui 97<br />

Chapitre I er - Historique des graphies du gascon 98<br />

Chapitre II - Sociolinguistique des graphies du gascon 193<br />

Chapitre III - Graphie “classique” ou graphie “moderne” ? 221<br />

Chapitre IV - Pour une graphie “classique” vraiment gasconne 233<br />

Chapitre V - Pour une graphie “moderne” améliorée 307<br />

Chapitre VI - Bilan 341<br />

Épilogue 345<br />

Bibliographie 349<br />

Tables 359<br />

Table des abréviations et sigles 359<br />

Table des auteurs et personnages cités 360<br />

Table des matières 365<br />

Table des illustrations 374<br />

<strong>Tome</strong> II<br />

Annexes 377<br />

I - Le domaine linguistique gascon 377<br />

II - Les linguistes donnent leur avis sur le gascon 378<br />

III - Traits linguistiques comparés entre catalan, gascon et occitan (langued.) 381<br />

IV - Synopse Alibert-Palay 382<br />

V - Extrait de La langue béarnaise et son histoire - Étude sur l’évolution<br />

de l’occitan du Béarn 384<br />

VI - “gascon”, “béarnais” et “occitan” dans les annonces de presse<br />

des organisations occitanistes du Béarn 385<br />

VII - « L’ “occitan”, c’est pas du béarnais » 388<br />

VIII - Marc Cazalets témoigne 389<br />

IX - Extrait du dépliant quadriptyque “Apprendre l’occitan et le basque<br />

dans les lycées aquitains” 391


Jean <strong>Lafitte</strong> 4 Sommaire<br />

X - L’espace juridique selon les Fors anciens de Béarn 394<br />

XI - Écriture et lecture du béarnais selon Arnaud de Salette 395<br />

XII - Les idées de l’abbé Pédegert (1809-1889) sur la graphie du gascon 401<br />

XIII - Les textes officiels de l’I.E.O. 405<br />

XIV - La graphie moderne dans la presse quotidienne 413<br />

XV - Lettre ouverte aux occitanistes, par Sèrgi Bec 415<br />

XVI - Les débuts de la graphie classique en Béarn 418<br />

XVII - L’orthographe occitane normalisée, par Michel Grosclaude (extraits) 422<br />

XVIII - Œuvres “normalisées”, œuvres et normes malmenées 426<br />

XIX - Dictionnaires gascons avec notation fiable de la prononciation 437<br />

XX - L’apophonie du a intérieur 439<br />

XXI - Le i du graphème ish (ou ix) 447<br />

XXII - Synopse des graphies “DiGaM” 451<br />

XXIII - Dictionnaire gascon français (échantillon : lettres A et B-V) 461


Prologue<br />

Dans un article sur les langues dites “régionales”, M. Alain Peyrefitte, ancien ministre et<br />

membre de l’Académie française, fondait notamment son opposition à leur emploi public sur le fait<br />

que ce n’étaient que des langues orales, sans écriture, et donc impropres à un tel usage. C’est sans<br />

doute vrai pour un certain nombre d’entre elles, surtout si l’on considère l’impressionnante liste<br />

dressée par le Pr. Bernard Cerquiglini qui en compte 75 sur le territoire de la République. Mais<br />

l’éminent académicien connaissait sans doute mieux la Chine que nos pays, car pour peu que l’on<br />

ait ouvert des livres d’histoire, on s’aperçoit que l’écrit en langues d’oc fut celui de l’administration<br />

et de la justice de la France, de l’Angleterre, de l’Empire et même de la petite Navarre, dans ce qui<br />

est devenu le Midi de la France.<br />

Il a cependant tout à fait raison en ce sens qu’à l’époque moderne des relations à distance,<br />

l’écrit est un des principaux vecteurs de toute langue, comme celle-ci l’est de toute pensée. D’où<br />

l’identification que l’on fait entre lettres — le signe matériel qui sert à écrire — et pensée, qui ne<br />

relève pas du domaine quantifiable des mathématiques et des sciences de la matière; et la tendance<br />

à considérer qu’une langue n’a pas de littérature quand il n’y a pas d’écrit pour transmettre sa poésie,<br />

son histoire et ses légendes. Pourtant, Homère s’est chanté bien avant d’être écrit !<br />

Quoi qu’il en soit, le gascon s’écrit au moins depuis le XII e s. (Chartes du Comminges éditées<br />

par C. Brunel) et a produit aux XIX e et XX e de nombreuses œuvres littéraires de valeur. Mais chaque<br />

fois que s’est manifesté un courant littéraire — encore les lettres ! — en faveur d’une langue<br />

traditionnelle qui tendait à disparaitre devant une autre, on s’est posé la question de son écriture. Et<br />

à chaque fois, on s’est efforcé d’établir un système qui soit à la fois fidèle à la tradition et accessible<br />

au commun des locuteurs.<br />

Ainsi, au fil des siècles, les générations de clercs et d’écrivains ont perfectionné l’outil de<br />

l’écriture des langues du Midi de la France… même si les avancées sur certains points s’accompagnèrent<br />

parfois de reculs sur d’autres. Mais si l’on avait trouvé LE système parfait, mes travaux<br />

n’auraient pas leur raison d’être; mon itinéraire personnel dans la connaissance de la langue gasconne<br />

m’a en effet conduit à étudier les deux grands systèmes orthographiques en usage pour<br />

constater qu’aucun n’était pleinement satisfaisant pour les besoins de notre époque. D’où mes travaux<br />

sur ces questions, travaux principalement publiés dans ma petite revue Ligam-DiGaM; et d’où<br />

la présente thèse, dont l’idée m’est venue de l’accueil fait à ces travaux par des personnes bien plus<br />

compétentes que moi. Mais avant d’entrer dans le sujet, il me parait utile de rappeler succinctement<br />

ce que fut mon itinéraire.<br />

MON ITINÉRAIRE PERSONNEL<br />

À l’origine, il y a quelque évènement fortuit qui m’a conduit, à 50 ans passés, à retrouver la<br />

langue de mes pères, comme béarnais d’abord, puis comme gascon, tous membres de la famille<br />

d’Oc. Le désir d’en savoir plus me fit aussi découvrir l’Escole Gastoû Febus, le manuel de Michel<br />

Grosclaude Lo gascon lèu e plan, les stages béarnais de Bedous, l’association occitaniste Per Noste<br />

et plus encore sans doute, les hommes et les femmes qui, <strong>Béarnais</strong> de souche ou non, œuvrent pour<br />

maintenir vivante la lengue mayrane. Leur exemple m’entraina.


Jean <strong>Lafitte</strong> 6 Prologue<br />

Mettant à profit mon admission à la retraite, le Président de l’association occitaniste de la région<br />

parisienne, l’I.E.O.-Paris (Section parisienne de l’<strong>Institut</strong> d’études occitanes), m’invita à me<br />

charger d’un cours de gascon à partir de l’automne 1989. Le besoin de mieux connaitre cette langue<br />

qu’il allait falloir enseigner m’engagea alors dans des études assidues qui devaient profiter de ma<br />

petite expérience en micro-informatique. Le doigt était dans l’engrenage…<br />

Or à la même époque se créait à Montpellier un Groupe d’initiative pour un dictionnaire informatisé<br />

de la langue occitane, le GIDILOc, qui ne semblait pas prévoir d’inclure le gascon dans<br />

ses travaux. Le Secrétaire général de l’I.E.O.-Paris me suggéra alors d’en faire autant pour le gascon.<br />

J’aurais aimé agir dans le cadre de l’Escole Gastoû Febus, dont le Dictionnaire de Simin Palay<br />

porte les armes, voire dans celui de l’association occitaniste de Béarn Per Noste. Je rencontrais<br />

donc les présidents de ces associations en février 1990. Mais trop engagés dans d’autres tâches pour<br />

pouvoir diriger une telle entreprise, ils déclinèrent mes offres de service. Cependant, la Présidente<br />

de l’Escole Gastoû Febus m’invita à rencontrer son Secrétaire général, M. Jean Salles-Loustau, que<br />

ses compétences désignaient tout particulièrement pour cela; quand je lui présentai mon projet, il<br />

me donna comme premier conseil de réunir une équipe de gens compétents et de fixer dès le départ<br />

les règles générales qui seraient suivies pour ne pas avoir à les modifier sans cesse au fur et à mesure<br />

que se rencontreraient les problèmes. Il exposa d’ailleurs aussitôt ses vues techniques sur le<br />

sujet, mais aussi qu’une telle œuvre ne pouvait être l’affaire que de l’État ou plus vraisemblablement<br />

des régions, le rôle de l’Escole Gastoû Febus se limitant à faire « tout son possible pour sensibiliser<br />

les responsables sur la nécessité d’élaborer un dictionnaire moderne » (Per un diccionari,<br />

Reclams, Mars 1990).<br />

LE PROJET DiGaM<br />

Plutôt partisan du proverbe gascon « Lou qui’s mude, Diu l’ayude » {celui qui se remue, Dieu<br />

l’aide}, j’ai estimé que la mise en branle des régions pourrait demander beaucoup de temps —<br />

quinze ans après, on n’a encore rien vu —, et mis au pied du mur, je me suis lancé seul dans<br />

l’aventure. J’ai appelé cette entreprise lexicographique DiGaM, Dictionnaire du <strong>Gascon</strong> Moderne,<br />

et j’ai reçu le soutien juridique et administratif de l’I.E.O.-Paris, tant qu’une association du “pays”<br />

ne s’en serait pas chargée. Le projet tendrait à préparer des dictionnaires répondant aux besoins<br />

contemporains, ceux d’une langue de la fin du XX ème siècle dont l’usage quotidien disparait et dont<br />

la transmission repose sur l’école; et ils seraient établis à partir de l’œuvre de Palay et de tous les<br />

autres lexicographes gascons accessibles.<br />

Devant l’ampleur de la tâche qui m’attendait, j’ai alors voulu m’associer tous les <strong>Gascon</strong>s de<br />

bonne volonté grâce à une modeste publication de linguistique et lexicographie gasconnes, Ligam-<br />

DiGaM (n° 1, Avril 1993). Cela m’a révélé que si ce genre de revue a des lecteurs, fussent-ils peu<br />

nombreux, très rares sont ceux qui ont à la fois les connaissances, le temps et la documentation qui<br />

leur permettraient d’y écrire.<br />

Quoi qu’il en soit, ce sont aujourd’hui 24 cahiers de 48 pages de format A5 qui sont parus,<br />

sans compter quelques numéros hors-série dont le plus vendu est le n° 4, Le <strong>Gascon</strong>, langue à part<br />

entière et le <strong>Béarnais</strong>, âme du gascon (1996; 2 ème éd. 1999). On y trouve donc de nombreuses études,<br />

pour la plupart de ma plume, sur le vocabulaire, la syntaxe, la graphie, la vitalité réelle de la<br />

langue, l’attente de ceux qui s’y intéressent encore et, question essentielle, la place du gascon parmi<br />

les langues romanes; la prise en compte de cet arrière-plan sociologique et linguistique est en effet


Jean <strong>Lafitte</strong> 7 Prologue<br />

déterminante pour le choix des solutions aux problèmes que le lexicographe ne manquera pas de<br />

rencontrer, tant pour ce qui est de la langue elle-même que de son écriture.<br />

DE DiGaM À UNE THÈSE DE DOCTORAT ?<br />

Le volume de ces études et surtout l’accueil qu’elles ont rencontré de la part de lecteurs<br />

“éclairés” m’ont laissé penser que, jointes à mon expérience de quatorze années d’enseignement,<br />

elles pourraient fournir la matière d’une thèse de doctorat “sur travaux”. Et comme les études sur la<br />

graphie étaient celles qui me paraissaient constituer un corps cohérent, abouti et, à lui seul, d’un volume<br />

suffisant, j’ai pensé pouvoir en faire l’objet central de cette thèse et le proposer ainsi à discussion<br />

et validation scientifiques.<br />

Cette thèse, j’avais d’abord envisagé de l’intituler « Écrire le gascon aujourd’hui ». Mais<br />

quand mon directeur de thèse Philippe Blanchet, Professeur des universités en sociolinguistique et<br />

didactique des langues, m’a suggéré le titre « Situation sociolinguistique et écriture du gascon aujourd'hui<br />

», je l’ai accepté d’emblée; j’ai en effet pris conscience de ce que ma recherche partait<br />

d’un constat sociolinguistique, parce que l’écriture d’une langue vivante ne peut être envisagée hors<br />

de son contexte sociolinguistique.<br />

Cependant, cela devait renforcer mon attention à tout ce qui est sociolinguistique dans mon<br />

approche des problèmes du gascon contemporain et m’a conduit à un changement complet dans<br />

mon appréciation des systèmes graphiques en présence.<br />

DiGaM ET LA GRAPHIE CLASSIQUE<br />

Je connaissais déjà assez bien la graphie moderne 1 de l’Escole Gastoû Febus, apparentée à<br />

celle du Félibrige et qui était celle des Reclams de Biarn e Gascougne lors de mon premier abonnement<br />

en 1981. Mais je lui avais très vite préféré la graphie classique, préconisée par le mouvement<br />

occitaniste et désignée souvent comme « graphie occitane » : elle me paraissait alors plus logique<br />

et donc plus propre à l’enseignement rationnel de personnes qui ne parlent guère la langue.<br />

C’est donc elle que j’ai adoptée sans hésiter pour mon projet DiGaM, d’autant qu’elle s’avérait la<br />

seule en usage chez les enseignants en place.<br />

Pour l’appliquer correctement, j’ai donc voulu m’appuyer sur les textes officiels de l’I.E.O.<br />

publiés en 1950 pour l’occitan et en 1952 pour le gascon; paradoxalement, je dus m’adresser au<br />

Centre international de documentation occitane de Béziers pour en obtenir des copies, car ils n’ont<br />

jamais été réédités ! Inutile de dire qu’ils sont parfaitement méconnus de la très grande majorité de<br />

ceux qui pratiquent et même enseignent la graphie “occitane”, transmise de bouche à oreille, ou au<br />

mieux par des ouvrages de seconde main ou plus… Roger Teulat, professeur d’occitan à la faculté<br />

de lettres de Clermont-Ferrand, n’écrivait-il pas en octobre 1982 qu’il venait de découvrir le document<br />

I.E.O. de 1950 ? (voir plus loin, p. 143). L’étude de ces textes me fit vite découvrir que, loin<br />

du discours ambiant qui vante leur rationalité, les règles qu’ils énonçaient pour notre langue comportaient<br />

des faiblesses dont ne pouvait s’accommoder l’enseignement d’une langue que maitres et<br />

élèves n’entendent plus guère dans la rue.<br />

Problème après problème, j’ai donc recherché des solutions cohérentes qui permettraient<br />

l’écriture correcte d’une langue gasconne mieux connue que du temps où ces règles classiques furent<br />

1 Pour le sens que je donne à “classique” et à “moderne”, voir p. 98.


Jean <strong>Lafitte</strong> 8 Prologue<br />

formulées par un non-gascon, et ensuite une lecture qui retrouverait l’oral de façon univoque. J’ai<br />

ainsi défini une graphie classique du gascon, dite graphie DiGaM, qui n’est en fait qu’une variante<br />

proprement gasconne de la graphie classique occitane; au demeurant, aucune des solutions que je<br />

propose n’est originale (sauf peut-être ô pour /o/ non tonique…), toutes ayant été déjà utilisée, parfois<br />

pendant très longtemps, parfois seulement par quelques auteurs, mais des plus avertis (Pey de<br />

Garros, Coromines…).<br />

J’étais pratiquement au bout de cette tâche quand l’éditeur Princi Néguer m’a engagé dans la<br />

réédition du Dictionnaire béarnais ancien et moderne de Vastin Lespy et Paul Raymond; cela m’a<br />

donné l’occasion d’ajouter à chaque entrée sa graphie classique selon DiGaM (1998). Cette graphie<br />

y est exposée dans les tableaux d’écriture et de lecture de l’Introduction, avec des développements<br />

explicatifs dans les notes ajoutées à certains articles, notamment en tête de certaines lettres.<br />

Certes, cette présentation de ma graphie n’a pas convaincu ceux qui restent viscéralement attachés<br />

à ce que l’I.E.O. leur a enseigné comme une vérité éternelle, mais les esprits les plus avertis<br />

y ont trouvé des réponses satisfaisantes à des questions qu’ils se posaient depuis longtemps et que<br />

les premiers avaient écartées comme des blasphèmes. Il en est résulté que des livres gascons sont<br />

publiés dans ma variante de la graphie classique et que les habitués de la variante selon Alibert<br />

n’ont aucun mal à les lire. En revanche, les habitués de la graphie moderne ne s’y retrouvent pas<br />

mieux que dans celle de l’I.E.O.<br />

Je comptais donc constituer ma thèse par l’exposé des problèmes à résoudre et des règles<br />

d’écriture classique que je proposais, avec un lexique orthographique qui en illustrerait<br />

l’application. Or, comme je l’ai dit plus haut, l’approfondissement de ma réflexion sociolinguistique<br />

a complètement modifié la donne.<br />

RETOUR À LA GRAPHIE MODERNE<br />

Un premier doute sur la graphie classique m’était venu, il y a quelques années déjà, en voyant<br />

l’enseigne « Lou Marmitou » d’un charcutier béarnais au Salon de l’Agriculture de Paris; je ne tardai<br />

pas à constater alors que tous ceux qui voulaient vendre quelque produit du pays sous un nom<br />

du pays, l’écrivaient toujours en graphie moderne.<br />

À cela s’est ajoutée, tout au long des années, mon expérience d’enseignement du gascon à des<br />

adultes de la région parisienne; il s’agit de personnes dont les emplois actuels ou passés sont gages<br />

d’une instruction plutôt au-dessus de la moyenne. Or il est très difficile de les accoutumer à une lecture<br />

de la graphie classique sans fautes ni hésitations, même s’il s’agit de jeunes qui l’ont pratiquée<br />

au cours de leur scolarité; alors que tous se sentent vite à l’aise avec des textes en graphie moderne.<br />

Au demeurant, mes contacts avec mes amis béarnais du pays n’ont jamais démenti cette impression<br />

parisienne : même très instruits, ils considèrent spontanément l’écrit classique comme une autre<br />

langue, de l’“occitan”, voisin mais différent de leur langue naturelle.<br />

Or à partir de mon “inscription en thèse”, je devais être encore plus sensible à cet aspect des<br />

choses. C’est ainsi que vers la fin de 2002, je lus avec le plus grand intérêt les Actes d’un colloque<br />

tenu à Marcinelle en 1997 sur le thème « Écrire les langues d’oïl ». Pour presque toutes ces langues,<br />

la conclusion était que la place majeure du français dans la vie quotidienne des locuteurs imposait<br />

d’utiliser au maximum les graphèmes du français, avec la même valeur.


Jean <strong>Lafitte</strong> 9 Prologue<br />

Puis, en février 2003, dans une communication sur la phonologie du gascon et sa graphie, je<br />

fis observer que si la notation classique de /u/ était théoriquement réglée par l’opposition o ou ó ~ ò,<br />

en pratique, le public n’arrivait pas à s’y accoutumer. Un auditeur me répondit : « C’est simplement<br />

une affaire d’enseignement ». Certes ! Mais que de temps passé dans les écoles à enseigner ces différences<br />

d’avec le français, alors que sont si réduits les temps dont on dispose pour enseigner tout le<br />

reste de la langue !<br />

Enfin, parut chez l’éditeur Princi negue, en mars 2003, un petit livre qui sans doute fera date,<br />

Ninete bajole…; l’auteur en est Jan Bonnemason, naguère conseiller pédagogique d’“occitan” en<br />

Gironde; après avoir propagé la graphie classique de l’I.E.O. pendant des années, il déclare : « j’ai<br />

utilisé la graphie de l’Escole Gastoû Febus pour respecter l’engagement moral de rendre à mes informateurs<br />

ce qu’ils m’avaient donné et comme ils me l’avaient donné. » Chez un homme qui doit<br />

savoir ce qu’il dit et écrit, c’est avouer que la graphie classique ne permet pas d’exprimer la langue<br />

telle qu’elle a été parlée.<br />

Et voilà que pour achever de me “convertir”, il s’est trouvé qu’en juin suivant, j’assistais à la<br />

messe d’un village béarnais le jour de la fête patronale; la petite église était pleine et à la fin, tous de<br />

chanter en chœur Boune May dou Boun Diu {Bonne Mère du Bon Dieu}, écrit en graphie fébusienne<br />

sur la feuille distribuée l’entrée. C’était la confirmation pratique de ce que je sentais depuis<br />

longtemps : à quoi sert une graphie savante du gascon lue par les lettrés de Montpellier ou Nice,<br />

voire de Boston, Vienne ou Tokyo, si les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong> ordinaires ne peuvent la lire ?<br />

J’abandonne ainsi sans regret l’illusion de la graphie classique à laquelle je crus depuis mon entrée<br />

à l’I.E.O.-Paris en 1982.<br />

Ceux qui ont fait des questions de graphie une affaire quasi religieuse me jugeront peut-être<br />

digne du bucher. Mais religion pour religion, après l’Histoire Sainte béarnaise du XIV e s. (Lespy et<br />

Raymond, 1876-7, t. I, p. 124), je rappellerai l’histoire des “Septante”, ces 70 ou plus exactement<br />

72 docteurs juifs qui, selon la Lettre d’Aristée (II e s. av. J.-C.), auraient été invités par le pharaon<br />

Ptolémée II pour traduire en grec la Torah juive, parce que les Juifs hellénisés de la Diaspora ne<br />

comprenaient plus l’hébreu. Dieu sait pourtant la vénération des Juifs pieux pour la Bible et sa langue<br />

originelle… Malgré tout, ces Juifs hellénisés ont jugé la parole divine plus importante que la<br />

forme linguistique qui l’exprimait. Pour moi, c’est bien moins grave, je garde la langue, mais<br />

j’estime qu’elle vaut mieux que la graphie qui la représenta au Moyen-Âge, et que son intelligence<br />

par les gens du XXI e s. est infiniment plus importante que la conservation de formes graphiques anciennes…<br />

et somme toute contingentes.<br />

Mais cela m’oblige à modifier un peu mes plans ! Dans le dossier réuni pour la validation de<br />

mon acquis en vue de l’inscription en thèse, j’avais projeté de présenter « la description d’un système<br />

de graphie “classique” ou savante, ainsi que des suggestions pour rendre plus fiable la graphie<br />

“moderne”, bien plus populaire ». Je garde ce plan, mais en l’infléchissant quelque peu : ma présentation<br />

du système classique aura surtout pour but de faire apparaitre en quoi j’estime devoir modifier<br />

celui de l’I.E.O. pour en atténuer les défauts, tant que l’enseignement officiel restera de fait attaché<br />

au système classique. Cela expliquera en outre certains de mes choix pour améliorer le système<br />

moderne, conséquence de quelque quatorze ans de travaux et réflexions dans le cadre “classique”.<br />

Car j’exposerai ensuite en détail les améliorations qu’il me parait très utile, voire parfois indispensable<br />

d’apporter à la graphie moderne pour qu’elle réponde à l’état actuel de la langue dans la<br />

société gasconne. Et je terminerai par une brève comparaison entre les deux systèmes retouchés.


Jean <strong>Lafitte</strong> 10 Prologue<br />

Au fond, il s’est passé ce que j’ai déjà éprouvé pour plusieurs études ayant abouti à des articles<br />

de Ligam-DiGaM ou à des notes de la réédition du Lespy : les faits rencontrés et ma réflexion<br />

m’ont conduit à des conclusions fort différentes de ce que je pensais en début d’étude, voire à<br />

l’opposé.<br />

Mais il est temps d’entrer dans le vif du sujet.<br />

PLAN<br />

Comme le titre nous y invite, je traiterai de la sociolinguistique du gascon dans une première<br />

partie et de son écriture dans une seconde; mais avant toutes choses, un chapitre préliminaire essaiera<br />

de situer le gascon parmi les langues romanes, et tout particulièrement parmi les langues<br />

d’oc :<br />

– la première partie traitera successivement de la représentation de la langue dans l’esprit<br />

des <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong>, et spécialement sur la façon de la nommer, de son état actuel, qui n’en assure<br />

plus la transmission naturelle, et donc également de la transmission “artificielle” par l’école;<br />

puis sera faite une brève présentation des institutions qui militent pour la langue et j’achèverai cette<br />

partie en évoquant les perspectives d’avenir; en revanche, la sociolinguistique de la graphie sera<br />

renvoyée à la seconde partie, car elle ne se comprend bien qu’après avoir vu l’histoire des graphies;<br />

– la seconde partie débutera donc par un historique des systèmes graphiques du gascon, suivi<br />

d’une réflexion sociolinguistique sur la réception des systèmes actuels par le public gasconophone;<br />

ainsi éclairé sur les besoins de ce public, j’exposerai mes propositions pour amender les deux système<br />

en usage, classique et moderne.<br />

Sur la place du Béarn dans ce travail<br />

UNE REMARQUE DE FOND<br />

Ce travail fait une large place au gascon dans sa forme béarnaise et à sa pratique en Béarn.<br />

Il y a à cela une raison très personnelle, c’est mon enracinement dans cette terre; c’est en<br />

Béarn que j’ai passé mon adolescence et “fait mes humanités”, Béarn où ma mère était née et dont<br />

elle avait pratiqué la langue dans son enfance, Béarn où j’ai toujours mes amis de jeunesse, Béarn<br />

dont je suis la vie par la lecture quotidienne de L’Éclair, journal de Pau que lisaient mes parents et<br />

qui partage aujourd’hui la majeure partie de ses pages avec l’autre titre palois, La République.<br />

Cette première place du Béarn dans ma recherche est néanmoins légitimée par son importance<br />

objective dans le maintien de la langue gasconne depuis plus d’un siècle. Sans doute faut-il y voir<br />

un reste du prestige de l’ancienne principauté qui en conserva l’usage officiel, en droit jusqu’en<br />

1620, en fait jusqu’en 1789 (voir p. 54), au fait que Pau fut le siège du Parlement de Navarre, puis<br />

de la Cour d’appel avant d’y recevoir une Université.<br />

C’est un fait en tout cas, comme on le verra plus loin, pp. 76 sqq., que c’est en Béarn que sont<br />

nées les premières associations gasconnes du Félibrige, puis de l’occitanisme, et qu’elles existent<br />

toujours; que c’est d’elles que sont sortis le seul grand Dictionnaire du gascon (Simin Palay, 1934,<br />

puis 1961) et la première méthode moderne d’enseignement du gascon, Lo gascon lèu e plan (Grosclaude,<br />

1977); que c’est en Béarn que sont édités le plus grand nombre d’écrits gascons ou sur le<br />

gascon; que c’est sa langue classique qu’ont adoptée ou prise pour référence la plupart des auteurs


Jean <strong>Lafitte</strong> 11 Prologue<br />

gascons du XX e s. et que P. Bec a qualifiée de « gascon-standard » (préface de Lo gascon lèu e<br />

plan).<br />

Enseignant personnellement le gascon à des adultes à Paris, j’ai pour étudiants des Landais du<br />

sud, des <strong>Béarnais</strong>, des Bigourdans, mais jamais ne se sont manifestés des <strong>Gascon</strong>s des autres régions,<br />

signe probable d’un recul plus grand d’une langue qu’on ne souhaite retrouver que si on l’a<br />

déjà vécue plus ou moins au Pays.<br />

Au demeurant, si l’ensemble gascon dans sa totalité est bien connu par l’Atlas linguistique de<br />

Jean Séguy, sa littérature l’est beaucoup moins, celle du Béarn étant la plus accessible; et les quelques<br />

enquêtes linguistiques réalisées éclairent davantage le Béarn, et un peu moins la Bigorre, que<br />

les autres régions; de fait, c’est en Béarn que les professeurs suisses A. M. Kristol et J. T. Wüest<br />

sont d’abord venus faire leurs enquêtes linguistiques de 1983 sur la pratique du gascon.<br />

Enfin, ce qui se constate dans les Hautes-Pyrénées, aujourd’hui très dynamiques pour la<br />

conservation de leur gascon propre, n’est jamais venu démentir ce que l’on observait en Béarn.<br />

De toute façon, je me suis toujours efforcé de m’ouvrir aux autres terres gasconnes et à leurs<br />

auteurs, même si j’ai regretté bien des fois de ne pas y rencontrer davantage de personnes effectivement<br />

engagées dans la défense de notre langue commune.<br />

C’est cette même ouverture qui m’a fait observer avec la plus grande attention ce qui se passe<br />

sur les autres terres d’oc, qui rencontrent à des degrés divers les mêmes problèmes et dont les réalisations<br />

peuvent toujours donner de bonnes idées pour la Gascogne.<br />

Sur l’orthographe du français<br />

TROIS REMARQUES DE FORME<br />

Soucieux d’une orthographe gasconne à la fois fidèle à la langue et facile à enseigner, je ne<br />

pouvais pas moins que d’appliquer à mon français les simplifications orthographiques adoptées par<br />

l’Académie française en 1990. Donc, notamment, règlementaire, connaitre, bruler etc.<br />

Sur la traduction des citations<br />

Les nombreux auteurs que je cite ont écrit le plus souvent en gascon ou en occitan. J’ai estimé<br />

que les citer dans leur texte allongerait ce travail sans utilité majeure sur le fond. J’ai donc traduit<br />

toutes ces citations en français (une ou deux exceptions, tellement transparentes que c’eût été faire<br />

offense au lecteur que de les lui traduire !). Comme il s’agit le plus souvent de textes “savants”, les<br />

mots autres que les outils grammaticaux sont ceux de beaucoup de langues occidentales et leur traduction<br />

est facile.<br />

Mais parfois, les auteurs usent d’un langage plus familier, et là, le <strong>Gascon</strong> peut être embarrassé<br />

devant un mot, une expression occitane, provençale ou autre. J’ai donc essayé de rendre le mieux<br />

possible l’esprit de ce qui était dit. Par exemple, p. 72, “hérissé” traduit espolofit de R. Lafont (Alibert<br />

ignore espolofit, mais donne : espelofir, ébouriffer, hérisser).<br />

Sur les tables<br />

On trouvera à la fin de ce travail plusieurs tables destinées à en faciliter la lecture, et spécialement<br />

une table des abréviations et sigles et une table des personnes citées.


Chapitre préliminaire<br />

La langue gasconne<br />

La langue d’oc est-elle unique et le gascon l’un de ses dialectes ou variantes, ou faut-il dire<br />

« les langues d’oc », groupe linguistique comprenant notamment la langue gasconne ? Pour ceux<br />

qui tiennent à l’unité de la langue d’oc, avec derrière la tête l’idée de l’unifier pour en faire la<br />

langue d’un pays indépendant qu’on appellerait “Occitanie”, poser une telle question relève des<br />

disputes des gens de Byzance sur le sexe des anges au moment où les Turcs assiégeaient la ville.<br />

Pourtant, définir une graphie pour une langue qui n’est pas unifiée implique d’en fixer les<br />

contours, pour que cette graphie reflète le mieux possible toute la langue dans ses variétés, sans en<br />

sacrifier aucune. Et c’est parce que l’habit graphique conçu pour l’“occitan” à partir du languedocien<br />

du pharmacien audois Alibert s’adapte mal à « la » langue d’oc dans son ensemble, et spécialement<br />

au gascon, qu’il m’a paru nécessaire d’éclairer d’abord la place du gascon dans cet ensemble<br />

linguistique. Ce chapitre préliminaire a donc pour objet de rendre compte de ma recherche.<br />

Mais d’abord, pour permettre au lecteur de situer d’emblée notre problème dans l’espace, je<br />

dirai deux mots du domaine linguistique gascon.<br />

Le domaine linguistique gascon (Carte en Annexe I)<br />

Que l’on considère le gascon comme un dialecte d’une langue d’oc unique ou comme une<br />

langue indépendante, il est une question sur laquelle tout le monde s’accorde : le domaine du<br />

gascon coïncide sensiblement avec le triangle aquitain que César délimitait par la Garonne, l’Océan<br />

et les Pyrénées (Guerre des Gaules, Ch. I er ). En fait, les faisceaux d’isoglosses particulièrement<br />

serrés qui délimitent ce domaine l’étendent en outre sur la rive droite de la Garonne, avec le<br />

Couserans au sud-est et l’Entre-deux-Mers au nord; et lui enlèvent le Pays Basque au sud-ouest, où<br />

se parle ce que l’on pense être la continuation de l’ancienne langue des Aquitains de César.<br />

Langue ou dialecte ? Pourquoi je me suis posé la question<br />

Historiquement, la question de la vision des linguistes sur le gascon est la première que je me<br />

suis posée. Mon cheminement personnel, évoqué dans le Prologue, m’a en effet très vite mis en<br />

contact avec le mouvement occitaniste; certes, l’écoute des cassettes du manuel de M. Grosclaude<br />

Lo gascon lèu e plan m’a vite rassuré sur la langue qu’il y proposait, même si sa graphie “occitane”<br />

m’avait d’abord semblé bien loin de ce que j’attendais.<br />

Mais bientôt, au sein de l’I.E.O.-Paris, j’ai été en contact avec le languedocien, “dialecte”<br />

d’oc largement dominant dans les revues occitanistes, et là, il m’a semblé franchir une frontière.<br />

Certes, ma connaissance progressive du gascon, celle du latin et de l’espagnol toujours vive, m’a<br />

toujours permis d’en comprendre l’écrit ordinaire, souvent calqué sur le français dans lequel les<br />

auteurs modernes l’avaient d’abord pensé; mais j’ai eu le sentiment que ce n’était pas “ma” langue,<br />

malgré le discours occitaniste ordinaire. Mon malaise s’accrut encore plus quand je découvris que<br />

le but de l’occitanisme était d’arriver à ce que la langue commune de l’“Occitanie” future soit une<br />

sorte de languedocien revisité par des théoriciens fascinés par le XII ème siècle méridional et le<br />

XX ème siècle catalan, l’occitan standard (cf. pp. 23 sqq.).<br />

Ce qui me retint de partir, ce fut la découverte d’un rapport totalement oublié des occitanistes<br />

d’aujourd’hui et néanmoins fondamental pour ce sujet, celui que le Pr. Pierre Bec avait fait approuver


Jean <strong>Lafitte</strong> 14 La langue gasconne<br />

par l’assemblée générale de l’I.E.O. de septembre 1972, Per una dinamica novèla de la lenga de<br />

referéncia : le gascon était une langue distincte, hors du processus en cause. J’y reviendrai.<br />

Cela explique que je me sois préoccupé de savoir ce que les linguistes, notamment étrangers<br />

et français non occitanistes, pensaient de tout cela. Et comme mon projet lexicographique supposait<br />

des idées claires sur le sujet, je l’ai abordé dès le n° 1 de Ligam-DiGaM sous le titre Pour un<br />

gascon standard : Après avoir donné l’avis de quelques auteurs de marque, comme P. Bec, mais<br />

aussi Carl Appel, Simin Palay, Gehrard Rohlfs, Louis Alibert et enfin Roger Teulat, je finissais par<br />

dire « Dialecte occitan ou langue spécifique ou à part entière, mais très voisine de l’occitan<br />

proprement dit, peu importe ! » L’essentiel étant au plan pratique, je poursuivais :<br />

« La Langue d’oc du Félibrige n’est qu’une expression symbolique pour désigner les<br />

langues du Midi de la France comme étant d’une même famille. […] Pratiquement, le<br />

gascon est donc une langue qui sera normalisée par les <strong>Gascon</strong>s… s’ils le veulent; et<br />

l’aranais lui-même, souvent cité comme l’idéal des occitanistes aussi bien que des félibres,<br />

est une langue autonome et officielle. »<br />

Par la suite, en butte à des critiques globales de ma position de la part de gens qui manifestement<br />

n’avaient pas les mêmes lectures, je fus amené en 1996 à consacrer un numéro spécial à la<br />

question, Le gascon, langue à part entière et le béarnais âme du gascon, puis à le rééditer avec de<br />

nouveaux témoignages en 1999 et à en reprendre l’essentiel l’année suivante dans un chapitre d’un<br />

“livre blanc” 10 ans au service du gascon : DiGaM. J’y puise l’essentiel de ce qui suit.<br />

Le témoignage des linguistes occitanistes…<br />

Destiné d’abord aux occitanistes, Le gascon, langue à part entière… privilégiait le<br />

témoignage des maitres à penser de l’occitanisme déjà nommés; d’abord, Louis Alibert (1884-<br />

1959), auteur d’une remarquable Gramatica occitana segón los parlars lengadocians (1935); et<br />

plus encore Pierre Bec (1921- ), professeur d’université, auteur notamment d’un Manuel pratique<br />

de philologie romane (1970-1) ainsi que d’un Manuel pratique d’occitan moderne (1973), et<br />

président de l’I.E.O. de 1962 à 1980.<br />

Alibert, avait été à Toulouse l’étudiant du Pr. Joseph Anglade et avait obtenu un diplôme<br />

supérieur d’études méridionales. Mais n’ayant guère bougé du canton de l’Aude où il était né, sa<br />

connaissance du gascon tenait surtout du ouï-dire, et la bibliographie qu’il annexa à sa Gramatica<br />

révèle une particulière pauvreté en ouvrages sur cette langue. De fait, son œuvre contient quelques<br />

erreurs notables sur le gascon (cf. <strong>Lafitte</strong>, 2002-3).<br />

Mais cela ne doit pas étonner, car en plusieurs occurrences, il a traité le gascon et le catalan<br />

— qu’il écrivait couramment — comme des langues distinctes de l’occitan. Ainsi, quand, en tête de<br />

la Gramatica, il compare le languedocien aux « langues et dialectes qui l’entourent », le pluriel du<br />

mot « langues » ne peut viser que le catalan et le gascon cités en premier. Plus tard, dans un grand<br />

article sur La langue d’oc (1951, p. 53), il écrit :<br />

« Dès la naissance de notre langue, le gascon et le catalan ont des caractères<br />

phonétiques bien tranchés qui les distinguent de la langue des troubadours. Cependant, les<br />

futurs dialectes sont déjà reconnaissables : limousin, auvergnat, provençal, languedocien,<br />

dauphinois. L’unité de la langue des troubadours était toute relative. »<br />

On ne peut dire plus clairement que le gascon et le catalan sont des langues à part de celle<br />

d’où sortiront les cinq grands dialectes occitans actuels; et le gascon lui-même comporte des dialectes<br />

comme l’écrira le même Alibert en p. 5 de L’application… de 1952 (cf. infra, 144 et Annexe


Jean <strong>Lafitte</strong> 15 La langue gasconne<br />

XIII). Tout cela, sans nier que ces langues forment un ensemble que l’approximation littéraire<br />

appelle Langue d’oc et que les linguistes, Alibert en tête, nomment plus rigoureusement l’ensemble<br />

occitano-roman. Au demeurant, la même vision était déjà, trente ans plus tôt, chez Joseph Anglade<br />

(1921, p. 19) :<br />

« Le gascon et le catalan ont évidemment dès le début de la langue la plupart de leurs<br />

traits distinctifs; mais ces traits ne sont pas encore tellement accusés et tellement nombreux<br />

qu’ils soient un obstacle insurmontable — comme ils le sont devenus aujourd’hui — à une<br />

unité linguistique, au moins relative. »<br />

Pierre Bec reprend le concept d’ensemble occitano-roman et s’y tient dans son premier<br />

Manuel (1970-1); il y présente en trois chapitres de même niveau l’occitan, le catalan et le gascon<br />

et l’achève (t. II, 472) par un tableau général de langues romanes, particulièrement explicite sur ce<br />

point :<br />

2) Gallo-roman « occitan » (ou d’oc) ou occitano-roman :<br />

–!occitan<br />

–!gascon<br />

–!catalan<br />

"<br />

#<br />

$<br />

"<br />

#<br />

$<br />

nord-occitan (limousin, auvergnat, provençal alpin) ! gallo-roman d’oïl<br />

occitan moyen!: languedocien, provençal<br />

%<br />

catalan oriental ! langue littéraire ! ibéro-roman<br />

catalan occidental ! aragonais<br />

&<br />

'<br />

Et dans son second Manuel (1973), l’auteur reprend textuellement en français ce qu’il a écrit<br />

en occitan dans le rapport des Annales de l’I.E.O. de 1972 évoqué plus haut (p. 13) :<br />

« Nous retrouverons […] la même adéquation [entre graphie et phonie] (peut-être<br />

plus étroite même) en gascon, dialecte également très conservateur dans l’ensemble<br />

aquitano-pyrénéen. Mais il s’agit là, on le sait, d’un autre diasystème difficilement<br />

réductible aux structures d’ensemble de l’occitan; en fait d’une langue très proche, certes,<br />

mais spécifique (et ce dès les origines), au moins autant que le catalan. »<br />

Il est intéressant de mentionner ici l’attitude pas toujours cohérente du Pr. Robert Lafont sur<br />

ce sujet, lui qui passe aujourd’hui pour le maitre à penser d’un occitanisme peu enclin à reconnaitre<br />

l’autonomie du gascon. D’une part, il ne protesta jamais contre cette affirmation de son collègue et<br />

ami Bec, alors qu’il signait un autre rapport du même numéro des Annales, mais encore il a souvent<br />

cité les deux Manuels de ce dernier. Par exemple, dans les Éléments de phonétique, 1983-2, p. 6 :<br />

« Nous ne pensons certes pas remplacer les ouvrages fondamentaux de P. Bec, le<br />

Manuel pratique de philologie romane, pour deux chapitres (l’occitan, le gascon) du tome<br />

I […] et le Manuel pratique d’occitan moderne…»<br />

Il ne bronche pas en énumérant ces deux chapitres distincts du premier manuel, et ne fait<br />

aucune restriction sur la reprise en français, dans le second, de la phrase clé du rapport de 1972 que<br />

je viens de citer.<br />

Il y revient à la rubrique “Linguistique” de sa revue Amiras (n° 6, oct. 1983, pp. 71-81) et<br />

spécialement pp. 72-73, sur le gascon :<br />

« On sait que ses traits phonético-phonologiques, mais aussi morpho-syntaxiques et<br />

lexicaux, tels qu’ils sont concentrés sur les Pyrénées et dans l’extrême Ouest béarnais ou<br />

landais, ont servi, dans l’analyse linguistique, à fonder quelquefois une langue distincte de<br />

l’occitan central ou septentrional. Mais on remarquera que le plus souvent c’est relativement<br />

à l’indépendance du catalan que la question est posée (chez Carl Appel, G. Rohlfs, P.<br />

Bec). Il s’agit donc bien non des faits intrinsèquement considérés, mais du statut. Une dialectique<br />

est établie sur trois termes : occitan, catalan, gascon. Si le catalan n’est pas de


Jean <strong>Lafitte</strong> 16 La langue gasconne<br />

l’occitan, le gascon n’en est pas non plus. Et si le gascon en est, il faut bien que le catalan<br />

en soit. Pierre Bec en a tiré la conclusion classificatoire d’un occitano-roman à trois<br />

instances : occitan proprement dit, catalan, gascon (Manuel pratique de philologie romane,<br />

Picard, Paris, 1970, t. I). »<br />

Non seulement R. Lafont ne critique pas ce point de vue, mais encore légitime la prise en<br />

compte du catalan pour juger du gascon quand il écrit un peu plus loin, p. 75 :<br />

« Quand l’italien, l’espagnol, le catalan serviront à éclairer l’occitan de façon<br />

normale, les Occitans seront plus à l’aise pour comprendre ce qu’est leur propre occitan. »<br />

Et même, il arrive à R. Lafont de reconnaitre dans le gascon une “vraie langue” :<br />

• Dans l’Anthologie…, 1974, p. 286 : « À l’exception de Jean de Nostredame […] et surtout<br />

de Pey de Garros qui a réfléchi d’une façon remarquable aux problèmes d’une langue gasconne<br />

moderne…»;<br />

• dans les Éléments de phonétique, 1983-2, il traite par principe le gascon comme un dialecte<br />

de l’occitan mais il le mentionne quelque 35 fois comme s’écartant de la règle générale, alors que<br />

les autres parlers d’oc ne sont ainsi mentionnés que de 23 (provençal) à 5 fois (gévaudanais,<br />

carcinol, rouergat); par deux fois, il va jusqu’à opposer explicitement le gascon à l’« ensemble<br />

occitan », ce qui, si le français a un sens, place le gascon en dehors de cet « ensemble » :<br />

« /w/ pour le gascon, /!/ pour l’ensemble occitan sont apparus aussi dans uò et uè. »<br />

(p. 39);<br />

« Le phonème /gw/ conservé en gascon devant a : guarir, ou même e, güeitar,<br />

“regarder”, est réduit à g dans l’ensemble occitan : garir, gaitar. » (pp. 53-54).<br />

Jean Séguy et son “école” (cf. p. 148) ne sont pas à proprement parler des “militants” de<br />

l’occitanisme, mais le climat occitaniste de Toulouse a dû les marquer, car leurs écrits dénotent un<br />

certain flou sur la place du gascon par rapport à l’« occitan ». Voici par exemple ce que l’on peut<br />

remarquer dans le volume VI de l’ALG, qui, daté de 1973, est de la main de Séguy : le texte<br />

accompagnant la carte 2504 débute par « En occitan du Sud-Ouest…», mais la carte suivante 2505<br />

“corrige” aussitôt par « En gascon…»; et le mot gascon ou ses dérivés reviennent dans une vingtaine<br />

d’autres cartes alors que occitan ne se retrouve que pour qualifier l’adverbe aquì {ici} (c. 2281)<br />

et le nom lairon {voleur} (c. 2516) et surtout à la carte 2530 « Champ gradient de la gasconité ».<br />

Or l’analyse du texte assez long qui présente cette carte révèle bien le fond de la pensée de ce<br />

maitre du gascon, au terme de l’immense travail que fut la réalisation de l’ALG. Deux passages<br />

doivent être cités in extenso, la première phrase et le troisième et dernier alinéa :<br />

« Nous avons tenté de cerner les traits spécifiques du gascon qui opposent cet<br />

ensemble non seulement au reste de l’occitan, mais au gallo-roman en général. »<br />

« Précisons que ces traits ne peuvent servir à opposer le gascon à l’ibéro-roman,<br />

catalan compris, si nous avions écarté ceux qui sont communs au gascon et à l’ibéroroman,<br />

il ne serait resté que peu de chose. La distinction du gascon et de l’ibéro-roman<br />

demanderait un travail spécial qu’il n’est pas question d’entreprendre ici; il est d’ailleurs<br />

probable que les traits pertinents seraient alors communs au gascon et au gallo-roman. »<br />

La première phrase situe bien le gascon dans l’occitan, mais il s’oppose « au gallo-roman en<br />

général », donc au français notamment, par les mêmes traits qu’au « reste de l’occitan »; en<br />

revanche, selon le dernier alinéa, si l’on écartait de ces traits tous « ceux qui sont communs au gascon<br />

et à l’ibéro-roman, il ne [resterait] que peu de chose », tandis que si l’on voulait réunir les traits<br />

qui opposent le gascon à cet ensemble, « les traits pertinents seraient alors communs au gascon et<br />

au gallo-roman. » Bien sûr, tout cela n’est qu’appréciation globale qu’une étude détaillée devrait


Jean <strong>Lafitte</strong> 17 La langue gasconne<br />

nuancer, mais j’en conclus ceci : pour Séguy, arrivé au bout de l’ALG, le gascon n’est pas plus<br />

« occitan » que gallo-roman quand on l’oppose à ces ensembles, ou est autant « occitan » que galloroman<br />

quand on l’oppose à l’ensemble ibéro-roman.<br />

Et quand on considère les cartes de ce volume VI, qui sont des cartes de synthèse, on est frappé<br />

de constater que la grande majorité comporte une isoglosse schématique (droite oblique) sur le<br />

cours de la Garonne, séparant systématiquement le gascon de l’occitan languedocien; ce n’est qu’au<br />

sud-est que les traits gascons se poursuivent souvent en languedocien pyrénéen, ce que P. Bec<br />

constatait en définissant un « complexus aquitano-pyrénéen » (1963, pp. 38 et 54). Si l’on ajoute à<br />

cela les cartes 2525 et 2526 qui tentent de définir les « Frontières dialectales du gascon », donc les<br />

aires de ses “dialectes”, on est bien en présence d’une langue divisée en dialectes, comme P. Bec<br />

l’écrivait au même moment (1973, p. 171). Mais sept ans plus tôt, c’est bien J. Séguy lui-même qui<br />

par deux fois avait nommé explicitement « la langue gasconne » (1966, pp. 4 et 13) et assuré la<br />

qualité des enquêtes par le fait que « tous les enquêteurs [étaient] gascons » (ib, p. 5). La clé, c’est<br />

que pour Séguy l’« occitan » n’était probablement pas une langue, mais un ensemble linguistique,<br />

ce qui lui permettait d’écrire aussi « mots occitans (gascon compris) » (ib., p. 15).<br />

Le même décalage entre ce qui semble la pensée profonde du savant et un discours souvent<br />

convenu apparait chez Jacques Allières; par exemple, les mots gascons du volume V sont des<br />

« formes occitanes » (ALG V, Fasc. 2, p. V) et la Gascogne est à l’extrême ouest de l’« Occitanie »<br />

… mais « c’est en opposition à la Romania toute entière que le gascon occidental manifeste son originalité<br />

» (ib. pp. 30 et 32). Et plus encore, il concluait en 1988 une communication faite à Valence<br />

d’Espagne — loin des pressions toulousaines ? — en donnant à la « langue gasconne » une place<br />

comparable à celle du catalan parmi les langues romanes (citation complète en Annexe II).<br />

Et de Xavier Ravier, je ne citerai qu’un de ses derniers articles (2002) : il définit le « gascon<br />

médiéval » comme « la forme qu’avait prise l’occitan gascon à l’époque de rédaction des actes » (p.<br />

400), pour dire un peu plus loin que dans les actes engageant l’autorité comtale, « la lingua mixta et<br />

la langue gasconne sont l’une et l’autre sollicitées » (p. 408).<br />

De semblables hésitations se retrouvent chez André Hourcade, inspecteur départemental de<br />

l’éducation nationale et auteur d’une remarquable Grammaire béarnaise (1986). Dans une<br />

interview donnée à Per Noste-Païs gascons (n° 93, 11-12/1982, p. 13), il admet d’abord que « Le<br />

béarnais est une variété du gascon, lui-même variété de la langue occitane »; mais un peu plus loin,<br />

sur son rôle de formateur des instituteurs : « L’an dernier, il n’y eut rien pour la formation à la<br />

langue béarnaise », ce qu’il renforce quelques lignes plus bas : « le béarnais est une langue<br />

véritable, avec une syntaxe, des structures tout à fait particulières. » Il y reviendra sans ambages<br />

dans la Grammaire : son but est de donner « une description aussi détaillée que possible de la<br />

langue béarnaise » (p. 19); « La langue béarnaise est, ici, objet d’étude, mais pour l’étudier, on se<br />

sert de la langue française » (p. 22).<br />

On verra bientôt, p. 20, comment J.-P. Chambon et Y. Greub (2002) réfutent et même<br />

ridiculisent quelque peu ces hésitations sur l’autonomie du gascon, hésitations que J.-P. Chambon<br />

(2003) met avec vraisemblance sur le compte le la « coalescence » entre militantisme et<br />

linguistique (cf. p. 24). Nous en avons confirmation dans les vues des linguistes indépendants, nonmilitants.


Jean <strong>Lafitte</strong> 18 La langue gasconne<br />

… et des linguistes indépendants, français et étrangers<br />

En cela, rien de nouveau non plus, puisque l’idée avait été avancée dès les premières études<br />

linguistiques sur le gascon. Il devait en être de même de la part de tous les grands linguistes qui ont<br />

étudié de près notre langue. Pour s’en convaincre, il suffit de lire leurs témoignages, échelonnés sur<br />

120 ans, et venant de partout; des seize donnés dans mon livre blanc, je ne retiens ici que les quatre<br />

reproduits, avec celui de P. Bec déjà cité, dans ma réédition 1998 du Dictionnaire béarnais ancien<br />

et moderne de Vastin Lespy (p. 14); d’autres figurent en Annexe II :<br />

1879 – Achille Luchaire, Étude sur les idiomes pyrénéens de la région française, p. 193. —<br />

« Si, à l’exemple de l’un de nos meilleurs romanistes, M. Chabaneau, nous qualifions le gascon de<br />

langue, ce n’est pas que nous méconnaissions le lien qui le rattache à la langue d’oc; c’est en raison<br />

du grand nombre de caractères originaux qui lui font une place tout-à-fait à part parmi nos dialectes<br />

du Midi. »<br />

1962 – Kurt Baldinger, Revue de linguistique romane, p. 331. — Le gascon, « on doit le<br />

considérer comme une quatrième unité linguistique, s’opposant au domaine français, occitan et<br />

franco-provençal. » (Voir aussi p. 19).<br />

1985 – Tomás Buesa Oliver, Lengas y hablas pirenáicas, 4° cours d’été à San-Sebastián, p.<br />

15. — « Le gascon a une telle individualité qu’on ne peut le subordonner à l’occitan. »<br />

1996 – André Martinet, Lettre à Jean <strong>Lafitte</strong>, 18 novembre 1996. — « Si l’on s’en tient à la<br />

forme linguistique des parlers, il parait indispensable de mettre à part, parmi les parlers du midi, le<br />

catalan et le gascon, celui-ci profondément influencé par le contact avec le basque. […] Il ne me<br />

parait pas qu’il y ait à faire des distinctions aussi tranchées entre les parlers restants, provençaux,<br />

languedociens, auvergnats et autres.<br />

« Il serait utile, dans la terminologie linguistique, de mieux marquer l’originalité du gascon<br />

par rapport à ses voisins. »<br />

Avec ce dernier témoignage du regretté Pr. Martinet, mon “livre blanc” de 2000 bouclait en<br />

quelque sorte la boucle en retrouvant la présentation d’Alibert dans la Gramatica et l’étude de<br />

1951 : deux langues d’une part, gascon et catalan, et quatre ou cinq grands dialectes occitans de<br />

l’autre (sans préjudice des aspects sociolinguistiques qui en font des langues à part entière).<br />

J’en ai eu une nouvelle confirmation de la part de M. Anthony Lodge, professeur de linguistique<br />

romane à l’Université St-Andrews en Écosse, lors du Colloque sur les langues latines organisé<br />

par la ville de Sceaux et le Félibrige le 1 er juin 2002.<br />

Sa communication avait pour titre développé Les langues romanes dans le contexte européen<br />

: unité face aux langues germaniques; intelligibilité réciproque; artificialité de leurs divisions<br />

au sein de la Romania; focalisation autour du français.<br />

D’une part, à côté des « langues officielles » (catalan, espagnol, français, italien, portugais,<br />

rhétoroman et roumain), il compte séparément, parmi « les autres », le corse, le franco-provençal, le<br />

galicien, le gascon, l’occitan, le picard, le piémontais, le sarde etc.<br />

D’autre part, tout en soulignant le continuum entre langues voisines, M. Lodge a voulu montrer<br />

par un schéma, particulièrement significatif, que du temps où nos langues d’oc étaient d’usage<br />

généralisé, ce continuum se hiérarchisait en « zones d’intercompréhension dégressive » : avec l’occitan<br />

en zone centrale — l’organisation du colloque par le Félibrige justifiait ce point de vue —, on


Jean <strong>Lafitte</strong> 19 La langue gasconne<br />

trouve dans la même zone le catalan et l’italien tandis que le gascon est dans une première<br />

couronne, avec l’espagnol et le franco-provençal :<br />

gascon<br />

espagnol<br />

portugais<br />

français<br />

franco-provençal<br />

occitan<br />

catalan italien<br />

roumain<br />

Outre que nous retrouvons là les quatre « unités linguistiques » du gallo-roman selon K.<br />

Baldinger, et le « au moins autant que le catalan » de P. Bec, la proximité constatée entre italien et<br />

catalan rejoint l’argument des Catalans du Manifest de 1934 (traduit du catalan) :<br />

« Nul n’aura l’idée de dire que le catalan et l’italien appartiennent à une même unité<br />

linguistique par le seul fait qu’un public catalan puisse suivre avec une relative facilité une<br />

représentation théâtrale en italien, langue facile si on la compare avec certains parlers<br />

occitans comme l’auvergnat ou le gascon, compréhensibles seulement pour qui s’est<br />

adonné spécialement à leur étude. »<br />

Plus près du concret, on peut citer l’avis de Gaston Guillaumie (1948) sur Jasmin :<br />

« Il est fort heureux que le poète, croyant restaurer la langue des troubadours<br />

[gascons, Cercamon et Marcabru], ait écrit et déclamé dans son dialecte d’Agen, si proche<br />

du languedocien. S’il avait utilisé le gascon, il aurait couru le risque de ne pas être<br />

universellement compris, comme il l’a été, dans toute l’étendue du domaine occitan. »<br />

C’était aussi l’avis d’André Hourcade dans l’interview citée plus haut :<br />

« …j’ai aussi passé 5 ans à Albi […] et même si les différences [entre béarnais et<br />

languedocien] sont nombreuses, je n’ai jamais eu aucune difficulté pour comprendre les<br />

Tarnais… Pour eux, par contre, c’était un peu plus difficile de me comprendre à cause des<br />

particularités du gascon et du béarnais. » (P.N.-P.G. n° 93, 11-12/1982, p. 13).<br />

Mais locuteur béarnais depuis l’enfance, inspecteur départemental chargé des langues régionales,<br />

il était particulièrement préparé à comprendre un autre parler roman, et peut-être aussi ses<br />

interlocuteurs tarnais, s’il s’agissait d’enseignants d’occitan.<br />

En tout cas, plus près de nous, un sympathique « saltimbanque » — il se qualifie ainsi luimême<br />

— le chanteur français bien connu Marcel Amont, à qui il arrive aussi de chanter en béarnais,<br />

rejoint étonnamment les Pr. Lodge et Guillaumie quant à la douteuse “intercompréhension”<br />

entre locuteurs de Bayonne à Nice; voulant se documenter sur la langue de ses pères, le gascon<br />

d’Aspe, auprès de « ceux qui sont censés en savoir plus long », il a surtout interviewé deux occitanistes<br />

avérés, M. Grosclaude et J. Salles-Loustau, pour qui le gascon s’intègre à l’occitan; mais ils<br />

ne l’ont pas du tout convaincu (2001, p. 155) :<br />

« Mais moi je continue à constater qu’AUJOURD’HUI, quoi qu’on en dise, si je<br />

parle ou chante en béarnais au pays de Mistral, devant des Carcassonnais ou même des


Jean <strong>Lafitte</strong> 20 La langue gasconne<br />

Toulousains, plus proches géographiquement, je ne serai pas compris de la plupart des autochtones,<br />

sauf des spécialistes, tout au moins de ceux qui ont un peu étudié la question. »<br />

Mais ce sont des linguistes qui auront ici le dernier mot : en démontrant que les sept traits<br />

spécifiques qui caractérisent le gascon depuis Luchaire étaient déjà acquis autour de l’an 600, donc<br />

avant ce que le premier appelle l’émergence de l’occitan, le Pr. Jean-Pierre Chambon et Y.<br />

Greub (2002) ont établi, semble-t-il définitivement, que<br />

« le gascon n’a pu se détacher d’un ensemble linguistique qui n’existait pas — ou, si<br />

l’on préfère, qui n’existait pas encore — au moment où il était lui-même constitué. Il ne<br />

peut par conséquent être considéré comme un dialecte ou une variété d’occitan au sens<br />

génétique de ces termes («forme idiomatique évoluée de»). Du point de vue génétique, le<br />

(proto)gascon est à définir comme une langue romane autonome ».<br />

Certes, dans son Introduction à la linguistique occitane (2003), J.-P. Chambon ne parle plus<br />

que de langue occitane; mais en affirmant qu’elle est « une langue dialectale [qui] se réalise concrètement<br />

et dès les débuts de son histoire, sous la forme de variétés géographiques (ou diatopiques)<br />

bien marquées » (p. 3), il aboutit au même résultat pratique qu’en admettant une pluralité de<br />

langues plus ou moins apparentées. Il vient en effet d’insister (p. 3) :<br />

« Il N’existe donc PAS (malgré les efforts de certains militants dans ce sens) de<br />

variété standard qui soit reconnue comme telle de manière unanime par la communauté<br />

linguistique et possédant de ce fait une existence sociale réelle. Au Moyen Âge, il N’a<br />

PAS existé davantage de koinè occitane (variété commune au-dessus des variétés géographiques<br />

régionales ou locales). Il N’existe PAS non plus — plus modestement — une<br />

variété qui soit reconnue comme plus prestigieuse que les autres par les usagers. »<br />

Et sur l’“intercompréhension”, il a confirmé ce que j’ai rapporté plus haut (ib.) :<br />

« Bien qu’on ne dispose que de peu de données à ce sujet, l’intercompréhension est<br />

sans doute difficile entre locuteurs de Gascogne, du Limousin ou de Provence (lesquels, du<br />

reste, s’ils se rencontrent, ne communiquent plus en occitan...). »<br />

Pour finalement faire une large place à la situation “à part” du gascon (p. 4) :<br />

« 7/ L’unité de l’objet de la linguistique occitane est problématique - On a souligné<br />

plus haut […] le fort degré de variation diatopique qui caractérise la langue occitane. Mais<br />

il y a plus : un vaste ensemble de parlers, le gascon, présente des caractéristiques si<br />

fortement divergentes et surtout si anciennes que tous les linguistes romanistes s’accordent<br />

pour dire que le gascon, presque toujours considéré comme une des grandes variétés dialectales<br />

de l’occitan, pourrait être considéré comme une langue spécifique (au sens génétique<br />

du mot ’langue’, qui permet de dire, par exemple, que le francoprovençal est une langue<br />

romane autonome). D’autre part, au contraire du gascon, les autres parlers occitans ne<br />

présentent aucune innovation majeure à la fois ancienne et commune : il est donc difficile,<br />

voire impossible, de dire qu’il constituent une ‘langue’ au sens génétique de ce terme. »<br />

Derrière ces avis : la distance linguistique en schéma et statistique<br />

Il est difficile de mettre en doute des témoignages aussi concourants de la part de maitres<br />

incontestés de la linguistique, romane notamment. Mais s’agissant là d’avis synthétisant une pensée<br />

formée par des travaux multiples, on peut légitimement souhaiter en avoir quelque justification<br />

concrète. C’est ce que j’ai essayé, pour moi-même comme pour les lecteurs de Ligam-DiGaM.<br />

Par le schéma ci-dessous, je synthétise les comparaisons phonétiques, morphologiques et<br />

syntaxiques du tableau de l’Annexe III tiré de ma brochure Le gascon, langue à part entière…,<br />

comparaisons qui prolongent celles entre languedocien et « langues et dialectes qui l’entourent » de<br />

la Gramatica d’Alibert.


Jean <strong>Lafitte</strong> 21 La langue gasconne<br />

Chacun des traits qui réunissent deux à deux le gascon, l’“occitan” (représenté par le languedocien<br />

“standard”) et le catalan symbolise un “trait” linguistique. Sept de ces traits sont différents<br />

dans les trois langues; pour les autres, on voit que le gascon n’en a que huit communs avec<br />

l’“occitan”, mais douze avec le catalan, qui en a autant avec l’“occitan”, ce qui explique bien les<br />

avis des linguistes.<br />

O<br />

G C<br />

Par ailleurs, mon expérience personnelle m’avait conduit à douter de l’affirmation suivante :<br />

« Le lexique gascon est à peu près le même, dans son ensemble, que celui de tout le<br />

gallo-roman méridional. Mais ce dialecte possède en plus un nombre assez important de<br />

mots dont ni le latin ni le gaulois ne rendent compte. » (P. Bec, La langue occitane, p. 50).<br />

Pour en avoir le cœur net et en attendant une étude plus vaste, j’ai donc effectué un sondage<br />

sur le lexique, sondage réalisé en rapprochant trois pages tirées au sort dans le Dictionnaire<br />

d’Alibert et les portions correspondantes du Dictionnaire de Simin Palay (détails et exemple en<br />

Annexe IV). Certes, l’échantillon n’est que 0,5 %, mais à la même échelle, un sondage de la<br />

SOFRES devrait s’appuyer sur plus de 300 000 Français ! Nous prendrons donc ces résultats avec<br />

prudence, tout en considérant qu’ils sont un bon indicateur de tendance.<br />

Identiques Peu différents “Faux amis” Sans équivalent<br />

61,7%<br />

20,8%<br />

10,8%<br />

6,7%<br />

73,7%<br />

14,3%<br />

Alibert (269 mots) Palay (391 mots)<br />

7,4%<br />

4,6%


Jean <strong>Lafitte</strong> 22 La langue gasconne<br />

Voici comment sont définies les quatre catégories de mots présentés :<br />

– identiques (ou ayant au moins une variante identique) et ayant au moins une acception identique;<br />

– peu différents (ex. archiprèire/arquiprèstre, ardit/hardit…), et ayant au moins une acception<br />

identique;<br />

– “faux amis”, identiques mais d’acception totalement différente;<br />

– sans équivalent dans l’autre dictionnaire.<br />

Pratiquement, donc, dès que nous sortons du vocabulaire abstrait commun aux langues modernes,<br />

c’est plus de 78 % des mots gascons que l’“Occitan” ne trouvera pas chez Alibert, et plus<br />

de 68 % des mots “occitans” que le <strong>Gascon</strong> ne trouvera pas chez Palay, avec encore le risque de se<br />

fourvoyer sur des faux amis ! Un seul exemple concret, le titre d’un “album-disque” en “occitan”<br />

dont je reçus fin 2000 l’appel à souscription, Lo pastre, lo caramèl e la sèrp : sur trois substantifs,<br />

le gascon ne connait que sèrp; il traduit les deux autres par pastou et calamèth ou calumèth. Et cela,<br />

sans compter les particularités des mots grammaticaux, des paradigmes verbaux et de la syntaxe…<br />

La réalité des actions linguistiques<br />

On ne sera donc pas étonné de constater que chaque fois qu’il a fallu agir effectivement sur le<br />

catalan, l’occitan et le gascon, on a été obligé de les traiter séparément :<br />

• tandis que leurs grands intellectuels proclamaient solennellement que leur langue n’était pas<br />

un dialecte de l’occitan (Manifest de Mai 1934 évoqué p. 19), les Catalans ont fait leurs choix<br />

linguistiques et orthographiques sans se soucier de l’occitan;<br />

• malgré son admiration pour les Catalans, Alibert établit lui-même ses normes orthographiques<br />

de l’occitan en rejetant explicitement des solutions qu’il jugeait trop spécifiquement catalanes;<br />

• et quand, en 1950, il eut publié ces normes orthographiques en français, il s’empressa<br />

d’établir un document distinct et parallèle pour le gascon, dument approuvé par l’I.E.O. (1952);<br />

• enfin, quand il s’agit de définir les orientations de l’I.E.O. pour établir un « occitan de<br />

référence », si le rapport de P. Bec de 1972 mentionnait le gascon, c’était pour ajouter aussitôt<br />

« que nous laisserons à part ».<br />

Or P. Sauzet (1990, p. 45) voyait dans ce texte de P. Bec un « article décisif »; c’est donc<br />

logiquement qu’il a écarté le gascon de « la langue occitane » objet du GIDILOc qu’il venait de<br />

créer (voir p. 6), et que, dans son article La lenga foncciona (1996), il ne mentionne pas le gascon,<br />

ni DiGaM parmi « les lieux divers où l’on travaille sur la langue et avec la langue ». De même,<br />

dans un article Pron de la mòrt ! (2000), sa collaboratrice Josiane Ubaud n’y fait pas la moindre<br />

allusion : en citant d’abord Alibert comme base du futur Diccionari ortografic du GIDILOc<br />

(« Alibert + Mistral + lexique contemporain »), elle laisse supposer une focalisation sur l’“occitan”,<br />

languedocien surtout, alors que l’accent mis sur Mistral aurait supposé l’inclusion du gascon et la<br />

primauté du provençal; en outre, le rejet des particularismes (aveyronnais, gardois, audois,<br />

provençal marseillais etc.) ne laisse de place au gascon que dans l’« etc. ».<br />

Le gascon n’est pas séparatiste, ce sont les “Occitans” qui l’écartent depuis au moins les Leys<br />

d’amor du XIV e siècle (cf. p. 36), car telle est la nature des choses, linguistiquement parlant.<br />

Le témoignage des libraires<br />

Au demeurant, les libraires des pays d’oc savent cela depuis longtemps, eux qui vendent bien<br />

peu de livres occitans dans les terres gasconnes et presque aucun livre gascon en dehors d’elles. Je


Jean <strong>Lafitte</strong> 23 La langue gasconne<br />

n’en donnerai qu’un témoignage, le rapport de Jean Jaurion et Serge Viaules, chargés du “Secteur<br />

Diffusion” de l’I.E.O., en vue de l’assemblée générale des 3 et 4 novembre 1984 :<br />

« En fait, un petit nombre de livres de la collection Pròsa gascona suffit au Secteur<br />

Diffusion pour répondre à une demande assez faible (estequida = “épuisée, étique,<br />

chétive”), étant donné que le gros des commandes se fait par l’intermédiaire de Per Noste<br />

[…]. Il vaudrait mieux, à notre avis, que ces livres fussent principalement dans les dépôts<br />

des Cercles locaux de Gascogne. Pour qu’un livre se vende il faut qu’il soit vu par un<br />

public potentiellement intéressé. » (Occitans !, supp. au n° 13, p. 35).<br />

Ce n’est là pourtant que la conséquence “commerciale” d’une réalité sociolinguistique qui<br />

sera étudiée plus spécialement au chapitre suivant, pp. 35 sqq.<br />

L’autonomie du gascon, un obstacle pour l’expansion occitaniste<br />

Mais voilà que la spécificité linguistique du gascon et la conscience qu’en ont ses locuteurs<br />

sont un sérieux obstacle sur la route des occitanistes les plus engagés vers un « occitan standard »,<br />

unique pour toute l’“Occitanie”. Certes, ce but n’a jamais figuré dans les statuts de l’I.E.O., inchangés<br />

depuis 1946 (cf. p. 78), mais il est inexact d’écrire « À l’heure actuelle, le but de créer un occitan<br />

moyen ne figure plus au programme de l’I.E.O. » (P. Boschung et M. Frick, 1985, p. 154) car le<br />

rapport d’orientation vers une langue de référence de 1972 n’a jamais été désavoué, encore qu’il<br />

laissât le gascon en dehors de son champ d’action (cf. pp. 13 et 15). Et la marche vers la langue<br />

unique reste une tendance forte de l’occitanisme languedocien, avec l’aide de quelques supplétifs<br />

dont la langue maternelle était autre, soit le provençal pour le Nîmois Robert Lafont ou le gascon<br />

pour le Lomagnol Jacques Taupiac.<br />

En pratique, ce que l’on appelle souvent le centralisme ou le jacobinisme languedocien se traduit<br />

par l’usage fréquent du mot « occitan » sans autre précision pour désigner la langue et les ouvrages<br />

languedociens. Ainsi la méthode L’occitan lèu lèu e plan (infra, p. 42); ou encore le lapsus<br />

d’une occitaniste au Colloque Albert Dauzat de Thiers, le 7 novembre 1998 : « Excusez-moi de ne<br />

pas parler en auvergnat, je vais le faire en occitan… Pardon ! en languedocien ». Et quand un lecteur<br />

italien demande à la revue très modérée Lo Gai Saber de lui indiquer des titres de dictionnaires<br />

occitan-français, à part le Trésor du Félibrige de Mistral qui reste « l’ouvrage le plus riche », ne<br />

sont donnés que des ouvrages sur le languedocien (Lo Gai Saber, n° 481, 2001, p. 95).<br />

Et dans les faits, la pression demeure; ainsi ce témoignage oral, soigneusement noté, du président<br />

de l’I.E.O.-Paris de l’époque, Jean-François Blanc, le 20 février 1999 :<br />

« L’autre jour, je me suis heurté avec un de ces occitanistes qui ont une croix occitane<br />

à la place du cerveau. Comme je parlais gascon qu’il ne comprend pas et n’essaie pas<br />

de comprendre, il me l’a reproché en me disant que tous les vrais Occitans devraient faire<br />

l’effort de parler occitan. »<br />

…c’est à dire languedocien comme lui.<br />

Peu après, le 19 avril, l’<strong>Institut</strong> occitan de Pau lance un appel au secours, ses finances étant<br />

mal en point; en quelles langues ? en occitan standard (languedocien) et, pour être sûr d’être compris,<br />

en français; pas un mot en « occitan de Gascogne » ou « de Béarn » ! d’ailleurs, tout ce que<br />

j’en ai reçu au titre de sa “communication” générale est en occitan standard (et en français) : vœux<br />

du Président en début d’année, carton de présentation de l’<strong>Institut</strong>, lettre circulaire du 24 juillet<br />

2000 sur un Annuaire de la culture occitane etc.<br />

L’année suivante, le mensuel occitaniste de Provence Aquò d’Aquí présentait ainsi un long


Jean <strong>Lafitte</strong> 24 La langue gasconne<br />

article du même R. Lafont écrit en languedocien (alors que sa langue propre est le provençal) : « Le<br />

message adressé aux Provençaux par le plus grand écrivain provençal vivant est en occitan<br />

“futuriste”, c’est-à-dire en languedocien : une page se tourne ! » (n° 146, Juin 2001). Certes,<br />

dans le numéro suivant, on répondait aux protestations des lecteurs (surtout Provençaux) en disant<br />

que c’était une plaisanterie à lire au second degré. Mais cela allait tellement dans le sens des idées<br />

du “maitre” que l’on peut douter de la vérité de la qualification de « plaisanterie »…<br />

Le refus occitaniste<br />

Si donc des “provinces satellites” du domaine languedocien s’avisent qu’elles ne parlent pas<br />

“occitan” et ne veulent entendre parler ni d’“occitan standard” ni d’“Occitanie”, c’en est fait de<br />

tous ces beaux plans sur l’avenir. Aussi faudra-t-il contrer ces tendances centrifuges, et donc<br />

combattre toute opinion linguistique qui pourrait les soutenir. Pour le gascon en particulier, on aura<br />

définitivement oublié ce que le Pr. P. Bec exposait dans son rapport de 1972 comme une évidence<br />

(« on le sait ») et qu’une assemblée générale de l’I.E.O. approuvait sans broncher.<br />

Le linguiste occitaniste va ainsi se trouver dans la « situation de porosité ou de coalescence,<br />

voire d’identification déclarée entre le champ militant et le champ scientifique » (J.-P. Chambon,<br />

2003, p. 5), situation qui fait obstacle en fait à la liberté du chercheur, notamment sur la place du<br />

gascon :<br />

« si, dans le cas du gascon […], tous les linguistes reconnaissent que celui[-ci]<br />

pourrait être considéré comme une langue indépendante, alors que très peu d’entre eux le<br />

comptent effectivement comme langue indépendante, c’est qu’en réalité la main invisible<br />

du renaissantisme a tranché le débat […]. » (ib.).<br />

J’illustrerai cet avis par quatre témoignages.<br />

Le premier est celui d’Henri Giordan, dans un article Occitan vs Langues d’oc, Culture<br />

subalterne et culture dominante paru dans les Annals de l’I.E.O. de 1977. Le monde occitaniste<br />

était alors en émoi parce que la Circulaire “Haby” du 29 mars 1976 avait usé de l’expression<br />

langues d’oc au lieu de langue occitane (voir pp. 29 et 32); mais faute d’arguments linguistiques<br />

décisifs et encore moins de l’adhésion des intéressés eux-mêmes — à l’époque, essentiellement des<br />

Provençaux de la mouvance félibréenne — H. Giordan plaçait résolument (et honnêtement) le<br />

problème sur le terrain de la lutte des classes :<br />

« Surtout en Provence, les organisations félibréennes constituent des regroupement<br />

d’intellectuels qui sont spécifiques à la culture occitane : ces groupes existent encore de<br />

nos jours car ils répondent à une fonction, justement subalterne, de l’hégémonie bourgeoise,<br />

celle d’orienter de l’intérieur une culture minoritaire vers les valeurs bourgeoises. […]<br />

« Les langues autres que le français […], l’occitan comme le breton, le corse, etc…,<br />

sont un élément de la culture d’une partie des classes subalternes de notre pays et la façon<br />

de les traiter peut mettre en évidence leur fonction narcotique ou, au contraire, ouvrir la<br />

voie à leur utilisation dans le travail en cours pour l’invention d’une nouvelle culture intégrant<br />

la culture des classes subalternes.<br />

« […] Ce n’est pas, en effet, parce que des linguistes ont défini des critères unissant<br />

les dialectes d’oc dans un ensemble unitaire, l’occitan, […] que la référence à d’éventuelles<br />

langues d’oc est nulle et non recevable. À ce compte-là, la revendication culturelle corse<br />

serait à renvoyer aux poubelles d’une histoire dirigée par les linguistes. Donner la préférence<br />

à une vision des choses qui privilégie les facteurs d’unité par rapport aux facteurs<br />

d’opposition est un choix imposé par la volonté de substituer un discours construisant une<br />

culture alternative en France à un discours dont le rôle est de maintenir en place la culture<br />

hégémonique de la bourgeoisie dans ce pays. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 25 La langue gasconne<br />

Le second témoignage vient d’un “majoral” du Félibrige, Jean Monestier (1930-1992),<br />

restaurateur à Bordeaux et très engagé dans le Félibrige bordelais et périgourdin dont il présida les<br />

“écoles”, Jaufré Rudel à Bordeaux (voir plus loin, p. 77) et Lo Bornat à Périgueux. En 1980, le Pr.<br />

Robert Escarpit avait élaboré, dans le cadre de l’association Maine gascon {Domaine gascon}, un<br />

projet de Charte culturelle de la Gascogne à proposer aux autorités régionales d’Aquitaine. Mais<br />

craignant que cela ne marginalisât les autres langues d’oc d’Aquitaine, J. Monestier publia dans le<br />

Courrier français du 10 octobre un article Pour une Charte culturelle occitane :<br />

« […] Malgré le “vœu pieux” de soutenir les autres chartes culturelles occitanes. Il<br />

est bien évident que lorsque tous les crédits auront été absorbés par le domaine gascon,<br />

lorsque tout le temps d’antenne sera occupé : il ne restera rien pour les autres.<br />

« De plus, le concept de langue gasconne est dangereux et contraire du reste à la loi<br />

n° 51-46 du 11 Janvier 1951 (Loi Deixonne) qui ne parle avec juste raison que de Langue<br />

Occitane et d’ensemble culturel Occitano-Catalan.<br />

« Si nous acceptions la notion de langue gasconne, nous aurions demain la langue<br />

périgorde, la langue limousine ou la langue auvergnate, alors qu’il n’existe qu’une langue<br />

d’oc une, et diverse, ainsi que l’écrit fort justement le Majoral Fournier dans son ouvrage<br />

Mon premier livre d’Oc.<br />

« Il serait impensable de parler des langues italiennes ou des langues françaises, alors<br />

repoussons tout ce qui peut prêter à une confusion aux buts inavouables : il n’y a pas des<br />

langues d’oc. »<br />

Per noste-Païs gascons qui reproduisait cet article (n° 83 de 3/4-1981, p. 15) le faisait précéder<br />

d’une “note de la rédaction” approbatrice, en gascon, qui s’achevait ainsi :<br />

« Personne ne s’étonne quand le Québec se lie au Français pour demander<br />

l’autonomie ou quand le général De Gaulle cria : “Vive le Québec ! le Québec… LIBRE !”<br />

mais le vieux centralisme jacobin crie au scandale quand nous affirmons l’unicité et l’unité<br />

possible du continent occitano-catalan dans une Europe des Ethnies. »<br />

D’emblée, J. Monestier affiche les enjeux : il y a concurrence entre les parlers d’oc, et s’il<br />

craint d’être marginalisé face au gascon, il compte bien inverser la tendance dans un grand ensemble<br />

d’oc. Mais sur la question linguistique proprement dite, aucun argument scientifique.<br />

À la place, une référence juridique, par l’invocation de la loi Deixonne sur laquelle je reviendrai<br />

plus loin, p. 31. Mais ici même, on doit observer que J. Monestier abuse le lecteur en faisant<br />

mention d’un « ensemble culturel Occitano-Catalan » qu’on chercherait en vain dans le texte de<br />

loi ! Bien au contraire, son article 10 énumère distinctement le « catalan » et « la langue occitane »;<br />

et l’article 11 de même, traite successivement de « la langue et de la littérature catalanes » (art. 11,<br />

c) et « de la langue, de la littérature, de l’histoire occitanes » (art. 11, d).<br />

Enfin, J. Monestier poursuit par des affirmations bien martelées, mais sans preuves, ceux qui<br />

seraient d’avis contraire ne pouvant poursuivre que des « buts inavouables ».<br />

La “note de la rédaction” de Per noste vient honnêtement confirmer ma lecture : la question<br />

est (géo)-politique, un point, c’est tout.<br />

C’est encore semble-t-il dans ce contexte de réaction au pluriel de “langues d’oc” que se place<br />

la présentation de la « Situation du parler de Béarn dans l’ensemble occitan », paragraphe signé<br />

par Michel Grosclaude aux pages 10-13 du Petit dictionnaire français-occitan (Béarn) publié sept<br />

ans plus tard, en 1984 (cf. pp. 43 et 159). Même force d’affirmation chez cet homme de foi<br />

protestante et de foi occitane que je présenterai plus longuement p. 40 :


Jean <strong>Lafitte</strong> 26 La langue gasconne<br />

« Il existe indiscutablement une langue occitane ou langue d’oc. Cette vérité est<br />

reconnue par tous les linguistes du monde : elle n’est contestée que par des détracteurs<br />

incompétents ou malveillants. […] Traditionnellement, on s’accorde à considérer qu’il y a<br />

quatre grands dialectes occitans : le gascon, le languedocien, le nord-occitan et le<br />

provençal. »<br />

En réalité, personne n’a jamais nié l’existence de la « langue d’oc »; mais il faut lire entre les<br />

lignes : c’est sur son unité, sur le « la », qu’il y a débat : tant qu’on en est resté au discours des Félibres<br />

qui exaltaient « la langue d’oc des Alpes aux Pyrénées » (Mistral) mais laissaient les grands<br />

“dialectes” se parler et s’écrire comme bon leur semblait, ce « la » unitaire ne gênait personne, et<br />

donnait même l’impression d’une grande force qu’on célébrait par discours, toasts et folklore dans<br />

les grandes réunions de printemps qu’étaient les fêtes de Ste Estelle; mais du jour où l’occitanisme<br />

a montré son intention d’unifier tous les parlers du Midi en un “occitan standard” ou “référentiel”<br />

ou “fédéral” ou autre (multiples sont les qualificatifs, suivant les promoteurs) à base de languedocien,<br />

l’unité est apparue comme un nouveau danger pour tous les autres parlers d’oc. Autrement dit,<br />

la haie basse d’arbustes non épineux et de fleurs fait très joli entre bons voisins; mais quand l’un<br />

d’eux prend ses aises et empiète délibérément chez l’autre, le mur de béton ne tarde pas à s’élever,<br />

tandis que le voisin envahissant essaie de se donner le beau rôle en en dénonçant la laideur.<br />

Ceci dit, pour M. Grosclaude, « indiscutablement », « vérité […] reconnue », excluent toute<br />

discussion; « par tous les linguistes du monde », le dispense d’en nommer un seul; et bien sûr, la<br />

contester ne peut être l’affaire que de « détracteurs incompétents ou malveillants ». Procéder ainsi,<br />

y compris par des termes injurieux à l’encontre de ceux qui ne partagent pas les idées occitanistes,<br />

rappelle fâcheusement ce qu’un autre occitaniste reprochait au Front national de J.-M. Le Pen :<br />

« [ce] discours […] n’a pas peur d’affirmer sans démontrer, de montrer le coupable<br />

comme une évidence, et ainsi de donner le sentiment que les choses sont simples. […]<br />

l’imprécation au lieu du discours ou de la discussion, le rejet au lieu du respect de la<br />

différence, la violence au lieu de la parole, montrent un fonctionnement bâti sur l’illusion<br />

[…]. » (J.-P. Darrigrand, psychologue, président de Per noste, 2002, pp. 11 et 12).<br />

En fait, on est dans le dogme, pas dans la réflexion scientifique. Et l’on peut sans doute imputer<br />

à ce climat irrationnel l’étonnante contradiction qu’une lecture attentive a tôt fait de découvrir<br />

entre les propos ci-dessus rapportés de M. Grosclaude, en p. 10 du Petit dictionnaire français-occitan<br />

(Béarn), et la justification de ce titre en p. 9, dans la Présentation du dictionnaire signée par les<br />

deux associations éditrices, La Civada et Per Noste. Comme je le montrerai p. 43, en écrivant<br />

« l’occitan du Béarn est un occitan à part entière et non pas une variante plus ou moins marginale »,<br />

les auteurs sous-entendent qu’il y a plusieurs occitans, donc plusieurs langues d’oc.<br />

Pourtant, c’est au nom de la science que deux ans plus tard, en 1986, l’Introduction de La<br />

langue béarnaise et son histoire - Étude sur l’évolution de l’occitan du Béarn sera la tribune de M.<br />

Grosclaude pour condamner l’expression « langue béarnaise » dont il use dans le titre :<br />

« Si je m’étais exprimé autrement, j’aurais couru le risque de ne pas être compris de<br />

certains lecteurs éventuels qui sont justement ceux à qui principalement ce travail s’adresse.<br />

Qu’ils sachent donc désormais que seul le sous-titre ÉTUDES SUR L’ÉVOLUTION<br />

DE L’OCCITAN DU BÉARN est correct scientifiquement. »<br />

En clair, « langue béarnaise » dans le titre, c’est le parfum de miel dans la glu du papier<br />

attrape-mouches d’autrefois. Au demeurant, cette Introduction est tellement caractéristique du discours<br />

de cet occitaniste que j’estime indispensable de la reproduire en Annexe V. Elle mêle comme<br />

souvent l’exposé de faits incontestables et des contre-vérités affirmées avec force, ce qui n’est guère<br />

scientifique ni respectueux du lecteur, mais là n’est pas la question, il faut répandre une religion.


Jean <strong>Lafitte</strong> 27 La langue gasconne<br />

Ainsi, en écrivant « en toute correction scientifique, le béarnais n’est pas une langue, mais un<br />

sous-dialecte du gascon qui est à son tour un dialecte occitan », l’auteur contredit l’affirmation<br />

précédente « l’occitan du Béarn est un occitan à part entière et non pas une variante plus ou moins<br />

marginale ».<br />

De même, dans l’approche de la notion de langue, l’auteur fait intervenir les éléments linguistiques<br />

intrinsèques et la « psychologie » des locuteurs, autrement dit la fameuse intercompréhension.<br />

Or sur les premiers, il se garde bien de se souvenir qu’Alibert lui-même traitait le catalan et le<br />

gascon comme des langues qui “entouraient” le languedocien (cf. p. 14 ci-dessus) juste avant d’énumérer<br />

les traits phonétiques qui rapprochaient ou distinguaient ces divers idiomes. Et de l’intercompréhension,<br />

il ne donne aucune preuve, alors qu’à peine trois ans avant, lors du Colloque Arnaud de<br />

Salette de 1983 (cf. p. 107), il doutait publiquement de l’intercompréhension entre <strong>Béarnais</strong> :<br />

« Le Psautier est écrit dans la langue de la plaine, comment les habitants des vallées<br />

pyrénéennes pouvaient-ils le comprendre ? » (Darrigrand, 1983-1, p. 154).<br />

C’est d’ailleurs en insistant sur les différences entre parlers du Béarn, souvent plus fortes<br />

qu’entre les parlers du nord et ceux du reste de la Gascogne, que M. Grosclaude est le plus crédible.<br />

Il l’est aussi quand il reconnait que dire « langue béarnaise » est<br />

« une habitude de parler courante en Béarn, habitude qui relève (je l’accorde) d’une<br />

sorte de nationalisme béarnais latent mais toujours vivant. Les <strong>Béarnais</strong> sont habitués à<br />

dire que leur parler est une langue. C’est ainsi. »<br />

Mais cela, c’est justement l’aspect sociolinguistique de l’identification des « langues », aspect<br />

que M. Grosclaude semble totalement ignorer ou traiter comme complètement négligeable. Il ne<br />

retient que l’existence d’un état qui puisse caractériser une langue et notamment la distinguer des<br />

voisines par une graphie propre…; or l’état béarnais n’a pas perduré, il n’y a donc pas de « langue<br />

béarnaise ». C.Q.F.D.<br />

Étonnamment, ces affirmations seront pulvérisées par les propos de R. Lafont sur la Corse et<br />

sa langue, propos sur lequel nous reviendrons en conclusion de ce chapitre, p. 34.<br />

Avec le quatrième témoignage, nous revenons à plus de rationalité. Comme Robert Lafont qui<br />

fut « un militant de la langue d’oc avant que de devenir sociolinguiste » (Chambon, 2003, p. 4),<br />

Jean Sibille a été connu comme membre de l’I.E.O.-Paris dont il est toujours président avant de<br />

publier divers travaux comme spécialiste des langues régionales et notamment de l’“occitan” (cf.<br />

Bibliographie). Il dirigeait Estudis occitans quand parut ma brochure Le gascon, langue à part entière<br />

(1996); cela suscita des échanges courtois dans cette revue, dont un premier article de J. Sibille, Lo<br />

gascon dialècte occitan o lenga a part entièra : es que la question a un sens (1996); l’auteur y<br />

exprime un avis nuancé tout à fait défendable pour qui ignore l’aspect « génétique » exposé depuis<br />

par J.-P. Chambon et encore plus les contraintes de l’efficacité que nous dicteront les observations<br />

sociolinguistiques :<br />

« vu que l’intercompréhension ne peut pas être un critère objectif, il n’y a aucune<br />

raison de dire que le gascon est ou n’est pas un dialecte de l’occitan. Dire que le gascon<br />

n’est pas un dialecte occitan est une prise de position idéologique, dire le contraire en est<br />

une aussi. Et de même pour le catalan ».<br />

Puis un second article <strong>Gascon</strong>, occitan : per n’acabar [pour en finir] (1997); à défaut de<br />

critère linguistique non contestable, J. Sibille se réfère à l’existence d’une « civilisation occitane »


Jean <strong>Lafitte</strong> 28 La langue gasconne<br />

(supposée différente de celle des autres citoyens de l’hexagone) à laquelle il croit et clôt le débat<br />

par cette phrase lapidaire :<br />

« LO GASCON ES UN DIALECTE OCCITAN PERQUÉ LOS GASCONS SON OCCITANS »<br />

On est donc hors du domaine de la science, c’est celui de la foi en une civilisation<br />

particulière, probablement encore plus difficile à distinguer d’une autre qu’une langue de sa<br />

voisine. La discussion n’est donc plus possible, mais au moins, on sait pourquoi.<br />

Pourtant, c’est au nom de la science, mais sans davantage de preuves, que Jean Sibille devait<br />

stigmatiser la pluralité des langues d’oc dans sa contribution à l’ouvrage collectif Les langues de<br />

France publié en 2003, p. 179 :<br />

« L'emploi du terme langues d’oc (au pluriel) est relativement nouveau et très<br />

minoritaire, mais il tend à être mis en avant par des minorités agissantes ou des individus<br />

isolés qui, pour des raisons plus idéologiques que scientifiques, voudraient voir reconnaître<br />

autant de langues que de régions ou anciennes provinces. »<br />

Évidemment, le « relativement nouveau » montre les limites — excusables, certes — des<br />

lectures de l’auteur, puisque, en se limitant au domaine gascon, l’expression critiquée se lit à la une<br />

des Reclams de Biarn e Gascougne de Juin 1906 : sous le titre Un bel exemple, le Majoral Jean-<br />

Victor Lalanne, secrétaire général de l’Escole Gastou Febus et son futur capdau {président} (1919-<br />

1923), fait l’éloge du Provençal Jules Ronjat qui vient de verser une cotisation à vie de 200 francs<br />

or; et d’ajouter « Avec la plus jolie facilité, il écrit et parle toutes les langues d’Oc…» (toutes las<br />

loéngues d’O). Par la suite, ce pluriel reviendra sans doute plus d’une fois chez les auteurs gascons.<br />

Par exemple, le professeur agrégé René Cuzacq (1950, pp. 5, 7, 11 etc.); ou encore chez les responsables<br />

de l’Escole; comme le capdau Denis Palu-Laboureu, professeur de lycée, dans son discours<br />

de l’assemblée générale du 1 er mai 1977 : « tous ceux qui travaillent à maintenir et faire fleurir le<br />

gascon et toutes les autres langues d’Oc. » (Reclams, 7/8-1977, p. 101); et l’année suivante, à la<br />

Ste-Estelle d’Avignon, Micheline Turon, “reine” du Félibrige, achève son toast par ces mots : « je<br />

lève [la Coupe Sante] au Félibrige et à la vie des langues d’Oc. » (Reclams, 9/10-1978, p. 133). En<br />

1985, enfin, ces mêmes Reclams, dirigés par Jean Salles-Loustau, publiaient dans leur n° 3/4-1985,<br />

p. 45, une intéressante étude de R. Saint-Guilhem, L’influence du français sur le gascon, qui<br />

s’ouvrait par ces mots : « La langue gasconne appartient au groupe des langues d’oc » 2 .<br />

Hors du domaine gascon et même du domaine d’oc et de ses divisions, on peut aussi citer un<br />

manuel d’enseignement comme l’Initiation au latin 5e de MM. Cousteix, Hinard et Weinberg<br />

(Paris, SOCODEL, 1975) : p. 56, il mentionne parmi les langues romanes « les langues d’oc ou<br />

langues occitanes » parallèlement aux « langues d’oil », et ses auteurs sont si peu hostiles à<br />

l’occitanisme qu’ils donnent en exemples des mots provençaux notés en graphie occitane unifiée…<br />

Et bien “au-dessus” de ces pédagogues de terrain, c’est le linguiste Claude Hagège, professeur au<br />

Collège de France, qui parle de « langues d’oc » dans la conférence donnée à Thiers le soir du 5<br />

novembre 1998, dans le cadre du colloque Albert Dauzat (La Montagne du 7, p. 9); les<br />

protestations des organisateurs ne le font pas changer de langage.<br />

Mais surtout, Jean Sibille passe totalement sous silence l’usage de l’expression « les langues<br />

2 Il est vrai que dans le numéro suivant (5/6-1985, p. 95), on trouvait la « Reaccion » d’un certain Pèire Baile qui considérait<br />

la publication de cet article comme « une honte pour une revue littéraire gasconne » et y voyait « les réflexions<br />

profondes d’un analphabète ». Le ton et l’absence totale de démonstration suffisent à juger cette « Reaccion ».<br />

Mais un troisième numéro (7/8/9/10-1985, p. 154) allait publier « avec le plus grand plaisir » un complément que R.<br />

Saint-Guilhem avait adressé à la revue, et «les langues d’oc » y étaient encore mentionnées.


Jean <strong>Lafitte</strong> 29 La langue gasconne<br />

d’oc » dans Circulaire “Haby” du 29 mars 1976 déjà évoquée p. 24, et encore plus le rejet par le<br />

Conseil d’État de la requête en annulation dirigée contre elle (détail, p. 32). Or c’est lui et Michel<br />

Alessio qui, comme fonctionnaires sous les ordres de Bernard Cerquiglini, Délégué général pour la<br />

langue française et les langues de France, ont réuni les textes de l’ouvrage collectif en cause. Que<br />

peut signifier un tel silence dans un ouvrage officiel ?<br />

Que signifie encore, de la part d’un fonctionnaire censé œuvrer pour la protection des langues<br />

« minoritaires », le fait qu’il déprécie une opinion parce que « très minoritaire » (Galilée ne l’étaitil<br />

pas aussi ?) ou mise en avant par des « minorités » (mais l’occitanisme, n’est-il pas une<br />

« minorité agissante » qui sait bien placer ses partisans dans l’appareil de l’État ?)<br />

Enfin, pour le caractère « scientifique » du singulier « langue d’oc », on se reportera au texte<br />

de Charles de Lespinay cité au paragraphe suivant…<br />

Mais ces quatre opinions émanent de non-<strong>Gascon</strong>s, même si M. Grosclaude a servi la langue<br />

gasconne et béarnaise avec une loyauté exemplaire. Or on verra plus loin, p. 43, que les occitanistes<br />

gascons refusent tout amoindrissement de leur “dialecte” en face d’un occitan standard menaçant.<br />

Refus curieusement repris dans le rapport du Pr. Bernard Cerquiglini de 1999<br />

Il faut rappeler ici qu’en prévision de la ratification de la Charte européenne des langues<br />

régionales ou minoritaires, les ministres de l’Éducation nationale (Claude Allègre) et de la Culture<br />

(Catherine Trautmann) avaient chargé le Pr. Bernard Cerquiglini, alors Directeur de l’<strong>Institut</strong> national<br />

de la langue française, de dresser la liste des langues de France (lettre du 23 décembre 1998).<br />

Son rapport fut rendu public en avril 1999; comme la Charte exclut de son champ d’application les<br />

« dialectes de la langue officielle », le Rapporteur montre par un bref rappel de l’émergence du<br />

français que l’écart qui n’a cessé de se creuser entre lui et les autres variétés de la langue d’oïl ne<br />

permet plus de considérer celles-ci comme des « dialectes du français »; on doit donc opérer entre<br />

elles et le français une « disjonction » et retenir chacune comme langue régionale de la France; il<br />

est vrai que, sans s’en expliquer, H. Giordan avait déjà admis la pluralité des langues d’oïl (1982, p.<br />

56). Mais pour B. Cerquiglini, leur situation s’oppose<br />

« à la situation que montre l’occitan. Celle-ci pourrait être qualifiée de conjonction,<br />

l’occitan étant la somme de ses variétés. L’unité linguistique est en effet fort nette, même<br />

si une diversité interne est perceptible. Cinq grands ensembles au moins sont repérables :<br />

gascon, languedocien, provençal, auvergnat-limousin et alpin-dauphinois. Des<br />

subdivisions plus fines sont possibles (vivaro-alpin ? nissard ?); elles relèvent toutefois<br />

moins de la linguistique que de la géographie, voire de la politique. » (p. 10).<br />

Ainsi rédigé, ce passage laissait entendre que si les subdivisions des « grands ensembles »<br />

pouvaient relever de la politique, la « conjonction » mentionnée résultait d’une constatation<br />

scientifique, selon ce qu’on était en droit d’attendre de l’auteur, linguiste et membre du Centre<br />

national de la recherche scientifique.<br />

Or une consultation du site internet de la D.G.L.F. faite le 5 janvier 2003 me fit découvrir une<br />

présentation générale des « Langues régionales et “trans-régionales” de France » par un texte de<br />

Charles de Lespinay, daté du 20 janvier 1999. Et dans ce texte, le seul du site qui fût signé et daté,<br />

on lisait cette déclaration d’une honnêteté exemplaire :<br />

« Le fait que l’on parle aujourd’hui de langues d’oïl (au pluriel) et de dialectes d’oc,<br />

mais de langue occitane (au singulier), est un choix politique et non scientifique,<br />

répondant aux enjeux du moment. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 30 La langue gasconne<br />

Comme ce texte est antérieur à la publication du rapport de M. Cerquiglini, mais contemporain<br />

de sa rédaction hâtive (la lettre des ministres souhaitait obtenir ce rapport avant le 31 janvier !),<br />

il y a tout lieu de supposer qu’il a inspiré la conclusion du Rapporteur sur ce point, essentiel pour<br />

l’ensemble linguistique le plus important de France après le français.<br />

Quels étaient donc les « enjeux du moment » auxquels était censé répondre ce « choix politique<br />

et non scientifique » ? On ne peut faire que des conjectures sur ce point, ce dont ne s’est pas<br />

privé l’écrivain Pierre Pessemesse, dont l’engagement occitaniste ne peut se satisfaire de ce qui parait<br />

pourtant consacrer les thèses occitanistes. Il le fait dans un truculent billet en provençal intitulé<br />

« Document ou provocation ? » publié par Lo Lugarn, organe du Parti nationaliste occitan (n° 73,<br />

Automne 2000, p. 8). Il stigmatise cette liste à laquelle il reproche d’abord de ne pas avoir distingué<br />

les langues métropolitaines, souvent dotées d’une écriture et d’une littérature depuis des siècles, des<br />

langues d’outre-mer, exclusivement orale jusqu’il y a peu; probablement parce que l’« occitan » lui<br />

parait un peu seul en face de soixante-quatorze autres « langues de France », dont vingt-huit pour la<br />

seule nouvelle-Calédonie, et autant de créoles que de territoires; puis, ignorant sans doute le précédent<br />

du rapport Giordan de 1982, Pierre Pessemesse poursuit :<br />

« La grande erreur a été de faire des dialectes de la langue d’oïl des langues à part<br />

entière (berrichon, poitevin, picard, morvandiau, etc.) alors que la langue d’oc est mentionnée<br />

correctement “occitan qui comprend les dialectes suivants…”. Cela pose une petite<br />

énigme car l’auteur du texte aurait dû ignorer également l’occitan et ne mentionner que le<br />

provençal, le gascon, le rouergat, etc… Moi, je fais l’hypothèse que dans les bureaux moquettés<br />

de la haute administration le linguiste de pacotille qui nous a fait cette bévue était<br />

“collègue” [au sens provençal d’ami] d’un de ses pairs, occitaniste de conviction et de carrière,<br />

et que celui-ci est judicieusement intervenu. Mais quand même, cet homme de l’ombre<br />

aurait dû nous corriger l’erreur des langues de la famille d’oïl. [Erreur qui va pousser<br />

les partisans de la pluralité des langues d’oc à demander un égal traitement.] En outre, je<br />

constate que depuis des mois que ce document extravagant et foufou est paru, il n’y aura<br />

pas une seule voix occitane pour le contester et le critiquer. Et à ce propos, je ferai une<br />

seconde hypothèse encore plus terrible que la première. Ne serait-ce pas l’un des nôtres<br />

l’auteur de la nomenclature ? »<br />

Plus mesuré mais aussi net, le linguiste occitaniste Fritz Peter Kirsch trouve cette liste grosse<br />

de « conséquences désastreuses » (Vers une histoire interculturelle de la littérature occitane, Oc, n°<br />

70-71-72, Prima - Estiu 2004, p. 105). Et sans nommer la liste, en ignorant aussi, semble-t-il, le<br />

précédent du rapport Giordan, le Pr. Patrick Sauzet en condamne le fond : « …la langue d’oïl (mais<br />

curieusement pas le français, alors que les deux termes sont supposés synonymes) est pluralisée en<br />

langues multiples (picard, angevin, morvandiau…) et en écho la pluralisation de la langue d’oc tente<br />

ceux que la prise en compte globale de l’espace occitan déroute, dépasse ou effraie. » (Compte<br />

rendu d’un ouvrage valencien, Nouvelle revue d’onomastique n° 43-44, 2004, p. 281).<br />

Quoi qu’il en soit, il est certain que le peu de temps dont disposait M. Cerquiglini l’a contraint<br />

à limiter ses consultations à l’avis des seuls « savants », à savoir douze personnalités, dont les<br />

directeurs de recherches au C.N.R.S. Mme Marie-Rose Simoni pour les langues d’oïl et M. Jean-<br />

Philippe Dalbera pour l’« occitan », plus M. Jean Salles-Loustau, en tant qu’inspecteur général de<br />

l’éducation nationale, chargé des langues régionales, mais qui est connu pour son engagement<br />

public et déterminé en faveur de l’occitan. Dommage qu’il n’ait pas eu le temps de consulter ces<br />

autres « savants » que sont les sociolinguistes, qui s’intéressent notamment à la représentation des<br />

langues dans l’esprit de leurs locuteurs.<br />

Du moins le texte de Ch. de Lespinay m’a permis une fois encore de constater que le rejet de


Jean <strong>Lafitte</strong> 31 La langue gasconne<br />

l’autonomie linguistique du gascon et plus généralement de la pluralité des langues d’oc ne<br />

s’appuie pas sur des données scientifiques. Et pour l’avenir, on ose espérer que les « choix<br />

politiques » de 1999 seront bientôt révisés selon la volonté affichée de M. Cerquiglini (2002) :<br />

« La volonté de la délégation générale à la langue française et aux langues de France,<br />

est de fonder les politiques linguistiques non pas sur des impressions, des sentiments, voire<br />

des ressentiments, mais sur des savoirs scientifiques et sur les pratiques linguistiques<br />

réelles. »<br />

De fait, hirondelle annonçant peut-être leur printemps, les langues d’oc étaient bel et bien<br />

détaillées dans la liste des langues de France placée en arrière-plan des documents diffusés par la<br />

Délégation générale avant et après les 1 ères Assises des langues de France du 4 octobre 2003.<br />

Le faux prétexte juridique<br />

De toute façon, on ne saurait reprocher au Pr. Cerquiglini de s’être retranché derrière le<br />

paravent de la légalité pour justifier « la langue occitane » par sa mention dans la loi Deixonne du<br />

11 janvier 1951. Mais on a pu voir que les occitanistes ont souvent combattu la thèse d’une pluralité<br />

des langues d’oc au nom de cette prétendue légalité.<br />

Comme en toute autre matière, pourtant, on ne peut manier les arguments de droit sans quelques<br />

connaissances juridiques. Il convient donc de rappeler que cette « loi relative à l’enseignement<br />

des langues et dialectes locaux », publiée au Journal officiel du 13 janvier 1951, p. 13, fut adoptée<br />

sous le régime de la Constitution de 1946 qui ne distinguait pas un domaine de la loi, réservé en<br />

principe au Législateur, c’est-à-dire au Parlement, et un domaine du règlement, réservé à l’Exécutif.<br />

La loi de 1951 contenait donc des dispositions d’exécution pratique que la Constitution de 1958<br />

placerait dans le domaine règlementaire, comme les dispositions transitoires de l’article 10 fixant à<br />

la rentrée suivante l’application des articles 2 à 9 « dans les zones d’influence du breton, du basque,<br />

du catalan et de la langue occitane ».<br />

Les circonstances qui conduisirent à l’adoption de cette loi nous ont été contées dans Lo Gai<br />

Saber (1951) par le <strong>Gascon</strong> Pierre-Louis Berthaud, qui fut le « Délégué général du Cartel de Défense<br />

des langues et dialectes régionaux de France » constitué en février 1950 à l’initiative du Dr. Max<br />

Rouquette, écrivain languedocien. P.-L. Berthaud, journaliste, était lui-même syndic général de la<br />

presse parlementaire et majoral du Félibrige; il est vrai qu’à l’époque, l’hégémonisme languedocien<br />

ne s’était pas encore manifesté.<br />

Selon cet acteur majeur de l’affaire, il faut en voir l’origine dans trois initiatives de députés,<br />

l’une en faveur du catalan, les deux autres du breton, auxquels se joignirent ensuite les Occitans.<br />

Cela devait aboutir, en juillet 1949, à la proposition de loi élaborée par le rapporteur des trois<br />

propositions initiales, le député de la Dordogne M. Deixonne. Mais l’hostilité que rencontrait cette<br />

proposition dans une partie agissante de l’opinion devait conduire ses promoteurs à manœuvrer<br />

auprès du ministre de l’Éducation pour qu’il acceptât que la proposition fût soumise à la procédure<br />

parlementaire de l’adoption sans débat, les « débats » s’étant déroulés préalablement au sein du ministère,<br />

entre militants et services administratifs. Le choix de l’expression « langue occitane » — on<br />

remarque que les autres langues sont désignées par leur seul nom — ne résulte donc donc pas véritablement<br />

d’un « débat » démocratique, encore moins d’une étude sociolinguistique, mais d’une<br />

démarche militante et d’un processus bureaucratique qu’expliquent les circonstances.<br />

Vingt-cinq ans plus tard, nous l’avons vu p. 24, la Circulaire n° 76-123 du 29 mars 1976 du


Jean <strong>Lafitte</strong> 32 La langue gasconne<br />

ministre de l’Éducation nationale M. Haby (Bulletin officiel de l’Éducation nationale n° 14 du 8<br />

avril 1976, pp. 1465-69) allait mettre en émoi le monde occitaniste; on y lisait en effet, p. 1468 :<br />

« Je rappelle que les langues reconnues par la règlementation en vigueur sont : le<br />

breton, le basque, le catalan, les langues d’oc et le corse. »<br />

« Chaque fois qu’une langue est pratiquée sous forme de dialectes différenciés, c’est<br />

le dialecte correspondant au lieu où l’enseignement est dispensé et la graphie la plus<br />

appropriée à ce dialecte qui seront utilisés. »<br />

On observe d’emblée que la liste des langues est fixée par « la règlementation », comme<br />

modalité de l’organisation de l’enseignement, ainsi que l’avait reconnu le Conseil d’État lorsque fut<br />

pris le décret n° 70-650 du 10 juillet 1970 portant une première modification de la loi de 1951; que<br />

« les langues d’oc » remplace « la langue occitane » de cette loi, et qu’y est ajouté « le corse »,<br />

selon un décret du 16 janvier 1974.<br />

Mais les occitanistes ne pouvaient voir disparaitre la mention unitaire de « langue occitane »,<br />

indispensable pour bâtir une « Occitanie » politique et dotée d’une langue unifiée et standardisée.<br />

Ce fut la Fédération de l’enseignement occitan qui se chargea d’exercer un recours, d’abord<br />

“gracieux” auprès du ministre, le 10 mai 1976, puis contentieux devant le Conseil d’État, le 19<br />

octobre; la requête était présentée par le secrétaire général de la Fédération, M. Philippe Carbonne,<br />

jeune maitre-assistant à l’université de Toulouse II qui agissait aussi en son nom personnel.<br />

Au terme de la procédure, le commissaire du Gouvernement M. Denoix de Saint-Marc démontra<br />

dans ses conclusions que tout l’esprit de la loi Deixonne était « de favoriser l’étude des langues<br />

et dialectes locaux dans les régions où ils sont en usage » (art. 1 er ), et que rien ne permettait<br />

de dire que par le singulier « langue occitane » de l’article 10, le législateur avait entendu « poser<br />

en règle de droit l’unité de la langue d’oc ». Et de citer les dictionnaires et encyclopédies contemporains<br />

qui définissent au contraire l’occitan « comme l’ensemble des dialectes de langue d’oc »,<br />

donc comme multiple. Se conformant à cet avis, le Conseil d’État rendit son arrêt le 7 octobre<br />

1977 : il rejetait la requête et déclarait donc légale la mention des « langues d’oc » au pluriel, car<br />

elle était « purement interprétative ».<br />

Ainsi, aux requérants qui souhaitaient une application à la lettre — et, osons le mot, centralisatrice<br />

et “jacobine” — des mots « langue occitane » de l’article 10, le Conseil d’État opposait l’esprit<br />

de la loi, qui voulait être au plus près des réalités de terrain.<br />

Au demeurant, un illustre occitaniste René Nelli (1906-1982) allait bientôt approuver ce pluriel<br />

de « langues d’oc » dans un ouvrage de réflexion critique et sans concession sur l’occitanisme,<br />

achevé peu avant l’arrêt et publié l’année suivante : Mais enfin qu’est-ce que l’Occitanie ?. Ancien<br />

professeur de lettres et de philosophie au lycée de Carcassonne, puis à la Faculté de lettres de<br />

Toulouse, ancien président de la Société d’études occitanes (1943-1944) et l’un des fondateurs de<br />

l’I.E.O. en 1945 (d’après J. Fourié, 1994), Nelli dénonçait en particulier, p. 31, la confusion qui…<br />

« consiste à traiter l’occitan comme un langage existant en tant que tel. En réalité, il<br />

est partout et nulle part. Personne n’écrit en occitan, mais en provençal, en languedocien,<br />

en gascon… Les circulaires ministérielles ont donc raison de parler de l’enseignement<br />

des « langues d’oc » et non pas de l’occitan. Reconnaitre que chacune des langues est<br />

occitane ne change rien au fond du problème. Ce n’est pas parce que le Provençal, l’Espagnol<br />

et l’Italien sont trois langues « néo-romanes » que le Néo-roman existe. Le provençal<br />

est de l’occitan, mais l’occitan n’est pas le provençal ! »<br />

Le sociologue Pierre Bourdieu (1982, p. 140) devait aller dans le même sens :


Jean <strong>Lafitte</strong> 33 La langue gasconne<br />

« Le fait d’appeler “occitan” 5 la langue que parlent ceux que l’on appelle les “Occitans”<br />

parce qu’ils parlent cette langue (que personne ne parle à proprement parler<br />

puisqu’elle n’est que la somme d’un très grand nombre de parlers différents) et de nommer<br />

“Occitanie”, prétendant ainsi à la faire exister comme “région” ou comme “nation” (avec<br />

toutes les implications historiquement constituées que ces notions enferment au moment<br />

considéré), la région (au sens d’espace physique) où cette langue est parlée, n’est pas une<br />

fiction sans effet 6 .<br />

5 L’adjectif “occitan”, et, a fortiori, le substantif “Occitanie” sont des mots savants et récents (forgés par la<br />

latinisation de langue d’oc en lingua occitana), destinés à désigner des réalités savantes qui, pour le moment<br />

au moins, n’existent que sur le papier.<br />

6 En fait, cette langue est elle-même un artefact social, inventé au prix d’une indifférence décisoire aux<br />

différences, qui reproduit au niveau de la “région” l’imposition arbitraire d’une norme unique contre<br />

laquelle se dresse le régionalisme et qui ne pourrait devenir le principe réel des pratiques linguistiques qu’au<br />

prix d’une inculcation systématique analogue à celle qui a imposé l’usage généralisé du français. »<br />

Et dans la perspective de la reconnaissance du seul occitan pour le Midi roman de la France,<br />

l’historien Jean Favier, de l’<strong>Institut</strong>, devait écrire (Le Figaro, 17 septembre 1999, Opinions) :<br />

« …c’est oublier que l’occitan est une construction politique, et que d’Arles à Limoges<br />

et Bordeaux en passant par Toulouse, vingt parlers d’Oc à la riche histoire font pendant<br />

aux parlers d’Oil que sont le Bourguignon, le Picard ou le Normand. »<br />

Néanmoins, le monde occitaniste fit un black-out total sur l’arrêt du 7 octobre 1977 et sa nonpublication<br />

dans le Recueil des arrêts du Conseil d’État contribua à son oubli. Ainsi, lorsque en<br />

aout 1981 M. Jack Lang, ministre de la culture, chargea Henri Giordan d’un rapport pour la mise<br />

en œuvre d’une politique tendant notamment à « l’épanouissement des différences linguistiques et<br />

culturelles dont la France est riche », M. Giordan reprit ses critiques de la circulaire “Haby” sans<br />

souffler mot de l’arrêt de 1977 qui ne l’avait pas désavouée (1982, p. 60); et bien que ses consultations<br />

aient ignoré Auvergne, Limousin et Gascogne (p. 9), il put affirmer tranquillement l’unité de<br />

l’occitan, à la fois aux yeux des linguistes et dans la conscience des dialectophones (p. 60), et<br />

proposer de rendre obligatoire sa graphie occitane unifiée, dans laquelle seraient transcrits les textes<br />

littéraires à usage pédagogique (pp. 62, 63). Mais cela fut vite oublié semble-t-il; en particulier, si<br />

le rapporteur critiquait les gouvernements de droite pour n’avoir jamais publié le décret qui eût<br />

énuméré les sept langues régionales pouvant bénéficier des dispositions de l’art. 12 de la loi<br />

“Haby” du 11 juillet 1975 (p. 86) et proposait une ambitieuse législation sur les langues régionales,<br />

rien de tout cela ne fut réalisé par les gouvernements de gauche venus au pouvoir depuis 1981.<br />

Pire encore, c’est à l’initiative du même M. Jack Lang, devenu ministre de l’éducation<br />

nationale, qu’une ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 (J. O. du 22, p. 9 346) allait abroger la<br />

loi Deixonne en instituant un Code de l’éducation, partie Législative; ce code intègre certes les<br />

parties législatives de la loi de 1951, mais non ses dispositions transitoires, non législatives, dont la<br />

mention de la « langue occitane ». Est maintenu par ailleurs, comme article L 311-2, l’article 8 de<br />

la loi de 1975 selon lequel « le contenu des formations [est défini par] arrêtés du ministre de l’éducation<br />

»; ainsi en est-il sans doute de la désignation des « langues et cultures régionales » dont l’enseignement<br />

« peut être dispensé tout au long de la scolarité » (art. L 312-10 du Code).<br />

Pour le moment, en tout cas, cette désignation ne figure que dans des arrêtés : les plus anciens<br />

emploient encore « langue occitane » ou « occitan », parfois associé à « langue d’oc »; mais depuis<br />

l’Arrêté du 6 janvier 2003 relatif à la liste des académies et des territoires d’outre-mer dans<br />

lesquels peuvent être subies certaines épreuves de langues vivantes a la session 2003 du baccalauréat<br />

[…] (J.O. du 15, p. 856), chacune des langues d’oc est traitée comme langue à part entière, au


Jean <strong>Lafitte</strong> 34 La langue gasconne<br />

même titre que le grec moderne, le russe ou le vietnamien…, son nom propre étant préfixé par<br />

« langue d’oc » : « langue d’oc auvergnat, langue d’oc gascon, langue d’oc languedocien, langue<br />

d’oc limousin, langue d’oc nissart, langue d’oc provençal, langue d’oc vivaro-alpin ». Les mêmes<br />

dispositions ont été reprises pour 2004 par l’arrêté du 13 janvier 2004 (J.O. du 22, p. 1653) et pour<br />

2005 par l’arrêté du 31 décembre 2004 (J.O. du 12 janvier 2005, p. 489).<br />

Toute référence à la loi Deixonne relève donc désormais de l’histoire ancienne.<br />

Mais le refus occitaniste n’est peut-être pas définitif<br />

Cela pourrait peut-être aider à une évolution des idées dans le monde occitaniste. À cet égard,<br />

voici un extrait fort intéressant d’une carte illustrant sans commentaire un article sur l’Eurocongrès<br />

2000 de l’espace occitano-catalan ouvert à Narbonne le 26 mai 2001 et clôturé à Barcelone le 5<br />

avril 2003 (Aquò d’Aquí n° 167, Septembre 2003, p. 8) :<br />

Comme “par hasard”, on y retrouve les quatre domaines romans de France selon K. Baldinger<br />

: français, occitan, franco-provençal et gascon.<br />

Mais cela ne tient compte que des langues en elles-mêmes, étudiées in vitro pourrait-on dire;<br />

ainsi la Corse est-elle partagée entre deux domaines linguistiques, italien et sarde. Or le Pr. Robert<br />

Lafont, bien connu comme sociolinguiste, devait se plaire à souligner dans la revue Septimanie<br />

(Lafont, 2000) que les Corses se moquaient bien de l’avis des linguistes quand ils voulaient une<br />

langue corse, et que c’est eux qui avaient raison : « le linguiste doit toujours s’incliner devant le<br />

socio-linguiste, et celui-ci devant la décision des usagers ».<br />

Une même recherche sur l’ensemble du domaine d’oc montrerait très probablement que<br />

l’« Occitania » de cette carte devrait être partagée entre les domaines des autres langues d’oc dont<br />

les locuteurs, Provençaux en tête, ne se reconnaissent absolument pas comme “Occitans”. Sauf à<br />

admettre « Vérité en Corse, erreur sur le Continent »…<br />

D’où, pour notre recherche, l’importance de la suite : comment la langue gasconne est-elle<br />

perçue par les <strong>Gascon</strong>s eux-mêmes et encore plus, comment en usent-ils ?


Première partie<br />

Situation sociolinguistique du gascon<br />

Il peut paraitre surprenant de vouloir définir un système d’écriture pour une langue dont les<br />

premiers témoignages écrits ont plus de neuf siècles. Mais si l’on écrit, c’est pour être lu, et en<br />

gascon comme en français, bien peu aujourd’hui sont capables de lire et de comprendre l’écrit d’il y<br />

a neuf cents ans. Or depuis plus de cent-vingt ans, le mouvement que l’on appelle aujourd’hui<br />

occitaniste a fait du retour à la graphie médiévale la clé du rétablissement de la langue d’oc dans sa<br />

dignité de jadis, le gascon n’étant pas oublié dans l’opération.<br />

Pourtant, le déclin accéléré de toutes les langues d’oc me porte à m’interroger sur l’efficacité<br />

des remèdes qui leur ont été appliqués et en particulier sur l’adaptation de la graphie médiévale,<br />

même retouchée, aux besoins d’une langue moderne dans son contexte social effectif.<br />

La première partie de ce travail va donc essayer d’ausculter la société gasconne<br />

contemporaine pour connaitre l’état actuel de la langue gasconne et déterminer dans quel sens<br />

devra s’orienter ma recherche pour que la graphie de cette langue convienne à cet état social.<br />

Un premier chapitre fera le point de la représentation de la langue dans l’esprit des <strong>Gascon</strong>s et<br />

<strong>Béarnais</strong>, et spécialement sur la façon de la nommer.<br />

Un deuxième chapitre donnera un aperçu de l’état de la langue en Gascogne, état qui n’en<br />

assure plus la transmission naturelle, de telle sorte qu’un troisième chapitre abordera la question du<br />

palliatif utilisé : la transmission “artificielle” par l’école, avec ses difficultés et ses limites.<br />

Un quatrième chapitre présentera et “auscultera” les institutions qui militent pour la langue.<br />

Un dernier chapitre évoquera les perspectives d’avenir.


Chapitre I er<br />

La représentation de la langue chez les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong><br />

I – Aux temps passés<br />

« Edmond de Kent se dispensa d’interroger les barons de Budos et de Fargues de<br />

Mauvezin; ceux-là ne parlaient ni le français ni l’anglais, mais seulement le gascon, et<br />

Kent ne comprenait rien à leurs palabres. » (Maurice Druon, Les rois maudits - 5, La louve<br />

de France, p. 131).<br />

Selon l’académicien et romancier Maurice Druon, la langue des <strong>Gascon</strong>s était donc désignée<br />

comme gascon à la fin d’août 1324, quand les Français vinrent mettre le siège devant La Réole. Et<br />

ce n’est pas un anachronisme, car c’est bien sous ce nom qu’elle est écartée par les fameuses Leys<br />

d’amor, solennellement promulguées à Toulouse en 1356, alors que ces Leys n’ont pas de nom propre<br />

pour la langue de Toulouse : « Et appelam lengatge estranh : frances, engles, espanhol, gasco,<br />

lombart, navares, aragones e granre d’autres. » (Ed. Joseph Anglade, 1920, t. III, p. 164) {Et nous<br />

appelons langue étrangère : (…) et beaucoup d’autres}. En 1431, la confirmation des privilèges de<br />

Montory, en Soule, faite en latin par le duc de Lancastre en 1383, est traduite « en romans et bon<br />

gascon » (J. Dumonteil et B. Cheronnet, 1980, p. 168). En 1554, le <strong>Béarnais</strong> Bernard Du Poey<br />

publie à Toulouse un recueil de Poésie en diverses langues sur la naissance de Henry de Bourbon<br />

etc. (le futur Henri IV), parmi lesquelles trois en béarnais, un « Sonnet en gascon » et un « Dixain<br />

al langaige de Tolosa », toujours dépourvu de nom propre (textes annexés à Ph. Gardy, 1983). En<br />

1562, dans une affaire de succession intéressant la Maison de Foix, un arrêt du Parlement de Paris<br />

du 22 mai mentionne des « pièces vieilles et antiennes estans en langaige 3 byernois et gascon » qui<br />

ont été traduites en « langaige vulgaire françois » (Archives Nationales. Parlement de Paris X 1a<br />

1602, f° 285 v°, copie de M. Henri Courteault publiée par les Reclams de Biarn e Gascougne, 1 er<br />

juin 1910, pp. 118-119).<br />

C’est donc le plus naturellement du monde que, cinq ans après, Pey de Garros appelait sa langue<br />

« gascon », avec une vue particulièrement claire de son domaine : « nostre lãgage par vn mot<br />

general est appelé <strong>Gascon</strong> […] le langage specialement apelé <strong>Gascon</strong>, naturel a nous de Bearn, de<br />

Comenge, de Armagnac & autres, qui somes enclos entre les mons Pyrenees & la Garone »<br />

(Poesias gasconas, Au Lecteur, pp. 6, 7). Et cette langue méprisée par les Toulousains probablement<br />

autant que par ceux qui accédaient au français du Roi, Garros entendait bien la défendre et<br />

l’orner grâce à l’arme de sa plume (ib., Épitre III, 5-39, passim, traduction d’A. Berry, sauf le<br />

dernier vers) :<br />

5 La causa damnada La cause condamnée<br />

De nosta lenga mesprezada : de notre langue méprisée :<br />

Damnada la podétz entene, condamnée, cela se peut entendre,<br />

Si degun no la vo dehene : si personne ne veut prendre sa défense.<br />

Cadun la leixa e desempara, Chacun la laisse et l’abandonne;<br />

10 Tot lo mond’ l’apera barbara, tout le monde l’appelle barbare,<br />

E, q’es causa mes plañedera et, chose plus déplorable,<br />

Nosautz medix nos trupham d’era nous-mêmes nous moquons d’elle.<br />

[…] […]<br />

23 Mes de ma part, jo bz asseguri, Mais pour ma part je vous assure<br />

E religiosament vos juri, et vous jure religieusement<br />

25 Que jo scriuré dam vehementia, que j’écrirai avec véhémence;<br />

3 On remarque qu’à l’époque, en oc comme en français, langaige signifie « langue, idiome », comme language en<br />

anglais.


Jean <strong>Lafitte</strong> 37 Sociolinguistique du gascon<br />

No m’ cararé, n’aure patientia, je ne me tairai, ne me tiendrai tranquille<br />

Deqia qe siam totz acordatz que nous ne soyons tous accordés<br />

E d’ua conspiration bandatz, et unis en une conspiration<br />

Per l’hono deu pays sostengue, pour soutenir l’honneur du pays<br />

30 E per sa dignitat mantengue : et pour maintenir sa dignité :<br />

[…] […]<br />

37 Més au loc de lansas pontxudas, Mais, au lieu de lances pointues,<br />

Armem nos de plumas agudas, armons-nous de plumes aiguës<br />

Per orná lo gascon lengatge […] pour orner le langage gascon […].<br />

Plus connu, son contemporain Michel Montaigne s’affirmait <strong>Gascon</strong> (Essais, II, ch. VIII, p.<br />

367) et écrivait sa fameuse phrase : « Il y a bien au-dessus de nous, vers les montaignes, un <strong>Gascon</strong><br />

que je treuve singulierement beau, sec, bref, signifiant […]. » (ib., III, ch. XVII, p. 622).<br />

Et en 1790, quand Pierre Bernadau, correspondant bordelais de l’abbé Grégoire, participait à<br />

l’enquête sur les « patois », il n’avait que le mot gascon pour nommer celui de Bordeaux et de sa<br />

région : « je peux, Monsieur, vous faire connaître : 1° le peu d’écrits qui nous restent en gascon de<br />

Bordeaux; 2° un dictionnaire ms. de ce dialecte […] » (Lettre du 4 septembre 1790); six jours<br />

après, il envoyait à l’abbé Les Droits de l’homme et du citoyen « Mis en patois le plus généralement<br />

approprié aux diverses nuances du gascon que l’on parle dans le district de Bordeaux… » etc. (cité<br />

d’après de Certeau, 1975, 2002, pp. 190-1).<br />

Même chose du côté d’Agen et surtout d’Auch, chez d’autres correspondants de l’abbé<br />

Grégoire : la mention fréquente qu’ils font de Dastros (ou d’Astros, cf. p. 115) est pour Ph. Gardy<br />

« bien plus qu’une référence un peu isolée : une œuvre agréable, et même une sorte de symbole de<br />

la culture et de la langue gasconnes. » (Reclams, 1-2-3/1994, p. 35).<br />

En Béarn, principauté indépendante depuis plusieurs siècles, la langue de l’administration<br />

vicomtale et des notaires est le béarnais, comme les États de Béarn le rappelèrent énergiquement au<br />

Roi et à la Reine de Navarre (requête antérieure au 24 juillet 1556, date de la décision favorable des<br />

souverains; Arch. dép. Pyr.-Atl. C 684 et 685, d’après R. Darrigrand, 1984, note 9, p. 169) :<br />

« Remonstren las gentz deux tres estatz de Bearn cum per temps immemorial lor<br />

ayen usat et acostumat haber toutes pattentes privilieges et far toutes scriptures et<br />

pleyteyatz en justicie en lo lengadge bearnes supplican tres humblement placie mandar<br />

aquero far entertenir et no expedir aucunes pattentes de provisions de tiltres appuntamentz<br />

ny autres affars de justicie confirmations de privilieges ni autrement que en ledit lengadge<br />

bearnes aixi signat De Castanher, Sindicq Bearn » 4 .<br />

Mais déjà, en 1554, nous avons vu que B. du Poey avait publié trois poésies béarnaises, et<br />

deux d’entre elles étaient présentées comme écrites « en Bernes ». En 1583, ce sera la langue<br />

d’Arnaud de Salette pour sa traduction des Psaumes, et, dans l’Advertissement placé en tête, il la<br />

nommera sans aucune hésitation « lengoa Bernesa » (Salette, 1583, 1983, p. XLI).<br />

Par la suite, une tradition ininterrompue utilisera ce nom de béarnais; en voici quelques<br />

jalons, tous les 100 ans : vers 1690, l’avocat béarnais Jean-Henri de Fondeville décrit la prédication<br />

des pasteurs protestants « En frances, en biarnes, chens nat mout de latii » (Églogues, v. 123); en<br />

1796, un autre avocat Pierre Hourcastrémé glisse neuf poésies en « béarnais » dans l’un des quatre<br />

tomes de ses mélanges Les Aventures de messire Anselme, chevalier des loix (III, pp. 35-47); en<br />

4 « Les gens des trois états de Béarn rappellent que de temps immémorial, leur us et coutume fut d’avoir toutes patentes<br />

et privilèges et de faire toutes écritures et plaidoiries en justice dans la langue béarnaise; ils les supplient donc très<br />

humblement qu’il leur plaise d’ordonner de faire maintenir cela et de ne délivrer aucune patente de concession de titres,<br />

jugement, ni autres affaires de justice, confirmations de privilèges, etc. que dans ladite langue béarnaise. Signé De<br />

Castanher, Syndic de Béarn »


Jean <strong>Lafitte</strong> 38 Sociolinguistique du gascon<br />

1887, l’érudit Vastin Lespy sera le premier à publier un Dictionnaire béarnais ancien et moderne;<br />

enfin, en 1986, est parue la remarquable Grammaire béarnaise de l’Inspecteur départemental de<br />

l’Éducation nationale André Hourcade, préfacée par le Pr. Robert Lafont.<br />

De toute façon, nommée ou innommée, la langue était sentie comme signe d’identité, surtout<br />

sur les “marches”, confrontées au languedocien; ainsi les <strong>Gascon</strong>s du Couserans s’opposaient aux<br />

“Contadins” du pays de Foix, malgré les “interférences” entre leurs langues que P. Bec a étudiées<br />

dans sa thèse (1968); de même, J. Allières voit dans les participes passés en -it ou -èit du verbe<br />

gascon correspondant à “ouvrir” un moyen d’affirmer la gasconité d’une “ceinture” séparant le<br />

centre du domaine de la zone languedocienne :<br />

« il suffit de confronter la “ceinture” avec les isoglosses crampa/cramba (c. 907) et<br />

lua/luna (c. 1010), évoquées en 4.1.5, pour comprendre que la zone qu’elles définissent<br />

toutes trois est une “marche” gasconne, où les populations ont confusément cherché à se<br />

différencier de leurs voisins à dominante languedocienne : le néologisme en -'it était<br />

une marque comme une autre, sans qu’il s’agisse précisément d’un gasconnisme<br />

caractérisé; il a été adopté, tandis que plus loin vers le SO, où il n’y avait plus<br />

confrontation d’ethnies, le type en -èrt est demeuré intact. » (ALG V-2, p. 288-290).<br />

Mais l’abandon de l’usage officiel de la langue et plus encore sans doute le ralliement des élites<br />

au français ont malheureusement englobé tous les autres parlers de France sous la dénomination<br />

de “patois”.<br />

II – Le temps de Félibres<br />

Il est impossible de parler des langues d’oc à partir du XIX e s. sans mentionner le mouvement<br />

culturel que Mistral et ses amis fondèrent en 1854 sous le nom de Félibrige, ni même l’occitanisme<br />

qui devait le concurrencer à partir des années 1920. Je n’ai pas manqué de le faire déjà en plusieurs<br />

occurrences et je vais continuer, tout en renvoyant au Chapitre IV, p. 76, une présentation plus<br />

détaillée de ces mouvements et des institutions qui s’en réclament.<br />

Pour le Félibrige, il n’était plus question d’user du mot “patois”, à connotation péjorative, et<br />

sans attendre la naissance de la première Escole félibréenne gasconne en 1896, les milieux<br />

“éclairés” parlaient de gascon et de béarnais tandis que le Pr. Achille Luchaire ouvrait dès 1879<br />

les études universitaires gasconnes à la Faculté de Lettres de Bordeaux.<br />

On a vu plus haut, p. 18, l’avis de ce linguiste sur la langue gasconne. Sans doute n’est-il pas<br />

étranger au fait qu’en 1894, c’est le gascon qui a été officiellement nommé par l’administration<br />

française parmi les quatre idiomes de France considérés comme « langage clair » pour la rédaction<br />

des télégrammes; il s’agit du décret du 12 janvier 1894 (Journal officiel du 11 février, p. 675-679)<br />

signé par le Président Sadi Carnot et contre-signé par le ministre du commerce, de l’industrie et<br />

des colonies dont le nom, J. Marty, fait supposer des origines méridionales :<br />

« Art. 17 – Le langage clair est celui qui offre un sens compréhensible dans l’une<br />

quelconque des langues autorisées pour la correspondance télégraphique internationale<br />

(tableau n° 3), ou dans l’un des idiomes basque, breton, gascon et provençal. »<br />

Reconduites de décret en décret, ces dispositions aboutirent à l’article D. 113 et à son tableau<br />

annexe n° 1 dans le Code des postes et télécommunications, 3 ème partie, décrets, institué par le<br />

Décret n° 62-275 du 12 mars 1962 (J. O. du 14, rect. aux J. O. des 30 mars et 8 avril). Mais depuis<br />

quelques années, le service des télégrammes a été abandonné…


Jean <strong>Lafitte</strong> 39 Sociolinguistique du gascon<br />

Et la personnalité particulière du gascon dans l’ensemble d’oc était déjà parfaitement perçue<br />

par des écrivains de l’époque.<br />

Ainsi, dès 1891, dans l’Introduction de son Anthologie populaire du Labrit, l’abbé Léopold<br />

Dardy, folkloriste de l’Albret, refusait toute subordination du gascon au provençal :<br />

« Les écarts qui existent entre notre dialecte et le provençal sont tels que je n’ai pas à<br />

dire pourquoi je n’accepte pas certaines concessions de priorité, de droit d’aînesse en<br />

faveur de ce dernier. Notre degré de parenté avec la langue de Mistral est des plus<br />

éloignés, et la prétention de lui subordonner toute la famille de la langue romane ne saurait<br />

nous atteindre; nous sommes d’un foyer bien distinct, bien différent, bien indépendant. La<br />

meilleure preuve à l’appui serait de faire parler ensemble un vrai provençal et un vrai<br />

gascon, le gascon croirait entendre un italien, et le provençal un espagnol. L’idiome est<br />

d’ailleurs pour chaque province comme pour les nations une providentielle délimitation<br />

contre le capricieux morcellement qui n’atteindra jamais le caractère distinctif, les<br />

coutumes et le parler des populations comme il fait le territoire. La Provence, le<br />

Languedoc, la Gascogne gardent ainsi dans leur dialecte leur ancienne démarcation que les<br />

cartes officielles n’ont pas fait disparaître, et que n’affecteront pas davantage des<br />

prétentions que rien ne justifie.<br />

[…] « La gerbe que j’ai moissonnée dans le champ de la langue gasconne constitue<br />

un génie littéraire fort original dont les poétiques inspirations, ignorées jusqu’ici, sont près<br />

de s’éteindre. » (d’après la réédition I.E.O. d’A. de Gavaudan en 1984).<br />

En 1901, c’était un autre prêtre, l’abbé Césaire Daugé, d’Aire-sur-Adour, qui souhaitait<br />

l’élaboration de grammaires de « tous les dialectes qui sont parlés des Pyrénées à la Garonne »,<br />

d’où une commission tirerait une orthographe unifiée « de la langue gasconne » (préface de son<br />

recueil de poésies Flous de Lane, p. XV); ce qui n’empêcha pas Mistral, destinataire de la dédicace,<br />

de mentionner dans sa réponse « le parler du Midi, de la Gascogne à la Provence ».<br />

Et l’on a vu, p. 28, qu’en 1906, le Majoral Jean-Victor Lalanne disait de Jules Ronjat qu’il<br />

écrivait et parlait « toutes les langues d’Oc…».<br />

Son successeur à la tête de l’Escole Gastoû Febus, Simin Palay, n’a apparemment jamais<br />

écrit ouvertement que le gascon fût autre chose qu’un dialecte de la langue d’oc. Mais en pratique,<br />

s’il n’a jamais perdu de vue ses affinités avec les autres parlers d’oc, il l’a toujours traité comme<br />

une langue autonome. Et surtout, devant les prétentions du félibre languedocien Sully-André Peyre<br />

d’imposer aux écrivains d’oc de n’écrire que dans le provençal de Mistral, il a “poussé” un « Cri de<br />

doctrine » qui affirme sans équivoque que provençal et gascon sont des langues différentes :<br />

« Comme chaque langue a son esprit, un génie propre que nous portons en nous à la<br />

naissance, S.-A. Peyre niera-t-il que celui qui aurait abandonné sa langue maternelle pour<br />

une autre ne perdrait pas beaucoup au change ? Car il en serait, pour me servir d’un<br />

exemple facile, comme d’un primaire qui s’exprime en français : il fait toujours une<br />

traduction et… traduttore traditore. Non ! à chacun ce qui lui est propre par droit de<br />

naissance. Quand S.-A. Peyre rime en français — comme il le connait très bien — il ne fait<br />

pas une traduction du languedocien, mais tous n’ont pas sa compétence, et j’ai le sentiment<br />

que celui qui aurait appris le provençal dans les livres y perdrait une bonne part de sa<br />

personnalité. Et enfin, dans son pays natal, la plupart de ses compatriotes perdrait une<br />

grande part de son œuvre. » (Lou dret de cap d’obre, Reclams, 1958, pp. 2-3).<br />

III – Le tournant de 1951 : le gascon vu par l’occitanisme<br />

La « langue occitane » entre à l’école<br />

Entre temps, la loi n° 51-46 du 11 janvier 1951, dite loi Deixonne avait introduit « la langue<br />

occitane » dans l’appareil juridique français (cf. p. 31). C’est donc en toute légalité que l’Éducation


Jean <strong>Lafitte</strong> 40 Sociolinguistique du gascon<br />

nationale allait désormais enseigner le gascon et le béarnais sous le nom d’“occitan”, la pluralité<br />

dialectale étant affirmée en maintes occasions (circulaires et arrêtés ministériels).<br />

Le gascon renommé « occitan de Gascogne »<br />

Mais cela ne suffisait sans doute pas aux plus engagés des occitanistes, et à la fin des années<br />

70, l’I.E.O. adopta en assemblée générale la dénomination d’« occitan de Gascogne » pour remplacer<br />

le nom de gascon, jugé peut-être trop “séparatiste” pour une future “Occitanie” (cf. p. 24).<br />

On observera d’abord qu’une telle dénomination est tautologique, puisque la Gascogne<br />

politique ou administrative a changé maintes fois de frontières pour disparaitre officiellement en<br />

1790 avec la création des départements, et qu’on ne définit plus — savamment — la Gascogne que<br />

comme le territoire où l’on parle gascon ! Il est vrai qu’une nouvelle appellation d’« ouest-occitan »<br />

(remarquer l’ordre déterminant-déterminé très anglo-saxon !), mentionnée par Y. Vidal (2002, v°<br />

gascon), évite la tautologie… mais élimine toute référence à la Gascogne ou au gascon !<br />

De plus, comme il n’y a pas de raison de ne pas parler aussi d’« occitan d’Auvergne »,<br />

d’« occitan de Provence » etc…, cela signifie qu’il y a autant d’« occitans » que de grandes régions<br />

d’oc, donc autant de « langues d’oc » — horresco referens ! (cf. pp. 26 et 43).<br />

Enfin, on peut sourire de la prétention d’une simple association de quelques centaines<br />

d’adhérents pour tout le Midi de vouloir effacer le nom de « gascon », en usage incontesté depuis<br />

six ou sept siècles au moins !<br />

Mais cela correspondait aux vues des occitanistes béarnais, qui étaient de fait les plus actifs<br />

des <strong>Gascon</strong>s pour la défense et la promotion de la langue du pays. Ou plus exactement sans doute,<br />

cela correspondait aux vues de celui qui fut le maitre à penser de l’occitanisme gascon, le professeur<br />

de philosophie du lycée d’Orthez, Michel Grosclaude.<br />

L’influence de Michel Grosclaude<br />

Bien des choses s’expliquent en effet pour peu que l’on examine le rôle de cet homme, de son<br />

adhésion à Per Noste dès sa fondation jusqu’à son décès en mai 2002. Les lignes qui suivent<br />

s’appuient sur l’article de son ami G. Narioo (2002) et sur celui de L. Laborde-Balen (2002).<br />

Né à Nancy en 1926 d’un père protestant et d’une mère catholique, M. Grosclaude fut<br />

d’abord élevé dans la foi de sa mère; sa famille paternelle établie à Marseille venait du Jura suisse<br />

et sa mère était lorraine; d’abord à Paris, ses parents vinrent en 1939 s’établir à Marseille, où il<br />

reçut du pasteur protestant Théodore Gounelle des cours d’instruction religieuse et d’histoire<br />

exceptionnels et passionnants, notamment sur la Croisade albigeoise, la Réforme, les Camisards…<br />

Quant à la langue d’oc, il l’avait entendue avec le provençal de Marseille puis le parler de la Haute-<br />

Loire où il passa la dernière année de la guerre dans un village entièrement protestant et connu pour<br />

ses faits de résistance. Il sentit alors que « Cathares, camisards protestants et langue d’oc avaient en<br />

commun d’avoir été victimes de l’intolérance, de la persécution, de l’absolutisme. Et la langue d’oc<br />

avait été au cours des siècles celle des persécutés. »<br />

Jeune professeur de philosophie, il fut d’abord affecté à Chinon en 1953, puis muté en Béarn<br />

en 1958 parce qu’il désirait « “aller dans le Midi”, attiré par le soleil, affecté de ce “phototropisme”<br />

qui atteint tous ceux qui vivent dans le Nord » nous a-t-il conté (Grosclaude, 1969); et d’expliquer,<br />

avec sincérité et lucidité, comment il était « arrivé à [se] sentir personnellement concerné par la


Jean <strong>Lafitte</strong> 41 Sociolinguistique du gascon<br />

cause de la Langue <strong>Béarnais</strong>e et, à travers elle, par toute la culture Occitane » :<br />

« Il m’a donc fallu apprendre que ce “patois” que j’entendais dans les villages et sur<br />

les places des marchés, c’était la Langue d’oc, la vieille langue des Troubadours. Il m’a<br />

fallu apprendre que cette langue couvrait tout le Midi, de la Provence au Limousin, de la<br />

Marche au Béarn. Surprise de découvrir que sous le vocable infâmant de « patois », se<br />

cachait une véritable langue avec sa grammaire, sa littérature oubliée, ses richesses<br />

insoupçonnées. Surprise de découvrir que le Latin jadis appris sur les bancs du Lycée<br />

chantait encore sur les lèvres des anciens des villages.<br />

« J’ai donc appris à parler et à comprendre le <strong>Béarnais</strong> (très mal, il est vrai, car les<br />

monolingues parisiens sont infiniments [sic] moins bien doués pour les langues vivantes<br />

que les bilingues méridionaux). »<br />

Il fut donc aux côtés de son collègue et ainé Roger Lapassade pour fonder deux ans plus tard<br />

l’association Per nouste qui s’inscrirait dans le grand mouvement méridional de défense de la<br />

langue d’oc, désormais appelée « occitan » (cf. p. 78).<br />

Il est présent dès le premier numéro de la revue lancée sous le même nom de Per nouste en<br />

juin 1967, et déjà, il apparait comme le théoricien politique du mouvement. Son article est en<br />

français, Plaidoyer pour une histoire occitane; mais tout en faisant le procès de l’histoire de France<br />

telle qu’elle est enseignée, du seul point de vue de Paris et de l’agrandissement du “pré carré” royal,<br />

il retrace la conquête du Midi par les Francs du seul point de vue du Languedoc, épicentre de<br />

l’“Occitanie” rêvée; tout comme on enseignait aux petits Sénégalais que leurs ancêtres gaulois<br />

avaient été conquis par Jules César, M. Grosclaude décrit aux <strong>Béarnais</strong> la conquête franque en trois<br />

épisodes : la lointaine bataille de Vouillé qui vit en 507 la victoire de Francs sur les Wisigoths —<br />

on serait pourtant tenté de parler de querelle de Germains —, l’expédition de Charles Martel qui<br />

ravagea ce qui serait plus tard le Languedoc, et enfin la Croisade des Albigeois. Et même, l’auteur<br />

profite de la mention de l’expédition de Charles Martel pour évoquer « l’épisode de Roncevaux »<br />

dont « chacun sait qu’il faut y voir une révolte des populations gasconnes contre les exactions des<br />

guerriers francs ».<br />

Sans être historien, on peut avoir des doutes. Ainsi, pour ce qui est de la Croisade albigeoise,<br />

on sait qu’elle laissa totalement de côté les pays gascons, pour la plupart sous suzeraineté anglaise,<br />

sauf que les rangs des croisés comptèrent nombre de mercenaires gascons… M. Grosclaude l’admet<br />

dix ans plus tard, dans un des dialogues de son manuel Lo gascon lèu e plan, p. 112 : « Mais la<br />

Croisade des Albigeois ne concerna pas la Gascogne. — C’est vrai, la Gascogne resta un peu à<br />

part. ». Quant à enlever Roncevaux aux Basques pour l’offrir aux <strong>Gascon</strong>s et transformer le démantèlement<br />

de Pampelune en dévastation des pays gascons… (cf. Delpla, 1979, p. 84); mais neuf ans<br />

plus tard, l’auteur devait se faire son propre juge : ironisant sur une émission de quatre heures « de<br />

la 2e chaîne couleur » sur le Béarn qui avait « glorifi[é] Roland à Roncevaux », il écrivait : « tout le<br />

monde sait que Roncevaux est au Pays Basque et que c’est une victoire Basque sur les envahisseurs<br />

germaniques. » (P.N. n° 52, 1-2/1976, p. 2).<br />

Par la suite, innombrables sont les articles “orientés” signés par Michel Grosclaude, sans<br />

compter les textes anonymes qu’une analyse de style permettrait sans doute de lui attribuer. L’étude<br />

de cette prose justifierait à elle seule une thèse… Ce fut aussi un vaillant conférencier propagandiste<br />

de la “cause” occitane, donnant à R. Lapassade l’occasion de dire, avec son humour tout<br />

béarnais, son appréciation sur ce militant venu d’ailleurs. Il l’a fait dans un « conte » publié dans le<br />

numéro de Nadau {Noël} de 1972 de la revue Per noste, conte qui n’est même pas accompagné de<br />

la phrase rituelle « Toute ressemblance avec des personnages existants… »; ce conte sera repris


Jean <strong>Lafitte</strong> 42 Sociolinguistique du gascon<br />

dans le recueil Sonque un arríder amistós {Rien qu’un sourire amical} (1975-1, p. 113) :<br />

R. Lapassade se rend un soir à une « réunion d’information occitane » organisée par un<br />

certain Miquèu {Michel} dans un village du nord de Pau; et à la lueur des phares de sa Simca, il<br />

aperçoit une jeune fille qui fait du stop; comme elle se rend à la même réunion, il la prend à bord.<br />

Mais voilà qu’il ressent d’étranges cahots, il a une roue crevée; c’est alors la demoiselle qui sait<br />

trouver la roue de secours et réparer au clair de lune. Il dit son ennui d’être une fois de plus en<br />

retard :<br />

« — Heureusement, Michel me connait, il aura commencé.<br />

« — Votre ami, sans doute ? […]<br />

« — Oui, un ami de toujours, très savant, mais entêté, sournois, et intéressé comme<br />

le pire des maquignons. Pour tout dire, un homme entendu en philosophie, mais qui ne<br />

parle jamais de philosophie mais de linguistique occitane et d’histoire. Il a appris le gascon<br />

en suivant les pelères {réunions entre voisins pour tuer le porc d’une famille, en faire la<br />

cuisine… et festoyer} et il a pris chez les <strong>Béarnais</strong> peu de qualités mais un tas de défauts :<br />

le vin blanc, par exemple, il n’y crache pas dessus !<br />

« La jeune fille en rit. »<br />

Le lecteur aussi, sans doute, mais on sent déjà la réserve de l’authentique <strong>Béarnais</strong> qu’était R.<br />

Lapassade devant l’attitude péremptoire de M. Grosclaude, déjà ressenti comme trop sûr de lui en<br />

face d’autochtones qu’il devait considérer comme idéologiquement arriérés.<br />

Sur le point qui nous intéresse ici, l’intégration du gascon dans l’occitan et de la Gascogne<br />

dans l’“Occitanie” est pour lui une vérité révélée, donc intangible et indiscutable (cf. pp. 26-27). Et<br />

son autorité de professeur de la plus haute classe du lycée d’Orthez va lui permettre de veiller<br />

pendant quarante ans à l’“orthodoxie” de ce qui sera publié par l’association Per Noste établie dans<br />

cette ville (cf. p. 78) et spécialement dans sa revue Per nouste / Per Noste / Païs gascons.<br />

C’est ainsi que les lecteurs de cette revue se verront marteler l’appellation d’« occitan » pour<br />

la langue béarnaise et gasconne, même si quelques « langue gasconne » ou « langue béarnaise »<br />

échappent parfois à l’attention de M. Grosclaude censeur.<br />

On a pu voir plus haut qu’il parle lui-même de « Langue <strong>Béarnais</strong>e » et de « <strong>Béarnais</strong> » dans<br />

son article autobiographique de 1969. C’est aussi le cas du titre de Lo gascon lèu e plan, remarquable<br />

méthode parue en 1977, qui a certainement aidé bien des gens à apprendre ou perfectionner leur<br />

gascon ou leur béarnais. La raison nous en est donnée par G. Narioo (2002, p. 5) : s’insérant dans<br />

une collection lancée par la société anglaise Omnivox, filiale de la B.B.C., elle devait avoir un titre<br />

homogène avec ceux des autres ouvrages, L’occitan lèu lèu e plan étant notamment le nom de celui<br />

qui est essentiellement (22 leçons sur 25) consacré au languedocien… Finalement, le point de vue<br />

des éditeurs d’outre-Channel n’était peut-être pas si mauvais que cela, d’autant que pour vendre un<br />

produit, il faut que les chalands le reconnaissent ! Le contenu du livre réserve aussi quelques<br />

surprises : p. 56, un exercice distingue los cors/las leçons d’occitan, de ceux de gascon; p. 108, il<br />

est question de « l’ancienne langue gasconne » et p. 129, de « La langue gasconne » tout court.<br />

De même, M. Grosclaude achève par ces mots l’Introduccion à l’Evangèli segon sant Matèu<br />

qu’il a traduit en 1995 : « Il existe des versions de la Bible en créole de Haïti ou en eskimo de la<br />

Terre de Baffin. La langue gasconne attend encore. » C’est reconnaitre implicitement que la<br />

« langue gasconne » est distincte de l’« occitan », puisque celui-ci dispose au moins des traductions<br />

languedociennes, par l’abbé Jules Cubaynes, des quatre Évangiles (Société d’études occitanes —<br />

cf. p. 77 —, 1932), du Livre de Tobie (1942), du Nouveau testament (1956) et des Psaumes (1967).


Jean <strong>Lafitte</strong> 43 Sociolinguistique du gascon<br />

La même année, un article sur le protestantisme en Béarn (Grosclaude, 1995) lui donne<br />

l’occasion d’en désigner cinq fois la langue comme « occitan », 9 fois comme « biarnés » ou<br />

« bearnés » et 2 fois comme « lenga biarnesa ».<br />

Néanmoins, persistant dans son idée, « dans les livres qu’il fit ensuite, le mot occitan était<br />

toujours en avant » (Narioo, 2002, p. 5); par exemple, en 1981 L’esquira, vocabulari basic illustrat,<br />

version occitana de <strong>Gascon</strong>ha; en 1986, malgré l’ambiguïté du double titre (cf. Annexe V et p. 26),<br />

La langue béarnaise et son histoire - Étude sur l’évolution de l’occitan du Béarn; en 1998, le Répertoire<br />

des conjugaisons occitanes de Gascogne; et en 2000, 70 clés pour la formation de l’occitan<br />

de Gascogne qui démarque Du <strong>Gascon</strong> au Latin de J. Bouzet et Th. Lalanne de 1935 (cf. p. 76).<br />

La schizophrénie de l’occitanisme gascon<br />

Le libellé de ces titres nous interroge : « Du passé faisons table rase » ou « Gardons notre<br />

patrimoine » ? Car les deux derniers ouvrages titrés en « occitan de Gascogne » sont présentés, en<br />

page 4 de couverture, par deux textes qui ne parlent plus que de gascon : « Est-il possible de<br />

maîtriser parfaitement les conjugaisons des verbes gascons… », « Par quelles transformations le<br />

latin […] est-il devenu le gascon… ». Cette contradiction est plus qu’apparente : elle reflète la<br />

déchirure des occitanistes gascons entre leur adhésion à l’occitanisme, qui voudrait mener à un<br />

« occitan standard », unique pour toute l’« Occitanie », et leur attachement profond à la langue<br />

gasconne dans toute son authenticité. C’est ce qui fit écrire de Per Noste :<br />

« Bien qu’issue 5 de l’I.E.O., elle ne prône pas un occitan de référence. Dans la<br />

mesure où elle ne vise pas une unification linguistique, elle n’est pas occitaniste de stricte<br />

obédience. » (P. Boschung et M. Frick in A. Kristol et J. Wüest, 1985, p. 148).<br />

Ainsi, M. Grosclaude a toujours été un farouche défenseur de la pluralité linguistique :<br />

« Il voyait l’Occitanie telle qu’elle est, une et diverse. Il se méfiait des linguistes<br />

occitanistes dits “incontournables”, imbus de culture jacobine française, qui voulaient nous<br />

imposer la langue occitane une et indivisible » (Narioo, 2002, p. 5).<br />

Mais pour rassurer les <strong>Béarnais</strong> et <strong>Gascon</strong>s qui s’en inquiétaient, il avait préféré nier la réalité<br />

du danger :<br />

« Faut-il […] ériger ce Languedocien central en dialecte privilégié qui progressivement<br />

supplanterait les autres dialectes et viser une langue occitane unifiée et uniformisée ?<br />

Je ne pense pas qu’il existe beaucoup de gens dans le mouvement occitaniste pour soutenir<br />

ce point de vue. » (E se disèvam : “pro !” {Et si nous disions : “assez !”}, P.N. n° 72, 5-<br />

6/1979, p. 5).<br />

Cependant, c’est sans doute par réaction à la tendance occitaniste à faire disparaitre les<br />

dialectes d’oc périphériques qu’a été choisi le titre du Petit dictionnaire français-occitan (Béarn)<br />

ou Civadot (cf. p. 159); en effet, les deux associations éditrices, La Civada et Per Noste, signaient,<br />

en pp. 9 et 10, une « Présentation du dictionnaire » dont le second alinéa justifie ainsi le titre : c’est<br />

une double affirmation « que le Béarn fait partie de l’ensemble occitan (langue d’oc) » et « que<br />

l’appellation d’occitan ne doit pas être réservée aux seuls parlers des régions languedociennes ».<br />

Mais les éditeurs ajoutent : « l’occitan du Béarn est un occitan à part entière et non pas une variante<br />

plus ou moins marginale »; or deux lignes avant, les mots « ensemble occitan (la langue d’oc) »,<br />

rappelaient l’égalité bien connue « occitan = langue d’oc »; donc si l’« occitan du Béarn », ou<br />

béarnais, « est un occitan à part entière », c’est une langue d’oc parmi plusieurs autres : si les mots<br />

ont un sens, c’est reconnaitre la pertinence du pluriel « les langues d’oc », tout comme le suppose<br />

5 Il serait plus exact de dire « se réclamant », car elle est juridiquement indépendante.


Jean <strong>Lafitte</strong> 44 Sociolinguistique du gascon<br />

l’appellation d’« occitan de Gascogne » (cf. p. 40). Or les collaborateurs de Per Noste dans<br />

l’élaboration de l’ouvrage étaient MM. Grosclaude et Narioo…<br />

Au surplus, on ne peut ignorer les vers de Bernard Manciet, écrivain très gascon de<br />

renommée nationale, souvent présenté comme un des meilleurs auteurs “occitans” contemporains :<br />

— Ce qu’il y a de pire maintenant — l’Occitanie<br />

vis d’Archimède à vide — ils t’auront, Gascogne<br />

abâtardie (L’enterrament a Sabres, 1989-2, p. 48).<br />

N’est-ce pas dénoncer l’aliénation causée par l’abandon du nom multiséculaire de gascon ?<br />

C’est sans doute à rapprocher de ce qu’on lisait dans La Clau lemosina (n° 92, Octobre 1993,<br />

p. 26) d’un autre grand auteur “occitan”, Marcelle Delpastre, après son passage à l’émission de télévision<br />

La marche du siècle pour son livre en français Les chemins creux, une enfance limousine :<br />

elle « n’a pas dit qu’elle écrivait aussi en occitan. »; pourquoi ? « pense-t-elle vraiment ce qu’elle<br />

avait dit publiquement à Limoges, lors d’une Quinzaine Oc : “L’occitan, je m’en fous !” ? ».<br />

Pour revenir au <strong>Gascon</strong> Manciet, même idée encore quand il accuse aussi bien les Occitans<br />

que les Français d’avoir écarté la « civilisation » particulière des <strong>Gascon</strong>s :<br />

« Dès le Moyen-âge, notre civilisation littéraire et mystique s’est vue repoussée, par<br />

les Occitans comme par les Français, au-delà des monts. » (1989-1, p. 33).<br />

Et s’il est un homme qui dut y voir clair dans tout cela, c’est bien Roger Lapassade, le fondateur<br />

de Per Noste; il avait eu la sagesse de se retirer assez tôt de la présidence de l’association pour<br />

laisser la place à plus jeune que lui, mais il continuait à observer attentivement ce qui se passait<br />

dans le monde occitaniste. Et s’il ne se sentait plus d’âge à s’engager dans des combats, il devait<br />

laisser un message qui pour être formulé poétiquement n’en était pas moins explicite : Drapèus<br />

arlats (Drapeaux mités) est un poème écrit le 24 juin 1994, qu’il a placé en tête de son dernier<br />

recueil La cadena; ironie du sort ou malice toute béarnaise de l’auteur, ce recueil a été mis en vente<br />

le 15 mars 1997, à l’occasion du Colloque que l’<strong>Institut</strong> occitan de Pau et la ville d’Orthez avaient<br />

organisé pour l’honorer comme militant occitaniste. On lit en effet :<br />

« J’ai mêlé trois drapeaux pour une seule patrie. J’ai […] brandi des étendards […]<br />

pavillons sang et or [l’occitan, frappé de la croix de Toulouse] ou des trois couleurs et qui<br />

tous me trompaient. Seul le carré béarnais […] aux deux vaches rouges dans l’or du blé<br />

mûr m’a réjoui le cœur. »<br />

Ainsi, ce grand sage béarnais avait fini par comprendre que l’occitanisme est une tromperie<br />

pour le monde d’oc, qu’il ne feint de défendre la diversité de nos parlers que pour “ratisser large”.<br />

De son côté, G. Narioo alors président de Per Noste, a maintes fois dénoncé les menées centralistes<br />

de l’occitanisme qui conduiraient à l’élimination du gascon. Tantôt par une allusion ironique :<br />

« Aujourd’hui, les pies font leurs nids […] du côté de la faculté de lettres où elles<br />

sont devenues, m’a-t-on dit, très savantes, elles comprennent parait-il l’occitan<br />

référentiel. » (P.N.-P.G. 209, 3-4/2002, p. 10).<br />

Tantôt de façon plus directe :<br />

« À un moment donné, à la faculté de Pau, un professeur prétentieux et très<br />

opportuniste, qui se faisait valoir en profitant du travail des autres, criait quand il avait un<br />

étudiant qui ne parlait pas : “le patois est mort, vive l’occitan !” Sans être capable de dire<br />

deux phrases correctes dans notre langue ni de définir cet “Occitan” avec un O majuscule<br />

[…]. » (2002, p. 4).<br />

Et tout dernièrement, retraçant l’itinéraire “occitaniste” de son ami M. Grosclaude :<br />

« Il est en relation permanente avec les linguistes occitans de toute l’Occitanie. Mais


Jean <strong>Lafitte</strong> 45 Sociolinguistique du gascon<br />

il se tient à l’écart, pourtant, de ce monde […], surtout de ceux qui manipulent continuellement<br />

la langue pour en faire un occitan transgénique, un jargon qu’on ne parle nulle part.<br />

Ce monde, le gascon, c’est sûr, les embarrasse. Tant pis ! » (P.G., 1-2/2005, p. 14).<br />

Pourtant, en présentant une grammaire d’occitan médiéval, M. Grosclaude allait écrire que<br />

pour bien l’utiliser, le lecteur devrait « connaître déjà l’occitan actuel (que ce soit sous sa forme<br />

gasconne, languedocienne, nord-occitane ou provençale) » (P.N.-P.G. 198, 5-6/2000, p. 20). Alors,<br />

le gascon, forme (ou variante, ou dialecte) de l’occitan, ou un occitan à part entière ?<br />

Et voilà que c’est M. Grosclaude qui signe tout seul l’Avant-propos (posthume) du Dictionnaire<br />

français-occitan (gascon) de 2003 (cf. p. 186); or il y reprend successivement les deux textes<br />

de présentation du Civadot en 1984, en changeant simplement Béarn / parler de Béarn par Gascogne<br />

/ gascon (pp. 7 et 10); donc « l’occitan parlé en Gascogne est un occitan à part entière et non<br />

pas une variante plus ou moins marginale » ! Il valide donc à nouveau la pluralité des occitans ou<br />

langues d’oc, en contradiction avec la phrase péremptoire de la p. 10, « Il existe indiscutablement<br />

une langue occitane ou langue d’oc […] ». Et en note de la p. 11, il cite sans s’en émouvoir les vues<br />

de J. Taupiac selon lesquelles il y aurait « un occitan méridional […], un occitan septentrional […],<br />

un occitan occidental comprenant le seul dialecte gascon et un occitan du “croissant” ou de la<br />

Marche. »; cela fait donc quatre occitans ou quatre langues d’oc, le gascon tout seul étant l’une de<br />

ces langues.<br />

Erreur de “copier-coller” ? ou plutôt confusion inévitable d’une pensée tiraillée entre un credo<br />

dépassé qu’on n’a pas le courage de remettre en cause et la réalité d’une langue très particulière que<br />

menacent « les occitanistes intégristes, réducteurs » comme dit G. Narioo (P.N.-P.G. n° 208, 1-<br />

2/2002, p. 10).<br />

On en verra un autre exemple dans la « dictée occitane » organisée par Per Noste le 31<br />

janvier 2004, sur laquelle je reviendrai pp. 79 et 218. Elle était « occitane » dans le titre, mais<br />

réalisée « dans la langue régionale, le <strong>Béarnais</strong> en l’occurrence à Orthez » (L’Éclair des 31<br />

janvier/1 er février); cette confusion avait d’ailleurs provoqué les protestations d’un lecteur d’Orthez,<br />

protestations dont l’article rendait compte honnêtement… mais sans prendre parti ! Au demeurant,<br />

le compte-rendu publié le 2 février affirmait que « l’essentiel était […] dans le plaisir de se<br />

mesurer à la langue béarnaise », membre de phrase repris d’ailleurs en sous-titre…<br />

Le résultat : confusion dans les titres, confusion dans les esprits<br />

Plus généralement, si l’on considère les ouvrages d’enseignement publiés par des auteurs se<br />

réclamant plus ou moins du courant occitaniste et en tout cas adeptes de la graphie occitane, force<br />

est de constater que pour ce qui est de la désignation du gascon, on a droit à un peu de tout; outre le<br />

cas du Civadot et du Dictionnaire français-occitan (gascon) que je viens d’évoquer :<br />

Petit diccionari castelhan-aranés (occitan)-catalan-francés e aranés (occitan)-castelhan etc.,<br />

1991, de Frederic Vergés Bartau : l’auteur ne nomme la langue qu’aranais ou à la rigueur « aranés<br />

(occitan) » et va jusqu’à signaler par le sigle « dV » les mots pris au gascon général, plus riche que<br />

l’aranais, c’est-à-dire « dehòra dera Val » (hors de la vallée) : le gascon non aranais n’est plus que<br />

de l’aranais, parlé hors de la vallée !<br />

Lexique alphabétique Français-gascon (Bazadais), 1994 de G. Dulau et du collectif Bazas<br />

Art Culture Tradition : « gascon » est dans le titre; l’auteur remercie pour son apport une association<br />

ayant travaillé « sur le thème : La langue gasconne et la vie traditionnelle en Bazadais » et ouvre


Jean <strong>Lafitte</strong> 46 Sociolinguistique du gascon<br />

l’avertissement en parlant sans ambages de la « langue gasconne ».<br />

Diccionari Occitan-Francés segon los parlars de <strong>Gascon</strong>ha, Princi Negre 1994, de Pèir Morà<br />

(Pierre Mora) : ingénieur de métier, l’auteur n’a sans doute pas osé se démarquer du “politiquement<br />

correct” dans le monde occitaniste où il avait milité; d’où un titre tout à fait “orthodoxe”. Mais son<br />

Abans-díser oppose « gascon referenciau » {référentiel} et dialectes, tout comme le Pr. P. Bec<br />

(1973), opposait le « gascon standard » (pp. 172, note 2; 195, al. 3) à l’occitan standard (p. 172,<br />

note 3) et à ses propres dialectes (p. 171, al. 5) ou aires dialectales (p. 195, al. 2). Mais deux pages<br />

plus loin, le gascon n’est plus pour P. Morà qu’un des dialectes de l’occitan, tout en étant associé<br />

au catalan, « langue jumelle », comme l’un des plus différenciés ! et il revient encore sur la pluralité<br />

dialectale du gascon…<br />

Que parlam - nous parlons gascon, 1996, d’Aci <strong>Gascon</strong>ha est un manuel de conversation en<br />

22 thèmes de vie courante suivi d’un lexique du vocabulaire des dialogues, dans les deux sens,<br />

français-gascon et gascon-français. C’est un ouvrage collectif auquel ont participé des « Professeurs<br />

et élèves des cours de gascon »; mais faute sans doute d’entente totale entre les auteurs, les<br />

textes de présentation parlent tantôt de langue gasconne parmi les langues d’oc (p. 7, 10, 20, 24) et<br />

de dialecte gascon au sein de l’occitan (p. 20). L’ouvrage se veut avant tout une entreprise de<br />

sauvetage du « gascon de Bayonne ». Voir aussi p. 172.<br />

Atau que’s ditz, Dictionnaire français-occitan (<strong>Gascon</strong> des Hautes-Pyrénées), 1998, œuvre<br />

d’un collectif réuni par le Département des Hautes-Pyrénées : les auteurs sacrifient aussi au<br />

“politiquement correct” en titrant « français-occitan », mais ajoutent aussitôt « <strong>Gascon</strong> des Hautes-<br />

Pyrénées »; et la « Présentation » bilingue n’en a que pour le gascon. Voir aussi p. 175.<br />

Dictionnaire gascon-français - Le parler du bassin d’Arcachon et des ses environs (I) et Dictionnaire<br />

français-gascon - Le parler du bassin Pays de Buch (II), Les Dossiers d’Aquitaine, 2000<br />

et 2002, de Yolande Vidal; l’auteur est une animatrice municipale de loisirs qui vécut en pays Gallo<br />

dans sa jeunesse et vint de Paris en 1968 pour se fixer dans le pays (II, p. 6); elle s’y est passionnée<br />

« pour la langue gasconne » (I, p. 289) découverte sur les lèvres des personnes du “3 ème âge” des<br />

clubs municipaux de Gujan-Mestras. Si donc le premier ouvrage s’ouvre par une « présentation<br />

linguistique du gascon » très “orthodoxe” selon l’occitanisme, rédigée par Alain Viaut en 1980, et<br />

le second par un Avant-propos non moins “orthodoxe” de Marie-Claire Latry, la répétition des mots<br />

« langue gasconne » dans les textes de la main de l’auteur, et spécialement en p. 4 de couverture du<br />

second ouvrage, ne laissent aucun doute sur les convictions profondes de Mme Vidal.<br />

Cela se retrouve de façon éclatante dans le gros Dossier langue occitane joint au numéro de<br />

Décembre 2003 - Janvier 2004 de Lettres d’Aquitaine, revue du très officiel Centre régional des<br />

Lettres d’Aquitaine. « occitan », « langue occitane » et même « Occitanie » sont partout dans ce<br />

cahier très “politiquement correct” de 28 pages de format A3; mais à l’évidence, c’est parce que les<br />

“acteurs” culturels consultés sont massivement acquis à ces concepts, ou tout au moins en usent<br />

naturellement; car aucune censure n’a été exercée contre les rares « gascon » ou même « béarnais »<br />

que l’on rencontre de ci de là. Il est à cet égard tout à fait remarquable que trois auteurs ignorent<br />

« occitan » et sa famille pour n’user que de « gascon » ou même de « langue gasconne » : p. 6,<br />

François-Xavier Benuziglio, Directeur du service éducation, sport et patrimoine du Département<br />

des Landes, pour la politique linguistique de ce département; p. 7, Jean-François Sibers, conseiller à<br />

la Direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine, correspondant de la Délégation générale<br />

à la langue française et aux langues de France; p. 14, le présentateur anonyme de País gascons,


Jean <strong>Lafitte</strong> 47 Sociolinguistique du gascon<br />

mentionné pourtant comme revue de « Per noste, section départementale de l’<strong>Institut</strong> d’études<br />

occitanes ».<br />

Le comble est atteint, semble-t-il, sur le nom de Sèrgi Javaloyès que Guilhem Joanjòrdi<br />

présente comme auteur ayant choisi « la langue occitane » (p. 11) et qui ferraille volontiers contre<br />

la pluralité des langues d’oc; or pour J.-F. Sibers, p. 7, c’est comme « écrivain et éditeur gascon »<br />

qu’il a été proposé par le préfet au Conseil économique et social d’Aquitaine pour y représenter « à<br />

la fois le gascon, le basque et les langues du Maghreb », ce qui met le gascon au même rang<br />

linguistique que le basque et les langues du Maghreb où cet auteur naquit en 1951 d’une famille<br />

catalano-espagnole (La République des Pyrénées, 22/23 mai 2004); à la même page 7, c’est en<br />

louant « l’intelligence toute gasconne » de Guy Latry qu’il achève lui-même la présentation de cet<br />

universitaire; et Lo viatge de l’auca {Le voyage de l’oie} dont il est l’auteur est une « pièce de<br />

théâtre en français et en gascon » (p. 22).<br />

À la vérité, cependant, dans la mesure où ce dossier de Lettres d’Aquitaine s’adresse au<br />

microcosme intéressé par les langues d’oc écrites, la confusion n’est peut-être pas trop grave. Mais<br />

quand, p. 18, une journaliste voit dans le Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes de Simin<br />

Palay « la bible de l’occitan » et renvoie ainsi aux oubliettes le Trésor du Félibrige de Mistral, on<br />

peut imaginer les dégâts qu’un tel désordre peut produire dans le grand public.<br />

Ce désordre choque même des occitanistes lucides comme le président de la section de<br />

Dordogne de l’I.E.O., Michel Chadeuil; présentant une Gramatica occitana de J. Taupiac et un<br />

manuel d’enseignement Passapòrt tà l’occitan de Jan Bonnemason, il observe : « Quand le <strong>Gascon</strong><br />

Taupiac dit “occitan”, il faut entendre “languedocien”. Quand le <strong>Gascon</strong> Bonnemason dit “occitan”,<br />

il faut entendre “gascon” » (Paraulas de Novelum, n° 70, hiver 1995-6, p. 7).<br />

Au demeurant, les dirigeants des associations occitanistes de Gascogne et de Béarn doivent<br />

être conscients de la méfiance, sinon du rejet, populaire face à ce qui s’étiquette comme “occitan”.<br />

Aussi ces associations n’affichent guère leur couleur : si Per nouste, puis Per noste marquait sa une<br />

de couverture par un gros I.E.O. de 1967 à 1972, l’affiliation à l’<strong>Institut</strong> d’études occitanes s’y est<br />

faite de plus en plus discrète, alors que son titre s’est doublé d’un gros Païs gascons à partir de<br />

1979; s’y ajoute en Béarn La Civada; en Bas-Adour, c’est Aci <strong>Gascon</strong>ha; en Bigorre, Nosautes de<br />

Bigòrra; la maison occitane fournie par la ville de Pau est l’Ostau bearnés et la radio occitaniste est<br />

Radio País, sans plus. De même, ces associations annoncent bien souvent leurs activités ouvertes<br />

au public en mettant en avant béarnais, et même « langue béarnaise » ou gascon. On en trouvera<br />

des exemples en Annexe VI.<br />

Le résultat est facile à imaginer : c’est une grande confusion dans les esprits peu préparés aux<br />

subtilités linguistiques et administratives. Et plus encore, le fait que « occitan, Occitanie » ne disent<br />

rien à la grande majorité des gens de Béarn et de Gascogne, comme on le verra bientôt.<br />

Mais enfermés dans leurs certitudes, d’autres dirigeants occitanistes gascons n’ont pas su ou<br />

voulu le voir. C’est tout particulièrement le cas de M. Grosclaude qui avait cru voir dans le titre du<br />

célèbre ouvrage historique d’Emmanuel Leroy-Ladurie, Montaillou, village occitan, la réussite de<br />

ces mots (PN. n° 54, 7-8/1976, p. 8) :<br />

« J’ai entendu critiquer le caractère publicitaire du titre : “village occitan”. Et il faut<br />

reconnaître que le titre est “psychologiquement” bien choisi. Si l’auteur (ou l’éditeur) avait<br />

intitulé l’ouvrage “Montaillou, village pyrénéen” ou “village ariégeois”, gageons que le<br />

livre ne se serait pas vendu comme il s’est vendu… et de loin ! Les mots “occitan”,


Jean <strong>Lafitte</strong> 48 Sociolinguistique du gascon<br />

“occitanie” sont devenus d’excellents slogans publicitaires. Mais finalement, tant mieux !<br />

N’y voyons pas seulement les dangers, mais voyons y également la preuve de la réussite<br />

de nos efforts militants. Au moment d’ailleurs où certains dénigrent ce mot qui, pour nous,<br />

symbolise notre pays enfin retrouvé, il n’est pas négligeable qu’un historien sérieux qui<br />

n’est ni occitan ni occitaniste nous apporte ainsi sa caution. »<br />

Il feignait d’ignorer que Montaillou est en zone languedocienne, à qui l’épithète savante<br />

d’« occitan » convient sans conteste, et aussi que ces mots ont quelque chose d’un exotisme intérieur<br />

6 qui plait à l’intelligentsia qui achète ce genre de livres savants, mais reste étranger au<br />

“Français moyen”. Un quart de siècle plus tard, il en témoigne lui-même, quand il déplore le silence<br />

de la presse sur l’Occitanie :<br />

« Quand il est question de l’enseignement des langues régionales, on parle du corse,<br />

du basque, du breton et de l’alsacien. De l’occitan et de l’Occitanie, jamais ou presque<br />

jamais. [La cause serait] dans le subconscient français. […] que des régions périphériques<br />

accèdent à une certaine reconnaissance de leur identité [ce serait acceptable, mais pas<br />

pour] l’Occitanie qui représente un bon tiers du territoire » (2000-2).<br />

Certes, cela se défend, de même qu’on peut penser que le libéralisme linguistique de<br />

l’Espagne et même de la Catalogne à l’égard du Val d’Aran s’explique par la taille minuscule de ce<br />

territoire situé sur le versant français des Pyrénées. Mais sans aller fouiller le subconscient, il parait<br />

bien plus évident que les quatre langues évoquées, corse, basque, breton et alsacien, sont nommées<br />

de leur nom multiséculaire, sans équivoque et connu de tous les Français. Alors que l’“occitan”… 7<br />

C’est aussi sans doute la leçon du choix d’Omnivox pour des noms sans équivoque pour ses<br />

manuels d’apprentissage des dialectes (ou langues) d’oc… Mais quand on est un idéologue qui<br />

compte sur les subventions publiques pour équilibrer les comptes de ses publications, on est peu<br />

porté à chercher à savoir ce que sentent et comprennent les acheteurs et lecteurs potentiels que sont<br />

les locuteurs de nos langues.<br />

IV – Aujourd’hui : le regard des locuteurs<br />

J’envisagerai d’abord le point de vue des locuteurs, ou tout au moins de ceux qui ont approché<br />

d’assez près la langue gasconne et béarnaise pour en avoir leur petite idée. Après un bref rappel<br />

d’une petite enquête béarnaise de 1974, je m’appuierai surtout sur celles des dix dernières années.<br />

L’enquête béarnaise de 1974 (J.-P. Latrubesse, 1974)<br />

Ce fut une enquête par questionnaire papier rempli, avec l’aide d’enseignants, par des parents<br />

d’élèves de « quelques villes (ou villages types : Pau, Castétarbes, Sault-de-Navailles, Artix,<br />

Asson »; en fait, à part Pau et Asson, village au pied de la montagne, ce sont surtout trois villages<br />

des alentours d’Orthez. Une centaine de réponse seulement ont été recueillies, et n’ont été prises en<br />

considération que celles des <strong>Béarnais</strong> d’origine, les non-<strong>Béarnais</strong> étant trop peu nombreux pour que<br />

leurs réponses fussent significatives. L’intérêt majeur est que la langue n’y a été désignée que<br />

comme « <strong>Béarnais</strong> » : Connaissance du <strong>Béarnais</strong> ?, Trouvez-vous normal qu’on parle <strong>Béarnais</strong> aux<br />

enfants ?, Pensez-vous que le <strong>Béarnais</strong> est une langue, un dialecte ou un patois ? etc. Pour cette<br />

dernière question, 35 % ont dit langue, 17 % dialecte et 48 % patois, mais on ne sait comment<br />

6 Aujourd’hui, cette mode semble dépassée; par exemple, Télérama, pourtant ouvert aux cultures du monde, présente<br />

ainsi les personnages du téléfilm Malaterra tourné dans les Alpes de Haute-Provence : « Ils sont moches, sales,<br />

dégénérés, parlent occitan pour faire plus vrai, font de grands “ssslurps” en mangeant leur soupe […] » (n° 2860, du<br />

6 au 12 novembre 2004, journée du 11 novembre).<br />

7 Cf. la lettre du lecteur Pierre Boissière, citée p. 82, qui réagit justement à cet éditorial de M. Grosclaude.


Jean <strong>Lafitte</strong> 49 Sociolinguistique du gascon<br />

étaient définis et opposés ces concepts ! En tout cas, 64 % disaient parler couramment le béarnais,<br />

35 % le comprendre et seulement 1 % ne pas le comprendre ! J.-P. Latrubesse doutait néanmoins de<br />

ce pourcentage élevé de gens parlant « couramment », estimant qu’en fait, c’était souvent une<br />

capacité de parler, mais que les gens n’en usaient pas autant qu’ils le laissaient entendre.<br />

Intéressantes en revanche étaient deux remarques d’enquêtés que J.-P. Latrubesse livrait sans<br />

commentaire à l’appréciation des lecteurs : « Il ne faut pas que la défense du terroir et de sa<br />

richesse culturelle soit un tremplin pour autre chose, disons la politique. » et « Le combat occitan<br />

est juste, il est indissociable du combat socialiste. »<br />

Les enquêtes départementales et régionale des années 1990 (B. Moreux, 2001)<br />

Menées sur une bien plus grande échelle, ces enquêtes ont pourtant souffert sans doute d’une<br />

certaine confusion des esprits sur la pratique et la désignation de la langue. Bernard Moreux,<br />

chercheur associé au C.N.R.S. et ancien maitre de conférences à l’Université de Pau et des Pays de<br />

l’Adour, en a présenté une sorte de synthèse dans une communication au Colloque « Diversité et<br />

vitalité des langues régionales du Sud de la France » (Centre d’études et de recherches d’oc,<br />

CEROc, de la Sorbonne, 15 juin 2001).<br />

Il s’est appuyé principalement sur « les trois rapports intitulés Pratique(s), (présence) et<br />

représentations de l’occitan (ou langue occitane) publiés entre 1994 et 1997 à la suite d’enquêtes<br />

commanditées par les Conseils Généraux des Pyrénées-Atlantiques [enquête portant seulement sur<br />

les Pyrénées-Atlantiques gasconophones : P. A. (G)] et des Hautes-Pyrénées et par le Conseil<br />

Régional d’Aquitaine » ainsi que sur l’enquête de Cynthia Arenas (1999) auprès d’une population<br />

de 100 <strong>Béarnais</strong>, volontairement « diversifiée mais qui n’a pas été constituée de façon à être<br />

représentative ». Il a également utilisé ses propres enquêtes et entretiens, principalement en Béarn.<br />

Comme l’objet de la présente thèse n’est pas principalement d’étudier la vitalité de la langue<br />

gasconne, mais de lui offrir une graphie aussi pratique que possible, je ne vais pas reprendre ces<br />

travaux suffisamment récents pour mon propos, mais plutôt exposer les principales conclusions de<br />

B. Moreux, tout comme lui-même a utilisé ouvertement et avec beaucoup de bienveillance mes<br />

propres travaux. Mais plutôt que sa communication de 2001, j’en utiliserai ici une version 2002<br />

préparée pour publication en anglais dans l’International Journal of the Sociology of Language (n°<br />

169, pp. 25-62), version que l’auteur m’a très aimablement communiquée.<br />

Voici donc, synthétisés par B. Moreux, les résultats des trois enquêtes commanditées par les<br />

collectivités territoriales « sur le nom (ou les noms) donné(s) par l’informateur à la (aux) langue(s)<br />

autres que le français parlées sur le territoire concerné » une fois écartées « les réponses<br />

inutilisables : basque, langues latines, Ne sait pas, Autres » :<br />

P.A (G) H.P. Aquitaine<br />

“patois” 32% 82% 55%<br />

“béarnais” 52% 12%<br />

“occitan” ou “langue d’oc” (*) 10% 8% 27%<br />

“gascon” 7% 2% 5%<br />

« * Langue d’oc, moins chargé idéologiquement, est aussi moins fréquemment cité<br />

qu’occitan.<br />

« Les conditions de l’enquête favorisaient indûment la mention de l’occitan dans les<br />

deux premiers sondages cités : la question portant sur la dénomination de la langue par les


Jean <strong>Lafitte</strong> 50 Sociolinguistique du gascon<br />

sondés n’était posée que dans le dernier quart de ces trois questionnaires; dans les<br />

questions antérieures, la langue était nommée par l’enquêteur lui-même : occitan. Dans les<br />

Hautes-Pyrénées au contraire, “l’appellation de la langue régionale a été laissée au choix<br />

de la personne questionnée”; c’est justement dans cette enquête que le pourcentage de<br />

mentions de l’occitan est le plus faible. »<br />

B. Moreux en fait alors un commentaire où je prends l’essentiel de ce qui suit :<br />

Pour le <strong>Béarnais</strong>, nommer sa langue béarnais est une façon d’affirmer sa fierté identitaire,<br />

appuyée sur l’histoire exceptionnelle de cette petite seigneurie du domaine gascon, devenue<br />

principauté indépendante et tête du royaume de Navarre (cf. p. 37). Cette branche du gascon fut<br />

ainsi la langue d’un État et son nom de béarnais est aussi bien utilisé par des non-béarnophones du<br />

Béarn que par des habitants du reste de la Gascogne. M. Grosclaude attestait lui-même sans<br />

ambages l’appellation de « langue béarnaise » pour le gascon du Béarn (voir plus haut, p. 26). On<br />

peut en dire autant du nom d’aranais par lequel les habitants du val d’Aran désignent leur gascon<br />

(cf. p. 45).<br />

patois, en revanche, passe plutôt pour dépréciatif, et s’il a une valeur identitaire, c’est celle<br />

d’une population paysanne modeste, âgée et restée à l’écart de la modernisation. Mais depuis<br />

quelques décennies, les humiliations subies autrefois se transmutent en nostalgie, voire en motif de<br />

fierté et de revanche, de telle façon que bien des <strong>Béarnais</strong> n’hésitent pas à dire qu’ils parlent patois.<br />

J’ajouterai même deux exemples de cette valorisation récente du mot patois, comme si l’on<br />

voulait faire la nique aux doctrinaires de la langue : le premier vient du candidat UDF pour la 3 ème<br />

circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Michel Bernos, présenté sous le titre « L’énarque qui parle<br />

patois » (L’Éclair du 16 mai 2002) et revendiquant à nouveau cette qualité dans une fiche publiée le<br />

6 juin; le second, c’est l’annonce de l’« Arrivée d’un curé béarnais » à Pontacq, précisant qu’il « a<br />

vécu sa jeunesse à Salies-de-Béarn. C’est dire s’il connait bien le patois et les gens du pays. »<br />

(L’Éclair du 16 octobre 2002).<br />

Et pour confirmer le pourcentage élevé de « patois » dans les Hautes-Pyrénées, ce témoignage<br />

du Président de l’association occitaniste Nosauts de Bigòrra (cf. p. 80), Michel Pujol (2001) :<br />

« Nous sommes près du marché [de Tarbes], comme chaque jeudi, ils sont venus<br />

vendre quelque volaille, et ils bavardent tant et plus en « patois » (c’est ainsi qu’ils disent,<br />

bien sûr ! « occitan » leur semble autre chose, si par hasard ils en ont entendu parler). »<br />

Pour le (socio)linguiste, les termes béarnais et patois se justifient donc par l’usage qu’en font<br />

les locuteurs eux-mêmes.<br />

Mais le linguiste “pur” leur préfèrera le terme gascon; construit à partir de la comparaison<br />

interne des différents parlers romans, ce concept bénéficie en effet de la caution de la communauté<br />

linguistique. Il est aussi l’objet de sentiments identitaires, mais à peu près uniquement, semble-t-il<br />

de la part de lettrés, philologues et linguistes, surtout non <strong>Béarnais</strong> (Puyau 1989, pp. 90, 102-104).<br />

Cependant, comme domaine linguistique du gascon, la Gascogne souffre de sa division en<br />

pays divers aux dimensions fluctuantes au cours des siècles, d’une absence de capitale véritable et<br />

de son partage en deux régions de la République où chaque moitié est associée à des pays nongascons.<br />

Elle est donc largement absente de la conscience collective.<br />

S’appuyant souvent sur le concept de langue gasconne, des mouvements tendent aujourd’hui<br />

à rendre la Gascogne plus populaire, lui cherchent un drapeau, en affichent les cartes, tantôt dans le<br />

cadre de l’occitanisme, tantôt en réaction contre lui. Mais cela reste surtout le fait d’intellectuels.


Jean <strong>Lafitte</strong> 51 Sociolinguistique du gascon<br />

Quoi qu’il en soit, le gascon, qui ne gêne personne, ne suscite que des réactions positives…<br />

mais peu de militants; au contraire, l’occitan est porteur d’une très forte charge affective : positive<br />

bien sûr chez la minorité occitaniste qui sait fort bien utiliser les médias, mais négative chez la très<br />

grande majorité des gasconophones que la médiatisation occitaniste irrite le plus souvent, comme<br />

c’est le cas en Béarn. Mais tout cela reste très marginal, comme l’est l’intérêt porté aux langues<br />

d’oc, en Gascogne comme ailleurs.<br />

Quelques exemples pris sur le vif<br />

Pour illustrer ces conclusions, voici par exemple un article de L’Éclair du 30 mai 2000 : en<br />

présentant un marchand forain d’articles de ménage à l’enseigne Marcat de nouste {marché de chez<br />

nous}, un journaliste anonyme écrit « Retour aux sources ou mode nouvelle ? Occitan imposé ou<br />

béarnais préservé, étal aseptisé, loi imposée, européanisée ou étatisée, souhaitons que nos bons<br />

marchés de campagne aient la possibilité d’exister […] »; pour qui lit entre les lignes, l’occitan<br />

n’est pas vu comme libérateur, mais rangé avec les facteurs d’unification imposée de l’extérieur…<br />

On trouvera une autre manifestation de l’extranéité de l’occitan dans l’encadré de la p. 81 et<br />

spécialement dans la photo de droite illustrant un article sur l’action occitaniste auprès des<br />

candidats à l’élection présidentielle. En tout cas, l’absence totale des langues de France dans le<br />

débat électoral et le score ridicule des candidats occitanistes aux législatives montrent bien que ces<br />

combats sont hors des préoccupations des gens du pays.<br />

Dans Le Monde du 24 aout 2000, Jean-Paul Besset, correspondant régional à Toulouse,<br />

donnait largement et exclusivement la parole à Jean Vilotte, secrétaire général du Parti occitan, et à<br />

Philippe Carbonne, professeur de mathématiques à l’Université de Toulouse-Le Mirail et alors<br />

président de l’I.E.O. Avec de tels informateurs, le journaliste pouvait définir l’Occitanie « par une<br />

langue encore vivace, malgré son éclatement en dialectes différents que 2 millions de personnes<br />

parlent couramment et que 6 millions d’autres comprennent, ainsi que par une longue et<br />

prestigieuse histoire que la littérature des troubadours porta à son apogée. » Mais les enquêtes<br />

scientifiques (cf. notamment pp. 59-60) ruinent ces affirmations exaltées; il n’est donc pas<br />

surprenant que le journaliste s’étonne qu’ « excepté quelques résurgences folkloriques et les fortes<br />

convictions d’une poignée de militants, d’enseignants (on compte une vingtaine d’écoles en langue<br />

d’oc, les calendrettes) et d’artistes, rien ne semble fédérer cet espace de 13 millions d’habitants. »<br />

Et de rapporter l’aveu lucide des occitanistes « Le drame de l’Occitanie, c’est que les Occitans ne<br />

se savent pas occitans et ne ressentent pas une communauté de destin ».<br />

Je puis ajouter ici mon témoignage personnel : combien de fois n’ai-je pas entendu des<br />

<strong>Béarnais</strong> rejeter comme “occitan” du béarnais parlé par des “néo-locuteurs”; ceux-ci, formés par<br />

des enseignants acquis aux idées occitanistes ou simplement influencés inconsciemment par elles,<br />

truffent la langue d’archaïsmes ou de néologismes fabriqués par quelques militants pour échapper<br />

au modèle français prégnant dans la langue vivante; de telle sorte que “occitan” est toujours senti<br />

comme non-béarnais; la conversation enregistrée en Annexe VII en est un amusant témoignage. Et<br />

les mieux informés sont pour le moins réticents, quand ce n’est pas fortement hostiles, à l’égard de<br />

tout ce qui est “étiqueté” occitan, en raison même des visées annexionnistes et unificatrices des plus<br />

en vue des occitanistes, essentiellement Languedociens.


Jean <strong>Lafitte</strong> 52 Sociolinguistique du gascon<br />

Même en Val d’Aran…<br />

Je complèterai les données rapportées par B. Moreux par le cas du Val d’Aran, ce petit<br />

territoire du nord des Pyrénées où nait la Garonne et que l’Histoire a rattaché à l’Espagne; la langue<br />

autochtone est gasconne et, mis à part ses nombreux catalanismes et même castillanismes, elle est<br />

fondamentalement identique à celle du Haut-Comminges français qu’aucun obstacle ne sépare de<br />

l’Aran. Pour une population de l’ordre de 6 000 habitants, un recensement linguistique officiel de<br />

1984 permettait à A. Viaut d’évaluer à 79,1 %, donc quelque 4 700 personnes, celles « qui au<br />

moins comprennent ou parlent le gascon » (Viaut, 1987, p. 56). Profitant du climat politique<br />

favorable d’après la mort de Franco, les Aranais ont obtenu la reconnaissance officielle de leur<br />

langue, ce qui leur vaut toutes les attentions des occitanistes de France. Mais le décret du 14 janvier<br />

1983 du Président de la Généralité de Catalogne qui en définit la graphie la nomme aranais (cf. p.<br />

158); tout juste son préambule en évoque-t-il la parenté linguistique dans une formule<br />

particulièrement prudente : « filiation de l’aranais dans la branche gasconne de la famille<br />

linguistique occitane ». Il est patent en tout cas que toutes les publications sur la langue ne la<br />

nomment qu’aranais ou à la rigueur « aranés (occitan) », comme le Petit diccionari évoqué plus<br />

haut, p. 45, et que, pratiquement, occitan et encore plus gascon sont passés à la trappe. Les Aranais<br />

n’ont donc rien à envier aux <strong>Béarnais</strong> pour ce qui est de la fierté identitaire.<br />

V – Et le regard des autres ?<br />

Mais cette fierté est-elle du gout de tout le monde ? Commentant les fortes oppositions<br />

auxquelles s’est heurté le projet gouvernemental de ratification de la Charte européenne des<br />

langues régionales ou minoritaires, J. Sibille (2000-2, p. 105) cite une interview de François<br />

Bayrou, après qu’aient pris fin ses fonctions de ministre de l’Éducation nationale (François<br />

Bayrou : le bilan de quatre années de gouvernement, La Setmana, n° 125, 23 octobre 1997).<br />

<strong>Béarnais</strong> fils de paysan qui ne cache pas ses origines, F. Bayrou a gardé de son enfance un certain<br />

attachement à la langue de ses pères qu’il pratique à l’occasion et de ses années d’études à<br />

Bordeaux quelque chose des idées occitanistes qui y étaient de mode à l’époque (il avait 17 ans en<br />

1968, et l’occitanisme “surfa” un temps sur les idées de 1968). Or sa volonté d’action de ministre<br />

en faveur des langues régionales s’est heurtée à une grande incompréhension :<br />

« — F.B. : Dans cette affaire de langue, nous avons à lutter contre des résistances<br />

psychologiques et peut-être aussi psychanalytiques, inconscientes. Certains ne supportent<br />

pas l’évocation de la défense des langues et des cultures de France. — La Setmana :<br />

Balladur ne comprenait pas que vous soyez béarnais, occitan ? — F.B. : Non, il ne le<br />

comprenait pas. […] Mais à Paris, en général, on ne le supporte pas. L’idée que l’autre<br />

puisse avoir deux langues alors qu’on n’en a qu’une, qu’il puisse réclamer le privilège de<br />

deux cultures, alors qu’on n’en a qu’une, fait naître des sentiments d’une violence que j’ai<br />

rarement vue. C’est la seule fois de ma vie que j’ai failli claquer la porte au nez de mon<br />

chef de gouvernement. Et aussi de son entourage : conseillers d’État, conseillers<br />

techniques et d’autres ministres, et non des moindres. […] Ce n’était que mépris, un<br />

mépris d’une violence que je n’avais encore jamais ressentie. Et il a fallu que je m’énerve<br />

vraiment pour que cela cesse. »<br />

À cela, je mettrai cependant une double atténuation :<br />

D’une part, le mépris ou l’ironie des “Parisiens” et autres “Français du Nord” à l’égard des<br />

“Français du Midi” n’est le fait que d’une faible minorité que je me dispenserai de qualifier. Vivant<br />

depuis une quarantaine d’années en région parisienne, je n’ai moi-même jamais souffert du regard<br />

des autres, sans pour autant abandonner mon accent ni, l’hiver, mon béret. Mais mieux vaut sans


Jean <strong>Lafitte</strong> 53 Sociolinguistique du gascon<br />

doute le témoignage d’autrui, un lecteur de Per noste qui avait été choqué par un dessin de<br />

couverture de la revue qui caricaturait méchamment des “Parisiens” venus en Béarn :<br />

« Faut tout de même pas prendre les touristes pour des idiots ! J’ai habité par force<br />

Paris pendant cinq ans et jamais je n’ai entendu une phrase aussi désobligeante [que celle<br />

prêtée aux touristes par le dessinateur] à mon égard et Dieu sait si mon accent paraissait<br />

marqué ! Depuis huit mois je côtoie journellement plusieurs personnes du style que vous<br />

paraphrasez et là aussi, jamais une quelconque allusion à mon appartenance gasconne. »<br />

« Nous n’avons pas le droit de sous-estimer les autres et nous n’avons pas la primeur<br />

de la vérité. Ce n’est pas avec de tels propos que vous ferez gagner cette fameuse<br />

“conscience occitane”, bien au contraire ! Élevez les débats. Ne vous trompez pas<br />

d’adversaire. » (Roland Estrem, Per noste n° 56, 9-10/1976, p. 2)<br />

D’autre part, en sens inverse, l’incompréhension à l’égard de ceux qui ne sont pas des<br />

“Occitans” monolithiques existe aussi en pays d’Oc. En voici deux exemples :<br />

À la suite d’un « Stage occitan » organisé à Orthez en mars 1975, « Un groupe de Stagiaires<br />

<strong>Béarnais</strong> » réagissait à l’attitude de certains occitanistes, peu soucieux de traiter les autres comme<br />

ils auraient voulu être traités eux-mêmes (P.N. 12, 5-6/1975, p. 3) :<br />

« Dans l’atmosphère générale de ces quelques journées, nous avons constaté un<br />

racisme latent à l’égard des Français, à savoir : les réactions des Stagiaires à certaines<br />

répliques et allusions (dans les pièces de théâtre, saynettes, histoires). C’est hélas,<br />

l’impression que nous ont laissée certains applaudissements ! Nous tenons aussi a signaler<br />

un incident survenu un soir au café : des jeunes extérieurs au stage, Orthéziens peut-être,<br />

ont chanté avec nous, puis seuls en Français, Basque ou Espagnol et cela sous le regard<br />

désapprobateur de certains stagiaires fiers de leur vérité occitane. Autre élément choquant :<br />

à l’entrée du Lycée était affiché une ironique, mais non moins dangereuse pancarte :<br />

“Estatgi occitan, aciu se parla Occitan, tà los que parlan Francés, un tiquet de vergonha !”<br />

{Stage occitan, ici, on parle Occitan; pour ceux qui parlent Français, un ticket de honte !}.<br />

Faut-il systématiquement un bouc émissaire, en l’occurrence le Français, pour se dire<br />

Occitan ! ?<br />

Autre exemple, que j’ai vécu. Le 26 septembre 1997 se célébrait au Zénith de Pau une “grand<br />

messe” autour d’un projet « Béarn XXI e siècle ». Sur la scène, l’ancien ministre socialiste André<br />

Labarrère, maire de Pau, et François Bayrou, ministre en exercice. Ambiance conviviale, « Mon<br />

cher François » par ci, « Mon cher André » par là. Et voilà que les pistes d’actions pour le XXI e s.<br />

semblaient avoir oublié celles en faveur de l’“occitan”. D’où une certaine impatience de la part de<br />

quelques militants, un peu perdus dans une foule très nombreuses; et l’un d’eux, <strong>Béarnais</strong> sincère<br />

mais peut-être trop “endoctriné”, demande la parole et une fois muni du micro, interpelle en béarnais<br />

les deux hommes politiques. Bien sûr, l’un et l’autre comprennent parfaitement, mais pas la<br />

foule, qui soudain se met à crier au militant « En français ! en français ! »; et malheureusement, au<br />

lieu de s’en tirer par quelque trait d’esprit bien béarnais qui détend l’atmosphère, le militant persiste.<br />

Inutile de dire que ce jour-là, la cause de la langue du pays n’a pas gagné beaucoup de soutiens.<br />

De même, il existe à Pau, fournie par la ville depuis 1980, une villa mise à la disposition<br />

d’une association d’obédience occitaniste, l’Ostau biarnés, la “maison béarnaise”. Toutes les<br />

inscriptions murales y sont en béarnais écrit en graphie classique, de telle sorte que les nonbéarnophones<br />

s’y sentent étrangers, et même les béarnophones non initiés à la graphie classique;<br />

j’en ai eu plusieurs fois des échos, et cela aussi ne plaide pas en faveur de cette langue, alors que les<br />

mêmes occitanistes revendiquent une signalisation routière et urbaine bilingue !<br />

Car, s’il n’y a probablement plus un seul “autochtone” qui ne sache lire et comprendre la signalétique<br />

en français, c’est au contraire la majorité, surtout dans les villes, qui, malheureusement,<br />

ne comprend plus la langue gasconne et béarnaise. C’est ce que nous allons voir maintenant.


Chapitre II<br />

La pratique de la langue par les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong><br />

I – Du Moyen âge au milieu du XX e siècle<br />

La grande poétesse bigourdane Philadelphe de Gerde porta jusqu’à la mort le deuil de la<br />

défaite de Muret, symbole de la conquête française des Terres d’oc, et l’Occitanisme a propagé le<br />

thème de l’effacement de la « langue d’oc » à cause de cette conquête. Alibert en a une idée plus<br />

réaliste quand il note qu’« il fallut la Croisade (albigeoise) pour empêcher la constitution d’un État<br />

occitan ébauché parallèlement à Barcelone et à Toulouse » (1966, XII), idée reprise par Patrick<br />

Sauzet au Cercle de minuit, France 2, nuit du 3 au 4 avril 1996 : « La Croisade a ruiné ce qui avait<br />

des chances d’être un état à peu près au centre du domaine occitan. […] L’occitan a été écrasé par<br />

la construction d’une autre langue; le français s’est construit d’abord comme symbole du pouvoir<br />

royal, puis comme instrument de ce pouvoir, avant d’être d’une pratique générale. ». Mais rien ne<br />

dit que l’État “occitan” avorté n’aurait pas été d’abord catalan… et catalanophone, puis du fait des<br />

vicissitudes de l’histoire, finalement espagnol et castillanophone; on ne refait pas l’Histoire !<br />

Quoi qu’il en soit, en Gascogne, si « le Roi, notre seigneur » était à Londres jusqu’en 1453…<br />

et parlait français, il administrait cette terre en latin et en gascon, au point qu’il est vraisemblable<br />

que le mot anglais judge ainsi orthographié (contre village pris au français) est le mot gascon<br />

emprunté à Bordeaux…<br />

En Béarn, petit état dont le vicomte souverain était devenu roi de Navarre, le béarnais était<br />

langue d’état, comme on l’a vu p. 37, et la décision des souverains en date du 24 juillet 1556 fut<br />

reprise dans le Stil de la justicy deu Païs de Bearn publié en 1564; la Rubrique XXVII Judges,<br />

Advocats, Notaris précise en effet, à l’art. IV : « Et feran losdits Advocats lors requisitions & pleiteyats<br />

en lengadge vulgar & dèu present Païs, tant de palaure que per escriut, saub en las allegations<br />

& rasons de drect, sus losquoaux pleyteyats sera bailhat aussi per lo Judge l’appuntement<br />

requis tant en l’Audience que fore dequere en lo medixs lengadge. » 8 . Le français ne fut substitué<br />

au béarnais que par l’Édit d’annexion de Louis XIII, signé à Fontainebleau en octobre 1620 :<br />

« Voulons, en outre et ordonnons que les Ordonnances, Arrêts et Procédures de notre dite Cour de<br />

Parlement soient faits et expédiés en langage François. » Cependant, le Roi maintenait les « Fors,<br />

Franchises, Libertés, Privilèges et Droits appartenant à nos Sujets dudit Royaume et Pays de Béarn,<br />

que Nous voulons leur être inviolablement gardés et entretenus. » Ainsi s’expliquent plusieurs<br />

réimpressions avec « privilegi deu Rey, Senhor souviran » de Los Fors et Costumas de Bearn écrits<br />

en béarnais et leur maintien en vigueur jusqu’à la fameuse nuit du 4 aout 1789.<br />

Quant au peuple, il parlait gascon (ou béarnais) dans la vie de tous les jours, quand les techniques<br />

de production ne changeaient guère, l’enseignement était peu répandu et les déplacements<br />

rares, en dehors des exils souvent définitifs de ceux qui allaient chercher fortune ailleurs.<br />

Cependant, les élites se mirent aussi au français, tout en conservant l’usage du gascon avec<br />

leurs voisins et domestiques, voire pour taquiner la Muse. Ainsi, on a vu p. 37 que l’avocat Pierre<br />

Hourcastrémé avait introduit neuf poésies béarnaises dans ses mélanges philosophiques publiés en<br />

1792 et réédités en 1794-96.<br />

8 « Et lesdits Avocats feront leurs requêtes et plaidoiries en langage vulgaire et du présent Pays, tant en paroles que par<br />

écrit, sauf dans les allégations et raisons de droit, sur lesquelles plaidoiries sera donné aussi par le Juge le jugement<br />

requis tant en l’Audience qu’en dehors d’elle, dans le même langage. » L’exception stipulée signifie vraisemblablement<br />

qu’on admettait l’énoncé en latin des axiomes juridiques du droit romain.


Jean <strong>Lafitte</strong> 55 Sociolinguistique du gascon<br />

Mais à la fin du siècle des lumières, la Révolution française invente la nation française identifiée<br />

à la population de la République, une et indivisible comme celle-ci; le français parlé par tous<br />

les ténors de la Révolution doit être la langue de tous les républicains tandis que « le fédéralisme<br />

et la superstition parlent bas breton;[…] le fanatisme parle le basque » comme nous le savons bien<br />

depuis le rapport du Bigourdan Bertrand Barère de Vieuzac (de Certeau et autres, 1975, p. 326).<br />

L’école publique mènera logiquement l’affaire jusqu’au bout, aidée par la révolution industrielle,<br />

puis par les Guerres de 14-18 et encore plus de 39-45, qui vident la campagne : la modernité,<br />

représentée par l’électricité, l’eau au robinet, puis les tracteurs, les engrais et tout le machinisme<br />

agricole etc. parlent français — voire anglais d’Amérique (cf. les machines Mc Cormick) —, tandis<br />

que les autres langues sont des patois honteux 9 .<br />

C’est pourtant un thème classique chez les félibres et les occitanistes que la langue, que les<br />

oracles annonçaient comme moribonde depuis des siècles, se parle toujours en ce début du XXI e<br />

siècle. Oui ! Mais par quelles personnes, et combien sont-elles ?<br />

Des témoignages<br />

II – Qui parle encore gascon ?<br />

Commençons par ceux d’auteurs peu suspects d’hostilité envers les langues d’oc :<br />

Roger Lapassade (1975-1, p. 66); un <strong>Béarnais</strong> rentre d’Amérique :<br />

« Un garçonnet de sept ou huit ans, un petit sac noir sur le dos, venait à ma rencontre.<br />

« – Mignon, connais-tu Émilie de Céserette ? lui dis-je [en béarnais]. Le gamin<br />

devint rouge jusqu’à la pointe des oreilles et ne répondit pas.<br />

« – Émilie, tu sais, la couturière ! Il me regardait interdit sans remuer les lèvres. Il<br />

avait pourtant la mine intelligente, ce petit, et je ne m’expliquais pas pourquoi il demeurait<br />

muet.<br />

« J’en étais là quand le facteur passa sur son vélomoteur. Je l’arrêtai d’un geste de la<br />

main.<br />

« – S’il vous plait, pourriez-vous me dire où est Émilie ? Ce gamin, quand je le lui ai<br />

demandé, n’a pas desserré les lèvres.<br />

« – Ça ne m’étonne pas du tout, il ne connait pas le béarnais.<br />

« – Ah ! Il est Parisien ?<br />

« – Non ! C’est Jean de Tachoires, vous savez, Tachoires, sur le coteau des vairons.<br />

« – Mais je suis en Béarn ou au Canada ?<br />

« – Ne vous étonnez pas, la jeunesse d’aujourd’hui ne sait plus le béarnais.<br />

« Le petit Jan, la tête haute, rassuré, nous écoutait.<br />

« – Tu n’as pas compris ce que t’a dit l’Américain ? Tu n’es pourtant pas bête !<br />

« – Non, je ne sais pas l’américain, répliqua-t-il.<br />

« – Mais, couillon de la lune, c’est du béarnais, comme parlent papa et maman quand<br />

tu es à l’école.<br />

« – Ah ! c’est du patois !<br />

« Maintenant, je comprenais. Nous étions en 1972 10 . Le monde avait changé et ma<br />

pauvre langue s’en allait par morceaux. »<br />

p. 120 : « Le curé, né à Aubertin, refusait de faire chanter en béarnais :<br />

« – Nous avons abandonné le latin, ce n’est pas pour revenir au gascon !<br />

« L’instituteur, lui non plus, n’a que faire de l’occitan. Il fait de la spéléo et le<br />

dessous de la terre lui plait plus que le dessus. Le facteur des P.T.T. lui, était fâché avec la<br />

9 Concernant le Médoc, on se reportera avec fruit à A. Viaut, 1992, pp. 28-33.<br />

10 Plus de trente ans après, Jean de Tachoires doit être papa; peut-on croire qu’il parle béarnais à sa femme, pendant que<br />

le petit est à l’école ?


Jean <strong>Lafitte</strong> 56 Sociolinguistique du gascon<br />

nouvelle graphie :<br />

« – Moi, elle m’estomaque ! Jamais je ne pourrai me la mettre dans la tête. »<br />

Michel Pujol, président de Nosauts de Bigòrra (I.E.O.-Hautes-Pyrénées) – (2003) :<br />

« Claude Marti [chanteur occitaniste célèbre des années 1970] lui-même est venu en<br />

Bigorre, à la demande d’une association que veut tisser des liens entre les générations, et<br />

l’a chargé de recueillir la mémoire de quartiers populaires de Tarbes et des environs. Ce<br />

projet a donné un joli petit livre « Paroles d’ici », avec des témoignages émouvants et<br />

intéressants, mais… en langue française, avec bien peu de courtes citations en gascon.<br />

L’auteur, qui a tant fait pour la langue, explique qu’ici, il n’a pas pu faire autrement… quel<br />

crève-cœur ! Le sujet se prêtait à l’emploi de la langue, l’auteur était un héros de la langue,<br />

mais les lecteurs éventuels n’auraient pas su lire, et aussi les personnes interrogées ne se<br />

souciaient pas de la langue ou l’avaient oubliée. Et le héros devait gagner sa vie…<br />

« Et aujourd’hui, nous devons réfléchir à deux fois avant de redire : “Parle occitan, tu<br />

gagneras ta vie !” »<br />

Dans les milieux félibréens ou occitanistes eux-mêmes, chez ceux qui paient les cotisations, il<br />

n’est pas sûr qu’on en compte un sur dix qui puisse tenir une conversation ordinaire en un dialecte<br />

quelconque :<br />

Gilbert Narioo (1988) :<br />

« La grande déception de nos amis catalans, c’est de voir tant d’occitanistes qui<br />

tergiversent : deux mots en occitan, dix en français, comme quelqu’un qui ne sait pas ce<br />

qu’il veut, comme pour se moquer de lui-même.<br />

« C’est chose rare comme le merle blanc une réunion occitaniste où l’on parle oc<br />

d’un bout à l’autre. On peut même trouver des gens qui militent pendant des années sans<br />

jamais dire un mot en notre langue… S’ils avaient toujours entendu parler occitan sans<br />

tergiverser par leurs amis qui savent, ils s’y seraient mis !<br />

« Nous connaissons tous des professeurs d’occitan enflammés mais qui font les cours<br />

en français, qui vous parlent toujours en français, qui n’ont jamais parlé occitan chez eux à<br />

leurs enfants : tergiverseurs ! […]<br />

« Nous ne pouvons pas attendre de l’État qu’il nous oblige à parler notre langue.<br />

Nous devons d’abord la parler nous-mêmes. […] »<br />

Et de là à parler en oc couramment chez soi, à transmettre la langue aux enfants, à voir ceuxci<br />

continuer à la parler une fois passés par les écoles et l’université… les obstacles sont immenses.<br />

À commencer par le fait que pour parler dans une langue, il faut être au moins deux qui la parlent et<br />

la comprennent… et surtout qui veuillent l’employer. Jadis, c’était facile, quand les couples se<br />

formaient entre voisins; ainsi les héros d’une nouvelle béarnaise : « Je suis fils de paysans, elle<br />

aussi… Nous croyons au même Dieu… Nous parlons la même langue… Tous deux nous sommes<br />

riverains du même gave… » (Yulien de Caseboune, Esprabes d’amou, 1926). Mais aujourd’hui…<br />

On pourra lire en Annexe VIII le témoignage d’un de mes amis très proches, Marc Cazalets, né en<br />

1929. Et dans le même sens, ci-après, d’autres, parallèles, pris en pays d’oc hors de Gascogne :<br />

Patric Choffrut-Faure (1996), qui fut Président de l’I.E.O. de 1980 à 1981 :<br />

« Mon garçon habite en Allemagne avec sa mère et parle couramment, outre le<br />

français et l’allemand, la langue anglaise, puisque c’est celle que nous parlons chez nous,<br />

ma femme étant citoyenne nord-américaine. [Le fils, Vincent, passionné d’alpinisme]<br />

s’était arrêté pour une nuit à l’auberge de Seguin, chez Pessemesse. Quand il vit le nom du<br />

jeune, Pierre Pessemesse alla directement vers lui pour lui parler, et naturellement Vincent<br />

n’y comprit pas un mot. De cette affaire, nous en sommes sortis mortifiés tout les trois,<br />

Pessemesse, de ce que le fils de Choffrut ne savait pas parler l’oc, Vincent, qui avait<br />

depuis longtemps refusé de répondre en oc quand je voulais lui parler, et moi, qui n’ai pas<br />

été capable de réussir le passage de notre langue. […]


Jean <strong>Lafitte</strong> 57 Sociolinguistique du gascon<br />

« Entre deux personnes, on parle toujours dans la langue la plus connue, et quand le<br />

pli est pris, c’est quasiment impossible de changer. Maintenant que les occitanophones<br />

sont devenus rares, le français est “naturellement” l’idiome commun. […]<br />

« En plus de cela, il y a des langues qu’on peut se permettre de dire à voix haute dans<br />

un lieu public comme l’anglais, et il faut un drôle de courage pour parler en oc. Je parle<br />

anglais avec ma femme dans le Leclerc d’Avignon, et il m’est difficile de parler français<br />

dans un “Target” de Minneapolis… »<br />

Guiu Garnier – Bilingüisme… (1996, p. 4) :<br />

[Pour la génération du grand-père puis de la mère de l’auteur, « la langue d’oc était<br />

leur langue maternelle, naturelle, aussi comme on dit. C’était leur langue de tous les jours,<br />

celle de la famille, du travail, de la boutique […] » Mais déjà, pour celle de sa mère « en<br />

dehors de la maison, on la parlait surtout entre adultes. De plus en plus, les petits entre eux,<br />

avec l’aide de l’école, employaient le français. L’école fonctionnait depuis une vingtaine<br />

d’années, le français était bien maitrisé à l’oral comme à l’écrit. Mais aussi la langue d’oc<br />

restait une langue vivante, d’un usage actif. En ce temps-là, ni la langue d’oc, ni le français<br />

n’étaient des langues passives. Il me semble que c’est le moment, entre les deux guerres,<br />

où le bilinguisme fut le plus équilibré. Il faut dire cependant que c’est à ce moment que la<br />

langue d’oc, qui était “sociale”, comme disent les linguistes, devint “individuelle”. C’est le<br />

temps aussi où, pour des causes qu’il faudrait analyser, la seule explication par l’école<br />

n’est pas suffisante, que les gens attrapèrent la honte de leur langue. C’est ainsi que les<br />

gens de cette génération n’ont pas parlé leur langue maternelle à leurs enfants, cela aurait<br />

compromis leur avenir ! C’est ainsi que ma mère, tout en croyant bien faire, ne m’a pas<br />

parlé notre langue… »<br />

J’ai pu constater moi-même le fait suivant : le 15 mars 1997, je participais à Orthez au<br />

Colloque organisé en l’honneur de Roger Lapassade (cf. p. 44). Des jeunes filles accueillaient les<br />

participants; pensant bien faire, je leur parlai en béarnais : aucune de celles à qui j’eus affaire ne sut<br />

me répondre, elles ignoraient toutes la langue de Lapassade… En revanche, le 12 octobre 2003, à la<br />

fête du maïs de Laas, à 15 km d’Orthez, je me suis adressé directement en béarnais à un paysan<br />

d’une cinquantaine d’années qui était là, avec une paire de vaches sous le joug, tirant un bros {char<br />

à deux roues} en démonstration; il m’a répondu tout de go, sans s’étonner de mon vêtement de<br />

“monsieur de la ville en promenade aux champs” :<br />

« — E y a encoère moundë qui sabën yugnë ? {Il y a encore des gens qui savent<br />

mettre le joug ?}<br />

« — O, coum vedét; e las yulhes que soun naves… » {Oui, comme vous le voyez; et<br />

les courroies du joug sont neuves.}<br />

Je mentionne plus loin, p. 208, une publicité du Leclerc d’Orthez de décembre 1990, où<br />

s’affichaient les noms béarnais d’articles de charcuterie en graphie classique, tout en observant que<br />

l’expérience ne me semblait pas s’être renouvelée. Il est certain en tout cas que j’ai cherché en vain<br />

la moindre trace de gascon dans le flot des publicités pour Noël 2003; ou plus exactement, je n’ai<br />

trouvé que deux mots, magret et pacherenc, mais ils étaient utilisés comme mots français. Ce qui<br />

nous rappelle au passage qu’une langue s’exporte avec les innovations enviables de ses locuteurs…<br />

Les enquêtes linguistiques d’avant 1999<br />

Mais ce ne sont là que des touches impressionnistes sur l’état de la langue. Peut-on aller plus<br />

loin avec des enquêtes scientifiques ? À la vérité, on a eu surtout pendant très longtemps des<br />

évaluations d’un grand optimisme émanant des milieux militants (cf. p. 51), évaluations dont J.-P.<br />

Chambon (2003, pp. 10-11) a fait judicieusement la critique. Et A. Kristol et J. Wüest supposaient<br />

que « Si les recherches empiriques restent rares, c’est peut-être parce que “la crainte de voir révéler<br />

une faiblesse de l’usage de l’occitan” est toujours vivace. » Les enquêtes régionales de 1991, 1997


Jean <strong>Lafitte</strong> 58 Sociolinguistique du gascon<br />

et 1998 ont heureusement marqué « la fin d’un mythe » (Chambon), et plus encore l’enquête<br />

INSEE-INED annexée au recensement de 1999. Mais d’abord, revenons sur les enquêtes déjà évoquées<br />

au chapitre précédent et pour lesquelles je m’appuierai encore largement sur B. Moreux :<br />

L’auteur se réfère d’abord aux enquêtes effectuées en Béarn : selon la revue occitaniste Per<br />

Noste/Païs <strong>Gascon</strong>s (n° 108, 1985, pp. 8-9), 51 % de locuteurs en Béarn (proportion surévaluée<br />

pour B. Moreux); Kristol et Wüest, 1985, de 39 (Oloron) à 77 % (Osse en Aspe); B. et C. Moreux<br />

1989, p. 240, en 1983, 61 % de pratiquants réguliers à Bruges (village des coteaux entre Arudy en<br />

Ossau et Nay dans la plaine du Gave de Pau) nés en Béarn et de plus de 15 ans. Il y ajoute le<br />

Couserans et le Haut-Comminges, non couverts par les sondages, mais pour lesquels il dispose de<br />

quelques données (Couserans, d’après Wüest et Kristol, 1993, pp. 29-139; Haut-Comminges,<br />

communications personnelles).<br />

Certes, fait-il remarquer, « Les chiffres donnés ci-dessous doivent être considérés<br />

comme indicatifs. Le degré de fiabilité de la méthode des quotas utilisée dépend de la pertinence<br />

des variables retenues (dans le cas présent : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle).<br />

D’autre part, leur méthodologie, fondée sur l’autoévaluation de personnes<br />

interrogées dans de brefs entretiens en face-à-face ou par téléphone, est mal adaptée à leur<br />

objet (Blanchet, 1994). Néanmoins on constate qu’en gros leurs résultats rejoignent ceux<br />

des enquêtes de terrain. »<br />

Selon l’enquête diligentée par les Pyrénées-Atlantiques sur les plus de 14 ans, on aurait, pour<br />

la partie gasconne et béarnaise du département, 14 % des sondés qui déclarent parler bien<br />

(“locuteurs experts”) et 12 % un peu, soit 26 % de “locuteurs tous niveaux”.<br />

D’autres enquêtes montrent que ces locuteurs sont presque tous nés en Béarn ou dans les<br />

départements voisins et parmi les sondés qui déclarent parler au moins un peu “l’occitan”, 88 % ont<br />

dit l’avoir appris en famille ou avec l’entourage. Mais selon l’INSEE, à peine plus de la moitié des<br />

plus de 14 ans en 1994 était née en Béarn, l’afflux de population étrangère au Béarn « a été une<br />

cause mécanique importante (outre ses effets indirects) de la diminution de la proportion de béarnophones<br />

dans l’ensemble de la population ».<br />

D’autre part, si l’on ajoute aux “locuteurs tous niveaux” les locuteurs potentiels (B. Moreux)<br />

ou passifs (Ph. Blanchet), c’est-à-dire « ceux qui disent comprendre mais ne pas parler […], on<br />

obtient des chiffres qui vont de 36 % à 49 % de la population des plus de 14 ans en Béarn (suivant<br />

qu’on inclut ou non les personnes qui disent comprendre “un peu” ). »<br />

Mais évidemment, les variations géographiques sont considérables. Ainsi, selon l’enquête<br />

de 1997 en Aquitaine (déclarations des sondés) :<br />

Secteur Comprennent Parlent<br />

Agglomération bordelaise 11 % 3 %<br />

Reste de la Gironde 27 % 13 %<br />

Lot-et-Garonne 42 % 22 %<br />

Landes 48 % 28 %<br />

Pyrénées-Atlantiques 41 % 22 %<br />

Et pour les Hautes-Pyrénées, Haut-Comminges et Couserans 35 %<br />

B. Moreux signale un même type de variation géographique à l’intérieur des zones ainsi<br />

distinguées, d’où des situations locales complexes. Par exemple, dans l’agglomération paloise, qui


Jean <strong>Lafitte</strong> 59 Sociolinguistique du gascon<br />

fournit actuellement presque la moitié de la population totale du Béarn, même si les locuteurs sont<br />

plus nombreux qu’à Bordeaux, ils sont presque exclusivement âgés de plus de 50 ou 55 ans et sont<br />

minoritaires même dans cette classe d’âge. « Au contraire, dans la commune d’Arette, située dans<br />

la partie de la vallée de Barétous la plus éloignée d’Oloron, le béarnais est parlé par presque toutes<br />

les personnes âgées de plus de 40 ans. Et la compétence passive est quasi-générale dans les zones<br />

rurales.<br />

B. Moreux rappelle alors l’évolution générale au cours du XX e s de la société française, et de<br />

sa part rurale principalement, phénomène bien connu : « La société agraire a plus changé de 1950 à<br />

1980 qu’au cours des cinq siècles précédents. » (Bertrand Hervieu, sociologue du monde rural,<br />

Président de l’<strong>Institut</strong> national de la recherche agronomique (I.N.R.A.), interviewé à l’occasion du<br />

Salon de l’Agriculture, Pèlerin Magazine, n° 6723 du 21 février 2003).<br />

B. Moreux y voit avec raison une cause déterminante dans le recul du gascon et du béarnais,<br />

et plus encore dans la fin de sa transmission familiale, d’où le constat de R. Lafont (2000) : « Les<br />

langues et cultures régionales […] leur transmission familiale s’est arrêtée vers 1960. »<br />

B. Moreux parle alors du rôle particulier des femmes dans la transmission de ces langues (cf.<br />

A. Kristol et J. Wüest, 1985, p. 43), sujet sur lequel je reviendrai, p. 94 :<br />

« les femmes, qui ne fournissent qu’un gros tiers (36 %) des locuteurs experts<br />

actuellement dans les Pyrénées-Atlantiques gasconophones (32 % dans les Hautes-<br />

Pyrénées), ont joué un rôle capital. En effet, paradoxalement, alors que les mères sont<br />

habituellement les agents déterminants de l’apprentissage de la langue maternelle, elles ont<br />

été, en Gascogne, les premiers éléments de la cellule familiale à valoriser le français, à<br />

tenter par leur propre exemple, en collaboration avec l’école, d’en imprégner précocement<br />

leurs enfants. Ainsi les mères, actives d’ailleurs à tous les niveaux de la modernisation en<br />

opposition souvent au conservatisme paternel, constituaient un relais de proximité des<br />

autres facteurs plus diffus de changement, relais d’autant plus efficace qu’il empruntait les<br />

voies de l’affectivité. »<br />

B. Moreux fait enfin deux constats, qui ne surprendront personne : les compétences, aussi<br />

bien passives qu’actives décroissent continument de génération en génération; par exemple, si la<br />

moitié des plus de 64 ans parle ou seulement comprend plus ou moins la langue, cela n’est plus que<br />

les 7 % des jeunes entre 15 et 24 ans. Quant aux couches sociales des locuteurs, ce sont<br />

évidemment les agriculteurs qui sont les plus nombreux, alors qu’étudiants, cadres supérieurs et<br />

professions libérales sont sous-représentés; et les employés et ouvriers aussi, faute de liens avec le<br />

monde rural.<br />

L’enquête INSEE-INED de 1999 (Colette Deguillaume et Éric Amrane, 2002)<br />

Depuis ont été publiés les résultats de « l’enquête Étude de l’histoire familiale de<br />

1999 […] conçue avec le concours de l’<strong>Institut</strong> national d’études démographiques et<br />

réalisée par l’INSEE. Elle fait l’objet d’une exploitation concertée entre les deux instituts.<br />

Pour la première fois, elle comportait un volet consacré à la “Transmission familiale des<br />

langues et parlers”. Les questions concernant cette transmission ont permis d’isoler et d<br />

étudier les trois grands axes suivants :<br />

« - d’une part, “l’héritage” de ces langues et parlers différents transmis par nos<br />

parents, considérés isolément, dans notre enfance,<br />

« - d’autre part, l’usage que nous-mêmes avons adopté vis à vis de ces langues et<br />

parlers, avec nos jeunes enfants,<br />

« - et enfin, notre pratique actuelle avec notre entourage, de ces mêmes langues et<br />

parlers.


Jean <strong>Lafitte</strong> 60 Sociolinguistique du gascon<br />

« Ces questionnaires, remplis en même temps que les bulletins du recensement de<br />

mars 1999, ont concerné 380 000 adultes vivant en métropole, dont les plus âgés sont nés<br />

avant la guerre de 1914. »<br />

La présentation des résultats confirme les évaluations précédentes quant aux proportions relatives<br />

de locuteurs selon les âges, secteurs d’habitat et catégories socioprofessionnelles, mais oblige<br />

de réviser à la baisse les effectifs globaux, et encore s’agit-il ici aussi des déclarations des sondés.<br />

L’idéologie occitaniste bien infiltrée dans les administrations fait évidemment appeler<br />

« occitan » tout ce qui est d’oc, sans égard aux déclarations des intéressés, ni aux enseignements de<br />

l’histoire sur le gascon (cf. plus haut, p. 37), alors que les “langues régionales” y sont définies, p. 4,<br />

comme « langues historiquement parlées sur une partie du territoire métropolitain ». Mais ceci dit,<br />

apparait p. 5 une remarque des plus intéressantes : sur les quelque « 786 000 locuteurs d’occitan en<br />

France […] Aquitaine et Midi-Pyrénées […] regroupent […] la moitié des locuteurs d’occitan »,<br />

soit quelque 393 000 locuteurs; toutes choses égales par ailleurs, les 13 départements concernés<br />

auraient donc un taux de locuteurs de moitié supérieur à celui des autres pays d’oc ! Et sur ce total,<br />

on en compte « 160 600 en Aquitaine précisément, région dans laquelle tout ce qu’on appelle patois<br />

est assimilé à l’occitan ». On peut néanmoins s’interroger sur l’absence totale du poitevinsaintongeais,<br />

“patois” non “occitan” du nord de la Gironde.<br />

J’ai demandé à l’INSEE-Aquitaine et à l’INSEE-Midi-Pyrénées des précisions sur les<br />

résultats par cantons, mais sans résultat. J’ai donc raisonné sur la population de ces 13 départements<br />

selon le recensement de 1999, pour essayer de mieux cerner la population qui se dit gasconophone.<br />

J’ai considéré que le Pays basque, y compris les Basques de Bayonne, représente en gros le tiers<br />

des Pyrénées-Atlantiques, que les populations d’oïl de la Gironde en représentent le cinquième, que<br />

le Lot-et-Garonne, le Tarn-et-Garonne et l’Ariège se partagent par moitié entre gascon et<br />

languedocien, et que la part gasconne de la Haute-Garonne est de l’ordre de celle de l’Ariège, soit<br />

quelque 70 000 habitants. En répartissant les 160 600 locuteurs d’oc d’Aquitaine et les 232 400 de<br />

Midi-Pyrénées au prorata de la population d’oc ainsi évaluée, on obtient les chiffres suivants pour<br />

les locuteurs gascons de plus de 18 ans :<br />

Gironde 67 450 Ariège 6 250<br />

Landes 21 460 Gers 15 680<br />

Lot-et-Garonne 10 000 Haute-Garonne 6 380<br />

Pyrénées-Atlantiques 26 250 Hautes-Pyrénées 20 240<br />

Tarn-et-Garonne 9 380<br />

Aquitaine 125 160 Midi-Pyrénées 57 930<br />

Total général 183 090<br />

Bien évidemment, ce n’est là qu’un jeu mathématique, qui ne tient aucun compte de ce qu’on<br />

sait par ailleurs du faible taux de locuteurs en milieu urbain, alors que les agglomérations de Bordeaux,<br />

Toulouse, voire Pau, Bayonne… pèsent très lourd sur la population d’ensemble; mais comme<br />

le degré d’urbanisation est du même ordre dans les deux régions considérées, la répartition de la<br />

masse de locuteurs donnée par l’INSEE n’a rien de fantaisiste. En revanche, le prorata standard de<br />

locuteurs d’oc non-gascons calculé pour la Dordogne ne tient pas compte du fait que c’est le premier<br />

département d’Aquitaine pour la proportion de locuteurs; il est donc au-dessous de la réalité et<br />

le “reste” de 125 160 locuteurs gascons d’Aquitaine, un peu au-dessus. Néanmoins, le total général<br />

pour les deux régions, de l’ordre de 180 000 locuteurs gascons de 18 ans et plus, est certainement<br />

plus proche de la réalité que toutes les évaluations militantes qu’on a pu faire jusqu’ici. Exactement


Jean <strong>Lafitte</strong> 61 Sociolinguistique du gascon<br />

l’opinion de J.-P. Chambon, 2003.<br />

Le texte de synthèse de la p. 5 de Le Quatre pages - INSEE Aquitaine n° 110 souligne qu’un<br />

quart de ces locuteurs est agriculteur ou ancien agriculteur et que « les deux tiers d’entre eux ont au<br />

moins 65 ans ». Et de poursuivre :<br />

« Pourtant chez les générations des moins de 35 ans, la tendance à la baisse s’est,<br />

semble-t-il, stabilisée et la proportion de locuteurs pour ces âges, à partir de 18 ans, se<br />

maintient à un peu plus de 2 %.<br />

« Ces chiffres, pour encourageants qu’ils soient, ne sont pourtant pas le fruit de la<br />

transmission par les parents, puisque contrairement à ce qui se passe pour le basque, la<br />

transmission par les parents aux enfants se révèle être très faible, inférieure à 1 %, qu’elle<br />

soit occasionnelle et encore plus habituelle. »<br />

Quant à J.-P. Chambon (2003) déjà cité, après avoir rappelé les exagérations passées et les premières<br />

enquêtes régionales (1991, 1997, 1998), il s’attache surtout à l’enquête INSEE et conclut :<br />

« Le noyau des usagers habituels de la langue occitane semble pouvoir être évalué<br />

aujourd’hui à un demi-million de personnes environ. Certes, ce chiffre ne doit pas être<br />

confondu avec celui des locuteurs compétents (on ne dispose pas, à notre connaissance,<br />

d’estimation fondée à cet égard) : le cas de locuteurs compétents mais non habituels de<br />

l’occitan n’est, en effet, pas exceptionnel. Il est néanmoins significatif de l’ordre de<br />

grandeur du noyau de la communauté occitanophone actuelle (environ un trentième de la<br />

population du domaine). Les enquêtes régionales font également attendre un chiffre global<br />

assez élevé de semi-locuteurs. Quoi qu’il en soit, il convient d’abandonner définitivement<br />

les estimations hautes, non seulement celle de 12 millions, qui se situe entièrement en<br />

déprise de réalité pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, mais aussi celles qui<br />

supputaient encore récemment 2 à 4 millions de locuteurs […]. Toute réserve faite sur le<br />

premier chiffre (en raison de la méthode de calcul très hypothétique), on peut néanmoins<br />

estimer, pour fixer les idées, qu’en deux siècles, le nombre de locuteurs de l’occitan est<br />

passé de 8 millions environ (?) à 500 000 environ. Au cours du 20e siècle, on a assisté à ce<br />

qui semble bien être une extinction progressive de la transmission familiale de la langue. »<br />

D’où la réflexion de Patrick Sauzet au Cercle de minuit, déjà cité :<br />

« […] Actuellement, il y a une langue qui est en train de disparaitre. La transmission<br />

naturelle aujourd’hui arrive vraiment à son terme. On s’en émeut si peu… Basque, breton,<br />

catalan, occitan… sont au point de disparaitre peut-être, malgré les efforts de ceux qui<br />

produisent, qui écrivent, créent, parlent, chantent. »<br />

À présent, comme au chapitre précédent, je complète ce qui précède par ce que l’on sait de la<br />

pratique de l’aranais, que sa reconnaissance officielle par l’Espagne érige pourtant en modèle pour<br />

les militants occitanistes :<br />

Jusèp Loís Sans Socasau (1995) :<br />

« […] Quand ces jeunes aranais ont à s’adresser à un étranger au Val d’Aran ils le<br />

font à 80 % en castillan, 11 % le feraient en aranais et 9 % en catalan. Si on leur présente<br />

un écrit dans les trois langues usuelles en Aran (castillan, catalan et aranais), 35 % la<br />

liraient en aranais et 55 % en castillan. À la fin d’un jour normal 65 % des jeunes<br />

reconnaissent que la langue qu’ils ont le plus utilisée est le castillan (21 %, l’aranais) et<br />

44 % des jeunes de 15 à 18 ans qui vivent en Aran disent qu’ils n’utilisent pratiquement<br />

l’aranais pour rien. […]<br />

« 77 % des aranais de 15 à 18 ans pensent qu’il faut pousser davantage l’emploi de<br />

l’aranais, mais ce sentiment ne se traduit pas par une attitude active. Dans l’enquête citée<br />

plus haut de la Généralité de Catalogne, 100 % des jeunes de 11 à 20 ans estimaient que la<br />

langue qu’ils aimeraient que tout le mode parle est l’aranais. […]<br />

« 64 % des jeunes ont clairement perçu que l’aranais s’utilise de moins en moins.<br />

[…]


Jean <strong>Lafitte</strong> 62 Sociolinguistique du gascon<br />

« Et en face de tout cela, il faut rappeler au lecteur peu informé que la langue<br />

occitane est officielle en Aran, qu’on l’enseigne obligatoirement dans les écoles au moins<br />

deux heures par semaine et qu’il existe tout un ensemble de mesures protectionnistes très<br />

importantes d’un point de vue quantitatif, rapporté au nombre d’habitants. »<br />

III – De quoi parle-t-on en gascon ?<br />

On l’a déjà fait remarquer, les réponses aux enquêtes relèvent toutes de l’auto-évaluation. En<br />

outre, quand on dit parler couramment patois, béarnais ou gascon, cela n’a certainement pas la<br />

même signification que quand on dit parler français. Même pour les locuteurs habituels, cela se<br />

limite à quelques mots de salutations, des banalités sur le temps qu’il fait, la santé, les activités<br />

domestiques ou agricoles…<br />

À cet égard, me parait particulièrement significatif un dépliant publié en novembre 2004 par<br />

la Région Aquitaine et le Rectorat de Bordeaux pour inciter les élèves de 3 ème à choisir au lycée les<br />

options de basque et d’« occitan ». On y trouve en effet trois témoignages de jeunes sur chacune de<br />

ces langues; renvoyant à plus tard (p. 72 et en Annexe IX) une réflexion sur l’« occitan » des<br />

témoignages « occitans », je voudrais montrer ici le contraste entre les Basques et les « Occitans ».<br />

Deux des Basques parlent de l’intérêt professionnel de leur connaissance du basque, l’un<br />

parce que son entreprise « a des marchés avec la communauté autonome basque et la Navarre »,<br />

l’autre parce qu’elle lui a permis de « faire un stage au sein d’une télévision basque », tout en<br />

mettant en premier le fait qu’il se sent basque, que c’est son identité; le troisième témoignage est<br />

d’une maman qui, venue de Nantes, a placé sa fille en classe bilingue « pour qu’elle s’intègre<br />

mieux à la région. »<br />

Du côté « occitan », les témoignages reproduits en Annexe IX sont chacun dans l’une des<br />

trois langues d’oc qui peuvent être présentées au baccalauréat dans la région (cf. les arrêtés cités p.<br />

33) : gascon, languedocien et limousin; mais curieusement, il n’en est rien dit. Le gascon est d’une<br />

étudiante, très probablement gasconne, qui se réfère à la langue « qui a bercé son enfance »; le<br />

limousin est d’un lycéen sénégalais venu étudier à Bordeaux deux ans plus tôt; et le languedocien<br />

est d’un journaliste languedocien embauché par l’hebdomadaire occitaniste La Setmana.<br />

Si l’aspect identitaire est explicitement revendiqué par l’un des Basques, il est ignoré des<br />

« Occitans », ce qui ne saurait étonner, car « l’Occitan, lui, est inconnu comme point du schéma<br />

ethnique » selon la pertinente observation de Jean Marie Sarpoulet, aujourd’hui responsable de<br />

l’« occitan » à l’Académie de Bordeaux (Amiras n° 20, 1990, p. 52). Mais surtout, aucun des<br />

« Occitans » n’envisage de parler la langue apprise au lycée avec des personnes de son entourage,<br />

encore moins d’en faire un avantage professionnel. Certes, l’étudiante, qui est aussi « enseignante<br />

vacataire d’occitan », espère sans doute en devenir professeur titulaire, et le Languedocien en fait<br />

son métier dans le journalisme occitaniste. Mais ce sont des emplois “à la marge”, largement<br />

dépendants de crédits publics, même à La Setmana, qui ne dépasse sans doute pas les 50 abonnés<br />

par département « occitan », dont bon nombre de bibliothèques publiques ou scolaires.<br />

On voit donc que dès qu’on sort du microcosme scolaire ou militant, ou des banalités de la<br />

conversation, le gascon se dérobe, même pour parler de politique municipale ou cantonale, le<br />

vocabulaire manque et l’usage de mots français, même gasconisés, entraine vite la poursuite de la<br />

conversation en français. Mais chez les “anciens”, quelques mots de « patois » sont le mot de passe<br />

d’une certaine convivialité qu’on ne partage qu’avec des compatriotes, conscients d’une<br />

communauté de racines et porteurs des mêmes souvenirs du temps de la jeunesse.


Jean <strong>Lafitte</strong> 63 Sociolinguistique du gascon<br />

J’en donnerai un seul exemple : quand il s’est agi de traduire en béarnais la notice historique<br />

sur la ville de Navarrenx à l’intention des touristes — il y en avait déjà une version anglaise et une<br />

allemande, il fallait bien que le béarnais se montrât — aucun des locuteurs habituels contactés ne<br />

fut en mesure de le faire, faute de vocabulaire technique (histoire, fortifications); et c’est à moi<br />

qu’échut la tâche. Car pour écrire, encore faut-il savoir exprimer ce que l’on pense…<br />

IV – Et donc, où en est l’écrit gascon ?<br />

L’occitan peut tout dire, comme l’écrivit M. Grosclaude (1980), en donnant la version<br />

gasconne des principes de la thermodynamique.<br />

Mais déjà, au milieu du XIV e s., le très indépendant Gaston Fébus, qui gouvernait sa principauté<br />

en béarnais, écrivait en français son célèbre Livre de la chasse; et vers 1600, le <strong>Gascon</strong> Guillaume<br />

Ader, bien qu’il eût illustré la langue gasconne méprisée par la bonne société de Toulouse,<br />

écrivit en latin ses deux traités de médecine (Cf. Guilhem Ader, Actes du colloque de Lombez de<br />

1991, CIDO 1992, pp. 34 et 44). De nos jours, sur les 55 numéros de 1993 à 2002 de la revue Per<br />

Noste-Païs gascons, de l’association occitaniste du Béarn, 19 éditoriaux étaient en gascon contre 34<br />

en français, sans doute pour être plus surs d’être lus et compris par les abonnés… Et 30 de ces derniers<br />

étaient signés par M. Grosclaude qui avait écrit « Le militant que je suis pense qu’il faut toujours<br />

présenter le français comme une langue étrangère au pays. » (Kristol et Wüest, 1985, p. VII).<br />

Même un bon romancier préfèrera le français à l’occitan :<br />

Enric {Henri} Gougaud interviewé par Christian Lagarde (1996) dans Lo Gai Saber :<br />

« G.S. [Gai Saber] Voici le dernier point : vos romans semblent être profondément<br />

occitans, et on se demande si la langue occitane ne porterait pas mieux ce qui est en vous<br />

que la langue française. N’avez-vous pas besoin, au moins occasionnellement, d’une<br />

langue plus adaptée à l’époque, à la thématique ?<br />

« E.G. Vous savez, d’abord, je n’ai pas une grande maîtrise de la langue. […]<br />

D’autre part, écrire un roman en occitan réduit considérablement son lectorat. Pourquoi le<br />

diminuerais-je, moi, dans la mesure où, quoi qu’en disent les occitanistes, ils lisent aussi le<br />

français. Donc ils peuvent lire, et les autres aussi, au lieu que si j’écris en occitan, seuls les<br />

occitanistes — et encore les militants !, car lire l’occitan est difficile, eh !… »<br />

L’écrit d’oc, donc l’écrit gascon, se limitera à des poèmes, contes ou nouvelles et à quelques<br />

écrits sur la langue ou autour d’elle. « Aucune production d’ouvrages non littéraires — il faut<br />

excepter les ouvrages pédagogiques — n’est signalée. » (Chambon, 2003, p. 15). Quant à l’avenir :<br />

Dans sa communication au Colloque de Nanterre d’Avril 1992, Georg Kremnitz, professeur<br />

de philologie à l’Université de Vienne, donnait son avis d’observateur extérieur sur la situation<br />

générale de l’« occitan » et de sa littérature (Kremnitz, 1992). Avec l’inéluctable disparition des<br />

locuteurs naturels ou “primaires”, l’acte d’écriture ne peut plus prendre sa source dans la<br />

communication orale; et de citer, pour l’écarter aussitôt, l’exemple de langues mortes comme le<br />

latin qui ont continué à produire des œuvres littéraires : mais ce n’est plus qu’un jeu d’initiés qui<br />

n’a guère d’importance sociale, et qui de toute façon n’est plus propice aux innovations qui<br />

renouvèlent toute littérature vivante. On en est arrivé à une « littérature du comme si », selon une<br />

expression de R. Lafont rapportée par G. Kremnitz.<br />

Aussi, quand les auteurs renoncent à remémorer le passé rural de la langue et veulent faire<br />

acte de modernité, ils ont « à “inventer” le tissu social de leurs textes » (Kremnitz, ib., p. 245),<br />

créant un monde imaginaire où la vie est toute en « occitan »; et ce n’est même plus de la “science


Jean <strong>Lafitte</strong> 64 Sociolinguistique du gascon<br />

fiction”, car si le Nautilus de Jules Verne et la fusée lunaire d’Hergé anticipaient une réalité future,<br />

rien ne permet d’espérer, hélas, qu’un jour revienne où l’oc sera redevenu la langue courante du<br />

Midi.<br />

Et comme pour assombrir le tableau, G. Kremnitz poursuit :<br />

« “l’occitanité linguistique” des textes publiés devient de plus en plus hésitante. [… ]<br />

Bien souvent, surtout dans la prose utilitaire, on produit des textes français avec des mots<br />

occitans 11 . Le vocabulaire le plus typique ne s’emploie plus guère depuis quelque temps,<br />

mais aujourd’hui, ce sont la syntaxe et la “mélodie” de la phrase occitane qui sont bien<br />

souvent sacrifiées. Le lecteur a parfois l’impression de se trouver en présence d’un texte<br />

pensé en français et plus ou moins traduit en occitan. »<br />

“Sur le terrain”, on ne trouve guère de quoi contredire le professeur autrichien. Ainsi, parmi<br />

les textes en “tribune libre” du dossier préparatoire à l’Assemblée générale de l’I.E.O. des 8 et 9<br />

mai 2002 à Tarbes (supplément à la revue Occitans !, pp. 17-18), Joan-Pau Ferré, enseignant et<br />

<strong>Gascon</strong> d’Ariège, se préoccupait de l’avenir du livre occitan : « un garçon sérieux […] à qui je<br />

conseillais un roman en gascon : “Je ne lis rien en français, alors vous pensez si je vais lire quelque<br />

chose en occitan !” ». La littérature occitane n’est connue que d’une infime minorité, un roman en<br />

gascon récompensé par un prix n’a été vendu qu’à 800 exemplaires… La poésie rebute encore<br />

plus : « les gens qui font l’effort de lire s’arrêtent souvent au premier niveau de lecture et ne veulent<br />

pas se casser la tête avec de la poésie difficile à comprendre. » Mais ce qui manque, c’est la<br />

littérature dite populaire. Et de citer Catinou de Charles Mouly, recueil d’histoires brèves et<br />

amusantes de la vie de tous les jours, écrit en languedocien de Toulouse, qui en est à sa quatrième<br />

édition; mais ce que J.-P. Ferré ne dit pas, c’est que Catinou est écrit en graphie moderne, pas dans<br />

la classique de l’I.E.O.; j’y reviendrai, p. 207. Puis J.-P. Ferré propose des pistes pour faire<br />

mieux… ce qui n’est pas dans mon sujet et, au demeurant me laisse sceptique : un dicton béarnais<br />

dit que tout n’est pas perdu quand « era may de las òulhes n’ey pas mourte », la mère des brebis<br />

n’est pas morte (Lespy, Dic. béarnais); mais aujourd’hui, la mère de la « langue maternelle » est<br />

bien morte, et on voit mal comment pourrait en naitre une littérature…<br />

À moins que l’école…<br />

11 Même dans les consignes pour la dissertation du CAPES d’occitan-langue d’oc ! cf. Blanchet, 2003-2, p. 235.


Chapitre III<br />

La transmission artificielle : l’enseignement<br />

L’école, espoir suprême et suprême pensée…<br />

Quand la langue était véritablement vivante dans le monde rural, et que les écoliers l’avaient<br />

pour “langue maternelle”, Camélat et combien d’autres plaidaient pour faire entrer la langue d’oc à<br />

l’école publique; ce fut réalisé par des arrêtés du 24 décembre 1941 pris par le secrétaire d’État à<br />

l’éducation nationale et à la jeunesse du Maréchal Pétain, Jérôme Carcopino; le principal de ces<br />

textes autorise les instituteurs et les institutrices « à organiser dans les locaux scolaires, en dehors<br />

des heures de classe, des cours facultatifs de langue dialectale (langues basque, bretonne, flamande,<br />

provençale…) […]. ». La mesure fut saluée par les occitanistes comme par les félibres; ainsi, Louis<br />

Alibert (1943, p. 25) :<br />

« Aujourd’hui, une nouvelle aurore se lève, qui promet de beaux jours à la langue<br />

d’oc renaissante. Le gouvernement du maréchal Pétain vient de lui ouvrir la porte des<br />

écoles primaires et il nous promet la reconstitution de nos vieilles provinces. »<br />

Mais moins de deux ans plus tard, à la Libération, l’ordonnance du 9 aout 1944 tendant au<br />

rétablissement de la « légalité républicaine » en France continentale (J. O. du 10, p. 688) constatait<br />

expressément la nullité de nombreux actes intéressant l’éducation nationale, dont « Tous les actes<br />

relatifs à l’éducation générale et sportive », parmi lesquels les arrêtés “Carcopino”.<br />

Les défenseurs des langues qu’on appellerait plus tard “régionales” ne s’avouèrent pas<br />

vaincus et s’efforcèrent de démontrer qu’enseigner ces langues dans l’école publique n’était pas<br />

contraire à la légalité républicaine. C’est ainsi qu’une proposition de loi Deixonne autorisant<br />

l’enseignement des « langues et dialectes locaux » finit par être votée à la fin de 1950 et<br />

promulguée le 11 janvier 1951 (cf. p. 31). Cela a permis quelques progrès dans l’école publique,<br />

tandis que se créaient ces écoles privées, nés en Béarn en 1979, qu’on appelle Calandretas.<br />

Mais aujourd’hui, la “langue maternelle” n’est plus le gascon : « La transmission orale<br />

n’existe plus, la transmission familiale non plus, l’enseignement doit transmettre, il doit suppléer. »<br />

(Jean Salles-Loustau, professeur d’occitan à l’Université de Pau et chargé de mission pour la<br />

culture occitane auprès du ministre de l’Éducation Nationale, 1995).<br />

Même constat et même conclusion de la part du “Capoulié” {Président} du Félibrige, Pierre<br />

Fabre, enseignant lui aussi, in Jacques Chambon, 2001 :<br />

« … j’ai énormément espoir dans l’enseignement de notre langue, c’est-à-dire dans<br />

les jeunes générations… (en provençal traduit [sic; c’est-à-dire “traduit en occitan<br />

standard”]) : Le temps où la langue se transmettait de père en fils et de mère en fille est<br />

heureusement [sic ! le traduttore aurait-il été un traditore ?] bien achevé, tari, et donc<br />

notre langue se transmettra et ne se transmettra qu’à travers l’enseignement dans les<br />

écoles, de l’école maternelle jusqu’à l’université. »<br />

Notre société attend en effet beaucoup de l’école, le monde félibréen et l’occitaniste encore<br />

plus, pour être surtout constitués de professionnels de l’éducation, de l’instituteur au professeur<br />

d’université. Ils ont une sorte de foi dans la loi, le décret, la circulaire du ministre, l’action des<br />

syndicats de l’éducation nationale. Bref, une démarche par les couloirs de l’État républicain dont<br />

les mêmes critiquent souvent le centralisme…<br />

Pourtant, cela n’aboutit guère. La vérité, c’est qu’aujourd’hui, le français est la langue des


Jean <strong>Lafitte</strong> 66 Sociolinguistique du gascon<br />

gens du Midi 12 , fussent-ils renommés “Occitans” par certains, et même s’ils aiment entendre parler<br />

patois ou chanter en patois et répondent aux sondages que ce serait dommage que la langue<br />

“régionale” se perde entièrement. Mais nous savons quel serait le choix des parents d’élèves entre<br />

le maintien d’une classe dans telle école de ville ou de village et la création d’un poste d’instituteur<br />

itinérant en langue d’oc. Et les occitanistes en ont conscience :<br />

Ainsi, G. Narioo, président de l’association Per Noste, en publiant la version gasconne d’un<br />

article d’une Catalane, Silvia Aymerich I Lemo (1995), sur la situation linguistique en Irlande. Il<br />

fait état du recul dans la politique linguistique qui tendait à restaurer l’irlandais depuis la fondation<br />

de l’état libre en 1921, mais qui a fortement fléchi depuis 1960 au point que depuis 1973, il n’est<br />

plus nécessaire de réussir une épreuve d’irlandais pour obtenir le baccalauréat. Le directeur d’une<br />

école primaire en irlandais, militant très engagé dans son rôle, faisait même état des difficultés<br />

rencontrées pour « convaincre pères et mères que l’apprentissage de l’irlandais ne causerait aucun<br />

retard dans l’apprentissage de l’anglais, surmonter “la haine” (sic) des enfants envers la langue<br />

irlandaise pour pouvoir ensuite la leur enseigner. » Ce que le linguiste irlandais Macnamara<br />

explique comme la conséquence du fait qu’« une bonne part de la société refuse la responsabilité<br />

dans une entreprise sociale et la relègue aux écoles ».<br />

Ce sont les mêmes réactions que décrit J.-P. Latrubesse dans un article des Reclams de 1995<br />

(n° 4/5/6, pp. 64-69) : si 60 % de la population souhaite, selon un sondage demandé par le Conseil<br />

Général, « que leurs enfants apprennent l’occitan [sic] à l’école, […], au moment des inscriptions<br />

[en classe] il n’y a pas un tel élan. En effet, il y a un capital de sympathie qui s’arrête là et, au moment<br />

des choix, […] il se trouve toujours une option plus importante pour l’enfant. » Et sans chercher<br />

à lire entre les lignes, on voit bien que la motivation principale est d’obtenir plus facilement le<br />

bac si la cotation des épreuves est favorable à la matière; et de reconnaitre que sous le régime de la<br />

“loi Haby”, « plus d’un avait le bac grâce à l’occitan », ce qui peut laisser sceptique quant à l’avenir<br />

professionnel des intéressés… À cet égard, le prospectus qu’il avait rédigé pour motiver des<br />

inscriptions dans cette matière parait bien optimiste : « l’occitan est une chance pour les jeunes : les<br />

racines, la richesse linguistique, l’ouverture vers l’Europe et l’avenir avec le C.A.P.E.S. et les<br />

emplois au Pays. » Et d’insister : « De plus, avec la crise de l’emploi, ce CAPES en fait rêver plus<br />

d’un parce que — et c’est un argument de poids — c’est le seul qui permette de travailler au<br />

Pays. » Pauvre pays, qui n’aurait d’autre ressource pour vivre que de compter sur des emplois aussi<br />

spécialisés de fonctionnaires payés par le reste de la nation ! On comprend que l’appel final que<br />

l’auteur adressait aux politiques pour soutenir de tels projets n’ait guère trouvé d’échos…<br />

L’année suivante, Jean-Louis Blenet, président de la fédération des Calandretas, était plus<br />

réaliste (P.N.-P.G. n° 173, 3-4/1996, Courrier des lecteurs, p. 20) :<br />

« Le mouvement d’oc, maintes fois dans son histoire, pour ne pas dire constamment,<br />

semble demander qu’une loi fasse vivre la culture occitane.<br />

« Mais il n’y pas de loi qui fasse tenir debout celui qui veut se coucher.<br />

« Et nous devons reconnaître qu’en gros la société d’oc ne porte pas en acte et d’une<br />

façon forte son envie de donner un avenir à la culture occitane. […]<br />

« L’État dans son refus pose aux occitanistes une question qui est positive.<br />

« L’État dit : “Tu me demandes des mesures, un statut ?… Je dis non. Que fais-tu ?<br />

Que faisons-nous ? D’autres demandes ?”<br />

« Et l’État n’a pas besoin d’être putassier pour ce faire, il a un bon argumentaire.<br />

12 Cf. Louis Alibert qui compare la langue des troubadours à « nos classiques du XVII e siècle » français, évidemment !<br />

(1951, p. 54).


Jean <strong>Lafitte</strong> 67 Sociolinguistique du gascon<br />

« Il dit : “Pourquoi je dis non ? Parce que j’ai un tas de demandes, de milliers de<br />

choses à faire et que je choisirai l’indispensable, parce que nous ne devons pas gaspiller<br />

l’argent public, etc. Alors je dis d’abord non à tout et je ferai ce à quoi je ne pourrai pas<br />

échapper.”<br />

« Et nous pouvons être sûrs que tant qu’il pourra y échapper, il le fera. »<br />

Dans le même sens, en une journée de réflexion sur Pyrénées-Atlantiques au XXI e siècle<br />

initiée par le Conseil général que présidait F. Bayrou, Maurice Jeantet, président de l’<strong>Institut</strong><br />

d’administration des entreprises, disait : « Pourquoi aussi ne pas apprendre l’espagnol dès l’école<br />

primaire ? L’occitan et le basque c’est bien, mais pour la veillée ». (Éclair-Pyrénées, 26 juin 1996).<br />

Une école alibi ?<br />

La reconquête du terrain perdu par la langue n’est donc pas le souci premier des populations;<br />

mais pire encore, on a observé que bien des parents qui envoient leurs enfants dans les Calandretas<br />

le font en raison des méthodes d’enseignement et des petits effectifs, beaucoup plus que par<br />

attachement à la langue “régionale”; il en est probablement de même pour les quelques classes<br />

bilingues instituées dans l’enseignement public. Cela explique par exemple ce constat fait par J.<br />

Salles-Loustau (1995) :<br />

« si l’on veut bien s’attarder un instant sur les profils des catégories socio<br />

professionnelles des parents des enfants qui fréquentent les calendretas, à qui il faut<br />

reconnaître un mouvement précurseur déterminant en matière de maintien de l’occitan :<br />

ingénieurs, cadres supérieurs, professions libérales, pour la plupart d’entre eux. »<br />

Le chargé de mission pour la culture occitane en tirait aussitôt la conclusion optimiste :<br />

« Et c’est grâce à ces catégories sociales là que l’occitan est en train de regagner ses<br />

lettres de noblesse. »<br />

Dans le même sens, Serge Javaloyès (1999), co-président de la Confédération Calandreta<br />

depuis 1989, célébrait les 20 ans de ces écoles en constatant :<br />

« En 1993 [sic; peut-être une coquille pour 1999 ?], la langue est encore une<br />

motivation mais c’est la dialectique “langue/méthode pédagogique” qui fait venir de<br />

nouvelles personnes et tout particulièrement des gens des villes. Calandreta devient,<br />

finalement, un mouvement urbain, un mouvement du changement social. » 13 .<br />

De quoi d’ailleurs se demander si le « changement social » est bien le but des Calandretas !<br />

En tout cas, une enquête récente sur d’anciens élèves de la Calandreta de la Còsta pavada de<br />

Toulouse montre que dès le passage au collège, ces enfants ont tendance à abandonner l’oc, à la<br />

fois comme par rupture avec ce qui leur fut en quelque sorte imposé par leurs parents et par désir de<br />

suivre la majorité qui trouve cela ringard, vieux jeu… (Chantal Dompmartin-Normand, 2002). Au<br />

demeurant, selon cet auteur, la plupart des élèves des Calandretas en milieu urbain n’utilisent guère<br />

l’occitan hors de la salle de classe, ce qui n’a pas de quoi surprendre…<br />

Même constat dans une enquête sur 17 anciens de la Calandreta de Béziers, aujourd’hui<br />

étudiants en université, mais dont « un seul s’est orienté vers une spécialisation en occitan » :<br />

« ce qui ne manquera pas d’en étonner plus d’un, c’est le désintérêt majoritaire pour<br />

la mouvance militante occitaniste et une désaffection pour la création culturelle occitane<br />

actuelle. Et plusieurs qualifient même de “patois” l’occitan hérité […]. Ces ex-<br />

“calandrons” se souviennent que c’était bien essentiellement le français qu’ils parlaient<br />

13 On observera combien ce court texte, traduit mot à mot du gascon, vérifie l’observation de Kremnitz (1992)<br />

rapportée plus haut, p. 64 « Le lecteur a parfois l’impression de se trouver en présence d’un texte pensé en français et<br />

plus ou moins traduit en occitan. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 68 Sociolinguistique du gascon<br />

dans la cour de récréation de leur “Calandreta”… » (Henri Boyer, Professeur à l’université<br />

de Montpellier III, 2003).<br />

Moi-même, en 14 ans d’enseignement du gascon à Paris, je n’ai jamais vu arriver un ancien<br />

de Calandreta qui aurait voulu continuer à apprendre et parler gascon dans l’“exil” de la capitale.<br />

Mais la clé de cet échec, c’est en quelque sorte le militant Gilbert Narioo qui nous la donne<br />

dans un éditorial de Per noste-Païs gascons (n° 97, 7-8/1983, p. 1); il suffit de remplacer « anglais »<br />

par « gascon » ou « occitan » :<br />

« Il faut que les parents sachent que l’enseignement de l’anglais dans les écoles<br />

maternelles de chez nous est une grande sottise […]. Car […] l’anglais ne sera pas entendu<br />

par les enfants ni chez eux, ni dans la vie courante, donc oublié dès la sortie de l’école. »<br />

Au demeurant, J. Salles-Loustau (1995) insistait surtout sur les avantages pédagogiques de<br />

l’enseignement bilingue :<br />

« Les enfants qui ont suivi un enseignement bilingue régional sont meilleurs, en<br />

mathématiques, en français, — car c’est aussi la seule façon de sauver le français, car si on<br />

met l’anglais à la place de l’occitan, le français est perdu —, mais cela leur facilite<br />

également l’apprentissage futur d’autres langues. »<br />

Mais l’enseignement de l’espagnol aboutirait aux mêmes résultats tout en ouvrant sur une<br />

langue qui compte quelque 450 millions de locuteurs dans le monde.<br />

Une fausse panacée ?<br />

Avec ce titre, je reprends un sous-titre de l’article sur l’Irlande que je citais p. 66. Ce qui vient<br />

d’être dit peut expliquer en effet que, finalement, le maintien de la langue “régionale” n’est pas le<br />

souci premier des promoteurs de tous ces enseignements particuliers; au demeurant, c’est sans<br />

doute un objectif hors de portée du fait du petit nombre d’élèves formés et du bas niveau des<br />

connaissances dispensées.<br />

D’abord, à supposer que les élèves passés par les cours de langues d’oc fussent des locuteurs<br />

effectifs, ils seraient bien trop peu nombreux :<br />

« L’école, seule, ne réalisera pas une renaissance des langues de France. Il faudrait<br />

que des milliers d’enfants les étudient comme ils étudient le français. Et encore faudrait-il<br />

que ces enfants retrouvent, de façon constante et soutenue, leur langue à la maison, à la<br />

télévision et dans les médias en général; ils auraient ainsi l’occasion de l’entendre, de la<br />

réentendre, de l’écouter, de la pratiquer régulièrement, mais ce n’est pas le cas, car cet<br />

espace reste à créer.<br />

« Il faut, nous l’avons vu, non seulement une volonté politique, mais aussi que cette<br />

dernière soit affermie par un choix et un engagement des familles. Beaucoup d’entre elles<br />

ne comprennent pas qu’après deux siècles au cours desquels on leur a expliqué que leur<br />

langue et leur culture étaient de peu de valeur (beaucoup en sont encore persuadées), on<br />

vienne leur dire aujourd’hui le contraire. » (Jean Bonnemason, 1993, p. 45.)<br />

« Il y a bien les Calandretas, des cours dans l’enseignement public, mais c’est très<br />

marginal… Des milliers de locuteurs naturels meurent chaque année, que ne remplacent<br />

pas les quelques jeunes passés par l’enseignement. Des personnes qui naissent aujourd’hui,<br />

combien sauront la langue ? » (Patrick Sauzet, intervention déjà citée au Cercle de minuit<br />

de la nuit du 3 au 4 avril 1996).<br />

Même en Barétous (cf. B. Moreux, p. 59 ci-dessus), la pratique courante de la langue n’existe<br />

plus dans les foyers des jeunes élèves apprenant le béarnais :<br />

« Chez eux, les enfants n’entendent plus parler la langue régionale, sauf peut-être un ou<br />

deux qui échangent quelques mots avec leurs grands-parents. » (Félix Laxague, instituteur


Jean <strong>Lafitte</strong> 69 Sociolinguistique du gascon<br />

basque, animateur de la fête des bergers d’Aramits, où il fait chanter « en béarnais » ses<br />

élèves barétounais, propos rapportés dans L’Éclair, 18 Sept. 2002).<br />

Qui plus est, la compétence linguistique obtenue en fin de parcours scolaire ne permettra<br />

guère un usage habituel de la langue :<br />

« Ce n’est pas un mystère que 90 % de ceux qui présentent l’épreuve d’occitan au<br />

bac ne sont pas seulement capables de faire un phrase de cinq mots. » (S. Pepissaire, 1980).<br />

« …le nombre de ceux qui apprennent l’occitan à l’école augmente. Mais peu<br />

nombreux sont ceux qui l’apprennent jusqu’à le maîtriser véritablement. Ils le lisent, le<br />

comprennent, mais, le plus souvent, ils n’ont pas une grande capacité d’expression. Ils ont<br />

une pratique restreinte de la langue et cela les gêne, au point qu’ils hésitent à l’employer et<br />

qu’ainsi, leur compétence ne peut guère s’améliorer. Donc, globalement, la compétence<br />

linguistique baisse […] » (G. Kremnitz, 1992, p. 244)<br />

Même constat, malgré le ton optimiste, de la part de J.-P. Latrubesse qui voulait, à la fin de<br />

son article de 1995 (cf. p. 66), « crier nos réussites »; il citait ses élèves littéraires qui avaient été<br />

forcés de prendre l’occitan comme troisième langue vivante sous le régime de la “loi Haby” :<br />

« ces jeunes, pas du tout motivés, ont été enthousiastes de découvrir une langue, une<br />

littérature, une culture […]; tous ont été capables — peu ou prou — de parler pour<br />

l’épreuve du bac. »<br />

D’où la tentation de certains, et non des moindres, de renoncer à toute référence à la langue<br />

du pays, ravalée au rang de patois; ainsi, dans l’interview de 1995 déjà citée, J. Salles-Loustau a cru<br />

pouvoir affirmer : « On n’est pas là pour enseigner le patois. Le patois est mort, c’est l’occitan qui<br />

reste ». De fait, ne sont pas rares les témoignages dans ce sens sur le “qualitatif” :<br />

« la langue enseignée, le plus souvent dénommée occitan, est parfois un peu<br />

différente de celle que certains enfants ou adolescents entendent chez eux (on cite des cas<br />

où, pour cette raison, la communication entre les générations se fait mal ou pas du tout). »<br />

(B. Moreux, 2001).<br />

« Et encore, je n’ai rien dit de l’impression qu’ont les plus jeunes de parler le<br />

véritable occitan, tandis que les locuteurs naturels parleraient un patois qu’on peut<br />

négliger. » (Michel Audoyer, Lo Gai Saber n° 491, 2003, p. 445).<br />

« Beaucoup de néo-occitanophones traitent notre langue comme si elle était tout à<br />

fait morte et donc s’en considèrent comme les uniques propriétaires.<br />

« Souvent, ils n’ont pas reçu la langue en famille. Ils l’ont apprise… laborieusement<br />

et mal, semble-t-il. Mais au lieu d’être humbles, ils imposent leur médiocrité. » (Alain<br />

Broc, ib. p. 449).<br />

Le décalage entre langue enseignée et langue parlée a même été reconnu avec humour par le<br />

sage pédagogue et fin connaisseur de la langue André Lagarde, qui venait tout juste de publier un<br />

remarquable dictionnaire scolaire occitan-français et français occitan (languedocien). Dans sa chronique<br />

de langue de Lo Gai Saber (n° 463, 1996, pp. 282-3), il relatait ainsi une conversation avec<br />

une fermière chez qui il avait accompagné son mythique ami M. Laplume, venu quérir son lait :<br />

« — Vous ne craignez pas le mal de la vaca bauja {vache folle} ?<br />

« — Plait-il ?<br />

« — De la vaca fòla, précise M. Laplume.<br />

« — Oh ! ça ne risque pas ! Ici, Monsieur, nous ne nourrissons pas le bétail avec de<br />

la farine artificielle. Nous ne lui donnons que du bon fourrage, du bon tourteau…<br />

« Elle m’a répondu d’un air hargneux.<br />

« — Excusez-moi, Madame Cabirol, je vous posais des questions rien que pour<br />

plaisanter. Vous savez, dans les journaux on en parle a bèlas paginas {à pleines pages}…<br />

« — Comment dites-vous ?


Jean <strong>Lafitte</strong> 70 Sociolinguistique du gascon<br />

« — A plenas pajas, traduit M. Laplume.<br />

« — Je ne vous avais pas compris… Nous autres, ici, nous parlons patois, pas<br />

occitan… !<br />

« — Vous avez vu ? me fait M. Laplume une fois revenus dans la voiture. Madame<br />

Cabirol n’y est pas allée par quatre chemins pour vous faire comprendre qu’elle n’aime pas<br />

l’artificiel. C’est pour cela que moi, pour le lait, la volaille ou les œufs, je me sers chez elle<br />

en toute confiance […] »<br />

Et de reconnaitre : pagina « est une forme que pour mon compte je n’ai jamais bien encaissée<br />

[…] Je pense qu’il faudrait dire et écrire paja, même si c’est peut-être un emprunt au français. ». Or<br />

son dictionnaire traduit “fou” par fòl, mais aussi par baug, “page” par pagina seul, “âge” par edat et<br />

atge, “carte” (de géographie) par mapa, mots qui sont pour M. Laplume des « archaïsmes ou des<br />

catalanismes »; il s’en excuse :<br />

« — Il faut bien accepter par discipline les décisions des linguistes qui fixent la<br />

norme.<br />

« — À condition qu’ils ne nous coupent pas de la langue vivante. »<br />

… répond M. Laplume, qui se garderait bien de demander à la dame « Quina edat {âge} an<br />

vòstres enfants », mais plutôt « Quin atge… », pour conclure dans le sens de la pensée profonde de<br />

l’auteur : « Pour fuir cette artificialité, il serait bon que les spécialises de la langue aillent consulter,<br />

comme disait l’autre, les crocheteurs du Port au foin… » [en français dans le texte].<br />

Même distance entre langue vivante et langue enseignée dans les Fiches de grammaire<br />

d’occitan gascon normé. Il s’agit de fiches pédagogiques dont un « Volume 1 » 14 , signé par André<br />

Bianchi et Alain Viaut, a paru en 1995 avec le sous-titre « Prononciation et graphie -<br />

Conjugaisons ».<br />

Ces fiches ont été conçues par un groupe de professeurs comprenant Mme Nathalie<br />

Ganuchaud, MM. Éric Astié, André Bianchi, Guy Latry, Maurice Romieu, Jean Salles-Loustau,<br />

Pascal Sarpoulet et Alain Viaut, bien connus comme enseignants d’« occitan » en Gascogne (un<br />

seul n’enseigne pas en université), mais les trois-quarts girondins, alors que c’est en Gironde que la<br />

langue est probablement la moins parlée, un seul <strong>Béarnais</strong>, M. Salles-Loustau, et un Rouergat<br />

installé en Béarn dont il a fort bien appris la langue, M. Romieu. Mais personne des Hautes-<br />

Pyrénées ou des Landes, où l’on a vu que la langue est encore vivante chez nombre de locuteurs.<br />

Ont cependant apporté des renseignements et conseils les Pr. Jacques Allières, Philippe Gardy,<br />

Xavier Ravier et Patrick Sauzet. Au demeurant, s’agissant de fiches pédagogiques destinées « à<br />

deux des universités du domaine gascon » (Préface), donc Pau et Bordeaux, mais pas Toulouse, il<br />

était normal qu’elles vinssent du haut de la hiérarchie. En revanche, il semble qu’elles n’aient été<br />

que peu diffusées en dehors de l’enseignement supérieur.<br />

Pour limitée qu’elle soit dans son objet et son domaine d’action, c’est donc là une entreprise<br />

de normalisation de la langue gasconne ; mais celle-ci est conçue exclusivement comme matière<br />

scolaire, totalement en marge de ce qui reste de langue vivante dans la société gasconne.<br />

On ne peut en faire grief à ces professeurs, soucieux de s’acquitter au mieux de leur mission<br />

d’enseignement d’une langue que ses locuteurs ont rénoncé à transmettre à leurs enfants. Mais une<br />

langue vivante n’est pas une matière inerte comme l’objet de la physique ou de la chimie, ou même<br />

une langue morte. Et quand on la traite comme une langue morte, entièrement entre les mains des<br />

14 Je n’ai pas eu connaissance de la parution d’une suite.


Jean <strong>Lafitte</strong> 71 Sociolinguistique du gascon<br />

professeurs qui l’enseignent, c’est bel et bien qu’elle est pratiquement morte. *<br />

Un doute : les enseignants sont-ils compétents ?<br />

Et le doute nous vient sur la compétence même des enseignants, quand la presse publie des<br />

photos de tableaux d’école, le maitre à côté, où on lit « espectadors » pour « espectators »<br />

(L’Éclair, 22 mai 2002) ou encore « Que volem 19 pòstas » {Nous voulons 19 postes} (de<br />

professeurs) au lieu de « pòstes » suivant l’unanimité des dictionnaires gascons ou occitans (ib. 18<br />

juillet 2002); mais ce dernier maitre est peut-être un <strong>Gascon</strong> de l’ouest ? (cf. p. 215).<br />

Citons encore cette jeune enseignante d’« occitan » en Béarn, du primaire semble-t-il, passée<br />

au stand de l’<strong>Institut</strong> béarnais et gascon, lors du Salon du livre de Pau à la fin novembre 2002 : j’ai<br />

été amené à lui parler du Comminges et du Couserans; ça ne lui disait rien; j’ai alors insisté :<br />

« Mais vous savez, les pays gascons de l’est du domaine… — Oh ! vous savez, moi, la<br />

géographie… ».<br />

Mais on peut répondre qu’il ne s’agit là que de débutants, et donc de péchés de jeunesse. Or<br />

je puis aussi citer un professeur éprouvé, Jean-Paul Latrubesse, plutôt en fin de carrière, qui a appris<br />

le béarnais en famille, le parle naturellement très bien et a toujours milité en sa faveur; d’abord<br />

professeur de physique et chimie, il a, pendant plusieurs années, enseigné le béarnais sous l’étiquette<br />

officielle d’“occitan”, avant d’en obtenir le CAPES. Il en témoigne de façon très honnête dans<br />

l’article des Reclams déjà cité (p. 66), et c’est là justement que j’ai relevé trois “fautes” de langue<br />

dont on ne trouverait sans doute pas l’équivalent chez un professeur de français : emploi adverbial<br />

de tornar {à nouveau}, normal en languedocien mais inconnu du gascon, et dénoncé à juste titre<br />

par G. Narioo (P.N.-P.G. n° 216, 5-6/2003, p. 11); l’obligation ou la destination notées par aver +<br />

de {avoir à} : « Lo CAPES qu’ei donc ua avançada grana ja qu’aja enquèra de’s melhorar » {Le<br />

CAPES est donc une grande avancée bien qu’il ait encore à s’améliorer}; la tournure semble inconnue<br />

du gascon et rare en languedocien (Alibert, ib., p. 325), alors que depuis toujours, le gascon use<br />

de aver + a (cf. <strong>Lafitte</strong>, 2002-1, chaleureusement approuvé par Taupiac, 2002); en sens opposé,<br />

alignement sur le français pour le choix d’avoir ou être aux temps composés d’un semi-auxiliaire :<br />

choix d’après le semi-auxiliaire au lieu du verbe principal, comme le veut le gascon (Rohlfs, 1977,<br />

p. 224) et le béarnais, sans exception (Hourcade, 1986, pp. 171-172) et comme « semble le préférer le<br />

languedocien » (Alibert, 1976, p. 317) : « los eslhèves que son anats véder au director » {les élèves<br />

* Cet alinéa et celui qui le précède résument quatre alinéas originaux, qui pouvaient passer pour une digression dans<br />

une thèse.


Jean <strong>Lafitte</strong> 72 Sociolinguistique du gascon<br />

sont allés voir le directeur} au lieu de « … qu’an anat véder … ». Quant aux dérives orthographiques<br />

de ce professeur, elles sont exposées p. 215. En revanche, si, selon l’idéologie occitaniste,<br />

il introduit dans la langue des formes archaïques dont n’use aucun locuteur naturel (exemplar pour<br />

exemplàri chez Palay), il prend heureusement quelques libertés à l’égard de cette idéologie pour<br />

respecter le caractère épicène de certains adjectifs gascons : « las opcions non son pas mei<br />

rentables, la dotacion orari » {les options ne sont plus rentables, la dotation horaire}, au lieu de<br />

rentablas, orària.<br />

Mais il ne s’agit là que d’exemples relevés au hasard d’articles ou de rencontres. L’inquiétude<br />

s’aggrave quand les fautes de langue reçoivent la caution d’institutions publiques, comme celles que<br />

l’on peut relever dans un dépliant de propagande « Réalisé par l’ONISEP Aquitaine avec le soutien<br />

du conseil Régional d’Aquitaine et du rectorat de l’Académie de Bordeaux » en novembre 2004. La<br />

chose est tellement “grosse” que j’y consacre l’Annexe IX à laquelle on voudra bien se reporter.<br />

On imagine alors ce qui peut en être dans une jeunesse qui ne sait à peu près rien de la vieille<br />

langue du pays. Et je ne suis pas, malheureusement, le seul à faire ce genre de constat :<br />

« […] les enseignants, dans leur immense majorité, n’ont pas la formation suffisante<br />

pour maîtriser pleinement les principes (linguistiques notamment) qu’ils sont chargés<br />

d’appliquer, […] ils sont réduits au rang d’exécutants. » (Florian Vernet, 1999).<br />

« Je suis hérissé par le vosautres [pour vos {vous}] de politesse qui s’est répandu<br />

parmi les maitres des Calandretas comme une carte professionnelle, et je frémis à l’idée<br />

que se répande le debacte [pour debat {débat}] que l’Université d’été de cette année vient<br />

d’inventer. » (Robert Lafont, 2001, p. 36).<br />

« … l’occitan à la faculté est une chose assez nouvelle. […] beaucoup de jeunes<br />

arrivent à l’université avec une petite idée de ce qu’est cette langue. Pour ceux qui la<br />

prennent en option, c’est une chance et une matière très originale. Ceux qui prennent le<br />

cursus principal changent parfois d’avis, mais pas forcément ceux qui ne connaissent pas<br />

bien la langue, non, ceux qui la savent déjà un peu. Par manque d’effectifs, des gens de<br />

niveaux différents se retrouvent ensemble, les uns à essayer de comprendre ce que disent<br />

les autres, les seconds à attendre que les premiers comprennent. Enseignement à une<br />

vitesse, la qualité de certains professeurs cache une sorte de baisse de qualité de langue.<br />

Cependant, après trois années de faculté, on retrouve des gens qui au CAPES ne parlent<br />

pas du tout la langue. […] Apparemment, il vaut mieux être très fort dans une matière à<br />

option que d’avoir une envie véritable d’enseigner la langue à celui qui veut l’apprendre. »<br />

(Vinçent Rivièra, 2002, p. 5).<br />

« Je connais des jeunes qui ont eu des maitres pour qui l’occitan était une langue<br />

apprise. Ces jeunes articulaient LaS brancas, laS nivols [au lieu de LaZ brancas, laZ<br />

nivols]. Je crois qu’on paie ici le prix de l’artificialité. » (Michel Audoyer, 2003, p. 444).<br />

Mais les concours de recrutement des enseignants n’y sont peut-être pas étrangers, comme le<br />

faisait remarquer un jeune professeur qui venait d’obtenir le CAPES d’« occitan » :<br />

« La connaissance de la langue n’est pas, me semble-t-il, appréciée et valorisée<br />

convenablement par les jurys. On donne trop d’importance à la littérature […]. Si c’est un<br />

honneur pour notre langue d’avoir une littérature, la langue vient en premier. J’ai discuté<br />

avec des gens qui ont passé le CAPES d’espagnol ou d’anglais et il m’a semblé que le<br />

CAPES d’occitan est encore plus littéraire que les autres CAPES de langue. […] Veut-on<br />

que les professeurs d’occitan enseignent notre langue comme le latin ? » (Éric Gonzalès,<br />

P.N.-P.G. n° 163/164, 7-10/1994, Courrier des lecteurs, p. 20).<br />

Et le rapport officiel du jury du CAPES d’occitan-langue d’oc de 2002, le dernier dont j’ai eu<br />

un écho, n’est pas fait pour nous rassurer :<br />

« Les correcteurs soulignent à nouveau le faible niveau, y compris linguistique, de


Jean <strong>Lafitte</strong> 73 Sociolinguistique du gascon<br />

nombreux candidats, en citant des erreurs de langues qui laissent rêveur (le meilleur<br />

admissible a 10,67 de moyenne, le premier admis, 12,23 de moyenne et le dernier admis<br />

6,81 !) » (Philippe Blanchet, 2003-2, p. 234).<br />

Cependant, relever ce niveau n’est peut-être pas le premier souci de l’Éducation nationale, qui<br />

a tant d’autres problèmes à régler, alors qu’on trouve parmi les défenseurs patentés de l’«occitan »<br />

des voix pour admettre la médiocrité et le laisser-aller, « car toute langue vivante évolue »; certes,<br />

mais du fait de sa propre vie, non de l’ignorance de ceux qui ont pour métier de l’enseigner. On ne<br />

lira donc pas sans quelque malaise ces lignes d’un billet de S. Javaloyès (2004), « écrivain occitan »<br />

(cf. p. 216), haut responsable dans l’organisation des Calandretas et membre du Conseil<br />

économique et social de la région Aquitaine (ci-dessus, p. 47); n’étant peut-être pas trop sûr de la<br />

qualité de la langue dont il use ou qu’il contribue à faire enseigner, il réagit contre ceux qui se<br />

soucient de cette qualité et doutent des bienfaits des vues et pratiques occitanistes pour la garantir :<br />

« Ils passent leur temps précieux à désigner les délinquants linguistiques qui<br />

menacent la pureté de la langue : la leur, la vôtre, la mienne… Curieuse façon de sauver<br />

cet idiome menacé de disparition que d’attaquer ceux qui s’efforcent depuis des lustres de<br />

le faire vivre pour créer et rejoindre l’universel qui sommeille en elle [sic]. »<br />

Et le reste à l’avenant, pour ridiculiser ces pauvres autochtones paranoïaques qui voient dans<br />

« L’occitan, un envahisseur »; pourtant, c’est bien un responsable occitaniste, G. Narioo, qui, oubliant<br />

les “écrivains occitans” modernes, achève ainsi sa chronique Parlar plan {bien parler} du<br />

numéro de País gascons reçu le jour même où paraissait ce billet (P.G. n° 221, avril 2004, p. 12) :<br />

« Nous ne recommanderons jamais assez aux jeunes, qui veulent apprendre à parler<br />

une bonne langue, de lire les bonnes œuvres, comme celles que nous a laissées le Félibrige<br />

qui a su produire des trésors. »<br />

Mais pour revenir à l’enseignement institutionnel, celui-ci souffre sans doute d’une difficulté<br />

spécifique à son CAPES, difficulté « signalée, du reste, tous les ans et à maints endroits du<br />

rapport », comme le rappelle Ph. Blanchet (2003-2, pp. 234-235) : contrairement à d’autres CAPES<br />

comparables comme celui de créole qui cantonne les candidats dans la variété qu’ils ont choisie,<br />

celui-ci exige des candidats une compétence passive dans toutes les variétés d’oc, à l’oral et à<br />

l’écrit, une gageure « étant donné l’immense diversité du domaine d’oc (au point que nombreux<br />

sont ceux qui y voient plusieurs langues et non une seule). » Qui trop embrasse mal étreint…<br />

La « confusion » qui s’était produite en 1982 pour l’épreuve facultative bonifiante du<br />

concours externe de recrutement des Écoles normales en apporte la contrépreuve, selon ce qu’en<br />

rapportait Per noste-Païs gascons (n° 93, Nov-Déc. 1982, p. 15) : outre diverses langues de<br />

l’immigration, le décret (de juin 1982) énumérait des langues régionales, parmi lesquelles le<br />

béarnais, le niçart, l’occitan et le provençal; conséquence : « Les candidats béarnais se virent<br />

évidemment avantagés parce qu’ayant à traduire un texte de leur région précise [je dirais plutôt “de<br />

leur langue propre” !]. Mais tous les autres <strong>Gascon</strong>s, Auvergnats, Limousins furent contraints, en<br />

bloc, de se rabattre sur un texte unique de Carcassonne ou Albi. » On ne peut dire mieux que les<br />

compétences “occitanes” ne sont pas interchangeables.<br />

Au demeurant, en présence d’un étudiant qui connait bien le gascon ou une autre langue d’oc<br />

des “marges”, il est des professeurs d’université qui reconnaissent honnêtement que leur étudiant en<br />

sait plus qu’eux-mêmes sur le sujet. Cela les honore, mais pose effectivement le problème de la<br />

fiction de l’unicité de “la langue d’oc” ou “occitan”; imaginerait-on un CAPES d’hispanique réunissant<br />

portugais, galicien, castillan, aragonais et catalan ? ou de celtique, ou de germanique, etc. ?


Jean <strong>Lafitte</strong> 74 Sociolinguistique du gascon<br />

Et malheureusement, la médiocrité ne se cantonne plus aux niveaux élémentaire et<br />

secondaire, comme l’observe Philippe Carbonne (2003, p. 290), professeur d’université en<br />

mathématiques, ancien président de l’I.E.O. et locuteur languedocien depuis son enfance :<br />

« …je m’aperçus qu’un enseignant d’occitan dans une université, donc quelqu’un<br />

qui forme les enseignants de demain, qui est aussi un romancier, ne respectait jamais la<br />

règle [de la place des pronoms dans un groupe de verbes] dans ses œuvres. […]<br />

« Quand j’entends un responsable de haut niveau de l’éducation nationale me parler<br />

de problème et y revenir plus d’une fois, je me dis qu’en fait de problèma, il y en a un gros<br />

[…] 15 .<br />

« Dans le manuscrit d’un écrivain aujourd’hui reconnu, qui est aussi professeur<br />

d’occitan, je vois “un jeune homme sous le calpre [{charme}, l’arbre !] d’une femme. ».<br />

Quant au linguiste Jean-Pierre Chambon, peu enclin à la “langue de bois”, il éreinte sans ménagement<br />

Maurice Romieu et André Bianchi, « provençalistes des universités de Pau et de Bordeaux<br />

», à propos de leur ouvrage didactique La lenga del trobar. La langue du trobar. Precís de<br />

gramatica d’occitan ancian. Précis de grammaire d’occitan ancien publié aux Presses universitaires<br />

de Bordeaux en 1999 (Compte rendu dans la Revue de linguistique romane n° 267-268, 7-<br />

12/2003, pp. 576-583) : écrit en occitan, et en français par « concession », c’est « un ouvrage en<br />

quelque sorte militant », et l’on verra bientôt, p. 83, le procès que J.-P. Chambon fait à la linguistique<br />

occitane militante. De fait, les auteurs veulent dès le titre faire coïncider la langue littéraire des<br />

Troubadours avec l’occitan médiéval et répètent un certain nombre d’idées reçues dans les milieux<br />

occitanistes, dans la méconnaissance totale des résultats de la recherche de la seconde moitié du<br />

XX e s. C’est là « un danger réel pour les études portant sur la langue d’oc dans notre pays ». Et de<br />

poursuivre l’exposé de nombreuses erreurs ou impasses scientifiques, accompagnées d’une<br />

normalisation des formes anciennes « sans que le lecteur en soit averti », selon une pratique<br />

fréquente chez les occitanistes (cf. Annexe XVIII). « Le linguiste peut ainsi contempler, non sans<br />

stupeur, mais en même temps avec beaucoup d’intérêt, le procès de standardisation de l’ancien<br />

occitan… par les soins des grammairiens du 20e siècle. » J.-P. Chambon conclut enfin :<br />

« Le Précis de grammaire d’occitan ancien se donne deux publics : “les étudiants -<br />

ou même les curieux” (p. 10). On a fourni plus haut quelques-unes des raisons qui poussent<br />

à déconseiller l’ouvrage aux étudiants (qu’on exhortera, comme il se doit, à se plonger<br />

d’entrée dans la lecture des bons auteurs); il faut cependant convenir que les curieux ne<br />

seront pas déçus. Les auteurs assurent que “[leur] ambition n’est pas de remplacer ce qui<br />

existe déjà” (p. 9) : de ce point de vue, leur travail est une impeccable réussite. »<br />

La seule consolation est que cet ouvrage ne touche pas à la langue contemporaine et ne nuira<br />

pas à l’apprentissage du gascon pour lequel il existe de « bons auteurs ».<br />

Pourtant, si l’on ajoute à cela les dérives politiques de quelques enseignants-militants (cf. p.<br />

79, la falsification de la « dictée occitane ») 16 , on peut parfois douter de l’opportunité de dépenser<br />

l’argent public à maintenir des postes pour enseigner l’oc comme langue vivante “régionale”. Alors<br />

qu’il est une langue morte qui mérite que l’on fasse des efforts pour l’enseigner, c’est le latin, langue<br />

mère de toutes nos langues romanes, cultivée par les Anglo-Saxons comme par les Germains,<br />

et jusque chez les Finlandais (pensons à Veiko Väänänen !). La langue de Mistral, de Camélat, de<br />

Palay et d’Arnaudin, cela peut être une excellente activité culturelle pour beaucoup, mais est-ce à<br />

15 Un <strong>Gascon</strong> pourrait cependant se justifier par proublèm" du Dictionnaire de Palay, qui se prononce bien en -[e].<br />

16 Je préfère mettre au compte d’un lapsus « non révélateur » un mot de l’anonyme présentant le Cap’Òc, « outil de<br />

l’Éducation nationale au service de tous les enseignants d’occitan de l’Académie de Bordeaux » à la p. 18 du dossier de<br />

Lettres d’Aquitaine étudié pp. 46-47; y sont évoquées les « “Maiadas”, ces rassemblements pédagogiques d’élèves<br />

occitanistes organisés par l’Éducation nationale ».


Jean <strong>Lafitte</strong> 75 Sociolinguistique du gascon<br />

l’Éducation nationale de s’en charger ? Ou alors, il faut changer complètement l’approche du<br />

problème.<br />

Une autre façon de voir le rôle de l’École ?<br />

Au nom de la science et du progrès, les « hussards de la République » d’il y a 100 ans ont<br />

méprisé les paysans des pays d’oc pour leur patois et les ont découragés de le transmettre à leurs<br />

fils et filles. Et depuis près de 50 ans, d’autres « hussards », mais cette fois, de l’« Occitanie », leur<br />

on dit sur tous les tons que leur patois n’était pas le « vrai occitan » et que ceux qui l’écrivaient<br />

jusque là — et qu’ils lisaient avec plaisir dans les billets des journaux — étaient des incultes<br />

asservis à l’orthographe française et ne savaient pas écrire. Allaient-ils dans ces conditions<br />

transmettre à leurs enfants un savoir dévalué ?<br />

Pourtant, consulté par un lecteur isolé de Per Noste qui essayait d’apprendre le gascon, M.<br />

Grosclaude fit un jour cette réponse : « La meilleure façon d’étudier une langue, c’est encore de vivre<br />

avec ceux qui la parlent : Alors, si vous le pouvez, il faut aller chez les paysans. Ce sont eux qui<br />

sont les meilleurs professeurs » (P.N. 12, 5-6/1969, p. 13). Or il y a encore dans nos campagnes des<br />

locuteurs naturels qui savent finement la langue et seraient capables d’en transmettre l’essentiel à<br />

leurs petits-enfants. Quel énorme potentiel, dont les enseignants professionnels viendraient compléter<br />

l’œuvre, comme ils le font pour le français que la majorité des élèves apprennent en famille !<br />

Si l’on veut vraiment “sauver” le gascon et les autres langues d’oc, la première tâche est donc<br />

de se mettre à la portée des locuteurs, et d’écrire d’abord pour eux, dans une graphie immédiatement<br />

lisible, sans avoir à revenir sur les bancs de l’école. S’ils sont « “analphabètes” en occitan »<br />

(Chambon, 2003, p. 14), il sont généralement bien instruits en français, et une graphie « voisine des<br />

procédés auxquels nous sommes habitués depuis l’école » (Alibert, 1935, 1976, p. 7) leur sera rapidement<br />

accessible. Et si, pour Pierre Bourdieu, l’enseignement en Calandreta devait avoir « pour<br />

effet indirect de réhabiliter la langue gasconne aux yeux de ceux qui la possèdent encore » (lettre du<br />

10 décembre 1987 citée par S. Javaloyès, 1999), on peut penser qu’il en sera de même a fortiori<br />

s’ils voient leur langue écrite et lisible, à leur portée, et enseignée sous cette forme dans les écoles.<br />

De là, ils prendront gout à enseigner leurs petits-enfants. Et l’on sait combien ce qui vient de<br />

grands-parents aimés peut auréoler les souvenirs… : toujours au Cercle de minuit, Patrick Sauzet ne<br />

disait-il pas de son enseignement que « l’étudiant y retrouve les mots qu’il a entendus de la bouche<br />

de son grand-père. » ? Certes, cela ne “marchera” que dans ce conservatoire linguistique qu’est le<br />

milieu rural, mais ce sera autant de sauvé, et pour peu qu’ils sachent s’appuyer sur ces locuteurs<br />

naturels, les enseignants professionnels ne seront pas au chômage ! et ils retrouveront vite l’estime<br />

des gens modestes qui les font vivre par leurs impôts.<br />

Mais de là à rendre au gascon sa place d’antan dans la vie sociale…


Chapitre IV<br />

Les institutions qui militent pour la langue<br />

Rendre au gascon sa place dans la vie sociale est incontestablement le but avoué des<br />

institutions traditionnelles relevant du Félibrige fondé par Mistral en 1854 et de l’occitanisme<br />

représenté au niveau supérieur par l’<strong>Institut</strong> d’Études occitanes, I.E.O. Mais comment se portent<br />

ces institutions ?<br />

L’Escole Gastou Febus<br />

I – Le Félibrige gascon<br />

Curieusement, c’est une tournée en Béarn-Bigorre des « Félibres et cigaliers de Paris », à l’été<br />

1890, qui a accéléré la prise de conscience de la valeur de la vieille langue du pays; ainsi s’est créée<br />

en 1896, pour les quatre départements du sud-ouest gascon, l’Escole Gastou Febus (E.G.F.), école<br />

littéraire affiliée au Félibrige provençal, mais très attentive à la personnalité de sa « langue d’oc »,<br />

le béarnais et le gascon.<br />

Menée principalement par deux de ses fondateurs, Simin Palay (1874-1965) et Michel Camélat<br />

(1871-1962), cette Escole s’est montrée particulièrement féconde. Sa revue Reclams de Biarn e<br />

Gascougne, ininterrompue depuis 1897, fut le reflet de la pensée et la vitrine des œuvres des Félibres<br />

béarnais et gascons. S’y ajoutent toutes les œuvres de ses membres publiées séparément et<br />

dont la liste serait bien longue à dresser. Palay nous a laissé aussi une énorme gerbe d’écrits en<br />

prose et de poésies, notamment des pièces de théâtre témoins d’une langue vivante parlée sans<br />

contraintes et dont le succès fut très grand en un temps où chacun comprenait le gascon du Béarn.<br />

Quant à Camélat, animateur des Reclams, il nous a aussi laissé une œuvre d’une extrême richesse,<br />

dans une langue gasconne à la fois profondément populaire et remarquablement travaillée, que ce<br />

soit en poésie (avec son immortelle Beline, le grand poème à la langue Mourte e bibe, etc.) ou en<br />

prose, particulièrement dans ces tranches de la vie de son temps, admirablement ciselées, qu’il a<br />

publiées sous le titre de Bite bitante.<br />

Pour mériter son nom, l’Escole s’est aussi attachée à produire des outils pédagogiques de la<br />

langue gasconne et béarnaise, le premier étant sans doute la Grammaire gasconne (dialecte d’Aire)<br />

de l’abbé Daugé (1905), suivi en 1928 du Manuel de grammaire béarnaise de Jean Bouzet (1892-<br />

1954), agrégé d’espagnol, et surtout en 1932-34 de la première édition du Dictionnaire du béarnais<br />

et du gascon modernes de Palay, œuvre monumentale et irremplaçable; il sera élargi et réédité en<br />

1961 avec le concours du CNRS, qui le réimprime régulièrement; en 1937, Jean Bouzet et l’abbé<br />

landais Th. Lalanne publieront un savant opuscule Du gascon au latin; et la Syntaxe béarnaise et<br />

gasconne du premier sera éditée après sa mort, en 1963. Parallèlement, Camélat publiait des recueils<br />

de textes, poésie et prose, à l’usage des écoles. Il faut dire que si l’école publique restait toujours<br />

officiellement fermée aux langues autochtones, l’évêque de Bayonne Mgr Gieure, d’origine<br />

landaise, en avait prescrit l’enseignement dans les écoles et collèges catholiques dès octobre 1923.<br />

Mais la grande longévité de Simin Palay, qui présida l’Escole de 1923 à sa mort en 1965, finit<br />

par lui nuire, gênant le renouvèlement des militants. Michel Camélat en fut le Secrétaire pendant<br />

très longtemps lui aussi, la maladie et la mort l’ayant privé du successeur qu’il avait espéré, l’agrégé<br />

d’espagnol André Pic (1910-1958). Le dépérissement de l’Escole allait favoriser l’éclosion de<br />

l’association occitaniste Per Noste et plus tard son propre passage à l’occitanisme quand de jeunes


Jean <strong>Lafitte</strong> 77 Sociolinguistique du gascon<br />

occitanistes lettrés en prirent la direction, en 1984 et la renommèrent Escòla Gaston Febus en 1997.<br />

Depuis, elle a du mal à se trouver un président autochtone et la plupart de ses adhérents de toujours<br />

l’ont quittée sur la pointe des pieds. Son histoire relève désormais de l’occitanisme.<br />

L’Escolo deras Pirenéos<br />

Peu après la naissance de l’Escole Gastou Febus, en 1904, un Commingeois, le professeur<br />

agrégé de philosophie Bernard Sarrieu (1875-1935) et ses amis fondaient de la même façon<br />

l’Escolo deras Pirenéos pour le sud-est gascon (Comminges et Couserans français, Val d’Aran<br />

espagnol). Comme s’il sentait sa fin prochaine, B. Sarrieu publia en 1933 un numéro spécial (10 à<br />

12) de sa revue Era Bouts dera Mountanho qui récapitulait l’activité de l’Escolo et de ses membres<br />

depuis sa fondation. Il devait en effet mourir en 1935, entrainant chez ses disciples un culte<br />

comparable à celui de Mistral dans le Félibrige provençal, avec un repliement sur soi et un rejet<br />

violent de tout ce que pouvait représenter l’occitanisme. On lui doit cependant la publication, entre<br />

autres, des œuvres de son fondateur, du grand poète aranais l’abbé Condó Sambeat (1867-1919) et<br />

de l’abbé couseranais Jean Castet (1883-1961). Mais faute de renouvèlement, cette école a disparu<br />

avec la mort de ses derniers dirigeants.<br />

L’Academie gascoune<br />

Ressentie peut-être comme trop béarnaise, l’Escole Gastou Febus ne dut pas suffire aux<br />

<strong>Gascon</strong>s du Bas-Adour, de telle sorte qu’en 1926 fut fondée à Bayonne une autre Escole<br />

félibréenne, l’Academie gascoune. Elle eut parmi ses fondateurs le professeur Henri Gavel qui<br />

devait plus tard conseiller Simin Palay dans la rédaction de son Dictionnaire et être à Toulouse l’un<br />

des maitres de Jean Séguy et Jacques Allières (cf. p. 141). Un autre fondateur, Pierre Rectoran<br />

(1880-1952), a laissé un ouvrage didactique sur Le <strong>Gascon</strong> maritime de Bayonne et du val d’Adour<br />

(grammaire, vocabulaire, guide de conversation, etc.), qui n’a pu être édité qu’en 1996. Le<br />

rayonnement de cette Academie est limité à sa petite région.<br />

L’Escole Jaufré Rudel<br />

Une troisième école félibréenne de Gascogne, l’Escole Jaufré Rudel, fut fondée à Bordeaux<br />

dans les années 50; elle a peut-être souffert de l’inadéquation linguistique de son domaine, à cheval<br />

sur le gascon, le limousin et le languedocien des confins de la Dordogne. On n’a guère parlé d’elle.<br />

L’Escole Simin Palay<br />

Enfin, en réaction au changement de cap de l’Escole Gastoû Febus, s’est fondée à Pau, à la<br />

fin de 1990, une nouvelle école Félibréenne, l’Escole Simin Palay; mais la moyenne d’âge élevée<br />

de ses membres et l’absence de personnes capables d’écrire et d’étudier la limite à quelques cours<br />

de béarnais et à des activité folkloriques.<br />

L’<strong>Institut</strong> d’études occitanes<br />

II – L’occitanisme gascon<br />

Pas plus qu’il n’y aurait eu sans doute de Félibrige gascon si Mistral n’avait pas créé quarante<br />

ans plus tôt le Félibrige provençal, il n’y aurait probablement pas eu d’occitanisme gascon sans<br />

l’occitanisme languedocien. À partir de 1930, celui-ci s’est organisé dans une Société d’études


Jean <strong>Lafitte</strong> 78 Sociolinguistique du gascon<br />

occitanes (S.E.O.) créée autour de Louis Alibert, qui en fut la cheville ouvrière jusqu’à la fin de la<br />

guerre. Mais peut-être pour faire oublier qu’elle avait salué avec enthousiasme les mesures du<br />

Gouvernement de Vichy en faveur des langues dialectales (cf. p. 65), voire qu’Alibert lui-même<br />

avait été condamné à la prison pour faits de collaboration, plusieurs de ses membres fondèrent à<br />

Toulouse, en 1945, l’<strong>Institut</strong> d’études occitanes (I.E.O.), association « née de la Résistance » selon<br />

son statut; la S.E.O. fut bientôt dissoute, lui apportant membres et biens.<br />

L’association Per nouste, puis Per noste<br />

L’un des fondateurs de l’I.E.O. était le <strong>Gascon</strong> Ismaël Girard, médecin toulousain originaire<br />

du Bas-Comminges, et quelques <strong>Gascon</strong>s adhérèrent à l’I.E.O. Mais il fallut attendre les années<br />

soixante pour que naisse vraiment un occitanisme gascon.<br />

Au départ, Roger Lapassade (1912-1999), homme de grande valeur humaine et patriote<br />

béarnais « cap e tout ». Pendant sa captivité en Allemagne, il avait retrouvé la langue apprise de sa<br />

grand-mère dans son enfance béarnaise et adhéré à l’Escole Gastoû Fèbus dont il fut longtemps<br />

sost-capdau {vice-président}. Tout en étant très respectueux de Camélat et de Palay, il ne put se<br />

contenter du train-train d’une Escole vieillissante, et comme professeur de français et d’espagnol au<br />

collège moderne — aujourd’hui lycée — d’Orthez, il n’eut de cesse que de faire vivre la langue<br />

béarnaise, et en particulier d’en promouvoir l’enseignement à l’école publique.<br />

Ayant alors découvert le mouvement occitaniste qu’animaient surtout des enseignants, il<br />

suivit les stages organisés par l’I.E.O. et, finalement, avec quelques amis d’Orthez, créa en 1960<br />

Per Nouste, section du Béarn de l’I.E.O., devenue bientôt Per Noste. Parmi les fondateurs, on<br />

remarquait deux autres hommes d’exception, le béarnais Robert Darrigrand, agrégé d’espagnol, et<br />

Michel Grosclaude, professeur de philosophie au même collège (pour l’action décisive de ce<br />

dernier, voir p. 40).<br />

De fait, la nouvelle association s’opposait sur bien des points à l’Escole Gastoû Fèbus.<br />

C’était d’abord une affaire de générations : depuis 37 ans, l’Escole Gastoû avait pour capdau<br />

{président}, Simin Palay, âgé de 86 ans en 1960, et pour secrétaire Camélat, 87 ans; en face, R.<br />

Lapassade était le plus âgé avec 48 ans, Grosclaude en avait 34 et Darrigrand 26.<br />

J’y ajouterais volontiers quelques éléments d’opposition sociologique, à partir du constat de<br />

G. Brasquet (1978, p. 76) dans un intéressant mémoire présenté à l’<strong>Institut</strong> d’études politiques de<br />

Bordeaux sous la direction de Jacques Ellul et publié par Per Noste :<br />

« Les dirigeants du mouvement et le Comité de rédaction de la revue comportent une<br />

importante proportion d’enseignants publics du primaire et surtout du secondaire (signe de<br />

l’importance de l’enseignement de la langue rendu possible, théoriquement du moins, par<br />

la loi DEIXONNE du 11 Janvier 1951). De plus, ce noyau, à nette dominante orthézienne se<br />

distingue également par une forte majorité protestante alors que l’ESCOLE GASTOU FEBUS<br />

a toujours attiré beaucoup d’ecclésiastiques catholiques, ce qui lui valait de la part de ses<br />

adversaires, une accusation de cléricalisme.<br />

« Enfin, politiquement la plupart de ces dirigeants peuvent être considérés comme<br />

appartenant à la gauche de l’opinion. Cela n’empêche pas que “PER NOSTE” soit un<br />

mouvement non politique, bien que ses dirigeants n’hésitent pas à aborder les problèmes<br />

d’actualité lorsqu’ils estiment que celle-ci a des rapports avec le combat qu’ils mènent. »<br />

On avait donc quatre oppositions qui s’ajoutaient à celle des générations :


Jean <strong>Lafitte</strong> 79 Sociolinguistique du gascon<br />

Escole Gastoû Febus Per Noste<br />

Pau et est du Béarn Orthez<br />

Palay, autodidacte, tailleur, puis secrétaire de importante proportion d’enseignants<br />

rédaction du journal catholique de Pau; publics du primaire<br />

Camélat, petit épicier de village et surtout du secondaire<br />

en majorité catholiques en majorité protestants<br />

“sensibilité” de droite appartenance à la gauche<br />

Mais les temps ont changé; en 1975, Per Noste pouvait rassembler sous le titre Notre langue<br />

maternelle « huit études sur la langue occitane » parues d’abord dans la revue de juin 1967 à<br />

septembre 1968 : tous les auteurs étaient des enseignants, âgés de 33 à 55 ans. Aujourd’hui, bien<br />

peu d’enseignants de ces âges ont le béarnais ou le gascon pour « langue maternelle »; de plus, le<br />

bénévolat fait d’autant moins recette dans le domaine des langues régionales que c’est devenu une<br />

affaire d’Éducation nationale, et il n’est pas dans les mœurs que les salariés que sont les professeurs<br />

d’« occitan » pallient bénévolement les « carences » de leur employeur, l’État; on revendiquera<br />

donc pour obtenir postes et crédits, mais le militantisme classique pour la langue et son<br />

enseignement seront laissés aux anciens.<br />

Or R. Lapassade a quitté ce monde en 1999 et M. Grosclaude en 2002; les cadres de Per<br />

Noste vieillissent sans renouvèlement suffisant, si l’on en juge par les signatures de sa revue Per<br />

Noste-País gascons. Quant aux effectifs, rien n’en est publié, mais ils ne doivent pas dépasser la<br />

trentaine de cotisants.<br />

Et depuis la disparition de ces deux enseignants, d’une grande rigueur morale, Per noste<br />

donne des signes inquiétants de dérive partisane. Ainsi, dans la « dictée occitane » évoquée p. 45,<br />

c’est une véritable falsification que les organisateurs ont fait subir au texte proposé aux adultes,<br />

« extrait du livre de Roger Lapassade, “Sonque un arríder amistós” {Seulement un sourire<br />

amical}, et qui raconte une anecdote de son séjour dans un camp de prisonniers en Allemagne. »<br />

(L’Éclair du 2 février 2004). Là, à l’arrivée de nouveaux prisonniers, il se tenait « devant la<br />

baraque 19 pour accueillir les <strong>Gascon</strong>s, les Basques, les Occitans… »; or “on” a dicté « … pour<br />

accueillir les <strong>Gascon</strong>s et autres Occitans, les Basques… ». “On” ne pouvait dire que pour le<br />

<strong>Béarnais</strong> Lapassade, les Basques passaient avant les « Occitans » — qu’il n’appelait certainement<br />

pas ainsi à l’époque — et que les <strong>Gascon</strong>s étaient distincts des « Occitans ». De plus le hasard (?)<br />

veut que le texte dicté ait été arrêté juste avant l’évocation des réunions qui rassemblaient chaque<br />

soir les <strong>Gascon</strong>s dans la baraque la plus éloignée et où « Le <strong>Gascon</strong> résonnait ».<br />

Un occitaniste, qui devait savoir ce dont il parlait, a un jour réécrit la devise de l’I.E.O. « La<br />

foi sans les œuvres est morte » (tirée de l’Épitre de St Jacques, 2, 26) en « La mauvaise foi n’est pas<br />

morte »… C’est plaisant, mais ici, quand on songe que les organisateurs sont des enseignants, cela<br />

devient inquiétant : l’enseignement de l’“occitan” a-t-il pour but de faire parler la langue ou de<br />

préparer des militants indépendantistes ?<br />

L’association Aci <strong>Gascon</strong>ha<br />

Depuis 1975, les Pyrénées-Atlantiques comptent en Bas-Adour une autre association qui ne<br />

se présente pas comme occitaniste, mais use de la graphie de l’I.E.O., Aci <strong>Gascon</strong>ha. Moins connue<br />

que Per noste, elle essaie de faire entendre une voix gasconne dans un environnement basque<br />

dominant. On lui doit un intéressant guide de conversation Que parlam (1996) présenté p. 172.


Jean <strong>Lafitte</strong> 80 Sociolinguistique du gascon<br />

Les autres associations gasconnes se réclamant de l’I.E.O.<br />

L’organisation de l’I.E.O. veut que chaque département ait une “section” qui se réclame de<br />

lui. En fait, celle des Landes L’Esquiròu, créée en 1971, ne donne plus signe de vie, et celle de<br />

Gironde qui réunissait surtout des enseignants et des étudiants a également disparu. Seule est bien<br />

vivante et active l’association des Hautes-Pyrénées Nosauts de Bigòrra, soutenue efficacement par<br />

le Département. Le Gers semble n’avoir aucune association occitaniste ou félibréenne. Les <strong>Gascon</strong>s<br />

du Haut-Comminges se fondent dans l’association languedocienne de Toulouse et ceux du<br />

Couserans font cause commune avec les Languedociens du Pays de Foix, mais leur langue est<br />

encore plus malade qu’en Béarn (Wüest et Kristol, 1993, p. 189). De même pour le Lot-et-Garonne<br />

et le Tarn-et-Garonne, à cheval sur Gascogne et Languedoc.<br />

L’<strong>Institut</strong> occitan de Pau, puis de Billère<br />

Finalement, pour l’occitanisme comme pour le Félibrige, c’est encore le Béarn qui est en<br />

pointe. Non content d’avoir Per noste et l’Escòla Gaston Febus, avatar occitaniste de la vieille<br />

Escole Gastoû Fèbus, le “politiquement correct” l’a doté à Pau, en 1995, d’un <strong>Institut</strong> occitan,<br />

largement financé par le département, aboutissement de ce qui devait être à l’origine l’<strong>Institut</strong><br />

culturel béarnais et gascon, pendant de l’<strong>Institut</strong> culturel basque de Bayonne.<br />

« Yamoussoukro 17 à la sauce béarnaise » était le titre de l’éditorial d’Occitans ! n° 73 de<br />

Mai-Junh 1996, signé par Robert Marty, président de l’I.E.O.; sans doute ce Languedocien lettré<br />

voyait-il d’un mauvais œil qu’un “centre” occitan pût être créé sur la périphérie, et spécialement en<br />

Béarn; mais en soulignant le fait que c’était l’œuvre d’un “prince” — malencontreusement de<br />

droite, comme ne l’est pas exactement la sensibilité de beaucoup d’occitanistes — R. Marty voulait<br />

dire que l’avenir de cet organisme serait lié à la fortune de ce “prince” :<br />

« Sans reconnaissance de la langue occitane par l’État français, sans volonté<br />

politique de l’enseigner, sans socialisation véritable, sans chaine de télévision… le Centre<br />

Occitan de Pau, lié à la volonté locale d’un ministre, risque de demeurer, comme la<br />

cathédrale de Yamoussoukro, un monument vide et sonore, car il en va du sort des<br />

ministres comme du bleu du ciel. La politique et la météo sont très changeantes, et le “bèth<br />

cèu de Pau” {beau ciel de Pau} peut aussi se couvrir. »<br />

En fait, cet organisme semble peu efficace, même s’il coute cher à la collectivité, département<br />

et région Aquitaine principalement. Interviewé au terme de son contrat de 5 ans, son premier directeur,<br />

Jordi Fernández-Cuadrench, à qui l’on demandait « À quoi sert et à quoi à servi depuis cinq<br />

ans l’institut occitan ? » a répondu : « À être soi-même. À savoir qui l’on est pour savoir où l’on va.<br />

Peut-être aussi à se protéger un peu contre la mondialisation sauvage. » (Sud-Ouest, 7 aout 2003).<br />

Il a reconnu également que « Ce qualificatif “occitan” nous identifie souvent comme venant<br />

de l’extérieur, or rien n’est moins vrai. Il faut encore que les <strong>Béarnais</strong>, les <strong>Gascon</strong>s s’approprient<br />

l’I.O. » Or c’est bien là que gît la difficulté, et elle porte sur tout ce qui se dit “occitan”.<br />

L’aliénation “occitane”<br />

Deux photos de la presse quotidienne de Pau peuvent illustrer cette difficulté. L’encadré de la<br />

page ci-contre fait en effet ressortir deux faits, lourds de conséquences :<br />

– d’une part, tandis que Per noste était avant tout une affaire de <strong>Béarnais</strong> de souche, aux<br />

noms bien béarnais, tous les “leaders” occitanistes de la “relève” apparaissent comme étrangers au<br />

17 R. Marty rappelle que Yamoussoukro est le « village de brousse » natal du président ivoirien Houphouët-Boigny qui<br />

y a fait édifier une réplique de St Pierre de Rome, à peine moins haute de 3m pour ne pas rivaliser avec le Pape !


Jean <strong>Lafitte</strong> 81 Sociolinguistique du gascon<br />

Béarn, à la Gascogne et même à l’« Occitanie ». On peut certes condamner le « chauvinisme »,<br />

voire le « racisme borné » des autochtones, mais dans une affaire qui touche tellement aux racines<br />

et aux traditions d’un peuple, c’est le genre de reproches qui ne fait qu’ancrer les gens dans leurs<br />

sentiments. Mais cela n’est pas propre au Béarn ou à la Gascogne, et si l’on en doutait, horsain et<br />

hors-venu du Rézeau (2001) seraient là pour nous convaincre. D’ailleurs le Lorrain Michel<br />

Grosclaude en était bien conscient, et avait même joué sur l’onomastique béarnaise et gasconne<br />

pour ironiser sur les autochtones qui voudraient se cacher derrière des appellations étrangères : à la<br />

p. 123 de Lo gascon lèu e plan, un dessin montre un chanteur et des musiciens aux longs cheveux<br />

qui se produisent sous le nom de « The young crazy boys »; l’un des deux spectateurs en béret dit à<br />

l’autre : « Ceux-là, je les connais tous ! Il y a Pédeboscq, Lacarrère, Lahitette et Bordenave. »<br />

– le second fait est que les institutions occitanistes ont du mal à trouver des dirigeants<br />

autochtones, alors que Mistral faisait jurer à la Reine Jeanne du XIV e s. « de n’imposer au pays le<br />

gouvernement de quiconque n’y est pas né » (cité par R. Lafont, 1980, p. 228). Certes, aujourd’hui,<br />

c’est le “pays” qui les choisit, comme le président de l’I.E.O. et celui de l’Escole Gastoû Febus; et<br />

ceux-ci parlent et écrivent le béarnais; mais on est en droit de se demander comment il se fait<br />

qu’aucun autochtone ne se soit proposé et n’ait été choisi pour présider ces associations. Depuis,<br />

certes, S. Javaloyès a cédé son siège à un jeune <strong>Béarnais</strong>.<br />

Plus grave encore semble-t-il, quand en 1998 l’<strong>Institut</strong> occitan de Pau (installé à Billère depuis)<br />

lança un appel à candidature pour recruter son premier directeur salarié, « les candidats locaux


Jean <strong>Lafitte</strong> 82 Sociolinguistique du gascon<br />

ne se sont pas bousculés » (L’Éclair, 3 novembre 1998) et il fallut aller à Barcelone pour trouver J.<br />

Fernández-Cuadrench, catalanophone qui promit alors d’apprendre le béarnais dans les six mois; et<br />

son successeur au patronyme flamand, bien que né à Orthez en 1955 et affirmant son « attachement<br />

pour la région », n’a pas profité dans sa jeunesse de l’enseignement “occitan” dispensé au lycée de<br />

cette ville par R. Lapassade et M. Grosclaude; en effet, « il ne parle pas totalement occitan » mais<br />

« espère bien le comprendre d’ici six mois » grâce à des cours suivis à l’Université du temps libre<br />

de Pau (L’Éclair, 21 janvier 2004).<br />

L’<strong>Institut</strong> béarnais et gascon<br />

III – D’autres perspectives ?<br />

Inquiets des menaces que le “tout occitan” des institutions en vedette faisait peser sur l’avenir<br />

de leur langue béarnaise et gasconne, des <strong>Béarnais</strong> sentaient qu’il fallait “faire quelque chose”. Ils<br />

avaient donc accueilli avec espoir la promesse des “politiques” de créer un institut culturel béarnais<br />

qui aurait été le pendant de l’<strong>Institut</strong> culturel basque déjà réalisé. Las ! ce fut l’<strong>Institut</strong> occitan qui<br />

vit le jour à Pau, provoquant aussitôt la constitution de l’association Pays de Béarn et de Gascogne.<br />

Les <strong>Béarnais</strong> “de base” ayant fait bon accueil à cette initiative, les dirigeants de cette<br />

association voulurent aller plus loin : ils ont donc créé en janvier 2002 un <strong>Institut</strong> béarnais et<br />

gascon dont le nom même affirme la volonté de se placer sur le terrain scientifique pour défendre le<br />

béarnais d’abord, le gascon dans son ensemble ensuite, dans leur authenticité menacée.<br />

Pour l’instant, cet <strong>Institut</strong> a publié un Dictionnaire français-béarnais dont il sera question pp.<br />

181 sqq. et quelques œuvres littéraires, surtout des rééditions. Il donne des cours à Pau et dispose à<br />

Paris d’une antenne qui fait de même.<br />

Appel aux jeunes ?<br />

« Qué y a de nau ? — Arré, tout qu’ey viélh. » {Quoi de neuf ? — Rien, tout est vieux.} diton<br />

plaisamment en béarnais. Malheureusement, c’est aussi l’impression que donnent la plupart de<br />

toutes ces institutions; en 2002, pour l’ensemble du Midi, « 8 % seulement des membres de l’I.E.O.<br />

[avaient] moins de 30 ans » (Estève Clerc, 2002). Seul semble faire exception l’<strong>Institut</strong> occitan de<br />

Billère, mais il s’agit de salariés, qui œuvreront au rythme des institutions publiques en général, et<br />

seulement tant que la manne des subventions continuera à être versée.<br />

L’avenir est dans la jeunesse, ici comme ailleurs; mais la langue qui n’est plus maternelle ne<br />

mobilise guère. Et curieusement, les gens nés dans les pays d’oc semblent encore moins motivés<br />

que quelques “étrangers” qui ont découvert les langues d’oc, éclairées d’un exotisme auquel les<br />

autochtones sont peu sensibles, comme on l’a vu plus haut, p. 51. Voici par exemple un extrait<br />

d’une lettre d’un lecteur gascon de La Teste de Buch, sur le Bassin d’Arcachon, publiée dans P.N.-<br />

P.G. n° 200, 9-10/2000, p. 20 :<br />

« Soyons clairs, l’Occitanie et l’occitan ce sont :<br />

« – 0,77 % aux élections régionales du 15 mars 1998 pour le département de la<br />

Gironde, « liste occitane » de Yves Rauzier,<br />

« – 2,31% aux élections régionales du 15 mars 1998 pour le département du Lot-et-<br />

Garonne, liste Aquitaine pais d’Òc de Pierre Boissière (qui a dépassé 50 % chez lui, à<br />

Lacaussade : chapeau !).<br />

« Quel intérêt pour les “Parisiens” si les indigènes ne s’intéressent pas à l’Occitanie<br />

et à sa langue ? Ce qu’un peuple ne fait pas pour lui-même personne ne le fera à sa place.


Jean <strong>Lafitte</strong> 83 Sociolinguistique du gascon<br />

[…]<br />

« Il nous faudrait du monde, un peuple occitan. Il n’y en a pas. Il n’y en aura pas.<br />

« “L’Occitanie, connais pas” peuvent dire les médias. Pour qu’il y ait combat, il faut<br />

des combattants. Il y a une arrière-garde, une chapelle, constituée par une poignée de<br />

cœurs vaillants nostalgiques de “la lenga nòsta”.<br />

« Il y a une arrière-garde qui combat (il y a encore des coups à recevoir), qui ne se<br />

rendra pas, mais qui se meurt peu à peu dans l’indifférence générale. »<br />

Et la désaffection ne touche pas que les activités bénévoles; même les postes d’enseignants<br />

publics d’« occitan » ont du mal à être pourvus : pour le rectorat de Bordeaux, un sur trois n’a pu<br />

l’être à la rentrée 2003 et M. Jean-Michel Eple, inspecteur d’académie, soulignait naguère « la crise<br />

de vocation » (L’Éclair du 25 septembre 2003).<br />

Il ne faut pas s’étonner dès lors qu’au plan intellectuel, ces institutions ne font plus preuve<br />

d’une grande vitalité.<br />

Une linguistique d’amateurs militants<br />

IV – Vitalité intellectuelle<br />

J.-P. Chambon (2003, p. 5), qui désigne les mouvements que je viens d’évoquer sous le nom<br />

de « renaissantisme », fait la constatation suivante :<br />

« … l’influence de ce mouvement s’est fait fortement sentir sur le développement de<br />

la linguistique occitane. Non seulement, beaucoup de renaissantistes se sont intéressés à la<br />

langue en tant qu’amateurs ou en tant que pédagogues, mais encore un grand nombre des<br />

linguistes français qui ont étudié ou étudient l’occitan ont été et sont des mainteneurs<br />

militants. On pourrait citer beaucoup de noms : Jules Ronjat, Charles Camproux, Robert<br />

Lafont, Pierre Bec sont parmi les plus connus (les trois derniers étant aussi des auteurs<br />

littéraires de qualité en oc). »<br />

Pour ce qui nous intéresse, avec la disparition de M. Grosclaude, il ne reste plus grand monde<br />

pour travailler en “amateur” et publier sur la linguistique gasconne. J’ai évoqué p. 70 les Fiches de<br />

grammaire d’occitan gascon normé, mais elles sont l’œuvre d’enseignants, comme la version<br />

gasconne du récent manuel Òc-ben édité par l’Éducation nationale. Et je n’oublie pas les dictionnaires<br />

qui sortent nombreux, mais sans toujours témoigner d’études linguistiques approfondies en<br />

amont; j’en reparlerai surtout dans l’Historique des graphies, pp. 99 sqq. Le Félibrige n’ayant, en<br />

Gascogne comme ailleurs, aucun programme d’études linguistiques, je voudrais jeter ici un coup<br />

d’œil sur ce que fait en ce domaine l’I.E.O., qui est, ne l’oublions pas, l’<strong>Institut</strong> d’études occitanes.<br />

L’I.E.O. et les études occitanes<br />

On a vu plus haut, p. 78, comment l’I.E.O. avait été créé en 1945; institut « d’études », la<br />

version de 1946 de son statut lui donnait effectivement pour but « la direction, l’harmonisation, la<br />

normalisation et la centralisation de tous les travaux se rapportant à la culture Occitane dans son<br />

ensemble, dans le sens de l’enseignement, du maintien et du développement ». Il avait pour cela un<br />

Conseil d’études recruté par cooptation à raison de la compétence des postulants.<br />

Et en matière de linguistique, il eut toujours une structure spécialisée qui changea de nom au<br />

cours des ans, notamment : Section de philologie du Conseil d’études, Commission de<br />

normalisation philologique, et en dernier lieu Secteur de linguistique. Et il publia dans ses débuts<br />

des Annales, dont le dernier numéro parut en 1978.


Jean <strong>Lafitte</strong> 84 Sociolinguistique du gascon<br />

Mais le vent de 1968 était peu favorable à l’élitisme des organes cooptés et au “mandarinat”<br />

des professeurs d’université. Le statut de 1946 paraissant intouchable du fait de la reconnaissance<br />

d’utilité publique qui y était attachée, c’est par une modification du Règlement intérieur — d’une<br />

légalité douteuse ! — que le Conseil d’études fut ouvert en 1977 à tous les adhérents, donc<br />

pratiquement supprimé en tant qu’organe d’études suprême.<br />

Peu après (1979), en présentant l’édition “occitane” de Beline de Camélat (cf. p. 135), le<br />

président de Nosauts de Bigòrra (cf. p. 80), I. Scaravetti, demandait l’indulgence des lecteurs pour<br />

les imperfections de ce travail car « Notre métier d’occitaniste ne nous laisse guère le loisir de<br />

prendre du recul. Nous n’avons pas le temps d’attendre la perfection. »<br />

Certes, celle-ci n’est pas de ce monde, mais le militantisme se prête mal à la réflexion et à la<br />

recherche, d’où ce divorce entre les universitaires des premières générations d’occitanistes et les<br />

militants des suivantes. Ainsi, rendant compte du n° 19 des Fascicle de l’Astrado prouvençalo, R.<br />

Teulat répondait à ses attaques contre l’I.E.O. par ce jugement sévère : « S’en prendre à l’I.E.O.,<br />

c’est oublier qu’il est en pleine décadence depuis quelques années. » (C.L.O. n° 11, 11/1982, p. 75).<br />

Certes, J. Sibille allait en quelque sorte relever le gant en lançant Estudis occitans au 2 nd semestre<br />

1986, mais cela n’a duré que 12 ans — 24 numéros semestriels —, et l’universitaire Christian<br />

Lagarde (2002) pouvait en écrire récemment :<br />

« L’occitanisme est devenu, depuis bien des années, malade de ces deux horribles<br />

péchés [ruminer sans cesse les vieilles querelles, regarder les choses “par le nombril de ses<br />

rancunes”] et ne finit pas d’en payer le prix, celui d’une rupture entre les générations de<br />

porte-drapeaux et de déchirures profondes entre un secteur militant capable d’autisme<br />

radoteur et une société qui n’arrive pas à se reconnaitre en eux, [vus] comme un nid de<br />

zizanies. »<br />

Et sur la réalisation souhaitable d’un dictionnaire tout en occitan, Serge Granier (2002) :<br />

« Mais monter un projet dans ce but, qui y pense ? “Faire des animations”, mettre<br />

des plaques de signalisation bilingues ou éditer des livres, cela ne t’en laisse pas le temps.<br />

Nous faisons beaucoup d’associations d’“éducation populaire” et d’éditions courantes ou<br />

savantes, rien qui soit un “institut” et s’occupe d’études. »<br />

On ne sera donc pas surpris de constater que la “production” des organes linguistiques de<br />

l’I.E.O. se soit limitée à quelques décisions sur la graphie, mères de graves dissensions dans le microcosme<br />

occitaniste, menant à la création en 1997 d’une autre association, le Conseil de la langue<br />

occitane (C.L.O.). J’en traiterai au chapitre sur la sociolinguistique des graphies, pp. 193 sqq.<br />

V – Se serait-on trompé ?<br />

Des institutions peu efficaces<br />

Jugeant avec le recul qui sied à des étrangers de l’efficacité réelle de ces institutions en faveur<br />

du seul béarnais — mais c’est sans doute valable bien au delà —, A. Kristol et J. Wüest écrivaient<br />

il y a près de vingt ans (1985, p. 53) :<br />

« Nous aurions aussi quelques réserves à formuler en ce qui concerne l’efficacité du<br />

travail des organisations qui luttent pour la survie du béarnais. Quand on vit à l’étranger,<br />

les publications émanant d’organisations occitanistes sont généralement un moyen<br />

d’information privilégié. Quand on enquête ensuite sur le terrain, on est frappé par le faible<br />

impact de ces organisations sur l’opinion publique. Il n’est pas douteux que trop souvent<br />

les activités des organisations occitanistes (et félibréennes) n’atteignent qu’un petit cercle<br />

de militants. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 85 Sociolinguistique du gascon<br />

Certes, ils tempèrent cette constatation en signalant le succès des « nombreux groupes de<br />

musique traditionnelle » et aussi d’« un théâtre en langue béarnaise ». On peut aussi mentionner le<br />

Carnaval béarnais qui occupe une place importante dans la presse locale de la mi-janvier jusqu’à<br />

Pâques, car il n’a plus rien à voir avec l’entrée en Carême ! Mais pour ce qui est des chanteurs, une<br />

militante les qualifiait de « Biarnés d’empoun » {<strong>Béarnais</strong> d’estrade, de scène} pour bien signifier<br />

que sitôt descendus de l’empoun, ils ne parlent plus que français; a fortiori l’assistance… Et de<br />

même pour le Carnaval, néo-folklore un peu soixante-huitard devenu le “fond de commerce”<br />

d’occitanistes, très critiques par ailleurs à l’égard du folklore à l’ancienne des Félibres; ce ne sont<br />

pas quelques banderoles humoristico-revendicatives écrites en graphie classique et des discours<br />

convenus sur les méfaits de Carnaval, que l’on brulera bientôt, qui font vivre la langue chez un<br />

public jeune qui ne la comprend pas dans sa grande majorité.<br />

Et pour ce qui est des quelques activités publiques félibréennes, elles ne sont sans doute pas<br />

plus efficaces pour la valorisation de la langue auprès du grand public.<br />

Une erreur “stratégique” : l’élitisme bourgeois du Félibrige<br />

Alors, on en vient à se demander si tout le mouvement en faveur des langues d’oc, depuis le<br />

XIX e siècle, et spécialement depuis Mistral, n’a pas complètement manqué son but par une erreur<br />

stratégique de ceux qui l’ont mené.<br />

Quand Mistral lança le Félibrige, c’était une réaction de jeunes bourgeois d’esprit romantique<br />

qui généralement ne travaillaient pas de leurs mains. Ils chantèrent la noblesse du travail des<br />

paysans qui leur permettait de vivre de leurs rentes et se convainquirent qu’ils parlaient la langue de<br />

ces paysans et des ouvriers à qui ils rendaient une dignité perdue. Mais ils demeurèrent loin du<br />

peuple, jugé trop inculte, comme le souligne Pierre Pasquini pour la Provence (1983) et surtout<br />

dans sa thèse Le pays des parlers perdus, Montpellier, 1994. Ils firent de l’oc une langue de<br />

culture, faite des mots d’un dictionnaire de référence, le Tresòr dóu Felibrige, avec ses<br />

grammairiens et ses académies, dispensatrices de prix aux « bons élèves » de la classe. Tout ce<br />

qu’il fallait pour décourager ceux qui n’avaient que de mauvais souvenirs de l’école et de la<br />

grammaire. Forçant sans doute le trait, Pasquini (1983, p. 12) conclut : « Les félibres sont, par leurs<br />

œuvres, les artisans de la renaissance littéraire, mais sont aussi, par leur action, les fossoyeurs de la<br />

langue. »<br />

Qui étaient-ils en effet, ces félibres ? En général, de petits bourgeois lettrés, passés par le<br />

lycée et souvent par l’université, médecins, pharmaciens, avocats ou notaires; des prêtres aussi,<br />

souvent d’origine rurale et modeste, mais formés au latin, et enfin des instituteurs, aux études plus<br />

courtes.<br />

Pratiquant tous le français dans l’exercice de leur métier — sauf sans doute les prêtres des<br />

campagnes qui devaient encore prêcher en « patois » pour être compris de tous — et ignorants tout<br />

ce que la linguistique moderne a révélé sur la sociologie des langues ainsi que sur leur évolution<br />

fonctionnelle, ils ont rêvé d’une langue d’oc littéraire et policée pour revues et discours de fin de<br />

banquet, mais sans lien avec la vie ordinaire de ceux qui la pratiquaient quotidiennement. Il suffit<br />

de parcourir les publications du Félibrige pour voir combien étaient rares les signatures des gens<br />

ordinaires, au demeurant peu rompus au maniement de la plume.


Jean <strong>Lafitte</strong> 86 Sociolinguistique du gascon<br />

Erreur poursuivie par l’élitisme bourgeois de l’occitanisme<br />

L’occitanisme se présenta comme une réaction contre une prétendue subordination de la<br />

graphie au modèle français et de la langue au modèle provençal, mais ne changea pas<br />

sociologiquement. Et si une sorte de gauchisme de 1945 supplanta le romantisme de 1854,<br />

l’occitanisme resta l’affaire d’une petite bourgeoisie; mais au lieu de vivre de rentes ou de<br />

commerce comme Mistral et ses amis, ils faisaient carrière au service de l’État français, la plupart<br />

comme enseignants, et souvent de français. Et les publications de l’Occitanisme ne comptaient pas<br />

plus de signatures des gens ordinaires que celles du Félibrige.<br />

L’aboutissement le plus achevé est sans doute l’œuvre de Louis Alibert, qui ne s’intéresse<br />

qu’à ce qu’il appelle la « langue littéraire », la seule que l’on ait le droit d’écrire; la langue parlée<br />

dans sa variété et sa vitalité ne peut que demeurer dans l’oralité. D’où notamment une graphie qui<br />

ne se soucie absolument pas de noter les sonorités de la langue vivante. Et en 1951, son jeune<br />

disciple P. Bec se souciait aussi de « la fixation du gascon littéraire » (1952, p. 45)<br />

C’est facile de parler patois, quand on a une pile de diplômes de la République pour prouver à<br />

tout le monde qu’on est des maitres dans la langue de Molière et de Descartes, surtout après avoir<br />

changé le nom méprisé de patois en ce nom scientifique d’occitan. Jean-François Chanet (2000),<br />

maitre de conférences à l’Université Charles de Gaulle - Lille III, faisait justement observer que la<br />

francisation a été appelée par les couches populaires, alors que la défense des “langues régionales”<br />

était le fait des classes instruites et bourgeoises qui possédaient parfaitement le français.<br />

VI – Le résultat : peu nombreux, les militants sont isolés<br />

Des militants non reconnus par le peuple des locuteurs<br />

Dès lors, le militant des langues d’oc n’a pas été reçu comme un modèle par le peuple sorti tôt<br />

de l’école et qui parlait le patois appris de parents sans diplômes.<br />

Et pour ceux à qui leur condition familiale ou leur aventure personnelle avaient ouvert les<br />

chemins des études et de la réussite sociale, ces militants sont souvent apparus comme de doux rêveurs<br />

qui trouvaient dans ce combat une compensation à une moindre réussite dans la vie, voire un<br />

moyen de se mettre autrement en valeur, ou même de se faire offrir de nouvelles perspectives dans<br />

les carrières administratives. Par exemple, quand l’enseignant-militant revendiquait la création d’un<br />

CAPES d’occitan, en attendant celle d’une agrégation, quand aujourd’hui il réclame des postes<br />

d’enseignants d’oc, est-ce pour la langue, ou pour sa propre carrière ? Sans doute un peu de tout, et<br />

il ne faut pas museler le bœuf quand il foule le grain, dit la Bible (Deut. 25,4); mais on se méfie…<br />

J’en prendrai à témoin Michel Pujol, président de Nosauts de Bigòrra que j’ai déjà cité pp. 50<br />

et 56; c’est un occitaniste non seulement lucide, mais encore courageux, qui refuse la “langue de<br />

bois” et réussit à être publié dans le magazine de l’I.E.O. Occitans ! (n° 106, 5-6/202, p. 18). À la<br />

suite de l’assemblée générale de l’I.E.O. tenue à Tarbes en 2002, il écrit :<br />

« …il peut sembler que tout va bien en occitanisme quand les motions son votées à<br />

l’unanimité, quand on décide de mieux professionnaliser, de créer un secteur des jeunes,<br />

de secouer par écrit les candidats [à l’élection présidentielle de 2002]. Une question reste<br />

posée : qui nous suit ? Qui touchons-nous ? Où en est notre peuple ? […]<br />

« Il faut bien constater que notre mouvance est partagée, divisée, éclatée. Il y eut<br />

bien des absents à cette A.G., et sans que cela soit la faute des organisateurs, qui ont fait<br />

tout ce qu’ils ont pu. Non ! la fracture est de sensibilité, et dans les assemblées comme celle<br />

de l’I.E.O., où se tient un discours assez idéologique, bien peu viennent du grand nombre


Jean <strong>Lafitte</strong> 87 Sociolinguistique du gascon<br />

de chorales, chanteurs, groupes de danse, conteurs, instituteurs itinérants, acteurs culturels,<br />

public des ateliers de langue, en tout cas ici en Gascogne.<br />

« Les choses se passent souvent comme s’il y avait d’un côté les activistes et<br />

idéologues, de l’autre le “peuple” qui ne comprend pas trop ce que veulent ces gens-là. Les<br />

uns ont vite fait de juger les autres arriérés, ceux-ci voient dans les premiers des fauteurs<br />

de désordre bons à crier et écrire une langue où ils ne se reconnaissent pas.<br />

« La vieille division entre le Félibrige et les occitanistes n’en finit pas de nous<br />

ronger, quoique sous d’autres formes, avec d’autres mots, et il ne faut pas croire que cela<br />

ne se passe qu’en Provence. Nous jetons un manteau pudique sur tout cela — je sais que je<br />

ne suis pas politiquement correct d’en parler —, nous allons continuer à mettre la tête dans<br />

le sable. Au lieu de toujours fuir en avant par des proclamations, il faut tout faire pour<br />

essayer, si c’est encore possible, de prendre en charge notre histoire totale, sans écarter<br />

aucune sensibilité. »<br />

Si les défenseurs des langues d’oc, félibres et occitanistes, étaient vraiment sentis comme<br />

modèles pour les peuples d’oc et en particulier pour les jeunes, comme le sont les sportifs ou les<br />

chanteurs, il y aurait peut-être un courant pour donner envie d’apprendre et de parler la langue.<br />

Mais, comme le notait amèrement Michel Chapduelh [Chadeuil, cf. p. 47] (Occitans ! n° 70, Nov.-<br />

Dec. 1995, p. 19), la génération de 68 a tout fait pour tuer « l’affectivité, origine de tous les<br />

fascismes » et on s’étonne d’avoir de jeunes élèves sans enthousiasme. C’était mal vu de vouloir<br />

parler de la « langue du papet » (cf. a contrario P. Sauzet au Cercle de minuit, cité p. 75), l’avenir<br />

était pour l’occitan normé, standardisé etc.<br />

On en vient donc à douter de la pertinence de la Réforme linguistique occitane dont Louis<br />

Alibert fut le grand théoricien avant la II nde Guerre mondiale, et qui fut adoptée comme allant de soi<br />

par l’établissement scolaire (pour le gascon, voir pp. 221 sqq.). Enfermée dans une linguistique<br />

“pure”, elle a ignoré totalement les données sociolinguistiques des langues d’oc en France dans les<br />

années 20 du siècle dernier… à plus forte raison depuis cette Guerre.<br />

Si la langue des dictionnaires et des grammaires normées vaut plus que celle du cœur,<br />

pourquoi se fatiguer à l’apprendre quand on sait qu’elle ne servira pas du tout dans la vie de tous les<br />

jours, sinon pour devenir capessien d’occitan et se chercher des postes et des élèves pour faire<br />

tourner la roue ?<br />

Et même les retraités ne sont guère incités à retrouver une langue de leur jeunesse : quand, en<br />

Octobre 2000, la presse de Pau publie un supplément gratuit Vivre senior, la 6 ème des « Dix recettes<br />

pour garder la forme », Apprenez, n’envisage que des langues étrangères; qu’on l’appelle occitan,<br />

gascon ou béarnais, la langue d’oc du pays est totalement oubliée.<br />

Le résultat, c’est que le discours de l’école d’autrefois, qui interdisait le « patois » au profit du<br />

français, langue de la modernité et de la liberté, s’est trouvé renforcé par celui des maitres en oc qui<br />

méprisent ce même « patois » que l’on confinera dans l’oralité et l’usage privé :<br />

« ... si nous voulons défendre sérieusement notre langue, il importe qu’elle<br />

n’apparaisse pas comme une succursale du français ou comme un patois abâtardi et<br />

incapable de se suffire à lui-même. » (M. Grosclaude, Introduction de Narioo et autres,<br />

2003, p. 14).<br />

Citant ce passage d’après le Petit dictionnaire Français-Occitan (Béarn) dit Civadot (p. 14)<br />

d’où il est repris en 2003, A. Kristol et J. Wüest (1985, p. 50) faisaient justement observer :<br />

« Il nous parait que les auteurs de ce texte sont victimes des préjugés de leur<br />

entourage quand ils traitent l’occitan parlé de “patois abâtardi”. Il a beaucoup été question<br />

des inconséquences de la politique linguistique du Félibrige, mais celle des occitanistes<br />

n’est pas toujours cohérente non plus. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 88 Sociolinguistique du gascon<br />

En effet, comment les locuteurs naturels auraient-ils transmis à leurs enfants cette langue<br />

honteuse et impropre à en assurer l’avenir ?<br />

Un monde politique qui pratiquement les ignore<br />

De tout cela, les hommes politiques sont bien conscients, eux dont les militants attendent des<br />

mesures miracles qui feraient revivre les langues d’oc. Bien loin du temps où les nobles du Béarn<br />

avaient obtenu de Jeanne d’Albret (1528-1572) que les textes officiels fussent rédigés en béarnais<br />

(cf. p. 37), les « puissants » de notre société moderne n’ont aucune revendication de l’espèce, et<br />

« le peuple » s’en désintéresse tout autant dans sa grande majorité.<br />

Nos hommes politiques savent bien que les électeurs n’ont pas envie de voir l’argent public<br />

passer à tout ce qu’il faudrait pour enseigner la langue d’autrefois 18 . Ils viendront serrer les mains<br />

aux fêtes des félibres et des occitanistes, ils chanteront sur la scène de Siros ou d’Ibos, ils feront des<br />

déclarations en patois, en béarnais, en oc ou en occitan, comme on voudra… mais ils n’iront guère<br />

plus loin s’ils veulent être réélus par des gens qui savent ce que leur coûtent les impôts.<br />

À cet égard, le président du département des Pyrénées-Atlantiques Jean-Jacques Lasserre a eu<br />

récemment l’occasion de s’exprimer avec une rare franchise. Pour la constitution du dossier Langue<br />

occitane de Lettres d’Aquitaine déjà étudié pp. 46-47, il a été interrogé sur la politique linguistique<br />

du département et, des cinq présidents départements de la région, il a été le seul à répondre<br />

personnellement, p. 6. Or il a fixé ainsi les conditions qui doivent toutes être réunies pour que la<br />

« langue occitane » reste une langue vivante :<br />

« – à la “base”, une volonté réellement marquée d’une partie au moins très<br />

significative des populations concernées de passer d’un intérêt “passif” pour sa langue<br />

régionale (par exemple “l’opinion très positive” exprimée lors des fréquents sondages<br />

d’opinion sur le sujet) à un intérêt “actif” (par exemple, l’inscription de ses enfants en<br />

filière bilingue lorsque la possibilité en est offerte) assortie d’un soutien concret, rapide et<br />

pérenne des collectivités de proximité (communes, intercommunalités…) lorsque cette<br />

volonté se manifeste; »<br />

S’y ajoutent au « sommet » des actions du département, de la région et de l’État « allant bien<br />

au-delà de quelques cofinancements ponctuels » et dans « l’entre-deux », un réseau culturel et<br />

associatif fort à base de militants.<br />

Mais ce qui me parait essentiel, c’est la demande de « la base » qu’il a nommée en premier,<br />

ce que j’appellerais une demande « solvable » comme on dit en économie, c’est-à-dire prête à payer<br />

elle-même le prix par un engagement personnel. Or cette disposition des individus me semble très<br />

rare, et on est loin de la constater chez « une partie au moins très significative des populations<br />

concernées ». Cela veut dire que l’on n’est pas près d’avoir des actions massives de ce département,<br />

qui ne sont actuellement réclamées que par une poignée de militants, même s’ils font du bruit dans<br />

les médias…<br />

De fait, les élections régionales et cantonales de mars 2004 me paraissent avoir confirmé le<br />

désintérêt de la population pour les « langues régionales » : au moins dans les pays d’oc, elles ont<br />

semble-t-il été totalement absentes du débat public.<br />

Concrètement, en Béarn, les candidats ont tous été contactés par les associations occitanistes<br />

18 Quelques subventions 1996 du Conseil régional d’Aquitaine aux associations des Pyrénées-Atlantiques (Éclair-<br />

Pyrénées du 26 juin 1996) : Fédération des Calandretas, 165 000 F; Image-Imatge (cinéma occitan), 52 000 F;<br />

Carnaval-Pantalonada de Pau, 30 000 F; Fédération départementale des chasseurs, 325 250 F; sans commentaire.


Jean <strong>Lafitte</strong> 89 Sociolinguistique du gascon<br />

et ont tous fait quelques promesses rapportées par les bulletins ou communiqués de ces<br />

associations. Mais dans les interviews sur leurs programmes publiées dans la presse (17 et 18<br />

mars), même les trois candidats aux élections cantonales qui pouvaient passer pour des militants de<br />

l’« occitan » se sont concentrés sur les projets économiques et d’aménagement et n’ont rien dit de<br />

la vieille langue du pays; six ans plus tôt, pourtant, le premier d’entre eux affichait un bel<br />

optimisme pour l’« occitan » dans une interview titrée « Les langues régionales intéressent les<br />

politiques » (L’Éclair, 27 mars 1998); mais en 2004, peut-être ont-ils pensé qu’ils perdraient plus<br />

de voix qu’ils n’en gagneraient en mettant à leur programme le soutien de l’« occitan », alors qu’ils<br />

se présentaient tous dans des cantons fortement ruraux où le béarnais est encore vivant, au moins<br />

chez les anciens :<br />

– à tout seigneur, tout honneur, Jean Salles-Loustau, inspecteur général de l’éducation<br />

nationale chargé des langues France; maire depuis 1989 de Bordes, dans la plaine à l’est de Pau, où<br />

il a fait ouvrir une classe bilingue « occitan »-français; candidat UDF ou apparenté, battu par un<br />

socialiste;<br />

– Yves Sallenave-Péhé, administrateur civil de haut rang au ministère de la Défense; maire<br />

depuis 2001 de Monein, au pied des coteaux producteurs du vin de Jurançon, où il a favorisé<br />

l’ouverture d’une école Calandreta en langue béarnaise; candidat socialiste, élu au 1 er tour;<br />

– Serge Larrey-Lassalle, instituteur spécialisé dans l’« occitan », membre d’un groupe de<br />

chanteurs béarnais Los Pagalhós; maire depuis 1995 de Préchacq-Navarrenx, dans la plaine du<br />

Gave d’Oloron; candidat socialiste, battu par un UDF.<br />

Quand leurs militants ou sympathisants cachent leur drapeau, il est difficile de croire que les<br />

langues d’oc ont le vent en poupe. Mais n’est-ce pas dû au décalage entre ces langues, et même la<br />

plupart des langues “régionales”, par rapport à l’évolution du monde vers des échanges de plus en<br />

plus lointains ?


Victimes de la modernité<br />

Chapitre V<br />

Y a-t-il un avenir pour des langues “régionales” ?<br />

Le déclin du gascon et des langues d’oc que nous venons de constater fait certainement<br />

beaucoup de peine à ceux qui ont conscience des valeurs qu’elles portent; et sans doute en est-il de<br />

même des autres langues “régionales” de France. Mais n’est-ce pas inscrit dans une Histoire qu’on<br />

ne refera pas ? En transposant l’expression d’Alibert sur l’abandon de la langue gauloise devant le<br />

latin, les « autres langues de France » ne peuvent lutter avantageusement avec la langue de Paris.<br />

Parce que deux mots sont la clé, le ressort de nos efforts : ascension sociale, faire mieux que<br />

père et mère et permettre aux enfants de ne pas connaître les difficultés, parfois la pauvreté que<br />

nous avons éprouvées nous-mêmes. Et même, dans La lecçon de francés, court récit d’autrefois en<br />

appendice à Vie et mort de personne de Pierre Calmette (éd. Vent terral, 2001), c’est la grande sœur<br />

qui invite parents et petit frère à parler français et abandonner le patois. « Pas besoin d’un hussard<br />

noir » commente le critique Léon Castel (Occitans ! n° 104, 1-2/2002, p. 19). Car quelle est la<br />

langue des examens qui consacrent la réussite scolaire ? En quelle langue s’écrivent les livres<br />

dispensateurs du savoir dans presque toutes les matières ?<br />

C’est l’évolution du monde qui a fait disparaitre la société et le mode de vie ruraux où<br />

s’étaient maintenues les langues d’oc, leur biotope comme disent ceux qui veulent, à coup de<br />

millions d’euros, faire revivre l’ours dans les Pyrénées. Résultat :<br />

« Les langues et cultures régionales ou minoritaires ont été largement laminées. Je<br />

sais bien que leur transmission familiale s’est arrêtée vers 1960. Elles sont mortes en<br />

patois, sans se défendre, mortes d’innocence. » (R. Lafont, 2000).<br />

Certes, voulant être optimistes, A. Kristol et J. Wüest écrivaient en 1985 (p. 52) :<br />

« en définitive, le béarnais ne peut être sauvé que si un nombre croissant de <strong>Béarnais</strong><br />

sont prêts à parler béarnais avec leurs enfants. Sur ce plan-là, nous sommes totalement<br />

d’accord avec Robert Lafont (1984, Pour retrousser la diglossie, Lengas n° 15, p. 31)<br />

quand il dit “une langue qui n’est pas la langue de la petite enfance n’est point langue<br />

sociale du tout.” »<br />

Mais on se doute bien que cela ne pouvait être, car les jeunes parents de 1985 ne parlaient<br />

déjà plus béarnais eux-mêmes.<br />

L’illusion de l’officialisation<br />

La voie familiale n’ouvrant guère d’espoirs, le mouvement occitaniste organise périodiquement<br />

des manifestations « Occitan, langue officielle », comme si l’admission de l’occitan — au<br />

fait, lequel ? — à un statut de co-officialité avec le français permettrait de revitaliser la langue.<br />

C’est souvent une grande maladresse, car les effectifs squelettiques des manifestants révèlent<br />

au grand jour la faiblesse du mouvement. Par exemple, le 27 mai 2000, ils étaient 500 à Toulouse,<br />

cœur de l’« Occitanie » virtuelle, pour une agglomération de plus de 600 000 habitants ! (Occitans !<br />

n° 96, 5-6/2000, p. 11).<br />

C’est surtout méconnaitre les expériences d’autres pays. Et d’abord celle irreproductible de<br />

l’état d’Israël, citée par Henri Polge, Directeur des Archives départementales du Gers, à la fin d’un<br />

article sur l’innovation lexicale (Via Domitia, n° XVII, 1972, p. 60) :


Jean <strong>Lafitte</strong> 91 Sociolinguistique du gascon<br />

« Un seul peuple au monde a réussi cet exploit incomparable de rendre la vie à une<br />

langue morte : le peuple israélien. Mais précisément l’État juif, officiellement créé en 1948<br />

seulement, offrait cette particularité exceptionnelle qu’il ne comportait aucune langue<br />

commune, mettant ainsi à la disposition de ses locuteurs une manière de vide. »<br />

Car l’officialité toute seule est impuissante. L’affaire n’est pas gagnée en Catalogne, bien<br />

qu’elle ait une bourgeoisie catalaniste depuis toujours (cf. Lamuela, 2002, p. 397), encore moins en<br />

Irlande indépendante…<br />

Deux témoignages récents sur le canton des Grisons viennent même renforcer cette impression,<br />

tellement la situation du romanche est comparable à celle de nos langues d’oc, avec toutefois<br />

à son avantage le fait d’être encore très vivant dans les campagnes (Solèr, 2004 et Furer, 1996). Il<br />

faut rappeler que ce canton suisse compte quelque 180 000 habitants, dont 30 % sont rassemblés au<br />

chef-lieu Coire, majoritairement germanophone. Mais outre l’allemand et l’italien, « pour les rapports<br />

avec les citoyens romanches, le romanche est aussi langue officielle » selon l’article 116 de la<br />

Constitution fédérale suisse révisée en 1996; il est donc utilisé dans les administrations, l’enseignement<br />

et le commerce. Or il est partagé en cinq variétés appelées idiomes, où pénètrent bien des<br />

mots ou calques allemands, aboutissant à une « langue transcodique (“Code mixing”) ». Aussi les<br />

militants ont-ils créé en 1982 un standard appelé Rumantsch Grischun. Cependant, selon Solèr…<br />

« Il arrive même que des gens utilisant un registre romanche élevé doivent le corriger<br />

par le bas et choisir un romanche transcodique pour s’adapter “socialement” aux<br />

partenaires et ne pas faire figure de rumantschans, militants romanches. Le romanche et<br />

l’allemand forment incontestablement un bilinguisme déséquilibré. Cette situation réduit<br />

l’usage de la langue romanche, déjà touchée à tous les niveaux. Aussi aucune tentative de<br />

remanier le romanche et de l’actualiser pour les besoins modernes n’a pu l’empêcher de<br />

devenir davantage un calque de l’allemand, une langue transcodique, définie par “materia<br />

romana espirito tedesco” (Ascoli, G. I., 1883, Annotazioni sistematiche al Barlaam e<br />

Giosafat, Archivio glottologico italiano 7, p. 407). […]<br />

« Conscientes de ce fait, les institutions protectrices et politiques tentent d’améliorer<br />

la base du romanche — ainsi que de l’italien. On décrète officiellement l’usage des trois<br />

langues dans les administrations, les écoles et les institutions publiques. Des communautés<br />

obligent leur personnel à s’adapter linguistiquement. Un affaiblissement est pourtant le<br />

refus pratique et psychologique du Rumantsch Grischun qui reste fantomatique, étant<br />

donné qu’il ne correspond à aucun besoin autre que théorique-idéologique; dans l’intimité<br />

régionale, les idiomes, voire les patois oraux, suffisent et, au-delà, c’est indubitablement<br />

l’allemand qui s’impose. »<br />

Et l’on ne saurait oublier l’effet pervers résultant du peu d’enthousiasme des agents<br />

germanophones de l’administration, obligés d’apprendre le romanche pour converser avec quelques<br />

romanchophones néanmoins bilingues :<br />

« s’adresser en romanche à un officiel germanophone de Coire signifierait retarder la<br />

réponse et pourrait même attirer la malveillance de ce représentant de la majorité<br />

linguistique » (Victoria Popovici, résumant Furer, 1996).<br />

Au demeurant, tandis que les derniers locuteurs naturels d’oc se passent bien d’officialité, les<br />

occitanistes eux-mêmes parlent plus aisément fançais dans leurs réunions :<br />

« Nous sommes près du marché [de Tarbes], comme chaque jeudi, ils sont venus<br />

vendre quelque volaille, et ils bavardent tant et plus en “patois” […]. Quel plaisir chaque<br />

fois de les écouter; comme elle coule, naturelle et plaisante, “notre langue” ! »<br />

« Maintenant, nous sommes dans une assemblée d’occitanistes comme il s’en tient<br />

tant et tant. Approchez-vous et vous serez à peu près chaque fois étonné du mélange qu’on<br />

peut y entendre. L’un a commencé en occitan, un lui répond en français, un autre fera un<br />

effort pour revenir à l’occitan, mais il peine, et il achève son propos en français. Chacun a<br />

pu faire l’expérience de notre difficulté à tenir une assemblée entièrement dans la langue


Jean <strong>Lafitte</strong> 92 Sociolinguistique du gascon<br />

qui nous réunit. Et souvent, il s’en faut de beaucoup que notre parole soit naturelle et<br />

plaisante. » Michel Pujol (2001).<br />

Et qui pourrait chiffrer le cout de la traduction en oc, même unifié, de l’immense “littérature”<br />

scientifique et technique qui commande tout travail moderne ? Déjà, on n’arrive pas à le faire de<br />

l’anglais au français… Nous sommes en-dessous de la masse critique, et celui qui veut être lu écrit<br />

en français (cf. Henri Gougaud, cité p. 63).<br />

Il faut des langues à l’échelle du monde…<br />

En élevant le débat, d’ailleurs, on se rend bien compte que la vie et la mort des langues sont<br />

liées à leur utilité sociale, donc d’abord comme moyen de communication de la pensée, utilité dont<br />

l’intérêt culturel n’est qu’une partie, selon le vieil adage Primum vivere, deinde philosophari… Et<br />

le fait est que les peuples adoptent les langues qui leur paraissent les plus utiles.<br />

Or cette utilité s’apprécie différemment selon qu’on est un sédentaire vivant en autarcie ou<br />

presque ou qu’on est un “itinérant”, à la recherche d’aventures, de profits ou simplement de survie.<br />

Parlant du passage graduel du latin aux langues romanes, le Pr. Michel Banniard situe le début de<br />

l’étape dite Latin parlé tardif de phase 2 (LPT 2), soit en Gaule le latin mérovingien, au VI e s.,<br />

lorsque le latin commençait à se dialectaliser du fait du ralentissement des échanges au sein de<br />

l’Empire; et d’ajouter que c’est un fait bien connu que les parlers ne sont naturellement homogènes<br />

que dans le rayon d’un aller et retour de la journée; au delà, il faut des institutions dynamiques pour<br />

entretenir l’unité des parlers, comme ce fut le cas à la belle époque de l’Empire romain.<br />

Le morcèlement du monde au haut moyen-âge a donc facilité l’apparition de nos langues<br />

romanes, continuatrices d’un latin diversifié dans l’espace. À cet égard, il est symptomatique que<br />

les délais de procédure fixés selon la distance par les anciens Fors de Béarn délimitent dans<br />

l’espace des zones qui coïncident avec nos découpages linguistiques : une zone proche, la “Terre de<br />

Béarn” qui parle béarnais, une zone moyenne qui s’arrête à la Garonne, comme le gascon, et le<br />

reste du monde, au-delà du fleuve et des Pyrénées… (cf. Annexe X).<br />

Mais à l’inverse, même diversifiées, les langues romanes étaient un outil de communication<br />

externe, de telle sorte que Ricardo Cierbide (2003, p. 23), de l’Université du Pays basque, achevait<br />

ainsi sa contribution au Colloque de Burgos d’octobre 2001 :<br />

« Du point de vue de son expansion [dès le XI e s.], la variante romane [de Navarre]<br />

s’imposa à côté de la basque, probablement pour des raisons de communication dans son<br />

environnement castillan, aragonais et occitan, l’euskara restant confiné dans les<br />

communautés les plus archaïsantes et les moins communicantes. »<br />

Et c’est encore plus vrai depuis : la constitution d’états modernes à l’économie dynamique a<br />

entrainé l’émergence des langues préférées non seulement des princes, mais encore et surtout des<br />

couches les plus entreprenantes de la société. Là encore, je citerai M. Banniard : il pense pouvoir<br />

expliquer l’apparition d’une littérature romane en domaine “français” quelques siècles avant les domaines<br />

italien et espagnol par la demande des “potentes” d’Austrasie qui, à l’instar de leurs cousins<br />

de l’est pour leur parler germain, avaient souhaité des œuvres littéraires dans leur langue romane.<br />

Et de rappeler que c’est par fierté nationale de Latins que l’aristocratie sénatoriale hellénisée appela<br />

l’émergence d’un latin littéraire capable de se substituer au grec; puis que la même aristocratie devenue<br />

chrétienne a facilité l’émergence du latin littéraire des Pères du IV e siècle. Or les “potentes”<br />

— nous dirions lous capulats en béarnais — d’oc n’ont jamais été en état de formuler une telle


Jean <strong>Lafitte</strong> 93 Sociolinguistique du gascon<br />

revendication, contrairement à la bourgeoisie d’affaires de Catalogne. Chaque peuple a son histoire…<br />

Bien installés dans l’économie française, ces capulats se sont contentés du français. Et audessous<br />

d’eux le bon peuple d’oc allait en faire autant avec le décloisonnement des provinces.<br />

Ainsi, Mistral mettait « les changements que les chemins de fer semblent avoir causés dans les<br />

communications » au nombre des causes possibles de la désaffection à l’égard du provençal<br />

(Discours du 31 mars 1875 aux Jeux floraux de Montpellier, Discours, 1941, p. 42). Aujourd’hui,<br />

l’accélération des transports mondiaux a encore plus rétréci la planète, confinant à l’usage local<br />

toutes les langues, hormis l’anglais et peut-être l’espagnol et le français…<br />

… et tournées vers l’avenir<br />

Or il est difficile de ne pas voir dans nos langues régionales, et spécialement le gascon, des<br />

langues tournées vers le passé. On peut rapprocher sa situation de ce que N. Kalinine-Bourthoule<br />

disait de la société béarnaise au Colloque Arnaud de Salette d’Orthez en février 1983 (Actes, p.<br />

145) :<br />

« En gros, le monde protestant regroupe, vers 1568, de fortes communautés dans les<br />

régions de peuplement dense des plaines où l’activité du commerce et de l’industrie est<br />

forte et où s’est établie une bourgeoisie d’affaire ou d’office. La noblesse, quant à elle, a<br />

choisi dans une large mesure — non sans de notables exceptions — la religion du<br />

souverain. Donc l’on peut affirmer que le protestantisme béarnais regroupe la majeure<br />

partie des classes dominantes (dans l’aire géographique considérée) en voie de francisation<br />

déjà avancée.[…]<br />

« Les îlots de résistance sont, au sud, à dominante pastorale et, au nord, paysanne,<br />

sociétés fermées, peu en contact avec l’extérieur, sauf du côté espagnol, à l’écart des<br />

grands axes de communication. L’opposition religieuse se double en fait d’une affirmation<br />

d’identité plus ou moins consciente qui recouvre des antagonismes sociaux, économiques,<br />

linguistiques. C’est l’affrontement de deux mondes, de deux conceptions de l’économie et<br />

de la société : le monde protestant c’est celui qui monte qui s’enrichit par l’industrie, les<br />

échanges, le maniement de l’argent, le profit, où la valeur individuelle est exaltée et<br />

stimulée par une conception dynamique du rapport grâce-foi sans autre médiation que<br />

divine; société qui s’ouvre vers l’extérieur où le progrès est accepté, l’instruction<br />

développée, le livre roi. En face, l’on trouve une société agro-pastorale à tendance<br />

autarcique bien que se tournant en partie vers l’échange mais non le productivisme, à<br />

structure communautaire très forte fondée sur l’oustau, ce qui lui a permis de réaliser un<br />

équilibre adapté à l’écosystème et aux techniques rudimentaires de l’époque; les conditions<br />

de vie y demeurent rudes, précaires, jamais rien n’est acquis définitivement : une série de<br />

mauvaises années peut jeter bas l’édifice; monde de l’oralité, de l’irrationnel, engoncé<br />

dans la rigidité des coutumes et des usages, monde menacé qui se cramponne aux valeurs<br />

du passé auquel, déjà, il appartient. »<br />

Le monde protestant du Béarn du XVI e s., c’est déjà la société moderne, et elle parle français;<br />

la résistance catholique, c’est le peuple rural, routinier, fermé sur ses habitudes, et il parle béarnais.<br />

C’est d’ailleurs pour ces gens grossiers (« grosseés ») que Salette traduit les Psaumes en béarnais<br />

(adresse Au Rey). On n’est donc pas loin de la définition du patois dans Le petit Robert de 1967<br />

« Parler ou idiome employé par une population peu nombreuse, souvent rurale, et dont la culture, le<br />

niveau de civilisation sont inférieurs à ceux du milieu environnant (qui emploie la langue<br />

commune). » (cité in Revue de linguistique romane, n° 267-8 déjà cité, p. 541).<br />

Mais curieusement, c’est cette civilisation rurale de petite propriété et de faibles revenus qui<br />

ne cesse d’être exaltée par les auteurs de langue d’oc depuis le Félibrige, largement relayé par l’occitanisme.<br />

À lire Mistral, il aurait fallu que les gens modestes restent modestement et pauvrement à


Jean <strong>Lafitte</strong> 94 Sociolinguistique du gascon<br />

la terre, où ils perpétuaient la langue des ancêtres, évitant « les villes d’humeur changeante, où plus<br />

que jamais l’attrait de la nouveauté mène et corrompt le peuple. » (Discours du 31 mars 1875 aux<br />

Jeux floraux de Montpellier, Discours, 1941, p. 38). Onze ans plus tard, il constatait avec regret que<br />

« la jeunsesse descend vers la pourriture des villes » (Discours du 23 mai 1886 à la Ste-Estelle de<br />

Gap, ib. p. 160). Et jamais il ne semble s’être soucié d’économie ni d’industrie.<br />

L’occitanisme n’est pas en reste; qu’il suffise de lire R. Lapassade, ou même G. Narioo<br />

racontant dans País gascons ses souvenirs d’enfant de Balensun dans les années 30 et 40 (Per estar<br />

protestants); c’est sympathique et rappelle leur jeunesse aux lecteurs âgés qui ont le béarnais pour<br />

langue maternelle; mais on tourne le dos à la vie qui avance. À cet égard, la couverture du n° 171<br />

de Païs gascons (Nov.-Dec. 1995), était exemplaire : ironisant sur les “autoroutes de l’information”<br />

(internet), le dessin leur préférait les petits chemins de campagne, balisés par les titres des gentilles<br />

publications occitanistes. Et ne parlons pas de l’image de la grande ville enfumée et bruyante dans<br />

les dialogues de Lo gascon lèu e plan de M. Grosclaude. On en est toujours à Mistral écrivant pour<br />

les pastres et les gens des mas, pour ne pas dire à Virgile, O fortunatos nimium agricolas…<br />

Même la télévision en oc est elle-même essentiellement rurale : étudiant les programmes de<br />

Viure al país sur FR 3 Toulouse de 1989 à 1994, Ph. Gardy (1996) constatait que la ville en était la<br />

grande absente, et que les zones le plus représentées étaient celles où la population était la moins<br />

dense.<br />

L’intuition féminine ?<br />

Tout cela, il semble bien que les femmes ont été les premières à le sentir. Pierre Bourdieu<br />

(1982, pp. 34-35) l’explique par leur condition sociale :<br />

« comme les sociolinguistes l’ont souvent observé, les femmes [sont] plus promptes<br />

à adopter la langue légitime (ou la prononciation légitime) : du fait qu’elles sont vouées à<br />

la docilité à l’égard des usages dominants et par la division du travail entre les sexes, qui<br />

les spécialise dans le domaine de la consommation, et par la logique du mariage, qui est<br />

pour elles la voie principale, sinon exclusive, de l’ascension sociale, et où elles circulent de<br />

bas en haut, elles sont prédisposées à accepter, et d’abord à l’École, les nouvelles<br />

exigences du marché des biens symboliques. »<br />

Cela, pour leur usage personnel; avec sans doute pour conséquence, comme l’observe<br />

Bernard Moreux, que les mères ont été les premières à abandonner la transmission de la langue qui<br />

fut “maternelle”, « les mères, actives d’ailleurs à tous les niveaux de la modernisation en opposition<br />

souvent au conservatisme paternel » (cf. p. 59).<br />

Or j’ai moi-même constaté que les femmes et spécialement les mères de famille sont<br />

particulièrement rares dans les mouvements de défense de nos langues; machisme des militants ?<br />

affaire de recherche de pouvoir propre aux hommes ? Je penserais plutôt que leur rôle de mères<br />

soucieuses de l’avenir de leur progéniture les rend très méfiantes à l’égard de ces langues du passé.<br />

Aujourd’hui, on ne travaille guère plus en famille, à la ferme ou à l’atelier, mais en entreprise, avec<br />

des gens et notamment des ingénieurs et cadres venus d’ailleurs, pour des clients de partout, et la<br />

langue qui permet de gagner son pain ne peut être que le français, quand ce n’est pas l’anglais.<br />

Pourquoi donc alourdir encore l’emploi du temps des élèves par l’apprentissage des “patois” ?<br />

Les perspectives qui nous restent<br />

Quand une langue n’est plus apprise au berceau et ne sert plus à gagner la vie, dire les


Jean <strong>Lafitte</strong> 95 Sociolinguistique du gascon<br />

amours, les pleurs, les cris et les prières, quelle peut être la motivation pour l’apprendre et la parler<br />

à nouveau ?<br />

Préfaçant en 1986 la Grammaire béarnaise d’A. Hourcade, Robert Lafont écrivait :<br />

« Le problème sociolinguistique de notre époque est […] celui d’une transition entre<br />

héritage et nouvelles fonctions du langage. L’héritage est constitué par les parlers locaux,<br />

que la dialectologie de terrain décrit : il s’amenuise, en Béarn moins vite qu’ailleurs mais<br />

inexorablement. Les nouvelles fonctions sont liées à des espaces relativement vastes,<br />

urbanisés, désenclavés économiquement et culturellement. Il faut assurer donc non une<br />

survie du béarnais dans son état hérité (opération proprement impossible), mais sa<br />

promotion nouvelle, non plus comme langue d’un microappareil d’Etat, mais comme<br />

langue d’un espace démocratiquement autonomisé (au delà de ce premier dessin que<br />

constitue la décentralisation française) : l’espace occitan. »<br />

C’est très savant, mais on voit mal comment de telles perspectives pourraient se réaliser<br />

concrètement. Dix ans plus tard, après un Festival de la chanson béarnaise de Siros qui lui<br />

paraissait bien réussi, l’homme de terrain qu’est G. Narioo écrivait : « N’espérons pas, pourtant, des<br />

miracles. L’avenir de notre langue demeure très sombre. » (P.N.-P.G. n° 177, 12/1996, p. 6).<br />

Tout aussi réaliste, hélas, Jean Sibille (2000-1, p. 26), collaborateur de M. Cerquiglini à la<br />

D.G.L.F.L.F. et président de l’I.E.O.-Paris écrivait à son tour : il n’y a d’autre avenir pour<br />

l’“occitan” que d’être la langue écrite de quelques militants culturels, et la convergence de ses<br />

variétés est une « condition nécessaire (mais sans doute pas suffisante) à une certaine survie de la<br />

langue, dans une situation où on peut prévoir que la pratique vernaculaire héritée aura totalement<br />

cessé dans une trentaine d’années. »<br />

Donc, comme je l’écrivais dans Langue d’oc 1996, la langue d’oc ne survivra que<br />

« comme langue de culture apprise par ceux qui ont du loisir, amoureux d’une<br />

histoire et d’une civilisation ethniques qui enchantent celui qui a la chance de les<br />

découvrir. On apprend toujours le grec ancien et il y a des hellénistes qui font leur bonheur<br />

de vivre avec Homère et ses héros : Serait-il plus sot de faire de même pour ce qui est à<br />

nous ? »<br />

Même avis de la part de Jean Delmas, archiviste départemental de l’Aveyron, in Jacques<br />

Chambon, 2001 :<br />

« Je pense que la seule façon peut-être de s’en sortir, parce que nous aimons<br />

passionnément notre Langue d’OC, ce serait qu’elle devienne une langue de culture, c’est<br />

à dire que,… ça durera ce que ça durera… mais qu’on ait une sorte de joie à la parler, à la<br />

lire, à l’étudier et que ça se maintienne comme ça… Après tout, le latin n’était plus parlé<br />

depuis au moins… S’il y a eu une réforme carolingienne, c’est que le latin commençait à<br />

se perdre… Donc ça fait des siècles et des siècles, le latin n’est plus une langue de<br />

nécessité, et ç’a été une langue de culture qui s’est maintenue jusqu’à nos jours. Essayons<br />

de faire pareil. Si nous tenons encore mille ans, ce sera bien !… »<br />

C’est pour cette langue de culture, signe de reconnaissance et d’identité d’une population sur<br />

son territoire historique, que je persiste à vouloir une graphie à la fois fidèle et accessible au plus<br />

grand nombre.


Deuxième partie<br />

Écrire le gascon aujourd’hui<br />

Avec cette deuxième partie, nous touchons à ce qui a motivé l’ensemble de ce travail :<br />

comment doter le gascon contemporain d’un système d’écriture simple et efficace pour le maintien<br />

d’un écrit lisible par le plus grand nombre de ceux qui s’intéressent encore à cette langue,<br />

notamment de ceux qui la parlent tout autant que de ceux qui veulent l’apprendre.<br />

Mais comme on ne bâtit pas sur un terrain nu, un premier chapitre tâchera de donner une idée<br />

de ce qu’ont été, sur l’ensemble du domaine, les graphies du gascon depuis qu’il s’écrit.<br />

Un second chapitre reviendra à la sociolinguistique, pour voir quelle est l’attente du monde<br />

gascon en cette matière et quel est le contexte auquel ces graphies doivent s’adapter.<br />

Un troisième chapitre tentera de comprendre comment s’est implantée la graphie classique en<br />

substitution de la moderne qui fonctionnait bien depuis le renouveau littéraire du XIX e s.<br />

Un quatrième chapitre exposera les amendements qui me paraissent souhaitables, voire<br />

indispensables, pour que la graphie classique serve l’authentique langue gasconne et permette d’en<br />

retrouver facilement la prononciation vivante.<br />

Mais comme le maintien de la graphie classique, même amendée, n’est pour moi qu’un pisaller,<br />

le cinquième chapitre proposera un système moderne établi sur celui de l’Escole Gastoû<br />

Febus, mais amendé pour faciliter la lecture et l’apprentissage de la langue à ceux qui en ont perdu<br />

la familiarité.<br />

Enfin, un dernier chapitre fera le bilan des deux qui précèdent.


Chapitre I er<br />

Historique des graphies du gascon<br />

Il n’y a pas de progrès possible sans la<br />

connaissance de ce qui a déjà été déchiffré.<br />

(Jacques de Larosière, membre de<br />

l’<strong>Institut</strong>, La Croix, 30/31 janvier 1999)<br />

1 – Prologue : Graphies modernes et graphies classiques<br />

Dans cet exposé, il m’arrivera plus d’une fois de qualifier les graphies présentées comme<br />

“modernes” ou “classiques”. Ce qui appelle des éclaircissements sur ces concepts, car la confusion<br />

est grande dans ce domaine, comme je le montrerai dans le chapitre suivant, sur la sociolinguistique<br />

des graphies (p. 193).<br />

Pour cela, il me parait important de rappeler le sens obvie de ces termes tel que le donne le<br />

Dictionnaire historique d’Alain Rey (1992) :<br />

CLASSIQUE adj. et n. est emprunté (1548) au latin classicus, adjectif<br />

correspondant à classis (classe) au sens de « de première classe », parmi les cinq classes<br />

entre lesquelles les citoyens romains étaient répartis d’après leur fortune. Au II e s., Aulu-<br />

Gelle recommande de s’adresser aux classici (cives), non aux proletarii (prolétaires) pour<br />

connaître le bon usage en fait de langue; de là le sens de classici (scriptores) « écrivains de<br />

première valeur ».<br />

• Le mot a été introduit avec cette spécialisation d’Aulu-Gelle par Thomas Sébillet<br />

dans son Art poétique français. Par la suite, sont dits classiques les écrivains qui font<br />

autorité, considérés comme des modèles à imiter (1611) et, par conséquent, dignes d’être<br />

étudiés en classe (1680). Sous la plume de Voltaire et de l’Encyclopédie (1753), le mot<br />

qualifie les auteurs français du siècle de Louis XIV qui, par opposition aux baroques (ainsi<br />

nommés beaucoup plus tard), ont élaboré un art de mesure, de raison, en prônant le respect<br />

et l’imitation des Anciens. C’est cette notion de respect de la tradition donnée comme<br />

modèle qui sous-tend les usages postérieurs du mot. Il s’est appliqué au XIX e s. aux<br />

tenants de l’imitation antique, par opposition aux romantiques (1810, Mme de Staël) et,<br />

par extension, à un art qui respecte les valeurs esthétiques du XVII e s. (1835). […]<br />

MODERNE adj. et n. est emprunté (av. 1455; XIV e s., moders, nom au cas régime<br />

pluriel) au bas latin modernus « récent, actuel » […].<br />

• Le mot a été introduit dans le langage didactique et dans la perspective des arts<br />

libéraux, comme nom pluriel pour désigner les hommes des époques récentes, par<br />

opposition aux Anciens. L’adjectif est attesté au milieu du XV e s. (av. 1455) au sens de<br />

« qui est du temps présent, actuel », particulièrement en parlant de l’état de la langue<br />

(av. 1550). Le mot et la notion se répandent au XVII e s., toujours étroitement liés aux arts<br />

et aux sciences, à l’époque où éclate la querelle des Anciens et des Modernes en littérature,<br />

et où l’on commence à parler de poètes modernes (1606), d’architecture moderne. […] Le<br />

syntagme enseignement moderne, dans lequel moderne s’oppose à classique, sur la base<br />

des langues vivantes ou anciennes, est relevé depuis 1906.<br />

C’est pourquoi je pense conserver à ces termes leur sens commun en appelant :<br />

– “modernes”, les graphies qui tendent à représenter la langue parlée de leur temps au moyen<br />

de signes écrits, ou graphèmes, faciles à interpréter dans l’environnement culturel des lecteurs; et<br />

– “classiques”, celles qui privilégient la conservation des graphèmes et des formes des temps<br />

passés, que des codes plus ou moins complexes permettent de relier à la prononciation de la langue<br />

contemporaine.


Jean <strong>Lafitte</strong> 99 Écriture du gascon<br />

On voit par là que les unes comme les autres sont “phonétiques” ou plus exactement<br />

“phonologiques”, c’est-à-dire que les graphèmes représentent sinon un son physiquement unique,<br />

comme tendent à le faire les alphabets phonétiques, du moins un ensemble de réalisations phonétiques<br />

apparentées et considérées comme équivalentes pour la compréhension. La seule différence,<br />

mais elle est importante en pratique, c’est que le code qui relie phonèmes et graphèmes est plus<br />

simple et plus facile à apprendre dans une graphie moderne que dans une graphie classique. Ainsi,<br />

le français qui use de ai pour /!/ attache à ce digramme ancien une valeur phonétique moderne, qui<br />

a remplacé sa première valeur de /a"/; ai pour /a"/ relevait d’un code phonologique simple et immédiat,<br />

ai pour /!/ est toujours “phonologique”, mais au prix d’un code conventionnel et arbitraire.<br />

Et j’insisterai sur le fait que l’opposition moderne / classique caractérise des tendances,<br />

chaque type de graphie s’écartant parfois de sa ligne principale : les modernes, en conservant un ou<br />

autre graphème ancien, considéré comme emblématique; les classiques, en adoptant des graphèmes<br />

ou des formes nouvelles à cause de l’évolution de la langue.<br />

2 – Le Moyen âge<br />

L’orthographe est loin d’avoir été absente des préoccupations des scribes médiévaux et l’on<br />

peut citer de nombreux traités de orthographia. Mais ils avaient pour objet l’écriture du latin,<br />

langue de l’Église, du pouvoir et du droit, de la culture enfin.<br />

La prétendue « graphie des troubadours »<br />

La “langue romane” du Midi de la France a eu aussi ses traités d’orthographe, dont le<br />

premier, le Donatz proençals, est daté de 1240; mais le gascon n’intéressait pas leurs auteurs;<br />

n’était-il pas déjà considéré comme étranger, si l’on en croit le Descort plurilingue de Raimbaut de<br />

Vaquèiras des alentours de l’an 1200 ? (cf. Bustos, 1990). Et même pour ce qu’on a appelé la<br />

« langue des troubadours », la grande variété des formes rencontrées est telle que le Pr. Joseph<br />

Anglade « ne voulait même pas qu’on prononçât [le mot d’orthographe], à propos de la façon<br />

d’écrire des troubadours ou de leurs scribes, tant il la trouvait anarchique. » (Gavel, 1942, 7). Aussi<br />

a-t-on pu écrire qu’« Il n’y a jamais eu de graphie des troubadours. » (Sarrail, 1980, 9) … du moins<br />

au sens moderne d’une orthographe régie par des grammaires et constatée par des dictionnaires<br />

sensiblement concordants, les premières comme les seconds.<br />

Au demeurant, les rares textes des troubadours gascons ne nous sont pas parvenus écrits dans<br />

leur langue, mais dans ce que P. Bec appelle l’« occitan commun (troubadouresque) » (Bec, 1997,<br />

15), alors que l’écrit administratif et juridique gascon est extrêmement abondant. Or la “scripta”<br />

gasconne se sépare sur plusieurs points de celle du roman “provençal”, en particulier du roman de<br />

Toulouse, même si l’influence de ce dernier est forte dans la Gascogne orientale.<br />

La scripta “béarnaise”, même loin du Béarn<br />

On a souvent insisté sur le particularisme de la scripta béarnaise, appuyée sur un pouvoir<br />

local quasi indépendant des puissances dominantes; P. Bec (ib., 18) en caractérise ainsi la graphie,<br />

par rapport à celle de Toulouse : « confusion fréquente du v et du b, emploi du x et des digrammes<br />

vocaliques aa, ee, ii, oo, uu, etc. »; on pourrait y ajouter la notation par e de divers a étymologiques<br />

atones, spécialement en « finale féminine », mais dans la mesure où cela note un aboutissement<br />

phonétique particulier du -a, je préfère traiter ce point séparément. En se limitant donc aux autres


Jean <strong>Lafitte</strong> 100 Écriture du gascon<br />

traits, on les rencontre bien au-delà des frontières de la vicomté de Béarn, et tout d’abord le<br />

redoublement des voyelles pour noter leur allongement compensatoire de l’amuïssement d’une<br />

consonne, que connaissent l’allemand (Meer, Staat), l’anglais (door, bee), le néerlandais (Oostende,<br />

Aalsmer)…; en domaine gascon, on retrouve les traits “béarnais” dans le comté de Foix, du fait de<br />

son union personnelle au Béarn par la maison de Foix-Béarn, mais aussi dans toute la Gascogne<br />

occidentale et jusqu’en Armagnac.<br />

En Médoc, nous avons des indices de l’usage de x pour /#/ dans le Glossari gascon ancian<br />

dau Medòc (Berthaud, 1975) : aixi (v° aital) {ainsi}, gexir {sortir}. J’ai relevé moi-même dans la<br />

commune d’Eysines un lieu-dit Boixalut, alias Bois-Salut, cité dans un jugement d’adjudication de<br />

1921; construit comme bavalut {baveux}, coralut {qui a du cœur}, cournalut {cornu} etc. il<br />

pourrait bien s’analyser en boix + alut, lieu où abonde le boix {buis}, et témoigne en tout cas d’un<br />

usage du x bien loin du Béarn. De même le toponyme Xentralha (fr. Xaintrailles), à 10 km au N-O<br />

de Nérac, avatar de Senta Eulàlia {Ste Eulalie}; ou encore Cutxan, à 10 km au N-O d’Eauze.<br />

Plus près du Béarn, les textes de Bayonne font de même : Auhx {Auch} (fin XII e s., Luchaire,<br />

1881, 77); et dans le Livre des Établissements, aixi {ainsi} (1336, 2 occ., p. 227; 1377, p. 211;<br />

1401, p. 228); baxets {vaisseaux, récipients} (XV e s. ?, p. 228); conexen {connaissent} (1437, p.<br />

234).<br />

La Coutume de Saint-Sever rédigée en 1380 présente quelques voyelles doubles : mees<br />

{mois}, Seuee {Sever}, foos {fors} (préambule); fee {foi} (§ 1), prees {pris, capturé} (§ 4); entroo<br />

{jusqu’à} (§ 19 etc.), diit {dit} et composés; compredoos {acheteurs} (§ 28), nuus {nus} (§ 41),<br />

prosmaa {prochain} (§§ 43, 54); graa {degré} (§ 55); bedoos {veuves} (§ 75); un seul x pour /#/ :<br />

medix {même} (§ 17).<br />

En Bigorre, les traits “béarnais” sont extrêmement fréquents; voyelles doubles : maa {main}<br />

(fin XII e s., Luchaire, 1881, 14; 1171, vidimus de 1251, ib., 21); paa {pain} (même vidimus, p. 23);<br />

descargaa {décharger} (1260, ib., 30); Ordisaa {Ordisan} (ib.); Morlaas (nombreuses occurrences,<br />

du fait du nom de la monnaie) etc.; de même fee {foi} (fin XII e s., ib., 15), Teesiis {peuple voisin<br />

de la Bigorre} (vidimus cité, p. 20), pees {poids} (ib., 24); dii, auandiit {dit, susdit}… très<br />

fréquents aussi; costoos {bastions} (vidimus cité, p. 21), boo {bon}, Cumdoo(r) {Condou}, soo<br />

{son}, turoo {monticule}, coofirmam {confirmons}, dooatiu {donation}… (1260, ib., 30); x valant<br />

/#/ : laxa {laisse} (Cartulaire de Bigorre, ib. 13), Prexac {Préchac} (fin XII e s., ib., 17), pex<br />

{paturages ?} (vidimus cité, p. 22), eixir, eixissen {sortir, sortent} (ib., 23, 24, 25); eiximenz<br />

{sorties} (1260, ib., 31) etc.<br />

Au centre même de l’Armagnac, que l’on pourrait croire beaucoup plus “toulousain”, on<br />

rencontre aussi des x : Dardeix (fin XI e s., ib., 99); laixa / laisa {laisse} (1224, ib., 103); Auxs<br />

{Auch} (1256, ib., 104 et en de multiples occurrences dans d’autres textes du même recueil).<br />

Sans préjuger de ce que pourrait apporter une étude systématique de la cohérence ou des<br />

distorsions dans les graphies de l’ancien gascon, de leur évolution dans le temps, et des influences<br />

extérieures dont elles peuvent témoigner, nous pouvons retenir de cet aperçu que ce que l’on a<br />

désigné parfois comme « scripta béarnaise » n’est pas du tout enfermé dans les limites de la<br />

vicomté et peut correspondre à des tendances communes à tout l’espace gascon. C’est semble-t-il le<br />

cas du e remplaçant un a atone.


Jean <strong>Lafitte</strong> 101 Écriture du gascon<br />

Le graphème e pour a étymologique, témoin d’un particularisme phonétique<br />

Une visite des textes de l’ancien gascon devrait nous éclairer sur ce point.<br />

Dans les textes antérieurs à 1300 rassemblés par Luchaire (1881) pour la “Région girondine”,<br />

les -a dominent, mais -e apparait très tôt dans le Cartulaire du Prieuré de St-Pierre de La Réole (p.<br />

115) : Grimoardi de Borderes (acte de 990); Marze Retonda, Marze Ardona et aussi Marza rotunda<br />

(1026/1030); terre del Casterar (1080) etc. On en trouve encore quelques rares dans les actes de<br />

1234 à 1243 qui suivent dans le Recueil : libres {livres (monnaie)}; esporle {redevance due au<br />

changement de seigneur}; oscle {présent de noce}; ailleurs : libras, esporla, oscla. Il en est de<br />

même dans le tarif douanier de Libourne de 1275 (Grosclaude, 1986-2, p. 47) : Bordes (nom du<br />

notaire lui-même {granges}), bonez voluntatz {bonnes volontés}, Labere (nom du Connétable de<br />

Bordeaux {la belle ?}), Saloobee / Salaboe (?), vaque (2 occ.) {vache}, egue {jument}, porte (2<br />

occ.) {il porte}, trasse / trassa {chargement}. Mais on ne trouve que des formes en -ador, -ament.<br />

Le Cartulaire de St Jean de Sordes, publié par Paul Raymond en 1873 contient la copie considérée<br />

comme fidèle de textes latins remontant au XII e s.; mais les noms propres gascons n’y sont<br />

pas toujours latinisés, et des mots du lexique y sont glissés, surtout dans les censiers : le plus souvent,<br />

des verbes ou des noms de produits, pour que les obligations des redevables ne prêtent pas à<br />

discussion. Ainsi, le nom propre Garsia(s) apparait aussi comme Garsie dès un acte de 1105/1119;<br />

ailleurs, Gassie; pp. 119-120, la liste des biens de l’abbaye à St-Cricq (XII e s.) contient arribere<br />

{terrains en bord de cours d’eau}, le terre, le correge {terrain en bande}, Le Barrere {barrière (de<br />

péage ?)}, Anglade {terrain en angle} etc.; on voit là l’article féminin issu de ‘illa’ noté le, car ce<br />

proclitique est atone et son a devient logiquement /ø/.<br />

Dans les quatre autres textes landais du Recueil de Luchaire situés en dehors de Bayonne, les<br />

-e féminins l’emportent généralement. À l’intérieur des mots, on lit emparedors {protecteurs}<br />

(1256, Casteljaloux), compredoos {acheteurs}, eretedoos {héritiers} mais forsados {auteurs de<br />

voies de fait} (1256, Marsan) et demandedors {demandeurs}, cosselhedors {conseillers}, ajudedors<br />

{aides} (1270, testament d’Amanieu VI d’Albret); et aussi mandadors {qui ordonnent} (1268,<br />

Gabarret); les formes en -ament par contre l’emportent nettement sur celles en -ement (franquements<br />

{en franchise}, prumerements {premièrement}, deseretement {spoliation d’héritage}, 1256,<br />

Marsan; segrement {serment}, 1270…)<br />

Les textes de Bayonne ne connaissent semble-t-il que -e dès les temps les plus anciens; dans<br />

le corps des mots, les -e- dominent; j’ai relevé par exemple, au Livre des Établissements,<br />

cambiedors {changeurs}, dauredors {doreurs}, arrazoedors {avocats}, mesuredors {métreurs},<br />

portedors {porteurs}, pesquedors {pêcheurs}, cosselhedors, prestedor {prêteurs}, prumeiremens,<br />

liurement {librement}, segrement, aiustement {additif (à un texte)} (mais aussi iustament),<br />

saubemens {en sûreté}, comensement, regnement {règne}, amonestement {avertissement} etc.<br />

Il en est de même pour la Coutume de Saint-Sever : -e est quasi exclusif, tandis que dans le<br />

corps des mots, ici encore, si les formes en -edor (forcedor, compredoos, curedor {tuteur (de<br />

mineur)}…) l’emportent de beaucoup sur celles en -ador (abitadors {habitants}, procurador<br />

{procureur}, predicadors {prédicateurs}…), c’est l’inverse pour celles en -ament (comensament,<br />

segrament, judiamentz…), près de deux fois plus nombreuses que celles en -ement (comensement,<br />

noerement {nouvellement}, segrement…)<br />

En Bigorre, on trouve quelques -e féminins : Arenes {Arènes}, totes franquesses {franchises}


Jean <strong>Lafitte</strong> 102 Écriture du gascon<br />

(Censier de Lourdes, ib. 12); garie {poule} (Censier d’Aure, ib.; Censier d’Ibos, ib., 13); la batalhe<br />

fo conbidade {les combattants furent convoqués pour la bataille ?} (fin XII e s., ib, 14) etc. Même<br />

présence discrète de e posttoniques dans les trois actes de 1419 du notaire de Luz pour le Barège<br />

récemment publiés par J.-F. Le Nail (2003); -a est quasi exclusif pour une zone qui a longtemps<br />

gardé la prononciation en /a/; mais dès la formule “sacramentelle” initiale, c’est Conegude cause<br />

sie {que ce soit chose connue} pour le premier, Conegude causa sie pour les deux autres, alors<br />

qu’en général, c’est plutôt le contraire, la formule étant en -a et le reste majoritairement en -e…;<br />

quant au reste de ces trois actes, on y rencontre des e posttoniques correspondant à des<br />

prononciations actuelles en [œ/o] dans les subjonctifs sie(n) {soi(en)t} (ALG V, 2019), pusque(n)<br />

{puisse(nt)}, bienque {vienne} (ib., 1641), dans les imparfaits birauen {conduisaient}, donauen<br />

{donnaient}, portauen {portaient} (ib., 1661), quelques pluriels féminins diites {dites},<br />

nomentagudes {mentionnées}, penherades {saisies} (ib. 2067), bien que la plupart soient en -as.<br />

On trouve aussi les indicatifs présents talhe(n) {sépare(nt)}, termenen {limitent}.<br />

En Armagnac occidental, la copie la plus ancienne des coutumes de Corneillan, datée par<br />

l’écriture comme du début du XIV e s. (Samaran, 1953) compte 60 % de graphies en -a pour 40 en<br />

-e : subjonctifs pusque {puisse}, volhe {veuille}, mais nasca {naisse}, les “féminins” segures<br />

{sures}, causas/causes {choses}, guise {guise, façon}, die {jour}, came / cama {jambe}, plasce<br />

{place} mais aussi l’hypercorrection autra temps {autre temps}. Ce n’est qu’avec la copie de 1489<br />

qu’on voit apparaitre des -o, peut-être imputables à un scribe venu du Comminges.<br />

Au centre même de l’Armagnac, des -e pour -a étymologique se rencontrent au XIII e s. :<br />

conegude cause, bone memorie {bonne mémoire}, prezense {présence}, Sencte Marie etc. (1256,<br />

ib. 104); aumone, Sencte Marie, totes {toutes}, dues partz {deux parts}, demne {dime}, glisie<br />

{église}, etc. (1260, ib. 112); les proverbes des alentours de 1500 (p. 104) n’en seront que la<br />

continuation.<br />

Et de même encore en Comminges, comme dans l’acte original de 1179 de Montsaunès que<br />

Luchaire présente en p. 5, n° 172 de C. Brunel : la primizie {prémice}, las comanies {commanderies},<br />

aie {qu’il ait}, die {jour} (4 occurrences; on pourrait y voir une influence du dies du latin classique,<br />

mais c’est peu vraisemblable, à en juger par les cinq dia(s) des autres chartes de même région et de<br />

même époque publiées par C. Brunel); dans l’acte du 31 mai 1184 (n° 210 de Brunel), dies {jours}<br />

et Garsie, écrit Garsias en latin dans les actes des 17 mai 1186 (n° 481) et 22 septembre 1187 (n°<br />

488). On remarque que tous ces -e suivent un i. Ce n’est plus le cas dans l’acte de 1260 (Luchaire,<br />

1879, 314) relatif à la terre d’Arné, à la limite du Nébouzan : conegude cause sie, Bacaiere, defore<br />

{dehors}, costumes {coutumes}, aqueste carte {cette charte}, partides {parties}, Simone, Serre.<br />

Cette substitution de e à a atone s’observe donc partout, et dès les premiers écrits; mais elle<br />

n’est pas systématique, laissant place à un degré élevé de polymorphisme. Est-ce à dire que la<br />

langue se cherchait ? qu’une évolution était en cours ? que les scribes étaient négligents ? La<br />

question est délicate. Il est certain néanmoins que ce n’est pas par hasard que l’on rencontre ces e<br />

sur tout le domaine : ils ne peuvent être que l’émergence à l’écrit d’une prononciation locale qu’on<br />

hésitait à noter, en face du modèle latin — langue de culture que tous les scribes possédaient — et<br />

peut-être aussi du modèle languedocien ou toulousain, auréolé du prestige d’une littérature que<br />

n’avait pas le gascon local.<br />

Or cette prononciation locale, était-elle une innovation en cours d’installation, ou un héritage


Jean <strong>Lafitte</strong> 103 Écriture du gascon<br />

des débuts de la romanisation en Aquitaine, comme cela s’était aussi produit en catalan ancien (cf.<br />

Bec, 1970, p. 481), héritage en cours de recul devant la poussée du roman languedocien ? Dans son<br />

mémoire de D.E.A., Philippe Lartigue (2004) propose cette seconde interprétation, qui rejoint ma<br />

propre hypothèse sur l’antériorité du /w/ sur le /!/ entre voyelles : la présence de ces traits dans les<br />

régions les plus rurales, les moins ouvertes sur l’extérieur, et chez des locuteurs sans prestige, rend<br />

peu vraisemblable la thèse de l’innovation et encore moins de sa propagation alentour. Et comme le<br />

/w/, et plus encore que lui, -/$ ~ ø ~ œ/ a vu son aire se réduire au cours des siècles, au profit du -/o/<br />

venu de l’est.<br />

Si donc le -a est « un des traits discriminants les plus marqués pour la caractérisation des<br />

systèmes graphiques de l’occitan » (Courouau, 1999, 50), le e substitué à a pourrait bien l’être des<br />

systèmes graphiques proprement gascons, et pas seulement « béarnais ».<br />

Les grands traits de la “scripta béarnaise”… et gasconne<br />

Schématiquement, les grands traits de cette graphie “béarnaise” peuvent se présenter ainsi :<br />

La notation des voyelles et des diphtongues est à peu de choses près celle qu’ont reprise les<br />

graphies du XX e siècle qui seront présentées plus loin. Trois particularités cependant :<br />

– en position finale tonique, la voyelle est souvent doublée pour compenser la disparition<br />

d’une consonne étymologique, -n ou -r, parfois -d : aberaa {noisette}, plee {plein}, besii {voisin,<br />

membre de la communauté villageoise}, leoo {lion}…; branaa {lieu planté de bruyère}, paa {pain},<br />

senhoo {seigneur}…; cependant, non seulement la chute du -r des infinitifs ne donne pas lieu à redoublement<br />

de la voyelle (une seule occurrence, descargaa {décharger} citée p. 100), mais encore<br />

bien des amuïssements de -n, -r ou -d n’y donnent pas lieu non plus, tandis que l’on trouve, sans<br />

aucune chute de consonne finale, caar {cher}, caas {cas}, abuus {abus}, fruut {fruit}, juu {joug};<br />

– en position posttonique, le e peut aussi bien valoir [e] qu’un son atone assourdi, variable<br />

selon les lieux, [œ] ou [o] ou même [a] : pene se lit ['pene] pour le verbe “pendre” {il pend} et<br />

['penœ, 'peno ou 'pena] pour le substantif “peine”;<br />

– le o note soit /%/ ou /o/, soit ce qui est aujourd’hui devenu /u/ : asso {cela}, notari {notaire}<br />

[a'so, nu'tari]; ce n’est que tardivement qu’apparait ou pour ce qui est aujourd’hui /u/, probablement<br />

du fait du passage progressif de la valeur /o/ à la valeur /u/ : soun linatje {son lignage}, pousquan<br />

{qu’ils puissent}, soulamentz {seulement}, nou {ne… pas} dans une charte bigourdane de 1279<br />

citée par Luchaire (1879, p. 296). L’ancienneté des textes où apparaissent les ou permet d’affirmer<br />

que cela s’est fait de façon autonome, sans doute par analogie (cf. p. 151) et en parallèle avec le<br />

même phénomène apparu en oïl, sans que l’on puisse y voir un effet de la « domination française »<br />

(cf. <strong>Lafitte</strong>, 2003-3).<br />

Les consonnes ont en général la même valeur qu’en français, mais certaines, et surtout les<br />

groupes de consonnes, ont une valeur différente :<br />

– j (g devant e, i) vaut /j/ dans une grande partie du Béarn;<br />

– lh vaut /&/;<br />

– nh vaut /'/ : penhera {gage}; mais on trouve aussi gn, ou même ng, voire inh et ing avec la<br />

même valeur : gnaspa {mâcher}, ung {un}, feinh {foin}, Gascoinhe {Gascogne}, preing {gravide};<br />

– gn a donc parfois sa valeur /'/ du français actuel, mais aussi celle de /nn/ : signet {signature};<br />

comme pour ou, l’usage de gn pour /'/ est très ancien, et par exemple exclusif dans la Charte de<br />

Herrère du 21 novembre 1278 (cf. <strong>Lafitte</strong>, 2003-4, pp. 43-44);


Jean <strong>Lafitte</strong> 104 Écriture du gascon<br />

– x ou ix valent le plus souvent /#/ : medix {même}, baxa {baisser}; mais ch, bien que plus rare,<br />

a la même valeur : chic {peu}, chibau {cheval};<br />

– f note quasi systématiquement /h/, soit h fortement expiré comme dans l’anglais “hill”; telle<br />

était en effet la prononciation gasconne du f latin, mais peut-être hésitait-on à l’écrire, au point<br />

qu’on a également employé le f avec la même valeur /h/ en dehors de toute origine latine : faque<br />

{haquenée}, faut {haut}, feume {heaume}, etc.; h pour /h/ est cependant attesté dans le Recensement<br />

des feux de Béarn ordonné par Gaston Fébus en 1385 (publié par Paul Raymond, Pau, 1875) :<br />

Peyrot de La Hiite-Susaa, Berdolet de La Hiite-Jusaa (p. 4); Arnauton de Lahiitau, Arnaut-Guilhem<br />

de Lahiytole (p. 6); Goalharde de Halharet, Harnateg, Artuu Heugar, A. Heuguet (p. 7), etc.<br />

– -rr en finale n’est pas rare (murr {mur}, torr {tour}), marque d’un -/r/ ou -/rr/ qui ne veut pas<br />

s’amuïr; -nn est plus rare, mais est attesté, pour un -/n/ dental (Joann {Jean}).<br />

Enfin, à en juger d’après la prononciation actuelle, certaines consonnes finales pouvaient être<br />

altérées ou amuïes, ou en voie de l’être; ainsi, après voyelle, -b, -g et -d s’assourdissaient peut-être<br />

déjà, respectivement en /-p, -k et -t/; -d et -t après -n ou -r pouvaient être muets (blound {blond},<br />

arcord {accord}, balent {vaillant}, part {part}); et -n de même, après r (carn {viande}, corn<br />

{corne, coin}, forn {four}).<br />

D’autre part, une particularité des textes gascons bien connue des chartistes (Conseils pour<br />

l’édition des textes médiévaux, I, p. 26) est que /!/ était écrit “u” aussi bien que “b”, de telle sorte<br />

qu’au gré des éditeurs modernes, b et v notent indifféremment /!/ et v, parfois /w/, quelle que soit<br />

l’étymologie : abesque ou parfois avesque {évêque}, baque ou vaque {vache}, avè {il avait}, etc.<br />

Cependant, pour avoir des règles écrites de la graphie d’un parler gascon, ou plus exactement<br />

de sa prononciation, il faudra attendre la fin du XVI e s. avec le <strong>Béarnais</strong> Arnaud de Salette. Mais<br />

peu avant lui, c’est l’est gascon qui nous offre matière à réflexion.<br />

3 – Cent-un proverbes anonymes (vers 1500)<br />

Nous devons au folkloriste Jean-François Bladé d’avoir à notre disposition un recueil de 101<br />

proverbes écrits vers 1500 et publiés aux pages 166-187 de ses Proverbes et devinettes populaires<br />

recueillis dans l’Armagnac et l’Agenais (1879, 1976) :<br />

ce sont, écrit-il, « quelques feuillets couverts d’une écriture de la fin du XV e ou du<br />

commencement du XVI e siècle » qu’« Un studieux annaliste auscitain du XVIII e siècle,<br />

l’abbé Louis Daignan du Sendat, dont les œuvres sont encore inédites, a inséré, dans ses<br />

Mélanges » (p. VII) « dont le titre véritable est : Mémoires pour servir à l’histoire de la<br />

ville d’Auch ». Ce manuscrit est conservé à la bibliothèque municipale d’Auch. La<br />

collection des proverbes va de la page 275 à la page 278. » (p. 113). « Ces feuillets<br />

contiennent cent quatre 19 Proverbes et dictons de la Gascogne, très incorrectement<br />

imprimés en 1850, par A. Ph. Abadie, à la suite de son édition du Parterre gascoun de Bedout.<br />

“L’abbé Daignan, dit M. Léonce Couture, n’est pour rien dans l’orthographe, ni dans<br />

le choix et l’agencement des dictons qu’il nous a transmis. Il n’a fait que sauver de la destruction<br />

un petit manuscrit beaucoup plus vieux que lui.” (Léonce COUTURE, Revue de<br />

Gascogne de 1867, p. 553.) Ce précieux manuscrit, ajoute mon excellent ami, “mériterait<br />

d’être publié avec une fidélité scrupuleuse.” » (p. VII).<br />

C’est justement ce qu’a voulu faire Bladé :<br />

« L’orthographe du manuscrit a été respectée, conformément aux désirs manifestés<br />

par certains critiques. Ce n’est donc pas ma faute, si elle laisse a désirer, et si elle n’est pas<br />

la même que celle dont j’ai fait usage pour mon propre compte. » (p. 113)<br />

19 En réalité, on n’en compte que 101, du n° 690 au n° 789, soit 100, plus un double 781, selon la numérotation de Bladé.


Jean <strong>Lafitte</strong> 105 Écriture du gascon<br />

« Je ne saurais trop répéter que je copie exactement, et sans répondre de<br />

l’orthographe, les Proverbes contenus dans le manuscrit Daignan du Sendat, que j’ai collationné<br />

avec le concours de M. Parforu [sic, pour Parfouru], archiviste du département du<br />

Gers. » (Nota-Bene de la p. 166).<br />

Ce collationnement nous rassure pour la suite, encore qu’il ait dû intervenir au stade du manuscrit<br />

de Bladé et non des épreuves de l’imprimeur, car on décèle dans l’édition de 1879 un certain<br />

nombre de fautes évidentes d’impression qui laissent planer un doute sur tout le reste. Sous<br />

cette réserve, on peut faire plusieurs observations sur la graphie de l’auteur et sur la prononciation<br />

de l’époque dont elle est un reflet plus ou moins fidèle :<br />

– la finale féminine posttonique est massivement notée par -e (142 occurrences), bien que la<br />

conservation auscitaine du manuscrit et sa langue soient d’une région qui réalise aujourd’hui cette<br />

finale en [o]; mais on trouve dix o posttoniques : caguo {chie}, henno {femme}, soupo {soupe},<br />

Sto-Fé {Ste-Foi}, tripos grassos {tripes grasses}, hurouso {heureuse}, testoment {testament},<br />

soupon {soupent}, gagno {gagne}.<br />

– alors que bon nombre de /u/ actuels sont déjà notés par ou, et notamment l’article lou, les<br />

finales en -on demeurent, ce qui suppose que la prononciation est encore en [(n] ou [("] : mayson<br />

{maison}, bourron {bourgeon}, moussaron {mousseron}, don {il donne}, sermon, palancon<br />

{planchette}, lairon {larron}, foyson {foison}; deux exceptions, à la rime du dernier proverbe, soun<br />

{sien} et sasoun {saison}, sans doute parce que le passage à [)n] ou [)"] était déjà amorcé; de toute<br />

façon, le pluriel est en -ous : presous {prisons}, sous {ses}, tous {tes}, avec des exceptions<br />

apparentes dues à une dentale latente qui maintient la prononciation du -n-, hons {fond} (< honds <<br />

‘fundus’), estrons {étron} (


Jean <strong>Lafitte</strong> 106 Écriture du gascon<br />

Mais ce français était lui aussi en transition (cf. Bec, 1971, p. 54), comme en témoigne par<br />

exemple l’Heptaméron de Marguerite de Navarre (1559, éd. Garnier, 1964); dans le seul Prologue,<br />

pp. 1 à 10, j’ai noté contre l’usage actuel, parfois en plusieurs occurrences oblier, oblyé, povoir, oy<br />

“oui”, oyr “ouïr”, moillé, demorer, plorans; et à l’inverse, proufondeur, demourer.<br />

Quant à la finale féminine, après que le [a] originel se fût d’abord fermé en [œ], comme en<br />

catalan et dans tout l’ouest gascon (cf. p. 102), il était en train de passer à [o], état actuel que reflètera<br />

la graphie de d’Astros dès le siècle suivant (p. 115); au demeurant, selon Bladé, « la terminaison<br />

[…] e [était conforme], aux habitudes de l’Armagnac proprement dit et des Landes. » (Poésies<br />

populaires de la Gascogne, <strong>Tome</strong> I, Paris : Maisonneuve, 1881, p. 4).<br />

4 – Pey de Garros<br />

Né à Lectoure entre 1525 et 1530, Pey de Garros n’eut qu’une très courte carrière littéraire,<br />

puisque ses œuvres gasconnes ont été publiées en 1565 (Psaumes) et 1567 (Poesias gasconas). Il<br />

avait donc au plus 42 ans quand s’arrêta cette carrière, sa charge d’avocat général à Pau comme haut<br />

magistrat du royaume de Navarre s’étant sans doute opposée à la poursuite d’une œuvre littéraire.<br />

Cette œuvre « constitue une sorte d’énigme, qui trouve peut-être son origine et son explication<br />

dans son caractère doublement fondateur, à la fois d’une langue, pour laquelle une graphie<br />

nouvelle est proposée, et d’une littérature, qui cherche à faire école. » (Philippe Gardy et Guy<br />

Latry, Avant-propos de Berry, 1948/1997, 8). Fondateur d’une langue, c’est sans doute beaucoup<br />

dire; plutôt d’une langue littéraire; quant à la graphie, elle n’est pas sans liens avec la pratique<br />

médiévale, tout en étant novatrice sur plusieurs points.<br />

Pour Berry (ib., 45) bien des traits de cette graphie « ne sont que des archaïsmes généraux, de<br />

vieille origine, retrouvables en oc comme en oïl chez maints auteurs du XVI e siècle ». Et de citer o<br />

pour /u/ de mori — mais ce o français devait se prononcer /o/ plutôt que /u/, comme on vient de le<br />

voir chez Marguerite de Navarre —, y de roy, ny pour ni, ae dans Aegptiaca, oe dans coelica, abus<br />

de th et de ch pour q et c étymologiques etc. Mais avec ph pour /f/, Garros innove : il évite le f dont<br />

le gascon a fait h. Cependant, la notation par -a de la finale féminine « ne relève que de l’usage<br />

vieux-provençal le plus ordinaire » (ib., 46)… à ceci près que l’usage “vieux gascon” était plutôt -e<br />

dans une vaste étendue du domaine comme on l’a vu p. 102. Par contre, c’est bien dans le vieux<br />

fonds gascon — Berry dit « aquitain » — que Garros va chercher le x/ix pour /#/, les finales en -nn<br />

et -rr, pluriel de -c en -cx (enemicx), q non suivi de u (qaucom) etc. Et de conclure « La part<br />

d’invention formelle de Garros, tous ces cas classés, apparaît piètre » (ib., 47).<br />

Mais finalement, Berry situe Garros dans son temps et montre que « le poète, tout en prenant<br />

sur tel ou tel point des dispositions particulières, est dans le ton des discussions engagées depuis<br />

longtemps, en réaction contre le désordre du moyen-français. » (ib.).<br />

Robert Lafont (1968) a aussi étudié la graphie de Garros avec beaucoup de soin et d’intelligence,<br />

en s’attachant à l’analyser comme un tout structuré, dont on ne peut isoler un aspect en ignorant<br />

tous les autres. Son titre en dit déjà beaucoup : « La graphie de Garros offre des caractères évidents<br />

de graphie phonétique pratique » (p. 407). Ainsi, R. Lafont souligne le souci de Garros d’offrir un<br />

écrit lisible sans ambigüité par l’usage délibéré de signes diacritiques, mais aussi, par exemple, par<br />

la notation en -rr du r long qui a subsisté et la suppression du -r final devenu muet (herr, torr /<br />

corre, sospira, vencedo, amo…). Et il observe que le -o étant affecté à la finale (tonique) des mots


Jean <strong>Lafitte</strong> 107 Écriture du gascon<br />

comme amo, dolo, conceptio… ne pouvait servir pour la notation de -a latin (posttonique) : « En<br />

restant fidèle à l’a de la tradition occitane générale et de la scripta gasconne dont il a manié les<br />

textes, Garros ne fait certainement pas acte d’archaïsme volontaire. Il reste simplement fidèle à une<br />

vision structurale graphique, où rien de plus juste que a n’a été trouvé pour noter la finale féminine<br />

puisque o n’est pas libéré pour cet usage. » (p. 411). Cette explication par référence à une scripta<br />

gasconne en -a mériterait sans doute d’être nuancée, tellement sont nombreuses les notations par -e<br />

d’une réalisation affaiblie (cf. p. 101); en réalité, le -e déjà employé n’était pas disponible lui non<br />

plus dans un système rigoureux, puisqu’il notait un /e/ posttonique dans les infinitifs (dize, noze,<br />

perde, corre…) et de nombreux autres mots comme noste, mainatge etc… Mais justifier le recours<br />

au -a étymologique par une meilleure représentation de la prononciation lomagnole de 1550 n’est<br />

pas dépourvu de vraisemblance. Au demeurant, Salette fera de même… Et le -a tonique est très généralement<br />

noté par -á, même devant t : passá, cambiá, auzirá, corbás, granás, botarás, beutát…<br />

Et R. Lafont rejoint A. Berry en concluant : « Cette intelligente mise en ordre du gascon apparaît<br />

donc très moderne » (p. 141). Il y revient dans l’Anthologie de 1974, p. 22 : « Ce linguiste de<br />

génie paraît superficiellement avoir restauré la graphie traditionnelle de l’occitan. En fait sa tentative<br />

est aussi moderniste que traditionnelle. Elle est parallèle à la réflexion d’un Peletier du Mans<br />

sur la graphie du français. Elle utilise bien quelques notations d’ancienne langue d’oc, -a final du<br />

féminin, o fermé et non ou, mais sans doute pour leur commodité. D’autres traits comme ph notant<br />

systématiquement f, ou l’emploi de divers signes diacritiques montrent la volonté d’atteindre au<br />

plus juste et de la façon la plus actuelle la phonologie vivante. »<br />

Ces conclusions me conviennent, mais j’irai plus loin dans ce sens : l’examen attentif de<br />

l’original des Poésies m’a montré un très grand nombre d’occurrences de ou notant /u/ à l’évidence,<br />

ce qui atténue l’affirmation de R. Lafont sur « o fermé et non ou » : ou {ou}, journ, vous, prou,<br />

voup, pourin, acoustumat, hourra, bourg etc., et même en diphtongue paou, espaourit.<br />

Mais Garros n’a pas théorisé son système et s’en est sans doute vite désintéressé pour vaquer<br />

à l’administration de la justice, qui avait son propre vocabulaire et sa tradition d’écriture. Et il n’a<br />

pas fait école, sombrant dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte au XIX e s.<br />

Un auteur bien étudié<br />

5 – Arnaud de Salette<br />

Avec Arnaud de Salette (v. 1540-avant 1594), c’est encore un traducteur des Psaumes qui va<br />

nous donner une leçon de graphie gasconne, ou plutôt béarnaise. Robert Darrigrand avait présenté<br />

cette œuvre et notamment sa graphie dans un article de Per Noste, Les Psaumes en langue<br />

<strong>Béarnais</strong>e au XVIme Siècle (Darrigrand, 1969-2); mais nous lui devons surtout leur réédition en<br />

1983, à l’occasion du quatrième centenaire de l’édition originale, qui fut aussi marqué par un<br />

colloque “Arnaud de Salette et son temps” tenu à Orthez.<br />

Entre autres communications, sont particulièrement intéressantes pour notre propos celle du<br />

même R. Darrigrand, celle de Robert Lafont, Situation de la langue d’Arnaud de Salette (Lafont,<br />

1983-1) et celle de Michel Grosclaude, Remarques sur l’orthographe des Psalmes etc. (Grosclaude,<br />

1983); on peut y ajouter de ce dernier les nombreux commentaires et citations qu’il fait des Psalmes<br />

dans La langue béarnaise et son histoire - Étude sur l’évolution de l’occitan du Béarn (1986-<br />

1), la présentation et une bonne traduction de l’Advertissement des Psalmes qu’il reproduit dans La<br />

Gascogne - Témoignages sur deux mille ans d’Histoire (1986-2, pp. 100-105) et un article dans un


Jean <strong>Lafitte</strong> 108 Écriture du gascon<br />

ouvrage collectif aranais de 1988.<br />

La réédition n’est pas une édition scientifique, mais militante, à la fois protestante et occitaniste,<br />

et donc réalisée en graphie classique de l’I.E.O. considérée comme « adoptée par la grande<br />

majorité des Occitans » (voir toutefois p. 206 mes réserves sur ce point). Mais quelques facsimilés,<br />

dont celui de l’Advertissement, et de nombreuses citations fidèles dans les communications du colloque<br />

nous mettent en contact direct avec l’écriture de Salette et nous permettent de nous en faire<br />

une opinion assez sérieuse. Par ailleurs, les divers textes introductifs de la réédition et les communications<br />

du colloque nous donnent une bonne idée de ce que l’on sait de l’auteur et de son époque.<br />

Salette grammairien<br />

C’est comme ministre (pasteur) protestant et comme érudit enseignant à l’Académie<br />

protestante d’Orthez qu’en 1568 Salette fut chargé par Jeanne d’Albret, reine de Navarre, d’une<br />

traduction béarnaise des Psaumes de David pour l’usage du culte en Béarn. Mais l’ouvrage ne fut<br />

publié qu’en 1583, donc onze ans après la mort de la Reine, sous le règne de son fils Henri III de<br />

Navarre, le futur Henri IV de France destinataire de l’épitre dédicatoire Au Rey.<br />

En tête, cependant, l’auteur a placé un Advertissement dans « lequel il s’explique sur l’orthographe<br />

adoptée. Il fait donc œuvre de grammairien et de linguiste ». Pour M. Grosclaude à qui<br />

j’emprunte ce qui précède et ce qui suit (1983, 286), en regard de la tradition d’écriture antérieure,<br />

c’« est tout autre chose. Il a ceci de remarquable qu’il constitue une tentative<br />

explicite de fixation orthographique et la première en ce qui concerne le Béarn. On est en<br />

présence d’un auteur qui se sent tenu de dire clairement comment il écrira tels mots et<br />

pourquoi. Cela témoigne d’une conscience linguistique parfaitement au point. »<br />

Je suis bien d’accord sur le fait qu’il s’agit d’une « première » en Béarn, tout au moins en<br />

l’état de nos connaissances; mais beaucoup moins pour y voir « une tentative explicite de fixation<br />

orthographique », ni même pour penser que l’auteur « se sent tenu de dire clairement comment il<br />

écrira tels mots et pourquoi ». Pour moi, il ne s’agit en aucune manière d’un exposé des règles<br />

orthographiques du béarnais, encore moins d’un système nouveau, comme l’a très bien vu R.<br />

Lafont (1983-1, p. 378), car la façon d’écrire n’y est présentée que comme une donnée, à partir de<br />

laquelle Salette expose des règles de lecture et de prononciation.<br />

En effet, bien que rédigé en béarnais, cet Advertissement s’adresse manifestement à des lettrés<br />

qui maitrisent mieux le français que le béarnais; en témoignent les nombreux renvois au français<br />

(un seul à l’espagnol) pour les référence phonétiques, et la traduction en latin des exemples<br />

béarnais et, en français, des agglutinations béarnaises des pronoms. Il s’agissait donc très probablement<br />

des confrères pasteurs de l’auteur, venus de France ou de Genève porter la Réforme aux<br />

<strong>Béarnais</strong> et dont bien peu étaient capables de prêcher en béarnais (Kalinine-Bourthoule, 1983, p.<br />

139) alors que le latin restait la langue savante du protestantisme, même si celui-ci l’avait écarté de<br />

toute liturgie (cf. Grosclaude, 1993, p. 786).<br />

Le but de l’ Advertissement est d’« élucider une tradition » (Lafont, ib.), pratiquement de donner<br />

au lecteur quelques recettes pour éviter les fautes les plus grossières dans la lecture et surtout<br />

l’accentuation du béarnais lorsqu’il lira publiquement et fera chanter les Psaumes. Au demeurant,<br />

les <strong>Béarnais</strong> qui savaient lire devaient comprendre instantanément et ne devaient avoir aucun doute,<br />

par exemple, sur la différence entre la prononciation des ee de leé, seê, seè {laid, sein, soir}.


Jean <strong>Lafitte</strong> 109 Écriture du gascon<br />

Mais pour que les lecteurs puissent en juger par eux-mêmes, il m’a paru indispensable de<br />

mettre à leur disposition ce texte essentiel à de nombreux titres; on le trouvera donc, en Annexe XI,<br />

avec sous-titres et commentaire.<br />

Le contenu de l’Advertissement<br />

Avant d’entrer dans l’étude de l’Advertissement, il me semble utile d’oublier les combats des<br />

XX e et XXI e s. pour les « langues régionales », les concepts de « conscience linguistique » et<br />

autres, pour nous mettre dans le personnage de Salette, chargé à 28 ans de traduire les Psaumes<br />

dans sa langue maternelle. R. Darrigrand nous y aide : « Salette est un chrétien protestant qui a reçu<br />

vocation pour propager la Parole de Dieu. Il le fait en prêchant, en enseignant et en traduisant les<br />

Psaumes. » (1983-1, discussion, p. 117).<br />

Pour parler comme le Pr. Michel Banniard, Salette est un « professionnel de la communication<br />

», comme le furent St Augustin, St Isidore de Séville ou Grégoire de Tours : quand ils prêchaient<br />

ou dictaient leurs écrits, c’était pour être compris du peuple des fidèles, et s’il leur arrivait<br />

de théoriser sur la langue, c’était pour que les prédicateurs qui relevaient de leur autorité s’acquittent<br />

au mieux de leur ministère. Salette ne fait donc aucun complexe linguistique, usant notamment<br />

du latin et du français chaque fois que cela est utile à son propos.<br />

Même s’il ignore telle anecdote rapportée par Grégoire de Tours (Liber II De virtutibus…, p.<br />

609) il sait qu’une mauvaise élocution chez un prédicateur ou même un célébrant a vite fait de<br />

provoquer l’hilarité des fidèles. Il va donc à l’essentiel, c’est-à-dire là où la lecture du béarnais lui<br />

parait s’éloigner le plus de celle du français. 20<br />

Avant tout, plus de la moitié de l’exposé traite de la place de l’accent tonique, vue sous<br />

l’angle de la distinction entre voyelles « masculines » et « féminines »; un petit tiers doit aider le<br />

lecteur à comprendre les agglutinations de monosyllabes, essentiellement la soudure à un motsupport<br />

des pronoms devenus asyllabiques; la lettre h, muette ou aspirée, fait l’objet d’un court<br />

alinéa; il n’a d’autre moyen de repérer le h aspiré qu’en se référant au français qui use de f à sa<br />

place. Enfin, plus proprement orthographique, un autre alinéa écarte la notation des consonnes<br />

finales amuïes à la place du doublement traditionnel des voyelles, pour ne pas altérer la langue.<br />

Sur tout ce qui n’est pas précisé, l’écriture et la lecture du béarnais sont supposées identiques<br />

à celles du français, ou ne pas poser de problème au lecteur francophone; c’est évident pour ou<br />

valant /u/ à l’intérieur des mots, gn valant /'/, ch valant /#/ (machans); ça l’est moins pour lh valant<br />

/&/ et surtout pour x, le plus souvent de même valeur que ch (medixa), mais valant aussi /+/ ou /ks/<br />

(exemple, circonflexe).<br />

Pour ce qui est des voyelles en syllabe finale, a, e sont atones, á, é toniques (comme chez<br />

Garros); par contre rien ne distingue i final atone (vici, seruici) de i final tonique (Acquisi, debi),<br />

pas plus que o final atone (rollo, Berdolo, mensolo) prononcé [u] de o final tonique dont Salette ne<br />

dit rien et qui doit donc avoir la même valeur /o/ qu’en français.<br />

20 En béarnais, le mot menistre, “ministre”, est aussi un surnom de l’âne (Palay), acception qu’ignorent le Trésor du<br />

Félibrige et les divers dictionnaires d’oc que j’ai pu consulter; seul l’abbé Foix mentionne celle d’ânon pour les<br />

Landes. Comme il est peu probable que l’on ait voulu ironiser sur les lointains serviteurs de l’État parisien, on peut<br />

supposer que c’étaient les ministres protestants de la Réforme qui étaient visés à l’origine, l’intonation de leurs prêches<br />

rappelant le braiment de l’âne aux esprits malicieux. En tout cas, dans un conte de Yan Palay († 1903), le même<br />

rapprochement se fait au détriment d’un prédicateur catholique… mais étranger à la paroisse.


Jean <strong>Lafitte</strong> 110 Écriture du gascon<br />

En revanche, Salette explique soigneusement les valeurs du o double final, que j’ai pu<br />

résumer ainsi dans l’Annexe XI :<br />

oó = [o:], un o naturel un peu allongé : la Soó, la sœur;<br />

oô = [õ], un o nasalisé (et non un [,] comme aujourd’hui) : lo Soô, le son;<br />

oò = [u:], un ou un peu allongé : Soò, seul (aujourd’hui [sul]) et soleil.<br />

Donc de la part de Salette un souci de précision dans la notation de la langue parlée, précision<br />

qu’il obtient en enrichissant la graphie traditionnelle d’accents d’emploi bien codifié (cf. Lafont,<br />

1983-1, p. 380).<br />

En pratique, cependant, on relève bien des manques ou des inconséquences dans le corps<br />

même de l’œuvre, comme l’a fait remarquer R. Lafont (ib., p. 381). Ainsi, quand votz rime avec<br />

toutz (Au Rey, 83-84), rien ne dit qu’il ne s’agit pas d’une “faute” d’orthographe ou d’impression.<br />

Et bien des oo sont sans accent; il faut alors les interpréter le cas échéant d’après la rime, et plus<br />

souvent par analogie avec les mots de même finale étymologique : doos (Ps. 19/6) qui rime avec<br />

saboroòs sera lu en [u:]; trencasoos (Ps. 73/11), en [(] par analogie avec cansoôs…<br />

Quoi qu’il en soit, l’immense avantage de l’Advertissement des Psaumes est de nous éclairer<br />

sur quelques traits importants de la prononciation de son temps.<br />

L’aboutissement de -a posttonique chez Salette<br />

Tout est apparemment très simple : pour Salette, le <strong>Béarnais</strong> prononce le -a étymologique<br />

posttonique « comme l’Espagnol, Segnora » [sic]. Quand la loi est claire, on ne l’interprète pas, on<br />

l’applique, dit-on en droit; on devrait faire ici de même.<br />

Pourtant, que Salette écrive a ce qui se prononce [a] et « l’indique comme si cela allait de<br />

soi » pose un problème à M. Grosclaude. Ce dernier rappelle en effet (1983, p. 295) qu’il y a deux<br />

traditions béarnaises pour écrire l’aboutissement du -a étymologique posttonique, l’une qui le note<br />

par -a, l’autre par -e, celle-ci étant la mieux ancrée, parce que venue de l’ouest gascon qui le réalise<br />

en [œ]. Il évoque alors très justement le déplacement du centre politique du Béarn d’Orthez à Pau,<br />

région qui dit [o] de nos jours, mais qui pouvait très bien dire [a] au XVI e s., puisqu’on dit encore<br />

[a] à Nay et Pontacq, respectivement à 17 et 25 km de Pau. Je pense pouvoir ajouter que les trois<br />

poésies gasconnes du XIV e s. publiées par Ch. Samaran (1933) ne comptent qu’un -e issu de -a<br />

(VII e et dernière strophe de la première poésie : bones biendas), alors qu’on a partout ailleurs -a; or<br />

elles ont été copiées dans un manuscrit qui appartenait à un clerc originaire de Serres-Castet, à 9<br />

km au nord de Pau. Mais ce constat ne suffit pas à M. Grosclaude :<br />

« Mais je crois qu’il faut invoquer des raisons plus structurales qui, même si elles<br />

n’ont pas été conscientes, ont dû jouer un rôle important soit chez Arnaud de Salette, soit<br />

chez le rédacteur des FORS ET COSTUMES de 1552 que Salette suit sur ce point, comme<br />

sur d’autres. En effet, Arnaud de Salette ne pouvait utiliser d’autres lettres que le “a” pour<br />

marquer la finale féminine, pour la simple raison que les autres lettres possibles “e” ou “o”<br />

sont indisponibles pour cet usage car elles notent des sons bien trop différents. »<br />

Finalement, M. Grosclaude en revient à la référence au son, donc à la prononciation, ce qui<br />

est normal puisqu’il a déjà reconnu que le souci pastoral de Salette dut « le conduire à adopter la<br />

solution qui lui paraitra[it] la plus proche de la langue effectivement parlée » (p. 291). Mais il<br />

n’arrive pas à accepter l’idée que cette prononciation puisse être autre que [œ] ou [o]; il revient<br />

donc sur le sujet en 1986 et prête Salette ses propres idées, au risque de tromper le lecteur peu averti :


Jean <strong>Lafitte</strong> 111 Écriture du gascon<br />

« Il opte pour la finale en A. Il justifie lui-même ce choix. La lettre E servant déjà à<br />

graphier le son [é], est devenue indisponible et lui paraît plus éloignée du son [œ#] que le A.<br />

Il ressent donc nettement le son [œ#] comme un affaiblissement du A. » Et en conclusion :<br />

« Au 16°s, la graphie A fait un retour en force. Pourquoi ? Il est à remarquer qu’à cette<br />

époque, le centre du Béarn s’est déplacé vers une région où la prononciation de la finale<br />

post-tonique est en [o] » (1986-1, pp. 27-28).<br />

Pourtant, les choses me paraissent extrêmement simples et claires. Si l’on considère les aboutissements<br />

actuels du -a étymologique, on pouvait avoir à l’époque [œ], [a] ou [o]. Or qu’en est-il ?<br />

– pour [œ] ([œ#] chez M. Grosclaude) comme dans l’ouest, Salette n’aurait pas eu besoin de<br />

recourir à l’espagnol, qui n’est invoqué que cette fois-là dans l’Advertissement, puisqu’il mentionnait<br />

lui-même « l’E, femenin en la mesura Francesa » (cet -e s’entendait encore dans les régions<br />

d’oïl); il aurait donc sans doute écrit : « le <strong>Béarnais</strong> écrit le mot Francesa et prononce ainsi que le<br />

Français Française »;<br />

– par contre, pour [o], c’est encore l’espagnol qu’il aurait invoqué, et il aurait écrit par<br />

exemple : « le <strong>Béarnais</strong> écrit le mot Cera et prononce ainsi que l’Espagnol Cero »;<br />

– or il s’est référé à Segnora; c’est donc indubitablement un [a] atone qu’il veut exprimer.<br />

De son côté, sans doute par ignorance de la prononciation par [a] encore vivante en Béarn, R.<br />

Lafont a lui aussi du mal à lire Salette tout simplement; il commente (ib., p. 378) :<br />

« Recevant une tradition, Arnaud de Salette intervient, s’il intervient, dans le sens<br />

d’un archaïsme, d’un retour aux sources. Son a final se détache dans l’écrit béarnais de son<br />

temps. Il est vrai qu’il en est embarrassé. D’où son intention clarificatrice, fort embrouillée<br />

dans sa formulation, mais de bon aloi. Salette entend bien distinguer la réalisation /-/ de a<br />

et le e fermé atone. »<br />

Et de citer ici le paragraphe de l’Advertissement sur la prononciation du « E féminin ». Certes,<br />

ce -a final isole Salette parmi les écrivains de son temps comme des siècles à venir, puisque né<br />

dans l’ouest à Orthez comme plus tard l’occitanisme béarnais, le Félibrige béarnais adoptera le -e.<br />

Mais nulle part Salette ne laisse entendre que son -a puisse recevoir le timbre du -e féminin : sa<br />

comparaison ne porte que sur l’intensité de la parole, ce dernier étant « prononcé plus doucement<br />

[…] que l’a féminin. » S’il y a quelque chose d’« embrouillé », ou plutôt de « brouillé » ce<br />

sont peut-être quelques idées reçues de l’occitanisme, mais certainement pas le propos de Salette,<br />

comme le lecteur pourra le constater en se reportant à l’Annexe XI.<br />

Le passage à /u/ de l’ancien o fermé<br />

Pour ce qui est de l’ancien o fermé aujourd’hui passé à /u/, M. Grosclaude (ib., p. 296)<br />

constate que Salette le note tantôt par o, tantôt par ou (Voir par exemple, dans l’Advertissement, ou,<br />

nous, tout et sa famille, etc.); d’où cette pertinente remarque :<br />

« Au moment où écrit A. de Salette, cette évolution n’est pas terminée. Elle est en<br />

cours. En effet, quand il se trouve devant un mot où la prononciation [ou] est nette, il la<br />

rend en utilisant le digraphe français “OU” 21 (troubaras, escoutat, trouppet...) ou alors en<br />

position finale oo (traydoo), mais étant donné son souci de phonétisme, on est en droit de<br />

supposer que quand il écrit los, reconegut, coradge (tous mots dont le O se prononce<br />

aujourd’hui [ou]) la prononciation devait être encore celle d’un /o/ mais très fermé.<br />

D’ailleurs, les hésitations, dues à ce que l’évolution est en cours, se manifestent parfois<br />

dans l’emploi de graphies différentes pour le même mot. Ainsi, on a bouque / boca. ».<br />

Pourtant, R. Lafont (1983-1, p. 380), lui, voit dans ce polymorphisme graphique une<br />

21 Qualifier de « français » le « digraphe» — ou plutôt digramme — ou apparu en oc en même temps qu’en oïl relève<br />

d’un certain parti-pris dont j’ai montré la fausseté (ci-dessus, p.103, et <strong>Lafitte</strong> 2003-3).


Jean <strong>Lafitte</strong> 112 Écriture du gascon<br />

« résistance à la notation », résistance plausible quand on sait le conservatisme de l’écrit. De fait,<br />

pour la même époque, sur trois ordonnances des souverains de Navarre citées par Dominique<br />

Bidot-Germa (P.N.-P.G. 206, 9-10/2001, pp. 4-5), deux présentent des graphies en ou, tandis<br />

qu’une troisième, de 1564, n’en présente aucune :<br />

1520 - Ordonnance du roi de Navarre, Henric II d’Albret (A. D. P.-A. H 160) : segnour, Nous,<br />

Noustre Dame, lous, tambourins;<br />

13 février 1572 - Ordonnance de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret : lou(s) (5 occ.), toutes,<br />

gourmandises, accoustumades.<br />

Vingt ans après Salette, et 80 km à l’est, le Commingeois Bertrand Larade notera par ou ce<br />

qui de nos jours est [u], mais pas toujours : « les [o] prétoniques conservent le graphème traditionnel<br />

(bolé, mordens, content) ainsi que certaines syllabes nasales (<strong>Gascon</strong>, bone, persone). » (J.-<br />

F. Courouau, 1999, 50). Mais en prétonique, ce n’est pas toujours vérifié (cf. oubratge, contre<br />

coratge ou domatge, p. 101) et surtout, la description est étonnante : qu’un [o] soit noté o n’a rien<br />

de remarquable, puisque c’est seulement l’occitanisme qui a “inventé” sa notation par ò, surtout en<br />

tonique, mais pas toujours (cf. Plòurà, plòuriá, sòudar dans le document I.E.O. des 7 et 8 Juillet<br />

1989, reproduit en Annexe XIII). En réalité, c’est le signe que Larade prononçait encore ces o [o],<br />

même si leur position par rapport à d’autres phonèmes peut avoir retardé leur passage à /u/. De fait,<br />

sont en ou les mots qui y étaient déjà chez Salette (nous, bous, tout, mots issus de -orem, de -osus…)<br />

auxquels s’ajoutent l’article lou et beaucoup d’autres, même en prétonique; mais un n à la suite<br />

maintient [o], sans doute nasalisé en [õ], notamment dans les finales en -on, comme chez Salette<br />

qui les note -oô.<br />

De même, malgré l’avis de R. Lafont pour qui « le passage de o à ou est achevé dans l’écrit<br />

béarnais des dernières années du [XVI e ] siècle. » (ib.), M. Grosclaude pourra relever dans une cinquantaine<br />

de vers des Églogues de Fondeville (vers 1690) nombre de mots en o qui sont aujourd’hui<br />

en /u/, alors que cet auteur notait naturellement /u/ par ou : « com, desfortunes, comunes,<br />

provouca, devotious etc. »; aussi, « contrairement à l’opinion de certains linguistes occitans », il<br />

confirmera que l’évolution de /o/ à /u/ se poursuivait encore à cette époque (1986-1, pp. 119-120).<br />

Je pense même qu’elle n’est toujours pas achevée, comme en témoignent de nombreuses<br />

paires o/ou, notamment dans le Dictionnaire de Simin Palay (cf. mort/mourt, soy/souy, despoblà/<br />

despoublà, doctoù/douctoù, etc.)<br />

Finalement, chez Salette, en dehors des rares finales posttoniques, o vaut [o/%] opposé à ou,<br />

[u], et l’exemple de « Soô, sonus » montre bien qu’à la fin du XVI e s. en Béarn, comme à son début<br />

à Auch (p. 105), le o de ce mot n’avait pas encore pris la valeur [u] que nous lui connaissons ([s$]<br />

ou [s$"]). De même sont encore en [õ] les mots issus de ‘-tionem’ ou ‘-onum’ latins : afectioô,<br />

aspiratioô, baroôs, bastoô, boôs, cansoôs, duplicatioô, gascoô, habitatioô, maysoô, multiplicatioô,<br />

prononciatioô(s), sasoô; mais ce [õ] devait bien se rapprocher de [$], voire [u:] puisque Segnoo<br />

rime avec benedictioo (Ps. 65/8/2 et 4) et que le leçoò (pour leçoô) du Aux Bernes de Carrera<br />

pourrait témoigner aussi d’un certain flottement, au moins orthographique.<br />

Quoi qu’il en soit, sont déjà en [u:] les mots issus :<br />

– d’un ‘-orem’ latin : arraubadoò, authoòs, clamoò, crededoò, intercesoò, lectoò, peccadoòs;<br />

– d’un ‘-osum’ latin : amoroòs, geloòs, (h)uroòs, malhuroòs, poderoòs;<br />

– les 3 èmes personnes d’indicatif présent en -r étymologique : moò (il meurt), coò (il court);<br />

et en [u], tout, nous, vous, ou, dous etc.


Jean <strong>Lafitte</strong> 113 Écriture du gascon<br />

Les options orthographiques de Salette<br />

On a pu voir le lien étroit des prononciations qu’on vient d’étudier avec les graphies<br />

pratiquées par Salette; plus généralement, comme l’a bien noté R. Lafont dans un passage déjà cité,<br />

Salette a continué une tradition dont il ne s’est vraiment écarté que pour le -a notant un -[a] jusque<br />

là négligé par une pratique centrée sur l’ouest gascon.<br />

C’est particulièrement net par son refus de noter les consonnes finales amuïes comme le fait<br />

la scripta toulousaine, car cela nuirait à la spécificité de la langue. Cet amuïssement est en effet très<br />

ancien, et le doublement de la voyelle qui précède est un procédé partagé avec bien d’autres régions<br />

gasconnes (cf. p. 100). Et si Salette semble admettre (« on peut s’en servir ») que la notation de la<br />

consonne amuïe pourrait éviter le hiatus devant voyelle (un boô amic / un bon amic), je n’ai pas<br />

d’exemple montrant qu’il l’ait pratiquée.<br />

Mais la notation des doubles voyelles ne suffit pas pour indiquer la prononciation à des francophones<br />

peu experts en béarnais; afin de préciser le timbre, Salette va donc compléter la notation<br />

traditionnelle par des accents sur la seconde voyelle, comme on l’a déjà vu pour oo.<br />

Par ailleurs, en pratique, Salette hésite quant à la notation du -t final des mots en -nt; accen,<br />

acc#, accent; et sur deux lignes consécutives, presen et present.<br />

Pour le f étymologique devenu /h/, Salette met fin au conservatisme qui continuait à l’écrire f<br />

et le note h, en principe du moins; mais il doit alors mentionner l’opposition entre le h faiblement<br />

aspiré (helas) — en fait, un gallicisme prononcé à la française — et l’h gasconne fortement aspirée,<br />

ou plus exactement “soufflée”, des « mots qui en français commencent par f » (hoege, hort).<br />

Pourtant, suivant la vieille tradition béarnaise, mais inconnue du français, il use sans s’en<br />

expliquer du x pour /#/ (Io t’auertexi…), de lh pour /&/ (balhaá) et même parfois de nh pour /'/.<br />

Mais ce nh n’apparait qu’une fois dans l’Advertissement (menhs), contre gn dans ensegna (10<br />

dont 5 avec pronom enclitique soudé), espagnol et segnora (bien que cité comme espagnol !); M.<br />

Grosclaude avait cru y voir un emprunt au français (1983, p. 297) et a sans doute malheureusement<br />

inspiré MM. Kristol et Wüest (1985, p. 146), malgré l’emploi exclusif de gn dans la Charte de<br />

Herrère (ci-dessus, p. 103) qu’il citait peu avant (p. 293). Il s’aperçut vite de son erreur et la<br />

corrigea dans son ouvrage de 1986-1, pp. 18-19.<br />

M. Grosclaude a aussi souligné le choix délibéré de Salette pour le v étymologique à la place<br />

du b phonétique largement utilisé par la tradition; mais Salette n’en parle qu’à propos du pronom<br />

vous : « je n’ai pas écrit toujours bous avec b, mais le plus souvent avec v pour me conformer à<br />

l’usage commun ». Pour M. Grosclaude, cet « usage commun » ne peut-être que le toulousain, mais<br />

ne serait-ce pas plutôt le français qui écrit vous, quand Salette s’adresse à des francophones, pas à<br />

des Toulousains ? Au demeurant, il n’est pas sûr que le modèle toulousain fût si séduisant à l’époque,<br />

les <strong>Béarnais</strong>, et plus encore les protestants, serrés autour de leur souverain, n’ayant sans doute<br />

pas oublié l’arrêt du Parlement de Toulouse de 1510 qui avait mis le Béarn sous la coupe directe du<br />

Roi de France et dont seule leur détermination empêcha l’exécution (cf. R. Lafont, 1970, p. 52). En<br />

fait, Salette use largement du v étymologique, mais pas systématiquement : il s’en écarte pour autesbetz,<br />

lasbetz, debat, daban, labam’, mais aussi lauam’ etc., le -u- typographique valant -v-, donc<br />

/./; en tout cas, malgré l’usage toulousain, les imparfaits ont le b étymologique : neuriba, demandaba,<br />

parlabi. Je serais donc plutôt tenté de voir dans ces v une aide visuelle à la compréhension


Jean <strong>Lafitte</strong> 114 Écriture du gascon<br />

pour des lecteurs non béarnais, comme l’est délibérément la substitution du -e au -a devant voyelle.<br />

Cela rendrait bien compte du fait que les imparfaits, autes-betz, lasbetz, debat, sans équivalent en v<br />

en français, restent en b, tandis qu’un v complice aiderait à lire vejas (que tu voies), vertat (vérité),<br />

vici (vice), viî (vin), vocala (voyelle), volh, volha, voou (de “vouloir”), votz (voix) et bien sûr, vous;<br />

et non moins sûrement, les exceptions dans les deux sens « confirmeraient la règle »… ou en<br />

montreraient la fragilité, selon l’humeur.<br />

En réalité, pour féru de latin qu’il fût, Salette nous apparait comme peu soucieux d’étymologie;<br />

ainsi écrit-il rollo, reguinnaà, comme ils se prononcent, ce qui devait être du gout de M. Grosclaude<br />

qui voyait dans le p et le r de septemer d’une délibération des États de Béarn de 1781 « des<br />

fioritures qui peuvent se justifier par l’étymologie, mais en aucun cas par la prononciation » (1986-<br />

1, p. 127). Cependant, les occitanistes écrivent ròtlo, reguitnar, comme ils ne se prononcent pas…<br />

Salette use aussi d’un tilde sur voyelle à la place du n qui la suit (m$, % legèn, demor&) ou<br />

même d’un m (c$); mais c’est là un usage graphique généralisé qui n’avait pas à être commenté.<br />

Salette donne enfin de longues explications, assorties de nombreux exemples, de la soudure<br />

des pronoms asyllabiques qui « comble […] un fossé entre la langue écrite et la langue parlée »<br />

(Grosclaude, 1983, p. 293). Pour le lecteur francophone, c’était sans doute assez nouveau pour<br />

qu’on le lui expliquât en détail.<br />

Enfin, malgré l’absolue discrétion des commentateurs occitanistes sur le sujet, qu’au<br />

demeurant Salette n’aborde pas dans l’Advertissement, on observe par sa pratique, y compris dans<br />

cet Advertissement, qu’il garde nombre de graphies traditionnelles que conserveront les Félibres,<br />

mais que rejetteront les occitanistes : /we/ par oe (engoera, oelh, hoege, goerre, hoec…); /wa/ par<br />

oa (lengoa, lengoadge, quoauque, quoate, quoan, loquoau, goayre, goastaa…), /dj/ ou /// par dg<br />

(lengoadge, dauantadge, usadge, visadge…), /"/ par y (goayre, caytiu, ey, ley, rey, soy…).<br />

Salette, homme de la graphie moderne<br />

Lettré certes, mais avant tout homme de Dieu, Salette avait une tâche précise à accomplir :<br />

mettre à la disposition de l’Église réformée du Béarn un psautier béarnais qui remplacerait le<br />

psautier français apporté par les ministres venus de France et de Genève. Il était donc tenu par deux<br />

contraintes d’ordre sociolinguistique :<br />

– d’une part, offrir à ses confrères francophones et peu habiles en béarnais un outil dont ils<br />

pourraient user sans commettre trop d’erreurs préjudiciables à leur mission;<br />

– d’autre part, ne pas perturber les fidèles béarnais qui avaient une certaine habitude de leur<br />

langue écrite.<br />

Cela devait le conduire à faire ce que, trois siècles plus tard, le romaniste Paul Meyer<br />

conseillerait à Lespy : « se conformer [aux] traditions orthographiques, sauf à les régulariser et à<br />

leur faire subir les faibles modifications qu’exige l’état actuel de l’idiome » (cf. p. 118).<br />

Tout au long de ce qui précède, nous avons pu voir en effet combien ceux qui avaient étudié<br />

Salette avaient souligné son souci de serrer au plus près la langue de son temps et sa prononciation.<br />

Donc de l’écrire de façon “moderne”, selon la définition que j’ai donnée à ce mot en tête de ce<br />

chapitre (p. 98). C’est ce qu’exprime sans ambages R. Lafont, pour qui on peut prendre finalement<br />

chez Salette « la même leçon que chez Garros : celle d’une réunion de la tradition culturelle autochtone<br />

et de la réflexion moderniste » (ib., p. 379).


Jean <strong>Lafitte</strong> 115 Écriture du gascon<br />

Malheureusement, abusé sans doute par la finale féminine en -a, le o pour ce qui est aujourd’hui<br />

/u/ et la distinction entre v et b pour noter /!/ ou /b/, R. Darrigrand a cru y voir l’application<br />

des « principales règles de l’orthographe classique normalisée » (Darrigrand, 1969-2, 4), de<br />

telle sorte qu’il a pu parler de « la filiation directe qui unit le système graphique du gascon moderne<br />

à celui de Salette (a final atone, o pour représenter le son [ou] français, u dans les diphtongues…) »<br />

(Salette, 1483, 1983, p. XXXII). Or à la lumière des réflexions postérieures exposées plus haut, les<br />

notations du a final posttonique et du o étaient “phonétiques” pour l’époque, donc “modernes”,<br />

alors qu’elles ne sont plus qu’étymologiques dans la graphie classique du XXI e s.<br />

En somme, Salette fut un réaliste — mais aurait-il pu en être autrement d’un ministre du culte<br />

chargé de porter la parole de Dieu, d’un poète sacré soucieux de bien faire chanter dans le culte ?<br />

— et à la vérité, un “moderne” comme le furent tant de lettrés en son siècle. Si donc il a des<br />

continuateurs de nos jours, ce sont les tenants des graphies modernes, allégées des lettres disparues,<br />

débarrassées de toutes les ambiguïtés, et non les partisans des graphies classiques, figées dans un<br />

phonétisme vieux de plus de 400 ans.<br />

6 – Du XVI e au XIX e siècle<br />

Est-ce pour avoir noté par -a les finales féminines à la façon des anciens textes romans hors<br />

de Gascogne ? c’est un fait que Garros et Salette sont de loin les auteurs les plus cités par les<br />

tenants de la graphie classique.<br />

Pourtant, de leur vivant même, d’autres <strong>Gascon</strong>s ont illustré ce que P. Bec appelle le “siècle<br />

d’or de la poésie gasconne” et amorcé une Renaissance des lettres d’oc. Avec l’aide d’A. Berry<br />

(1961) et de P. Bec (1997), je citerai Salluste du Bartas (1544-1590), Jean de Garros (v. 1550-après<br />

1616), Mr. de Perez (v. 1560-1590 ?), Guilhem Ader (1567 ?-1638), André du Pré (v. 1570-??),<br />

Jacob de Gassion (1578-1639), Bertrand Larade (1581-??), déjà cité pp. 105 et 112, Jean-Géraud<br />

d’Astros (1594-1648), Louis Baron (1612-1662) et Gérard Bédout (1617-1692).<br />

Certes, aucun n’a laissé un traité d’orthographe de notre langue et l’étude de leurs graphies<br />

serait de peu d’intérêt pour notre recherche, même si la connaissance de la langue et de son évolution<br />

pourrait tirer un grand parti de leurs œuvres. Voici cependant quelques remarques à partir de<br />

pièces en graphie originale connues par des éditions elles-mêmes originales ou de fidèles rééditions.<br />

Comme dans le recueil anonyme de proverbes des environs de 1500 (cf. p. 105), tous ces<br />

auteurs usent du -e féminin : Salluste du Bartas (Berry, 1961, 127), Armagnacais, Jean de Garros<br />

(Girard, 1942, 10), Lomagnol, Guilhem Ader (ib., 136) de Lombez, André du Pré (Courouau,<br />

1995), Lomagnol de Lectoure comme les Garros, Bertrand Larade (Courouau, 1999), Commingeois<br />

de Montréjau, Louis Baron (Berry, ib., 163), Astaracais de Puyloubrin, Gérard Bédout (ib., 167),<br />

d’Auch, et Lauzin (Girard, ib., 36), Gimontois dont on ne sait rien d’autre.<br />

On ne voit apparaitre la notation par -o qu’avec d’Astros, Lomagnol de St-Clar du XVII e s.<br />

Pour R. Lafont, qui semble ignorer le recueil anonyme de proverbes, c’est chez la tête de file<br />

Du Bartas « la solution béarnaise [qui] pénètre le domaine gascon » (1968, 412). Mais dans le cas<br />

de Larade, cela « s’explique peut-être par l’influence du français » (Courouau, 1999, 50) ou pour P.<br />

Bec cité par Courouau (ib.), ce serait un alignement sur la scripta armagnaco-gasconne, elle-même<br />

inspirée du français.<br />

À la même époque, cependant, les écrivains de Languedoc et de Provence n’usaient que du


Jean <strong>Lafitte</strong> 116 Écriture du gascon<br />

-o; ainsi, in Berry 1961, Auger Gaillard, Bellaud de la Bellaudière, Le Sage, Goudelin, Cortète de<br />

Prade, Saboly. Si modèle français il y avait, y auraient-ils été moins sensibles, alors que tous leurs<br />

autres graphèmes s’y apparentaient tout autant qu’en Gascogne ? En revanche, les <strong>Gascon</strong>s ne<br />

pouvaient ignorer l’usage parfois quasi exclusif du -e dans la scripta gasconne, “solution gasconne”<br />

très ancienne, pas du tout limitée à la vicomté de Béarn, et qui pourrait bien s’expliquer par une<br />

phase intermédiaire de prononciation en [œ], à laquelle se serait arrêté l’ouest gascon (cf. p. 102). À<br />

ce précédent, nos auteurs ont pu aussi ajouter l’intérêt d’une notation “à la française” que leurs<br />

contemporains français liraient en laissant l’accent d’intensité à sa place et ne prendraient pas pour<br />

de l’espagnol ou de l’italien.<br />

Les auteurs du XVIII e et XIX e s. continueront ces usages mêlés : Jean-Henri de Fondeville<br />

(1633-1705), Dominique Dugay (1643-??), Cyprien Despourrins (1698-1749), Catéchisme a<br />

l’usadge deu diocèse d’Aulourou (1706-1743), Théophile de Bordeu (1722-1776), les Fables<br />

causides de La Fontaine en bers gascouns (Bayonne, 1776), Pierre Hourcastrémé (1742-1831 22 ),<br />

Sylvain Lamolère (1773-1863), Mèste Verdié (1779-1829) et Xavier Navarrot (1799-1862).<br />

Ainsi retrouve-t-on le x pour /#/ dans le Catechisme d’Aulourou et le -e dans les Fables de<br />

Bayonne; celles-ci usent de graphèmes français, mais sans surcharge, autorisant une lecture facile et<br />

fidèle plus de 200 ans après. De même chez Hourcastrémé, Mèste Verdié. En outre, on peut<br />

observer que Hourcastrémé rend le son /we/ ou /w!/ par oi, dont c’était alors la prononciation<br />

française : soin, loin, joigné, témoignatge, éspoir, encoire…<br />

Ce n’est qu’avec le grand mouvement de renaissance littéraire du XIX e siècle qu’on va enfin<br />

se préoccuper de mettre de l’ordre dans l’écriture des langues d’oc, avec la création du Félibrige par<br />

Frédéric Mistral et ses amis en 1854. Mais en Gascogne et en Béarn, deux auteurs au moins s’en<br />

étaient déjà préoccupés, l’abbé Pédegert et Vastin Lespy.<br />

7 – L’abbé Félix Pédegert (1809-1889)<br />

Ce prêtre landais né non loin de Dax, à Pontonx-sur-Adour, nous a laissé un recueil posthume<br />

de poèmes publié par un confrère en 1892, Lous bers gascouns. L’éditeur a inclus dans la préface<br />

un manuscrit de jeunesse où l’auteur exposait ses vues générales sur la graphie et proposait un<br />

Alphabet gascon. Cet abbé fut un « très brillant professeur au Petit Séminaire [parisien] de Saint-<br />

Nicolas-du-Chardonnet », latiniste, helléniste et hébraïsant; bien que ses vues n’aient été publiées<br />

que trop tard, leur pertinence leur donne une place dans un historique des graphies du gascon.<br />

Ses idées générales, qu’il écrivit en 1830 à l’âge de 21 ans — mais Champollion n’avait que<br />

32 ans en 1822 quand il eut déchiffré la pierre de Rosette —, sont d’un grand bon sens et ne<br />

manquent pas d’humour. Ainsi, le “savant” épris d’étymologie « se croira obligé, en conscience, de<br />

l’habiller [sa langue] à l’antique et de lui rendre ses premières livrées, quoique souvent ce gothique<br />

accoutrement ne lui aille pas à merveille : c’est ainsi que Don Quichotte aimait à revêtir du harnais<br />

de Bayard son pauvre Rossinante, qui descendait en ligne directe de ce fameux coursier des quatre<br />

fils d’Aimon ». Aussi, je ne résiste pas à l’envie d’en donner le texte en Annexe XII.<br />

Par contre, les propositions concrètes d’alphabet restèrent purement théoriques et d’autant<br />

plus imparfaites que, n’ayant guère vécu au pays, l’abbé ne put approfondir sa connaissance de la<br />

22 Contrairement à ce qu’on écrivait naguère, Hourcastrémé n’est pas mort en 1815, mais en 1831, comme a pu<br />

l’établir, acte de décès en mains, Marc Cazalets, du Cercle historique des amis des remparts (C.H.A.R.) de Navarrenx<br />

d’où Hourcastrémé était originaire.


Jean <strong>Lafitte</strong> 117 Écriture du gascon<br />

langue dans toute son étendue territoriale; il fut donc le seul à les appliquer, dans ses manuscrits; on<br />

y trouve cependant quelques idées générales intéressantes, qui complètent celles de l’exposé<br />

préliminaire.<br />

Éliminons d’abord celle qui voudrait un graphème simple pour un phonème simple : elle<br />

conduit à des caractères détournés de leur valeur habituelle, comme ç remplaçant ch, à l’adoption<br />

du ñ, mais aussi d’un ! pour /"/ et plus encore une sorte de 8 ouvert en haut, parce que fait d’un u<br />

surmontant un o, pour rendre /*/; mais l’abbé écrit /u/, ou, en deux lettres… : urouzemen…; le<br />

résultat en est l’obligation de fondre des caractères spéciaux, qui s’opposa en fait à leur usage dans<br />

l’impression posthume des Bers gascouns.<br />

Mais nous notons à l’actif de l’abbé qu’il est partisan de ce qu’on appelle aujourd’hui les<br />

graphies “englobantes” et estime que l’accent doit être réservé à « marquer l’élévation de la voix<br />

sur les syllabes », donc l’accent dit “tonique”.<br />

8 – Vastin-Désiré Lespy (1817-1887)<br />

Contemporain de l’abbé Pédegert, Vastin Lespy eut, lui, l’heur de passer toute sa vie en<br />

Béarn. Avant même la naissance du Félibrige, ce jeune professeur de lettres du lycée impérial de<br />

Pau était parti à la recherche de la “vraie” langue béarnaise d’autrefois. Cela avait dû commencer<br />

par la lecture des Fors anciens de Béarn publiés en 1841-43 par A. Mazure et J. Hatoulet, le premier<br />

étant professeur de philosophie au même lycée.<br />

Esprit rigoureux — ses œuvres le montreront bientôt —, Lespy dut alors être saisi par le contraste<br />

entre l’écriture classique du béarnais et le désordre orthographique des écrits contemporains.<br />

Dans les Fors, puis dans les innombrables textes conservés aux Archives des Basses-Pyrénées, il va<br />

retrouver l’ancienne langue et en tirer la première Grammaire béarnaise (1858). Cette même année,<br />

l’archiviste paléographe Paul Raymond était nommé à la tête des Archives. Bientôt amis, seuls ou<br />

ensemble, ils devaient publier de nombreux textes anciens d’intérêt majeur pour l’histoire du Béarn<br />

et de sa langue. Le décès prématuré de Paul Raymond en 1878 — il n’avait que 45 ans —<br />

n’arrêtera pas Lespy qui publiera successivement une seconde édition de sa Grammaire (1880) et<br />

son fameux Dictionnaire béarnais ancien et moderne (1887).<br />

L’intérêt porté par Lespy à l’écriture du béarnais est tel qu’il va consacrer la première partie<br />

de sa Grammaire à l’orthographe et à la prononciation : dans l’édition de 1880 que Laffitte reprints<br />

a remis à notre disposition en 1978, ce sont 104 pages de règles et moitié autant de textes anciens et<br />

modernes illustrant son propos, soit plus de 35 % des 440 pages que compte l’ouvrage; certes, les<br />

règles sont assorties parfois de longues digressions philologiques ou autres, mais les 284 pages de<br />

la seconde partie sont aussi truffées de notes sur l’orthographe et la prononciation, tellement ces<br />

questions préoccupaient l’auteur.<br />

Pour le centenaire de la mort de Lespy, l’<strong>Institut</strong> occitan de Pau y organisa un colloque les 10<br />

et 11 octobre 1997 et me donna l’occasion d’y faire une communication sur La graphie du béarnais<br />

chez Vastin Lespy (<strong>Lafitte</strong>, 1998). J’y ai donc examiné les règles énoncées par Lespy et recherché<br />

comment il les a appliquées tant dans le Vocabulaire de quelque 3 300 mots, qui complète la<br />

Grammaire, que dans le Dictionnaire lui-même. Voici un résumé de mes observations.<br />

Les principes de la graphie selon Lespy<br />

Tout d’abord, j’ai essayé de déterminer les principes qui avaient pu guider Lespy, à partir des


Jean <strong>Lafitte</strong> 118 Écriture du gascon<br />

éléments glissés çà et là dans la Grammaire, au fil de la plume en quelque sorte.<br />

J’ai cru voir l’idée maîtresse à la p. 175 : « Cessons d’appliquer, en écrivant le béarnais, les<br />

règles faites pour l’orthographe du français. » Comment ? Lespy nous le confie dans l’Avertissement<br />

du Dic. (p. XIII) : « pour l’écriture des mots mis en vedette, je me suis conformé aux traditions<br />

orthographiques […] qui avaient été régularisées dans la Grammaire béarnaise ».<br />

Pour lui, la “tradition”, c’est ce qu’on peut observer « dans les meilleurs documents du<br />

passé » (Gr. p. 175), pratiquement « l’écriture de nos Fors et de tous les textes en vrai béarnais »<br />

(ib., p. 14), soit en fait ceux du XIII e au XV e siècle.<br />

Cependant, tout en recommandant le retour à ces traditions, le grand romaniste Paul Meyer<br />

avait invité le lexicographe à « les régulariser et à leur faire subir les faibles modifications qu’exige<br />

l’état actuel de l’idiome » (rapport sur la lettre A du Dic. en préparation; Gr. p. 442 et Dic. p. VI).<br />

Or “régulariser”, c’est, sans autre explication, rendre homogène et cohérent, trancher entre les<br />

variantes, les solutions disparates. Selon quels critères ? Au fil des pages, j’ai pu relever la<br />

fréquence, l’étymologie, la prononciation actuelle, la simplicité d’écriture et de lecture, et aussi la<br />

pratique des autres idiomes romans. Mais tout cela sans hiérarchie précise; certes, en général, la<br />

pratique majoritaire des anciens textes est première; mais elle s’efface une fois devant l’étymologie<br />

de quoant/quoand : sans doute faut-il y voir la fonction “idéographique” de l’orthographe rappelée<br />

par R. Lafont (1971, 19) : en français comme dans d’autres langues romanes, la finale -t dénote<br />

dans ces mots le quantitatif, la finale -d, le temporel. Quant à la référence à la pratique des autres<br />

idiomes romans, elle est beaucoup moins le reflet d’un souci d’unité qu’un argument de plus en<br />

faveur de la graphie préconisée, celle des textes béarnais anciens; on ne saurait expliquer autrement<br />

la référence au basque, langue non romane, à l’appui du x valant /#/.<br />

En tout cas, la pratique des autres langues romanes, voire du gascon si proche, ne saurait être<br />

prise pour modèle s’il n’y a pas une égale pratique béarnaise.<br />

Mais « l’état actuel de l’idiome » peut exiger d’aller plus loin. Or sur ce point, Lespy s’est<br />

montré extrêmement réservé : « Nous avons cédé à l’usage, lorsqu’il nous a semblé que nous<br />

pourrions dérouter de vieilles habitudes de prononciation, si nous revenions, pour certains mots, à<br />

l’ancienne orthographe. » (Gr. p. 175). On verra bientôt qu’il s’agit surtout du digramme ou pour<br />

/u/.<br />

Les signes diacritiques<br />

Là, Lespy rejette toutes les innovations; tout en citant les Psaumes de Salette près de 900 fois<br />

dans le Dic., il ignore les choix délibérés de cet auteur en matière de graphie; en particulier, il<br />

utilise fort peu les signes diacritiques :<br />

– l’accent aigu et grave n’est retenu que pour le e; Lespy se prive ainsi d’un moyen facile de<br />

noter l’accent d’intensité, ce qui rend malaisée l’accentuation correcte des mots s’achevant en -i et<br />

-ou et des paradigmes verbaux;<br />

– le tréma ne sert qu’à distinguer le digramme ou /u/ de la diphtongue oü /o*/; il ne peut alors<br />

noter la diérèse d’un mot comme reunexe (Dic. Suppt); et dans payssèr, on ne sait si pay (< pani)<br />

doit se dire en deux syllabes, ou en une comme dans paysaa;<br />

– le ç est exclu au motif qu’il « n’était pas employé en béarnais ».


Jean <strong>Lafitte</strong> 119 Écriture du gascon<br />

La notation des voyelles et diphtongues<br />

Pour le système vocalique, Lespy s’en est tenu au système ancien, sans y apporter beaucoup<br />

de modifications. La seule importante concerne le son /u/, qu’il vienne d’un o (senhou) ou d’un u<br />

étymologiques (sourd); comme beaucoup, Lespy estimait que les mots écrits aujourd’hui countrari,<br />

louga, nou, persoune se sont toujours prononcés par [u] alors qu’ils s’écrivaient contrari, loga, no,<br />

persone selon l’étymologie; mais tout en désapprouvant ce ou, pourtant fort ancien aussi, il s’est vu<br />

obligé de l’adopter : « Il serait bien difficile aujourd’hui de faire revenir, pour les mots béarnais<br />

dans lesquels o se prononçait ou, à l’écriture des anciens. On s’en tiendra pour eux à celle que les<br />

modernes ont adoptée. » (n° 49 et 50). Et il utilisa fidèlement les groupes oe/oè et oa pour noter en<br />

toutes circonstances les sons /we/ ou /w!] et /wa/.<br />

Mais Lespy a conservé deux faiblesses majeures de ce système :<br />

– d’abord, l’extrême complexité du redoublement des voyelles : il n’est même pas<br />

systématique en finale accentuée, exclut les infinitifs, varie suivant les lettres amuïes, et même<br />

comprend des exceptions pour une même lettre, et pire encore affecte des mots sans consonne<br />

amuïe comme caar, caas, abuus, fruut, juu… Dès lors, à l’écrit, en dehors des infinitifs et des mots<br />

en -ou, ce n’est qu’en apprenant des listes de mots qu’on saura si la voyelle finale est doublée ou<br />

non; et à l’oral, il faudra se souvenir de l’étymon pour savoir s’il faut nasaliser la voyelle un peu ou<br />

pas du tout, selon que le redoublement correspond à un -n ou à un -r ou -d disparus.<br />

– et seconde faiblesse à laquelle faisait allusion M. Grosclaude quand il donnait raison à<br />

Salette « contre la tradition antérieure… (et postérieure). », l’ambigüité du -e final : il se lit soit [e]<br />

atone (le fameux « e doucement fermé de Lespy »), soit [%, œ ou a], sans autre guide qu’une règle<br />

complexe néanmoins suivie d’une liste d’exceptions (Gr. n° 26-27).<br />

La notation des consonnes<br />

Le système consonantique présente moins de difficultés; notons à l’actif de Lespy une nette<br />

préférence pour les groupes -dge ou -dye, -dja ou -dya etc., comme la prononciation le suggère et le<br />

pratiquaient majoritairement les anciens. Indépendamment des erreurs ou incohérences qu’on peut<br />

déceler dans le Dic. par rapport aux intentions affichées dans la Grammaire (notamment nh/gn,<br />

x/ch), je considère comme les difficultés les plus grandes :<br />

– les notations ambigües dont la lecture suppose l’apprentissage de listes d’exceptions :<br />

surtout, l’h muet; mais aussi, gn valant /'/, en concurrence avec nh, et /gn/ ou /nn/; et, à un moindre<br />

degré, -st lu -[s]; -d muet dans quelques mots;<br />

– les exceptions mal fondées : mots en lh lu [l] (malhurous); mots à -r final muet;<br />

– le polyporphisme de j et y devant a, o, u et de y, j et g devant e et i; les hésitations entre ix et<br />

x pour /#/; entre ceux-ci et ch; entre tz et dz à l’intérieur des mots; entre les pluriels en cx et cxs; et<br />

celles qu’induit l’absence de ç (sauce, saucè et saussa, saussade);<br />

– l’absence de graphie englobante pour les produits de -‘ll’ latin (bèt, bètch, bèyt, bèytch);<br />

– les complications inutiles : outre l’h muet, le g de vingt et digt, ph et ff pour f simple; et les<br />

pluriels en -z et encore plus en -cx/cxs.<br />

Réception et devenir de la graphie de Lespy<br />

Ainsi, paradoxalement, face à Salette qui pouvait passer à première vue pour un “classique”<br />

avec ses -a féminins, Lespy semblerait un “moderne” avec ses -e; pourtant, il se révèle comme un


Jean <strong>Lafitte</strong> 120 Écriture du gascon<br />

“classique”, voire un “archaïsant” pour parler comme H. Gavel (cf. p. 141), avec toutes les ambigüités<br />

de sa théorie, aggravées par sa pratique.<br />

Qu’en est-il advenu ? Voici ce qu’en dit A. Sarrail (1980, 11) :<br />

« Pour sûr, cette graphie de Lespy fut d’un bon secours pour les écrivains de cette<br />

époque (1860-1900) et il y en avait de grands, quand ce ne serait qu’Isidore Salles. Je<br />

pense cependant qu’aucun ne suivit parfaitement les règles de Lespy. Salles le reconnaît<br />

(Debis gascouns p. 3) : “Je dois aussi un hommage amical au savant Monsieur V. Lespy de<br />

Pau : ses livres m’ont donné plus d’une leçon, arrivée malheureusement à l’heure tardive<br />

où la plume trouve les doigts noués et rebelles aux lois de la grammaire”. Il écrit donc<br />

“saben” et non pas “sabent” comme Lespy, “bacha” et non “baxa”, “pegnicades”, et non<br />

“ penhicades”, etc. La diphtongue au, il l’écrit (presque toujours) avec un tréma sur l’u —<br />

ce que ne voulait pas Lespy. »<br />

9 – L’Escole Gastou Febus<br />

I - Règles de 1900<br />

La genèse<br />

Lespy avait adhéré au Félibrige, qui n’avait pu faire moins que de le nommer “majoral”; mais<br />

il était resté relativement en marge de l’institution. Il devait revenir à d’autres, plus jeunes, de<br />

fonder en 1896 l’Escole Gastou Febus (cf. p. 76) dont l’une des premières tâches fut de lancer dès<br />

1897 une revue, les Reclams de Biarn e Gascougne.<br />

Or si nul n’avait osé critiquer de front les choix de Lespy, il est remarquable que dix mois<br />

après sa mort, le 21 février 1897, la question de la graphie est abordée dans les Reclams : « très<br />

vite, le secrétaire de l’Escole P. D. Lafore […] s’avise que les collaborateurs de la Revue ne<br />

s’entendent pas sur la graphie. Dans le n° 6 de décembre 1897, il relève les points de désaccord. »<br />

rapporte A. Sarrail (1980, p. 11). Voici donc ce qu’écrit Lafore :<br />

« L’orthographe traditionnelle, celle de nos chartes et de nos fors, celle que préconise<br />

Lespy, veut :<br />

« 1° que le u après une voyelle se prononce ou : chibau, hau, etc;<br />

« 2° que le l mouillé français s’écrive lh : lhèu;<br />

« 3° que le gn français s’écrive nh : aranhe,<br />

« 4° que le verbe avoir, de même que tous les autres termes possédant une h muette<br />

conservent cette h : habé, hore, etc.<br />

« 5° que le o devant une voyelle, se prononce ou : goarda, ahoega, etc.<br />

« 6° que le ch français s’écrive x : medix pour medich, coexe pour coeche, etc.<br />

« Les deux premières particularités sont acceptées par la plupart des auteurs<br />

modernes; les autres le sont moins, surtout la dernière…<br />

« Celui qui écrit ces lignes tient à dire cependant... que lui paraît préférable l’emploi<br />

de l’orthographe simplifiée... C’est une façon d’écrire pour être facilement lu et facilement<br />

compris de tout le monde. »<br />

Et A. Sarrail de poursuivre :<br />

« Le même article paraissait à nouveau dans le n° d’avril 1898 (p. 159). Aucune<br />

réponse ne fut faite à cet appel pourtant très clair. Peut-être que chacun voulait rester sur<br />

ses positions, avec la crainte des changements et des règles ? […]<br />

« Et tout à coup, les Reclams de mars 1900 (n° 3, p. 1) annoncent la venue à Pau<br />

d’Edouard Bourciez, pour faire une conférence, le 31 mars sur les Contes populaires de<br />

Gascogne. Le samedi soir 31 mars et le dimanche matin, la commission pour l’unification<br />

de la graphie devait se réunir, présidée par Bourciez. »<br />

Cela ressemble fort à une pieuse légende. Très probablement, le Pr. Bourciez, titulaire de la


Jean <strong>Lafitte</strong> 121 Écriture du gascon<br />

chaire de langue romane à l’Université de Bordeaux et membre de l’Escole Gastou Febus, n’était<br />

pas resté passif à la lecture des articles de P. D. Lafore; et il avait dû longuement réfléchir à ce que<br />

pourrait être une graphie vraiment utilisable par les auteurs de l’Escole. Il ne vint donc certainement<br />

pas à Pau les mains vides, ce qui explique que les règles qu’il avait préparées furent<br />

acceptées, sans doute sans grandes modifications, en deux séances d’un soir et d’une matinée. Au<br />

demeurant, ces règles furent aussitôt publiées sous sa seule signature : « Règles orthographiques<br />

du béarnais moderne (adoptées par la Commission administrative de l’Escole Gastou Febus, dans<br />

sa séance du 1 er avril 1900) » (Reclams, n° 4 d’avril 1900, pp. 50-56).<br />

Les principales nouveautés<br />

Nous remarquons d’emblée que ces règles ne visent encore que le béarnais, mais « moderne<br />

», ce qui sous-entend une rupture avec l’excessive référence à l’ancienne langue chez Lespy.<br />

Pratiquement, cela se traduit par de nombreux changements par rapport à la graphie de Lespy :<br />

– abandon total des doubles voyelles à la finale; la nasalisation légère pour les mots ayant<br />

perdu un -n final est notée par l’accent circonflexe sur a, e et i : pâ, hê, bî et non plus paa, hee, bii;<br />

mais u et ou ne portent aucun accent, qu’il soient simples (escu, amou, pastou…) ou légèrement nasalisés<br />

(cadu, carbou, layrou…); en outre, sortant du territoire béarnais malgré le titre, on précise :<br />

« Dans les dialectes, où l’n se conserve distincte dans la prononciation et dans l’écriture, on<br />

n’emploie pas l’accent circonflexe » mais on note ce -n : pan, hen, bin;<br />

– marquage de tout e tonique par un accent aigu ou grave selon sa sonorité (arré, bouhadé,<br />

estéle, téms, darrè, hèste…), y compris dans la conjonction é, et, facultativement, dans les « particules<br />

et pronoms de, que, me, te, se, pe »; Lespy, lui, n’accentuait pas l’e fermé dans les<br />

monosyllabes ni dans le corps des mots (estele, temps…);<br />

– notation de la diphtongue /o*/ par òu (comme en provençal) et non plus oü : hòu, pòu,<br />

linsòu;<br />

– remplacement de x par s devant consonne sourde : destrau, espleyt, esplica;<br />

– abandon de ix ou x pour noter /#/, remplacé par ch : medich, coeche au lieu de medix, coexe;<br />

– généralisation de gn pour noter /'/, au lieu de nh et gn : castagne au lieu de castanhe;<br />

– notation par -s- du /z/ des noms de nombre ounse, doutse, tretse, etc.;<br />

– remplacement par c(i) du t « sifflant devant i dans des mots savants » : paciènce, reboluciou<br />

[sic; corrigés en paciénce, rebouluciou en 1905];<br />

– adoption de -th en variante de -t pour noter les réalisations [0] et [tj], au lieu des -tch, -yt,<br />

-ytch de Lespy : éth, aquéth, nabèth, coth, etc. (en béarnais classique ét, aquét, nabèt, cot);<br />

– suppression de toute dentale finale après n, sauf si elle est prononcée : deban, quoan, roun,<br />

mais bint, cént, sént;<br />

– suppression du g amuï dans dit {doigt} et bint {vingt};<br />

– régularisation en -cs du pluriel des mots en -c : amics, brocs au lieu de amicx(s), brocx(s);<br />

– abandon des finales en -tz, remplacé par -ts : la pats, lou prèts, cantats…<br />

On peut reconnaitre dans ces changements trois idées directrices :<br />

– mieux refléter la prononciation actuelle : on supprime les voyelles doubles pour ne noter<br />

que la nasalisation légère ou franchement le -n (vélaire) que l’on prononce; on supprime de même<br />

des consonnes étymologiques aujourd’hui amuïes : la plupart des dentales finales après n, le g de


Jean <strong>Lafitte</strong> 122 Écriture du gascon<br />

digt et bingt; et s remplace x devant consonne sourde;<br />

– simplifier le code de l’écriture : outre les mesures qui précèdent, qui contribuent aussi à la<br />

simplification, on unifie en gn la notation de /'/, en -th celle de [0] et [tj], on traite le pluriel des<br />

mots en -c suivant la règle générale et la valeur /s/ de t devant i est rendue par c, d’utilisation<br />

générale dans cet emploi;<br />

– clarifier ce code : tout e tonique est marqué par un accent; la diphtongue /o*/ est notée par<br />

òu, ce qui supprime le ü tréma déjà proscrit des autres diphtongues et laisse au tréma son seul rôle<br />

de disjonction de voyelles en hiatus; (i)x ou x est remplacé par ch pour noter /#/, ce ch étant bien<br />

plus familier au commun des usagers formés à la graphie du français; -tz en finale est remplacé par<br />

-ts pour la même raison.<br />

Mais on ne voit pas comment expliquer la graphie aberrante par -s- du /z/ des noms de<br />

nombre ounse, doutse, tretse, etc. !<br />

Accessoirement, nous pouvons remarquer que th pour [tj] était déjà utilisé par de bons<br />

écrivains de la seconde moitié du siècle écoulé, en particulier pour le pronom eth (contre et dans le<br />

Dic. de Lespy); ainsi, I. Salles : outre eth, thoyne, barthe, péth (= pèth en gascon général), debath;<br />

et Hourcadut, Nostradamus et autres écrivains d’Orthez. Quant à ch, il rejoint le français, mais ci au<br />

lieu de ti et s à la place de x devant sourde s’en écartent délibérément, tandis que ci rapproche le<br />

béarnais du castillan; et gn se trouve dans les textes béarnais les plus anciens. En un mot, pas<br />

d’idéologie sous-jacente en dehors de celle qui consiste à rendre l’écrit accessible au plus grand<br />

nombre; et de toute façon, disparition de la référence systématique aux anciens textes béarnais :<br />

c’est une graphie moderne, plus facile à apprendre, pour une langue vivante du début du XX e s.<br />

Mais rien n’est changé à l’ambigüité du l’e final atone (gabe, crabe), ni à l’absence de critère<br />

pour savoir si i, u et ou finals sont toniques (lusi, que sabi…; segu, cadu…; pastou, carbou,<br />

layrou…), ou atones (homi, bimi, qu’aymi…; anyou, asou, cassou…), ou si h est aspirée (hort) ou<br />

non (haunou). Une nouvelle ambigüité est même créée par la notation du -n (vélaire) dans pan, hen,<br />

bin… que rien ne différencie du -n (dental) commun à tout le territoire gascon dans engan, balén,<br />

praubin…, d’autant que la famille des mots en -n dental est singulièrement agrandie par la<br />

suppression de la dentale finale amuïe après n (quoan, balen, roun, etc.).<br />

La suite<br />

Comment ces règles ont-elles été appliquées ? C’est difficile à apprécier, dans la mesure où<br />

elles devaient être remplacées cinq ans plus tard. Et l’on sait combien est longue la mise en place<br />

des réformes orthographiques. Il est certain en tout cas que leur “modernisme” provoqua la réaction<br />

du lettré qu’était le Dr Lacoarret (Al-Cartero) dans un article des Reclams d’aout 1903 : il proposait<br />

de rétablir la consonne finale amuïe, essentiellement -n et -r : mar, carn, flour, oubrèr, aymar, etc.<br />

Outre l’avantage théorique de conserver au mot sa vieille latinité, on comprendrait mieux la dérivation;<br />

et en poésie, on ne pourrait plus faire rimer des mots de même finale dans la prononciation,<br />

mais de finales différentes à l’écrit, comme blous, flours, briulouns. On retrouve là le courant<br />

archaïsant et savant mis à la mode dans le Félibrige par l’abbé Roux, puis par Estieu et Perbosc,<br />

mais que refusaient les jeunes Félibres de l’Escole, partisans de la modernité et du progrès.<br />

Il y eut des articles en sens opposé, plaidant pour une langue et une graphie proches du peuple<br />

qui pratiquait naturellement la langue. Par exemple, Henri Pélisson (le Félibre de Barétous) dans les


Jean <strong>Lafitte</strong> 123 Écriture du gascon<br />

Reclams de Yenè 1904, p. 13; ou encore L. Loustau-Prous, Juge de paix à Vic-Fezensac dans ceux<br />

de Mars 1904, pp. 52-54. Celui-ci communiquait même une lettre que le romaniste Paul Meyer<br />

avait adressée en le 7 mars 1869 à son ami Jean-François Bladé, autre magistrat et folkloriste<br />

gascon bien connu. J’en retiens ici l’essentiel :<br />

« Le principe auquel il faut s’en tenir pour l’orthographe du béarnais ou du gascon<br />

est, selon moi, la notation de la prononciation qui caractérise l’état présent d’une langue<br />

[…]. En écrivant les consonnes finales qui s’entendaient autrefois et n’apparaissent plus<br />

maintenant que dans les formes dérivées, vous vous imposeriez la nécessité d’indiquer en<br />

note la véritable prononciation, ce qui pourrait vous entraîner loin. — Et pour quel profit ?<br />

— Ces lettres ne se prononcent plus ou même ne se sont jamais prononcées : c’est comme<br />

si elles n’existaient pas. »<br />

II - Règles de 1905<br />

Le chantier est rouvert<br />

Pour couper court à la discussion, le Bureau de l’E.G.F. forma une commission de<br />

l’orthographe (Reclams, Seteme 1904, p. 237) : outre le capdau {président} Planté et le secrétaire<br />

général Lalanne, membres de droit, MM. Baudorre, Camélat, Daugé, Lafore, Dr. Lacoarret, Lacoste<br />

et Palay. Le même communiqué donnait la composition de la commission du dictionnaire, et « M.<br />

Lacaze, sous-inspecteur de l’Enregistrement à Pau » fut élu le 10 novembre comme « président de<br />

la commission du dictionnaire et de l’orthographe » (Reclams…, Decémbre 1904, p. 301). Et dans<br />

Reclams de Heurè 1905, p. 38, Lacaze écrivait plein d’espoir :<br />

« Il n’est pas chimérique de penser que le système graphique appliqué par l’Escole<br />

pourrait sans trop de peine devenir commun aux quatre départements réunis sous la bannière<br />

des Reclams. Il suffirait pour cela d’un peu de bonne volonté et du désir d’arriver à<br />

une entente qui aurait pour effet d’assurer le succès du Félibrige dans notre Sud-Ouest. La<br />

cause est du reste aux trois-quarts gagnée. Pour le Gers, on constate avec plaisir que<br />

quelques-uns de nos dévoués confrères observent nos règles essentielles; les autres sont<br />

trop aimables pour rester sourds à notre pressant appel et pour ne pas consentir au remplacement<br />

de l’o par l’e - par exemple - dans des mots comme hilho, estelo que l’on écrirait<br />

hilhe, estele. »<br />

Mais « Cette commission, m’assure Palay, ne se réunit jamais. » (Abbé Saint-Bézard, 1961,<br />

p. 166). Néanmoins, les deux commissions furent convoquées pour le 27 aout 1905 à Oloron, à<br />

l’occasion des Fêtes félibréennes, en vue d’arrêter « les règles orthographiques à adopter »<br />

(Reclams de Biarn e Gascougne, Aoust 1905, p. 148). Selon le compte rendu publié dans le numéro<br />

suivant (Seteme-octoubre), la réunion se fit l’après-midi, jusqu’à 7 heures du soir où il fallut<br />

« s’aller préparer à la grane serade » {grande soirée}; on peut lire le long discours (en français) de<br />

« M. Lacaze, sous-inspecteur de l’Enregistrement, président », mais pour ce qui est de l’activité des<br />

commissions, il est dit seulement que l’« On s’est occupé activement du futur Dictionnaire simplifié,<br />

des règles grammaticales à adopter. » Rien sur l’orthographe, sinon le court alinéa qu’y consacre<br />

le discours de M. Lacaze :<br />

« En ce qui concerne les règles orthographiques, la tâche paraît relativement aisée et,<br />

tout en tenant compte des différences dialectales, on peut espérer que l’entente se fera sur<br />

les points les plus importants. Du reste, nous avons des guides précieux pour l’exécution<br />

de ce travail; nous aurons à recourir souvent aux indications qu ils ont données. »<br />

En fait, il fallut attendre les Reclams de Yulh {Juin} 1906 pour que fussent publiées, pp. 114-<br />

124, sous la signature de Lacaze, les Règles orthographiques du <strong>Gascon</strong> moderne.<br />

Ces règles suivent le même plan que celles de 1900, en insérant toutefois une section Accent


Jean <strong>Lafitte</strong> 124 Écriture du gascon<br />

tonique entre celle des Voyelles et celle des Diphtongues. Il est donc facile de les présenter en<br />

synopse et donc de faire apparaitre les changements adoptés.<br />

Les changements<br />

Le premier, de taille, est dans le titre : ce sont désormais les règles orthographiques du<br />

gascon, et plus seulement du béarnais. Mais on a vu que la notation du -n vélaire ouvrait déjà les<br />

règles de 1900 sur le gascon, alors que le préambule qui suit le titre de 1905 réduit la Gascogne<br />

linguistique à « la région où s’exerce plus particulièrement l’action des Reclams, il ne vise que le<br />

béarnais et les dialectes les plus rapprochés du Béarn. » Et l’Avertissement du Dic. de Palay de<br />

1932, que nous étudierons bientôt (p. 136), dit sensiblement la même chose, tout en étant plus<br />

explicite : « dialectes parlés dans [… le] Bassin de l’Adour; ces dialectes sont le béarnais, le<br />

bigourdan, le landais et le gascon du Gers ».<br />

Sur le fond, nous pouvons remarquer les changements suivants :<br />

– l’accent aigu est supprimé sur le e des monosyllabes, conjonction e comprise;<br />

– on admet le -o à la place du -e féminin comme variante chez les “irréductibles” des<br />

« régions extrêmes, influencées par le voisinage du dialecte agenais ou toulousain »;<br />

– on note le è ouvert en syllabe non tonique : pèpica, pèrrema, pèyrebate, permèremén,<br />

darrèremén; d’après ces exemples, il s’agit en fait des mots composés avec un accent tonique<br />

secondaire;<br />

– on note la nasalisation sur û (û, cadû, mantû…), mais on la supprime sur ê qu’on craint de<br />

voir lu à la française : hé, plé au lieu de hê, plê, etc. Mais on garde hén, plén là où l’n se prononce<br />

et on précise que la prononciation “mouillée” est notée héy, pléy, etc.<br />

– la diphtongue ùu de certains dialectes est ajoutée à la liste (bùu);<br />

– il est précisé que les notations oue/ouè, oui sont celles de deux voyelles en diérèse et non<br />

d’une diphtongue : pouème, que soui, que deyoui; la préférence éventuelle pour un tréma sur le ï est<br />

évoquée, sans plus;<br />

– la place de l’acent tonique est mieux précisée, du moins en dehors des formes verbales qui<br />

relèvent des « grammaires »; en particulier, dans les paroxytons achevés par i ou ou, « l’a, l’i, l’o,<br />

ou l’u (à l’exclusion de l’ou), qui s’y trouve [à la pénultième], recevra un accent grave. »<br />

– malgré la réserve relative aux formes verbales, il a paru nécessaire de traiter de l’accent<br />

tonique des 1 ères personnes du présent et de l’imparfait de l’indicatif des verbes en -e « béarnais »,<br />

en fait des régions de l’ouest gascon qui connaissent l’imparfait court : « Pour éviter toute<br />

confusion, on mettra un accent grave sur l’a ou l’i de la pénultième de l’indicatif. Ex : mentàbi {je<br />

nomme}; mais mentabi {je nommais} sans accent. De même càdi et cadi; dìsi et disi; escrìbi et<br />

escribi, etc. »;<br />

– h muet est supprimé au verbe abé; il est maintenu par suite d’« un long usage » dans<br />

« hòmi, històri, heretè » mais rendu facultatif « dans des mots comme oustau, èrbe, oéy, ort<br />

{jardin}, etc. »;<br />

– il est précisé que le ç est exclu de la graphie : abansa, coumensabi, asso, fayssou, etc.;<br />

– il est précisé que les consonnes ne sont doublées que si elles sont entendue doubles; ainsi le<br />

t dans arrecatta, dissatte, etc.; le m dans semmane, semmanè; le n dans pinneta, sinnét, arreguinna,<br />

sannie, etc. Mais pas d’exemple de doubles p, b et f : aparelha, aparia, apèu, abat, abadie, aferma,<br />

afina, afliya, afrounta;


Jean <strong>Lafitte</strong> 125 Écriture du gascon<br />

– le t peut s’écrire après -n final lorsqu’il est prononcé; outre cent, vint et sent : û balent òmi;<br />

quoant ès arribat;<br />

– on rétablit la notation normale par -z- du /z/ des noms de nombre ounze, doutze, etc.;<br />

– on spécifie la notation par ch- du s- étymologique chuinté : chéys, chichante, chuc;<br />

– on rétablit le x comme consonne de l’alphabet gascon, alors qu’on l’avait exclu en 1900<br />

sans dire comment noter les mots que Lespy écrivait examina, excessiu, bexa… Les diverses réalisations<br />

recensées (cs, gz, ts, tz, dz) seront « uniformément rendues par x »;<br />

– il est fait mention du -u- intervocalique de certains parlers : auèue, beuèue, etc.; en réalité,<br />

cependant, le texte le considère comme une suite de diphtongues;<br />

– enfin, quelques précisions complémentaires sont données sur la notation des pronoms<br />

enclitiques, mais je n’en ai pas parlé à propos des règles de 1900 qui reconduisaient la Grammaire<br />

de Lespy, et il n’y a ici rien de particulièrement notable.<br />

Ce que j’en retiens d’important<br />

La liste des modifications est longue… mais ce sont pour la plupart des précisions qui ne<br />

changent pas fondamentalement les règles de 1900; je ne retiendrai donc dans mon commentaire<br />

que celles qui sortent du lot :<br />

– mieux refléter la prononciation actuelle : on note le è ouvert en syllabe tonique secondaire,<br />

la nasalisation du û, le chuintement du s- initial; on insiste sur le non redoublement des consonnes<br />

prononcées simples; en particulier, les graphies arrecatta, dissatte, semmane, semmanè, pinneta,<br />

sinnét, etc. écartent l’écriture d’anciennes consonnes aujourd’hui assimilées.<br />

– simplifier le code de l’écriture : on supprime l’accent aigu du e des monosyllabes, et l’h<br />

muet de abé;<br />

– l’homogénéiser : on note la nasalisation du û comme celle du a et du i; on rétablit la<br />

notation normale par -z- dans les noms de nombre ounze, doutze, etc.;<br />

– l’assouplir… faute de pouvoir l’imposer : c’est l’acceptation du -o à la place du -e féminin;<br />

– le corriger : on rétablit le x prématurément supprimé.<br />

– le compléter : diphtongue ùu de certains dialectes, -u- intervocalique de certains parlers.<br />

Donc, aucun changement fondamental par rapport à l’esprit “moderne” de 1900.<br />

En revanche, l’abandon de l’accent circonflexe sur le e légèrement nasal supprime la notation<br />

d’un phonème qui a son correspondant dans le -n d’autres dialectes gascons et crée une incohérence<br />

par rapport à a, i et u tandis que le ou légèrement nasal n’est toujours pas noté. De plus, comme ou<br />

ne porte jamais d’accent, il n’est pas possible de marquer que bouhi (je souffle), courri (je cours),<br />

etc. sont paroxytons. Par contre, est inutile le maintien de l’accent aigu sur le é tonique en pénultième<br />

de mots terminés par -e(s) : estéle, créde…<br />

Demeurent enfin les deux grandes faiblesses signalées pour les règles de 1900, l’ambigüité du<br />

e final atone (gabe, crabe) et celle résultant de la notation du -n (vélaire) que rien ne différencie du<br />

-n (dental) commun à tout le territoire gascon. Quant à la question de l’h aspiré ou non, elle est loin<br />

d’être réglée par la timide mesure prise qui, limitée au verbe abé, laisse le scripteur dans un flou<br />

complet.<br />

En conclusion, les retouches de 1905 ont un peu amélioré les règles de 1900, mais sont passées


Jean <strong>Lafitte</strong> 126 Écriture du gascon<br />

à côté de plusieurs problèmes importants. Mais en un temps où ceux qui s’intéressaient à la langue<br />

gasconne l’avaient apprise au berceau et la parlaient couramment, les imperfections de la norme<br />

passaient inaperçues, comme le sont celles de la norme française pour les Français instruits.<br />

10 – La graphie des “Trovadors”<br />

Tandis que le Félibrige s’installait en Béarn avec l’Escole Gastou Febus et ses normes<br />

graphiques modernes adaptées de Mistral, un mouvement de type classique, quelque peu dissident,<br />

était en train de se développer au sein du Félibrige. Né en Limousin avec l’abbé Joseph Roux<br />

(1834-1905), il avait trouvé en Languedoc deux missionnaires zélés, les instituteurs Antonin<br />

Perbosc (1861-1944) et Prosper Estieu (1860-1939). Il ne s’agissait pas moins que de restituer la<br />

langue d’oc dans ce qu’elle était du temps des Toubadours, en commençant par le retour à la<br />

« graphie des Troubadours »; en parallèle, ces instituteurs anticléricaux “récupéraient” la Croisade<br />

albigeoise comme moyen de lutter contre l’Église et de dresser le Midi contre le Nord.<br />

Les félibres béarnais et gascons ne pouvaient ignorer ce mouvement.<br />

I – L’échappée classique de Simin Palay (1909-1921)<br />

Le premier à s’y être engagé, au moins par quelques écrits, fut Simin Palay (1874-1965),<br />

malgré un profond attachement à l’Église catholique que dénonçait Perbosc :<br />

« … A Perpignan c’est parfait. Mais cela nous amène Amade, très bon Majoral, mais<br />

universitaire couleur Sarrieu, qu’il faudra bien avaler, le plus tard possible. Et puis Palay !<br />

Tous cléricaux ! C’est dégoûtant ! » (lettre à Estieu du 10 décembre 1909, citée par<br />

Barthés, 1987, 100).<br />

En tout cas, Palay entra dans le jeu par un long poème Toulouse ! primé aux Jeux Floraux de<br />

Toulouse (Reclams, Février à Mai 1909, pp. 30, 54, 77 et 99), mais en graphie de l’Escole Gastou<br />

Febus. Cependant, que le baron Désazars de Montgaillard, membre du jury des Jeux floraux, ait<br />

apprécié l’œuvre de Palay (Barthés, ib., 104) n’était pas du gout de Perbosc qui écrit à son ami :<br />

« … Désazars m’a dit que ça valait mieux que rien, que c’était au moins un<br />

hommage, tu vois la suite. Palay me répugne de plus en plus. Il faut que tu travailles à le<br />

démolir, en montrant son insincérité. J’espère qu’il ne sera pas élu » (lettre à Estieu, du 10<br />

juin 1911 in Barthés, ib.).<br />

Palay n’en continue pas moins et compose un autre poème en 1911, Sant Exupère, Salvador<br />

de Toloza; Toulouse est toujours là, mais Palay semble ne plus vouloir revenir sur la croisade<br />

albigeoise, sans doute trop exploitée par le courant languedocien, et célèbre un évènement du V e s.<br />

Mais cette fois, le poème est écrit dans la graphie de Perbosc-Estieu et sera publié dans Lo Gai<br />

Saber, revue de l’Escòla occitana sur laquelle je reviendrai bientôt; il y est présenté comme<br />

« Dialecte biarnés am {avec} grafia neo-romana. » (1920, n° 7, pp. 168-170, n° 8, pp. 186-188 et<br />

1921, n° 9, pp. 10-12); les Reclams de Biarn e Gascougne en feront seulement mention : « Le Gai<br />

saber de Toulouse publie le poème : Sent Exupère de Palay » (n° 2 de Février 1921, p. 31).<br />

En fait, outre l’emploi de -a en finale féminine et de o pour /u/, c’est un curieux mélange de<br />

formes languedociennes (Sant, al, del, forbis, bèl, asalt, filh, saure, jorn, captal… pour Sent, au,<br />

deu, hrobeix, bèth, assaut, hilh, saber, dia, capdau…) et de rares formes ou mots béarnais (cade,<br />

Mèste, ad arond, baxar… pour cada, Mèstre, (a)dereng, baissar…), voire d’archaïsmes (ab pour<br />

dab); et abandon de l’énonciatif que, des possessifs “articulés”. On remarque en baxar l’emploi pour<br />

/#/ du x de la vieille graphie béarnaise et gasconne, mais il vaut [ks] dans fixar du vers précédent et


Jean <strong>Lafitte</strong> 127 Écriture du gascon<br />

[1] dans nox …; et la mention de publication dans Reclams rétablit le Sent gascon !<br />

Neuf ans plus tard, en 1920, Palay devait “récidiver” en présentant encore aux Jeux floraux<br />

un poème qui fut lui aussi primé, puis publié en 1921 dans le Recueil de l’Académie des Jeux<br />

Floraux, Toulouse, 1921, pp. 92-110 : La canson d’en Ramon de Sant Gilles, que je cite d’après sa<br />

reproduction dans Reclams 1996 - 1/2/3, pp. 16-25.<br />

Tout comme en 1911, Palay évite la croisade albigeoise et chante ici la première croisade<br />

prêchée en 1099 par le Pape Urbain II pour délivrer le tombeau du Christ des mains des Sarrasins; y<br />

prirent part le Comte de Toulouse Raymond de St-Gilles et le Vicomte de Béarn Gaston le Croisé.<br />

La langue est plus franchement béarnaise, avec des mots ou des formes ignorés du<br />

languedocien (audir, bronir, aperar, apux, carrèras, barrèras, ei, castet, oelh, goardara…); et en<br />

particulier l’article dou, dous (“du, des”), qui pose problème : logiquement, se situant dans le<br />

système Perbosc-Estieu, il devrait se lire [do*[s]], tout comme pou (“peur”) se lit [po*]; mais<br />

[do*[s]] est quasi ignoré des cartes 2461 à 2463 de l’ALG VI, alors que [du[s]] est de très loin la<br />

forme la plus répandue, en Béarn notamment; au demeurant, souci ne peut se lire que [su'si], ce qui<br />

conduit à admettre que Palay a usé ici de ou pour certains /u/…<br />

On trouve aussi des formes languedociennes comme salvat, bela, (n)aut(a)… pour sauvat,<br />

bèra, haut(a)… et surtout, le béarnais est “épuré” du h gascon (!) et de l’énonciatif que; donc fon,<br />

fè, foc, filh, filha, far etc. Mais chassez le naturel… On trouve donc quand même quelques<br />

énonciatifs : un que, « Qu’avetz aci mon amna tota nuda », deux e, « Puxque ma dona e sera dabe<br />

jo » et « Quand subre amor / E s’apitola ! »; et surtout plusieurs be ou b’ dans des exclamatives, où<br />

ils semblent bien distincts de l’adverbe “bien” noté ben par ailleurs : « B’ei la canson qu’un pauvre<br />

trobador / […] acompanha », « b’a l’amna amistoza e proza / Lo noble comte de Toloza ! », « E,<br />

lèu apux, be l’a matat / E son ost fujis, despartat ! » « Aquiu be i a cent mil omis e famas » etc.<br />

Autre retour au naturel, heresa, tahuc, Mahom ou Mahomet qui seront dans son Dictionnaire<br />

(le premier, comme herésse) avec le h gascon, car le Dictionnaire ne note pas l’h muet. Et je ne sais<br />

comment juger de l’exclamation maintes fois répétée Hoi ! : houy gascon est pour Palay le cri pour<br />

chasser l’immonde, notamment les porcs, et hoi ou oi est pour Mistral un cri d’étonnement, toutes<br />

acceptions en rupture avec le contexte…; même perplexité pour Hara dans un des derniers vers « E<br />

la vox responec : “Hara, ven far la guerra !” » : avec far à côté, ce ne peut être le futur farà, comme<br />

pour dire « Ça fera l’affaire »; et pourquoi ara déjà noté ainsi serait ici affublé d’un h- ?<br />

Tout cela pour dire combien ce poème sent l’artifice, le jeu convenu pour plaire à une Académie<br />

toulousaine, dans la graphie à la mode et en camouflant la gasconité de l’auteur. Il est remarquable<br />

en tout cas que ni le poème primé en 1911 ni celui-ci ne furent publiés dans les Reclams de<br />

Biarn e Gascougne, revue de l’Escole Gastou Febus dont Palay allait devenir le Capdau en 1923.<br />

Ce n’est que trente ans après sa mort que les occitanistes devenus maitres de l’Escole ont publié le<br />

poème de 1920 dans les Reclams; sans doute était-ce pour souligner le vers de Palay louant le lien<br />

entre « les cœurs béarnais et les cœurs toulousains dans les voies de l’Histoire » et commenter :<br />

« bien loin de toute petite dispute localiste ».<br />

Mais c’était oublier que dans les 45 années de sa vie après ce poème, Palay n’a usé que de la<br />

graphie de l’Escole, et spécialement dans son fameux Dictionnaire (cf. p. 136). Dans l’article des<br />

Reclams de 1958 déjà cité p. 39, il s’est même expressément élevé contre la graphie occitane :<br />

« …ceux qu’on dit occitans ou occitanistes […] ont cru qu’en inventant une graphie,


Jean <strong>Lafitte</strong> 128 Écriture du gascon<br />

la même pour tous les dialectes, ils permettraient à tout un chacun de les lire tous<br />

facilement, et c’est le contraire qui se passe : il n’y a que quelques initiés qui s’en tirent, et<br />

encore le Provençal ne comprendra pas le gascon s’il ne le sait pas avant, et vice versa. De<br />

plus, si un <strong>Béarnais</strong> et un Auvergnat se parlent, en raison de la différences des sons, ils ne<br />

s’entendront pas.<br />

« Un jour, dans une ville où j’étais de passage, je me trompai de réunion. Un orateur<br />

était à la tribune et j’essayai de comprendre, mais en vain. Je demandai alors à un voisin où<br />

je me trouvais : “C’est un congrès pour l’espéranto” me répondit-il. “Ah ! et que dit le<br />

conférencier ? — Je ne le comprends pas : il parle avec l’accent allemand.”<br />

« Avec l’occitan, je pense que ce serait tout de même. C’est un mauvais pâté qui<br />

n’est trouvé bon par une minorité — et qui parle surtout en français, et en oc seulement<br />

dans quelques occasions.<br />

« Un autre résultat inattendu est celui-ci : la graphie occitane est tellement<br />

compliquée que les imprimeurs ont assimilé l’occitan à une langue étrangère comme<br />

l’anglais et l’allemand — cette comparaison est une honte — et lui appliquent le tarif<br />

syndical, quelque chose comme 20 ou 25 % en plus.<br />

« L’homme de bon sens reste sur le terrain de la simplicité et du facile à pratiquer.<br />

C’est ainsi que se fait le bon travail. »<br />

II – L’Escole moundino et l’Escòla occitana de Toulouse<br />

Il convient de dire ici quelques mots des écoles félibréennes de Toulouse, trop près du<br />

domaine gascon pour ne pas l’influencer quelque peu. L’Escolo moundino d’abord, créée en 1892<br />

et adepte d’une graphie de type mistralien comme le révèle son titre. Mais les félibres partisans de<br />

la graphie classique ne devaient pas s’y sentir à l’aise, puisqu’ils allaient fonder en 1919, chez le<br />

baron Désazars, en son manoir d’Avignonet-Lauragais, une nouvelle école félibréenne, l’Escòla<br />

occitana; et celle-ci lançait aussitôt sa revue, Lo Gai saber.<br />

Bien évidemment, Perbosc et Estieu étaient de la nouvelle Escòla, ainsi que le jeune abbé<br />

Salvat (1889-1973) et sa graphie était celle de Perbosc-Estieu.<br />

1921 : La chaîne est renouée (P. Estieu)<br />

Tel est le titre d’un article d’Estieu publié dès le n° 9 de Lo Gai Saber (Janv.-Feb. 1921), sous<br />

le pseudonyme de Jean d’Occitanie, pour montrer les mérites de la graphie de l’Escòla. D’emblée,<br />

il met sur le compte du « néfaste édit de Villers-Cotterêts » de 1539 la fragmentation de la langue<br />

d’oc « en un si grand nombre de sous-dialectes qu’il devint bientôt impossible de reconnaitre son<br />

unité primitive ». Et de faire un bref historique des efforts pour « renouer la chaîne occitane depuis<br />

si longtemps interrompue », jusqu’à l’arrivée de Mistral — on est Félibres déclarés — dont<br />

« l’éternelle gloire [sera], outre celle que lui a value son génie poétique, d’avoir établi scientifiquement,<br />

dans son Trésor du Félibrige, les règles qui devaient ramener peu à peu la langue d’oc à sa<br />

pureté ancestrale ». Mais « ce n’était là qu’une première étape » et « quelques-uns de ses meilleurs<br />

disciples, qu’il désignait ainsi lui-même, ont continué son œuvre philologique et ont pu fixer<br />

définitivement la graphie occitane. »<br />

Et plutôt que de faire un exposé savant de règles qui pourrait effrayer le lecteur, Estieu<br />

présente cinq textes anciens, du XII e au XIV e s., avec en vis-à-vis leur transcription en langue<br />

moderne notée selon la graphie de l’Escòla. Pour lui, ces citations devront suffire « à démontrer<br />

que les règles graphiques que nous avons adoptées pour la langue d’oc moderne constituent un<br />

système à la fois traditionnel et scientifique hors duquel il ne peut y avoir que pitoyable décadence<br />

et mortelle anarchie. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 129 Écriture du gascon<br />

On voit tout de suite la falsification de l’histoire linguistique et la prétention à être les seuls<br />

vrais disciples de Mistral, appuyés sur la science, et parvenus à « fixer définitivement la graphie<br />

occitane. » Las ! Quatorze ans plus tard, la Gramatica occitana d’Alibert allait proposer une<br />

nouvelle graphie classique et montrer la fragilité des acquis “définitifs” en la matière.<br />

1922 : L’etzemple dos Catalans (I. Girard)<br />

L’année suivante, le même Lo Gai Saber devait publier un article du médecin Ismaël Girard<br />

(1898-1976) donnant en exemple la renaissance littéraire catalane. Sur le fond, rien à dire ici, mais<br />

ce qui est intéressant, c’est d’observer que l’auteur est un <strong>Gascon</strong> commingeois et qu’il écrit dans la<br />

graphie classique de Perbosc-Estieu, sans norme préétablie pour cela, pour autant que je sache. Cela<br />

lui laisse une certaine liberté.<br />

Selon le système Estieu-Perbosc et contrairement à l’usage actuel, /s/ intervocalique est noté<br />

par s : cusoada {vermoulue}, pasats {passés}; corrélativement, /z/ intervocalique est noté par z :<br />

amaroza {amère}, beze {voir} etc. La notation particulière par -th du produit de -ll latin en finale<br />

n’est pas encore prévue : on lit bet {beau}, aquet {ce}, comme chez Palay dans Sant Exupère (cf. p.<br />

126). Mais contrairement à Palay, Girard ne note le son /b/ ou /./ que par b, sans égard à<br />

l’étymologie ou à la tradition romane (trabès {travers}, bita {vie}, abei {aujourd’hui} etc. et tous<br />

les imparfaits comme anaba {allait}, premiaba {récompensait}, etc.); une seule exception non<br />

expliquée, vint {vingt}. Le o prononcé [%] (tròs) se distingue théoriquement par l’accent grave de<br />

celui qui se dit [u] (amaroza); mais il est parfois oublié : beroï {joli}, filologa {philologue}. Pour<br />

les finales en -ia, l’accentuation suit la convention castillane : popularia {populaire} (i sans accent)<br />

se lit par ['arjo] et armonìa {harmonie}, grafìa {graphie} (ì avec accent grave) se lisent par ['io];<br />

mais l’accent manque parfois : poezia aurait dû être poezìa.<br />

/2/ devant e, i est j ou g selon l’étymologie : maje {plus grand}, engèni {génie}.<br />

Le x étymologique est écarté au profit de consonnes marquant son rendu réel : ‘exemplum’ ><br />

etzemple (mais la prononciation réelle est [dz] car la dentale ne peut être que sonore devant [z], ce<br />

qui aurait demandé dz); ‘fixare’ > fitsar {fixer}.<br />

Comme autres solutions intéressantes, on peut observer quaucas {quelques} et acò {ce} notés<br />

par c au lieu de qu; frais {frères}, sans -r, comme pai {père} et mai {mère} à la p. 4 de<br />

L’application… de 1952 (voir p. 144 et Annexe XIII), contre frair, pair, mair aujourd’hui; la<br />

négation no est écrite correctement sans -n (cf. p. 297) et taben {aussi} sans le n intérieur, qui est<br />

muet partout (contre non, tanben aujourd’hui).<br />

Le son /wa/ est noté oa, suivant l’usage gascon multiséculaire : quoate {quatre}, quoan<br />

{quand}; istòri {histoire} est noté sans le -a final étymologique, mais muet sur une grande partie de<br />

domaine gascon; les articles contractés do, dos, pos, so {du, des, pour les, sur le} ont une graphie<br />

tout à fait normale contre l’usage actuel (cf. p. 245).<br />

En somme, une réflexion réaliste appliquée à une langue bien possédée.<br />

1923 : Le lengadoucian literari (L. Alibert)<br />

L’Escolo moundino ne voulait pas être en reste, et voilà que son secrétaire Louis Alibert<br />

publie en 1923 un petit livre d’une cinquantaine de pages, Le lengadoucian literari. Car avant de<br />

passer dans le camp “occitaniste”, Alibert avait été mistralien de stricte observance.


Jean <strong>Lafitte</strong> 130 Écriture du gascon<br />

Les 7 premières sont consacrées a l’Ourtougrafìo. Suit la Fourmaciu del Voucabulari (pp. 8-<br />

26), puis un Gloussari dels Gallicismes courregits (pp. 27-50). La seconde partie sera la base de la<br />

Quatrième partie de sa Gramatica occitana de 1935, Formacion dels mots, et la troisième, mise en<br />

graphie classique occitane, sera reprise comme Lexique des gallicismes corrigés - Glossari dels<br />

Gallicismes corregits dans les Annales de l’I.E.O. de 1957-58. Comme la future Gramatica, il est<br />

écrit en languedocien.<br />

Cela ne concerne évidemment pas le gascon, mais les idées exposées en tête ne manquent pas<br />

d’intérêt dans la mesure où l’auteur tente de concilier tradition et modernité. En voici donc le préambule<br />

(non titré) et les principes généraux énoncés dans un premier titre Avertiments preliminàris.<br />

« Le système orthographique que nous allons exposer est celui de l’ancienne langue<br />

d’oc du XIII e au XVI e siècle, mais à la mode du jour et régularisé.<br />

« Ce système est à la fois phonétique et étymologique : on écrit comme on parle, tout<br />

en tenant compte de l’origine de chaque son. C’est ainsi qu’on note : v ou b, c ou s, ch ou<br />

tg, g ou j, d’après l’étymologie latine et l’usage commun des langues sœurs de la nôtre. Il<br />

ne s’écarte de la graphie classique d’Estieu-Perbosc que par l’abandon des consonnes n et<br />

r finales et l’adoption des voyelles ou pour o sourd (semi-sonnant) et o final atone pour a.<br />

Ces concessions, que certains trouvent malheureuses, sont reconnues nécessaires par les<br />

bâtisseurs de la “langue retrouvée”. Perbosc, lui-même, a écrit dans la préface à ses Contes<br />

populaires de la vallée du Lambon (p. XIV) [cité en français] :<br />

« “Quant à la graphie employée, c’est la graphie traditionnelle de la langue d’oc,<br />

présentée ici sous la forme usuelle adoptée aujourd’hui par la plupart des félibres<br />

languedociens et gascons. Elle ne constitue qu’une demi-restauration, mais elle a<br />

l’avantage d’être facilement intelligible pour tous les lecteurs.”<br />

« Nous ne saurions pas mieux parler en faveur de notre travail. Nous ajouterons que<br />

l’éminent professeur de langue et littérature provençales de l’Université de Toulouse, M. J.<br />

Anglade, s’est prononcé dans ce sens dans sa Gramatico de l’anciano lengo d’Oc (p. 23)<br />

[cité en français] :<br />

« “Seul un compromis entre la graphie ancienne et l’orthographe moderne nous<br />

parait viable.”<br />

« Nous savons que cette façon de voir est celle de la majorité des félibres<br />

languedociens, fidèles disciples des enseignements de Mistral. C’est pour eux que nous<br />

avons voulu résumer les règles de notre graphie. »<br />

Suivent alors les Avertiments preliminàris, en fait quatre principes accompagnés de<br />

développements et d’exemples que je ne reprends qu’en partie :<br />

« I. – Il faut écrire comme on parle sans lettres inutiles ou parasites. » On écrira donc<br />

counta, pè, vint… et non coumpta, pèd, vingt… On ne doublera les consonnes que si elles<br />

sont effectivement prononcées doubles : dissatte, molle.<br />

« II. – Il faut employer les mots dans la forme traditionnelle la plus courante dans<br />

notre dialecte. »<br />

« III. – Chaque mot sera représenté tel qu’il est prononcé quand il est tout seul. »<br />

C’est-à-dire qu’on ne note pas les altérations de phonétique syntaxique.<br />

« IV. – Les lettres x, y, w et les groupes ch, ph, rh, th grecs seront supprimés. […] H<br />

du latin sera aussi supprimé. » Ce sont des simplifications classiques dans les langues<br />

romanes; mais si x doit être normalement remplacé par ss ou s- (eissemple, eissistenso,<br />

Savier) « on pourra conserver x dans quelques mots savants comme : examen, axiome,<br />

axile, etc. ».<br />

La présence du second principe, qui ne relève pas de la graphie mais de la sélection pour la<br />

langue littéraire montre que l’auteur ne maitrise pas encore la distinction entre les deux ordres de<br />

“normalisation”. Et le traitement différent du x selon que le mot est savant ou nom ouvre la porte à<br />

bien des désordres; au demeurant, un élève qui prépare des “examens” et étudie dans un livre illustré


Jean <strong>Lafitte</strong> 131 Écriture du gascon<br />

d’“exemples” aura du mal à comprendre pourquoi examen est savant et eissemple, non…<br />

Mais au niveau de la réflexion pragmatique, ce compromis souhaité par J. Anglade aurait sans<br />

doute mérité un meilleur sort.<br />

III – Bernard Sarrieu et l’Escolo deras Pirenéos<br />

C’est dans Era bouts dera mountanho, revue de l’Escolo deras Pirenéos (cf. p. 77), qu’on<br />

trouve l’essentiel de l’œuvre publiée du <strong>Gascon</strong> commingeois Bernard Sarrieu. Pour le reste, cet<br />

infatigable travailleur a laissé des kilos de papiers inachevés d’où les époux Ponsolle ont tiré en<br />

1977 un gros ouvrage apologétique, Bernard Sarrieu, Morceaux choisis.<br />

Comme Palay, Sarrieu fut d’abord séduit par les idées de Perbosc, ancien élève de son père à<br />

l’École normale de Montauban; mais il entendait que l’on prononçât r les r, o les o et a les a (Terro<br />

d’Oc, Mai 1905, p. 65). Il va longuement exposer sa pensée sur la graphie dans un article écrit en<br />

1921, La graphie de la Langue d’Oc et la langue commune d’Occitanie, mais qui ne sera publié<br />

que trois ans plus tard (La Revue méridionale, VI, 1, 15 mai 1924, pp. 46-60).<br />

Il présente d’abord les trois tendances qui partagent le Félibrige, la localiste qui cultive le parler<br />

d’un petit pays, la dialectaliste, qui cultive un dialecte relativement unifié à travers une grande<br />

région d’Occitanie et l’unificatrice qui compte arriver à une « langue commune, du moins une<br />

langue littéraire commune, telle que fut celle des Troubadours », soit par extension du provençal<br />

mistralien à toute l’Occitanie, soit, comme le conçoivent « ceux qui dirigent à Toulouse l’Escòla<br />

Occitana » , une langue d’oc commune qui règnerait « sur tout le territoire occitanien, de Nice à<br />

Bayonne et de Limoges à Valence et aux Baléares. » C’est pour Sarrieu « un premier fait<br />

essentiel », auquel s’ajoute un autre « également positif » : il trouve donc positif ce qui vient d’être<br />

dit; mais quoi ? la division en trois tendances ou l’espoir d’une langue commune s’étendant jusqu’à<br />

Valence ?<br />

En tout cas, le second fait positif est que tous les parlers vivants sont cultivés et que nul ne<br />

songe à les faire disparaitre, la langue commune devant s’édifier à partir d’eux. Et de préciser :<br />

« Si un parler local (ainsi en a-t-il été du gascon de Bordeaux, — dont les faubourgs<br />

il est vrai ont été regasconisés…) vient à disparaître, c’est le lien d’attache qui disparaît<br />

entre ce point et le reste de l’Occitanie. Si les parlers locaux se ruinaient, ce seraient les<br />

bases de notre édifice qui s’écrouleraient (Voy. La terro d’Oc, Mai 1905, p. 65-71). »<br />

Et de la coexistence, en fait et en droit, de « parlers locaux, dialectes littéraires et langue<br />

commune », tous écrits, Sarrieu conclut que l’idéal est l’adoption d’« UN SYSTÈME UNIQUE DE<br />

NOTATION, qui aille bien pour toutes ces formes de notre langue, qui puisse les noter toutes d’une<br />

manière suffisamment exacte. » Il ne s’agit pas pourtant d’écrire un même “mot” de façon<br />

identique, quelles que soient ses réalisations phonétiques; mais bien de noter toutes ces réalisations<br />

par un même code oral-écrit, de telle façon que le code inverse écrit-oral permettra de restituer la<br />

parole vivante en chaque lieu, parce que chaque lecteur « retrouvera chez tous les mêmes signes,<br />

avec à peu près exactement la même valeur ». Donc pour un même “mot”, pas de graphie<br />

“englobante” se lisant différemment selon les lieux, mais autant de graphies particulières que de<br />

réalisations, chacune se lisant partout suivant le même code.<br />

Or ce système existe, c’est celui que les Félibres provençaux ont mis au point pour noter leur<br />

provençal, et qui « pouvait servir de modèle analogique à la notation de tout autre parler ou dialecte<br />

par des Félibres conscients. » C’est d’ailleurs ce qui s’est passé « avec quelques flottements, par


Jean <strong>Lafitte</strong> 132 Écriture du gascon<br />

exemple pour gn ou nh, pour la notation de s, ss ou ç, pour quelques finales (e béarnais), mais<br />

suivant tous une direction commune. » Et c’est dans cette voie qu’il faut, à son avis, persévérer.<br />

Après cette marche d’approche de six pages un tiers, Sarrieu formule des propositions<br />

concrètes pour « noter des dialectes plus divers que ceux auxquels ils [les initiateurs du Félibrige]<br />

ont pu songer d’abord. » Deux moyens techniques, « une très légère augmentation du nombre de<br />

signes » et « un emploi un peu plus large des accents », une orientation de fond, « en tenant compte<br />

de l’usage et de l’étymologie », et un vœu pieux « une entente finale, résultant d’un examen sincère<br />

et éclairé des questions posées, sinon d’un congrès expressément réuni à cet effet ».<br />

On voit déjà l’utopie : les signes et accents relèvent de l’art de l’imprimerie, aujourd’hui de<br />

l’informatique, et outre la complication de leur enseignement, on voit mal comment des parlers minorisés<br />

pourraient obtenir leur réalisation dans la production “industrielle” des écrits; l’usage n’est<br />

pas toujours en accord avec l’étymologie, il faudra donc choisir (ex. les finales en -às, -ís, -òs… de la<br />

graphie classique, fondées sur un usage multiséculaire… mais contraire aux étymologies en -aceu,<br />

-iceu, -oceu, etc.); enfin et surtout, une entente dans le monde d’oc, si peu porté en fait à l’étude linguistique<br />

(« examen sincère et éclairé des questions posées ») est hélas du domaine du rêve, comme<br />

la réunion d’un congrès qui ne pourrait que consacrer l’indispensable travail d’études préalables…<br />

Suivent des propositions, ou plutôt des suggestions concrètes, à commencer par la notation du<br />

-n vélaire gascon, tout simplement par le signe de l’A.P.I. déjà utilisé par l’abbé commingeois<br />

Honoré Dambielle, puis du /w/ après q ou g et intervocalique etc. Mais il ouvre bientôt la porte aux<br />

graphies “englobantes” écartées plus tôt : on peut admettre « sans grand inconvénient » que la<br />

précision ne soit pas complète et que l’on écrive, comme l’avait proposé J. Ronjat, agu, {eu} ce que<br />

tel dialecte prononce adyu, « il suffira de prévenir ». Bien évidemment, Sarrieu ne dit pas si les<br />

locuteurs de ce dialecte sont d’accord…<br />

Finalement, une sorte de brain storming qui n’est pas inintéressant, où l’on peut trouver<br />

l’exposé de certains problèmes dont l’auteur avait eu connaissance et qui donne des idées pour les<br />

résoudre, mais resté sans suite.<br />

Quant à la graphie classique, appelée alors trobadorenca, Sarrieu l’accepte « comme entrant,<br />

à titre d’application particulière possible, dans le système » qu’il propose. « Seulement, alors, si on<br />

écrit des a, des o, des n, des r et des s, qu’on les prononce a, o, n, r et s. » Et de rejeter à nouveau la<br />

lecture multiple d’un même graphème :<br />

« Sans doute, pour les initiés, — et seuls dans ce cas le sont suffisamment, pour<br />

chaque texte, ceux qui connaissent par avance le dialecte qui s’y trouve vêtu à la néoromane,<br />

— le passage de ce dialecte noté en grafia trobadorenca à sa prononciation<br />

courante n’est guère difficile; mais, pour peu que l’on ne soit pas de l’endroit même ou des<br />

environs, cela ne saurait réussir parfaitement. Tous ces a sont-ils des a, des e ou des o dans<br />

le dialecte réel, tel que l’auteur le prononce et tel qu’il faudra, à l’occasion, le chanter ? (cf.<br />

en graphie béarnaise : Tous ces e sont-ils des e fermés atones, des “e muets”, à la<br />

française, des a ou des o ?…). […] En outre cette graphie entraine des modifications dans<br />

le langage lui-même, […] parce qu’elle introduit pour la vue des consonnes finales qu’elle<br />

tend malgré tout à faire prononcer, en les écrivant. »<br />

L’aspect pédagogique n’est pas oublié non plus :<br />

« la graphie “trobadorenca” ne saurait convenir, comme transportant dans la langue<br />

actuelle la graphie de l’ancienne langue sans les adaptations nécessaires, et rendrait bien<br />

difficile l’enseignement aux enfants. » (Sarrieu, 1977, p. 25).


Jean <strong>Lafitte</strong> 133 Écriture du gascon<br />

Tout cela, pour la théorie; mais concrètement, quelle fut la graphie de Sarrieu ? Il en a changé<br />

au cours des ans, comme fruit de sa réflexion et de ses progrès dans la connaissance de la langue.<br />

On peut du moins se référer aux Règles principales de l’orthographe gasconne des Morceaux choisis<br />

publié en 1977 (pp. 63-65) : en fait, un phonétisme rigoureux avec les graphèmes du français<br />

pris très généralement pour leur valeur française : /// noté dj; /1/, ts; /0/, tch. C’est particulièrement<br />

sensible dans la notation de l’article masculin qui est etch, edj ou et suivant le début du mot qui<br />

suit. Le ç est utilisé. Les finales féminines sont en -o au singulier, mais en -es au pluriel [es],<br />

comme en aranais “classique” (voir p. 159) : mountanho, mountanhes. Et le /e/ atone est e, mais<br />

tonique, é : enténe.<br />

Font exception : /&/, lh; /'/, nh; mais la mouillure qui disparait au pluriel n’y est donc pas<br />

notée : biélh, biéls; -[sjun], cioun; les diphtongues, notées ai, èi, ei etc. au, èu, eu, ôu… On<br />

remarque l’accent circonflexe, qui se sépare du òu de Mistral et de l’E.G.F.; mais il s’agit là<br />

semble-t-il d’une façon d’éviter ò adopté par la graphie classique; on lit donc bôsc, liô (lune) etc.<br />

Donc une graphie de filiation mistralienne, mais qui se veut distincte de celle de l’Escole<br />

Gastou Febus, sans raisons évidentes sur plusieurs points. Mais tout cela n’est plus que de l’histoire<br />

ancienne…<br />

IV – Philadelphe de Gerde (vers 1930)<br />

Après l’échappée classique de Palay et hormis Girard établi à Toulouse, les <strong>Gascon</strong>s étaient<br />

plutôt réticents devant le mouvement incarné par l’Escòla occitana (cf. p. 128) qui privilégiait<br />

grandement le languedocien. L’exception, ce sera Philadelphe de Gerde (1871-1952), qui portait le<br />

deuil de la défaite de Muret en 1213, … et n’appréciait pas trop le monde de l’Escole Gastou<br />

Febus. Mais semblant ignorer l’expérience gasconne de Girard (cf. p. 129), Philadelphe va se<br />

renseigner auprès de Perbosc pour essayer d’en appliquer les règles à son dialecte bigourdan. Ce<br />

n’est pas facile cependant; le 24 janvier 1930, elle écrit à l’abbé Salvat (Salvat, 1963, p. 184) :<br />

« Ce misérable <strong>Gascon</strong> a mauvaise tête : quand on croit le tenir, il vous échappe ! et<br />

il marche sur toutes les règles à grandes enjambées. Ainsi, pour la r de l’infinitif, après<br />

l’avoir prise dans ma seconde copie, je l’ai lâchée dans ma troisième comme vous le<br />

verrez. Et j’en ai du regret ! Mais vraiment, pensez-vous que je la puisse prendre quand je<br />

dois dire : yurà-n (en jurer), emparà-u (l’étayer), trobà-u (le trouver), aperà-d ome<br />

(appeler l’homme) ? […]<br />

« Et pour le v donc, car nous ne pouvons pas dire comme vous, Languedociens, que<br />

le v se prononce toujours b… puisqu’il se prononce tantôt b tantôt w… Je sens que si je<br />

fais un quatrième manuscrit, je reprendrai ce w, gardant le v” pour remplacer le b<br />

seulement; et je dirai : cantaua, parlaua, disèua, etc. Qu’en pensez-vous ? ».<br />

Aussi son recueil Eds crids (1930) s’ouvre-t-il successivement par un Avertissement, des<br />

Règles pour la lecture occitane et une Note relative à la graphie du présent livre. L’Avertissement<br />

est un exposé historique et linguistique sur la Langue d’oc, le Félibrige et la nouvelle orientation<br />

“occitane”, avec son système orthographique; il est co-signé par tous les membres d’un « comité<br />

d’édition » présidé par la poétesse et comptant le Pr. Joseph Anglade, Armand Praviel, l’éditeur<br />

Édouard Privat et l’abbé Salvat.<br />

Le résultat de cette adaptation délicate, c’est quelque chose d’intermédiaire entre la graphie<br />

fébusienne et celle de Perbosc-Estieu. Voici par exemple en vis-à-vis la version originale de la<br />

première strophe de Bernadeta (1913) et sa version “classique” de la 2 nde édition (1934) :


Jean <strong>Lafitte</strong> 134 Écriture du gascon<br />

ED BRÈS ED BRÈS<br />

Que cànti uo choio de nousto Que cànti ùa chòia de nosta<br />

Qui, pèd-descausso, à trabès brousto, Qui, pèd-descausa, à travès brosta,<br />

Peds terres e peds arrabents, Peds terrès e peds arrabents,<br />

Puro de ouelhs, sano d’aurelhos, Pura de oelhs, sana d’aurelhas,<br />

Gaitè ras crabos e ras ouelhos, Gaitè ras crabas e ras oelhas,<br />

Dentiò doutze ans, per touts eds bents. Dentiò dotze ans, per tots eds vents.<br />

Que cànti uo choio tant praubo Que cànti uo chòia tant prauba<br />

Que cado dio, at saut de r’aubo, Que cada dìa, at saut de r’auba,<br />

Tant que mes de heret hasè, Quand mes de heret e-hazè,<br />

Enta que-s cauhèsson à suo, Entà que-s cauhèsien à sùa,<br />

Anabo couelhe, aro u, aro uo, Anaba coelhe, ara u, ara ùa,<br />

Ed boues que-d aule bent trasè Eds brancs que’d aule bent trazè.<br />

Le changement se limite au -a féminin, à o pour /u/ ou /w/, z pour s intervocalique et s pour ss<br />

intervocalique, nh pour /'/ au lieu de gn (pas d’exemple ici) et à v ou b pour /!/ ou /b/, selon<br />

l’étymologie — mais en renonçant ici, comme en 1913, au -u- intervocalique évoqué dans sa lettre;<br />

au demeurant, en 1913, ouelhs, ouelhos étaient déjà écartés par les normes de l’E.G.F. de 1900-<br />

1905. Mais les infinitifs sont notés sans -r muet (coelhe), comme selon ces mêmes normes; et sans<br />

doute par extension, il en est de même pour tous autres -r muets, comme pour les -n : cò, breso,<br />

maizo, eslo… Les consonnes géminées sont notées doubles, et non suivant l’étymologie : henna et<br />

non hemna; sinne et non signe (p. 130); dinne et non digne (p. 166).<br />

Finalement, à soixante ans passés, l’ardente poétesse voulait bien s’associer au panoccitanisme<br />

de l’Escòla occitana, mais en sauvegardant farouchement sa langue bigourdane… loin de<br />

l’alignement languedocien qui, un instant, avait aveuglé Palay vingt ans plus tôt. Mais de toute<br />

façon, son exemple ne sera pas suivi, témoin historique des difficultés d’une transposition au<br />

gascon de systèmes conçus pour l’occitan du Languedoc.<br />

V – Camélat et les Trovadors<br />

Anticipant un peu sur la chronologie des témoignages cités, il parait intéressant de montrer ici<br />

quelle fut l’attitude des autres félibres gascons face au système Perbosc-Estieu. Bien sûr, Palay en<br />

sera revenu dès 1923 semble-t-il, Bouzet qu’on verra bientôt ne sera que “moderne” dans ses<br />

œuvres pédagogiques. Mais c’est dans la correspondance publiée du Bigourdan Michel Camélat<br />

(1871-1962), secrétaire de l’Escole Gastou Fébus, et de son disciple Armagnacais André Pic (1910-<br />

1958), professeur d’espagnol, que l’on trouve les marques les plus nettes de la défiance du grand<br />

écrivain gascon devant l’entreprise de ceux qu’il désignait comme « les Trovadors ».<br />

Lettre de Pic à Camélat du 17 juin 1932 (Pic, 1976, p. 180) :<br />

« J’ai aussi aimé l’hommage à Perbosc; mais j’aurais aimé que vous me disiez un<br />

mot de son orthographe. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à la vérité, le béarnais a toujours été<br />

à part : donc sa langue n’a pas à se plier à des systèmes étrangers; son évolution est<br />

normale. Le Béarn a été une nation, pleinement; il a un passé; les autres pays d’Oc, non. »<br />

Lettre de Camélat à Pic du 30 novembre 1948 (Camélat, 1967, p. 71) :<br />

« … Et Oc ? je l’ai lu comme toi, avec le regret de voir comment Ismaël [Girard] et<br />

ses compagnons veulent (tout comme les 7 Toulousains du XIV e siècle) faire revivre une<br />

langue morte, et qui n’a jamais existé nulle part, et l’habiller d’une graphie d’écrivassiers<br />

antiques.<br />

« Il me semble qu’il ne faut pas essayer de discuter avec ces jeunes gens qui sont<br />

sûrs d’être dans le vrai. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 135 Écriture du gascon<br />

Lettre de Camélat à Pic du 1 er mai 1950 (ib., p. 75) :<br />

« Et donc, si nous parlions d’un Estieu, d’un S., d’un Boussac ? des gens qui n’ont<br />

que le prurit de se mettre en avant. »<br />

Lettre de Camélat à Pic du 7 juillet 1952 (ib., p. 82), à propos de l’élection de quatre<br />

majoraux mistraliens à la Ste-Estelle de Clermont, contre quatre « trovadors » :<br />

« Les amis des “trovadors” l’ont bien cherché, un tel coup de houssine : les<br />

Provençaux ont perdu patience et ont dit “Maintenant, c’est assez !” »<br />

Lettre de Camélat à Pic du 16 janvier 1955 (ib., p. 95), après la publication en graphie<br />

occitane par la maison Aubanel, en 1953, de morceaux choisis de Théodore Aubanel (1829-1886) :<br />

« Je me suis laissé abuser [mot à mot, “couillonner”] par les Occitans, et, ainsi,<br />

Aubanel père qui a viré vers les Estieu-Salvat m’a mis dans le comité d’honneur (!) du prix<br />

Aubanel. De là, Teissier m’a expliqué ce qui en était et que je ne pouvais savoir, puisque je<br />

suis à tant de lieues de la Provence. Enfin, compte bien, toi qui le sais — que je reste<br />

Mistralien et que je ne sépare pas, même au point de vue graphique, les deux maitres<br />

d’Avignon et de Maillane. »<br />

À la même époque, sans doute, il disait un jour à Roger Lapassade, « au sujet de la graphie<br />

normalisée […] “Mais, surtout, ne sois pas trop pressé !” » (Lapassade, 1971).<br />

Pourtant, sept ans plus tard, l’I.E.O. publiait dans sa graphie classique une édition du chefd’œuvre<br />

de Camélat, Beline, avec cette note liminaire :<br />

« Cette nouvelle édition de Beline a été revue par l’auteur et constitue selon lui<br />

l’édition définitive. L’établissement du texte en orthographe occitane, l’étude des variantes<br />

et les notes sont l’œuvre de Pierre Bec. La traduction française est de Pierre Bec et de<br />

Robert Lafont – 1962 »<br />

… tandis qu’à Pau paraissait une autre édition en graphie moderne achevée par cette note :<br />

« Ce quatrième tirage de Béline a été imprimé le 31 octobre de l’an de grâce 1962<br />

par Marrimpouey Jeune, Imprimeur à Pau, pour Michel Camélat d’Arrens. »<br />

Camélat, qui devait quitter ce monde le 18 novembre, avait-il perdu la tête ? ou l’un des deux<br />

éditeurs a-t-il menti ? Je n’ai pas été en mesure d’en savoir plus, et le rechercher sortirait trop de<br />

mon propos. Il me parait néanmoins évident que c’est l’édition Marrimpouey qui se situe dans le<br />

prolongement direct de la pensée et de la pratique de Camélat pendant sa longue vie.<br />

11 – Jean Bouzet et son Manuel de grammaire béarnaise (1928)<br />

Jean Bouzet (1892-1954) était agrégé d’espagnol, auteur notamment d’une grammaire<br />

espagnole réputée. Originaire de Pontacq à l’est du Béarn, il avait rédigé à la fin des années 20 une<br />

grammaire béarnaise dont l’Escole Gastou Febus ne put financer qu’une édition réduite, le Manuel<br />

de grammaire béarnaise - Édition spéciale pour les écoles (1928). Les deux premiers chapitres (pp.<br />

7-11) traitent de la graphie, ou plus exactement de la lecture de ce qu’on pourrait penser être la<br />

graphie de l’E.G.F.<br />

Le premier chapitre traite de l’accent tonique de façon assez claire : les mots terminés par -a,<br />

-e et -i sont normalement paroxytons, par -o et -ou ou par une consonne (hormis -s et -n, ce dernier<br />

dans les 3 èmes personnes des verbes), oxytons. S’il n’en est pas ainsi, un accent graphique marque la<br />

voyelle tonique. On remarque que le -u final et les diphtongues sont oubliés. Mais le cas des<br />

groupes verbe + enclitiques est traité (rares sont les grammaires qui le font).


Jean <strong>Lafitte</strong> 136 Écriture du gascon<br />

Est en outre précisé l’usage de l’accent comme diacritique de monosyllabes homographes;<br />

porte l’accent le mot « qui a le rôle le plus important dans la phrase »; en fait, ne le portent pas les<br />

mots grammaticaux : a, de (prép.) mais à, dé (verbe); donc, pour a / à, c’est le contraire du<br />

français… et de ce qu’ont pratiqué tous les Félibres… En outre, les exemples « la mà la mer ou la<br />

main » et « la là la laine » ne notent plus la nasalisation dans ce que les normes de 1900 et 1905<br />

faisaient écrire la mâ pour la main, la lâ pour la laine.<br />

On apprend qu’il y a un -a final atone qui « n’a gardé son timbre primitif que dans la région<br />

est du Béarn (Pontacq, Ger) et sporadiquement dans les hautes vallées pyrénéennes. » Ailleurs,<br />

nous le savons, c’est o ou « e final du fr. utile ». Plus loin, nous apprenons aussi incidemment<br />

l’usage de ç.<br />

Donc, subrepticement en quelque sorte, Bouzet introduit les accents diacritiques que<br />

n’avaient pas prévus les règles de 1900 et 1905 et le ç que celles de 1905 avaient expressément<br />

exclu, mais ne note plus la nasalisation des finales, malgré ces normes. Plus gravement encore, il<br />

substitue le -a final atone au -e seul retenu par ces mêmes règles. On a expliqué ce dernier choix<br />

par l’origine personnelle de Bouzet, et par son ouverture au courant classique qui travaillait le<br />

monde d’oc depuis quelque trente ans. Mais comme Palay, nous le verrons bientôt, n’en retiendra<br />

dans son Dictionnaire que le ç, il y aura donc désormais, sur la finale féminine atone et les voyelles<br />

finales nasalisées, un divorce étonnant entre la grammaire et le dictionnaire de la même Escole<br />

Gastou Febus. On ne peut dire que ce soit recommandable pour la pédagogie !<br />

12 – Simin Palay et son Dictionnaire (1932)<br />

Et au même moment, ce sont les règles de l’E.G.F. que Simin Palay (1874-1965), capdau de<br />

l’Escole depuis 1923, allait appliquer dans son fameux et indispensable Dictionnaire du béarnais et<br />

du gascon modernes dont le premier tome parut en 1932. L’ouvrage s’ouvrait sur une courte<br />

Préface suivie d’un Avertissement un peu plus long, principalement consacré à des explications sur<br />

la graphie. Au demeurant, la seconde édition de l’ouvrage, publiée par le CNRS en 1961, contient<br />

le même Avertissement, à deux alinéas près : le premier de tous, modifié pour étendre le domaine<br />

de la langue présentée du Bassin de l’Adour à l’ensemble de la Gascogne linguistique, et le premier<br />

du titre Orthographe, supprimé; or il était ainsi rédigé :<br />

« Bien que le Dictionnaire soit destiné surtout à nos compatriotes des régions de<br />

l’Adour et des Gaves, nous ne pouvions pas oublier qu’il existe, en dehors de notre pays,<br />

des grammairiens, des linguistes, des littérateurs qui s’intéressent à nos dialectes; aussi, à<br />

leur intention, avons-nous ajouté quelques indications graphiques et phonétiques qui<br />

faciliteront leur travail, nous l’espérons du moins. »<br />

On comprend un peu sa suppression dans la mesure où il ne s’adressait qu’aux <strong>Gascon</strong>s « des<br />

régions de l’Adour et des Gaves », mais la suite était essentielle pour comprendre ce qu’on a appelé<br />

« la graphie de Palay », comme nous allons le voir tout de suite.<br />

De la notation des consonnes finales amuïes<br />

On sait que le trait qui oppose le plus les graphies classiques aux graphies modernes est<br />

l’écriture de consonnes étymologiques amuïes. Or Palay écrit à ce sujet dans l’Avertissement :<br />

« Toutes les consonnes doivent être prononcées. […] Il en résulte inversement que<br />

l’on n’écrit que les lettres qui se prononcent réellement. Mais, dans le Dictionnaire, pour la<br />

raison que nous avons dite plus haut, on trouvera parfois, entre parenthèse, la consonne


Jean <strong>Lafitte</strong> 137 Écriture du gascon<br />

étymologique. Ex. Car(n) = chair, du latin carnem. - Poun(t) = pont, du latin pontum,<br />

etc. »<br />

On pardonnera au latiniste qu’il n’était pas ce barbare *pontum fidèlement recopié depuis<br />

1932, mais on est en droit de lui demander où se trouve cette « raison que nous avons dite plus<br />

haut ». À mon avis, cela ne peut être que dans l’alinéa de 1932 supprimé en 1961, de telle sorte que<br />

nous avons aujourd’hui affaire à un renvoi dans le vide.<br />

En effet, cet alinéa justifiait « quelques indications graphiques » — ce que sont justement ces<br />

consonnes finales entre parenthèses — comme destinées aux grammairiens, linguistes et littérateurs<br />

qui « en dehors de notre pays […] s’intéressent à nos dialectes ». Rien ne disait qu’elles fussent<br />

destinées à l’écrit gascon si on ne les entend pas. C’est ce que confirment les préambules des lettres<br />

N et T et encore plus la pratique de Palay dans les exemples : fidèle à la notation des seules consonnes<br />

qui s’entendent, il veut qu’on écrive poun ou pount, car ou carn selon que l’on entend [pun,<br />

kar] ou [punt, karn], la condition nécessaire de ces dernières prononciations étant la liaison avec un<br />

mot débutant par une voyelle : on dit aussi bien [pun es'tret] que [punt es'tret] selon les lieux; de<br />

même, à l’article car(n), Palay écrit qu’èm de car e d’os sans -n en liaison, et jou la carn e tu lous<br />

os, avec liaison. En fait d’ailleurs, cette notation entre parenthèses de consonnes étymologiques<br />

finales ne se trouve que dans moins de cent entrées du Dictionnaire :<br />

3 mots en -m(b) ou -m(p) : loum(b); càm(p), trém(p);<br />

1 mot en -s(c) : bos ou bosc [ici, Palay n’use pas de la parenthèse];<br />

1 mot en -n(d) : chalàn(d);<br />

14 mots en -ar(d) : arnàr(d), arretàr(d), asàr(d) [mais hasar], bar(d), bastàr(d), brancàr(d),<br />

broulhàr(d), dar(d), far(d), foulàr(d), palhàr(d), par(d), tar(d) [et retàr(d)];<br />

2 mots en -er(d) : bér(d) [et entre-bér(d)];<br />

9 mots en -or(d) : acòr(d) [et racòr(d)], bor(d) [et abòr(d), d’abòr(d), desbòr(d),<br />

estrambòr(d), faus-bor(d) et plat-bor(d)];<br />

2 mots en -our(d) : sour(d), tour(d);<br />

1 mot en -(g) : can(g), faus-bour(g) [mais bourg];<br />

3 mot en -r(n) : car(n), còr(n) [et recòr(n)], tour(n) [mais retour];<br />

2 mots en -(r) : bire-ca(r), du(r)<br />

5 mots en -c(t) : courrèc(t), dirèc(t), respèc(t), souspèc(t), tac(t)<br />

21 mots en -n(t) : can(t), cap-d’abàn(t), cén(t), clien(t), dén(t), jun(t), parén(t), pen(t), plan(t),<br />

porte-lan(t) [mais lant], poun(t) [et perpoùn(t)], pun(t), quen(t), quin(t), quoàn(t), reboùn(t), san(t),<br />

scién(t), sén(t), tan(t);<br />

1 mot en -m(pt) : exém(pt)<br />

21 mots en -r(t) : countre-espèr(t) [mais espèrt], cour(t), cubèr(t) [et descoubèr(t)],<br />

descounòr(t), desèr(t), dessèr(t), escàr(t), espàr(t), for(t) [et counfòr(t), recounfòr(t), renfòr(t)],<br />

fur(t), par(t) [et despàr(t)], rapòr(t), repor(t), sor(t), tor(t), ubèr(t);<br />

2 mots en -s(t) : cos(t), parrabàs(t)<br />

Cette liste est en principe exhaustive, mais on voit par quelques exemples que certains mots<br />

simples ne sont pas traités comme leurs composés, et bos / bosc aurait dû être noté bos(c); et il y en<br />

a sans doute quelques autres ainsi.<br />

Donc, pour Palay, comme pour l’E.G.F. depuis 1900 (cf. p. 120), les consonnes ne s’écrivent<br />

que si on les prononce. Pour le reste, que dire de la « graphie de Palay » ?


Jean <strong>Lafitte</strong> 138 Écriture du gascon<br />

Palay et les problèmes pendants<br />

Certains problèmes demeuraient pendants depuis 1905; qu’a fait Palay ?<br />

– pour le -e final, Palay distingue le -e prononcé [e] dans le sud-est gascon du -e “féminin”<br />

qui y vaut [o ou a] en plaçant un point sous le premier : (gab", crabe); et il renforce l’opposition en<br />

mettant un accent sur la voyelle tonique qui précède : gàb"; mais ce dernier diacritique est double<br />

ment “neutralisé” parce que :<br />

– d’une part, de nombreux mots en -e “féminin” ont un e ouvert à la pénultième, qu’on ne<br />

peut noter autrement que par è : lèb", mais que’s lhèbe (il se lève); bère, etc.<br />

– d’autre part, en fait, Palay a noté des accents tout-à-fait superflus sur la pénultième de<br />

près de 300 mots en -e féminin : absénce, baticoùmbe, cébe, descénte, etc.<br />

– pour le ou tonique, Palay l’a aligné sur les autres voyelles, donc noté où s’il est “pur”, oû<br />

s’il est nasalisé : coùrr", pastoù, carboû, layroû; donc problème résolu, et bien;<br />

– l’h muet, Palay l’a complètement écarté, en principe du moins (cf. p. 323) : « N’est pas<br />

employée comme muette » (Préambule de la lettre H);<br />

– mais rien ne distingue le -n vélaire (biro-marquin, bluhoun, bourroun, caferoun, camoun,<br />

capdelaran, etc.) des mots “gascons” du -n dental de tous les parlers (ardoun, augan, barrabinbarraban,<br />

engan, praubin, etc.);<br />

– ni le e légèrement nasal du é pur tonique, comme il l’était en 1900.<br />

Palay a donc bien réglé deux des cinq problèmes pendants. On doit aussi mettre à son actif<br />

l’usage du ç, réintroduit par Bouzet : abançà, açò, ahounçà, bençùt, coumberçà, fayçoû, etc.<br />

En revanche, sa fidélité à ces règles… et peut-être aussi son souci de semer les accents de<br />

repérage comme le Petit Poucet les cailloux, lui ont fait maintenir l’inutile accent aigu sur le é<br />

tonique en pénultième de mots terminés par -e(s) ou -"(s) : estéle, créd"…<br />

Il en a même rajouté, avec les non moins inutiles accents sur la voyelle forte des<br />

diphtongues : abadiàu, abancìu, apèu, aquìu, héus, etc.; abarréys, afàyt, anoéyt., arày, arrisòy,<br />

arroùy, coùy, etc. et les innombrables mots en -àyr".<br />

Camélat l’avait d’ailleurs critiqué sur ce point :<br />

« Dommage que le Capdau, malgré l’avis d’hommes sages comme Lacaze, Laborde,<br />

etc., ait semé les mots d’accents à tort et à travers. Certes, il veut marquer la tonique, mais<br />

il a beau dire, il est le seul à avoir ainsi changé la face des mots. (Lettre du 9 aout 1932 à<br />

André Pic, Camélat, 1967, p. 9).<br />

Au demeurant, Palay lui-même n’a jamais usé de tels accents dans ses propres écrits, même<br />

après la publication du Dictionnaire en 1932.<br />

On peut aussi considérer comme une innovation par rapport aux règles de 1905 le fait qu’il ait<br />

remplacé le -e féminin par -o dans les mots qu’il a jugés propres à des régions gasconnes qui le<br />

réalisent par [o]. Or les règles de 1900 l’avaient totalement exclu (« Dans tous les cas l’orthographe<br />

par e est uniforme. ») et celles de 1905 s’étaient bornées à le mentionner comme la pratique de<br />

« quelques auteurs », à raison d’influences extérieures au gascon cf. p. 124). En admettant ce -o au<br />

même titre que le -e général, Palay a peut-être voulu contenter l’est gascon 23 , mais a péché contre<br />

la graphie vraiment englobante souhaitée au début du siècle.<br />

23 Pourtant, A. Sarrail a fait remarquer que de 1910 à 1914, La bouts de la terre n’admettait que le -e, sans pour autant<br />

manquer de rédacteurs ni d’abonnés en Bigorre et Armagnac (Sarrail, 1980, p. 21, note).


Jean <strong>Lafitte</strong> 139 Écriture du gascon<br />

Enfin, tandis que les règles de 1900 ignoraient le mot même d’étymologie et que celles de<br />

1905 n’usaient que trois fois du mot étymologique pour caractériser des lettres non écrites si elles<br />

étaient amuïes, ou écrites si on les entendait, Palay se réfère assez souvent à l’étymologie pour<br />

préférer une graphie à une autre (p. ex. « D; consonne. — À la fin de certains mots où on le<br />

conserve par tradition étymologique, d sonne comme t : red, froid; nud, nu »; sès" est une<br />

« Mauvaise graphie de cés", pois. »); et même, pour le choix entre j et g devant e et i, « on juge<br />

préférable ordinairement de se conformer à l’orthographe étymologique. »<br />

L’apport de Palay<br />

De tout cela, je tire deux conclusions :<br />

– d’abord, contrairement à l’avis d’A. Sarrail, « L’apport propre de Palay est de peu de<br />

valeur, je crois, dans la graphie. » (op. cit, p. 19), je considère comme très “positives” ses trois<br />

innovations (accentuation du ou tonique, suppression de l’h muet et adoption du ç), aussi bien que<br />

la référence étymologique pour certains choix de consonnes; tout en regrettant la porte trop ouverte<br />

au -o féminin;<br />

– ensuite et surtout, il ne faut absolument pas considérer qu’il existe une « graphie de Palay »<br />

et prendre son dictionnaire pour un dictionnaire orthographique : c’est un immense recueil de<br />

formes gasconnes dont il a essayé de rendre au mieux la prononciation, suivant les règles de<br />

l’Escole Gastoû Febus, tant soit peu amendées sur trois points, et complétées par des « indications<br />

graphiques et phonétiques » destinées aux érudits non-<strong>Gascon</strong>s.<br />

13 – Les Règles orthographiques de la Société d’Études Occitanes (1942)<br />

Après la parution du Dictionnaire de Palay, il faut attendre les mesures du Gouvernement de<br />

Vichy de fin 1941 en faveur de l’enseignement des langues “dialectales” (cf. p. 65) pour qu’on se<br />

préoccupe à nouveau de règles orthographiques du gascon.<br />

Dès 1942, Ismaël Girard (cf. p. 129) publie en vue de cet enseignement une Anthologie des<br />

Poètes <strong>Gascon</strong>s d’Armagnac, d’Astarac, de Lomagne, d’Albret et de Bas-Comminges; et il y aborde<br />

les questions de graphie : d’abord, en « traduisant, pour le gascon, les principes posés par Louis<br />

Alibert » ; puis « pour plus de clarté et pour être plus complet » en donnant « le tableau, dressé par<br />

M. Louis Alibert, lui-même, des règles orthographiques réformées adaptées au gascon » .<br />

Les principes sont les suivants :<br />

« Rétablissement de l’r étymologique à l’infinitif et dans les mots où cette consonne s’est<br />

effacée pour s’adoucir en o ou en ou : aimar, milhor;<br />

« Rétablissement de l’a final dans les terminaisons féminines;<br />

« Rétablissement de l’o à la place de l’ou français;<br />

« Adoption de nh à la place de gn et [de] lh à la place de ill, etc. »<br />

En bref, ce sont les principes de l’école occitane qui veut un retour à la graphie médiévale.<br />

Quant aux « Règles orthographiques de la Société d’Études Occitanes » pour le gascon, elles<br />

ne font que développer — sommairement — ces principes.<br />

On peut y remarquer les points suivants :<br />

– le o vaut [u] ou [%], le e vaut [e] ou [!] suivant les mots : cor (cò), demora (demoure); seda<br />

(séda), meu (méu, mèu);


Jean <strong>Lafitte</strong> 140 Écriture du gascon<br />

– les graphèmes multiséculaires des diphtongues sont les mêmes qu’à l’E.G.F., à ceci près<br />

que /o*/ est noté ou sans accent (E.G.F. : òu); en particulier, on garde oa pour /wa/ et oe pour /we/ :<br />

dauna (daouna), sou (soou), viu (biou); qoate (kouate), qoand (kouant), goarda (gouarda); hoec<br />

(houék), oelh (ouélh), noeit (nouéit);<br />

– il est précisé que « Dans les mots où nh équivaut à n + h aspirée, on sépare les deux<br />

consonnes par un point : in.her, en.heishar, en.hariar. »;<br />

– de plus, la précision selon laquelle « Gn se prononce comme deux n : digne (dinne). »<br />

implique la substitution d’un gn étymologique au -nn- phonétique;<br />

– dans une optique pangasconne non envisagée par l’E.G.F., on oppose la graphie ch valant [ ]<br />

(mais aussi [#, tj] qu’Alibert semble ignorer) à la graphie (i)sh valant partout [#] : chorra (tchourre);<br />

sheringa (cheringue), eishagatar (echagatà), eishami (échami), coeisha (kouéiche);<br />

– g ou j, h, m et th sont les mêmes qu’à l’E.G.F.;<br />

– le v étymologique prononcé b sera noté v : vielh (biélh), vidauba (bidaube), víver (bibe);<br />

dans les parlers où il est prononcé « u consonne (ou ou w anglais) » entre voyelles, on le représente<br />

par û : viûer (bíoue);<br />

– le -n final amuï et légèrement nasalisant du Béarn et des parlers pyrénéens est rétabli dans<br />

l’écriture, sans accent circonflexe sur la voyelle; il est précisé que « N final persiste ou s’efface : vin<br />

(bi, bin), pan (pa, pan). »;<br />

– bien que cela ne soit pas explicité, les exemples qoate et qoand donnés plus haut montrent<br />

que le u traditionnellement associé au q n’est plus noté (c’était déjà le choix de Pey de Garros);<br />

– allant plus loin que le premier “principe” énoncé par Girard, qui n’envisageait que le -r<br />

amuï, il est précisé que « les consonnes effacées dans la prononciation sont toujours maintenues<br />

dans la graphie : cor (cò), madur (madú), horn (hour), horcs (hours), test (tès). »<br />

– la place de l’accent tonique est clairement précisée : en principe, sont paroxytons les mots<br />

terminés par voyelle suivie ou non d’un s et ceux terminés par -an, -en, -on; les autres sont oxytons;<br />

et on note un accent écrit sur la voyelle tonique dans les mots qui font exception à cette règle.<br />

Si nous nous livrons au même exercice que pour les règles de graphie précédemment<br />

étudiées, nous pouvons classer ces règles suivant quatre orientations :<br />

– reprendre des graphies anciennes abandonnées par la graphie moderne : essentiellement,<br />

rétablissement de consonnes finales étymologiques amuïes (-r, -n, t après -s); ou assimilées (gn au<br />

lieu de nn); -a féminin latin, pourtant abandonné par la graphie médiévale dans plus de la moitié du<br />

domaine; o pour noter /u/, nh pour /'/, même si gn était largement utilisé au moyen-âge; la<br />

diphtongue /o*/ notée ou sans accent; v roman prononcé [!];<br />

– pallier des difficultés qui en résultent : le point entre n et h dans en.hariar et autres;<br />

– simplifier le code de l’écriture : principalement, des règles claires et relativement simples<br />

sur la place de l’accent tonique; suppression du u après q;<br />

– mieux refléter la prononciation actuelle : ch et (i)sh permettent d’opposer des séries de<br />

prononciations différentes.<br />

En outre plusieurs choix des systèmes modernes sont conservés, choix qui, au demeurant, ont<br />

eux-mêmes gardé des graphèmes multiséculaires : diphtongues, g ou j, h, lh, m et th; mais la valeur<br />

[tj] de th n’est pas mentionnée; et le u simple notant le /w/ intervocalique est remplacé par un curieux<br />

û avec accent circonflexe, cependant qu’est ainsi sauvegardée la prononciation en [w]. Et l’on


Jean <strong>Lafitte</strong> 141 Écriture du gascon<br />

ne cherche pas à unifier la langue : « En landais, on a u : huc, ulh, nuit. »<br />

En revanche plusieurs des nouveaux choix sont gros de difficultés de lecture :<br />

– rien n’est dit de la réalisation vélaire du -n ni d’un critère possible entre ce -n vélaire<br />

(paisan, vin…) et le -n dental (engan, un drin, quin…);<br />

– on ne dit pas non plus comment distinguer les -r ou autres qui sont amuïs de ceux que l’on<br />

prononce (la tor, esquèr…); les o valant [u] de ceux valant [o], les e valant [e] de ceux valant [!].<br />

14 – Les Recommandations du Pr. Henri Gavel (1942)<br />

L’Anthologie d’I. Girard ne devait pas être la seule réaction méridionale à l’ouverture de<br />

l’école publique aux langues « dialectales »; à la fin de la même année 1942, le professeur Henri<br />

Gavel (1880-1959), qui fut le maitre de Jean Séguy et Xavier Ravier (Cf. Ravier et Séguy, 1976, 1),<br />

allait publier une étonnante plaquette de 36 pages, les Recommandations concernant la Graphie à<br />

utiliser pour l’Enseignement facultatif de la Langue d’oc. Étonnante, oui, car H. Gavel la signe sans<br />

aucune référence à une quelconque fonction — son titre de professeur d’université n’est même pas<br />

mentionné — ou institution dont il serait le porte-parole — il était pourtant président d’honneur de<br />

la Société d’études occitanes dont nous venons de voir les Règles orthographiques; et plus encore,<br />

parce que le frontispice de la couverture en fait une publication quasi officielle de l’« État Français<br />

- Préfecture de la Région de Toulouse - Bureau du Régionalisme ».<br />

J’aurai l’occasion d’y revenir au Chapitre III, p. 227; mais ici, j’en retiens l’esprit général :<br />

Pour la mise en accord de l’écrit avec l’évolution du parler, « on ne peut formuler de règle<br />

générale; il n’y a que des cas d’espèce, car chaque langue se présente au moment envisagé dans des<br />

conditions qui lui sont propres. » (p. 2). Pour ce qui est de la langue d’oc, on ne peut ignorer le<br />

« hiatus de fait où, sans jamais cesser complètement de servir d’instrument à des œuvres littéraires,<br />

elle n’a été que peu écrite, de sorte que les traditions orthographiques se sont généralement<br />

perdues. » (p. 4). Alors que dans le même temps, « (bien que quelques-uns semblent croire le<br />

contraire), la prononciation de la langue d’oc a notablement changé ». On ne saurait non plus<br />

oublier que « la différenciation dialectale existait dès avant le XII e siècle. » (p. 6).<br />

Et s’agissant d’enseignement, l’auteur pèse les avantages pédagogiques respectifs des systèmes<br />

en présence : « le lecteur à qui la graphie archaïsante est devenue familière arrive rapidement à<br />

lire sans trop de difficulté les textes anciens. » (p. 10); mais la graphie “moderne”, « pas trop<br />

différente de [celle du français appliquée à] la prononciation actuelle », et plus facile à apprendre :<br />

« si, comme tout le monde le souhaite, la langue d’oc pénètre largement dans l’enseignement<br />

primaire, il ne faut pas que son orthographe soit trop difficile pour les jeunes lecteurs. » (ib.)<br />

En pratique, après avoir étudié neuf points sur lesquels les deux types de graphies divergent le<br />

plus, H. Gavel en arrive, pour le gascon, aux prudentes conclusions suivantes :<br />

Pour la notation de /u/, l’auteur est séduit par l’élégance du o opposé à ò pour /o/ ou /%/. Mais<br />

ò, fait-il remarquer, suppose une syllabe tonique, et qui convient donc mal pour le /o/ en syllabe<br />

atone du gascon de Bayonne. En tout cas, il ne pense pas possible d’imposer un changement aux<br />

Provençaux qui notent ou et, finalement, envisage un « moyen terme […] dans lequel l’élément<br />

essentiel de la graphie reste o, tandis que l’u est réduit au rôle d’accessoire. » (p. 30). En tout cas, il<br />

use lui-même très généralement de ou dans les mots qu’il donne librement en exemples : cansou(n),<br />

zou !, oundze [sic], doudze (2 occ.), catourze (3 occ.), cassadou, cou “il court”.


Jean <strong>Lafitte</strong> 142 Écriture du gascon<br />

Pour le produit de l’a latin en syllabe finale atone : « Pour la région d’Orthez, Dax et Bayonne,<br />

nous proposons de garder la graphie e, justifiée par une tradition plusieurs fois séculaire. » (ib.).<br />

En fait, cela concerne la moitié nord-ouest du domaine gascon ! Pour le reste du domaine il<br />

souhaite la généralisation du -a, mais conserve par tolérance « la graphie o, là où elle répond à la<br />

prononciation et où une tradition s’est déjà établie en sa faveur, par exemple en Provence. » (ib.).<br />

Pour le /"/ à la fin des diphtongues, il estime que l’on doit conserver l’y « en Béarn et en<br />

Gascogne [où] il y a eu depuis longtemps une préférence pour l’y » (p. 31).<br />

Pour le /'/, du fait du problème posé au gascon par enhariar et autres, « Depuis longtemps, la<br />

graphie gn a eu les préférences des <strong>Gascon</strong>s […]. Il convient donc que les <strong>Gascon</strong>s continuent à se<br />

servir de gn. De même, les Catalans devront conserver leur graphie traditionnelle n’y. Dans le reste<br />

du domaine d’oc, la graphie nh sera employée de préférence. » (ib.).<br />

Pour la « question du b et du v » dans le domaine gascon, du fait de leur confusion « à<br />

l’initiale dès la fin du XII e siècle au plus tard, l’habitude s’est établie d’écrire uniformément b, sauf<br />

exception pour l’ancien u intervocalique là où il a conservé le son w : on l’écrit alors u : auem,<br />

haues, etc… Il n’y a pas lieu de modifier ces habitudes graphiques qui ne sont que la constatation<br />

de particularités caractéristiques du gascon. » (p. 32).<br />

Pour l’r étymologique amuï en finale, l’auteur est personnellement d’avis d’« opter<br />

résolument pour l’état de choses actuel » car cet amuïssement « est un des traits qui distinguent<br />

nettement la langue moderne de la langue ancienne ». À la rigueur, il suggère une tolérance assez<br />

peu réaliste, d’un r de corps plus petit « dans les imprimés composés à la main ». (p. 35).<br />

Enfin, pour /&/, /s/ et /z/, H. Gavel retient respectivement lh, s/ss ou c/ç selon l’étymologie, s<br />

entre voyelles ou z après consonne, ce qui n’est pas nouveau pour le gascon (pp. 31 et 33 à 35).<br />

On peut cependant s’étonner que l’auteur ait « laissé de côté certaines questions qui [lui] ont<br />

paru moins importantes, comme celle de l’n dite instable. » (p. 28). Bien sûr, il y a unanimité des<br />

systèmes pour ne pas s’en préoccuper, mais c’est une unanimité dans l’erreur, car cela conduit à<br />

faire apprendre des listes (jamais complètes) de mots à -n dental s’opposant à ceux qui on l’-n amuï<br />

ou vélaire, selon les régions.<br />

Ainsi, quarante ans après le grand romaniste Édouard Bourciez, H. Gavel était semble-t-il le<br />

premier professeur d’université à s’être penché sur les normes de la graphie du gascon pour<br />

finalement confirmer les principales options de la tendance moderne représentée par l’Escole<br />

Gastoû Febus et l’Academie gascoune de Bayonne.<br />

Mais ces travaux d’I. Girard, L. Alibert et H. Gavel allaient bientôt sombrer dans l’oubli,<br />

quand l’ordonnance du 9 aout 1944 eut constaté la nullité de l’arrêté “Carcopino” (cf. p. 65).<br />

15 – Les Éléments de grammaire béarnaise de Joseph Courriades (1951)<br />

Arrivé à la retraite, ce professeur agrégé, membre de l’Escole Gastoû Febus, nous a laissé un<br />

petit ouvrage de 60 pages qui voulait sans doute pallier l’épuisement du Manuel de Bouzet, qui ne<br />

serait réédité qu’en 1975. Il utilise la graphie de l’Escole, mais entend donner « un moyen de<br />

distinguer, sans l’aide d’un signe spécial d’imprimerie, l’e béarnais de l’e mi-muet » (p. 3).<br />

En fait, il reprend une idée qu’il attribue à Palay, postérieurement à la première édition de son<br />

Dictionnaire : la voyelle tonique qui précède ce « e mi-muet » sera marquée de l’accent graphique :


Jean <strong>Lafitte</strong> 143 Écriture du gascon<br />

« bébe, boire; abùgle, aveugle; càde, tomber ». Mais, fait-il remarquer, lorsque cette voyelle tonique<br />

est un è ouvert, cela va faire lire en [e] de très nombreux mots finissant par [œ, o ou a], comme<br />

« anyèle, anguille; arressègue, scie » etc. Alors, il n’a d’autre solution que de formuler une exception<br />

qui inverse la règle : s’il y a un è en avant-dernière syllabe, la prononciation sera en [œ, o ou<br />

a], sauf pour une liste de 27 mots où il se prononcera en [e]. Mais cette liste est loin d’être exhaustive<br />

(le Palay en compte dix fois plus !), et oublie en tout cas les désinences du subjonctif présent<br />

des verbes en -a (que lhève) et celles de leur imparfait (qu’aymèsse). Or on sait combien il est<br />

difficile d’apprendre des listes d’exceptions, qui en l’occurrence sont des exceptions à l’exception !<br />

Je n’en donnerai qu’un exemple : G. Narioo, locuteur béarnais depuis son enfance, mais de la<br />

région d’Orthez qui confond les deux -e du béarnais en un seul [œ], écrit *frèba dans sa pièce de<br />

théâtre L’alemanda (1972, pp. 38 et 41) par transcription classique de frèbe qu’on peut lire ['fr!!œ]<br />

ou ['fr!!o]; mais le frèb" du Palay (avec point souscrit) ne vaut que ['fr!!e], noté donc frèbe en<br />

graphie classique; c’est d’ailleurs ce qu’on lit dans son Dictionnaire de 2003 (cf. p. 185).<br />

C’est dire que Courriades n’a pas vraiment résolu le problème.<br />

16 – La graphie du gascon selon l’I.E.O. (1952)<br />

Un premier texte pour « la langue d’oc » (1950)<br />

On a vu plus haut, p. 65, comment la loi Deixonne du 11 janvier 1951 avait à nouveau autorisé<br />

l’enseignement des « langues et dialectes locaux » par l’école publique et, p. 78, comment l’<strong>Institut</strong><br />

d’études occitanes (I.E.O.) avait succédé en 1945 à la Société d’études occitanes.<br />

C’est la préparation de cette loi qui a poussé le jeune I.E.O. à publier en français les règles du<br />

système orthographique de son irremplaçable maitre Alibert, pour qu’il puisse être enseigné dans<br />

les écoles publiques : écrite en languedocien, la Gramatica occitana d’Alibert était un bel acte de<br />

foi dans la langue, mais on ne pouvait en faire une norme de l’Éducation nationale. L’I.E.O. pria<br />

donc Alibert, une fois libéré (cf. p. 78), de rédiger un texte relativement court où seraient exposées<br />

ses vues sur l’enseignement de la langue d’oc. C’est ainsi que fut publié à la fin de 1950, donc<br />

avant même la promulgation de la loi, un “Document de l’I.E.O.” intitulé La réforme linguistique<br />

occitane et l’enseignement de la langue d’oc, Annales de l’I.E.O., 1950, pp. 148-159 et tiré à part<br />

Toulouse, 12 pages de format 13,5 x 21. Je le citerai par la suite comme « La réforme… ».<br />

Ce document essentiel fait nettement le partage entre une première phase, la réforme<br />

orthographique, objet de la moitié du fascicule et articulée en 8 principes et des règles de détail,<br />

et la seconde phase qu’elle prépare : « unifier, épurer et enrichir notre langue littéraire au point de<br />

vue phonétique, morphologique, syntaxique et lexicologique. C’est par la sélection des formes<br />

divergentes que nous obtiendrons le minimum d’unité indispensable. »<br />

En lui-même, et selon son titre, ce document vise toute la « langue d’oc » (et non l’occitan);<br />

le gascon y est donc présent, d’où mention du « gascon Pey de Garros » comme premier restaurateur<br />

« de la graphie traditionnelle de la Langue d’oc » (p. 3). D’autres passages, comme des buttestémoins,<br />

visent le gascon, nommément ou non. Ainsi :<br />

– la Gascogne est un des « pays d’Oc » dont « divers points » prononcent encore [a] le -a<br />

final étymologique atone, ou plus exactement posttonique (p. 4);<br />

– en finale, -lh et -nh se réduisent généralement à [l] et [n] « en dehors des parlers du pays de<br />

Foix et de la Gascogne » (p. 6);


Jean <strong>Lafitte</strong> 144 Écriture du gascon<br />

– au chapitre de l’épuration de la langue, p. 7, la tolérance de formes locales traditionnelles<br />

inclut dans ses exemples, en variante de la forme normale occitane comba, le forme coma qui est<br />

exclusivement gasconne (et catalane, mais le catalan n’est pas en jeu ici) si nous nous en rapportons<br />

au Trésor du Félibrige de Mistral.<br />

Un second texte pour le gascon (1952)<br />

Pourtant, à peu près au même moment, Alibert achevait, sinon la rédaction, au moins la<br />

définition du contenu d’un autre texte propre au gascon; approuvé quelques mois plus tard, le 15<br />

juillet 1951, par le Conseil d’Études de l’I.E.O. réuni à Marseille (p. 1) ce second texte fut publié en<br />

1952 en un fascicule de 8 pages ronéotypées de même format 13,5 x 21, lui aussi « document de<br />

l’I.E.O. » : L’application de la Réforme linguistique occitane au <strong>Gascon</strong>.<br />

En raison de son importance capitale pour la graphie classique du gascon selon l’I.E.O. et du<br />

fait que cette association ne l’a jamais réédité, ni pour autant abrogé et remplacé, j’en donne la<br />

reproduction intégrale en Annexe XIII. Je le citerai par la suite comme « L’application… ».<br />

Mais pourquoi donc Alibert a-t-il changé d’idée et produit ce texte spécial pour le gascon ?<br />

Une raison théorique serait la conception qu’il avait de la Langue d’oc, non pas langue au<br />

sens courant, mais ensemble linguistique qu’il nommait occitano-roman, entre le gallo-roman de<br />

France et l’ibéro-roman de la Péninsule ibérique. Et cet ensemble se divisait en trois langues, toutes<br />

subdivisées en dialectes, l’occitan, le catalan et le gascon (cf. p. 14).<br />

Pourtant, je pense que c’est finalement une raison pratique qui a décidé Alibert : visant à<br />

terme l’épuration de la langue qu’il appelait « littéraire », il dut en effet se rendre compte très vite<br />

qu’à moins de châtrer le gascon de tous ses attributs spécifiques, il serait obligé d’admettre une<br />

quantité considérable de dérogations aux interdictions qu’il édictait pour le “bon” occitan; ou alors,<br />

en ne mentionnant pas le gascon comme seul bénéficiaire de ces dérogations, il autoriserait en<br />

occitan une mosaïque de variantes supposée inacceptable.<br />

En voici deux exemples :<br />

– la suite latine act aboutit en occitan à ach ou ait ou encore èit; par exemple, factu > fach /<br />

fait ou fèit; Alibert écarte de l’écrit la dernière forme (p. 7), qui représente une évolution commune<br />

au catalan et au gascon; or elle est dominante en languedocien au sud de la ligne Toulouse-<br />

Narbonne, dans cette zone pyrénéenne que le Pr. Bec inclut dans son « complexus aquitanopyrénéen<br />

» (1963, p. 38), fortement influencé par le gascon, ou qui a subi les mêmes influences<br />

que le latin devenu gascon; de même, l’Occitan de Toulouse est condamné à écrire ai (j’ai) ce qu’il<br />

prononce [!"], tandis que son voisin gascon d’Auch écrit èi ce qu’il prononce de même;<br />

– de la même façon, Alibert n’autorise que caissa et rejette caicha (toujours p. 7) pour noter<br />

ce qui se prononce ['ka"#o] ou ['ka#o] dans la même zone aquitano-pyrénéenne, alors que le gascon,<br />

qui a les mêmes prononciations, est seul autorisé à noter le son /#/ par le digramme sh (caisha) et<br />

que le catalan écrit caixa, toujours pour la même prononciation consonantique !<br />

En bref, le gascon dans l’occitan, c’est le loup dans la bergerie des formes bien alignées, bien<br />

standardisées. Mieux vaut le laisser dehors !


Jean <strong>Lafitte</strong> 145 Écriture du gascon<br />

Deux textes parallèles de même valeur juridique<br />

D’emblée, l’introduction est différente : La réforme… se justifie par la nécessité de mettre en<br />

œuvre la nouvelle possibilité légale d’enseigner la Langue d’oc dans les écoles; pour le gascon, il<br />

s’agit d’abord de lui « étendre » la réforme exposée dans la Gramatica de 1935, donc directement,<br />

sans passer par l’intermédiaire de La réforme….<br />

Or « appliquer » (cf. le titre « L’application… ») n’est qu’une mesure d’exécution d’une<br />

norme de principe déjà « applicable » au domaine en cause; tandis que « étendre », qui modifie le<br />

domaine d’application d’une norme, est une mesure de même force juridique que celle qui a défini<br />

précédemment ce domaine.<br />

Dès lors, si l’on se réfère à la Gramatica, qui ne visait que l’occitan languedocien, c’est bien<br />

d’une extension qu’il s’agit; à cet égard, la qualification de « dialecte » attribuée au gascon n’est<br />

pas illogique, en situant languedocien et gascon sur un même plan au sein d’un occitan “large”.<br />

Mais alors, que signifie la parenthèse « (Cft : La Réforme…) » ? « Cft » est une abréviation<br />

inhabituelle qui pourrait signifier « conformément à »; mais il ne pouvait s’agir de « se conformer »<br />

à ce document :<br />

– sinon, comme il semble viser le gascon avec tous les autres dialectes du Midi, il était inutile<br />

de dire aussitôt que ses « règles générales » A à H [en réalité, La réforme… dit « principes »] sont<br />

applicables au gascon et de rajouter en post-scriptum, comme pour réparer un oubli (p. 8, « Note<br />

additionnelle »), que les « principes » d’épuration linguistique a à h [en réalité, La réforme… dit<br />

« règles »] « doivent être appliqués au gascon » 24 .<br />

– et une simple mesure d’application n’avait pas à être approuvée par le Conseil d’études; les<br />

brochures qui ont effectivement appliqué La réforme… au provençal (œuvre de Robert Lafont,<br />

1951) et au limousin (œuvre de Peir Desrozier et Joan Ros, 1974) n’ont en effet jamais été<br />

approuvées ni présentées comme « documents de l’I.E.O. »<br />

Il est donc hautement vraisemblable que l’insolite « Cft » résulte d’une faute de frappe pour<br />

le classique « Cf. », simple invitation à rapprocher les deux documents… ce que je ferai souvent.<br />

Nous sommes alors dans une grande logique : à l’instar de la La réforme… qui venait de<br />

traduire en français et d’étendre à tous les dialectes occitans l’essentiel de la Gramatica (enrichi<br />

toutefois de principes pour la plupart non exprimés dans la celle-ci), L’application… faisait de<br />

même pour l’irréductible « dialecte gascon », en fait, pour la langue gasconne. Tout juste si, pour<br />

économiser le papier, Alibert a évité, par deux renvois séparés, de reprendre les principes de<br />

graphie et les règles générales d’épuration linguistique déjà contenus dans La réforme….<br />

Nous avons donc deux documents d’égale valeur juridique pour deux langues sœurs du même<br />

ensemble occitano-roman, comme nous le confirme un examen attentif de ce document; je n’en<br />

donnerai ici que deux exemples topiques :<br />

– d’une part, l’alphabet des deux idiomes, bien qu’identique, est défini par deux règles qui les<br />

confrontent : « L’occitan utilise un alphabet de 23 lettres / Le gascon aura un alphabet de 23<br />

lettres » (p. 3);<br />

– d’autre part, pour ce qui est du traitement divergent en [d] ou en [z] du -d- latin entre voyelles<br />

24 La formule employée, qui entend appliquer au gascon des « principes indiqués [pour] la langue d’Oc », met même le<br />

gascon en dehors de celle-ci ! Sinon, il suffisait d’écrire « Bien entendu, les règles générales […] de la langue d’Oc<br />

[…] s’appliquent au gascon. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 146 Écriture du gascon<br />

(p. 5), le gascon est divisé en « dialectes », comme une langue, et non en « sous-dialectes », comme<br />

un dialecte.<br />

Les 8 principes d’Alibert pour la graphie<br />

L’essentiel du document concerne donc la graphie, avec l’avantage de donner d’emblée, fûtce<br />

par référence, les principes qui dominent le système, ce qui dispense d’avoir à les déceler à<br />

travers les règles de détail. Il y en a huit, de A à H, exposés plus loin, pp. 234 à 239.<br />

On peut les résumer ainsi :<br />

– graphie phonologique (B) (plutôt que phonétique, c’est-à-dire qu’un même graphème peut<br />

avoir plusieurs réalisations, comme ch dans la graphie fébusienne dès 1900 ou j chez Palay) sauf à<br />

rétablir des lettres étymologiques dans certains cas; et malgré la lettre du texte, c’est aussi vrai des<br />

mots “savants”, car leur « la graphie d’origine » n’est plus qu’une graphie “phonétique” quand on a<br />

changé les k en qu, les ph en f etc. (ce qu’avait fort bien vu R. Darrigrand, 1969-1, p. 5, repris par<br />

M. Grosclaude, 1977, p. 49 : l’« orthographe des mots savants […] est absolument phonétique »);<br />

– référence aux graphèmes de l’ancien gascon (A);<br />

– recours à des formes anciennes qui seront lues différemment selon les lieux pour assurer<br />

l’unité de l’écrit (D & E);<br />

– rétablissement de groupes de consonnes et de consonnes finales étymologiques que<br />

l’évolution de la langue a plus ou moins altérées ou amuïes (F & G);<br />

– usage éventuel de plusieurs graphèmes pour un même phonème, selon l’étymologie (H).<br />

On fera d’abord une place à part au dernier principe que les graphies modernes du gascon<br />

appliquent sans problème, tout comme le français : lou cèu {ciel} n’est pas lou seu {suif} tout<br />

comme en français cens n’est ni sens ni sans…<br />

Pour le reste, on voit tout de suite la tension qui peut résulter de la contradiction entre le<br />

principe “phonologique”, qui aligne l’écrit sur l’oral et caractériserait une graphie “moderne”, et<br />

tous les autres principes, qui, par étymologisme ou même archaïsme, peuvent éloigner<br />

considérablement l’écrit de l’oral et font de ce système une graphie “classique”. Ainsi, tandis que<br />

certains écrivent tentar et contar/condar {tenter et conter ou compter} selon la prononciation (-r<br />

mis à part), d’autres “en rajoutent” avec temptar et contar {conter}, comptar/comdar {compter}.<br />

(Voir aussi p. 162).<br />

Les règles orthographiques du gascon<br />

Pour ce qui est des règles de détail, nous noterons quelques changements par rapport aux<br />

règles données par Alibert en 1942 dans le cadre de la S.E.O.<br />

Deux sont heureux, allant dans le sens de la simplicité ou de la clarté, ou des deux :<br />

– distinction entre les deux valeurs de o et de e : o / ó vaut [u], ò, [%/o]; le e / é vaut [e], è, [!] :<br />

còr (cò), demora (demoure); seda (séda), mèu (mèu); de même, /o*/ est noté òu comme chez<br />

Mistral et à l’E.G.F.<br />

– rétablissement du u après q, le q seul étant trop novateur (qualitat), mais [kwa] sera noté par<br />

un diacritique sur u; après flottement, c’est aujourd’hui le tréma (qüaresma), ou rien, pour les mots<br />

les plus usuels comme qüate / quate et qüand / quand.<br />

Mais trois autres changements sont plutôt regrettables, car ils vont introduire des complications


Jean <strong>Lafitte</strong> 147 Écriture du gascon<br />

d’écriture, ou de lecture, ou des deux :<br />

– la notation du /w/ intervocalique par -u- n’est plus que facultative, rendant difficile la<br />

lecture du -v- en [w] (cf. p. 252 et <strong>Lafitte</strong> 2003-1) : víver ou víuer, dava ou daua…<br />

– /wa/ reste noté oa (doana, boalar) sauf après g, gua (guarir), alors qu’en languedocien,<br />

Alibert ne connait que goa (goapo, cogoacha).<br />

– /we/ sera noté ue quand il vient d’un % latin, parce qu’il est prononcé [3!] écrit uè en occitan<br />

(uelh gascon, uèlh occitan); dans les autres cas, en gascon comme en occitan, qui ici ont la même<br />

prononciation, on aura oe (coeta) ou oè (doèla, patoès); mais on voit le désarroi de l’occitaniste<br />

gascon, qui ne va pas manquer des hypercorrections pour faire plus “occitan” : *patuès est des plus<br />

courants, alors que les “Occitans” l’écrivent patoès, tel André Lagarde dans le récit déjà cité p. 69,<br />

d’après Lo Gai Saber n° 463, 1996, p. 283.<br />

Par ailleurs, le statu quo sur -n laisse entier le problème de la distinction entre celui qui est<br />

amuï ou vélarisé selon les lieux (lo pan {le pain}) et celui qui est partout dental (lo pan {le pan de<br />

mur}). Il en est de même pour le -r amuï (pastor, vaquèr {berger, vacher}) que rien ne distingue de<br />

celui qui se prononce (la tor, esquèr {la tour, gauche}).<br />

Appréciation<br />

En fait, l’écriture du gascon réel dans ses variétés soulève bien des problèmes qu’Alibert<br />

n’avait même pas soupçonnés, sa connaissance du gascon étant assez lacunaire (cf. <strong>Lafitte</strong>, 2002-3,<br />

158). Cela s’explique sans doute par les conditions dans lesquelles il avait élaboré ses normes.<br />

Certes, il avait pu consulter deux bons gasconophones : par correspondance (et très probablement<br />

en français), le <strong>Béarnais</strong> Jean Bouzet (cf. p. 135), alors en poste à Paris et peut-être pas toujours<br />

bien informé des parlers gascons du nord et de l’est; et plus directement, le Commingeois Pierre<br />

Bec, étudiant de Bouzet, mais alors bien jeune pour l’influencer. Il rencontra aussi sur la fin une ou<br />

deux fois Jean Séguy, avec qui il n’était pas véritablement ami, et son texte devint définitif après<br />

qu’il l’eût soumis à ces trois personnes 25 .<br />

Mais c’était une « linguistique d’urgence » à cause de la loi Deixonne :<br />

« Résultat : la graphie du gascon a été fixée, certes, dans ses grandes lignes, mais une<br />

foule de détails reste à élucider : étymologies douteuses interdisant une fixation graphique<br />

définitive, cas des évolutions phonétiques ultra-locales, nécessité d’un tri morphologique,<br />

indispensable surtout en ce qui concerne les formes verbales etc etc. Rien de tout cela n’a<br />

jamais été discuté. (…) Tous les problèmes dont j’ai parlé se sont effectivement posés,<br />

mais à un seul, et ils n’ont reçu qu’une solution individuelle ou presque, sérieuse peut-être,<br />

mais fatalement imparfaite. » (Bec, 1952, 48).<br />

Cela explique sans doute la réponse de P. Bec lorsqu’au Colloque de Nanterre, quand je fis<br />

part de mon intention de republier ce texte devenu depuis longtemps introuvable :<br />

« Ce document, je crois qu’il faut le laisser aux archives. […] C’est un petit fascicule<br />

mal dactylographié, écrit par un Alibert qui commençait à perdre ses moyens, sur un<br />

papier de boucher…» (Guillorel et Sibille, 1993 p. 265).<br />

Mais malgré tout, ce système “classique” se répandra rapidement dans l’enseignement, dès<br />

que des <strong>Gascon</strong>s s’y seront décidés vers 1960 (cf. p. 221) : la connaissance intime de la langue de la<br />

part des pionniers, nés pour la plupart avant 1930, et même d’une bonne part de leurs élèves des<br />

milieux ruraux des années soixante, occultera ou au moins compensera les faiblesses du système.<br />

25 Témoignage du Pr. P. Bec que je remercie ici très vivement.


Jean <strong>Lafitte</strong> 148 Écriture du gascon<br />

Et l’« épuration de la langue » ?<br />

Mais pour les occitanistes, « la graphie est plus que la graphie », selon le titre d’un article de<br />

P. Sauzet (1990). Et nous avons vu qu’en post-scriptum, L’application… estimait nécessaire d’épurer<br />

la « langue littéraire ». Or du fait de la rédaction un peu désordonnée de ce document, c’est juste<br />

avant l’énoncé des règles détaillées de graphie qu’est placé un long paragraphe, correspondant des<br />

développements de la première « règle générale » d’épuration de la langue littéraire dans le<br />

document de 1950. Il débute en effet de la même façon, et ne laisse aucun doute sur sa portée : « en<br />

présence de divergences résultant d’accidents linguistiques divers, on choisira, autant que possible,<br />

pour l’usage littéraire, les formes les plus conformes à l’évolution normale de la langue et les mieux<br />

conservées ». Et c’est là que se situent 33 règles de choix des formes, dont par exemple celles qui<br />

feront notamment préférer uelh à gúelh, et inversement guaire à uaire, hlor, hromiga et hrut à<br />

eslor, lor, arromiga, romiga, rut ou hurut, esquiròu à esquirò et deu, peu à do, po (cf. p. 244).<br />

Bien sûr, on peut discuter de ce qui peut être regardé comme « l’évolution normale de la langue<br />

», chaque normalisateur ayant tendance à considérer son parler propre comme normal…; et on<br />

verra p. 159 que les Aranais ont préféré l’esquirò banni à l’esquiròu “normal”… Mais La réforme…<br />

n’a pas mélangé les genres et bien distingué la « normalisation linguistique » de la<br />

« normalisation graphique », ce que beaucoup, hélas, ne savent pas faire…<br />

17 – La graphie classique “modernisée” par Jean Séguy et son “école”<br />

D’ordinaire, l’Atlas linguistique de la Gascogne (ALG) note les mots gascons selon un codage<br />

particulier de leur prononciation. Mais dans les tomes IV à VI (1966 à 1973), on trouve des notations<br />

en graphie classique de la main de Jean Séguy; en particulier, dans le tome IV, les mots que<br />

les informateurs avaient refusés comme n’étant pas de leur vocabulaire (Séguy, 1966, pp. 10 et 12).<br />

Le volume V est de Jacques Allières. Et l’on peut y associer des écrits de Xavier Ravier, qui fut<br />

selon Séguy le meilleur enquêteur qu’on pouvait espérer (ib. p. 5). Il est donc intéressant de relever<br />

les écarts des notations de ces éminents spécialistes du gascon par rapport à ce que l’on considère<br />

comme la norme de l’I.E.O.<br />

Les cartes de l’ALG seront citées par leur n° entre parenthèses, étant entendu que les n°s<br />

1093 à 1608 sont dans le volume IV, 1609 à 2065 dans le V et 2066 à 2531 dans le VI; les références<br />

aux fascicules accessoires sont notées ainsi : pour le fascicule 2 du volume V, V-2; et pour le<br />

fascicule complémentaire du volume VI, VI-C. Les ouvrages de Xavier Ravier étudiés ici sont<br />

avant tout les Poèmes chantés des Pyrénées gasconnes (Ravier et Séguy, 1959-60 et 1978, cité R.I),<br />

un article de Via Domitia sur “Le poète chansonnier Marcellin Castéran et son poème Mayourau de<br />

Nistos” (cité R.II), et accessoirement Le récit mythologique en Haute-Bigorre (Ravier, 1986, cité<br />

R.III) dont la plupart des morceaux de poèmes sont déjà en R.I. (les récits mythologiques y sont<br />

d’une graphie plus “standard”). En outre, je me réfère le cas échéant à la transcription phonétique<br />

de certains Poèmes chantés du fascicule 2 de 1960, qui n’a pas été reprise dans l’édition de 1978.<br />

Mais nous observerons d’emblée que ces écrits sont des œuvres énormes dans un domaine qui<br />

demande une attention sans relâche; il n’est donc pas étonnant de trouver ici ou là des incohérences,<br />

voire des fautes de frappe pures et simples, comme lorsque la notation phonétique déteint sur la<br />

graphie, avec eskaudar {ébouillanter} (1393), quand à arrajou {versant au soleil} manque l’accent<br />

grave sur le o (1103) ou à pregaria {prière} sur le premier a (1517), quand /u/ est rendu par ou<br />

dans pèd dou hoec {coin du feu} (1292), ou encore quand on lit cul-sec {avare} (1260) et cuu-pelèir


Jean <strong>Lafitte</strong> 149 Écriture du gascon<br />

{culbute} (1278). On n’en tirera d’autre réflexion que le vieil errare humanum est…<br />

Voici d’abord ce qui semble bien des choix généraux pour la notation de certains phonèmes :<br />

Quelques phonèmes consonantiques<br />

Il s’agit ici principalement de phonèmes complexes, palatalisés ou affriqués :<br />

• selon L’application… de 1952, complétée par les normes catalanes du x ou ix, /#/ intervocalique<br />

est noté par le trigramme ish, sauf après i, après u de diphtongue et après consonne où il est<br />

noté par sh, comme à l’initiale (cf. p. 265); Séguy, lui, ne connait que sh en toute position; ainsi, à<br />

l’intervocalique, pelòsh, pelòsha (1098), eshòu (1101), esharbigader (1104), gashar (1107), picòsh<br />

(1117), nashença (1142), tosh (1226), escrushoat (1260), tésher (1271), coshinèra (1299),<br />

brosha (1316), deu poshiu (1341), andesh (1359), eshèr (1376), lashèra (1458), crésher (1563),<br />

tash, tashons (2463) au lieu de pelòish, eishòu, eisharbigader etc.; cela peut se justifier par le fait<br />

que le i est muet sur la majeure partie du domaine et n’a qu’un rôle orthographique conventionnel,<br />

comme d’ailleurs en catalan; ainsi, l’hapax moishèr (1126a “sorbier”) s’expliquerait par la prononciation<br />

[mu"'#!] relevée en deux points (Aran et Couserans). Mais J. Allières reste “classique” dans<br />

le Vol. V : nèisher (1778), créisher (1786), conéisher (1787), eishir (1802), deishar/leishar<br />

(1806); certes, la notation (A)shetar (1808) laisse supposer une graphie sans i ashetar, variante de<br />

shetar {acheter}, mais c’est sans doute une erreur matérielle. Et aussi Ravier (et Séguy pour R.I) :<br />

maladeish (R.I., 25, 30), parteish (ib., 30), leishem (ib., 35), baishessan (ib., 46), aishiuadat (R.II,<br />

119); mais on trouve aussi sh seul en R.I, apròsha (60), Poesh (66), eshalar (67), aproshat (73,<br />

103), mashant (85, 121), croshits, hèsh (86), desempush (97); mais là où l’édition de 1960 nous<br />

donne la transcription phonétique, c’est parfois un [s] qui correspond à ce sh, et non un [! (=[#]) :<br />

[pw,és] (66; 84/1960); [dedzémp,us] (97; 56/1960); mais [!al,a] (67; 84/1960); [ma!an] (121;<br />

38/1960); peut-être faut-il voir alors en sh la notation d’un /#/ considéré comme “standard”, alors<br />

que l’on rencontre des réalisations non chuintées.<br />

• toujours pour /#/, que l’usage occitaniste note par ch dans les emprunts au français, Ravier<br />

use logiquement de sh, car ch représente l’archiphonème qui se réalise par [#], [0] ou [tj] selon les<br />

lieux : shabrot, sharmant, marsha, shibaus (R.II, 125, 128, 129) etc. Mais pour Luchon (R.II, 120)<br />

on verrait plutôt Luishon/Luixon (cf. le théonyme aquitain local Ilixo). Et dans R.I, Ravier/Séguy<br />

usent tantôt de sh, tantôt de ch, sans raison apparente : arrishe, arrishessa, charmant (73),<br />

chegrinat, marshava (89) etc.<br />

• pour l’aboutissement de “-ll” latin, L’application… prévoit -th qui se réalise par [t], [0] ou<br />

[tj] selon les lieux, étant observé qu’au pluriel, la palatalisation disparait sur la quasi totalité du<br />

domaine pour donner [ts] (2124); mais L’application… l’ignore, ne prévoyant que -ths. Pour le singulier,<br />

Séguy hésite : le plus souvent, il est “régulier”, avec à cavath (1282), caddèth (1272), cath<br />

(1445), husèth (1500), moth (1226), perdigath (1206), porcèth (1260), sadoth (1315) et vòla-bèth<br />

(1223); mais on rencontre aussi -t dans hòrapèt (1136) et canèt (1301). Et pour le pluriel, il allège<br />

toujours en -ts : canèts (1201), perpets (1236) et budèts (1390 et 1391). Quant à Ravier, il écrit en<br />

R.I et, det… l’article de la montagne noté “normalement” eth, deth en R.II; et aussi devat (R.I, 46),<br />

còt (ib., 59).<br />

• certains mots ont un [tj] intervocalique dans des zones où ch se réalise par [0], voire [#] et<br />

ne peut donc convenir; aussi Séguy l’a-t-il noté par th, qui n’est donc plus cantonné à la finale issue


Jean <strong>Lafitte</strong> 150 Écriture du gascon<br />

de “-ll” latin (L’application…, p. 6); Séguy écrit donc thithons (1181), regathar (1194; Alibert<br />

Dic., regajar), ricothet (1207), tholar, s’atholar (1257), catha-niu, catho (1272), alors que, par<br />

exemple, on lit cachaniu chez Alibert, 1966, ce qui correspond à la prononciation ['ka0o'ni*] notée<br />

à Ste-Foy-d’Aigrefeuille, au sud-est de Toulouse, en domaine languedocien. Ravier fait de même :<br />

fathós (R.I, 46, 55), et même pityèrs (R.II, 135). Au demeurant, th est sans doute la seule notation<br />

possible pour des mots comme potha {poule}, féminin de poth {coq}, motha {molle}, féminin de<br />

moth, pour les finales romanes en -t devenu [tj] ou [0] en Comminges et Couserans (2125), et a<br />

fortiori pour les mots de l’ouest gascon où s’est glissée une mouillure hypocoristique venue du<br />

basque comme pothic, pothon {petit baiser affectueux} (cf. ma note v° poutyic in Lespy, 1998).<br />

• probablement par imitation du catalan, L’application… a adopté tg/tj pour noter l’aboutissement<br />

de ‘-ticu/-dicu’ latins : ‘villaticu’ > vilatge, ‘medicu’ > mètge; pourtant, le catalan n’a qu’une<br />

prononciation [dJ], et le gascon [dj] ou [ò], l’occlusive étant d partout, sauf en trois points<br />

seulement qui ont [tj] (2205); il en est de même pour /ù/ que L’application… note tz, même quand<br />

l’étymologie comporte un d comme ‘duodecim’ > dotze. Mis à part herotje (1155), que l’on peut<br />

imputer à de l’inattention car on n’a entendu que [d] aux 6 points où le mot fut recueilli, Séguy s’en<br />

tient à la prononciation et écrit logiquement sauvadjum (1205), lòc sauvadge (1450) et dodze, sedze<br />

(2389), ces derniers supposant tredze dont ils sont « homomorphes ». Ravier semble hésiter : yudye<br />

(R.I, 23, 25), mais yutye (R.I., 32), vilatye (ib., 27) mainatyes (R.II, 122), vesinatge (ib., 120).<br />

• pour ce qui est du /w/ intervocalique, on a vu p. 147 que L’application… a autorisé pour le<br />

gascon la variante en -u- du -v- occitan… et béarnais. Mais la prépondérance béarnaise dans la vie<br />

contemporaine du gascon a fait que l’on n’écrit guère que -v-, d’où un risque de perte de la prononciation<br />

originale — et sans doute originelle — [w]. Or Séguy ne l’entendait sans doute pas ainsi,<br />

car il écrit -u- chaque fois que l’on dit [w] : espauent (1112), beuet (1118), s’enbeuedar (1124),<br />

trauasseya (1125), s’es gauanhada (1145), carauet (1371). De même, Ravier : en R.I, Casnauèt<br />

(22), aueyar (24), gauequeyar (47); en R.II, aishiuadat (119), auém (120), Auét (121)…<br />

• peut-être Séguy a-t-il voulu sauvegarder de même la prononciation [j] de ce que la graphie<br />

occitane note par un j ce qui se lit [j] ou [2] selon les lieux : nayèra, ayèra (1114), estampareya,<br />

trauasseya (1125); mais peut-être à cause d’une prononciation en [2], arrajou, arrajader (1103),<br />

tremieja (1175), pieja (1289). C’est aussi le choix de Ravier : mayorau, mainatyes, dimenye,<br />

minyar (R.II, 118, 122, 134, 135) tandis que vesinatge, Espujaus (R.II, 120, 121) peuvent correspondre<br />

à des réalisations en [2].<br />

• malgré L’application… qui prévoit de noter /k/ par « qu, d’après l’étymologie, dans les<br />

mots d’origine savante et dans quelques mots populaires : qualitat, liquor, quotidian, quotitat,<br />

quartèr. », Séguy semble préférer la simplicité : carrat, carrelat (1276), pracò (1344), quaucun,<br />

quaucòm, quaucarren, quauca causa (2071); mais aussi quauqua part dans la même carte 2071, et<br />

aquò (2347, 2376 et VI-C, 20), pas cohérent avec pracò, alors que l’étymologie est incertaine (cf.<br />

Taupiac, 1992, 446). Et chez Ravier, on trouve acò (R.I, 74, 97) et même cauque (R.II, 125) tandis<br />

qu’Allières titrait le n° 24 de Via Domitia, 1980-2 : « L’Occitanie. Qu’es acò ? » (cf. p. 272).<br />

• de même, la notation de /2/ devant e et i se fait normalement par g, mais L’application…<br />

prévoit « Seuls les mots d’emprunt savant conserveront leur j d’origine : Jèsus, Jerusalèm,<br />

projeccion, injeccion, trajectòria. » C’est encore asez arbitraire. Il semble bien que Séguy s’en soit<br />

affranchi, en réservant normalement le g à ce qui en aurait un à l’étymon; ainsi, jitar (1107), herotje


Jean <strong>Lafitte</strong> 151 Écriture du gascon<br />

(1155), jimbelet (1229) et màjer (2412), contre sagin (1182) et digestir (1313). Allières fait de<br />

même dans le volume V : càjer (1689) contre legir (1788), húger (1804), gelà-s (1807).<br />

Trois phonèmes vocaliques<br />

• pour noter /we/, oe remplace toujours le ue de L’application… de 1952; ainsi en IV : voeitada<br />

(1145), hoec (1292) et oelh (1309) au lieu de vueitada, huec, uelh; (pour la justification de ce<br />

choix délibéré de Séguy, voir plus loin, p. 251). Même choix chez Ravier : voèita, encoèra, soenhar<br />

(R.I, 74, 96, 122); hoec, coeisha, voeida, coélher (R.II, 125, 129, 130) etc.; mais possessif sué [s3e]<br />

(R.I, 25), sues [s3es] (R.II, 135). Et aussi chez J.-C. Dinguirard dans Le nom de maison en Haute<br />

Gascogne (Via Domitia XI, mai 1965, pp. 47-78) : Goelhaga (p. 70). Mais Allières écrit cuèit<br />

(1751).<br />

• de même oa note /wa/, même après g ou qu, contre l’usage occitaniste en gua, güe ou qüa,<br />

mais selon la très vieille tradition de la langue : quoau (R.I, 80), voire qoan (R.I., 81), qoate (R.I,<br />

46, 50, 55), comme chez Garros. Et encore J.-C. Dinguirard (ib.) : Goarrier (pp. 58, 61, 65, 70).<br />

• avoucar {verser (véhicule)} (1231) et sou {soleil} (R.I, 86) présentent une graphie de /u/<br />

qui peut sembler un étrange retour de la graphie félibréenne. Je pense qu’il n’en est rien, le -u<br />

représentant un -l étymologique qui, vocalisé en /*/, se confond avec l’aboutissement /u/ du o qui<br />

précède. Ce -l est évident pour sou < ‘solem’. Pour avoucar, il faut supposer un ‘ad + *volvicare’<br />

issu du classique ‘volvere’, qu’Alibert donne pour étymon à volcar, de même sens (catalan bolcar);<br />

mais il donne aussi abocar, à qui il attribue une étymologie occitane partant de boca {bouche}, et<br />

volcar pour synonyme; c’est une belle confusion, à laquelle Séguy met fin. Au demeurant,<br />

[(a)!ul'ka] recueilli en Aran témoigne pour une forme en -l- non vocalisé, (a)volcar, alors que<br />

[a!u'ka], languedocien, n’a été noté qu’en deux points gascons voisins de Toulouse; mais [de!u'ka]<br />

a été recueilli en trois points des Hautes-Pyrénées. Pour en revenir au choix graphique de Séguy, il<br />

devance soutada et títou du Mémento grammatical du gascon (cf. p. 169); et plus encore, le ou<br />

notant /u/ par référence étymologique contribue à la vraisemblance de l’hypothèse selon laquelle les<br />

scribes d’oc en vinrent à noter de même, par analogie, les /u/ issus de o étymologiques, quand ils<br />

eurent besoin de les distinguer des o demeurés /o/.<br />

Traitement des mots composés<br />

La notation des mots composés est un problème que l’oc pas plus que le français ne traite de<br />

façon claire et uniforme. Sans doute parce que le sujet est très complexe. Ainsi Alibert n’en a<br />

formulé les règles que dans un bref article (1957); ces règles font de la soudure la norme, mais avec<br />

beaucoup d’exceptions.<br />

En praticien éclairé, Séguy s’est affranchi de la soudure systématique, usant le plus souvent<br />

du trait d’union, surtout quand la présentation séparée est nécessaire pour une bonne prononciation<br />

du premier élément (en particulier quand son -a final doit être traité comme posttonique) : pèlapòrc<br />

{“sacrifice” du porc} (1178), Maria-Saca {rectum} (1188), trauca-sèga {troglodytes} (1207),<br />

vòla-vent, vòla-bèth, vòla-maria {coccinelle} (1223), passa-clau {vrille} (1229), catha-niu,<br />

escarra-sac {dernier-né} (1272), vira-porquèir {culbute} (1278), cauha-pança {contre-cœur de<br />

cheminée} (1296), escoba-sòu {repas terminal de travaux agricoles en commun} (1320), cama-cruda,<br />

cama-crusa {la Jambe crue (être fantastique et effrayant)} (1488) et pasta-borida {saute-mouton}<br />

(1491). En revanche, il soude quand cela ne pose pas de problème de lecture : caplevar {faire


Jean <strong>Lafitte</strong> 152 Écriture du gascon<br />

basculer} (1230), contrespós {garçon d’honneur (contre-époux)} (1319); ce dernier mot est un<br />

exemple d’adaptation graphique du premier élément, qui a perdu son -a final par élision; enfin, la<br />

soudure de pracò {pourtant} (1344) fait du mot un tout, sans égard au sens premiers de ses composants<br />

(mais pr’aquò chez Alibert). Et naturellement, Séguy coupe devant r- ou s- du second<br />

élément, encore qu’Alibert ne l’ait prévu que si le premier s’achève par une voyelle : pèd-ranquet<br />

{marelle} (1276) et même cul sec {avare} (1260), sans trait d’union.<br />

Mais il y a des exceptions, dont je ne vois d’autre explication que l’inadvertance; exceptions à<br />

la coupure : hòrapèt {dosses (hors peau)} (1136), covanic {culot (couve nid)} (1154), estornapica<br />

{culbute} à côté de vira-porquèir et cuu-pelèir dans la même carte (1278) et contranòbi<br />

{demoiselle d’honneur (contre-mariée)} (1319+); et exception à la soudure, cuu-pelèir {culbute}<br />

(1278), encore que le double u du premier élément ait peut-être paru exiger la coupure.<br />

Révision de choix à base étymologique<br />

Sans toucher aux règles du système, J. Séguy et ses disciples ont fait quelques choix<br />

personnels originaux qui supposent des étymons différents de ceux généralement admis.<br />

• choix entre v et b : estaubiar {économiser} (1336) contre estauviar chez Alibert et ses<br />

disciples; Alibert lui attribue l’étymon basque estalpe, qui implique une idée de couverture, de<br />

chose mise à l’abri, mais influencé sans doute par le catalan estalvi, il l’écrit estauvi, alors que le p<br />

étymologique ne donne jamais /v/ en langues d’oc; au demeurant, on voit mal comment un mot en -<br />

v- pourrait avoir une variante en [p] comme l’estaupi relevé entre Nay et Arrens. Quant à l’origine<br />

basque, « la grande diffusion du mot dans les patois de la France […] donne à penser » à Rohlfs<br />

(1977, n° 97). Finalement, faute d’une étymologie pouvant justifier -v-, c’est Séguy qui a vu juste,<br />

tout comme d’ailleurs Coromines (1990; ci-après, p. 169).<br />

• choix entre c/ç et ss pour /s/ :<br />

– mençonja {copeau de menuisier} (1132); il s’agit ici d’une acception métaphorique d’un<br />

mot qui signifie d’abord “mensonge”, comme en témoignent les mentidas ou mentiras recueillis en<br />

divers points de la même carte; comme le français “mensonge”, ce mot vient d’un latin “vulgaire”<br />

mentionica, ce qui justifie que Séguy le note par ç contre mensonja chez Alibert.<br />

– jas {délivre (d’une bête qui a mis bas)} (1152) est contredit par jaç {gite} (1416), mais<br />

l’étymon non contestable ‘jaceo’ doit faire considérer jas comme une inadvertance, peut-être due à<br />

la graphie jas de Palay.<br />

– siarrèr {couverture des vaches} (1165) contre ciarrè chez Coromines, qui le rattache à<br />

cendre < ‘cinerem’, sans exclure le “mélange” « avec un synonyme d’une autre origine »; dans le<br />

doute, autant suivre Séguy, d’autant que le mot n’est plus de grand usage…<br />

– hiçon {dard} (1222) contre fisson d’Alibert (v° fissar); viendrait de ‘fictiare’ selon Coromines<br />

(1990, v° quissón, 2) qui cite le catalan dialectal fiçar. C’est confirmé par la prononciation<br />

[ahi'4u] notée à Bethmale (point 790 S) où se « maintient la non-neutralisation des phonèmes ç et<br />

ss » (Coromines, v° besson) et où l’on réalise les ç par [4], noté ' dans l’ALG.<br />

– còça {louche} (1300) contre còssa d’Alibert; mais celui-ci traite à l’article caça les dérivés<br />

cacet, caceta, caçòla. Or ce mot est très probablement une variante de caça ou caixa, tous venant<br />

d’un ciattia issu lui-même « du grec kuathos, “coupe, vase pour puiser” » (Rey, 1992) et signifiant<br />

aussi bien “louche” que “casserole”. C’est donc sans doute Séguy qui a raison.


Jean <strong>Lafitte</strong> 153 Écriture du gascon<br />

– rocegar {trainer} (1351) contre rossegar d’Alibert (v° ròsse ~ rossèc, filet trainant, herse);<br />

ici, on est dans le flou : Coromines opte pour arrossegà qu’il rapproche du catalan rossegar;<br />

Mistral, lui, ouvre deux pistes : implicitement celle de ross “cheval” en allemand, avec le premier<br />

sens de « traîner, tirer avec des chevaux »; et explicitement celle de rosse tant par la mention<br />

« R[acine]. rosse » que par l’acception « herser un champ », rosse, {…} rossoul signifiant « traîne,<br />

cylindre ou herse de labour ». Or ce dernier supposé venir de ‘rotulus’ impliquerait une variante du<br />

genre *‘rotiulus’, d’où le c de rocegar. Mais le doute est levé par Bethmale qui dit {arru4e'5a}, ce<br />

qui justifie le rocegar de Séguy.<br />

– meuça {rate} (1402) contre mèlsa d’Alibert et melsa du catalan; l’étymologie est très<br />

incertaine pour Coromines (v° mèussa), mais ici encore Bethmale lève le doute avec {'me*4o},<br />

justifiant encore le choix de Séguy.<br />

• notation du -d étymologique de pèd : Mistral écrivait pèd; peut-être pour s’en distinguer à<br />

tout prix, Alibert écrit pè < ‘pede’ alors qu’un de ses principes est de « toujours » rétablir à l’écrit<br />

les consonnes finales amuïes ou altérées. Plus logique, Séguy note pèd-ranquet (1276), pèd dou<br />

hoec (1292) et pèd-descauç (1466). Ravier, de même (R.I. 22, 26, 59, 166…; R.II, 129).<br />

• notation du /z/ intervocalique issu de -c-, -qu- ou -d- étymologiques : Séguy en reste au -s-<br />

de L’application… et de l’Escole Gastoû Febus : arrevasut (1154), entrausit (1455). Mais dans le<br />

volume V, Jacques Allières a conservé le z des usages anciens « pour rappeler par l’étymologie le<br />

principe de classement des radicaux (cóser, de CONSUERE, opposé à còzer, de *COCERE, class.<br />

COQUERE, etc.) » (V-2, V) : substitué à -c- ou -qu- dans dízer, còzer…; et substitué à -d- dans les<br />

variantes crézer, vàzer…<br />

Accents graphiques<br />

• L’application… ne connait que l’accent aigu pour la lettre i; Séguy lui préfère systématiquement<br />

l’accent grave, comme à l’Escole Gastoû Fèbus : plegadìs (1129), andìs (1359), landìs<br />

(1359), volerì (2006, 2 occurrences dans des exemples), aquì (2281). Mais Allières suit<br />

L’application… : volí, aurí volut que vengosses (V-2, 49), que sabí que vengora (1616), escríver<br />

(1793), víver (1836), dízer (1875).<br />

• comme Mistral, l’Escole Gastoû Febus, et le français, Séguy écrit à la préposition a<br />

d’Alibert : à camaletas, à pelharòt, à caravetas, à cavath (1282), à cavalèir (1283) et à pòt (1513);<br />

ici encore, on peut se demander si le rejet occitaniste de l’accent diacritique ne se fonde pas<br />

essentiellement sur la volonté de se démarquer du Félibrige et du français. C’est en tout cas<br />

contradictoire avec la règle de L’application… qui veut « tà (pour entà) à côté du possessif ta »<br />

(p. 7). Mais Ravier écrit ta (R.II, 125, 127, 130), ce qui d’ailleurs ne peut prêter à confusion, et<br />

convient au contraire à une préposition, nécessairement proclitique et atone…<br />

• Allières, lui, marque de l’accent le déictique de lieu çà : çà-vietz {venez ici} (V-2, 270).<br />

Enclise des pronoms<br />

L’application… consacre son dernier paragraphe à l’enclise des pronoms, sans pour autant les<br />

citer expressément :<br />

« Si le mot enclitique conserve sa forme pleine, on le sépare du mot sur lequel il<br />

s’appuie par un trait d’union : acabatz-lo, muchatz-lo-me, minjant-lo-se.<br />

« Si le mot enclitique perd sa voyelle ou se contracte, on le sépare du mot d’appui<br />

par une apostrophe : que’m pren, ne’t manca, que’ns espera, ne’vs vei pas, se’us ditz.


Jean <strong>Lafitte</strong> 154 Écriture du gascon<br />

« Quand le mot d’appui perd sa consonne finale, on place un accent sur la voyelle<br />

tonique : guardà’s, atrapà’m, volé’s maridar, per cauhà’u.<br />

Séguy semble ignorer totalement ces règles : avec se enclitique réduit à s, il use du trait<br />

d’union au lieu de l’apostrophe : que-s demandava se vengora (1616); il conserve même le -r final<br />

du verbe d’appui à l’infinitif, malgré la troisième règle et ses exemples : plagar-s {se blesser}<br />

(1311), hartar-s {se rassasier} (1314); or on sait que le maintien de ce -r dans la graphie de<br />

Perbosc-Estieu avait été fortement critiqué par Philadelphe de Gerde (cf. p. 133) qui « fait rimer<br />

mudà-s (pour mudar-se) avec Bigordàs ». (Note relative à la graphie, Eds Crids , p. XXIX).<br />

Allières a « préféré la graphie carà-s à carar-s, etc., comme plus facile à interpréter » (V-2,<br />

V), ce qui suppose qu’il n’avait pas eu connaissance directe de L’application…; et il maintient la<br />

liaison par trait d’union, qui ne pose pas de problème d’interprétation.<br />

Par ailleurs, sur la notation du pronom en ou ne appuyé sur que (ou autre mot en -e), Séguy<br />

fait la remarque suivante (VI-C, 17) :<br />

« Cas spécial de “en”. […] Dans les combinaisons ken, men, ten, sen (kœn, mœn,...),<br />

etc., il est objectivement impossible de décider si on a affaire à une élision k en, m en, ou à<br />

une enclise asyllabique ke n, me n. C'est en réalité un faux problème, puisque la question<br />

ne se pose pas pour les sujets parlants. Nous avons choisi la solution arbitraire de l'enclise<br />

asyllabique. Il est moins difficile de distinguer en plein et isolé de e (œ) énonciatif<br />

interrogatif + n enclitique asyllabique, parce que cet énonciatif est localisé (c. 2400).<br />

C’est toujours bon à savoir que pour un aussi éminent connaisseur du gascon, opposer que’n à<br />

qu’en est un « faux problème ».<br />

Solutions diverses<br />

Sans toucher davantage aux bases du système, J. Séguy et ses disciples ont également opté<br />

pour des graphies inhabituelles, sans doute plus intelligibles et fidèles à la phonologie de la langue :<br />

• notation de l’article lo(s) en ses formes contractées et du pronom personnel lo(s) agglutiné<br />

à que ou autre mot grammatical d’appui : évitant l’erreur de lecture de L’application… signalée p.<br />

244, J. Séguy écrit hon do monde, bot do monde (1188), tout en laissant échapper deu poshiu à la<br />

carte 1341, alors qu’on n’y a noté aucune prononciation en [de*]… Pour le pronom, -e ou -u du<br />

mot d’appui et le pronom se réduisent à [u[s/z]] sur la majeure partie du domaine (ALG VI, 2243,<br />

2251, 2252, 2461 à 2463); nous lisons donc chez Ravier et Séguy (R.I) : qu-o(s) pp. 22, 23, 24, 25,<br />

27, 28 etc.; pour les pp. 89 et 90, la transcription phonétique de l’édition 1960 montre que qu-os<br />

rend [kuz] et qu-o, [ku]; n’o pour no lo, p. 35; p. 67, s-o pour se lo rend [su] de la transcription<br />

phonétique. Ravier (R.III) conserve ces mêmes graphies (qu-o, p. 48, 49, 51, 58…) sans qu’on<br />

puisse lui reprocher d’écrire que ses transcriptions sont « en orthographe classique occitane (dite<br />

aussi graphie Alibert) » (p. 31), puisqu’il est un des rares à avoir bien lu Alibert !<br />

• une même lecture attentive de L’application… (p. 4) : pai, mai [père, mère]) fait écrire mai<br />

et non mair pour “utérus” (1385) et “reine des abeilles” (1428); frai pour frair [frère] (1561) et pai<br />

pour pair (2390, R.I, 80).<br />

• de même, les 5 èmes personnes terminées en -[t] sont notées logiquement par -t, à l’encontre<br />

de la routine habituelle (cf. p. 277) : qu’ét {vous avez}, se n’èt {si vous (en) êtes}, ne-v deishet {ne<br />

vous laissez pas} (RI, 23); podet {pouvez} (ib, 121), etc.; cambiat {changez} (R.II, 123); serat<br />

{serez} (ib, 126); aproshat {approchez} (R.III, 185), etc.


Jean <strong>Lafitte</strong> 155 Écriture du gascon<br />

• le pluriel féminin en -[es] de la montagne est parfois noté -es, comme en aranais officiel :<br />

montanhes, cabanes (R.I, 121); mais aussi en -as; il est vrai que la transcription phonétique de 1960<br />

note soit -[&s], soit -[! ! ! ! ! !a6s], soit même -[os]; p. ex. R.I, 89-91et notation phonétique p. 72-73 : alluras<br />

[alur,os]; sinse hemnas [s,'nsé ,énne &s ,énnas]; çabatetas [sabatét&s]…<br />

• [po*] “la peur” noté normalement pòur (1112) contre paur chez Alibert qui par souci<br />

d’étymologie fait de ce mot le seul où au se lit [o*].<br />

• caddèth “dernier-né” (1272) est conforme à la prononciation largement majoritaire, surtout<br />

si l’on y ajoute l’acception “cadet” traitée à la carte 1478. C’est mieux que le cabdèt du Civadot (cf.<br />

p. 159) ou, à 80 km, le capdèt d’Atau que’s ditz (cf. p. 175), ou encore le capdèth de Narioo et<br />

autres (cf. p. 185). Cependant, la finale en -èth basée sur l’étymon “-ellu” suppose un féminin en<br />

-èra, non attesté semble-t-il : caddèta répond à caddèt; mais Palay donne le diminutif Cadderoû.<br />

• pruts {démange (le dos me)} (1247), 3 ème personne du présent de l’indicatif de prusir, aurait<br />

dû être noté prutz selon Alibert (Gramatica, p. 180); de même, puts {rectum} (1188) venu de<br />

‘puteus’ — à l’origine, cloaque aussi bien que puits —, est putz chez Alibert.<br />

• signalons enfin diverses graphies de Ravier (et Séguy dans R.I) qui vont dans le sens du<br />

rapprochement avec la langue parlée et évitent les erreurs de lecture : taben (R.I, 29, 153; II, 135) et<br />

tapòc{non plus} (R.I, 91); tems (R.I, 121, 123, 165), printems (R.I, 123), lontems (R.II, 123); par<br />

contre tostems (R.II, 119) comporte un -s étonnant, car disparu depuis longtemps selon Coromines<br />

(p. 119); sinnar, sannar (R.I, 23, 24 etc.);… Et si Séguy écrit tanpòc (1552), Allières donne trois<br />

fois tapòc dans des exemples (V-2, 6).<br />

Globalement, donc une graphie classique appliquée sans œillères, et adapté en plus d’un cas à<br />

la phonétique réelle de la langue vivante, par des universitaires qui comptent parmi les meilleurs<br />

connaisseurs de la langue gasconne.<br />

18 – La graphie de l’Escole Gastoû Febus vue par André Sarrail (1968)<br />

Un ouvrage pédagogique<br />

La place prise rapidement par les partisans de la graphie classique occitane dans l’enseignement,<br />

dans la “nouvelle chanson occitane”, puis dans la presse toujours friande de nouveauté,<br />

devait susciter pas mal d’amertume dans l’arrière-garde félibréenne qui se sentait un peu dépassée.<br />

Cela conduisit le majoral André Sarrail (1896-1981) à exposer à nouveau les règles de<br />

l’E.G.F. dans une série d’articles en béarnais publiés par les Reclams en 1967 (n° 3/4 et 9/10) et<br />

1968 (n° 5/6 et 7/8); le tout fut réuni en une plaquette à la fin de 1968. Puis une seconde édition,<br />

enrichie d’une traduction française en vis-à-vis, fut publiée en 1980 sous un double titre : Comment<br />

écrire le gascon-béarnais moderne - La grafie de l’Escole Gastoû Febus oey lou die; c’est celle que<br />

je cite ici. Secrétaire adjoint de l’E.G.F., A. Sarrail était particulièrement bien placé pour cela, car il<br />

mettait au point la copie et relisait les épreuves des Reclams depuis plusieurs années.<br />

La brochure commence par un historique de la graphie du béarnais (pp. 8-23) qui m’a servi de<br />

canevas pour mon propre exposé et dont j’ai déjà eu l’occasion de citer quelques passages. Mais<br />

malgré le champ d’action de l’E.G.F., l’auteur ne dit rien du gascon hors du Béarn.


Jean <strong>Lafitte</strong> 156 Écriture du gascon<br />

Le grand principe : on n’écrit que ce qui se prononce<br />

Entrant dans le vif du sujet, Sarrail donne la première règle : « En général toute lettre qui ne<br />

se prononce pas ne doit pas s’écrire ». On le sait bien, c’est certainement ce qui sépare le plus la<br />

graphie moderne de la classique. Or à ce sujet, Sarrail se livre à une réflexion sur les consonnes<br />

étymologiques finales qui, amuïes dans le mot simple, réapparaissent en dérivation et que Palay<br />

note entre parenthèses : poun(t), car(n)… Sarrail interprète cela comme une « liberté » laissée au<br />

scripteur. Mais j’ai montré p. 136 que jamais Palay n’avait laissé cela à la fantaisie des auteurs :<br />

pour lui comme pour l’E.G.F. depuis 1900, on n’écrit que ce qui s’entend.<br />

L’apport de Sarrail<br />

Sarrail consacre ensuite 22 pages dans chaque langue à décrire la graphie de l’E.G.F., dont les<br />

règles de 1905 tenaient en moitié moins; c’est dire que le texte est aéré, et aussi fortement glosé. Je<br />

n’en retiens que ce qui me parait nouveau par rapport à 1905, fût-ce déjà adopté par Bouzet ou<br />

Palay.<br />

Pour distinguer les deux types de -e, Sarrail préconise de systématiser la pratique de Palay<br />

entérinée par la grammaire de Courriades (p. 142 ci-dessus), mais dont j’ai signalé les lacunes.<br />

Des innovations de Palay, Sarrail entérine également l’accentuation de ou, soit où, soit oû,<br />

l’élimination de l’h muet; et bien sûr, il garde le ç introduit par Bouzet et utilisé par Palay. Mais il<br />

n’apporte lui-même rien qui distingue le -n vélaire du -n dental ni le e légèrement nasal du é pur<br />

tonique, comme il l’était en 1900. Au demeurant, p. 37, il semble confondre le -n vélaire subsistant<br />

dans les parlers du Gers pour l’équivalent de capoû, marroû (marron) et le -n dental des mots<br />

communs « chin, maynadin, roun, que badoun ».<br />

Il n’accepte pas le concept de graphie englobante qui avait guidé Palay dans la préférence<br />

pour le j sur l’y, le j pouvant se réaliser en [2] ou [j], pas l’y. Il en fait une affaire de choix personnel<br />

« par habitude » (p. 55), tout comme de la liberté de noter par -o la finale féminine atone car « les<br />

Armagnaquais et les montagnards […] tiennent à cet o comme à la prunelle de leurs yeux. » (p. 73).<br />

Or cette liberté aboutit à introduire dans le système une quantité considérable de mots finissant par<br />

-o atone, alors que le -o est traité comme tonique par ailleurs; on arrive à ce que belo soit [!e'lo]<br />

pour “vélo” en général, et ['!elo] pour “voile” en Armagnac (p. 39). Curieuse conception d’un<br />

système; en fait, laxisme bienveillant qui sacrifie la langue aux fantaisies de petits auteurs locaux.<br />

Pourtant, même si sa formulation pratique est plutôt confuse, Sarrail admet en plusieurs cas<br />

que les variantes de prononciation ne justifient pas toujours des graphèmes différents; ainsi pour ch<br />

réalisé en [0] ou [tj] (pp. 51-53); mais il ne semble pas faire la différence entre le ch de bacha (qui<br />

ne sera nulle part [0] ou [tj]) et celui de chaca qui peut l’être; de même, en préférant la graphie -t de<br />

bèt (cèu de Pau), il n’imagine pas que bèth puisse convenir partout (pp. 59, 61).<br />

Il donne par contre, p. 53, d’utiles indications sur le sort de -ts final dans les dérivés en une<br />

remarque importante pour la bonne intelligence des graphies -tz-, -ts-, -ds- et -dz- du Palay , comme<br />

nous le verrons plus loin (p. 327).<br />

Sarrail détaille aussi les réalisations de x, graphème “savant” à réalisations multiples<br />

fortement marquées par la prononciation. Il donne ensuite les prononciations réelles et tout en<br />

exprimant sa préférence pour une graphie qui reflèterait mieux celles-ci, en reste au x uniforme de<br />

la décision de 1905. J’y reviendrai p. 330.


Jean <strong>Lafitte</strong> 157 Écriture du gascon<br />

Sur la prononciation du r, il énonce une règle que je n’ai encore jamais vue ailleurs : il serait<br />

« redoublé devant une consonne : arpasta, barquî. » Pour barquî, au moins, l’ALG III, 926 ne signale<br />

aucune prononciation forte du -r-; et si arpasta ne semble pas s’y trouver, carga ne comporte<br />

pas non plus une telle prononciation (ALG II, 377); de même pour arpan(t), dont le -r- est toutefois<br />

fort en basque (ar" pana au point 691 O, Labastide-Clairence, ALG I, 134). Mais le r est fort après<br />

n : Enric, enraumassat (ALG IV, 1441), enraucat (ib., 1442), ce que ne dit pas Sarrail.<br />

Malgré qu’il insiste sur le caractère phonétique et non étymologique de la graphie de l’E.G.F.<br />

(par exemple, p. 69), Sarrail ne manque pas de justifier certains choix par l’étymologie; ainsi pour<br />

le choix entre c et s/ss, p. 51; entre c et qu, p. 53.<br />

Incidemment, il reconnait l’usage d’accents diacritiques : p. 31, à (préposition) / a (verbe), le<br />

contraire de l’étonnant choix de Bouzet; p. 35, e (conjonction) / é (= ey dans les Landes). Mais il est<br />

pour la limitation des accents au strict indispensable tel qu’il résulte des règles énoncées (cf. p. 29,<br />

31, 39, 43), ce qui est une bonne chose…<br />

Pour conclure, je reviendrai sur les deux titres de l’édition 1980 de la brochure de Sarrail : le<br />

second, en béarnais, laissait entendre que les normes de l’E.G.F. avaient été actualisées « ouey lou<br />

die », aujourd’hui. Or en fait, nous n’avons rien trouvé de nouveau par rapport à Palay, mais un<br />

essai méritoire pour exposer les règles de l’E.G.F. que l’on avait perdues de vue. Cependant, Sarrail<br />

a vite montré ses limites, trop préoccupé de combattre la graphie classique qu’il connaissait mal (il<br />

semblait croire, p. 23, qu’elle faisait écrire faure en gascon, alors que c’est haure, comme à<br />

l’E.G.F. ! 26 ) et peu versé dans la linguistique; on en a la preuve dans la naïve présentation qu’il<br />

fait, p. 47, des voyelles et des diphtongues qui « peuvent s’accoupler et même s’ajouter, de façon<br />

curieuse » ou, p. 49, du /w/ intervocalique : « les parlers de Bigorre et du Gers […] ont traduit le b<br />

intervocalique par ou (w anglais de tramway) ».<br />

Ce n’était sans doute pas du niveau des “adversaires” comme on va le voir de suite.<br />

19 – La graphie “occitane” appliquée au gascon par R. Darrigrand (1969)<br />

L’une des tâches premières que s’était donnée l’association Per Noste fut de produire des<br />

outils pédagogiques pour enseigner le gascon dans les normes de l’I.E.O. Parmi ceux-ci, un<br />

modeste livret de 40 p., Comment écrire le gascon paru en juin 1969 et réédité en 1974. Un<br />

Avertissement très sobre cite les sources, et spécialement les brochures de l’I.E.O. de 1950 et 1952.<br />

Certes, l’introduction historique est un peu un catéchisme apologétique de la graphie classique,<br />

la sacro-sainte référence à l’écriture médiévale ignorant celle du béarnais et d’une bonne part<br />

du gascon (on ne connait que des finales en -a et on oublie qu’étaient déjà dans nos vieux textes les<br />

aube, abelhe, cagne attribués à l’E.G.F.).<br />

Mais le reste, c’est un exposé méthodique des règles de l’I.E.O. appuyé de nombreux exemples<br />

de gascon béarnais : au total quelque 1200 mots dont l’orthographe “occitane” est ainsi donnée.<br />

Un seul regret : l’ordre méthodique oblige, en cas de doute, à deviner quelle peut être la règle<br />

où le mot douteux a des chances d’être donné; une table alphabétique en aurait fait un précieux<br />

lexique orthographique. Or les seuls dictionnaires en graphie classique dans l’ordre du gascon sont<br />

celui de Pierre Mora (1994), où l’on trouve bien des erreurs de graphie et qui est épuisé, et celui<br />

26 Une même ignorance de la part de M. Grosclaude (1986-1, 64) lui a fait critiquer le ou de la graphie des félibres pour<br />

ne pas savoir distinguer le [u] de [%*], et de citer l’exemple de hòu {fou} que seule la graphie occitaniste écrirait bien.<br />

Or le hòu était déjà chez Mistral en 1882 et chez Palay dès 1932 !


Jean <strong>Lafitte</strong> 158 Écriture du gascon<br />

d’Éric Chaplain (2002), dans ma graphie classique DiGaM, qui n’est pas exactement celle de<br />

l’I.E.O., comme nous le verrons bientôt.<br />

Toutes les graphies données ne sont pas exemptes de critique, comme con.hessar (confesser),<br />

in.hèrn (enfer) qui ont perdu depuis des siècles le -n- (cf. Grosclaude, 1977, 149 : « prononcez couhessar<br />

[sic, avec -r], … i-hèr ») qu’aucune règle n’obligeait de rétablir, risquant de fausser la lecture;<br />

alors que dans un cas similaire, en rééditant Salette, 1483-1983, l’auteur écrit cohonetz, p. 20,<br />

cohona, p. 39…). On peut aussi relever des coquilles comme « en.hornar, enfoncer » au lieu de<br />

“enfourner”… Mais c’est peu de chose : dans l’ensemble, c’est une application honnête et intelligente<br />

des règles de 1952.<br />

20 – Les modifications de la graphie classique de l’I.E.O. en 1975<br />

Coup sur coup, la Commission de Normalisation Philologique de l’I.E.O. va adopter deux<br />

séries de décisions qui prendront effet respectivement au 1 er juillet 1975 et au 1 er janvier 1976 :<br />

– 1 ère série : cossí (au lieu de consí) adverbe interrogatif [languedocien]; mais il faudra<br />

attendre les “confirmations” de 1989 (voir p. 166) pour que soit mentionné le cas similaire de<br />

mossur et de son dérivé mossurejar; maquina (au lieu de machina) et sa famille : maquinal,<br />

maquinalament, maquinista, etc. [c’est de la normalisation linguistique et non graphique, et les<br />

formes gasconnes maquinau, maquinaument sont ignorées]; et surtout realisar (au lieu de realizar)<br />

et, de façon générale, notation par -s- de tous les /z/ intervocaliques. (P.N. n° 49, 7-8/1975, p. 19);<br />

– 2 ème série : fasiam, fasiatz, fariam, fariatz (au lieu de fasiàm fasiàtz, fariàm, fariàtz) [affaire<br />

n’intéressant pas le gascon]; proïbir (au lieu de prohibir). La lettre h d’origine étymologique et<br />

sans aucune valeur phonétique ne s’écrit pas entre deux voyelles. Exemples : la coërencia, coërent,<br />

la coësion, la proïbicion, lo proïbicionisme, proïbicionista, proïbitiu, reabilitable, la reabilitacion,<br />

la veeméncia, veement, lo veïcul, etc… (“Document officiel” en languedocien, non daté,<br />

aimablement communiqué par J. Taupiac).<br />

21 – La graphie “occitane” du gascon d’Aran (1983)<br />

La reconnaissance officielle de l’aranais par la Catalogne et l’Espagne (p. 52) appelait la<br />

définition officielle de son orthographe; « appelait », au moins dans l’esprit des occitanistes qui<br />

n’imaginent les langues d’oc que corsetées par des règles (cf. p. 143). Ainsi, vingt ans après le<br />

Béarn, mais avec plus de retentissement du fait du statut de la langue, le Val d’Aran allait à son tour<br />

mettre son gascon à l’heure de la réforme occitane. Une commission fut créée avec des linguistes<br />

catalans, des linguistes français (le Pr. P. Bec et M. Grosclaude, spécialistes du gascon, et J.<br />

Taupiac, <strong>Gascon</strong> spécialiste de l’« occitan standard ») et des représentants des locuteurs (Viaut,<br />

1987, 102). Mais là, parce que cette langue serait utilisable dans la vie publique, c’est par un décret<br />

du 14 janvier 1983 du Président de la Généralité de Catalogne qu’allaient être adoptées les Normes<br />

orthographiques de l’aranais. J’en ai publié le texte en synopse avec celui des règles de l’I.E.O. de<br />

1952 pour le gascon (Ligam-DiGaM n° 13, Avril 1999, pp. 4-18).<br />

Il apparait à l’évidence que la chaussure occitane offerte aux Aranais ne convenait pas tout-àfait<br />

aux pieds délicats de la Cendrillon des montagnes, et leurs normes présentent des différences<br />

non négligeables par rapport à celles du gascon général (Viaut, ib., 115-118). En voici des plus<br />

topiques :


Jean <strong>Lafitte</strong> 159 Écriture du gascon<br />

Bien qu’utilisant l’article gascon de la montagne, l’aranais en écrit le pluriel différemment de<br />

la norme générale du gascon; eths, eras, c’est es pour les deux genres, de telle sorte que le contracté<br />

est des comme en français : la bòrda des motons {la bergerie des moutons}, la bòrda des oelhes {la<br />

bergerie des brebis}.<br />

Le pluriel des noms féminins en -a (= majoritairement [a]) est en [es] noté -es, tout<br />

simplement; mais en signalant cette particularité du féminin pluriel — partagée d’ailleurs avec les<br />

parlers gascons de la montagne, de Gavarnie au Comminges (ALG VI, 2067) —, R. Darrigrand<br />

(1969-3, 6) estimait que « cela n’empêche pas de les graphier “as” : pòrta, pòrtas (pòrtes) »; cela ne<br />

fut pas l’avis des intéressés qui ont tenu à écrire pòrtes. Le passage à [e] du a posttonique se produit<br />

également dans les verbes, généralement quand il est suivi de consonne; la même fidélité<br />

phonétique le fait écrire e : à l’indicatif des verbes en -ar : que canti, cantes, cante, cantam, cantatz,<br />

canten; à l’imparfait : qu’auia, auies, auie, auíem, auíetz, auien, au subjonctif des verbes en -er et<br />

-ir : que hèja, hèges, hège, hègem, hègetz, hègen.<br />

Le produit masculin du suffixe latin ‘-olu’ aboutit à -[o] en aranais, comme du Lavedan au<br />

Comminges et jusqu’en Lomagne et Armagnac ainsi qu’à Bayonne (ALG VI, 2120; cf. ‘nogarolu’<br />

> Nougaro, ville du Gers); or L’application… de 1952 préférait -òu pour la langue littéraire (cf. p.<br />

148). Les Aranais s’y sont formellement opposés, cette graphie représentant un état ancien de la<br />

langue qu’il n’y a plus de raison de noter. Ils écrivent donc linçò, dò… (drap, deuil…).<br />

La finale /è/ est systématiquement notée par -tz lorsqu’il ne s’agit pas du pluriel d’un singulier<br />

en -t, alors que la norme gasconne et occitane réserve -tz à l’aboutissement d’un ce/ci latin. C’est<br />

beaucoup plus simple et mérite d’être étendu.<br />

Dans l’ensemble, donc, une volonté de rapprocher l’écrit de la langue encore vivante, facteur<br />

indéniable d’identité, en écartant des contraintes d’alignement sur une hypothétique langue occitane<br />

unifiée sur la base d’un languedocien bien lointain, ou même sur un ensemble gascon, sans attrait<br />

particulier. Cela montre les limites pratiques de la doctrine occitaniste d’unification graphique et<br />

linguistique dès qu’on est en présence d’une langue vivante; même l’“unité” gasconne a dû être<br />

sacrifiée, sans provoquer la démission des trois occitanistes français de la commission.<br />

22 – La graphie classique du gascon selon La Civada - Per Noste (1984)<br />

Présentation<br />

L’année suivant la publication des normes d’Aran à l’élaboration desquelles il avait activement<br />

participé, M. Grosclaude prenait encore une part majeure dans la publication du premier dictionnaire<br />

français-béarnais édité par les associations La Civada et Per Noste; idéologiquement titré<br />

Petit dictionnaire Français-Occitan (Béarn) (cf. p. 43) mais plus familièrement appelé le Civadot,<br />

il offre plus de 7 000 entrées françaises (dont plus de 6 500 noms “communs” et une table séparée<br />

de plus de 500 noms “propres”). Certes, M. Grosclaude ne signait explicitement que le titre II de<br />

l’introduction, Situation du parler du Béarn dans l’ensemble occitan, mais son autorité reconnue, à<br />

tous les sens du terme, permet de voir sa touche dans l’essentiel des Choix linguistiques du titre III,<br />

des Choix orthographiques du titre IV et, corrélativement, du Comment prononcer l’occitan dans le<br />

Béarn du titre V. En principe, seuls les titres IV et V devraient retenir notre attention au titre de la<br />

graphie; mais deux points du III touchent à la graphie et à la lecture, tandis que le 2 et le 3 du titre<br />

IV sur la notation ou non d’un -e “de soutien” dans des mots comme intime, objècte ou telefòne<br />

affectent directement la langue elle-même (cf. p. 148), ce qui est hors de notre sujet.


Jean <strong>Lafitte</strong> 160 Écriture du gascon<br />

De quelques orientations linguistiques à conséquences orthographiques<br />

Je parlerai néanmoins d’un choix linguistique basé sur la doctrine occitaniste qui consiste à<br />

remettre en usage les adjectifs en -ar que la langue vivante a remplacés depuis des siècles par des<br />

formes analogiques en -ari ou -ièr : militar pour militari, particular pour particulièr (Salette, 1483-<br />

1983, écrivait populari, p. 35; salutari pp. 21, 44, 279…). Je ne discuterai pas ici de cet archaïsme,<br />

ni du barbarisme qui invente un féminin en -ara à des mots que la langue ancienne a toujours traités<br />

comme épicènes, suivant en cela le latin, et à l’instar du castillan ou du catalan. Mais par contre,<br />

écrire que, dans ces adjectifs, le -r s’entend, donc militar dit [mili·tar] comme adjectif, alors qu’il<br />

est muet dans le verbe, [mili'ta], c’est non seulement créer une nouvelle difficulté de lecture, mais<br />

encore faire revivre un -[r] amuï depuis au moins six siècles (le Dénombrement de 1385 prescrit par<br />

Fébus note laa aussi bien que lar, deu Brocaa, Vielaa, Moliaa, Laugaa etc.).<br />

De même, pour les adjectifs en -e qui sont épicènes en [œ] ou [e] en Béarn comme dans plus<br />

de la moitié du territoire gascon, les auteurs se sont résignés à leur donner un féminin en -a comme<br />

« sacrifice à l’unité linguistique de la Gascogne », tout en disant qu’il se lira comme un -e, n’étant<br />

qu’une « pure convention d’écriture ». C’est donc un choix “graphique” et non “linguistique”; mais<br />

dans un monde où la langue naturelle s’entend de moins en moins, c’est une difficulté de lecture de<br />

plus (il faut se souvenir que le masculin est en -e !) qui conduira inéluctablement à un changement<br />

linguistique… C’est exactement ce qu’ont refusé avec succès les Aranais qui ne pouvaient lire [e]<br />

le a de que pòrta, las hemnas etc.<br />

Les orientations orthographiques<br />

Pour les choix orthographiques proprement dits, les auteurs se réfèrent avant tout au système<br />

défini par Alibert en 1952 (« il y a plus de trente ans »); mais curieusement, ils le légitiment<br />

d’abord par le fait qu’il a été « adopté par de nombreux félibres », autrement dit ceux du “camp<br />

d’en face”, « ainsi que par l’<strong>Institut</strong> d’Estudis Occitans (I.E.O.) »; celui-ci figure donc en second<br />

alors que c’est lui qui a invité Alibert à rédiger les normes et les a publiées comme « documents de<br />

l’I.E.O. » en 1950 et 1952. Et mis à part les abbés Saint-Bézard (1910-1983) et Grangé (1922-<br />

1989), majoraux du Félibrige, on voit mal à quels félibres gascons il peut être fait ici allusion.<br />

Étrange… cela nous rappelle ces contes pour enfants où le loup se revêt d’une peau de mouton pour<br />

mieux s’approcher du troupeau. Plus concrètement, les auteurs se réfèrent ensuite à la mise en<br />

œuvre de ces normes par R. Darrigrand en 1969.<br />

Ils s’écartent toutefois du système de l’I.E.O. de 1950-52 dans trois cas (p. 19) :<br />

« – 1 er cas, quand il s’agit d’une modification adoptée par une décision officielle de la<br />

commission linguistique de l’I.E.O. (dite Servici de linguistica aplicada);<br />

« – 2 ème cas, quand il s’agit d’une modification passée dans l’usage et admise par la très<br />

grande majorité des linguistes occitans;<br />

« – 3 ème cas, quand nous nous sommes trouvés en face d’un problème orthographique non<br />

prévu par Alibert et spécifiquement gascon ou béarnais. »<br />

Le premier cas devrait aller de soi; c’est ainsi qu’est supprimé l’h muet de vehicul > veïcul et<br />

que le -z- étymologique intervocalique passe à -s- : realizar > realisar, comme precisar dont le -s-<br />

est étymologique (décisions I.E.O. de 1975, p. 158). Mais ces décisions ne furent pas acceptées de<br />

tous, comme on le verra plus loin (p. 197).<br />

Le second cas relève du bon sens, mais crée une “autorité” de l’usage qui dévalue celle de<br />

l’I.E.O. en tant qu’organe “législatif” en la matière (voir également p. 197).


Jean <strong>Lafitte</strong> 161 Écriture du gascon<br />

Le troisième cas est aussi de bon sens; il a l’avantage de reconnaitre publiquement qu’Alibert,<br />

auteur des normes, n’a pas « prévu » tel ou tel problème « spécifiquement gascon ou béarnais », ce<br />

que j’ai dit autrement en montrant qu’il connaissait mal le gascon (<strong>Lafitte</strong>, 2002-3). C’est donc<br />

reconnaitre aussi qu’on ne peut accepter les règles d’Alibert les yeux fermés, et cela légitime par<br />

avance tout changement à ces règles qui se justifiera par la méconnaissance d’un problème gascon,<br />

voire son traitement défectueux.<br />

Ceci dit en hors-d’œuvre, voyons maintenant les aménagements que les auteurs du Petit<br />

dictionnaire ont apportés aux normes en vigueur.<br />

Les nouveautés orthographiques<br />

Ignorant semble-t-il que l’accent aigu sur le i de « haría, vesía, amía » etc. avait été prévu par<br />

L’application… de 1952 pour marquer la chute d’un -n- intervocalique de l’étymon, les auteurs le<br />

suppriment, estimant notamment qu’il s’agit d’une simple « habitude [qui] s’était prise en Béarn ».<br />

Mes propositions du Chapitre V, p. 315, reviendront sur cette suppression.<br />

Un mot comme [je] {hier} qui se réalise aussi [2e] sera noté ger, la notation occitane ier ne<br />

permettant pas la seconde réalisation. On peut en dire autant de jo {je}, en occitan ieu.<br />

La réalisation [kw] de quelques mots en qua- devrait se noter qüa pour l’opposer à qua lu<br />

[ka]; mais comme cela ne touche que très peu de mots, on évitera ce tréma. Certes, mais à l’échelle<br />

de l’ensemble gascon, cela ne permet pas de retrouver les prononciations réelles, et contrairement à<br />

ce qui est dit, il ne s’agit pas là d’une innovation de J. Taupiac (1977), mais d’une règle établie dès<br />

1952, sauf que c’était une lunule (q#an) ou un accent aigu (qúan) qui étaient prévus; et P. Bec<br />

(1956) avait déjà jugé inutile tout signe diacritique, vu le petit nombre de mots concernés; mais qui<br />

lit les normes ? Au fond, rien de neuf sur ce point dans le Civadot.<br />

La lecture du -n final donne lieu à des explications complexes, ce qui n’a pas de quoi<br />

surprendre, puisqu’il est muet le plus souvent, mais dental dans certains mots; il y a un essai de<br />

classification de ces mots en cinq catégories, ce qui peut faciliter la mémorisation, mais la<br />

quatrième, catégorie “balai” indéfinissable, est indument réduite aux seuls monosyllabes (an, en,<br />

drin, lo nin, lo chin, etc.) que rien, au demeurant ne distingue de lo vin, lo pan, lo can, la man etc.<br />

et qui laisse en dehors agramen, augan, batan, braguen, carcan, càven, engan, envan, etc.<br />

Même problème, connu, du -r final, avec aussi un essai de classification de ces mots en cinq<br />

catégories; mais qui saura, au cours d’une lecture, que tambor a le -r audible parce qu’emprunté au<br />

français ?<br />

De même, qui saura que chivau est un gallicisme, et qu’à ce titre, son ch est [#] et non [0] ?<br />

Donc, au niveau des principes et règles générales, pas grand chose de neuf — ce n’était pas le<br />

propos — mais une tendance assez nette à faire simple et autochtone, sans oser se débarrasser des<br />

complications structurelles du système. De la bonne ouvrage.<br />

À l’épreuve des mots du dictionnaire<br />

Au plan concret du contenu, quelques remarques :<br />

– capítol, píbol, títol sont écrits avec -l étymologique que l’on n’entend pas, mais cela n’est<br />

pas précisé pour títol; on en reparlera bientôt avec le Mémento grammatical du gascon.


Jean <strong>Lafitte</strong> 162 Écriture du gascon<br />

– laid, laide est traduit par « lèd,a », mais on ne dit pas que le -d du masculin est muet sauf en<br />

quelques lieux comme la vallée d’Aspe; alors que pour grad, degré, il est justement précisé « ne<br />

pas prononcer le d ».<br />

– oui est traduit par « òc, quiò », ce dernier s’analysant en que-òc; or il perd judicieusement<br />

son -c, alors que òc le garde, sans que rien ne prévienne le lecteur qu’il est muet.<br />

– paur {peur} figure sans indication de prononciation; alors que M. Grosclaude précise par<br />

ailleurs (1977, 55) « páur (peur) se prononce “pou” ou “pow”, selon les régions » (noter au<br />

passage l’accent aigu sur a en 1977, disparu en 1984); j’y reviendrai au Chapitre IV (p. 298).<br />

– est peu cohérent le traitement des mots “savants” issus d’étymon en -mpt- : M. Grosclaude<br />

(1977, 49) donnait condar/contar pour “compter” comme pour “raconter”, tout en ajoutant « Vous<br />

pouvez écrire comptar pour dire “compter”, mais c’est une orthographe savante et francisée »; on<br />

ne pouvait mieux dire. Or le Civadot donne de tout, sans indiquer les préférences ni les seules<br />

prononciations valables, en [nt] ou [nd] : pour la famille de “compte”, compte, conde, comptar,<br />

condar, mais seulement comptable,-a, comptador,a, comptader; “à bon compte” est a bon conde,<br />

mais “compte-rendu”, compte rendut; pour celle de “tenter”, on n’a que temptar, mais il est aussitôt<br />

précisé « prononcez [ténta] »; cependant, cette précision manque pour temptativa et au mot “pari” :<br />

« Tenter le pari : temptar la jòga »; enfin, symptôme, c’est simptòma. Il est vrai que les Aranais font<br />

encore mieux avec un étrange compdar ! Quant à l’« usage », nous verrons au Chapitre IV (p. 238)<br />

qu’il tend vers la simplification.<br />

– est aussi incohérent le traitement de /ye/ ou /y!/, /3e/ ou /3!/, /we/ ou /w!/, pour partie à<br />

cause du système lui-même comme nous l’avons déjà pressenti en étudiant les règles I.E.O. de<br />

1952; ainsi, malgré ces règles reprises par P. Bec, on trouve sans tréma pruèr {prunier}, (bar)luèc<br />

{bizarre} contre prüèr et lüèc (Bec, 1956, 26); fuèl {fuel} se lira normalement [fw!l] alors qu’on<br />

entend [f3!l] (comme en français) sur la cassette d’accompagnement de M. Grosclaude (1977, 77);<br />

de même pour truèla {truelle} qui, peut-on supposer, devrait s’entendre [try'!lo/œ]; quant à Cruèsa<br />

{Creuse} et Suèda {Suède}, on ne sait comment les auteurs en attendent la prononciation. Enfin,<br />

avec istuèra {histoire}, nous avons l’hypercorrection de type *patuès signalée plus haut, p. 147;<br />

sept ans plus tôt, M. Grosclaude (1977, 49) écrivait correctement istoèra.<br />

Et je renvoie au chapitre suivant (p. 216) l’inventaire des diverses incohérences internes.<br />

Finalement, un travail sérieux, avec relativement peu d’erreurs, donc d’une grande utilité.<br />

23 – Le communiqué de l’I.E.O. de 1985<br />

Ce n’est que par le n° 23 d’Été-Automne 1987 d’Occitans !, revue alors trimestrielle de<br />

l’I.E.O., qu’a été publié un étrange document daté d’Octobre 1985 et intitulé « Propositions du<br />

Secteur de linguistique de l’<strong>Institut</strong> d’Études Occitanes »; curieux, car ces « propositions » sont en<br />

réalité le rappel d’une série de règles existantes, en principe du moins !<br />

On trouvera un résumé en Annexe XIII, avec la reproduction intégrale des points qui affectent<br />

ou peuvent intéresser la graphie du gascon. En voici l’essentiel :<br />

L’abandon du -z- étymologique grec ou arabe pour noter le -/z/- intervocalique, décidé en<br />

1975, est ici confirmé… en attendant son retour en 1997 : voir plus loin, p. 174. Est de même<br />

confirmée la notation sur les majuscules des accents graphiques, de la cédille et du tréma.<br />

Nouveau est par contre l’abandon discret du critère étymologique d’emploi des digrammes tg


Jean <strong>Lafitte</strong> 163 Écriture du gascon<br />

e tj (< -t’cu/-d’cu latins), posé par la Gramatica occitana d’Alibert et repris par La réforme… et<br />

L’application… Il est vrai qu’Alibert le violait lui-même dans cette Gramatica et son dictionnaire<br />

en écrivant relòtge {horloge} < ‘horologium’.<br />

Et désormais, le mot renèc — que je n’ai jamais rencontré dans un texte gascon — s’écrira<br />

par -c alors que La réforme… et L’application… voulaient explicitement renèg (< ‘renegare’ latin).<br />

Est encore rappelée la norme gasconne de L’application…, expressément citée, qui admet u<br />

pour /w/ intervocalique; c’est surtout un plaidoyer pour u, auquel tient beaucoup J. Taupiac, mais<br />

que n’utilisent guère les écrivains. Je donne ma position p. 254.<br />

Enfin, sous l’étiquette de « Norme précisée » est admise la tolérance, pour le languedocien<br />

méridional, de noter le /#/ par ish, privilège jusque là réservé au gascon comme règle normale. Il est<br />

ainsi mis fin à la tentative de certains grammairiens occitans qui auraient volontiers supprimé ce<br />

“privilège” gascon. Sur le fond, l’idée avait été écartée avec pertinence par J. Boisgontier, approuvé<br />

par J. Taupiac (chapitre « 4 Le graphème ish en occitan de <strong>Gascon</strong>ha » de la plaquette I.E.O.<br />

Document de trabalh de l’estiu de 1979) : on ne peut noter de la même façon los reis [re"s] “les<br />

rois” et los peis [pe#] “les poissons”, ou encore plegadís [ple5a'dis] “flexible” et lo pis [pi#]<br />

“l’urine”. Cela n’avait pas convaincu R. Teulat qui croyait voir « dans la défense de -ISH- quelque<br />

chose de sociologique (défense de l’identité gasconne par le biais d’une différence d’écriture) » et<br />

voyait avec crainte l’extension possible de cette graphie au languedocien du sud et même au<br />

limousin (Q.L.O. n° 9, p. 76). C’est pourtant ce qui est décidé ici pour le languedocien du sud, qui<br />

peut enfin noter sa prononciation autochtone.<br />

24 – L’apport d’André Hourcade à la graphie classique (1986)<br />

La Grammaire <strong>Béarnais</strong>e d’André Hourcade est précieuse pour la construction de la phrase<br />

béarnaise, mais ne traite ni de phonétique ni de graphie. Et elle a l’avantage de venir d’un auteur<br />

modeste qui cite scrupuleusement les maitres qui l’ont précédé et situe sa réflexion dans leur<br />

sillage. Au détour d’une phrase, d’un exemple, cependant, j’ai pu noter quelques points qui<br />

affectent la graphie (classique), d’autant plus intéressants qu’ils viennent d’un <strong>Béarnais</strong> locuteur<br />

naturel 27 en même temps que grammairien réfléchi.<br />

p. 63, un o ua volentari : l’auteur admet en béarnais la graphie épicène de ce genre de mots<br />

paroxytons terminé en -i, graphie qui correspond exactement à la prononciation épicène. Dans son<br />

introduction aux Psaumes de Salette (1483-1983, XXIX) R. Darrigrand écrit aussi lenga vernaculari.<br />

p. 71, beròjas que d’autres notent beròias; la question sera examinée pp. 254-260.<br />

p. 75, possessifs (sans l’article) mons, tons, sons; M. Grosclaude (1977, 39) et le Mémento<br />

grammatical du gascon (1989, 43) donnent mos, tos, sos; or s’agissant de proclitiques, le ns sera lu<br />

comme intérieur, donc [ns], et non comme final, [s]. En fait, si l’on se réfère aux cartes 2352 et<br />

2355 de l’ALG VI, le Béarn, comme les deux tiers du domaine adossé aux Pyrénées, ne connait que<br />

des formes avec article; ailleurs, on ne trouve [n] qu’en un ou deux points, une légère nasalisation<br />

du [o] en quelques autres; A. Hourcade pourrait s’être trompé sur ce point.<br />

p. 89, pronom ac/at : devant le polymorphisme de ce démonstratif, A. Hourcade se prononce<br />

27 …jusqu’à colorer son français par sa langue maternelle, p. 62 : « Les considérations qui précèdent, pour aussi<br />

intéressantes qu’elles soient… »; c’est rare en français (Grévisse, n° 1092, a, 5°), mais c’est du pur béarnais : « per tan<br />

interessantes qui síen ». On a plaisir à le constater.


Jean <strong>Lafitte</strong> 164 Écriture du gascon<br />

nettement pour la graphie at en Béarn et partout où l’on dit [at]; on ne saurait que l’approuver,<br />

aucune règle générale de lecture ne permettant de lire -[t] ce qui est noté -c.<br />

p. 92, pronom ne/en : en citant largement Bouzet, A. Hourcade délimite très clairement les<br />

cas (rares) où la graphie en est “correcte”; c’est-à-dire dans des tournures comme « da-l’en », « tà<br />

l’en balhar » qui ne sont en usage que vers l’ouest (Landes, Orthez, Salies, Bas-Adour…); mais on<br />

a vu, p. 154, que pour Séguy, c’est un « faux problème ».<br />

p. 119, féminin en -a des adjectifs en -e : contrairement à son choix sur volentari épicène,<br />

comme sur les adjectifs en -au (< -alis), également épicènes (p. 118-119), l’auteur entérine ici les<br />

féminins en -a prononcé -[e] en ajoutant « ceci n’est qu’une norme graphique »; ce n’est pas très<br />

cohérent… et c’est désastreux pour la transmission de la langue, comme nous l’avons déjà noté p.<br />

160. Au demeurant, p. 124, l’exemple tiré de Despourrins « Tau medish tendre com l’arrós »<br />

affiche un tendre épicène, puisqu’il s’agit de la femme aimée : Coum lou Sou, claréyante qu’ère, /<br />

Taü médich téndre coum l’arrous dit l’édition Vignancourt de 1886, p. 5, Elle était lumineuse<br />

comme le soleil, aussi tendre que la rosée. Chassez le naturel…<br />

p. 140, sur les verbes en -ir passés à -ar comme exigir/exijar; bien que ce soit ici une question<br />

de langue et non de graphie, je crois utile de citer une réflexion de bon sens de cet auteur, qui va à<br />

contre-courant des tendances archaïsantes de l’occitanisme; certes, il part d’un faux constat, ayant<br />

cru trouver un verbe « autregir » dans le For de Morlaas (cité par Lespy dans sa Grammaire, p.<br />

107) qu’il oppose à « autreyar » d’une lettre de la Princesse de Viane de 1480 du même livre, p.<br />

119; or le For porte « autregi », “j’accorde”, forme du verbe autrejar, qui, comme octroyer, vient<br />

du latin auctorizare citée par Lespy; mais la suite est juste : de Lespy (qui, il est vrai, collectionnait<br />

les formes anciennes) à Palay, les formes en -ar variantes de -ir ont le plus souvent été remplacées<br />

par les seules formes en -ar. Et d’ajouter :<br />

« On pense généralement que cette évolution est due à l’influence du français : en<br />

effet, les verbes français correspondants sont du 1 er groupe (octroyer; exiger; décider;<br />

corriger; etc...). Cela est certainement vrai, mais n’y aurait-il pas aussi le fait que les<br />

verbes ainsi transformés sont plus faciles à conjuguer et, tout simplement, à dire que sous<br />

leur forme première ? »<br />

Au demeurant, les grammairiens de Per Noste privilégient pour les trois groupes les<br />

subjonctifs en -i — ceux de la région d’Orthez — parce que plus faciles à conjuguer que ceux<br />

venus du latin, en -e pour les verbes en -ar, en -a pour ceux en -e et en -ir; n’est-ce pas la même<br />

démarche vers la facilité ? Mais sur la question des subjonctifs, précisément, A. Hourcade est d’un<br />

avis opposé, et parfaitement justifié (p. 158).<br />

p. 150, futur et conditionnel des verbes en -ar : contrairement à son attitude pour le pronom at<br />

noté selon la prononciation, mais en accord avec le -a féminin lu -[e], A. Hourcade ne connait que<br />

les formes écrites en -a- (aimarèi, aimaràs…) : « le “a” […] se dit fréquemment “é” : [qu’aimérèi,<br />

aiméràs…] et même “i” dans certains cas [qu’anirèi, aniràs…]. »; mais il oublie de mentionner ces<br />

prononciations dans le tableau de conjugaison d’aimar (p. 324). Ici encore, c’est la mort programmée<br />

de ces formes, qui sont celles de plus des trois-quarts du domaine gascon (ALG V, 1725),<br />

comme le reconnait l’auteur pour le conditionnel : « dans la plupart des régions » (p. 163).<br />

Il y a donc quelques ombres au tableau dans cette grammaire, mais on peut apprécier<br />

globalement la démarche de l’auteur, en recherche d’une graphie qui respecte l’authenticité de la<br />

langue gasconne et béarnaise.


Jean <strong>Lafitte</strong> 165 Écriture du gascon<br />

25 – Une critique d’ouvrage par Jean Salles-Loustau (1986)<br />

Jean Salles-Loustau a très peu publié, même quand il était à la tête des Reclams, de 1984 à<br />

1990, mais cela s’explique sans doute par ses occupations professionnelles et la préparation de sa<br />

thèse sur Camélat, non moins que par la charge d’une revue à laquelle il avait su donner une belle<br />

tenue.<br />

Il a néanmoins signé quelques critiques de livres et un ou autre article, et on peut logiquement<br />

lui imputer les critiques et billets anonymes publiés sous son contrôle de directeur de la revue.<br />

Nous nous arrêterons ici sur sa critique (Reclams 7/8/9-1986, pp. 200-201) de la réédition en<br />

graphie classique occitane par André de Gavaudan de l’Anthologie populaire de l’Albret de l’abbé<br />

Léopold Dardy (1826-1901). Bien que non centré sur la graphie, ce qu’il en dit mérite à mon sens<br />

d’être examiné, comme un état de la pensée d’un enseignant béarnais appelé à exercer<br />

d’importantes fonctions dans l’enseignement officiel des langues dites “régionales”.<br />

Il se réjouit d’abord de cette transcription en graphie classique qui « met à notre disposition<br />

tout en le rendant lisible par tous un texte à la graphie souvent malheureuse ». Mais il ajoute<br />

aussitôt : « Cependant, ceux qui voudront étudier l’œuvre de l’abbé Dardy ne pourront s’épargner<br />

de revenir sur l’édition originale. » Certes, poursuit-il, il ne s’agit pas d’une édition critique, ce<br />

n’était pas le but de l’éditeur. « Mais entre le reprint, qui laisse au texte les fautes parfois les plus<br />

honteuses et ne permet pas une lecture facile, et la normalisation qui pose d’autres problèmes aussi<br />

ardus, il faudra trouver des solutions pour l’édition de l’écrit occitan. »<br />

En fait, cette “normalisation” sera en quelque sorte interdite par l’arrêté du 15 avril 1988 relatif<br />

aux programmes de langues régionales des lycée, puisque les dispositions générales pour la Langue<br />

d’oc stipuleront : « Les œuvres et les documents seront […] présentés en respectant strictement la<br />

graphie d’origine […] » (cf. alinéa complet de l’arrêté p. 196), sans pour autant faire obstacle à la<br />

correction en renvoi des aberrations graphiques dues à une mauvaise analyse grammaticale ou aux<br />

hésitations mêmes de l’auteur.<br />

Mais revenons à J. Salles-Loustau de 1986. Il remarque que malgré l’affirmation de n’avoir<br />

changé aucun mot, l’éditeur « se laisse mener parfois par un souci de normalisation linguistique »,<br />

et de donner en exemple la substitution du pronom neutre at par sa forme ac, alors que la première<br />

est « majoritaire dans les textes littéraires ».<br />

J’en tire deux conclusions, quant à la pensée de J. Salles-Loustau :<br />

– la graphie ac ne peut être considérée comme “englobante” par rapport à la prononciation<br />

[at] que représente la graphie at; c’est évident pour qui a bien compris ce qu’est une “graphie<br />

englobante” : ses diverses réalisations dans l’espace doivent en un même lieu être identiques pour<br />

toutes les occurrences; or en bien des endroits, ac serait le seul mot dont le -c se réaliserait -[t];<br />

– la référence est dans les textes littéraires; est ignorée la prononciation locale actuelle — ou<br />

tout au moins des années 1940-1965 — telle que l’ALG VI, 2257 l’a recueillie.<br />

J. Salles-Loustau poursuit en reprochant à l’éditeur d’avoir considéré comme “francismes”<br />

des formes telles que reson, seson, fantesia {raison, saison, fantaisie} car le passage à [e/œ] du a<br />

prétonique est tout à fait naturel dans une partie du domaine gascon.<br />

Mais là où le critique s’aventure trop loin, c’est quand il considère que la “norme” permettrait


Jean <strong>Lafitte</strong> 166 Écriture du gascon<br />

d’écrire a ce a devenu [e/œ]. On verra p. 248 que cela ne correspond à aucune norme existante et<br />

qu’une norme nouvelle qui en déciderait serait impraticable.<br />

Accessoirement, J. Salles-Loustau signale que Palay, qui indiquait les formes en -e- aussi<br />

bien que celles en -a-, plaçait celles-ci en premier, laissant entendre qu’il leur donnait ainsi la<br />

préférence. Certes, c’est la première idée qui vient à tout utilisateur d’un dictionnaire. Mais, Palay<br />

s’est formellement récusé de vouloir donner aucune préférence linguistique (deuxième alinéa de<br />

l’Avertissement pour se servir du dictionnaire et P.S. de la Conclusion); et si l’on y regarde de près,<br />

les variantes d’une même entrée sont toujours données dans l’ordre alphabétique, comme lorsqu’on<br />

veut citer plusieurs personnages sans vouloir en vexer aucun; donc rason avant reson… mais aussi<br />

desbenadì devant desbenedì plus proche de l’étymon, ho devant hòu, etc.; que la variante en -a-<br />

précède celle en -e- n’a pas d’autre signification.<br />

J. Salles-Loustau félicite enfin l’éditeur de ne pas s’être laissé entraver par les usages graphiques<br />

et d’avoir écrit que vs’apena {vous chagrine} ce que Dardy notait qu’étz apéno pour une<br />

prononciation [ketsa'peno]; en effet, l’usage est de noter v seul devant voyelle « quelle que soit la<br />

prononciation » observe J. Salles-Loustau, alors que dans la même position, le pronom de la 4 ème<br />

personne reste ns; c’est là une dissymétrie qu’il ne comprend pas et il « profite de l’occasion pour<br />

proposer aux grammairiens » de s’interroger sur ce problème.<br />

J’ai personnellement une autre façon de voir les choses, que j’expose p. 302 : là où la 5 ème<br />

personne se réduit à [b/be] ou [p/pe], il faut s’en tenir à la norme de R. Darrigrand dans Comment<br />

écrire le gascon : en forme asyllabique, v seul, qu’il soit suivi de consonne ou de voyelle : que’v<br />

trompatz comme que’v agrada et ve en forme revocalisée : estujatz-ve; mais là où la 5 ème personne<br />

s’entend [1] c’est évidemment le vs qui s’impose.<br />

Je préfère donc retenir de cet article deux orientations de la pensée de J. Salles-Loustau à ce<br />

moment de sa carrière : ne pas normaliser la langue d’un auteur sous le couvert d’une normalisation<br />

graphique, et respecter la prononciation effective, même si les usages paraissent contraires. Avec<br />

cependant un regret, que l’ALG n’ait jamais été cité.<br />

26 – Le document de l’I.E.O. de juillet 1989<br />

Ce document, amputé de sa date et des signatures, a été annexé à une note de J. Taupiac<br />

publiée à la p. 7 du Supplément au n° 46 - Nov.-Déc. 1991 d’Occitans ! Avec date et signatures, il<br />

est inséré p. 441 du Diccionari de mila mots du même auteur, publié en 1992.<br />

Comme celui de 1985, il est censé ne modifier en rien les normes en vigueur, mais seulement<br />

rappeler l’orthodoxie de 30 points. En fait, comme on peut le voir en Annexe XIII, ces points ne<br />

sont représentés que par des exemples, sans autre explication que le souligné de la partie du mot<br />

affectée par la norme; c’est au lecteur de comprendre… Or c’est souvent par méconnaissance de la<br />

norme que l’on pèche… et le lecteur non averti risque de le rester. Je n’en retiens ici que 5 points<br />

dont les 4 qui modifient la norme en vigueur.<br />

18 – La femna, lo ròtle, Magdalena, regde<br />

[Pour les trois premiers, rien de neuf; mais regde remplace le redde d’Alibert.]<br />

19 – Lo trasfoguièr; transcriure<br />

[Alibert, Dic., donne trascriure, trasportar… Désormais, trans- opposera les mots de formation<br />

savante à ceux de formation populaire, notés tras-, mais cela ne facilitera pas la lecture supposée


Jean <strong>Lafitte</strong> 167 Écriture du gascon<br />

unique en [tras].]<br />

20 – Quand, quant, nud, lo nebot<br />

[Malgré les apparences, les documents préparatoires ne permettent pas d’interpréter ce n° 20<br />

comme l’extension de quand au gascon qui note quan : c’est le même rappel que celui du n° 3 -<br />

Nud de la 2 ème série de 1985 (cf. Annexe XIII).]<br />

25 – La foncion, lo santuari<br />

[La simplification du type fonccion > foncion, sanctuari > santuari, qui correspond à la<br />

prononciation observée partout, avait été proposée par J. Taupiac dans la brochure de préparation à<br />

une réunion du Secteur de linguistique qui devait se tenir à Nîmes en aout 1988 : « foncion,<br />

subjontiu »; il s’y référait à la p. 25 de la Synthèse des réponses évoquée à propos des décisions de<br />

1985 (cf. Annexe XIII). Il devait y revenir avec un bon argumentaire dans le document préparatoire<br />

à la réunion de juillet 1989. Il a donc été suivi, mais il s’agit bien d’une norme nouvelle, et non de<br />

la confirmation d’une graphie déjà officielle.]<br />

28 – La qualitat; l’eqüacion, qüate (occitan de <strong>Gascon</strong>ha)<br />

[Pour rendre /kwa/, ignoré de La réforme…, L’application… avait prévu « q(a » ou « qúa » ;<br />

mais ces signes diacritiques avaient été abandonnés dès 1956 par un article de P. Bec publié dans<br />

les Annales de l’I.E.O. On voit ici apparaitre un tréma, qui ne semble pas rallier davantage les<br />

auteurs que les signes écartés par P. Bec; ainsi, les dictionnaires récents ne l’utilisent pas (ci-après,<br />

Atau que’s ditz, p. 175; Narioo et autres, p. 185).]<br />

27 – L’apport du Mémento grammatical du gascon (1989)<br />

Écrite par deux enseignants comme celle de A. Hourcade, Jean-Pierre Birabent et Jean Salles-<br />

Loustau, cette grammaire ne prétend pas modifier la graphie classique en usage dans leur milieu<br />

professionnel. Mais comme la précédente, elle nous livre discrètement quelques nouveautés :<br />

La première, déclarée dès la p. 10 comme l’application d’une « réforme graphique préconisée<br />

par la commission linguistique » de l’I.E.O., c’est l’alignement de l’accentuation des troisièmes<br />

personnes du pluriel sur celle de reste de la langue : càntan / cantaran au lieu de cantan / cantaràn.<br />

C’est une excellent chose… mais en fait, l’I.E.O. n’a jamais adopté cette réforme de bon sens,<br />

pourtant appliquée dès 1977 par J. Taupiac (Pichon Diccionari francés-occitan).<br />

Une autre, non signalée, mais aussi heureuse, c’est l’écriture du -d amuï après n dans des<br />

mots comme quand (pp. 14, 22), grand (pp. 22, 28), arrond (p. 64); ou, p. 48, de -t à l’occitane<br />

dans ont (< unde). Cela permet de lire sans difficulté le -n- dental, le -d étant muet; pourtant, on<br />

s’étonne de lire, p. 22, « quand [kwant] ou localement [kwan] » alors que l’ALG IV, 1540 ne donne<br />

nulle part la première prononciation, et seulement [kant] devant voyelle en trois points d’enquête.<br />

Corrélativement, la règle du féminin y est adaptée : -nd- > -n- (p. 28).<br />

La vocalisation du l en u après o atone est judicieusement notée dans soutada, títou (p. 21).<br />

Par contre, on ne facilitera pas l’apprentissage de la langue en écrivant deumau au lieu de<br />

domau (Civadot) ce qui se lit [du'maw] (p. 21), ou par la liste à apprendre des mots en -n dental (p.<br />

23) et en -r qui se prononce (ib.). Prononcer aur [%r] et tresaur [tre'z%r], c’est appliquer une<br />

prononciation française à une graphie gasconne médiévale (et encore, c’était tesaur < ‘thesauru’, et<br />

non *tresaur); en réalité, il faut écrire tout simplement òr et tresòr, ou prononcer comme autrefois<br />

[aw] et [te'zaw]; par ailleurs, fòr était foo dans l’ancienne langue, donc [f%] (mot savant en [f]) et<br />

non [f%r] qui est ici aussi une prononciation française.


Jean <strong>Lafitte</strong> 168 Écriture du gascon<br />

On doit sans doute à J. Salles-Loustau lui-même les graphies vse ou vs du pronom complément<br />

de la 5 ème personne, graphies qu’il suggérait dans sa critique d’ouvrage de 1986 (ci-dessus, p.<br />

166); elles se réalisent respectivement en [pe] et « [p] généralement » (pp. 24 et 59); mais que que<br />

vs’esmav se dise « [képéz'map] » et caratz-vse, « [ka'rappé] » sans trace du -s- relève de l’acrobatie<br />

phonétique, le -s- étant l’une des consonnes les plus résistantes. Il ne semble pas que cela ait fait<br />

école, et tant mieux pour la facilité de lecture… J’y reviendrai avec mes propositions, p. 302.<br />

Mais vers la simplification, on lit cincanta, cincantau (p. 47); M. Grosclaude (1977, 42) et<br />

autres, cinquanta. La graphie ballèu est admise au côté de bèthlèu (p. 64). On lit magement p. 66,<br />

ce qui sape la graphie en -r de mager; au demeurant, ce comparatif présenté comme épicène a bel et<br />

bien un féminin analogique maja dans l’est gascon (ALG IV, 1572, réponse supplémentaire à<br />

Dému dans le Gers, fém. [·maJo]), qui achève de “déstabiliser” le -r…<br />

ac est la seule graphie retenue pour le pronom neutre (p. 59) alors que ses deux réalisations<br />

majoritaires sont pour moitié en [at] et autant en [ak] (ALG VI, 2257); pourtant, dans sa critique<br />

d’ouvrage de 1986, J. Salles-Loustau s’était nettement opposé à cette “normalisation” (voir plus<br />

haut, p. 165); on peut regretter qu’il ait changé d’idées, d’autant que cela ne rapproche même pas le<br />

gascon de l’occitan qui ignore ce pronom (Alibert, 1935, 1966, 66).<br />

Le domaine de la prononciation en [w] du -v- intervocalique est mal cerné, tant géographiquement<br />

(voir plus bas) que linguistiquement (p. 24) : restent en [.] beaucoup d’autres mots que les<br />

composés dont alavetz est emblématique; mais le sujet est complexe et m’a couté deux mois de<br />

travail pour y voir à peu près clair (<strong>Lafitte</strong>, 2003-1), ce qui excuse grandement les auteurs.<br />

Ceux-ci mentionnent p. 25, sans la rejeter, l’idée déjà évoquée de certains linguistes de faire<br />

disparaitre de la graphie du gascon la notation particulière de /#/ par (i)sh; c’est pour le moins<br />

étrange, puisque cette idée a été écartée par extension de ce graphème gascon au languedocien<br />

méridional (cf. p. 163).<br />

Sur les futurs et conditionnels des verbes en -ar, on apprend que ces verbes « modifient<br />

parfois la prononciation de la finale de leur radical de [a] en [é]. Ex. Cantarèi : [kantarèy] ou<br />

[kantérèy]. » (p. 92); idée reprise au tableau du verbe cantar (p. 118) : « la prétonique A est parfois<br />

prononcée [é] […]. »; or « parfois » employé par deux fois est temporel, non spatial; ce qui suppose<br />

une altération accidentelle dans le cours de la parole d’un même locuteur qui dit ordinairement [a];<br />

on comprend dès lors que pour les auteurs, cela ne mérite pas d’être écrit… Or nous savons que<br />

cela touche de façon systématique les deux tiers du domaine (ALG V, 1725 déjà cité) et que cela<br />

n’est qu’un cas particulier du traitement gascon du a prétonique en [e], dont J. Salles-Loustau avait<br />

bien eu conscience dans sa critique d’ouvrage de 1986 (voir plus haut, p. 166). Mais déjà, il pensait<br />

que cela n’avait pas à être écrit.<br />

Il semblerait en outre que malgré leur intention de faire un manuel non localisé et ouvert sur<br />

un gascon commun (p. 9), les auteurs n’ont pas disposé de l’ALG et que, pour localiser les<br />

variantes, ils se sont parfois fiés à leurs souvenirs et à leur expérience de locuteurs et de professeurs<br />

d’“occitan”. Ainsi pour la prononciation [œ] du -a féminin posttonique, limitée à l’ouest du Béarn<br />

(p. 20), alors qu’elle couvre la moitié nord-ouest du domaine (ALG VI, 2161); pour celle de -n en<br />

["], localisée « en Gascogne orientale » (p. 23), alors qu’elle est celle de plus des deux tiers du<br />

domaine, de Bayonne à la Pointe de Grave et de celle-ci au Val d’Aran, ne laissant à l’amuïssement<br />

que le front Pyrénéen, sans la haute vallée de la Garonne : Béarn, la Bigorre, les Quatre-Vallées et


Jean <strong>Lafitte</strong> 169 Écriture du gascon<br />

le Couserans (ALG VI, 2170); et encore, la méconnaissance déjà évoquée de l’étendue de la<br />

prononciation en [e] des futurs et conditionnels des verbes en -ar (ALG V, 1725); méconnaissance<br />

aussi du domaine de la prononciation du -v- en [w], d’où sont oubliées la Gironde (sauf Bordeaux<br />

et l’Entre-deux-Mers) et même la Bigorre (sauf le Barège-Lavedan) de M. Birabent (ALG VI,<br />

2101).<br />

Finalement, on a le sentiment que les auteurs, pris par leur métier, ont réalisé un ouvrage<br />

nécessaire et utile, mais sans le temps ni peut-être les moyens proportionnés. En tout cas, sur la<br />

graphie, on trouve quelques innovations intéressantes, dans le sens de la cohérence du système<br />

(accentuation des 6 èmes personnes, dentale muette notée après -n, graphies soutada, títou), et<br />

d’autres contestables, inspirées semble-t-il par un esprit de système qui se préoccupe peu de la<br />

réalité de la langue; de toute façon, un certain bouillonnement intellectuel qui aurait appelé<br />

discussion dans une sorte d’académie… qui reste à créer.<br />

28 – La graphie classique du gascon d’Aran selon Joan Coromines (1990)<br />

Tandis que se préparaient, s’adoptaient, puis se mettaient en place les normes orthographiques<br />

officielles de l’aranais, le romaniste catalan de renommé internationale Joan Coromines<br />

mettait en forme ses travaux des années 20 et 30 sur ce parler. Ainsi paraissait à Barcelone, en<br />

1990, El parlar de la Vall d’Aran - Gramàtica, diccionari i estudis lexicals sobre el gascó, fort<br />

volume de près de 800 pages d’une typographie serrée. Et là, Coromines se souciait des normes<br />

officielles comme d’une guigne, écrivant l’aranais suivant une norme propre, avec des traits<br />

catalans (ny pour /'/, la canya; x pour /#/, la maixera), mais s’en éloignant nettement sur plusieurs<br />

points : lh pour /&/ et non ll, suppression du -r amuï (pastó, goardà), gascon et Arann contre gascó<br />

et Aran, /gwa/ noté goa contre gua, etc.<br />

Cela devait susciter une vive critique de la part de Xavier Lamuela, professeur à l’Université<br />

libre de Barcelone et qui avait été un membre très actif de la commission de normalisation, Joan<br />

Coromines antinormista (El País, dijous 3 de gener de 1991); en gros, malgré son savoir immense,<br />

Coromines était un spécialiste totalement étranger à ce que peut être une normalisation linguistique<br />

: « Tout laisse entendre que Joan Coromines n’a même pas accordé cinq minutes de réflexion à<br />

la planification linguistique et qu’il en ignore la notion même. » Tout est dit dans cette phrase :<br />

Lamuela et Coromines ne sont pas sur la même planète. L’un est un planificateur volontariste,<br />

l’autre un linguiste attentif à une langue vivante qu’il entend pouvoir écrire de la façon la plus<br />

fidèle possible. D’où aussi les critiques virulentes de Coromines (il n’avait pas la plume tendre)<br />

contre ce qu’il considérait comme de graves erreurs du système d’écriture occitaniste appliqué au<br />

gascon. Par exemple, dans la non-différenciation que j’ai déjà signalée entre le -n vélaire de pan<br />

(pain) et le -n dental de pan (de mur); lui, il note le second pann, selon l’étymologie pourtant si<br />

souvent invoquée par les théoriciens occitaniste (cf. ma note du mot PAA, 4 dans ma réédition du<br />

Lespy). Et de la même façon, Coromines écrit tòrr (gel), querr (gauche), etc.<br />

Ainsi, Coromines laissait, comme une sorte de testament, une mine d’informations sûres sur<br />

la langue de ce petit canton, qu’il ne sépare jamais du reste du gascon, et des pistes tout-à-fait<br />

dignes d’intérêt pour une amélioration cohérente de la graphie classique de tout le gascon.


Jean <strong>Lafitte</strong> 170 Écriture du gascon<br />

29 – Les Fiches de grammaire d’occitan gascon normé (1995)<br />

C’est dans la continuité du Mémento grammatical du gascon qu’un groupe de professeurs a<br />

conçu les Fiches de grammaire d’occitan gascon normé (cf. pp. 70-71). Comme déjà dit, le volume<br />

1 paru en 1995 traite de « Prononciation et graphie - Conjugaisons ». Même si ces fiches n’ont eu<br />

guère d’impact sur le public gasconophone, elles ne peuvent être ignorées de qui s’intéresse à<br />

l’écriture du gascon et à sa prononciation. Voici donc ce qui m’a paru devoir être signalé.<br />

Tout d’abord, la Préface entend rééquilibrer vers le nord un enseignement basé surtout sur des<br />

livres élaborés dans le sud, avec la perspective d’arriver un jour à un « gascon véhiculaire »; mais il<br />

n’est pas caché que « l’ouvrage contribue à ancrer le gascon dans la langue qui, des Alpes aux<br />

Pyrénées, nous réunit […], l’occitan. » On appréciera l’impasse totale faite par ces universitaires<br />

sur tout ce que d’autres universitaires français et étrangers, parmi les plus éminents, ont pu écrire<br />

sur le gascon, langue très proche de l’occitan, certes, « mais spécifique (et ce dès les origines), au<br />

moins autant que le catalan » (Bec, 1973, 26).<br />

L’Avant-propos donne les références fondamentales en matière de graphie : le système<br />

d’Alibert adopté par l’I.E.O., mais avec quelques évolutions : si l’h muet est écarté (veïcul, coòrta),<br />

le -z- de realizar est maintenu alors que l’I.E.O. l’avait remplacé par -s- depuis 1976 (cf. p. 158).<br />

La Première partie traite de « Prononciation et graphie de l’occitan gascon ». Je relève les<br />

nouveautés suivantes :<br />

Si L’application… de 1952, seul document officiel de l’I.E.O. pour le gascon, n’hésitait pas à<br />

définir « l’alphabet gascon » (cf. Annexe XIII), les Fiches ne connaissent plus que « L’alphabet<br />

occitan qui sert de base à la graphie classique de l’occitan gascon est composé de 23 lettres » (p.<br />

21); on note le pas idéologique, mais cette formule alambiquée laisse filtrer la gêne des auteurs<br />

quant à la place du gascon dans l’occitan : si le gascon était vraiment de l’occitan, il suffisait<br />

d’écrire « L’alphabet occitan est composé de 23 lettres »…<br />

Plus concrètement, les Fiches introduisent les lettres K, W et Y pour noter certains mots<br />

empruntés à d’autres langues; mais c’est « à côté de formes en orthographe occitane consacrées par<br />

l’usage (whisky/oïsqui…). » (p. 21). Au demeurant c’est la solution catalane dont les Diccionaris de<br />

l’Enciclopèdia ne connaissent que whisky, edelweis…<br />

Moins heureux est le maintien de la polyvalence traditionnelle du ch qui vaut [0] dans chanca<br />

et [#] dans chivau (p. 22) : il faut savoir que le mot vient du français pour lire [#].<br />

La séquence sh valant [sh] est notée s.h (p. 22); cela n’a jamais été prévu par L’application…,<br />

et l’exemple des.huelhar est mal choisi, car deshuelhar suffit, opposé à deishar où l’on voit bien<br />

que c’est le trigramme ish qui est nécessaire pour noter /#/.<br />

L’accent aigu sur le i de vesía, haría est maintenu pour noter l’amuïssement du -n-<br />

étymologique (p. 24), alors que le Civadot l’avait supprimé; j’y reviendrai au Chapitre V, p. 315.<br />

C’est aussi un accent aigu qui est utilisé sur le u après g pour l’en dissocier et éviter la<br />

prononciation [gw], avec pour exemple lagúa [la'5yo, -œ] (p. 24); le cas n’est pas expressément<br />

prévu par L’application…, mais a toujours été traité jusque là par un tréma, et c’est encore la<br />

solution adoptée par G. Dulau (1994, p. 161), Y. Vidal (2000, p. 24 et 154) et par J. Miró dans<br />

Arnaudin (2001) (lagüa); au demeurant, le ú pourrait noter ici la chute du -n- intervocalique<br />

comme dans haría…


Jean <strong>Lafitte</strong> 171 Écriture du gascon<br />

Corrélativement sans doute, qua prononcé [kwa] est noté sans tréma ni autre signe<br />

diacritique, (p. 37) malgré L’application…, mais selon le choix du Civadot (cf. p. 161).<br />

On appréciera la place faite aux voyelles du “gascon noir” (p. 30), parler le plus souvent<br />

ignoré des auteurs.<br />

Est étonnante la graphie païs logiquement transcrite ['pais] (p. 33), alors que la prononciation<br />

majoritaire sinon exclusive est [pa'is] écrit país. Et ne parlons pas de arab correctement transcrit<br />

[a'rap] (p. 34), mais que seuls les étudiants dégasconisés ou désoccitanisés prononcent ainsi ! Les<br />

quatre dictionnaires gascons en usage (le Palay, le Civadot, Atau que’s ditz et celui d’Y. Vidal) ne<br />

donnent que arabe, seul aussi préconisé en occitan par J. Taupiac (2001), p. 76.<br />

Pour le -v- intervocalique prononcé [w] (p. 37), rien n’est dit du fait que cela ne touche<br />

qu’une partie des occurrences, ni à la possibilité ouverte par L’application… de le noter par -u-.<br />

La prononciation “normale” du groupe intervocalique -rs- est [s] en toute position, [rs]<br />

n’étant que « minoritaire et non normative » (p. 39); pourtant, Palay qui ne note pas les consonnes<br />

muettes compte plus de 300 entrées en -rs-, et même 56 en -rs, dont très peu ont une variante en -s-<br />

seul; c’est le cas en particulier des nombreux dérivés des latins cursu, morsu, torsu, versu…; au<br />

demeurant, le catalan qui connait le même traitement phonétique, oppose bossa (“bourse”, sorte de<br />

sac) à borsa (des valeurs).<br />

On note avec intérêt les « prononciations savantes » des graphèmes ct, pn, tl et tn prononcés…<br />

comme ils sont écrits (p. 40); c’est en effet un paradoxe, alors que le système archaïsant de la<br />

graphie classique use des mêmes graphèmes pour des réalisations populaires que le lecteur<br />

ordinaire a du mal à retrouver : les « prononciations savantes » sont infiniment plus simples que la<br />

prononciation « populaire » des graphies « savantes » !<br />

La Seconde partie de l’ouvrage est une tentative de normalisation des conjugaisons. Pour<br />

celles aux formes multiples, les idées qui ont présidé au choix ont été exposées dans l’Avantpropos;<br />

elles sont tout à fait raisonnables à priori, tout reposant sur les données de l’ALG que l’on<br />

doit au regretté Pr. J. Allières. Et la recherche d’une « communicabilité panoccitane » n’est pas<br />

oubliée; pourquoi pas, si l’on ne devient pas illisible par les locuteurs gascons pour pouvoir être lu<br />

par les intellectuels de Nice ?<br />

Pour ce qui est de la graphie de ces conjugaisons, nous constatons ici aussi une confusion entre<br />

normalisation graphique et normalisation linguistique : pour les verbes en -ar, je n’ai pas trouvé<br />

trace de leurs imparfaits en -èv- seuls attestés pourtant dans une vaste zone couvrant presque toutes<br />

les Landes et la Gironde (ALG V, 1685); on ne trouve que la forme “régulière” en -av-; mieux lotis,<br />

leurs futurs et conditionnels en -(e)r- qui occupent la majorité du domaine (ALG V, 1722) sont<br />

évoqués p. 46; mais ne sont jamais écrits tels quels, étant représentés par les formes “régulières”…<br />

et minoritaires en -ar- dont il est dit que la prétonique a peut se prononcer [a], [e] ou être contractée<br />

» (p. 64). Ce n’est pas être excessivement pessimiste de prévoir qu’ils ne seront plus enseignés<br />

par les professeurs formés à partir de ces Fiches ! En revanche, pour les verbes “irréguliers” béver<br />

et caler, les formes contractées beur- et carr- sont choisies comme “normatives”, et les formes<br />

“régulières” comme variantes, mais avec le droit d’être écrites : bever-, caler-. Pourquoi n’en a-t-on<br />

pas fait autant pour les précédentes ?<br />

Nous observons aussi que la désinence du futur du passé est vocalisée en e (p. 46), comme


Jean <strong>Lafitte</strong> 172 Écriture du gascon<br />

dans toutes les grammaires, certes, mais malgré le choix personnel de J. Allières qui la vocalisait en<br />

a, forme dominante dans une assez grande complexité (ALG V, 1684); il donnait ainsi les exemples<br />

« que sabí que vengora, […] que’s demandava se vengora » (ALG V, 1616).<br />

Une remarque générale enfin, les formes présentées sont la plupart du temps localisées par<br />

des orientations géographiques : nord, sud, sud-ouest… Le critique anonyme de Reclams (très<br />

probablement Jean Eygun, alors directeur de la publication) y voyait<br />

« comme une peur de mentionner clairement les noms de régions très anciens comme<br />

Béarn, Landes, Armagnac, Comminges, Bigorre, Médoc qui n’apparaissent jamais, ou<br />

presque. Nous ne sommes pas certains que les réalités (socio)historiques et<br />

(socio)linguistiques puissent se cacher si facilement sous des expressions comme “sudouest<br />

du domaine” ou “sud du domaine” » (Reclams, 4/5/6-1995, p. 85).<br />

Et les renvois nombreux à l’ALG, pour précieux qu’ils soient, font regretter que les auteurs<br />

n’aient pas eu les moyens de présenter des cartes schématiques, comme celles d’Atau que’s ditz, car<br />

rares sont les lecteurs qui ont l’ALG à portée de la main.<br />

Pour conclure, nous avons affaire à un travail sérieux qui a tenté de mettre de l’ordre dans un<br />

domaine particulièrement complexe, surtout pour ce qui est des conjugaisons. D’autres choix sont<br />

possibles, et M. Grosclaude et G. Narioo l’ont montré avec leur Répertoire des conjugaisons<br />

occitanes de Gascogne (1998), mais en discuter sortirait de mon sujet.<br />

En revanche, les choix orthographiques hors normes, qu’on les approuve ou les critique, montrent<br />

que bien peu se contentent des normes officielles existantes… Et cela, c’est un vrai problème.<br />

30 – Que parlam, ou l’application de la graphie classique à Bayonne (1996)<br />

Que parlam, c’est un petit Guide de conversation édité par Aci <strong>Gascon</strong>ha (voir p. 79),<br />

association partagée entre le désir d’être “dans le vent” en usant de la graphie classique occitane et<br />

celui de ne pas se couper des locuteurs naturels qui s’y perdent; en témoigne le sous-titre de<br />

couverture :<br />

Français :<br />

nous parlons gascon<br />

– gascon "maritima" ou de "Baïona"<br />

– gascoun "maritime" ou de "Bayoune"<br />

sous-titre qui, à lui seul, vaut tout un discours : d’une part, le fait que le gascon soit désigné deux<br />

fois, l’une en graphie qui se veut classique, l’autre en graphie moderne; d’autre part, le fait que si la<br />

graphie moderne est parfaite selon les règles de l’E.G.F., la graphie classique ne comporte pas<br />

moins de deux “fautes” pour cinq mots (voir le détail plus loin, p. 215).<br />

C’est une œuvre collective, d’où quelques divergences de fond importantes dans les textes<br />

d’introduction, divergences qu’il serait cependant hors sujet de présenter ici. En tout cas, conscients<br />

de leurs limites, les auteurs ont pris l’avis de M. Grosclaude « l’un des meilleurs spécialistes du<br />

gascon » (p. 13); on trouve donc un extrait d’une lettre par laquelle celui-ci approuve leur<br />

démarche, en particulier leur « effort pour adapter le gascon de la région de Bayonne et du Bas-<br />

Adour aux normes orthographiques modernes. C’est l’essentiel. Je n’ai pas à juger du résultat et il<br />

se pourrait que je ne sois pas toujours d’accord avec le détail de telle ou telle solution adoptée. Mais<br />

c’est la première fois que cela est tenté […] » (p. 14). Voilà de quoi laisser le linguiste pantois : il<br />

n’est pas question d’adapter la graphie à la langue, mais la langue à la graphie !<br />

Les Bayonnais sont plus rigoureux et leur présentation des graphies assez bien faite pour que


Jean <strong>Lafitte</strong> 173 Écriture du gascon<br />

j’en fasse le point de départ de la mienne, en tête du prochain chapitre, p. 193; j’y apporterai là les<br />

mises au point qui me paraissent indispensables.<br />

Et comme les auteurs doivent avoir une pratique certaine de cette graphie dans l’enseignement,<br />

ils ont jugé indispensable de doubler le texte gascon noté dans cette graphie d’une représentation<br />

phonétique faisant largement appels aux conventions d’écriture du français.<br />

Pourtant, l’un des auteurs des textes introductifs, pris sans doute d’une ardeur de néophyte en<br />

faveur de la graphie classique, présente quelques textes médiévaux qui lui paraissent justifier cette<br />

graphie à l’ancienne; et là, emporté par son élan, il en vient à écrire « les rédacteurs, qui ne sont pas<br />

des spécialistes de la langue, hésitent sur la rédaction [sic] du son e final dans l’article féminin<br />

traduit en français par “la” »; et d’opposer le glizie à la place dans les textes reproduits. Puis,<br />

« Dans le second extrait le rédacteur a “fauté” en écrivant “dou Capito” » (p.38).<br />

Mais un seul des trois textes, non daté, use de la et seulement de la, allant jusqu’à l’hypercorrection<br />

avec « del ondrabla Pair…», tandis que les deux autres (1266 et 1170 ?), comme la grande<br />

majorité des textes bayonnais édités, usent de le et seulement de le. Si hésitation il y a, c’est sur les<br />

finales féminines, parfois en -a (il ne faut pas perdre de vue que les clercs pratiquaient le latin à<br />

l’égal du gascon), le plus souvent en -e. Et même non « spécialistes de la langue », ces clercs<br />

avaient parfaitement compris ce que beaucoup de nos nouveaux clercs ignorent, que l’article est un<br />

proclitique dont la voyelle n’est jamais “posttonique”, ce qui empêche d’écrire *la ce qui se<br />

prononce toujours [lœ] ! Quant au dou “fautif”, le critique semble ignorer que c’est la seule forme<br />

que l’on rencontre tout au long des vieux textes bayonnais (cf. Annexe XXIV, p. 10??).<br />

Mais assez pour les considérations générales et préliminaires; voyons le corps de l’ouvrage.<br />

Disons tout de suite qu’en fait, les auteurs ont scrupuleusement suivi les pratiques “occitanes”<br />

des <strong>Béarnais</strong>, la langue de Bayonne dût-elle subir quelques contorsions :<br />

– comme on peut le supposer d’après ce que j’ai dit à propos des textes médiévaux présentés,<br />

ils écrivent l’article féminin la, alors qu’aucune règle générale ne permet de le lire [lœ] hors de la<br />

position posttonique… et que les Toulousains écrivent le leur article masculin prononcé [le], ce que<br />

ne permettrait aucunement la graphie générale lo;<br />

– comme le feront bientôt les Bigourdans, et à la différence des Aranais (cf. p. 159), ils<br />

écrivent -òu le produit du latin ‘olu’ qu’ils prononcent -[%];<br />

– ils écrivent enqüèra ce qui se prononce [œn'kwarœ] (pp. 105, 123), alors qu’aucune règle ne<br />

permet de lire qüè [kwa] !<br />

– comme les <strong>Béarnais</strong>, mais à la différence de ce que feront les Bigourdans, ils écrivent<br />

capítol ce qui se prononce [ka'pitu] (p. 130), alors qu’aucune règle générale ne permet d’amuïr le -l;<br />

– ils écrivent annada ce qui se prononce [a'nadœ] (pp. 50, 59, 149), alors qu’il est de règle de<br />

prononcer les consonnes doubles (cf. illusion, immense).<br />

Mais ils se permettent des coups de canif dans le contrat :<br />

– la “peur” prononcée [pu] est notée por et non paur (pp. 65, 68 et note 3, p. 69, où les<br />

auteurs croient que paur se prononce [pa*] !);<br />

– le “foie” prononcé ['hidjœ] est noté hidge (p. 103); par contre on peut douter de la prononciation<br />

['m!tjœ] de l’archaïque mètge, probablement “reconstituée” d’après la graphie (p. 104); le<br />

Livre des Établissements de Bayonne a une rubrique « Dous medges cum deuen iurar a le biele »;


Jean <strong>Lafitte</strong> 174 Écriture du gascon<br />

– on lit tabei, sans aucun n (pp. 54, 57, 58, 72, 74 etc.) ce qui se prononce [ta'bœ"]; p. 61, une<br />

note 1 signale toutefois « Ailleurs : tanben »… sans dire que les deux n y sont muets (ALG IV,<br />

1551) !<br />

– pratic est écrit comme il se prononce (p. 89), contre l’orthodoxe practicament lu pourtant<br />

[pratikœ'mœn] (p. 153);<br />

– pramòr, totalement démotivé, est intelligemment écrit en un seul mot (p. 71, 160), au lieu<br />

de l’étymologique pr’amor;<br />

– et, bien sûr, de nombreux /o/ en position atone sont notés ò, que le système occitan réserve à<br />

la syllabe tonique, mais que rien ne permet de noter autrement : còmuns (p. 97), dròguista (p. 110),<br />

armònia, qui sera lu normalement [ar'moni] et au lieu du réel [armo'niœ] (p. 142), etc.<br />

À signaler aussi la décision de bon sens que dans un parler qui emprunte tant à l’espagnol,<br />

notamment pour tout le langage des fêtes et corridas, les mots espagnols sont notés et lus tels quels,<br />

sans chercher à les gasconiser (p. 158, note 2).<br />

Mais il serait peu utile de relever les nombreuses erreurs de graphie, souvent imputables à une<br />

mauvaise connaissance des étymologies, comme les confusions entre v et b (arrebirar, arriva,<br />

Niba/Niva…), entre c/ç et ss (en.honça), l’oubli de h- (robit pour hrobit); mais aussi la confusion<br />

déjà évoquée entre -e et -a finals (aceste au fém., atletisma, …), et la méconnaissance d’une règle<br />

formelle : le son /#/ intervocalique rendu par sh au lieu de ish (còshos, mushar etc.).<br />

Finalement, un ouvrage intéressant tant par la connaissance du parler de Bayonne que donne<br />

la notation phonétique intégrale que par les quelques initiatives de locuteurs qui ont préféré adapter<br />

la graphie à leur langue plutôt que le contraire. Et les erreurs qui leur ont échappé montrent combien<br />

la graphie classique est un exercice difficile, même pour des « spécialistes de la langue », si<br />

l’on lit a contrario le jugement qu’ils ont porté sur les clercs médiévaux.<br />

31 – Le “Conseil de la langue occitane” et ses “preconizacions” de 1997<br />

Le Conseil de la langue occitane a été déclaré le 1 er octobre 1997 (cf. p. 200), mais avant<br />

même sa naissance officielle, il s’était réuni et avait adopté, en juin et aout, dix-huit<br />

“preconizacions” relatives à la graphie et dont l’application par l’I.E.O. fut alors présentée comme<br />

allant de soi, sans aucune décision d’une instance quelconque de l’<strong>Institut</strong>. Mais à part la première<br />

qui est explicite (on écrit obligatoirement l’accent sur la forme majuscule des minuscules<br />

accentuées), ces “preconizacions” se bornent à donner des exemples dont la lettre affectée est<br />

soulignée, ce qui n’est compréhensible que par les initiés. Et de toute façon, très peu de nouveautés;<br />

il s’agit le plus souvent de réaffirmer des décisions antérieures de l’I.E.O., sans toutefois s’y<br />

référer, ce qui est peu propice à l’intelligence du document.<br />

En réalité, ce sont dix-sept “preconizacions” inutiles, parce que redites, ou très secondaires,<br />

qui ne semblent là que pour faire cortège à la seule spectaculaire : alors qu’en 1989, l’I.E.O. avait<br />

confirmé realisar adopté en 1975, le C.L.O. décide le retour du -z- : realizar.<br />

Pour le reste, si quelques simplifications rapprochent l’écrit de l’oral (nf remplace mf dans<br />

sinfonia, trionfar…), d’autres renient encore les confirmations I.E.O. de 1989 et compliquent le<br />

décryptage de l’écrit : pas d’accent grave sur des o valant [o] en syllabe atone (soudar lu [so*'da]),<br />

tréma facultatif sur le ü prononcé [w] de linguistica, equacion…, et sur le e de poesie, coedicion…,<br />

rien ne signalant la diérèse, opposée à la diphtongue de coeta.


Jean <strong>Lafitte</strong> 175 Écriture du gascon<br />

En bref, un lot de “preconizacions” sans idée directrice claire, qui mêlent la normalisation de<br />

la langue à celle de la graphie. Une seule sera retenue en fait, celle du -z- de realizar, que M.<br />

Grosclaude, qui s’y est aussitôt rallié « par discipline », regrettait expressément : « de telles<br />

palinodies [après la décision I.E.O. de 1975] ne pouvant en effet que nuire à la crédibilité de<br />

l’orthographe occitane et rendre plus malaisé son enseignement ». (Avant propos du Dictionnaire<br />

français-occitan (gascon) de Narioo et autres, 2003, p. 30; cf. p. 185).<br />

32 – L’apport de Atau que’s ditz (1998)<br />

Malgré son titre « français-occitan » le Civadot était avant tout un dictionnaire françaisbéarnais<br />

comme le précisait le « (Béarn ) » accolé à son titre (cf. p. 159). Or l’attachement des gens<br />

des Hautes-Pyrénées à leur langue et à ses spécificités se satisfaisait mal de cette situation; comme<br />

ils ne manquaient pas de dynamisme, ils ont entrepris de faire eux aussi leur Dictionnaire<br />

français-occitan (<strong>Gascon</strong> des Hautes-Pyrénées), plus communément appelé sous son autre titre<br />

Atau que’s ditz {Cela se dit ainsi}, et riche de plus de 7 000 entrées françaises (noms “communs”<br />

seulement). Et ici, c’est le Département lui-même qui a supporté directement l’opération.<br />

La graphie et sa lecture font l’objet de cinq pages d’introduction (pp. 14-18), dont trois<br />

seulement de texte, éclairées par trois cartes localisant trois séries de réalisations orales, ce qui<br />

manque dans la plupart des ouvrages similaires.<br />

On peut toutefois remarquer quelques incohérences :<br />

– le premier titre « L’orthographe » ne traite que de la prononciation de certains graphèmes,<br />

simples ou doubles, nullement de leurs règles d’emploi;<br />

– il s’ouvre par une déclaration qui entretient sur les questions de graphie la confusion dénoncée<br />

dans le “Prologue” du présent chapitre : « Les mots […] sont écrits selon la graphie occitane<br />

moderne », alors que cette graphie se veut “classique”, même si les grammairiens occitanistes l’ont<br />

quelque peu modernisée…<br />

– les choix de langue et leur expression graphique ne sont pas toujours distingués de choix<br />

proprement graphiques (pp. 16 et 18).<br />

J’y relève quelques choix graphiques non prévus par les documents I.E.O. de 1950-52 ou<br />

leurs modifications ultérieures, auxquels, il est vrai, il n’est fait aucune référence :<br />

– le graphème intérieur -th- prononcé « mouillé », alors que l’I.E.O. ne le prévoit qu’en finale<br />

pour le produit de -ll latin devenu final;<br />

– ce même graphème -th marque en finale la prononciation « en [tch] en Barousse […] Ex.<br />

prat/prath. », prononciation explicitement rejetée par L’application…, p. 2 (cf. Annexe XIII, p. 406);<br />

– le graphème final (et posttonique) -ou est ouvertement présenté comme valant -[u] dans des<br />

mots comme píbou, “peuplier”; c’est la consécration de l’initiative discrète de MM. J.-P. Birabent<br />

et J. Salles-Loustau dans leur Mémento grammatical du gascon (cf. p. 169 ci-dessus);<br />

– le z intervocalique, abandonné par l’I.E.O. en 1975, est rétabli « pour quelques substantifs<br />

grecs ou arabes »; en fait ce « quelques » ne concerne que cinq mots; mais malgré la “preconizacion”<br />

de 1997 du Conseil de la langue occitane (ci-dessus, p. 174) les mots en -[iza]- d’origine<br />

grecque sont tous notés par -s- (voir détail p. 287);<br />

– est admise l’utilisation de k, w et y pour les mots d’origine étrangère « ceux-ci pouvant<br />

également être notés en graphie occitane. Ex. whisky, hoísqui (variante graphique) »;


Jean <strong>Lafitte</strong> 176 Écriture du gascon<br />

– « La présence de deux “c” après “n” est conservée. Ex. fonccion » (p. 16); c’est le rejet<br />

partiel du document I.E.O. de juillet 1989 « confirmant » foncion, santuari (cf. p. 167), qui sont les<br />

graphies du Civadot; mais seulement « partiel », car les auteurs gardent santuari, qui relève<br />

pourtant du même cas phonétique que foncion.<br />

En revanche, Atau que’s ditz écarte deux innovations aranaises. Comme en aranais, en effet,<br />

le produit en finale de ‘olu’ latin est partout -[%] et le pluriel des féminins en -a est en -[es] dans la<br />

haute montagne; mais tandis que les Aranais le notent (respectivement, -ò et -es), on ne connait ici<br />

que la graphie générale gasconne (respectivement, -òu et -as) : c’est aux usagers de s’adapter.<br />

Quant à la réalité pratique du dictionnaire, elle révèle quelques incohérences que nous verrons<br />

au chapitre suivant (p. 216).<br />

Constitue néanmoins un “cas” l’étonnante entrée « censé,e adj. cenut,-uda, cenat,-ada. » qui<br />

doit être lue « sensé,e adj. senut,-uda, senat,-ada. » si l’on en croit le dictionnaire de Palay et<br />

l’étymologie; quant au correspondant de “censé”, terme savant, Mistral donne sans ambages censa<br />

(provençal), censat (languedocien); inutile sans doute d’aller plus loin…<br />

Et en vrac, ce qui peut n’être parfois qu’inattention dans la relecture (je n’ai noté que<br />

quelques unes des nombreuses erreurs ou manques d’accent graphique); mais aussi des hésitations,<br />

voire des erreurs linguistiques :<br />

– “baie” se dit hièstra et “fenêtre”, hiestra;<br />

– “binette” se dit hosser,-a et “houe”, hossèr,-a : l’outil a le suffixe ‘-oriu’ > -er en gascon,<br />

-oir en français (“fossoir”), l’agent, le suffixe ‘-ariu’ > -èr en gascon; hossèr = “fossoyeur”;<br />

– “dernier,-ère né(e) des animaux” se dit arruec,-èga, rachitique, arroèc,-èga.<br />

– “eh bien !” se dit E be ! (v° bien) et “e ben !” (v° eh bien !);<br />

– “flasque” se dit moth,-òla et “mou”, moth,-oda;<br />

– “moule” est motle ou mòtle, mais devient modle dans le syntagme letra de modle, “caractère<br />

d’imprimerie”.<br />

– “peu importe !” (v° importer) se dit aquò hrai ! et “tant pis !” (v°pis ou tant), rai !;<br />

– “pieu, piquet, tuteur” se disent paishet mais l’étymon ‘paxellu’ et le féminin paishèra (v°<br />

barrage, digue) voudraient paishèth;<br />

– “poitrine” se dit pièts et “torse”, piètz;<br />

– “sous-vêtement” se dit sos-vestit et “survêtement”, susvestit (influence du français ?).<br />

En conclusion, un travail manquant un peu de finition, parfois de cohérence, ceci pouvant<br />

s’imputer au fait qu’il s’agit d’une œuvre collective de “militants” auxquels il n’est pas toujours<br />

facile d’imposer les vues d’un “rédacteur en chef”. Mais surtout, un apport important et honnête à<br />

la connaissance du gascon d’un département où cette langue reste plus vivace qu’ailleurs à travers<br />

des variétés nombreuses et typées auxquelles les locuteurs n’entendent pas renoncer.<br />

33 – La graphie classique du gascon selon DiGaM (1998)<br />

J’ai conté dans le Prologue (p. 6) comment j’ai été été amené à envisager des améliorations<br />

du système classique d’écriture du gascon afin de mener à bien un projet de lexicographie gasconne<br />

dans le cadre de la réforme occitane, le projet DiGaM. Tout n’était pas “bouclé” quand le<br />

centenaire de la mort de Lespy fut l’occasion de rééditer son dictionnaire. Et l’éditeur qui m’y


Jean <strong>Lafitte</strong> 177 Écriture du gascon<br />

engageait tenait à en faire une œuvre utilisable en cette fin de XX e s., donc à y ajouter la graphie<br />

classique. J’ai accepté la gageure, et finalement produit une édition enrichie d’une graphie que j’ai<br />

voulue cohérente; et par respect des utilisateurs, j’ai justifié mes choix par des explications aussi<br />

simples que possible.<br />

Mais je n’en dirai pas davantage ici, puisque le Chapitre IV de cette II ème partie aura pour<br />

objet de décrire et justifier le dernier état de ma graphie classique DiGaM.<br />

34 – La II ème série de “Preconizacions” du C.L.O. (Déc. 1998)<br />

Au cours d’une réunion des 12 et 13 décembre 1998, le Conseil de la langue occitane devait<br />

approuver une seconde série de “preconizacions” dont les <strong>Gascon</strong>s eurent connaissance par le n° de<br />

janvier 1999 des Reclams. Ici encore, on va mêler questions de graphie et questions de langue.<br />

Est d’abord réaffirmée l’accentuation alibertine des 6 èmes personnes des verbes, cantan,<br />

cantaràn, malgré les vœux et le combat d’un quart de siècle du second Vice-Président, J. Taupiac.<br />

Est aussi donnée la “bonne” accentuation de divers emprunts, néologismes et mots savants, ce<br />

qui est plus une question de langue que de graphie : dans ces catégories, les noms en -o sont<br />

généralement paroxytons : èuro, zèro, numèro, vidèo, àudio, piano, ràdio, foto, moto, quilo, judo,<br />

gitano, mètro, memento (-o prononcé [o] dans certains parlers, dont le lomagnol gascon); de même<br />

ceux en -a : lo clima, eczèma, plasma, magma, panorama, Sara, pizza, camèra, opèra, cinèma, inca,<br />

agenda, sida, Kenya, Cuba; et encore des emprunts comme karate, Zimbabwe; Mali, rugbi,<br />

bengali, somali, whisky. La terminaison latine -um est atone, et prononcée [um] en gascon : fòrum,<br />

quòrum/qüòrum, àlbum, referèndum, maxímum, minímum; de même, la grecque -os est atone :<br />

còsmos, caos, Èros, Cnossos, Danaos. Mais l’araméen Cafarnaom est oxyton.<br />

Sont également oxytons « quelques mots exceptionnels » : Canadà, Panamà, sofà, pashà,<br />

Jericò, chantilhí, bigodí, bistorí, oïstití, Sinaí, tabó, igló, cangó.<br />

Dans tout ces mots “importés”, y compris les acronymes, /e/ et /o/ toniques sont généralement<br />

ouverts et donc notés è, ò : èuro, vidèo, cinèma, mètro, Èros, modèm, fòto, mòto, còsmos,<br />

UNÈSCO, CRÈO, OPÈP, MED’ÒC, GIDILÒC, CD-RÒM. Avec des exceptions, devant nasale :<br />

memento, agenda.<br />

Il est en outre précisé que certains noms en -a sont féminins : una agenda, una camèlia, una<br />

mimòsa, una orténsia, una sauna, una placenta… Suit une mention peu compréhensible : « Cas<br />

particular : lo planeta (= la planeta). »<br />

Sont également données des précisions sur la graphie du phonème /s/ : x dans les mots savants :<br />

flux, influx, experiment, expèrt, exprimir, extremoncion, extremista, extrèm (mais s dans les mots<br />

populaires : estremar, estrem); ç ou c dans beçon, còça, fiçar, meçorga, mordaças, mèlça, ròga,<br />

rocegar, tròç (derivat troçar), s ou ss dans albatros, noirissa, sedàs, tassa, trossa (derivat trossar).<br />

Et l’on distingue dimarts (mardi), març (le mois), Mart ou Mars (le dieu, la planète).<br />

« En gascon, il n’est pas nécessaire de mettre une h dans les noms propres occitanisés : Saara,<br />

Imalaia, Amborg, L’Aia, Olanda, Ongria. » Je rendrai compte en détail p. 200 du tollé suscité par<br />

cette mesure chez les occitanistes gascons.<br />

Enfin, sont réaffirmées quelques graphies gasconnes “orthodoxes”, manière discrète — et<br />

dont plus d’un n’aura pas compris la portée — de condamner les “hérétiques” de DiGaM.


Jean <strong>Lafitte</strong> 178 Écriture du gascon<br />

Tout n’est pas critiquable dans ces préconisations, pour le moins hétéroclites; on notera la<br />

réintroduction discrète dans l’alphabet “classique”, au moins pour les mots étrangers, du k, du w et<br />

de l’y déjà acceptés par A. Bianchi et A. Viaut, puis par Atau que’s ditz (Kenia, karate, Zimbabwe,<br />

whisky…) 28 ; les choix entre s/ss ou c/ç sont probablement justifiés par une meilleure étude des<br />

étymons, mais ça ne touche pas au système; l’est peut-être aussi la réduction à sh du trigramme ish<br />

pour rendre /#/ après voyelle autre que i (pashà), comme l’avait déjà fait J. Séguy (cf. p. 149); mais<br />

on peut regretter le maintien de graphies différentes — c’était déjà dans Alibert — selon que le mot<br />

est de formation populaire ou savante; le linguiste occitan R. Teulat a déjà dénoncé la nonpertinence<br />

de ce critère dès le n° 1 de ses Q.L.O. (voir plus loin, p. 233)<br />

Enfin, le C.L.O. s’est établi en normalisateur de la langue en choisissant des formes, et donc<br />

des prononciations tout à fait étrangères à la langue vivante des derniers locuteurs naturels : qui<br />

comprendra “sida”, la maladie, ce qui sera prononcé ['sido] ou ['sidœ] ? Au mieux les <strong>Gascon</strong>s<br />

croiront deviner ['sindre] ou ['sindrœ], lou cindre, le “zona” !<br />

35 – Les deux graphies du Dictionnaire d’Arnaudin (2001)<br />

L’année 2001 est celle de la publication attendue et doublement posthume du Dictionnaire de<br />

la Grande-Lande de Félix Arnaudin (1844-1921) dont l’édition avait été établie par Jacques<br />

Boisgontier († 1998). Présentée par Joël Miró, elle est très intéressante pour ce qui est de la graphie<br />

du gascon “noir” : pour les entrées, J. Boisgontier s’est contenté de régulariser fidèlement celle<br />

d’Arnaudin, pas toujours cohérent, et J. Miró l’a doublée d’une graphie classique occitane.<br />

La graphie moderne d’Arnaudin régularisée par J. Boisgontier<br />

Cette graphie fait l’objet d’une note générale pour les Œuvres complètes d’Arnaudin dont les<br />

deux tomes du dictionnaire ne sont que les volumes VI et VII, note de J. Boisgontier placée en tête<br />

du I er volume, les Contes populaires, pp. XXII-XXVI. Il s’agit essentiellement d’une graphie<br />

moderne voisine de celle de l’E.G.F., sauf adaptations particulières au parler “noir” :<br />

– comme dans tout le gascon de l’ouest, e note toute finale atone en /œ/; et dans le corps des<br />

mots, en position atone, il se réalise de même par [œ], et non [e] comme en gascon “clair”;<br />

– en position tonique, le e vaut [œ]; mais pour marquer qu’il est tonique en syllabe finale et<br />

éviter qu’il ne soit confondu avec le précédent (finale absolue ou suivi de -s ou -n), il est noté ë (le<br />

tréma évite la confusion sur le timbre que causerait un accent aigu ou grave) : auë {avoir}, espës<br />

{épais}, que bourrën {ils voudraient};<br />

– le è [!] du gascon “clair” est réalisé en [e] et donc noté é en gascon “noir” : castét, aulhé. Il<br />

ressort par ailleurs de l’exemple méyrî [me"'ri] qu’un tel é peut ne pas correspondre à un [!] du<br />

gascon clair, les voyelles ouvertes étant normalement exclues des syllabes atones; il s’agit en fait de<br />

l’évolution bien connue de a" > !" qui, étendue ici à une syllabe atone, se prolonge en > e";<br />

– î, avec accent circonflexe, marque un /i/ tonique en finale, sans aucune nasalité,<br />

contrairement à sa valeur selon l’E.G.F. : escarnî, la harî, aquî;<br />

– le u est utilisé pour noter le /w/ intervocalique, suivant la tradition prolongée par l’E.G.F.<br />

comme par l’I.E.O.; pour éviter les confusions, le u voyelle suivi de ce u consonne est marqué d’un<br />

accent grave, purement diacritique : la lùue {la lune}, dùues {deux} fém.; et lorsqu’il est précédé<br />

de ce u consonantique, c’est un tréma diacritique qui le marque : auüt {eu}, escriuüt {écrit};<br />

28 Sans doute faudra-t-il qu’à l’instar de Narioo et autres (cf. p. 188), les linguistes occitanistes en tirent les<br />

conséquences sur les abréviations des unités de mesure qm et qg, non conformes aux normes internationales (km et kg).


Jean <strong>Lafitte</strong> 179 Écriture du gascon<br />

– le n final de syllabe est généralement vélaire, mais parfois dental. En 1912, Arnaudin avait<br />

usé d’un caractère spécialement fondu pour le n vélaire; mais J. Boisgontier juge « inutile de<br />

distinguer par des signes diacritiques les deux sortes d’n du gascon. ». Je reviendrai sur les raisons<br />

qu’il en donne au chapitre suivant, p. 210;<br />

– bbl et ggl intervocaliques notent par écrit la prononciation qui double le b et le g.<br />

C’est donc une amélioration notable de la graphie propre d’Arnaudin — qui en changea<br />

d’ailleurs au cours des ans — avec un double souci de simplification et de fidélité à l’oral; deux<br />

regrets seulement, l’accent circonflexe du î, car un accent grave (solution E.G.F.) ou aigu (solution<br />

I.E.O.) aurait aussi bien fait l’affaire en évitant l’image de nasalité répandue par la pratique de<br />

l’E.G.F., et la non notation de l’opposition entre les deux -n gascons.<br />

La graphie classique ajoutée par J. Miró<br />

Quant à la graphie classique appliquée par J. Miró, elle est présentée dans une Note sur la<br />

graphie occitane en tête du tome I, pp. XXXVII-XLI. J. Miró explique d’abord sa genèse et ses<br />

avantages universitaires, sur lesquels je reviendrai au prochain chapitre, p. 209. Et il poursuit :<br />

« Des divergences existent cependant, souvent de détail, concernant certaines<br />

conventions : nous avons dû faire certains choix qui peuvent être discutés. Souvent même<br />

nous proposons deux solutions, l’une plus normative, l’autre plus locale, qui nous ont<br />

semblé avoir la même légitimité. Il ne s’agira pas ici de présenter un cours d’orthographe<br />

complet : des manuels existent qui en donnent une description plus complète. Nous nous<br />

contenterons de donner les règles générales et de préciser, à l’intention en particulier de<br />

ceux qui utilisent déjà ce système, les particularités, voire les problèmes, que posent le<br />

dialecte utilisé par Félix Arnaudin. »<br />

C’est un peu sibyllin, mais d’une étude assez approfondie des graphies proposées par J. Miró,<br />

je tire l’impression qu’il ne disposait pas des fameux documents de base de 1950-52, ce que laisserait<br />

entendre son renvoi aux « manuels » d’orthographe. En effet, bien qu’à l’affut de tout ce qui<br />

peut se publier en la matière — ce chapitre en témoigne —, je ne connais pas de véritable « manuel »<br />

qui en dise beaucoup plus ni mieux que l’exposé de J. Miró.<br />

Or, nous l’avons vu plus haut (p. 148), les documents de 1950-52 distinguent bien normalisation<br />

linguistique et normalisation graphique, celle-ci permettant d’écrire toutes les formes de langue,<br />

même si la première affiche des préférences entre elles. Mais J. Miró balance :<br />

– le plus souvent, heureusement, il transcrit en “classique” la graphie moderne d’Arnaudin-<br />

Boisgontier, ce qui permet de retrouver directement l’oral en appliquant à chaque graphème sa<br />

valeur définie par les règles générales;<br />

– mais lorsque la forme du mot s’écarte d’une forme plus connue, béarnaise en général, il<br />

écrit cette dernière, qu’il considère comme “plus normative” : article la prononcé [lœ]; /œ/ « en<br />

syllabe atone à l’intérieur du mot » noté -a- selon l’étymologie, alors que rien ne permet de dire<br />

quand un tel -a- sera [œ] et quand il sera [a]; -/!/- des imparfaits des verbes en -ar noté par -a-<br />

(cantava pour [kan't!wœ]), ce qui aboutira à la disparition de cette prononciation; /e"/ atone écrit ai<br />

également réalisé [a"] dans d’autres mots (voir détail p. 230); /ken/ et /k%n/ notés quan “quand”<br />

alors qu’à Bayonne, Que parlam écrit quen(t) pour /ken[t]/; mots en /w/- d’étymon /gw/- notés par<br />

gu- : enguan [en'wan]; guaire ['wa"rœ]; guaitar [we"'ta];<br />

– même démarche, mais en fonction de l’étymon, quitte à sérieusement compliquer la lecture;<br />

ainsi en notant le -n- amuï devant h ou f (gon.hir, confit), le -s- amuï devant h (des.har, des.hèita,<br />

es.hlor), alors qu’on lit cohóner et eslor dans L’application… même !


Jean <strong>Lafitte</strong> 180 Écriture du gascon<br />

– toutefois, comme pris de remords, J. Miró donne aussi parfois la forme “locale”; ainsi :<br />

bueu normatif, buu local; airiau / eiriau; guaitar / güeitar; abeurar / abuurar…<br />

Pour ce qui est du /z/ intervocalique, cependant, J. Miró s’en tient au -s- (hasarda / hasardar),<br />

ignorant tous les remous qui ont conduit les occitanistes à revenir à -z- pour les mots d’origine<br />

grecque ou arabe.<br />

Pour /ks/, il use parfois de -cs- : bacsa / bacsar; nicsèyre / nicsèira; relacsa / relacsar (<<br />

‘relaxare’), tracsa / tracsar; tricsa / tricsar, solution dont je reparlerai au Chapitre IV, p. 283.<br />

Le /o/ atone est noté ò, faute de mieux dans le système, pour lequel tout ò devrait être<br />

tonique : conom / cògnòm; lholhoy / lhòlhòi; loloy / lòlòi; nono / nònò; tchopis [sic, pour tchopîs] /<br />

chòpís; mais momo / mò-mò évite le problème d’un biais qui aurait pu jouer pour nònò.<br />

roula et roulade d’Arnaudin sont notés en rotla- selon l’archaïsme habituel de la graphie classique,<br />

mais J. Miró ajoute rolar et rolada en variante; c’est d’autant plus opportun que les fameux<br />

Rôles gascons sont déjà La Rolle dans le Livre des coutumes de Bordeaux copié peu après 1388.<br />

gra d’Arnaudin, “graine”, est noté graa, hapax en -aa, et complication inutile que l’on ne<br />

saura pas lire avec les normes générales de la graphie classique.<br />

Mais deux autres innovations m’étonnent :<br />

– /wa/ noté ua dans cinq mots abitoua / abituar, boua / vuà, couac / cuac, houinda-houanda<br />

(a) huïnda-huanda et manouau / manuau; les graphies en oa, normales en système classique en<br />

dehors des qua et gua gascons, sont cependant les plus nombreuses, et aussi admises en variante de<br />

ua pour quatre dérivés de ‘bove’ : bualha ou boalha; buatèr ou boatèr; buateria ou boateria et<br />

buatòt / boatòt; on lit même s’esvacoar alors que l’étymon donné à la suite est evacuare; et « anc.<br />

gascon goadanhar » v°gagna; on peut donc considérer ces graphies en ua pour /wa/ comme<br />

aberrantes alors que, au demeurant, écrire abitoar en parler noir contre abituar ailleurs n’est pas<br />

moins normal que d’écrire puyar ou poyar suivant la prononciation des divers lieux gascons.<br />

– /wi/ noté uï dans huïnda-huanda : aucun document I.E.O. ne donne uï pour /wi/. Atau que’s<br />

ditz use de oí (hoísqui, ci-dessus, p. 176), ce qui est tout à fait valable en syllabe tonique et garde o<br />

pour /u/ ou /w/; hoínda-hoanda serait bien plus dans le système que huïnda-huanda.<br />

J’ai noté quelques incohérences, présentées au chapitre suivant, p. 216. Je relève en outre ce<br />

qui me semble des erreurs pures et simples de transcription :<br />

– arrepé / arrepèr (


Jean <strong>Lafitte</strong> 181 Écriture du gascon<br />

– si Aubérgne / Auvèrnha est correct, Aubérni / Auvèrnha n’est pas cohérent avec tous les mots<br />

féminins en -i atone, notés en -ia (abarici / avarícia, bésti / bèstia, glisi / glísia, glori / glòria etc.);<br />

– trois noms en -rt chez Arnaudin notés par -rd sans raison étymologique apparente : coutchurt<br />

/ cochurd {recoin}; et deux curt / curd, {cœur} (au jeu de cartes) et {chœur} (de l’église);<br />

certes, le latin ‘cor, cordis’ pourrait justifier le -d du premier curd, mais c’est peu vraisemblable,<br />

car c’est tout simplement une prononciation analogique de mots normalement achevés par -[r];<br />

– un -r muet manque dans trois mots en -a d’Arnaudin : calhiua / calhiva pour cavilhar,<br />

haptcha/ hapcha pour hapchar; pesca / pesca pour pescar;<br />

– estoursedey / estorçadeir, estourseduy / estorçaduir sont notés par -a- alors que le verbe<br />

tòrcer est en -e; c’est s’éloigner de la prononciation, sans justification étymologique; à rapprocher<br />

d’Alibert « torcedor, fuseau pour tordre le fil »;<br />

– métathèse inexpliquée dans emmantehulat / enmanteluhat, “emmitouflé”; Méaule donne<br />

emmantchulat et enmahulat (même sens).<br />

Ces observations montrent à nouveau combien la pratique de la graphie classique est un exercice<br />

difficile, où même les meilleurs achoppent. Et à cela s’ajoutent plusieurs problèmes qui apparaissent<br />

dans l’exposé liminaire de J. Miró, dont certains inhérents au gascon noir; il s’avère que la<br />

graphie classique manque de graphèmes pour noter certaines réalisations, pourtant notées en graphie<br />

moderne par Arnaudin-Boisgontier; ainsi pour les diverses ouvertures du /e/, les réalisations de<br />

j- (ou g + e ou i) après voyelle ([j]… mais pas toujours). Il est vrai que le code graphique de 1952 a<br />

été écrit dans la quasi ignorance du parler noir par l’Audois Alibert, même conseillé par le <strong>Béarnais</strong><br />

J. Bouzet ou le jeune Commingeois P. Bec. Sans doute faudrait-il réaménager ce code…<br />

En attendant, pour savoir comment se parle le gascon noir, nous avons la graphie moderne<br />

d’Arnaudin-Boisgontier. Mais alors, en dehors de “se faire plaisir” entre lettrés, à quoi peut servir<br />

ici la graphie classique ?<br />

36 – La graphie moderne selon B. Moreux et J.-M. Puyau (2002)<br />

Les origines<br />

On a vu p. 82 comment se sont créées à Pau les associations Pays de Béarn et de Gascogne<br />

en 1995, puis <strong>Institut</strong> béarnais et gascon en 2002.<br />

L’une des premières réalisations de Pays de Béarn et de Gascogne fut un Guide de<br />

conversation français-béarnais (Biarritz, 2001); soucieux d’atteindre un public peu préparé à de<br />

complexes règles d’écriture et de lecture, les auteurs de ce guide avaient utilisé une graphie proche<br />

de celle de l’Escole Gastoû Febus, mais complétée par divers accents destinés à faciliter une lecture<br />

non équivoque de la langue.<br />

Quant à l’<strong>Institut</strong> béarnais et gascon, ses promoteurs ont eu pour souci d’en finir avec<br />

l’antagonisme des graphies; aussi ont-ils mis dans ses statuts la reconnaissance à égalité de droits<br />

de la graphie moderne et populaire, héritée de l’Escole Gastoû Febus, et de la graphie classique et<br />

savante, dans sa variante spécifiquement gasconne que veut être ma graphie DiGaM.<br />

C’est donc sous les auspices du jeune <strong>Institut</strong> qu’a été publié à la fin de 2002 un Dictionnaire<br />

français-béarnais qu’une équipe de Pays de Béarn et de Gascogne préparait depuis 1996, dans la<br />

graphie déjà utilisée pour le Guide de conversation. Signé par les deux principaux responsables de<br />

l’équipe, MM. Bernard Moreux, universitaire présenté p. 49, et Jean-Marie Puyau, professeur de


Jean <strong>Lafitte</strong> 182 Écriture du gascon<br />

portugais et d’“occitan”, cet ouvrage s’ouvre par une Introduction dont deux paragraphes traitent de<br />

la graphie, Comment lire le béarnais et Écrire le béarnais.<br />

Les orientations pour la graphie<br />

Les intentions sont clairement affichées :<br />

« Nous avons choisi une écriture simple, aussi bien pour celui qui parle que pour<br />

celui qui ne parle pas le béarnais, une écriture qui correspond, nous l’avons vérifié par des<br />

enquêtes, aux vœux des locuteurs actuels. Elle s’inscrit dans le cadre de celles que les<br />

Félibres béarnais et gascons utilisent depuis le début du XX e s. Ces écritures félibréennes<br />

sont dérivées de celle qu’avait adoptée Mistral mais elles prolongent aussi celles qui<br />

s’imposèrent progressivement en Béarn depuis le XVI e s. au moins. D’autre part elles<br />

autorisent la prise en compte de certaines variations de prononciation locales et permettent<br />

la transcription de la plupart des emprunts récents au français. Nous avons suivi pour<br />

l’essentiel la dernière parution fébusienne en la matière, en lui apportant quelques<br />

modifications. » (pp. 20-21).<br />

Et de se référer à la plaquette d’A. Sarrail (1980) que j’ai commentée plus haut (p. 155) en<br />

ajoutant « Nous avons précisé et modifié les règles d’accentuation du e ». En fait, leurs retouches<br />

vont un peu plus loin.<br />

Une première remarque s’impose : le dictionnaire est français-béarnais, et il s’agit de lire et<br />

écrire le béarnais, sans aucune référence au gascon dans son ensemble, même si les ouvrages<br />

mentionnés en notes s’intéressent pour la plupart à l’ensemble gascon, y compris les règles de<br />

l’Escole Gastoû Febus depuis 1905. C’est sans doute regrettable, car cela prive l’usager ordinaire<br />

d’une ouverture sur les parlers gascons voisins, pourtant virtuellement présents dans le titre même<br />

de l’<strong>Institut</strong>; mais cette focalisation sur le Béarn autorise un exposé détaillé des variantes de<br />

prononciation rencontrées sur ce territoire, ce qui est un plus incontestable.<br />

Au plan technique, le fait de s’en tenir aux parlers du Béarn évite quelques problèmes comme<br />

celui de l’opposition entre -n vélaire ou amuï et -n dental, mais non celui de l’opposition entre la<br />

réalisation du -a posttonique étymologique en -[o] vers Pau et -[œ] vers Orthez. Et comme chez H.<br />

Gavel (cf. p. 142), est passé sous silence le fait que ce -[œ] couvre la moitié du domaine gascon !<br />

Autre remarque générale, le ton de cette introduction se veut très “convivial”, il n’est pas<br />

question d’effrayer le lecteur par quelque chose de trop scientifique, encore moins par des « règles<br />

rigides : on se gardera de transporter au béarnais le culte de l’orthographe française » (p. 30); ce<br />

sont des pratiques qui sont conseillées — et le plus souvent bien justifiées; chacun y prendra<br />

suivant ses gouts… Pour la même raison de prudente progression pédagogique, on explique<br />

d’abord comment lire, puis comment écrire si l’on souhaite le faire selon les règles suivies par les<br />

auteurs; c’est un choix légitime, fût-ce au prix de quelques redites.<br />

Les principes de la graphie<br />

Les principes généraux suivis ne sont pas rassemblés comme dans le document I.E.O. de<br />

1950, mais on peut les extraire facilement :<br />

• comme à l’I.E.O. (principe C), les mots sont écrits individuellement, sans tenir compte des<br />

altérations des consonnes finales du fait de l’« Enchaînement des mots » (phonétique syntaxique);<br />

ce qui se traduit par une liste de ces altérations, précieuse pour la bonne prononciation (p. 27);<br />

• « on ne transcrit que les consonnes que l’on entend et on les transcrit au plus près de ce


Jean <strong>Lafitte</strong> 183 Écriture du gascon<br />

qu’on entend » (p. 30); cela exclut les notations étymologiques : rét < ‘frigidu’ et non réd; mais pas<br />

toujours : « Pour le choix de c ou qu devant a ou ou, on s’est rangé à la tradition, fondée sur<br />

l’étymologie : câ (chien), co (cœur), mais quatoùrzé (quatorze), quoàté (quatre) » (p. 31). Pour /s/,<br />

sa transcription « peut être laissée à l’appréciation de chacun car une solution uniformisante<br />

heurterait trop les habitudes. » (ib.). En tout cas, les auteurs écartent le -ç en finale, comme Lespy<br />

— qui n’en usait jamais — et Palay; donc dous, et par conséquent « dousse (douce), doussou<br />

(douceur) plutôt que douce, douçou »; et dans le dictionnaire, bras, abrassa… mais braçalét.<br />

• pour noter les sons, on utilise les lettres et combinaisons de lettres du français, sauf<br />

particularités béarnaises héritées de la tradition : lh, th; diphtongues en ay, ey, èy…; au, eu, èu…;<br />

cela permet de « transcrire la plupart des sons empruntés récemment au français » (p. 21). En fait,<br />

cette remarque ne concerne que le v de televisioû, universitat, vaccî, vaccina, velo, voèle, voature;<br />

car le système n’a pas de graphème pour « les eu de peuneu “pneu” » (ib.);<br />

• on note par des accents tout ce qui peut faire hésiter le lecteur; ainsi, tout /e/ tonique est noté<br />

é; et le /e/ final posttonique, de même, ce qui entraine l’obligation de noter en plus la syllabe<br />

tonique : càdé, védé, lèbé, coùrré;<br />

• en présence de variantes de prononciation, on s’efforce de les noter par un seul graphème à<br />

réalisation variable suivant les lieux (comme la “graphie englobante” de l’I.E.O.) :<br />

– éy reste noté ainsi même s’il se réalise souvent en [!"] dans l’ouest du Béarn;<br />

– -th final se réalise en -t, -ty (proche de ky), tch ou ch selon les régions;<br />

– sl se prononce, selon les mots et les lieux, [sl], [zl], [hl] ou [l:] (l long) ou [zl] seulement,<br />

tandis que le Dictionnaire classique de G. Narioo et autres que nous allons voir de suite<br />

admet pour cela trois graphies, par exemple hlor, eslor et ehlor (fleur);<br />

– « dans disna “déjeûner”, le s se prononce soit [s] soit [z]; on a aussi la variante dinna » (p. 26);<br />

– bl et gl entre voyelles se prononcent bbl et ggl, « dans la plus grande partie du Béarn (moins<br />

fréquemment dans les emprunts au français) » (p. 26) : agradàblé “agréable”, esbisagla<br />

“éblouir”;<br />

– le -d- intervocalique est seul retenu, même quand il se réalise en [z] en Vic-Bilh : « pedoulh<br />

“pou” y serait mieux transcrit par pesoulh » (p. 25), mais cela demeure un vœu pieux, tout<br />

comme pour bédé, crédé etc.; alors que les graphies classiques, bien qu’à forte tendance<br />

englobante, admettent au contraire pesolh et pedolh;<br />

– dans certains mots comme goarda “garder”, « le g de la séquence goa est omis » (p. 26);<br />

– « rl est parfois prononcés -ll- […]; nl est parfois prononcés comme si l’on avait ll (dans la<br />

région d’Orthez, selon Palay) » (p. 27);<br />

– « y, à l’initiale, entre voyelles ou après consonne » peut être lu soit avec sa valeur en français<br />

(dans yeux) soit comme un j français : “moi” se dit you ou jou, selon les lieux. (p. 23);<br />

• mais cela ne joue pas toujours :<br />

– le /e/ posttonique (type càdé “tomber”) étant remplacé par /œ/ dans l’ouest gascon, on l’écrit<br />

-e, d’où, à l’intérieur du Béarn lui-même, une seconde orthographe pour les mêmes mots :<br />

cade, véde, lèbe, courre (p. 32);<br />

– th- initial ou -th- au milieu des mots, prononcé comme ty, n’existe que dans l’ouest (thabèque<br />

“chouette”, empatha “embarrasser”); les mots correspondants sont notés ailleurs selon leur<br />

prononciation en tch ou ch : chabèque, empacha, empatcha (p. 23).


Jean <strong>Lafitte</strong> 184 Écriture du gascon<br />

Donc, dans l’ensemble, de bons principes, mais peut-être une certaine inconstance dans leur<br />

application; le souci de satisfaire le plus grand nombre risque alors de mener à un ensemble<br />

hétérogène comportant une part d’arbitraire qui met l’usager dans l’impossibilité de prévoir a<br />

priori la solution retenue.<br />

Les innovations<br />

Pour ce qui est des innovations de détail, nous remarquons :<br />

• d’abord, le fait que ce n’est plus j qui se réalise par [j] ou [2] selon les lieux, mais y : you se<br />

dira [ju] à Pau et [2u] à Lescar; cela peut choquer, et change singulièrement des “habitudes” que les<br />

auteurs ne souhaitent guère contrarier d’ordinaire. Mais cela résout élégamment la notation des<br />

mots, le plus souvent empruntés, dont le j ou le g(devant e, i) est partout réalisé en [2] : bougie,<br />

ingeniur (pp. 31-32);<br />

• en revanche, pour les mots qui ont en tous lieux un [j], initial ou intervocalique, celui-ci est<br />

noté par i, comme à l’I.E.O. : caiè, (“cahier”), iaourt (“yaourt”).<br />

• constatant (après Sarrail, 1980, p. 51) « un son qui n’existe pas en français, le [s] long » (p.<br />

22), les auteurs l’écrivent par s-s. En fait, cela ne concerne que 4 mots de ce Dic., que Palay écrit<br />

par ess-, ici par es-s : es-sartiga {défricher}, es-say {essai}, es-saya, variante de saya {essayer}<br />

(mais v° tâcher, essaya) et es-souya {ramoner}; mais on compte quelque 25 mots comportant s-s du<br />

fait de la césure en fin de ligne, et l’usager risque bien de s’y tromper. Or un tiret au sein d’un mot<br />

simple est aussi peu heureux que le point intérieur des systèmes occitan (en.hangar) et catalan<br />

(il.luminar). Il suffisait de dire que dans ess- a l’initiale (et même dess- selon Sarrail), les deux s se<br />

font sentir séparément, [ss], tout comme on a précisé que -bl- et -gl se prononcent comme -bbl- et<br />

-ggl- « dans la plus grande partie du Béarn » (p. 26). Je remarque en outre que l’ALG II, 255<br />

“défricher” donne [e##arti'5a] et non [essarti'5a].<br />

• de même, dans une vingtaine de mots, /##/ est noté sch, ou plus exactement /e##/ par esch<br />

(sauf ischère {aisselle}, variante aspoise de eschère); à mon sens, ch aurait pu toutefois valoir<br />

comme graphie englobante (voir p. 321).<br />

• sont notées par un accent circonflexe les voyelles nasales des syllabes « dominantes »<br />

(toniques) ; hê “foin”; harîe “farine”; pour le ê, c’est un retour à la règle de l’E.G.F. de 1900, après<br />

son abandon en 1905; mais « qu’on pourra aussi écrire hé » (règle de 1905); pour le i de harîe et<br />

autres voyelles intérieures, c’est une nouveauté car l’E.G.F. n’a jamais éprouvé le besoin de noter<br />

leur nasalisation et nous avons vu p. 161 que les auteurs occitanistes du Civadot ont abandonné la<br />

notation haría pour haria; mais ceux des Fiches de grammaire… (p. 170) l’ont conservée…. J’y<br />

reviendrai au Chapitre V, p. 315.<br />

Mais le point qui me parait le plus contestable est le traitement de l’opposition entre le -/e/<br />

posttonique et le produit du -a latin posttonique; ignorant cette opposition, l’ouest gascon et la tradition<br />

du Béarn née à l’ouest le notait par un même -e. S’en tenant pour ce dernier à cette tradition,<br />

les auteurs du Dictionnaire notent le premier par -é : crédé {croire}. C’est parfaitement clair pour<br />

ce qui est du timbre de la voyelle, du moins dans la moitié sud-est du domaine, mais c’est totalement<br />

inacceptable dans la moitié nord-ouest, qui ne pourra jamais lire [œ] ce qui est noté -é ! Les<br />

auteurs l’ont admis… et prévu que cette moitié nord-ouest continuerait à écrire les deux -/œ/ par -e,<br />

donc créde, ce qui divise la graphie du béarnais et du gascon en deux pour ce phonème si courant.


Jean <strong>Lafitte</strong> 185 Écriture du gascon<br />

En outre le -é a les apparences d’une lettre tonique que l’on sera tenté de prononcer dans<br />

crédé comme dans labadé. Le palliatif est de marquer d’un accent écrit la voyelle de la pénultième<br />

lorsque le -é final est atone : crédé; mais c’est très lourd en accents, et demande un raisonnement,<br />

tout comme l’opposition entre o, ó et ò dans la graphie classique. Or la simplicité de lecture appelle<br />

des automatismes faciles à acquérir. Les développements par lesquels les auteurs reviennent<br />

plusieurs fois sur cette question (pp. 28, 32, 33, 34) montrent qu’on est loin du compte.<br />

Peut-être est-ce cela qui a conduit les auteurs à ne pas donner de règle sur la place de l’accent<br />

tonique, se contentant d’indiquer « en gras la voyelle de la syllabe tonique » (p. 25), alors qu’une<br />

rédaction première de l’introduction en donnait une, très simple, que l’on peut regretter :<br />

« Dans les mots de plus d’une syllabe, faites ressortir fortement : 1) l’avant-dernière<br />

syllabe si elle est marquée d’un accent (sàpou, bédé) ou quand la syllabe finale comporte<br />

un e non accentué (gouyate); 2) dans tous les autres cas, la dernière syllabe (gouyat). »<br />

Pour écrire, par contre, les auteurs donnent des règles assez complexes de notation de l’accent<br />

tonique dans certains cas, pas dans tous (p. 34).<br />

Quant à l’écriture du /e/, elle n’est pas simple non plus : c’est é, sauf si ce /e/ est atone et non<br />

final, cas où il est noté e. Encore un raisonnement à double critère…<br />

Tonique<br />

Atone<br />

Initial ou<br />

intérieur<br />

é<br />

mounéde<br />

e<br />

eslou<br />

apiela<br />

Final<br />

é<br />

bouridé<br />

é<br />

bàdé<br />

En conclusion, nous avons là un effort louable pour obtenir une graphie fidèle de la langue<br />

parlée du Béarn, appuyé sur des enquêtes scrupuleuses auprès d’informateurs de choix. Mais la<br />

simplicité visée ne me parait pas au rendez-vous, tandis qu’une vision de la langue trop limitée au<br />

Béarn risque de priver cet intéressant travail d’une audience en dehors de ce seul territoire.<br />

37 – Le « gros » dictionnaire Français-<strong>Gascon</strong> de Per Noste (A-K, 2003)<br />

La fin de 2003 a vu la parution du premier tome A-K d’un Dictionnaire Français-Occitan<br />

(gascon) publié par Per Noste et qui comptera quelque 40 000 entrées selon l’Avant-propos posthume<br />

de M. Grosclaude (p. 7). C’est le « gros dictionnaire Français-<strong>Gascon</strong> » qui était déjà dans les<br />

projets de l’association en 1973 (P.N. n° 38, 9-10/1973, p. 20); l’idée était de « retourner le Palay »<br />

qui est gascon-français (p. 7). De fait, le n° 84 de mai-juin 1981 de P.N.-P.G. publiait, p. 13, « un<br />

exemple de ce que pourra être une page du dictionnaire Français/<strong>Gascon</strong> […] en préparation », le<br />

début de la lettre T. Pourtant, le travail fut interrompu pendant plusieurs années, « Je ne saurais dire<br />

pour quelles raisons » nous confie M. Grosclaude (p. 8). C’est « vers 1996 » qu’il fut décidé de<br />

reprendre ce travail (p. 8). Quand sera paru le second tome, ce sera donc l’aboutissement de trente<br />

années de préparatifs et de réflexions.<br />

Développement du Civadot des mêmes auteurs, le Dictionnaire adopte la graphie classique de<br />

Louis Alibert, dans les mêmes termes, à 20 ans près, ce qui appelle les mêmes commentaires (cf.<br />

pp. 160-1). Ce choix va de soi pour les auteurs, et n’a pas besoin d’être justifié par les mérites<br />

intrinsèques de ce système.


Jean <strong>Lafitte</strong> 186 Écriture du gascon<br />

Il n’est même fait aucun exposé de la façon d’écrire et lire la langue dans ce système; pour<br />

l’écriture, on se réfèrera à la plaquette de Robert Darrigrand “Comment écrire le <strong>Gascon</strong>” » (1 ère éd.<br />

1969; 2 nde 1974); et pour la lecture, contrairement au Civadot qui y consacrait le titre V de son<br />

Introduction, rien. On pourra donc écrire des textes de toutes sortes avec l’aide de cet ouvrage, mais<br />

on ne pourra jamais être sûr de bien prononcer un mot qu’on y découvre : langue écrite, mais<br />

langue morte ?<br />

La référence à Alibert rend peu probables les innovations orthographiques; mais avant de<br />

présenter celles qu’on peut déceler néanmoins, il nous vient à l’esprit une question préalable :<br />

De trois auteurs, qui est le premier ?<br />

L’ouvrage est signé dans l’ordre par Gilbert Narioo, Michel Grosclaude et Patric Guilhemjoan,<br />

ce qui en fait un « Narioo et autres » dans les bibliographies. Pourtant, dans l’éditorial d’adieu<br />

à M. Grosclaude, décédé le 21 mai 2002, J.-P. Darrigrand semblait en faire le chef de file :<br />

« Il n’aura pas eu l’occasion de voir arriver à son terme sa grande œuvre (et aussi<br />

collective) : le Dictionnaire Français-Occitan (<strong>Gascon</strong>) de quarante mille mots entrepris<br />

[il y a] trente ans par Robert Darrigrand, et poursuivi avec ténacité, avec Gilbert Narioo. »<br />

(P.N.-P.G. n° 209, 3-4/2002 paru en juillet).<br />

Et en feuilletant l’ouvrage au hasard, quelques indices vont dans le même sens : “héraldique”<br />

est traduit par eraldic, alors que G. Narioo écrivait heraudic dans sa traduction de la Bíblia valenciana,<br />

p. 12; pour le h-, on sait le prix que cet auteur attache à sa conservation dans l’écrit comme<br />

dans la prononciation gasconne; or le mot étant d’origine germanique comme heume, hacaneia… il<br />

est tout à fait légitime de le garder; quant à la vocalisation du l germanique en fin de syllabe, elle<br />

est non seulement gasconne, mais encore attestée par Mistral, même en languedocien : eraudic. On<br />

peut donc penser que si c’est eraldic qui a été imprimé, ce n’est pas G. Narioo qui l’a voulu, mais<br />

M. Grosclaude. Ou encore le néologisme “camping-car” que G. Narioo rend par camiostau (P.N.-<br />

P.G. n° 217, 7-8/2003, p. 8), contre carricampatge dans le Dictionnaire…<br />

Comme en bien des choses de Per noste (cf. p. 40), ce fut donc très probablement M.<br />

Grosclaude qui fut le “directeur” de cette œuvre, ce dont témoigne le fait qu’il en ait entièrement<br />

rédigé l’Avant-propos. C’est là qu’il justifie le mot « occitan » du titre, ce que je commente p. 45,<br />

puis expose les orientations générales de l’ouvrage et divers choix linguistiques (pp. 7-24); ce n’est<br />

pas ici le lieu d’en parler, sauf quand le prétendu choix linguistique de la graphie en -a du féminin<br />

des adjectifs épicènes en -e est d’abord un choix orthographique.<br />

La graphie selon l’Avant-propos de M. Grosclaude<br />

Neuf pages sont consacrées à la graphie (25-34), sans grand changement par rapport à ce qui<br />

était écrit dans le Civadot. Il en est ainsi notamment du préambule sur les orientations générales.<br />

Viennent ensuite plus de trois pages (un tiers du titre !) sur la délicate question de l’usage du<br />

trait d’union, y compris en toponymie, alors que l’ouvrage ne contient que des “noms communs”;<br />

or le même texte a déjà été publié dans le n° 200 de sept.-oct. 2000 de P.N.-P.G.; on voit donc mal<br />

l’intérêt de s’étendre autant sur un point aussi secondaire.<br />

Un paragraphe est consacré à la lettre h; en soi, rien de neuf pour du gascon; mais on voit<br />

réapparaitre un -h- dans pre(h)ension, co(h)erent, vehicule / veïcule, pro(h)ibicion etc., parce que sa<br />

suppression par l’I.E.O. « n’a pas fait l’unanimité parmi tous les gascons pour qui ce h joue un rôle


Jean <strong>Lafitte</strong> 187 Écriture du gascon<br />

anti-hiatus ». J’y reviendrai p. 268.<br />

Par contre, coerent sans tréma, de la « Norme officielle IEO » également mentionnée, remplace<br />

coërent qui était en vigueur depuis 1976 (cf. p. 158), en raison d’une étrange “preconizacion”<br />

du C.L.O. acceptée par M. Grosclaude; il sera donc lu [kwe'ren] en deux syllabes, comme coeta<br />

['kwetœ/o], et non [kue'ren] en trois syllabes…; ou alors, il faudra allonger la liste des exceptions…<br />

Le paragraphe suivant, consacré à z, entérine à contre-cœur la décision du C.L.O. qui oppose<br />

realizar à analisar, avec une remarque des plus judicieuses (p. 30) :<br />

« Nous avons accepté sur ce point, la discipline commune regrettant toutefois ces vaet-vient<br />

: de telles palinodies ne pouvant en effet que nuire à la crédibilité de l’orthographe<br />

occitane et rendre plus malaisé son enseignement. »<br />

Mais comme les grognards de l’Empire, les occitanistes gascons “grognent” mais marchent<br />

toujours au clairon occitan…<br />

Sont ensuite décrites les conditions d’emploi du tréma, avec le maintien de son rejet dans<br />

qua prononcé [kwa] (cf. mon commentaire à propos du Civadot, p. 161).<br />

Est enfin maintenu le choix du Civadot d’écrire haria au lieu de haría prévu par la norme<br />

I.E.O. de 1952; voir sur ce point p. 161 et surtout Chapitre V, p. 315.<br />

Deux paragraphes traitent respectivement du -e de soutien des mots en -ct(e) (projèct ou<br />

projècte ?) et des mots en -òn, -b, -d, -g etc., mais il s’agit de choix linguistiques et non graphiques.<br />

En revanche, comme signalé plus haut, est un choix graphique, traité à tort comme<br />

“linguistique”, celui de maintenir la graphie unique en -a des féminins d’adjectifs en -e (la prauba<br />

hemna, et non la praube hemna). Mais c’était déjà dans le Civadot (cf. p. 160), et que je l’ai<br />

critiquée à cette occasion.<br />

Un alphabet qui innove<br />

La séquence des numéros de titres et de paragraphes arrête l’Avant-propos de M. Grosclaude<br />

à la p. 34. Vient alors l’Utilisation du dictionnaire, texte anonyme en deux titres (I - Remarques<br />

d’utilisation et II - Typographie) eux-mêmes découpés en paragraphes. Or très étrangement, le premier<br />

du titre Typographie n’est pas moins que l’« Alphabet occitan », étant aussitôt précisé qu’« Il<br />

n’y a pas à proprement parler d’alphabet occitan car l’occitan utilise pleinement l’alphabet latin. »<br />

(p. 42). Or je vois là deux innovations :<br />

La première, idéologique, c’est que le gascon s’écrit avec l’alphabet occitan, tout simplement;<br />

c’était presque dit dans les Fiches de grammaire… de 1995, mais de façon plus embarrassée (cf. p.<br />

170). Or L’application… de 1952, qui reste le seul document officiel I.E.O. en la matière, présentait<br />

ainsi l’alphabet gascon : « Le gascon aura un alphabet de 23 lettres »; et suivait l’alphabet<br />

français amputé de K, X et Y (cf. p. 145). Donc pour l’I.E.O. de 1952, et pour Alibert le rédacteur,<br />

il n’était pas question d’alphabet occitan étendu au gascon — bien que ce fût le cas —, mais bel et<br />

bien d’un alphabet proprement gascon. Et le futur « aura » visait l’avenir, car le passé de la langue<br />

montre un très large usage de l’Y, et, occasionnellement, celui de K (mots venus du grec comme<br />

kathedrau, /k/ divers) et du W (noms germaniques comme Wilhem).<br />

La seconde est pratique : sitôt écrit, le qualificatif « occitan » est balayé par une remarque de<br />

bons sens : c’est en réalité l’alphabet latin; encore que « latin » soit une façon de parler, puisque la


Jean <strong>Lafitte</strong> 188 Écriture du gascon<br />

langue de Rome n’utilisait primitivement ni le G, ni le K, ni l’Y, ni le Z, ni encore moins le W; et le<br />

J n’est venu se distinguer du I et le V, du U qu’à la Renaissance… En tout cas, même d’« usage<br />

restreint », K, X et Y sont intégrés purement et simplement dans l’alphabet (gascon) qui retrouve<br />

les 26 lettres de l’alphabet français contemporain… Mais les plumes occitanistes ont du mal à<br />

l’écrire… Ne boudons pas pourtant : c’est une bonne innovation, déjà approuvée dans les Fiches…<br />

de 1995. Reste à voir ce que cela donne en pratique.<br />

La réalité des graphies, au fil des pages<br />

On trouve d’abord des manquements aux règles mêmes de l’I.E.O. ou du C.L.O., au point<br />

qu’on se demande si le silence des auteurs sur ces règles n’en cache pas une mauvaise maitrise de<br />

leur part. Ainsi, on trouve con·hóner (confondre) alors que cohóner est la graphie de L’application…<br />

de 1952, p. 4; de même con·hessar devrait être cohessar pour rendre la prononciation (cf.<br />

dans les Coundes biarnés de Yan Palay, La Couhessiou de Casaussus {La Confession de C.}).<br />

Selon la norme I.E.O., le h est toujours [h] en gascon; or il n’est que graphique, donc muet,<br />

dans les interjections françaises ah ! eh ! oh !, et de même en gascon, même si l’habitude du<br />

français a conduit Palay à les noter ah ! eh ! èh ! oh ! (cf. p. 269); les auteurs reprennent cette erreur<br />

(ah !, eh !), alors que le lexicographe occitan Ch. Rapin les écrit a !, é !; mais les auteurs ont bien<br />

traduit « bah ! » par bò !, sans -h…<br />

On sait qu’ils se sont résolus à appliquer la “préconisation” du C.L.O. qui a rétabli le z<br />

intervocalique d’origine grecque ou arabe; mais j’ai cru déceler des “ratés” : catequisar,<br />

catequisacion, fascisant, fascisacion, fascisar. Et en dépit de la seconde série de “préconisations”<br />

du C.L.O., sedaç (crible) et troçar (emballer) sont écrits avec ç au lieu de s(s); hisson (dard),<br />

esmeussat (dératé) et besson (jumeau), le sont avec ss au lieu de ç.<br />

Les auteurs écrivent asepsia, asexuau, asimetria, bisexuau, bisulfit, bisulfit etc; decasillabe,<br />

endecasillabe, dodecasillabe etc. malgré leur propre règle n° 2 d’emploi du trait d’union, selon<br />

laquelle « tous les mots composés dont le premier élément se termine par une voyelle et dont le<br />

second commence par s s’écrivent avec un trait d’union. » Est-ce à dire que ces mots devraient se<br />

prononcer par [z] ? C’est peu vraisemblable.<br />

Le traitement des emprunts introduit subrepticement des correspondances graphie-phonie tout<br />

à fait étrangères au système; par exemple coriza (coryza) à lire [k%'riza] présente un o et -a en<br />

exception des normes qui voudraient qu’on lût [ku'rizœ/o] ce que, d’ailleurs, chacun prononcerait<br />

spontanément [k%ri'za]; harissa [ha'risa] et armonica [armu'nika] n’ont que l’-a en exception, mais<br />

cela suffit à déranger le système.<br />

L’unité de mesure coulomb notée ainsi, sans doute pour respecter sa forme internationale —<br />

ce qui est judicieux — introduit un ou pour noter /u/, ici encore hors système.<br />

Des disparités de traitement s’expliquent mal : “carême” traduit par quaresme et “carêmeprenant”<br />

par carementrant; serait-ce pour permettre la prononciation [kwa]- du premier ? mais<br />

alors, on peut regretter le refus du tréma dans ce cas : qüaresme; “archonte” est traduit par arcont et<br />

“exarchat” par exarquat; ce dernier peut-être parce que “exarque” est traduit par exarque; mais on<br />

écrit bien que marque le subj. de marcar {marquer}…; quòta {cote} et cotiza {cotisation}, etc.<br />

L’usage du k est hésitant : ainsi, aiquido et judoka; acadian traduit “acadien” et “akkadien”;<br />

pourquoi ne pas avoir traduit ce dernier par ak(k)adian ? Puisque l’on respecte le nom international


Jean <strong>Lafitte</strong> 189 Écriture du gascon<br />

du coulomb et que les symboles kcal, km, kg etc. remplacent judicieusement les qcal, qm, qg… qui<br />

mettaient nos langues d’oc en dehors du concert international, pourquoi le préfixe kilo- du nom<br />

complet de ces unités reste-t-il occitanisé en quilo ?<br />

Et il serait fastidieux de signaler les difficultés de lecture que l’on rencontrera pour bien des<br />

mots, en raison des défauts maintes fois signalés de la norme occitaniste; certains sont atténués par<br />

l’indication de la prononciation de quelques mots, mais cela n’est pas systématique : agòr [a'5%r]<br />

{automne}; càncer [-ser], canicular [-'lar], mais rien pour esquèr {gauche}; apòstol [a'p%stu :],<br />

capítol [ka'pitu :], mais rien pour discípol {disciple}…; ni pour le -n [n] d’augan {année}, nèn et<br />

nin {bébé} etc.; gran {grand} avec -n dental reste homographe de gran {grain} avec -n caduc, bien<br />

que l’occitan l’écrive grand et que les dérivés soient grandessa, grandor…; pourtant, le Mémento<br />

grammatical du <strong>Gascon</strong> de J.-P. Birabent et J. Salles-Loustau avait montré le chemin… Et butan<br />

{butane}, comment les auteurs entendent-ils qu’on le lise : [by'tan] ou [by'tã/ta7] ?<br />

Mérite néanmoins une mention spéciale la lacune de la norme pour noter [wi] : oi se lit très<br />

couramment [u"] (poirir {pourrir} [pu"'ri]), et coic ! {couic !} risque d’être lu [ku"k] au lieu de<br />

[kwik]; les auteurs l’ont donc écrit coïc !, mais le tréma marque la diérèse puisque « on écrira […]<br />

oï […] pour indiquer que la prononciation doit être [%'i] […] et non pas […] [%j] » (p. 31) (avec<br />

oubli de l’accent grave, car c’est òï qu’on aurait dû écrire). Donc désordre garanti, d’autant que<br />

coïncidir, coït se lisent normalement en diérèse… Et je n’en vois pas le remède, sauf à rétablir y<br />

comme glide, suivant la pratique gasconne depuis le Moyen âge : oy pour [u"], oi pour [wi] et oï<br />

pour [ui]; mais ce ne serait qu’un replâtrage de plus d’un système dépassé.<br />

Mais les auteurs ont réparé, et dans le bon sens, le désordre constaté dans le Civadot pour les<br />

produits de “fl-” latin (p. 216 ci-après) : ehlamar / eslamar (flamber), eslor / ehlor (fleur), esloronc<br />

/ ehloronc (furoncle), eslagèth / ehlagèth (fléau), etc.; mais l’ordre est tantôt ehl- / esl-, tantôt esl- /<br />

ehl-. Cela me parait préférable à l’unique graphie en esl- du dictionnaire de MM. Moreux et Puyau<br />

(p. 183 ci-dessus).<br />

Ce dernier point résulte peut-être de la prise en considération de mes critiques et suggestions<br />

dans le n° 20 de Ligam-DiGaM que j’avais adressé à Per noste en service de presse le 23 décembre<br />

2002. Il est en tout cas un autre point de convergence avec mes travaux : en optant systématiquement<br />

pour les formes en -eria au paragraphe « infirmeria et non infirmaria » des choix linguistiques,<br />

M. Grosclaude avait abouti aux mêmes conclusions que moi-même, en novembre 2002, sur le<br />

produit gascon du latin -aria; or « l’abondance des matières », m’en avait fait différer la publication<br />

jusqu’au n° 21 paru à la fin mai 2003, bien évidemment dans l’ignorance totale de ce que serait le<br />

Dictionnaire.<br />

Je ne suis pas sûr que la publication en Septembre 1996 du numéro spécial de Ligam-DiGaM<br />

intitulé Le gascon, langue à part entière et le béarnais âme du gascon (cf. p. 14) soit totalement<br />

étrangère à la relance par Per noste de son projet de dictionnaire ni à la condamnation par M. Grosclaude<br />

des linguistes qui, voulant améliorer la graphie classique du gascon, compromettraient son<br />

futur dictionnaire (éditorial de dans Per noste-Païs gascons n° 176 daté de 10/11-1996 et paru dans<br />

la seconde quinzaine de novembre). Pourtant, les convergences de nos vues, quand on fait abstraction<br />

de toute idéologie, montrent le profit que la langue aurait pu tirer d’une mise en commun de<br />

nos travaux; par mes publications, je l’ai toujours cherché; c’est dommage que cela ne soit pas allé<br />

plus loin. Mais là, pas plus qu’ailleurs, on ne refait pas l’Histoire.


Jean <strong>Lafitte</strong> 190 Écriture du gascon<br />

Conclusion<br />

Cet historique de quatre-vingt-douze pages peut paraitre bien long; du moins nous a-t-il permis<br />

de relever la plupart des problèmes inhérents à la langue; ils sont dus le plus souvent au fait que<br />

l’alphabet latin, avec la prononciation habituelle de ses lettres, ne peut rendre directement certains<br />

phonèmes gascons. Heureusement, certains d’entre eux ont été réglés de la même façon par tous les<br />

grammairiens, comme /&/ noté par lh, et je n’en parlerai plus. Mais d’autres ont trouvé des solutions<br />

très diverses; leur tableau récapitulatif qui achève ce chapitre facilitera mes propositions<br />

ultérieures.<br />

Et si l’on veut une conclusion plus “philosophique”, on pourra se désoler que plus la langue<br />

est malade, plus on se dispute sur la façon de l’écrire. Cela, c’est un “problème de société”, suivant<br />

l’expression à la mode; d’où le chapitre suivant qui essaiera de faire le tour des relations du peuple<br />

gasconophone avec l’écriture de sa langue.


Jean <strong>Lafitte</strong> 191 Écriture du gascon<br />

produit de a<br />

posttonique<br />

[u] (rare avant<br />

XVIIe s.)<br />

[we]<br />

[wa]<br />

[j] postnucléaire<br />

voy. nasalisée<br />

par chute de -n-<br />

[!]<br />

[t!]<br />

[tj]<br />

(gn)<br />

produit de -dicu,<br />

-ticu<br />

-r final amuï<br />

Le Moyen âge e, a ou oe oa y x,ch<br />

101 proverbes ("1500) e (o) ou<br />

Pey de Garros (1557) a ou<br />

oe<br />

oe<br />

oa<br />

oa<br />

y, i<br />

y (i)x<br />

nh,g ign dg/tg<br />

n<br />

ñ tg<br />

A. de Salette (1583) a (e) ou oe oa y (i)x gn dj Ø<br />

Du XVIe au XIXe s. e (o) ou oe oa y ch gn Ø<br />

Abbé Pédegert ou oe oa gn Ø<br />

Vastin Lespy e ou oe oa y x,ch tch ty gn, dg Ø<br />

Escole Gastou Febus e ou oe oa y ch tch th nh gn Ø<br />

Les “Trovadors” a o oe oa i ch ch nh tg r<br />

Jean Bouzet (1928) a ou oe oa y ch tch th gn Ø<br />

Simin Palay (1932) e,o ou oe oa y ch tch th gn dj Ø<br />

S.E.O. (1942) a o oe oa i sh ch ch nh tg r<br />

Le Pr. H. Gavel (1942) ou oe oa y / i gn Ø<br />

J. Courriades (1951) e ou oe oa y ch tch th gn dj Ø<br />

I.E.O. (1952) a o ue, i ía (i)sh ch ch nh r<br />

J. Séguy et son “école” a o oe oe ua,oa oa i sh ch ch nh r<br />

L’E.G.F. selon Sarrail e o oe oa y ch tch th Ø<br />

R. Darrigrand a o ue, i (i)sh ch ch nh tg r<br />

I.E.O. 1975 o oe ua,oa i ch ch nh tg r<br />

Aranais (1983) a o ue, i ch ch nh tg r<br />

Le “Civadot” a o oe ue, ua,oa i ch ch nh tg r<br />

I.E.O. 1985 a o oe ua,oa i ch ch nh tg r<br />

A. Hourcade (1986) a o ue, i (i)sh ch ch nh tg r<br />

J.Salles-Loustau<br />

o oe ua,oa i ch ch nh tg r<br />

(1986) I.E.O. 1989 o i (i)sh ch ch nh tg r<br />

Mémento gram. (1989) a o ue, i (i)sh tx ch nh tg r<br />

Coromines (1990) a o oe ua,oa i (i)x ch ch ny tg r<br />

Fiches de gram. (1995) a o ue, i (i)sh ch ch nh tg r<br />

Que parlam (1996) a o oe ue, ua,oa i (i)sh ch ch nh tg r<br />

C.L.O. 1997 o oe ua,oa i (i)sh ch ch nh tg r<br />

Atau que’s ditz (1998) a o ue, i (i)sh ch ch nh tg r<br />

DiGaM (1998) a o oe oe ua,oa oa i (i)x ch ch nh dg r<br />

C.L.O. 1998 o i sh ch ch nh tg r<br />

Arnaudin/Boisg. e/a o<br />

y/i<br />

tg Ø<br />

(2001) Moreux/Puyau (2002)<br />

Narioo & autres (2003)<br />

e<br />

a<br />

ou<br />

o<br />

oe/ue oe oa/ua oa<br />

ue,<br />

y<br />

i<br />

îe,<br />

ûe<br />

ch/sh ch tch/c tch<br />

h<br />

(i)sh ch ch<br />

gn/n gn<br />

h<br />

nh<br />

dj<br />

tg<br />

Ø<br />

r<br />

oe ua,oa


Chapitre II<br />

Sociolinguistique des graphies du gascon<br />

Aborder les graphies sous l’angle de la sociolinguistique, c’est soulever une foule de questions<br />

qu’il peut être difficile de bien ordonner. Je vais néanmoins l’essayer, car cela me parait indispensable<br />

pour assurer de solides fondations à mes propositions des prochains chapitres.<br />

Comme pour la langue elle-même, je montrerai d’abord la confusion qui règne dans la<br />

désignation des graphies, afin d’éviter au lecteur de s’y laisser prendre.<br />

Puis, comme toutes les graphies en vue répondent à des règles, à des normes publiées à un<br />

moment donné, nous nous interrogerons sur le pouvoir normatif en la matière.<br />

Nous verrons ensuite comment le monde gascon voit et pratique la graphie moderne, puis la<br />

graphie classique, et nous nous demanderons pour finir si celle-ci ne se réduit pas à un rêve éveillé<br />

de lettrés.<br />

I – De la confusion dans la désignation des graphies<br />

La revue historique qui précède montre que, finalement, la graphie du gascon moderne se partage<br />

entre deux grands courants : un courant classique, principalement caractérisé par une référence<br />

à la graphie médiévale du temps des Troubadours et une vision fortement unitaire des parlers d’oc,<br />

groupés autour du languedocien; et un courant moderne, principalement caractérisé par une adaptation<br />

constante à la langue parlée, dans toute sa diversité dialectale.<br />

Dans les faits cependant, faute d’une réflexion approfondie sur ces questions, et donc faute de<br />

documents pédagogiques de bon niveau, faute de rigueur intellectuelle aussi, il règne une grande<br />

confusion dans les esprits quant à l’appréhension et la désignation de ces systèmes. J’y ai fait allusion<br />

dans le “Prologue” du chapitre précédent, p. 98; il convient maintenant de le montrer explicitement<br />

pour écarter les qualificatifs inadéquats.<br />

Une “étude de texte” pour essayer d’y voir clair<br />

Dans les pages de tête du manuel bayonnais de conversation Que parlam, un titre Comment<br />

écrit-on le gascon ? introduit opportunément mon propos (pp. 24-26, passim) :<br />

« On rencontre aujourd’hui, sommairement, trois façons de l’écrire :<br />

« 1 er cas – Graphie phonétique, ou spontanée, au gré de chacun.<br />

« Le locuteur écrit le gascon comme il le parle ou l’entend parler, en suivant les règles<br />

orthographiques de la langue qu’il connaît le mieux, et en tout cas de la seule qu’il sache<br />

écrire : le français.<br />

[…]<br />

« Le gascon “de BAYONNE” tel qu’on le connaît par les textes déjà publiés, a été<br />

forcément écrit en “phonétique” (3) ; l’Académie Gascoune avait fixé quelques règles, il y a<br />

soixante-dix ans, mais cet effort n’a pas été poursuivi et actualisé, si bien que nous n’avons<br />

ni grammaire, ni dictionnaire, ni livre “de classe” en gascon de Bayonne. Pour l’étude du<br />

gascon dans notre secteur, on est obligé de recourir à des ouvrages écrits en béarnais.<br />

« C’est ainsi que l’effort en faveur de la langue d’origine précipite la perte du “gascon<br />

de Bayonne”.<br />

« 2 ème cas – Graphie phonétique “régularisée” par certains organismes :<br />

« À défaut d’instrument d’État pour organiser et “réglementer” la langue et ses évolutions,<br />

l’Escole Gaston FEBUS, de Pau, (une association) a fait un gros effort dans ce


Jean <strong>Lafitte</strong> 194 Écriture du gascon<br />

sens. Le “Dictionnaire du gascon moderne” de Simin PALAY, qui est toujours un “grand<br />

ouvrage” indispensable, applique ses principes. Mais l’Escòla Gaston Febus ne milite plus<br />

pour cette graphie, et il reste peu d’influences organisées agissant en sa faveur… Cette<br />

graphie périclite.<br />

« 3 ème cas – Graphie occitane dite “classique”, ou “normalisée” (utilisée par l’<strong>Institut</strong><br />

d’Études Occitanes, et une partie du Félibrige).<br />

« C’est elle qui est adoptée dans l’Enseignement public. Elle a donc un poids considérable<br />

et une dynamique. Ce mode d’écriture tend, d’une part, à reprendre des règles ou<br />

usages en vigueur aux époques où la langue d’oc était florissante et conquérante; d’autre<br />

part, à unifier l’orthographe – entre autres règles –, tout en laissant à chaque petite région, à<br />

chaque variété de dialecte, le choix de prononcer différemment certaines lettres, selon la<br />

tradition locale, et de conserver des mots spécifiques. Ceci est une des conditions, dans<br />

l’immédiat, pour qu’elle ait des chances d’être “admise” par les générations actuelles. »<br />

« (3) Mais dans les plus anciens recueils écrits dans ce dialecte (Livre d’Or des Évêques<br />

de Bayonne, Registres gascons), on trouve des mots formés selon le gascon dit aujourd’hui<br />

“normalisé” (voir pages suivantes). »<br />

Il y a là bien matière à commentaire :<br />

– toutes les graphies autres que les purement idéographiques ont depuis longtemps pour objet<br />

de noter des sons par l’écrit, et qui dit “son”, dit “phonétique” ou mieux “phonologique”; donc toutes<br />

les graphies citées par Que parlam sont “phonologiques”, avec plus ou moins de concessions à<br />

l’étymologie : nous l’avons vu au chapitre précédent pour celle de l’E.G.F. et celle de l’I.E.O., et<br />

même ici, dans le cas n° 1 de graphie individuelle : écrire canta (< cantare) et non kanta, quaouque<br />

(< qualis + quod) et non caouke, cèou (< coelum) et non sèou, c’est s’écarter du phonétique pur; la<br />

différence entre graphies modernes et classiques, c’est que les modernes privilégient la facilité d’interprétation<br />

contemporaine des graphèmes choisis, donc la simplicité du code graphème-phonème,<br />

tandis que les classiques restent attachés à des graphèmes anciens dont la valeur phonétique initiale<br />

a changé du fait de l’évolution de la langue, d’où un code graphème-phonème plus complexe;<br />

– comme rappelé par les auteurs, la graphie de l’Escole Gastou Febus est une graphie « régularisée<br />

», c’est-à-dire « normalisée », qui a servi de base au Dictionnaire du béarnais et du gascon<br />

modernes de Simin Palay cité par les auteurs (en oubliant toutefois le “béarnais” !) (voir plus haut,<br />

p. 136); et la graphie de l’Academie gascoune de Bayonne était aussi une graphie « normalisée »;<br />

– mais si les auteurs soulignent qu’il s’agit d’une normalisation par des « associations », donc<br />

des organismes privés, ils auraient dû en dire autant de la graphie de l’I.E.O., qui est lui aussi une<br />

association privée sans aucune mission de service public (voir plus loin, p. 196);<br />

– s’il est exact que l’Escole Gastoû Febus, devenue Escòla Gaston Febus en 1997 (cf. p. 77),<br />

ne soutient plus la graphie qui porte son nom, il n’est pas si sûr que cette graphie périclite à en juger<br />

par l’attachement des locuteurs naturels, comme on le verra plus loin (p. 202);<br />

– il n’est pas tout à fait exact de dire “occitane” la graphie “classique” du gascon selon<br />

l’I.E.O. car dans la mesure où elle fait l’objet d’un document distinct de celle de l’occitan (cf. p.<br />

144), cette graphie est “gasconne”, fût-elle adaptée de l’“occitane”;<br />

– mais les Bayonnais ont tout à fait raison de qualifier cette graphie de “classique” (celle<br />

qu’on enseigne dans les écoles […]) » (p. 17); aussi pourra-t-on sourire lorsque les auteurs font remarquer<br />

que, dans les textes anciens qu’ils rapportent plus loin, « on trouve des mots formés selon<br />

le gascon dit aujourd’hui “normalisé” »… alors que c’est exactement le contraire ! au surplus, cette<br />

remarque révèle la confusion déjà dénoncée entre normalisation de la graphie et normalisation de la<br />

langue; en l’occurrence, seule la graphie est normalisée — et encore ! — et les auteurs se félicitent<br />

au contraire que cette normalisation de l’écrit autorise la variété des réalisations orales;


Jean <strong>Lafitte</strong> 195 Écriture du gascon<br />

– enfin, dire que la graphie classique a été « adoptée dans l’Enseignement public » ou même<br />

qu’elle est « celle […] qui permet de passer examens et diplômes » (p. 17), c’est participer à une<br />

confusion supplémentaire, qui s’apparente à de la désinformation pure et simple, comme nous le<br />

verrons à la page suivante.<br />

Quant à faire passer pour “moderne” la graphie “classique”…<br />

Mais la confusion va encore plus loin quand on appelle “moderne” la graphie “classique” !<br />

Je citerai d’abord M. Grosclaude qui était professeur de philosophie — donc de logique — et<br />

que ses travaux linguistiques sur le gascon ont à juste titre fait considérer comme un expert en la<br />

matière. Or dans son Dictionnaire toponymique de 1991, p. 30, il écrit :<br />

« Ce que nous appelons “orthographe béarnaise correcte”, c’est ce que certains ont<br />

appelé “orthographe classique”, d’autres “orthographe normalisée”, d’autres encore “orthographe<br />

de l’<strong>Institut</strong> Etudes Occitanes” [sic], d’autres enfin “orthographe alibertienne”<br />

du nom du grammairien qui en fut le principal initiateur. »<br />

Jusque là, rien à dire, sauf à constater la pléthore de désignations de la graphie de l’I.E.O.<br />

Mais trois pages plus loin, le même auteur annonce qu’il proposera pour le nom de chaque commune<br />

« dans la rubrique “orthographe restituée”, […] deux orthographes possibles : une orthographe<br />

traditionnelle et une orthographe moderne »; la rubrique contenant en principe l’« orthographe<br />

béarnaise correcte » s’appellera donc d’un autre nom, « orthographe restituée », et de fait, la “graphie<br />

classique occitane” préférée de l’auteur y sera proposée comme « orthographe moderne », par<br />

opposition à la véritable “graphie classique béarnaise”, qualifiée de « traditionnelle ».<br />

Et malheureusement, M. Grosclaude n’est pas le seul à entretenir la confusion entre classique<br />

et moderne. Ainsi, entre autres, R. Darrigrand (p. 157 ci-dessus); ou E. Chaplain (1997) présentant<br />

sa réédition du Dictionnaire du patois de La Teste de Pierre Moureau noté en graphie classique :<br />

« L’orthographe retenue […] est […] la graphie occitane moderne »; ou encore Atau que’s ditz<br />

(1998, p. 14); et « graphie occitane moderne » cumule deux erreurs, puisqu’il s’agit d’une « graphie<br />

classique » et spécialement prévue pour le gascon, je viens de le rappeler à la page précédente.<br />

Ainsi, à la confusion sur le nom de la langue gasconne que nous avons pu constater en Première<br />

partie s’ajoute celle sur le nom de ses graphies ! Et ce n’est pas fini, car la même confusion<br />

règne sur le pouvoir normatif en cette matière.<br />

II – Du pouvoir normatif en matière de graphie<br />

Il y a vraiment de quoi s’émerveiller de l’ardeur déployée par tant de défenseurs de nos langues<br />

d’oc pour en règlementer la graphie. Chez des gens qui, notamment depuis mai 1968,<br />

s’insurgent volontiers contre la centralisation jacobine et l’excès de législation qui rogne les libertés,<br />

on ne cesse de formuler des règles auxquelles on entend soumettre les autres, et l’on n’hésite<br />

pas à demander à l’État jacobin de se faire le bras séculier d’une moderne Inquisition.<br />

Or il faut commencer par voir ce qui en est du français lui-même : l’Académie française n’a<br />

juridiquement aucun pouvoir pour imposer une orthographe quelconque; elle choisit et publie, mais<br />

on la suit ou non, aucune loi n’y oblige (cf. Catach, 1988, p. 50 en note). Il en est ainsi par exemple<br />

pour sa recommandation de 1990 tendant à supprimer à peu près tous les accents circonflexes sur u<br />

et i : buche comme ruche, maitre, il parait, etc.


Jean <strong>Lafitte</strong> 196 Écriture du gascon<br />

Aucune graphie n’a pu être légalement “adoptée” par l’Éducation nationale<br />

Il est donc dans la logique du droit français qu’aucun ministre, aucune autorité administrative,<br />

ne peut légalement définir ou simplement homologuer un système orthographique quelconque pour<br />

aucune des langues de France. Et il serait aberrant qu’un “statut” légal des langues de France en<br />

disposât autrement, car ces langues seraient soumise à un régime qui n’est même pas celui du français,<br />

« langue de la République ».<br />

Il est donc juridiquement faux et abusif, voire trompeur, de dire, comme les auteurs bayonnais<br />

de Que Parlam, que la graphie classique a été « adoptée dans l’Enseignement public » ou même<br />

qu’elle est « celle […] qui permet de passer examens et diplômes » (p. 17); bien au contraire, les<br />

arrêtés ministériels et les circulaires imposent le respect de la graphie choisie par les auteurs<br />

étudiés, et, pour l’enseignement proprement dit, laissent le choix aux maitres, le seul critère étant<br />

la cohérence de la graphie choisie. Toute autre attitude relèverait de l’abus de pouvoir.<br />

Voici par exemple le texte même de l’Arrêté ministériel du 15 avril 1988 relatif aux programmes<br />

de langues régionales dans les lycées (J.O. du 30 et B.O.-E.N. pour les annexes) :<br />

« En ce qui concerne les graphies, on s’efforcera d’adopter des attitudes ouvertes.<br />

Pour amener les élèves à une pratique parlée et écrite de la langue dans sa variété locale,<br />

l’enseignant sera évidemment conduit à privilégier une base graphique qu’il déterminera<br />

librement en fonction de l’efficacité pédagogique et de l’environnement littéraire et culturel.<br />

L’exploration de la littérature lui offrira de nombreuses occasions d’introduire dans son<br />

enseignement des éléments d’information sur les autres systèmes d’orthographe, passés et<br />

actuels. Les œuvres et les documents seront en effet présentés et étudiés en respectant strictement<br />

leur graphie d’origine, celle-ci correspondant, de la part des auteurs, à des options,<br />

voire à des engagements, qui font partie intégrante de leur contribution aux lettres d’oc et<br />

qu’il ne saurait être question d’éluder ou de dénaturer : on trouvera là, au contraire, matière<br />

à développer chez les élèves l’esprit de rigueur scientifique et de tolérance avec lequel il<br />

convient d’envisager la question. » (Annexe « Langue d’oc »).<br />

Édicter des règles orthographiques pour une langue d’oc ne peut donc être le fait que de personnes<br />

privées, même si elles sont souvent appuyées par des associations, privées elles aussi. C’est<br />

ce que rappelait à l’I.E.O. le Pr. Robert Lafont : « reconnaître que la graphie ainsi modifiée devienne<br />

officielle en dehors de l’I.E.O., c’est donner à cet organisme une compétence scientifique et<br />

juridique d’une nature spéciale. » (Amiras n° 7, 1984, p. 104). Or, évidemment, pas plus qu’une autre<br />

association, l’I.E.O. n’a pas cette compétence juridique, que seule une loi pourrait conférer !<br />

Mais voyons plutôt maintenant comment a fonctionné le “pouvoir” règlementaire, nécessairement<br />

interne, des associations d’oc en matière de graphie du gascon.<br />

La graphie félibréenne de l’Escole Gastou Febus ou graphie “fébusienne”<br />

Nous avons vu qu’historiquement, les premières règles écrites pour l’écriture du béarnais, en<br />

1900, puis du gascon en général, en 1905, furent les règles “modernes” adoptées par l’Escole Gastoû<br />

Febus. Déjà, à l’époque, des voix s’élevèrent contre le principe même d’édicter des règles en<br />

“académie” de lettrés, alors que la langue vive était celle de gens simples qui ne se souciaient pas<br />

d’écrire. Cela n’empêcha pas l’application de ces règles, avec plus ou moins de soin, par tous les<br />

félibres du sud-ouest gascon. Quelques uns, certes, affichèrent des choix personnels comme le salisien<br />

Al Cartero, qui notait les h muets, les participes passés en -d (l’abor qu’ha berreyad; … qu’ha<br />

courrud), des -q en finale (milhoq, bosq…). Et surtout, l’est gascon, au sein de l’Escolo deras Pirenéos,<br />

suivit Bernard Sarrieu et ses graphies changeantes. Mais ce ne sont pas les auteurs les plus lus<br />

qui se sont écartés de la norme, et il n’y eut pas de contestation sérieuse du côté des “modernes”.


Jean <strong>Lafitte</strong> 197 Écriture du gascon<br />

La graphie occitaniste selon l’I.E.O.<br />

En revanche, l’école “classique” dont on a vu les progrès en Gascogne, de l’échappée classique<br />

de Simin Palay à l’entrée en lice de Per Noste, n’a pu rester en dehors des remous qui se sont<br />

produits dans le monde occitaniste. On a vu p. 143 comment s’était définie la graphie officielle de<br />

l’I.E.O. à partir de la Gramatica occitana d’Alibert (1935), et, en ce qui concerne le gascon, p. 147,<br />

les réserves de P. Bec (1952, 48). Mais qu’il s’agisse du gascon ou de l’occitan, l’I.E.O. s’est avéré<br />

incapable d’entretenir un organe d’étude et de mise à jour des normes.<br />

Ce n’est qu’en 1975 que furent publiées les premières modifications aux normes de 1950-52<br />

(ci-dessus, p. 158). Cependant, les tensions internes qui devaient conduire à la disparition du<br />

Conseil d’études de l’I.E.O. (cf. p. 84) devaient exister déjà en 1975. On sent en effet la contestation<br />

dans l’air dans le Rapport sur la Commission de Normalisation Philologique établi par son secrétaire<br />

J. Taupiac (Q.L.O. n° 4, déc. 1976 pp. 47-49); décrivant la procédure de concertation et de<br />

décision et énumérant les personnages y ayant participé, puis faisant état d’une approbation unanime<br />

par le Conseil d’études de l’I.E.O. le 14 décembre 1975, ce rapport entend manifestement répondre<br />

à des critiques, voire à des refus…<br />

Effectivement, ces modifications ne furent pas acceptées par tous, et d’abord par le Pr. Robert<br />

Lafont, alors responsable du secteur scientifique de l’I.E.O., et son refus est une des cause de sa<br />

démission de l’I.E.O. en 1981 (Viaut, 1987, p. 111). Ses fidèles, groupés surtout autour de<br />

l’Université de Montpellier et de la revue Amiras qu’il avait créée, persistèrent donc avec vehicul et<br />

realizar. Ainsi, dans Amiras n° 3 de sept. 1982, Ph. Gardy (D’espacis nòus per l’occitan ? pp. 19-<br />

26) et Ph. Martel (Revolucion e contrarevolucion en occitan ? pp. 53-60) utilisent encore -s-. Un an<br />

plus tard, dans le n° 6 d’oct. 1983, on est passé à -z- : Pèire Pasquini (Le Felibritge : problèma<br />

d’una istòria, pp. 3-13; Étienne Hammel et Ph. Martel (comptes rendus d’ouvrages, pp. 103-105).<br />

Ce climat de contestation peut expliquer les dix et même douze ans de silence du Secteur de<br />

linguistique de l’I.E.O., jusqu’au communiqué de 1985 publié en 1987; et enfin son communiqué de<br />

1987 publié en 1989. Et tous ces communiqués étaient prudemment présentés comme se limitant à<br />

des confirmations de normes (cf. pp. 162 et 166).<br />

Au demeurant, pour ne regarder que le monde gascon, il convient sans doute de rappeler ce<br />

qu’écrivaient en 1984 les auteurs du Civadot (cf. p. 160) pour justifier leurs écarts par rapport aux<br />

règles de l’I.E.O. : « – 2 ème cas, quand il s’agit d’une modification passée dans l’usage et admise par<br />

la très grande majorité des linguistes occitans » (p. 19). Cela relève certes du bon sens, mais crée<br />

une “autorité” de l’usage qui dévalue celle de l’I.E.O. en tant qu’organe “législatif” en la matière.<br />

Et elle ouvre la porte à n’importe quoi, car chacun peut se faire juge de l’usage; quand aux<br />

« linguistes occitans », nul n’en a encore donné la définition ni la liste; il en sera comme de l’usage,<br />

on pourra y mettre ou en écarter qui on voudra; et la qualité d’« occitan » risque de s’interpréter<br />

comme synonyme d’« occitaniste », c’est-à-dire partisan des idées « occitanistes », qui ne sont pas<br />

seulement de technique linguistique (cf. Chambon, 2003)…<br />

Dans les faits, la confusion<br />

Il ne faut donc pas s’étonner si, dans les faits, les occitanistes respectent très mal les normes<br />

qu’ils invoquent officiellement et ne sont pas toujours cohérents ni toujours d’accord entre eux.<br />

Nous y reviendrons, exemples à l’appui, pp. 214-216.


Jean <strong>Lafitte</strong> 198 Écriture du gascon<br />

Or il s’agit là d’une faiblesse du système lui-même, car le même constat en “occitan” faisait<br />

écrire à la lexicographe Josiane Ubaud du GIDILOc (2000) :<br />

« Pour le Gidiloc, se pose maintenant la question d’un Diccionari Ortografic, que j’ai<br />

mis en chantier depuis trois ans, effrayée que j’étais par la liste des divergences, contradictions<br />

et incohérences que je rencontrais dans les dictionnaires et lexiques en circulation<br />

[…] »<br />

Au demeurant, le fondateur de ce GIDILOc P. Sauzet (1990, p. 38), plaidant pour le respect<br />

des règles établies pour imparfaites qu’elles soient, ne manque pas de signaler que R. Lafont, qui<br />

plaide de même, n’a pas toujours montré le bon exemple :<br />

« Il écrit “podem” deux fois [donc sans accent] dans [ce qui devrait être écrit] “Cal<br />

que podem la vinha, se podèm” {Il nous faut tailler la vigne, si nous pouvons}. L’ambigüité,<br />

comme d’autres du même genre, n’est pas grave en soi. Ce qui est grave, c’est de ne pas<br />

s’imposer de s’en tenir à la graphie comme elle a été définie. […] Si les auteurs les plus<br />

conscients et savants donnent l’exemple [le mauvais !], où s’arrêtera le processus ? »<br />

Et Jacques Taupiac n’a pas été le dernier à prendre des libertés avec la règle officielle, comme<br />

en adoptant l’accentuation — au demeurant plus rationnelle — càntan/cantaran (au lieu de<br />

l’officiel cantan/cantaràn) dans son Pichon diccionari françés-occitan de 1977, publié par l’I.E.O.<br />

C’est ce qui faisait écrire à G. Kremnitz (1992 pp. 243 et 245) :<br />

« La normativisation consiste en l’élaboration des normes grammaticales, lexicales…etc.,<br />

d’une langue, […]. Dans l’emploi oral la normativisation se fait à travers la<br />

praxis de la parole, mais dans l’écrit il s’agit d’un processus plus large, d’une dialectique<br />

entre proposition et acceptation/refus sociaux. Si les propositions ne peuvent pas circuler<br />

librement entre les usagers, le travail normatif ne peut pas s’effectuer normalement. Dans<br />

la situation de l’occitan il n’existe pas de consensus sur une seule norme (qu’elle soit large<br />

ou étroite, francisante ou catalanisante importe peu ici). » […]<br />

« La diminution des capacités linguistiques devient visible […]. J’insiste pourtant sur<br />

deux observations :<br />

« Premièrement, depuis quelque temps la discipline normative des publications diminue.<br />

On sait que la révision (en principe utile et nécessaire) des conceptions alibertiennes<br />

n’a pas réussi; mais, au lieu d’employer la norme d’Alibert avec ses incohérences, aujourd’hui,<br />

presque tout le monde emploie son propre système, et comme la majeure partie<br />

de ceux qui écrivent en savent moins qu’Alibert, ce qu’ils écrivent est moins cohérent.<br />

Dans une situation de pleine santé, cela ne serait pas très grave, dans celle de l’occitan, cela<br />

fait un problème de plus. Ce manque de discipline intellectuelle s’explique naturellement<br />

par la situation de domination de la langue et par l’absence d’institutions reconnues par<br />

tous. Avec les structures d’enseignement qui existent actuellement, on devrait pourtant<br />

pouvoir faire quelque chose (il me semble qu’en général, ceux qui écrivent la langue avec<br />

le système Roumanille/Mistral le font avec plus de soin.). »<br />

Un mal profond<br />

G. Kremnitz met le doigt sur la cause de tous ces désordres : l’incapacité de l’I.E.O. à faire<br />

évoluer les normes dans un grand consensus. Ce n’est certes pas le fait d’un refus du responsable de<br />

son Secteur de linguistique :<br />

« Nous autres, les Occitans, si nous refusons “toute réforme judicieuse” [en français<br />

dans le texte], nous traitons notre langue non pas comme si elle était une langue néolatine<br />

comme les autres, mais comme si elle était du français (langue néolatine aberrante; tout le<br />

monde l’admet), de l’anglais ou du chinois. » J. Taupiac, 1988, p. 20.<br />

Mais il n’a pas été entendu et comme il faut quand même aller de l’avant, chacun applique ce<br />

qui lui semble la meilleure solution : « toute incohérence graphique ne manque pas de susciter de<br />

réformateurs. » (J. Taupiac, Occitans ! n° 82, Janv. 1998, p. 17).


Jean <strong>Lafitte</strong> 199 Écriture du gascon<br />

Ainsi, Roger Teulat (1982), alors professeur à la Faculté de lettres de Clermont-Ferrand :<br />

« Je remarque que, depuis quelque temps, les problèmes orthographiques<br />

s’accumulent sans avoir de solution. Personnellement j’ai proposé quelques innovations<br />

[mais pas d’organisme de coordination pour y donner suite].<br />

« Personnellement, dans mon métier d’enseignant, je suis obligé à chaque fois de<br />

choisir unilatéralement telle ou telle solution, soit parce qu’il s’agit d’un problème jamais<br />

traité, soit parce que la prescription en cours n’est pas cohérente.<br />

« Voici donc une table des problèmes que je crois pendants (sans doute en ai-je oublié).<br />

Je m’appuie sur le document paru en français dans les Annales de l’I.E.O. de 1950<br />

(que je viens de découvrir !), sur le dictionnaire d’Alibert […].<br />

« Il me semble qu’une réunion générale des intéressés sous la direction de J. Taupiac<br />

et dans le cadre administratif de la Commission de l’I.E.O. pourrait rapidement entériner<br />

ces innovations et tout serait dit. Pour moi, je n’admettrai pas le passage devant une assemblée<br />

générale, quelle qu’elle soit. Tout ce folklore est enterré, et définitivement. »<br />

On peut même citer l’aveu des dirigeants de Per Noste, faisant le point à l’occasion de<br />

l’Assemblée générale de 1984, aveu doublement naïf dans la mesure où il constate que les autorités<br />

“normalisatrices” se multiplient et où il donne la primauté à l’écrit, alors que la langue se parle de<br />

moins en moins (P.N.-P.G. 109, 7-8/1985, p. 19) :<br />

« Maintenant, nous ne sommes plus en Béarn les seuls à normaliser. Il y a aussi<br />

l’Éducation nationale, la Civada, l’Escòla Gaston Febùs, la Calandreta… Tant mieux,<br />

c’est la preuve que nous avançons ! Le danger pourtant serait que chacun normalisât de son<br />

côté… Il faut nous entendre, il faut que nous nous y mettions, parce que l’écrit reste ce qui<br />

est le plus important pour le renouveau de notre langue. »<br />

À cette “indiscipline” s’ajoute semble-t-il un grand désintérêt social pour une graphie tellement<br />

complexe qu’elle en est devenu le théâtre d’interminables disputes entre spécialistes. Le délai<br />

de deux ans entre les communiqués du Secteur de linguistique et leur publication par la revue officielle<br />

de l’I.E.O. parait symptomatique de ce désintérêt; et encore plus sans doute le black-out total<br />

sur les textes fondateurs de 1950 et 1952 sur la graphie (cf. p. 143).<br />

Aussi redécouvre-t-on sans cesse les problèmes et même des solutions déjà adoptées ici ou là,<br />

voire déjà étudiées et rejetées comme non-satisfaisantes, mais totalement méconnues de gens qui<br />

veulent légiférer sans connaitre l’état du droit en vigueur et son histoire… Ainsi R. Teulat, dont on<br />

a toujours apprécié le sérieux, ne découvrant qu’en 1982 La Réforme… de 1950, alors qu’il enseignait<br />

l’occitan depuis une vingtaine d’années; et tous les responsables occitanistes gascons dont<br />

nous verrons plus loin les lacunes dans ce domaine (p. 213).<br />

Et l’on ne met jamais les choses à plat, autour d’une table, en faisant l’inventaire des problèmes<br />

linguistiques et extralinguistiques, et en ne cherchant des solutions concrètes qu’après avoir<br />

défini et accepté des buts “politiques” et des principes techniques permettant de les atteindre.<br />

Mais au fond, n’y aurait-il pas un tabou ? Voici encore ce qu’écrivait naguère R. Teulat :<br />

« …en 1950 ou à peu près, se fit un pacte (tacite ou exprès, on ne sait pas) pour admettre<br />

en totalité la réforme alibertine. Accepter la critique, c’est répandre la confusion, ou<br />

plutôt la révéler au public. D’où le combat volontariste, sectaire, obscurantiste contre les<br />

choix différents. […] bien des théoriciens actuels sont intelligents, mais il leur est impossible<br />

de se contredire, de renier le choix de leurs vingt ans. » (2001-2, p. 189).<br />

Le Conseil de la langue occitane et ses “preconizacions”<br />

Cependant, pour mettre fin à la regrettable situation issue de la contestation des décisions<br />

I.E.O. de 1975, des contacts furent pris dès l’été 1996 entre « des gens du Secteur de linguistique de<br />

l’I.E.O., du GIDILOc de Montpellier, du Collège d’Occitanie de Toulouse et des universitaires de


Jean <strong>Lafitte</strong> 200 Écriture du gascon<br />

Vienne (Autriche) [Georg Kremnitz], Girone (pays catalans) [Xavier Lamuela], Clermont-Ferrand<br />

[Roger Teulat], etc. » en vue de créer un organisme unitaire (Occitans !, n° spécial A.G. 1996). Devait<br />

en résulter la création du Conseil de la langue occitane (C.L.O.).<br />

Le C.L.O. est une association déclarée à la préfecture de Toulouse le 1 er octobre 1997 (Occitans<br />

! n° 82 - Genièr de 1998 - p. 17). Il était composé à l’origine d’une vingtaine d’universitaires,<br />

lexicographes, pédagogues, de journalistes, choisis par cooptation et qui travaillaient depuis l’été<br />

1996. Le Président de l’I.E.O. Philippe Carbonne, et le responsable de son secteur de linguistique<br />

Jacques Taupiac en étaient, à titre personnel, semblant consacrer la disparition du Secteur de linguistique<br />

de l’I.E.O. (qui devait pourtant publier un communiqué en Janvier-Février 2001). Présidé<br />

par le professeur catalan d’Espagne Xavier Lamuela, à l’époque détaché à l’Université de Toulouse,<br />

le C.L.O. avait deux vice-présidents, Patrick Sauzet et J. Taupiac, pour secrétaire Dominique Sumien<br />

et pour trésorier Maurice Romieu.<br />

Le C.L.O. s’est surtout manifesté par les deux séries de “Preconizacions” adoptées en 1997 et<br />

1998 (cf. pp. 174 et 177) et relayées par les organes de l’I.E.O.<br />

Certaines ont été très mal reçues, notamment celle concernant le -z- (on écrira realizar, mais<br />

analisar et precisar), qui marquait la victoire de R. Lafont et de ses amis sur l’I.E.O. Certes, sous le<br />

titre « Lo Conselh de la lenga recomanda d’escriure “realizar” » (Occitans ! précité), J. Taupiac justifiait<br />

longuement cette décision alors que, 23 ans plus tôt, il avait présenté la graphie en -s- comme<br />

un immense progrès. Mais au plan général, cela périmait, pour les occitanistes légalistes, les choix<br />

officiels de l’aranais (p. 158) et ceux de nombreux dictionnaires et ouvrages pédagogiques gascons.<br />

Et au plan pratique, il en résulte de telles complications que plusieurs auteurs ont refusé cette préconisation,<br />

et ceux qui l’ont acceptée s’embrouillent assez facilement dans son application (voir p.<br />

289). Cette palinodie de J. Taupiac, qui déconsidère l’organe linguistique de l’I.E.O., et le désordre<br />

qui va suivre ne seront pas de nature à rendre crédibles les institutions occitanistes de linguistique<br />

normative.<br />

Pour ce qui est du gascon, la seconde série comprend ceci (p. 177) : « En gascon, il n’est pas<br />

nécessaire de mettre un h dans les noms propres occitanisés : Saara, Imalaia, Amborg, L’Aia, Olanda,<br />

Ongria », où les plus rompus aux acrobaties occitanes auront reconnu Sahara, Himalaya, Hambourg,<br />

La Haye, Hollande et Hongrie. Or cet oukase tombé du ciel (languedocien) a déclenché une<br />

protestation véhémente des occitanistes gascons, avec notamment le lancement d’une pétition (!) et<br />

un article en français de M. Grosclaude, La question du “h” aspiré en onomastique occitane - La<br />

Haia/L’Aia, Lo Havre/L’Avre, avec en post-scriptum les noms d’une trentaine de personnalités<br />

ayant donné leur accord sur cette protestation, dont les Pr. Pierre Bec et Georg Kremnitz. (P.N.-P.G.<br />

196, 1-2/2000, pp. 15-16). C’est tout dire…<br />

Le vide actuel<br />

David Grosclaude, nouveau président de l’I.E.O., allait bien vite constater l’échec de l’organe<br />

propre de l’I.E.O. et du C.L.O. dans une “tribune libre” avant l’Assemblée générale de 2002<br />

(Occitans ! n° spécial A.G. 2002, pp. 13-14) : « Proposicion de creacion d’ua autoritat de regulacion<br />

lingüistica en Occitania ». Pour le C.L.O., il écrivait : « il faudrait être sot pour ne pas reconnaitre<br />

que le C.L.O. est en crise et n’a pas pu fonctionner de façon satisfaisante. En son état actuel,<br />

l’I.E.O. doit donc s’en désengager. » Et pour l’organe propre de l’I.E.O., il n’en est même plus<br />

question, et le Président propose la création d’une « Académie Occitane qui serait l’autorité reconnue


Jean <strong>Lafitte</strong> 201 Écriture du gascon<br />

par l’I.E.O. comme la seule capable de dire la norme linguistique […]. » Cela s’est continué, au<br />

point qu’un accord serait intervenu entre MM. Serge Carles, conseiller pédagogique d’occitan dans<br />

l’Aveyron, David Grosclaude et le Pr. P. Sauzet, apparemment président du C.L.O., sur des<br />

« Propositions pour un nouveau Conseil de la Langue Occitane » qui serait un secteur de l’I.E.O.<br />

avec son autonomie de décision (Occitans !, n° spécial A.G. 2003, p. 8).<br />

Exeunt donc le Secteur linguistique de l’I.E.O. et le C.L.O.…<br />

Mais sur le fond, l’« Académie » ou le « Nouveau C.L.O. » sont déjà “plombés” par deux options<br />

non négociables : « il n’y a qu’une seule langue occitane (ou langue d’oc) et la graphie employée<br />

est la graphie classique acceptée par l’I.E.O. » (Proposicion… de 2002, reprise dans le texte<br />

de 2003). Les conclusions majeures de toute réflexion scientifique étant posées d’avance, il n’y a<br />

plus de place pour une telle réflexion, comme le soulignera bientôt J.-P. Chambon à propos de la<br />

“linguistique occitaniste” : « Les connaissances scientifiques sur l’occitan courent donc le risque<br />

d’être brouillées ou déviées par les préjugés qui se produisent et qui se reproduisent sans cesse sur<br />

le terrain du renaissantisme. » (2003, p. 5).<br />

Le problème de l’« autorité »<br />

J’ai rapporté plus haut (p. 196) la phrase un peu cruelle de R. Lafont rappelant l’incapacité juridique<br />

de l’I.E.O. pour régenter la graphie d’oc. C’était du genre « Qui t’a fait comte ? – Et toi, qui<br />

t’a fait roi ? », mais on a vu que c’est tout à fait juste juridiquement parlant. De même, après le<br />

communiqué de 1989 sur la graphie (p. 166), J. Sibille constatait (1990, p. 37) :<br />

« L’I.E.O. n’étant plus en position de légiférer sur la graphie, il aurait peut-être pu se<br />

passer de publier un communiqué. On pourrait d’ailleurs se poser la question de savoir s’il<br />

est possible qu’il y ait UN organisme qui dise la norme d’une langue qui n’est pas la langue<br />

d’UN pouvoir. »<br />

Alors, en fin de compte, l’“autorité” en ce domaine revient à son sens primitif, dérivé des latins<br />

au(c)tor et augere, “augmenter” : l’autor, c’est celui qui augmente la valeur d’une chose, en lui<br />

donnant une garantie, une caution, en signant une œuvre. Celle-ci vaut par l’autorité, c’est-à-dire<br />

l’estime acquise par l’autor auprès de l’opinion. Autorité morale seulement, mais la plus forte<br />

quand on doute.<br />

Escole Gastou Fèbus d’autrefois, Escòla Gaston Fèbus d’après 1984, I.E.O., Conselh de la<br />

lenga occitana ou autre…, ce sont les écrivains qui montreront où est l’“autorité” qui les a convaincus,<br />

et plus encore les lecteurs qui achèteront et liront leurs œuvres.<br />

III – La graphie moderne dans le monde gascon<br />

Les auteurs de la renaissance félibréenne<br />

Inutile de dire que la graphie moderne de l’Escole Gastou Febus fut en principe celle de tous<br />

les auteurs des soixante premières années du XX e s., avec les grands noms de Camélat et Palay devant<br />

une foule d’autres auteurs encore lisibles par les non-spécialistes mais oubliés depuis l’entrée<br />

de l’occitanisme en Béarn et Gascogne; oubliés non par désintérêt sur le fond, mais parce que le Félibrige<br />

n’est pratiquement plus là pour les faire connaitre et les republier éventuellement, tandis que<br />

les occitanistes n’envisagent de réédition que dans leur graphie classique et que les héritiers détenteurs<br />

des droits d’auteur sont rarement disposés à voir travestir l’œuvre de leur parent (travestir =<br />

changer le vêtement qu’est en l’occurrence la graphie, comme on l’a dit souvent).


Jean <strong>Lafitte</strong> 202 Écriture du gascon<br />

Les nouveaux auteurs et l’édition contemporaine<br />

Quant aux nouveaux auteurs qui sont des locuteurs naturels sans être des enseignants occitanistes<br />

(cf. p. 214), ils sont fort rares; mais dans la mesure où la graphie moderne rend les sons du<br />

gascon avec des graphèmes identiques à ceux du français qu’ils savent tous écrire correctement —<br />

et souvent mieux dans les générations qui pratiquent couramment le gascon que dans celles qui<br />

l’ont perdu —, c’est cette graphie qu’ils emploient spontanément. C’est le « 1 er cas » envisagé par<br />

le Que parlam de Bayonne (p. 193 ci-dessus).<br />

Et si les règles de 1905 ne furent jamais republiées, un exposé général du système de l’Escole<br />

Gastou Febus fut fait par André Sarrail en 1968 et réédité avec traduction française en 1980 (pour<br />

le détail, voir plus haut, p. 155). En outre, la revue Reclams de Biarn e Gascougne en exposa un résumé<br />

en p. 3 de couverture, Comment lire et écrire le gascon, jusqu’au numéro 1/2 de 1984; Jean<br />

Salles-Loustau, nouveau directeur de la publication, supprima la rubrique (cf. p. 77). Cela a donc<br />

permis à ceux qui le désiraient d’écrire le gascon selon ces règles.<br />

Finalement, on a continué à publier dans cette graphie; pour les vingt dernières années, je citerai<br />

d’abord deux importants dictionnaires publiés par des professeurs d’université à partir de celui<br />

de Simin Palay et dans sa graphie :<br />

– en Allemagne, depuis 1991, les tomes successifs du Dictionnaire onomasiologique des langues<br />

romanes du professeur autrichien Henri Vernay (Max Niemeyer Verlag, Tübingen);<br />

– à Toulouse, en 1993, à l’initiative du Pr. Jean-Louis Fossat, le Dictionnaire français-gascon<br />

de Jean-François d’Estalenx, en 2 volumes (Éditions universitaires du Sud).<br />

S’y ajoutent deux autres importants dictionnaires, mais propres au gascon des Landes, restés<br />

jusque là en manuscrits inachevés, et récemment édités dans un très louable et scrupuleux respect<br />

de la graphie des auteurs, telle du moins qu’elle résultait du dernier état de leur propre évolution<br />

(pour plus de détails, voir l’Annexe XIX) :<br />

– le Dictionnaire de la Grande-Lande du folkloriste Félix Arnaudin (1844-1921), édité en 2001<br />

à partir du texte établi par Jacques Boisgontier.<br />

– le Dictionnaire gascon-français de l’abbé Vincent Foix (1857-1932), édité en 2003 sous la direction<br />

de Paule Bétérous.<br />

Et tout récemment a été publiée la thèse de Jean-Louis Massourre sur Le <strong>Gascon</strong> hautpyrénéen<br />

(2003), dans une graphie moderne aussi limpide à la lecture que celle de G. Rohlfs dans<br />

Le gascon, auprès duquel cet ouvrage a sa place (X. Ravier dans la préface).<br />

Quant aux œuvres littéraires, en incluant les éditions posthumes et les rééditions, marquées<br />

d’un astérisque, je puis citer :<br />

Jan d’Estiou (Vignes, Henri) (1983 ?). Countes bigourdas, Contes bigourdans, Vic-Bigorre, 45<br />

+ 35 p.<br />

Daulon, Louis (1983). Fablos e cants de caso nosto, St-Girons, 128 p.<br />

*Lanot, Maurice (1987). Causes de nouste - Lou Moulié de Houn Barrade, Libe I, Pau, 248 p.<br />

*Caseboune (Casebonne), Yulien de (1988). U souldat a la guerre, Pau, 1988.<br />

*Masson, Fernand (1991), Histoires dichudes é Countes gascouns dou Garounès, <strong>Tome</strong> II, La<br />

Réole, 188 p. (un <strong>Tome</strong> premier était paru en 1980).<br />

Lacoste, Jean (1994). Atàu bibè lou biladje, Mon village était vivant, Bizanos, 251 p.


Jean <strong>Lafitte</strong> 203 Écriture du gascon<br />

p.<br />

Canton, René (1995). Lous Ebanyèlis, Morlaas, 138 p.<br />

*Lanot, Maurice (1996). Causes de nouste - Lou Moulié de Houn Barrade, II, Pau, 143 p.<br />

Dupreuilh, G. et Collet, E. (1997). Rebam, Rêvons, Biarritz, 121 p.<br />

*Salles, Isidore (1997). Poésies gasconnes, rééd. Georges Hondelatte, <strong>Tome</strong> I, Biarritz, 500 p.<br />

Laporte-Castede, Georgette (2000). Contes populaires des Petites Landes, Pau, 206 p.<br />

*Daugé, Césaire (2001). Ua camada en Italia / Ue camade en Italie, Pau, 226 p.<br />

Lalaude, Alain (2002). A l’array dou mé Pay, pouèmes biarnés, Pau, 67 p.<br />

*Al Cartero (Léonce Lacoarret) (2002). Chuquete / Chuqueta, Pau, 134 p.<br />

Canton, René (2002). Lou câ hòu, Le chien enragé, Kiel (Allemagne), 92 p.<br />

*Lalanne, Jean-Victor (2002). Coundes biarnés, <strong>Tome</strong> I, Pau, 234 p.<br />

Bonnemason, Janòt (2003). Ninete bajole…, Pau, 92 p.<br />

*de Révol, Joseph et François (2003). Catechisme a l’usadge deu Diocèse d’Aulourou, Pau, 175<br />

Arette, Alexis (2003). Nos bêtes d’Aquitaine. Pau, 230 p.<br />

*Caseboune Yulien (2003), Esprabes d’amou, Pau,138 p.<br />

*Romefort, Roger (2004). Lou pendut ressuscitat, Œuvres gasconnes de « Gric de Prat », Pau,<br />

290 p.<br />

La graphie moderne dans la presse<br />

Mais plus que des œuvres littéraires, les contemporains produisent des billets dans quelques<br />

journaux, dont L’Éclair de Pau, sous le titre inchangé depuis des décennies de Causes de nouste. Et<br />

plus encore sans doute, le gascon est timidement mais réellement présent dans la vie sociale par le<br />

nom d’innombrables associations, qui ne sont pas toutes de personnes du “troisième âge” pour qui<br />

la pratique du “patois” est une façon de rappeler leur jeunes années. On ne sera pas surpris que tous<br />

ces noms soient écrits en graphie moderne. Et bien évidemment, leurs avis de réunions, sorties et<br />

autres activités et surtout les comptes-rendus illustrés de photos qui suivent donnent à la graphie<br />

moderne une présence dominante dans la presse, même dans les journaux qui privilégient l’écrit occitaniste<br />

comme La République de Pau.<br />

Par exemple, en se limitant aux journaux de Pau de mai à aout 2002 :<br />

– des associations : Lous déu Balagn, {ceux du Balagn} (13.5.02); Toustem Hardits, {Toujours<br />

Hardis} (14.5.02); Lous Esberits, {Les Dégourdis}, orchestre de jeunes (22.5.02); Lous tres besis,<br />

{Les trois voisins}(22.5.02); Nousté Bî, {Notre Vin} (27.5.02); Bibe Toustem, {Vivre toujours} (ou<br />

{Toujours vivante} ?) (27.5.02); les Pla bienguts, {les Bienvenus} (7.6.02); A case, {chez soi}, association<br />

d’aide à domicile aux personnes âgées à Orthez (19.6.02); Touts amasses {Tous ensemble}<br />

(26.6.02); Lou Ceü de Pau, {Le ciel de Pau}, groupe folklorique (26.6.02);<br />

– des manifestations ou réjouissances, La Pourcailhade d’estiu, {La fête du porc de l’été}<br />

(2.7.02); la Hesta dou saümou (qui mêle les graphies !), {la Fête du saumon} et la Saumonade, {la<br />

Saumonée} (concours culinaire de préparation du saumon) à Navarrenx (11.7.02); la taulejade dou<br />

trip, {le banquet du boudin} à Orthez (13/14.7.02); la piperadère, {la fête de la pipérade} à Salies<br />

(6.8.02);<br />

– des noms de lieux ou de bâtiments : lou mouli dou Rey, {Le moulin du roi} à Garos (10.6.02);<br />

l’Oustaoü dou Saleys, {la Maison du Saleys} à Salies (20.6.02); la Moutète, {la petite motte}, salle<br />

de sport mythique d’Orthez (26.6.02) etc.


Jean <strong>Lafitte</strong> 204 Écriture du gascon<br />

Il n’est pas rare non plus qu’on trouve jusque dans des comptes-rendus d’activités scolaires<br />

des mots attachés à des traditions écrits en graphie moderne comme l’esperouquère (enlèvement de<br />

la spathe du maïs effectué à la main dans des réunions conviviales entre voisins); alors que l’École<br />

est censée s’en tenir à la graphie classique…<br />

Et quand les journaux de Pau invitent les “amoureux” à s’envoyer des messages pour la St<br />

Valentin 2004, sur 192 messages publiés, 190 sont en français, un en italien et un seul en béarnais,<br />

en graphie moderne; reprenant le refrain de la célèbre chanson Aqueres mountagnes, la dame qui<br />

l’envoie l’a adapté, témoignant d’une connaissance active de la langue : Si canti, qué canti, canti<br />

pas per jou, canti per mi amic [{mon ami}, au lieu du ma ’migue {mon amie} de la chanson], qui<br />

ey auprès de jou. Même chose pour les « Meilleurs vœux 2005 » : sur 229 messages, un seul en<br />

béarnais, en graphie moderne; un autre en français s’achève par Adichatz {au revoir}, qui mêle ch<br />

moderne des Félibres et -tz classique.<br />

Toujours dans la presse, celle du 22 décembre 2003, le compte-rendu avec photo d’une séance<br />

de dédicace à Arzacq d’un ouvrage intitulé Lo noste Bearn {Notre Béarn}. Son auteur, un ancien<br />

instituteur, y a réuni les monographies des communes du Béarn en donnant pour chacune, le cas<br />

échéant, les dictons qui s’y rapportaient. Or malgré la graphie classique du titre, c’est en graphie<br />

moderne qu’il a écrit ses textes béarnais. Et voici comment le correspondant local voit la chose :<br />

« … Hubert Dutech est venu dédicacer son livre “Lo noste Bearn” (oc). […] Tout à<br />

l’intérieur y est délicat, mesuré, et retrace in extenso le véritable béarnais, tel qu’il s’est<br />

transmis au fil des ans par les proverbes ou maximes. Les anciens y retrouveront leurs souvenirs,<br />

les jeunes sauront que leurs racines proviennent d’une langue réellement minoritaire<br />

dont beaucoup ont essayé d’en détourner l’essence même.<br />

« “Lou nouste Bearn” par ses textes est ses superbes photos ouvre une porte vers<br />

l’évasion dans un bien beau pays (de 387 communes). Lou nouste »<br />

J’ai mis en italique les mots qui me paraissent essentiels dans l’analyse de ce texte : Le titre<br />

en graphie classique est repéré comme « oc », ce qui dans l’esprit du journaliste signifie probablement<br />

“occitan”, en tout cas non-béarnais; car il est non seulement opposé au « véritable béarnais »<br />

de l’« intérieur de l’ouvrage », mais encore à sa transcription dans cette langue, quand le journaliste<br />

le nomme « “Lou nouste Bearn” », où les deux occurrences du phonème /u/ sont notées par ou. Et il<br />

insiste pour dire que ce beau pays est « Lou nouste » {le nôtre}. Au passage, il a laissé entendre que<br />

la graphie classique est un détournement de l’essence même de la langue.<br />

On peut ne pas être d’accord avec cette façon de voir les choses, mais c’est un bon témoignage<br />

de ce que pense un grand nombre de locuteurs naturels du béarnais, à qui l’on ne donne pas<br />

souvent la parole.<br />

Mais le comble est peut-être atteint avec l’annonce de l’accession au grade de docteur èsethnomusicologie<br />

de Jean-Jacques Casteret, par ailleurs président de l’<strong>Institut</strong> occitan de Billère (cf.<br />

p. 80) : dans un encart central de huit pages des quotidiens palois du 7 janvier 2005, l’évènement<br />

donne lieu à une grande photo sur la moitié de la “une” et à un article occupant, avec une autre<br />

grande photo, les trois quarts des deux pages centrales; or que lit-on en gros titre ? « Ô cantayres »<br />

et « Le beau pays des cantayres », le mot cantayre {chanteur} s’affichant insolemment en graphie<br />

moderne, au lieu de cantaire de la classique, pourtant seule reconnue par l’<strong>Institut</strong>. Et l’article nous<br />

apprend que M. Casteret est lui-même cantayre du groupe Balaguère {vent du sud} (Balaguèra en<br />

graphie classique)…


Jean <strong>Lafitte</strong> 205 Écriture du gascon<br />

Une collectivité publique se nomme officiellement en graphie moderne<br />

Il s’est même créé en janvier 1998 une “communauté de communes” groupant treize communes<br />

rurales ou urbaines à une dizaine de km à l’ouest de Pau, qui a pris pour nom officiel Miey de<br />

Bearn (Milieu du Béarn); le -y est emblématique de la graphie moderne (et même classique béarnaise,<br />

depuis 700 ans), alors que la graphie classique occitane le proscrit. Et quand cette communauté<br />

installe ses bureaux dans de nouveaux locaux, le journal titre « Miey de Béarn “à case” »,<br />

c’est à dire “chez lui” (3.7.00). L’un des promoteurs de cette communauté fut un des fondateurs, en<br />

1967, du Festival de la chanson béarnaise de Siros, puis un de ses principaux animateurs; or c’est<br />

un élu socialiste, ce qui montre que l’attachement à la langue béarnaise et à sa graphie n’est pas une<br />

spécialité de la “droite” conservatrice, voire réactionnaire. Au demeurant, M. André Labarrère, ancien<br />

ministre de F. Mitterand et maire de Pau, n’a jamais caché ce même attachement.<br />

Et un auteur de dictionnaire lance son Adichats moderne !<br />

Même un auteur de dictionnaires qui semble faire la part belle à la graphie classique, Yolande<br />

Vidal (2000, I et 2003, II), ne cache pas sa préférence personnelle pour la graphie moderne qu’elle<br />

appelle « francisée », sans doute sur indication de ceux qui lui ont fourni la graphie classique; le<br />

plus visible est le gros « adichats ! » lancé par un vieux pêcheur sur le dessin de la 4 ème de couverture<br />

du I (et aussi de la p. 14), « adichats » moderne et non « adishatz » classique, et imprimé dans<br />

un corps plus grand que tout le reste de la page. Et en 1 ère de couverture de ce volume I, le titre moderne<br />

Lou parla dou Bassin d’Arcachoun est placé au-dessus du titre classique Lo parlar deu Bassin<br />

d’Arcaishon; on remarque là des trébuchements fréquents dans la pratique de la graphie classique,<br />

avec Bassin mis “fautivement” pour Bacin (correct dans le corps du dictionnaire, p. 15 et 16),<br />

et en page de titre intérieure, Arcachon pour Arcaishon…<br />

Mais le second ouvrage a dû subir les pressions occitanistes, car la graphie moderne a disparu<br />

de la couverture. Les mêmes pressions (« les vœux de certains », p. 7) avaient d’abord retiré la notation<br />

“phonétique” (une quasi graphie moderne) qui devait pallier les difficultés de lecture de la classique;<br />

mais « elle a été remise à la demande de beaucoup d’utilisateurs qui ont trouvé là une aide à<br />

la prononciation du “normalisé”. À la demande aussi de ceux qui ont eu plaisir à retrouver “leurs”<br />

mots, orthographiés comme ceux des personnes et des lieux-dits. » (ib.). On ne saurait décerner un<br />

meilleur “brevet” de lisibilité à la graphie moderne !<br />

Quant aux commerçants…<br />

Et quand il s’agit de choisir une enseigne commerciale ou de donner un nom à un produit, le<br />

fiasco couterait cher ! Il est donc exclu d’adopter une graphie autre que la moderne, que tout le<br />

monde saura lire correctement : Lou Marmitou (et non *Lo Marmiton) pour une entreprise artisanale<br />

de charcuterie; Marcat de nouste pour le marchand forain évoqué plus haut, p. 51 (30.5.00);<br />

Cap e tout (13.3.02) pour un fromage de chèvre lancé en Vallée d’Aspe; le fromage ossalois se<br />

vend sous le nom de Lou pè-descaus {le déchaussé} (surnom de l’ours). Le contrexemple est celui<br />

de la boutique Drin de tot d’Accous, qui a donné son nom à l’ouvrage d’A. Kristol et J. Wüest<br />

(1985, p. 147) : « Même les propriétaires […] croyaient qu’il y avait là une faute d’orthographe due<br />

au fait que le peintre parlait un autre dialecte, car, à Accous, on dit “tout” et non pas “tot” ! ».<br />

À propos de l’image de Don Patillo choisi par les publicitaires pour les pâtes Panzani, Ph.<br />

Blanchet (2003-1, p. 156) écrivait naguère « sur des choix de ce type, on peut faire confiance aux


Jean <strong>Lafitte</strong> 206 Écriture du gascon<br />

publicitaires et à leurs études de marché ! »; on peut sans doute en dire autant de nos commerçants<br />

gascons et béarnais, car leur but est tout le contraire de ce que l’un des pères de la graphie classique,<br />

Perbosc, écrivait à son ami Estieu (lettres citées par H. Barthés, 1987, pp. 102 et 280) : « nous voulons<br />

écrire une vrai langue et peu nous importe de ne pas être compris » (9 aout 1894); et « J’ai eu<br />

tort de me laisser influencer par ton idée de faire lire nos œuvres plus facilement. Mais je renâcle, je<br />

me fous d’être lu ou non. » (23 novembre 1905).<br />

On trouvera en Annexe XIV tout un échantillonnage de ces écrits en graphie moderne.<br />

IV – La graphie classique dans le monde gascon<br />

Une graphie « adoptée par la grande majorité des Occitans » ?<br />

Présentant en 1983 sa réédition des Psalmes de David d’Arnaud de Salette (cf. p. 107) qu’il<br />

destinait au « grand public », R. Darrigrand justifiait ainsi leur transcription en graphie classique :<br />

« Pour cela nous avons modernisé l’orthographe, en suivant les principes de l’<strong>Institut</strong> d’Études Occitanes,<br />

désormais adoptés par la grande majorité des Occitans. » Connaissant l’honnêteté et la rigueur<br />

de cet auteur, je me garderai bien de voir dans ces lignes un bluff, une tromperie du public;<br />

mais avec un peu de rigueur mathématique et en raisonnant comme en matière d’élections, on peut<br />

chiffrer une « grande majorité » à quelque deux tiers (66,7 %); et si l’on lit bien « Occitans » et non<br />

« occitanistes », cela représente, selon les vues de ces derniers, toute la population des pays qui autrefois<br />

parlaient une langue d’oc, soit quelque 13 millions pour 100 % et donc de 8 à 9 millions<br />

pour une « grande majorité »…; mettons en face les quelque 786 000 locuteurs d’« occitan » selon<br />

l’enquête INSEE-INED de 1999 (ci-dessus, p. 60), soit moins d’un dixième, ou les 800 exemplaires<br />

vendus d’un roman en graphie classique récompensé par un prix (p. 207 ci-après), soit moins d’un<br />

pour dix mille : imagine-t-on un prix Goncourt limité à six mille exemplaires vendus ? On est donc<br />

bien loin du compte, et les citations qui suivent me paraissent bien mieux décrire la réalité :<br />

C’est d’abord un mot de la chanteuse Marilis Orionaa (Dominique Narioo, fille du militant<br />

Gilbert), dans sa contribution au numéro spécial de P.N.-P.G. en l’honneur de Roger Lapassade décédé<br />

le 12 octobre 1999 (n° 194-195, 9-12/1999, p. 16) :<br />

« Depuis deux ans je travaillais avec Roger Lapassade à une traduction française de<br />

ses poèmes pour faire connaitre son œuvre à ceux qui ne savent pas l’occitan. Ou à ceux<br />

qui voudraient la lire mais qui sont réfractaires à la graphie classique. »<br />

C’est bien un comble que les militants de la cause d’oc doivent recourir au français pour rendre<br />

lisible par les locuteurs d’oc une poésie d’oc que sa graphie leur a rendue étrangère.<br />

La seconde citation est un témoignage pris sur le vif, celui de Tederic Merger, “modérateur”<br />

du “Groupe de discussion” internet <strong>Gascon</strong>ha-doman, à propos de l’emploi du gascon dans les messages<br />

(décembre 2003) :<br />

« Il y en a beaucoup qui […] ne savent pas (encore ?) écrire le gascon, et il y en a<br />

aussi beaucoup qui ne savent pas le lire. Il serait contre-productif d’ignorer cette réalité. ».<br />

Ce constat fait sur une population d’“internautes”, c’est-à-dire majoritairement de “jeunes”, et<br />

qui plus est “branchés”, nous ramène sur la grande complexité d’un système qui impose notamment<br />

d’écrire des lettres que l’on ne prononce pas ou à qui l’on donne une valeur très différente de leur<br />

valeur naturelle, puis de les oublier à la lecture, ou d’en changer la prononciation naturelle. On<br />

connait le principe Shadock : « Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? »


Jean <strong>Lafitte</strong> 207 Écriture du gascon<br />

La réalité, c’est que nous avons affaire à une graphie élitiste conçue par et pour des gens ayant<br />

réussi un long cursus universitaire, comme nous le verrons plus loin, p. 214. Les conséquences s’en<br />

font sentir dans tous les domaines d’emploi de cette graphie : presse, édition, enseignes commerciales,<br />

panneaux de signalisation routière.<br />

Des articles de presse dont la graphie rebute les non initiés<br />

Comme pour la graphie moderne, il est des chroniqueurs qui publient régulièrement des billets<br />

dans la presse régionale, tous plus ou moins professeurs d’“occitan” en plus de leur qualification<br />

première. Ainsi Jean-Jacques Fénié, agrégé de géographie, dans Sud-Ouest; Michel Pujol, ancien<br />

professeur de français, dans la Nouvelle République des Pyrénées de Tarbes; Jean-Paul Latrubesse,<br />

professeur de sciences naturelles, puis d’occitan, dans La République de Pau… Mais qui les<br />

lit ? Probablement quelques jeunes qui ont gardé quelque chose de l’“occitan” de leur scolarité;<br />

mais j’ai souvent des échos des réactions des locuteurs naturels : ils ont essayé de lire, mais ont été<br />

rebutés au bout de quelques lignes et n’y sont plus revenus; et cela, même en Val d’Aran !<br />

D’autre part, tandis que le “troisième âge” privilégie la graphie moderne, les associations des<br />

générations plus jeunes, souvent créées et presque toujours encadrées par des militants occitanistes,<br />

portent des noms gascons écrits en graphie classique. Mais la fréquence d’apparition de ces noms<br />

dans la presse est bien plus réduite que celle des noms en graphie moderne et la correction de la<br />

graphie affichée laisse plus d’une fois à désirer. Par exemple, dans L’Éclair du 12 septembre 2002,<br />

on peut lire cinq fois un fautif Villatges amassas, dont une fois dans un gros titre, et une seule Vilatges<br />

amassas. Et pour être bien lus, les occitanistes doivent transcrire leur graphie (cf. p. 387).<br />

Une édition limitée par l’étroitesse du lectorat<br />

Déjà, pour la littérature, une étude approfondie de l’édition dans les graphies classique et moderne<br />

et des ventes consécutives pourrait réserver des surprises. En 1974 — c’est déjà bien loin ! —<br />

G. Kremnitz avait dressé une statistique des publications en oc de 1919 à 1971; une seule année,<br />

1968, avait compté plus de 50 % de livres en graphie alibertine ou apparentée, mais on ne sait si<br />

c’est en nombre d’ouvrages ou de pages (cité d’après Kristol & Wüest, 1985, p. 61). En 1979, parlant<br />

des éditions gasconnes de Per noste, donc en graphie classique, R. Lapassade écrivait : « Le<br />

nombre de nos lecteurs est très maigre. Pour vendre 2000 livres de prose, il nous faut deux ou trois<br />

ans. Pour la poésie, pire ! » (Per noste n° 73, 7-8/1979, p. 17).<br />

Plus près de nous, nous avons vu, pp. 63-64, que cela ne semblait pas s’être amélioré; citons :<br />

– le point de vue d’un romancier “occitan” de langue française, Henri Gougaud : « si j’écris<br />

en occitan, seuls les occitanistes [me liront ] — et encore les militants !, car lire l’occitan est difficile,<br />

eh !… » (Parladissa amb Enric Gougaud, déjà citée p. 63);<br />

– les propos de Joan-Pau Ferré, dans la “tribune libre” d’Occitans ! 2002 : un roman en gascon<br />

récompensé par un prix n’a été vendu qu’à 800 exemplaires…; et s’il pouvait citer avec envie la<br />

quatrième édition de Catinou e Jacouti de Charles Mouly, c’était comme un hommage implicite à la<br />

graphie de type moderne de ce recueil d’histoires brèves en languedocien de Toulouse.<br />

Et un commerce peu enclin à afficher en graphie classique<br />

Quant au commerce s’affichant en graphie classique, il est d’une extrême rareté. L’Éclair des<br />

1 er et 2 décembre 1990 a publié une page entière de publicité du Leclerc d’Orthez pour une


Jean <strong>Lafitte</strong> 208 Écriture du gascon<br />

« Opération pèle-porc et canard gras - Opération du 30 novembre au 8 décembre - La tradition »<br />

qui, à part ce titre et la publicité de deux congélateurs-bahuts, était entièrement rédigée en béarnais,<br />

sous-titré en français; et la graphie voulait être classique. En fait, pour ce qui est de la langue, il y<br />

avait bien des gallicismes, le classique basquisme chingara (pour chingarra) au lieu du béarnais<br />

ventresca {ventrêche en français régional}, et même des barbarismes comme mielha pour miei<br />

{demi}, talhucaja pour talhucatge {hachage}, litro pour litre; sans parler de la cohabitation de 16<br />

articles lou avec 2 occurrences de l’article de la montagne eth, ignoré à Orthez. Quant à la graphie,<br />

on trouvait 3 occurrences de l’“hérétique” hidge {foie}, que je préconiserais quatre ans plus tard, au<br />

lieu de hitge “officiel” à l’I.E.O., beaucoup de fautes banales, et même plusieurs graphies modernes,<br />

purement et simplement : les 16 occurrences de l’article masculin lou et talhucade {découpe}.<br />

Par cette politesse dans la Mecque de l’occitanisme béarnais, Leclerc avait peut-être voulu<br />

faire oublier l’hostilité des commerçants de la ville à son implantation… Mais ce n’était pas une réussite<br />

linguistique. Et peut-être ne le fut-elle pas non plus au plan commercial, car je n’ai pas noté<br />

de renouvellement d’une telle opération.<br />

Des panneaux de signalisation mal reçus par la masse<br />

Et si le “lobbying” des occitanistes auprès des élus a pu obtenir que des communes comme<br />

Orthez, Artix ou Oloron apposent des plaques de signalisation urbaine en graphie classique, le<br />

<strong>Béarnais</strong> ordinaire ne s’y reconnait pas; certes, écrire Ortès ce qui fut Ortez, Orthes, Ortess ou Ortes<br />

dans les anciens textes ne choque pas, car tout un chacun le lira comme le prétendument français<br />

“Orthez”; mais rapportant dans L’Éclair (17/18 février 2001) un fait divers survenu dans une vieille<br />

impasse de cette ville, le journaliste — sans doute un correspondant local — précisait « Les Occitans<br />

l’ont baptisée “la carriva de galesa” »; c’est dire que pour l’Orthézien ordinaire, ces<br />

« Occitans » sont comme des “aliens” dont l’écriture savante occulte ce que la graphie autochtone<br />

écrit depuis 700 ans la carribe de [la] galese, “la ruelle de la truie”. Voir aussi l’Annexe VII.<br />

Un rejet général d’une graphie sentie comme étrangère<br />

La réalité est que prônée par une poignée d’enseignants, la graphie classique peut bien<br />

s’afficher, elle reste étrangère à la population des locuteurs naturels. Les observateurs suisses —<br />

donc doublement neutres ! — Kristol & Wüest l’avaient déjà constaté (1985, pp. 49-50) :<br />

Malgré ses qualités intrinsèques, « cette graphie n’a connu qu’un succès assez mitigé.<br />

Cela est dû a différentes raisons, à commencer par le vieil antagonisme entre le Félibrige et<br />

l’I.E.O.… La raison principale nous semble pourtant être la suivante : Comme la graphie<br />

alibertine ne se fonde pas — et pour cause — sur le système graphique du français, elle a<br />

besoin d’être enseignée, mais on n’a jamais eu les moyens pour l’enseigner à la masse des<br />

occitanophones. »<br />

Ce que les auteurs de l’étude sur les Les organisations occitanistes du même ouvrage collectif<br />

disaient d’une autre façon :<br />

« La fréquentation des stages et de l’enseignement du béarnais est relativement faible,<br />

de manière que la graphie de l’I.E.O. ne peut se répandre. » (P. Boschung et M. Frick<br />

in A. Kristol et J. Wüest, 1985, p. 152).<br />

En particulier, la graphie par o du son /u/ est naturellement lue [o] comme en latin, ce qui<br />

n’est pas du tout une spécialité française (cf. italien, espagnol, allemand, anglais le plus souvent…);<br />

et le -a de la finale féminine fait immédiatement penser à de l’espagnol ou, pour ceux qui connaissent<br />

l’espagnol, à du catalan; et les mieux informés y verront de l’“occitan”, langue d’un “ailleurs”


Jean <strong>Lafitte</strong> 209 Écriture du gascon<br />

vers Toulouse, pas du tout comme du gascon ou béarnais. Cette graphie est ressentie par le gasconophone<br />

comme une nouvelle dépossession de sa langue (cf. Marc Cazalets in Annexe VIII).<br />

R. Lapassade en était bien conscient :<br />

« […] Le facteur des P.T.T. lui, était fâché avec la nouvelle graphie : — Moi, elle<br />

m’estomaque ! Jamais je ne pourrai me la mettre dans la tête. » (1975-1, p. 120).<br />

« […] l’Église Catholique […] fait chanter des messes en <strong>Gascon</strong> et écrit les paroles<br />

dans la graphie normalisée. Mais les paroissiens ne veulent pas la lire et n’en comprennent<br />

pas tous les mots. » (1975-2).<br />

En 1980, un journal local d’Oloron, Le Progrès, se déclarait « tout disposé à faire une large<br />

place au béarnais […]. Encore faut-il que ceux qui sont capables d’écrire en bon béarnais (pas en<br />

charabia occitan normalisé) veuillent le faire et le fassent régulièrement » (cité par P.N.-P.G. 82, 1-<br />

2/1981, p. 2).<br />

Les auteurs bayonnais de Que parlam (1996) sont aussi conscients du problème, puisqu’ils<br />

précisent en couverture le contenu de l’ouvrage en désignant le gascon à la fois dans une graphie<br />

qui se veut classique — pour les erreurs, voir p. 215 — et en graphie moderne. Et comme ils distinguent<br />

mal — comme beaucoup hélas ! — la normalisation graphique de la normalisation linguistique,<br />

ils voient dans la possibilité de conserver la prononciation locale et des mots spécifiques « une<br />

des conditions, dans l’immédiat, pour qu’elle [la graphie classique] ait des chances d’être “admise”<br />

par les générations actuelles. » (p. 26).<br />

Même type de réaction populaire dans les Hautes Pyrénées, dont témoigne indirectement un<br />

professeur des écoles ayant d’importantes responsabilités de coordination de l’enseignement de<br />

l’“occitan” dans ce département. Il s’agit d’un amusant petit roman policier en gascon, du genre<br />

“San Antonio”, roman à clef qui tourne autour d’un sabotage occitaniste perpétré à Tarbes (Jean-<br />

Louis Lavit, Zocalfar, 1997) : non seulement l’ordinateur du commissariat central est atteint par un<br />

virus qui change tous les h en f (même sénher {monsieur} devient sénfer !), mais encore, par vaporisation<br />

d’un mystérieux produit en bombe, le saboteur fait que le président d’un festival local en<br />

langue gasconne ne parle plus gascon mais occitan. Et voici ce que lui disent ses amis du comité :<br />

« Tu t’entends parler ? Tu ne peux pas monter à la tribune dans ce état. Tu as l’air de<br />

parler en graphie normalisée ! Le public va s’étrangler ! Quelle émeute s’ils t’entendent<br />

parler ainsi…»<br />

Comme avec le mot « charabia » du journal d’Oloron, c’est là, croquée sur le vif, la réaction<br />

commune des locuteurs naturels, qui identifient graphie et langue… aidés peut-être en cela par la<br />

prononciation parfois bien étrange que certains occitanistes infligent à la langue du pays.<br />

V – La graphie classique, un rêve éveillé de lettrés<br />

Une graphie élitiste destinée d’abord aux universitaires ?<br />

« Conçue à partir de l’étude des documents anciens, des langues romanes les plus<br />

proches (le catalan en particulier) et de l’étymologie, [la graphie occitane] est utilisée dans<br />

la plupart des universités. Ses avantages sont nombreux : meilleure compréhension interdialectale,<br />

comparaison plus aisée avec les textes médiévaux ou les autres langues romanes,<br />

présentation plus cohérente de la morphologie. Elle s’est imposée en littérature comme<br />

dans l’enseignement et depuis peu dans l’affichage public. » (Joël Miró, agrégé d’espagnol<br />

et chargé de cours à l’Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2001, p. XXXVII).<br />

Pour ce qui est des universités, je rappellerai d’abord l’aveu involontaire du scrupuleux


Jean <strong>Lafitte</strong> 210 Écriture du gascon<br />

universitaire Jacques Boisgontier († 1998), qui fut secrétaire général de l’I.E.O. (1972-1976), dans<br />

Graphie et lecture du gascon (1994) : il écarte comme inutile toute distinction graphique entre le -n<br />

vélaire (pan {pain} prononcé [pang]) et le -n dental (pan {pan (de mur)} prononcé [pann’]) car<br />

« Le Landais saura d’instinct donner leur valeur propre aux lettres utilisées pour reproduire<br />

les sons de son dialecte. Quant au linguiste étranger à la Gascogne qui voudra<br />

connaître l’exacte prononciation de tel ou tel mot de notre parler, c’est l’étymologie latine<br />

qui la lui indiquera […] ».<br />

N’ignorant certainement pas que bien peu de Landais de notre temps sont à la fois de bons locuteurs<br />

de la langue ancestrale et capables de lire la graphie savante, il reconnaissait ainsi qu’il publiait<br />

pour d’autres universitaires, sans plus.<br />

Donc, quant aux universités, J. Miró a certainement raison, et peut-être aussi pour la littérature,<br />

au moins en première approximation; quant à l’affichage, on vient de voir ce qu’il en est…<br />

Cela fait beaucoup penser à ce qui devait être le programme orthographique de la jeune Académie<br />

française, selon les Cahiers de Mézeray : « La Compagnie déclare qu’elle désire suivre<br />

l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorans et les simples femmes…<br />

» (cité par Nina Catach, 1988, p. 32). Et Nina Catach de rappeler en note que « Les femmes<br />

avaient rarement droit au latin. »<br />

Selon J. Taupiac (1966), qui serait plus tard responsable du Secteur linguistique de l’I.E.O., il<br />

en est tout autrement du système d’Alibert :<br />

« notre graphie a l’avantage estimable d’être rigoureusement scientifique et donc assez<br />

simple. Le système graphique occitan a été mis au point presque définitivement par le<br />

Maitre Louis Alibert, après plus de cent ans de découvertes de la science philologique. La<br />

graphie du français, par contre, date du XVI e siècle et est pleine de notations graphiques<br />

d’origine grecque et latine qui compliquent inutilement les choses. C’est une graphie archaïque,<br />

forgée par des pédants qui eurent la puérilité de croire que pour “illustrer” la langue<br />

française, il fallait en latiniser et gréciser la graphie le plus possible. La graphie du<br />

français est une graphie anachronique, au siècle où nous sommes, alors que l’occitan est<br />

une des langues d’Europe qui a la graphie la plus moderne.<br />

« Naturellement, il est impensable d’aller imiter en occitan les aberrations et les inutiles<br />

complications graphiques du français. En occitan, on applique les mêmes principes<br />

que dans les autres langues latines : le portugais, le castillan, le catalan, l’italien. L’occitan<br />

est dans la norme générale; c’est le français qui est à part. »<br />

Mais une admiration naïve de néophyte (il avait 27 ans) avait sans doute caché à l’auteur une<br />

réalité bien moins exaltante. On en verra un exemple au chapitre suivant, p. 229, avec le mot espitlòri<br />

d’Alibert.<br />

De fait, le désir probable de se démarquer des “patoisants ignorants” a conduit une certaine<br />

bourgeoisie latinisante des XIX e et XX e s. à imiter le vieux modèle académique du français. Voici<br />

par exemple comment Ismaël Girard (cf. p. 139), justifiait le recours à des graphies étymologiques :<br />

« Le rétablissement des étymologies possède un intérêt pédagogique que les maîtres<br />

de l’enseignement apprécieront. Ce rétablissement permet de mieux comprendre à la fois la<br />

similitude et les particularités de la langue d’oc au sein des langues latines, la similitude et<br />

les particularités de la langue d’oc vis-à-vis du français. Quand on écrit temps avec un p,<br />

de tempus, on est plus près du mot français temps, du mot espagnol tiempo, que si l’on écrit<br />

tems ou même tens, comme le font certains patoisants. Car il faut distinguer la notation<br />

phonétique qui relève de la science folklorique et la structure grammaticale qui relève de<br />

l’art de l’écriture. » (1942, p. 89, note n° 6).<br />

Il ne devait pourtant pas ignorer que l’anglais times se passe fort bien de p sans nuire à la


Jean <strong>Lafitte</strong> 211 Écriture du gascon<br />

compréhension et que tiempo est parfaitement phonétique, comme la majeure partie de la graphie<br />

du castillan; de là à dire que l’espagnol est folklorique !<br />

Plus réaliste me semble Georg Kremnitz (1973) cité par Xavier Lamuela (1990, p. 161) :<br />

« La codification d’Alibert est un enfant de son temps : influence catalane, influence<br />

de la bourgeoisie latinisante, influence des théories linguistiques de son époque, étymologismes,<br />

historicismes, la rendent relativement difficile à employer. Il faudrait se demander<br />

aujourd’hui, avant qu’elle ne soit trop fixée et traditionnelle, si l’on ne peut pas admettre<br />

quelques recodifications, dans une direction plus phonologique et morphonologique. »<br />

Même opinion chez Roger Teulat (2001-2, p. 189), jugeant de l’incapacité de l’occitanisme<br />

pour réformer la graphie :<br />

« Ajoutez à cela une sorte de pédantisme, un mépris de tout ce qui est populaire, le<br />

modèle français de culture, la soif d’unanimisme et le culte du maitre (gourouïsme). Autant<br />

de traits négatifs dont il faut s’éloigner comme on ferme la parenthèse sur les erreurs du<br />

XX e siècle. »<br />

Or ce mépris du populaire colle à la peau de certains occitanistes, même chez un prêtre que<br />

l’on supposerait plus attentif aux humbles; ainsi, dans son monumental et si méritoire Diccionari<br />

general occitan [en lettres énormes] a partir dels parlars lengadocians [en caractères 6 fois moins<br />

hauts] (2003), Cantalausa donne le néologisme occitaniste patesejaire [{patoisayre} oserais-je traduire,<br />

pour rendre le caractère péjoratif du suffixe], avec pour troisième acception : « qui écrit sa<br />

langue maternelle avec une graphie étrangère ». Pour l’auteur, cela vise évidemment l’occitanophone<br />

naturel qui use des conventions orthographiques du français, notamment selon la graphie<br />

mistralienne; certainement, pas, malgré la généralité des termes, le Breton bretonnant de naissance<br />

qui écrit biniou (forme “officielle” chez les défenseurs de la langue bretonne) avec le graphème<br />

“français” ou. Mais c’est ignorer en 2003 qu’il y a de moins en moins de locuteurs naturels des langues<br />

d’oc, que les graphèmes honnis (ou pour /u/], gn pour /'/) sont aussi anciens en oc que le besoin<br />

de noter les prononciations correspondantes (cf. p. 103) et que pour un <strong>Béarnais</strong>, par exemple,<br />

sh pour /#/ selon la norme occitaniste est une graphie tout à fait étrangère !<br />

Ce mot patesejaire, je ne l’ai heureusement jamais rencontré sous la plume des occitanistes<br />

gascons, mais il est pour moi emblématique du climat de combat et de mépris dans lequel se situe le<br />

débat orthographique, alors que l’on ne devrait avoir en vue que le maintien et la transmission des<br />

langues vivantes du monde d’oc.<br />

Une graphie qui ignore les besoins des locuteurs<br />

Or rares sont les occitanistes à s’être préoccupés de la capacité des peuples d’oc, scolarisés en<br />

français, d’apprendre et de pratiquer une graphie si souvent déroutante (cf. Kristol & Wüest cités p.<br />

208). Citons du moins un occitaniste “de base”, Provençal du Vaucluse, Gilles Fossat (2002, p. 19) :<br />

« C’est la norme qui doit s’adapter à la langue, et non pas le contraire. Comme il<br />

n’est pas possible de faire de l’alphabétisation de masse, il faut rester lisible par tous. »<br />

Personnellement, je reçus comme une critique ce qui était de la part d’un cousin une louange :<br />

« la graphie classique, c’est formidable, on retrouve le latin »; mais si sa grand-mère livrait le vin<br />

dans des tonneaux sur des charrettes à cheval, son père devenu gros marchand de vin l’avait envoyé<br />

à L’Immaculée de Pau où il avait fait de bonnes humanités comme on disait alors; mais quid de tous<br />

ceux dont le béarnais était la langue de tous les jours ?


Jean <strong>Lafitte</strong> 212 Écriture du gascon<br />

Alors qu’un témoignage breton m’a laissé rêveur :<br />

« Mes enfants sont scolarisés à l’école bilingue bretonne et ont abordé la lecture et<br />

l’orthographe en breton d’abord. Je dois reconnaître que la complexité des règles<br />

d’orthographe en français tend à les amener à écrire plus volontiers en breton, alors<br />

qu’oralement ils maîtrisent aussi bien les deux langues, et même ils sont plus à l’aise en<br />

français, le milieu environnant étant francophone. » (L’École libératrice - Dossier n° 5 - 26<br />

novembre 1988).<br />

… témoignage qu’est venu confirmer mon expérience personnelle que j’ai relatée dans une<br />

Carte postale de Lambaol-Blouarzhel (L’Éclair du 10 octobre 1996) :<br />

« la messe du 15 août à Lampaul [Lambaol en breton] s’est achevée par le chant de<br />

l’Angélus en breton. Les manuels paroissiaux […] comptent quelque 260 pages de cantiques<br />

français, mais aussi 26 pages de cantiques bretons, soit plus de soixante pièces, en tête<br />

desquelles notre angélus. Or l’assemblée, qui remplissait l’église, a chanté massivement, et<br />

j’ai pu m’y joindre sans peine, la lecture ne présentant pas de difficultés majeures. En particulier,<br />

le son que nous écrivons ou en français est rendu de même en breton (cf. Blouarzhel);<br />

même identité de graphie pour eu que l’on trouve dans des mots comme Pleumeur-<br />

Bodou. »<br />

… malgré bien des mises en garde<br />

Comme apparemment les promoteurs du breton du XX e s., Mistral et ses amis pour le provençal,<br />

l’Escole Gastou Febus pour le béarnais et le gascon, furent autrement réalistes et, disons-le, pédagogues.<br />

Ainsi, dès 1891, face au retour de graphies médiévales, l’abbé gascon Léopold Dardy<br />

pouvait écrire (Anthologie populaire du Labrit, Introduction) :<br />

« N’imposons dans la lecture de notre langue aucune difficulté de signe phonétique,<br />

aucune étude à ses lecteurs peu lettrés pour la plupart; écrivons-la à peu près comme elle se<br />

prononce. La raison qu’on l’écrivait de telle manière autrefois ne saurait pas plus être valable<br />

que ne le serait pour l’orthographe française celle qui nous en ferait prendre les règles<br />

dans Villon, dans Clément Marot ou dans Rabelais. Non, notre langue n’est pas plus langue<br />

morte que le français, et comme toute langue vivante, elle reçoit de la durée et de<br />

l’exercice des modifications qui deviennent des lois dans l’écriture et dans la conversation.<br />

»<br />

Trente cinq ans plus tard, le Pr. Henri Gavel (1926, pp. 35-37) disait de même en opposant le<br />

public du Midi aux Catalans et Valenciens qui n’avaient jamais rompu la tradition et pouvaient reprendre<br />

une graphie ancienne en la modernisant :<br />

« Il n’en a pas été de même dans la plupart de nos pays du midi […]. Le public méridional<br />

avait tellement perdu l’habitude de lire des textes en sa langue que reprendre simplement<br />

l’orthographe du moyen âge eût été vouer les nouvelles œuvres à ne trouver de<br />

lecteurs que parmi les érudits. »<br />

Même Alibert (1935, 1976, p. 7) avait senti la difficulté en écartant certaines « graphies spécifiquement<br />

catalanes » de telle sorte que :<br />

« La graphie officielle du catalan, ainsi modifiée, [soit] la plus proche des procédés<br />

auxquels nous sommes habitués depuis l’école, tout en respectant nos traditions ».<br />

Mais par exemple, lire ou ce qu’il écrivait o ou ó lui paraissait facile, et ça l’était certainement<br />

pour les cercles étroits de lettrés toulousains qui constituaient la Société d’études occitanes dans les<br />

années trente du XX e s.. Mais avait-il essayé de faire lire sa femme de ménage ou ses concitoyens<br />

de Montréal de l’Aude ? Sans doute a-t-il été aveuglé par le modèle catalan, qui s’est avéré catastrophique<br />

pour une société “occitane” bien différente de la catalane.<br />

Quant aux enseignants qui ont fondé l’occitanisme béarnais, ils ne s’en sont pas souciés; pris


Jean <strong>Lafitte</strong> 213 Écriture du gascon<br />

par une idéologie politique, ils ont adopté la graphie classique et l’ont propagée sans se poser de<br />

questions, comme on le verra au chapitre suivant (p. 221).<br />

En fait, une graphie aux règles “secrètes”<br />

Il est vrai qu’outre ses défauts intrinsèques également étudiés au chapitre suivant (p. 227), la<br />

graphie classique occitane en présente un tout à fait surprenant, celui de s’appuyer sur des règles<br />

inaccessibles.<br />

M. Grosclaude (1991, p. 30) a cru pouvoir écrire de cette graphie :<br />

« On n’en fera pas ici un exposé, car le lecteur pourra la trouver, s’il le désire, dans<br />

les multiples publications de l’I.E.O. ou de l’Escòla Gaston Fébus. Elle a d’ailleurs été suffisamment<br />

vulgarisée auprès des milliers d’élèves qui ont suivi des cours d’occitan pour<br />

que nous puissions nous dispenser de l’exposer ici à nouveau. »<br />

Et pourtant… J’ai déjà raconté p. 7 le “parcours du combattant” qui fut le mien quand je voulus<br />

avoir en mains les règles officielles de l’I.E.O.<br />

De fait, l’I.E.O. lui-même ne les a jamais rééditées, l’association Per Noste n’a publié que la<br />

brochure d’application de R. Darrigrand (cf. p. 157), et l’Escòla Gaston Febus n’a rien publié sur ce<br />

seul sujet; tout au plus la revue Per Noste-Païs gascons donnait-elle alors, en p. 2 de couverture,<br />

quelques règles succinctes de lecture, supprimées depuis le n° 180 de mai-juin 1997. C’est pourquoi<br />

l’une de mes premières tâches fut de republier La réforme… de 1950 et L’application de 1952 en<br />

synopse dans le n° 2 de Ligam-DiGaM paru en février 1994 et adressé en “service de presse” à G.<br />

Narioo, alors président de Per noste; le hors-série n° 6 paru en avril 1999 a repris cette synopse en<br />

la complétant par les décisions de l’I.E.O. de 1975 et 1976; une 2 ème édition en juin 2003 y a ajouté<br />

les décisions de 1985 et 1989. Mais celui qui ignore ces brochures n’a d’autre recours que ce que<br />

disent de la graphie quelques manuels et dictionnaires qui n’en traitent pas à titre principal, et jamais<br />

des textes de première main…<br />

On imagine la gravité du problème quand les « ignorants » des règles officielles sont ceux-là<br />

mêmes qui enseignent aux plus hauts niveaux, publient dictionnaires et grammaires, voire inspectent<br />

les enseignants de terrain. On a vu, p. 199, l’exemple de R. Teulat; en voici d’autres, en domaine<br />

gascon :<br />

– M. Grosclaude au sujet de l’emploi du -u- pour noter le /w/ intervocalique : « l’I.E.O. luimême<br />

a autorisé les deux façons d’écrire : avèva et auèua. Si mes souvenirs sont bons, cette tolérance<br />

a été acceptée par P. Bec, Boisgontier et Darrigrand. » (P.N. n° 51 de Nov.-Déc. 1975, p. 2).<br />

Or cette disposition est dans L’application… de 1952, p. 4 (cf. Annexe XIII).<br />

– les auteurs du Civadot (parmi lesquels M. Grosclaude) ignoraient que le í de haría, vesía…<br />

était et reste prévu par ce même document de 1952, p. 7. Et dans l’Avant-propos du “gros dictionnaire”<br />

paru après son décès (cf. p. 185), M. Grosclaude l’ignorait toujours, malgré mes brochures,<br />

puisqu’il ouvrait le paragraphe sur ce sujet par ces mots « Nous avions pris autrefois l’habitude<br />

d’écrire…».<br />

– dans son article de 1986 sur l’Anthologie populaire de l’Albret de l’abbé Dardy, J. Salles-<br />

Loustau invoquait des “normes” totalement absentes des documents officiels de l’I.E.O. et montrait<br />

son ignorance du paragraphe final Enclise de L’application… (cf. pp. 166 et 302).<br />

– le Mémento grammatical du <strong>Gascon</strong>, qu’il signait avec J.-P. Birabent en 1989, faisait écho,<br />

sans l’écarter, à la proposition de « certains linguistes […], à des fins d’unification », de remplacer


Jean <strong>Lafitte</strong> 214 Écriture du gascon<br />

le (i)sh gascon par les -is ou -iss- languedociens (p. 25); pourtant, quatre ans plus tôt, c’est l’inverse<br />

qui avait été décidé par l’I.E.O., avec même la possibilité désormais offerte au languedocien méridional<br />

de noter /#/ par (i)sh, comme en gascon (Communiqué du Secteur de linguistique de 1985, p.<br />

163 ci-dessus).<br />

– les rééditions en graphie classique du Gastou Febus de Camélat par J. Salles-Loustau en<br />

1991 et des Fables gasconnes du chanoine Daugé par P. Guilhemjoan en 1999 témoignent encore<br />

de la méconnaissance des ces normes par les transcripteurs (voir Annexe XVIII).<br />

Ainsi, on parle souvent de “graphie normalisée”, mais sans jamais citer les normes appliquées,<br />

ni encore moins pouvoir donner la référence des documents qui les contiennent; on n’est<br />

donc pas dans un “état de droit”, mais dans une religion dont un dieu lointain révèle les mystères à<br />

de rares élus.<br />

Une écriture réservée de fait aux enseignants<br />

Il en résulte qu’en fait, les enseignants sont pratiquement les seuls à oser mettre le gascon sur<br />

le papier. Aujourd’hui, quel épicier — comme Camélat — écrirait Béline ? quel cordonnier —<br />

comme Darichon — composerait Bèth cèu de Pau ?<br />

Quant à la vulgarisation par l’école, même quand on y met les moyens qui manquent pour<br />

toucher la masse (cf. Kristol & Wüest cités p. 208), elle n’est pas garantie. Ainsi, lors du Colloque<br />

du 15 mars 1997 en l’honneur de Roger Lapassade (cf. p. 57), j’ai entendu les jeunes filles du Lycée<br />

lire des poèmes de cet auteur en prononçant bèstias {bêtes} [b!s'tiœs] au lieu de ['b!stis], avec déplacement<br />

de l’accent tonique; on peut le vérifier encore, c’est sur une vidéo-cassette qui a ensuite<br />

été commercialisée. Et au même Colloque, un universitaire a prononcé en béarnais títol [ti'tul], avec<br />

déplacement de l’accent et -l sensible, alors que M. Grosclaude rappelait justement : « l final impossible<br />

en gascon » (1991, p. 278, Ogeu); mais on a vu (p. 169) que le Mémento grammatical… de<br />

J.-P. Birabent et J. Salles-Loustau écrit un logique títou qui ne peut tromper.<br />

Même les adultes de sensibilité occitaniste peuvent être découragés d’apprendre cette graphie<br />

car elle demande un gros effort, et « l’effort d’apprendre ne doit pas être un fait isolé, mais en rapport<br />

avec le milieu humain » (Sèrgi Bec; cf. Annexe XV). Voici par exemple l’aveu, en français,<br />

d’un “énarque”, maire du chef-lieu de canton béarnais où il naquit quarante-trois ans plus tôt, et depuis<br />

2004, conseiller général de ce canton :<br />

« La prise de conscience, qui s’est opérée à l’orée des années quatre-vingts, m’a autorisé<br />

à reparler ma langue sans honte et sans retenue, mais n’est pas allée jusqu’à<br />

l’apprentissage de son écriture pour cause de fainéantise personnelle, d’insuffisance des<br />

structures d’enseignement et du manque d’occasions pour “valoriser” cet “investissement”,<br />

ou les trois peut-être… » (Yves Sallenave, 1998).<br />

Et pourtant, même les “maitres” affichent des “fautes” de graphie…<br />

Au demeurant, même dans le petit nombre des initiés à la graphie classique, beaucoup y<br />

commettent des erreurs. Ainsi, à ne considérer que les auteurs d’ouvrages didactiques :<br />

Les auteurs de l’ouest qui prononcent uniformément par -[œ] les -a et -e posttoniques commettent<br />

assez souvent l’hypercorrection qui fait noter par -a tout -/œ/ posttonique (cf. pp. 71 et 143).<br />

Par exemple, à la rubrique L’occitan au baccalauréat, un conte de l’abbé Dardy Lou praube Misère<br />

{Le pauvre Misère} est transcrit Lo prauba Misèra (PN n° 41, Mars-Avril 1974, p. 8). Et c’est sur


Jean <strong>Lafitte</strong> 215 Écriture du gascon<br />

sa couverture même que le guide de conversation Que parlam de Bayonne “affiche” deux “fautes”<br />

pour cinq mots : dans « gascon “maritima” o de “Baïona” », *maritima écrit avec -a au lieu de -e; et<br />

Baïona est mis pour Baiona (tréma inutile, mais il s’agit peut-être de se démarquer du basque Baiona<br />

!). Inversement, J.-P. Latrubesse, locuteur naturel originaire de l’ouest, et par ailleurs président<br />

de La Civada et coauteur du Civadot (cf. p. 159) écrit (1995) « Qu’èi avut lo CAPES l’an passat.<br />

Aqueth diplòme… » {J’ai eu le CAPES l’an dernier. Ce diplôme…} (2 occ.), au lieu de l’“officiel”<br />

diplòma…; il est vrai que, comme pour proublèm" — cf. note 15 p. 74 —, le Palay note la forme<br />

populaire vivante diplòm", qui se prononce bien en -[e] dans l’est.<br />

Dans ce même article de 1995, on lit encore malaia {hélas} pour malaja (< mal aja [qu’il ait<br />

mal]) alors que qu’aja [qu’il ait] y est correct; patuès (2 occ.), hypercorrection pour patoès, déjà<br />

signalée p. 147; qu’empaishan au lieu de qu’empachan, beaucoup de <strong>Béarnais</strong>, à la différence<br />

d’autres <strong>Gascon</strong>s, neutralisant l’opposition graphique (i)sh/ch; cf. G. Narioo ci-après.<br />

L’examen linguistique des rééditions du drame de Miquèu de Camelat Gastou Febus par J.<br />

Salles-Loustau en 1991 et des Fables gasconnes du Chanoine Césaire Daugé, par P. Guilhemjoan<br />

aidé par G. Narioo en 1999 m’a donné l’occasion de relever bien des erreurs de graphie, et pas toujours<br />

imputables à la seule ignorance des normes évoquée plus haut. Pour le détail, je renvoie le lecteur<br />

à l’Annexe XVIII; les explications sont parfois complexes, mais elles reflètent les recherches<br />

qui sont pain quotidien du lexicographe soucieux de rigueur orthographique.<br />

M. Grosclaude, dans un échantillon d’Enciclopedia occitana paru dans P.N.-P.G. 198, 5-<br />

6/2000 : orizon, contemporanea, (indo-)europeu/ea, anniversari au lieu de orizont, contemporanèa,<br />

europèu/èa, aniversari; sans compter les accents oubliés ou changés à l’impression. Il écrivait Darse’n<br />

pour Da-se’n, selon une pratique dont il semble le père dans sa méthode de 1977. Et sanctificat,<br />

malgré le document I.E.O. de 1989 (cf. p. 167). Dans le n° 202 de la même revue, de 1-2/2001,<br />

p. 4, Qu’avem recevut… en titre d’article; mais sans doute était-il déjà bien malade…<br />

De G. Narioo, je ne mentionnerai que ses hésitations sur la notation de /#/ : shebit (ejar, -s)<br />

(La Mar de Corintia, p. 16) et chebite(-ja, -gè) (ib. p. 60; La bíblia valenciana, p. 95); esglaisha<br />

(P.N.-P.G. 191, 3-4/1999, p. 9, p. 11) pour esglacha (cf. ALG II, 426; Darrigrand, 1969-1, p. 20);<br />

ou encore esgarauishavan, qui ne peut se lire que [ezgarawi'#a.œn] (P.N.-P.G. 206, 9-10/ 2001, p.<br />

11), au lieu de esgaraushavan (cf. ALG IV, 1199), comme Aush.<br />

On pourra encore signaler la notation généralisée du “futur du passé” en -re, y compris dans le<br />

récent manuel des conjugaisons « occitanes de Gascogne » de MM. Grosclaude et Narioo (1999).<br />

Pourtant, J. Allières le vocalisait en a, forme dominante dans une assez grande complexité (ALG V,<br />

1684), et donnait les exemples « que sabí que vengora, […] que’s demandava se vengora » (ALG<br />

V, 1616), puis y avait consacré une note dans Estudis occitans n° 21 du 1 er sem. 1997, p. 19; P. Bec<br />

devait y revenir par deux fois (cf. Bec, 2000 et 2002).<br />

Et pour tous les amateurs d’alcool fort — il faut bien sourire de temps en temps —, l’anarchie<br />

de l’“usage” quant au “whisky” : R. Lapassade l’écrivait uisquí (Sonque un arríder amistós, 1975-1,<br />

pp. 101, 107), le Civadot…, hóisqui (ainsi que G. Narioo, qui dut participer à sa rédaction, et en use<br />

dans sa traduction de La bíblia valenciana, 1994, p. 132). Plus sagement sans doute, Bianchi et<br />

Viaut (1995; cf. p. 170) et Atau que’s ditz (cf. p. 175) ont renoncé à une orthographe gasconne et<br />

accepté whisky , ce dernier avec hoísqui en « variante graphique » (p. 16, mais omis v° whisky); et<br />

chaque graphie gasconne correspond à une réalisation différente : [wis'ki, 'hu"ski, 'hwiski] !


Jean <strong>Lafitte</strong> 216 Écriture du gascon<br />

…et les dictionnaires, leurs hésitations et leurs désaccords<br />

Les associations liées à l’I.E.O. n’ont encore publié aucun dictionnaire dans le sens gasconfrançais,<br />

sauf à mentionner le lexique de quelque 1900 mots de Lo gascon lèu e plan “LGLP” (M.<br />

Grosclaude, 1977). Dans l’autre sens, il y en a plusieurs.<br />

Ainsi, dans le Civadot (cf. p. 159), le premier paru, avec 7 000 entrées, on trouve es.hlaquit<br />

(entrée : las,-se), eslamar (flamber), es.hlor (fleur), esloish (lâche, relâché) et es.hloronc (furoncle);<br />

prabar (croître) et pravar (grandir, grossir, pousser); rebomb (écho) et rebom (répercussion); regde<br />

(rigide) et rede (raide); saussar (saucer) et sauçar (tremper); boçon (bouchon) et tirabosson (tirebouchon);<br />

quarrat (carré, oreiller) et carrat (foulard).<br />

Dans Atau que’s ditz… (cf. p. 175), “approuver” se dit aprovar et “prouver”, probar; “cavalier”,<br />

cabal(i)èr et “chevalier”, cavalièr; “combles”, trabatèrs et “poutre”, travetèra; “imperceptible”,<br />

qui n’ei pas perceveder ou de mau percéver et “apercevoir”, apercéber (“percevoir”) manque;<br />

“indulgent”, brabe et “inoffensif”, brave; “extension”, extencion et “tension”, tension; “inoffensif”,<br />

inofensiu et “offensif”, ofenciu; “sauce”, saussa et “saucisse, saucison”, saucissa, saucisson, saucissòt;<br />

“éboulement”, esborolh et “s’écrouler”, esborroar-se; “égratigner”, esgarraishar et “égratignure”,<br />

esgarrachada etc.<br />

Dans la notation classique ajoutée par J. Miró au Dictionnaire de la Grande-Lande<br />

d’Arnaudin (cf. p. 179), assan et bròc-açan “aubépine”; só-hís et hiçar et dérivés; cuvèu et cuba.<br />

Et a fortiori, ces divers dictionnaires ne s’accordent pas toujours : coenta (LGLP) et cuenta<br />

(PDFO-B, Atau…); vesía, haría (LGLP, Fiches de grammaire…) et vesia, haria (PDFO-B, Atau…;<br />

hitge (LGLP, PDFO-B, etc.) et hidge (Que parlam); en.honsar, arrevirar (PDFO-B) et en.honça(r),<br />

arrebirar (Que parlam); foncion, santuari, paishèth (PDFO-B) et fonccion, sanctuari, paishet<br />

(Atau que’s ditz); arrepè, tutèth (PDFO-B, Atau…) et arrepèr, tutet (Miró dans Arnaudin).<br />

… tandis qu’une grande maison d’édition affiche des “fautes” de lecture<br />

La contrépreuve vient de nous être fournie par le célèbre éditeur Assimil publiant Le gascon<br />

de poche sous la signature de M. Jean-Marc Leclercq (2004), avec la « collaboration de Sèrgi Javaloyès,<br />

écrivain ». Le livre est sympathique, et met le gascon, comme d’autres langues d’oc, au<br />

même rang que des dizaines de langues du monde, ce qui mérite d’être noté.<br />

L’auteur use de la graphie classique sans s’en expliquer, ce qui, au demeurant, ne devrait pas<br />

poser de problème dans la mesure où il “sous-titre” tout mot gascon dans une notation phonétique<br />

qui lui est propre (ou peut-être à la collection). Mais il a dû puiser sa connaissance de la langue dans<br />

les livres plutôt que dans la parole vive; aussi, malgré son “collaborateur”, il est tombé dans la plupart<br />

des pièges que les insuffisances de la graphie occitane tendent à qui n’est pas préalablement un<br />

bon gasconophone. D’où quelques monstres phonétiques :<br />

– surtout n en finale ou intérieur et r en finale, trop systématiquement amuïs : con [koû], sonque<br />

[soûké], arron [arroû], pipèr [pipè]; au lieu de [koun, sounké, arroun, pipèr];<br />

– -s final à peu près toujours noté [s], dans l’ignorance de sa sonorisation en [z] devant sonore<br />

(b, d, g, v), l, m et n : las vacas [lass bakos]; au lieu de [laz bakos];<br />

– -a de l’article era donné pour -[o] au lieu de -[a].


Jean <strong>Lafitte</strong> 217 Écriture du gascon<br />

Quant au scripteur ordinaire…<br />

On imagine ce qu’il en sera pour le scripteur ordinaire, dont l’écrit “classique” sera subordonné<br />

à la révision de quelques “spécialistes” qui n’hésitent pas parfois à corriger la langue des auteurs<br />

elle-même… sans pour autant éviter les erreurs. Et sans cette révision, cet écrit fourmille d’erreurs<br />

parfaitement excusables, certes, de la part de locuteurs naturels qui n’ont jamais appris le latin ni<br />

étudié la philologie, mais qui achèvent de déconsidérer la langue. Ainsi en est-il de la chronique<br />

Marcat biarnés (“Marché béarnais”) des quotidiens palois, de la plume d’un sympathique conteur,<br />

paysan à la retraite, que son voisin M. Grosclaude dut convaincre d’écrire en graphie classique;<br />

pour ne citer que les trois morceaux gascons d’un billet de 2002 : *darrerement crevat pour darrèrament<br />

crebat; que p’ocupat per abituda d’aqueras cointas, a bos de har ! pour que v’ocupatz per<br />

abituda d’aqueras coentas, a vos de har !; la besti poeirida pour la bèstia poeirida.<br />

Et même « L’Associacion democratica d’Artics [qui] a écrit en occitan une lettre très élogieuse<br />

pour André Labarrère », association de gens supposés “plus instruits”, puisque leur commune s’enorgueillit<br />

de plaques de rues bilingues, le béarnais y étant évidemment écrit en graphie classique.<br />

Voici les passages de cette lettre tels qu’ils ont été publiés par L’Éclair du 7 juin 2002, avec<br />

en synopse la graphie classique correcte, les différences étant notées en gras :<br />

« …un hemna qui poishqui dab energia pro- « …un hemna qui poishqui dab energia promover<br />

e defender lo Païs a Paris.<br />

móver e defénder lo País a París.<br />

« Patatras ! Malàja, aqueste cop t’es plan en- « Patatràs ! Malaja, aqueste còp t’ès plan enganàt<br />

lo Dede. Que’s impausas lo David : qu’es ganat lo Dedé. Que’ns impausas lo David :<br />

cadut suu cap o que ? vienguda de la toa part, la qu’ès cadut suu cap o qué ? vienguda de la toa<br />

manobra n’ei pas abile. Nosauts biarnés, e qu’at part, la manòbra n’ei pas abile. Nosauts biarnés,<br />

savs plan, n’aiman pas recéver ordis d’aquet es- e qu’at saps plan, n’aimam pas recéber ordis<br />

candilh, de plegar la rea ei passat de moda… d’aqueth escandilh, de plegar la rea ei passat de<br />

mòda…<br />

« Lo tocamaneta ? no’n sap pas ha; la corte- « Lo tòcamaneta ? no’n sap pas har; la cortesia<br />

legendari e de cops rusada de noste, n’a tot sia legendària e de còps rusada de noste, n’a tot<br />

faus…<br />

faus…<br />

« Aus qui dénégan noste cultura, qui mespré- « Aus qui denegan noste cultura, qui mespresan<br />

la lenga occitana d’inc a esta’s shords a tota san la lenga occitana dinc a està’s shords a tota<br />

discutida, que disem no. Au reveder Dede, mes discutida, que disem no. Au revéder Dedé, mes<br />

per un cop, que t’ès enganat. »<br />

per un còp, que t’ès enganat. »<br />

Traduction – « …un femme [allusion à l’homosexualité du destinataire] qui puisse avec énergie<br />

promouvoir et défendre le Pays à Paris.<br />

« Patatras ! Hélas, cette fois tu t’es bien trompé Dédé. Tu nous imposes le David [Habib,<br />

comme candidat socialiste aux législatives] : tu es tombé sur la tête ou quoi ? venue de ta part, la<br />

manœuvre n’est pas habile. Nous autres <strong>Béarnais</strong>, et tu le sais bien, nous n’aimons pas recevoir des<br />

ordres de ce genre, plier l’échine est passé de mode…<br />

« Le tocamaneta ? [“touche-petite main”, surnom d’A. Labarrère… et de bien d’autres hommes<br />

politiques qui serrent facilement la main] il ne sait pas faire; la courtoisie légendaire et parfois<br />

rusée de chez nous, il a tout faux…<br />

« À ceux qui renient notre culture, qui méprisent la langue occitane jusqu’à rester sourds à<br />

toute discussion, nous disons non [allusion probable au fait que A. Labarrère n’a jamais caché son<br />

hostilité à l’altération par les occitanistes du béarnais, qu’il parle depuis son enfance]. Au revoir<br />

Dédé, mais pour une fois, tu t’es trompé. »<br />

La plupart des fautes d’orthographe concernent des accents qui manquent ou sont mis à tort;<br />

or ils sont essentiels en graphie classique pour déterminer l’ouverture de o [o] ou [u] et celle de e [!]<br />

ou [e], et ailleurs pour marquer l’accent tonique; et les autres fautes renforcent l’impression que les


Jean <strong>Lafitte</strong> 218 Écriture du gascon<br />

auteurs ne maitrisent vraiment pas l’orthographe classique… (Et quant à la langue, discutida, pour<br />

discuta ou discussion, est une cuistrerie déjà condamnée par La réforme… de 1950 ; « tu es tombé<br />

sur la tête », « il ne sait pas faire » ou « il a tout faux » sont des calques du français parlé contemporain,<br />

ignorés du béarnais classique).<br />

Une gageure : la « première dictée occitane » à Orthez (31 janvier 2004)<br />

Cela n’empêche pas l’occitanisme d’organiser sa « dictée occitane » à l’instar de Bernard Pivot.<br />

Ainsi, le 31 janvier 2004, en même temps que dans d’autres « villes occitanes », Per Noste en<br />

organisait à Orthez la version béarnaise. Elle avait été largement annoncée par une série d’articles<br />

de presse, avec invitation pressante d’arriver à l’heure, la salle n’offrant que « 80 places accessibles<br />

» (L’Éclair des 31 janvier/1 er février). La presse en a rendu compte sur près d’une demi-page<br />

du format “tabloïd” (L’Éclair du 2 février), avec en pré-titre « ORTHEZ - Succès de la première<br />

dictée occitane », même si la « cinquantaine de candidats » était loin d’avoir rempli la salle.<br />

J’ai déjà fait mes réserves sur le fond de cette affaire, p. 79. Ici, je m’attacherai au problème<br />

orthographique lui-même. D’emblée, les organisateurs ne cachent pas les difficultés inhérentes à la<br />

graphie, en dehors de tout piège artificiellement tendu :<br />

« Ils étaient là pour écrire une dictée, pas une de celles, tortueuses à souhait, de Bernard<br />

Pivot, non. Mais pour qui ne connaît pas les subtilités de la langue d’ici, ou pour celui<br />

qui n’en connaît que le parler, cette dictée avait bien des pièges. C’est que les accents sont<br />

autant de subtilités selon qu’ils soient [sic] graves ou aigus. D’ailleurs, même notre ordinateur<br />

ne connaît pas les accents graves sur le “o”, si bien que notre reproduction de la dictée<br />

est bourrée de fautes ! »<br />

À cela s’ajoute la difficulté majeure qui tient en l’absence de dictionnaire(s) et grammaires de<br />

référence, tellement sont nombreux les flottements qu’on peut déceler dans les ouvrages disponibles,<br />

comme nous venons de le voir. Dire qu’il y a faute ou non relève alors d’un arbitraire certain.<br />

Un exemple : Lapassade a écrit « lo qui shiulava tant hòrt » {celui qui sifflait si fort}, prononcé<br />

[…tan h%rt] selon les normes classiques; le texte publié le 2 février porte « …tan hòrt », prononcé<br />

[…ta h%rt], selon la forme enseignée par la plupart des grammaires occitanistes, mais celle choisie<br />

par Lapassade est aussi très répandue dans le domaine gascon et parfaitement légitime (Ligam-<br />

DiGaM n° 19, pp. 33-48); dès lors, aurait-on compté une faute au candidat qui aurait écrit comme<br />

Lapassade ? rien ne permet de le savoir a priori.<br />

De fait, le palmarès laisse songeur :<br />

– parmi les 4 “juniors” primés, le 1 er ex-aequo est le fils de deux militants, son père étant le<br />

3 ème des “confirmés”; la 3 ème ex-aequo a le même patronyme qu’un enseignant, militant très engagé;<br />

l’autre 3 ème a le même patronyme que l’enseignant qui lisait la dictée;<br />

– parmi les 3 “débutants”, la 3 ème a le même patronyme qu’un autre enseignant, militant;<br />

– parmi les 3 “confirmés, le 1 er , avec une faute, est David Grosclaude lui-même, fils de Michel,<br />

président de l’I.E.O. et “patron” de presse occitaniste (La Setmana, Plumalhon…); le 2 ème est<br />

me semble-t-il un militant, et le 3 ème aussi, certainement, père d’un des deux 1 ers juniors.<br />

Au total, donc, sur dix lauréats, 3 (ou même 4) sont des militants, voire des professionnels de<br />

l’occitanisme, 3 autres ont des patronymes de militants (simples coïncidences ?), et 4 (ou seulement<br />

3) paraissent étrangers au “sérail”.<br />

Il n’est pas question, certes, d’y voir quelque tricherie, mais il apparait clairement que très peu<br />

de personnes ont accès à la graphie classique en dehors des cercles d’enseignants-militants; et le


Jean <strong>Lafitte</strong> 219 Écriture du gascon<br />

3 ème et dernier des lauréats confirmés, militant de longue date mais pas enseignant, a quand même 5<br />

fautes pour un texte relativement court et « sans pièges ».<br />

Premières conclusions<br />

Je ne pense pas qu’il faille dramatiser après le constat de toutes ces faiblesses et erreurs, inhérentes<br />

à tout système qui fait appel, peu ou prou, à l’étymologie; la graphie moderne en est un aussi<br />

: celle de l’Escole Gastou Febus connait l’hésitation entre -c- et -ss-, et le système dérivé que je<br />

proposerai plus loin (pp. 307 sqq.), celles entre v et b d’une part et celle entre -e et -a posttoniques<br />

(devenus -ë et -e) d’autre part. Souvenons-nous en effet qu’il a fallu au français des siècles et un<br />

état puissant pour parvenir à une certaine fixité dans sa graphie, et beaucoup encore sont “fâchés”<br />

avec l’orthographe. Alors pour une langue romane qui a si peu de linguistes familiers du latin et si<br />

peu d’heures d’enseignement, il faut être très, très modeste, et accepter un écrit à la graphie hésitante<br />

: la parole vivante et l’usage fréquent de la langue, même à l’écrit, valent infiniment plus<br />

qu’un sans faute à la dictée !<br />

Au fond, nous sommes à peu près au même point qu’il y a cinquante ans, quand P. Bec écrivait<br />

: « une foule de détails reste à élucider : étymologies douteuses interdisant une fixation graphique<br />

définitive […] » (cf. citation complète, p. 147).<br />

Et si l’enseignement redécouvrait la graphie moderne ?<br />

Mais j’ai évoqué p. 75 l’intérêt d’une graphie moderne, lisible par les locuteurs naturels : eux<br />

seuls peuvent constituer l’environnement linguistique indispensable aux écoliers pour que<br />

l’enseignement de la langue ne se réduise pas à une matière scolaire parmi les autres. Qui plus est,<br />

l’état sociolinguistique de la langue et le peu de temps dont on dispose pour en enseigner l’écriture<br />

et la lecture militent de toute façon pour un maximum de simplification. Nina Catach (1988, p. 102)<br />

le disait pour le français :<br />

« Non seulement la communication culturelle s’est profondément transformée (mass<br />

media, techniques d’écriture, place amoindrie des études “humanistes” et de la littérature,<br />

introduction généralisée de l’informatique, etc.), mais le poids des contraintes orthographiques<br />

pèse aujourd’hui non sur une minorité, mais sur l’ensemble de la nation. Ce poids est<br />

trop lourd, nous dirons même qu’il est trop cher :<br />

« Le coût de l’information orthographique, démesurément redondante... apparaît exagéré,<br />

surtout si l’on y ajoute le coût de l’apprentissage donnant accès à cette information :<br />

… neuf ans d’études, sans que pour cela les résultats apparaissent tellement probants » (N.<br />

C., Rech., p. 951).<br />

Alors pour les langues d’oc… Ainsi, pour le provençal, dès 1980, le grand poète provençal et<br />

occitaniste Serge Bec avait annoncé son retour à la graphie mistralienne dans une Lettre ouverte aux<br />

occitanistes placée « en guise de préface » au début d’un recueil de poèmes Siéu un païs. Avec son<br />

aimable autorisation, je la reproduis en Annexe XV.<br />

Et si G. Kremnitz estimait que « ceux qui écrivent la langue avec le système Roumanille/Mistral<br />

le font avec plus de soin » (cf. plus haut, p. 198), ce n’est peut-être pas un hasard :<br />

chacun fait mieux ce qui est à sa portée, l’excès de difficulté décourage.<br />

En tout cas, conscient de l’attachement populaire à la graphie moderne, le bimestriel du Parti<br />

nationaliste occitan Lo Lugarn parait désormais avec le double titre Lo Lugarn - Lou Lugar et publie<br />

des articles dans la graphie choisie librement par les auteurs (n° 79, Estiu 2002).


Jean <strong>Lafitte</strong> 220 Écriture du gascon<br />

Dernier exemple, en juillet 2003 a paru L’occitan Haut-Alpin - Parler de la Vallée de Vallouise,<br />

dont tous les textes en oc sont dans une graphie moderne de type mistralien, malgré le mot<br />

“occitan” du titre…<br />

Et nous n’avons pas à craindre pour le fond même de ce qui est écrit. Philippe Carbonne, naguère<br />

président de l’I.E.O., pouvait écrire récemment à propos d’un recueil de poèmes du provençal<br />

d’Italie Sergio Arneodo, Danso di Sesoun : « Tout ce qui s’écrit de fort en langue d’oc n’est pas<br />

forcément vêtu de graphie perbosc-alibertine. » (Lo Gai Saber, n° 484, 2002, p. 239).<br />

Mais en attendant que la sagesse pédagogique rouvre l’École à la graphie moderne, on peut<br />

toujours essayer d’améliorer la classique; il conviendra ensuite de proposer une graphie moderne<br />

elle-même améliorée pour mieux répondre aux besoins actuels de la société gasconne.


Chapitre III<br />

Graphie “classique” ou graphie “moderne” ?<br />

Ainsi, en quarante ans de pratique, les occitanistes gascons n’ont pas réussi à rendre leur graphie<br />

classique populaire parmi ceux qui parlent encore la langue couramment. Mais alors, comment<br />

et pourquoi cette graphie classique a-t-elle été adoptée par l’enseignement ? Répondre à cette question<br />

nous amènera à découvrir les erreurs congénitales qui vicient cette graphie.<br />

I – Comment l’orthogaphe classique a-t-elle été introduite ?<br />

Les premiers adeptes de la graphie classique<br />

L’historique des graphies gasconnes nous a montré que Palay est semble-t-il le premier a<br />

avoir usé de la graphie classique pendant une courte période (p. 126).<br />

Girard (p. 129) et autres <strong>Gascon</strong>s des cercles occitanistes toulousains devaient suivre, et rester<br />

fidèles à ce système; le haut-commingeois Sarrieu s’y rallia un certain temps (p. 131); vint enfin<br />

Philadelphe de Gerde (p. 133). On peut même signaler la curieuse graphie du médoquin Jean Conord,<br />

qui signait Jean d’Aquitaine : notant /u/ par ou et /b/ ou /./ uniformément par b, il écrit néanmoins<br />

par -a la finale féminine (cf. Reclams, 1927, p. 64; 1928, p. 61). Voilà pour les auteurs nés<br />

avant 1900. Ensuite, il y eut la génération des “jeunes” occitanistes d’après la Libération, Pierre Bec<br />

et Bernard Manciet étant les plus connus. Mais ce furent des “pratiquants” individuels.<br />

Le rôle essentiel de Per nouste<br />

Pour que l’on passe à une pratique organisée, et essentiellement dans le monde scolaire, il fallut<br />

attendre la naissance de l’association Per nouste en 1960, dont on a vu que les membres les plus<br />

actifs furent des enseignants du second degré (cf. p. 78).<br />

Qu’est-ce donc qui a motivé ces enseignants béarnais à rejeter la graphie moderne des Félibres<br />

qui fonctionnait depuis plus d’un demi-siècle — sans compter les écrits du XIX e s. qui n’en<br />

étaient pas bien éloignés — pour adopter et propager la graphie classique occitane ?<br />

Les oppositions de générations et de compositions sociologiques décrites pp. 78-79 semblent<br />

avoir été déterminantes, bien plus qu’une quelconque étude technique des mérites comparés des<br />

systèmes en présence. Dès le n° 1 de la revue Per nouste de juin 1967, p. 12 bis, en effet, le<br />

“corporatisme” affleure quand les enseignants qui président à ses destinées présentent ainsi un<br />

poème écrit en graphie moderne des Félibres :<br />

« Nous publierons dans ce bulletin des textes dans les deux graphies. Nous ne cachons<br />

pas, en tant qu’enseignants, notre préférence pour la graphie normalisée en usage<br />

dans les Universités - à la fois plus claire et plus logique. »<br />

L’usage universitaire est donc mis en premier, sans doute parce que le mot “université” est<br />

tout auréolé de prestige pour ces enseignants du secondaire — on est un an avant la contestation<br />

massive de mai 1968 — et les qualités de la graphie “normalisée” sont affirmées, sans preuve particulière.<br />

À la vérité, mis à part M. Grosclaude, ce sont tous des béarnophones de naissance, qui ont<br />

une connaissance intime de la langue à laquelle ils sont profondément attachés (cf. Annexe XVI);<br />

ils ne se sont donc pas méfiés des pièges que cette graphie tendraient bientôt à de moins experts.


Jean <strong>Lafitte</strong> 222 Écriture du gascon<br />

Une page de ce même numéro, Comment lire le gascon (pp. 16-17), limitait en effet à trois<br />

règles ce qu’un gasconophone a besoin de savoir pour s’y retrouver. Pourtant, cela dut créer un<br />

choc parmi les premiers lecteurs béarnophones, dont témoigne en particulier un billet publié dans le<br />

numéro suivant. Il émane d’une vieille mercière d’Orthez, héritière d’une lignée d’écrivains béarnais<br />

célèbres (cf. pp. 120-123), membre elle-même de l’Escole Gastou Febus depuis 1921 (Reclams<br />

n° 5, May 1921, p. 80) et certainement pourvue d’un bagage littéraire enviable :<br />

« Je ne sais pas du tout pourquoi ceux de PER NOUSTE écrivent en Français<br />

d’aujourd’hui, et non pas en latin, ou ne parlent pas comme le défunt Turoldus. Il faut savoir<br />

ce que vous voulez : le parler béarnais de tous les jours comme il se parle en différents<br />

lieux et s’écrit de même avec ses particularités qui changent d’un endroit à l’autre, ou si<br />

vous voulez revenir “aux sources savantes” [en français dans la lettre] pour mieux se faire<br />

comprendre de Vladivostock à Quimperlé avec un espéranto sans saveur. Avec ça, merci<br />

quand même de laisser une petite place à ceux qui ne sont ni instituteur, ni professeur, et<br />

qui ne savent lire que de l’écriture, et non pas de la “graphie”. Je vous salue, Maitre, et portez-vous<br />

bien toujours. » (Marguerite Lafore, rue des Jacobins, Orthez, Per nouste n° 2,<br />

Oct. 1967, Courrier des lecteurs, p. 23; traduit du béarnais.)<br />

Malheureusement, les dirigeants de Per nouste ne surent pas entendre cet avertissement et jugèrent<br />

sans doute qu’avec quelques explications, leur message finirait par passer. M. Grosclaude fut<br />

donc chargé de présenter la nouvelle graphie dans ce même n° 2 de la revue, les <strong>Béarnais</strong> béarnophones<br />

de l’association ayant apparemment jugé plus importante la compétence supposée de ce<br />

Lorrain qui avait suivi des stages que la connaissance intime qu’ils avaient eux-mêmes de leur langue<br />

ancestrale.<br />

Un article de Michel Grosclaude (1967)<br />

Ainsi, tandis qu’en 1583, le pasteur béarnais Arnaud de Salette expliquait en béarnais à ses<br />

confrères francophones, venus convertir le Béarn, comment lire et bien prononcer le béarnais écrit<br />

selon sa tradition, en 1967, c’est en français qu’un Français du nord va expliquer aux <strong>Béarnais</strong><br />

comment lire et prononcer leur langue, écrite en rupture avec cinq siècles de tradition adaptée !<br />

Voulant « traiter cette question, au moins une fois, de façon complète », il le fait en cinq pages et<br />

demie sous le titre L’orthographe occitane normalisée : mélange naïf — on veut bien le croire —<br />

d’informations objectives et de morceaux de propagande occitaniste peu scrupuleuse, cet exposé est<br />

tellement caractéristique du discours occitaniste que j’en commente de larges extraits en Annexe<br />

XVII.<br />

À la base, il y a le concept de langue occitane unique incluant même le catalan, et qui ne s’est<br />

divisée en dialectes que par la faute de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Or la « graphie<br />

occitane normalisée » commune à tous les dialectes d’oc va y remédier et « rendre à la langue occitane,<br />

et sa dignité de langue, et son unité d’autrefois ». Mais on ne rompt pas avec l’œuvre des Félibres,<br />

on la « pousse […] plus en avant encore ».<br />

Accessoirement, ce système, basé sur la graphie des troubadours, doit permettre la lecture des<br />

textes anciens et « en écrivant les mots d’une manière plus conforme à leur étymologie, […] mieux<br />

mettre en lumière la parentée [sic] entre la Langue d’oc et les autres langues Romanes. »<br />

Suit un exposé pratique des principales règles de la graphie de l’I.E.O., passées de trois à sept<br />

depuis le n° 1 de la revue… Et l’auteur termine par cinq alinéas qui veulent rassurer les lecteurs réticents<br />

: la graphie ne change pas la langue, le béarnais reste lui-même et « quelques minutes suffisent<br />

généralement » pour apprendre à lire.


Jean <strong>Lafitte</strong> 223 Écriture du gascon<br />

Bien sûr, tout cela est plein de contre-vérités que je dénonce, preuves à l’appui, dans mon<br />

commentaire. Cela montre en tout cas que M. Grosclaude est déjà parfaitement imprégné des thèses<br />

occitanistes sur la graphie, y compris le mythe de la lecture facile des textes anciens grâce à elle. Ce<br />

qui a fait écrire : « Dans la querelle des orthographes, la graphie occitaniste était un dogme auquel il<br />

ne dérogea jamais. » (Laborde-Balen, 2002, p. 416). Mais en 1967, M. Grosclaude est encore techniquement<br />

assez faible sur le sujet; dix ans plus tard, sa méthode Lo gascon lèu e plan témoignera<br />

d’une bonne maitrise de l’affaire.<br />

Ce qui me parait essentiel, c’est cette phrase : « Vous avez de votre langue une connaissance<br />

auditive et non visuelle. Vous ne la reconnaîtrez pas en la voyant, mais en l’entendant. » Non seulement<br />

ces enseignants à l’esprit délié minimisent l’effort que demande l’adoption de règles de lecture<br />

fort différentes de celles du français auxquelles les gens sont habitués, mais encore ils<br />

s’adressent à des béarnophones confirmés, comme eux-mêmes.<br />

Or pour ces gens-là, leur connaissance de la langue leur cache les défauts du système pour qui<br />

veut retrouver un oral qu’il ne connait pas : tout comme « les poules du couvent couvent » ne pose<br />

aucun problème de lecture au francophone habituel, « Jan que minja plan » {Jean mange bien}, par<br />

exemple, n’en pose pas davantage au gasconophone habituel qui fait bien la différence des deux -an<br />

et lit [jan ke 'minjœ pl!/pl!"].<br />

Mais étant seuls interlocuteurs de l’Éducation nationale sur ce sujet, les animateurs de Per<br />

nouste vont bientôt faire adopter leur point de vue dans un document officiel.<br />

Un document officiel (1972)<br />

Du n° 8 de Septembre-Octobre 1968 au n° 66 de Mai-Juin 1978, l’une ou l’autre page intérieure<br />

de la couverture de la revue Per Noste allait donner un résumé des règles de lecture de la graphie<br />

classique, suivi de quatre justifications du choix de cette orthographe; d’abord sous le titre<br />

« Apprenons à lire le gascon-béarnais dans son orthographe normalisée » (jusqu’au n° 45 de novembre-décembre<br />

1974), puis sous celui plus général de « Comment lire le gascon : (Albret, Armagnac,<br />

Ariège, Bazadais, Béarn, Bigorre, Chalosse, Comminges, Gironde, Landes, Lomagne, Marensin,<br />

Médoc…) ». Puis, du n° 67 de Juillet-Aout 1978 au n° 179 de Mars-Avril 1997, on ne publia<br />

plus que le résumé des règles.<br />

Or la page entière, sous son premier titre, fut reprise en page 3 d’une brochure de la fin de<br />

1972, L’occitan au baccalauréat - Fascicule gascon - Programme agréé par la Commission Académique<br />

pour l’Enseignement des Langues et Cultures Régionales. Cette commission est l’éditeur<br />

de la brochure qui était en vente au Centre régional de Documentation pédagogique (P.N. n° 32, 9-<br />

10/1972, p. 2); c’est donc une publication officielle de l’Éducation nationale.<br />

Un texte de Roger Lapassade présente la brochure comme un « embryon d’anthologie occitane<br />

destiné aux Classes Terminales de l’Académie de Bordeaux ». Ont également collaboré à sa<br />

préparation cinq autres professeurs, pour la plupart de l’équipe orthézienne de Per noste. Mais il est<br />

vraisemblable que tous n’ont pas eu connaissance de la page introductive sur la graphie.<br />

Des règles de lecture lacunaires, voire erronées<br />

L’examen attentif de cette page révèle en effet nombre de lacunes, d’approximations et même<br />

d’erreurs :


Jean <strong>Lafitte</strong> 224 Écriture du gascon<br />

Ces règles de lecture ne concernent que les graphèmes o, ò, a « dans les terminaisons », r final,<br />

v, ish ou sh, ch, lh et nh. Sont notamment omis ó, n final et th, généralement final; et dans une<br />

lettre publiée au Courrier des lecteurs du n° 89 de Mars-Avril 1982 mais restée sans suite, Éric<br />

Gonzalès regrettait l’absence de j valant /2/ ou /j/ selon les lieux, de u « accolé à une voyelle formant<br />

diphtongue » et valant /*/, de -ia se réduisant parfois à /i/ et du mot òc toujours prononcé /o/.<br />

– ce qui est dit de a « dans les terminaisons » concerne en fait le a posttonique, qui se rencontre<br />

dans le corps des mots composites comme les adverbes en -ment et les composés par soudure<br />

verbe + nom comme abusacaishaus; inversement, le a des proclitiques atones comme les articles<br />

era et la ou la préposition enta, bien qu’en « terminaison », n’est jamais « posttonique » et justiciable<br />

des prononciations indiquées; la prononciation [u] que l’on rencontre en Médoc est ignorée,<br />

alors que L’application… de 1952 (p. 144 ci-dessus et Annexe XIII) en faisait déjà mention;<br />

– dire que « r final est toujours muet » est faux et marque les lacunes des auteurs qui semblent<br />

n’avoir jamais rencontré que cor, lo car, la tor, lo tòr, l’abòr, esquèr, eslur etc. {il court, le char, la<br />

tour, le gel, l’automne, gauche, avalanche}; certes, la graphie classique que je propose note ces<br />

mots par -rr (voir p. 276), mais pas celle de l’I.E.O. enseignée par l’École;<br />

– relève d’un “à peu près” regrettable le fait de dire du v qu’« entre deux voyelles, on le prononce<br />

tantôt B, tantôt comme le W anglais. Ainsi suivant les régions, on dira : que cantabi ou que<br />

cantawi. » Cela donne l’impression que ce n’est qu’une affaire de « régions », alors que dans la<br />

vaste portion du domaine gascon où certains v intervocaliques se prononcent [w], un grand nombre<br />

d’autres se prononcent [.] comme dans alavetz, devarar, etc. {alors, descendre} (voir p. 253);<br />

– enfin, il est faux de dire que « CH se prononce TCH » : non seulement certains ch de la graphie<br />

I.E.O. se prononcent partout [#] (chivau, chapèu… {cheval, chapeau}) au point que nombre<br />

d’auteurs les notent aujourd’hui par sh, mais encore ce qui est [0] en certaines régions est [tj] dans<br />

d’autres et [#] simple dans une troisième série de régions (voir p. 263).<br />

Certes, tout cela devient bien compliqué et on risque d’effrayer l’usager; mais est-ce bien<br />

honnête de cacher ainsi la difficulté, si on en est conscient ? Et si on l’ignore, cela dénote alors une<br />

méconnaissance de la phonologie du gascon dans son ensemble, ce qui est bien triste pour la langue<br />

qu’on est censé enseigner avec la compétence voulue.<br />

Mais peu importe, comme en 1967, toute difficulté est écartée par un encadré qui barre toute<br />

la page :<br />

En résumé, l’ORTHOGRAPHE NORMALISÉE NE CHANGE EN RIEN VOTRE<br />

PRONONCIAION HABITUELLE.<br />

Heureux temps — en 1972 — où Robert Lafont pouvait écrire, après avoir fait passer<br />

l’épreuve d’occitan du Baccalauréat à Mende (1973, p. 38) :<br />

« ces interrogations étaient de bien curieux dialogues. Venaient vers nous, enseignants<br />

qui n’étions qu’auditeurs attentifs, des jeunes filles et des jeunes garçons capables<br />

de tout dire dans leur langue, qu’ils appelaient cependant “patois”. On n’avait qu’à les<br />

écouter, […]. Le dialectologue enregistrait en marge d’une feuille de notes tel trait phonétique<br />

mal connu. Le linguiste ou l’écrivain reconnaissaient un tour syntaxique d’une parfaite<br />

intelligence. […] Il fallait “ noter” cette matière humaine brute. Noter une langue que<br />

l’examiné connaissait quelquefois plus spontanément que l’examinateur. »<br />

D’étonnantes justifications du choix orthographique<br />

Les justifications du “pourquoi” de cette orthographe ne sont pas moins approximatives :


Jean <strong>Lafitte</strong> 225 Écriture du gascon<br />

« – PARCE QUE : Elle est adoptée par tous les Occitans (<strong>Gascon</strong>s, Limousins, Languedociens,<br />

Provençaux). Elle permet donc une lecture facile de textes écrits dans tous les dialectes. »<br />

Je renvoie à la p. 206 pour ce qu’il faut penser de la première assertion… Quant à la « lecture<br />

facile de textes écrits dans tous les dialectes », ce n’est vrai qu’à condition de n’avoir pas à la faire à<br />

haute voix; il suffit d’entendre un Languedocien lire du gascon et réciproquement.<br />

« – PARCE QUE : Elle permet de mieux mettre en lumière la parenté de notre langue avec les autres<br />

langues romanes (Français, Catalan, Italien, Espagnol, Portugais, Romanche et Roumain). »<br />

« mieux » que quoi ? je ne sais rien dire du lointain roumain; pour le romanche, qui n’est<br />

guère plus proche, je laisse le lecteur juge, à partir d’un court extrait d’un texte de Basse-Engadine<br />

publié dans P.N. n° 27, 11-12/1971, p. 4 :<br />

Romanche<br />

Cun stainta e fadia til esa<br />

eir quist on darcheu reuschi da<br />

rablar nan ils raps per pajar il<br />

fit ch’el es debit al patrun, chi<br />

sta in ün cumün plü grond.<br />

<strong>Gascon</strong> graphie classique<br />

Qu’ei dab pena e esfòrç<br />

que s’i ei escadut augan enqüèra<br />

a aplegar los sòus ta pagar<br />

lo loguèr qui deu au propietàri,<br />

qui s’està en un vilatge<br />

mei gran.<br />

Français<br />

C’est avec peine et effort<br />

qu’il a réussi cette année encore<br />

à réunir l’argent pour<br />

payer le loyer qu’il doit au<br />

propriétaire qui demeure dans<br />

un plus gros village.<br />

Pour le reste, si prononcer [u] ce qui est écrit o rapproche un peu du portugais et du catalan,<br />

l’« Occitan » qui voudra lire un texte de ces langues se ridiculisera s’il ne les a pas apprises spécialement;<br />

et l’on s’éloigne du français, de l’italien, de l’espagnol; et écrire sh ce qui se prononce [#]<br />

ne rapproche que de l’anglais, alors que c’est x qu’emploient le portugais, le catalan et l’ancien castillan.<br />

Quant à se lire entre langues d’oc, la première strophe de Mireio montre vite que les différence<br />

de vocabulaire, de mots grammaticaux et de formes verbales sont un tout autre obstacle que<br />

celles de la graphie. Et le <strong>Gascon</strong> qui voudra lire Mireio à haute voix fera bien moins de fautes à<br />

partir de la graphie mistralienne qu’à partir de la classique, qu’il risque fort de lire à la gasconne !<br />

Provençal graphie de Mistral<br />

Cante uno chato de Prouvènço.<br />

Dins lis amour de sa jouvènço,<br />

A travès de la Crau, vers la mar, dins li bla,<br />

Umble escoulan dóu grand Oumèro,<br />

Iéu la vole segui. Coum èro<br />

Rèn qu’uno chato de la terro,<br />

En foro de la Crau se n’es gaire parla.<br />

Provençal graphie classique I.E.O.<br />

Cante una chata de Provènça.<br />

Dins lis amors de sa jovènça,<br />

A travèrs de la Crau, vers la mar, dins li blats,<br />

Umble escolan dau grand Omèr,<br />

Ieu la vole seguir. Com èra<br />

Rèn qu’una chata de la tèrra,<br />

En fòra de la Crau se n’es gaire parlat.<br />

<strong>Gascon</strong> graphie fébusienne<br />

Que canti ue gouyate de Proubence.<br />

Dens las amous de sa joenesse,<br />

Capbat la Crau, de cap a la ma, dens lous blats,<br />

Umiu escoulâ dou gran Oumère,<br />

Que la bouy segui. Coum ère<br />

Sounqu’ ue gouyate de la terre,<br />

En hore de la Crau nou se n’es goayre parlat.<br />

<strong>Gascon</strong> graphie classique I.E.O.<br />

Que canti ua gojata de Provença.<br />

Dens las amors de sa joenessa,<br />

Capvath la Crau, de cap a la mar, dens los blats,<br />

Umiu escolan deu gran Omèr,<br />

Que la voi seguir. Com èra<br />

Sonqu’ ua gojata de la tèrra,<br />

En hòra de la Crau non se n’es guaire parlat.<br />

Français – Je chante une jeune fille de Provence. / Dans les amours de sa jeunesse, / À travers la<br />

Crau, vers la mer, dans les blés, / Humble écolier du grand Homère, / Je veux la suivre. Comme ce<br />

n’était / Rien qu’une fille de la terre, / En dehors de la Crau on en a peu parlé.<br />

« – PARCE QUE : Elle met mieux en lumière les origines latines de nos mots. »<br />

Ici encore, « mieux » que quoi ? quand les Félibres écrivent jeta, cantabe, l’I.E.O. écrit getar,


Jean <strong>Lafitte</strong> 226 Écriture du gascon<br />

cantava; qui est le plus proche des latins ‘jactare’, ‘cantabat’ ? tous écrivent qualitat et car, aucun<br />

n’est plus proche des latins ‘qualitatem’ et ‘quare’; et les français sept, vingt, pharmacie sont plus<br />

proches des latins ‘septem’, ‘viginti’ et ‘pharmacia’ que les sèt, vint et farmacie/a des Félibres et<br />

occitanistes. Au demeurant, le second principe de la graphie de l’I.E.O. est la notation phonétique<br />

des mots de formation populaire, ce que semblent ignorer les auteurs de ce document; Alibert luimême<br />

n’a jamais invoqué ce genre d’argument en faveur de sa graphie… Et à supposer qu’une graphie<br />

quelconque révèle mieux qu’une autre les racines latines, quelle peut en être l’utilité pour la<br />

masse des locuteurs et scripteurs qui ne savent à peu près rien du latin ?<br />

« – PARCE QUE : Elle correspond à l’orthographe dont se servaient les Anciens, à l’époque où notre<br />

langue s’écrivait journellement. »<br />

D’un enfant, on dirait que c’est « un gros mensonge ». Cette anthologie présente en effet quatre<br />

textes médiévaux dans leur graphie d’origine, encore qu’une comparaison avec des éditions<br />

scientifiques décèle des erreurs, comme *conte, *era, * Begorra, *soos, *non pour comte, ere, Begorre,<br />

ssons, no sur les seules cinq premières lignes du For d’Oloron. Or ces quatre textes ont tous<br />

été doublés de leur transcription en graphie “classique” de l’I.E.O. dite en l’occurrence<br />

« moderne » ! Le mot Foo lui-même, qui atteste déjà de l’amuïssement du -r étymologique, est<br />

transcrit For. Et l’on oublie évidemment de dire que les graphies d’origine correspondaient à des<br />

prononciations du temps, que o était /o/ et non /u/ comme aujourd’hui…<br />

Un choix idéologique, sans référence pédagogique<br />

De tout cela, je pense pouvoir conclure que ces enseignants-militants d’Orthez ont avant tout<br />

adhéré à l’idéologie occitaniste : « l’Occitanie est une réalité historique remontant au Moyen âge,<br />

fondée sur une langue commune partagée avec les Catalans; elle a été conquise et mise sous le boisseau<br />

par la prétendue croisade albigeoise et la langue, interdite par l’Ordonnance de Villers-<br />

Cotterêts de 1539, s’est alors éparpillée en une multitude de dialectes et parlers locaux. »<br />

Cependant, « L’important n’est pas tellement que l’Occitanie ait existé ou non dans le passé.<br />

L’Occitanie est pour demain : tel est l’important. Et cela est une question de volonté. » (Michel<br />

Grosclaude, Réponse à notre ami Piquemal, P.N. n° 54, 7-8/1976, p. 13).<br />

Et en adoptant une graphie unifiée, on occulterait grandement la dispersion dialectale; en la<br />

fondant sur la graphie des troubadours, donc d’avant la conquête française, on rendrait à la langue<br />

sa dignité perdue.<br />

Dans tout cela, aucune approche historique sérieuse, aucune analyse appropriée de la phonologie<br />

du gascon, aucune référence aux travaux contemporains sur les systèmes d’écriture. Comme<br />

pour le dogme de l’unicité de la langue d’oc (p. 26), on est dans l’idéologie, une foi quasi religieuse,<br />

loin de toute recherche pédagogique et linguistique. Et le document de 1972, préparé par les<br />

mêmes enseignants, reflète rigoureusement cette idéologie, avec la circonstance aggravante qu’il est<br />

un document officiel de l’Éducation nationale 29 .<br />

Par la suite, la revue de Per noste continuera à rappeler les règles de lecture ci-dessus, mais<br />

avec quelques changements, dont certains s’expliquent bien mal :<br />

29 On devait faire mieux en 1974 : une note de l’Inspecteur d’Académie des Pyrénées-Atlantiques, publiée au Bulletin<br />

officiel de l’Enseignement du premier degré des Pyrénées-Atlantiques d’octobre, rappelait les dispositions de la loi<br />

Deixonne et commentait « Dans les Pyrénées-Atlantiques il y a deux langues régionales : le Basque et l’Occitan<br />

(<strong>Gascon</strong>). Il est donc rappelé aux maîtres de l’une ou l’autre des ethnies qu’ils doivent appliquer les instructions ministérielles<br />

etc. ». Il est vrai que ce texte avait été préparé par les occitanistes d’Orthez… (Cité par P.N. n° 45, p. 10).


Jean <strong>Lafitte</strong> 227 Écriture du gascon<br />

– la prononciation /o/ du a posttonique disparaitra curieusement à partir du n° 102 de Mai-<br />

Juin 1984, pour réapparaitre avec le n° 166 de Janvier-Février 1995, tandis que disparait la prononciation<br />

/a/ : « […] ne se prononce jamais franchement [a], mais [œ], [o] faible (selon l’accent particulier<br />

de votre région). ».<br />

– le ch ne sera plus mentionné à partir du n° 102 de Mai-Juin 1984;<br />

– le ó n’apparaitra que très tardivement, à partir du n° 166 de Janvier-Février 1995.<br />

Enfin, tout rappel des règles de lecture a disparu depuis le n° 180 de Mai-Juin 1997. Ainsi,<br />

alors que la langue se parle de moins en moins et que les références orales disparaissent, tout se<br />

passe donc comme si les dirigeants de Per noste estimaient que la graphie classique est lue sans<br />

problème par tous les lecteurs de la revue. On en a encore confirmation dans le fait que le nouveau<br />

dictionnaire de G. Narioo et autres n’y consacre pas une ligne (cf. p. 186). Cela dénote un décrochage<br />

total de la réalité de l’enseignement, qu’explique peut-être le fait qu’il n’y a plus guère<br />

d’enseignants actifs parmi ces dirigeants. Mais les limites des hommes n’expliquent pas tout.<br />

II – Les défauts congénitaux de la graphie classique de l’I.E.O.<br />

Le système classique porte en effet en lui-même bien des raisons de son échec. La plus grave,<br />

et irréparable, c’est l’erreur historique qui a cru voir dans les graphies médiévales la bonne façon<br />

d’écrire une langue réputée n’avoir guère changée depuis des siècles; la seconde, c’est l’illusion que<br />

ce qui était bon pour le languedocien le serait pour les autres langues d’oc, et en particulier le gascon,<br />

même si ces langues étaient mal connues des Languedociens, Alibert en tête.<br />

L’erreur de linguistique diachronique<br />

« En tant que linguistique d’une langue particulière, la linguistique occitane fait<br />

usage des principes et des concepts qui lui sont fournis par la linguistique générale. Si donc<br />

nous tombons dans la littérature scientifique concernant l’occitan sur un énoncé qui<br />

contredit ces principes, nous devrons le tenir pour hautement suspect. Par exemple, P. Bec<br />

écrit qu’à partir du 16e siècle “la langue se maintient [...] sans évoluer sensiblement” (La<br />

Langue occitane, 1995, 89), mais la linguistique générale indique que l’évolution est un<br />

universel. Si toutes les langues évoluent, la langue occitane ne peut avoir la propriété merveilleuse<br />

de se maintenir. » (J.-P. Chambon, 2003, p. 3).<br />

Or la “renaissance” occitane du XIX e s. a été d’abord un enfant du Romantisme qui, découvrant<br />

la poésie lyrique des Troubadours, voulut y voir la “Langue d’oc” éternelle dans sa pureté et<br />

même son unité originelle qu’il faudrait rétablir. Et des “érudits” de terrain entendirent écrire désormais<br />

la langue moderne dans la “graphie des Troubadours”, et rendre ainsi à la langue “sa dignité”.<br />

Les études linguistiques conduites depuis ont montré l’erreur de ces prémisses, comme le résumait<br />

le Pr. H. Gavel (1942, p. 4), alors Président d’honneur de la S.E.O. (cf. p. 141) :<br />

« D’autre part, (bien que quelques-uns semblent croire le contraire), la prononciation<br />

de la langue d’oc a notablement changé, dans l’ensemble du Midi, depuis le temps de la<br />

grande floraison lyrique. Si les grands troubadours du XII e siècle revenaient parmi nous il<br />

leur faudrait certainement un certain temps, plusieurs jours au moins, quelques semaines<br />

(suivant les régions) pour arriver à la compréhension aisée de la conversation courante.<br />

C’est là encore un point qu’il ne faut pas perdre de vue. »<br />

Concrètement, nous avons l’exemple du long processus qui, du XIII e au XVI e ou XVII e s., en<br />

oc comme en oïl, a fait passer les o fermés romans à /u/, entrainant l’apparition simultanée de graphies<br />

en ou dans les deux ensembles romans de la France (pour le gascon, voir p. 103 et <strong>Lafitte</strong>,<br />

2003-3); ou encore de la prononciation du a étymologique posttonique demeurée en /a/ dans l’est


Jean <strong>Lafitte</strong> 228 Écriture du gascon<br />

du Béarn au XVI e s. alors qu’elle est aujourd’hui en /o/ (p. 110).<br />

Quant à la graphie, nous avons vu p. 99 qu’il n’y avait jamais eu de “graphie des Troubadours”,<br />

ce qu’affirme aussi avec force J.-P. Chambon (2003, p. 3) :<br />

« Très rapidement dit : l’occitan est aujourd’hui et a toujours été à toutes les étapes<br />

de son histoire une langue dialectale, non standardisée, sans système graphique unifié,<br />

[…]. »<br />

Dès lors, la remise en usage de la graphie médiévale par les occitanistes de Toulouse était une<br />

chimère, selon le jugement sévère d’Albert Dauzat (1955, p. 337) :<br />

« Toulouse pouvait refaire l’œuvre d’Avignon [imposer sa langue littéraire au Midi,<br />

comme le toscan de Dante à l’Italie, ce qu’Avignon de Mistral n’avait pas réussi] et opposer,<br />

comme dans la Grèce antique, dialecte à dialecte; son école a préféré poursuivre la<br />

chimère d’une unité irréalisable en masquant le morcellement dialectal sous une orthographe<br />

médiévale. Par là, on éloignait le peuple de la littérature félibréenne en la rendant difficile<br />

à lire. On l’a éloignée encore davantage en s’écartant de la langue vivante : plus les<br />

parlers ruraux s’altèrent et s’imprègnent de français, plus les poètes occitan, par réaction,<br />

remontent aux sources historiques de la langue et donnent dans l’archaïsme. »<br />

Linguiste occitaniste lucide, Roger Teulat (2001-1, p. 6) en convient :<br />

la graphie classique est fondée « sur les cogitations de quelques érudits d’avant 1950, un<br />

temps où l’on s’attachait davantage à l’éminence du latin qu’au fonctionnement synchronique<br />

de la langue. »<br />

« Le tort qu’a eu Alibert est de ne pas avoir étudié davantage la langue ancienne et sa<br />

transformation progressive dans la langue d’aujourd’hui : là est la véritable référence pour<br />

la graphie et pour la langue. » (2001-2, p. 189).<br />

Moins avisé, ou plus idéologue, M. Grosclaude (1993, p. 788) arrête le temps au XVI e s. et<br />

écrit « que la bonne graphie béarnaise est […] maison, et que, tout au contraire, meyzou est une graphie<br />

francisée »; or aucune règle de lecture classique ne permet de lire [e"] sous la graphie ai, et ce<br />

qui était noté -on ou -oo au Moyen âge se prononçait encore [(] à la fin du XVI e s. (cf. p. 112), de<br />

telle sorte que le passage ultérieur à [u] appelait naturellement une autre graphie sans qu’elle fût<br />

pour autant « succursaliste du français » (ib. p. 787). Or le même auteur critique justement cette façon<br />

d’arrêter le temps dans les textes juridiques et administratifs béarnais du XVIII e s. : « refus<br />

d’accepter l’évolution de la langue parlée […] les juristes et notables [étant] convaincus que<br />

c’étaient eux qui écrivaient la véritable langue » (ib. p. 788).<br />

C’est donc sur la base d’une vision scientifiquement erronée de l’ancienne langue que s’est<br />

fondée la graphie classique, imposant à l’écrit d’oc des contraintes inacceptables en pratique et qui<br />

réservent cet écrit à une poignée de professeurs. Mais à cela, il n’y a pas de remède, car renoncer à<br />

cette erreur et tenir compte de l’évolution réelle de la langue et de celle de la graphie qui a suivi,<br />

c’est adopter une graphie moderne, donc passer tout de suite au chapitre IV!<br />

L’erreur de linguistique diatopique<br />

Mais en restant dans le système classique, force est de constater qu’il est aussi établi sur l’idée<br />

que l’on peut habiller toutes les variétés d’oc avec le vêtement taillé pour le languedocien<br />

qu’Alibert appelait « central », celui de sa petite région de l’Aude (1935, 1976, p. XX); avec aussi<br />

l’idée qu’en adoptant une forme archaïque supposée mère des formes actuelles différentes, elle<br />

conviendra pour représenter toutes ces formes dans un écrit unifié (principe D. de La Réforme… de<br />

1950 que nous étudierons bientôt, p. 236).


Jean <strong>Lafitte</strong> 229 Écriture du gascon<br />

Or à part la filiation latine, il est bien hasardeux de penser qu’une forme ancienne — essentiellement<br />

“centrale” — est à l’origine de toutes les formes actuellement vivantes en oc. Et encore<br />

plus de croire qu’on pourra retrouver le parler vivant sous cet habit.<br />

François Fontan (1929-1979), fondateur du Parti nationaliste occitan, le contestait dès son<br />

opuscule de 1969 (réédition 2002, p. 19); la graphie d’Alibert et de l’I.E.O. était pour lui :<br />

« une graphie étymologique plus conforme au dialecte languedocien que la graphie mistralienne,<br />

mais difficile, catalanisante et inacceptable pour l’ensemble de l’Occitanie. »<br />

Mais les promoteurs de la graphie classique occitane n’en ont cure, car c’est une idéologie<br />

extra-linguistique qui les guide; c’est ainsi que pour justifier les graphies classiques du XX e s. « sor,<br />

son et só (et non sol) » avec des consonnes finales que Salette écartait (cf. p. 113), R. Lafont (1983-<br />

1, p. 381) a pu écrire :<br />

« …pour nous, — autre situation d’histoire — le béarnais, sans cesser d’être béarnais,<br />

s’inscrit idéologiquement dans l’espace occitan. Pour A. de Salette, il est territorialisé<br />

par le pouvoir navarrais. »<br />

Or sur un plan plus général, selon le constat dressé par E. Jung, une telle attitude condamnait<br />

à l’échec la Réforme linguistique occitane :<br />

« Seules ont réussi, et se sont imposées sans malaise, les réformes à objet limité, qui<br />

ne recherchaient pas de but supra-orthographique, comme l’unification d’un groupe de parlers<br />

[…] » (in Nina Catach, 1974, p. 110, cité par Nina Catach, 1978, p. 90).<br />

Le résultat : une graphie inutilement compliquée<br />

Toutes ces erreurs idéologiques aboutissent en fait à une graphie archaïsante, voire pédante,<br />

dont l’usage suppose une vaste culture linguistique bien au-dessus des moyens de la masse des locuteurs.<br />

C’est ce qu’exprime remarquablement J. Sibille (2000-1, p. 20) :<br />

« On peut dire que la graphie normalisée note ce que Pierre Bec, à la suie de Weinreich, a<br />

appelé un dia-système et que l’apprentissage de cette graphie suppose l’apprentissage de ce<br />

dia-système. »<br />

Tout un programme ! en voici une illustration concrète, avec une entrée du Dic. d’Alibert<br />

« espitlòri, m. Pilori; désordre […] Étym. inconnue, peut-être occitan. » Mistral écrit pelòri, pilòri<br />

ou pilouri tout en rappelant les formes romanes espilori, espitlori et pilloret. Selon le Dictionnaire<br />

historique d’Alain Rey (1992), le français a connu pilori (1165) et aussi pellori (1168), avec comme<br />

étymon possible pila, toutes les autres hypothèses ayant été réfutées par Wartburg. Alibert affiche<br />

ici l’attrait qu’il éprouvait pour l’inutilement savant et le compliqué qui, en l’occurrence n’est<br />

même pas catalan : en présence d’un mot d’étymon inconnu, qui d’ailleurs semble se prononcer<br />

avec -l- simple dans tous les parlers d’oc, il choisit une ancienne graphie qui suppose un étymon en<br />

“*-tulorium” qu’aucun linguiste ne semble avoir cautionné. Alors que le français, à la « graphie archaïque,<br />

forgée par des pédants » selon J. Taupiac (cf. p. 210), écrit tout simplement pilori. De<br />

même, quand l’occitan d’Alibert écrit setmana, temptar, ròtle, practica… ce qui se prononce partout<br />

[se'm[m]ano/œ, ten'ta, 'r%lle, pra'tiko/œ], le français, écrit semaine, tenter, rôle, pratique…,<br />

sans aucune consonne étymologique amuïe et inutile…<br />

Certes, L’application… de 1952 (p. 144 ci-dessus) a fait du gascon un privilégié parmi les<br />

langues d’oc, car aucune autre n’a eu droit à un semblable “document de l’I.E.O.” Mais au lieu<br />

d’essayer d’en tirer tout le profit possible pour respecter les particularités de leur langue, bien des<br />

occitanistes gascons ont sacrifié celle-ci à la lettre de formes languedociennes : pour ne pas être


Jean <strong>Lafitte</strong> 230 Écriture du gascon<br />

“succursaliste” du français, selon le reproche fait à la graphie moderne, la graphie classique occitaniste<br />

s’est faite “succursaliste” de l’occitan, sacrifiant parfois la phonologie gasconne.<br />

Je n’en donnerai ici qu’un exemple, l’emploi de ai par Joël Miró dans l’édition du Dictionnaire<br />

d’Arnaudin (cf. p. 179) : en position tonique, cela correspond toujours à un ay d’Arnaudin,<br />

donc /a"/; mais sur les 80 occurrences que j’ai recensées en position atone (pas toujours prétonique,<br />

comme aiguichut, mainatgèr), 50 correspondent à ey /e"/ d’Arnaudin, dont 24 pour les seules familles<br />

de aiga, aisa, mainat et mair, et dont 10 comportent une variante d’Arnaudin en ay (éyda / aidar<br />

et ayda / aidar; léyroun / lairon et layroun / lairon etc.); 20 autres enfin correspondent à ay /a"/<br />

d’Arnaudin, sans variante en ey. Et là-dessus, J. Miró a admis pour deux mots réalisés en /e"/ la variante<br />

“locale” en ei (airiau / eiriau et guaitar / güeitar), sans dire pourquoi il n’en a pas fait autant<br />

pour les 48 autres. Il n’y a donc aucune règle qui permette de lire à coup sûr ces graphies classiques,<br />

alors que le système admet parfaitement que ce qui s’écrit ai talent {j’ai faim} en languedocien<br />

s’écrive qu’èi hami en gascon.<br />

De la même veine, je citerai la commune d’Eysines dont le nom s’écrivait Ayzinas en 1322<br />

(Livre des Bouillons de Bordeaux, p. 452) et que R. Darrigrand, d’ordinaire si sage, a notée<br />

*Aisinas dans un extrait de Mèste Verdié (1969-1, p. 36); mais on lit Eisinas dans l’édition I.E.O.<br />

de 1979 de Mèste Verdièr (Collection A tots), manifestement préparée par des Girondins.<br />

… et où l’on ne retrouve plus la parole<br />

Ces exemples parmi tant d’autres montrent combien il peut être difficile de retrouver la prononciation<br />

vivante sous des graphies encombrées de lettres muettes ou aussi ambivalentes, alors que<br />

les élèves n’entendent pratiquement plus parler gascon en dehors de la classe, et que les maitres qui<br />

l’ont appris eux-mêmes dans les livres ont rarement l’occasion d’écouter les locuteurs naturels.<br />

Pourtant, nous savons que dans les lycées, l’enseignement « visera, au premier chef, à une<br />

compréhension et une pratique correctes de la langue vivante sous sa forme usuelle locale. » (Arrêté<br />

ministériel du 15 avril 1988; cf. p. 196); et plus généralement, « L’enseignement des langues et<br />

cultures régionales favorise la continuité entre l’environnement familial et social et le système éducatif,<br />

contribuant à l’intégration de chacun dans le tissu social de proximité. » (Circulaire n° 2001-<br />

166 du 5 septembre 2001).<br />

Et c’est bien la conservation du gascon parlé qui préoccupe les vrais défenseurs de la langue;<br />

d’où l’interrogation que m’adressait Roger Lapassade dans une lettre du 21 juillet 1996 :<br />

« Comment conserver une prononciation séculaire avec une graphie normalisée ? Tu<br />

le sais ? »<br />

Même souci chez le grammairien occitaniste Ramon Chatbèrt (1983, p. 169), à qui l’on doit la<br />

révision de la Gramatica d’Alibert de 1935 en vue de son édition de 1976 :<br />

« Moi, je trouve bien commode de me référer à des auteurs qui emploient — ou ont<br />

employé à un moment donné — une graphie patoisante : comme ça, on sait comment ils<br />

prononcent, eux. »<br />

A contrario, rendant compte du livre de Joan-Pèire Baldit Les parlers creusois (I.E.O. &<br />

F.O.L. de Creuse, 1980, 43 pp.), un certain Carles Delalenga faisait la remarque suivante à propos<br />

de l’adaptation des règles orthographiques [occitanes] aux « parlers nordiques » :<br />

« Ici, cependant, nous sommes bien forcés de constater (et Baldit n’y est pour rien)<br />

que les règles alibertines ne se plient pas du tout à la réalité du nord-occitan, et du marchois<br />

encore moins ! Pour preuve les exemples qu’il cite : “aiga”, “paire”, “chamin”,


Jean <strong>Lafitte</strong> 231 Écriture du gascon<br />

“plaça”, “laissar”, “eu estàia” (lang. : èra), “eu aimerà”, et qui se prononcent : èg (ou èdj),<br />

pèr, shmin (avec nasale), piaç, iessà, ò etai, ò eimër.<br />

« Le problème est plus grave qu’il ne semble : les Auvergnats, Limousins et Marchois,<br />

quand ils écrivent, changent de dialecte en adoptant une norme sud-occitane. Il serait<br />

plus clair de le dire en toutes lettres, plutôt que d’essayer de faire croire que “chacun doit<br />

prononcer selon son parler coutumier” : cela ne se peut pas.<br />

« Il semble pourtant que le respect des règles essentielles de l’orthographe “normalisée”<br />

pourrait s’accompagner du respect des caractéristiques phonétiques de base des parlers<br />

nord-occitans. Cela ne plairait pas aux centralistes languedociens (et il y en a !), mais<br />

aiderait grandement à la renaissance occitane dans des pays où le culte de la norme sudiste<br />

l’a un peu entravée jusqu’ici. Il s’agit simplement de trouver le point d’équilibre entre<br />

l’affirmation de l’unité de la langue et le respect des dialectes » (Aicí e ara, n° 9, novembre<br />

1980, p. 60).<br />

Tout récemment, l’occitaniste provençal Alain Barthélémy-Vigouroux allait dans le même<br />

sens en présentant la réédition du Dictionnaire de base français-provençal du C.R.E.O.-Provence<br />

(Comité régional des enseignants d’occitan de Provence), dans Aquò d’Aquí n° 179, Novembre<br />

2004, p. 7 :<br />

« Les solutions les moins réalistes de la graphie classique la plus centralisée ont été<br />

atténuées en donnant aussi, soit la transcription phonétique (pour persègui, par exemple, ou<br />

pour les mots qui commencent par o prononcé ow, olive, ofrir, ocupar…) soit la forme<br />

écrite la plus proche de la prononciation (emé pour ambé), soit les deux formes (cafir/clafir),<br />

comme cela s’est fait aussi pour le e de soutien, maintenant enfin systémaquement<br />

noté entre crochets (facil[e]).<br />

« Souhaitons que la pratique orthographique continue sur ce bon chemin : il n’est pas<br />

évident pour tous les utilisateurs de dictionnaires, même un peu avisés de la graphie classique,<br />

que le suffixe -ion se dise majoritairement -ien, que le c de doctor doive se vocaliser<br />

en w, comme le b de obtenir, mais pas celui d’absolut, que le c de acte disparaisse mais<br />

que le x de exemple donne un son y, que espotir ait besoin d’un w invisible, et que le n<br />

simple de enuei nasalise pourtant la voyelle qui précède… »<br />

Et dans une démarche comparable à celle que je proposerai dans le prochain chapitre, ce critique<br />

use dans sa propre graphie de formes classiques qui s’écartent du “standard” occitaniste, généralement<br />

pour mieux serrer la prononciation provençale; par exemple :<br />

• refus du -z- intervocalique : centralisada pour centralizada;<br />

• consonnes muettes éliminées : dicionari, òugetiu, trata, adatat, pratica, restritivament, trascricien<br />

pour diccionari, objectiu, tracta, adaptat, practica, restrictivament, transcripcion;<br />

• voyelles muettes éliminées : correspondènci pour correspondència;<br />

• consonnes mises en accord avec la prononciation réelle : avans, òublige, eisèmple, espressiens,<br />

eisiston, òubragi pour abans, obligue, exemple, expressions, exist(iss)on; obratge;<br />

• voyelles mises en accord avec la prononciation réelle : edicien, trascricien; grafié, tipografié;<br />

òutìs, lòugierament, òubragi, òugetiu pour edicion, transcripcion; grafia, tipografia; otís, leugièrament,<br />

obratge, objectiu;<br />

• mots eux-mêmes choisis dans la langue parlée : em’, pajas, imagi, diversifiats pour amb, paginas,<br />

imatge, diversificats.<br />

Enfin, au plan lexicographique, il émet un vœu qui rejoint ma pratique, suggérée par l’éditeur,<br />

dans ma réédition 1998 du Dictionnaire béarnais ancien et moderne de Vastin Lespy, et que je mets<br />

encore en œuvre dans l’échantillon de dictionnaire orthographique en Annexe XXIII :<br />

« Souhaitons aussi de façon encore plus pressante que tout outil de cette diffusion et<br />

de cette qualité s’oblige à l’avenir à inclure les deux graphies de l’occitan moderne, la classique<br />

comme la mistralienne, en donnant certes la primauté à l’une ou l’autre selon le<br />

choix de l’auteur du livre, mais en reconnaissant que tout usager de la langue tant soit peu<br />

cultivé a besoin de se référer alternativement à l’une comme à l’autre. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 232 Écriture du gascon<br />

Pour revenir à la graphie elle-même, ces tendances ne sont pas particulières au domaine d’oc;<br />

ainsi, les linguistes Claire Fondet et Fabrice Jejcic présentent leur édition des écrits en dialecte d’oïl<br />

d’Eure-et-Loir de Robert Dablin (1913-1995) par cette phrase qui en dit long :<br />

« Passionné d’archives, il a mis au point ce que l’on peut appeler une “dialectalisation<br />

graphique”, c’est à dire une façon de faire passer l’oral dans l’écrit, de manière à<br />

transmettre cet oral à ceux qui veulent s’en souvenir et à ceux qui n’ont pu l’entendre. »<br />

Un test : deux œuvres des années 1930 rééditées en graphie classique<br />

On sait que que l’annexe de l’Arrêté ministériel du 15 avril 1988 (cf. p. 196) prescrit de<br />

« respecter strictement la graphie d’origine » des textes étudiés dans les lycées, tant par égard envers<br />

les auteurs eux-mêmes que pour informer les élèves sur les systèmes graphiques autres que celui<br />

qu’a choisi leur professeur. Ce n’est donc pas sans quelque étonnement que l’on a vu des enseignants<br />

transcrire et publier en graphie classique des œuvres écrites à l’origine en graphie moderne.<br />

Tel fut le cas en 1991 du drame de Miquèu de Camelat Gastou Febus, devenu Gaston Febus sous la<br />

plume de J. Salles-Loustau, et en 1999, des Fables gasconnes du Chanoine Césaire Daugé, sous la<br />

celle de P. Guilhemjoan aidé par G. Narioo.<br />

Certes, pour ces deux rééditions, rien dans la présentation ni dans les textes introductifs ne dit<br />

qu’elles sont destinées à l’enseignement, ce qui contreviendrait formellement aux dispositions règlementaires<br />

qui s’imposent aux fonctionnaires de l’Éducation nationale. Mais comme la version<br />

d’origine de ces œuvres n’est plus disponible depuis longtemps, on peut avoir des doutes.<br />

Quoi qu’il en soit, j’ai été tenté de les rapprocher des œuvres originales, pour m’assurer que la<br />

graphie classique avait bien respecté la langue des auteurs; hélas, j’ai dû vite déchanter. Le détail de<br />

mes constatations figure en Annexe XVIII. Les infidélités par rapport à la langue des auteurs, euxmêmes<br />

considérés comme témoins de la langue vivante de leur temps, me paraissent confirmer ce<br />

qu’écrivait naguère le linguiste R. Teulat (2004) :<br />

« La démonstration est faite : les praticiens ne savent pas graphier les formes populaires<br />

qui sont la langue vivante. » (p. 88).<br />

Et encore : « les linguistes (véritables) font peu de cas en général des textes modernes<br />

écrits en occitan. Ils cherchent à cerner la langue authentique, la langue vivante, et ils ne la<br />

trouvent pas dans la façon dont elle est graphiée. » (p. 86).<br />

Objectivement, la graphie moderne s’impose<br />

Me revient alors à l’esprit l’exhortation récente de G. Narioo à « lire les bonnes œuvres que<br />

nous a laissées le Félibrige, qui a su produire des trésors. » (cf. p. 73). Or ces œuvres ont été écrites<br />

en une graphie moderne qui reflète bien la langue parlée et l’Éducation nationale prescrit de les lire<br />

dans leur graphie d’origine. Plus facile à apprendre dans une société francophone, largement représentée<br />

par des œuvres de valeur écrites par des gasconophones de naissance, elle s’impose à qui<br />

veut aujourd’hui apprendre ou enseigner le gascon. Il reste à rééditer fidèlement les bons auteurs; ça<br />

ne coutera que quelques notes pour éclaircir les points douteux ou les graphies parfois incohérentes,<br />

et même les « linguistes (véritables) » seront ravis d’en disposer.<br />

Mais tant qu’un nombre important de maitres auront choisi la graphie classique comme base<br />

de leur enseignement, il faudra bien la rendre plus apte à la transmission fidèle de la langue aux<br />

jeunes générations. Tel est l’objet du chapitre suivant.


Chapitre IV<br />

Pour une graphie “classique” vraiment gasconne<br />

« L’écriture est la peinture de la<br />

voix : plus elle est ressemblante,<br />

meilleure elle est. »<br />

Voltaire, Dictionnaire philosophique,<br />

v° orthographe.<br />

Même s’il est faux de dire que la graphie classique a été « adoptée par la grande majorité des<br />

Occitans » (cf. p. 206), c’est un fait qu’elle est quasi exclusivement utilisée dans l’enseignement,<br />

sans doute sous la pression d’une hiérarchie acquise aux idées occitanistes et qui semble ignorer la<br />

liberté pédagogique accordée aux maitres par les textes officiels (cf. p. 196). Or une saine pédagogie<br />

ne peut se contenter d’un outil aussi mal adapté que cette graphie telle qu’elle est pratiquée;<br />

j’entends donc proposer quelques améliorations pour rendre cette graphie plus fidèle au gascon et<br />

moins difficile à enseigner.<br />

Une fois écartées toutes les causes extrinsèques au système, comme le fait que les textes qui le<br />

définissent sont perdus de vue, il convient maintenant de déterminer les causes intrinsèques des difficultés<br />

rencontrées, tant dans les principes généraux que dans les règles d’application, voire dans la<br />

graphie habituelle de certains mots.<br />

I – Comprendre et réviser les principes classiques<br />

On a vu p. 143 que La réforme… de 1950 s’ouvrait par huit principes de graphie, A à H, que<br />

L’application… de 1952 a déclarés applicables au gascon. Si La réforme… reprend sans grand<br />

changement l’essentiel de la première partie de la Gramatica languedocienne d’Alibert de 1935,<br />

celle-ci n’énonce, en substance, que le principe B, dans les Remarcas qui suivent l’alphabet : notation<br />

étymologique des mots savants, sauf à procéder à quelques simplifications, et notation phonétique<br />

des mots populaires, sauf « quelques concessions à la langue ancienne » (sans toutefois dire<br />

lesquelles, ni par liste, ni par norme…). En revanche, les sept autres principes ont été rédigés spécialement<br />

pour La réforme… Or Alibert ne devait pas être dans une parfaite santé de corps et<br />

d’esprit à l’issue de son incarcération d’après la Libération, de telle sorte que la rédaction de ces<br />

prinicpes n’est pas d’une extrême clarté ni cohérence et surtout, ils sont mal coordonnés entre eux.<br />

Mais avant d’en aborder l’étude critique, il me parait important d’observer que ces principes<br />

ne sont pas destinés à l’écrivain, gascon ou occitan, qui ne peut se satisfaire d’une langue « dans la<br />

logique d’Alibert, dans la forme do it yourself. Le public, il lui faut du ready made. » Patric Sauzet<br />

(1990, p. 35). Ainsi, quand le principe B oppose les mots de formation populaire aux mots savants,<br />

il fait appel à une notion étrangère à l’utilisateur ordinaire de la langue, comme l’écrivit R. Teulat :<br />

« la langue fonctionnant en synchronie, le locuteur moyen ne sait pas si un mot est<br />

populaire ou savant. » (Q.L.O. n° 1, juin 1974, p. 35); et encore, « il ne sait pas faire la distinction<br />

parce qu’elle n’est pas dans le fonctionnement [de la langue]; il y a deux verbes<br />

[espia]; seule la convention orthographique (à fondement historique ici), distingue expiar<br />

et espiar. » (1982, p. 52).<br />

Sans compter les mots intermédiaires, de formation “semi-savante”, comme exemple cité par<br />

Teulat, dont cette graphie ne peut valoir pour rendre le provençal [e"'z!mple].


Jean <strong>Lafitte</strong> 234 Écriture du gascon<br />

C’est donc aux grammairiens et lexicographes de bien comprendre ces principes et de les appliquer.<br />

Je vais m’y essayer en donnant d’abord un bref commentaire de chacun d’eux, justifiant<br />

éventuellement la nouvelle rédaction que j’en propose, puis celle-ci en synopse avec le texte<br />

d’Alibert, et enfin l’interprétation que je crois pouvoir en donner.<br />

Principe A : recours aux graphèmes de l’« ancienne langue »<br />

Ce premier principe mêle un vœu pieux, une intention, avec une règle : adopter les notations<br />

graphiques de la langue ancienne est une règle, dire que l’orthographe de l’ensemble des parlers<br />

occitans sera « sensiblement » la même, c’est en tirer une conséquence, c’est affirmer le but<br />

poursuivi, cela ne peut être une règle.<br />

A.— L’orthographe de l’ensemble des parlers<br />

occitans sera sensiblement unique. Elle sera<br />

basée sur l’emploi des mêmes notations empruntées<br />

en grande partie à notre ancienne langue.<br />

A.— L’orthographe de l’ensemble des parlers<br />

occitans sera basée sur l’emploi des mêmes<br />

notations empruntées en grande partie à notre<br />

ancienne langue. Elle sera donc sensiblement<br />

unique.<br />

Un seul point de doute, mais d’importance : Quelle est l’« ancienne langue » de référence ? Il<br />

suffit d’observer les exemples abondamment fournis par La réforme… : tous sont pris dans le languedocien,<br />

et certains sont en opposition directe avec l’héritage multiséculaire du gascon consacré<br />

par L’application… (un seul exemple : La réforme… ne retient que amb pour “avec”, alors que<br />

c’est dab la forme gasconne quasi générale); c’est donc que pour La réforme…, l’ancienne langue<br />

ne peut être que l’ancien roman d’oc central, “langue des troubadours”; c’est sans doute l’ancêtre<br />

commune du languedocien, voire du provençal, mais certainement pas du gascon, langage estranh<br />

pour les anciens, de Raimbaut de Vaquèiras dans son Descort (cf. Bustos, 1990) aux Leys d’Amor.<br />

Et cette interprétation est pleinement conforme avec ce qu’Alibert lui-même devait écrire<br />

dans son étude La langue d’oc publiée dans les Annales de l’I.E.O. deux numéros après La réforme…<br />

:<br />

« Dès la naissance de notre langue, le gascon et le catalan ont des caractères phonétiques<br />

bien tranchés qui les distinguent de la langue des troubadours. Cependant, les futurs<br />

dialectes sont déjà reconnaissables : limousin, auvergnat, provençal, languedocien, dauphinois.<br />

L’unité de la langue des troubadours était toute relative. » (1951, p. 53)<br />

Or en appliquant les principes au gascon par un texte autonome, L’application… ne peut se<br />

référer qu’à l’ancien gascon qui jouit, notamment sous sa forme béarnaise, d’une tradition graphique<br />

originale que j’ai déjà décrite sommairement (p. 103). Mais cela ne coupe pas le gascon de<br />

l’ensemble d’oc, dans la mesure où la source latine est commune, d’où découlent de nombreux<br />

points de rencontre entre l’ancienne graphie du gascon et celle de l’“occitan”, et où le principe H<br />

préfère les graphies qui maintiennent le lien avec les langue romanes.<br />

Principe B : graphie « phonétique », graphie « d’origine »<br />

Ce deuxième principe crée deux sous-systèmes, selon que les mots sont de formation<br />

populaire ou savante; il vaut donc mieux le diviser en deux, B1 et B2; et si le régime des derniers<br />

est clair (tout en corrigeant le remplacement de ti par ci et non par c seul) il faut préciser le régime<br />

des premiers. En effet, en plus du remplacement du mot « phonétique » par le mot « phonologique »<br />

plus approprié, il faut expliciter le « en principe » par la mention des exceptions importantes posées<br />

par les principes D à H, qui ne peuvent viser les mots de formation savante !


B.— Cette orthographe sera en principe<br />

phonétique pour les mots de formation populaire.<br />

Elle sera au contraire fidèle à la graphie<br />

d’origine pour les mots savants grecs ou latins,<br />

sauf pour ch, k, ph, rh, th, y, ti, qui seront<br />

remplacés par c ou qu, f, r, t, i, c.<br />

B1.— Pour les mots de formation populaire,<br />

cette orthographe sera phonologique,<br />

sous réserve des principes D à H.<br />

B2.— Pour les mots savants grecs ou latins,<br />

elle reflètera la graphie d’origine, sauf à remplacer<br />

ch et k, ph, rh, th, y, ti par c ou qu, f, r,<br />

t, i, ci.<br />

Ce principe est assez clair à première lecture; mais on a vu plus haut que la distinction qu’il<br />

pose entre mots de formations populaire et mots de formation savante est délicate. Et surtout,<br />

l’opposition entre les deux (ou trois) catégories de mots est illusoire; déjà, dans Comment écrire le<br />

gascon, R. Darrigrand (1969-1, p. 5) posait comme premier trait de la graphie classique son caractère<br />

phonétique, avec seulement des mots savants en exemple : filosofia, tipografia, teatre; on peut<br />

y ajouter sintèsi, sistèma, tension, refòrma, etc.; par contre, arrecaptar [arrecat'ta], vin [.8], hrèita<br />

['rr!"tœ] etc. ont des graphies plutôt étymologiques, du fait des principes D et H.<br />

Si nous nous en tenons aux vingt exemples donnés par La réforme…, seize présentent des<br />

graphies purement phonétiques; trois seulement s’en écartent : exprimir, omniscient et comptar. Or<br />

ces cas peuvent être réglés par le principe H. Sans compter qu’il faut beaucoup de bonne volonté<br />

pour croire que le [kun'da] de nos paysans ([ke p%s kun'da] ! {tu peux compter !}) à écrire comptar<br />

{compter} est un mot d’origine plus savante que le [kun'da] écrit condar {conter} de conteurs du<br />

coin du feu.<br />

De plus, La réforme… définit ici la correspondance entre graphie latine (y compris celle des<br />

mots grecs) et graphie occitane, en omettant toutefois le h- latin qui transcrivait l’esprit rude grec et<br />

qui est supprimé de fait par les exemples orisont, igièna. Or c’est formellement incohérent, puisque<br />

les graphèmes de la graphie occitane restent à définir par une règle d’application du principe A !<br />

De toute façon, ce principe B laisse sans solution le problème des mots d’emprunt, populaire<br />

ou savant, aux langues étrangères, surtout français et anglais (par le canal du français) : réception<br />

pure et simple de la graphie étrangère (whisky) ou transcription phonétique ? (cf. p. 215). Ma solution<br />

partira de l’idée de ne pas nous séparer des langues romanes voisines (principe H rappelé plus<br />

haut) et du fait de notre immersion dans la francophonie (nos villages ont des maires, les “pobles”<br />

aranais ont des alcaldes…) : ou bien on se contente de la forme étrangère, identifiée comme telle et<br />

prononcée selon l’usage — français le plus souvent, mais qu’y faire ? —; ou bien on incorpore ces<br />

mots d’emprunt au gascon en partant de leur prononciation habituelle et en leur donnant l’habillage<br />

gascon selon le code phonologique normal.<br />

Finalement, comme l’avait senti R. Darrigrand, le deuxième principe se réduit à un principe<br />

général de graphie phonologique, qui est aussi le leitmotiv de linguistes occitanistes reconnus :<br />

« L’orthographe change régionalement chaque fois que la correspondance écrit/oral<br />

n’est plus évidente : sal/sau; buòu/buèu; capèl/chapèl/capèth. » R. Teulat (1985), L’orthographe<br />

de l’occitan, p. 5.<br />

« Je tiens l’adéquation rigoureuse entre graphie et phonie pour un aspect essentiel de<br />

la simplicité. » J. Taupiac, 1988, p. 12.<br />

« Toutes les langues néolatines en dehors du français ont un système graphique où<br />

l’aspect idéographique est minime et où la fidèle et simple représentation de la réalité phonique<br />

est l’essentiel. » ib., p. 21.


Jean <strong>Lafitte</strong> 236 Écriture du gascon<br />

« Mon idée fondamentale est que notre graphie doit représenter avec le plus possible<br />

de fidélité la réalité orale. Si nous ne faisons pas fonctionner, ainsi, l’occitan comme une<br />

langue vivante, nous y ajouterons des difficultés théoriques. Nous en avons bien assez avec<br />

les difficultés pratiques, c’est à dire “sociales”. » (J. Taupiac, Occitans ! n° 63, Sep.-Oct.<br />

de 1994, p. 9).<br />

Mais ce principe phonologique est tempéré par le recours à l’étymologie (ou à des formes anciennes)<br />

dans les cas définis par les principes D à H, exactement ce que disait E. Jung cité par Nina<br />

Catach, 1978, p. 90 :<br />

« Toute orthographe phonologique dans son principe doit savoir faire des concessions,<br />

parfois très importantes, à une notation appropriée du système morphologique de la<br />

langue; c’est surtout le cas lorsque l’instabilité phonétique multiplie les variantes combinatoires,<br />

ou qu’il semble utile de conserver les caractères graphiques de la forme de base<br />

pour mieux faire sentir l’unité grammaticale ou lexicologique. » (La structure de<br />

l’orthographe française, sous la direction de Nina Catach, Actes du Colloque international<br />

CNRS de 1973, Klincksieck 1974, p. 110).<br />

Principe C : les mots sont « notés à l’état isolé »<br />

Le troisième principe est clair et peut demeurer sans changement :<br />

C.— Les mots seront notés à l’état isolé, sans tenir compte des modifications qu’ils peuvent subir<br />

dans les phrases au contact les uns des autres ou du fait de l’adjonction de s du pluriel.<br />

Ce troisième principe est surtout technique, mais il doit être énoncé avant toute définition des<br />

codes de graphie, même si l’ensemble doit y perdre en solennité ! Sur le fond, nous remarquons<br />

qu’il interdit l’élision et l’aphérèse, permises pourtant par les règles d’application. De plus, il est<br />

contourné par les règles grammaticales relatives aux mots grammaticaux, par exemple quand on<br />

énonce que l’article masculin eth devient er’ devant voyelle (er’àsou). Il n’appelle pas d’autre<br />

commentaire, surtout pour le gascon, car, en dehors de l’élision et parfois de l’aphérèse et du traitement<br />

particulier de certains mots grammaticaux, la plupart des régions conservent aux mots leur<br />

forme individuelle, quels que soient leurs voisins dans la phrase.<br />

Principes D et E : recherche de la « graphie englobante »<br />

Ces deux principes sont moins clairs que le précédent; et pour autant que je les lise et relise,<br />

ils me paraissent dire la même chose, surtout si l’on étudie les exemples qui les suivent : quelle différence<br />

entre le fait d’écrire jòc ce qui est prononcé [2%k, 2j%k, 0%k, 1%k] et celui d’écrire jorn ce qui<br />

est prononcé [2ur, 2un] ? Certes, dans le premier cas, c’est une lettre qui a plusieurs réalisations<br />

phonétiques, quand dans l’autre, ce sont deux lettres qui s’amuïssent l’une ou l’autre selon les parlers;<br />

mais la rédaction des deux principes n’en rend pas compte. Il semble donc plus simple de les<br />

grouper en un seul, que nous pourrions appeler celui de la graphie englobante :<br />

D.— On ne tiendra pas compte des variations<br />

de prononciation que subit chaque phonème<br />

d’origine. On choisira la forme de<br />

l’ancienne langue encore subsistante dans l’un<br />

quelconque de nos parlers.<br />

E.— Les mots ne seront pas représentés<br />

d’après un parler déterminé, mais d’après tous<br />

les parlers. La graphie devra être le support<br />

des diverses variantes de prononciation.<br />

D & E.— Lorsqu’un phonème (ou un<br />

groupe de phonèmes) d’origine subit, selon les<br />

parlers, des variations de prononciation, on<br />

choisira la forme écrite de l’ancienne langue<br />

qui représente directement la prononciation encore<br />

subsistante dans l’un quelconque de ces<br />

parlers. La graphie sera ainsi le support des<br />

diverses variantes de prononciation.


Jean <strong>Lafitte</strong> 237 Écriture du gascon<br />

Ainsi réunis en un seul, ces deux principes sont à la fois indispensables et d’application délicate;<br />

en effet, on ne peut envisager de représenter graphiquement toutes les variantes de la langue<br />

parlée; et en même temps, comment refuser au locuteur de pouvoir écrire son parler, aussi digne<br />

que tous les autres, selon ce qui est toujours affirmé ? En tout cas, ils partent d’une vision diachronique<br />

de la langue selon laquelle les parlers actuels sont issus d’une même souche que P. Bec appelle<br />

protosystème, et se sont séparés faute d’utilisation officielle et d’enseignement; il suffit donc de<br />

faire marche arrière sur le chemin de la “décadence” et de retrouver le mot ancien, père de toutes les<br />

variantes actuelles, en donnant les clés locales de lecture des phonèmes altérés par le temps. Idée<br />

séduisante, évidemment, et qui peut réussir souvent.<br />

Pourtant, cette démarche ne vaut que dans le cadre de la théorie globale qui la fonde, théorie<br />

qui voit dans le gascon : « un autre protosystème que pour le reste de l’occitan, protosystème dont<br />

le gascon moderne est d’ailleurs resté particulièrement proche. » (P. Bec, 1973, p. 26). Et, de fait,<br />

pour avoir poussé sur une terre différente de celle de l’occitan, le gascon en est le frère ou le cousin,<br />

mais pas le fils (cf. Chambon, cité p. 20); en revenant aux racines, nous trouvons donc le latin (et<br />

parfois ce que nous pensons être l’aquitain), jamais l’occitan des troubadours : dia vient de ‘dies’,<br />

pas de jorn (< ‘diurnus’ < ‘dies’) etc. Même si, dans la parution de L’application…,<br />

l’incontournable spécificité linguistique fut sans doute déterminante (cf. p. 144), c’est cela le rocher<br />

qui en est l’assise. Nous sommes donc en présence de deux diasystèmes, poursuit P. Bec.<br />

Mais dans le diasystème gascon lui-même, on ne peut affirmer que telle variante de la région<br />

A est issue de telle autre, toujours vive dans la région B. Par exemple les suites -ariu > -air(u) > -èir<br />

> -èr et -ol(u) > -ol > òu > -ò consacrent la plus grande antiquité de -èir sur -èr et de òu sur -ò;<br />

pourtant, si L’application… choisit -òu comme forme préférentielle (« esquiròu et non esquirò »),<br />

elle ne dit rien de -èir/-èr tout en préférant hèit à hèt. Serait-ce la référence implicite au béarnais qui<br />

expliquerait ce silence peu scientifique ? Et puis, il y a tous les doutes sur les étymologies… et la<br />

mauvaise connaissance des variantes existantes : faudra-t-il changer la graphie d’un mot “panoccitan”<br />

(ou seulement “pangascon”) chaque fois qu’on trouvera dans un recoin de pays, pour petit qu’il<br />

soit, une réalisation plus proche de l’étymon latin ? Sans doute le principe ne peut-il être pris<br />

comme un absolu, tel qu’il est écrit, mais doit être tempéré par celui d’“économie” des scolastiques<br />

: « non sunt entia multiplicanda sine necessitate » {il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité};<br />

et les lieux qui ne pourront se contenter de la graphie générale et du code de lecture qui lui<br />

correspond auront leur graphie propre (variante irréductible), comme par exemple les pluriels féminins<br />

en -es de l’aranais (cf. p. 159) : la normalisation graphique n’est pas la normalisation linguistique,<br />

comme l’a souligné J. Taupiac dans sa brochure de 1984.<br />

C’est finalement ce qu’exprimait naguère l’occitaniste provençal déjà cité, G. Fossat, 2002 :<br />

« La graphie doit être englobante chaque fois que possible, mais une forme unique<br />

n’est pas applicable pour tous les mots. La diversité phonétique et lexicale de l’occitan<br />

n’est pas une tare, il faut l’accepter. Demander à l’État français de respecter le principe de<br />

“l’unité dans la diversité” est bien, mais ce serait une bonne chose de commencer par<br />

l’appliquer nous-mêmes… ».<br />

Principes F et G : rétablissement de consonnes étymologiques<br />

Ces principes tendent tous deux au rétablissement de consonnes étymologiques que<br />

l’évolution du parler a amuïes, ou assimilées ou altérées d’une façon ou d’une autre. Je les garderai<br />

pourtant séparés en vue de l’étude que je vais en faire ensuite.


Jean <strong>Lafitte</strong> 238 Écriture du gascon<br />

F.— Les groupes de consonnes qui subissent<br />

dans la prononciation des assimilations,<br />

des dissimilations et parfois des réductions, seront<br />

rétablis dans l’écriture.<br />

G.— Les consonnes finales amuïes ou altérées<br />

dans la prononciation seront toujours rétablies<br />

dans l’écriture.<br />

F.— L’écriture rétablira les groupes de<br />

consonnes étymologiques que la prononciation<br />

assimile, dissimile ou parfois réduit.<br />

G.— L’écriture rétablira aussi les consonnes<br />

finales que la prononciation amuït ou altère.<br />

En rétablissant diverses consonnes étymologiques, le sixième principe F tend à freiner<br />

l’affaiblissement dû à la prononciation courante. Mais jusqu’où remonter ? où s’arrêter ?<br />

Pour le français, on le sait, bien des combinaisons de lettres correspondent au parler du XIV e<br />

s., gelées par l’immobilisme des lettrés. Et pourtant, nous écrivons en français tentation, doute alors<br />

que la graphie d’Alibert est temptation, dobte et la prononciation générale [tenta'sju, 'dutte]; quand<br />

on sait la tendance des scribes à l’archaïsme, parfois rien que pour impressionner le commun, on ne<br />

peut garantir que les graphies anciennes, pleines de consonnes aujourd’hui amuïes ou transformées,<br />

correspondaient à la prononciation du temps; les linguistes s’accordent, par exemple, à reconnaitre<br />

que les mots écrits avec f- initial se prononçaient déjà comme aujourd’hui avec un h- “soufflé”; et il<br />

suffit de parcourir le Dictionnaire historique de la Langue française pour rencontrer mille<br />

« réfections d’après le latin », comme celle de tems devenu temps vers 1250, tandis que la forme<br />

tems devait survivre jusqu’aux XVII-XVIII e s. ! Donc, quand nous lisons temps dans la Charte des<br />

boucheries d’Orthez (1270), il ne serait pas étonnant que ce fût aussi une réfection savante qui était<br />

dans l’air du tem(p)s…<br />

Dans ses Casèrns de lingüistica occitana, R. Teulat a maintes fois critiqué avec pertinence ces<br />

graphies complexes quand elles ne pouvaient se justifier par des réalisations locales (n° 3, 12-75, p.<br />

53; n° 7, 6-78, p. 46; n°12, 10-84, p. 52). Il y est revenu depuis incidemment (2000, p. 496) :<br />

« Finalement, il serait plus simple d’avoir comme principe : à l’intérieur du mot, il<br />

faut prononcer toutes les lettres. Ce principe ne peut pas être édicté en l’état actuel de<br />

l’orthographe, par exemple pour la série tractar, tractament, tractat, etc. Il est plus probable<br />

qu’il faudrait écrire tratar, tratament, tratat et élaguer ainsi quelques consonnes intérieures.<br />

»<br />

C’est encore ce que réclamait l’occitaniste provençal Gilles Fossat (2002) déjà cité :<br />

« - chaque fois que c’est justifié par la phonétique, ce ne serait pas un sacrilège<br />

d’employer les variantes ame, semana, dissate, sujèt, jor, dessin, Jaume… plutôt que ambe,<br />

setmana, dissabte, subject, jorn, dessenh, Jacme… et aussi dimars, trasformar, Marsilha,…<br />

plutôt que dimarts, transformar, Marselha… […] ».<br />

Il me semble donc, finalement, qu’il faut faire de ce principe un simple développement des<br />

deux précédents et limiter son application à leur finalité : le rétablissement de suites de consonnes<br />

intérieures doit avoir pour but et pour effet d’arriver à des graphies englobantes qui, par le biais de<br />

codes (ou clés) appropriés, permettent de retrouver maintes prononciations locales sous un habit<br />

graphique unique; mais encore faut-il que ces prononciations soient attestées.<br />

De fait, l’« usage » laisse une grande place aux formes phonétiques; pour ne citer que des auteurs<br />

occitanistes reconnus, P. Bec écrit tentativa (Le Hiu tibat, 1978, p. 90), tentacion (Racontes<br />

d’une mòrt tranquilla, 1993, p. 134); R. Darrigrand, coup sur coup, comptes et tentar (réédition en<br />

graphie occitane de Les tres gojats de Bòrdavielha de S. Palay, 1974, pp. 69 et 70); G. Narioo, intentat<br />

(La bíblia valenciana, 1994, p. 192); E. Gonzalès, tentativa (Lo melic de Silvia Chasaus,


Jean <strong>Lafitte</strong> 239 Écriture du gascon<br />

1998, pp. 14 et 83) etc. Et donc également semmana, dotte {semaine, doute}, etc.<br />

Le principe G tend à rétablir systématiquement à l’écrit les consonnes finales étymologiques<br />

amuïes ou altérées; l’analyse des exemples bruts montre que cela concerne, en languedocien :<br />

– -r amuï : infinitifs (donar, voler, venir), noms et adjectifs avec finales issues des suffixes latins<br />

-ore, -ori, -are, -ariu (color, vesedor, auserdar, obrièr);<br />

– -n amuï (can, vin, seren, fedon, forn);<br />

– -c amuï après s (bosc), r (forc), voyelle ou u de diphtongue (pèrsec, nauc < navica);<br />

– -t amuï après s (pòst), n (pont), voyelle ou diphtongue (rat, nuèit), r (sòrt);<br />

– -d amuï après r (verd, lard);<br />

– -p prononcé -[t] après voyelle (nap);<br />

– -g prononcé -[#] après voyelle (puèg);<br />

– -l amuï en finales atones -aul,-eul, -ol (apòstol, granívol);<br />

– groupe -rm altéré en -[n, r] (vèrm);<br />

– groupe -tz altéré en -[t, s] (anatz, patz, disètz);<br />

– groupe -lh altéré en -[l] (miralh, uèlh);<br />

– groupe -nh altéré en -[n] (cunh, codonh).<br />

Achevée par “etc…” la liste n’est pas exhaustive; et elle serait sans doute trop longue pour le<br />

gascon, dont on a remarqué la solidité des consonnes finales.<br />

Mais surtout, présenté comme absolu, le principe est muet sur sa finalité. Cependant, les<br />

exemples donnés de rétablissement de consonnes amuïes en tous lieux se rattachent à la finalité du<br />

dernier principe, « conserver la cohésion d’une même famille de mots et le parallélisme avec les<br />

autres langues romanes »; ainsi, les infinitifs, achevés en -r comme en catalan, castillan, français…<br />

préparent les futurs et conditionnels; les masculins en -r, -n, -rt, -rd etc… attendent la finale -a des<br />

féminins, le bosc attend le boscadye, le hust, le hustèr, etc…<br />

Principe H : choix de graphèmes suivant l’étymologie<br />

Enfin, le dernier principe, assez clair, peut gagner à commencer par sa justification.<br />

H.— Le même son pourra être représenté<br />

par une notation différente selon son étymologie.<br />

Ce procédé a l’avantage de ne pas rompre<br />

la cohésion d’une même famille de mots et de<br />

conserver le parallélisme avec les autres lan-<br />

gues latines.<br />

H.— Afin de conserver la cohésion d’une<br />

même famille de mots et/ou le parallélisme avec<br />

les autres langues romanes, un même phonème<br />

pourra être représenté par des notations différentes,<br />

selon l’étymologie.<br />

Ce dernier principe ouvre en grand la porte à l’étymologie dans la graphie des mots de tous<br />

les jours, puisque de nombreux phonèmes seront représentés par plus d’un graphème, selon ce que<br />

l’on sait de leur origine. Au risque d’en oublier, on a à choisir entre :<br />

– b, v pour rendre /./ mal distingué de /b/ dans la pratique;<br />

– c, qu pour rendre /k/ devant a, o, u;<br />

– s, ss, c, ç, sc pour rendre /s/;<br />

– sh, ch, -g pour rendre /#/;<br />

– s, z pour rendre /z/ entre voyelles;<br />

– i, j pour rendre /j/;<br />

– j, g pour rendre /2/ devant e, i; (màger, majestat)<br />

– -d, -t, -th pour rendre /-t/ (vad, bat, vath);


Jean <strong>Lafitte</strong> 240 Écriture du gascon<br />

– -b, -p pour rendre /-p/ (òrb, sèrp);<br />

– -g, -c pour rendre /-k/ (blanc, sang, long).<br />

Sur ce sujet, R. Teulat fit aussi, dans ses Cadèrns de lingüistica occitana (n° 7, 6-78, p. 52 et<br />

n° 10, 6-81, p. 31), des propositions de simplification, par la systématisation des consonnes sourdes<br />

en finale.<br />

II – En tirer les principes classiques de DiGaM<br />

Pour me résumer, je puis dessiner le plan d’un nouvel édifice à bâtir en réutilisant les pierres de La<br />

réforme…, sans avoir grand besoin de les retailler. Mais j’aurai besoin d’une pierre neuve, le principe<br />

de traitement des mots composés qui manque dans La réforme…<br />

iSchéma des principes DiGaM i iPrincipes I.E.O. i<br />

1 - Graphie de mots isolés, tout en permettant l’élision, certaines aphérèses<br />

et le traitement particulier des mots grammaticaux.<br />

2 - Écriture des mots composés<br />

3 - Code graphique pris surtout dans la langue ancienne.<br />

4 - Graphie phonologique, sauf application du principe 5.<br />

5 - Recours exceptionnel à l’étymologie et/ou à la graphie ancienne pour :<br />

- réduire les variantes graphiques par l’utilisation de graphies englobantes;<br />

- maintenir l’unité graphique de mots apparentés;<br />

- conserver la parenté avec les autres langues romanes.<br />

Ce recours aboutit à :<br />

- rendre certains phonèmes par plusieurs graphèmes;<br />

- rétablir des groupes de consonnes assimilées, dissimilées ou amuïes et<br />

des consonnes finales altérées ou amuïes.<br />

C<br />

complété<br />

(nouveau)<br />

A<br />

B<br />

D-E limités aux<br />

variantes les plus<br />

répandues<br />

)<br />

)<br />

) H<br />

)<br />

)<br />

F-G relativisés<br />

par la finalité<br />

Et voici les principes qui nous guideront, tels que je les ai publiés dans ma réédition du Lespy<br />

en 1998 :<br />

1.— Les mots simples sont notés à l’état isolé, sans tenir compte des modifications qu’ils<br />

peuvent subir au contact les uns des autres ou par suite de l’adjonction de s au pluriel.<br />

L’écriture peut cependant noter l’élision, certaines aphérèses et diverses modifications qui affectent<br />

surtout les mots grammaticaux.<br />

2.— Les mots composés s’écrivent normalement d’un seul tenant; ils constituent en effet un<br />

tout sémantique appelé à perdre tout renvoi au sens primitif de leurs composants, avec même des<br />

adaptations phonétiques reflétées par la graphie.<br />

Par exception et tant que ces adaptations phonétiques et graphiques ne sont pas intervenues,<br />

leurs composants s’écrivent distinctement, mais liés par un trait d’union et, éventuellement, des<br />

apostrophes notant élisions ou aphérèses, soit pour des raisons sémantiques, soit pour des raisons<br />

liées au système d’écriture et de lecture.<br />

3.— L’orthographe s’appuie principalement sur les notations en usage dans les anciens textes<br />

gascons, quand la langue était d’usage public, même si les sons qu’elles représentaient ont évolué.


Jean <strong>Lafitte</strong> 241 Écriture du gascon<br />

En présence de notations divergentes ou irrationnelles ou inadaptées à la langue moderne qui<br />

appelle des solutions simples et claires, des conventions nouvelles peuvent être établies; on préférera<br />

celles qu’ont adoptées, pour les mêmes raisons, les langues romanes voisines, occitan et catalan<br />

principalement (langues de référence).<br />

4.— Sous réserve du principe suivant, cette orthographe est phonologique, c’est-à-dire qu’une<br />

seule orthographe, dite “englobante”, doit couvrir le maximum de variantes de prononciation, grâce<br />

à des codes de lecture multiples, mais chacun unique pour un même lieu (1) ; cette orthographe sera le<br />

plus souvent une forme de l’ancienne langue encore vivante dans l’un quelconque des parlers gascons.<br />

(1) Les réalisations locales que ne peut couvrir la graphie englobante sont des “variantes irréductibles”, notées comme<br />

elles sont. Ex. : participes passés en -th (Couserans et Haut-Comminges).<br />

5.— Par dérogation au principe précédent, l’orthographe s’appuie sur l’étymologie lorsqu’il<br />

convient de maintenir la cohésion d’une même famille de mots, ou de conserver la parenté avec les<br />

langues de référence; tel est le cas notamment des mots d’origine savante.<br />

En conséquence, l’écriture peut représenter un même son par des notations différentes, ou rétablir<br />

des consonnes que la prononciation assimile, dissimile ou amuït dans un groupe, ou encore<br />

altère ou amuït en finale.<br />

III – L’esprit de mes propositions concrètes<br />

Il s’agit maintenant de définir des règles de détail de l’écriture classique du gascon en accord<br />

avec les principes révisés. En cela, je suis Alibert… tout en m’en écartant. À savoir que je pars des<br />

principes, alors que lui n’a écrit sept des huit principes que quinze ans après avoir formulé les règles<br />

de détail dans sa Gramatica de 1935. Ce qui explique que ces règles, reprises dans La réforme… de<br />

1950, violent parfois les principes venus après.<br />

Par exemple : selon le principe G, « Les consonnes finales amuïes ou altérées dans la prononciation<br />

seront toujours rétablies dans l’écriture. » Mais les mots d’étymon en ‘-nu’ ne marquent pas<br />

ce -n en finale (ase, Estève, òrfe…) bien qu’il le retrouvent au féminin (Gramatica, 1935, 1976, p.<br />

48) ou en dérivation : asena, asenada, Estevena, orfena… (cf. p. 275).<br />

Je vais donc essayer d’appliquer les principes avec rigueur, seul moyen d’éviter de fonctionner<br />

avec d’interminables listes d’exceptions qu’il s’avère impossible de faire apprendre aux élèves<br />

et étudiants d’un monde dégasconisé. Et pour cela, je me réfèrerai à ce que j’appelle le “superprincipe”<br />

formulé par Robert Lafont (1971, p. 11) :<br />

« Les deux qualités que l’on peut exiger d’un code sont son exactitude (la forme<br />

écrite de la langue doit permettre de restituer sa forme orale naturelle sans se tromper) et sa<br />

simplicité (l’opération d’encodage-décodage ne doit pas être trop lourde). »<br />

Ce que Jacques Taupiac disait plus concrètement (Occitans ! n° 82, janvier 1998, p. 17) :<br />

« …encore que beaucoup de prudence soit nécessaire ici aussi, je pense que la graphie<br />

de l’occitan doit avoir le plus possible de cohérence. Naturellement, la cohérence<br />

s’oppose souvent à l’immobilisme et le résultat de la cohérence est la “simplicité pédagogique<br />

essentielle” qu’il faut distinguer de la “simplicité pédagogique superficielle” : quand<br />

on est accoutumé à une graphie, il est toujours inconfortable d’en changer, mais un enfant<br />

apprendra plus aisément une norme cohérente. »<br />

Et toujours au plan général, comme Pey de Garros au XVI e s. avait profité des réflexions de<br />

son temps sur l’orthographe du français (R. Lafont, 1968, p. 407), la fréquentation depuis plusieurs


Jean <strong>Lafitte</strong> 242 Écriture du gascon<br />

années des linguistes du C.N.R.S. en charge des questions d’orthographe du français — “équipe” de<br />

Nina Catach (†), aujourd’hui dirigée par Liselotte Bidermann-Pasques — m’a donné quelque ouverture<br />

sur « l’art de l’écriture » qu’évoquait I. Girard, art qui ne se confond pas avec le culte de<br />

l’étymologie comme il semblait le croire (cf. p. 210).<br />

Sur le fond, tandis qu’Alibert connaissait mal le gascon (voir plus haut, p. 147), nous disposons<br />

aujourd’hui d’une masse assez considérable d’informations sur l’ensemble des variétés dialectales<br />

de la langue contemporaine :<br />

– données de l’Atlas linguistique de la Gascogne (ALG), publié de 1954 à 1973;<br />

– données du Palay saisi en informatique, Palay qui reste, après 50 ans d’occitanisme, la meilleure<br />

référence pour la prononciation de quelque 70 000 entrées gasconnes;<br />

– données du Lespy, de l’Arnaudin et autres, également mis en informatique (voir Annexe XIX);<br />

– nombreux textes anciens et modernes souvent mis en informatique eux aussi.<br />

Mais je ne perdrai jamais de vue les liens du gascon avec les autres langues d’oc et le catalan.<br />

En bref, je souhaite qu’à nouveau « l’habitude s’instaure d’écrire délibérément le gascon, comme<br />

ce [fut] le cas par ex. en Béarn » (J. Allières, à propos des anciens qui imitaient d’abord la graphie<br />

du languedocien, cité par R. Cierbide, Censier gothique de la Soule, 1994, p. 41, note 75).<br />

Au demeurant, c’est aussi la position de Jacques Taupiac, responsable du Secteur de linguistique<br />

de l’I.E.O. Après avoir constaté qu’il n’est pas possible d’écrire toujours le gascon pour qu’il<br />

soit directement intelligible par les Languedociens, il concluait : « Il faut prendre le gascon comme<br />

il est et il faut l’apprendre avec ses particularités. » (La haría, Q.L.O. n° 3, Déc. 1975, p. 6).<br />

Nous n’avons donc pas à sacrifier la simplicité d’écriture et la lisibilité du gascon à une quelconque<br />

subordination à l’“occitan” (cf. la citation du Pr. Tomás Buesa Oliver, p. 18), ce qu’exprime<br />

plus familièrement le dicton béarnais, Purmèr pèth que camisa, {La peau avant la chemise} : nous<br />

n’écrivons pas pour le confort d’éventuels lecteurs non-gascons, mais pour celui des <strong>Gascon</strong>s; car si<br />

ceux-ci n’arrivent plus à lire leur langue, ils l’écriront encore moins, et il n’y aura plus de lecteurs,<br />

gascons ou non-gascons.<br />

Néanmoins, comme la graphie classique même amendée me parait condamnée à terme du fait<br />

des erreurs qui sont à sa base, je n’entends pas reprendre intégralement les règles de<br />

L’application…, mais exposer seulement les amendements qui me semblent nécessaires ou utiles.<br />

IV – L’accent tonique<br />

Le cas général<br />

Le système classique détermine de façon relativement simple la place de la syllabe “accentuée”<br />

ou “tonique” dans les mots de plus d’une syllabe : on fait abstraction du -s final éventuel et on<br />

considère la dernière lettre; normalement, si c’est une voyelle simple dépourvue d’accent aigu ou<br />

grave, c’est la syllabe précédente qui est tonique, le mot est paroxyton : aimable, la cadièra, lo<br />

marro…; si c’est une consonne ou une diphtongue, c’est la dernière syllabe qui est tonique, le mot<br />

est oxyton : gascon, aimador, gaimantet, saunei, beròi…. Et si le mot ne respecte pas cette règle, on<br />

met un accent écrit sur la voyelle tonique : la mamà, que volè, arríder, lo péber…<br />

Mais il y a un sous-système qui fonctionne à l’inverse : celui des 6 èmes personnes des verbes,<br />

toutes achevées par la consonne -n, qui sont paroxytones en l’absence d’accent écrit (que cantan) et<br />

qui doivent porter l’accent si elles sont oxytones (que cantaràn). Pour deux mots identiques accentués


Jean <strong>Lafitte</strong> 243 Écriture du gascon<br />

sur la dernière syllabe, on aura donc lo sabon (le savon) et que sabón (ils surent); au fond, c’est le<br />

même phénomène que pour “couvent” dans le fameux « les poules du couvent couvent ».<br />

Or ce qui est supportable en français pratiqué tous les jours le devient de moins en moins pour<br />

les langues d’oc et de bons linguistes ou écrivains occitans et gascons (R. Teulat, J. Taupiac, Ph. Carbonne,<br />

G. Narioo…) se sont élevés contre cette bizarrerie héritée du système mistralien; ils ont donc<br />

proposé de faire rentrer les 6 èmes personnes dans le système général : que càntan, que cantaran.<br />

La question fut posée à la réunion du Secteur de linguistique de l’I.E.O. de Juillet 1989…<br />

pour aboutir au maintien du statu quo ! Cependant, nous avons vu p. 167 que le Mémento grammatical<br />

du gascon fut publié quelques semaines après comme si la réforme avait été adoptée, les auteurs<br />

croyant sans doute que l’I.E.O. saurait avancer. Il n’en fut pas ainsi au prétexte qu’il ne fallait<br />

pas changer une pratique “socialisée”. Mais avec de tels raisonnements, la seule pratique socialisée<br />

dans les pays d’oc est celle du français… Et une pratique ne pourra se socialiser que si elle est préconisée<br />

par les organes chargés de la langue.<br />

De fait, j’ai opté pour le mouvement, donc que càntan, que cantaran dès le numéro 1 de ma<br />

revue Ligam-DiGaM (Avril 1993), tout comme l’avait fait J. Taupiac dès 1977 dans son Pichon<br />

Diccionari francés-occitan. C’est la pratique personnelle de Philippe Carbonne, qui fut président de<br />

l’I.E.O., et de nombreux auteurs : la “socialisation” (et le bon sens) sont en marche.<br />

Dès lors, la règle générale ne souffre plus d’exception.<br />

Les clitiques<br />

Les règles classiques sont muettes sur les clitiques; pourtant, ces mots échappent au système<br />

général, puisque faisant corps avec le mot d’appui, ils n’ont pas d’accent d’intensité propre. J’ai attiré<br />

l’attention sur ce fait, qui n’a d’incidence que pour la préposition enta que l’usage fait noter<br />

*entà, surtout pour signifier que le -a final se prononce [a] et n’est jamais traité comme posttonique<br />

(donc [œ, o ou a] selon les régions). Mais elle est atone en tous lieux comme le montre l’ALG VI,<br />

2424 et 2364 à 2369 et comme l’a souligné Coromines (1990, p. 188). J’écris donc enta, et bien sûr<br />

sa forme apocopée ta.<br />

V – Les phonèmes vocaliques simples<br />

Généralités<br />

Pour ce qui est des règles classiques relatives aux voyelles, je n’ai rien à changer, dans la mesure<br />

où elles permettent d’écrire la langue parlée et de la retrouver sans équivoque à la lecture.<br />

Je ferai néanmoins observer qu’écrire /u/ par ou aurait été un choix tout à fait conforme au<br />

principe du recours aux graphèmes de l’ancienne langue, puisque ou a été employé très tôt, quand<br />

des o fermés latins ou romans commencèrent à se prononcer [u] (<strong>Lafitte</strong>, 2003-3). Mais le noter par<br />

o ou ó n’est pas équivoque, même si c’est très difficile à faire passer chez les locuteurs naturels.<br />

Donc je n’y changerai rien tant que nous resterons en “classique”.<br />

En revanche, j’estime devoir rappeler les règles de l’I.E.O., contre la pratique de plusieurs<br />

grammairiens et des auteurs qui les suivent, qui écrivent une voyelle pour en faire lire une autre.<br />

o pour noter /u/, et non eu ou e’u, voire uu<br />

Il s’agit essentiellement des articles contractés deu (= de lo), peu (= per lo) et suu (= sus lo) et


Jean <strong>Lafitte</strong> 244 Écriture du gascon<br />

de la forme prise par le pronom lo enclitique après que, se (= si), de, no que tous les grammairiens<br />

classiques notent que’u, se’u, de’u, no’u tout en précisant systématiquement que l’on doit prononcer<br />

[du, pu, ku, su, du, nu].<br />

Historiquement, ces graphies sont sans doute les plus anciennes, mais elles correspondaient<br />

très certainement à des prononciations en [e*] (et [su*]); la meilleure preuve en est que ces prononciations<br />

sont toujours vivantes vers l’est du Béarn. Mais en synchronie, c’est bien différent, comme<br />

le laisse supposer le silence des grammairiens sur la prononciation en [e*] et, plus sûrement, comme<br />

le montre l’ALG :<br />

Pour ce qui est de l’article lou, quatre cartes du vol. VI traitent du rendu de “du” ou “des”<br />

d’après les enquêtes menées dans les années 60 par X. Ravier, avec le sérieux que l’on sait; mais la<br />

plus significative est la c. 2461, du + père (pay) qui affiche [du] sur la quasi totalité du domaine;<br />

[da*] en Médoc et en un point de l’Entre-deux-Mers; et [do*] en 9 points seulement, 3 en Entredeux-Mers,<br />

à <strong>Lafitte</strong>-sur-Lot et Aguillon, à Soustons et, en Béarn, Billère, Lasseube et Bielle (« à<br />

Pau et vers le Sud du Béarn » dit Palay); mais aucun [de*] ni [d!*]; la suivante, 2462, traite des correspondants<br />

de “des”, qui coïncident sensiblement ceux de “du” de la précédente, sauf en Gascogne<br />

toulousaine, qui dit [du] au singulier, mais [dez/des] au pluriel; et pour mémoire les c. 2843 et 2844<br />

qui traitent des partitifs pluriels : comme la norme syntaxique gasconne est de ne pas user du partitif,<br />

ce n’est qu’en Gironde qu’on en rencontre, et cela n’apporte rien pour notre problème.<br />

Pour le traitement de lou pronom, les informations sont concourantes : après l’énonciatif que,<br />

là où il est employé, la carte 2243 rejoint en gros la 2461 “du”, mais avec d’assez importantes exceptions<br />

: d’abord, quelques [k%*] perdus dans la vaste zone de [ku] et surtout une zone [ka#] relativement<br />

importante, en Haut-Comminges; enfin [ke*] en 6 points seulement de l’est pyrénéen;<br />

avec la négation ne ou no, selon la c. 2252, là où la syntaxe place ce complément à sa suite (Béarn<br />

et zone pyrénéenne), [nu] est la règle, même avec no, de telle sorte qu’on ne distingue pas no seul<br />

de no + lo; mais çà et là, on rencontre des [n%*], bien plus rarement, des [na*] et un seul [nœ*] à<br />

Pontacq; la c. 2251 traite de même de “pour le”, avec “pour” rendu le plus souvent par enta, donc<br />

enta’u, sans problème; mais là où l’on emploi ende (nord-ouest du Gers et bordure des Landes limitrophes),<br />

c’est [en'du].<br />

Les prononciations en [u] sont donc aujourd’hui largement majoritaires sur l’aire gasconne,<br />

mais [o*] et [e*] semblent encore vivantes çà et là, dans l’est du Béarn notamment; il est donc logique<br />

que les grammairiens béarnais, tous originaires de l’est du Béarn, aient privilégié les formes en<br />

[e*] et parfois [%*] : Lespy, Palois, Bouzet, de Pontacq, Courriades, de Soumoulou et même Hourcade,<br />

d’Eysus en Vallée d’Aspe; et MM. Moreux et Puyau ont travaillé principalement avec des locuteurs<br />

naturels de l’est béarnais. En revanche, R. Darrigrand, d’Orthez, P. Bec, Commingeois, M.<br />

Grosclaude, “étranger” installé à Orthez, et J.-P. Birabent et J. Salles-Loustau, désireux de présenter<br />

un « gascon commun » (p. 9) ont naturellement consacré les seules formes en [u].<br />

Mais alors, pourquoi les écrire en eu, e’u au lieu de o, seule forme que L’application… ait<br />

prévue pour rendre “ou” ? archaïsme délibéré, malgré le principe B de l’I.E.O. ? Bien que R. Darrigrand<br />

et P. Bec soient les seuls à se référer expressément à L’application…, il est vraisemblable que<br />

cette graphie résulte d’un court passage de ce document, p. 3 : « [écrire] eu au lieu de o : deu, peu et<br />

non do, po. ». Mais je pense que ce texte a été mal compris, faute d’avoir été rapproché de son correspondant<br />

dans La réforme… de 1950.


Jean <strong>Lafitte</strong> 245 Écriture du gascon<br />

Ce passage se trouve en effet dans un paragraphe de “normalisation linguistique” et non “orthographique”,<br />

comme je l’ai déjà montré p. 148. Ainsi, do et po sont des graphies correctes — selon<br />

les règles qui seront données plus loin — de ce qui se dit [du], [pu], mais la langue littéraire leur<br />

préfèrera les graphies deu, peu… qui bien évidemment se réaliseront [de*] et [pe*] — ici encore<br />

selon les règles de détail qui suivront. Écrire deu et faire prononcer [du] (p. ex. M. Grosclaude,<br />

1977, p. 65), c’est donc non seulement introduire une complication de plus, mais violer la règle<br />

même d’épuration littéraire !<br />

Au contraire, il est parfaitement conforme aux règles de l’orthographe classique définies dans<br />

L’application… d’écrire do, po, so, qu’o, d’o de qui se prononce [du, pu, su, ku, du].<br />

C’était déjà le choix d’Ismaël Girard en 1922 (cf. p. 129). R. Darrigrand aussi, dans ses débuts,<br />

l’avait sans doute senti, puisqu’il a écrit ua mustra do gost dans Reclams… 1-2/1968, p. 20.<br />

Mais c’est surtout ce qu’ont compris Xavier Ravier et Jean Séguy quand ils ont transcrit en graphie<br />

classique les Poèmes chantés des Pyrénées gasconnes (voir p. 154).<br />

Au demeurant, si l’on fait abstraction de l’histoire de ces formes, il n’est pas du tout choquant<br />

que de lo aboutisse à do, per lo à po, sus lo à so et que lo à qu’o. Aussi, quand après Séguy et Ravier<br />

les élèves usent de telles formes, il est difficile de dire qu’ils font des “fautes” !<br />

De plus, quand on observe que les Médoquins et spécialement le linguiste Alain Viaut écrivent<br />

tout naturellement dau(s) ce qu’ils prononcent [da*(s)] (cf. Écrire pour parler, Los Tradinaires,<br />

1998), et qu’occitanistes limousins et provençaux en font autant, on voit mal comment on pourrait<br />

refuser à la majorité des <strong>Gascon</strong>s qui disent [du] le droit d’écrire do. C’est ce qu’exprimait Roger<br />

Teulat (1982) (C. L. O. n° 12, Octobre 1984, p. 51 sq.) : il donnait parmi les « principes en<br />

conformité avec le fonctionnement de la langue » que l’on doit « 5/ donner à toute variété d’occitan<br />

le droit à l’orthographe : formes locales, formes francisées…; mais toujours dans le cadre des principes<br />

généraux », c’est-à-dire les huit d’Alibert dans La réforme…<br />

Au nom du principe B d’Alibert et de l’indispensable adéquation graphie-phonie, et en suivant<br />

l’exemple éclairé des Professeurs Séguy et Ravier, j’estime donc que doivent être généralisées<br />

les graphies classiques do, po, so, qu’o, n’o, s’o, ç’o etc. À Bayonne, on aura aussi entó. Et l’on<br />

garde bien sûr deu etc. et que’u etc., aussi bien que dòu, dau etc. pour les auteurs qui entendent exprimer<br />

les prononciations correspondantes.<br />

Accessoirement, j’écarterai la graphie *deumau donnée en exemple par le Mémento grammatical<br />

de 1989 et adoptée par J. Miró dans la transcription classique du doumau d’Arnaudin-<br />

Boisgontier : avec les auteurs du Civadòt, ceux d’Atau que’s ditz, P. Mora, É. Chaplain, G. Narioo<br />

(La bíblia valenciana, p. 97 et Dic. français-occitan (gascon)), j’estime que domau est la seule graphie<br />

correcte du [du'ma*] de la langue vivante. Et de même, la graphie *deubèn que J. Miró affecte<br />

au douben d’Arnaudin-Boisgontier doit être corrigée en dobèn.<br />

ô pour noter /o/ non tonique<br />

La graphie occitane n’envisage pas le cas de /o/ non tonique : /o/ c’est ò et plusieurs grammairiens<br />

précisent qu’on ne le trouve qu’en syllabe tonique (ex. R. Teulat, Q.L.O. n° 9, 10/1980, p. 61).<br />

Or la réalité de la langue gasconne atteste l’existence de [o] en syllabe non tonique, sans doute<br />

parce que le passage de /o/ à /u/ n’est pas encore achevé en domaine gascon.<br />

Étudiant en effet cette évolution qui doit avoir commencer au XIII e siècle, j’ai spécialement


Jean <strong>Lafitte</strong> 246 Écriture du gascon<br />

remarqué l’étude que M. Grosclaude (1986-1, pp. 118-125) avait faite d’une cinquantaine de vers<br />

de Fondeville (1633-1705). Chez un auteur qui note naturellement /u/ par ou, il avait relevé de<br />

nombreux mots en o qui sont aujourd’hui en [u] : « com, desfortunes, comunes, provouca, devotious<br />

etc. ». Il pouvait donc en conclure :<br />

« Contrairement à l’opinion de certains linguistes occitans, je crois que cette évolution<br />

s’est achevée assez tardivement, notamment en Béarn, et qu’à l’époque de Fondeville,<br />

elle n’est pas encore parvenue à son terme. » (pp. 119-120).<br />

Or de lire par deux fois doctou chez Fondeville m’a soudain rappelé que Palay écrivait aussi<br />

doctou, 300 ans plus tard. J’ai donc entrepris une recherche systématique de ces [o] non toniques<br />

dans le Palay, qui en a relevé un peu partout; non seulement vers Bayonne, mais aussi tout particulièrement<br />

en Barège et Lavedan et en Médoc. Certes, pour ne pas allonger inutilement la liste, j’en<br />

ai écarté en principe les mots qui, résultant d’une composition, comportent un [o] sous accent tonique<br />

secondaire, comme abordamén, acordamén, acostamén, acotomén, amoblamén, arrollamén,<br />

corniscrauàt, deshorohèyt, loctenén, etc. ou issu d’un a après un tel accent secondaire comme acotomén,<br />

deshorohèyt… Mais quand la composition n’est pas évidente, j’ai préféré les garder : corsecà,<br />

entricomalhà, pabosàc…<br />

Finalement, ce sont près de 300 mots en [o] non tonique que j’ai pu recenser dans le Palay, la<br />

liste complète figurant dans Ligam-DiGaM n° 23, pp. 13-14 :<br />

• 17 mots latins ou imités du latin : debitoribus, deogratias, dominè, etc.<br />

• 84 mots apparentés au français, généralement “savants” : absolucioû, acrobàt", aristocracie,<br />

aristocrate, catolìc, chicorée, etc., mais aussi Occitâ, Occitanie, octòbr", ofìci, etc. Car Occitâ, Occitanie<br />

relèvent bien de cette catégorie “savante”, donc pas du tout “populaire”, ce que Palay souligne<br />

par « (lit.) » (= littéraire) dans le second article.<br />

• enfin, 193 mots que l’on peut considérer comme “autochtones” : aporrochì (édition de<br />

1932), apropì-s, arrocalégn, artorsedé, atorgà, […] doctoù, doctouràt, doctouràu, […], filosofe,<br />

filosoufià, filosoufic, filosouficamén, filosoufie, fofone, forane, […] glorià-s, gloriéte, glorificà, glorificacioû,<br />

glorificàyr", gloriole, glorioùs, gloriousamén, gloriousàs, […] solemnamén, solèmn",<br />

solemnisà, solemnisacioû, solemnitàt, solìc, solìde, etc.<br />

On pourra s’étonner de voir parmi ces derniers des mots manifestement “savants” comme<br />

doctoù et sa famille; je doute en effet que le [o] de doc- soit dû au français car tout le reste du mot<br />

obéit à la phonologie gasconne ordinaire; “docteur” aurait donné *doctur, et l’on ne voit pas pourquoi<br />

le second o du mot français “doctorat” serait passé à [u] plutôt que le premier; on pourrait penser<br />

plutôt que c’est au latin de toute l’ancienne littérature savante que l’on doit cette rémanence du<br />

[o]; au XVII e s., Fondeville, déjà cité, écrit le plus souvent doctou, mais aussi douctou; même influence<br />

latine probablement pour filosofe et sa famille, celle de glòri, et plus sûrement encore pour<br />

solèmn" et sa dérivation, attestés en ancien béarnais comme en témoignent les citations du Lespy.<br />

Et en feuilletant une partie de l’ALG III, j’ai relevé arcolân en 4 points du nord du Gers (c.<br />

822) et la confirmation de solidë dans presque toutes les Landes et le tiers sud de la Gironde (c.<br />

848).<br />

Au demeurant, le polymorphisme n’est pas rare; pour ne citer que des /o/ ) /u/ non toniques<br />

du Palay : artoursedé, barounique, bourtòlis, coulère, coupanà, fourestiè, geougràf", houlhoà,


Jean <strong>Lafitte</strong> 247 Écriture du gascon<br />

mau-soulide, oufìcialamén, poulitique (f.), troumbone, troupicà etc. ont tous une variante en o<br />

atone. Et la langue observée n’est pas toujours cohérente : on dit econòm", mais gastrounome…<br />

Quoi qu’il en soit, le scripteur qui veut représenter la langue parlée n’a actuellement d’autre<br />

recours que le ò de la graphie alibertine, avec l’équivoque possible sur la place de l’accent tonique;<br />

ainsi Que parlam (cf. p. 174) : còmuns (p. 97), dròguista (p. 110), armònia, qui sera lu normalement<br />

[ar'moni] et au lieu du réel [armo'niœ] (p. 142), etc.<br />

La graphie classique doit donc se doter d’un graphème qui note ces /o/ non toniques; faute de<br />

mieux, je propose la lettre ô, qui est disponible, ce en quoi je rejoins Nicolas Quint (2000, p. 74) :<br />

« L’usage de l’accent circonflexe (absent de la graphie occitane classique) permet<br />

d’arriver ici au résultat désiré. »<br />

e pour noter les /e/ féminins posttoniques de la montagne<br />

La carte ALG VI, 2067 montre la zone de montagne, de Gavarnie au Val d’Aran, qui prononce<br />

[e] le « a posttonique + consonne latine», ce qui touche surtout les pluriels féminins (vacas se<br />

prononce ['bakes] et non ['bakos] comme dans la plaine) et certaines formes verbales. En signalant<br />

cette particularité du féminin pluriel, R. Darrigrand (1969-3, 6) estimait que « cela n’empêche pas<br />

de les graphier “as” : pòrta, pòrtas (pòrtes) », ce qui introduisait une difficulté supplémentaire de<br />

lecture pour les <strong>Gascon</strong>s de ces régions. On a vu que J. Séguy et X. Ravier ont préféré la notation<br />

normale par -e- (p. 155) et que les Aranais en ont fait leur norme (p. 159). C’est évidemment le seul<br />

choix graphique possible dans le cadre de L’application…<br />

e pour noter /e/ ou / œ ! ø/ prétonique du futur et du conditionnel des verbes en -ar<br />

Une vaste portion du domaine gascon dit depuis des siècles canterèy et canteri (classiques<br />

canterèi et cantarí), comme étudié en Annexe XX. Or cela gêne les “normalisteurs” intégristes.<br />

Jean-Pierre Laliman, enseignant d’oc en Gironde, est vraisemblablement le premier qui ait<br />

posé la question de ces futurs par une lettre publiée dans P.N. n° 51 de Nov.-Déc. 1975, p. 2. Il<br />

s’indignait du laisser-aller des écrits de cette revue; sur ce sujet :<br />

« Bianchi écrit : troberàs au lieu de trobaràs, esposeràs au lieu de esposaràs. Je sais<br />

bien qu’il n’y a pas plus d’un <strong>Gascon</strong> sur dix qui prononce “troubaràs” ! Les neuf autres<br />

disent “trouberàs”. Mais il faut écrire trobaràs pour suivre l’étymologie et conserver le<br />

radical -a de la première conjugaison ! »<br />

Manifestement, cet enseignant connaissait bien le gascon, mais n’avait probablement jamais<br />

lu les principes de la graphie classique selon l’I.E.O., le B notamment. M. Grosclaude lui répondait<br />

aussitôt avec sagesse (ib.) :<br />

« …sur le problème des futurs (cantarèi ou canterèi). Bien sûr, Laliman a raison au<br />

point de vue de la logique. Mais est-il bien raisonnable de vouloir aller à l’encontre d’une<br />

habitude vieille de deux ou trois siècles ? La forme cantarèi est la seule qui soit logique.<br />

Mais la forme canterèi est employée, au moins, depuis le XVI e siècle (Cf : Les psaumes<br />

d’Arnaud de Salette). »<br />

Néanmoins, on peut se demander quelle est la « logique » invoquée ici : celle du latin ? du<br />

gascon ? Car l’Annexe XX nous montre bien des cas d’affaiblissement du a prétonique. Mais cela<br />

n’est pas général en un même lieu, et à [ka.ale'rijœ/o] “cavalerie” s’oppose [ma'rijœ/o] “Marie”:<br />

pas plus qu’une graphie uniforme en -aria ne pourrait couvrir les deux prononciations — ce qu’ont<br />

très bien compris G. Narioo et autres dans leur nouveau Dictionnaire (p. 189 ci-dessus)—, une gra-


Jean <strong>Lafitte</strong> 248 Écriture du gascon<br />

phie commune en -a- ne permettrait la lecture directe en [e] des futurs concernés. C’est aussi ce<br />

qu’a reconnu le principal responsable linguistique de l’I.E.O. J. Taupiac, dans un article en « gascon<br />

lomagnol » où il écrit lui-même parleratz le seul verbe en -ar qui y soit au futur :<br />

« Si vous croyez qu’il est plus facile d’écrire comme on parle et de lire exactement ce<br />

qu’on voit écrit, en respectant les particularités du gascon qui est un dialecte occitan bien<br />

différencié qu’il faut prendre comme il est, écrivez : canteràs (ou cantaràs), auèui (ou avèvi)<br />

selon ce que vous prononcez. » (avèvi o auèui ? cantaràs o canteràs ?, Q.L.O. n° 4, décembre<br />

1976, p. 17).<br />

C’est donc en violation des règles mêmes de L’application… que plusieurs grammairiens (A.<br />

Hourcade, p. 164 ci-dessus; Jean-Pierre Birabent et Jean Salles-Loustau, p. 168; André Bianchi et<br />

Alain Viaut, p. 171) ne prévoient que la graphie en -a-, avec au mieux une réalisation possible en<br />

[e] ou [œ] : c’est de la normalisation linguistique qui n’ose s’avouer et qui va a l’encontre de la pratique<br />

majoritaire de la langue.<br />

a pour noter /a/ ou / œ ! ø/ prétonique des suffixes -ador et -ader<br />

Pour les mots achevés par ces suffixes, Palay s’en était tenu à la notation du « a étymologique<br />

» (Avertissement, 6 ème alinéa et Préambule de la lettre E), mais seulement pour « éviter le double<br />

emploi » dans le dictionnaire, en les traitant d’ailleurs sur le même plan que les mots en -amén<br />

(voir Annexe XX). Mais le fait qu’il a continué à noter dans le cours du dictionnaire des mots en -<br />

edoù et -edé, comme d’autres en -emén, montre qu’il ne considérait pas ses graphies de base en<br />

-adoù, -adé et amén comme couvrant toutes les réalisations sur le domaine, mais simplement<br />

comme une convention lexicographique qui laissait chacun écrire -edoù et -edé ou -adoù et -adé<br />

d’une part, -emén, -omén ou rarement -amén d’autre part, selon sa prononciation.<br />

Pourtant, contrairement à ce que je préconise ci-dessus et ci-après, il me parait possible et<br />

donc souhaitable de maintenir l’unité graphique gasconne — et même d’oc — en gardant le a étymologique<br />

même s’il se réalise [e] ou [œ/ø], car en un même lieu, tout mot en -ador sera prononcé<br />

de la même façon, -[a'9u] ou -[ø'9u]/[œ'9u]/[e'9u], et de même, tout mot en -ader le sera en -[a'9e]<br />

ou -[ø'9e] /[œ'9e]/[e'9e]; on est en effet dans le cadre exact d’une graphie englobante.<br />

e pour noter /e ! œ / issu d’un a prétonique, dans tous les autres cas<br />

La question a été posée par J. Salles-Loustau dans sa critique de l’édition en graphie occitane<br />

de l’Anthologie populaire de l’Albret de l’abbé Dardy, (cf. p. 165). Après avoir admis la parfaite<br />

authenticité gasconne des formes en -e- comme reson, seson, fantesia, il estime qu’« on pouvait<br />

[…] orthographier a comme le veut la norme, à condition de signaler cette particularité de la prononciation<br />

dans l’Albret. » Pourtant, je ne connais pas d’autre source de norme classique du gascon<br />

selon l’I.E.O. que L’application… de 1952 et les principes de La réforme… de 1950 auxquels elle<br />

renvoie. Or selon le principe B, l’« orthographe sera en principe phonétique pour les mots de formation<br />

populaire », et les règles de détail n’envisagent pour le a que ses prononciations en finale. La<br />

règle invoquée par J. Salles-Loustau qui voudrait qu’on notât a un [e/œ] prétonique issu d’un a<br />

étymologique n’existe donc pas; mais il la créait en quelque sorte en écrivant « on pouvait donc orthographier…<br />

», ouvrant la porte à la confusion.<br />

Un de ses successeurs à la tête des Reclams devait donc afficher sans complexe la « norme »<br />

nouvelle; voici en effet comment il terminait le “mot deu Capredactor E. Gonzalès” en p. 4 du<br />

numéro spécial du centenaire de la revue paru à la fin de 1997, numéro qui reproduisait des textes


Jean <strong>Lafitte</strong> 249 Écriture du gascon<br />

anciens, mais réécrits en graphie classique occitane :<br />

« En normalisant les textes, nous avons noté a la voyelle prétonique qui devient e<br />

dans la région d’Orthez, Salies et Sauveterre et nous avons écrit, par exemple, davant pour<br />

devant, hasè pour hesè (verbe har), etc… ».<br />

Mais pour qui l’écrit est au service de la parole quand il s’agit d’une langue vivante, il faut<br />

donner la règle de lecture correspondante; or dire que dans la région visée — non seulement<br />

l’Albret d’une part, et l’ouest du Béarn d’autre part, mais en fait une vaste moitié ouest du domaine<br />

gascon — tout a prétonique se lit comme un e est non seulement bien complexe à enseigner, mais<br />

surtout est faux, comme je l’ai rappelé en Annexe XX.<br />

Au demeurant, É. Gonzalès a écrit, p. 19, arrequedera et non arrecadera et, p. 20, resons et<br />

non rasons… : heureux lapsus calami, ou encore « Chassez le naturel, il revient au galop. »<br />

Cette “règle” ne pouvant fonctionner, on s’en tiendra donc ici à l’attitude adoptée pour les futurs<br />

et conditionnels des verbes en -ar : ce qui est [e] ou [œ] restera noté e.<br />

a pour noter / œ ! ø/ ou /o/ posttonique du suffixe -ament<br />

Le gascon comme le français a deux sortes de mots en -ment, tous de formation “savante”, des<br />

adverbes de manière dérivés d’un adjectif au féminin et des substantifs; lorsque le radical de ces<br />

derniers est un verbe en -a-, on aboutit à des mots de même allure que les adverbes : gauyosament,<br />

cambiament {joyeusement, changement} (voir Annexe XX).<br />

Comme pour les suffixes -adoù et -adé examinés plus haut, Palay en était resté à la notation<br />

du « a étymologique ». De même, il me parait possible et donc souhaitable de faire comme lui en<br />

précisant que le -a- de -ament se prononce comme le -a posttonique des mots simples tels que hemna<br />

{femme} ou arròsa {rose}.<br />

Feront néanmoins exception les quelques mots qui sont en -ament en français et<br />

qu’aujourd’hui le gascon prononce partout en [a] comme signalé dans l’Annexe : firmament, ligament,<br />

temperament, testament. On l’indiquera dans les articles des dictionnaires.<br />

Pour les quelque vingt-quatre dérivés de substantifs en -ament évoqués dans l’Annexe (foundamentàu,<br />

ournamentà, ournamentacioû etc.), la sagesse sera sans doute de consacrer l’usage qui<br />

aligne leur prononciation sur le français, et de l’indiquer aussi dans les dictionnaires.<br />

Enfin, il convient de souligner que le « a étymologique » n’a pas sa raison d’être pour les adverbes<br />

dérivés d’adjectifs en -e dans les régions où ceux-ci sont épicènes (simplement [simple'men])<br />

ni pour les mots d’étymons en -e-, comme elemén etc.<br />

La voyelle e en “parler noir”<br />

On sait que le gascon de la Grande Lande est caractérisé par une prononciation assourdie de la<br />

voyelle e, d’ou le nom de “parler noir” que lui ont donné les <strong>Gascon</strong>s des contrées voisines. J’userai<br />

donc ici de ce nom pratique et bien connu. En gros, ce qui est [e] devient [œ, ø ou œ], et [!] devient<br />

[e]. Et cela concerne une bande littorale qui va du Barp à Biarritz, sur une cinquantaine de km de<br />

largeur et donc Bayonne et le Bas-Adour, fortement peuplés et urbanisés.<br />

On en trouve une présentation succincte chez J. Boisgontier (1994), avec l’indication de ses<br />

choix personnels pour régulariser la graphie d’Arnaudin, fluctuante dans le temps et pas toujours


Jean <strong>Lafitte</strong> 250 Écriture du gascon<br />

heureuse. Ces données ont été complétées par J. Miró (2001) pour ce qui est de la graphie classique.<br />

Par ailleurs, Ph. Lartigue avait également donné une brève mais claire présentation du parler noir<br />

dans son article de 1996.<br />

La graphie classique connait a posttonique, e, é et è; le parler noir réalise ces lettres de façon<br />

assez régulière : e et é toniques en [œ], è en [e], e prétonique en [ø], a et e posttoniques en [œ] : le<br />

pelha de le hemne qu’es nega {la robe de la femme est noire} se dira [lø 'pœ&œ dø lø 'hœmnœ køs<br />

'nœ5œ].<br />

Pourtant, J. Miró signale des irrégularités :<br />

– le e prétonique peut se prononcer [e] dans les mots où ce e dérive d’un è tonique : aceirar<br />

{aciérer} [ase"'ra] parce que dérivé de acèir {acier} [a'se"]; la logique voudrait donc là le même è<br />

que dans acèir; mais comme on bannit le è (comme le ò) en syllabe non tonique, la graphie classique<br />

ne sait pas noter ce phonème; je propose le ê, comme le ô (cf. p. 247) : acêirar.<br />

– « dans les terminaisons en -ENT, -ENÇA, et -ET » des e prononcés [e] au lieu du [ø] attendu,<br />

ce que l’on sait par la notation en é d’Arnaudin : -én, -énce, et -ét. En fait :<br />

• les finales classiques en -ent prononcé [en] ne concernent que 13 mots d’Arnaudin :<br />

apechén, bedén, bernat-lusén, bernat-pudén, bourén, courrén, crechén, drilhén, hounén, pechén,<br />

pendén, pesén, ternén, tous adjectifs verbaux de verbes en -er ou en -ir, plus crebe-gén que Miró<br />

transcrit crèbagent, contre gén et roubine-gén d’Arnaudin transcrits gènt et rovinagènt, donc par -<br />

ènt, comme 5 autres mots d’Arnaudin en -én : bén, boule-bén, cén, coumbén et dén. Mais 8 autres<br />

adjectifs verbaux sont en -en chez Arnaudin, donc [œn] : sec-seguen ou segseguen, seden, serben,<br />

serpen, sourgen, tenden, truhen; mais ils sont très curieusement groupés sur la fin du Dic., comme<br />

si Arnaudin (ou Boisgontier qui l’a “régularisé”, ou Miró qui a achevé l’œuvre de Boisgontier)<br />

s’était lassé de noter les accents… ou avait changé d’idée ? Et il y en a deux autres en -ën toujours<br />

pour [œn] tonique, selon la régularisation graphique de Boisgontier, talhën et guit-petën. S’y ajoute<br />

seberden, sebreden {surdent}, contre dén {dent}. De même, hens / hen {dans} n’est pas cohérent<br />

avec dehën {dedans, l’intérieur}. Mais sont tous en -ën la soixantaine d’adverbes et mots abstraits<br />

en -ment classique. Tout cela est plutôt désordonné, et ne peut que conduire à généraliser la graphie<br />

par -ènt pour -[en] déjà utilisée par Miró en 7 occurrences.<br />

• les finales en -énce (ou -énse) d’Arnaudin touchent 28 mots; elles sont dans la logique<br />

phonétique des adjectifs verbaux en -én dont elles dérivent, et doivent être traitées de même par une<br />

graphie classique en -ènça, comme l’a fait Miró pour un hapax, cranhènça.<br />

• les finales en -ét sont au nombre de 33, dont 8 correspondent selon toute probabilité à<br />

des formes en -èth issues du suffixe latin ‘-ellu” : arcèth, arrodèth, aurèth, plombèth, tutèth plus<br />

peut-être rondèth et tornèth; une neuvième, arrediét d’Arnaudin résulte probablement d’une erreur,<br />

puisque variante de arradiet, où elle est rappelée comme arrediet. Restent donc 24 mots en -ét<br />

d’Arnaudin, qui ont tout de diminutifs en -et; mais puisque ce qui se prononce normalement [e] en<br />

parler noir s’écrit par è en gascon général, la solution me parait de noter ces mots en -èt, comme variantes<br />

irréductibles.<br />

Enfin, l’article féminin prononcé [lø] — exemple ci-dessus — comme proclitique et donc prétonique<br />

(cf. Annexe XX) ne peut être écrit que le, comme il l’était dans les textes d’il y a 800 ans<br />

par des scribes qui avaient un sens aigu de la langue qu’ils pratiquaient journellement. Au demeurant,<br />

aucune règle générale de lecture de la graphie classique occitane ne permet de le prononcer<br />

ainsi si on le note *la.


Jean <strong>Lafitte</strong> 251 Écriture du gascon<br />

VI – Les diphtongues<br />

Hormis l’insoluble notation de [wi] atone (cf. pp. 189 et 293), il n’y a que quelques anomalies<br />

à éliminer.<br />

oe/oè pour noter /we/ ou /w$/, et non, selon les, cas ue/uè ou oe/oè<br />

/we/ ou /w!/ s’est écrit oe dès les temps lointains où u a pris la valeur de /y/, c’est-à-dire u<br />

français, tandis que o bref tendait à devenir /u/, donc ou français. Cette graphie a traversé les siècles,<br />

jusques et y compris aux normes donnés par Alibert en 1942 dans le cadre de la S.E.O. (cf. p.<br />

140). Mais comme certains mots tels que coer s’écrivent cuèr en languedocien, qui le prononce<br />

[ky!], L’application… de 1952 a choisi cuer pour le gascon, étant entendu que la prononciation y<br />

serait [kwe]. Mais c’était oublier que ue/uè resteraient [3e/3!] dans des mots comme mansuetud,<br />

Manuèl, fuèl ou encore les possessifs eth sué, eth lué, tandis que /we/ ou /w!/ continuerait à s’écrire<br />

oe/oè dans yoen / joen, boèr etc… Cela devient vite inextricable pour ceux qui s’essaient à lire et<br />

écrire : comment expliquer que le bœuf bueu s’écrit par ue et que le bouvier boèr s’écrit par oè ?<br />

C’est le régime de l’obéissance aveugle : « cherchez pas à comprendre ! ». Le tout pour une poignée<br />

de mots qui se rapprocheront visuellement du languedocien, car si cuer, uelh, sont proches de cuèr,<br />

uèlh languedociens, huec, bueu, nueit… restent encore assez loin de fòc, buòu, nuèch… de l’occitan<br />

“standard”. Et sans compter les hypercorrections, déjà signalées p. 147, de ceux qui écrivent par uè<br />

les gallicismes issus de oi français prononcé à l’ancienne (patuès, istuèra…).<br />

Le même problème semble d’ailleurs s’être posé en limousin. Cette langue d’oc n’a pas fait<br />

l’objet d’une norme particulière de l’I.E.O., mais le Centre d’estudis occitans de l’Université de<br />

Montpellier III a édité en 1974 l’ortografia occitana / lo lemosin, brochure de 55 p. rédigée par<br />

deux occitanistes limousins, Peir Desrozier et Joan Ros. On y lit p. 25 (traduit du limousin) :<br />

« — diphtongaison de /o/, /u/ toniques en /we/ : luenh ~ lonh, besuenh ~ besonh, genuelh<br />

~ genolh, etc… ». {loin, besoin, genou}<br />

C’est donc la même règle que pour le gascon. Dans la pratique, cependant, des /we/ de cette<br />

espèce étaient notés par oe dans le numéro 86 de la revue occitaniste La clau lemosina, début 2000,<br />

le dernier qui ait été publié : sous la plume d’Andriu Vernon (pp. 3-6), besoenh, loenh, mais luec<br />

{lieu}; et si J.-F. Renon (pp. 10-12) note tout par ue, le dernier mot de la p. 12 est soenh {soin}; et<br />

p. 17, “La Mili” écrit fautuelh {fauteuil} et januelh {genou}, graphies ambivalentes car valant /3e/<br />

au premier, un gallicisme, et /we/ au second. C’est dire qu’on a là un problème qui dépasse le domaine<br />

gascon, et que la graphie occitane officielle a mal traité.<br />

Or on a vu p. 151 que pour le gascon, J. Séguy avait choisi voeitada, hoec, oelh et que X. Ravier<br />

écrivait coeisha, hoec, voeida, coélher; mais sues pour le possessif prononcé [s3es]. C’est de<br />

pur bon sens, conforme à la continuité des graphèmes de l’ancienne langue, et parfaitement pédagogique.<br />

Je recommande donc oe/oè pour noter /we/ ou /w!/ quelle que soit l’étymologie, ce qui<br />

permet de réserver ue/uè à la notation de /3e/ ou /3!/.<br />

oa pour noter /wa/ dans tous les cas (hormis après q, qua; cf. p. 271)<br />

Le son /gwa/ n’existe semble-t-il en occitan que dans deux mots du Dictionnaire d’Alibert,<br />

cogoacha et goapo. Il y est noté par goa, comme en gascon de toujours. Or ici, c’est à l’imitation<br />

du catalan que l’on fait écrire gua en gascon, tandis qu’après les consonnes autres que g, on écrit


Jean <strong>Lafitte</strong> 252 Écriture du gascon<br />

oa : boalar, doana… La sagesse consiste ici encore à n’user que de oa dans tous les cas; ainsi le<br />

gascon abandonnera son guapo pour goapo, comme en occitan, et notera aussi goarir, goaire etc.<br />

VII – Les phonèmes semi-consonantiques<br />

Cette section réunit l’étude des deux phonèmes semi-consonantique /w/ et /j/ qui ont en commun<br />

de constituer une particularité gasconne qui remonte probablement aux origines, de ne pas<br />

couvrir l’ensemble du domaine, du fait sans doute de leur substitution par les phonèmes /./ et /2/,<br />

probablement venus des langues voisines, et d’être pratiquement ignorés par la graphie classique,<br />

dans la mesure ou leur notation ordinaire par v et j (ou g devant e et i) privilégie les réalisations de<br />

substitution.<br />

/w/ intervocalique noté par -u-<br />

On sait que les trois-quarts du domaine gascon prononcent [w] ce qui est v intervocalique en<br />

occitan; ou plus précisément, un grand nombre de ces v. Tendant à l’unité graphique “panoccitane”,<br />

L’application… fixe la graphie par -v- comme règle, mais ajoute :<br />

« Dans les parlers où le b et le v latins intervocaliques aboutissent à u (w semiconsonne),<br />

au lieu de v, on admettra les doubles graphies : víver ou víuer, déver ou déuer,<br />

dava, ou daua, ivèrn ou iuèrn. »<br />

En fait, pourtant, très peu d’auteurs usent de cette tolérance, sans doute parce que bien peu<br />

sont issus des régions en [w], mais aussi, probablement, par souci d’être lus facilement sur<br />

l’ensemble gascon, où la graphie béarnaise en -v- fait figure de norme. C’est notamment le cas de P.<br />

Bec, issu du Comminges qui dit [w] : podèvi, Contes de l’Unic, 1977, p. 9; s’avancèc, Sebastian,<br />

1981, p. 9; sabèva, Racontes d’ua mòrt tranquilla, 1993, p. 5, etc.<br />

En 1975, la tolérance fut contestée par un enseignant du Bazadais, Jean-Pierre Laliman : il<br />

l’estimait inutile car pour lui, le v unitaire à double lecture suffisait (P.N. 51, 11-12/1975, p. 2, rubrique<br />

Los legidors qu’an la paraula {Les lecteurs ont la parole}); avec prudence, et l’accord<br />

d’André Bianchi, M. Grosclaude prit le parti du lecteur, ce qui ne pouvait poser problème à Per<br />

Noste, majoritairement béarnais, donc hors de l’aire où il faut décoder -v- en [.] ou en [w]. Mais<br />

douze mois après, J. Taupiac répondait en sens opposé (Q.L.O. n° 4, 12/ 1976, p. 16); dans le n° 10<br />

des mêmes Q.L.O., Daniel Séré approuvait Taupiac, et celui-ci devait exposer à nouveau son point<br />

de vue dans Normalisacion grafica e normalisacion lingüistica, 1984, p. 36.<br />

Face à des réalisations aberrantes comme celles de devisar et alavetz en [dewi'za] et<br />

[ala'we1], J. Taupiac énonçait ainsi le dilemme gascon :<br />

« a) Ou les écoliers et les lecteurs doivent apprendre la longue liste des mots où le v<br />

représente le phonème /b/ et ceux où il représente /w/ […].<br />

« b) Ou les graphies v et u sont admises […] ».<br />

La seconde solution, seule officielle à l’I.E.O., lui semblait « plus réaliste » et il la fit adopter<br />

dans les normes aranaises (cf. p. 158).<br />

Dans un premier temps, une étude des cas où v se lirait [w] dans les zones concernées m’avait<br />

fait admettre la position de J.-P. Laliman, M. Grosclaude et A. Bianchi, car la liste à apprendre pouvait<br />

se réduire en dégageant une série de cas : imparfaits en -ava, -èva ou -iva, dérivés de -au, -eu,<br />

-iu; mais au-delà, il restait toujours une liste à apprendre… (Ligam-DiGaM n° 6 d’Octobre 1995,<br />

pp. 34-40).


Jean <strong>Lafitte</strong> 253 Écriture du gascon<br />

Or je devais par la suite m’intéresser de plus près à cet étrange [w] qui n’existe qu’en gascon,<br />

pour aboutir à la carte suivante.<br />

Je pris alors conscience de ce que le domaine rural et central de [w], peu propice aux innovations<br />

linguistiques, rendait vraisemblable son caractère primitif; au contraire le [.], dans des zones<br />

en contact avec d’autres langues qui le pratiquent, et spécialement dans les villes ouvertes aux<br />

échanges, apparait comme le produit d’influences extérieures, et relativement récentes (<strong>Lafitte</strong>,<br />

2003-1).<br />

S’agissant donc d’un phénomène spécifiquement gascon, probablement aussi ancien que le<br />

passage de f latin à [h], on ne saurait le traiter comme une variation dialectale appelée à disparaitre<br />

devant un [.] passant pour “normal”.<br />

Or le -v- ne peut être une “graphie englobante”, car une telle graphie doit pouvoir être décodée<br />

facilement partout, selon autant de règles de décodage que de variantes phonétiques locales. Or<br />

on n’a pas pu définir une règle qui permette de distinguer les quelque 55 % de -v- prononcés [w]<br />

des 45 % prononcés [.].<br />

Par exemple, le Mémento grammatical du gascon de MM. Birabent et Salles-Loustau (cf. p.<br />

167) exclut les mots composés de la lecture en [w], avec l’exemple emblématique d’alavetz. Malheureusement<br />

:<br />

– c’est quasi inopérant dans la pratique, la composition des mots étant loin d’être évidente<br />

pour la plupart de ceux qui veulent apprendre notre langue et n’étant pas pour autant un critère certain<br />

: avenguda {avenue} et avocat sont en [.], mais avançar {avancer} (< ‘ab + ante + are’), travèrsa<br />

{raccourci} (< ‘trans + versus’), divendres {vendredi} (< ‘dies + Veneris’) sont en [w] en certains<br />

lieux (ALG III, 996 et 1042);<br />

– cela n’explique pas les prononciations en [.] de xivau et cavala, ni naviri, ni civilisacion<br />

etc., sans compter l’avesque de bien des dictionnaires, à la suite sans doute d’une erreur d’Alibert,<br />

puisque le p de ‘episcopus’ aboutit à un -b- dans nos langues d’oc.<br />

Techniquement, J. Taupiac a donc entièrement raison quand il avance que la graphie unifiée


Jean <strong>Lafitte</strong> 254 Écriture du gascon<br />

-v- ne peut être une graphie englobante.<br />

De fait, on a cherché d’autres solutions, comme d’opposer v valant [w] ou [.] selon les lieux à<br />

b valant [.] partout; c’est ce qu’on trouve dans Atau que’s ditz (cf. p. 175) : brabe, cabala, cabal(i)èr,<br />

cabalet etc. Mais il aurait aussi fallu noter par b de nombreux autres mots qu’on prononce<br />

aussi partout par [.] : bravar, cavalièr, pròva, espròva, aprovar, esprovar, et a fortiori, devarar,<br />

davarar, devarada, devinar, devinalha, endevieta, endeviar, divés, nòvi, noviau…; sans doute n’estce<br />

pas envisageable.<br />

Alors, puisque L’Application… a ouvert la voie par le biais d’une « tolérance », il faut consacrer<br />

l’opposition u = [w] / v ou b = [.], donc valider -u- au même niveau que -v-, tout comme le -s-<br />

de véser {voir} est aussi légitime que le -d- de véder, et même le f de filh {fils} dans le Couserans<br />

l’est autant que le h majoritaire de hilh.<br />

Tout au plus puis-je proposer une rédaction qui part de la prononciation, selon le principe B,<br />

sans se soucier de l’origine de ce son. Et en évitant les mots « Dans les parlers où…» qui laissent<br />

entendre qu’il s’agirait d’une prononciation « minorisée », cela valorise une prononciation spécifique<br />

du gascon et son graphème :<br />

« Le son [w] entre voyelles est noté u : auegèr, auegiu, auei (= a + oei), auelhar, mauestruc;<br />

auer, deuer, leuar, víuer, que daua, qu’auèua, iuèrn, actiua. »<br />

Je conclus ce paragraphe avec A. Viaut (1987, p. 116) :<br />

« cette question dépasse, toutes proportions gardées, le strict cadre orthographique<br />

pour devenir sociolinguistique à sa manière. La notation […] isolera sur ce détail<br />

toutefois, l’Aran, de la pratique courante gasconne, à moins que l’idée ne fasse école. À<br />

ce jour, au moins l’association “Montanha vieua”, de Bagnères de Luchon, utilise les règles<br />

orthographiques normalisées de l’aranais …».<br />

Le devenir du yod roman<br />

Le phonème /j/ se rencontre en gascon à l’initiale, entre voyelle et après consonne (ou diphtongue<br />

au), avec cette particularité que dans de vastes zones du domaine, il fait place à /2/. Palay,<br />

qui note les deux réalisations par j, décrit fort bien le phénomène dans le préambule de la lettre J :<br />

« J; consonne. — Se prononce de deux manières : comme le j français et comme i<br />

(ou y), suivant les lieux. Ces deux façons de prononcer, très irrégulièrement réparties sur le<br />

territoire, sont usitées l’une à côté de l’autre dans tout le Bassin de l’Adour; on dit jou à<br />

Lescar et you à Pau et leurs territoires sont limitrophes; you à Tarbes et jou à Vic-Bigorre,<br />

etc.; dans le Gers, le son du j français est le seul connu, à de rares exceptions près; dans les<br />

Landes les deux prononciations voisinent également. En Méd., cette lettre équivaut au<br />

français j, ou dz, ou tz, ou à dy, comme dans adieu. »<br />

Mais son ami Camélat allait manifester ses réserves dès la parution du tome I er du Dic. de Palay<br />

en 1932, en écrivant au jeune André Pic :<br />

« À mon avis (et il n’y a eu rien à faire !), il s’est trompé sur la graphie de j pour y<br />

(souvent) […] » (Lettre du 3 janvier 1933, Camélat, 1967, p. 10).<br />

En effet, les enquêtes de l’ALG devaient bientôt montrer la complexité du phénomène, car en<br />

bien des lieux, ce passage de [j] à [2] ne joue pas pour toutes les positions du phonème, ni même<br />

pour tous les mots. On peut en avoir un aperçu avec les cartes de synthèse 2117 et 2118 du volume<br />

VI (1973) pour le Yod roman à l’initiale et entre voyelles. Pour m’en assurer davantage, j’ai consulté<br />

le maximum de cartes de détail que j’ai pu trouver sur ces deux positions (19 pour l’initiale,


Jean <strong>Lafitte</strong> 255 Écriture du gascon<br />

plus la 1034 “hier” pour le nord de la Dordogne, et 18 pour l’intervocalique) et j’ai étendu la recherche<br />

au yod après consonne ou au (cf. [a*'jami ) a*'2ami] {sens variés dont collectif pour “oiseaux”},<br />

avec 11 autres cartes. J’ai également consulté l’Atlas linguistique de la Grande Lande de<br />

Ph. Lartigue (1992) qui y étudie le yod dans ses trois positions (I, pp. 25-28). Mais dans la carte qui<br />

suit, je n’ai pas pris en compte la cartographie de J. Passy, assise sur une enquête de plus d’un siècle,<br />

et faute de point d’enquête de l’ALG, je n’ai pu représenter la zone en [2] autour de Lescar évoquée<br />

par Palay, zone dont J. Passy a rappelé les liens historiques avec la vallée d’Ossau.<br />

On est d’abord frappé par le fait que l’aire compacte du [j] en toutes positions s’adosse au<br />

Pays basque, comme la plupart des phonèmes anciens en voie de submersion. Le latin n’avait que le<br />

son /j/, en effet, et il n’est sans doute pas aventuré de considérer que le gascon l’a d’abord conservé;<br />

en certaines zones, il l’a ensuite durci en [2], d’abord l’initiale, comme pour renforcer l’attaque du<br />

mot, puis après consonne pour en faire un « j appuyé », et enfin en position intervocalique (Passy,<br />

1904, pp. 67-68).<br />

La carte tendrait à confirmer ces vues de J. Passy, le [j] intervocalique se maintenant en marge<br />

du [2], notamment dans le nord des Landes et à l’est de la vallée d’Ossau. Diachroniquement, on en<br />

a peut-être aussi une confirmation pour celle-ci dans trois chartes établies par le notaire d’Ossau au<br />

début du XIV e s. (18 septembre 1306, 31 mars 1331 et 14 juillet 1332, celle-ci par vidimus )<br />

1446/1464) et publiées en 1984 par le regretté B. Cheronnet, professeur au lycée d’Oloron. On y lit<br />

autreya(…) {accorde(…)} (9 occurrences), yo {je} (2 occ.) et leyaumentz {loyalement} (1 occ.); et<br />

aussi j — pouvant valoir [2] — à l’initiale des prénoms Jordaa (3 occ.) et Jooad (1 occ.) et du mot<br />

jurad {juré} (1 occ.); plus une occurrence de dejodiit {nommé plus bas}, dejus {dessous} et de<br />

coadjutor.<br />

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, à la complexité des marges s’ajoute le fait que sur divers<br />

points d’enquête de ces marges, et même parfois très au-delà, tous les mots étudiés ne suivent pas la<br />

règle générale. Par exemple :<br />

– des [2] en zone [j] : à l’initiale, c’est surtout le cas des emprunts au français comme genó<br />

{genou} qui hésite entre [j] et [2] en plusieurs points, ou des mots subissant l’influence du français,


Jean <strong>Lafitte</strong> 256 Écriture du gascon<br />

comme les mois de juin et juillet ou le prénom Jean; mais aussi le [2ønø'vr!] {genévrier} à Sabres<br />

— le [v] dénonce le gallicisme ! — et la ['2a*5œ] {ajonc} à Castets; le ['hid2e] {foie} à Bedous, la<br />

[2un'to] {jointée, contenance des deux mains jointes} à Lembeye et [2un'do] à Nay; entre voyelles,<br />

enfin, [li*'2!"] {léger} à Biscarrosse, [li*'2e] à Parentis, Lüe et Mimizan, [le*'2!] {léger} à Agnos et<br />

à Arette; ['rra*2œ/o] {rage} à Lue et Agnos;<br />

– des [j] en zone [2] : à l’initiale, c’est le pronom [ju] {je} à Mimizan, Luë et Luxey; la ['jasa]<br />

{gite d’un animal} à Bielle; après consonne, ['hidje] {foie} à Galan, [sa*.ad'jumœ] {sauvagine} à<br />

Moustey et [sa*.ad'jinos] à Villeneuve-de-Rivière; [mi''ja] {manger} à Luxey et à Sarbazan; [ra-<br />

''ja] {ranger} à Galan et Agnos; le même ou des variantes en plusieurs points de Gironde, des Landes<br />

et du Gers, département où l’on trouve également ['gra'jo] {grange}; et plus encore ['li'jœ]<br />

{linge} en Gironde; entre voyelles, enfin, [bajart] {civière} à Mazerolles, ['trujo] {truie} à Aas; et<br />

surtout [gu'jat] et [gu'jatœ/o] {jeune homme, jeune fille} et ['rajœ/o] {raie des cheveux} dans les<br />

deux tiers de la zone [2].<br />

Voici encore des réalisations divergentes dans une même petite région, le Bazadais, selon Dulau<br />

(1994) qui accompagne chaque mot de sa prononciation figurée : tous notés en j ou g, on voit se<br />

réaliser en [j] avantatge, avantatjós, viatjar {voyager}, ditjaus {jeudi}; radj {radeau}; ange, anjolet,<br />

arrenjar, minjar, congèit, granja, monge {moine}, iranja {orange}, Sent-Jan (p. 8); gojat,-a,<br />

apujar, raja(r) (p. 351) et mojen; et en [2], congelar, congestion, conjugar, enjura, enjuste, esconjurar,<br />

venjar…; ajacar, bajart, cuja, dejà, exigir etc.<br />

Un graphème unique est-il possible pour /j/ et /%/ ?<br />

Palay avait pourtant choisi de noter par j ce qui se réalisait par [j] ou [2]; il le justifiait ainsi :<br />

« Bien que la consonne j soit un caractère relativement moderne, — les Latins employaient<br />

i — nous n’avons pas hésité à la préférer ici à y partout où cette demi-consonne<br />

ne crée aucune confusion dans l’esprit du lecteur. La lecture y gagne incontestablement en<br />

facilité et clarté. Ex. Bilàdj" et bilàdy", barje et barye. La première forme ne prête à aucune<br />

confusion. En Béarn, d’ailleurs, le son j est presque aussi commun que le son y. Si à<br />

Pau, par exemple, on dit gouye, à Lescar, commune limitrophe, on dit gouje. Même constatation<br />

dans la vallée d’Ossau, en Bigorre et en Armagnac où les deux sons se mêlent dans<br />

un même canton. » (Dic., Avertissement, p. XI).<br />

« ne prête à aucune confusion » supposait à la fois une bonne connaissance de la prononciation<br />

locale par les usagers du dictionnaire — c’était facile, sans doute, au début des années 30 du<br />

siècle passé, quand on parlait couramment béarnais à Pau et à Lescar — et l’uniformité de la réalisation<br />

en un même lieu, ce que Passy avait déjà démenti. Cependant, un tel recours à une “graphie<br />

englobante” avant la lettre est condamnable car lui manque son « critère essentiel […] : dans un<br />

parler donné, la correspondance entre la graphie et la prononciation est toujours la même, sans la<br />

moindre exception. » (J. Taupiac, La hemna e la familha, L’occitan n° 35, 11-12/1983, p. 12).<br />

Je rappelle à cet égard qu’en 1900, les règles orthographiques de l’Escole Gastou Febus, dues<br />

pour beaucoup au romaniste É. Bourciez qui les avait signées, avaient écarté un graphème bivalent<br />

et choisi d’écrire y ou j selon la prononciation :<br />

« 21. Le j n’existe que dans certains dialectes; il est remplacé en pur béarnais par y,<br />

qui est une semi-consonne. On écrit donc à l’initiale yas, yelous, you, yoc, yoén, yumpa, les<br />

mots qui pourront cependant s’écrire ailleurs jas, jelous, jou, joc, joèn, jumpa, etc. De<br />

même à l’intérieur des mots : anyou, aryén, bièrye, larye, payère, cuye, passeya, houleya,<br />

yudye, biladye, maynadye, roumadye; mais on pourra aussi écrire dans certains dialectes<br />

anjou, arjén, bierje, larje, pajère, cuje, passeja, houleja, judje, biladje, maynadje,


Jean <strong>Lafitte</strong> 257 Écriture du gascon<br />

roumadje. » (Reclams de Biarn e Gascougne, Avril 1900, p. 54).<br />

Palay lui-même, au préambule de la lettre Y, revenait un peu en arrière pour le [j] en début de<br />

syllabe :<br />

« […] toutefois, nous conservons y dans les mots particuliers aux dialectes où j n’est<br />

pas employé; ce sont ces mots que l’on trouvera ci-dessous […]. »<br />

Cela supposait une grande connaissance de ce qui était propre ou non aux divers parlers gascons,<br />

et ses lacunes sont peut-être la cause des erreurs que Camélat lui reprochait. De fait, il était<br />

assez flottant dans sa pratique : pour beroy {joli}, il donne les deux féminins, beroye et beroje; mais<br />

pour pouloy {dindon}, le seul féminin pouloye, alors que pouloje est largement attesté (ALG II,<br />

438); il fait l’entrée principale à goujat {jeune homme}, et gouyat n’a droit qu’à une entrée de renvoi,<br />

alors qu’on a vu qu’il est de loin le plus répandu, même en zone [2].<br />

D’où les reproches persistants de Camélat :<br />

« S’il faut parler de graphie, à mon avis, il faut s’en tenir à celle de Mistral en y ajoutant<br />

l’y grec car en gascon […]. » (Lettre à A. Pic, 13 novembre 1943, ib. p. 46).<br />

Palay « s’était mis à la tête de nous faire abandonner le y et de le remplacer par j (beroje,<br />

joène…), bien qu’à Pau ils disent y. C’est Laborde [Chanoine Jean-Baptiste L., érudit<br />

qui fit beaucoup pour la langue béarnaise], qui là, fut de mon avis et lui dit qu’il fallait s’en<br />

tenir à l’y. » (Lettre à A. Pic, 30 novembre 1948, ib. p. 72).<br />

Avec j pour /j/ et /%/, la “réforme occitane” continue Palay<br />

C’est un fait en tout cas que la « réforme orthographique occitane », qui avait supprimé sans<br />

difficulté le y en languedocien, allait faire de même en gascon, avec le précédent de Palay pour garant.<br />

Pourtant on devine un certain embarras chez Alibert, rédacteur de L’application… :<br />

D’une part, en tête, on recommande « pour l’usage littéraire, les formes les plus conformes à<br />

l’évolution normale de la langue et les mieux conservées »; donc au titre de la normalisation linguistique<br />

et non de la graphie proprement dite; et parmi ces formes :<br />

« G ou J au lieu de y : gelar, jòc et non yelar, yòc. […]<br />

« I au lieu de j : beròia et non beròja. »<br />

On voit la contradiction : le premier choix laisse entendre que /2/ sous-jacent à g ou j est plus<br />

ancien que /j/, mais le second choix, qu’il est le produit d’une évolution regrettable du /j/ noté i. Les<br />

traces historiques de l’évolution montrent l’erreur !<br />

Viennent ensuite les règles de graphie :<br />

« I note i français et i semi-consonne (y): nid, arriu, ièrba, pai, mai, saunei, glòria,<br />

fàcia, auriá.[…]<br />

« En gascon, le son G, J vaut tantôt un j fr. tantôt un y semi-consonne; on notera toujours<br />

g ou j.<br />

« Le son j sera rendu par un g devant e, i; par j devant a, o, u: gelar, genèr, passegi,<br />

mingi, monge, jòc, jàser, joentut, passejar, minjar, ploja, troja.<br />

« Seuls les mots d’emprunt savant conserveront leur j d’origine : Jèsus, Jerusalèm,<br />

projeccion, injeccion, trajectòria. »<br />

En analysant ces lignes qui, comme souvent, confondent facilement les sons et les lettres qui<br />

les représentent, on peut les interpréter ainsi :<br />

Le /j/ prénucléaire (ièrba, glòria, fàcia, auriá) se rend par i, mais aussi par g ou j (gelar, genèr,<br />

jòc, jàser, joentut; mingi, monge, minjar); de même en intervocalique, par i (beròia) ou g/j<br />

(passegi, passejar, ploja, troja). Mais postnucléaire, il est noté par i uniquement (pai, mai, saunei).


Jean <strong>Lafitte</strong> 258 Écriture du gascon<br />

En revanche, le /2/ ne sera rendu que par g ou j, suivant les règles de partage des deux derniers<br />

alinéas, la première selon la voyelle qui suit, la seconde selon l’étymologie.<br />

On peut donc supposer que la notation du /j/ par i ou par g/j se répartira suivant une règle non<br />

écrite, à savoir que i notera ce qui est partout réalisé par [j], tandis que g/j sera la “graphie englobante”<br />

à utiliser quand le même mot se réalise par [j] ou par [2] selon les lieux.<br />

Mais pour cela, il faut savoir si ce qui est [j] en Béarn, par exemple, sera partout [j] ou s’il sera<br />

[2] dans la zone [2]. De fait, grammairiens et lexicographes hésitent souvent. Ainsi pour ce mot<br />

banal de beròia ou beròja, féminin de béròi {joli}. M. Grosclaude (1977, p. 161) et Atau que’s ditz<br />

(1998) donnent beròi,a; Dulau (1994), bròi, bròia, bròiament (forme syncopée); mais le Civadot<br />

(1984), beròi,-òja (v° joli), beròjas (v° des) et aussi beròias (v° quel !); A. Hourcade (1986, p. 71),<br />

beròi,-òja; Que parlam (1996, p. 58), bròja. Et ne parlons pas des écrivains… D’où la règle du féminin<br />

selon MM. Birabent et Salles-Loustau :<br />

« Diphtongues terminées par I : on ajoute A au féminin et le I est remplacé par un J.<br />

« Ex. : beròi/beròja (joli, e); arroi/arroja (rouge). » (Mémento, 1989, p. 28).<br />

Autre exemple : “hier” est ier en languedocien et chez M. Grosclaude (1977, p. 32), dans le<br />

Petit diccionari castelhan-aranés… de Vergés Bartau (1991) et dans Que parlam (p. 50), et ger<br />

dans le Civadot (1984) et le Mémento (p. 64), ier/ger dans Atau que’s ditz. Ou encore les deux [j!r]<br />

et [j!rr], communes distantes d’à peine 22 km, l’une dans les Pyrénées-Atlantiques, l’autre dans les<br />

Hautes-Pyrénées : dans son Dictionnaire toponymique de 1991, M. Grosclaude écrit le premier Gèr<br />

et dans celui de 2000, le second Ièr, probablement sur la demande du Comitat dera lenga, organisme<br />

départemental qui s’est toujours montré soucieux de rapprocher la graphie de la langue parlée.<br />

Mais ce désordre et les problèmes concrets évoqués plus haut sont ignorés des chantres de<br />

l’occitanisme. Ainsi, Jean Sibille, dans sa présentation optimiste de la graphie classique du gascon<br />

(2000-1, p. 31) : il y aurait un « gascon oriental » qui réalise le ch de achorrar en [0] et le j de viatjar<br />

et assajar en [2], et un « gascon occidental » qui réalise ce ch en [tj] ou [#] et le j en [j]. Or les<br />

seules cartes de l’ALG VI, 2117 et 2118 n’ont pas grand chose de commun avec celle des réalisation<br />

de ch (plus loin, p. 263). On ne peut donc ignorer perpétuellement les problèmes.<br />

Pour un retour aux sources : y = [j]<br />

On est donc déjà en présence d’un polymorphisme graphique au sein même du gascon, et de<br />

la part d’auteurs de la mouvance occitaniste, car la “graphie englobante” n’est pas techniquement<br />

possible selon le principe justement rappelé par J. Taupiac. On peut même s’interroger sur son opportunité<br />

en l’état actuel de la langue. Voici par exemple un passage du compte-rendu de la thèse de<br />

D. Stich sur la graphie du franco-provençal (100 e rapport annuel du Glossaire des patois de la<br />

Suisse romande de 1998, cité par J.-B. Martin, 2000, p. 81) :<br />

« l’élaboration d’une orthographe supra-dialectale, étayée en outre par des concepts<br />

relevant de la phonétique et de la phonologie, est un pari risqué dans un ouvrage destiné au<br />

grand public. Le lecteur patoisant, et a fortiori le non-patoisant, s’astreindra-t-il à l’effort<br />

d’abstraction nécessaire à l’assimilation d’un système reconstruit, pour accéder ensuite au<br />

patois précis, qui seul l’intéresse ? »<br />

Or nous avons vu p. 150 que J. Séguy et X. Ravier ont usé de y pour noter [j], retrouvant en<br />

cela une tradition d’écriture gasconne de plus de sept siècles, en parfaite conformité avec le principe<br />

A de la graphie classique.


Jean <strong>Lafitte</strong> 259 Écriture du gascon<br />

Voici par exemple quelques mots relevés dans la Décision des quatorze commissaires relativement<br />

aux Padouens, du 29 octobre 1262, au Livre des Coutumes de Bordeaux, pp. 186-196 : rey<br />

{roi}, prumey {premier}, feytas {faites}, autreyat {accordé}, maysons, gualeyas {galères}, puyaduy<br />

{monticule}, le pronom y, chays, yma de la mar {marée basse ?}, mais aussi, mager {maire},<br />

elegida, jurat, gitada {jetée}, jusca {jusque}, dejus {dessus}; et les noms propres Pey, Aymeric,<br />

Cadauyac {Cadaujac, commune de la banlieue}, Duyac, etc.<br />

Même pratique à Bayonne, d’après le Glossaire des Établissements de Bayonne : aleyar / adaleyar<br />

{confirmer par serment}, centeye {centaine}, dreyteyar {poursuivre une action en justice},<br />

mareyan { marin}, myeye noeyt {minuit}, poya {monter}.<br />

Et encore en Béarn, avec le Registre de Bernat de Luntz, notaire vicomtal de 1371 à 1376 :<br />

outre la position postnucléaire dans les diphtongues, on trouve à l’intervocalique : agreuyat, aleyes,<br />

autreyar, ay… subj. du verbe aver, beraye {vraie}, beye, carreyar, causseye, chemineye, deye,<br />

deyen, joyeus, leyau et dérivés, malaudeya, mayor, mieye, reyant, sayeg/-et, sayerade, senhoreyant,<br />

uyot, y, yer; et après consonne ou diphtongue au : auyole, benyare, judyament, mieyansar.<br />

En Bigorre, enfin, in Luchaire 1881, dans le Cartulaire, hormis les nombreux y postnucléaires<br />

: Mieyabiela (p. 12), menyar {manger} (p. 13); dans un vidimus de 1251, leyal {légal} (p. 23);<br />

dans un acte de 1260, Juan de Loyed (p. 29).<br />

Puisque le besoin existe, pourquoi se priver d’une lettre qui a de telles “lettres de noblesse”…<br />

et se trouve sur tous les claviers de machine à écrire !<br />

Avec la caution de Bourciez et de Séguy, je préconise donc l’usage de y pour noter directement<br />

[j] intervocalique, initial et postconsonantique, alternant avec g ou j pour noter le [2] des mêmes<br />

lexèmes : goyat de Pau à Bordeaux, mais gojat en Comminges et Couserans. On rappellera à<br />

cet égard la remarque pertinente de Palay :<br />

« Comme semi-consonne, le son que représente l’y […], quand il est entre deux<br />

voyelles comme dans autreyà, payère, il fait syllabe avec la seconde plutôt qu’avec la<br />

première.<br />

« De même, dans les combinaisons ry et ny le r et le n appartiennent à la syllabe précédente<br />

et l’y à la suivante. Ex. : aryén (argent), pron. ar-yèn; minjà (manger), pron. min-yà. »<br />

La coupure syllabique se fait donc toujours devant y, ce qui oppose le yod noté par i à celui<br />

noté par y; tandis que le premier laisse à la consonne qui le précède dans la syllabe sa valeur ordinaire,<br />

le second la renforce en quelque sorte; ainsi s’opposent :<br />

abadiòla {petite abbaye} [aba'*j%lœ/o] viladyòt {petit village} [!ilad'dj%t]<br />

miniatura {miniature} [minja'tyrœ/o] minyadura {mangeure} [mi'ja'dyrœ/o]<br />

borient {bouillant} [bu'rjen] aryent {argent} [ar'jen]<br />

Quant au ["] postnucléaire, il peut continuer à être noté par i, à l’occitane, car il ne présente<br />

aucune ambigüité à la lecture; mais la logique du principe A voudrait qu’ici aussi, le y revienne,<br />

puisqu’il est dans les textes gascons les plus anciens. Les usagers trancheront, s’ils n’ont pas opté<br />

pour la graphie “moderne”, plus fidèle à la tradition sur ce point que la “classique” occitane.<br />

Et comme un cas particulier, on traitera de même le pronom/adverbe de lieu ordinairement<br />

écrit i car il se réalise par [2] dans une zone centrale du domaine (ALG I, 97 “il y a eu…”), mais<br />

aussi dans les zones [2] du Béarn, selon Lespy (Dic.) :<br />

« J (se prononçant avec le mot qui suit), y : Bee j-hauré chic de brigue ! NAV. Il y


Jean <strong>Lafitte</strong> 260 Écriture du gascon<br />

aurait bien peu de brigue ! Autes causes ed j-ha qui-m fachan fort a mi. N. PAST. Il y a autres<br />

choses qui me déplaisent fort. Hore son aglèyse ed nou j-ha nat salut. F. Égl. Hors de<br />

son église il n’y a aucun salut — On trouve aussi ce j dans l’idiome du Bas-Armagnac. La<br />

remarque en a été faite par L. COUTURE, Revue de Gascogne,VII, p. 382. »<br />

Donc, que y a en général, et que j’a dans les petites zones [2] en question.<br />

VIII – Les phonèmes consonantiques palatalisés<br />

Voici d’abord un schéma, avec même un match anglais, pour donner une idée du problème :


Jean <strong>Lafitte</strong> 261 Écriture du gascon<br />

L’apparition de phonèmes palataux dans le latin parlé qui devait aboutir aux langues romanes<br />

ne posa pas de problème tant qu’on en resta à un usage oral; mais le problème de leur écriture finit<br />

par se poser, et cela dans l’écrit latin même, tel que l’avait régularisé la réforme carolingienne :<br />

« Quand, à un moment donné, le scribe se voyait obligé de noter par écrit un mot roman<br />

(le nom d’une personne, d’un village, d’un champ…) et tâchait de lui appliquer le<br />

même critère de correspondance phonético-littérale [qu’en latin], il se trouvait que de<br />

nombreux phonèmes romans (toutes les palatales, par exemple) étaient inexistants en latin,<br />

et par conséquent, les graphies latines ne pouvaient s’appliquer sans plus. Il fallut inventer<br />

un système de représentation des nouveaux phonèmes romans. » (C. Lleal, p. 134).<br />

Ces considérations sur les débuts lointains de notre écriture sont une bonne introduction à<br />

cette section. Mais le problème est complexe, principalement du fait de la tendance naturelle du<br />

gascon au chuintement, que connaissent aussi les langues ibériques (cf. Rohlfs, n° 457); on y aboutit<br />

en effet dans plusieurs chaines d’origine étymologique différente. Le schéma de la page précédente<br />

illustre cette complexité, avec à droite la graphie classique selon L’application… et/ou R.<br />

Darrigrand, comme on le verra ensuite.<br />

Les mêmes sons s’écrivent donc différemment selon l’étymologie et les mêmes graphèmes se<br />

réalisent différemment selon les lieux, ce n’est pas choquant, mais aussi parfois en un même lieu, ce<br />

qui est bien plus gênant. Partant des règles en vigueur, nous allons essayer d’y porter remède en envisageant<br />

les diverses palatales du gascon telles que P. Bec les présente dans son Manuel de 1973,<br />

p. 52.<br />

Occlusives palatales généralement issues de -ll latin : /tj/ ou /&/ ou dépalatalisé en /t/<br />

Il me parait pratique de présenter d’abord en synopse ce qu’en disent respectivement L’application…<br />

(cf. Annexe XIII, p. 405), et R. Darrigrand (1974, pp. 27 et 28). Dans mes commentaires,<br />

A (Application) renverra aux premiers et D (Darrigrand) aux seconds.<br />

« Le son T ou Th, de valeur variable, provenant<br />

exclusivement de ll latin final, sera noté th:<br />

bèth, aqueth, castèth, grith, poth, vath. »<br />

« […] on choisira, autant que possible, pour<br />

l’usage littéraire […] t au lieu de th : anat, henut,<br />

henit et non anath, henuth, henith. »<br />

« 28 - Le son mouillé final qui est t, th ou<br />

tch suivant les parlers est noté : “TH”. On le<br />

reconnaîtra dans la pratique à ce qu’il existe<br />

presque toujours un mot dérivé (souvent féminin)<br />

qui a une forme en “ra” (le “r” provenant<br />

d’un “ll” intervocalique roman). »<br />

Pour l’aboutissement de ‘ll’ latin devenu final, A et D concordent sur le fond; on observe cependant<br />

que th n’est pas un « son », mais un graphème dont il s’agit justement de définir la valeur,<br />

et que A n’envisage /0/ que sous « Th de valeur variable »; on peut aussi regretter que dans son souci<br />

pédagogique, D n’invoque le “ll” originel qu’à propos de dérivé éventuel qui servirait de discriminant,<br />

et n’envisage que ra comme aboutissement, ce qui restreint quelque peu le choix des dérivés<br />

: vetèth {veau} dérive bien en vetèra {velle} et veterar {mettre bas, s’agissant de la vache},<br />

mais ausèth {oiseau} en auserèr {oiseleur} ou auseron {petit oiseau}, sans ra… Enfin, par définition,<br />

“t”, n’est pas « mouillé », c’est un aboutissement dépalatalisé.<br />

Le rendu graphique par -th est en revanche satisfaisant, car il permet une lecture univoque<br />

dans chacune des régions qui le réalisent en [tj], [0] ou [t].<br />

Mais pas plus D que A n’envisagent un /tj/ ou /0/ qui ne serait pas final ou ne serait pas issu<br />

« exclusivement de ll latin final ». Or le gascon connait au moins trois autres origines de ces sons :


Jean <strong>Lafitte</strong> 262 Écriture du gascon<br />

– d’abord, un traitement particulier du /t/ ou du /d/ final roman qui aboutit à /tj/ ou /0/ dans<br />

l’est pyrénéen; A n’en traite pas dans les paragraphes sur la graphie proprement dite, mais lorsqu’elle<br />

traite de normalisation linguistique, elle le note par -th dans les exemples donnés plus haut<br />

(anath, henuth, henith), tout en recommandant de l’éviter dans « l’usage littéraire ». De fait, la<br />

norme aranaise ne l’écrit pas, mais précise qu’à Bausen et à Canejan (près de la frontière française)<br />

on prononce [0] « le d final et le t final qui alterne avec d intervocalique : hered, cantat/cantada »<br />

{froid, chanté/-ée}; en revanche, pour les parlers du Couserans, J. Deledar (1995) le notait th<br />

(« prath, hreth [pratch, hérétch] pré, froid »), tout en mentionnant que « certains bons auteurs préfèrent<br />

ne pas noter la palatalisation et écrire -t, -d »; et il ajoutait : « On oppose ainsi pòt [pot] lèvre<br />

à pòth [potch] il peut »; et Atau que’s ditz (cf. p. 175) en use sans commentaire comme variante en<br />

[0] de la Barousse, contigüe du Comminges : prat/prath.<br />

– puis des dérivés tardifs de mots finissant par /tj/ ou /0/ issu de -ll, surtout des féminins. Ainsi<br />

le latin moll(em) “mou”, qui est épicène, a donné moth qui n’eut sans doute pas de forme féminine<br />

à l’origine; lorsqu’il s’en créa une par analogie, on ajouta -a à la finale; si le masculin<br />

s’achevait par /t/, cela donna ['mudœ]; s’il s’achevait par /tj/ ou /0/, cela donna ['mutjœ] ou<br />

['mu0œ]; alors qu’un féminin issu du latin aurait été *['murœ], *mora, comme bèra répond à bèth.<br />

Il en est de même pour les dérivés modèr {humidité} d’un coté, et mothèr de l’autre. De même encore,<br />

poth {coq} s’est vu doté d’un féminin irrégulier potha {poule} (secteur d’Artix et Arthez, au<br />

cœur du Béarn, ALG II, 434), concurrent du régulier pora.<br />

– enfin, vers Bayonne, un /tj/ hypocoristique. Le basque en use largement et le note par un redoublement<br />

du t : potolo “lourdaud, trapu, obèse” se mue en pottolo [potjo'lo] pour prendre une signification<br />

atténuée et affectueuse, par exemple pour qualifier un gros bébé. Ainsi, en gascon, à côté<br />

du terme général d’oc [pu'tu] {bisou}, diminutif de [pot] {baiser}, on renchérit de Bayonne à Orthez<br />

avec [pu'tju] pour un tendre petit bisou. On peut assimiler à ce /tj/ celui qu’Atau que’s ditz note<br />

par th dans athèu {là} et thòi(a) {enfant}, ce dernier étant aussi écrit chòi.<br />

On a vu pp. 149-150 que Séguy avait noté ce phonème par th, même là où le languedocien<br />

écrit -j- : il note regathar {muer (poules)} ce qui est regajar chez Alibert. Comme tout parler doit<br />

pouvoir s’écrire, il y a donc lieu d’entériner cette pratique, car la réalisation de ce -th- est géographiquement<br />

la même que pour le produit de -ll latin.<br />

La palatale affriquée /&/ et ses réalisations en [tj] ou même [']<br />

Comme ci-dessus, voici d’abord ce qu’en disent L’application… (A) et Darrigrand (D) :<br />

« On conservera la notation par ch, quelle<br />

que soit la prononciation (ch ou tch), quand ce<br />

son dérive d’un c latin palatalisé : uchau, chaupir,<br />

chai, cachar, chapar, ponchar.<br />

« Toutes les fois que le son ch ou tch final<br />

répond à un j fr. dans les dérivés, on le notera<br />

par g: puèg, pug, (pujòu), mièg (mièja), hug<br />

(húger), hag (haget), leg (léger), rog (roja).<br />

« 26 – Le son “tch” (approximativement le<br />

Castillan : muCHaCHo) est noté ch, quelles<br />

que soient les prononciations locales :<br />

« – réduction à un “t” palatal en Gascogne<br />

occidentale,<br />

« – réduction à “ch” français dans une partie<br />

du Béarn et de la Bigorre.<br />

On est en présence d’un /0/ multiforme sur lequel nos deux grammairiens ne semblent pas<br />

très à l’aise. Pour A, il y en aurait deux en réalité, le premier défini par l’étymologie, le second par<br />

ses dérivés. D ne connait que le premier, mais s’il ne parle pas de son origine, il indique qu’il se


Jean <strong>Lafitte</strong> 263 Écriture du gascon<br />

réalise en [tj] comme « “t” palatal », qui, de fait, s’étend sur plus de la moitié nord-ouest du domaine.<br />

Quant au second, fréquent en languedocien, il ne se rencontre en gascon que dans le Haut-<br />

Comminges et le Couserans, ce qui peut expliquer que D, établi à Orthez, n’en traite pas. Il se caractérise<br />

par sa dérivation en [j/2]. Sans entrer dans le détail, les cartes ALG I, 152 “hêtre” (hag =<br />

[ha0]) et IV, 1594 “rouge” (rog = [rru0]) attestent de la prononciation en [0] en Couserans et en un<br />

point du Haut-Comminges; s’y ajoute au seul point 790 SE Confolens (Couserans) le mot gaug<br />

“joie” prononcé [ga*0] dans la carte IV, 1399 “plaît”. Les cartes relatives aux 3 ème personne du présent<br />

de l’indicatif et 2 ème de l’impératif de léyer [lire] et húyer [fuir] (V, 1897, 1902 et 1903) montrent<br />

quelques autres zones de l’est où la finale est en [#] ou en [0]. G. Deledar (1995, pp. 43-44) les<br />

note leg (variante lig à l’impératif, dans l’est) et hug (variante fug à Aulus), étant entendu que « -g<br />

final se prononce [tch] » (p. 11). Michel Pujol, originaire du Couserans, écrit vueg [!we0] {vide}<br />

(Lo Gai Saber, ivèrn de 2005, p. 228) ce que Séguy note voeit [!wejt] (cf. p. 151). Cette prononciation<br />

est aussi mentionnée par les Normes orthographiques de l’aranais, qui prévoient sa notation<br />

par -g et précisent en outre qu’après consonne, ce g se prononce [#], avec les exemples esparg<br />

{éparpillement}, mais aussi espàrger, esparja {éparpiller, qu’il éparpille}, où le g n’est plus final.<br />

Une norme orthographique gasconne doit donc permettre de noter ces formes de l’est pyrénéen.<br />

Pour le premier [0], A et D s’accordent sur ch et pour le second, A, G. Deledar, M. Pujol et<br />

les Aranais s’accordent sur -g. Je n’y vois que des avantages, en étant toutefois assez sceptique sur<br />

la façon dont la majorité des lecteurs gascons interprèteront le -g inconnu de leurs parlers : estug<br />

{étui} (Civadot et Atau que’s ditz) qui dérive en estuyar {cacher} est un hapax en dehors de ces régions<br />

pyrénéennes; sans doute pour être bien lu, il est donc écrit estuit par P. Bec (1973, p. 48), Dulau<br />

et Narioo et autres, estuch par A. Rifaut chez Y. Vidal (2000 et 2002), estuth par É. Chaplain<br />

(2002)… Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il faut exprimer les règles à partir de la prononciation :<br />

ch est la graphie unitaire qui note ce qui se prononce [tj] dans le nord-ouest gascon, l’est du<br />

Béarn et la Chalosse contigüe, [0] dans le sud-est gascon et les vallées béarnaises, et [#] dans le<br />

reste du Béarn, la Bigorre et la moyenne vallée de l’Adour, suivant la carte ci-après : pòcha {poche}<br />

prononcé ['p%tjœ], ['p%0o], ['p%#o].


Jean <strong>Lafitte</strong> 264 Écriture du gascon<br />

Lorsque cette correspondance n’est pas assuréeƒ 30 , et en dehors du cas visé à l’alinéa suivant,<br />

chacune de ces prononciations est notée par son graphème propre : [tj] par th (athèu {là}; cf. p.<br />

263), [0] par tx (matx {match}), et [#] par x (xivau {cheval}; cf. p. 265).<br />

-g note ce qui, en Haut-Comminges, Aran et Couserans se prononce [0] ou [#] en finale et dérive<br />

en -[j]- : hag {hêtre}.<br />

La chuintante /'/ : un seul graphème pour /'/ pangascon<br />

Outre sa réalisation en variante de /0/ étudiée ci-dessus, il existe un /#/ identique en tous lieux,<br />

comme provenant en général de x, cs, ps latins, mais aussi de s simple chuinté ou d’un emprunt au<br />

français. Comme plus haut pour /tj/ ou /0/ principalement issus de -ll, voici d’abord ce qu’en disent<br />

L’application… (A) et Darrigrand (D) :<br />

« Le son du CH français provenant du sc ou « 25 – Le son “ch” (Français : vache) est<br />

du x latins sera représenté par ish: eishami, eis- noté ISH lorsqu’il provient d’un SC ou X lahorbar,<br />

eishordar, peish, maishèra, teish, créistins.her, naish, baishar.<br />

« Au début des mots, il est noté “SH”.<br />

« Quand ce son provient de c ou de s, on ré- « Très souvent, ce sh initial provient d’un<br />

tablira les graphies par c ou s: saliva, seringa, “s” latin chuinté (Voir la prononciation castil-<br />

serment, sèis, sishanta, suau, sord, civada, lane du “S”);<br />

suc. »<br />

« dans les mots empruntés au Français il est<br />

noté “CH”. »<br />

Certes, certains normalisateurs occitanistes avaient tenté de faire disparaitre la notation spéciale<br />

de ce /#/, mais ils ont échoué (p. 163). Mais il y a une tendance lourde de l’occitanisme à éliminer<br />

de l’écrit tout ce qui n’est pas habituel en languedocien, et la solution “officielle” de A était<br />

d’ignorer le [#] issu du chuintement de [s] étymologique, pour lequel le tableau de la p. 260 montre<br />

des variantes en [s] dans le domaine gascon lui-même : [#i*la] ou [si*la] < ‘sibilare’ {siffler}. Mais<br />

les usagers n’ont pas suivi et tenu à noter ce phonème [#] très gascon par son graphème propre;<br />

cette solution a été consacrée par D; faute d’avoir imaginé un graphème “englobant” [#] et [s], un<br />

polymorphisme graphique s’est donc établi sur le polymorphisme phonétique, et je ne vois pas<br />

d’autre issue.<br />

Mais pourquoi donc D conserve-t-il pour [#] le ch des emprunts au français, qu’on ne prononce<br />

nulle part [0] ou [tj] ? Outre qu’il n’est pas évident pour le scripteur ordinaire que [#i'!au]<br />

vient du français “cheval” (trois phonèmes modifiés sur cinq), cela mène à des lectures aberrantes<br />

par tous ceux qui apprennent une langue qu’ils n’entendent plus, puisque ch sera prononcé en un<br />

même lieu [#] dans chivau et [tj] dans chavèca {chouette}. La seule solution logique, c’est d’user du<br />

graphème général prévu pour [#]; ce fut le choix de X. Ravier (cf. p. 149), c’est aussi celui des Aranais<br />

: cornishon, maishant, maishina, pioshar, shagrinar, shivau etc. (Vergés Bartau, 1991).<br />

Mais quel doit être ce graphème ?<br />

30 En fait, cette correspondance sera souvent ignorée, faute d’une vue d’ensemble de la prononciation gasconne, même<br />

chez les lexicographes : ainsi, pour empachar {empêcher} par exemple, on trouve *empaishar chez ceux qui ignorent la<br />

prononciation en [ì], et *empathar chez ceux qui prononcent [tj]; pour de nombreuses citations d’auteurs et de dictionnaires<br />

qui témoignent de ces hésitations, cf. <strong>Lafitte</strong>, 1995-2.


Jean <strong>Lafitte</strong> 265 Écriture du gascon<br />

La chuintante /'/ : le i des graphèmes ish (ou ix) en question<br />

Dans la règle de A reproduite en synopse, Alibert n’envisage que le trigramme ish, qui présente<br />

la singularité, pour un graphème consonantique, de commencer par une voyelle; au demeurant, en<br />

tête de A, il ne mentionne que le digramme sh parmi les « doubles graphies » énumérées à la suite<br />

de l’alphabet gascon. Cela pose sérieusement la question du “statut” du i de ish. Pour éviter une trop<br />

longue digression, cette question est étudiée en Annexe XXI, qui aboutit à la conclusion suivante :<br />

Ce i ne s’entend que dans une faible partie du domaine, et même là, seulement pour quelques<br />

mots. Puisque le Conseil de la langue occitane “préconise” d’écrire pashà {pacha}, c’est que pour<br />

lui, sh seul suffit en toutes positions, comme l’avait bien vu Jean Séguy (p. 149), les “variantes irréductibles”<br />

où le ["] se prononce étant évidemment notées par ish. Et ce i doit être considéré<br />

comme “glide” formant diphtongue avec la voyelle qui précède, non comme partie du graphème<br />

notant [#] : on retombe dans le fonctionnement normal du système.<br />

Je ferai ici deux remarques complémentaires :<br />

– d’une part, à ma connaissance, nul n’a envisagé d’imposer à tous une graphie “mouillée” en<br />

-èir du produit gascon du latin ‘-ariu’, au motif qu’un quart du domaine prononce [!"] (ALG VI,<br />

2072) : on n’a pas voulu gêner inutilement ceux qui prononcent [!] et qui écrivent -èr, sans i. Écrire<br />

sh sans i relève de la même démarche, encore plus justifiée parce que ce i est autrement plus rare à<br />

l’oral que celui de -èir;<br />

– d’autre part, en écrivant systématiquement ish, on est amené à enseigner que le i est muet,<br />

ce qui conduit à la disparition inéluctable du ["] de la prononciation, alors qu’en le notant seulement<br />

quand il se prononce, on le traite comme tout glide et on le sauvegarde là où il existe; or ne travaillons-nous<br />

pas à conserver une langue ?<br />

Mais la suppression du i a pour conséquence de perdre le diacritique qui signale la valeur [#]<br />

de ish après voyelle de celle, plus rare, de [sh], du fait de la rencontre d’un préfixe en -s, avec un h-<br />

initial issu d’un f- étymologique : deshar {défaire}. Il est vrai que des grammairiens ont introduit un<br />

point intérieur entre s et h (s.h) alors que, fidèle à L’application…, P. Bec (1973, p. 29, note) ne le<br />

mentionnait qu’entre n et h (n.h); ainsi, les Fiches de grammaire d’occitan gascon normé, citées p.<br />

170; ou J. Miró transcrivant Arnaudin, cité p. 179; ou encore Narioo et autres, avec des.har,<br />

des.hèita, es.huelhar, etc.), solution inutile d’un faux problème tant qu’on écrit ish : deishar [de'#a]<br />

{laisser} est formellement distinct de deshar [des'ha] {défaire}. En revanche, pour transcrire le<br />

menshidà’s {se méfier} de Palay, pour qui sh ne peut valoir que [sh], la graphie classique de<br />

l’I.E.O. ne peut être que mens.hidà’s, cas probablement unique où le point intérieur s’avère indispensable.<br />

Je considère cependant que ce n’est là qu’un “rafistolage” propre au gascon dans<br />

l’ensemble d’oc, et que le modèle du l.l catalan n’en est qu’une piètre justification, en face des<br />

complications que cela induit dans tous les traitements informatiques avec des logiciels standard.<br />

Mais dès lors que nous abandonnons le i muet, évidemment, le point intérieur est de rigueur<br />

pour noter /sh/. À moins d’abandonner sh…<br />

La chuintante /'/ : le graphème gascon, sh ou x ?<br />

Entre autres signes de sa pauvre connaissance du gascon, Alibert nous a laissé une bévue monumentale<br />

à ce sujet en p. 7 de sa Gramatica occitana du languedocien : Pour essayer de concilier<br />

les systèmes orthographiques en présence, écrit-il,<br />

« Nous prenons pour base le Diccionari Ortogràfic [catalan] de P. Fabra en nous<br />

contentant d’en écarter les graphies spécifiquement catalanes, à savoir : ll, ny, ix, tx, ig,<br />

que nous remplaçons par lh, nh, is, ch, g, […] ».


Jean <strong>Lafitte</strong> 266 Écriture du gascon<br />

De telle sorte que dans L’application…, devant l’impossibilité d’ignorer le /#/, il est allé chercher<br />

(i)sh qui, pour être attesté dans l’« ancienne langue », l’est infiniment moins que (i)x, y compris<br />

en toponymie contemporaine : je n’ai trouvé aucun toponyme en sh, alors qu’à quelques kilomètres<br />

de Montréal d’Aude où Alibert tenait officine, Foix et Mirepoix affichent leurs -ix. Gaston<br />

Bazalgues était mieux informé quand il écrivait, à la p. 14 de L’occitan lèu-lèu e plan (1977) :<br />

« En ancien occitan, [x] équivalait au son ch du français et on le trouve dans quelques<br />

noms de lieux : Foix forme française reproduisant l’ancienne graphie se lit fouich. »<br />

Ou encore Jean Roux, grammairien limousin qui adapta au limousin les normes orthographiques<br />

de l’I.E.O. (Paraulas de Novelum, n° 68, Juin 1995, p. 23) :<br />

« La lettre x a été employée, pour noter [#], et donc s palatalisé (prononcé “à<br />

l’auvergnate”, comme “ch” français) surtout en Catalogne, comté de Foish (graphie demeurée<br />

Foix dans la forme officielle), Bigorre, Béarn, Navarre, Portugal; et cet usage<br />

(adopté par la graphie du catalan, du portugués et du basque) est monté jusqu’ici, comme<br />

on le voit dans des graphies comme Xaintes, Xaintonge (pour Saintes, Saintonge), Xaintrailles<br />

(contraction de Senta Aràlia, forme populaire de Eulàlia), (…). »<br />

Cela va même beaucoup plus loin dans le temps et dans l’espace : /#/ s’écrit par x dès les inscriptions<br />

aquitaines du III ème siècle (p. ex. Ilixoni pour Luchon; Gorrochategui Curruca, p. 332).<br />

C’est la graphie largement majoritaire de toutes les langues ibériques (cf. Lleal, p. 135) auxquelles<br />

se rattache le gascon (cf. le schéma de P. Bec, p. 15); en témoignent d’innombrables textes de<br />

l’ancien gascon et surtout de nombreux toponymes auxquels les populations sont attachées.<br />

D’aucuns ont voulu discréditer le x en le présentant comme une spécialité béarnaise. Or sans<br />

faire une recherche systématique dans les archives, j’ai rencontré des x bien loin du Béarn. Ainsi,<br />

dans les Registres de la Jurade de Bordeaux publiés en 1883, acte du 17 décembre 1415 : embaxaria,<br />

ambaixadors (p. 292); mais aussi, le 20 février 1416, embaissador (p. 323). De même, sans référence<br />

autre que la date de 1290, Cénac-Moncaut donnait dans son Dictionnaire <strong>Gascon</strong>-Français<br />

du Gers (1863) l’entrée « ric, rix, riche », rix étant à l’évidence un gallicisme acclimaté. On trouve<br />

aussi aixi {ainsi} et gexir {sortir} dans le Glossari gascon ancian dau Medòc de Berthaud (1975).<br />

Quant aux toponymes, en se limitant au domaine gascon, ils débordent eux aussi largement le<br />

Béarn et ses Mirepeix ou Soeix (Pyr. Atl.) : Azereix, Caixon (Htes Pyr.), Aux-Aussat, Cutxan (Gers,<br />

dont le chef-lieu Aux a francisé sa graphie Auch), Seix, Foix (Ariège), Xaintrailles (Lot-et-<br />

Garonne), soit Xentralha en gascon ancien, équivalent de Sentaralha {Loup-Sentaraille, Ariège),<br />

avatars de Senta Eulalia, etc. Un lieudit d’Eysines, à 9 km au nord de Bordeaux, est écrit tantôt<br />

Bois-Salut tantôt Boixalut dans un acte notarié de 1921; il est probable que le premier est la remotivation<br />

d’un Boissalut, variante non chuintée de Boixalut, qui peut bien signifier « couvert de buis »<br />

(boix), avec le même suffixe que bavalut, camalut, coralut, cornalut, costalut du Palay.<br />

Dans un système orthographique qui entend privilégier les graphèmes de l’« ancienne langue<br />

», on ne peut donc écarter le x pour /#/. C’est d’ailleurs ce que pensait à l’origine P. Bec, mais<br />

ce serait J. Séguy qui l’aurait convaincu de la rationalité de sh, forme palatalisée de s, comme lh, nh<br />

et th le sont de l, n et t. C’est vrai, et jouable pour une graphie créée ex nihilo pour une langue qui<br />

ne s’est jamais écrite; mais les Catalans pris pour modèle ont gardé x, ny et ll de leur tradition… Et<br />

la même rationalité aurait dû faire adopter zh pour /2/, comme forme palatalisée de z pour /z/; pourtant,<br />

s’y est opposé le fait que le i allongé en j note /2/ depuis l’imprimerie. On aurait dû faire de<br />

même pour le x qui notait /#/ plus de mille ans avant.<br />

Mais on peut reprocher à x d’être ambigu, puisqu’il a des emplois où il ne vaut pas /#/ : tous<br />

les composés de ex (examen, expausar, exterior…) et des mots savants comme axiòma, xenon etc.


Jean <strong>Lafitte</strong> 267 Écriture du gascon<br />

Mais je proposerai plus loin de régler ce problème, en éliminant le x de tous ses autres emplois (p.<br />

284). Je conclus donc fermement que le graphème gascon du ['] doit redevenir le x ancestral,<br />

toujours présent en toponymie. Et je réponds ainsi à l’approbation du regretté Jacques Allières, le 9<br />

mars 1992, quand j’évoquais devant lui la possibilité de remettre le x en service : « Considérons que<br />

c’est adopté. » 31 .<br />

Palatales affriquées généralement issues de -tic- ou -dic- latins : /dj/ ou /(/<br />

On observe d’abord que [t2] n’est pas mentionné par P. Bec; en effet, car si [dj] et [tj] sont<br />

également possibles, [t2] ne l’est pas, sauf attention très particulière du locuteur, car un [2] sonore<br />

appelle un [d] sonore devant lui, et si l’on articule un [t], le [2] qui suit s’assourdira en [#], donc [0].<br />

De fait, ce sont des prononciations par [d]- qui ont été observées sur tout le domaine gascon (ALG<br />

VI, 2205), y compris devant [j].<br />

Le principe B de notation phonétique appelle donc naturellement la notation par d- (dg/dj ou<br />

dy), qui fut d’ailleurs celle des premiers textes occitans (Chanson de Ste Foi d’Agen) et qui est largement<br />

majoritaire en ancien gascon.<br />

Cela avait été aussi le choix d’H. Gavel (1926, p. 44) pour la notation du /dj/ des finales en<br />

-['adjœ] quand il réédita les Poésies gasconnes de J. Larrebat. Or il existait une forte tradition locale<br />

de notation par ty, qui pouvait supposer une prononciation en [tj], attestée dans d’autres cas tels que<br />

« poutyicá “embrasser”, Batyitye (diminutif de Jean-Baptiste) ». Mais Gavel écarte l’objection :<br />

« Au sujet de la transcription du d mouillé, il est à noter que Larrebat a hésité entre<br />

plusieurs graphies; la plupart du temps il le représente par ty : routye « rouge », mainatye<br />

« enfant », ciratye « cirage », etc.; […]. Il est certain que dans les cas de cette sorte la prononciation<br />

réelle, pour le gascon de Bayonne (1) , fait entendre dy : aussi est-ce cette graphie<br />

que nous avons rétablie partout. On ne saurait croire que Larrebat prononçât réellement ty :<br />

il a simplement conservé ici la graphie traditionnelle, celle que l’on trouve déjà dans les<br />

Fables Causides [1776], et cette graphie, à son tour, avait dû être adoptée à Bayonne sous<br />

une influence venue d’ailleurs.<br />

« (1) Un pur Bayonnais, né en 1833, que nous interrogions à ce sujet, nous a spontanément<br />

déclaré : “on prononce dy, mais on écrit ty”. Telle était donc bien la tradition à cet égard. »<br />

Il était donc naturel que Jean Séguy (cf. p. 150) choisît les graphies par dj, dg, et c’est ce<br />

même choix que je préconise, compte tenu de celui qui découle de l’étude du yod, p. 254 sqq. : lo<br />

mèdye () mèdge) do viladge, lo yudye () judge) do canton.<br />

Le son /h/<br />

IX –Autres phonèmes consonantiques<br />

Bien qu’il eût éliminé la plupart des h latins amuïs dès l’époque classique et disparus dans la<br />

prononciation des langues latines, Alibert l’avait conservé pour séparer deux voyelles en hiatus :<br />

Occitan (La réforme…)<br />

<strong>Gascon</strong> (L’application…)<br />

h des mots latins, quand il sépare deux Pour indiquer que deux voyelles forment<br />

voyelles en hiatus, est conservé : prohibir, vehi- deux syllabes distinctes, on marque la syllabe<br />

cul. Dans tout autre cas, on se sert du tréma : tonique du tréma : laüsa, roïna, diürn, poëma.<br />

faïna, taüc, diürn, roïna.<br />

Dans les mots savants, on conservera h :<br />

prohibir, vehicul, cohibir, cohobar.<br />

Certes, ces h muets ne posaient pas de problème à l’occitan, qui n’a pas de h aspiré, mais<br />

c’était une anomalie, dans la mesure où justement, dans les mots savants, Alibert avait éliminé tous<br />

31 Sur cette rencontre du 9 mars 1992, cf. J.-L. Fossat in (Cahiers d’études romanes - CERCLID 5, 1992-93/2, p. 130).


Jean <strong>Lafitte</strong> 268 Écriture du gascon<br />

les h parasites : quiromancia, teoria, filosofia etc. Il était donc logique que cela fût corrigé un jour;<br />

d’où la décision de 1975 de l’I.E.O., applicable à partir du 1 er janvier 1976 (cf. p. 158) :<br />

« proïbir (au lieu de prohibir). La lettre h d’origine étymologique et sans aucune valeur<br />

phonétique ne s’écrit pas entre deux voyelles. Exemples : la coërencia, coërent, la<br />

coësion, la proïbicion, lo proïbicionisme, proïbicionista, proïbitiu, reabilitable, la reabilitacion,<br />

la veeméncia, veement, lo veïcul, etc… »<br />

C’était une bonne chose pour le gascon, qui n’avait plus à se soucier de distinguer ces h, en<br />

principe muets, de la généralité de ses h “soufflés”.<br />

Pourtant, en fin d’éditorial du n° 5 d’avril 1984 de la revue Amiras, que dirigeait R. Lafont,<br />

Ph. Martel allait jeter un pavé dans la mare occitaniste : après avoir déploré « un anarchisme graphique<br />

de plus en plus spectaculaire », il annonçait :<br />

« À la rédaction d’Amiras nous avons pris la décision — et nous allons l’appliquer<br />

dorénavant — de ne retenir pour base que les normes fermement établies, c’est-à-dire le résultat<br />

des travaux d’Alibert tels qu’ils sont résumés dans sa Gramatica, son Diccionari, et<br />

les applications prévues pour les autres grands dialectes. » Ainsi, on lisait chez P. Sauzet<br />

(1990), dans cette même revue : coheréncia (pp. 35, 37), coherenta (pp. 35, 37, 43, 44),<br />

vehiculària (p. 45).<br />

Néanmoins, le communiqué du Secteur de linguistique de juillet 1989 (cf. p. 166) devait<br />

confirmer laconiquement cette règle : « 23 - Proïbir, la veeméncia. » Et si la première série de décisions<br />

du Conseil de la langue occitane fut de revenir au -z- de realizar (cf. p. 174), elle a confirmé<br />

l’abandon du h : « 2 - Coerent, -enta, la coeréncia, veement, la veeméncia. »<br />

Pourtant, comme l’explique M. Grosclaude dans l’Avant-propos du Dic. de Narioo et autres<br />

(cf. p. 186), la décision de l’I.E.O.…<br />

« …n’a pas fait l’unanimité parmi tous les gascons pour qui ce h joue un rôle anti-hiatus.<br />

C’est pourquoi, on trouvera dans ce dictionnaire, pour ces mots et pour leurs composés et dérivés,<br />

la double graphie.<br />

« Ainsi : pre(h)ension, co(h)erent,a (6) ; vehicule / veïcule; prohibicion / proïbicion; etc.<br />

« 6 Donc, coerent et non *coërent (sans tréma), préconisation du CLO Toulouse-Nîmes, juin, août 1997. »<br />

Maintenir le h en gascon, c’est consacrer sa prononciation effective; or cette prononciation<br />

existe, attestée notamment par les behemén, beheméncie, couheren, couherénce, prouhibà, -bì, -ìb",<br />

prouhibàbl", prouhibicioû, etc. du Dic. de Simin Palay. Si l’on rapproche ces graphies de celle de<br />

hasard < ‘az-zahr’ arabe, on peut penser qu’il s’agit d’une gasconisation pure et simple du mot<br />

français, tout comme il est fréquent d’entendre le mot « hêtre » prononcé [h!trœ] par des <strong>Gascon</strong>s<br />

parlant français. Ce qui n’empêche pas d’y voir avec pertinence « un rôle anti-hiatus », car de tels h<br />

se retrouvent dans d’assez nombreux mots autochtones, notamment pour remplacer une consonne<br />

intervocalique amuïe; ainsi, coudejà [faire aller, remuer la queue, coude ou coue] > coueja aboutit à<br />

couhejà en Barèges-Lavedan (Palay); saüc, taüc se disent aussi sahuc, tahuc etc.<br />

C’est donc respecter la langue que d’écrire ces mots avec ou sans h selon que la lettre s’entend<br />

ou est muette, mais ce n’est pas une question de graphie… Et s’il y a un <strong>Gascon</strong> qui se bat depuis<br />

longtemps pour le maintien du h gascon “soufflé”, dans la prononciation comme dans l’écriture,<br />

c’est bien Gilbert Narioo; de lui, nous lisons dans La Bíblia valenciana de 1994 coherenta, pp.<br />

23, 92, vehement, p. 30 et veheméncia, p. 118, et aussi hasard, pp. 79, 153. Et de façon nettement<br />

ironique, il écrit dans sa chronique Parlar plan {Bien parler} de P.N.-P.G. (n° 207, 11-12/2001, p.<br />

11) : « Jacme Taupiac […] tostemps coherent e shens veheméncia, vehiculant ideas […] ».<br />

Cette éclosion de -h- parait bien une réaction du monde de Per noste à la ridicule décision du


Jean <strong>Lafitte</strong> 269 Écriture du gascon<br />

C.L.O. de supprimer en gascon les h des noms propres étrangers, réaction déjà exprimée par un article<br />

de M. Grosclaude dans le n° 196, 1-2/2000, pp. 15-16 : la graphie normalisée ne peut être un<br />

lit de Procuste.<br />

En revanche, aucun h muet ne doit être écrit. Ainsi, tandis que le français note avec un h les<br />

interjections monosyllabiques (ha !, hé !… ah !, bah !…), l’occitan d’Alibert s’en abstient (Gramatica,<br />

p. 258), puisque le phonème /h/ n’existe pas dans cette langue et que la lettre h n’y sert que<br />

comme élément des graphèmes complexes lh et nh. Il doit en être de même en gascon, dont la graphie<br />

exclut tout h étymologique amuï : ‘habet’ > (qu’) a en gascon moderne, ha en catalan et en ancien<br />

gascon (cf. Lespy).<br />

Ainsi, dans les interjections, il n’y a d’[h] qu’à l’initiale : hèi !, hòu !…; en finale, il n’y en a<br />

pas plus en gascon qu’en occitan, il ne faut donc pas les noter.<br />

Certes, Palay écrit ah !, eh/èh ! et oh !, mais ce sont sans doute des réminiscences du français,<br />

puisque le -h n’y pourrait être que diacritique.<br />

C’est donc avec raison que, dans l’Initiation au gascon (1974), R. Darrigrand écrit A ! (pp.<br />

122, 155), bò ! (p. 45), O ! (pp. 118, 127, 203, 237), O tè ! (pp. 50, 122), mais un isolé Oh ! (p.<br />

111). Tandis que, dans Lo gascon lèu e plan, pourtant postérieur à la décision de l’I.E.O., M. Grosclaude<br />

écrit comme Palay ah ! (p. 53) et oh ! (p. 33)… Mais le Civadot de 1984 auquel il participa<br />

traduit correctement “eh bien !” en e ben !; même graphie dans la Grammaire de Hourcade (1986,<br />

p. 244) et dans Atau que’s ditz (1998).<br />

La logique de la langue et du système d’écriture classique exige donc les notations sans h : a !<br />

ba ! bò ! e ! ò !<br />

Le son /k/ en général et en finale<br />

Les deux premiers alinéas de L’application… sur le son /k/ ne posent guère de problème :<br />

« Le son k, devant a, o, u, et consonnes, est noté par c et, devant e, i, par qu : carn, còr,<br />

cuèr, clar, crum, tenca, terròc, pequi, queva, quèra, qui, quin.<br />

« A la finale, si l’étymologie l’exige, on notera g : renèg (de “renegare”). »<br />

Le premier alinéa consacre simplement l’élimination générale du k et celle de qu devant a, o<br />

et u, sauf les cas visés par les troisième et quatrième alinéas qui seront étudiés plus loin. En pratique,<br />

cependant, et suivant la tendance déjà observée (cf. pp. 170, 175, 178 et 188), on utilise le k<br />

pour les mots étrangers sentis comme tels (whisky); il faut sans doute y ajouter les symboles internationaux<br />

d’unités de mesure : km, kg, kw…<br />

Le second alinéa n’étant qu’un cas particulier de la notation des sonores étymologiques assourdies<br />

en finale, comme hred {froid} < ‘frigidu’ [ret]; mais c’est si peu évident que l’exemple<br />

même renèg {reniement} a été “renié” — le jeu de mot était trop tentant — par le point 10 de la décision<br />

de l’I.E.O. de 1985 : « S’écrivent avec un -c final les mots lo renèc, lo rebrec, l’emplec. »<br />

J’ai pu relever chez P. Bec lui-même des hésitations; ainsi, dans Sebastian (1981), gorg par 3<br />

fois, pp. 45, 86 et 102, et gorc une, p. 15; et dans les Contes de l’Unic (1977), il devançait la décision<br />

de l’I.E.O. avec renèc, p. 64, arrenecs {jurons}, p.130.<br />

Comme la majorité des mots en -/k/ viennent d’étymons en -c- ou -cc- (yòc {jeu} < ‘jocu’, sac<br />

{sac} < ‘saccu’, etc.) on peut laisser à la sagacité des lexicographes le soin d’appliquer cette règle,<br />

sans trop d’illusions sur la capacité des scripteurs à en mémoriser les applications.


Jean <strong>Lafitte</strong> 270 Écriture du gascon<br />

Le son /ka/ issu du latin qua<br />

Viennent ensuite dans L’application… deux autres alinéas qui présentent nombre de difficultés;<br />

je les rappelle ici, bien qu’ils concernent aussi le son /ko/ qui sera étudié plus loin.<br />

« Cependant, le son k sera noté par qu, d’après l’étymologie, dans les mots d’origine savante<br />

et dans quelques mots populaires : qualitat, liquor, quotidian, quotitat, quartèr.<br />

« Quand la semi-consonne w latine ou germanique persiste dans les groupes qua, que,<br />

gue, on notera la valeur spéciale de u par ˘ ou ´ : q#an ou qúan ; g#èr ou gúèr, g#èi ou gúèi. »<br />

On sait que qua latin aboutit généralement à /ka/, mais aussi à /kwa/ dans un certain nombre<br />

de mots, dans certaines parties du domaine. L’ancienne langue gasconne n’hésitait pas à écrire coa<br />

dont j’ai relevé des nombreuses occurrences dans mon corpus numérisé, mais dont il serait fastidieux<br />

de donner les références : coate, coart(a), coarante, coayre, coayrade, coaresme (tous issus<br />

de ‘quattuor’), sinquoante, lacoau, coar (avant de devenir car) et Pascoa. Mais la graphie alibertine<br />

n’a retenu que qua, avec un u orné d’un accent aigu ou d’une lunule pour marquer la prononciation<br />

en [kw]; avec toutefois cette particularité que les imprimés comportant ces signes diacritiques doivent<br />

être des pièces de musée, car dès 1956, P. Bec les abandonnait de sa seule autorité, estimant<br />

que qua suffisait pour rendre /ka/ ou /kwa/. Mais ceux qui ont l’expérience du manque de repère des<br />

néo-locuteurs ont opté pour le tréma : qua se lit [ka] et qüa [kwa]. C’est même la position officielle<br />

de l’I.E.O. dans le document de 1989, point 28 (Annexe XIII, p. 412); mais l’ignorant ou feignant<br />

de l’ignorer, M. Grosclaude refuse ce tréma préconisé par « certains linguistes » (Dic. Narioo et autres,<br />

p. 31). Cela n’est pas fait pour faciliter la transmission de la langue par l’écrit !<br />

Quoi qu’il en soit, même la notation de ce qui est partout /ka/ hésite entre qua et ca ; et<br />

d’abord pour des mots qui sont tous des dérivés plus ou moins proches de ‘quattuor’ :<br />

– quatorze et quatorzau : quatorzau (Bec, Contes…, p. 70), catorze (ib., p. 188) et quatorze<br />

(Bec, Racontes…, p. 117); dans le document du Secteur de linguistique de l’I.E.O. de 1985 (cf. Annexe<br />

XIII, p. 410) on lit cette curieuse affirmation « On écrit conformément à l’étymologie […] catòrze…<br />

»; le document est co-signé par J. Taupiac et B. Giacomo, alors président de l’I.E.O., mais<br />

aussi par R. Teulat qui écrivait pourtant en 1982 « De prétendus spécialistes vous diront que c’est<br />

une raison étymologique qui fait que catòrze ne s’écrit pas comme quatre. » (Aicí e ara, 2 ème série,<br />

n° 1, p. 28). En réalité, catòrze est la graphie phonologique attestée par les textes occitans les plus<br />

anciens, probablement par suite d’une dissimilation très ancienne des [w…u] d’un [kwa'turze] en<br />

[ka'turze]; mais l’étymologie demande qua. En raison d’une cohérence idéographique qui lie la graphie<br />

qua au chiffre 4 et à ses dérivés directs, il n’y a aucune raison sérieuse d’écrire catorze et quaranta,<br />

prononcés aujourd’hui par [ka]-; ce fut d’ailleurs la solution des anciens textes béarnais cités<br />

par Lespy; et ce qui était écrit XIIII à l’article 22 de la copie des XIII e -XIV e s. des Coutumes de<br />

Montsaunès est écrit quatorze dans celle des XV e -XVI e s. C’est aussi la graphie de G. Narioo (P.N.<br />

26, 9-10/1971, p. 9), R. Lapassade (Ua sason en païs bramader, 1988, p. 65, Requisitòri, 1991, p.<br />

37), J.-F. Tisnèr (livret du CD Camelicà, 1995, p. 1); en oubliant l’hapax en c-, c’est donc la bonne<br />

voie que nous a montrée P. Bec.<br />

– on lit encore chez cet auteur escartat (Contes…, p. 172), carrat (ib., p. 62), carrèu (ib., p.<br />

193) : ces graphies sont celles d’Alibert et aussi de Séguy qui écrit carrat, carrelat (ALG IV, 1276)<br />

cité p. 150; J. Taupiac, qui, pendant l’été 1975, « a travaillé avec Bernard Manciet à la normalisation<br />

graphique de son […] roman Elena » (Q.L.O. n° 4, p. 16) y écrit lui aussi carrat (p. 58); pourtant,<br />

le Civadot note quarrèu (v° carreau) et hésite entre quarrat (v° carré, oreiller) et carrat (v°<br />

foulard); d’où peut-être le quarrat de Danèu Menjòt (Letras deu men molin, 1991, pp. 49 et 50) et


Jean <strong>Lafitte</strong> 271 Écriture du gascon<br />

de Lapassade (La cadena, 1997, p. 7); mais Menjòt écrit carrèu (ib., pp. 35, 55, 56, 62 et 76); Atau<br />

que’s ditz (1998), lui, écrit ces derniers carrat (v° carré, marelle, oreiller, soc) et carrèu (v° carreau,<br />

vitre).<br />

Devant une tel désordre, il faut savoir simplifier comme le français lui-même, qui est passé en<br />

1935 de quarré ou carré à carré seul actuel : comme tous ces mots sont de formation populaire et<br />

ont perdu depuis longtemps toute référence au nombre 4, on ne voit pas la raison de les affubler de<br />

ce qu exceptionnel; il faut écrire carrat, cadre (comme Manciet/Taupiac, ib., p. 21), cadrant, carrèu,<br />

carreladye / -dge, carrilhon, cadèrn (ou casèrn, Alibert, 1958), casèrna, et, sans doute, sans<br />

crainte de nous écarter du français, cartièr. Et quoique Bec (1956) ait écrit quaire {angle, coin}, il<br />

semble bien qu’on pourrait écrire caire comme Alibert, sauf à noter qüaire là où l’on prononce encore<br />

[kwa], ce qui permettrait de s’assurer que cette prononciation existe encore; et de même pour<br />

les dérivés, dont cairehorc {carrefour}, mot rare selon l’ALG III, 780, et toujours en [ka]-.<br />

On écrira aussi par ca- les dérivés de quant(um) qui ont perdu toute relation évidente avec lui,<br />

comme encant, encantar {encan, enchérir), le contexte empêchant de confondre ce dernier avec son<br />

homographe qui signifie “enchanter” (cf. A. Hourcade, 1990, p. 52 : Véner a l’encan {vendre à<br />

l’encan}).<br />

Enfin, les mots tels que antiquari (Bec, Racontes…, p. 55), iniqua (ib., p. 142) viennent<br />

d’adjectifs latins en -quus/-qua, ‘antiquus’ et ‘iniquus’ devenus antic et inic en oc; le Dic. de Narioo<br />

et autres donne à ceux-ci des féminins réguliers en -ca et dans La bíblia valenciana (1994), Narioo<br />

a écrit deux fois anticari (pp. 13 et 15), mais quatre, antiquari (pp. 56, 73, 96 et 199), repris dans<br />

son Dic. Ici encore, la simplicité appelle anticari comme vicari et antica et inica comme civica etc.<br />

On ne notera donc /ka/ par qüa/qua étymologique que dans deux séries de cas :<br />

– qüa dans les mots où le qua étymologique a conservé une prononciation plus ou moins générale<br />

en [kwa] : qüand, qüate, qüart et composés (qüarta, qüarturon, qüarton, etc…), qüau, et,<br />

comme variantes irréductibles éventuelles des graphies en ca- : qüaire et ses composés (qüairèra,<br />

qüairat, qüairar, qüairehorc, etc..);<br />

– qua dans les autres dérivés des latins quattuor, qualis ou quantum demeurés en relation sémantique<br />

claire avec eux : quatorze, quaranta, qualitat, quantitat; les autres suivent la règle générale:<br />

carrat, carrèu, carrilhon, encant, cartièr, cadèrn, casi…<br />

Le son /ko/ issu du latin quo<br />

Les mots en /ko/ issu de quo latin sont bien moins nombreux. Je n’en ai trouvé qu’une occurrence<br />

chez P. Bec, quotidiana (Contes…, p. 86), conforme à L’application… qui cite aussi liquor.<br />

Cela sent pourtant l’hyperlatinisme, puisque le latin lui-même avait très tôt adopté la forme cottidianus;<br />

à moins qu’on reproduise inconsciemment les graphies françaises quotidien, liquoreux, etc.<br />

On tombe d’ailleurs dans l’arbitraire le plus complet, quand par exemple le Dic. de Narioo et<br />

autres traduit “cote, coter, coté” et “cotation” par quòt-, mais “cotiser, cotisant” et “cotisation”, par<br />

cot- comme chez Alibert. Les uns seraient-ils plus “savants” que les autres ? À moins que le modèle<br />

d’Alibert n’ait été influencé par le languedocien escotisson qui vient d’un ‘escot’ francique ?<br />

J’estime bien plus conforme à l’esprit général de la graphie classique — sans parler de la tradition<br />

ancienne — d’éviter ces divergences inexplicables et ces complications souvent insurmontables<br />

pour le scripteur moyen; donc, comme pour le carrat d’Alibert et de P. Bec, je choisis d’écrire


Jean <strong>Lafitte</strong> 272 Écriture du gascon<br />

licor (16), cotidian, cotacion, cotisa, cocient etc.; mais un quotà agricòla, sans toucher à ce mot latin<br />

entré en gascon par le français des règlements européens.<br />

Se rattache à ces mots le démonstratif très fréquent à l’écrit qu’Alibert et ses disciples écrivent<br />

aquò; mais on n’a aucune certitude sur son étymologie, comme le note explicitement J. Taupiac<br />

(1992, p. 447), pour conclure ainsi la page sur le sujet :<br />

« La graphie acò est parfaitement respectable : elle semble justifiée étymologiquement.<br />

Mais il est fort possible que la même chose puisse se dire de la graphie aquò […]. »<br />

Cependant P. Bec donne sans hésitation l’étymon *accu + hoc sans aucun q (1970, I, p. 445),<br />

en cohérence avec l’étymologie d’autres déictiques voisins (ib., p. 424), tandis qu’il présente des<br />

textes anciens où [kar] < ‘quare’ {car} est écrit quar (ib. p. 419) notamment dans les Leys d’amor<br />

(ib., p. 530) : or nul ne conteste la graphie car, pas plus que celle de com issu de ‘quomodo’ ou de<br />

còta, cotisar vus plus haut.<br />

Quant à la tradition, Taupiac montre que celle de l’occitan note aquo aussi bien qu’aco, sans<br />

qu’on puisse rien conclure. Pour ce qui est du gascon, je n’ai trouvé aucun aco dans les Coutumes<br />

de Montsaunès mais deux aquo dans la copie des XIII e -XIV e s. et cinq dans celle des XV e -XVI e s.;<br />

ni l’un ni l’autre dans les Récits d’histoire sainte (Lespy et Raymond, 1876-77) ni dans Un baron<br />

béarnais (des mêmes, 1878). Mais le manuscrit B des Coutumes de Corneillan, de la 1 ère moitié du<br />

XIV e s. (Ch. Samaran, 1953), contient deux aco; j’en ai trouvé un dans un règlement de voirie de<br />

Bayonne du 20 avril 1377 (Livre des Établissements, p. 208). Il est certain que le mot lui-même est<br />

rare, asso étant de loin le plus employé dans ces textes anciens.<br />

On a vu aussi p. 150 que Séguy a écrit pracò (ALG IV, 1344) mais aquò (ib. 2347, 2376 et<br />

VI-C, 20), tandis qu’on trouve acò chez Ravier. Et sous la direction de Jacques Allières, la couverture<br />

du n° 24 de Via Domitia, 1980-2 représentée ci-après affichait « L’Occitanie. Qu’es acò ? ».<br />

Mais peu importe ici, dans le système classique et ses principes, dont celui de la notation phonologique<br />

des mots d’origine populaire : la logique, la cohérence et la simplicité imposent acò.


Jean <strong>Lafitte</strong> 273 Écriture du gascon<br />

Le devenir du -n dit “instable” ou “caduc” et sa notation<br />

Il s’agit de « l’ancien -n- intervocalique latin, devenu final par chute de la voyelle finale atone<br />

[…]. C’est l’n que les troubadours et scribes notaient ou ne notaient pas dans l’ancienne langue et<br />

que l’on désigne souvent pour cela du nom de n instable ou caduc. […] désignation assez peu<br />

scientifique mais commode. » J’ai emprunté ces lignes à P. Bec (1968, p. 49) car elles présentent<br />

très clairement le phénomène phonétique auquel il consacre un chapitre, en rappelant les nombreuses<br />

études qui lui ont été consacrées; mais ici, notre problème est de déterminer comment noter au<br />

mieux les prononciations qui en découlent sur l’ensemble du domaine.<br />

On a un aperçu de ces prononciations en finale tonique dans la carte 2170 de l’ALG VI publié<br />

en 1973, donc après la thèse de P. Bec; à chaque point est indiqué le nombre de réalisations<br />

constatées dans 10 autres cartes, selon la variété de ces réalisations : amuïssement complet, avec ou<br />

sans nasalisation de la voyelle précédente, ou prononciation vélaire du -n c’est-à-dire sensiblement<br />

comme le -ng de “dancing”. J’avoue avoir renoncé à utiliser cette carte pour “faire ma religion” sur<br />

le sujet. J’ai donc repris les dix cartes en question, auxquelles j’en ai ajouté vingt autres, dont deux<br />

dédoublées pour l’analyse des formes : 5 en -an, 6 en -en, 6 en -in, 10 en -on, 5 en -un. En mettant à<br />

part l’indéfini un, son composé degun et trois autres mots grammaticaux primitivement en -en (arren,<br />

quauquarren et taben) qui ont leurs isoglosses propres, cela permet de déterminer six zones à<br />

peu près homogènes (carte p. 325) :<br />

1 – la Gironde, moins les environs de Bazas et une étroite bande au sud d’Arcachon : dans la<br />

plupart des mots concernés la voyelle précédant le -n est nasalisée et le -n s’est amuï;<br />

2 – la Lomagne, jusqu’aux abords de Toulouse; la voyelle est nasalisée, le -n est dental; sauf<br />

pour can {chien}, où il est palatalisé en certains endroits [ka'];<br />

3 – la moitié nord-ouest du Béarn : la voyelle est nasalisée, le -n est muet;<br />

4 – la moitié sud-est du Béarn, la presque totalité des Hautes-Pyrénées et le Couserans : la<br />

voyelle a perdu toute nasalisation et le -n est muet;<br />

5 – le reste : sud de la Gironde, Landes, Lot-et-Garonne gascon, Gers sans la Lomagne, sud<br />

gascon de la Haute-Garonne (Comminges) et Val d’Aran : la voyelle est nasalisée, le -n est vélaire;<br />

6 – au sein de la zone qui précède, et empiétant sur le nord-ouest du Béarn, une zone ouest où<br />

-en a abouti à [e'] et même [e"] (ALG VI, 2128).<br />

Pour ce qui est de la graphie, nous pouvons écarter d’emblée les zones 3 à 5 qui sont sans<br />

problème : on peut noter -n et fixer pour chaque zone une règle de lecture valable pour tous les<br />

mots, selon ce qui est dit ci-dessus; il y a bien quelques exceptions, comme [jam'b,] {jambon} à<br />

Hagetmau qui prononce tout le reste en -["], mais on peut les négliger.<br />

En zones 2 et 6, pas de problème non plus pour noter la finale palatalisée ou yodisée, par -nh<br />

ou -i selon les règles générales : le can ou le canh; en zone 2, selon les lieux; plenh ou plei, tabenh<br />

ou tabei en zone 6; aucun intégriste de la normalisation occitane ne s’en est alarmé.<br />

Pour la zone girondine, la difficulté vient de réalisations disparates en un même lieu. Ainsi :<br />

– à St-Vivien, à la pointe du Médoc, et à Saucats, à 20 km au sud de Bordeaux, le -n est muet<br />

dans can {chien}, pan {pain}, porin {poulain}, lapin, mais vélaire dans hen {foin}, plen {plein},<br />

parren {parrain (gallicisme très répandu)}, jambon, poison {poison};<br />

– à Pujols-sur-Ciron, à 8 km à l’ouest de Langon, le -n est muet dans pan, plen, lapin, hiçon<br />

{dard (de guêpe) et poson, mais vélaire dans can, hen, parren, porin;


Jean <strong>Lafitte</strong> 274 Écriture du gascon<br />

– dans l’Entre-deux-Mers, les deux points Beychac et Blasimon amuïssent le -n dans tous les<br />

mots étudiés, y compris dans canton {carrefour} et beçon {jumeau}, mais le prononcent vélaire<br />

dans hiçon, poison et grilhon {rillons}.<br />

Et l’on pourrait trouver bien d’autres discordances en étudiant les relevés sur l’ensemble des<br />

points d’enquête de la zone, sans compter les mots en -n non étudiés par l’ALG… Il est évident que<br />

la condition “canonique” de la graphie englobante n’est pas réalisée ici pour le -n; la seule solution<br />

conforme à l’esprit de la graphie classique serait donc de n’écrire le -n, au moins dans cette zone,<br />

que lorsqu’il est prononcé; mais alors, pourquoi l’imposer à la zone 4, pour laquelle il n’est même<br />

pas indice de nasalisation de la voyelle, alors que les troubadours ne l’écrivaient que lorsqu’il<br />

s’entendait — P. Bec nous le rappelait — et que les Catalans ne l’écrivent pas au singulier ?<br />

Pour la zone lomagnole, c’est un peu la même chose en moins grave : à part quelques réalisations<br />

en -['] déjà évoquées et qu’on notera par -nh, la quasi totalité des mots étudiés sont prononcés<br />

avec -n dental; mais on a relevé quelques -n vélaires, sans qu’on voie pourquoi ils s’écartent de ce<br />

qui pourrait passer pour une norme locale : arcolan {arc-en-ciel} et poson à Layrac, porrin et poson<br />

à Lectoure, qui hésite entre -[n] et -["] pour hiçon, lapin, et agulhon {dard (de guêpe)} à Léguevin;<br />

et aussi des -n complètement amuïs comme en languedocien voisin : aueran à Lectoure, plan {bien,<br />

adverbe} à Beaumont et Gimont, plan, pepin {grand-père} et beçon à Léguevin. Et là, à part la nonécriture<br />

du -n muet pour ces derniers cas, j’avoue ne pas voir comment distinguer en ces lieux le -n<br />

vélaire du dental.<br />

Et je n’entre pas dans la description de la dispersion des réalisations des pluriels : on trouve<br />

des -["s] bien affirmés aussi bien que des amuïssements en -[s], y compris en un même point; ainsi,<br />

Saleich, aux confins couseranais du Comminges, prononce tous les singuliers en -["] et beçons en -<br />

["s], mais heritons {grillons} en [s].<br />

De tout cela, je conclus que la notation classique généralisée par -n fonctionne de façon satisfaisante<br />

dans la majorité du domaine, et qu’il vaut mieux s’y tenir, en acceptant que les quelques<br />

prononciations “hors norme” disparaissent, faute d’être transmises naturellement par les locuteurs<br />

habituels.<br />

Reste néanmoins la question des mots grammaticaux que j’ai écartés des considérations générales.<br />

Il y a d’abord l’indéfini un qui fait l’objet de six cartes de l’ALG (VI, 2485 à 2490) selon<br />

qu’il se trouve devant un t-, un g-, un l-, un h-, un a- ou es- de estiu {été}, et de son composé degun<br />

{personne}. C’est donc quelque peu différent suivant le contexte phonétique, mais cela reste cohérent<br />

avec le traitement général du -n dans les zones définies plus haut; donc avec aussi quelques<br />

discordances en zones girondine et lomagnole. Comme il s’agit d’un mot bien isolé et d’emploi fréquent,<br />

l’apprentissage de sa prononciation ne devrait pas trop souffrir de la graphie englobante un.<br />

Enfin, il faut faire une place à part aux trois mots grammaticaux que la graphie occitane écrit<br />

arren, quauquarren et taben. Sans doute parce que de grand usage, ils ont perdu toute trace de -n<br />

dans de très vastes zones qui par ailleurs prononcent la finale-en -[e"]. Cette graphie -en ne peut<br />

donc être “englobante”, et la seule possible est arré, donc le composé quauquarré, et tabé; avec<br />

évidemment les variantes irréductibles arren et taben pour les zones réduites où justement on prononce<br />

[ta'be", ar're"] : en gros, une bande centrale du Gers allant jusqu’au Haut-Comminges pour<br />

taben et Comminges pour arren (ALG IV, 1551 et 1346).<br />

En finale atone, dont ne parlent pas les grammairiens occitanistes, le -n- étymologique est


Jean <strong>Lafitte</strong> 275 Écriture du gascon<br />

aujourd’hui muet partout; mais il réapparait en dérivation. Or si « colhon […] fig. sot, imbécile »<br />

justifie son -n qu’on ne prononce pas par le dérivé « colhonada, badinerie, plaisanterie, sottise, bévue;<br />

maladresse. » (Alibert, Dic.), on voit pas pourquoi le même Alibert écrit « ase, m. Ane […]<br />

asenada, ânerie, bévue. » : le -n- de ‘asinu’ est oublié, pour revenir dans le dérivé. J’estime donc<br />

que la cohérence du système classique (cf. p. 241) exige les graphies àsen {âne}, òmen {homme}<br />

(dim. omenet {petit homme}; dér. omenadye {hommage}); mais suivant l’adage de droit summum<br />

jus, summa injuria {pousser le droit jusqu’aux extrêmes conduit à l’injustice}, on ne notera pas ce -<br />

n en l’absence de dérivés où il réapparait : ‘imagine’ > imadye, car les dérivés gascons sont sans -n-<br />

(imadyat {imagé}), un mot comme imayinar {imaginer} venant directement du latin ‘imaginare’.<br />

Le -n(s) final<br />

Contrairement à ce qui s’est passé pour le -n- intervocalique latin devenu notre “n caduc”,<br />

lorsque l’étymon est en -nd- (unde, quando, retondus) ou en -nn- (annus, Johannem), le -n final<br />

s’entend [n] dans tout le domaine gascon (sauf “contaminations” analogiques). Pour prendre un<br />

exemple sur lequel Coromines (1990) s’est fort bien expliqué, pan se dit [pa] ou [p:"] selon les<br />

lieux s’il s’agit du « pain », et [pan] en tous lieux s’il s’agit d’un « pan » de mur (cf. ma note v° PAA<br />

in Lespy, 1887, selon ma réédition).<br />

Le problème est d’ailleurs le même en occitan standard (même s’il ignore les réalisations en<br />

["]). Rendant compte du Dic. de J. Taupiac de 1977, R. Teulat (1979, p. 63) estimait qu’« il aurait<br />

fallu noter à chaque fois le -N prononcé. Par ex. ban(n) contre pan, sans aucune notation. » Donc le<br />

noter de façon extra-orthographique, ce qui aurait obligé le lecteur à se reporter au dictionnaire pour<br />

savoir si le -n s’entend ou non, et qui plus est à un dictionnaire dans l’ordre du français. Une autre<br />

solution est celle de J. Taupiac (2001, p. 103) qui dresse des listes (non exhaustives) de mots relevant<br />

de l’une ou l’autre prononciation. On voit d’emblée le côté pratique !<br />

Il y a bien la solution catalane : tandis que l’occitan termine de la même façon gascon {gascon}<br />

[gas'ku] et segon {segond} [se'gun], le catalan oppose gascó à segon. On en trouve une application<br />

chez Alibert, dont le Dic. donne le substantif « pataló, m. Lourdaud. » à côté de l’adjectif<br />

« patalon, adj., lourdaud. » (v° pata) et plusieurs dérivés en -on- de « rocó, onomatopée du cri du<br />

pigeon » : roconar, roconada, roconament, roconaira et même la variante « rocon, Reseda luteola,<br />

Donezan. » Incohérence du Maitre, erreurs… probablement. Mais comme tout lapsus, elles témoignent<br />

d’un problème véritable que ses disciples occitans ne savent résoudre que par des listes<br />

d’exceptions à apprendre par cœur.<br />

On a vu, p. 210, que J. Boisgontier avait jugé inutile de distinguer à l’écrit les deux -n du gascon,<br />

car le <strong>Gascon</strong> qui connait sa langue n’en a pas besoin et l’étranger s’y reconnaitra par l’étymologie<br />

latine. Mais que fera le <strong>Gascon</strong> d’aujourd’hui qui veut réapprendre une langue qu’il n’entend<br />

plus et le non-<strong>Gascon</strong> qui n’a pas appris le latin, ou qui rencontre un mot d’étymologie inconnue ?<br />

Je n’en voudrai que l’exemple de Le gascon de poche : comme signalé p. 216, le mot “vulgaire”<br />

écrit con, que tout autochtone sait dire [kun] est donné pour [koû] (p. 65) (A.P.I. [k,]), alors qu’on<br />

sait bien que ce mot ne saurait rimer avec gascon, correctement prononcé [gaskoû] (p. 5).<br />

Pourtant, il y a un siècle, l’abbé Césaire Daugé avait déjà proposé -n pour -/n/ et -ñ pour -/"/<br />

(ou Ø là où il est muet)… Et l’abbé Dambielle, maitre aimé du jeune Ismaël Girard, les notait respectivement<br />

par -n et -$. Car la solution catalane qui supprime tout -n ne peut aller pour le gascon<br />

dont on vient de voir qu’une bonne partie du domaine prononce ["] en finale.


Jean <strong>Lafitte</strong> 276 Écriture du gascon<br />

Comme P. de Garros et Coromines, et selon le principe G d’Alibert (cf. p. 238) je propose<br />

donc ond {où}, quand, ann {an}, Yann /Jann {Jean} opposés à can {chien}, hen {foin}…<br />

En cela, je ne suis pas isolé puisqu’on a pu lire dans le magazine de l’I.E.O. Occitans ! n° 89,<br />

p. 6 : « Article escrich par […] Fabian, […], Ioann, Simon e Vivian » du collège de Saint-<br />

Affrique. » Dans La Cabreta n°178 de février 2005, p. 9, Alan Bròc écrit brenn {son (de blé)}, etc.<br />

Aux 6 èmes personnes des verbes, le -nt étymologique aboutit à -[n] même là ou il s’entend [nt]<br />

dans les autres mots comme la hont {fontaine}. Aussi est-on contraint de le noter analogiquement<br />

par -nn, comme chez Garros et Coromines : que càntann {ils chantent}, que serann {ils seront}.<br />

Mais en dérivation, bien entendu, le -nn- et le -nd- se réduisent à -n-, selon l’évolution normale<br />

de la langue : Yann, Yana; grand, grana etc.<br />

Comme pour -rs, le groupe final -ns se lit par -[s] seul ou -["s] : los hens -> [lus hes]. Pour entendre<br />

-[ns], il faut rétablir un -t-, très généralement étymologique : avantz, (


Jean <strong>Lafitte</strong> 277 Écriture du gascon<br />

p. 216 : pipèr {piment} y est donné avec la prononciation [pipè] (p. 89).<br />

Il faut y ajouter les mots savants et les gallicismes (èr {air}, pp. 64 et 152, escarturs {écarteurs},<br />

p. 122 et bonur {bonheur}, p. 132 33 ), bien que rien n’en soit dit non plus p. 119 lorsque le<br />

gallicisme motur {moteur} (-r prononcé) est opposé à motor (-r muet) « qui correspond mieux aux<br />

exigences de la langue ». Or on ne peut traiter ces mots que de façon analogique comme l’ont parfaitement<br />

senti les anciens en leur donnant des dérivés en -rr- comme menturrèr, fierretat {mensonge,<br />

fierté}…; d’où les graphies analogiques que je propose : èrr, escarturr, bonurr, cancèrr<br />

{cancer}, esperr {espoir}.<br />

Mais en syllabe atone, le r simple de l’étymon, devenu final et amuï, n’est plus noté s’il ne réapparait<br />

pas en dérivation, a fortiori si celle-ci l’ignore : senhe {seigneur} (dim. senhet), maye /<br />

mage {plus grand} (fém. analogique maya / maja); mais líber {livre}, liberet {livret}.<br />

Le groupe final -rs pose le même problème : il se lit par -[s] seul : los devers {les devoirs} -><br />

[luz de'!es]. Pour entendre -[rs], on notera analogiquement -rrs : divèrrs {divers}; les anciens ne<br />

procédaient pas autrement quand ils terminaient la préposition vertz {vers} < ‘versus’ par un -tz<br />

analogique.<br />

Le -d final<br />

Ici, c’est bien plus délicat : sans qu’on sache trop pourquoi, le -d- étymologique devenu final<br />

est tantôt prononcé [t] (nud {nu}, et en certains lieux, pèd {pied}, lèd {laid}, goad {gué}) tantôt<br />

muet (grad {degré}, et dans la majeure partie du domaine, pèd, lèd, goad). Sans logique évidente,<br />

les auteurs occitanistes écrivent pè et lèd. Avec plus de rigueur, je propose de noter toujours -d<br />

(pèd, lèd) sauf si le -d est muet partout et sans dérivation (la fe {foi} < fidem); il faut alors préciser<br />

les lieux où il est muet.<br />

-/t/ final, variante de /)/, noté par -t (5 èmes personnes notamment)<br />

L’application… traite la question des 5 èmes personnes en gascon par un alinéa dont La réforme…<br />

n’a pas l’équivalent pour l’occitan :<br />

« Le tz final des 2 ème pers. du pluriel des verbes et le ts final provenant de c, ti latins<br />

sera représenté par -tz : anatz, hasètz, dromitz, portàvatz, patz, prètz, crotz, perditz. »<br />

Dire que « tz final […] sera représenté par -tz » est une tautologie ! En réalité, il faut supposer<br />

qu’Alibert a voulu écrire « Le son tz… », comme dans les alinéas voisins, le son s, le son k…Or<br />

c’est encore une erreur, car précédé ou nom de la sourde [t], -z s’assourdit en [s], donc en 5 ème personne<br />

des verbes ou dans les noms cités, le son final est toujours /1/, soit ts selon la machine à<br />

écrire de 1952.<br />

Mais alors, quand la 5 ème personne s’achève en -[t] et non -[1], cette règle ne s’applique pas,<br />

et l’on retombe dans la notation générale par -t : anat [vous allez] et dromit [vous dormez] tout<br />

comme les participes passés anat [allé] et dromit [dormi], la prononciation étant rigoureusement la<br />

même, et le principe B voulant une notation phonétique des mots de formation populaire.<br />

On peut pourtant faire observer que parmi les principes de La réforme… que L’application…<br />

entend appliquer au gascon, le principe G de rétablissement des consonnes finales amuïes ou altérées<br />

(cf. p. 238) est illustré entre autres exemples par « anatz, patz, disètz ». Mais tous ces exemples<br />

sont languedociens et ne s’appliquent pas “juridiquement”, au gascon; bien au contraire, quand<br />

33 Et peut-être fièrs, p. 143, encore qu’on ne sache trop, même en tendant l’oreille, si le -r- est prononcé par la locutrice.


Jean <strong>Lafitte</strong> 278 Écriture du gascon<br />

L’application… indique des formes qu’ « on choisira, autant que possible, pour l’usage littéraire »<br />

parce que estimée « les plus conformes à l’évolution normale de la langue et les mieux conservées<br />

», la finale -tz n’y figure pas, comme on peut le vérifier en Annexe XIII, p. 406.<br />

Au demeurant, Alibert, ceux qui l’ont assisté et Séguy (cf. p. 154) à qui le texte de<br />

L’application… fut soumis auraient pu avoir des scrupules à rejeter les formes en -[t] des 5 èmes personnes,<br />

car la carte 1627 de l’ALG V montre que sont celles d’une bonne moitié du domaine, et la<br />

plus éloignée du domaine languedocien.<br />

Ce phénomène a déjà attiré l’attention des linguistes, au moins depuis Jean Passy (1904, p.<br />

69), et en dernier lieu, à ma connaissance, de Thomas Field dans une intéressante contribution à<br />

l’Hommage à Jacques Allières (2002, pp. 101-108).<br />

Jean Passy y voyait une réduction de -[1] issu de ‘-tis’ latin, et Rohlfs (1977, 213) suppose<br />

une analogie avec la perte du -s de ‘cantamus’ > ‘*cantamu’. Mais P. Bec (1968, pp. 196-7), écarte<br />

cette hypothèse, estimant que la même réduction aurait dû toucher également « dans les mêmes parlers,<br />

des mots comme buts, parts, kruts (< VOCE, P+TEU, CR+CE) »; il constate au contraire que<br />

c’est en -[t] que se réduisent ces mots « devant une cons. dentale [...]. D’ailleurs, il semble bien que<br />

le -tz désinentiel tende à se simplifier par perte de son élément occlusif plutôt que de son élément<br />

spirant », donc [1] > [s]. Le domaine gascon aurait donc eu des finales en -[t] « par une différenciation<br />

morphol. remontant aux origines. », de telle sorte qu’« à la phase romane, le gasc. aurait ainsi<br />

rejoint l’a. cast. et l’a. port.: cantades, avedes, dormides. »<br />

Et tout en mentionnant que « Cette désinence se retrouve en gévaudanais (dès le XIII e s.), cf.<br />

RONJ., III, pp. 138, 59 et ALIBERT, Gr. Occ., p. 105 », il estimait « qu’elle est, en gros, spécifique<br />

du seul gascon. » Il en donnait par ailleurs l’extension approximative telle qu’on pouvait alors<br />

l’apprécier par l’ALG Il, 401 “vous avez un beau...” et ce qu’en disaient Rohlfs, Ronjat, Passy et<br />

Lespy, tout en comptant sur la publication prochaine de l’ALG V pour en savoir plus.<br />

C’est fait depuis 1971, puisque j’ai pu en citer plus haut la carte 1627. À la p. 227 du Fascicule<br />

2, J. Allières propose sa propre réflexion sur l’origine de ce phénomène; dans une longue note,<br />

il rapproche « le -t au lieu de -ts à la pers. 5 de la forme que prend généralement en Gascogne le<br />

continuateur de la géminée latine -LL en finale romane. » Il rappelle alors que « A. Martinet s’était<br />

demandé (Économie des.changements phonétiques, 11.25, p. 277, note 47) si ce -t n’héritait pas<br />

d’un ancien -ts dont l’élément sifflant final aurait été interprété comme une marque de pluriel : à<br />

*kas’tèts (cf. le type kas’tète au SE), de CASTELLU, se serait alors substitué dans la majeure partie<br />

du domaine gascon l’actuel kas’tèt ». Il cite alors plusieurs exemples qui appuieraient l’hypothèse<br />

de Martinet et ajoute : « Si tous ces substantifs et adjectifs ont été effectivement “corrigés” par ablation<br />

du -s de *-ts, un *-ts de pers. 5 n’aurait-il pu être entraîné par la vague ? » Un nouveau rapprochement<br />

avec les 3 èmes personnes en -[t], [kret, kat, bet], des verbes créder, càder, véder {croire,<br />

tomber, voir} suivant une même répartition géographique donne « une image globale […] selon laquelle<br />

un certain foyer de “gasconnité” se situerait dans les Pyrénées-Atlantiques, groupant des<br />

terminaisons en -t d’origine variée mais toutes issues d’un -ts conservé ailleurs. »<br />

Coromines (1992, p. 126) y voit plutôt une réduction « conditionnée par des faits de phonétique<br />

syntaxique » en s’appuyant notamment sur l’ALG III, 908 “fermez (la porte)” où il est patent<br />

que devant l’article la, avec ou sans assimilation, le -[t] s’étend bien au-delà du domaine que lui reconnaissent<br />

les cartes 401 et 1627.


Jean <strong>Lafitte</strong> 279 Écriture du gascon<br />

Th. Field préfère mettre en avant le témoignage des textes bigourdans et béarnais où les finales<br />

ne sont qu’en -tz jusqu’au XVI e s., laissant supposer que la perte du -s est relativement récente.<br />

Quoi qu’il en soit des origines et des causes, les éminents spécialistes du gascon que sont Bec<br />

et Allières voient dans ce -[t] des 5 èmes personnes un trait spécifique du gascon. Or curieusement, je<br />

n’ai pas su trouver mention des prononciations gasconnes en -[t] ou -[s] chez la plupart des grammairiens<br />

occitanistes du gascon : ni P. Bec dans un ouvrage antérieur, de 1959; ni R. Darrigrand<br />

(1969-1), qui ne mentionne même pas le digramme -tz, tout en faisant de l’opposition cantats<br />

{chantés} à cantatz {vous chantez} un exemple du caractère « fonctionnel » de la graphie classique<br />

(p. 6); ni le même (1974); ni encore le même et M. Grosclaude (1976); ni ce dernier (1977); ni A.<br />

Hourcade (1986); ni A. Blanchi et A. Viaut (1995); ni M. Grosclaude et G. Narioo (1999), ces deux<br />

derniers ouvrages étant pourtant spécialisés sur les conjugaisons. Le Civadot (cf. p. 159) est à ma<br />

connaissance le premier ouvrage “grand public” à mentionner l’amuïssement du -z du -tz final des<br />

5 èmes personnes : « que cantatz (ce z est généralement muet en Béarn) » (p. 21), ce qui est redit p.<br />

27; comme l’ouvrage ne vise que le Béarn, c’est honorable. Comme auteurs de grammaires, J.-P.<br />

Birabent et J. Salles-Loustau (cf. p. 167) abordent le sujet, mais ils n’ont apparemment pas consulté<br />

l’ALG ni lu P. Bec, car on lit seulement, p. 24 : « La prononciation [ts] du groupe final -TZ caractéristique<br />

de la 2 ème personne du pluriel se réduit parfois à [t] (Béarn en particulier) » : le « parfois »<br />

temporel trompe, car c’est dans l’espace que se fait le partage, et bien au delà du Béarn (sans ses<br />

vallées); la Bigorre notamment, où exerce le premier auteur, prononce massivement [t].<br />

Tout cela pour dire qu’avec d’aussi maigres indications, la graphie -tz aura vite fait disparaitre<br />

une prononciation gasconne caractéristique qui affecte la moitié du domaine…<br />

Cependant, l’exemple de l’orthodoxie… et du bon sens comme de la fidélité à la langue nous<br />

a été donné par J. Séguy et X. Ravier (cf. p. 154). Comme eux, j’écrirai donc qu’anat, que dromit.<br />

Corrélativement, on écrira adixat/adeixat dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-<br />

Pyrénées qui prononcent en -[t], adixatz/adeixatz dans le reste du domaine (ALG III, 1064); on ne<br />

voit pas en effet au nom de quoi on unifierait la graphie de ce pluriel, alors qu’on admet parfaitement<br />

d’écrire adiu ou adieu selon les lieux (ALG III, 1063), la zone de adieu étant au demeurant<br />

bien plus réduite que celle de adixat.<br />

De même, les réalisations locales en -[t] de mots généralement prononcés en -[1] sont des<br />

“variantes irréductibles” qui ne pourront être notées valablement que par -t; c’est d’abord le cas de<br />

ditz {il dit} prononcé [dit] sur un bon quart du domaine (ALG V, 1874 : nord du Béarn et de la Bigorre,<br />

nord des Landes, ouest et sud du Gers, Bazadais et Néracais); et aussi de dètz, prètz, votz et<br />

autres, prononcés [d!t] (ALG VI, 2389), [pr!t] et [but] etc. (Palay : en Bigorre et Gers, dèt, prèt,<br />

bout, etc.); ils auront pour variantes dit, dèt, prèt et vot, etc.<br />

-/s/ final des 5 èmes personnes noté par -s ou -tz ?<br />

Le même raisonnement vaut pour les zones réduites où les 5 èmes personnes sont en -[s], puisque<br />

la notation par -tz n’est prévue que pour -[1]; la règle est que -s note -[s], mais « lorsque s sourd<br />

provient de […] ti latin[s], on le note, selon les cas, par ç ou c » (cf. annexe XIII, p. 407); la marque<br />

des 5 èmes personnes venant de ‘-tis’ latin, ce serait donc -ç qu’on devrait écrire : qu’anaç, que dromiç;<br />

je doute que cela convienne aux intéressés, qui préfèreront sans doute le -s banal : qu’anàs, que<br />

dromís; cependant, comme -[s] est une simplification de -[1], le noter par -tz serait envisageable,<br />

car cela ne risquerait guère d’altérer la langue de ces endroits; aux usagers de décider.


Jean <strong>Lafitte</strong> 280 Écriture du gascon<br />

-/ts/ final noté par -tz ou -ts, selon les cas<br />

Ceci précisé, je ne vois pas d’inconvénient à ce que -/1/ final soit écrit -tz dans les conditions<br />

fixées par L’application… Pourtant, le critère d’emploi n’est pas simple; certes, pour les 5 èmes personnes,<br />

il est grammatical, donc facile à mettre en œuvre; mais recourir à l’étymologie pour les autres<br />

cas n’est pas à la portée de tous.<br />

Bien plus simple est la règle incluse dans les normes officielles aranaises, adoptées sur proposition<br />

d’une commission où siégeaient plusieurs Français (cf. p. 158) :<br />

« 23. tz […] en position finale s’entend comme ts [1] : auetz, ditz, prètz (vous avez;<br />

dites; prix). On n’utilise la graphie ts en position finale que lorsqu’elle correspond au pluriel<br />

d’un mot terminé en t : auets, dits (avets, dits). »<br />

C’est donc écarter la référence à l’étymologie et revenir au principe B de La réforme… de<br />

graphie phonétique des mots de formation populaire; n’étant plus que grammaticale, la règle est à la<br />

portée de toute personne qui veut écrire.<br />

Il faut pourtant affiner cette règle, car au pluriel de mots en -t, il faut ajouter :<br />

– les formes brèves de la 2 ème personne de quelques verbes : la plus connue est que pòts pour<br />

que pòdes {tu peux}; mais il y a aussi que dits, que plats pour que dises, que plases {tu dis, tu<br />

plais}, homophones de la 3 ème pers. que ditz, que platz; est ainsi célèbre — et mal orthographié<br />

d’ordinaire — le vers de la chanson Rossinholet :<br />

Que’t plats e que t’encantas {Tu te plais et tu t’enchantes<br />

Auprès de ta mieitat. Auprès de ta moitié}<br />

Ces formes en -ts s’opposent ainsi aux formes en -tz des 3 èmes personnes de verbes en /1/ :<br />

– d’étymon latin en ‘-cere’ ou ‘quere’ : ‘conducere’ > condúser, que condutz; ‘coquere’ > còser,<br />

que còtz; ‘dicere’ > díser, que ditz; ‘jacere’ > yàser / jàser; que yatz / jatz; ‘nocere’ > nòser, que<br />

nòtz; ‘placere’ > plàser, que platz; ‘tacere’ > tèser; que tètz 34 ;<br />

– ou d’étymon latin en ‘-dere’, par analogie, du fait de l’identité des terminaisons d’infinitif<br />

en -ser en occitan et dans le gascon des régions de contact, jusqu’au Vic-Bilh; ce sont des formes<br />

moins répandues que les précédentes, et moins que les formes en -d, correspondant à l’infinitif en<br />

-der et rappelées ici pour les deux premiers verbes (cf. ALG V, 1847, 1851, 1864) : ‘cadere’ > càder,<br />

que cad ou càser, que catz; ‘credere’ > créder; que cred ou créser; que cretz; ‘fodere’ > hòser,<br />

que hòtz; ‘prurire’ > ‘*prudere’ 35 > prúder; que prutz; ‘ridere’ > arríser, qu’arritz; ‘sedere’ > sèser<br />

(en 2 points seulement de l’ALG IV, 1546), que sètz; ‘videre’ > véser, que vetz. S’y rattache que<br />

cotz, du verbe cóser {coudre}, issu, lui du latin ‘consuere’ (cf. R. Darrigrand, 1974, p. 130).<br />

La graphie aranaise en -tz étendue à l’ensemble gascon concerne donc finalement :<br />

– les mots déjà écrits ainsi : les 5 èmes personnes des verbes en -[1], et divers mots issus de c ou<br />

ti latin (alavetz, arraditz, crotz, dètz, que ditz, lutz, patz, perditz, que platz, prètz, putz, soritz, vitz,<br />

votz…) {alors, racine, croix, dix, il dit, lumière, paix, perdrix, il plait, prix, puits, souris, vis, voix};<br />

plus d’autres plus rares, cautz {chaux (en Bazadais)}, hautz {faux} (ALG II, 339), heutz {fougère},<br />

graphie de B. Manciet, et des mots en -rtz prononcé en [r1] ou en [rs] selon les lieux : dimartz (<<br />

dies Martis) {mardi}, martz (< martius [mensis]) {mars}…<br />

34 Forme supposée; en face de carar, très majoritaire et de taisar dans le nord du domaine, l’ALG IV, 1597 ne signale<br />

tèser que dans une étroite bande du gascon maritime, de Bayonne à Vielle-St-Girons; mais le mot manque au Palay et<br />

même à Que parlam (cf. p. 172) alors que Mistral le mentionnait comme béarnais (mais vu de Maillane…).<br />

35 Forme populaire supposée par l’italien prudere, probablement par dissimilation.


Jean <strong>Lafitte</strong> 281 Écriture du gascon<br />

– les 3 èmes personnes analogiques de l’indicatif présent (et 2 ème de l’impératif) des verbes en -<br />

s- d’étymon latin en -d- : que vetz, qu’arritz…, opposées aux 2 èmes brèves homophones que veds,<br />

qu’arrids…<br />

– les invariables en -t + [s] adverbial, adverbes en -ment principalement; on en compte quelque<br />

140 dans le Lespy, plus nombreux que les formes sans -[s] : amagadamentz, amigaumentz,<br />

amorosamentz, amplementz, etc. {en cachette, amicalement, aimablement, amplement} et aussi<br />

avantz, avantz-ger, de noeitz {avant, avant-hier, de nuit};<br />

– les autres invariables en -[1], tels que dedentz / dehentz, dentz / hentz, sentz / xentz, xetz /<br />

xètz {dedans, dans, sans};<br />

– les gérondifs en -[ns] du nord-ouest des Landes et de la Gironde de rive gauche (ALG V,<br />

1753) : en aimantz, en escriventz, en sortintz {en aimant, en écrivant, en sortant};<br />

– les mots techniques adoptés en l’état : hèrtz, quartz (le quars catalan se lirait [kwas], comme<br />

las mars {les mers}), etc.<br />

– et des toponymes, Basatz et de nombreux noms pyrénéens notés en -tz dans les textes anciens<br />

de la meilleure époque, pouvant correspondre à un suffixe basque en -[1] (Grosclaude, 1991,<br />

p. 378) : Aràmitz, Berdetz, Biarritz, Gurtz, Jöèrtz, Laruntz, Lhèrtz, Pietz, Sendètz, Vernadètz.<br />

/dz/ et /ts/ intervocaliques notés respectivement par -dz- et -ts-<br />

En languedocien (et en provençal, à en juger par le Trésor du Félibrige) les mots achevés par<br />

-tz dérivent en [z] noté par -s- : crotz, “croix” prononcé [kru1] donne [kru'za], donc crosar; il en est<br />

de même pour les pluriels dits sensibles : patz, pases, prètz, prèses, crotz, croses (Alibert, Gramatica,<br />

p. 51). C’est sans doute la raison pour laquelle La réforme… n’aborde pas le sujet, qui ne pose<br />

pas de problème.<br />

Mais en gascon, Palay nous donne croutzà, et les occitanistes, crotzar (Darrigrand, 1969; Civadot,<br />

1984; Narioo & autres, 2003) pour une prononciation qui reste à deviner — j’y reviendrai —,<br />

ce dont Alibert ne dut avoir connaissance, de telle sorte que L’application… n’en dit rien non plus;<br />

de même, J. Taupiac dans La prononciation normalisée du gascon (1963). Comment écrire le gascon<br />

de R. Darrigrand (1969) ne fait qu’effleurer le sujet : il indique que les lettres de l’alphabet gascon<br />

« peuvent se combiner en (…) tz (crotzar : croiser) » (n°1) et que « le “s” sonore (…) après<br />

consonne est noté “z” (…) dotze : douze » (n° 19); mais ensuite, rien sur tz dans les paragraphes 23<br />

à 33 consacrés aux « Groupes de consonnes », ce qui laisse penser que tz se prononce toujours [tz],<br />

y compris en finale ! Le Civadot, nous l’avons vu plus haut, traite de tz en deux endroits, (p. 21) en<br />

spécifiant bien la prononciation -[1] du -tz final, en dehors des 5 èmes personnes; mais il ne dit pas<br />

non plus comment on prononce à l’intervocalique, comme dans crotzar {croiser}.<br />

Or malgré ce que laisse entendre R. Darrigrand, [tz] est exclu, parce que imprononçable sans<br />

effort particulier, du fait de l’assimilation naturelle des sonorités; ce sera donc [+] ou [1]; mais lequel<br />

? Comme la graphie moderne de l’Escole Gastou Febus connait le même problème, c’est à travers<br />

la somme que représente le Palay qu’on a le plus de chance d’apercevoir la solution. Je renvoie<br />

donc à l’étude qui en est faite au chapitre suivant, p. 326 sqq. dont les premières conclusions sont<br />

confirmées par le peu qu’en donne l’ALG (p. 327).<br />

Ici, je pousserai l’investigation à travers nos anciens textes, première référence de la pensée<br />

de la réforme “alibertine” (cf. p. 234). Or ces textes présentent la même hésitation que les Félibres


Jean <strong>Lafitte</strong> 282 Écriture du gascon<br />

pour noter ces affriquées qui, au demeurant, sont rares.<br />

Il faut déjà éliminer la rencontre d’un -t final et d’un s- initial de parties de mot composé,<br />

comme Montsaunés ou Labatsus (Luchaire, 1881, p. 17) ou, chez un moderne, pòtsarrada {lèvresserrée,<br />

“pincée”} (J.-L. Lavit, Zocalfar !).<br />

De même, sont probablement en [1] les noms basques, le plus souvent notés pertinemment<br />

par -ts- : contra, Daradzu (Luchaire, p. 78); mais madone Metsen Ysalguere (Luntz, p. 144), Hetse<br />

(ib., p. 147) qui s’identifie à Ahetze, fief de la commune basque d’Odiarp selon les éditeurs; ou encore<br />

Metssague /Metsague, dans un acte du notaire de Navarrenx de 1385 (P.N.-P.G. n° 184, 1-<br />

2/1998, p. 6).<br />

Pour le reste, on trouve souvent -tz- pour les nombres dotze, tretze et setze ainsi que detzau<br />

{dixième} selon la scripta toulousaine et catalane, mais aussi -dz- selon la prononciation et<br />

l’étymologie, notamment chez le notaire vicomtal Bernat de Luntz : dodze, tredze et sedze et aussi,<br />

le titre empadziment {acte mettant fin à une dissension entre familles ayant entrainé plusieurs morts<br />

violentes} (p. 53).<br />

La confirmation de l’hésitation graphique se trouve par exemple dans les variantes des mêmes<br />

dérivés de patz {paix} dans l’article 5 du For d’Ossau (Les fors anciens de Béarn, éd. par P. Ourliac<br />

et M. Gilles) : padsee, patser, paser, patzort.<br />

Chez les auteurs modernes, les adeptes de la graphie classique usent très généralement de -tz-,<br />

sans que l’on sache davantage comment prononcer. Est cependant significatif le constat qu’on peut<br />

faire avec Lous trés gouyats de Bordebielhe de Palay et sa transcription classique par R. Darrigrand,<br />

l’auteur averti de Comment écrire le gascon (cf. p. 157) : Palay avait écrit une fois doutsene (p. 34),<br />

quatre fois doudzene {douzaine} (pp. 39, 67, 101 et 104); Darrigrand fait l’inverse, une fois dodzena<br />

(p. 122) et quatre fois dotzena (pp. 72, 78, 175 et 179) ! D’autres, et non des moindres (Séguy,<br />

cf. p. 150, Narioo, Manciet…), usent aussi de -dz- pour dodze, tredze et sedze.<br />

Pour -[ts]-, rare, on a vu P. Bec écrire deux fois, pp. 172 et 217 de ses Contes de l’Unic<br />

(1977), un ambigu batzarra {bagarre}, mot probablement venu du basque, où le -tz- garde sa valeur<br />

basque; mais il s’est “corrigé” dans Sebastian (1980), avec batsarra, p.110. Cette graphie semble<br />

faire maintenant l’unanimité.<br />

Estimant que la graphie doit être au service de la prononciation et lever toutes les hésitations,<br />

je conclus à la notation générale de /dz/ et /ts/ intervocaliques respectivement par -dz- et -ts- : crodzada,<br />

pudzar {puiser}… comme dodze, eudze {yeuse}…, et batsarra, batsacar {ressasser, saccager};<br />

le passage de dètz à dedzau s’inscrit en effet dans la même logique que celui de aimat à aimada.<br />

Et, bien sûr, pour les formes non-affriquées, /z/ sera -s- entre voyelles et /s/, -c- o -ç- : crosar,<br />

pusar, Croselhas (Grosclaude, 1991, p. 161), paceria {accord de paix}, viçar {visser} (et non vissar<br />

à la française comme dans le Civadot et chez G. Dulau, qui écrit cependant desviçar).<br />

Mais la solution phonologiquement correcte, facile à écrire et facile à lire, Roger Lapassade<br />

l’avait donnée spontanément avec « crodzan » dans Aspa, poème inédit du 3 janvier 1982; c’est le<br />

cadeau qu’il avait offert en février aux participants du stage de béarnais de Bedous en Vallée<br />

d’Aspe, le premier que je suivis :


Jean <strong>Lafitte</strong> 283 Écriture du gascon<br />

« Le chemin nous enseigne, et aussi le troupeau. Le chemin où se croisent, en un<br />

songe fumeux, le moine, le soldat, le berger, le pèlerin…»<br />

Peut-on conserver la lettre x en dehors de sa valeur ['] ?<br />

On ne peut aborder cette question sans rappeler les principes A et B d’Alibert dans La réforme…<br />

(pp. 234 et 235 ci-dessus) : le premier base la graphie « sur l’emploi des mêmes notations<br />

empruntées en grande partie à notre ancienne langue » et le second entend conserver « la graphie<br />

d’origine des mots savants grecs ou latins », tout en remplaçant 7 graphèmes latins issus du grec par<br />

des graphèmes “modernes”. Or l’« ancienne langue » gasconne a réutilisé la lettre x avec la valeur<br />

[#] qu’elle avait acquise dans le latin parlé : ‘axis’ > èx {essieu} (cf. plus haut, p. 266), tandis que la<br />

langue écrite des clercs et des scribes se chargeait de mots que l’on dit “savants”, avec des x gardant<br />

plus ou moins leur valeur primitive : examina, taxa etc. Mais déjà, pour éviter les confusions, on<br />

voyait apparaitre des graphèmes tels que cx pour garantir la prononciation [ks] : Acx {Dax}, tacxan<br />

{taxèrent} (For d’Aspe, art. 11), vecxat ou becxat {accablé} (Testament Abbadie, 1484), relacxar<br />

{relâcher}, becxations {vexations} (Un baron béarnais, v. 1505), etc.<br />

Il est donc légitime de penser que si Alibert avait vraiment connu le gascon et l’histoire de son<br />

écriture, il aurait à la fois consacré la valeur [#] de x, au lieu d’aller chercher le très rare sh, et le<br />

remplacement du savant x par son équivalent cs ou autre, comme celui du savant ph par f etc.<br />

Et quand j’écris « équivalent cs ou autre », c’est parce que la question de la prononciation<br />

gasconne du x “savant” est loin d’être évidente. En languedocien, à en croire Alibert (Gram. p. 27),<br />

la réponse est simple : « Le groupe cs ou x est prononcé ts : exemple, diccionari (etsemple, ditsiunari).<br />

»; remarquons au passage que l’exemple diccionari présente le groupe cc pour illustrer cs, ce<br />

qui n’est pas très rigoureux, et montre que cc devant e ou i est rendu comme cs.<br />

Mais en gascon le plus authentique, la prononciation [ks] existe bel et bien; c’est celle que<br />

choisit J. Taupiac (1963, p. 12) pour la « prononciation normalisée » de -cs, en contraste avec -[1]<br />

du languedocien; au sein des mots, il suffit pour s’en convaincre de lire chez Arnaudin bacsa {cesser,<br />

s’arrêter}, lecsoun {leçon}, nicséyre {nécessité, besoin}, relacsa {ralentir, relâcher}, tracsa<br />

{croiser (les jambes)} et tricsa {bondir, gambader}, que J. Miró transcrit fidèlement bacsar, lecçon,<br />

nicsèira, relacsar, tracsar et tricsar. De même chez Palay, qui écrit d’Acs {Dax}, arredicsè {ensemble<br />

de racines}, bacsà, et surtout les mots “savants” accedà {accéder} (accès, accessibl", accessioû,<br />

accessòri, inaccessìbl"), accelerà {accélérer} (acceleracioû, acceleratou), accén {accent}<br />

(accentuà, accentuacioû), acceptà {accepter} (acceptàbl", acceptacioû), accidén {accident} (accidentàt),<br />

baccî {vaccin} (baccinà, baccinacioû, rebaccinà), Occitâ ou Ouccitàn, succedà {succéder}<br />

(succedàn, succedanàt, succès, successibilitàt, successibl", successioû, successòri, successoù), plus<br />

tous les mots en x devant voyelle cités plus loin p. 285.<br />

L’ALG nous confirme [ks] en finale : dimèrcs ne se prononce nulle part en -[1], et [dim!rks]<br />

est bien affirmé dans le sud-ouest des Landes (III, 1040); et si la carte de synthèse VI, 2217 montre<br />

bien des finales -cs (hoecs {feux}) en -[1] dans le tiers est du domaine, voisin du languedocien, il


Jean <strong>Lafitte</strong> 284 Écriture du gascon<br />

n’y en a aucune dans les deux-tiers restants. C’est là un exemple de la solidité des consonnes finales<br />

qui caractérise le gascon dans l’ensemble d’oc (Bec, 1973, p. 18).<br />

Mais l’existence de ce [ks] n’empêche pas un traitement particulier du x, et spécialement dans<br />

le préfixe latin ex devant voyelle. Certes, M. Grosclaude (1977) n’en dit rien dans les règles générales<br />

de prononciation (pp. 19-20), et le Mémento grammatical (cf. p. 167) est on ne peut plus succinct<br />

« X [kz] devant voyelle ou [s] devant consonne. » (p. 24), avec pour seuls exemples exemplari<br />

et extraordinari, tous deux relevant du cas particulier de ex -. Voyons donc ce qu’il en est :<br />

Devant consonne, la norme est [s], comme l’a bien vu le Mémento avec extraordinari, à<br />

l’exception cependant du traitement du préfixe ex devant /s/. En fait, on ne rencontre x que devant<br />

occlusive sourde (c valant [k], qu, p et t) : excusar, expausar, exterior; c’est donc [s], contre [ks]<br />

en français soutenu. Cela n’est pas nouveau, puisque les Fors anciens de Béarn usent fréquemment<br />

de l’expression test de for generau; {texte de for général} et titrent l’art. 37 du For général : Rubrica<br />

e test suus camiis {Rubrique et texte sur les chemins}. Mais les Fiches de grammaire… donnent<br />

les deux prononciations pour ex-, « [es / eks] 2 » avec le renvoi (2) : « Prononciation savante » (p.<br />

39). Comme on peut supposer que « savant » est plus valorisant, le gascon “relevé” devient une succursale<br />

graphique et phonétique du français; vaut-il alors la peine de l’apprendre ? Pourtant, Lespy<br />

notait avec pertinence (Grammaire) :<br />

« 167. — On dit aussi (influence de l’écriture et de la prononciation fr. de ex : — A<br />

maa dextre, à main droite, expert, expert, expleyt, exploit, expausa, exposer, explica, expliquer;<br />

mais on entend plus souvent et l’on écrit comme on prononce: destrau, cognée, espert,<br />

espleyt, espausa, esplica; et, pareillement : — escouminye, excommunication, escusa,<br />

excuser, espudi, détester, estene, étendre, estrege-s, se retirer, etc., etc. »<br />

Il est vrai que, selon Niedermann (1931, 1940, n° 101), cette évolution de la prononciation<br />

remonterait au latin dit vulgaire, et quand Lespy voit dans la prononciation en [ks] une influence<br />

française, il méconnait la prononciation « négligée » du français qui, elle aussi, élimine le [k],<br />

comme le remarquait encore Niedermann :<br />

« Remarque.—Il est curieux de retrouver la même réduction du groupe k + s + occlusive<br />

sourde à s + occlusive sourde dans la prononciation négligée du français actuel, où excuse,<br />

expliquer, exprès, extraordinaire sonnent souvent escuse, espliquer, esprès, estraordinaire.<br />

»<br />

En tout cas, par sa graphie en es- dans ces cas-là, Mistral montrait que tous les parlers d’oc<br />

ont prolongé l’évolution du latin parlé en rejetant tout [ks] devant occlusive sourde : escavacioun,<br />

escoumpta, escusa, espedi, espleita, espourta, estermina, tèste, pretèsta, etc.<br />

L’exception, c’est le préfixe ex devant ce ou ci et devant s : [eks], sauf peut-être [e1] sur les<br />

marges voisines du languedocien, voire à Bayonne; les graphies de Palay ne laissent aucun doute<br />

sur [eks] : excedà {excéder} (excedàn, excedén), excelà {exceller} (excelàn, excelance), excepcioû<br />

{exception} (excepciounàu, exceptà), excès (excessìu), et a fortiori excità {exciter} (excitàbl", excitacioû)<br />

en raison de la graphie phonétique sureccità sur la quelle je reviendrai (p. 331); de même les<br />

quatre entrées en exc- du Lespy. Quant aux Fiches de grammaire…, elles donnent les deux prononciations,<br />

sans les localiser, avec les exemples excès, excellent et exsudar.<br />

Devant voyelle ou final, la norme est [ks], avec l’exception du traitement du préfixe ex. En<br />

témoignent les nombreuses graphies anciennes rappelées plus haut : Acx, tacxan, vecxat ou becxat,<br />

relacxar, becxations… On ne peut évidemment y voir une influence du français, mais seulement de la<br />

prononciation “normale” du latin, car il s’agit surtout de mots “savants”, mais de même phonologie


Jean <strong>Lafitte</strong> 285 Écriture du gascon<br />

que les “populaires” arredicsè, bacsa mentionnés p. 283, et encore plus des suivants, dont la prononciation<br />

en [ks] ressort à l’évidence des graphies de Palay : circounflècc" ou -flèx", flucs ou flux<br />

(fluccioû ou fluxioû), relacçà ou relaxà {relaxer} (relacç" [sic] ou relax"), retacçà ou retaxà {retaxer}<br />

(retacçasioû [sic] ou retaxacioû). Pourtant, les Fiches de grammaire… ne donnent que [1]<br />

dans les deux exemples luxúria et luxe (pp. 33 et 35), selon le traitement languedocien. Cela doit<br />

pourtant être assez rare; dans les Coundes biarnés de Yan Palay, père de Simin, on lit « Que fitssén<br />

lou menut » {ils fixèrent le menu} dans La ribote a boû counde, mais « que serèy ficsat » {je serai<br />

fixé} dans Lou Curè de Seroû e lou mounye, et aussi « yenuflecsioûs » {génuflexions} dans Lou<br />

curè de Sèdze e lou talhur. Lespy donne letsoun {leçon} pour la région de Bayonne; ce serait une<br />

variante du lecsoun d’Arnaudin, plus au nord dans le domaine; et chez Rectoran († 1952), les prénoms<br />

bayonnais Alètsandre, Alètsis et Félits; mais Que parlam ! (1996) transcrit phonétiquement<br />

par x français celui de anexa (p. 82) et de boxa (p. 124). On en reste donc avec la norme [ks], ici<br />

comme en finale, avec la possibilité de [1] en certains endroits.<br />

L’exception, c’est encore le préfixe ex, [e+] : « Examen. Prononcez bien “edzamén” »<br />

(Grosclaude, 1977, p. 49). Les Fiches de grammaire d’occitan gascon normé (cf. p. 170) donnent<br />

également la prononciation [egz] (et non [kz] du Mémento !), mais le seul exemple exercici est en<br />

[+] (p. 35); [gz], prononciation française, n’est pas recommandable pour un gascon authentique.<br />

Que faire donc pour la graphie ? L’affectation de x au rendu multiséculaire de /#/ et la complexité<br />

de sa “bonne” lecture en gascon authentique nous empêchent de lui donner d’autres valeurs.<br />

Il apparait à l’évidence que s’impose l’abandon de cette lettre généralement biphonématique,<br />

comme à ses origines grecques, et de la remplacer par les graphèmes exprimant directement ses valeurs<br />

actuelles. C’est le plus sûr moyen d’éviter la francisation de la prononciation par des lecteurs<br />

peu familiarisés avec la parole vivante et authentique.<br />

Mais ce n’est là qu’avancer sur une voie ouverte depuis longtemps par les maitres que furent<br />

par exemple Camélat, Girard ou Alibert : en 1895, Camélat annonçait le tirage de Et piu-piu déra<br />

me laguta (1895) en « 20 edzemplàris sus papè luzen, 180 edzemplàris sus papè tintat. »; quand Girard<br />

titrait un article « L’etzemple dos Catalans » (Lo Gai Saber, n° 19, Set.-Oct. 1922, pp. 236-<br />

239), c’est parce que tz lui parait mieux exprimer le /+/ de la prononciation que le x étymologique<br />

conservé par le français; quand Alibert (suivant probablement les Catalans) nomme « icsa » la lettre<br />

x (Gram. p. 8), faisant d’elle une des rares à ne pas figurer dans son propre nom, c’est parce que ixa<br />

pourrait être lu ['i#œ] au lieu de ['iksœ]; en 1967, les occitanistes de Per noste eux-mêmes titraient<br />

« UN EDSEMPLE DE TEXTE DE DROLLA » (cf. Annexe XVI, p. 419), avec un ds curieusement opposé<br />

au tz de Girard pour un même /dz/, mais peu importe…; enfin, en 1995, les Fiches de grammaire…<br />

plusieurs fois citées, écrivent « icsa », comme Alibert (p. 21).<br />

Le résultat est résumé dans le tableau suivant :<br />

Devant<br />

consonne<br />

Devant<br />

voyelle<br />

Cas général Préfixe “ex”<br />

s : escusar,<br />

espausar,<br />

tèste,<br />

estraordinari<br />

cs / cc : ficsar,<br />

tacsar,<br />

circonflècse,<br />

aucsiliari<br />

c devant [s] :<br />

eccès, eccitar<br />

ecsudar<br />

dz : edzauçar,<br />

edzemple,<br />

edzilar


Jean <strong>Lafitte</strong> 286 Écriture du gascon<br />

Certes, on aboutit ainsi à deux espiar homographes et homophones, pour “regarder” et “expier”;<br />

mais pourquoi cela serait-il plus gênant que les deux colar {couler et coller} ou les deux despéner<br />

{dépendre et dépenser} et autres : le contexte lève vite le doute. Quant au reproche de<br />

s’écarter des langues romanes voisines, ce n’est guère pertinent : les Italiens, héritiers directs de<br />

Rome, écrivent comme ils prononcent esclusione, espressione, esteriore etc.<br />

Pour les mots savants ou étrangers avec /ks/ à l’initiale, ils sont si rares et de champ sémantique<br />

si étroit, réservés à des spécialistes, qu’on peut hésiter sur la solution la meilleure : Csercès, csilofène<br />

sont aussi possibles que csarda en français, czar en français et en portugais, tsar encore en<br />

français et en catalan, etc. Mais Xerxès et xilofène seront de toute façon prononcés correctement par<br />

les historiens et les chimistes qui en usent.<br />

En tout cas, pour traduire le mot anglais passé au français “fax”, facs n’est qu’un retour au latin<br />

‘fac simile’, et le verbe facsar en découle; pourtant, Narioo et autres ont choisi fax, faxar, mais,<br />

comme Rapin, l’étymologiquement correct equinòcci {équinoxe}.<br />

Enfin, pour rassurer ceux qui trouveraient tout cela d’une audace excessive, voici quelques<br />

exemples pris chez les adeptes de la graphie classique occitane :<br />

Alibert (Dic.) : esclamar, escusar, espandir, espausar, esperiéncia, espèrt, espurgar, estasi, estrèm…;<br />

La rédaction de Per noste : la Hera-Espausicion (P.N. n° 26, 9-10/1971, p. 19).<br />

Robert Darrigrand, grammairien, dans l’adaptation graphique de Lous tres gouyats de Bordebielhe<br />

de Simin Palay, 1974 : espèrts, p. 68; esplicacion, p. 128; escusat, p. 159.<br />

Roger Lapassade : esperiencia (P.N. n° 9, Nadau 1968, p. 27); clacson, Sonque un arríder amistós,<br />

1975, p. 116.<br />

Philippe Martel, historien : test {texte} (Estudis occitans n° 8, 2 ème sem. 1990, p. 16).<br />

Jean Sibille : refleccion (Estudis Occitans n° 10, 2 ème Sem. 1991, p. 26).<br />

Éric Gonzalès : estremonciat (Reclams, Oct.-Déc. 1997, p. 27).<br />

Jean Salles-Loustau, alors président de l’<strong>Institut</strong> occitan de Pau : esprimir (lettre du 19 avril<br />

1999 jointe au Bulletin de l’<strong>Institut</strong>).<br />

Michel Grosclaude : esperienças, esprimar (P.N. n° 1, 6/1967, p. 20); esplics (P.N.-P.G. n° 197,<br />

3-4/2000, p. 18); après avoir écrit explics dans Lo gascon lèu e plan, 1977);<br />

Gilbert Narioo : anglò-sacson (P.N. n° 17, 3-4/1970, p. 6), Alecsandre (P.N. n° 24, 5-6/1971, p.<br />

3), bocsur (P.N. n° 25, 7-/8/1971, p. 8), estraterrèstra (P.N.-P.G. n° 199, 7-8/2000, p. 10).<br />

Gérard Gouiran, professeur à Montpellier : estremista (Aquò d’aquí, Mars 2001, p. 3).<br />

Philippe Biu, aujourd’hui président de l’Escòla Gaston Febus : estraordinari (P.N.-P.G. 206, 9-<br />

10/2001, p. 3).<br />

Escòla Gaston Febus : estraordinari (Convocation pour l’assemblée du 13 mars 2002).<br />

Jean-Pierre Darrigrand, président de Per noste : esplic(s) (2 oc.). (P.N.-P.G. n° 213, 11-12/2002,<br />

p. 11).<br />

Jean Fay, majoral du Félibrige, professeur en retraite : esplica (La Cabrera n° 160, p. 5), espression<br />

(ib., n° 167, Fév. 2003, p. 2).<br />

En outre, dans les noms de communes, M. Grosclaude (1991) a opportunément remplacé par<br />

-cs le -x des noms officiels : Artics, Ausencs, Berencs, Bererencs, Morencs, Navarrencs… Par


Jean <strong>Lafitte</strong> 287 Écriture du gascon<br />

contre, Ch. Rapin semble un adepte de l’x savant si l’on en juge par un survol rapide de son Diccionari<br />

francés-occitan : Ajax {Ajax}, Ax {Ax-les-Thermes}, (choix d’Alibert lui-même, Gram. pp.<br />

XX et 262); mais il ignore “Dax”, écrit Dacs en graphie classique gasconne.<br />

Le suffixe -[as] : -as ou -aç ?<br />

Selon L’application… le suffixe augmentatif et péjoratif -[as(e/o)] est traditionnellement noté<br />

par -as (), alors que l’étymon ‘-aceu’ justifierait -aç; on s’en tiendra à cette tradition, tout en faisant<br />

observer qu’elle occulte la prononciation particulière de Bethmale et ses environs, qui oppose s [s] à<br />

ç [,], tout comme le castillan le s [s/#] à z [,]; ainsi [bu'rra,o] relevé à Bethmale pour la “toile pour<br />

battage” (ALG II, 301) devrait s’y écrire borraça selon l’étymologie, et non borrassa qui y sera lu<br />

fautivement [bu'rraso].<br />

/z/ intervocalique normalement noté par -s-<br />

L’ancienne langue était assez vacillante quant à l’usage de s ou z pour noter le son /z/ entre<br />

voyelles. On peut néanmoins observer que le z a été quasi systématiquement utilisé, au moins à<br />

l’origine, en remplacement d’un c devant e ou i ou d’un d étymologique; selon Bec (1970, p. 526),<br />

le son aurait été d’abord /+/ pour c, /,/ pour d, avant de se simplifier en /z/. Pour s étymologique<br />

(primitivement sifflant), il serait passé d’emblée à /z/ simple. Ainsi, cader(e), cicer(em) ont donné<br />

càzer “tomber”, cézer “petit pois”, tandis que, malgré la sonorisation du /s/ en /z/, rosa, casa<br />

conservaient leur orthographe ou passaient à rose, case. Et c’est par confusion que l’on a pu écrire<br />

caze ou encore loze (du latin lausa, transcrit du gaulois).<br />

Le français a régularisé son orthographe, à l’origine parallèle à celle d’oc, tout en conservant<br />

des exceptions : bizarre, Alsace, antiseptique etc. En gascon, si l’on excepte les cas où l’étymologie<br />

fait noter /s/ par c ou ç, le Félibrige a tout régularisé : /s/ est noté s à l’initiale ou après consonne, ss<br />

entre voyelles; /z/ est noté z à l’initiale et après consonne, s entre voyelles.<br />

Quant à la “réforme occitane”, nous savons que les documents de l’I.E.O. de 1950-52 avaient<br />

décidé de même, sauf « dans les mots grecs », que l’on noterait par -z-, avec les exemples trapèzi,<br />

zòna, analizar, sizigia, escandalizar (cf. Annexe XIII, p. 407). Près d’un quart de siècle plus tard,<br />

une décision de 1975 supprimait l’exception (cf. p. 158), avec confirmation en 1985 (ib., p. 410) et<br />

en 1989 (ib., p. 412, point n° 22).<br />

C’était mettre fin à une difficulté orthographique sans justification phonétique, et qui dérogeait<br />

à la mesure générale de notation simplifiée des mots d’origine grecque ou latine, selon le principe<br />

B de La réforme… : « ch, k, ph, rh, th, y, ti, […] seront remplacés par c ou qu, f, r, t, i, c. »<br />

Mais on a vu que cela avait déplu à quelques “savants”, bien loin des préoccupations de ceux<br />

qui essaient d’enseigner l’orthographe “occitane” (p. 197). Le schisme qui en sortit aboutit au recul<br />

de l’I.E.O. et à une volte-face totale du responsable du Secteur de linguistique, J. Taupiac (p. 200).<br />

En fait, ce changement va plus loin que les normes de 1950-52, puisque l’exception est étendue<br />

aux mots arabes (azard, azur, azimut), à ceux de la famille oghouz ou turque (azèri) et plus généralement<br />

à tout mot qui a un z d’origine comme l’allemand nazí.<br />

Dans Occitans ! n° 82 de janvier 1998, J. Taupiac essayait de le justifier par un souci<br />

d’« unité panlatine », qui va bien plus loin que l’unité avec le seul catalan. Mais comme professeur<br />

d’espagnol, il savait bien que le castillan ne prononce pas le s de precisar comme le z de realizar.


Jean <strong>Lafitte</strong> 288 Écriture du gascon<br />

Voici par exemple un tableau comparatif que F. Beigbeder avait établi comme contribution au<br />

n° 11 de Ligam-DiGaM qui réagissait au retour du z :<br />

Catalan Italien Castillan Portugais Anglais Français Allemand<br />

organitzar -izzare -izar -izar -ize -iser -isieren<br />

ddz 1 , z z z z<br />

organització -izzatione -izacion -izaçao -ization -isation -isation<br />

ddz 1 , z z z z<br />

analitzar -izzare -izar -isar -yse -yser -ysieren<br />

ddz 1 , z z z z<br />

anàlisi -alisi -álisis -álise -alysis -alyse -alyse<br />

z z s/# z z z z<br />

Ces langues se divisent donc en 2 groupes :<br />

• 5 de graphie phonétique, avec correspondance univoque 36 entre graphie et prononciation :<br />

– 3 avec deux graphèmes pour deux prononciations différentes, le catalan (tz - s pour [ddz -<br />

z]), l’italien (zz - z pour [1 - z]) et le castillan (z - s pour [, - s/#]);<br />

– 2 qui n’ont qu’un graphème s pour une prononciation unique [z], le français et l’allemand;<br />

• 2 seulement de graphie étymologique, avec deux graphèmes z et s pour une seule réalisation<br />

[z], le portugais et l’anglais.<br />

La référence étymologique est donc nettement minoritaire, car elle est source de difficultés<br />

même pour une langue couramment parlée et étudiée; d’ailleurs les Américains rejoignent partiellement<br />

le premier groupe en écrivant to analyze comme to organize.<br />

Ainsi, en « s’alignant sur les autres langues néolatines » par la “préconisation” de la graphie<br />

realizar, J. Taupiac et le C.L.O. s’alignent sur la lettre, et non sur la méthode, sur l’esprit des graphies<br />

catalane, italienne, castillane et même française ! Mais pour les mots comme analisar, paralisar,<br />

et à l’inverse de ce qu’avait fait Alibert, ils renoncent à suivre les voisins catalans, italiens et<br />

espagnols qui ont tous un z, pour s’aligner sur le portugais et le français, pour ne parler que des langues<br />

romanes.<br />

En réalité, l’« unité panlatine » n’est qu’un faux prétexte pour taire le seul motif qui justifie à<br />

la fois realizar et analisar, c’est recours à l’étymologie, comme en portugais seul.<br />

Ainsi se justifie aussi l’extension nouvelle de la “réforme” à tous les mots, populaires ou savants,<br />

d’étymon en z : azard, azardós, azur, azèri, azimut. Pour les autres langues, voici encore un<br />

tableau établi par F. Beigbeder :<br />

Catalan Italien Castillan Portugais Anglais Français Allemand<br />

atzar azzardo azar azar hazard hasard ?<br />

atzur azzuro azul azul azure azur azurblau<br />

azimut azimut azimut/acimut ? ? azimut azimut<br />

Certes, il n’y a que le français hasard qui s’écrive par -s-, tous les autres étant notés par -z-,<br />

-tz- ou -zz-, mais avec en général une prononciation différente de celle qui résulterait d’un -s-.<br />

Donc, une fois de plus, les langues voisines se retrouvent avec les caractéristiques déjà notées<br />

36 Cependant, l’italien prononce [ts] les zz de sicurezza et de razza “race” mais [dz] celles de spruzzatore ou de razza<br />

“rayée” !


Jean <strong>Lafitte</strong> 289 Écriture du gascon<br />

d’une majorité qui ont une graphie phonétique, pour qui le z est nécessaire pour noter la prononciation<br />

effective.<br />

Cela entraine les graphies magazin (cat. magatzen, de l’arabe; cf. P. Bec dans Racontes d’una<br />

mòrt tranquilla, 1993), zizania (cat. zitzania, de hébreu), etc… Un mot comme gasa {gaze}, qui<br />

pourrait être un emprunt à l’arabe qazz “bourre de soie”, s’écrit gasa en catalan et en espagnol; de<br />

fait, le Dic. de Narioo et autres l’écrit ainsi, peut-être pour se démarquer du français ? Voilà de<br />

beaux jours pour les études byzantines, beaucoup d’énergie perdue pour d’autres actions, et bien<br />

des erreurs à prévoir de la part de ceux qui s’essaient à écrire.<br />

De fait, une anecdote témoigne de la difficulté à appliquer cette norme : dans le n° 6 de Ligam-DiGaM,<br />

p. 25, j’avais signalé ce que je considérais comme une erreur de la part de P. Bec, qui,<br />

adepte du -z-, avait écrit anquilosats à la p. 73 des Racontes… déjà cités; il me fit gentiment remarquer<br />

que c’était moi qui me trompais, anquilòsi se traitant comme analisi; je le reconnus et m’en<br />

excusais dans le numéro suivant, p. 35; et voilà que quelque temps après, je trouvais anquilozada à<br />

la p. 82 du même ouvrage. Certes, il suffit d’une seconde d’inattention pour laisser échapper une<br />

faute que seuls les spécialistes décèleront; mais quand les meilleurs se trompent, qu’en sera-t-il des<br />

scripteurs ordinaires, qui ne connaissent du grec ni l’alpha, ni l’oméga ? Cela rappelle la parole de<br />

Jésus dans l’Évangile (Luc 11, 46) : « À vous aussi, légistes, malheur, parce que vous chargez les<br />

gens de fardeaux insupportables, alors que vous-mêmes ne touchez pas à ces fardeaux d’un seul de<br />

vos doigts ! »<br />

Voici donc quelques “fautes” et inconséquences relevées au hasard d’articles de la revue Per<br />

noste-Païs gascons dont les dirigeants se rallièrent instantanément à la décision du C.L.O. (fautes<br />

imputables aux auteurs, peut-être, mais plus sûrement aux “réviseurs” de la rédaction) :<br />

Dominique Bidot-Germa, professeur des écoles : Bizanci (2 fois), bisantin, bisantina; organizacion,<br />

cristanisacion, islamisat (n° 192, 5-6/1999, pp. 3,4); Sèrgi Javaloyès, écrivain : descentralisators,<br />

organizats (ib., p. 15); Anonyme : Vocabulari especialisat (n° 198, 5-6/2000, p. 6); Charlotte<br />

Vaisse, institutrice en retraite : paralizanta (ib., p. 19); G. Narioo, lexicographe : magasin (n°<br />

204, 7-8/2001, p. 11); paralizar, paralizant (n° 217, 7-8/2003, pp. 7 et 13); Los Menestrèrs gascons<br />

: organisan (ib., publicité, p. 11).<br />

Bien entendu, la confusion n’est pas propre à la Gascogne; ainsi, Jean Fourié, majoral du Félibrige,<br />

paralizat (Lo Gai Saber, n° 485, 2002, p. 284); Jean Fay, autre majoral : « L’emplèu qué se<br />

generalisa de mai en mai de la grafia normalizada » (La Cabreta, n° 167, Fév. 2003, p. 2); Fèliç<br />

Daval : romanisada, colonizacion (L’Esquilon, n° 77, automne 2003, pp. 5 et 7).<br />

Certes, dira-t-on, il y a les lexicographes pour montrer le chemin; mais la plupart n’ont guère<br />

fréquenté le latin, encore moins le grec, et ils trébuchent jusque dans leurs dictionnaires.<br />

Christian Rapin, qui n’est pas de ceux qui se trompent facilement, a dû subir ce changement<br />

de cap alors qu’il avait déjà publié deux tomes (de A à D) de son Dictionnaire français-occitan; il<br />

écrit donc, dans le “Portisson” {préambule} du tome 3 E-G (1999), que faute de pouvoir tout rectifier,<br />

il avait « pris le temps de corriger la graphie des verbes en -izar et de leurs dérivés »; pourtant,<br />

un examen rapide de ce tome ne m’a permis d’en trouver que cinq en -izar : evangelizar (mais juste<br />

au-dessus, evangelisaire, evangelisacion), fanatizar, fiscalizar, formalizar et fossilizar; et par contre,<br />

seize en -isar : egalisar (egalisacion); estatisar; eterisar (eterisacion); eternisar; europeïsar; exorcisar;<br />

familiarisar; favorisar; feminisar (dans l’exemple, interiorisat; feminisacion); fertilisar


Jean <strong>Lafitte</strong> 290 Écriture du gascon<br />

(fertilisable, fertilisant, fertilisacion); foncionarisar; francisar (francisacion); fraternisar; generalisar<br />

(generalisable, generalisador, generalisacion); et, que l’on m’excuse, sodomisar (v° enculer).<br />

Le dictionnaire des Hautes-Pyrénées Atau que’s ditz (cf. p. 175) note bien par -z- cinq<br />

« substantifs grecs ou arabes » (azòt, azur, azard, orizont, ozòn) mais conserve en -s- ses 22 mots<br />

d’origine grecque en -[iza]- : (ar)realisar, (ar)regularisar, (ar)reorganisacion, autorisar, batisar,<br />

civilisacion, civilisat, colonisacion, decentralisacion, desmoralisar, generalisar, immobilisar, materialisar,<br />

mobilisar, naturalisar, organisaire, organisar, organisator, pulverisar, senhalisacion, sensibilisar,<br />

utilisar, vaporisar.<br />

Fait heureusement contraste le Dic. de Narioo & autres (cf. p. 185), probablement en raison de<br />

la connaissance du grec ancien qu’avait M. Grosclaude (il a traduit du grec au gascon l’Évangile de<br />

St Matthieu, 1995) et qu’a du grec moderne G. Narioo (il a travaillé plusieurs années en Grèce). Un<br />

survol m’a montré qu’il est très bon dans l’ensemble. Je n’ai décelé que quelques “ratés” : catequisar,<br />

catequisacion, fascisant, fascisacion, fascisar (si à realisme correspond realizar, catequisme,<br />

fascisme semblent justifier le z dans les mots en [iza] apparentés); alors que atisar, avisar, balisar,<br />

expertisar, flordelisat sont probablement justifiés, mais qui comprendra ces subtilités ?<br />

La conclusion de cette critique, je la laisse à un occitaniste du Vaucluse, dans une contribution<br />

préparatoire à l’Assemblée générale de l’I.E.O. de 2002 :<br />

« Un exemple typique de régression : écrire realizar et precisar : la différence de<br />

graphie n’est pas justifiée par l’occitan, qui ne fait pas la différence phonétique entre [s] et<br />

[z]. Si j’avais la place ici, je pourrais faire la démonstration du caractère ubuesque de cette<br />

réforme. » (Gilles Fossat, “Per un vam {élan} novèu : un occitan viu {vivant}, una grafia<br />

modèrna”, Occitans ! n° spécial A.G. 2002, p. 19).<br />

Et en élevant le débat, je fais mienne cette remarque sensée de R. Teulat :<br />

« Si l’occitan [pour nous, le gascon] est autonome épistémologiquement, il faut élaborer<br />

sa graphie de façon autonome. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas tenir<br />

compte des choix des autres langues romanes, mais il n’y a pas de raisons d’en privilégier<br />

une sur l’autre, le français sur l’italien, l’espagnol sur le portugais. (…) Pour l’orthographe,<br />

la culture occitane [pour nous, gasconne] a, dans sa tradition, tous les moyens nécessaires.<br />

» (Estudis occitans, n° 10, 2 nd sem. de 1991, p. 7)<br />

De fait, je n’ai guère trouvé de -izar dans la tradition gasconne. Les Récits d’Histoire sainte<br />

(Lespy et Raymond, 1876-77), dont la langue date du début du XIV e s., comptent 18 -isa- et seulement<br />

4 -iza- (surtout dans prophetisar et composés et baptisar, et aussi escandolisatz et martirisatz).<br />

S’y ajoutent les exemples anciens du Dic. de Lespy, tous en -isa- et la plupart antérieurs à<br />

1500, début d’une influence française grandissante; en voici quelques-uns :<br />

Fòrs de Bearn (manuscrit du XV e s.) : L’ordenance sie publicade ab botz de trompe cum se<br />

an acostumat far las uques e preconisations.<br />

Un baron béarnais au XV e s. (pièces d’archives réunies et publiées par V. Lespy et P.<br />

Raymond) : Aixi marterisat… lo fe meter au fontz de la torr.<br />

Stil de la justicy deu pays de Bearn (1564) : Procez criminal civilisat, mais aussi inbentorizatz<br />

et inventarizade.<br />

Avant de conclure ce long paragraphe, je dois rappeler que J. Allières, dans le volume V de<br />

l’ALG, a conservé le z entre voyelles dans les usages anciens (cf. p. 153) : substitué à -d- : crézer,<br />

vàzer…; à -c- : dízer, còzer. Cela a l’avantage de signaler que le mot ainsi prononcé en [z] se réalise<br />

en [d] en d’autres points de l’espace gascon; par exemple, auzèth, dízer indiqueraient au <strong>Béarnais</strong>


Jean <strong>Lafitte</strong> 291 Écriture du gascon<br />

que le Commingeois ou le Médoquin disent audèth, díder (ALG VI, 2102); et crézer, vàzer indiqueraient<br />

à l’Armagnacais que le <strong>Béarnais</strong> et le Bigourdan disent créder, vàder (d°, 2105). Mais je<br />

ne crois pas opportun d’introduire aujourd’hui cette complication que l’I.E.O. lui-même a toujours<br />

évitée.<br />

Ma conclusion pratique est donc d’en rester au -s- intervocalique de l’I.E.O. de 1975. Mais<br />

pour les mots d’emprunt, il n’y a pas d’obstacle à ce que l’usage leur préfère le -z- d’origine, surtout<br />

si le français l’a lui-même gardé : azur, horizont, nazí… : ça ne pose aucun problème d’écriture, encore<br />

moins de lecture !<br />

X – Les signes diacritiques<br />

Comme bien des langues, le gascon modifie la valeur de certaines lettres par des signes additionnels.<br />

Un seul concerne une consonne, la cédille qui donne au c la valeur de [s] devant a, o ou u;<br />

il n’y a rien à en dire de particulier. Les autres signes affectent les voyelles, les accents et le tréma.<br />

En outre, des accents sont parfois utilisés sans aucune valeur phonétique.<br />

Les accents graphiques<br />

L’application… prévoit l’accent aigu qui ne sert qu’à marquer un e, i, o ou u tonique dans les<br />

conditions rappelées p. 242. Il joue le même rôle pour le a, mais en ferme le timbre en [o]; en fait, il<br />

n’y a guère que vers l’est montagnard que l’on a des finales toniques en -iá [jo]; quant à [p%*]<br />

{peur}, certains l’écrivent páur, seul mot gascon de l’espèce, alors que de bons auteurs et grammairiens<br />

comme R. Darrigrand l’écrivent normalement pòur; je fais de même (cf. p. 298).<br />

Pour le a tonique non altéré, il ne reste donc plus que l’accent grave : que serà {il sera}. Cet<br />

accent va aussi marquer l’ouverture du è et du ò, en même temps que leur caractère tonique.<br />

De ce fait, L’application… n’a plus rien pour noter un [o], voire un [!] non tonique, comme<br />

en parler noir. Je propose donc l’accent circonflexe dans ce cas; ainsi, à Bayonne, on écrira cômuns,<br />

drôguista (cf. p. 247); en Grande-Lande, acêirar (cf. p. 250).<br />

Le tréma<br />

Pour la graphie de l’occitan, La réforme… prescrit l’emploi du h des mots latins, quoique<br />

muet, « quand il sépare deux voyelles en hiatus […]. Dans tout autre cas, on se sert du tréma : faïna,<br />

taüc, diürn, roïna. ». Mais la règle donnée pour le gascon par L’application… est curieusement modifiée<br />

: « Pour indiquer que deux voyelles forment deux syllabes distinctes, on marque la syllabe<br />

tonique du tréma : laüsa, roïna, diürn, poëma. » Les exemples sont à peu près les mêmes, mais on<br />

voit que le tréma est réservé aux voyelles toniques, ce qui ne manque pas de poser de sérieux problèmes<br />

de lecture dans les autres cas. Seul fait expressément exception le groupe ue : lorsqu’il « ne<br />

forme pas une diphtongue, on marquera u d’un tréma : prüèr. » Or pour ne citer qu’eux, les auteurs<br />

du Civadot ont ignoré cette restriction malheureuse et noté des trémas hors de la tonique : poësia,<br />

poëtessa, preïstoric, reünion, reünir et saüquèr. Mais Narioo & autres (cf. p. 187) ont laissé sans<br />

tréma des voyelles en hiatus que l’usager sans références orales risque fort de mal interpréter : par<br />

exemple, comment distinguer oe valant [ue] dans coexistir (coexister), aeroeslissader (aéroglisseur)<br />

du même oe valant [we] dans boeita (boite), doèla (douelle), hoet (fouet) ou joen (jeune) ?<br />

Il convient donc de rappeler ici un intéressant article Règlas d’emplec del tremà de 1975, par


Jean <strong>Lafitte</strong> 292 Écriture du gascon<br />

lequel Roger Teulat explicitait les deux rôles du tréma, soit disjonction, soit conjonction, ou plutôt<br />

disjonction-conjonction :<br />

– disjonction, sur une voyelle qui en suit une autre, en rompant la signification habituelle du<br />

groupe, dont chaque voyelle sera prononcée séparément (diérèse) :<br />

fai {hêtre} [fa"] faïna {fouine} [fa'in%]<br />

auca {oie} ['a*k%] aüca {il hue} [a'yk%]<br />

crei {il croit} [cre"] (creire) crèï {je crée} ['kr!i]<br />

oelha {brebis} ['we&%] poësia {poésie} [pue'zi%]<br />

conduire {conduire} [kun'd3ire] atribuïr {attribuer} [atriby'i]<br />

tuï {je tue} ['tyi]<br />

– disjonction-conjonction, sur le u des groupes qu et gu, pour indiquer qu’il n’est plus seulement<br />

un auxiliaire de la consonne, mais qu’il doit se prononcer avec la voyelle, [ ] devant e et i,<br />

[w] devant a — du moins dans ce que l’auteur appelle l’occitan référentiel :<br />

quatre {quatre} ['katre] eqüator {équateur} [ekwa'tur]<br />

aquí {ici} [a'ki] aqüicòla {aquicole} [ak3i'k%l%]<br />

guidar {guider} [5i'da] lingüista {linguiste} [li"'g3ist%]<br />

pague {qu’il paie} ['pa5e] bilingüe {bilingue} [bi'li"g3e]<br />

fém. bilingüa [bili"'gw%]<br />

Tous ces exemples sont d’occitan “référentiel”, donc languedociens, même si plusieurs sont<br />

valables en gascon; mais selon le Civadot, seul semble-t-il à donner cette indication, p. 28, gü et qü<br />

se prononcent toujours par [gw], [kw]. On manque toutefois de repères pour ces mots savants et Y.<br />

Vidal (2002, pp. 39 et 174) donne [gw] pour bilingüisme et [g3] pour lingüistica…<br />

Une règle additionnelle d’écriture a été formulée depuis 1975, c’est que l’accent prime le tréma<br />

et a, le cas échéant, le même effet disjonctif : país {pays} se dit [pa'is], tandis que païs se lirait<br />

['pais]; de même, Loís {Louis}, tandis que son féminin se note Loïsa; et poèta se lit [pu'!to]. C’est<br />

une règle catalane dans la logique du système.<br />

On observera que [kwa] est noté qüa, alors que les <strong>Gascon</strong>s, qui sont les premiers intéressés,<br />

négligent souvent ce tréma, comme on a pu le voir p. 270.<br />

Et aussi que la règle selon laquelle, dans poèta, la diérèse est marquée par l’accent de è ne<br />

peut fonctionner en gascon où ne manquent pas les oè prononcés [w!]; le Palay en compte quelque<br />

250, tels que : doèla {douve de tonneau}, taxoèra {trou de blaireau}, etc. Et le problème existe aussi<br />

en languedocien, selon ce qu’écrit Ph. Carbonne, Lo Gai Saber, n° 482, 2001, p. 139; plaidant<br />

plutôt pour une graphie qui serre autant qu’on le peut la prononciation, il opte pour le tréma que<br />

d’aucuns voudraient supprimer :<br />

« Ainsi, nous distinguons coeta {petite queue}, avec oe [we] (une seule syllabe pour<br />

les deux lettres) de poësia, avec oë [u+e] (deux syllabes pour deux lettres), comme nous<br />

distinguons caut {chaud} (au [a*]) de ataüt {cercueil} (au [a+y]). Chacun sait que la coeta<br />

de la oelha {brebis} es pas la poësia de Roërgue.<br />

« L’ambigüité demeure pour les mots en oè. Ainsi oèst [wè] et poèta [u+è].<br />

« Il faudrait peut-être les graphies oe / öe // oè / öè ? »<br />

De tout cela et d’une étude fouillée des hiatus et diérèses en gascon (<strong>Lafitte</strong>, 1995-1), j’ai


Jean <strong>Lafitte</strong> 293 Écriture du gascon<br />

essayé de théoriser l’affaire en partant de la distinction entre voyelles “fortes” et voyelles “faibles”.<br />

Les voyelles fortes, demeurent toujours des voyelles : a, e, è, ò en première ou seconde position;<br />

o en seconde seulement, sauf devant un autre o; elles se prononcent toujours en diérèse, sans<br />

qu’il soit besoin d’un tréma : graar {grainer}, que grae {qu’il graine}, aermar {dépérir}, averaèr<br />

{noisetier}, aòrta {aorte}, que graa {il graine}, aolha {brebis}, crear {créer}, que cree {qu’il<br />

crée}, heèra {fenaison, fenil}, geòda {géode}, cadea {chaine}, geografe, cooperar.<br />

Les voyelles faibles sont les seules à pouvoir former diphtongue, mais pas nécessairement; ce<br />

sont u et i en première ou seconde position, o en première seulement :<br />

• en finale (le -s éventuel n’étant pas pris en compte) elles forment diérèse sans besoin de tréma,<br />

si l’accent tonique n’est pas noté ailleurs : la soa {la sienne}, ambigua {ambigüe}, qu’ayue<br />

{qu’il mette sous le joug}, qu’envie {qu’il envoie}, vesia {voisine}; mais gràcia ['grasjo] {grâce};<br />

• ailleurs, sans tréma, elles forment diphtongue, dite ascendante si la faible est la première<br />

(baloard {boulevard}, quand, boeu {bœuf}, yoenn {jeune}…), descendante si la faible est la seconde<br />

(locau {local}, que beu {il boit}, oeu {œuf}; praube {pauvre}, vòuta {voute}, aiga<br />

{eau}…); si les deux sont faibles, c’est la première qui reste voyelle (nuit [ny"t], cuit [ky"t], formes<br />

des Landes, xiular {siffler} [#i*'la], poirit {pourri} [pu"'rit], arroi {rouge} [a'rru"]).<br />

• cependant oi vaut [wi] en syllabe atone : que hàrgoi {je forge} [ke 'hargwi], hoiscalh {houssine}<br />

; oistití {ouistiti} ; de même oí en syllabe tonique : hoích !, {fft !}, hoísta {houssine}, a hoínda-hoanda<br />

{en surabondance}; -ii tonique, propre aux désinences verbales de 1 ère personne, ne fait<br />

diphtongue qu’au parfait en -i (que sentii {je sentis} [sen'ti"]); partout ailleurs, il fait diérèse -['ii],<br />

sans tréma : qu’envii {j’envoie}, que sii {que je sois}, que mii {je mène}; posttonique, il fait diphtongue<br />

ascendante : que càmbii {je change} [ke 'kambji].<br />

Mais si dans ces cas il y a diérèse, le tréma (ou l’accent aigu de tonicité) sera mis sur la<br />

voyelle faible pour inhiber sa tendance à se muer en semi-voyelle pour former diphtongue : flaüta<br />

{flute}, aïrós {irascible}, país {pays}, arreüt {qui a le dos fort}, ateïsme {athéisme}, söador {sonneur},<br />

pöèma {poème}, pöesia {poésie}, pöèta {poète}, cöerent {cohérent}, buscalhöòt {petite<br />

brindille}, gremilhoüt {grumeleux}, qu’avoï {j’avoue}, engrüadye / -dge {égrenage}, lüèc {lunatique},<br />

düelista {duelliste}, suïcide.<br />

Le groupe uï se dit [yi], ou [3i] en élocution rapide; il s’oppose au groupe üi prononcé [wi],<br />

qu’on ne trouve dauedans des mots savants après q ou g : ambiguïtat comme acuïtat et continuïtat,<br />

opposés à aqüicòla et lingüistica.<br />

Enfin, quand on a affaire avec trois voyelles consécutives (toujours une forte entre deux faibles),<br />

il faut les considérer deux à deux : dans oeu {œuf}, oe, puis eu.<br />

Les accents sans valeur phonétique<br />

On a déjà vu que L’application… prévoyait d’écrire -ía la finale en hiatus résultant de la<br />

chute d’un -n- intervocalique : haría {farine} < ‘farina’, pour la distinguer « de la finale -ia primaire<br />

» de espia, sia, dia, poesia; et aussi que les auteurs du Civadot, puis du Narioo et autres<br />

avaient écarté cette règle, dont ils ignoraient semble-t-il la justification (pp. 161 et 187). Je la reprendrai<br />

en graphie moderne, p. 315, en étendant sa portée, mais ici, en graphie classique, je ne vois<br />

pas l’intérêt d’y revenir. Exit donc l’accent aigu sur ce i.<br />

L’application… prévoyait également un accent aigu ou grave sur « les voyelles appartenant à


Jean <strong>Lafitte</strong> 294 Écriture du gascon<br />

des mots dont l’image graphique peut prêter à confusion, surtout aux yeux des non-<strong>Gascon</strong>s »; et de<br />

donner trois séries d’exemples, hén {il fend} / hen {ils firent} (en oubliant hen {foin} !), món<br />

{monde} / mon {=} et tà {pour} / ta {=}, avec un « etc. » final qui n’a jamais fait l’objet d’un complément<br />

officiel. J’estime que c’est là amusement de grammairiens, car celui qui comprend le sens,<br />

rarement ambigu, n’a pas besoin de diacritiques, et celui qui ne le comprend pas risque fort de ne<br />

pas connaitre non plus le codage de ces diacritiques; au demeurant, sans doute pour se démarquer<br />

du français ou des Félibres, les occitanistes n’ont jamais jugé utile d’opposer la préposition à au<br />

verbe (il) a. Et en français, combien savent opposer sûr à sur, ce dernier pouvant être la préposition<br />

ou l’adjectif ? Je conclus donc à l’inutilité de ces accents.<br />

XI – Les mots composés<br />

L’écriture des mots composés fait l’objet du second principe énoncé p. 240; je m’en tiens à la<br />

“philosophie” des règles données par Alibert dans un article publié par la revue Oc en 1957. Mais<br />

vouloir donner des règles détaillées peut aboutir à de longues énumérations de cas, comme l’a fait<br />

M. Grosclaude aux pp. 25-28 du dictionnaire de Narioo et autres (cf. p. 186), qui représentent plus<br />

de deux pages de la présente thèse; c’est valable pour éclairer le lecteur sur la ligne de conduite des<br />

lexicographes, mais beaucoup trop touffu et complexe pour l’usager ordinaire de la langue.<br />

C’est avec ces considérations à l’esprit que je vais donner ici les règles que j’applique dans<br />

l’échantillon de dictionnaire orthographique en Annexe XXIII. J’y reprends, à peu de chose près,<br />

les règles exposées dans l’introduction de mon édition du Lespy en 1998, pp. I-26 et 27.<br />

La norme<br />

La norme est l’écriture en un seul bloc, sans espace ni signe graphique : lo sococ {crépuscule},<br />

malhevar {obtenir, accorder main-levée}; adixatz {au revoir}, alavetz {alors}; detira {de<br />

suite}, permor {à cause de}, sonque {seulement}, sustot {sutout}, tabé {aussi}, totun {pourtant}.<br />

Cependant, l’écriture distincte des composants, liés alors par un trait d’union et, éventuellement,<br />

des apostrophes notant élisions ou aphérèses, s’impose dans deux séries de cas, pour des raisons<br />

sémantiques ou du fait du système d’écriture et de lecture.<br />

1 ère série d’exceptions, pour des raisons sémantiques<br />

Dans ces cas, la clarté veut que l’on mette en relief les composants :<br />

– en présence de la préposition de ou de la conjonction e : pèd-de-gat, cap-e-cap;<br />

– dans l’expression des nombres : dètz-e-sèt, trenta-tres, cent-vint-e-dus; c’est la sage règle<br />

adoptée par l’Académie française en 1990;<br />

– si le mot forme une véritable phrase dont le sens propre reste sous-jacent au sens figuré de<br />

l’ensemble : un hè-te’m-enlà, escota-si-plau, un minya-quand-n’a;<br />

– si le mot est formé par la juxtaposition de deux éléments de même nature sémantique ou de<br />

sonorité identique ou voisine, comme : bascò-bearnés, (diccionari) francés-gascon, lo duc-rei, ua<br />

conferéncia-debat, un shord-mut; vira-bara, nhirgo-nhargo, ziga-zaga;<br />

– si, au pluriel, des composants autres que le dernier s’entendent avec la marque du pluriel :<br />

un gat-esquiròu, dus gats-esquiròus;<br />

– pour les composés formés, bien souvent par les auteurs eux-mêmes, à partir de préfixes


Jean <strong>Lafitte</strong> 295 Écriture du gascon<br />

comme casi-, no-, pseudò-, sos-, suber- ou super-, iper-, ex- (= précédemment), vice-… : casiunanimitat,<br />

no-violéncia, pseudò-mèdye / …-mèdge, ex-molhèr, vice-ministre.<br />

Mais les mots lexicalisés obéissent à la règle générale : non seulement ceux formés avec les<br />

préfixes ci-dessus (nodigas, pseudonime, soslòctenent, sosprefèt, sostiéner, suberhòs, supermercat…),<br />

mais encore tous ceux dont les composants ont perdu toute référence à leur sens propre, adverbes<br />

et prépositions notamment : detira, decap, darenlà (cf. en français dorénavant), comparables<br />

à davant, darrèr.<br />

2de série d’exceptions, pour des raisons liées au système d’écriture et de lecture<br />

Lorsque la fusion des éléments en un seul mot modifierait la prononciation des lettres finales<br />

ou initiales devenues intérieures, ou imposerait une modification orthographique non souhaitée, la<br />

bonne prononciation sans analyses complexes appelle l’écriture séparée des composants, qui seront<br />

lus comme des mots indépendants. C’est le cas de:<br />

– a final et posttonique d’un premier élément; ala-bat [alœ/o'!at] et non alabat qu’on sera<br />

tenté de lire [ala'!at] comme acabat [aka'!at]; préférant suivre Séguy (cf. p. 151), je m’écarte sur ce<br />

point de la ligne générale occitaniste, d’Alibert aux choix précités de M. Grosclaude, que j’avais<br />

suivie dans le Lespy; je m’en explique au paragraphe suivant;<br />

– i ou u initiaux d’un second élément si l’élément qui précède s’achève par une voyelle, pour<br />

maintenir la prononciation en deux syllabes : anti-imperialista et prò-imperialista, intra-uterin, etc.<br />

Toutefois, avec les préfixes co-, pre- et re-, on a recours au tréma : preïstorian.<br />

– b, g, d finals : sud-oèst [sy'tw!s] et non sudoèst [su'dw!s];<br />

– c final devant e ou i : pic-escorcèr [pikeskur's!] et non picescorcèr [piseskur's!];<br />

– nd, nt, rd, rt, rn finals : grand-pair [gran'pa"] et non grandpair [grant'pa"]; avant-yer / avantger<br />

[a!an'je] distinct de avantyer / avantger [a!ant'je] (cf. ALG III, 823); Sent-Avit 37 , Sent-Goenh;<br />

nòrd-oèst [nor'w!s] et non nòrdoèst [nord'w!s]; horn-cauciar [hurka*'sia] et non horncauciar<br />

[hurnca*'sia]; mais tardarriba prononcé effectivement [tarda'rri!o];<br />

– r final : yer-passat [jepa'sat] et non yerpassat [jerpa'sat]; mais arrèhilh, arrèpèd, le -r final<br />

de arrèr n’étant plus noté; et aussi paibon, pendant d’arrèhilh;<br />

– r initial : iberò-romanic [i!er%rruma'nik] et non iberòromanic [iber%ruma'nik];<br />

– s initial : vira-sou ['!iro'su] et non virasou [!ira'zu];<br />

– il en est de même pour -th provenant d’un -ll latin devenu final; il ne peut donc être luimême<br />

que final : còth-arroi; bèth-lèu; mais l’adaptation phonétique et graphique donne ballèu.<br />

arrèhilh et ce dernier exemple ballèu montrent que cela ne fait pas obstacle aux adaptations<br />

graphiques qui pourront à terme aboutir à la fusion en un seul mot.<br />

Le a posttonique au sein d’un mot composé<br />

Très généralement, la première partie d’un mot composé est traitée phonétiquement comme<br />

un mot indépendant; si elle s’achève par un -a étymologique celui-ci sera prononcé comme tout autre<br />

a posttonique; il y a, bien sûr des exceptions, mais on peut y voir sans doute la rémanence d’une<br />

prononciation ancienne, dont l’évolution a été bloquée par la perte de vue de la composition et donc<br />

de l’autonomie de la première partie.<br />

37 La Grammaire de Lespy (n° 124) nous rappelle que le -t de Sent s’entend devant voyelle, par exception à la règle gé-<br />

nérale d’amuïssement en finale -nt.


Jean <strong>Lafitte</strong> 296 Écriture du gascon<br />

Un exemple topique est donné par l’ALG IV, 1136 “dosses”, ces quatre premières planches à<br />

écorce adhérente que l’on enlève d’abord lorsqu’on équarrit un tronc; cela aboutit à mettre le tronc<br />

“hors écorce”, “hors peau”, d’où le nom hore-pèth (classique hòrapèth) donné à ces planches dans<br />

plus de la moitié sud-est du domaine. L’explication qui précède montre que l’interprétation du mot<br />

en deux parties, préposition + substantif, n’est pas évidente; et pourtant, les informateurs ont à peu<br />

près partout traité hore comme un mot isolé, et respecté la “règle” d’apophonie (cf. Annexe XX).<br />

Quelques exceptions : à Mazerolles et à Grenade-sur-Adour, en zone [œ], on a prononcé [o] comme<br />

à 20 km à l’est; à Lasseube, Oloron et Bedous, en zone [o], [a] comme 15 km à l’est; et de même<br />

pour cinq ou six autres points, restés sans doute sur l’ancienne prononciation en [a]. Le même constat<br />

résulte de la carte IV, 1122 qui isole la prononciation de la finale de ayga du composé aiga-devita<br />

ou -de-via {eau de vie}.<br />

On en aura confirmation avec les surnoms des doigts dans les comptines des grand-mères<br />

(ALG III, 598 et 599 : tranxa-lard, conda-bien, cròca-pan, cura-salèr, lèca-topin, mata-pedolhs<br />

etc.) {tranche-lard, compte-bien, croque-pain, cure-assiette, lèche pot, tue-poux}, ou encore avec<br />

des noms du mendiant ou du chemineau (III, 570 : amassa-per-eth, pòrta-biaças, passa-camins)<br />

{ramasse-pour-soi, porte-besaces, passe-chemins}, du bancal et du cagneux (614 et 615)…<br />

Palay a massivement noté les premières parties de ces mots par -e, suivant sa pratique générale,<br />

en n’écrivant par -o ou par -a que les formes propres aux régions qui prononcent ainsi; et il a<br />

réuni les deux parties par un trait d’union, ne pratiquant que très rarement la soudure; il a aussi noté<br />

parfois les diverse formes; par exemple :<br />

alebàt, ale-bàt et aussi àla-bat; àlo-bat-tè (G.) [ce dernier à lire plutôt « àlo-bat ou àlobàt"<br />

» !] — aluque-hoec et alùco-hoécs; alucò-hour (G.) — birabén, bire-bén — bole-Marie et bolo-haubèt,<br />

bolo-mario — casse-hàmi et càsso-hàme (G.) — cornaclìn, corne-clet, corno-clitch (de)<br />

et corno-clin — pourgalane, pourgue-lane etc.<br />

On voit d’emblée que alebàt sera lu [ale'bat], qui veut dire “blessé” et non [alœ/o/a'bat], “qui<br />

bat de l’aile”, nom d’un pouillot et d’un gobe-mouches (F. Beigbeder, 1986, pp. 86-87); alors qu’en<br />

deux parties, ale-bàt sera lu partout correctement moyennant la convention de lecture habituelle.<br />

Qu’on se place dans le système classique ou dans le moderne, en effet, aucune convention “mécanique”<br />

de lecture ne permet de traiter une lettre intérieure comme si elle était finale ou initiale; ce traitement<br />

suppose donc qu’on a d’abord compris le mot et qu’on est capable de l’analyser, ce qui est<br />

loin d’être le cas de la grande majorité de ceux qui essaient de retrouver le gascon.<br />

En l’état sociolinguistique actuel de la langue, il est tout-à-fait illusoire de prescrire la soudure<br />

en ajoutant « Chacun des mots entrant en composition conserve son accentuation propre » (M.<br />

Grosclaude, ib.). Car si Alibert (1957) veut que l’on écrivebarba-ros pour bien prononcer le r-, cela<br />

suppose que le lecteur n’aura pas su identifier le mot barba dans une graphie barbaros; alors, comment<br />

pourra-t-il en prononcer correctement le -a final ? À identité de problème, solution identique.<br />

C’est bien ce qu’avait fait Séguy dans l’A.L.G. IV paru en 1966 (cf. p. 151), et c’était aussi le choix<br />

de R. Teulat (1979, p. 62) rendant compte du Dic. de Taupiac de 1977 :<br />

« Nous sommes pour barba-gris contre T.[aupiac] barbagris (v° barbon) et pour tapa-nas<br />

contre T. tapanàs (v° cache-nez). Nous sommes pour cap-leugièr, cap-levar contre<br />

T. capleugièr (267) et caplevar (71). Tout cela en raison de prononciations incorrectes possibles<br />

: [tapanas, kapléba] au lieu de [taponas, calléba]. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 297 Écriture du gascon<br />

Et les “pseudo-composés” ?<br />

Faudra-t-il faire de même pour les “pseudo-composés” évoqués en Annexe XX ? Je n’ai que<br />

Pentacouste (Palay) comme exemple, mais sans doute doit-il y en avoir d’autres ; on a vu qu’il était<br />

Pentocousto pour Dupleich et Cénac-Moncaut, en zone [o]; en zone [œ], Arnaudin et le Dr. Dubos<br />

l’écrivent Pentecouste en Grande Lande, G. Dulau lui donne la prononciation [pente'custœ] en Bazadais,<br />

et Y. Vidal [penta'c%stœ] sur le Bassin d’Arcachon — son Pentacòsta avec [%] est apparemment<br />

une erreur ou une altération locale récente sous l’influence du français, tous les grands<br />

lexicographes (Mistral, Lespy, Alibert, Palay) ne connaissant que [u]. Pour ce mot, comme pour ses<br />

semblables éventuels, il serait absurde de les écrire en deux parties. Je ne vois donc d’autre solution<br />

que de leur appliquer les normes générales du système, et d’indiquer la prononciation irrégulière<br />

dans les entrées de dictionnaires.<br />

La négation no<br />

XII – Corrections diverses<br />

Cette négation sera ainsi notée no, conformément à tous nos anciens textes, à la prononciation<br />

observée dans tous le domaine gascon (ALG VI, 2396 et 2397) et en accord avec le catalan.<br />

L’affirmation ò<br />

Rares sont les occasions de rencontrer « o » dans les anciens textes gascons, qui sont surtout<br />

juridiques, sans récits de conversations propices à l’emploi de cette particule. Font heureusement<br />

exception les Récits d’Histoire sainte en béarnais, parvenus à nous par un manuscrit estimé antérieur<br />

à 1425. Mais une étude philologique serrée permet à leurs éditeurs Lespy et Raymond (1876-<br />

77) de dater le texte de la première moitié du XIV e siècle (p. XX), donc pas loin de la mort de Dante<br />

(1265-1321) qui a popularisé l’expression « langue d’oc »; or pas un seul « oc » dans notre texte,<br />

mais plusieurs occurrences de « o »; ainsi, p. 28 : « Cum ne anaben, trobaben masipes que anaben a<br />

l’aygua, et demanan si ere aqui la propheta. Et dixon eres “O, o, anatz tantost et trobar l’atz […]” »<br />

{Comme ils cheminaient, ils rencontrèrent des jeunes filles qui allaient puiser de l’eau et leur demandèrent<br />

si le prophète était là. Elles répondirent « Oui, oui, allez vite, vous le trouverez […] »}.<br />

J’en ai aussi trouvé trois occurrences successives dans un acte de 1422 du notaire de Navarrenx<br />

(AD-P.A. E 1600 f° 129 v°) publié par Amédée Cauhapé (P.N.-P.G. 177, 12/1996, p. 8); est rapporté<br />

un dialogue par lequel deux compères simulent un mariage pour abuser d’une femme; ils posent<br />

la question rituelle à l’homme et à la femme : « Lad. Condessine dixo que o, mas a bertat eg no dixo<br />

de o, mas que fase los semblants que eg abe diit que o […] » {Ladite Condessine dit oui, mais en<br />

réalité, lui ne dit pas oui, mais il faisait semblant d’avoir dit oui […]}.<br />

ò a donc perdu sa consonne finale depuis au moins 500 ans, et si Alibert admet les deux graphies<br />

ò et òc, il place ò en premier et n’use que de lui dans ses exemples (Gramatica, p. 225, Dic.).<br />

De même, J. Taupiac qui notait òc dans son Dic. de 1977 ne retient plus que ò dans celui de 1992.<br />

C’est sans doute au français que l’on doit la graphie oc, alors qu’aucune règle ne permet de déclarer<br />

muet son -c qui s’entend toujours ailleurs : yòc / jòc {jeu}, lòc {lieu}, etc. Certes, le ò affirmatif est<br />

homographe de l’interjection ò ! Mais à l’oral, l’intonation suffit à les distinguer; et à l’écrit, la<br />

confusion, déjà acceptée par Alibert et Taupiac, peut être évitée par la présence du point d’exclamation<br />

après l’interjection.


Jean <strong>Lafitte</strong> 298 Écriture du gascon<br />

La “peur” : pòur<br />

[p%*] {peur} est écrit le plus souvent paur à la suite d’Alibert, ou parfois páur, pour marquer<br />

la fermeture du [a] en [%]; cela se justifie évidemment par l’étymologie (< ‘pavorem’), encore que le<br />

principe B d’Alibert l’écarte « en principe » pour les mots de formation populaire; mais cela permet<br />

aussi la relation avec les dérivés pauruc, espaurir etc. Cependant, si ces derniers se prononcent bien<br />

en [a*], paur est un hapax de au valant [%*]; certes, cela ne fait qu’une exception à mémoriser…<br />

mais le résultat n’est pas garanti; qu’il suffise de rappeler que les auteurs bayonnais de Que parlam<br />

(note 3, p. 69) croient que paur se prononce paou, donc [pa*].<br />

Or le gascon connait le phénomène inverse de ov latin devenu [a*], et cela de façon beaucoup<br />

plus systématique, alors que le languedocien a gardé [%*] : ‘novus’, ‘novem’ > nau; ‘Jovis dies’ ><br />

diyaus /dijaus; ‘cophinum’ > càven (“ruche”), etc. Et personne n’a jamais trouvé anormal de consacrer<br />

cette prononciation par au, contre òu en languedocien.<br />

J’estime donc que pòur est la seule graphie classique conforme aux principes de 1950. C’est<br />

celle de J. Séguy dans l’A.L.G. (cf. p. 155); elle a été employée par R. Darrigrand, expert en graphie<br />

classique du gascon (Contes deus monts e de las arribèras, édités avec Jacques Boisgontier,<br />

1970, 1978, pp. 18, 78; édition des Psalmes d’Arnaut de Salette en 1983, pp. 10, 44, 52, 173); c’est<br />

aussi la graphie de J. Monestier contrôlé par J. Boisgontier dans le Florilège des poètes gascons du<br />

Médoc, 1975, p. 78; de J.-L. Lavit dans l’Armanac gascon 1985, p. 36; de M. Pujol dans Tu e jo,<br />

P.N.-P.G. n° 207, 11-/12/2001, p. 12 etc. Coromines, qui ne note pas les -r amuïs, écrit pòu. En outre,<br />

pòur est la graphie la plus proche de por judicieusement choisi par les auteurs de Que parlam<br />

pour rendre le [pu] de Bayonne et du “parler noir” (p. 173 ci-dessus), tandis que rien ne permet de<br />

retrouver le pou d’Arnaudin-Boisgontier dans les graphies páur / paur de Joël Miró.<br />

Le démonstratif acò (Pour mémoire : voir p. 272)<br />

Les interjections a ! ba ! bò ! e ! ò ! (Pour mémoire : voir p. 269)<br />

L’adverbe [en'kw!rœ/o] : encoèra<br />

L’adverbe correspondant à “encore” français se prononce [en'kw!rœ/o] sur près des trois<br />

quarts du domaine et s’écrit encoere ou plus rarement encoera dans tous les textes anciens quand ils<br />

n’usent pas de la forme notée encare ou encara que l’est gascon partage avec le languedocien, ou<br />

de la forme bigourdane encore ou encora (ALG II, 276). Or les auteurs occitanistes ont adopté une<br />

graphie bien inutilement compliquée, enqüèra, peut-être pour la rapprocher de enquèra limousin,<br />

mais en l’éloignant des deux autres formes gasconnes et de la languedocienne et en créant un hapax<br />

avec la combinaison qüè. Au demeurant, rien ne permet de justifier un qu dans ce mot d’étymologie<br />

incertaine.<br />

La graphie normale de /we/ étant oe (cf. p. 251), le bon sens rejoint la tradition en écrivant ce<br />

mot encoèra.<br />

L’adverbe [[aw]tan] ou [[aw]ta] et ses composés<br />

Dans Lo gascon lèu et plan, M. Grosclaude (1977, p. 40) donne cette règle :<br />

« tant devant une voyelle Prononcer « tann » tant aganit Si avare<br />

« tan devant une consonne Prononcer « tâ » tan beròi Si joli »


Jean <strong>Lafitte</strong> 299 Écriture du gascon<br />

Une première évidence découle des exemples : « devant une voyelle » ou « devant une<br />

consonne » ne se vérifie que devant adjectif ou adverbe (ou locution adverbiale). Mais le doute<br />

m’était venu d’un [t:n] devant consonne dans une phrase cueillie à Luxey en Grande Lande par<br />

l’enquêteur de l’ALG et rapportée dans la carte VI, 2408 “autant que” : « n œs pas t:n bœrò"<br />

k-mœ » {ce n’est pas aussi joli que}; et énonçant la règle qui réserve tâ [sic] devant consonne, Palay<br />

concédait : « Cette particularité s’observe moins dans le Gers et les Landes que dans le Béarn et<br />

la Bigorre. » (v° tâ, tan). J’avais aussi lu des [tan] devant consonne dans la première édition (1895)<br />

de Et piu piu dera me laguta de Camélat, écrite en parler d’Azun (Bigorre). Une étude de 16 pages<br />

(<strong>Lafitte</strong>, 2002-2) m’a permis d’y voir plus clair.<br />

La clé de la compréhension du régime de cet adverbe m’a paru dans l’usage latin qui oppose<br />

généralement tam, adverbe affectant un adjectif ou un autre adverbe, à tantum, adverbe qui affecte<br />

directement le verbe. De fait, la consultation de Bouzet et Lalanne (1937), V. Väänänen (1981), P.<br />

Bec (1970) et Coromines (1990) m’a amené à conclure que notre [ta] ou [tan] d’une part, et [tan]<br />

d’autre part étaient respectivement les continuateurs de tam et tantum, jusque dans leurs emplois.<br />

Quant à la forme prise en languedocien par le continuateur de tam, les grammairiens mentionnent<br />

tous des prononciations en [ta] et [tan], ce dernières même devant consonne (Alibert, Bec,<br />

Chatbert, 1983).<br />

J’ai poursuivi mon enquête dans quelques textes anciens, en me limitant toutefois aux emplois<br />

de type tam, car ceux de type tantum ne posent aucun problème de prononciation : [tan] partout<br />

(sauf altération du timbre de la voyelle dans certains parlers). Et de fait, pour les emplois de type<br />

tam, on trouve [tan] même devant consonne. Même chose chez des auteurs languedociens modernes,<br />

et aussi dans les quelques textes d’autres régions d’oc que j’ai pu consulter.<br />

Pour le gascon, j’ai consulté grammaires et dictionnaires, les textes anciens assez nombreux<br />

dont je dispose, puis des auteurs contemporains, car 50 ans après les enquêtes de l’ALG, qui ne traitent<br />

pas le sujet, je ne pouvais envisager une enquête de terrain.<br />

Le résultat, c’est que [ta] existe même devant voyelle (peu d’occurrences toutefois) et [tan]<br />

même devant consonne, mais aussi que la “règle” énoncée par M. Grosclaude fonctionne, plutôt<br />

chez les auteurs situés sur une sorte de diadème en périphérie du domaine : Bas-Adour, Grande<br />

Lande, Médoc, Bordeaux, Langon, Nérac, Lomagne, Couserans, Comminges et Val d’Aran. Avec<br />

des exceptions et du polymorphisme. Cela se vérifie même chez les auteurs d’obédience occitaniste,<br />

comme R. Lapassade, P. Bec, G. Narioo, le groupe de chanteurs Los de Nadau (prononciation du<br />

disque).<br />

Et sauf accident, tous les auteurs écrivent les composés tabé, tapoc, (au)talèu, (au)ta plan, le<br />

[ta] initial étant intégré au mot composé.<br />

À ces emplois doivent correspondre des graphies adaptées. Pour [tan] en emploi de tantum,<br />

pas de problème : tant. Mais dans les emplois de tam, [ta] et [tan] sont des proclitiques, qui font<br />

corps avec l’adjectif ou l’adverbe affecté; normalement, tam aurait dû aboutir à [ta] comme jam à<br />

[ja] (Väänänen); mais comme pour ‘cum’ > con en espagnol, il y a eu « conservation de la nasale<br />

finale sous la forme d’un -n. » (Bec); avec néanmoins des [ta] sans aucune nasalisation, comme en<br />

témoigne Bernat de Luntz quand il écrit ta, même devant voyelle, et non taa comme maa < ‘manu’.<br />

Dès lors, on ne peut lire tan [t:] ni tant [tan] comme le voudrait la “règle” de M. Grosclaude,


Jean <strong>Lafitte</strong> 300 Écriture du gascon<br />

qui ne joue que pour des mots autonomes; en finale de proclitique, le -n de tan est intérieur et ne<br />

peut s’amuïr en Béarn et Bigorre ni se vélariser en ["] dans les Landes et le Gers; de même, le -t de<br />

tant ne peut s’amuïr. La seule graphie logique dans le système est ta pour le premier, comme chez<br />

B. de Luntz, et tan pour le second : un ta beròi mainadye {un si joli enfant} [ta be'r%"…] à Pau, ua<br />

tan beròja gojata {une si jolie jeune fille} [tam be'r%2o…] à Laruns.<br />

Il en est de même des composés [ta'be/ta'be", ta'p%k/ta'pa*k, ta'l!*…] qu’on ne peut écrire que<br />

tabé/taben (cf. ALG IV, 1551), tapòc/tapauc, talèu. Remarquable est en effet le parallélisme de<br />

traitement de tabé dans les trois langues voisines, chacune avec sa phonologie propre :<br />

gascon : tabé = ta (< tam) + bé (< ben(e)<br />

catalan : també = tam (= tam ou < tan < tam) + bé (< ben(e)<br />

provençal : tamben = tam (= tam ou < tan < tam) + ben (< ben(e)<br />

Dans son dernier manuel didactique, 70 clés pour la formation de l’occitan de Gascogne<br />

(2000-1), M. Grosclaude a adopté l’hypothèse étymologique de Bouzet (1937), grand inspirateur de<br />

l’ouvrage : « tanben : tam bene, aussi »; et, bien sûr, il en fait autant pour « tapauc|tapòc : tam<br />

paucum, non plus », tout en changeant le début de tan- à ta-, comme je le préconise; peut-être avaitil<br />

lu ma « Note J. L. » au mot TABEE de ma réédition du Lespy (1998)…<br />

La finale de tabé, arré (Pour mémoire : voir p. 274)<br />

La préposition a ou ad<br />

C’est chose connue que la préposition a peut prendre la forme ad devant voyelle, tout comme<br />

ses composés enta, entad; ta, tad. Mais les grammairiens ne semblent pas y porter grande attention :<br />

ils usent des deux formes, mais sans commentaire : Bouzet (1928 et 1963); J.-P. Birabent et J. Salles-Loustau<br />

(1989, p. 68); Hourcade (1986, p. 129). M. Grosclaude (1977, p. 60) parait être le seul à<br />

préciser la chose : « Devant les démonstratifs, les pronoms personnels et les indéfinis commençant<br />

par une voyelle, les prépositions à, tà, entà deviennent ad, tad, entad. »<br />

Certes, malgré les apparences, ce n’est pas une règle absolue, mais peu importe ici, puisque<br />

nous traitons de graphie. Or si les auteurs en graphie classique écrivent le plus souvent ad, il n’est<br />

pas rare de lire aussi a-d, peut-être parce que le d était pour Palay une épenthèse euphonique (voir<br />

plus loin, p. 336) : Lapassade, dans Sonque un arríder amistós : Los joens de uèi lo dia non cranhen<br />

mei ad arren ni ad arrés. (p. 7) {les jeunes d’aujourd’hui ne craignent plus rien ni personne}; e la<br />

maison de Guilhamet non devè arren a d’arrés. (p. 126) {et la maison de Guillaumet ne devait rien<br />

à personne}; ou encore R. Darrigrand dans la transcription de Los tres gojats de Bòrdavielha, sans<br />

doute influencé par Palay : La tèsa […] qu’esté tà-d’eth (p. 91) {la thèse fut pour lui}; n’an pas<br />

paur a d’arren (p. 123) {ils n’ont peur de rien}, mais 9 lignes plus bas, non servivan ad arren {ne<br />

servaient à rien}.<br />

Or Coromines rattache explicitement ad à l’étymon latin ‘ad’ (cf. Väänänen, 1981, p. 69) tout<br />

en constatant que l’aranais n’en use que devant des pronoms en a- (1990, p. 187). C’est donc bien<br />

ad, tad, entad qu’il faut écrire en toute logique.<br />

La préposition enta, ta (Pour mémoire : voir p. 243)


Jean <strong>Lafitte</strong> 301 Écriture du gascon<br />

L’article défini de la montagne<br />

L’application… d’Alibert n’en dit rien, on s’en doute, et ce sont les grammairiens gascons qui<br />

nous le présentent. Le premier dans le temps est sans doute P. Bec dans sa Petite nomenclature<br />

morphologique de 1959 : eth et ses composés ath, deth, peth, tath au masculin, era et ses composés<br />

ara, dera, pera, tara au féminin plus -s au pluriel.<br />

Et, miracle, la liste était la même chez le Félibre J. Bouzet (1928), qui est toutefois plus riche<br />

en composés et mentionne les formes masculines en er devant voyelle : « er-omi, er-aulhè, eroustau,<br />

er-ourdi, er-aute, etc. » (avec un étrange trait d’union) et plus classiquement les composés<br />

der’ aulhè, darrèr’ oustau, entar’ ourdi, der’ omi et dencàr’ aute cop. Mais il mentionne aussi<br />

en(s), ena(s) comme composés de en + article, où, en fait, en signifie à la fois “en” et “en le” et où<br />

ens, ena et enas réduisent l’article à sa seule finale.<br />

Inutile d’en citer d’autres, tous sont d’accord. Avec toutefois cette particularité, qu’à part Bec,<br />

tous ces auteurs sont <strong>Béarnais</strong> et même quand ils visent le gascon en général dans le titre de leur<br />

ouvrage (Darrigrand 1969-1, Grosclaude 1977), ils semblent s’en tenir aux formes béarnaises.<br />

Une exception, à ma connaissance : le regretté Georges Ensergueix (Jòrdi Deledar, 1995) dans<br />

sa Grammaire des parlers couserannais publiée par l’I.E.O.-Ariège, qui ouvrait la porte sur des<br />

formes écrites plus proches de la prononciation. Mais il ne faisait qu’introduire en Couserans ce<br />

qu’on trouvait déjà dans les ouvrages didactiques aranais comme Ané Brito, 1989 : si le singulier<br />

est le même, eth/er, era, le pluriel es, épicène, remplace eths, eras. Et les contractés suivent : as,<br />

des, enes, pes, entàs, tàs.<br />

De fait, les cartes 2425 à 2482 du volume VI de l’ALG vont nous éclairer sur la ré&lité de la<br />

langue :<br />

– pour l’article masculin singulier isolé :<br />

– devant consonne, on entend très généralement [e] + le doublement de cette consonne à<br />

laquelle le -th virtuel s’est assimilé) (2425 à 2432); sauf devant h- où l’on entend [et]<br />

[etj#] (2433); eth convient donc comme graphie englobante;<br />

– devant voyelle, c’est [er] ou [ed] ou [edj2] (2434); eth et er’ conviennent donc encore;<br />

– pour l’article masculin pluriel isolé :<br />

– devant consonne sourde, on entend [es] et devant consonne sonore et l-, [ez], sauf dans la<br />

zone est qui vocalise le -s en ["], [e"] (2435 à 2441); devant h-, [es] ou [ez] suivant les<br />

lieux (2442), avec quelques points en [eh] et [ets]; le es aranais convient donc pour la<br />

grande majorité des lieux, étant entendu qu’en certains autres, le -s en se lit ["] ou [h]; et<br />

eths se verra limité aux quelques points qui disent [ets];<br />

– devant voyelle, c’est [ez] ou [edz] selon les lieux (2443 à 2445); es et eths conviennent<br />

donc ici aussi, le [ts] de eths se sonorisant naturellement en [dz] devant voyelle.<br />

– pour l’article féminin singulier isolé :<br />

– devant consonne, c’est partout [era] (2446 et 2447), contrairement à Grosclaude, 1977, p.<br />

133, qui mentionne aussi « ére, éro »; donc era, sans problème;<br />

– devant voyelle, c’est [er] ou [era], dans ce dernier cas en hiatus avec la voyelle qui suit<br />

(era ombra, [era 'umbro]), ou provoquant son aphérèse (era ’scola [era 'skolo] (2448 à<br />

2450); era et er’ conviennent donc encore;


Jean <strong>Lafitte</strong> 302 Écriture du gascon<br />

– pour l’article féminin pluriel isolé : devant consonne sourde, on entend [eras], [eres] ou [es]<br />

suivant les secteurs, et devant consonne sonore et l-, [eraz], [erez] ou [ez], sauf dans la zone est qui<br />

vocalise le -s en ["], [era"] (2451 à 2457); devant h-, [eras], [eres] ou [ez] suivant les lieux (2458); et<br />

devant voyelle, [eraz], [erez] ou [ez] (2459); si donc eras convient pour [eras], il faut noter eres et<br />

es ailleurs, ce es étant, nous l’avons vu, officiel en Aran.<br />

– pour les formes contractées, les cartes 2460 à 2482 ne changent rien à la réalisation de<br />

l’article proprement dit, de telle sorte que les graphies habituelles sont confirmées ou changées ou<br />

complétées dans les mêmes conditions que pour les formes isolées.<br />

En résumé, à la suite de Georges Ensergueix, je propose ceci (le formes maigres sont des variantes<br />

irréductibles, les formes soulignées sont celles où je m’écarte des habitudes actuelles, hors<br />

d’Aran, bien sûr) :<br />

Masculin Féminin<br />

singulier pluriel singulier pluriel<br />

eth, er’ + voy. es, eths era, er’ + voy. eras, eres, es<br />

deth, ath, peth, en des, as, pes, enes dera, ara, pera, enaderas, aras, peras, enas<br />

der’, ar’, per’, en + voy deths, aths, peths, ens der’, ar’, per’, en + voy deres, ares, peres, enes<br />

Le pronom “réduit” de la 5 ème pers. : v, ve ou vs, vse, selon la prononciation<br />

des, as, pes, enes<br />

L’application… est très laconique sur le sujet, à peine effleuré au paragraphe final sur<br />

l’enclise; son objet est de dire comment le pronom enclitique se relie au mot support, non de fixer<br />

les formes de ce pronom, pleines ou asyllabiques : c’est là une affaire de grammaire gasconne, non<br />

d’un recueil de normes orthographiques de 8 pages demi-format. Aussi ne trouve-t-on qu’un exemple<br />

de ns, devant voyelle (que’ns espera [sic, sans accent grave]; {il nous attend}), et un de vs, devant<br />

consonne (ne’vs vei pas {il ne vous voit pas}); la “norme” ne dit donc rien de vs ou v devant<br />

voyelle, ni de la forme revocalisée ve; on reste donc logiquement dans l’application du principe général<br />

B de l’écriture phonétique des mots de formation populaire.<br />

On a vu p. 166 que la graphie que vs’apena {vous chagrine} au lieu d’un habituel que<br />

v’apena avait été approuvée par J. Salles-Loustau, qui en avait profité pour proposer de généraliser<br />

ce vs, par symétrie avec ns de la 4 ème personne.<br />

Or que vs’apena était localement justifié par [ketsa'peno] supposé sous le qu’étz apéno original<br />

de l’Anthologie populaire de l’Albret, prononciation attestée là par l’ALG VI, 2239; mais cette<br />

même carte montre que la prononciation est par [b] ou [p], sans la moindre trace de [s] ou de [z], en<br />

Béarn, Bigorre, dans le sud des Landes et le Bas-Adour, là où la 4 ème personne se réduit à [s] (sauf<br />

montagne béarnaise [ns] et bigourdane [nze]); donc que v’apena rend bien ces prononciations majoritaires.<br />

Ce n’est que dans une petite zone sur les confins des Landes, du Gers et du Lot-et-Garonne<br />

qu’apparait une prononciation de la 5 ème personne en [dze], justiciable d’une graphie vse. Et de<br />

même, la carte 2240 montre que la revocalisation en position postverbale se fait en [be/bø] ou<br />

[pe/pø], sans nulle part aucune trace de [s] ou de [z].<br />

L’« usage » auquel que vs’apena dérogeait judicieusement pour l’Albret répond donc à un besoin<br />

de la zone sud que devait avoir en vue R. Darrigrand, quand il a amorcé l’introduction de la<br />

graphie classique en Béarn; il donne d’ailleurs deux versions de la norme dans les éditions 1974 de


Jean <strong>Lafitte</strong> 303 Écriture du gascon<br />

ses deux ouvrages :<br />

– dans Comment écrire le gascon, pp. 31-32, il ne connaît que des formes « à une seule<br />

consonne », avec un seul exemple, que’v trompatz;<br />

– dans Initiation au gascon, il donne, p. 39, « ’nse - ’ns - ns’ » d’une part et « ve - ’vs - v’ »<br />

d’autre part et, p.41, les exemples aidatz-nse, que’ns trobam, que’ns aima, estujatz-ve, ne’vs parli<br />

pas et ne v’aima pas briga (devant voyelle, l’appui se fait ici sur le verbe qui suit); c’est aussi le<br />

choix de M. Grosclaude : vos, ve et vs, v (1977, 71); que’vs vau condar / que vau condà’vs (ib. 78).<br />

Généraliser la forme vs ou vse comme le suggérait J. Salles-Loustau créerait donc un sérieux<br />

problème de lecture en Béarn et dans son voisinage. C’est malheureusement ce qu’a réalisé le Mémento<br />

grammatical du gascon que cet auteur a co-signé trois ans plus tard (cf. p. 167) avec des explications<br />

bien complexes sur la prononciation de ce vs et de la forme resyllabisée vse…<br />

J’estime au contraire que là où la 5 ème personne se réduit à [b / be] ou [p / pe], il faut s’en tenir<br />

à la norme de R. Darrigrand dans Comment écrire le gascon : en forme asyllabique, v seul, qu’il<br />

soit suivi de consonne ou de voyelle : que’v trompatz comme que’v agrada et ve en forme revocalisée<br />

: estujatz-ve; mais là où la 5 ème personne s’entend [1] c’est évidemment le vs qui s’impose.<br />

On remarquera enfin que ma graphie des exemples suit le que’ns espera de L’application…,<br />

en reliant le pronom au mot qui précède, non au verbe qui suit, comme P. Bec (2000) devait le rappeler<br />

et expliquer dans Tres punts de grafia {Trois points de graphie, celui-ci étant le troisième}.<br />

XIII – Quand la graphie change la langue<br />

J’ajoute ici la correction de quelques graphies occitanistes qui en fait changent la langue.<br />

Le produit de ‘nf’ latin : h (cohóner, ihèrn…)<br />

Parmi les mots où la graphie classique fait se rencontrer n et h, il faut sans doute faire une<br />

place à part à ceux qui, issus depuis longtemps de formes latines du vocabulaire religieux, ont vu le<br />

groupe originel nf se résoudre en /h/ simple, que la graphie médiévale a longtemps noté f :<br />

‘confundere’ > cohóner;<br />

‘confessare’ > cohessar; ‘confessionem’ > cohession;<br />

‘infernum’ > ihèrn.<br />

Dans l’ancien gascon, certes, les graphies du type confessar {reconnaitre, avouer} n’étaient<br />

pas rares, mais sans doute par étymologisme de la part des scribes latinisants; ceux-ci, néanmoins,<br />

témoignaient aussi de la prononciation contemporaine quand ils notaient coffessa, coffessas (Fòr<br />

général de Béarn, art. 31 et 236), cofessa (F. d’Auloron, art. 22) et cofrayrie (Coutume de St-Sever,<br />

n° 107). Pey de Garros et Arnaud de Salette le confirment en écrivant cohession, cohon (Églogues<br />

6, v. 162 et 7, v. 33), cohonuts, -etz, -a etc. (Salette, Ps. 6, 20, 25…).<br />

Le conteur Yan Palay (1848-1903) a fait rire des générations avec La Couhessiou de Casaussus<br />

(Coundes biarnés, 1900). Son fils Simin, le lexicographe, ignore les formes en counh- mais<br />

donne couhessà (Bouzet de même), couhî, couhì et couhoùn" {confesser, confin, confire, confondre}.<br />

L’ALG II, 227 “borne” ne signale aucune nasalisation dans [ku'hi"], en usage dans la plus<br />

grande partie du Gers; de même, la carte IV, 1395 “confit” dans [ku'hit], tandis qui [kun'fit] se rencontre<br />

aussi bien que [ku'fit]. A. Viaut (1992, p. 129) écrit con.hronta (et dérivés) ce qui se prononce<br />

[ku'r,ntœ]. P. Bec enfin, qui écrivait con.hin (Contes de l’Unic, 1977, p. 15) et con.hessar,<br />

con.honèva… (Lo hiu tibat, 1978, pp. 51, 200), note judicieusement cohonèvan dans les Racontes


Jean <strong>Lafitte</strong> 304 Écriture du gascon<br />

d’ua mòrt tranquilla (1993, p. 21).<br />

N’oublions pas en effet que la “norme” ne peut être que cohóner, puisque c’est cette forme<br />

que L’Application… donne en exemple à la p. 4. Mais trois lignes après, inconséquente, elle donne<br />

in-hèrn {enfer} comme exemple de graphie de ce qui se prononce [nh], alors qu’il s’agit là, vraisemblablement,<br />

d’une réfection savante de ce qui est [ih!r] dans la langue courante; c’est du moins<br />

ce dont témoigne ihèr chez Lespy et Palay… et dans le fameux Sermon du Curé de Bidéren.<br />

Réfections savantes et bien contestables aussi que « confit|con·hit [k,'hit] », « confir|con·hir<br />

[k,'hi|kun'hi] », « con·hins » « con·hóner » et « con·hessar » que l’on trouve dans le Dic. de Narioo<br />

et autres; certes, la prononciation est indiquée pour les deux premiers, mais sans cohérence, comme<br />

on le constate, et plus grave, en désaccord avec l’ALG qui a noté dans la moitié nord-ouest du domaine<br />

[k,'fit] et [g,'fit] avec nasalisation, mais dans l’autre moitié, [ku'fit] et [ku'hit], sans aucune<br />

nasalisation, nulle part ce que porte le Dic. ! Quant aux autres mots en con.h-, l’usager ne saura rien<br />

de leur prononciation et fera entendre un “néo-gascon” que les locuteurs naturels dénonceront<br />

comme de l’« occitan »…<br />

Dans un souci d’authenticité et de simplicité, je recommande donc cohessar, cohession, cohin,<br />

cohir, cohóner, cohrontar et ihèrn.<br />

“Un autre, une autre”<br />

En gascon, le masculin comme le féminin se disent le plus souvent [y''a*te], l’est prononçant<br />

le féminin en -[a*to]. Mais les adeptes de la graphie classique répugnent généralement à écrire cette<br />

forme de la parole vive, probablement par honte du gascon face au mépris de l’occitan languedocien<br />

38 qui ne l’a pas. Ainsi, M. Grosclaude, 1977, p. 29 :<br />

« un aute, ua auta. Attention, dans bien des régions, ces deux mots se prononcent<br />

avec une mouillure. On prononcera alors uniaoute ou niaoute »<br />

La seule occurrence de notation classique que j’ai rencontrée est de l’auteur bigourdan J.-L.<br />

Lavit, dans Pelot (1195, p. 2) : Dançant un còp dab l’un, dab nhaute en tot seguir. {Dançant une<br />

fois avec l’un, avec un autre tout de suite après.} Sur le fond, j’estime qu’il a raison, car on ne peut<br />

interdire l’écrit à une forme si répandue. Mais alors, comment la noter ?<br />

Le ['] n’est sans doute que la mouillure du -n de l’article indéfini un, épicène en l’occurrence,<br />

par élision du -a au féminin; tout comme les parlers de l’ouest n’amuïssent pas le-n- de plena, féminin<br />

de plen {plein}, mais le mouillent en plenha. Nous avons donc grammaticalement unh +<br />

aute. Je pense que pour la clarté, la fusion n’est pas souhaitable et je préfère écrire unh aute, et cela<br />

pour les deux genres à l’ouest, avec le féminin unh auta à l’est. On pourrait certes imaginer de noter<br />

unh’aute/a au féminin, pour marquer l’élision du -a de unha; mais je n’ai aucune attestation de unha,<br />

unhe ou ugne), y compris dans les textes anciens; c’est sans doute une fausse bonne idée.<br />

Quant à la forme apocopée [''a*te], on l’écrira ’nh aute avec ’nh auta féminin à l’est.<br />

Las Pireneas<br />

Dans les écrits occitanistes gascons, on trouve Pireneas, Pirenèas, les deux féminins pluriels<br />

et Pirenèus, masculin pluriel. Pireneas est le choix de M. Grosclaude (1977, p. 64) et du Civadot<br />

38 Cf. Henri Jeanjean (1992) : « Ce que certains ont appelé le centralisme ou même “l’impérialisme languedocien” en<br />

matière politique se retrouve dans le secteur culturel […] On va se moquer des accents et des particularismes gascons<br />

ou auvergnats. “Il n’est bon bec qu’à Paris” se retrouve transformé en “il n’est bon bec qu’à Béziers, ou à Montpellier. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 305 Écriture du gascon<br />

(1984) d’après Palay, mais en ajoutant : « mais la forme la plus correcte semble être : Pirenèus m.<br />

pl. ». En fait, cette forme est celle de Mistral (sans le -s du pluriel en provençal) et du languedocien,<br />

attestée par exemple par le Vocabulari ortografic d’Alibert (1935), et issue probablement du latin<br />

‘Pyrenaei montes’. Mais il s’agit en tout état de cause d’un mot savant qui implique une vision globale<br />

de la chaine, alors que les montagnards n’ont pas de nom général. Il n’est donc pas impossible<br />

que le féminin [mun'ta'œ/o], largement populaire, ait permis l’acclimatation gasconne du “Pyrénées”<br />

féminin des géographes et touristes français de jadis.<br />

Il est certain qu’en gascon, la langue parlée n’use que du féminin pluriel, avec le dernier e<br />

fermé, au voisinage de n, donc [pire'neœ/os] écrit Pireneas. C’est cette forme, ou plus souvent son<br />

équivalent en graphie moderne, qu’ont trouve chez les auteurs de mon corpus, depuis Hourcastrémé<br />

(fin du XVIII e s.), jusqu’au chanteur contemporain Marcel Amont (èras Pirenèas [sic], disque M. A.<br />

canto en biarnés, 1979); le nom même de l’Escolo deras Pireneos fondée en 1904 en témoigne.<br />

La revue Per nouste écrivit Pireneas dès la première fois où elle donna l’adresse de R. Lapassade<br />

en gascon (n° 13, 9-10/1969, p. 2 de couverture) et continua pendant longtemps, au moins jusqu’à<br />

un communiqué du C.R.E.O. de Toulouse (n° 99, 11-12/1983, p. 20). Mais peut-être sous<br />

l’influence des rédacteurs du Civadot — je pense particulièrement au théoricien M. Grosclaude —,<br />

le n° 129 (11-12/1988), justement consacré à ces montagnes, était intitulé Pyrenèus, vite rectifié en<br />

Pirenèus. Une mode occitaniste s’est donc établie en marge de la langue vivante, tandis que les auteurs<br />

qui possèdent bien la langue gardent Pireneas, comme Robèrt de Labòrda (R. Darrigrand),<br />

Reclams, 5-6/1984, p. 86; A. Peyroutet (Que l’aperavan Colorado, 1989), etc. Et surtout le Dic. des<br />

Hautes-Pyrénées, Atau que’s ditz, 1998, p. 8, remarqué par son attachement à la langue vivante. Pireneas<br />

est donc, en graphie classique la seule forme gasconne authentique.<br />

L’année : l’anada<br />

Par méconnaissance de la langue parlée ou alignement servile sur le languedocien, la plupart<br />

des auteurs occitanistes écrivent annada pour “année”. Même P. Bec, transcrivant Béline de Camélat,<br />

a écrit annada (Chant III, v. 419), pour anade, rimant avec anade {allée} (v. 420) du verbe<br />

anar. Pourtant, le gascon dit [a'nadœ/o] dans la plus grande partie du domaine (ALG I, 100), la<br />

forme [an'nadœ/o], limitée à une bande de quelque 40 km le long de la Garonne, étant manifestement<br />

due à l’influence du languedocien. Or même dans cette langue, qui réduit les géminées latines<br />

suivant la tendance générale des langues d’oc, il est probable qu’il s’agit là d’une réfection savante<br />

à partir d’‘annata’ latin. Ici encore, la fidélité à la langue dicte la graphie anada.<br />

* *<br />

*<br />

Voilà donc achevé un toilettage rigoureux de la graphie classique d’Alibert pour la rendre<br />

plus fidèle au gascon et permettre aux enseignants comme aux élèves de retrouver les prononciations<br />

authentiques.<br />

D’aucuns estimeront qu’on n’a pas à décrire tous les parlers dans leur infinie variété, et que<br />

tout ce travail est vain, œuvre d’un de ces « inévitables et impénitents bricoleurs de l’orthographe »<br />

que dénonçait naguère Patrick Sauzet (2000, p. 53). Mais il déclarait aussi qu’ « il faut former des


Jean <strong>Lafitte</strong> 306 Écriture du gascon<br />

enseignants compétents » (ib. p. 58) : comment les former sans références orales, avec des textes<br />

dont la graphie trahit souvent la parole ? À moins de considérer que l’« occitan » est une langue<br />

morte comme le latin, et qu’il suffit d’une circulaire ministérielle pour définir la prononciation qui<br />

aura cours dans les écoles, collèges et lycées et universités. Mais alors, j’y reviens encore, mieux<br />

vaut enseigner le latin !<br />

Et puisque sa communication avait pour titre « Réflexions sur la normalisation linguistique de<br />

l’occitan », comment normaliser une langue si on ne sait pas ce qu’elle est vraiment, et quelles en<br />

sont les formes les plus répandues, « les plus conformes à l'évolution normale de la langue et les<br />

mieux conservées », pour parler comme Alibert dans L’application… ?<br />

Mais malgré tout, pour fidèle qu’il peut être désormais, le code pour retrouver l’oral demeure<br />

celui d’une graphie savante et archaïque, donc difficile à apprendre, alors qu’on a si peu d’heures<br />

pour enseigner. Le linguiste occitan Roger Teulat n’a-t-il pas écrit : « Alibert pensait sa réforme<br />

pour le petit nombre, pour les écrivains, et guère pour l’enseignement et l’utilisation quotidienne.<br />

» ? (1985, p. 21). Alors, il reste à utiliser les réflexions de ce chapitre pour définir maintenant<br />

une graphie moderne non moins fidèle, mais bien plus pédagogique.


L’arrière-plan “idéologique”<br />

Chapitre V<br />

Pour une graphie “moderne” améliorée<br />

I – Généralités<br />

Nous avons vu au chapitre III combien la graphie classique occitane était subordonnée à une<br />

idéologie extra-linguistique (cf. p. 226). Je pense qu’on pourrait me faire le reproche d’agir moimême<br />

en fonction d’une idéologie différente, mais tout aussi discutable. Alors, autant l’avouer tout<br />

de suite en exposant l’arrière-plan “idéologique” de ma démarche.<br />

Dès mon entrée en “occitanisme” en 1982, j’ai ressenti une méfiance instinctive à l’égard de<br />

tout ce qui me semblait “politique” ou tout au moins “extra-linguistique” dans le discours occitaniste.<br />

En particulier, même si j’ai un moment cru au mythe de la “colonisation” du Midi par les<br />

Francs venus du nord, je n’ai jamais pu épingler à ma veste ou coller sur ma voiture une croix de St-<br />

Gilles, devenue l’emblème occitaniste : c’était à mon sens une nouvelle “colonisation” du Béarn et<br />

de la Gascogne, cette fois par les “Septimaniens”. J’acceptais facilement tout ce qui marquait la<br />

parenté des parlers et des coutumes du Midi, mais refusais tout ce qui aurait occulté les différences<br />

entre Béarn et Gascogne d’une part, et les autres provinces du Midi d’autre part, différences qui<br />

bien souvent rapprochaient les <strong>Gascon</strong>s des voisins d’outre-Pyrénées.<br />

À cette première méfiance s’est bientôt ajoutée mon expérience d’“apprenant” d’abord, puis<br />

d’enseignant du gascon : comme exposé au même chapitre III, p. 230, les défauts de la graphie dans<br />

la notation de la parole vivante rendaient très aléatoire l’authenticité de l’oral de celui qui n’avait<br />

que l’écrit occitan pour se repérer. Et je me suis vite aperçu que ce système était irréformable de<br />

l’intérieur, car les occitanistes en faisaient un absolu au service d’une finalité politique.<br />

Cela m’a confirmé dans le rejet de toute considération extra-linguistique pour aborder l’étude<br />

de la langue de mes pères et la définition de la graphie la plus appropriée pour son service. [Six<br />

lignes sur mes convictions personnelles que le jury a estimé n’avoir pas leur place dans une thèse]<br />

Aussi n’ai-je jamais pu m’accomoder de l’idéologie anti-française si souvent portée par le<br />

discours occitaniste, au point que je puis dater le début de ma rupture d’avec l’occitanisme du jour<br />

de l’été 1992 où j’ai eu en mains le Diccionari de mila mots de J. Taupiac; qu’on en juge par trois<br />

exemples de cet ouvrage, pourtant manifestement destiné aux jeunes enfants :<br />

– au mot causa : « S’il n’y a presque pas d’occitan à la télévision, le gouvernement français<br />

en est la cause. »;<br />

et, sans hésiter devant l’anachronisme des mots « Occitans » et « Languedociens » au XIII e s.,<br />

– au mot aimar : « Il y a sept cents ans, les Occitans et les Français ne s’aimaient pas »;<br />

– au mot lengadocian : « Les Languedociens n’ont pas oublié qu’ils eurent à souffrir des<br />

Français, il y a sept cents ans ».


Jean <strong>Lafitte</strong> 308<br />

Écriture du gascon<br />

Mon idéologie, c’est donc cela : servir le mieux possible la langue de mes aïeux, comme<br />

richesse culturelle de la Gascogne et de la France, sans autre contrainte que la rigueur scientifique et<br />

le souci de l’efficacité.<br />

Or cette efficacité doit considérer les besoins des deux “populations” d’usagers de la langue<br />

gasconne d’aujourd’hui : les locuteurs naturels, familiers de la lecture et de l’écriture du français,<br />

mais souvent “analphabètes” dans leur langue maternelle, et les “apprenants”, élèves des écoles,<br />

collèges, lycées et universités, ou adultes désireux d’apprendre cette langue, eux aussi généralement<br />

bien formés à la lecture et à l’écriture du français, mais souvent dépourvus de références pour la<br />

langue vivante parlée. La visée est donc à la fois “populaire” et “pédagogique”.<br />

Enfin, ne voulant en aucune manière « faire du passé faire table rase », j’entends tenir<br />

« compte des efforts réalisés dans ce domaine par l’école occitane », comme Charles Samaran<br />

(1963, 1965, p. 115) aurait souhaité que Palay l’eût fait dans son édition 1961 du Dictionnaire. Et je<br />

me compte dans cette “école occitane”, de telle sorte qu’une grande part des études exposées dans<br />

le précédent chapitre en vue d’améliorer la graphie classique du gascon va servir dans les pages qui<br />

suivent, et d’abord dans la définition des principes généraux.<br />

Principes généraux<br />

Comme pour la graphie classique, il me parait utile d’expliciter les principes généraux que<br />

j’entends appliquer. Mais avant, je voudrais citer André Sarrail (1980, p. 23) :<br />

« De cette histoire de 70 ans de notre vieille Escole nous pouvons tirer au clair les<br />

principes qui l’ont conduite pour établir la graphie.<br />

« a) Noter le mieux possible la prononciation;<br />

« b) Simplifier la graphie;<br />

« c) Respecter l’unité dans la variété des parlers et la variété dans l’unité;<br />

« d) Un seul souci : aller au peuple et se faire comprendre par lui. »<br />

À la réflexion, le dernier principe d) doit être le premier : la graphie d’une langue vivante est<br />

faite pour le “peuple” des locuteurs, d’où l’étude sociolinguistique de la première partie de cette<br />

thèse. De là découlent les principes a) et b); et le c) vient tempérer l’aspiration à la simplicité, car il<br />

faut respecter la langue dans son unité et sa variété.<br />

Avec les principes que je vais proposer maintenant, je me sens dans une totale continuité avec<br />

cette tradition de l’Escole, dont le réalisme n’est pas le moindre mérite. Les deux premiers sont les<br />

mêmes que pour la graphie classique DiGaM (pp. 240-241); le troisième et le quatrième sont la<br />

mise en œuvre des principes a) et b) de Sarrail avec au second alinéa du quatrième une technique de<br />

mise en œuvre du c), en prévoyant de noter des lettres localement muettes : essentiellement le -n<br />

final, vélaire en certains endroits, muet en d’autres, suivant une cartographie bien définie. Ces principes<br />

rompent donc avec la référence principale au passé médiéval que faisait la graphie classique,<br />

tout en conservant du passé les solutions spécifiques qui ont fait leurs preuves. Le cinquième principe,<br />

enfin, explicite et généralise la référence à l’étymologie, déjà admise par la graphie moderne,<br />

comme moyen de faciliter l’intelligence de l’écrit, et donc encore de servir le “peuple”.<br />

1.— Les mots simples sont notés à l’état isolé, sans tenir compte des modifications qu’ils<br />

peuvent subir au contact les uns des autres ou par suite de l’adjonction de s au pluriel.<br />

L’écriture peut cependant noter l’élision, certaines aphérèses et diverses modifications qui affectent<br />

surtout les mots grammaticaux.


Jean <strong>Lafitte</strong> 309<br />

Écriture du gascon<br />

2.— Les mots composés s’écrivent normalement d’un seul tenant; ils constituent en effet un<br />

tout sémantique appelé à perdre tout renvoi au sens primitif de leurs composants, avec même des<br />

adaptations phonétiques reflétées par la graphie.<br />

Par exception et tant que ces adaptations phonétiques et graphiques ne sont pas intervenues,<br />

leurs composants s’écrivent distinctement, mais liés par un trait d’union et, éventuellement, des<br />

apostrophes notant élisions ou aphérèses, soit pour des raisons sémantiques, soit pour des raisons<br />

liées au système d’écriture et de lecture.<br />

3.— L’orthographe s’appuie principalement sur les conventions d’écriture familières aux<br />

<strong>Gascon</strong>s du XXI e siècle, c’est-à-dire celles du français.<br />

Néanmoins, les phonèmes qui n’existent pas en français sont notés suivant des conventions<br />

propres au gascon, voire partagées avec d’autres langues voisines, langues d’oc notamment, en continuité<br />

avec la pratique des anciens.<br />

4.— Ne sont en principe notées que les lettres qui se prononcent.<br />

Toutefois, la recherche d’une graphie commune à l’ensemble gascon peut conduire à des notations<br />

conventionnelles dites “englobantes” qui comportent des lettres prononcées dans une partie<br />

du domaine et muettes ailleurs.<br />

5.— Un même son peut être noté par des lettres différentes en fonction de l’étymologie, ce<br />

qui facilite souvent la compréhension du mot par référence à ses correspondants d’autres langues,<br />

français principalement, qui s’écrivent suivant la même étymologie.<br />

Aperçu des améliorations proposées<br />

J’ai l’impression de me trouver dans la même situation qu’Arnaut de Salette : il ne s’agit pas<br />

d’inventer un système d’écriture du gascon, mais d’apporter quelques améliorations à un système<br />

existant et qui a largement été utilisé. Adopté par l’Escole Gastoû Febus en 1900-1905 et amélioré<br />

par Bouzet et Palay, puis retouché quelque peu par MM. Moreux et Puyau, ce système révèle néanmoins<br />

quelques défauts que j’ai signalés tout au long de l’étude historique du chapitre I er : confusion<br />

en -e atone final de ce qui, dans la moitié est du domaine, se prononce soit [e], soit [o] : la lèbe<br />

['l!!e], que’s lhèbe [&!!o]; double graphie de -n instable, gascoû et gascoun, triple graphie<br />

chabèque, thabèque et tchabèque; j considéré comme graphie englobante pour [j] et [2]…<br />

Il marque aussi quelques hésitations dans l’application du dernier principe ci-dessus. Ainsi,<br />

bien que la référence à l’étymologie soit sous-jacente, le choix entre c ou ç d’une part, s ou ss<br />

d’autre part, n’est pas toujours clair; si Palay écrit red {froid} < ‘frigidu’ (cf. p. 139), MM. Moreux<br />

et Puyau choisissent rét suivant la prononciation (p. 183), ce qui le coupe de redoulic. J’estime que<br />

la simplicité exige la rigueur dans l’application des principes, car la fantaisie et l’arbitraire obligent<br />

à mémoriser des quantités d’exceptions, et l’état de la langue n’a pas besoin de trainer ce boulet.<br />

II – L’accent tonique<br />

Comme en système classique (p. 243), les clitiques (articles, prépositions, pronoms faibles…<br />

et autres mots grammaticaux) sont évidemment dépourvus d’accent d’intensité, dit “tonique”, parce<br />

qu’ils font corps avec le mot d’appui, seul accentué. Tous les autres mots de deux syllabes et plus<br />

en ont une plus forte que les autres, voire deux pour certains composés, et la bonne compréhension<br />

entre locuteur et auditeur exige que l’accent d’intensité soit mis à la bonne place.


Jean <strong>Lafitte</strong> 310<br />

Écriture du gascon<br />

Compte tenu du choix de e comme voyelle posttonique issue de a étymologique et de la notation<br />

par ë du [e] posttonique (voir plus loin, p. 312), la règle est que l’accent est sur l’avant-dernière<br />

syllabe d’un mot dont la dernière contient un e ou un ë (paroxyton), et sur la dernière si c’est une<br />

autre voyelle (oxyton); et si malgré la présence de cette autre voyelle en finale, l’accent doit être sur<br />

l’avant-dernière (paroxyton), celle-ci porte un accent écrit. Ce qui implique que dans tout paroxyton<br />

avec une voyelle autre que e ou ë en dernière syllabe, la voyelle de l’avant-dernière doit être marquée<br />

d’un accent écrit; et que tout /e/ en dernière syllabe doit être marqué d’un accent aigu. En<br />

outre, pour faciliter la lecture, sans que cela soit indispensable, le /e/ tonique suivi d’un e ou d’un ë<br />

portera l’accent aigu : l’alée {l’allée}, que crée {il crée, ind.}, que créë {qu’il crée, subj.}; c’était<br />

déjà la solution de Sarrail (1980, p. 31) et a fortiori de l’Escole dont les règles de 1900 et 1905 voulaient<br />

l’accent sur tout e tonique.<br />

Exemples :<br />

– paroxytons comportant un e ou ë en dernière syllabe : que cantes, que cante, que canten {tu<br />

chantes, il chante, ils chantent}; que cantës, que cantë etc {que tu chantes, qu’il chante, etc.} (subjonctif<br />

présent); lou pebë {le poivre}, la lèbë {le lièvre}; la praubë hemne {la pauvre femme};<br />

que’s lhève {il se lève}; que’s lhèvë {qu’il se lève}; cabë{être contenu}; entenë {entendre};<br />

– paroxytons comportant une voyelle autre que e ou ë en dernière syllabe : ûn òmi {un<br />

homme}; un brouxàmi {un sortilège}; que cànti {je chante}; que sàbi {je sais}; que dìsi {je dis};<br />

l’àsou {l’âne}; qu’aymàvet(z) {vous aimiez}, que vouloùssët(z) {que vous voulûtes}; Yèsus…<br />

– oxytons : canta {chanter}, lou brana {le terrain couvert de bruyère}; que se’n ana {il s’en<br />

alla}; lavadé {lavoir}; countén {content}; vaquè {vacher}; que sabèn {ils savaient}; lou serên {la<br />

fraicheur humide du soir}; lou camîn {le chemin}; que sabi {je savais}; audi {écouter}; aco {cela};<br />

Yelos {Gélos, banlieue de Pau}; que sabou {il sut}; madu {mur}; ûn individu {=}; ûn devantau {un<br />

tablier de devant}; lou nivèu {le niveau}; l’estiu {l’été}; lou hilhòu {le filleul}; l’array {le rayon};<br />

au demiey {au milieu}; lou cerisèy {le cerisier, nord-gascon}, beroy {joli}; arrouy {rouge}; lou<br />

Luy {le =}; lou limac {la limace}; capvath {en bas}; sourelh {soleil}; qu’aymam {nous aimons};<br />

que canteran {ils chanteront}; ûn averân {une noisette}; augan {cette année}; souvén {souvent};<br />

lou cân {le chien}; praubin {“pauvre chéri”}; ûn baloûn {un ballon}; que saboun {ils surent}; lous<br />

esclops {les sabots}; un tenor {=}; lou retour {le =}; ûn pegas {un grand sot}; lagagnous {chassieux};<br />

esberit {éveillé}; pegot {petit sot}; aygassut {insipide}…<br />

On constate aisément que mis à part les paroxytons de la seconde série qui nécessitent une<br />

explication, le lecteur français placera d’emblée la syllabe accentuée au bon endroit.<br />

III – Les phonèmes vocaliques simples<br />

Généralités<br />

La graphie moderne utilise les voyelles de l’alphabet latin avec la valeur originelle, à<br />

l’exception du e comme on le verra de suite, et du u devenu [y] en gallo-roman d’oc comme d’oïl,<br />

entrainant de part et d’autre l’adoption du digramme ou pour noter [u].<br />

Le produit du a latin posttonique<br />

Le a latin posttonique — donc très généralement en finale —, aboutit à une assez grande<br />

variété de sons difficiles à retrouver si la graphie n’est pas suffisamment appropriée; en témoignent<br />

trois articles de Per noste-Païs gascons, en 1994-95 :


Jean <strong>Lafitte</strong> 311<br />

Écriture du gascon<br />

– le plus long est celui de J.-L. Landi (1994) qui situe bien le problème que même les maitres<br />

rencontrent pour connaitre et enseigner la “bonne” prononciation, tant s’accordent mal les ouvrages<br />

et revues qui en traitent; et de soulever la délicate question de la standardisation éventuelle; il<br />

penche lui-même pour la prononciation en -[o], car elle est « majoritaire en Gascogne » et encore<br />

plus « dans l’ensemble occitan », « l’une des originalités de la langue occitane confrontée à ses<br />

sœurs romanes limitrophes (français, catalan, castillan, piémontais, italien) » et « permet de bien<br />

marquer l’opposition entre masculin et féminin ».<br />

– J.-M. Puyau (1994) n’est pas de cet avis, car il entend dépasser le cadre étroit de l’ensemble<br />

occitan : la prononciation en [œ] rapproche le gascon du catalan et du portugais, avec qui il partage<br />

d’autres traits que n’ont pas les autres langues d’oc; et de terminer ainsi :<br />

« Je ne vois vraiment pas au nom de quelle raison majoritaire — lorsqu’on se prétend<br />

défenseur de “minorités linguistiques”, cela semble contradictoire, voire étrange — il faudrait<br />

privilégier davantage le [o] que le [œ] dans le domaine gascon. […]<br />

« Du point de vue didactique, j’irai même plus loin en faisant remarquer que la réalisation<br />

[œ], même correctement prononcée, reste plus accessible, plus adaptée à<br />

l’apprentissage et entraine vraiment beaucoup moins d’erreurs d’accent tonique que la prononciation<br />

[%] grossièrement schématisée en [o] fermé, qui sera tellement plus apte à attirer<br />

un accent tonique parasite d’influence française. »<br />

– P. Haure-Placé (1995), enfin, « pense aussi qu’il ne faut pas privilégier une prononciation »<br />

et donne un riche inventaire des variations de prononciation des a posttoniques d’une même phrase<br />

en divers endroits de la Gascogne.<br />

Sans aller aussi loin, la carte de synthèse 2161 de l’ALG VI donne une bonne idée d’ensemble<br />

de la prononciation du a posttonique : en gros, c’est [œ/$] dans la moitié nord-ouest du domaine et<br />

[o] dans la moitié sud-est, la limite étant sensiblement la fameuse « diagonale Aiguillon (647) - Artix<br />

(685) » (Allières, ALG V, 1665; mais géométriquement parlant, c’est plutôt une bissectrice !),<br />

limite que l’on retrouve pour bien d’autres faits linguistiques gascons. Mais il y a des zones<br />

d’exception. Pour les cerner le mieux possible, je me suis fié à Alain Viaut (1998, p. 101) pour la<br />

pointe du Médoc, qui prononce [u]; et pour les zones pyrénéennes qui prononcent [a] ou [œ], j’ai<br />

fait, pour 18 points, un relevé des données des 11 premières cartes de l’ALG I portant sur des mots<br />

féminins en gascon (l’homogénéité des relevés en chaque point m’a dispensé d’aller au-delà de 11);<br />

et pour 4 points ajoutés lors de l’enquête complémentaire en vue de l’ALG IV, j’y ai ajouté le<br />

relevé de 11 cartes de ce volume, avec également des résultats très homogènes en chaque point.<br />

La carte que j’ai pu dresser, en page suivante, montre aussi la prononciation du -e « doucement<br />

fermé » de Lespy, objet du prochain paragraphe. Pour ce qui est du produit du a posttonique,<br />

cette carte diffère quelque peu de celle de M. Grosclaude (1986-1, p. 25) quant aux zones en [a], et<br />

surtout à celles en [œ] qu’il a omises, sans doute parce qu’en cours de passage à [o]; mais il a inclus<br />

au sud-est de l’espace gascon le point 782 S (Labastide-de-Sérou), qui est languedocien.<br />

Les zones en [a] et [œ] ne sont plus que des réduits de l’ancienne prononciation, le [o] venu<br />

probablement du Languedoc tendant à la supplanter, et d’abord dans les villes comme Lourdes et<br />

Bagnères-de-Bigorre où il l’emporte. Déjà, dans les Poèmes chantés des Pyrénées gasconnes, fruit<br />

d’enquêtes de terrain réalisées de 1957 à 1960, X. Ravier relevait (pp. 193-4) une tendance à passer<br />

à -[o] du fait du prestige de la prononciation urbaine; « l’enquête [à Betpouey, limitrophe de<br />

Barèges, en 1957] fait ressortir que la finale féminine y est en pleine mutation : on entend a/o atone<br />

(avec majorité de o) chez un sujet de 40 ans, presque toujours o chez un autre sujet de 15 ans. De


Jean <strong>Lafitte</strong> 312<br />

Écriture du gascon<br />

même à Gavarnie […] ». Par ailleurs, si les onze cartes de l’ALG I relevées donnent à Barèges la<br />

quasi exclusivité du [œ] et un seul [a], son nom est noté [ba'r!tj%] sur la carte IA. Les cartes de<br />

l’ALG IV qui notent les données recueillies par X. Ravier dans cette même période constatent cette<br />

évolution; mais aussi des nuances; ainsi, Lesponne et Laborde, points 696 E et 696 S ajoutés pour<br />

cette enquête complémentaire, ont leurs propres noms notés en [a] et les prononciations relevées<br />

sont en [a] tendant vers [o], alors que le premier pouvait être situé en zone [œ] et le second en zone<br />

[o]. C’est dire qu’à moins d’une enquête de terrain village par village, les cartographies ne peuvent<br />

être qu’approximatives… et évolutives.<br />

Pour noter cette voyelle atone, le -e me semble s’imposer :<br />

– il représente directement la prononciation d’une bonne moitié du domaine;<br />

– il est également atone en français, ce qui évite les erreurs d’accentuation à la lecture, comme<br />

le faisait remarquer J.-M. Puyau;<br />

– il a été utilisé dès les premières chartes gasconnes;<br />

– comme par les premiers écrivains de la zone qui aujourd’hui prononce en [o] (Bertrand<br />

Larade, André Du Pré…);<br />

– il a été consacré par l’Escole Gastou Febus dans ses normes de 1905 : l’aygue, las arroses,<br />

que cante; la daune e la gouje…<br />

– et comme pour montrer que cela ne rebute pas les lecteurs de la zone “o”, La Nouvelle République<br />

des Pyrénées (Tarbes) du 28 décembre 2004 titrait un article « Passejade de la Saint<br />

Jean », ce que la majorité des locuteurs des Hautes-Pyrénées prononce [pase'2a*o].<br />

Le /e/ posttonique<br />

Née dans l’ouest gascon qui réalise ce /e/ en [œ/$], donc comme le produit du a posttonique,<br />

la graphie traditionnelle, maintenue par l’Escole Gastou Febus, le note de même par -e. Or l’est oppose<br />

les deux réalisations, [e] d’une part, [o] ou rarement [a] de l’autre (carte ci-dessus); mais<br />

l’ambivalence du graphème e n’était pas jadis un problème quand la langue était sur toutes les<br />

lèvres; visant néanmoins ceux qui « en dehors de notre pays […] s’intéressent à nos dialectes » (cf.


Jean <strong>Lafitte</strong> 313<br />

Écriture du gascon<br />

p. 136), Palay avait résolu le problème en notant un point sous le e : util".<br />

Or ce signe diacritique, sans valeur orthographique, est devenu indispensable de nos jours; de<br />

telle façon que son oubli par Palay — ou le typographe — dans le mot « carce » a abouti à la<br />

graphie *carça {prison} dans le Civadot dont les auteurs ne devaient guère user de ce mot recherché<br />

(on dit [pre'z,]) ni encore moins pratiquer le latin ‘carcer’. Plus grave encore, le “futur du<br />

passé” noté traditionnellement en -re a été transcrit en -re alors que la prononciation réelle est en<br />

[a/o/e] et appelle -ra en graphie classique, comme J. Allières l’avait bien vu dans l’ALG V, 1616 :<br />

vengora et 1684; (cf. J. Allières, 1997 et P. Bec, 2002).<br />

Mais ce point inférieur de l’alphabet des linguistes ne se trouve pas dans les polices utilisées<br />

couramment par les traitements de texte. Je propose donc le ë, caractère sans autre affectation en<br />

gascon (voir p. 332) :<br />

– il n’est pas inconnu en français, bien que résiduel : seulement après o et valant [e] ou [!]<br />

selon sa position : [e] dans canoë, foëner et foëneur, [!] dans noël, foëne et l’omniprésent Citroën<br />

(alors qu’existent les variantes foéner, foéneur et foène et qu’un e simple fait l’affaire dans coefficient<br />

et coexister [e] comme dans coercition [!]…);<br />

– il n’est pas non plus totalement nouveau en béarnais, puisque selon Louis Lacaze (Les imprimeurs<br />

et les libraires en Béarn, Pau, 1884) cité par R. Darrigrand (in Fondeville, 2002, p. 7), la<br />

première édition de la Pastorale de Fondeville de 1763 était intitulée :<br />

La /Pastourale/ deu/ Paysaà/ qui cèrque méstièè à son hilh, chens/ ne trouba à son<br />

grat./ Pèsse divértissénte et connègude èn Béarn,/ ainsi quë d’autës oubratgës deü medich<br />

authou. En qoate actes/ Per moussoû Fondeville de Lescar./<br />

Bien sûr, il aurait fallu écrire aussi « qoatë actës », mais ce précédent est sans équivoque.<br />

En syllabe finale, le e pourra donc revêtir cinq formes, e, ë, é, è et ê :<br />

2, toujours posttoniques, e et ë :<br />

counten ['kuntœn] ou ['kunton] ils comptent indicatif<br />

countën ['kuntœn] ou ['kunten] qu’ils comptent subjonctif<br />

3, toujours toniques, è, é et ê :<br />

countèn [kun't!n] ils comptèrent<br />

countén [kun'ten] content adjectif<br />

serên [se're] ou [se'r;"] serein (humidité du soir, rosée) (cf. p. 325).<br />

Révision du suffixe -amén généralisé par Palay<br />

Comme rappelé p. 249, le gascon a deux sortes de mots en -mén, correspondant aux mots<br />

français en -ment, tous de formation “savante” : des adverbes de manière dérivés d’un adjectif au<br />

féminin et des substantifs; lorsque le radical de ces derniers est un verbe en -a-, on aboutit à des<br />

mots de même allure que les adverbes : gauyousamén, cambiamén {joyeusement, changement}<br />

(voir Annexe XX).<br />

À l’instar des suffixes -adoù et -adé dont le a se réalise en [e] ou [´/Ø], Palay s’en est tenu à la<br />

notation du « a étymologique ». Ici, pourtant, la mutation vocalique est d’une autre nature, car elle<br />

affecte un a posttonique dont la réalisation se répartit dans l’espace comme celle du -e des mots<br />

simples tels que hemne {femme} ou arrose {rose} et non comme celle du a de -adoù et -adé.<br />

Palay aurait donc dû noter ce son par le e de hemne et arrose, donc écrire gauyousemén et


Jean <strong>Lafitte</strong> 314<br />

Écriture du gascon<br />

càmbiemén, en précisant que ce e se prononce comme le -e de ces mots féminins, donc [o] dans la<br />

presque moitié est du domaine, ce qui n’arrive jamais au a de -adoù et -adé. C’est ma proposition.<br />

Mais bien évidemment, resteront notés par -amén les quelques mots qui sont en -ament en<br />

français et qu’aujourd’hui le gascon prononce partout en [a] comme signalé dans l’Annexe : firmamén,<br />

ligamén, temperamén, testamén.<br />

Pour les deux douzaines de dérivés de substantifs en -emén évoqués dans l’Annexe, dont la<br />

prononciation s’aligne sur le français, il faut distinguer :<br />

– ceux qui se prononcent en -[a'men], qu’on continuera à écrire ainsi, sans problème; c’est le<br />

cas, à mon sens, de foundamentàu; sacramentàu, sacramentalemén, ou mieux, sacramentaumén;<br />

testamenta, testamentàri, testamentarimén, testamentè,-re;<br />

– ceux qui se prononcent en -[œ'men]; je ne vois d’autre solution que de les écrire en -ement-<br />

et de préciser dans les articles des dictionnaires que le e devant ment se prononce [œ]; il s’agit à<br />

mon sens de ournementa, ournementacioûn; parementa; parlementa, parlementàri, parlementè,-re;<br />

passementa, passementè, passementerie; reglementa, reglementàri, reglementarimén, reglementacioûn,<br />

reglementayrë; sacrementadou, sacrementàri, sacrementat,-ade.<br />

Enfin, on notera par ë le /e/ des adverbes dérivés d’adjectifs en -e dans les régions où ceux-ci<br />

sont épicènes (simplëmén [simple·men]) et pour les mots d’étymons en -e-, comme elëmén etc.<br />

Et la carte de la p. 312 suffira à régler la prononciation de ces -emén et -ëmén.<br />

Confirmation des suffixes -adou et -adé de Palay<br />

En revanche, on peut parfaitement conserver les graphies “englobantes” en -adoù et -adé de<br />

Palay pour les dérivés verbaux prononcés -[a'du] et -[a'de] à l’est et -[œ'du] et -[œ'de] ou -[ø'du] et<br />

-[ø'de] à l’ouest — sauf à supprimer l’accent grave de la première, donc -adou —; et ajouter la variante<br />

irréductible -aduy pour la région d’Arcachon et de Bazas; la carte ci-après situe géographi<br />

quement ces réalisations :


Jean <strong>Lafitte</strong> 315<br />

Écriture du gascon<br />

La voyelle e en “parler noir”<br />

La question du e en parler noir ayant été clarifiée au titre de la graphie classique (pp. 249-<br />

250), il est aisé de transposer les solutions en graphie moderne.<br />

Le -e remplaçant dans cette graphie le -a posttonique de la graphie classique, on n’a plus que<br />

e, é et è que le parler noir réalise ainsi : e et é toniques en [œ], è en [e], e prétonique en [ø], e posttonique<br />

en [œ/!]. Réciproquement, on notera :<br />

– [œ] tonique par e ou é dans les conditions habituelles : hemne {femme}, vedë {voir}, dén<br />

{dent}, servén {servant}, serpén {serpent}, tendén {cependant}, seberdén {surdent}, héns / hén<br />

{dans}, dehén {dedans, l’intérieur}, bastimén {bâtiment}, urousemén {heureusement}, etc.<br />

– [e] tonique par è : acèy {acier}, lèbë {lièvre}, vedèn {voyant}, bernat-pudèn {punaise des<br />

bois}, cregnènce {crainte}, paciènce {patience}, calhiuèt {petite cheville}, paloumèt {russule}, etc.<br />

– [e] prétonique de même, mais en mettant un accent sur la tonique pour lever toute ambigüité<br />

: acèyrà {aciérer}.<br />

– [ø] prétonique par e : le vertat {la vérité}, estau {maison}, servìci {service}, etc.<br />

Les voyelles nasales intérieures<br />

La chute du -n- intervocalique entraine une nette nasalisation de la voyelle qui le précède dans<br />

la zone grisée de la carte ci-dessous : nord du Béarn et jusqu’à la pointe de la Bigorre (Labatut-<br />

Rivière pour un seul mot, plêa, ALG IV, 1345 “remplir”; mais ce point a été rajouté pour le volume<br />

IV — l’enquêteur principal X. Ravier est né à 5 km de là —, de telle sorte qu’on ne peut tirer de<br />

conclusion négative pour les autres mots étudiés). Ailleurs, cette nasalisation a dû logiquement exister<br />

39 , mais a fini par disparaitre totalement.<br />

L’Application… avait prévu le rappel généralisé de la chute du -n- dans le groupe final -ia par<br />

un accent aigu sur le í :<br />

« La finale -ia […] portera un accent sur le premier élément (-ía) chaque fois qu’il<br />

s’agira d’une diphtongue formée après la chute d’un n intervocalique; on la distinguera<br />

39 Cf. Bec (1968), I, pp. 37-48.


Jean <strong>Lafitte</strong> 316<br />

Écriture du gascon<br />

ainsi de la finale -ia primaire : haría, vesía, amía (langued. : farina, vesina, amena) à côté<br />

de : espia, sia, dia, poësia. »<br />

Outre qu’il s’agit d’une diérèse et non d’une « diphtongue », on remarque qu’il n’est fait aucune<br />

allusion à une quelconque nasalisation rémanente, ce qui explique sans doute que rien ne soit<br />

prévu pour les autres voyelles; en revanche, l’institution d’accents diacritiques par l’alinéa suivant<br />

pour éviter de « prêter à confusion, surtout aux yeux des non-<strong>Gascon</strong>s » laisse penser que ce -ía<br />

n’avait pas d’autre but. Quoi qu’il en soit, ignorant semble-t-il l’origine de cette notation, les auteurs<br />

du Civadot (cf. p. 161) l’ont abandonnée en 1984 avec l’explication suivante :<br />

« 4. — Faut-il écrire : cosia ou cosía ?<br />

« L’habitude s’était prise en Béarn d’écrire avec un accent aigü sur le i (í), les mots haria,<br />

cosia, vesia, garia, etc. L’accent aigü indiquant la chute d’un n « intervocalique » et la<br />

persistance d’une prononciation nasillée. Nous avons décidé de ne pas mettre cet accent.<br />

Deux raisons : la première c’est qu’il se serait agi d’une graphie très locale car la prononciation<br />

nasalisée de ce í n’existe guère qu’en Béarn; la seconde, c’est que, pour être conséquents,<br />

il nous aurait fallu mettre le même accent sur bien d’autres mots présentant la<br />

chute du n « intervocalique » (ua, lua…). » (p. 21).<br />

Et M. Grosclaude a maintenu cet abandon, avec la même explication, dans le Dictionnaire<br />

français-occitan (gascon) qu’il a préparé avec G. Narioo (Avant-propos, p. 32, § 6).<br />

En revanche, dans leur Dictionnaire français-béarnais, MM. Moreux et Puyau (2002) ont entendu<br />

noter par un accent circonflexe les voyelles nasales, mais seulement « en syllabe dominante »,<br />

c’est-à-dire tonique; donc harîe, “farine”, mais aussi hê, “foin”.<br />

Pourtant, curieusement, une “remarque” ajoute : « Pour les é et è nasalisés, comme on ne peut<br />

mettre deux accents sur la même voyelle, il faut choisir de transcrire soit la nasalisation (hê, aberoê)<br />

soit le timbre (hé, aberoè) »; or aberoè n’a jamais eu de -è nasalisé, puisqu’il s’agit du suffixe issu<br />

de ‘-ariu’; et je ne vois pas de mot gascon achevé par un [


Jean <strong>Lafitte</strong> 317<br />

Écriture du gascon<br />

a nasalisé : ALG I, 113, “noisette; noisetier”, aurâè; II, 305, “grenier”, grâè. — Dictionnaire :<br />

*aberaê (è), *graê (è);<br />

e nasalisé : ALG I, 149, “résine”, arrousêe; II, 341, “faner”, hêya; III, 602, “échine”, rêe; 668,<br />

“chaux”, causêe; 1086, “pleine”, plêe; IV, 1345, “remplir”, plêa. — Dictionnaire : arrousêe, bêe,<br />

causêe, *empleâ, *estreâ, lendêe, *pleâ, rousêe;<br />

i nasalisé : ALG I, 149, “résine”, arrousîe; III, 602, “échine”, esquîe; 668, “chaux”, caucîe;<br />

974, “farine”, harîe; 993, “voisine”, besîe; IV, 1345, “remplir”, plîa; 1584, “mener”, mîa. — Dictionnaire<br />

: *acounziâ-s-en, *arremouliâ, arrousîe, bacîe, *bequiâ, besîe, causîe, cousîe, empliâ,<br />

esquîe, *gariât, garîe, harîe, *hiâ, *miâ, parguîe, *pliâ, rousîe, *saliê (è);<br />

ou nasalisé : ALG I, 6 “taupinière”, bouhoûère; 113, “noisette; noisetier”, augroûa; auroûè,<br />

aberoûè, aberoûère; IV, 1226 “émoussé”, esmouxoûat. — Dictionnaire : *aberoê (è), *aberoêre<br />

(dén) (è), *ahitoâ, *arristoâ, *ayulhoâ-s, *boutoâ, *broutoâ, *cammaysoê (è), *carboâ, *carboâde,<br />

*cussoât,-âde, *desapicoâ, *desgroâ, *despicoâ, *deyoâ, *esdeyoâ, *esgroâ, *garrapoâ,* picoâ,<br />

*soâ, *tapoâ, toûe (la);<br />

u nasalisé : ALG III, 1010 “lune”, lûe. — Dictionnaire : *deyuâ, *esdeyuâ, eslûère,* pruê (è).<br />

Mais l’ALG n’a relevé aucune trace de nasalisation dans les cartes VI, 2491 à 2493 “une”; ni<br />

a fortiori dans la carte III, 768 “panier”, la forme paè étant inconnue dans la zone qui nasalise.<br />

On peut remarquer que le report de l’accent circonflexe sur le a tonique final n’est pas limité a<br />

la « séquence oa », puisqu’on le trouve avec e (estreâ), i (acounziâ-s-en), et u (deyuâ). Et eslûère<br />

est un heureux hapax qui transgresse le lien entre accent circonflexe et syllabe tonique et permet<br />

une lecture parfaite [esl.'!r$/o]. Mais ce mot supposerait lûe et *pruê, prûe.<br />

Finalement, cela nous pose trois questions :<br />

– peut-on ignorer un traitement phonétique tout à fait normal en gascon et conservé dans une<br />

zone réduite, mais non négligeable ? Je ne le pense pas, d’autant que l’aire du phénomène est aussi<br />

celle où s’est développé le béarnais “classique” qu’adoptèrent la plupart des Félibres de l’Escole<br />

Gastou Febus tout comme M. Grosclaude dans sa méthode Lo gascon lèu e plan (1977). Mais il<br />

convient de ne pas en limiter la reconnaissance à la seule voyelle i.<br />

– si l’on accepte de le noter, comment le faire ? L’accent aigu ne peut convenir, car il marque<br />

une syllabe tonique, ce qui n’est pas le cas pour un nombre important de mots. L’accent circonflexe<br />

peut convenir, à condition de ne jamais en faire une marque de tonicité, ce qui est parfaitement réalisable<br />

en graphie classique comme en graphie moderne. À cet égard, il convient de rappeler que ce<br />

fut le choix de Salette, dont témoigne cette liste tirée de Darrigrand (1983, p. 275), les “fractions”<br />

indiquant le n° du Psaume et celui du verset : « amirôaá, 18/1; carbôéra, 21/9; dejûaá, 35/6; emberêadas,<br />

64/3; emplêaá, 69/10; plêa, 73/11; arrêa, 69/10; lûa, 72/3; arêa, 78/14; grâolhas, 78/23;<br />

sôaá, 92/2; matîada, 92/1 ». Et c’est aussi le choix occasionnel de P. Bec (1968, I, p. 40) qui écrit<br />

lûa comme aboutissement final de l’évolution phonétique supposée à partir de ‘luna’ latin.<br />

– faut-il pour autant en faire la graphie “normale” de ces mots ? Non, si l’on considère qu’il<br />

s’agit d’un phénomène d’aire réduite dans le domaine; c’est une variante, pour la zone qui nasalise,<br />

comme le -u- intervocalique en est une pour celle qui le prononce [w]. Mais peut-être bien que oui,<br />

si l’on considère que de noter la perte du -n- peut être un clin d’œil de reconnaissance pour les <strong>Gascon</strong>s<br />

dégasconisés aussi bien que pour les non-<strong>Gascon</strong>s.<br />

L’exemple de Salette, celui fugace de P. Bec, et l’heureuse initiative de MM. Moreux et


Jean <strong>Lafitte</strong> 318<br />

Écriture du gascon<br />

Puyau me conduisent donc à proposer ceci : que la nasalisation de la voyelle précédent un n intervocalique<br />

amuï soit effective ou qu’elle ait disparu, on marque la voyelle par un accent circonflexe,<br />

sans effet sur la place de l’accent tonique ni sur l’ouverture du ê; ce marquage systématique se justifie<br />

par le souci d’unité du gascon et aussi par celui de faciliter l’intelligence du mot pour les <strong>Gascon</strong>s<br />

dégasconisés et les non-<strong>Gascon</strong>s.<br />

Autres problèmes de voyelles<br />

Les promoteurs de la graphie moderne ne poursuivant pas d’autre but que d’écrire pour être<br />

lus le plus facilement possible sans se couper pour autant des traditions, les autres améliorations à<br />

l’écriture des voyelles proposées au chapitre précédent s’avèrent inutiles en graphie moderne.<br />

Ainsi, l’article défini féminin prononcé [lø] a toujours été écrit le; les futurs et conditionnels<br />

des verbes en -a prononcés [e] ou [œ/ø] ont été écrits par e : que canterèy, que canteri.<br />

Et dans les autres cas de mutation en [e] ou [œ/ø] d’un a étymologique prétonique, pas de<br />

problème, puisque la graphie moderne les a toujours notés par e.<br />

Un mot toutefois de l’y voyelle : comme la graphie classique, la graphie moderne ne l’utilise<br />

pas : la fisique; las Pirenées. Une exception : le pronom/adverbe y, qui est aussi conjonction “et” en<br />

Aspe et Barétous : Toque y se gauses {Touches-y si tu oses, devise des vicomtes de Foix-Béarn}.<br />

Eth pay y ’ra may {le père et la mère}. On le rencontre aussi dans le parler d’Aire, mais là, seulement,<br />

et pas toujours, devant un mot commençant par e : plume y estoupe (plume et étoupe). Cet<br />

usage remonte aux plus anciens textes, peut-être pour donner plus de visibilité à ce monographème.<br />

En outre, le fait que lui corresponde j dans certains parlers (Ossau, Aire…) justifie sa notation par<br />

y : que y a ? devient que j’a ? {qu’y a-t-il ?}.<br />

IV – Les diphtongues<br />

Paradoxalement, c’est la graphie moderne qui a conservé la notation médiévale des diphtongues<br />

gasconnes, non seulement oe ou oè pour [we/w!] et goa pour [gwa] que je propose de<br />

rétablir en graphie classique (cf. p. 251), mais aussi quoa pour [kwa] et l’y pour glide de ay, ey etc. :<br />

hoec, encoèra, goari, pay, meysoûn, ley, que serèy, beroy, la nuyt (Landes).<br />

Elle a néanmoins innové pour [wi], et sans le secours des règles, car avant même 1900, les<br />

écrivains le notaient oui, notamment pour les gallicismes oui {=}, seul employé dans le cadre du<br />

vouvoiement, reyoui {réjouir} et ses composés (p. ex. Eugène Larroque, Noces de village, 1895, p.<br />

13). Pourtant, les règles de 1900, puis de 1905, n’ont envisagé que [wa] et [we] (règles n° 14 puis<br />

n° 16) écrits oa et oe; il est vrai que noter [wi] par oi aurait provoqué trop de lectures en [wa], à la<br />

française, et oui aurait dû être officialisé; mais ne rien dire n’était pas très courageux, alors qu’en<br />

1905, la diérèse de oui était signalée en note, suggérant l’usage du tréma; on y reviendra, p. 332.<br />

Le /w/ intervocalique<br />

V – Les phonèmes semi-consonantiques<br />

Noté par u dès les règles de 1905 (cf. p. 125), le /w/ intervocalique ne pose aucun problème en<br />

graphie moderne : on continuera à le noter par -u-, comme en graphie classique d’ailleurs.


Jean <strong>Lafitte</strong> 319<br />

Écriture du gascon<br />

Le yod semi-consonne initial, postconsonantique ou intervocalique : y ou j ?<br />

Les normes de l’Escole Gastou Febus de 1900 puis de 1905 prévoyaient j là ou l’on dit [2] et<br />

y en Béarn qui dit [j], donc sans rechercher une “graphie englobante”. Pourtant, Palay avait donné<br />

sa préférence à la notation par j sur le y, sauf pour les mots censés n’exister que dans des endroits<br />

où la prononciation par [j] justifiait la graphie particulière y. Rappelant ce choix de Palay p. 254,<br />

j’ai finalement montré que j ne pouvait être graphie englobante couvrant les deux prononciations, et<br />

que les principes mêmes de la graphie classique voulaient j pour ce qui se dit [2] et y pour ce qui se<br />

dit [j]. Il en est a fortiori de même en graphie moderne, et il faut en rester aux règles de 1900-1905.<br />

/%/ devant e, i : g ou j ?<br />

VI – Les phonèmes consonantiques palatalisés<br />

La question ne semble pas avoir effleuré les auteurs des normes de l’Escole Gastou Febus..<br />

Chez Alibert, qui se réfère sans cesse à l’étymologie pour noter [s] par c ou ss, il n’en est plus<br />

question — ou presque — pour noter [2] ou [j] : ce sera g devant e et i, j partout ailleurs : getar <<br />

‘jactare’, màger < ‘major’, jòia < ‘gaudium’ etc. D’où des alternances dans les paradigmes verbaux<br />

: que mingi, que minjas, etc. Mais à la différence des Italiens, *Gèsus lui a paru trop audacieux,<br />

d’où Jèsus, et toutes sortes de mots dits savants, comme majestat opposé à màger, injeccion<br />

à getar etc. Ce qui aurait pu être simple finit encore par être compliqué !<br />

Palay, lui, a usé du g et du j devant e et i, mais il ne semble pas avoir eu de doctrine très sûre :<br />

« Devant e et i, […] dans la majorité des cas, nous avons respecté la tradition relativement<br />

à l’emploi du g étymologique; on ne devra pourtant pas être surpris si de nombreuses<br />

exceptions sont faites, pour plus de simplicité, à cette règle. » (Dic., p. XI)<br />

On ne voit pas où est la simplicité, quand on se donne une règle, puis quand on l’écarte lorsque<br />

l’occasion se présente, sans dire pourquoi; c’est encore plus flou que la référence d’Alibert au<br />

caractère “savant” du mot.<br />

Le principe de la graphie étant phonétique, j’estime donc que j doit être la règle pour [2], mais<br />

que dans le même esprit qui fait choisir entre c et ss selon l’étymologie, on lui substituera g lorsque<br />

l’étymologie en g est évidente, ou, en onomastique, lorsque la tradition l’a solidement établi : ‘gens’<br />

> la gen, lous gendarmes, lou generau, lous gentius…; ‘agere’ > agen, agéncie…; ‘regere’ > lou<br />

regen, lou regimen… Donc minja : que minji, que minjes… que minjam, que minjat(z)… Et bien<br />

sûr ‘Aginnum’ > Agen, mais aussi le Gers, quoique sans étymon certain en G-.<br />

Écrire /*/ : nh ou gn ?<br />

Parlant d’Arnaud de Salette, M. Grosclaude (1983, p. 297) a cru pouvoir dire : « contrairement<br />

à la tradition constante de l’écrit occitan et béarnais, il graphie le son de “n mouillé” avec le<br />

digraphe français GN et non nh. ». C’était ignorer notamment la Charte de Herrère de 1278 qu’il<br />

citait pourtant quatre pages plus haut et dont on reparlera bientôt.<br />

Il est exact, pourtant, que nh a été très employé par l’ancienne langue gasconne et béarnaise.<br />

Cela ne posait pas de problème quand le son [h] était noté par le f étymologique latin (fite {borne,<br />

limite} prononcé hite), alors que seuls quelques mots savants avaient gardé la prononciation latine<br />

en f (familhe, fe {foi}, foo {for}…). Donc [enhur·na] {enfourner} s’écrivait enforna(r), sans confusion<br />

possible. Mais aujourd’hui, on est obligé d’écrire le h distinct du f : hemne {femme}, mais


Jean <strong>Lafitte</strong> 320<br />

Écriture du gascon<br />

familhe; donc enhourna risque fort d’être lu “egnourna”. Certes, en graphie classique, L’application…<br />

a prévu que le gascon, seul à posséder des h que l’on prononce, insèrerait un point entre n et<br />

h : en.hornar. Mais ce n’est que du replâtrage dans un système conçu sans penser au gascon, et ce<br />

« point intérieur » perturbe tous les tris alphabétiques des programmes informatiques courants.<br />

C’est donc en tenant compte de ce problème que dès 1900, conseillés par le grand romaniste<br />

Édouard Bourciez, les Félibres de l’Escole Gastou Febus ont préféré gn : aragne {araignée}, besougn<br />

{besoin}… De même, le Pr. Henri Gavel (cf. p. 142) reconnaissait que « la question de la<br />

transcription de l’n mouillée est une de celles où la sagesse commande de ne pas chercher une unité<br />

absolue. » (1942, p. 15) et concluait au maintien de gn en gascon (ib. p. 31).<br />

Était-ce là du “succursalisme” français ? Pas du tout, car s’il est un son qui a connu dans<br />

toutes les langues romanes une grande variété de notations, c’est bien celui-ci : ñ en castillan, ny en<br />

catalan, nh en portugais et en occitan, gn en français et en italien… Cela tient au fait qu’ont convergé<br />

sur ce son diverses combinaisons latines : gn dans agnus, ni dans senior, ne + voyelle dans<br />

vinea et que toutes ces combinaisons ont servi dans les langues romanes, jusqu’à ce que l’une<br />

l’emporte, et pas partout la même !<br />

Ainsi, en béarnais, nous avons le témoignage de la Charte de Herrère, un des six textes les<br />

plus anciens dont nous ayons l’original (Cheronnet, 1978); dans ce texte daté du 21 novembre 1278,<br />

on peut lire segnor (33 occurrences), seignor, segner (3 occ.), compagna (2 occ.), compagnie,<br />

pegneras, pegneres, pegnerar, bigne et segnau.<br />

Voici encore quelques témoignages bigourdans pris dans des extraits du Cartulaire de<br />

Bigorre présentés, dans la revue Pyrénées (n° 212 du 4 ème trimestre 2002, pp. 409 et 406) par X.<br />

Ravier, qui en prépare l’édition critique : dans la pièce LVII, datée vers 1114, lignage et segnor (4<br />

occ.); dans celle qui dans l’édition portera le n° LXXII, brève charte de 1256, Agnes, Segnor et<br />

Mosegner, mais aussi senhor, Domenhe et linhadge.<br />

M. Grosclaude en avait pris conscience, car trois ans après sa communication du Colloque<br />

Salette, il devait donner une vision tout à fait correcte de ces faits d’écriture. Dans son ouvrage de<br />

1986, p. 19, il s’appuie sur la Charte de Herrère (qu’il date il est vrai de 1290, au lieu de l’exact<br />

1278 noté p. 8), et conclut sans ambages :<br />

« Est-il bien nécessaire de préciser qu’il serait puéril d’attribuer la graphie gn de ['] à<br />

l’influence du français, au 13° s ? Il s’agit tout simplement de l’adoption toute naturelle de<br />

la graphie latine étymologique. »<br />

Aujourd’hui donc, pour les raisons retenues par H. Gavel, mais aussi parce que l’identité de<br />

graphème avec le français que chacun sait lire et écrire est un avantage décisif, je conclus pour le<br />

maintien de gn en graphie moderne.<br />

Se pose il est vrai le problème de la lecture de la quinzaine de mots que Palay note par -gn- en<br />

précisant qu’on doit les prononcer par g-n : clignà {incliner}, variante de clinà, endign" {indigne}<br />

(mais, curieusement, ni dign" ni ses dérivés directs), estagnà {stagner}, regnà {régner} (mais « on<br />

prononce aussi ren-nà »), sangnà {saigner} (« que l’on prononce [aussi] san-nà »); et sangnère<br />

{grande effusion de sang; tuerie}, variante de sannère; et enfin sìgn" et toute sa famille : signà<br />

{signer}, variante de sinnà, assignà {assigner}, counsignà {consigner} et counsigne, ensìgne<br />

{signe, marque} et enter-signà {échanger des signatures}.


Jean <strong>Lafitte</strong> 321<br />

Écriture du gascon<br />

Mais l’existence des variantes en -nn-, témoins de la tendance naturelle à assimiler [gn] en<br />

[nn], et le silence sur la prononciation de dign", et de bien d’autres mots en -gn-, laisse penser que<br />

la tendance lourde de la langue est de prononcer ces mots à la française, donc par [']. Je ne pense<br />

pas qu’il faille s’en préoccuper plus que Palay ne le fit : on continuera à les écrire par -gn- en rappelant<br />

qu’ils se prononcent par [gn], tout comme le font les lexicographes français pour agnostique,<br />

stagnant, stagnation, stagner etc.<br />

Le /'/ et la consonne réalisée par [', & ou tj] selon les lieux<br />

Le schéma de la p. 260 montre la grande complexité des sons palatalisés, issus de phonèmes<br />

latins ou français (mots d’emprunts) dans un grand enchevêtrement d’origines et de convergences.<br />

La graphie moderne n’a pas plus de recette que la graphie classique pour les noter simplement.<br />

La graphie fébusienne a utilisé le ch français pour noter tous les /#/, mais a dû recourir à tch et<br />

th pour noter /0/ et /tj/. L’avantage est une lecture immédiate des deux premiers; mais le gros inconvénient<br />

est qu’un même mot sera noté de trois façons différentes sur le domaine, même si Palay<br />

a donné la préférence à ch : picharre, pitcharre et pitharre {dame-jane} (cf. Palay, v° th.).<br />

Comme pour Palay, donc, comme pour la graphie classique, ch me parait la moins mauvaise<br />

solution, pourvu évidemment que cette graphie soit véritablement englobante, c’est-à-dire se réalise<br />

géographiquement suivant les zones de la carte de la p. 263.<br />

Et pour ce qui est [#] même dans les zones en [0] ou [tj], c’est encore x que je préconise, sans<br />

i ni y muet pour le précéder, avec le même corollaire de remplacer x par sa valeur phonétique dans<br />

ses autres usages actuels (p. 283) : xens {sans}, dexa {laisser}, que counex {il connait}; pex ou peyx<br />

{poisson}, selon que l’on prononce [pe#] ou [pe"#].<br />

Malgré mon souci d’éviter les conventions d’écriture et de lecture trop éloignées de celles du<br />

français, aucune autre solution ne me parait préférable : choisi pour sa valeur englobante qui n’est<br />

pas un avantage négligeable pour l’unité de la langue, ch a trois valeurs selon les zones; sh, facile à<br />

lire, certes, rompt avec la tradition millénaire et la parenté avec le catalan et le portugais, pour ne<br />

pas dire avec le basque qui a pris le x au gascon ou à l’ancien castillan; et il pose le problème des<br />

mots où sh se lit [sh], donc l’échappatoire du point intérieur. Je mise donc sur l’intelligence des<br />

<strong>Gascon</strong>s et leur attachement à la tradition, eux qui lisent sans problème apparent les toponymes Mirepeix<br />

ou Azereix, le titre du roman d’Éric Gonzalès Arantxa, et tout récemment, le nom Xarnege<br />

d’un groupe de chanteurs que présente País gascons (n° 225, 1-2/2005, pp. 18-20).<br />

Au demeurant, Lespy nous donne au mot GRÈUCHE {grenouille} deux vers du poète béarnais<br />

Narcisse Laborde (1835-1885) où s’opposent ch à réalisations variables [#, 0 ou tj] et (i)x valant<br />

uniquement [#] : « L’u prefère a l’angèle, au peix, Grèuche ou sèrp que l’aute espudeix. L’un<br />

préfère à l’anguille, au poisson, Grenouille ou serpent, que l’autre repousse de dégoût. »<br />

/es'/ ou /e''/ : faut-il une notation particulière ?<br />

Au mot echalà, Palay écrit : « C. eschalà. (*) », l’astérisque renvoyant à la note suivante :<br />

« Certaines régions en Big[orre], G[ers] et L[andes] irrégulièrement réparties,<br />

d’ailleurs — Aire, Aucun, Samatan, etc. — élident s dans les mots qui, ailleurs, possèdent<br />

le préfixe es; considérant cette suppression de s comme une exception, nous prions qu’on<br />

se reporte, pour les mots où elle pourrait exister, aux mots-types commençant par es. »<br />

De fait, il ne donne que 29 entrées en ech- lu [e#], dont 18 peuvent être considérées comme


Jean <strong>Lafitte</strong> 322<br />

Écriture du gascon<br />

des variantes de esch-, et c’est près de 300 entrées qu’on trouve plus loin en esch- lu [es#], un bon<br />

nombre présentant des variantes en ech- non mentionnées à leur place alphabétique. La « forme<br />

grammaticale régulière » est donc pour Palay celle en esch-, l’autre, une dérivée :<br />

« es — En de nombreux lieux gascons, répartis de çà, de là, s tombe seulement<br />

devant la chuintante: echemià = eschemià, et devant la spirante : efourçà = esfourçà. Ces<br />

diverses formes phonétiques, sauf exception, dans le Dictionnaire, sont ramenées à la<br />

forme grammaticale régulière es. »<br />

Mais ce point de vue exprimé dès l’édition de 1932 est démenti par les enquêtes de l’ALG effectuées<br />

à peine quelque 20 ans plus tard. En effet, ce n’est guère que dans la moitié est du Béarn<br />

que l’on retrouve les prononciations en [e##], parfois en 1 ou 2 points seulement, plus quelques<br />

points sporadiques dans le Gers ou la Bigorre : I, 53 “courtilière”, [e#'#arro] (1 point); II, 312<br />

“houe”, [e#'#at/-a*o] (2 points); 447 “essaim”, [[e]#'#ami/-m


Jean <strong>Lafitte</strong> 323<br />

Écriture du gascon<br />

prononcer ou à écrire v à la place de b. Le durcissement du v en b est le fait le plus caractéristique<br />

de l’évolution de notre parler et il est témoigné par les écrits les plus anciens.<br />

Adopter le v serait défigurer et trahir notre langue. Au moment où elle est tant menacée,<br />

nous ne pouvons le faire. »<br />

Gavel a raison d’estimer que l’unité du gascon écrit n’a pas besoin de distinguer v de b,<br />

comme c’est le cas du languedocien. Sarrail est plus sujet à caution; emporté par la passion, sans<br />

doute par réaction au mépris des “normalisateurs” pour les félibres et leur graphie, il redoute une<br />

obligation tout à fait invraisemblable et confond écriture et parole : les Espagnols écrivent v et prononcent<br />

comme b, pourquoi pas leurs voisins <strong>Gascon</strong>s ? Les Anciens ont usé d’une lettre que les<br />

éditeurs notent par un v moderne, mais qui devait bien souvent se prononcer [w] entre voyelles,<br />

même en Béarn; et si la prononciation en [!] est un trait du gascon, il est vraisemblable qu’elle n’est<br />

pas première entre voyelles, ayant remplacé un [w] primitif (<strong>Lafitte</strong>, 2003-1).<br />

Quoi qu’il en soit, plus de soixante ans après Gavel et vingt-cinq après Sarrail, la langue est<br />

devenue trop peu familière à la plupart pour que la distinction entre v et b à l’écrit ne puisse les<br />

aider à la compréhension, comme bien d’autres choix graphiques. Car si elle complique l’acte<br />

d’écriture, elle représente le plus souvent un repère “idéographique” non négligeable : vaque rappelle<br />

mieux “vache” que baque; et pour la prononciation de v en [!], la familiarité assez générale<br />

des <strong>Gascon</strong>s avec l’espagnol devrait la faciliter : ce n’est pas sur v = [!] que trébuchent ceux qui<br />

lisent aujourd’hui la graphie classique. Au demeurant, cette opposition d’après l’étymologie est du<br />

même ordre que celle de c ou ç à s ou ss déjà admise par l’Escole Gastou Febus et, avantage secondaire<br />

mais non négligeable, elle peut faciliter la lecture du gascon par les habitués d’autres langues<br />

d’oc qui font cette distinction.<br />

Le son /h/<br />

Je recommande donc d’opposer v à b dans les mêmes conditions qu’en graphie classique.<br />

La graphie moderne du gascon a connu les hésitations de l’Escole Gastou Febus sur la notation<br />

de h muets étymologiques (cf. pp. 122 et 124). Mais Palay a complètement écarté cette notation<br />

dans son Dic., au moins en principe (cf. p. 138). Il a en effet écrit les interjections ah !, eh/èh ! et<br />

oh !, réminiscences probables du français. Évidemment, ces -h muets sont à supprimer, comme en<br />

graphie classique (p. 269).<br />

Faut-il noter le h initial amuï devant r ou l ?<br />

La notation par un accent circonflexe des voyelles intérieures nasalisées, même dans les zones<br />

où elles ne le sont plus, répond à un souci de faciliter l’intelligence des mots aux <strong>Gascon</strong>s dégasconisés<br />

et aux non-<strong>Gascon</strong>s (p. 315). Cette même préoccupation me conduit à examiner un autre cas<br />

de notation exceptionnelle de lettres amuïes.<br />

On sait en effet que les mots latins commençant par fr- ou fl- ont abouti à des mots gascons en<br />

r- et l- : ‘formaticu’ > ‘fromaticu’ > [rru'madje]; ‘flagellu’ > [la'j!t]. Écrits roumadgë et lagèth, ces<br />

deux mots sont certainement moins parlants à quelqu’un qui ne pratique pas le gascon couramment<br />

que hroumadgë et hlagèth, car on sait vite que le h gascon correspond très généralement à un f en<br />

français ou dans une autre langue d’oc.<br />

Or sur ce point, nous avons l’exemple de Palay; non pas qu’il ait opté pour une notation systématique<br />

de ce h-, mais parce qu’il l’a admis pour six mots en hl- (hlàcà, hlamà, hlamìsso, hlàyro,


Jean <strong>Lafitte</strong> 324<br />

Écriture du gascon<br />

hlou et hlourì, v° eslourì), huit entrées en hr- (hrèb", hrebè, hroudyo ou hrùdy", hroumén, hroumigue,<br />

hrust et hrut), plus, dans le Supplément posthume, hraquèro, pris chez Ader, trois autres mots<br />

en variante d’entrées en fr- (hrèchou, hrute et hrut) et enfin, en corps de mot, ahrountà, ahroundà<br />

(v° arrountà).<br />

En fait, il s’agit là de h- qu’on entend en certains lieux, comme l’explique Palay aux préambules<br />

des lettres H et R :<br />

« Dans quelques parlers béarnais et gascons, l’h provenant de f a disparu, au commencement<br />

des mots, lorsqu’elle était suivie d’un r : ray = hray, rèchou = hrèchou,<br />

roumàdj" = hroumàdje, etc., […].<br />

« […] Dans d’autres mots, l’r initiale provient du fr, par l’intermédiaire d’un stade<br />

hr, encore perceptible dans les parlers de la Haute-Bigorre; ex. : ret, froid (latin, frigidum);<br />

hret, herét en Hte-Bigorre; fret dans le Gers et en Basse-Bigorre. »<br />

Néanmoins, qu’on l’entende ou non, ce h- est une aide à la reconnaissance visuelle du mot, et<br />

j’estime qu’l vaut mieux l’écrire systématiquement, qu’on l’entende ou non.<br />

Le son /k/<br />

Devant e et i, ce phonème s’écrit par par qu, devant a et o par c, ou pour quelques mots, par<br />

qu d’après l’étymologie; c’est comme en graphie classique, et je renvoie aux p. 269 à 272, étant observé<br />

cependant que plutôt que d’abuser de qu étymologique, les auteurs en graphie moderne lui ont<br />

souvent préféré le c, comme dans cauque {quelque}; Séguy lui-même a écrit quaucun, quaucòm,<br />

quaucarren, quauca causa (ALG VI, 2071) en graphie classique (cf. p. 150).<br />

Pour [kwa] dans ces mêmes mots, nous avons quoa depuis des siècles : quoan, quoate…<br />

En finale, [k] est la prononciation courante du -g étymologique, que ce soit après voyelle ou<br />

après consonne (en fait, n ou r) : ‘fagu’ > hag {hêtre} prononcé [hac] en Béarn (ALG I, 152);<br />

‘longus’ > loung {long} [l,nk]; ‘largus’ > larg {large} [lark]. Après voyelle, ce -g aboutit aussi à<br />

[0] en certains lieux, Haut-Comminges et Couserans notamment; donc hag s’y lit [ha0]. Il y a donc<br />

lieu de conserver le -g à l’écrit, c’est dans ce cas une bonne “graphie englobante”.<br />

Mais ce -g étymologique est difficile à repérer; seule une dérivation en [j] ou [2] peut donner<br />

des quasi certitudes sur ce point : hag > hayede ou hagede {hêtraie}. Alors que le Palay compte<br />

nombre de mots en -g d’étymologie inconnue ou dont le -g ne peut être dû qu’à une dérivation en<br />

[5] : remplég {remploi} à cause de remplega {remployer}, mais l’étymon ‘re + implicare’ est en c;<br />

encarg {charge, imputation} à cause de encarga {imputer} < ‘in + carricare’. Donc, dans tous les<br />

cas, si l’étymon est incertain, on notera le /k/ final par -c.<br />

Enfin, comme Sarrail (1980, p. 49), je ne vois pas pourquoi exclure un usage limité du k :<br />

« Pour le k, banni, c’est autre chose. Comment allons-nous écrire les mots comme<br />

kilo (et ses composés), kangourou, kiste et tant de mots d’origine étrangère ou savante ? Le<br />

dictionnaire de Palay ne le dit pas. Nous sommes donc obligés de réhabiliter le k, qu’on le<br />

veuille ou non. »<br />

Le n “caduc”, de Ø à [#] en gascon<br />

On a vu pp. 273 à 276 que le latin a légué au gascon deux sortes de -n en finale : le plus<br />

fréquent, c’est un -n dit caduc, car s’il se vélarise en ["] dans une grande partie du domaine en nasalisant<br />

la voyelle précédente, un peu comme en provençal, il s’amuït ailleurs, comme en languedocien,<br />

tout en nasalisant plus ou moins la voyelle, voire en la nasillant, dans l’ouest du Béarn, ce qui


Jean <strong>Lafitte</strong> 325<br />

Écriture du gascon<br />

dessine 5 zones principales dans le domaine (cf. p. 273 et carte schématique ci-dessous); plus rare<br />

est un /n/ dental, généralement issu d’un étymon en -nn-, -nt- ou -nd-. Et l’on a vu comment la<br />

graphie classique pouvait opposer visuellement ces deux -n dans le cadre de son grand principe de<br />

rétablissement des consonnes étymologiques amuïes en finale.<br />

En graphie moderne, les règles de l’Escole Gastou Febus ont assez mal traité le problème;<br />

Palay s’en tirait bien pour les zones 3 et 4, en n’écrivant pas le -n et en marquant la voyelle d’un<br />

accent circonflexe, sauf pour le e : lou hé, et non lou hê; mais pour le reste du domaine, lorsqu’un<br />

mot lui était propre, Palay le notait par -n, sans plus, tout comme lorsque le -n est dental.<br />

La situation de la langue ne permet plus cette ambigüité; je propose donc de noter partout<br />

l’accent circonflexe sur la voyelle devant le “-n caduc”; ainsi, l’absence d’accent circonflexe signale<br />

visuellement un -n dental : lou pan {pan (de mur)} [lu pan] s’oppose à lou pâ(n) {le pain} [lu<br />

p: ou lu p:"]. Cela s’applique aussi au ê, qui sera toujours fermé [e] et plus ou moins nasalisé [;] :<br />

serên [se're] ou [se'r;"] {serein, humidité du soir}.<br />

Faut-il aller plus loin et noter toujours le -n caduc, même muet, comme le fait la graphie classique<br />

? On sait que les troubadours et les scribes médiévaux ne l’écrivaient que lorsqu’il s’entendait<br />

— d’où le qualificatif de “caduc” — et que les Catalans ne l’écrivent pas au singulier où il est muet.<br />

C’est la solution de l’Escole Gastou Febus depuis plus de 100 ans, consacrée par l’irremplaçable<br />

Palay. Et cela résout le problème, marginal il est vrai, des mots à -n caduc muet dans les zones 1<br />

(girondine) et 2 (lomagnole) tandis que d’autres sont vélarisés, selon les mots (cf. p. 274).<br />

Mais cela crée deux graphies pour les mêmes mots, qui partagent le domaine en deux grands<br />

ensembles. Alors, on peut raisonner de deux façons contradictoires :<br />

– au plan théorique : puisqu’on a déjà les oppositions irréductibles v/u et y/j, plus d/s (vedë/<br />

vesë {voir}; ausèth/audèth {oiseau}), lou/le/eth, la/le/era, die/your ou jour {=}, etc., « on n’en est<br />

pas à une opposition près et on reste sur le système de l’Escole et de Palay »; ou « l’écrit est bien<br />

assez morcelé, il ne faut pas maintenir cette autre cause de fractionnement »;<br />

– au plan pratique : écrire le -n après une voyelle déjà munie d’un accent circonflexe change


Jean <strong>Lafitte</strong> 326<br />

Écriture du gascon<br />

peut-être un peu les habitudes des rares scripteurs, mais n’est pas difficile; mais pour la même raison,<br />

cela n’apporte aucune information de plus au Landais ou à l’Armagnacais qui sait déjà prononcer<br />

[kar'b,"] ce qu’il voit écrit carboû dans un texte béarnais ou bigourdan.<br />

J’avoue mon embarras. La seule cohérence du système moderne qui a pour principe de<br />

n’écrire que ce qui se prononce milite pour le statu quo : on écrit pâ {pain} si le -n est muet, pân là<br />

où il est vélaire, opposé à pan {pan (de mur)} avec -n dental. Le besoin d’unité gasconne plaide par<br />

contre pour une entorse au principe, en écrivant pân même si le -n est muet.<br />

C’est ce dernier choix que je fais personnellement, mais c’est l’usage qui tranchera.<br />

/(/ et /)/ intervocaliques notés respectivement par -dz- et -ts-<br />

C’est là une question déjà traitée dans le cadre de l’amélioration de la graphie classique (pp.<br />

281-283), mais sur la base d’un renvoi à ce chapitre-ci, car les occitanistes ont sur ce point reconduit<br />

les pratiques ambigües des Félibres de l’Escole Gastou Febus.<br />

Il s’agit tout d’abord des dérivés des mots en -ts comme crouts {croix}, ce mot et ses dérivés<br />

ayant justement servi à poser le problème, probablement pour être des plus usuels.<br />

Palay écrit en effet croutzà, et les occitanistes crotzar, pour une prononciation qui reste à deviner,<br />

car [tz] est imprononçable sans effort particulier, du fait de l’assimilation naturelle des sonorités;<br />

ce sera donc [+] ou [1]. Et la perplexité demeure avec l’article « croudsà; v. — Graphie incorrecte<br />

de croutsà. V. ce mot et suivants. »; en fait, et comme cela arrive parfois chez Palay, c’est un<br />

renvoi dans le vide, car on ne trouve que croutzà et des dérivés en -tz- ! Le problème reste entier.<br />

Cela permet du moins de soupçonner Palay de n’avoir pas de certitude sur la graphie, comme<br />

le confirme un étude systématique des dérivés de mots en -ts dans le Dictionnaire :<br />

– bits ou bit {vis} : bissà, desbissà;<br />

– bouts, buts, bout {voix} : boutsine, -ote, -asse, -oùyr" (G.).<br />

– couts, cout {coyer} : coutsà;<br />

– crouts {croix} : bèc-croutsàt; croudsà,-ét; crosèo (Arm.; Supplément); croutsà (v° croudsà),<br />

-et (As.; Supp.); croutzà, -ade, -adé,-re, -amén, -ejà, -éo, -ét, -ilhà, -ilhoà; descroudsà,-àdj",<br />

-amén; entercroudsà (ou entercroudzà); encroutsadure, encroutsilhà, -ilhoà; entercroudsà,<br />

-àdj",-amén; entercroudzà; mâ-croudsade;<br />

– dèts ou dèt {dix} : dètsàu, dètsée;<br />

– douts ou douds {source} : doutsà, doudsà; doudsìlh,-à,-ét,-oun; endoudsilhà; dousìlh, ét;<br />

– luts {lumière} : ludsà (v° lugarnà); lutsà, -erà (L.), -inà (Lom.), -ade (G.),-è(y), -ejà, -èrno,<br />

-éte, -ine, -ote; lusì, -ejà, én,-te, -erejà, -erét, -èrno, -ide, -idére, -où, -ò(u);<br />

– narìts {narine} : narìtsou,-so (Lav.);<br />

– nouts {noix} : noutsè;<br />

– pats {paix} : apadsà (v° calmà); apatsà, -augì, -iugà, -amén; apasaubì (Arm.), apassauguì<br />

(L.), apasimà (N.E. du Gers); empadsamén; pasìbl"; patserie (dérivé de patz, avec la caution<br />

de Coromines, v° pats); passerie (variante du précédent que Palay rattache à tort au passàdje<br />

{passage} de marchandises et troupeaux…);<br />

– pedits, pedìt {ongle su sabot des mammifères}: peditsère;<br />

– prèts ou prèt {prix} : presà, -àbl", -ade, -àt,-ade, -àyr";<br />

– puts, pouts {puits} : espudsà(Arm.); pudsà, -ge [fém.; erreur probable pour pusàdj", masc.],


Jean <strong>Lafitte</strong> 327<br />

Écriture du gascon<br />

-atè, -àyr"; pusà (L., au sens restreint de prendre de l’eau dans ses chaussures), pusòc, -òt;<br />

putsà, -ade, -adoù,-re, -àyr", -è; plus, peut-être, empoudsacar (Lav.), “faire tomber dans la<br />

boue” (< pouts, forme du Lavedan, ALG III, 930), mais Palay y voit un dérivé de « pout, pâte,<br />

bouillie ».<br />

Nous remarquons d’emblée :<br />

– de nombreuses dérivations non-affriquées, certaines en [s] rendu par -ss-, beaucoup plus en<br />

[z] rendu par -s-; deux dérivent sans doute directement du latin, lusir (< lucere) et presar (<<br />

pretiare); pasible pourrait être une adaptation du français paisible dérivé de pais au XII e s.; les<br />

autres, crousèe, apasaubì, apasimà et pusà (et dérivés) représentent le mode de dérivation du<br />

languedocien, comme je l’ai rappelé p. 281; ces formes sont les seules pour les dérivés de prèts et<br />

vits, et en concurrence avec les suivantes pour les dérivés de crouts, luts, pats et puts;<br />

– les dérivés à formes affriquées se partagent en graphies-ts- (partout) et -ds- (partout, sauf<br />

pour bouts, couts, dèts, narits, nouts et pedits); ceux de crouts en ont même huit en -tz- et un en -dz-<br />

(entercroudzà présenté comme variante de -dsà).<br />

Il n’est guère concevable que ces graphies différentes expriment une égale dispersion des réalisations,<br />

d’autant plus que rares sont les localisations particulières de telle ou telle forme. La clé<br />

de l’affaire, nous l’avons sans doute dans un paragraphe d’A. Sarrail, 1980, p. 53 (cf. p. 156) :<br />

« Parfois, le s dur qui siffle à la fin de mots comme pats, bouts, puts s’adoucit en z<br />

dans les dérivés. On doit écrire :<br />

« apatsa, boutsine, putsa.<br />

« Mais Palay parfois hésite et nous trouvons avec un z, croudza et tous les mots de la<br />

même famille de crouts. »<br />

C’est à croire que Sarrail avait une édition particulière du Palay, puisqu’on n’y trouve aucun<br />

croudz… De plus, n’ayant pas nos moyens de recherche, il semblait limiter l’hésitation de Palay à la<br />

famille de crouts. Il nous apprend du moins que la graphie fébusienne conserve la terminaison ts<br />

quand s’y ajoute un suffixe, mais en change la valeur phonétique normale en un [z] affriqué, donc<br />

[+], alors que, selon le paragraphe précédent, pour écrire « s doux (rose) […] on emploie le z […]<br />

dans le mot, après une consonne. Ex. quatourze, quinze. ».<br />

Sans chercher davantage, nous devons donc considérer que les graphèmes affriqués intervocaliques<br />

de Palay valent normalement [+], et que les formes “hérétiques”tz, ds et dz condamnées<br />

par Sarrail ne sont qu’une tentative pour mieux l’exprimer que le ts “officiel”. C’est probablement<br />

ce que Palay a voulu dire en qualifiant croudsà de « graphie incorrecte de croutsà. ».<br />

Mais ces graphèmes n’ont-ils pas parfois une autre valeur ? J’en ai recherché toutes les occurrences<br />

à travers le Dictionnaire et j’en ai exposé les résultats dans Ligam-DiGaM n° 6 d’octobre<br />

1995, p. 40. Je n’en donne ici que la conclusion :<br />

Outre les dérivés de -ts, se prononcent en [+] la majorité des ts, tz, ds et dz intervocaliques du<br />

Palay, sauf une trentaine qui doivent se lire en [1] et une douzaine où l’hésitation demeure. Mais ce<br />

ne sont pas des mots de tous les jours… sinon, on ne se poserait pas la question !<br />

Sans doute est-ce aussi la raison pour laquelle l’ALG ne semble pas s’être beaucoup intéressé<br />

à ces mots; deux cartes au moins confirment quand même ces conclusions : sur les “marges”, en<br />

quelque sorte, la carte “fausset” (II, 502) a relevé [du'zi(&)] dans l’Entre-deux-Mers et [du'zi&] près<br />

de Toulouse, le mot étant essentiellement languedocien; mais ce [z] sonore laisse supposer une


Jean <strong>Lafitte</strong> 328<br />

Écriture du gascon<br />

éventuelle forme affriquée sonore en [ù]. Plus “gascon” est le témoignage de la carte “carrefour”<br />

(III, 780); certes, une grande partie du domaine a des mots comme quoate camîns, crouts de camîns<br />

ou cayrehourc, mais le sud des Landes, le Béarn et la Bigorre principalement, ont des dérivés de<br />

crouts :<br />

– [kru'zadœ] (crousade / crosada) vers Bayonne, en Chalosse et en Marensin;<br />

– [kru'+adœ/%] (croudzade / crodzada) ou [kru+œ'men]/[kru+%'men] (croudzamén /<br />

crodzament) pour la majeure partie de cette région;<br />

– en sept points, de surprenantes variantes en [krutz]- (croutz- / crotz-) de prononciation difficile<br />

(sourde + sonore).<br />

Les adeptes de la graphie fébusienne ont les mêmes hésitations graphiques que Palay et leur<br />

étude n’éclairerait pas davantage la question.<br />

En conclusion, les dérivés de -tz se prononcent très généralement -[+]-, parfois -[z]-, plus<br />

rarement encore -[s]- ou même -[ts]-. Et pour ces mots, comme pour tous ceux où se rencontrent ces<br />

sons, la cohérence de la graphie moderne appelle une stricte notation phonologique.<br />

Pour la graphie, ma conclusion est la même qu’en graphie classique, p. 282 : notation générale<br />

de /dz/ et /ts/ intervocaliques respectivement par -dz- et -ts- : croudzade, pudza {puiser}…<br />

comme doudzë, eudzë {yeuse}…, et batsarre, batsaca {ressasser, saccager}; le passage de dètz à<br />

dedzau s’inscrit en effet dans la même logique que celui de aymat à aymade. Et, bien sûr, pour les<br />

formes non-affriquées, /z/ sera -s- entre voyelles et /s/, -c- ou -ç- : crousa, pusa, Crouselhes, pacerie<br />

{accord de paix}, viça {visser}.<br />

Le son /s/ : notation par s (ou ss) ou par c (ou ç) ?<br />

Les règles de 1900 et 1905 de l’Escole Gastou Febus mentionnaient la valeur [s] de c devant e<br />

et i, tout comme la notation de [s] par s dans les mêmes conditions qu’en français, mais ne donnaient<br />

aucune indication sur le choix entre s et c. Celles de 1905, en tout cas, excluaient expressément<br />

le ç devant a et o; c’est Bouzet, nous l’avons vu, qui l’a réintroduit, et Palay a suivi.<br />

Et curieusement, Palay qui se référait assez souvent à l’étymologie dans ses choix entre lettres<br />

de même valeur (cf. p. 139) ne semble pas avoir noté de critère pour s ou c. Mais il était certainement<br />

étymologique, puisque seul l’étymon ‘cicer’ peut expliquer que Palay ait écrit que sès" est une<br />

« Mauvaise graphie de cés", pois. »; et les exemples de graphies en c donnés par les règles de 1900<br />

et 1905 ont la même justification : cébe {oignon}, cèu {ciel}, cibade {avoine}, boucî {bouchée}.<br />

En finale, cependant, ces règles et Palay ne connaissent que -s, alors que la graphie classique<br />

use de ç pour les mêmes raisons étymologiques.<br />

On a même vu p. 183 que MM. Moreux et Puyau ont renoncé à toute norme sur ce point : la<br />

notation de /s/ « peut être laissée à l’appréciation de chacun car une solution uniformisante<br />

heurterait trop les habitudes. » mais écarté eux aussi le -ç en finale, au risque d’inconséquences en<br />

dérivation : bras, abrassa… mais braçalét.<br />

Même si la pratique de la graphie classique n’est pas exempte d’erreurs par méconnaissance<br />

de l’étymologie, j’estime que sa norme est préférable au laisser-aller, donc à la fantaisie et à<br />

l’arbitraire, les dictionnaires orthographiques étant faits pour lever les doutes des scripteurs. On<br />

notera donc par c le /s/ issu d’un ce ou ci ou ti latin, voire d’un chi comme pour braç < ‘brachium’. Au


Jean <strong>Lafitte</strong> 329<br />

Écriture du gascon<br />

demeurant, cela ne bouleversera pas ce qu’on trouve déjà dans le Palay.<br />

Et comme en graphie classique, on admettra l’exception traditionnelle des suffixes en -as, -is,<br />

et -os, notés par -s quoique issus des latins ‘-aceu’, ‘-iceu’ et ‘-oceu’ : aygas {grande flaque d’eau},<br />

embrouxadis {sortilège}, cabos {chabot}. Néanmoins, comme je l’ai fait observer p. 287, cette graphie<br />

occulte la prononciation particulière de Bethmale et ses environs qui oppose s [s] à ç [,]; ainsi,<br />

la “toile pour battage” y est prononcée [bu'rra,o] (ALG II, 301) et pourra donc s’y écr ire bourrace.<br />

Le son /t/ final<br />

Après consonne (c, n, r, ou s), le -t étymologique est très généralement muet; conformément<br />

au principe selon lequel « Toutes les consonnes doivent être prononcées » (Palay, Dic. p. XI), on ne<br />

doit donc pas écrire ce -t dans les parlers qui ne le font pas entendre, bien qu’il réapparaisse généralement<br />

dans les dérivés : lou bos, la houn, la cour, l’ahourès {le bois, la fontaine, la cour, le pacage<br />

dans les bois}; mais bien entendu, on l’écrit dans les parlers où il s’entend : la hount, la court etc.<br />

Il en est de même du -d étymologique qui est généralement muet même après voyelle, et qui<br />

néanmoins peut s’entendre -[t], en Médoc notamment : dans ce cas, on écrira -d, malgré les règles<br />

de 1900 et 1905, qui donnaient la préférence à -t, mais selon le choix explicite de Palay (cf. pp. 139<br />

et 309) : une fois encore, la référence à l’étymologie pour le choix entre graphèmes n’est pas une<br />

prétention savante, mais un moyen de faciliter l’intelligence de l’écrit : hred [rret] rappelle mieux<br />

“froid” que le purement phonétique ret. On écrira donc pè ou pèd {pied} ([p!t] en Aspe), goa ou<br />

goad {gué, lavoir} ([gwa] à St-Sever et Hagetmau, [gwat] à Pomarez - ALG III, 715), nud {nu},<br />

hred; bor ou bord {=}, droullard {grand adolescent, augm. de drollë}, hengard {hangar} etc.<br />

Écarter x des emplois autres que /'/<br />

Comme en graphie classique, c’est un corollaire de l’affectation de x à la notation de /#/. Mais<br />

le x a toute une histoire dans la graphie moderne, et il me parait opportun de la rappeler.<br />

Lespy était favorable à l’emploi de x pour noter /#/ et des Félibres de la fin du XIX e s. en<br />

avaient usé. Mais cela parut trop loin du français appris à l’école et les Félibres y renoncèrent rapidement.<br />

Cette lettre fut donc purement et simplement supprimée de l’alphabet proprement béarnais<br />

selon les règles adoptées par l’Escole Gastou Febus en 1900 :<br />

« Les signes z, x, v ne sont employés que pour écrire des noms propres; le signe k ne<br />

l’est pas du tout. »<br />

Pourtant, les règles de 1905 allaient réintégrer cette lettre dans l’alphabet, et le z avec elle :<br />

« Le béarnais a toutes les consonnes de l’alphabet français, à l’exception du k qui<br />

n’est jamais employé et du v qui ne s’écrit que dans les noms propres. »<br />

Il était précisé en outre :<br />

« 31. L’x, telle qu’elle est articulée dans le mot français « fixe » se fait entendre,<br />

suivant la remarque de Lespy (Gram. n° 165 et Dict. tome II page 353), dans les mots : examina,<br />

exercìci, exi, bexa, etc. Elle figure, avec cette articulation, dans des textes divers<br />

que cet auteur cite soigneusement au cours de son dictionnaire. Bien que la prononciation<br />

populaire ne concorde pas toujours avec ces indications, il a paru à la commission que les<br />

différentes nuances : cs, gz, ts, tz, dz, devaient être uniformément rendues par x, dans les<br />

mots qu’on vient d’énumérer. De la sorte, chaque dialecte prononcera à sa guise et<br />

l’orthographe restera invariable. »<br />

Ainsi, l’éminent romaniste qu’était le Pr. Édouard Bourciez, signataire des normes de 1900,<br />

avait fort bien senti que la phonologie du béarnais n’avait pas besoin de cette lettre qui, du moment


Jean <strong>Lafitte</strong> 330<br />

Écriture du gascon<br />

qu’on renonçait à lui faire noter le son /#/, n’avait sa place que dans des mots étrangers, pour rendre<br />

une prononciation elle-même étrangère. Or le gascon accueillait de plus en plus de mots français,<br />

surtout pour dire les idées abstraites et les techniques modernes, et le x y était très présent, notamment<br />

par le préfixe latin ex-. C’est ce qu’exprime la référence que les rédacteurs des normes de<br />

1905 font à Lespy, dans sa Grammaire et son Dictionnaire; or le mot « fixe » cité est ignoré de la<br />

langue ancienne, et il vient du français avec sa prononciation française.<br />

Mais ces rédacteurs sont bien conscients eux aussi de ce que la prononciation populaire, fidèle<br />

à la phonologie autochtone, n’est pas celle-là, que Lespy, professeur au Lycée de Pau, devait considérer<br />

comme supérieure. Renonçant à analyser le problème et à le traiter véritablement, ils<br />

tournent le dos au principe d’une notation généralement phonétique et même à celui de la conservation<br />

de la langue autochtone, et adoptent la graphie française en recourant à l’esquive que les tenants<br />

de la graphie classique pratiqueront plus tard tant et plus : on écrit tous pareil, et chacun prononce<br />

comme il en a l’habitude. Nous remarquons au passage que le recours à la « graphie<br />

englobante » n’est pas une invention d’Alibert…<br />

Mais revenons au problème : on cite quatre mots béarnais, examina, exercìci, exi, bexa, puis<br />

les diverses prononciations du x de ces mots : cs, gz, ts, tz, dz. Cela n’est pas sérieux ! Déjà, « tz »,<br />

sourde + sonore, n’existe pas en pratique, c’est [1] ou [+].<br />

Et Lespy (Dictionnaire), repris par les normes de 1905, était dans l’erreur en donnant [ks] du<br />

français « fixe » comme prononciation du x de examina, exercìci, dont on a vu, p. 285, que c’est<br />

[+]. Il se trompe encore plus pour exi et exilh; en effet, il ne donne lui même, à sa place alphabétique,<br />

que « Exir », avec majuscule suivie de minuscules, selon sa façon conventionnelle d’écrire<br />

les mots de l’ancienne langue qui n’existent plus dans la langue moderne. Or dans l’ancien béarnais,<br />

exir ne se prononçait pas [e'ksi[r]], mais [e'#i[r]], comme eixir en catalan moderne, ou eishir que J.<br />

Allières a entendu dans les parties les plus conservatrices des vallées pyrénéennes, du Lavedan au<br />

Couserans (ALG V, 1895 et 1896). De même pour exilh, comme la graphie eshilhade {exilée}<br />

l’atteste à l’entrée EXILHA, graphie dont le sh est chez Lespy un hapax orthographique.<br />

On voit par là que par faute d’analyse, les “normalisateurs” de 1905 sont passés à côté du<br />

problème et ont adopté une lettre sans en définir la valeur, tout en passant pour préoccupés de<br />

l’unité graphique par dessus la variété des prononciations : or celle-ci ne varie pas selon les parlers<br />

gascons, mais selon les voisinages phonétiques ou l’étymologie, comme nous l’avons vu pp. 283-<br />

285. Mais il faut rendre ici hommage à André Sarrail (cf. p. 156) qui avait fort bien vu la chose : p.<br />

61, après avoir décrit la prononciation identique à la française dans ses trois configurations, il<br />

ajoute :<br />

« b) Cette prononciation est la savante. Mais, en réalité, elle se réduit souvent à :<br />

« – s devant une consonne : Ex. : tèste, estèrne.<br />

« – dz, devant une voyelle : Ex. : edzamen, edzémple.<br />

« – t, devant ce ou ci : Ex. : etcès, etcita.<br />

« Le dictionnaire, lui-même, donne: edsamen, Nabarrens, esclusioû, escusa, espousicioû,<br />

escouminya, etc.<br />

« Il serait très facile de mettre un peu d’ordre dans cette mélasse et de supprimer l’x,<br />

comme l’ont fait les Provençaux et les Italiens. Nous n’aurions qu’à le remplacer par s, t, et<br />

dz, ainsi que nous venons de le dire et qu’il se prononce le plus souvent.<br />

« Mais la Commission de 1905 a pensé qu’en gardant le x prononcé à la fantaisie de<br />

chaque région, la graphie y gagnerait en simplicité. »


Jean <strong>Lafitte</strong> 331<br />

Écriture du gascon<br />

Certes, je garde mes conclusions de la p. 284 sur exce-, exci- et exs- pour lesquels j’estime<br />

que la prononciation est en [ks] et non en [1]; et entre Sarrail qui affirme « etcita » et Palay qui écrit<br />

« sureccita », je fais davantage confiance à Palay, d’autant qu’aucun des dictionnaires qui donnent<br />

des graphies phonétiques ne témoigne de telles prononciations. J’observe aussi que ses citations du<br />

« dictionnaire », celui de Palay, sont approximatives : il y a bien edsemplàri et edsémpl", mais ni<br />

edsamen, ni edzamen… et Palay écrit escouminjà. Mais pour le reste, je lui donne entièrement raison,<br />

le travail de la Commission de 1905 me paraissant bien trop léger sur ce point.<br />

Au demeurant, Palay, qui se refusait à être normatif (cf. Dic., p. 1007, P.S.) et qui sentait bien<br />

la faiblesse de la règle de 1905, a sérieusement flotté dans ses graphies : parfois, il a noté le x et<br />

écrit countèxt", extrajudiciàri, pretextà, pretèxt", text" et textualamén; mais il donnait la variante<br />

« estrajudiciàri » et notait à pretextà « on prononce aussi pretestà »; mais le plus souvent, il a noté<br />

s : escusà, esplicà, estèrn". Par contre, pour /ks/ devant voyelle ou final, il a aussi usé de -cs- (ou<br />

-cc- devant e/i), avec parfois -x- en variante, comme on a pu le voir p. 283.<br />

Pour mettre de l’ordre comme le souhaitait Sarrail, on aura donc, en graphie moderne comme<br />

en classique :<br />

Devant<br />

consonne<br />

Devant<br />

voyelle<br />

Cas général Préfixe “ex”<br />

s : escusa,<br />

espausa,<br />

tèstë,<br />

estraourdinàri<br />

cs / cc : ficsa,<br />

tacsa,<br />

circounflècsë,<br />

aucsiliàri<br />

c devant [s] :<br />

eccès, eccita<br />

ecsuda<br />

dz : edzauça,<br />

edzemplë,<br />

edzila<br />

III – Les signes orthographiques<br />

Ce titre entend entend couvrir les signes diacritiques comme les accents et le tréma, et les signes<br />

secondaires sans valeur sémantique ou phonétique, comme le trait d’union et l’apostrophe.<br />

Les accents<br />

Comme on l’a vu pp. 121 et suivantes, l’Escole Gastou Febus avait dès 1900-1905 défini<br />

l’emploi des accents sur les voyelles :<br />

L’accent aigu notait la fermeture et le caractère tonique du é, l’accent grave marquait le<br />

caractère tonique de à et ì, ce même caractère et l’ouverture du è.<br />

L’accent grave sur ò et ù distinguait la diphtongue òu du digramme vocalique ou et la diphtongue<br />

ùu (parlers landais) d’une survivance des voyelles doubles de l’ancienne graphie.<br />

Enfin, l’accent circonflexe marquait la nasalisation légère des voyelles â, î, et û due à la perte<br />

d’un -n final; prévu également pour le e en 1900, il avait été écarté en 1905 de crainte d’une confusion<br />

avec le ê ouvert français; il n’était pas prévu pour le ou, c’est Palay qui devait l’introduire par<br />

son Dictionnaire en 1932 (cf. p. 138). Cet accent disparaissait avec le rétablissement du -n dans les<br />

parlers “gascons” qui prononçaient cette consonne.<br />

On sait en revanche que la graphie classique a choisi l’accent aigu pour le í et le ú dont on<br />

veut marquer le caractère tonique, sans doute pour être homogène avec le ó (= [u]), puisque


Jean <strong>Lafitte</strong> 332<br />

Écriture du gascon<br />

l’accent grave de ò change le [u] en [o] ou [%]; mais le à tonique a bien un accent grave, puisque á<br />

prend d’autres valeurs que [a] (cf. p. 291).<br />

Cela ne me parait pas mériter de longues dissertations, encore moins des débats idéologiques.<br />

Pour la graphie moderne du XXI e siècle, je ne vois pas de raison de changer ce qui fut adopté il y a<br />

cent ans et qui a fort bien fonctionné; au demeurant, la règle n° 12 de 1905, qui donnait en exemples<br />

« armàri, calhabàri, bìci, lìri, memòri, glòri, òli, flùbi, bùrri, etc. […] sàpou (crapaud), càssou,<br />

pìmbou (thym), bòlou, trùcou (sonnailles) », se justifiait elle-même en se référant à la pratique des<br />

Provençaux et à celle « introduite par nos meilleurs écrivains. » J’y ajouterai un argument technique<br />

: nos claviers français ont tous un ù, plus facile à taper de ce fait qu’un ú.<br />

C’est également à l’instar d’autres langues d’oc (provençal, languedocien, limousin) que la<br />

règle n° 5 décidait d’écrire sans accent la conjonction e et poursuivait : « Il n’y a pas de raison non<br />

plus pour accentuer l’e de monosyllabes tels que : que, me, te, se, pe, de, ne, en. » Bien sûr, je propose<br />

de continuer, sauf à noter qué le relatif fort et l’interrogatif : Nou sap pas qué dìsë. Qué vos ?<br />

{Il ne sait que dire. Que veux-tu ?}.<br />

Mais cette confirmation de pratiques plus que séculaires ne fait pas obstacle aux quelques<br />

modifications que j’ai proposées pour l’emploi de ces signes, notamment en rendant inutile la notation<br />

systématique du é tonique en dehors de la dernière syllabe (cf. p. 310) et en élargissant l’emploi<br />

de l’accent circonflexe (pp. 315-318 et 325).<br />

Le tréma valant accent sur ë<br />

Je ne pouvais en parler au paragraphe précédent, nominalement consacré aux accents, mais<br />

j’en traite sans désemparer, car ce tréma que je propose sur le ë joue bel et bien le rôle d’un accent<br />

de timbre ([e] ou [œ/$] selon les régions) et de tonicité, ou plutôt d’atonie, si l’on me permet cette<br />

acception phonétique. Je n’ai rien ajouter à ce qui est dit p. 313, sauf peut-être que le paragraphe<br />

suivant montre que ë n’existe pas dans le traitement des diérèses et disjonctions après gu ou qu.<br />

Le tréma, signe de diérèse<br />

Pour la graphie classique, L’application… ne dit pas grand chose du tréma (cf. p. 291), mais<br />

elle en parle. En revanche, les règles de l’Escole Gastou Febus de 1900 n’en disent rien, et celles de<br />

1905 l’évoquent à peine en note de renvoi au sujet de « formes, comme que soui (je sonne), que<br />

deyoui (je jeûne), où l’i se détache de l’ou. Peut-être cette particularité serait-elle mieux rendue par<br />

un tréma sur l’i. ». Bouzet (1928) n’en parle pas, mais donne traïdou {traitre} en exemple p. 51.<br />

Palay n’en parle pas non plus dans l’Avertissement relatif à la graphie de son Dic., tout juste<br />

une phrase au préambule de la lettre U : « Dans les cas, très rares, où il ne doit pas être muet, u est<br />

surmonté d’un tréma : güélh (œil, vers la Barousse). », sans préciser pour autant que ce ü sera prononcé<br />

[w] (ALG III, 584) et en oubliant qu’il écrit régulièrement [gwe]- par goe-.<br />

Sarrail (1980, p. 43), lui, ne mentionne le tréma qu’accidentellement, pour l’écarter dans la<br />

notation des diphtongues et le réserver « pour quelques cas rares où les voyelles sont prononcées<br />

séparément, et qui doivent être distinguées d’une diphtongue composée des mêmes lettres. Ex.<br />

flaüte, Poeylaün, à distinguer de l’au de Pau. » C’est bref, mais bon.<br />

Néanmoins, Palay use couramment du tréma dans le cours du Dic. : 46 entrées avec un ü,<br />

mais aussi 73 en ï après voyelle (35 aï, 3 eï, 3 oï, 21 ouï et 11 uï) et 3 en ë. Or une étude attentive


Jean <strong>Lafitte</strong> 333<br />

Écriture du gascon<br />

de ces graphies, somme toute peu nombreuses, montre vite que faute d’une réflexion globale sur la<br />

question, cet usage du tréma est anarchique et renseigne assez mal sur les prononciations réelles.<br />

Par exemple, il donne lagüe, laguë et laüe{lagune}, la variante en -uë étant inutile et peu rationnelle<br />

comme on le verra bientôt; oëne {vanneau}, localisé en Gascogne maritime, se dit ['wœnœ] selon<br />

Arnaudin qui l’écrit ouene, comme ouelh {œil}, donc en 2 syllabes et non 3 comme le supposerait<br />

le tréma de oëne; Palay aurait donc dû le noter oene, comme oelh {œil}. De même, pour les quelque<br />

80 mots ou formes en oui, ouì ou ouï, la coexistence, pour les mêmes mots, de variantes en oui ou<br />

ouì et d’autres en ouï fait douter de la diérèse ou de la synérèse.<br />

Il convient donc de s’appuyer sur la distinction entre voyelles “fortes” et voyelles “faibles”,<br />

seules ces dernières pouvant perdre leur valeur vocalique et former diphtongue avec une autre<br />

voyelle (cf. pp. 291 à 293).<br />

Les voyelles fortes, demeurent toujours des voyelles : a, e, é, è en première ou seconde position,<br />

ou également, sauf devant i, et ë et o en seconde position seulement; elles se prononcent toujours<br />

en diérèse, sans qu’il soit besoin d’un tréma : grâa {grainer}, que grâë {qu’il graine}, aerma<br />

{dépérir}, averâè {noisetier}, aorte {=}, que grâe {il graine}, aoulhe {brebis}, crea {créer}, que<br />

créë {qu’il crée}, hêère {fenaison, fenil}, geode {géode}, cadêe {chaine}, geougrafë {géographe},<br />

enfeouda {inféoder} (Palay : enfëoudà, avec tréma superflu, heureusement absent dans feoudalitàt,<br />

feoudàu), cououpera {coopérer}, la soûe {la sienne}.<br />

Les voyelles faibles sont les seules à pouvoir former diphtongue; ce sont u en première ou<br />

seconde position, i et o en première seulement, et ou devant i; avec une place à part pour y qui ne<br />

peut que former diphtongue, en première ou seconde position :<br />

• en finale (le -s éventuel n’étant pas pris en compte), u, i et ou toniques, suivies de e, ë ou i<br />

(dans ce cas, notés ù, ì, où), forment diérèse sans besoin de tréma : cadûe {chacune}, qu’ayue {il<br />

met sous le joug}, qu’envië {qu’il envoie}, vesîe {voisine}; qu’envìi {j’envoie}, que sìi {que je<br />

sois}, que mîi {que je mène}; que coue {elle couve}, qu’avouë {qu’il avoue}, que soûi {je sonne};<br />

mais gràcie ['grasjo] {grâce}, que càmbii {je change} [ke 'kambji], que hàrgoui {je forge} [ke 'hargwi].<br />

• ailleurs, elles forment normalement diphtongue, dite “ascendante” si la faible est la première<br />

: luét {lueur}; youga {jouer}; espia {regarder}; vielh {vieux}; baloar {boulevard}, quoan<br />

{quand, combien}, boè {bouvier}, yoén {jeune}…; couic ! {cri aigu d’un animal} [kwik]; “descendante”<br />

si la faible est la seconde : loucau {local}, que beu {il boit}, vòute {voute}, aygue {eau},<br />

beroy {joli}…; si les deux sont faibles, c’est la première qui reste voyelle : nuyt {nuit} [ny"t], cuyt<br />

{cuit} [cy"t], bùu {bœuf} [by*], formes des Landes, xiula {siffler} [#i*'la], pouyrit {pourri}<br />

[pu"'rit], arrouy {rouge} [a'rru"]; que sentiy {je sentis} [sen'ti"].<br />

Mais si dans ces cas il y a diérèse, le tréma sera mis sur u, i, voyelles faibles pour inhiber leur<br />

tendance à se muer en semi-voyelle pour former diphtongue : flaüte {flute}, arrêüt {qui a le dos<br />

fort}, gremilhoûüt {grumeleux}, düeliste {duelliste}, süicidë; et des mots savants comme dïacidë.<br />

Pour o, la question ne se pose pas, puisqu’en diérèse on note ou : pouème.<br />

Dans le groupe ouï, le tréma est sur i dans selon un usage qu’il parait difficile de contrarier :<br />

ouïde {ouïe en Barège-Lavedan} (ouìdo chez Palay et chez Massourre, 2003, p. 451 : [u'i*%]). De<br />

même, par habitude et pour pour éviter une lecture française, on notera le tréma sur ï dans aïrous<br />

{irascible}, ateïsmë {athéisme}, païs {pays} etc.


Jean <strong>Lafitte</strong> 334<br />

Écriture du gascon<br />

Toutefois, si la voyelle devant recevoir le tréma doit par ailleurs porter un accent circonflexe<br />

marquant l’effacement d’un n qui la suivait, on ne note que cet accent : engrûadyë / engrûadgë<br />

{égrenage}, lûèc {lunatique}, lagûe {lagune}.<br />

Le groupe uï se dit [yi] en deux syllabes, ou [3i] en une seule, en élocution rapide; il s’oppose<br />

au groupe üi prononcé [wi] qu’on ne trouve que dans des mots savants après q ou g : ambiguïtat<br />

comme acuïtat et countinuïtat, opposés à aqüicole et lingüistique.<br />

Le tréma dans les groupes qü, gü<br />

Palay ignore totalement le groupe qü qu’on trouve dans le mot savant aqüicole; il use de<br />

quatre fois de gü; il vaut [gy] distinct de la voyelle qui suit dans argüà {arguer} et güèc ou züèc<br />

{pinson des Ardennes}; mais il vaut aussi [gw] dans güélh déjà cité, cacographie dans le système,<br />

pour goélh {œil} et probablement aussi dans agüelhade, variante « peu usitée » de agulhade {aiguillon},<br />

si peu que l’ALG II, 387 ne l’a rencontrée nulle part.<br />

Depuis des siècles, pour [gw] et [kw], le gascon a go (argoeyt {guet}), co (coelhë {cueillir})<br />

ou quo (quoan {quand, combien}), suivant l’étymologie. Donc inutile d’aller chercher des graphies<br />

en gü, qü, sauf sans doute pour les mots savants qui permettent de faire de gros dictionnaires mais<br />

ne hantent pas les œuvres contemporaines : aqüicole, lingüistique.<br />

Quant aux mots comme argüà et güèc, la règle générale d’écriture des diérèses en u suffit.<br />

Reste le cas de mots comme l’adjectif féminin ambigüe {=} où le tréma sur l’u est indispensable.<br />

Les accents sans valeur phonétique<br />

Bouzet (1928) donnait la règle suivante à la p. 8 :<br />

« b) L’accent peut servir à distinguer des monosyllabes qui s’écrivent de la même façon.<br />

Dans ce cas il faut mettre l’accent sur celui qui a le rôle le plus important dans la<br />

phrase et que par conséquent la voix détache plus nettement. On écrira ainsi :<br />

« de (préposition) que dé (qu’il donne)<br />

« a (préposition) à (il a)<br />

« se conjonct. si ou réfléchi sé — lou sé le soir ou le sein.<br />

« ma adjectif possessif la mà la mer ou la main<br />

« la article la là la laine »<br />

Sarrail (1980, pp. 31, 35) inversait la règle du à / a pour retrouver celle du français, et citait<br />

l’usage du é landais {est}, distingué de la conjonction. Je ne reviendrai pas sur les bizarreries de la<br />

règle de Bouzet, déjà signalées p. 136. Mais tout cela ne peut que me conforter dans l’opinion que<br />

j’exprimais p. 294 sur ce genre de diacritiques :<br />

C’est une complication inutile, car celui qui comprend le sens, rarement ambigu, n’a pas besoin<br />

de diacritiques, et celui qui ne le comprend pas risque fort de ne pas connaitre non plus le codage<br />

de ces diacritiques. En revanche, je tiens à l’accent circonflexe proposé p. 318 pour marquer la<br />

perte d’un n intervocalique, même dans la plupart des parlers où il ne s’accompagne plus d’aucune<br />

nasalisation, car il est une aide à la reconnaissance des mots et donc l’intelligence du sens.<br />

Liaison des pronoms<br />

Ce titre est celui du § V. des règles de l’Escole Gastou Febus de 1905 :<br />

Quand le pronom précède un verbe commençant par une voyelle ou le pronom y ou en, il perd


Jean <strong>Lafitte</strong> 335<br />

Écriture du gascon<br />

sa voyelle et se joint au verbe ou au pronom par une apostrophe : Nou m’aymat pas; que ns’arribe<br />

ûn malur; que m’y estàqui; que m’en trùfi {Vous ne m’aimez pas; il nous arrive un malheur; je m’y<br />

attache; je m’en moque}.<br />

C’est sensiblement la même règle qu’a adoptée Alibert demi-siècle plus tard dans<br />

L’application…; toutefois, P. Bec a fait valoir qu’avec les pronoms des 4 ème et 5 ème personnes, le<br />

rattachement se fait à l’énonciatif qui précède; d’autre part, les grammairiens occitanistes préfèrent<br />

la forme ne à la forme en, pourtant la plus étymologique (< ‘inde’), mais différente du français; ce<br />

qui donne, pour deux des exemples ci-dessus : que’ns arribe ûn malur; que m’y estàqui; que me’n<br />

trùfi.<br />

Dans les autres cas, le rattachement se fait par trait d’union, que le pronom reste entier ou soit<br />

élidé : You-m vau lheba; you la-m goardàvi; aco nou-m plats; que-s cau estuya; si-t plats; que-v<br />

vouleri vedë; que-v pagarèy {Je vais me lever; je me la gardais; cela ne me plait pas; il faut se<br />

cacher; s’il te plait; je voudrais vous voir; je vous paierai}.<br />

Pour l’I.E.O., c’est une apostrophe qu’on utilise dans ce cas, du fait de la perte de voyelle du<br />

pronom, encore que ce ne soit pas du côté de la voyelle élidée que se place l’apostrophe; au lieu de<br />

l’orthodoxe que la’m goardavi, la logique voudrait que la-m’ goardavi.<br />

Mais peu importe : apostrophe ou trait d’union ? J’avoue n’avoir pas d’opinion. Les scripteurs<br />

attachés à une graphie la considèrent comme la meilleure, et sur ce point, les arguments rationnels<br />

me manquent. Donc laissons faire le temps… ce n’est pas cela qui gênera la compréhension ou la<br />

bonne prononciation.<br />

IX – Les mots composés<br />

Les règles orthographiques de l’Escole Gastou Febus de 1905, comme de 1900, ne disent rien<br />

de l’écriture des mots composés. Bouzet (1928, pp. 13-14 et 17) s’est contenté d’en inventorier les<br />

diverses catégories, d’après leur composition et de donner les règles de leur pluriel, sans plus. Courriades<br />

(1951, p. 13) ne donne que ces règles.<br />

Sarrail n’aborde la question qu’à propos du trait d’union (1980, p. 67), et comme Bouzet, fait<br />

l’inventaire des catégories de mots composés, suivant leurs éléments. Mais pour la graphie, il fait<br />

un constat très juste, pour ensuite baisser les bras :<br />

« Il y a beaucoup de liberté, ou d’hésitation, dans la graphie de ces mots. Parfois on<br />

écrit avec le trait d’union, parfois sans trait d’union, parfois en un seul mot. Vous trouvez<br />

dans le dictionnaire : enter- ayde, enter hèste, enterdus; en-deça ou en deça.<br />

« Nous ne nous disputerons donc pas sur ce point. »<br />

Sans doute a-t-il raison de ne pas en faire un casus belli, ou tout au moins un sujet de disputes,<br />

mais dans la mesure où le gascon est une langue comme les autres, avec grammaires et dictionnaires,<br />

il n’est peut-être pas déplacé d’essayer de définir la règle de conduite du grammairien ou du<br />

lexicographe. C’est ce que j’ai essayé de faire à propos de la graphie classique, en faisant remarquer<br />

que les problèmes étaient évidemment les mêmes en graphie moderne, et qu’ils appelaient les<br />

mêmes solutions de principe. Je renvoie donc aux pp. 294 à 297.


Jean <strong>Lafitte</strong> 336<br />

Écriture du gascon<br />

X – Corrections diverses<br />

Cette sorte de parallélisme entre l’étude de la graphie classique et celle de la graphie moderne<br />

me conduit à ouvrir ici aussi une section « Corrections diverses ». Mais on peut étendre à<br />

l’ensemble du dictionnaire ce que Sarrail disait des mots composés : « Il y a beaucoup de liberté, ou<br />

d’hésitation, dans la graphie […] ». De telle sorte que ce serait perdre du temps de critiquer les<br />

graphies hésitantes ou incohérentes, tant il y en a, au sein même du Palay. Je me bornerai donc à<br />

deux mots d’usage courant, sur lesquels la graphie classique achoppe elle aussi.<br />

La préposition a ou ad<br />

Au mot à, préposition, Palay écrit ceci :<br />

« Quand il précède un mot commençant par une voyelle (en général un pronom ou un<br />

adverbe), à est souvent suivi de d, (à-d ét, dinqu’à-d ét) par euphonie et pour éviter un hiatus.<br />

« Dans le Gers et en certaines parties des Landes, à est suivi de n (digat-l’at à-n ét).<br />

C’est donc à tort que l’on écrirait ad et, an ét. »<br />

C’est à mon sens confondre deux faits linguistiques d’origine différente : si l’on ne peut donner<br />

au n du Gers et des Landes d’autre origine qu’un besoin euphonique, il est peu douteux que ad<br />

est la forme latine conservée devant voyelle parce que le -d s’y prononçait sans effort (cf. Coromines<br />

et Väänänen cités p. 300).<br />

Donc en graphie moderne comme en classique, c’est ad, tad, entad qu’il faut écrire en toute<br />

logique, mais par contre le [n] qu’on entend après a dans le Gers et les Landes se note non moins<br />

logiquement a-n, comme l’écrit Palay : digat-l’at a-n eth {dites le lui, à lui}.<br />

“Un autre, une autre”<br />

Si les auteurs en graphie classique évitent de noter à l’écrit ce qui se prononce le plus souvent<br />

[y''a*te] ou même [''a*te], avec à l’est le féminin en -[a*to], les auteurs en graphie moderne<br />

l’écrivent sans complexe… mais aussi sans trop de cohérence. Pour les raisons théoriques et<br />

pratiques exposées p. 304 au sujet de la graphie classique, j’estime que la graphie moderne doit<br />

retenir ugn autë pour les deux genres à l’ouest, et avec le féminin ugn aute à l’est.<br />

Quant à la forme apocopée [''a*te], elle sera ’gn autë avec ’gn aute féminin à l’est.<br />

XI – Variantes et tolérances<br />

Les propositions qui précèdent tendent à mettre en place un système orthographique cohérent<br />

valable pour l’ensemble des parlers gascons, moyennant l’effort que demande à chacun l’utilisation,<br />

à l’écrit et à la lecture, de certains graphèmes “englobants” qui ne représentent son parler propre<br />

qu’au prix de conventions différentes de celles du français bien connu de tous, mais qui ont<br />

l’avantage d’être les mêmes sur tout l’ensemble gascon; par exemple, ch qui se lit [#], [0] ou [tj]<br />

selon les lieux (cf. carte, p. 263).<br />

Néanmoins, ces graphies “englobantes” ne sont pas toujours possibles, et l’on a vu que le /w/<br />

entre voyelles ne pouvait se rendre que par u, alors qu’on écrira v pour le même mot là où la prononciation<br />

est [!]; de même, /j/ ne peut être rendu que par y et /2 / par j. Il s’agit de “variantes irréductibles”<br />

qui font partie du système.


Jean <strong>Lafitte</strong> 337<br />

Écriture du gascon<br />

Mais il faut aussi prendre en compte le point de vue de bien des locuteurs qui connaissent<br />

surtout leur parler local et sont peu disposés à l’effort d’apprentissage d’une graphie englobante<br />

valable pour un ensemble gascon qu’ils appréhendent mal. Dans la mesure où leurs besoins de<br />

communication ne dépassent pas les limites de leur parler propre, on ne voit pas au nom de quel<br />

principe supérieur on pourrait leur reprocher de préférer une graphie de proximité, débarrassée des<br />

contraintes posées par les graphies englobantes.<br />

Certes, on pourra déplorer l’« esprit de clocher » si facilement dénoncé par les promoteurs de<br />

la graphie classique « normalisée » qui permet une lecture à travers tout l’espace d’oc. Mais il ne<br />

faut pas se voiler la face : si la lecture d’un texte en graphie classique est facile dans ces conditions,<br />

elle ne permet jamais au lecteur de Nice de savoir comment parle celui qui a écrit à Limoges, et<br />

même lu à la mode de Nice, le texte comportera sans doute bien des mots ou formes que le Niçois<br />

ne comprendra pas sans recourir à un dictionnaire. C’est pourquoi, par exemple, l’hebdomadaire<br />

occitaniste La Setmana est écrit presque en totalité en languedocien utilisé comme koinè, mais de<br />

fait réservé à un lectorat militant, tandis que le mensuel Plumalhon que le même éditeur destine aux<br />

enfants parait en trois versions, gasconne, languedocienne et provençale, parce que l’unité graphique<br />

ne suffit pas pour une communication « panoccitane ».<br />

Pour revenir à notre problème gascon, il doit être clairement affirmé que l’usage d’une<br />

graphie unitaire n’est en rien une obligation qu’une autorité quelconque imposerait aux scripteurs,<br />

mais un moyen proposé aux écrivains qui souhaitent étendre leur lectorat à l’ensemble gascon. En<br />

revanche, dans l’état actuel de la langue gasconne et béarnaise, celui qui écrit pour ses amis, lettres<br />

personnelles — acte militant, rompant avec le “tout français” de l’écrit — ou billets dans la presse<br />

locale, doit se sentir libre de le faire selon ce qui lui parait le plus opportun.<br />

C’est pour l’aider dans ses choix que le système que je propose s’assortit de tolérances, selon<br />

les parlers gascons. Et de même que tout parler a droit à l’écriture, tout scripteur a droit au choix de<br />

sa graphie. Ce n’est que d’une telle liberté que pourront se dégager les solutions les plus communément<br />

acceptées, susceptibles d’être consacrées comme normes d’une langue retrouvée; de<br />

même que les choix morphologiques et lexicaux ne pourront se faire que sur la base d’une connaissance<br />

très large des pratiques réelles, librement et authentiquement exprimées.<br />

Les variantes irréductibles<br />

Il s’agit donc de graphies différentes des mêmes mots, chacune correspondant à une prononciation<br />

locale, parce qu’il est impossible de donner en chaque lieu une règle qui permettrait d’y lire<br />

convenablement une graphie unique : quand à Tarbes on écrit par un même v les mots qu’avèvi,<br />

avança, devèrzë, travèrse prononcés [w] et avengude, avoucat, cavale, chivau prononcés [!], on<br />

imagine l’effort de mémorisation que l’on impose à celui qui apprend la langue; c’est peut-être pire<br />

encore à Bazas, selon Dulau (1994), si l’on écrit par un même j (ou g devant e et i) les mots avantadjë,<br />

avantadjous, viadja, didjaus, angë, arrenja, minja, counjèyt, granje, monjë, iranje, goujat<br />

prononcés [j] et coungela, coungestioûn, counjuga, enjure, enjustë, escounjura, venja, ajaca, bajard,<br />

cuje, dejà, edzigi, bouja, gouje prononcés [2].<br />

La lettre v sera donc le graphème d’un /!/ issu d’un b ou d’un v intervocaliques latins, et u<br />

sera le graphème du /w/ qui lui correspond pour certains mots dans la vaste zone qui réalise ce /w/<br />

intervocalique; ces mots en u sont les variantes irréductibles de ceux en v (cf. p. 252 à 254 et 318) :<br />

haue ou have {fève}.


Jean <strong>Lafitte</strong> 338<br />

Écriture du gascon<br />

De même, y sera le graphème de /j/ et les lettres j et g (devant e et i) ceux de /2/, les mots en j<br />

ou g étant des variantes irréductibles de ceux en y (cf. pp. 254 à 260 et 319) : yoen ou joen {jeune}.<br />

Les tolérances<br />

J’emploie ici le mot “tolérance” au sens que lui donne Le Petit Robert 1997 : « Tolérance orthographique,<br />

grammaticale : liberté de ne pas appliquer la règle stricte, dans certains cas. » Il<br />

s’agit donc ici de graphies qui sont hors du système proposé, alors que les variantes ci-dessus en<br />

font partie; ces tolérances ne constituent pas un système cohérent, pensé comme un tout, mais consistent<br />

en pratiques le plus souvent prises ponctuellement au français, seul écrit couramment, sans<br />

vue d’ensemble de la langue en un même lieu, encore moins de la diversité gasconne.<br />

Si j’en parle cependant en appendice à la description d’un système, c’est pour dire à ceux qui<br />

en usent qu’ils en ont parfaitement le droit, que l’essentiel est ce qu’ils écrivent et ce que leur écrit<br />

laisse transparaitre de la langue parlée qu’ils connaissent d’héritage. Et aussi pour les y aider, pour<br />

leur éviter quelques incohérences qui pourraient fausser la transmission de la précieuse parole.<br />

La plupart des “tolérances” valent pour l’ensemble du domaine :<br />

1 – [!/b] continuent à être noté uniquement par b : lou baquè que cantabe {le vacher chantait},<br />

au lieu de lou vaquè que cantave;<br />

2 – pas d’accent circonflexe sur la voyelle précédent un n disparu : la harie, la cadée {la<br />

farine, la chaine}, au lieu de la harîe, la cadêe;<br />

3 – ch pour noter [#], donc tch pour [0] et th pour [tj] : la chabèque, tchabèque ou thabèque<br />

{la chouette}, ûn charman gouyat {un charmant jeune homme}, au lieu de la chavèque, ûn xarman<br />

gouyat;<br />

4 – point n’est besoin dès lors d’éliminer le x : examén, expausa, excita, fixa {examen, exposer,<br />

exercice, fixer}, au lieu de edzamén, espausa, eccita, ficsa;<br />

5 – h initial muet non noté devant l et r : louri, ray, roumén {fleurir, frère, froment}, au lieu<br />

de hlouri, hray, hroumén;<br />

6 – [t] final toujours noté par t : nut, caut {nu, chaud}, au lieu de nud, caud;<br />

7 – [k] final toujours noté par c : hac {hêtre}, au lieu de hag,<br />

8 – [s] final toujours noté par s : bras {=}, au lieu de braç;<br />

9 – préposition à avec accent, au lieu de a.<br />

Mise à part la notation du x qui risque d’entrainer des prononciations à la française, ces<br />

“tolérances” ne peuvent gêner que la compréhension par des personnes peu habituées au gascon,<br />

mais ce n’est pas le genre de lectorat auquel s’adressent ceux qui en usent.<br />

Au contraire des précédentes, les quatre dernières tolérances que j’envisage ne concernent<br />

chacune qu’une partie du domaine :<br />

10 – le -e issu d’un -a latin posttonique peut être remplacé :<br />

– par -o dans la majeure partie du sud-est du domaine; dès lors, il faut inverser la règle sur<br />

la place de l’accent tonique quand la syllabe finale est en o : elle est atone, et on doit la


Jean <strong>Lafitte</strong> 339<br />

Écriture du gascon<br />

marquer d’un accent grave quand elle est tonique : la hemno, acò {la femme, cela}, au<br />

lieu de la hemne, aco.<br />

– par -a dans les zones de cette partie sud-est qui le prononcent [a] faible; dès lors, il faut<br />

inverser la règle sur la place de l’accent tonique quand la syllabe finale est en a : elle est<br />

atone, et on doit la marquer d’un accent grave quand elle est tonique : la hemna, que serà<br />

{la femme, il sera}, au lieu de la hemne, sera.<br />

11 – corrélativement, les mots en -emén seront écrits :<br />

– en -omén dans la majeure partie du sud-est du domaine : urousomén {heureusement}, au<br />

lieu de urousemén;<br />

– en -amén dans les zones de cette partie sud-est qui le prononcent [a] faible : urousamén;<br />

12 – [e/œ] posttonique noté par -e au lieu de ë dans la moitié nord-ouest du domaine qui le<br />

prononce comme le produit de -a posttonique noté de même : la lèbe {le lièvre}, au lieu de la lèbë;<br />

13 – le “n caduc” n’est pas noté dans les zones qui l’amuïssent (1, 3 et 4 de la carte p. 325), et<br />

la voyelle qui le précède peut ne pas porter l’accent circonflexe si elle n’est pas du tout nasalisée :<br />

gascoû ou gascou {gascon} au lieu de gascoûn; mais dans la zone 5 qui le vélarise, il parait important<br />

de conserver l’accent circonflexe, à la différence de ce que faisait Palay, pour distinguer le -n<br />

vélarisé de celui qui est dental : augan, lou paysân qu’a hèyte ue boune recolte {cette année, le<br />

paysan a fait une bonne récolte}.<br />

La “tolérance” n° 10 risque de tromper le lecteur non averti sur la place de l’accent tonique,<br />

qu’attire le o ou le a en finale, suivant l’usage du français. Et la tolérance n° 13 demande néanmoins<br />

une certaine discipline pour opposer le -n vélaire au -n dental. Sous ces réserves, ces quatre<br />

dernières “tolérances” ne nuisent pas à la prononciation, elles augmentent seulement le fractionnement<br />

de la langue écrite.<br />

Et ces treize “tolérances” rejoignent pour la plupart la pratique de Palay. L’essentiel demeurant<br />

que ceux qui parlent puissent écrire, et transmettre leur savoir aux jeunes générations.<br />

L’école et l’édition feront le reste.


Généralités<br />

Chapitre VI<br />

Bilan<br />

Le chapitre III posait la question « Graphie “classique” ou graphie “moderne” ? » et montrait<br />

les erreurs qui étaient à la base de la graphie classique et la condamnaient à l’échec; d’où<br />

l’invitation à choisir la graphie moderne.<br />

Néanmoins, le chapitre IV a ouvert des voies pour améliorer la graphie classique tant que<br />

l’Éducation nationale n’aura pas estimé devoir recommander la graphie moderne. Et le chapitre V,<br />

bien plus court, a proposé des améliorations à cette dernière.<br />

Encore plus court, le présent chapitre voudrait maintenant peser les deux systèmes mis en état<br />

de mieux rendre la langue gasconne et d’en faciliter l’enseignement.<br />

Le plus simple est de présenter en synopse l’exposé systématique de toutes les règles orthographiques<br />

des deux systèmes, allégées néanmoins de la plupart de leurs justifications. Ces règles,<br />

rédigées comme celles de l’Escole Gastoû Febus en 1905 ou de L’application… en 1952, sont exposées<br />

en Annexe XXII : en colonnes synoptiques quand elles diffèrent, sur toute la largeur de la<br />

page quand elles sont les mêmes (sans égard toutefois aux exemples, donnés là en graphie moderne,<br />

étant précisé que dans le document normal de la graphie classique, ils sont évidemment écrits dans<br />

cette graphie). Et l’échantillon de dictionnaire de l’Annexe XXIII en illustrera la mise en œuvre.<br />

Points de divergence<br />

Bien entendu, la différence majeure apparait dès les principes : on fait du médiéval en classique,<br />

même si les graphèmes ont changé de valeur en 700 ans, c’est l’homme du XXI e s. qui devra<br />

s’adapter; alors qu’en moderne, on fait du contemporain, la graphie se plie aux besoins de l’homme<br />

de ce siècle. Cela se traduit par le principe 2 du classique, alors que le 4 du moderne prescrit de<br />

n’écrire que ce qui se prononce, évitant d’avoir à calculer à partir de l’oral ce qui doit être rétabli<br />

bien que disparu ou changé depuis longtemps, puis à partir de l’écrit, ce qui doit en être tu ou lu<br />

selon des conventions inhabituelles.<br />

Concrètement, cela fait choisir en classique le a comme voyelle “féminine” posttonique, alors<br />

qu’elle a quasiment disparu de l’oral, tandis que le domaine se partage pour l’essentiel entre /´/ et<br />

/o/. Certes, en ne privilégiant ni /´/ ni /o/ par ce choix étymologique, on évite les querelles; mais<br />

avec e qui laisse l’accent tonique à sa place pour tout Français, la graphie moderne sauvegarde<br />

quelque chose d’essentiel pour la langue parlée, avec toute la légitimité que confère à cette lettre<br />

son emploi largement majoritaire dans tout l’ancien gascon.<br />

Poursuivant son archaïsme, la graphie classique opte pour o médiéval, qui valait /o/ comme en<br />

latin et dans la plupart des langues romanes modernes, mais qui est aujourd’hui /u/ dans les langues<br />

d’oc; cela, pour refuser le ou français, anachroniquement considéré comme un emprunt à la langue<br />

dominante, alors que l’ancien gascon l’avait adopté en toute indépendance quand il en avait eu besoin<br />

pour distinguer /o/, /u/ et /y/, et que la graphie moderne a simplement continué un usage bien<br />

établi. Théoriquement, certes, il n’y a pas de problème, puisque ò note /o/ et o, /u/; mais en pratique,<br />

que d’erreurs de lecture ! et le sentiment d’un écrit étranger quand on est confronté à un texte en<br />

graphie classique. [suite p. 343]


Jean <strong>Lafitte</strong> 342 Écriture du gascon<br />

Graphie classique I.E.O.<br />

“Un òmi qu’avè dus hilhs. 12 Lo<br />

mei joen que digó a son pair :<br />

“Pair, balha’m la part de fortuna<br />

qui’m revien.” E lo pair que’us partatgè<br />

lo son ben. 13 Chic de dias<br />

après, aplegat qui avó lo son ben, lo<br />

hilh lo mei joen que partí ta un pèis<br />

luenhèc e que i esperdiciè lo son<br />

ben en víver hens lo cascantèr.<br />

14 “Quand avó tot despenut, ua<br />

grana hamièra que surviengó per<br />

aqueth parçan e que comencè a sentir<br />

la hrèita. 15 Que s’anè méter au<br />

servici d’un deus abitants d’aquera<br />

contrada, qui l’enviè hens los sons<br />

camps guardar los pòrcs. 16<br />

Qu’averé plan volut pleà’s lo vente<br />

de las carobas qui los pòrcs e minjavan,<br />

mes arrés ne’u ne dava. 17<br />

Que’s digó lavetz enter eth<br />

medish : “Quandes de vailets deu<br />

men pair an pan en abondèr, e jo<br />

que soi ací a perir de hami. 18 Que<br />

voi partir, anar de cap au men pair<br />

e dise’u : Pair, qu’èi pecat contre’u<br />

Cèu e envèrs tu; 19 ne meriti pas mei<br />

d’estar aperat lo ton hilh, tracta’m<br />

com un deus tons vailets.” 20 Que<br />

partí donc e que se’n anè decap a<br />

son pair.<br />

Parabole de l’Enfant prodigue<br />

(St Luc — Chapitre 15, 11-20)<br />

Traduction en langue béarnaise du texte français de la Bible de Jérusalem, Éditions du Cerf, 1981<br />

par René Canton, Lous Ebanyèlis (La boune Noubèle) - 1994<br />

Graphie classique DiGaM<br />

“Un òmi qu’avè dus hilhs. 12 Lo<br />

mei yoenn que digó a son pair :<br />

“Pair, balha’m la part de fortuna<br />

qui’m revien.” E lo pair que’us partadyè<br />

lo son ben. 13 Chic de dias<br />

après, aplegat qui avó lo son ben, lo<br />

hilh lo mei yoenn que partí ta un<br />

pèis loenhèc e que y esperdiciè lo<br />

son ben en víver hentz lo cascantèr.<br />

14 “Qüand avó tot despenut, ua<br />

grana hamièra que surviengó per<br />

aqueth parçan e que comencè a sentir<br />

la hrèita. 15 Que s’anè méter au<br />

servici d’un deus abitants d’aquera<br />

contrada, qui l’enviè hentz los sons<br />

camps goardar los pòrcs. 16<br />

Qu’averé plan volut pleà’s lo vente<br />

de las carobas qui los pòrcs e<br />

minyàvann, mes arrés ne’u ne dava.<br />

17 Que’s digó lavetz enter eth<br />

medix : “Qüandes de vailets do<br />

men pair ann pan en abondèr, e yo<br />

que soi ací a perir de hami. 18 Que<br />

voi partir, anar decap au men pair e<br />

dise’u : Pair, qu’èi pecat contre’u<br />

Cèu e envèrrs tu; 19 ne meriti pas<br />

mei d’estar aperat lo ton hilh,<br />

tratta’m com un dos tons vailets.” 20<br />

Que partí donc e que se’n anè decap<br />

a son pair.<br />

Graphie moderne DiGaM.<br />

“Ûn òmi qu’avè dus hilhs. 12<br />

Lou mey yoén que digou a soûn<br />

pay : “Pay, balhe-m la part de fourtune<br />

qui-m revién.” E lou pay queus<br />

partadyè lou soûn bên. 13 Chic de<br />

dies après, aplegat qui avou lou<br />

soûn bên, lou hilh lou mey yoén<br />

que parti ta ûn pèys loegnèc e que y<br />

esperdiciè lou soûn bên en vivë<br />

hens lou cascantè.<br />

14 “Quoan avou tout despenut,<br />

ue grane hamière que surviengou<br />

per aqueth parçân e que coumencè<br />

a senti la hrèyte. 15 Que s’anè metë<br />

au servìci d’ûn deus abitans<br />

d’aquere countrade, qui l’enviè<br />

hens lous soûns cams goarda lous<br />

porcs. 16 Qu’averé plân voulut pleas<br />

lou ventë de las caroubes qui lous<br />

porcs e minyaven, mes arrés ne-u<br />

ne dave. 17 Que-s digou labéts enter<br />

eth-medix : “Quoandës de vayléts<br />

dou mên pay an pân en aboundè, e<br />

you que souy aci a peri de hàmi. 18<br />

Que vouy parti, ana decap au mên<br />

pay e disë-u : Pay, qu’èy pecat<br />

countrë-u Cèu e envèrs tu; 19 ne<br />

merìti pas mey d’esta aperat lou<br />

toûn hilh, tratte-m coum ûn dous<br />

toûns vayléts.” 20 Que parti dounc e<br />

que se-n anè decap a soûn pay.<br />

Graphie moderne E.G.F.<br />

“U òmi qu’abè dus hilhs. 12 Lou<br />

mey yoen que digou à soû pay :<br />

“Pay, balhe-m la part de fourtune<br />

qui-m rebién.” E lou pay que-us<br />

partadyè lou soû bé. 13 Chic de dies<br />

après, aplegat qui abou lou soû bé,<br />

lou hilh lou mey yoen que parti ta û<br />

pèys loegnèc e que y esperdiciè lou<br />

soû bé en bìbe hens lou cascantè.<br />

14 “Quoan abou tout despenut,<br />

ue grane hamière que surbiengou<br />

per aquet parsâ e que coumencè à<br />

senti la rèyte. 15 Que s’anè méte au<br />

serbici d’û deus abitans d’aquere<br />

countrade, qui l’embiè hens lous<br />

soûs cams goarda lous porcs. 16<br />

Qu’aberé plâ boulut plea-s lou bénte<br />

de las caroubes qui lous porcs e<br />

minyaben, mes arrés ne-u ne dabe.<br />

17 Que-s digou labets enter etmedich<br />

: “Quoàndes de baylets<br />

dou mé pay an pâ en aboundè, e<br />

you que souy aci à peri de hàmi. 18<br />

Que bouy parti, ana de-cap au mé<br />

pay e dìse-u : Pay, qu’èy pecat<br />

coùntre-u Cèu e embèrs tu; 19 ne<br />

meriti pas mey d’esta aperat lou<br />

toû hilh, tratte-m coum û dous toûs<br />

baylets.” 20 Que parti dounc e que<br />

se-n anè de-cap à soû pay.


Jean <strong>Lafitte</strong> 343 Écriture du gascon<br />

Divergence mineure sur l’emploi de l’accent circonflexe; je l’introduis, faute de mieux, en<br />

classique, pour noter /o/ et plus rarement /!/ atones, car ce phonème a été oublié par les pères de la<br />

graphie gasconne de l’I.E.O. En moderne, il est confirmé dans son rôle de marquage d’une nasalisation,<br />

même très atténuée, voire disparue; d’où son extension comme témoin un n intervocalique<br />

disparu, et comme diacritique du -n vélaire distingué du -n dental.<br />

Divergence encore par l’emploi de y comme glide en moderne, suivant un usage remontant au<br />

Moyen âge, et toujours présent en onomastique (cf. Palay, Nay, Moustey, Brassempouy…), alors<br />

que le i provençal et italien demande un apprentissage particulier.<br />

Divergence sur le repérage de l’accent tonique : le système classique est en gros celui de<br />

l’espagnol, y compris pour les 6 èmes personnes des verbes, par référence à la dernière lettre (abstraction<br />

faite de -s), consonne ou voyelle; le moderne s’aligne sur le français, en ne regardant que la<br />

voyelle de la dernière syllabe, et en faisant de e/ë la voyelle toujours atone : sans autre apprentissage<br />

que de repérer l’accent écrit éventuel sur la pénultième, le lecteur le moins attentif met l’accent<br />

au bon endroit.<br />

Pour les consonnes, le gn, qui n’est pas plus importé du français que le ou, évite le problème<br />

des mots en nh prononcé [nh] (enhornar) comme l’avait souligné H. Gavel. Et surtout, n’écrire que<br />

les consonnes que l’on prononce est inhabituel pour le Français lettré, mais bien pratique pour lire<br />

correctement le gascon : pour l’immense majorité des <strong>Gascon</strong>s, La Setmana, c’est [la setma'na]; et<br />

les prendre pour des imbéciles ou des rustres ne fait pas gagner un seul nouvel ami à la cause d’oc.<br />

Quant aux infinitifs prononcés en -[r] comme en castillan !<br />

Points de convergence<br />

Pourtant, la graphie moderne a bien des points communs avec la classique, soit que le retour à<br />

des graphèmes de l’ancienne langue gasconne méconnus par l’I.E.O. rapproche celle-ci de la première,<br />

qui leur était restée fidèle, soit qu’il m’ait paru intéressant d’adopter dans la moderne des solutions<br />

nouvelles introduites par la classique. Sans compter lh, th adoptés depuis longtemps par les<br />

félibres, même si le th se limitait à l’ouest béarnais.<br />

Parmi les premiers, oe pour /we/ et x pour /"/ sont les plus remarquables.<br />

Parmi les seconds, il y a d’abord le -n instable noté systématiquement, dans un souci d’unité<br />

gasconne, avec la voyelle qui précède dotée de l’accent circonflexe, qui le distingue du -n dental; et<br />

ch comme graphie englobante pour /"/, /#/ et /tj/, rendant nécessaire un graphème réservé au /"/<br />

pangascon, le x en l’occurrence; enfin, le h devant l et r initiaux, dont Palay usait cependant pour les<br />

parlers où il s’entendait.<br />

C’est là, je crois, ce que Samaran aurait souhaité chez Palay, tenir « compte des efforts réalisés<br />

dans ce domaine par l’école occitane » (cf. p. 308).<br />

Un exemple concret en synopse<br />

Pour illustrer concrètement ces divergences et convergences, je n’ai rien trouvé de mieux que<br />

de présenter sur la page de gauche l’incontournable parabole de l’Enfant prodigue en quatre<br />

graphies : classique de l’I.E.O., classique et moderne DiGaM telles que je les propose ici, et moderne<br />

de l’Escole Gastoû Febus pratiquée par René Canton, félibre auteur (et éditeur, 1994) de la<br />

traduction béarnaise à partir du texte français de la Bible de Jérusalem.


Jean <strong>Lafitte</strong> 344 Écriture du gascon<br />

Cette comparaison n’appelle pas beaucoup de commentaires; en revanche, je suis à peu près<br />

certain du résultat si l’on donne ces textes à lire à des <strong>Gascon</strong>s ordinaires, qui n’ont qu’une vague<br />

connaissance de la langue, mais que l’École de la République a bien formé à la lecture du français.<br />

Plus prosaïquement, voici quelques chiffres sur les lettres accentuées de cette parabole.<br />

Statistique des lettres accentuées<br />

Dans la Parabole de l’Enfant prodigue (environ 750 lettres) :<br />

Voyelles Classique Classique Moderne Moderne<br />

accentuées I.E.O. DiGaM DiGaM E.G.F.<br />

à 1 2 1 6<br />

â<br />

3 3<br />

é 3 3 8 10<br />

è 17 17 17 17<br />

ê<br />

5<br />

ë<br />

í<br />

ì<br />

ó<br />

ò<br />

ù<br />

û<br />

ü<br />

4<br />

5<br />

3<br />

4<br />

5<br />

3<br />

2<br />

6<br />

2<br />

1<br />

12<br />

2<br />

1<br />

1<br />

11<br />

Total 33 36 55 51<br />

Entre les deux graphies classiques, DiGaM a un à de plus que l’I.E.O. pour une 6 ème personne<br />

(donc achevée par -n) mais paroxytonique, donc traitée suivant la règle générale des paroxytons<br />

achevés par consonne; et deux ü pour Qüand et Qüandes prononcés [kwa]; en réalité, le tréma est<br />

bien prévu par la norme de l’I.E.O., mais les occitanistes gascons ne l’appliquent pas.<br />

La graphie moderne DiGaM a un û de plus que celle de l’E.G.F., à cause d’un Û majuscule,<br />

non noté par R. Canton. Et ces 12 (ou 11) û sont dus à l’article indéfini ûn à -n “instable”, vélaire ou<br />

muet. Il y a accord entre les modernes sur â, mais non sur ê que l’E.G.F. a renoncé à noter, bien<br />

qu’il soit nasalisé comme â ou oû… Pèsent lourd, de toute façon, les voyelles à accent circonflexe,<br />

mais elles règlent deux problèmes : surtout, l’opposition entre finales en -n nasal et -n vélaire, sans<br />

avoir à marquer les premières par un -nn étymologique ou analogique; et accessoirement, le rappel<br />

systématique du -n- intervocalique amuï, qu’il nasalise ou non la voyelle qui le précédait.<br />

Enfin, une part de la surcharge dans la graphie moderne DiGaM tient au ë, rançon du maintien<br />

du -e de 700 ans d’écrit gascon pour ses avantages intrinsèques rappelés plus haut, -e dont Sarrail<br />

regrettait l’élimination occitaniste quand il écrivait à l’abbé Saint-Bézard, Armagnacais : « Je regretterai<br />

l’e béarnais si joli, si facile, et qui mettait d’accord Béarn, Bigorre et Landes... et même<br />

l’Armagnac. » (lettre du 17 janvier 1965, Reclams n° 9-10/1981, p. 138). Mais aujourd’hui, sans ce<br />

ë, comment celui qui ne connait pas naturellement la langue distinguerait-il le /e/ du /œ/ ou /o/ ?<br />

Reste à savoir maintenant ce qu’en penseront les amis de la langue gasconne, ceux qui la parlent<br />

et voudraient pouvoir l’écrire sans trop de peine, et ceux qui voudraient bien l’apprendre, mais<br />

sans trop de complications.


Épilogue<br />

Au terme de ce travail où j’ai mis tout mon savoir-faire et ma conviction au service de la langue<br />

gasconne de ce début du XXI e siècle, j’éprouve un sentiment de satisfaction non moins que de<br />

reconnaissance envers ceux qui m’ont précédé, mais aussi de gêne, voire de déception. Mais conscient<br />

du sérieux que j’ai apporté à cette tâche, j’ose conclure sur une note d’espoir.<br />

De satisfaction, on s’en doute, pour avoir étudié en profondeur, assimilé — du moins je le<br />

crois — et exprimé par écrit un grand nombre d’aspects de la langue gasconne de mes pères, à laquelle<br />

j’ai consacré la majeure partie de mon “temps libre” depuis plus de vingt ans.<br />

De reconnaissance ensuite, à l’égard de tous ceux qui, depuis plus d’un siècle, ont œuvré pour<br />

cette langue sans autre récompense que le sentiment du devoir accompli. Comment aurais-je pu lire<br />

autant de textes sans ces auteurs attentifs à écrire une langue venue des siècles lointains et qui imprégnait<br />

tout leur être ? Comment aurais-je pu étudier ses formes et ses sons sans ces œuvres immenses<br />

que sont le Dictionnaire de Simin Palay et l’Atlas linguistique de la Gascogne de Jean Séguy<br />

et de ses collaborateurs ? Et tout simplement, comment aurais-je pu m’y initier sans Roger Lapassade<br />

et ses amis occitanistes qui m’ont accueillis dans les stages de béarnais ?<br />

Mais aussi de gêne, car l’approche rigoureuse que j’avais de la langue par formation intellectuelle,<br />

et peut-être par propension naturelle intime, m’a fait découvrir la gangrène d’à-peu-près et<br />

même d’erreurs qui affecte le discours ordinaire sur cette langue. Quand on s’est engagé sans barguigner<br />

pour une cause exaltée par des gens respectables, on n’a aucun plaisir à découvrir qu’on a<br />

été trompé par ces gens qui avaient eux-mêmes été trompés. Et je n’ai aucun gout pour jouer les<br />

Saint-Just.<br />

Cependant, j’ai la conviction qu’on ne construit rien de solide sur le sable de l’erreur, et c’est<br />

pour sauver ce qui peut l’être encore que je me suis résolu à exposer ce que j’avais vu, pour aider<br />

dans leur démarche ceux qui veulent vraiment éviter la perte définitive de la langue gasconne.<br />

Et c’est là qu’est ma déception. Certes, on ne vit pas pendant plus de vingt ans dans<br />

l’environnement d’une langue et de ses partisans sans se rendre compte de sa décadence accélérée.<br />

Mais en ouvrant par une approche sociolinguistique ce qui ne devait être d’abord qu’une réflexion<br />

technique sur l’orthographe, j’ai dû me rendre à une évidence qu’on n’ose jamais regarder en face<br />

dans le rangs des militants : la langue gasconne a joué un grand rôle social au Moyen âge, mais<br />

comme toutes les autres langues d’oc, elle a “raté” l’entrée dans les temps modernes, et c’est une<br />

illusion de croire qu’on pourra rattraper un retard de six ou sept siècles.<br />

On a cru qu’elle était victime du mépris des “franchimans” et qu’une action psychologique<br />

bien menée mettrait fin à « la honte » subie de ce fait, selon le mot de François Bayrou, alors président<br />

du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, dans un discours célèbre en béarnais qu’il fit à<br />

Pau, ès-qualité, le 25 octobre 2003. Il est vrai que Garros prenait déjà parti pour « La causa<br />

damnada / De nosta lenga mesprezada » (cf. p. 36). Mais le mépris ne nait pas d’une génération<br />

spontanée; pour les langues, il vient de celui qui, en parlant une autre, occupe une situation sociale


Jean <strong>Lafitte</strong> 346 Épilogue<br />

supérieure. Et la situation sociale, elle est le résultat de la capacité de chacun d’utiliser les possibilités<br />

d’ascension qu’offre l’organisation de la société.<br />

Or c’est un fait que les langues romanes du Midi n’ont jamais été celles d’un état unifié et<br />

fort, mais de provinces dont les comtes se disputaient facilement entre eux, quand ils ne se faisaient<br />

pas la guerre, et qui furent incapables de résister aux “Croisés” venus de France. Et très vite, ceux<br />

qui voulaient “réussir” ont compris que cela passerait par le français. De là, par exemple, l’absence<br />

de littérature de prestige en Béarn, selon la pertinente remarque de Paul Clavé (1980, p. 27) :<br />

« … des causes profondes avaient empêché l’apparition d’une littérature majeure. Au<br />

temps des troubadours, les vicomtes béarnais avaient été complètement éclipsés par les fastueuses<br />

cours environnantes : Poitiers, Limoges, Toulouse, Barcelone. Après la défaite de<br />

Muret (12 septembre 1213) et la ruine des seigneurs qui nourrissaient les troubadours, les<br />

esprits s’étaient tournés vers le Nord. Quand Gaston Phébus voulait écrire à ses sujets autre<br />

chose que de simples billets, il le faisait en français. L’influence française s’étendait de<br />

plus en plus. Malgré la faiblesse du pouvoir royal (guerre de Cent-ans, folie de Charles<br />

VI), l’idée que le roi défendait les faibles contre les entreprises des seigneurs guerriers et<br />

pillards faisait son chemin. Jeanne d’Arc, dite l’Armagnacaise, trouvera en Gascogne ses<br />

plus ardents compagnons. Les seigneurs de Béarn ne seront bientôt plus que les vassaux de<br />

la royauté française affermie par Charles VII. »<br />

De nos jours encore, aucun de ceux qui “réussissent” et que les médias montrent tous les jours<br />

à la télévision ou dans les magazines, ne parle une langue régionale quelconque. M. Bayrou luimême<br />

semble n’avoir jamais repris publiquement la parole en béarnais…<br />

!"#$% !&", {tout s’écoule} disait le philosophe grec Héraclite. Dans les années 40, j’ai suivi<br />

les processions des Rogations à travers les jardins des maraichers de Jurançon, aux portes de Pau;<br />

on invoquait la clémence de Dieu en chantant les litanies des Saints, avec le répons « Te rogamus,<br />

audi nos » {nous te prions, écoute-nous} que la malice béarnaise avait depuis longtemps détourné<br />

en « Arrougagne-t aqueth òs — Minye la car e dèxe l’os » {ronge cet os, mange la viande et laisse<br />

l’os}. Cela compta dans les premières “leçons” de béarnais que je reçus alors. Il n’y a que soixante<br />

ans de cela, et pourtant, que c’est loin ! Les champs sont devenus lotissements, litanies et processions<br />

sont d’un passé révolu… Alors, pour entendre des gamins parodier les répons en béarnais…<br />

C’est donc avec la plus grande modestie qu’il nous faut envisager l’avenir de notre vieille<br />

langue, et tout faire pour ne pas rebuter ceux qui seraient tentés de la retrouver.<br />

Voilà pourquoi je l’enseigne bénévolement depuis plus de quinze ans, et pourquoi je me suis<br />

tellement préoccupé de la rendre aussi accessible que possible. Mes travaux sur la graphie n’ont pas<br />

eu d’autre but. Mais voilà que je risque fort de m’entendre dire que j’ai fait un bien long parcours<br />

dans une forêt embroussaillée pour me retrouver à deux pas de mon point de départ.<br />

Effectivement, mes débuts dans la langue de mes pères se firent dans la graphie de l’Escole<br />

Gastoû Febus d’avant 1984, du temps où elle était encore béarnaise et gasconne. Et voici qu’après<br />

plus de vingt années de militantisme et d’études, pour la plupart dans le cadre de l’<strong>Institut</strong> d’études<br />

occitanes, je me retrouve à préconiser une graphie qui n’est que celle de ces débuts, avec les améliorations<br />

apportées par Palay et tenant « compte des efforts réalisés dans ce domaine par l’école<br />

occitane », selon le vœu de Charles Samaran rappelé p. 308.<br />

Travail inutile ? Je ne le pense pas, pourtant. Car, à ma connaissance, c’est le premier ouvrage<br />

qui ne se contente pas de donner des règles de graphie, mais en expose les problèmes, l’histoire des<br />

solutions déjà apportées, et conclut par des règles soigneusement justifiées. En particulier, les


Jean <strong>Lafitte</strong> 347 Épilogue<br />

quatre-vingt-douze pages d’histoire de la graphie gasconne n’avaient encore jamais été écrites. Et<br />

personne n’avait jusqu’ici passé au sedas {tamis} autant de textes gascons dans les différentes<br />

graphies, ni regardé d’aussi près autant de cartes de l’ALG pour appuyer des propositions sur autre<br />

chose que des considérations théoriques ou des rêves idéologiques.<br />

Or ces travaux ont montré — du moins je l’espère — qu’instinctivement, tous ceux qui ont<br />

écrit le gascon au cours des siècles ont cherché à représenter la langue de leur temps, avec ses<br />

changements phonétiques naturels, tout en usant souvent de graphèmes transmis par les générations<br />

précédentes. Et le Félibrige gascon, l’Escole Gastoû Febus de 1905, puis ses auteurs du XX e s., se<br />

sont inscrits dans cette continuité.<br />

En revanche, tout en prônant une attitude scientifique qui a poussé à relire les anciens — je<br />

m’y suis conformé avec conviction —, « l’école occitane » s’est inscrite dans une stratégie de rupture,<br />

qui, à bien des égards, rappelait le fameux slogan communiste « du passé faisons table rase ».<br />

Or le passé à oublier, c’était le passé proche, car l’« avenir » de cette école n’était que la résurrection<br />

d’une langue, d’une graphie, voire d’une société mythique qui aurait été celle du XII e siècle<br />

méridional.<br />

Là, on était en plein romantisme, sans la moindre analyse de l’état des langues d’oc du XX e s.,<br />

encore moins des attentes des populations du Midi. Et contre tout réalisme, non seulement on bannissait<br />

de l’École l’écrit des Félibres, dont on avait ridiculisé la graphie, mais encore on effaçait le<br />

nom même des langues du Midi et de leurs locuteurs pour ne parler plus que d’« occitan ». Tout le<br />

contraire de ce que faisaient Basques, Bretons et Corses, pour ne citer que des locuteurs de langues<br />

de France. Les noms de personnes eux-mêmes n’échappaient pas à l’«épuration », Pey de Garros<br />

(c’est ainsi qu’il signait ses œuvres) devenait Pèir de Garròs, et Palay, Palai : le vieil y de la langue<br />

gasconne était interdit, tout comme le w de la langue kurde en Turquie (mais pour entrer en Europe,<br />

la Turquie ne l’interdit plus, selon un reportage télévisé du 2 aout 2004 sur France 5).<br />

C’était donc accumuler les erreurs psychologiques, qui n’ont pas peu contribué à la désaffection<br />

des locuteurs pour leur propre langue, bannie de l’école qui enseignait comme « occitan »<br />

quelque chose qui ne ressemblait que de loin à leur parler et qu’on ne pouvait lire. Et cette erreur<br />

s’est renforcée par le fait que le seul Dictionnaire complet et fidèle du gascon contemporain, celui<br />

de Palay, se trouvait périmé à cause de sa graphie, sans qu’on pût ou qu’on sût le remplacer par un<br />

outil d’égale valeur.<br />

Si mon travail doit avoir quelque utilité, ce sera donc d’avoir fait apparaitre l’impérative nécessité<br />

de regarder les choses en face et de pratiquer, ici aussi, une real politik, car « Il vaut toujours<br />

mieux tenter de s’approcher de la réalité que de nourrir des mythes. » (P. Sauzet, 2000, p. 41).<br />

Pourtant, j’ai un peu le sentiment du naufragé qui vient de lancer son appel de détresse dans<br />

une bouteille jetée à la mer. Certes, je pense que je serai lu par quelques uns de ceux pour qui j’ai<br />

écrit, qui par amour d’une langue ancestrale ou même simplement par conscience professionnelle se<br />

préoccupent de la transmission de cette langue.<br />

Mais combien m’entendront ? Et plus encore, combien en tireront des actes en vue<br />

d’améliorer cette transmission, de la rendre à la fois plus facile et plus fidèle ?<br />

Or parmi les moyens de maintenir une certaine connaissance de la langue, et malgré que j’en<br />

aie mentionné le peu d’efficacité pratique, l’enseignement public est sans doute celui qui touche le


Jean <strong>Lafitte</strong> 348 Épilogue<br />

plus de personnes. Mais c’est un monde très hiérarchisé, et il est à craindre que les plus zélés et les<br />

plus consciencieux des maitres ne soient découragés de prendre les initiatives qui s’imposent si elles<br />

n’ont pas l’aval de la hiérarchie. Quand on sait que les allégements orthographiques approuvés<br />

par l’Académie française en 1990 restent ignorés de la plupart des enseignants, on imagine le sort<br />

de toute idée novatrice dans ce milieu.<br />

Pourtant, le retour à une graphie gasconne plus pédagogique et plus proche de l’oral ne devrait<br />

pas mobiliser contre lui Le Monde, Le Figaro, Bernard Pivot et autres défenseurs de la<br />

« pureté » orthographique… Et l’on ne peut imaginer que les hauts responsables de l’enseignement<br />

des langues d’oc par l’École laïque de la République aient fait leur l’idéologie occitaniste, comme<br />

celle qui fit falsifier le texte de Lapassade donné en “dictée occitane” (cf. p. 79), et encore moins<br />

l’idéologie anti-française précédemment évoquée (p. 307).<br />

Alors, estimant que les fonctionnaires de la République ont encore le sens de la fidélité à ses<br />

idéaux tout autant que le souci de l’efficacité, j’ose espérer.<br />

10 mai 2005


B I B L I O G R A P H I E<br />

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occitane : Le Couserans (Gascogne pyrénéenne), Tübingen : Francke.<br />

Revues (18 titres)<br />

Aicí e ara (1979-1983), revue trimestrielle indépendante, Montpellier.<br />

Annales de l’<strong>Institut</strong> d’études occitanes / Annals de l’<strong>Institut</strong> d’estudis occitans (1948-1978).<br />

Amiras / Repères (1982-1990), revue d’études occitanes fondée par R. Lafont, Montpellier.<br />

Camins d’Estiu, revue trimestrielle de l’Escòla occitana d’estiu, 47340 Hautefage-la-Tour.<br />

Éclair (L’), quotidien de Pau; pages centrales communes avec La République des Pyrénées.<br />

Éducation et sociétés plurilingues (1996- ), Centre d’information sur l’éducation bilingue et<br />

plurilingue (CIEBP), Aoste, Italie.<br />

Estudis occitans (1986-1998), revue semestrielle d’échanges et de recherche de l’<strong>Institut</strong> d’études<br />

occitanes, Paris.<br />

France latine (La) (1949- ), organe des Amis de la France latine, CREDILIF, Université Rennes 2<br />

Haute Bretagne, Rennes.<br />

Lettres Aquitaines, publication du Centre régional des Lettres d’Aquitaine, Bordeaux.<br />

Ligam-DiGaM (1993- ), Cahiers de linguistique et de lexicographie gasconnes, Fontenay-aux-<br />

Roses.<br />

Lo Gai Saber (1923- ), Revista de l’Escòla occitana, Aureville (Haute-Garonne).<br />

Occitans !, (1981- ), Revista culturala, bimestriel de l’<strong>Institut</strong> d’études occitanes, Carcassonne.<br />

Per nouste (n° 1 à 8, 1967-1968), Per noste (n° 9 à 73, 1968-1979), Per noste-Païs gascons (n° 74 à<br />

205, 1979-2001), Per noste-País gascons (n° 206 à 218, 2001-2003), País gascons (depuis),<br />

bulletin bimesadèr de las seccions Bearn <strong>Gascon</strong>ha de l’<strong>Institut</strong> d’estudis occitans, Orthez.<br />

Pyrénées - Bulletin pyrénéen, Pau.<br />

Quasèrns de lingüistica occitana, Q.L.O. (n° 1 à 10, 1974-1981), puis Casèrns de lingüistica<br />

occitana, C.L.O. (n° 11 et 12, 1982-1984), Beaumont, Puy-de-Dôme.<br />

Quatre pages - INSEE Aquitaine (Le), Bordeaux.<br />

Reclams de Biarn e Gascougne (1897-Février 1984), puis Reclams, organe de l’Escole Gastoû<br />

Febus (1896-1996), puis Escòla Gaston Febus, Pau.<br />

République des Pyrénées (La), quotidien de Pau; pages centrales communes avec L’Éclair.


TABLE DES ABRÉVIATIONS et SIGLES<br />

ALG - Atlas linguistique (et ethnographique) de la Gascogne sous la direction de Jean Séguy.<br />

C.L.O. - Casèrns de lingüistica occitana. Voir aussi Q.L.O.<br />

C.L.O. - Conselh de la lenga occitana.<br />

DiGaM - Dictionnaire du <strong>Gascon</strong> Moderne<br />

E.G.F. - Escole Gastoû Febus, puis Escòla Gaston Febus<br />

I.E.O. - <strong>Institut</strong> d’études occitanes<br />

P.N. ou P.N.-P.G. ou P.G. - Per nouste / Per noste / Per noste-Païs gascons / Per noste-País gascons<br />

/ País gascons<br />

Q.L.O. - Quasèrns de lingüistica occitana devenus sur la fin Casèrns etc. Voir C.L.O.<br />

S.E.O. - Société d’études occitanes


Abadie, A. Ph. : 104<br />

Ader, Guilhem : 63, 115, 324<br />

Al Cartero, voir Lacoarret<br />

Alibert, Louis : 13 à 15, 18, 20<br />

à 22, 27, 54, 65, 66, 71, 75,<br />

78, 86, 87, 90, 129, 139,<br />

140, 142 à 147, 150 à 155,<br />

160, 161, 163, 166, 168,<br />

170, 178, 180, 181, 186,<br />

187, 197 à 199, 210 à 212,<br />

226 à 230, 233, 234, 238,<br />

241, 242, 245, 251, 253,<br />

257, 262, 264 à 272, 275 à<br />

278, 281, 283, 285 à 288,<br />

294, 295, 297 à 300, 305,<br />

306, 319, 330, 335, 378,<br />

381, 382, 391 à 393, 405,<br />

419, 422, 424, 427, 429 à<br />

431, 434 à 436, 443, 444,<br />

447, 450, 451<br />

Allègre, Claude : 29<br />

Allières, Jacques : 2, 17, 38,<br />

70, 77, 148 à 151, 153 à<br />

155, 171, 215, 242, 267,<br />

272, 278, 279, 290, 311,<br />

313, 330, 379, 380, 412, 444<br />

Amont, Marcel : 19, 303<br />

Amrane, Éric : 59<br />

Anglade, Joseph : 14, 15, 36,<br />

99, 130, 131, 133, 27, 378<br />

Appel, Carl : 378<br />

Arenas, Cynthia : 49<br />

Arette, Alexis : 203<br />

Arnaudin, Félix : 74, 170, 178<br />

à 181, 191, 202, 216, 230,<br />

242, 245, 249, 250, 265,<br />

283, 285, 297, 298, 333,<br />

419, 431, 437, 442, 444 à<br />

446, 449<br />

Arneodo, Sergio : 220<br />

Ascoli, C. I. : 91<br />

Astié, Éric : 70<br />

Astros, Géraud d’ (abbé) : 37,<br />

106, 115, 392, 431<br />

Aubanel, Théodore : 135<br />

Audoyer, Michel : 69, 72<br />

Aymerich I Lemo, Silvia : 66<br />

Baldinger, Kurt : 18, 19, 34,<br />

378, 379<br />

TABLE DES AUTEURS ET PERSONNAGES CITÉS<br />

Baldit, Jean-Pierre : 230<br />

Balladur, Édouard : 52<br />

Banniard, Michel : 92, 109<br />

Barère de Vieuzac, Bertrand :<br />

55<br />

Baron, Louis : 115<br />

Bartas, Salluste du : 115<br />

Barthés, Henri : 126, 206<br />

Baudorre, André : 123<br />

Bayrou, François : 52, 53, 67,<br />

345, 346<br />

Bec, Pierre : 11, 13, 14 à 19,<br />

21, 22, 24, 38, 46, 83, 86,<br />

99, 103, 106, 115, 135, 144,<br />

147, 158, 161, 162, 167,<br />

170, 181, 197, 200, 213,<br />

215, 219, 221, 227, 229,<br />

237, 238, 244, 252, 261,<br />

263, 265 à 267, 269 à 274,<br />

278, 279, 282, 284, 287,<br />

289, 299, 301, 303, 305,<br />

313, 315 (note), 317, 335,<br />

379, 412, 422, 431, 434, 447<br />

Bec, Serge : 214, 219, 415,<br />

417<br />

Bédout, Gérard : 115<br />

Beigbeder, Francis : 288, 296,<br />

431, 443<br />

Bellaud de la Bellaudière,<br />

Louis : 116<br />

Belloc, Claude : 445<br />

Benuziglio, François-Xavier :<br />

46<br />

Bernadau, Pierre : 37<br />

Bernos, Michel : 50<br />

Berry, André : 36, 106, 107,<br />

115, 116<br />

Berthaud, Pierre-Louis : 31,<br />

100, 266<br />

Bétérous, Paule : 202<br />

Bianchi, André (ou Andriu de<br />

Gavaudan) : 39, 70, 74, 165,<br />

178, 215, 247, 248, 252,<br />

279, 434<br />

Bidermann-Pasques, Liselotte :<br />

242<br />

Bidot-Germa, Dominique :<br />

112, 289<br />

Birabent, Jean-Pierre : 167, 169,<br />

175, 189, 213, 214, 244,<br />

248, 253, 258, 279, 300, 380<br />

Biu, Philippe : 286<br />

Blanc, Jean-François : 23<br />

Blanchet, Philippe : 7, 58, 64,<br />

73, 206<br />

Blasco Ferrer, Eduardo : 380<br />

Boisgontier, Jacques : 163,<br />

178, 179, 181, 202, 210,<br />

213, 245, 249, 250, 275,<br />

298, 445<br />

Boissière, Pierre : 82<br />

Bonnemason, Jean : 9, 47, 68,<br />

203<br />

Bordeu, Théophile de : 116<br />

Boschung, P. : 23, 43, 208<br />

Bourciez, Édouard : 120, 142,<br />

256, 259, 320, 329, 377,<br />

378, 445<br />

Bourdieu, Pierre : 33, 75, 94,<br />

422<br />

Bouzet, Jean : 43, 76, 134 à<br />

136, 138, 142, 147, 156,<br />

157, 164, 181, 191, 244,<br />

276, 299 à 301, 303, 309,<br />

328, 332, 334, 335, 390,<br />

419, 441<br />

Boyer, Henri : 68<br />

Brasquet, Gérard : 78<br />

Broc, Alain : 69<br />

Brunel, Clovis : 5, 102<br />

Buesa Oliver, Tomás : 18, 242,<br />

379<br />

Bustos, Joan : 99, 234<br />

Calmette, Pierre : 90<br />

Camélat, Michel : 65, 74, 76,<br />

78, 79, 84, 123, 134, 135,<br />

138, 165, 201, 214, 215,<br />

232, 254, 257, 285, 299,<br />

305, 390, 426 à 431<br />

Camproux, Charles : 83, 379<br />

Cantalausa : 211<br />

Canton, René : 203, 343, 344<br />

Carbonne, Philippe : 32, 51,<br />

74, 200, 220, 243, 292<br />

Carcopino, Jérôme : 65, 142<br />

Carles, Serge : 412


Jean <strong>Lafitte</strong> 361 Tables<br />

Carnot, Sadi : 38<br />

Caseboune, Yulien : 56, 202,<br />

203<br />

Casteret, Jean-Jacques : 204<br />

Castet, Jean (abbé) : 77<br />

Catach, Nina : 195, 210, 219,<br />

229, 236, 242<br />

Cauhapé, Amédée : 297<br />

Cazalets, Marc : 56, 116<br />

(note), 389<br />

Cénac-Moncaut, Justin, Édouard :<br />

266, 297, 392, 431, 437,<br />

440, 441, 443, 444, 446<br />

Cercamon : 19<br />

Cerquiglini, Bernard : 5, 29 à<br />

31, 95<br />

Certeau, Michel de : 37, 55<br />

Chabaneau, Camille : 18<br />

Chadeuil, Michel : 47, 87<br />

Chambon, Jacques : 65, 95<br />

Chambon, Jean-Pierre : 17, 20,<br />

24, 27, 57, 58, 61, 63, 74,<br />

75, 83, 197, 201, 227, 228,<br />

237, 380<br />

Chanet, Jean-François : 86<br />

Chapduelh, voir Chadeuil<br />

Chaplain, Éric : 158, 195, 245,<br />

263, 448<br />

Charles VI et VII : 346<br />

Chatbèrt, Ramon : 230<br />

Cheronnet, Bernard : 36, 255,<br />

320<br />

Choffrut-Faure, Patrick : 56<br />

Cierbide, Ricardo : 92, 242<br />

Clavé, Paul : 346<br />

Collet, E. : 203<br />

Condó Sembeat, Joseph (abbé)<br />

: 77<br />

Conord, Jean : 221<br />

Coromines, Joan : 8, 152, 153,<br />

155, 169, 191, 243, 260,<br />

275, 276, 278, 298 à 300,<br />

326, 336, 430, 437<br />

Cortète de Prade, François de :<br />

116<br />

Courouau, Jean-François : 103,<br />

105, 112, 115<br />

Courriades, Joseph : 142, 143,<br />

156, 191, 244, 335<br />

Cousteix, Hinard et Weinberg :<br />

28<br />

Couture, Léonce (abbé) : 378<br />

Cros, Estève : 393<br />

Cubaynes, Jules (abbé) : 42<br />

Daignan du Sendat, Louis (abbé)<br />

: 104, 105<br />

Dalbera, Jean-Philippe : 30<br />

Dambielle, Honoré (abbé) :<br />

132, 275<br />

Dante : 228, 297<br />

Dardy, Léopold (abbé) : 39,<br />

165, 166, 212 à 214, 248,<br />

434, 446<br />

Darichon, Charles : 214<br />

Darrigrand, Jean-Pierre : 26,<br />

186, 286<br />

Darrigrand, Robert : 27, 37,<br />

78, 81, 107, 109, 115, 146,<br />

157, 159, 160, 163, 166,<br />

186, 191, 195, 206, 213,<br />

215, 230, 235, 238, 244,<br />

245, 247, 261, 262, 264,<br />

269, 279 à 282, 286, 291,<br />

298, 300 à 303, 305, 313,<br />

317, 397, 432, 434<br />

Dastros, voir Astros (d’)<br />

Daugé, Césaire (abbé) : 39, 76,<br />

123, 203, 214, 215, 232,<br />

275, 432 à 435<br />

Daulon, Louis : 202<br />

Dauzat, Albert : 23, 28, 228<br />

Daval, Félix : 289<br />

Deguillaume, Colette : 59<br />

Deixonne, Maurice : 25, 31 à<br />

34, 39, 65, 143, 147, 226<br />

(note), 391, 426<br />

Delalenga, Carles : 230<br />

Delmas, Jean : 95<br />

Delpastre, Marcelle : 44<br />

Delpla, Claude : 41<br />

Denoix de Saint Marc, Renaud<br />

: 32<br />

Désazars de Montgaillard, Marie,<br />

Louis (baron de) : 126,<br />

128<br />

Descartes, René : 86<br />

Despourrins, Cyprien : 116,<br />

164<br />

Desrozier, Peir : 145, 251<br />

Dinguirard, Jean-Claude : 151<br />

Dompmartin-Normand, Chantal<br />

: 67<br />

Druon, Maurice : 36<br />

Dubos, Jean-Pierre (Dr.) : 297,<br />

437, 444, 448, 449<br />

Dugay, Dominique : 116<br />

Dulau, Guy : 45, 170, 180,<br />

256, 258, 263, 282, 297,<br />

337, 431, 437, 441, 442,<br />

444, 446, 448<br />

Dupleich, Jean-Jacques, Prudence<br />

: 297, 431, 437, 440,<br />

441, 443, 444, 446<br />

Dupreuilh, G. : 203<br />

Dutech, Hubert : 204<br />

Eple, Jean-Michel : 83<br />

Escarpit, Robert : 25<br />

Estalenx, Jean-François d’ : 202<br />

Estieu, Prosper : 122, 126 à<br />

130, 133 à 135, 154, 206<br />

Eygun, Jean : 172<br />

Estiou, Jean d’, voir Vignes<br />

Fabra, Pompeu : 265, 447<br />

Fauché, Jean-Édouard : 437<br />

Favier, Jean : 33<br />

Fay, Jean : 286, 289<br />

Fénié, Jean-Jacques : 207<br />

Fernández-Cuadrench, Jordi :<br />

80 à 82<br />

Ferré, Jean-Paul : 64, 207<br />

Field, Thomas<br />

Foix, Vincent (abbé) : 109<br />

(note), 202, 404 (note), 437<br />

Fondet, Claire : 232<br />

Fondeville, Jean-Henri : 37,<br />

112, 116, 246, 313<br />

Fontan, François : 229<br />

Fossat, Gilles : 211, 237, 238,<br />

290<br />

Fossat, Jean-Louis : 202, 267<br />

(note)<br />

Fourié, Jean : 32, 289<br />

Fournier, Marcel: 25<br />

Frick, M. : 23, 43, 208<br />

Furer, Jean-Jacques : 91<br />

Gaillard, Auger : 116<br />

Ganuchaud, Nathalie : 70<br />

Gardy, Philippe : 36, 37, 70,<br />

94, 106, 197<br />

Garnier, Guiu : 57


Jean <strong>Lafitte</strong> 362 Tables<br />

Garros, Jean de : 115<br />

Garros, Pey de : 8, 16, 36, 106,<br />

107, 109, 114, 115, 140,<br />

143, 151, 191, 241, 276,<br />

303, 345, 347, 392<br />

Gassion, Jacob de : 115<br />

Gaston Fébus (Phébus) : 63,<br />

104, 160, 439<br />

Gaube, Élodie : 391<br />

Gavaudan, Andriu de (voir<br />

André Bianchi)<br />

Gavel, Henri : 77, 99, 120,<br />

141, 142, 182, 191, 212,<br />

227, 267, 320, 322, 323, 343<br />

Gerde, Philadelphe de : 54,<br />

133, 154, 221<br />

Giacomo, Bernard : 411<br />

Gieure, Mgr. : 76, 390<br />

Gilles, Monique : 282, 394<br />

Giordan, Henri : 24, 29, 30, 33<br />

Girard, Ismaël : 78, 115, 129,<br />

133, 134, 139 à 142, 210,<br />

221, 242, 245, 275, 285<br />

Gonzalès, Éric : 72, 224, 238,<br />

248, 249, 286, 321<br />

Goudelin, Pierre : 116<br />

Gougaud, Henri : 63, 92, 207<br />

Gouiran, Gérard : 286<br />

Grangé, Jean-Marie (abbé) :<br />

160<br />

Granier, Serge : 84<br />

Grégoire de Tours : 109<br />

Grégoire, Henri (abbé) : 37<br />

Greub, Yan : 17, 20<br />

Gric de Prat, voir Romefort<br />

Grosclaude, Claudette : 388<br />

Grosclaude, David : 81, 200,<br />

201, 218<br />

Grosclaude, Michel : 5, 13, 19,<br />

25 à 27, 29, 40 à 45, 47, 48<br />

(note), 50, 63, 75, 78, 79, 81<br />

à 83, 87, 94, 101, 107, 108,<br />

110 à 114, 119, 146, 157<br />

(note) à 159, 162, 163, 168,<br />

172, 175, 185 à 187, 189,<br />

195, 200, 213 à 217, 221 à<br />

223, 226, 228, 244 à 247,<br />

252, 258, 268 à 270, 276,<br />

279, 281, 282, 284 à 286,<br />

290, 294 à 296, 298 à 301,<br />

303 à 305, 311, 316, 317,<br />

319, 320, 384, 388, 393,<br />

395, 396, 399, 419, 422,<br />

423, 434, 441, 444, 447<br />

Gross, M. : 441<br />

Guilhemjoan, Patric : 186, 214,<br />

215, 232, 426, 432 à 436<br />

Guillaumie, Gaston : 19<br />

Guillorel, Hervé : 147<br />

Habib, David : 217<br />

Haby, René : 24, 29, 32, 33,<br />

66, 69<br />

Hagège, Claude : 28<br />

Hammel, Étienne : 197<br />

Hatoulet, Jean : 117<br />

Haure-Placé, Pierre : 311, 439<br />

Héraclite : 346<br />

Hergé : 64<br />

Hervieu, Bertrand : 59<br />

Homère : 5, 95, 225<br />

Hondelatte, Georges : 203<br />

Hourcade, André : 17, 19, 38,<br />

71, 95, 163, 164, 167, 191,<br />

244, 248, 258, 269, 271,<br />

279, 300<br />

Hourcadut, voir Larroque E.<br />

Hourcastrémé, Pierre : 37, 54,<br />

116, 305<br />

Jaurion, Jean : 23<br />

Javaloyès, Serge : 47, 67, 73,<br />

75, 81, 216, 289<br />

Jeanjean, Henri : 304 (note)<br />

Jeanne d’Arc : 346<br />

Jeanroy, Alfred : 378<br />

Jeantet, Maurice : 67<br />

Jejcic, Fabrice : 232<br />

Kalinine-Bourthoule, Nicolas :<br />

93, 108<br />

Kirsch, Fritz Peter : 30<br />

Kremnitz, Georg : 63, 64, 67<br />

(note), 69, 198, 200, 207,<br />

211, 219<br />

Kristol, Andres M. : 11, 43, 57<br />

à 59, 63, 80, 84, 87, 90, 113,<br />

205, 207, 208, 211, 214, 379<br />

Laban, Justin (abbé) : 316 (note)<br />

La Fontaine, Jean de : 116<br />

Labarrère, André : 53, 205,<br />

217<br />

Laborde, Jean-Baptiste (abbé) :<br />

138, 257, 390<br />

Laborde, Narcisse : 321<br />

Laborde-Balen, Louis : 40, 223<br />

Lacaze, A. : 123, 128<br />

Lacaze, Louis : 313<br />

Lacoarret, Léonce (Dr.) dit Al<br />

Cartero : 122, 123, 196, 203<br />

Lacoste, Jean : 202<br />

Lacoste, Sylvain : 123<br />

Lafont, Robert : 11, 15, 16, 23,<br />

24, 27, 34, 38, 59, 63, 72,<br />

81, 83, 90, 95, 106 à 108,<br />

110 à 115, 118, 135, 145,<br />

196 à 198, 200, 201, 224,<br />

229, 241, 268, 379, 395, 399<br />

Lafore, Marguerite : 222<br />

Lafore, Pierre-Daniel : 120,<br />

121<br />

Lagarde, André : 69, 147, 392<br />

Lagarde, Christian : 63, 84<br />

Lagouarde, Régine : 419<br />

Lalanne, Jean-Victor : 28, 39,<br />

123, 203<br />

Lalanne, Théobald (abbé) : 43,<br />

46, 276, 299<br />

Lalaude, Alain : 203<br />

Laliman, Jean-Pierre : 247,<br />

252<br />

Lamolère, Sylvain : 116<br />

Lamuela, Xavier : 91, 169,<br />

200, 211, 412<br />

Lang, Jack : 33<br />

Lanot, Maurice (abbé) : 202,<br />

203<br />

Lapassade, Roger : 41, 42, 44,<br />

55, 57, 78, 79, 82, 94, 135,<br />

206, 207, 209, 214, 215,<br />

218, 223, 230, 270, 271,<br />

282, 286, 299, 300, 305,<br />

345, 348, 385, 418, 448<br />

Laporte-Castede, Georgette :<br />

203<br />

Larade, Bertrand : 105, 112,<br />

115, 312<br />

Larosière, Jacques de : 98<br />

Larrebat, Justin : 267<br />

Larrey-Lassalle, Serge : 89<br />

Larroque, Eugène, dit Hourcadut<br />

: 122, 318<br />

Lartigue, Philippe : 103, 250,<br />

255, 377


Jean <strong>Lafitte</strong> 363 Tables<br />

Lassalle, Jean : 445<br />

Lasserre, Jean-Jacques : 88<br />

Latrubesse, Jean-Paul : 48, 49,<br />

66, 69, 71, 207, 215<br />

Latry, Guy : 47, 70, 106<br />

Latry, Marie-Claire : 46<br />

Lauzin : 115<br />

Lavit, Jean-Louis : 209, 282,<br />

298, 304<br />

Laxague, Félix : 68<br />

Le Nail, Jean-François : 102<br />

Leroy-Ladurie, Emmanuel : 47<br />

Le Sage, Daniel : 116<br />

Lespinay, Charles de : 29, 31<br />

Lespy, Vastin-Désiré : 8, 18,<br />

38, 64, 114, 116 à 122, 125,<br />

150, 164, 169, 176, 183,<br />

191, 231, 240, 242, 244,<br />

246, 259, 260 (note), 269,<br />

270, 272, 275, 278, 281,<br />

284, 285, 290, 294, 295,<br />

297, 300, 304, 311, 321,<br />

329, 330, 390, 397, 437, 444<br />

Lodge, Anthony : 18, 19, 380<br />

Luchaire, Achille : 18, 20, 38,<br />

100 à 103, 259, 282, 378,<br />

440, 444, 446, 447<br />

Manciet, Bernard : 44, 221,<br />

270, 271, 280, 282<br />

Marcabru : 19<br />

Marguerite de Navarre : 106<br />

Martel, Charles : 41<br />

Martel, Philippe : 197, 268, 286<br />

Marti, Claude : 56<br />

Martinet, André : 18, 278, 380<br />

Marty, J. : 18<br />

Marty, Robert : 80, 412<br />

Massartic, Pierre : 425<br />

Masson, Fernand : 202<br />

Massourre, Jean-Louis : 202,<br />

333<br />

Mazure, A. : 117<br />

Méaule, Pierre : 181, 431, 437,<br />

442, 450<br />

Merger, Tédéric : 206<br />

Mézeray, François Eudes de :<br />

210<br />

Miró, Joël : 170, 178 à 181,<br />

209, 210, 216, 230, 245,<br />

250, 265, 283, 298, 431<br />

Mistral, Frédéric : 19, 22, 23,<br />

26, 38, 39, 47, 74, 76, 77,<br />

81, 85, 86, 93, 94, 116, 126,<br />

127 à 130, 133, 144, 146,<br />

153, 157 (note), 176, 182,<br />

186, 198, 212, 219, 225,<br />

228, 229, 257, 280 (note),<br />

284, 297, 305, 391, 392,<br />

397, 416, 424, 430, 431,<br />

441, 442, 444, 448, 451<br />

Mitterand, François : 205<br />

Molière, Jean-Baptiste Poquelin,<br />

dit : 86<br />

Monestier, Jean : 25, 298, 392<br />

Montaigne, Michel : 37<br />

Mora, Pierre : 46, 157, 245,<br />

448<br />

Moreux, Bernard : 49, 50, 52,<br />

58, 59, 68, 69, 94, 181, 189,<br />

191, 244, 309, 316, 317,<br />

322, 328<br />

Mouly, Charles : 64, 207<br />

Moureau, Pierre : 195, 431,<br />

437<br />

Nagore, Francho : 379<br />

Narioo, Dominique : 206<br />

Narioo, Gilbert : 40, 42 à 45,<br />

56, 66, 68, 71, 73, 81, 87,<br />

94, 95, 143, 155, 167, 172,<br />

175, 178 (note), 183, 186,<br />

191, 213, 215, 227, 232,<br />

238, 243, 245, 247, 263,<br />

265, 268, 270, 271, 279,<br />

281, 282, 286, 289 à 291,<br />

293, 294, 299, 304, 316,<br />

391, 392, 430 à 436, 441,<br />

444, 448<br />

Navarrot, Xavier : 116<br />

Nelli, René : 32<br />

Ngom, Malik : 393<br />

Nicole, Pierre : 404<br />

Niedermann, Max : 284, 439<br />

Orionaa, Marilis, voir Dominique<br />

Narioo<br />

Ourliac, Paul : 282, 394<br />

Palay, Simin : 6, 14, 21, 22,<br />

39, 47, 72, 74, 76 à 79, 109<br />

(note), 112, 123, 124, 126,<br />

127, 129, 131, 133, 134, 136<br />

à 139, 142, 143, 146, 152,<br />

155 à 157, 164, 166, 171,<br />

176, 180, 183, 184, 185,<br />

188, 191, 194, 197, 201,<br />

202, 215, 221, 238, 242,<br />

244, 246, 248, 249, 254 à<br />

257, 259, 265, 266, 268,<br />

269, 276, 279, 280 (note),<br />

281 à 286, 292, 296, 297,<br />

299, 300, 304, 305, 308,<br />

309, 313, 314, 319 à 329,<br />

331 à 334, 336, 339, 343,<br />

345 à 347, 379, 382, 388,<br />

390 à 393, 397, 419, 422,<br />

428, 431, 433, 437, 439 à<br />

444, 446, 448, 449, 457 à<br />

459<br />

Palay, Yan : 109 (note), 188,<br />

285, 303<br />

Paloumet, Geneviève : 441<br />

Palu-Laboureu, Denis : 28<br />

Pasquini, Pierre : 85, 197<br />

Passy, Jean : 255, 256, 278<br />

Pédegert, Félix : 116, 117, 191,<br />

401, 404 (note)<br />

Peletier du Mans, Jacques :<br />

107<br />

Pélisson, Henri : 122<br />

Perbosc, Antonin : 122, 126 à<br />

131, 133, 134, 154, 206, 393<br />

Perez : 115<br />

Pessemesse, Pierre : 30, 56<br />

Pétain, Philippe : 65<br />

Peyrefitte, Alain : 5<br />

Peyroutet, Albert : 305, 426,<br />

458<br />

Pic, André : 76, 134, 135, 138,<br />

254, 257<br />

Pivot, Bernard : 218, 348<br />

Planté, Adrien : 123<br />

Poey, Bernard du : 36, 37<br />

Polge, Henri : 20<br />

Ponsolle, Jules et Yvonne :<br />

131<br />

Popovici, Victoria : 91<br />

Praviel, Armand : 133<br />

Pré, André du : 115, 312<br />

Privat, Édouard : 133<br />

Ptolémée II : 9<br />

Pujol, Michel : 50, 56, 86, 92,<br />

207, 263, 298<br />

Puyau, Jean-Marie : 50, 181,<br />

189, 191, 244, 309, 311,<br />

312, 316, 318, 322, 328


Jean <strong>Lafitte</strong> 364 Tables<br />

Rabelais, François : 212<br />

Raimbaut de Vaquèiras : 99,<br />

234<br />

Rapin, Christian : 188, 286,<br />

287, 289, 392, 412<br />

Rauzier, Yves : 82<br />

Ravier, Xavier : 17, 70, 141,<br />

148 à 151, 153 à 155, 202,<br />

244, 245, 247, 251, 258,<br />

264, 272, 279, 311, 312,<br />

315, 320, 412, 433<br />

Raymond, Paul : 8, 101, 104,<br />

117, 272, 290, 297<br />

Rectoran, Pierre : 77, 285, 437<br />

Révol, Joseph et François : 203<br />

Rey, Alain : 98, 229, 397, 430<br />

Rézeau, Pierre : 81<br />

Rifaut, Aldjia : 263, 448<br />

Rivièra, Vincent : 72<br />

Rohlfs, Gerhard : 14, 15, 71,<br />

152, 202, 261, 278, 378,<br />

379, 737, 440<br />

Romefort, Roger (Dr.) dit Gric<br />

de prat : 203, 445<br />

Romieu, Maurice : 70, 74, 200<br />

Ronjat, Jules : 28, 39, 83, 132,<br />

278<br />

Ros, Joan : 145, 251<br />

Roumanille, Joseph : 198, 219<br />

Rouquette, Max : 31<br />

Roux, Jean : 266<br />

Roux, Joseph (abbé) : 122, 126<br />

Saboly, Nicolas : 116<br />

Saint-Bézard, Marcel (abbé) :<br />

123, 160, 344<br />

Saint-Guilhem, R. : 28<br />

Salette, Arnaud de : 27, 37, 93,<br />

104, 105, 107 à 115, 118,<br />

119, 158, 160, 163, 191,<br />

206, 222, 229, 247, 298,<br />

303, 309, 317, 319, 320,<br />

392, 395 à 400<br />

Sallenave-Péhé, Yves : 89, 214<br />

Salles, Isidore : 120, 122, 203,<br />

391<br />

Salles-Loustau, Jean : 6, 19,<br />

28, 30, 65, 67 à 70, 89, 165<br />

à 168, 175, 189, 191, 202,<br />

213 à 215, 232, 244, 248,<br />

253, 258, 279, 286, 300,<br />

302, 303, 380, 426, 427,<br />

431, 432, 434 à 436, 446<br />

Salvat, Joseph (abbé) : 128,<br />

133, 135<br />

Samaran, Charles : 102, 110,<br />

272, 308, 343, 346, 379<br />

Sans Socasau, Josèp Loís : 61<br />

Sarpoulet, Pascal, Jean-Marie :<br />

62, 70<br />

Sarrail, André : 99, 120, 138<br />

(note), 139, 155 à 157, 182,<br />

184, 191, 202, 308, 310, 322<br />

à 324, 327, 330 à 332, 334 à<br />

336, 344<br />

Sarrieu, Bernard : 77, 126, 131<br />

à 133, 196, 221<br />

Sauzet, Patrick : 22, 30, 54, 61,<br />

68, 70, 75, 87, 148, 198,<br />

200, 201, 233, 268, 305, 347<br />

Scaravetti, I. : 84<br />

Séguy, Jean : 11, 16, 17, 77,<br />

141, 147 à 155, 164, 178,<br />

191, 245, 247, 251, 258,<br />

259, 262, 263, 265 à 267,<br />

270, 272, 278, 279, 282,<br />

295, 296, 298, 324, 345,<br />

429, 430, 432, 435, 441,<br />

448, 450<br />

Séré, Daniel : 252<br />

Sibille, Jean : 27 à 29, 52, 84,<br />

95, 147, 201, 229, 258, 286<br />

Simoni, Marie-Rose : 30<br />

Solèr, Clau : 91<br />

Stich, Dominique : 258<br />

Sumien, Dominique : 200<br />

Taupiac, Jacques : 23, 45, 47,<br />

71, 150, 158, 161, 163, 166,<br />

167, 171, 177, 197 à 200,<br />

210, 229, 235 à 237, 241 à<br />

243, 248, 252, 253, 256,<br />

258, 268, 270 à 272, 275,<br />

281, 283, 287, 288, 296,<br />

297, 307, 379, 392, 411,<br />

412, 421, 448<br />

Teulat, Roger : 7, 14, 84, 163,<br />

178, 199, 200, 211, 213,<br />

228, 232, 233, 235, 238,<br />

240, 243, 245, 270, 275,<br />

290, 292, 296, 306, 410, 411<br />

Trautmann, Catherine : 29<br />

Turon, Micheline : 28<br />

Ubaud, Josiane : 22, 198<br />

Väänänen, Veikko : 74, 299,<br />

300, 336<br />

Vaisse, Charlotte : 289<br />

Verdié, Antoine, dit Mèste<br />

Verdié : 116, 230, 445<br />

Vergés Bartau, Frederic : 45,<br />

258, 264, 437, 448<br />

Vernay, Henri : 202<br />

Verne, Jules : 64<br />

Vernet, Florian : 72<br />

Viaules, Serge : 23<br />

Viaut, Alain : 46, 52, 55<br />

(note), 70, 158, 178, 197,<br />

215, 245, 248, 254, 279,<br />

303, 311, 437, 446, 449, 450<br />

Vidal, Yolande : 40, 46, 170,<br />

171, 205, 263, 292, 297,<br />

431, 437, 441, 444, 446,<br />

448, 449<br />

Vigneau, Bernard : 437, 445<br />

Vignes, Henri, dit Jean<br />

d’Estiou : 202<br />

Villon, François : 212<br />

Vilotte, Jean : 51<br />

Voltaire, Jean-Marie Arouet<br />

dit : 98, 233<br />

Walter, Henriette : 380<br />

Wartburg, Walther von : 229<br />

Wüest, Jakob Th. : 11, 43, 57 à<br />

59, 63, 80, 84, 87, 90, 113,<br />

205, 207, 208, 211, 214, 379<br />

Zink, Gaston : 397


TABLE DES MATIÈRES<br />

Sommaire........................................................................................................................... 3<br />

Prologue............................................................................................................................. 5<br />

Mon itinéraire personnel................................................................................... 5<br />

Le projet DiGaM ............................................................................................. 6<br />

De DiGaM à une thèse de doctorat ?................................................................. 7<br />

DiGaM et la graphie classique .......................................................................... 7<br />

Retour à la graphie moderne ............................................................................. 8<br />

Plan .................................................................................................................. 10<br />

Une remarque de fond : sur la place du Béarn dans ce travail............................ 10<br />

Trois remarques de forme ................................................................................. 11<br />

Chapitre préliminaire - La langue gasconne...................................................................... 13<br />

Le domaine linguistique gascon ........................................................................ 13<br />

Langue ou dialecte ? Pourquoi je me suis posé la question................................ 13<br />

Le témoignage des linguistes occitanistes…...................................................... 14<br />

… et des linguistes indépendants, français et étrangers...................................... 18<br />

Derrière ces avis : la distance linguistique en schéma et statistique ................... 20<br />

La réalité des actions linguistiques.................................................................... 22<br />

Le témoignage des libraires............................................................................... 22<br />

L’autonomie du gascon, un obstacle pour l’expansion occitaniste..................... 23<br />

Le refus occitaniste........................................................................................... 24<br />

Refus curieusement repris dans le rapport du Pr. Bernard Cerquiglini de 1999.. 29<br />

Le faux prétexte juridique................................................................................. 31<br />

Mais le refus occitaniste n’est peut-être pas définitif ......................................... 34<br />

Première partie - Situation sociolinguistique du gascon.................................................. 35<br />

Chapitre I er - La représentation de la langue chez les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong>................... 36<br />

I – Aux temps passés............................................................................................... 36<br />

II – Le temps de Félibres......................................................................................... 38<br />

III – Le tournant de 1951 : le gascon vu par l’occitanisme....................................... 39<br />

La « langue occitane » entre à l’école................................................................ 39<br />

Le gascon renommé « occitan de Gascogne » ................................................... 40<br />

L’influence de Michel Grosclaude .................................................................... 40<br />

La schizophrénie de l’occitanisme gascon......................................................... 43<br />

Le résultat : confusion dans les titres, confusion dans les esprits ....................... 45<br />

IV – Aujourd’hui : le regard des locuteurs............................................................... 48<br />

L’enquête béarnaise de 1974 (J.-P. Latrubesse, 1974) ....................................... 48<br />

Les enquêtes départementales et régionale des années 1990 (B. Moreux, 2001) 49<br />

Quelques exemples pris sur le vif...................................................................... 51<br />

Même en Val d’Aran…..................................................................................... 52<br />

V – Et le regard des autres ? .................................................................................... 52<br />

Chapitre II - La pratique de la langue par les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong> ............................... 54<br />

I – Du Moyen âge au milieu du XX e siècle.............................................................. 54<br />

II – Qui parle encore gascon ? ................................................................................. 55<br />

Des témoignages............................................................................................... 55<br />

Les enquêtes linguistiques d’avant 1999 ........................................................... 57<br />

L’enquête INSEE-INED de 1999 (C. Deguillaume et É. Amrane, 2002)........... 59


Jean <strong>Lafitte</strong> 366 Tables<br />

III – De quoi parle-t-on en gascon ?......................................................................... 62<br />

IV – Et donc, où en est l’écrit gascon ?.................................................................... 63<br />

Chapitre III - La transmission artificielle : l’enseignement........................................... 65<br />

L’école, espoir suprême et suprême pensée…................................................... 65<br />

Une école alibi ? .............................................................................................. 67<br />

Une fausse panacée ? ........................................................................................ 68<br />

Un doute : les enseignants sont-ils compétents ? ............................................... 71<br />

Une autre façon de voir le rôle de l’École ? ...................................................... 75<br />

Chapitre IV - Les institutions qui militent pour la langue............................................. 76<br />

I – Le Félibrige gascon............................................................................................ 76<br />

L’Escole Gastou Febus..................................................................................... 76<br />

L’Escolo deras Pirenéos................................................................................... 77<br />

L’Academie gascoune....................................................................................... 77<br />

L’Escole Jaufré Rudel....................................................................................... 77<br />

L’Escole Simin Palay........................................................................................ 77<br />

II – L’occitanisme gascon........................................................................................ 77<br />

L’<strong>Institut</strong> d’études occitanes............................................................................. 77<br />

L’association Per nouste, puis Per noste........................................................... 78<br />

L’association Aci <strong>Gascon</strong>ha.............................................................................. 79<br />

Les autres associations gasconnes se réclamant de l’I.E.O................................. 80<br />

L’<strong>Institut</strong> occitan de Pau, puis de Billère........................................................... 80<br />

L’aliénation “occitane”..................................................................................... 80<br />

III – D’autres perspectives ? .................................................................................... 82<br />

L’<strong>Institut</strong> béarnais et gascon............................................................................. 82<br />

Appel aux jeunes ?............................................................................................ 82<br />

IV – Vitalité intellectuelle ....................................................................................... 83<br />

Une linguistique d’amateurs militants............................................................... 83<br />

L’I.E.O. et les études occitanes ......................................................................... 83<br />

V – Se serait-on trompé ? ........................................................................................ 84<br />

Des institutions peu efficaces............................................................................ 84<br />

Une erreur “stratégique” : l’élitisme bourgeois du Félibrige.............................. 85<br />

Erreur poursuivie par l’élitisme bourgeois de l’occitanisme .............................. 86<br />

VI – Le résultat : peu nombreux, les militants sont isolés......................................... 86<br />

Des militants non reconnus par le peuple des locuteurs..................................... 86<br />

Un monde politique qui pratiquement les ignore............................................... 88<br />

Chapitre V - Y a-t-il un avenir pour des langues “régionales” ?.................................... 90<br />

Victimes de la modernité .................................................................................. 90<br />

L’illusion de l’officialisation............................................................................. 90<br />

Il faut des langues à l’échelle du monde…........................................................ 92<br />

… et tournées vers l’avenir ............................................................................... 93<br />

L’intuition féminine ? ....................................................................................... 94<br />

Les perspectives qui nous restent ...................................................................... 94<br />

Deuxième partie – Écrire le gascon aujourd’hui ............................................................. 97<br />

Chapitre I er - Historique des graphies du gascon .......................................................... 98<br />

1 - Prologue : Graphies modernes et graphies classiques.......................................... 98<br />

2 - Le Moyen âge .................................................................................................... 99<br />

La prétendue « graphie des troubadours » ......................................................... 99


Jean <strong>Lafitte</strong> 367 Tables<br />

La scripta “béarnaise”, même loin du Béarn...................................................... 99<br />

Le graphème e pour a étymologique, témoin d’un particularisme phonétique.... 101<br />

Les grands traits de la “scripta béarnaise”… et gasconne .................................. 103<br />

3 - Cent-un proverbes anonymes (vers 1500)........................................................... 104<br />

4 - Pey de Garros..................................................................................................... 106<br />

5 - Arnaud de Salette............................................................................................... 107<br />

Un auteur bien étudié........................................................................................ 107<br />

Salette grammairien.......................................................................................... 108<br />

Le contenu de l’Advertissement......................................................................... 109<br />

L’aboutissement de -a posttonique chez Salette ................................................ 110<br />

Le passage à /u/ de l’ancien o fermé.................................................................. 111<br />

Les options orthographiques de Salette ............................................................. 113<br />

Salette, homme de la graphie moderne.............................................................. 114<br />

6 - Du XVI e au XIX e siècle...................................................................................... 115<br />

7 - L’abbé Félix Pédegert (1809-1889) .................................................................... 116<br />

8 - Vastin-Désiré Lespy (1817-1897)....................................................................... 117<br />

Les principes de la graphie selon Lespy............................................................ 117<br />

Les signes diacritiques...................................................................................... 118<br />

La notation des voyelles et diphtongues............................................................ 119<br />

La notation des consonnes ................................................................................ 119<br />

Réception et devenir de la graphie de Lespy...................................................... 119<br />

9 - L’Escole Gastou Febus ...................................................................................... 120<br />

I - Règles de 1900 ................................................................................................ 120<br />

La genèse.......................................................................................................... 120<br />

Les principales nouveautés................................................................................ 121<br />

La suite............................................................................................................. 122<br />

II - Règles de 1905............................................................................................... 123<br />

Le chantier est rouvert ...................................................................................... 123<br />

Les changements............................................................................................... 124<br />

Ce que j’en retiens d’important......................................................................... 125<br />

10 - La graphie des “Trovadors”.............................................................................. 126<br />

I - L’échappée classique de Simin Palay (1909-1921) .......................................... 126<br />

II – L’Escole moundino et l’Escòla occitana de Toulouse .................................... 128<br />

1921 : La chaîne est renouée (P. Estieu) ........................................................... 128<br />

1922 : L’etzemple dos Catalans (I. Girard)........................................................ 129<br />

1923 : Le lengadoucian literari (L. Alibert) ...................................................... 129<br />

III – Bernard Sarrieu et l’Escolo deras Pirenéos................................................... 131<br />

IV – Philadelphe de Gerde (vers 1930)................................................................. 133<br />

V – Camélat et les Trovadors............................................................................... 134<br />

11 - Jean Bouzet et son Manuel de grammaire béarnaise (1928) ............................. 135<br />

12 - Simin Palay et son Dictionnaire (1932)............................................................ 136<br />

De la notation des consonnes finales amuïes ..................................................... 136<br />

Palay et les problèmes pendants........................................................................ 138<br />

L’apport de Palay.............................................................................................. 139<br />

13 - Les Règles orthographiques de la Société d’Études Occitanes (1942) ............... 139<br />

14 - Les Recommandations du Pr. Henri Gavel (1942) ............................................ 141<br />

15 - Les Éléments de grammaire béarnaise de Joseph Courriades (1951)................ 142<br />

16 - La graphie du gascon selon l’I.E.O. (1952)....................................................... 143<br />

Un premier texte pour « la langue d’oc » (1950) ............................................... 143<br />

Un second texte pour le gascon (1952).............................................................. 144<br />

Deux textes parallèles de même valeur juridique............................................... 145


Jean <strong>Lafitte</strong> 368 Tables<br />

Les 8 principes d’Alibert pour la graphie .......................................................... 146<br />

Les règles orthographiques du gascon............................................................... 146<br />

Appréciation ..................................................................................................... 147<br />

Et l’« épuration de la langue » ?........................................................................ 148<br />

17 - La graphie classique “modernisée” par Jean Séguy et son “école”.................... 148<br />

Quelques phonèmes consonantiques ................................................................. 149<br />

Trois phonèmes vocaliques............................................................................... 151<br />

Traitement des mots composés.......................................................................... 151<br />

Révision de choix à base étymologique............................................................. 152<br />

Accents graphiques........................................................................................... 153<br />

Enclise des pronoms ......................................................................................... 153<br />

Solutions diverses............................................................................................. 154<br />

18 - La graphie de l’Escole Gastoû Febus vue par André Sarrail (1968).................. 155<br />

Un ouvrage pédagogique .................................................................................. 155<br />

Le grand principe : on n’écrit que ce qui se prononce........................................ 156<br />

L’apport de Sarrail............................................................................................ 157<br />

19 - La graphie “occitane” appliquée au gascon par R. Darrigrand (1969)............... 157<br />

20 - Les modifications de la graphie classique de l’I.E.O. en 1975........................... 158<br />

21 - La graphie “occitane” du gascon d’Aran (1983) ............................................... 158<br />

22 - La graphie classique du gascon selon La Civada - Per noste (1984) ................. 159<br />

Présentation ...................................................................................................... 159<br />

De quelques orientations linguistiques à conséquences orthographiques............ 160<br />

Les orientations orthographiques....................................................................... 160<br />

Les nouveautés orthographiques ....................................................................... 161<br />

À l’épreuve des mots du dictionnaire................................................................ 161<br />

23 - Le communiqué de l’I.E.O. de 1985................................................................. 162<br />

24 - L’apport d’André Hourcade à la graphie classique (1986)................................ 163<br />

25 - Une critique d’ouvrage par Jean Salles-Loustau (1986) .................................... 165<br />

26 - Le document de l’I.E.O. de juillet 1989............................................................ 166<br />

27 - L’apport du Mémento grammatical du gascon (1989)....................................... 167<br />

28 - La graphie classique du gascon d’Aran selon Joan Coromines (1990)............... 169<br />

29 - Les Fiches de grammaire d’occitan gascon normé (1995)................................ 170<br />

30 - Que parlam, ou l’application de la graphie classique à Bayonne (1996)............ 172<br />

31 - Le “Conseil de la langue occitane” et ses “preconizacions” de 1997................. 174<br />

32 - L’apport de Atau que’s ditz (1998) ................................................................... 175<br />

33 - La graphie classique du gascon selon DiGaM (1998)........................................ 176<br />

34 - La II ème série de “Préconizacions” du C.L.O. (Déc. 1998)................................. 177<br />

35 - Les deux graphies du Dictionnaire d’Arnaudin (2001)...................................... 178<br />

La graphie moderne d’Arnaudin régularisée par J. Boisgontier ......................... 178<br />

La graphie classique ajoutée par J. Miró............................................................ 179<br />

36 - La graphie moderne selon B. Moreux et J.-M. Puyau (2002) ............................ 181<br />

Les origines ...................................................................................................... 181<br />

Les orientations pour la graphie........................................................................ 182<br />

Les principes de la graphie................................................................................ 182<br />

Les innovations................................................................................................. 184<br />

37 - Le « gros » dictionnaire Français-<strong>Gascon</strong> de Per noste (A-K, 2003)................. 185<br />

De trois auteurs, qui est le premier ? ................................................................. 186<br />

La graphie selon l’Avant-propos de M. Grosclaude........................................... 186<br />

Un alphabet qui innove..................................................................................... 187<br />

La réalité des graphies, au fil des pages............................................................. 188<br />

Conclusion .............................................................................................................. 190


Jean <strong>Lafitte</strong> 369 Tables<br />

Tableau comparatif.................................................................................................. 191<br />

Chapitre II - Sociolinguistique des graphies du gascon ................................................ 193<br />

I – De la confusion dans la désignation des graphies................................................ 193<br />

Une “étude de texte” pour essayer d’y voir clair................................................ 193<br />

Quant à faire passer pour “moderne” la graphie “classique”….......................... 195<br />

II – Du pouvoir normatif en matière de graphie....................................................... 195<br />

Aucune graphie n’a pu être légalement “adoptée” par l’Éducation nationale ..... 196<br />

La graphie félibréenne de l’Escole Gastou Febus ou graphie “fébusienne” ....... 196<br />

La graphie occitaniste selon l’I.E.O................................................................... 197<br />

Dans les faits, la confusion................................................................................ 197<br />

Un mal profond................................................................................................. 198<br />

Le Conseil de la langue occitane et ses “preconizacions”.................................. 199<br />

Le vide actuel ................................................................................................... 200<br />

Le problème de l’« autorité » ............................................................................ 201<br />

III – La graphie moderne dans le monde gascon...................................................... 201<br />

Les auteurs de la renaissance félibréenne.......................................................... 201<br />

Les nouveaux auteurs et l’édition contemporaine.............................................. 202<br />

La graphie moderne dans la presse ................................................................... 203<br />

Une collectivité publique se nomme officiellement en graphie moderne............ 205<br />

Et un auteur de dictionnaire lance son Adichats moderne !................................ 205<br />

Quant aux commerçants…................................................................................ 205<br />

IV – La graphie classique dans le monde gascon ..................................................... 206<br />

Une graphie « adoptée par la grande majorité des Occitans » ?.......................... 206<br />

Des articles de presse dont la graphie rebute les non initiés............................... 207<br />

Une édition limitée par l’étroitesse du lectorat .................................................. 207<br />

Et un commerce peu enclin à afficher en graphie classique ............................... 207<br />

Des panneaux de signalisation mal reçus par la masse....................................... 208<br />

Un rejet général d’une graphie sentie comme étrangère..................................... 208<br />

V – La graphie classique, un rêve éveillé de lettrés.................................................. 209<br />

Une graphie élitiste destinée d’abord aux universitaires ?.................................. 209<br />

Une graphie qui ignore les besoins des locuteurs............................................... 211<br />

… malgré bien des mises en garde.................................................................... 212<br />

En fait, une graphie aux règles “secrètes”.......................................................... 213<br />

Une écriture réservée de fait aux enseignants.................................................... 214<br />

Et pourtant, même les “maitres” affichent des “fautes” de graphie… ................ 214<br />

…et les dictionnaires, leurs hésitations et leurs désaccords................................ 216<br />

…tandis qu’une grande maison d’édition affiche des “fautes” de lecture........... 216<br />

Quant au scripteur ordinaire….......................................................................... 217<br />

Une gageure : la « première dictée occitane » à Orthez (31 janvier 2004).......... 218<br />

Premières conclusions....................................................................................... 219<br />

Et si l’enseignement redécouvrait la graphie moderne ? .................................... 219<br />

Chapitre III - Graphie “classique” ou graphie “moderne” ?.......................................... 221<br />

I – Comment l’orthogaphe classique a-t-elle été introduite ?.................................... 221<br />

Les premiers adeptes de la graphie classique..................................................... 221<br />

Le rôle essentiel de Per nouste.......................................................................... 221<br />

Un article de Michel Grosclaude (1967)............................................................ 222<br />

Un document officiel (1972)............................................................................. 223<br />

Des règles de lecture lacunaires, voire erronées................................................. 223<br />

D’étonnantes justifications du choix orthographique......................................... 224


Jean <strong>Lafitte</strong> 370 Tables<br />

Un choix idéologique, sans référence pédagogique ........................................... 226<br />

II – Les défauts congénitaux de la graphie classique de l’I.E.O................................ 227<br />

L’erreur de linguistique diachronique................................................................ 227<br />

L’erreur de linguistique diatopique ................................................................... 228<br />

Le résultat : une graphie inutilement compliquée .............................................. 229<br />

… et où l’on ne retrouve plus la parole.............................................................. 230<br />

Un test : deux œuvres des années 1930 rééditées en graphie classique............... 232<br />

Objectivement, la graphie moderne s’impose........................................................... 232<br />

Chapitre IV - Pour une graphie “classique” vraiment gasconne.................................... 233<br />

I – Comprendre et réviser les principes classiques................................................... 233<br />

Principe A : recours aux graphèmes de l’« ancienne langue »............................ 234<br />

Principe B : graphie « phonétique », graphie « d’origine » ................................ 234<br />

Principe C : les mots sont « notés à l’état isolé » ............................................... 236<br />

Principes D et E : recherche de la « graphie englobante ».................................. 236<br />

Principes F et G : rétablissement de consonnes étymologiques.......................... 237<br />

Principe H : choix de graphèmes suivant l’étymologie...................................... 239<br />

II – En tirer les principes classiques de DiGaM ....................................................... 240<br />

III - L’esprit de mes propositions concrètes............................................................. 241<br />

IV - L’accent tonique .............................................................................................. 242<br />

Le cas général................................................................................................... 242<br />

Les clitiques...................................................................................................... 243<br />

V - Les phonèmes vocaliques simples ..................................................................... 243<br />

Généralités........................................................................................................ 243<br />

o pour noter /u/, et non eu ou e’u, voire uu........................................................ 243<br />

ô pour noter /o/ non tonique.............................................................................. 245<br />

e pour noter les /e/ féminins posttoniques de la montagne ................................. 247<br />

e pour noter /e/ ou /œ ! ø/ prétonique du futur et du conditionnel<br />

des verbes en -ar .................................................................................... 247<br />

a pour noter /a/ ou /œ ! ø/ prétonique des suffixes -ador et -ader...................... 248<br />

e pour noter /e ! œ/ issu d’un a prétonique, dans tous les autres cas.................. 248<br />

a pour noter /œ ! ø / ou /o/ posttonique du suffixe -ament................................. 249<br />

La voyelle e en “parler noir”............................................................................. 249<br />

VI - Les diphtongues............................................................................................... 251<br />

oe/oè pour noter /we/ ou /w!/, et non, selon les cas, ue/uè ou oe/oè................... 251<br />

oa pour noter /wa/ dans tous les cas (hormis après q, qua ; cf. p. 271)............... 251<br />

VII – Les phonèmes semi-consonantiques ............................................................... 252<br />

/w/ intervocalique noté par -u- ......................................................................... 252<br />

Le devenir du yod roman .................................................................................. 254<br />

Un graphème unique est-il possible pour /j/ et /"/ ? ........................................... 256<br />

Avec j pour /j/ et /"/, la “réforme occitane” continue Palay................................ 257<br />

Pour un retour aux sources : y = [j] ................................................................... 258<br />

VIII – Les phonèmes consonantiques palatalisés ..................................................... 260<br />

Occlusives palatales généralement issues de -ll latin : /tj/ ou /#/<br />

ou dépalatalisé en /t/ ............................................................................... 261<br />

La palatale affriquée /#/ et ses réalisations en [tj] ou même [$].......................... 262<br />

La chuintante /$/ : un seul graphème pour /$/ pangascon.................................... 264<br />

La chuintante /$/ : le i des graphèmes ish (ou ix) en question............................. 264<br />

La chuintante /$/ : le graphème gascon, sh ou x ? .............................................. 265<br />

Palatales affriquées généralement issues de -tic- ou -dic- latins : /dj/ ou /%/...... 267<br />

IX –Autres phonèmes consonantiques ..................................................................... 267


Jean <strong>Lafitte</strong> 371 Tables<br />

Le son /h/.......................................................................................................... 267<br />

Le son /k/ en général et en finale....................................................................... 269<br />

Le son /ka/ issu du latin qua.............................................................................. 270<br />

Le son /ko/ issu du latin quo.............................................................................. 271<br />

Le devenir du -n dit “instable” ou “caduc” et sa notation................................... 273<br />

Le -r final ......................................................................................................... 276<br />

Le -d final......................................................................................................... 277<br />

-/t/ final, variante de /!/, noté par -t (5 èmes personnes notamment) ..................... 277<br />

-/s/ final des 5 èmes personnes noté par -s ou -tz ? ................................................ 279<br />

-/!/ final noté par -tz ou -ts, selon les cas .......................................................... 280<br />

/dz/ et /!/ intervocaliques notés respectivement par -dz- et -ts-.......................... 281<br />

Peut-on conserver la lettre x en dehors de sa valeur ["] ? ................................... 283<br />

Le suffixe -[as] : -as ou -aç ? ........................................................................... 287<br />

/z/ intervocalique normalement noté par -s- ...................................................... 287<br />

X – Les signes diacritiques....................................................................................... 291<br />

Les accents graphiques...................................................................................... 291<br />

Le tréma............................................................................................................ 291<br />

Les accents sans valeur phonétique................................................................... 293<br />

XI – Les mots composés ......................................................................................... 294<br />

La norme........................................................................................................... 294<br />

1 ère série d’exceptions, pour des raisons sémantiques ........................................ 294<br />

2 nde série d’exceptions, pour des raisons liées au système d’écriture et de lecture 295<br />

Le a posttonique au sein d’un mot composé ..................................................... 295<br />

Et les “pseudo-composés” ?.............................................................................. 297<br />

XII – Corrections diverses....................................................................................... 297<br />

La négation no................................................................................................... 297<br />

L’affirmation ò.................................................................................................. 297<br />

La “peur” : pòur................................................................................................ 298<br />

Le démonstratif acò (Pour mémoire : voir p. 272).............................................. 298<br />

Les interjections a ! ba ! bò ! e ! ò ! (Pour mémoire : voir p. 269)...................... 298<br />

L’adverbe [en'kw#rœ/o] : encoèra...................................................................... 298<br />

L’adverbe [[aw]tan] ou [[aw]ta] et ses composés .............................................. 298<br />

La finale de tabé, arré (Pour mémoire : voir p. 274)........................................... 300<br />

La préposition a ou ad...................................................................................... 300<br />

La préposition enta, ta (Pour mémoire : voir p. 243) ......................................... 300<br />

L’article défini de la montagne........................................................................... 301<br />

Le pronom “réduit” de la 5 ème pers. : v, ve ou vs, vse, selon la prononciation .... 302<br />

XIII – Quand la graphie change la langue.................................................................. 303<br />

Le produit de ‘nf’ latin : h (cohóner, ihèrn…) ................................................... 303<br />

“Un autre, une autre”........................................................................................ 304<br />

Las Pireneas..................................................................................................... 304<br />

L’année : l’anada .............................................................................................. 305<br />

Chapitre V - Pour une graphie “moderne” améliorée..................................................... 307<br />

I – Généralités ......................................................................................................... 307<br />

L’arrière-plan “idéologique”.............................................................................. 307<br />

Principes généraux............................................................................................. 308<br />

Aperçu des améliorations proposées................................................................. 309<br />

II – L’accent tonique................................................................................................ 309<br />

III – Les phonèmes vocaliques simples.................................................................... 310<br />

Généralités........................................................................................................ 310


Jean <strong>Lafitte</strong> 372 Tables<br />

Le produit du a latin posttonique ...................................................................... 310<br />

Le /e/ posttonique ............................................................................................. 312<br />

Révision du suffixe -amén généralisé par Palay.................................................. 313<br />

Confirmation des suffixes -adou et -adé de Palay .............................................. 314<br />

La voyelle e en “parler noir”.............................................................................. 315<br />

Les voyelles nasales intérieures......................................................................... 315<br />

Autres problèmes de voyelles ........................................................................... 318<br />

IV – Les diphtongues............................................................................................... 318<br />

V – Les phonèmes semi-consonantiques .................................................................. 318<br />

Le /w/ intervocalique......................................................................................... 318<br />

Le yod semi-consonne initial, postconsonantique ou intervocalique : y ou j ? ..... 319<br />

VI – Les phonèmes consonantiques palatalisés........................................................ 319<br />

/!/ devant e, i : g ou j ?....................................................................................... 319<br />

Écrire /"/ : nh ou gn ? ........................................................................................ 319<br />

Le /#/ et la consonne réalisée par [#, $ ou tj] selon les lieux................................. 321<br />

/es#/ ou /e##/ : faut-il une notation particulière ?................................................. 321<br />

VII – Les autres phonèmes consonantiques.............................................................. 322<br />

Le son /b ou % / : faut-il utiliser le v ?................................................................. 322<br />

Le son /h/.......................................................................................................... 323<br />

Faut-il noter le h initial amuï devant r ou l ? ...................................................... 323<br />

Le son /k/.......................................................................................................... 324<br />

Le “n caduc”, de ø à [&] en gascon ..................................................................... 324<br />

/dz/ et /ts/ intervocaliques notés respectivement par -dz- et -ts- ......................... 326<br />

Le son /s/ : notation par s (ou ss) ou par c (ou ç) ?............................................. 328<br />

Le son /t/ final................................................................................................... 329<br />

Écarter x des emplois autres que /#/ ................................................................... 329<br />

VIII – Les signes orthographiques............................................................................ 331<br />

Les accents........................................................................................................ 331<br />

Le tréma valant accent sur ë............................................................................... 332<br />

Le tréma, signe de diérèse.................................................................................. 332<br />

Le tréma dans les groupes qü, gü....................................................................... 334<br />

Les accents sans valeur phonétique................................................................... 334<br />

Liaison des pronoms......................................................................................... 334<br />

IX – Les mots composés ......................................................................................... 335<br />

X – Corrections diverses ......................................................................................... 336<br />

La préposition a ou ad...................................................................................... 336<br />

“Un autre, une autre”........................................................................................ 336<br />

XI – Variantes et tolérances..................................................................................... 336<br />

Les variantes irréductibles................................................................................. 337<br />

Les tolérances ................................................................................................... 338<br />

Chapitre VI - Bilan....................................................................................................... 341<br />

Généralités........................................................................................................ 341<br />

Points de divergence.......................................................................................... 341<br />

La parabole de l’Enfant prodigue en quatre graphies.......................................... 342<br />

Points de convergence....................................................................................... 343<br />

Un exemple concret en synopse ........................................................................ 343<br />

Statistique des lettres accentuées....................................................................... 344<br />

Épilogue............................................................................................................................. 345


Jean <strong>Lafitte</strong> 373 Tables<br />

Bibliographie .................................................................................................................... 349<br />

Ouvrages et articles........................................................................................................ 349<br />

Revues .......................................................................................................................... 358<br />

Tables ................................................................................................................................ 359<br />

Table des abréviations et sigles...................................................................................... 359<br />

Table des auteurs et personnages cités........................................................................... 360<br />

Table des matières......................................................................................................... 365<br />

Table des illustrations.................................................................................................... 374<br />

Annexes ............................................................................................................................. 377<br />

Pour mémoire : voir liste dans le Sommaire, pp. 3 et 4.


TABLE DES ILLUSTRATIONS<br />

Les “cercles” de l’intercompréhension selon Anthony Lodge............................................... 19<br />

Les traits communs entre occitan, catalan et gascon (schéma).............................................. 21<br />

Graphique de rapprochement du Palay et de l’Alibert .......................................................... 21<br />

La “<strong>Gascon</strong>ha” n’est pas l’“Occitania” (d’après Aquò d’Aquí) ............................................. 34<br />

L’occitanisme en Béarn : les anciens et la relève (photos de presse)..................................... 34<br />

-[w]- et -[!]- en gascon (carte) ............................................................................................. 253<br />

Aboutissement gascon de yod roman (carte)......................................................................... 255<br />

Réalisation de ch (carte)....................................................................................................... 263<br />

L’Occitanie Qu’es acò ? (couverture de Via domitia n° 24).................................................. 272<br />

Trois vers autographes de Roger Lapassade ......................................................................... 283<br />

Prononcer -e et -ë en graphie moderne DiGaM (carte).......................................................... 310<br />

Prononcer -adé(y)/-aduy et -adou en graphie moderne DiGaM (carte).................................. 312<br />

Aire des voyelles plus ou moins nasalisées par la chute d’un -n- intervocalique (carte)......... 313<br />

Prononcer -^(n){ -â(n), -ê(n), -î(n), -oû(n), -û(n) } en graphie moderne DiGaM (carte)........ 325<br />

Le domaine linguistique gascon (carte) ................................................................................ 377<br />

Publicité “Pâté Lou Gascoun”.............................................................................................. 414<br />

Auto-collant “Aci que parlam biarnés”................................................................................. 414<br />

Dictionnaires gascon d’aire limitée avec notation fiable de la prononciation (carte).............. 438<br />

V-["#] en gascon (carte)........................................................................................................ 449


SUMMARY<br />

Sociolinguistics and writing of <strong>Gascon</strong> today<br />

In order to give to the <strong>Gascon</strong> an orthography meeting with the needs of today, this work<br />

studies first these needs (Ist part), then tries to define the written form (IInd part).<br />

The <strong>Gascon</strong> is first situated among the romance languages : according to many linguists, it is<br />

a complete language, not a simple variety of an abstract “Occitan”.<br />

This opinion is confirmed by a specific <strong>Gascon</strong> and Bearnaise consciousness affirmed<br />

through the centuries, wich takes the « Occitan » as « another language ». But the <strong>Gascon</strong> is not<br />

transmitted in the family since the fifties and is use is today limited to a rural milieu. Therefore, his<br />

transmission relies mainly on the educational system, which is not without weakness, notably<br />

because of a “gap” existing between the living language and the language teach in used handbooks.<br />

Therfore, one will look for an orthography more able for that transmission. One starts from a<br />

review of <strong>Gascon</strong> writing from Middle age up to now, with, since the XIXth century, an opposition<br />

between two mains systems, the modern one and the classic. To be clearer, it is about the way they<br />

are understood by the <strong>Gascon</strong> society, and the circumstances which led, after 1968, to the<br />

substitution of a medieval “classic” orthography instead of the “modern” and popular one, in use<br />

until then. One show the divorce between the teachers, generally “classics”, and the others lettered<br />

in <strong>Gascon</strong>, rather “moderns”, and subsequently the potential readers who are the speakers of the<br />

language.<br />

In concrete terms, two chapters will to propose improvements to the two systems; first of all<br />

to the “classic”, to make it closer to the <strong>Gascon</strong> phonology, accordingly with its own princips; but it<br />

remains elitist and non-pedagogic; then to the “modern”, to improve the few defects that its<br />

definition of 1900-1905 has tolerated in a period where the writers and the readers spoke fluently<br />

the <strong>Gascon</strong> language.<br />

A partial lexicon (A & B-V letters, about 5 000 words) exemplifies these propositions.


Situation sociolinguistique et écriture du gascon aujourd’hui<br />

RÉSUMÉ en français<br />

Visant à doter le gascon d’une graphie répondant aux besoins contemporains, ce travail étudie<br />

d’abord ces besoins (Ière partie), puis essaie de définir la graphie (IIème partie).<br />

Le gascon est d’abord situé parmi les langues romanes : selon de nombreux linguistes, c’est<br />

une langue à part entière, et non une simple modalité d’un “occitan” abstrait.<br />

Ce point de vue est confirmé par une conscience identitaire gasconne et béarnaise affirmée<br />

depuis des siècles, qui considère aujourd’hui l’« occitan » comme une « autre langue ». Mais la<br />

transmission familiale du gascon a cessé depuis les années 50 et sa pratique est maintenant limitée<br />

au milieu rural. Sa transmission repose donc surtout sur l’enseignement, qui n’est pas sans faiblesses,<br />

dues notamment à une coupure entre la langue vivante et celle des manuels en usage.<br />

On va donc rechercher une graphie plus apte à cette transmission. On part d’une revue de<br />

l’écriture gasconne du Moyen âge à nos jours, qui, depuis le XIXe s., voit s’opposer deux grands<br />

systèmes, le moderne et le classique. On montre alors la façon dont ils sont vécus dans la société<br />

gasconne, et les circonstances qui ont conduit, après 1968, à substituer une graphie classique médiévale<br />

à la graphie moderne populaire en usage jusque là; d’où un divorce entre les enseignants,<br />

généralement “classiques”, et les autres lettrés en gascon, plutôt “modernes”, et a fortiori les lecteurs<br />

potentiels que sont les locuteurs.<br />

Concrètement, deux chapitres proposent alors les améliorations à apporter aux deux systèmes;<br />

au classique d’abord, pour le rendre plus fidèle à la phonologie gasconne, selon ses propres principes;<br />

mais il reste élitiste et antipédagogique; au moderne ensuite, pour pallier les quelques défauts<br />

que sa définition de 1900-1905 avait tolérés, en un temps où ceux qui écrivaient et lisaient parlaient<br />

couramment la langue.<br />

Un lexique orthographique partiel (A, B-V) de quelque 5 000 entrées illustre ces propositions.<br />

TITRE en anglais<br />

Sociolinguistics and writing of <strong>Gascon</strong> today<br />

RÉSUMÉ en anglais<br />

Se reporter à la page 3 de couverture (verso de la présente)<br />

DISCIPLINE<br />

Sciences du langage<br />

MOTS-CLÉS<br />

gascon - béarnais - occitan - sociolinguistique - phonétique historique - phonologie - graphie<br />

INTITULÉ ET ADRESSE DE L!U.F.R. OU DU LABORATOIRE :<br />

CREDILIF (EA ERELLIF 3207), Université de Rennes 2, Place du Recteur Henri Le Moal, CS<br />

24307, 35043 Rennes Cedex

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