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dis raconte moi la bible pdf - Vincent-Paul Toccoli a-nous-dieu-toccoli

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<strong>Vincent</strong> <strong>Paul</strong> TOCCOLI<br />

Dis,<br />

<strong>raconte</strong>-<strong>moi</strong> <strong>la</strong> <strong>bible</strong> !<br />

1


Préface de <strong>la</strong> première édition, 1982<br />

Il était une fois…<br />

Il était une fois un manuscrit qui parvint aux éditions du Centurion sur mon bureau de responsable de <strong>la</strong><br />

collection « Champs nouveaux ».<br />

En souvenir de mon grand-père<br />

J’ai toujours aimé les contes. Et je me souviens de ces années d’enfance où mon grand-père me racontait, le<br />

soir à <strong>la</strong> veillée, les Grimms Märchen, les contes des frères Grimm 1 , qu’il me traduisait du texte original<br />

allemand. J’ai encore sous les yeux, annoté et paraphé de sa main, son livre à couverture rouge toilée, dans<br />

une édition parue en France en 1908 à l’intention des Cours moyens de Langues vivantes et « conforme aux<br />

Programmes officiels et Instructions ministérielles du 31 mai 1902 ».<br />

C’est donc avec avidité et p<strong>la</strong>isir que j’ai pris connaissance du manuscrit de <strong>Vincent</strong>-<strong>Paul</strong> <strong>Toccoli</strong>, Si <strong>la</strong> Bible<br />

m’était contée 2 . Je suis entré comme naturellement et spontanément dans <strong>la</strong> lecture de ces textes bibliques<br />

écrits à <strong>la</strong> façon de « contes ». C’est une première raison - sentimentale, je le confesse - qui m’a incité à<br />

envisager <strong>la</strong> publication de ce livre.<br />

Contre l’impérialisme du rationnel<br />

Déjà autrefois, P<strong>la</strong>ton (428 -347 avant Jésus-Christ), en digne <strong>dis</strong>ciple de Socrate, proposait dans ses écrits<br />

philosophiques sur <strong>la</strong> formation politique que les futurs citoyens de <strong>la</strong> République soient initiés à <strong>la</strong> vie civique<br />

par le biais des récits de contes plutôt que par l’expérience de faits vécus et d’enseignements rationnels. Et un<br />

autre philosophe grec, Aristote (384 -322 avant Jésus-Christ), précepteur d’Alexandre le Grand, le futur roi de<br />

Macédoine, <strong>dis</strong>ait également à <strong>la</strong> même époque que « l’ami de <strong>la</strong> sagesse est aussi l’ami des contes ».<br />

Aujourd’hui, le monde moderne semble au contraire ne plus aimer, ni apprécier les contes.<br />

D’une part, notre monde standar<strong>dis</strong>é et taylorisé <strong>la</strong>isse peu de p<strong>la</strong>ce au rêve. À notre époque dite « de<br />

consommation », il faut non rêver, mais produire. « L’imagination au pouvoir », ce slogan de mai 1968 a fait<br />

long feu et ne semble plus quinze ans après qu’un cri d’impuissance dans notre société d’énarques et de<br />

technocrates. Des spécialistes de l’enseignement créent des livres de c<strong>la</strong>sse, abécédaires et syl<strong>la</strong>baires, pour<br />

enseigner <strong>la</strong> technique de lecture. Des techniciens de <strong>la</strong> littérature enfantine <strong>la</strong>ncent des ouvrages d’initiation<br />

scientifique pour informer les enfants des dernières découvertes des savants. Des fabricants inventent des<br />

jouets sophistiqués pour leur permettre de faire le plus rapidement possible l’apprentissage des techniques de<br />

manipu<strong>la</strong>tion. Des éducateurs de presse enfantine s’ingénient à ouvrir rationnellement leur cerveau aux<br />

dimensions du monde. Des dessinateurs de bandes dessinées multiplient les ouvrages qui montrent « comment<br />

c’est vrai ». Bref de tous côtés, on informatise, on technicise, on uniformise, on rationalise l’esprit de l’enfant<br />

Tout ce<strong>la</strong>, pendant qu’à l’autre bout de <strong>la</strong> chaîne, d’autres spécialistes, psychologues et pédiatres, proc<strong>la</strong>ment<br />

le respect de leur imagination et de leur imaginaire.<br />

En conséquence et d’autre part, dans ce monde technicisé et rationalisé, des adultes, parents et éducateurs,<br />

sont devenus méfiants à l’égard des contes. « C’était bon pour autrefois, on ne croit plus aujourd’hui au Père<br />

Noël. » Les contes sont malsains, <strong>dis</strong>ent les uns, parce qu’ils ne présentent pas un tableau « vrai » de <strong>la</strong><br />

réalité. Il ne faut pas, prétendent d’autres, mentir aux enfants en leur racontant des événements fantastiques<br />

qui n’ont jamais existé. Certains craignent que les enfants ne se <strong>la</strong>issent emporter sur les ailes de leurs<br />

fantasmes, ne se réfugient dans l’imaginaire et ne tombent dans l’affabu<strong>la</strong>tion. Ceux-là redoutent que cette<br />

plongée dans le monde des contes, des mythes et des rêves ne les démobilise loin de <strong>la</strong> réalité journalière et du<br />

« vécu quotidien ». Enfin, il en est qui considèrent qu’au siècle de l’atome, des ordinateurs et des engins<br />

supersoniques, cette littérature de l’enchantement est par trop démodée.<br />

----------------------------------------<br />

1. Wilhelm-Karl GRIMM (1736-1859) et Jakob-Ludwig GRIMM (1785-1863) publièrent leurs Kinder-und<br />

Hausmärchen en 1812 et 1815<br />

2. J’avais éprouvé le même intérêt pour le livre de Bruno BETTELHEIM, Psychanalyse des contes de fées (Ed.<br />

Robert Laffont, Coll. Réponses, 1976) que j’ai présenté dans <strong>la</strong> revue Temps et Paroles (2 e trimestre 1977 pp.<br />

59-63). Cet écrivain est d’ailleurs l’un des initiateurs de l’auteur que <strong>nous</strong> présentons ici et donc en quelque<br />

sorte à l’origine du présent ouvrage.<br />

2


Cependant, aujourd’hui comme hier, enfants, jeunes et <strong>moi</strong>ns jeunes continuent à aimer les contes et les<br />

histoires. De 7 à 77 ans comme dit <strong>la</strong> publicité des albums Tintin et autres - garçons et filles, hommes et<br />

femmes gardent <strong>la</strong> nostalgie du rêve et aiment flirter avec leur imaginaire. Les Goldorak et Ulysse font <strong>la</strong> joie<br />

des jeunes téléspectateurs et combien d’adultes se passionnent pour les bandes dessinées de science-fiction ou<br />

fantasment à <strong>la</strong> lecture de revues dites « sentimentales » en vente dans les kiosques de gare.<br />

C’est que l’homme ne vit pas seulement dans le cérébral et le rationnel. Il n’est pas que concept et<br />

intellect, idée et rationalité. Le conte demeure donc aujourd’hui d’une actualité toujours brû<strong>la</strong>nte.<br />

C’est une seconde raison pour <strong>la</strong>quelle j’ai pris intérêt à <strong>la</strong> lecture de ce livre. Il est tellement fréquent de<br />

lire <strong>la</strong> Bible avec un regard chaussé de lunettes d’intellectuel et de <strong>la</strong> décrypter de manière souvent<br />

idéologique, qu’il m’est apparu à <strong>la</strong> fois original et pertinent pour nos sociétés hyper rationalisées de pouvoir<br />

retrouver l’histoire biblique derrière le toucher d’un galet, <strong>la</strong> senteur du jasmin ou le goût de <strong>la</strong> grenade<br />

juteuse.<br />

Pour une dynamique de l’aventure biblique<br />

Je suis en effet persuadé que le chrétien contemporain a quelque peu oublié <strong>la</strong> saveur de l’« Histoire Sainte »,<br />

telle qu’on <strong>la</strong> racontait autrefois à nos parents et grands-parents, illustrée parfois de grandes images dites<br />

« d’Épinal ».<br />

Une preuve. Je suis actuellement responsable de <strong>la</strong> rubrique « Évangile et monde moderne » dans le cadre de<br />

l’émission télévisée catholique du dimanche matin, Le jour du Seigneur (TF 1). À <strong>la</strong> suite de l’émission « À<br />

temps et à contre temps » du 7 février 1982, où un conte évoquait <strong>la</strong> vie de Jésus de Nazareth, je reçus une<br />

lettre critique assez acerbe d’une téléspectatrice « navrée », qui interrogeait : « Qu’est-ce que ce conte<br />

poético-philosophique a à voir avec l’annonce de Jésus-Christ ? ». J’ai alors répondu à cette personne que <strong>la</strong><br />

Bible était remplie de contes, tels ceux de Job, de Jonas ou de Tobie, et que si Jésus de Nazareth lui-même<br />

avait si fréquemment utilisé <strong>la</strong> parabole, c’est - on peut le supposer - qu’il jugeait ce genre le plus apte et le<br />

plus favorable à dire son message. « Il ne leur par<strong>la</strong>it jamais sans paraboles », précisent deux des évangélistes<br />

(Matthieu 13, 34-35, Marc 4, 33-34).<br />

Seulement, le croyant du XX e siècle semble avoir perdu l’habitude d’« entendre » <strong>la</strong> Bible sous <strong>la</strong> forme de<br />

contes oraux. C’est <strong>la</strong> troisième raison qui m’a incité et en définitive décidé à demander <strong>la</strong> publication de cet<br />

ouvrage.<br />

Je voudrais préciser ici cette troisième raison par deux remarques.<br />

P<strong>la</strong>idoyer pour une parole vivante<br />

La Bible - Ancien et Nouveau Testament - est communément dénommée « L’Écriture » ou « La Sainte<br />

Écriture » ou « Les Saintes Écritures ». Ces expressions signifient que <strong>nous</strong> sommes en face de textes écrits,<br />

imprimés, polycopiés, dactylographiés, bref fixés sur papier.<br />

Mais avant d’avoir été écrits, ces textes bibliques ont d’abord été dits, parlés ou racontés. La Bible est donc<br />

aussi appelée « Parole » : il est question de « Parole de Dieu » ou de « Parole d’Évangile ». Ce terme<br />

« parole » sous-entend expression verbale ou orale, <strong>dis</strong>cours de quelqu’un qui s’adresse à quelqu’un, donc<br />

mouvement de <strong>la</strong> pensée et des lèvres, adaptation du locuteur à son interlocuteur, modification du <strong>la</strong>ngage<br />

selon les personnes avec qui l’on converse. La parole est de l’ordre de l’inventivité et de <strong>la</strong> créativité : je<br />

n’emploie pas les mêmes mots selon par exemple que je m’exprime en conversation privée ou en débat public.<br />

Malheureusement, lors de célébrations ou de liturgies dites « de <strong>la</strong> parole » dans nos églises, les textes<br />

bibliques sont trop souvent lus d’une voix monocorde et sans relief. Les mots sont « mâchés », sinon<br />

« avalés », au lieu d’être « mastiqués » et « digérés » comme une parole qui nourrit. Ils tombent ainsi à p<strong>la</strong>t,<br />

précisément parce qu’ils ne « parlent » pas et ne « <strong>dis</strong>ent » rien à ceux qui devraient les « entendre ». Et c’est<br />

normal, car ces textes sont lus comme des écrits figés, alors qu’ils sont des paroles de vie.<br />

Le livre que vous avez entre les mains - qui, comme le dit son auteur, aurait dû être un livre-<strong>dis</strong>que ou un livrevidéo<br />

- veut redonner droit à l’oralité et rendre à chaque récit biblique son statut de parole vivante et<br />

dynamique. En fait, l’objectif de l’auteur est de transformer le dit (forme passive du verbe) du texte biblique en<br />

un dire (forme active du verbe). C’est pourquoi, un tel livre ne devrait être qu’un point de départ, soit de<br />

rappel, soit d’initiation il voudrait rappeler ou (ré) apprendre au lecteur croyant que <strong>la</strong> Bible a été<br />

3


primitivement conçue et demeure aujourd’hui une parole catéchétique vivante, parole de quelqu’un qui parle à<br />

quelqu’un.<br />

Les contes et récits bibliques ici présentés ne doivent donc pas être lus littéralement Ce serait courir le risque<br />

de retomber dans le piège précédemment dénoncé de <strong>la</strong> lecture figée. Les textes sont proposés pour servir<br />

d’itinéraire ou d’initiation à l’éducateur qui désirerait redonner aujourd’hui chair et corps à des textes qui,<br />

quoiqu’anciens, sont toujours d’actualité !<br />

P<strong>la</strong>idoyer pour des lectures plurielles<br />

Par ailleurs, il n’y a sans doute plus de « lecture » univoque de <strong>la</strong> Bible, comme au temps - et ça ne remonte<br />

pas au-delà de 1950 - de mes études théologiques où régnait, seule maîtresse et régente, <strong>la</strong> méthode historicocritique.<br />

Actuellement, il est de nombreuses méthodes pour lire et interpréter les textes bibliques. Elles ont nom<br />

lecture allégorique, lecture matérialiste, lecture psychanalytique, lecture structurale, lecture symbolique,<br />

lecture spirituelle2.<br />

Il serait dès lors dommageable que l’une de ces méthodes devienne à son tour impérialiste et prenne le pas sur<br />

toutes les autres. Plus il y a diversité dans les approches des textes bibliques, plus il y a possibilité<br />

d’enrichissement de ces textes. D’autant que, expérience faite, ces approches et ces lectures, loin de se<br />

contredire les unes les autres et de conduire à des interprétations opposées, s’éc<strong>la</strong>irent souvent<br />

réciproquement et se complètent ainsi heureusement3.<br />

L’une des raisons qui a présidé ainsi à l’entrée de ce livre dans <strong>la</strong> collection « Champs nouveaux », c’est sans<br />

doute principalement ce refus à <strong>la</strong> fois de tout impérialisme et de tout sectarisme. Dire <strong>la</strong> Bible sous forme de<br />

contes, c’est une manière autre et va<strong>la</strong>ble de « lire » <strong>la</strong> Bible.<br />

Il est possible que cette manière de lire exaspère quelques exégètes scrupuleux, tatillons et intransigeants ou<br />

hérisse certains esprits chagrins et rationalistes d’Europe occidentale. Mais je crois savoir que les chrétiens<br />

de nombreuses communautés de base d’Afrique noire et d’Amérique <strong>la</strong>tine entrent plus facilement dans cette<br />

forme de littérature orale et « entendent » à <strong>la</strong> fois par les oreilles et par le cœur, c’est-à-dire écoutent et<br />

comprennent ces récits bibliques contés oralement. Ils ressentent dans le « dit » même du récit une dynamique<br />

proche du « vécu » de leur existence.<br />

On peut aussi se reporter, toujours dans cette même collection, au livre Ces chrétiens d’avant les Évangiles<br />

(1980), dans lequel l’équipe nationale de <strong>la</strong> J.E.C. présente <strong>la</strong> première lettre de <strong>Paul</strong> aux Thessaloniciens<br />

selon une méthode d’analyse à <strong>la</strong> fois matérialiste et structurale.<br />

-----------------------------------------------<br />

1. Dans le cadre de l’émission télévisée Le jour du Seigneur, l’auteur de ce livre a enregistré une quinzaine de<br />

récits bibliques qui sont diffusés le dimanche matin, entre 10 h 30 et 11 heures (sur TF 1).<br />

2. Une excellente présentation de quelques-unes de ces lectures avec indications bibliographiques a été faite<br />

par Émile Morin dans <strong>la</strong> revue Prisme, sous le titre « Approches bibliques actuelles » (n° 2, octobre-novembre<br />

1977, 72 pages), publiée par les « Équipes Enseignantes » (18 Rue Ernest Lacoste, 75012 Paris). On peut<br />

aussi consulter Rencontres autour de <strong>la</strong> Bible des textes qui font naître (1978, 80 pages), une p<strong>la</strong>quette publiée<br />

par le Secrétariat national de l’Aumônerie de l’Enseignement Public (7 Rue Vauquelin, 75005 Paris), ainsi<br />

que Lectures de <strong>la</strong> Bible (1980, 106 pages) qu’a édité <strong>la</strong> Diffusion catéchistique de Lyon pour <strong>la</strong> région<br />

Centre-Est (6 Avenue Adolphe-Max, 69005 Lyon).<br />

3. C’est dans cette perspective de dialogue entre lectures diverses que <strong>nous</strong> comptons publier ultérieurement<br />

dans <strong>la</strong> collection « Champs nouveaux » une autre série de textes bibliques étudiés à partir de méthodes qui se<br />

réfèrent à l’analyse structurale. Présenté par le Centre national d’Enseignement religieux (C.N.E.R.), ce livre<br />

reprendra quelques études parues dans plusieurs numéros de <strong>la</strong> revue Initiales (entre 1978 et 1981). Le lecteur<br />

pourra lui-même faire <strong>la</strong> comparaison entre ce livre et le présent ouvrage.<br />

4


*<br />

* *<br />

Pour terminer, je dirais volontiers sous forme de paradoxe qu’à <strong>la</strong> limite, l’hommage rendu à ce livre serait<br />

qu’il ne soit pas lu. C’est-à-dire que les récits ici écrits ne soient ni lus, ni dits tels qu’ils sont écrits. Le mieux<br />

serait que l’esprit qui les a enfantés, serve de propédeutique à l’éducateur, catéchiste d’enfants ou animateur<br />

de jeunes, qui désirerait retrouver dans <strong>la</strong> Bible <strong>la</strong> dynamique d’une parole vivante et personnalisée. Le livre<br />

aurait répondu à l’objectif de son auteur, si, après sa lecture, chaque éducateur se mettait à son tour et avec<br />

ses mots à lui à conter <strong>la</strong> Bible.<br />

Au commencement était <strong>la</strong> parole. La Parole de Dieu, bien sûr. Mais peut-être aussi <strong>la</strong> parole de l’homme qui<br />

DIT <strong>la</strong> Parole de Dieu.<br />

« … Et <strong>la</strong> voix que j’avais entendue venant du ciel, me par<strong>la</strong> et me dit :<br />

Va,<br />

prends le livre ouvert dans <strong>la</strong> main de l’ange<br />

qui se tient debout<br />

sur <strong>la</strong> mer et sur <strong>la</strong> terre.<br />

Je m’avançai vers l’ange et le priai de me donner le livre. Il me dit :<br />

Prends<br />

et mange-le.<br />

Il sera amer à tes entrailles mais dans ta bouche, il aura <strong>la</strong> douceur du miel.<br />

Je pris le petit livre de <strong>la</strong> main de l’ange et le mangeai. » (Apocalypse 10, 8-10)<br />

Pierre Moitel<br />

Directeur de <strong>la</strong> collection<br />

« Champs nouveaux »<br />

5


Invitation au voyage<br />

J’ai toujours aimé les histoires, surtout celles qu’on me racontait. C’est ma grand-mère<br />

maternelle qui a commencé, ma mère a continué. Ce sont toujours les mêmes histoires, celles de <strong>la</strong><br />

famille, où se mêlent les souvenirs transformés par l’imagination d’une tradition et capables à chaque<br />

fois de recréer l’événement dans un surgissement originaire. Ces histoires, je les ai entendues<br />

maintes et maintes fois mais <strong>la</strong> conteuse sait faire en sorte que je les redécouvre chaque fois. Le ton,<br />

<strong>la</strong> voix, le mouvement de <strong>la</strong> tête, le geste de <strong>la</strong> main, l’arrêt subit, <strong>la</strong> reprise aussi imprévisible, <strong>la</strong><br />

chronologie légèrement bousculée, le développement de telle séquence à tel moment, tout concourt à<br />

faire de chaque « remake » une œuvre originale. C’est ainsi que je connais toujours, sans <strong>la</strong> connaître<br />

jamais tout à fait, <strong>la</strong> saga de <strong>la</strong> famille. Et c’est pourquoi, j’ai pris goût, <strong>moi</strong> aussi, à <strong>raconte</strong>r d’autres<br />

histoires<br />

Ainsi qu’il en va souvent, c’est d’abord l’intuition qui m’a guidé. Très tôt ! Dès mes<br />

balbutiements dans l’enseignement des lettres, je racontais plus que je ne traitais les aventures de<br />

Molière, <strong>la</strong> résistance de Voltaire, les démêlés de Ver<strong>la</strong>ine et de Rimbaud, <strong>la</strong> révolte de Zo<strong>la</strong> et les<br />

épousailles de <strong>la</strong> littérature avec le septième art.<br />

Mais c’est en ouvrant <strong>la</strong> Bible pour de bon que je me suis souvenu de ma grand-mère. Je me suis<br />

retrouvé devant une saga de famille, celle d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Joseph, de Moïse, de<br />

David, de Salomon, <strong>la</strong> saga d’un peuple avec ses héros, sa gloire, ses malheurs, ses historiens, ses<br />

poètes, ses romanciers, ses prophètes, ses artistes, <strong>la</strong> saga d’un Dieu et de ses démêlés avec les<br />

hommes. Avec <strong>moi</strong> ! Je me suis à nouveau retrouvé devant <strong>la</strong> saga de ma famille, l’autre, celle de<br />

chacun, <strong>la</strong> vôtre donc !<br />

Et je m’en suis emparé, parce que cette histoire est mon histoire ! Je me suis mis, non plus<br />

seulement à dire, mais à croire que mon père était un araméen nomade. Je me suis mis à tressaillir en<br />

entendant : Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ! C’est pourquoi, je veux<br />

inculquer ce<strong>la</strong> à mes enfants, en parler chez <strong>moi</strong> comme en voyage, quand je me couche et me lève ;<br />

je veux l’attacher à mes mains en guise de signe, le porter comme un bandeau frontal entre mes<br />

yeux, l’inscrire sur les poteaux de ma maison et sur les portes ! (Deutéronome, 6, 4-9).<br />

C’est pourquoi, je veux voir ma main se sécher, si je t’oublie, Jérusalem !<br />

Mais quelle déception je vivais régulièrement, lors de célébrations de <strong>la</strong> parole, lors<br />

d’assemblées eucharistiques, lors de cérémonies pénitentielles ! Quand j’entendais, quand j’entends<br />

encore lire du haut d’une chaire ou depuis un ambon ces textes de <strong>la</strong> Bible, je ne les reconnais plus,<br />

je ne m’y reconnais plus, ils me sont étrangers, ils ne me <strong>dis</strong>ent rien, ils ne me concernent pas. Ou<br />

parfois, quand le lecteur s’identifie tellement avec sa proc<strong>la</strong>mation qu’elle devient sa propre parole,<br />

son propre souffle, sa propre histoire, alors je ne puis m’empêcher de m’asseoir au pied d’une tente,<br />

à <strong>la</strong> halte près d’un puits ou dans une palmeraie, et de m’abandonner à <strong>la</strong> matérialité spirituelle d’un<br />

ton et d’une voix, à <strong>la</strong> cadence confiante de l’art du conteur, à <strong>la</strong> présence enfin retrouvée d’un<br />

membre de ma famille. Alors, c’est un événement !<br />

Je décidai de me mettre au travail. Je m’armai de tout l’appareil scientifique in<strong>dis</strong>pensable, de <strong>la</strong><br />

critique impitoyable et tendre d’une paire d’amis lucides, et j’entrepris de me <strong>raconte</strong>r à <strong>moi</strong>-même<br />

d’abord cette histoire et ces histoires. Il fal<strong>la</strong>it que je voie devant <strong>moi</strong> mes parents, mes proches, mes<br />

alliés, que je les entende parler ma <strong>la</strong>ngue ; il fal<strong>la</strong>it que je sente et que je goûte le mouton âcre, le<br />

sable sec, le thé brû<strong>la</strong>nt, <strong>la</strong> grenade juteuse, le jasmin étour<strong>dis</strong>sant ; il fal<strong>la</strong>it que je touche <strong>la</strong> tente<br />

6


ugueuse, le tapis moelleux, le cuir lisse, le crin rêche, <strong>la</strong> graisse des sacrifices ! Et le ciel et le désert<br />

et <strong>la</strong> source et <strong>la</strong> mer et le caillou !<br />

Voilà comment j’ai compris que <strong>la</strong> Bible est une histoire physique. Ce n’est pas une histoire à<br />

lire ou à écrire, mais une histoire à dire et redire, à conter et <strong>raconte</strong>r. Une histoire pour le corps, <strong>la</strong><br />

main, <strong>la</strong> bouche, les yeux, le nez, ensuite seulement une histoire pour l’oreille et <strong>la</strong> tête. Voilà<br />

comment j’ai compris le miracle de <strong>la</strong> parole qui guérit, ouvre les yeux, débouche les oreilles délie <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue, charme le nez et réanime <strong>la</strong> main !<br />

J’ai compris ainsi que <strong>la</strong> parole est un acte, quand un homme s’en empare pour <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mer à<br />

d’autres !<br />

Et quand mon histoire me p<strong>la</strong>isait, alors seulement, je me permettais de <strong>la</strong> <strong>raconte</strong>r à d’autres ! À<br />

qui ? À ceux qui vou<strong>la</strong>ient bien m’écouter : élèves de collèges, de lycées, de LEP, groupes d’ACO 1 ,<br />

communautés de religieuses, participants aux sessions que j’organise régulièrement. Je prenais le<br />

soin d’enregistrer plusieurs versions de mes histoires, de façon à ne retenir que <strong>la</strong> formule, le style, le<br />

rythme, le coloris, bref l’impact qui avait porté ! J’arrivais ainsi à un certain nombre de textes, une<br />

cinquantaine, de <strong>la</strong> Genèse à l’Apocalypse, auxquels j’appliquais les principes d’une théorie que<br />

j’avais entre-temps fini par mettre au point 2 .<br />

Tous ces textes ont été expérimentés ils marchent ! Mais ce n’est pas à mes yeux leur unique, ni<br />

leur principal mérite. Leur é<strong>la</strong>boration, leur application puis leur rédaction définitive peuvent faire<br />

saisir de façon évidente les catégories <strong>dis</strong>tinctes de ce qu’on appelle le style (qui signifiait vers 1300<br />

manière de parler) le style écrit (littéraire, soutenu), le style parlé (pratiquement toujours entre<br />

guillemets quand on l’écrit) et le style oral, celui de <strong>la</strong> Bible, de notre histoire, de ces textes, où le<br />

paradoxe n’est pas mince de devoir les mettre par écrit (comme <strong>la</strong> Bible ja<strong>dis</strong>) pour pouvoir (vous)<br />

les communiquer.<br />

Je prétends que c’est un livre-<strong>dis</strong>que ou un livre-vidéo qu’il aurait fallu éditer. Il vous manquera<br />

toujours, cher lecteur, le ton, <strong>la</strong> voix, le mouvement de <strong>la</strong> tête, le forte, le piano, le rallendendo, le<br />

volume, les graves et les aigus Je crois qu’il manquera en définitive, pour ce qui touche notre propos,<br />

le principal ! N’y voyez aucune coquetterie. Essayez plutôt à votre tour de vous <strong>raconte</strong>r l’histoire<br />

des fils d’Abraham, partez avec lui depuis <strong>la</strong> Chaldée, un matin de printemps, à l’aube g<strong>la</strong>cée.<br />

Grimpez sur votre chameau ! Vous y êtes ? En avant !<br />

Et bon voyage !<br />

--------------------------------------------------------<br />

1. L.E.P. = Lycée d’Enseignement professionnel.<br />

ACO. = Action Catholique Ouvrière.<br />

2. Le lecteur peut se reporter aux annexes où j’expose l’histoire méthodologique de ma démarche et les principes<br />

opératoires de mes transpositions. On peut lire le présent ouvrage sans se référer aux annexes, mais peut-être qu’en fin de<br />

parcours, une certaine curiosité…<br />

7


Guide de lecture ?<br />

De guide, il n’y en a, à vrai dire, aucun ! Aucun imposé s’entend. Tout dépend du parcours que<br />

vous désirez effectuer, du point de vue où vous voulez vous p<strong>la</strong>cer, de l’impression que vous voulez<br />

éprouver.<br />

Le p<strong>la</strong>n de l’ouvrage offre déjà une première c<strong>la</strong>ssification des textes en :<br />

- Histoires raisonnées, recueil de dix histoires avec accompagnement didactique ;<br />

- Enfants des Testaments, recueil de douze histoires dramatiques sur <strong>la</strong> vie et <strong>la</strong> mort de<br />

quelques enfants de l’un et l’autre Testament ;<br />

- Situations, recueil de vingt histoires de circonstances comme <strong>la</strong> vie seule sait <strong>nous</strong> en réserver ;<br />

- Histoires d'amours, recueil de vingt et une aventures où l'amour se vit sous toutes ses formes...<br />

Au total plus de soixante histoires (soixante-trois exactement) qui peuvent se lire<br />

indépendamment les unes des autres, puisque chacune est comprise comme un tout.<br />

8


PREMIÈRE PARTIE<br />

HISTOIRES RAISONNÉES<br />

Ces dix « histoires » ont déjà été publiées dans les livraisons mensuelles 1979-1981 de <strong>la</strong> revue<br />

catéchétique CAP 2000 (1) et enregistrées à deux voix sur fond musical (2) : elles proposaient un<br />

possible enracinement biblique aux différents thèmes traités dans chaque livraison.<br />

L’auditoire concerné était les élèves de l’Enseignement technique court première année de CAP.<br />

Chaque histoire comprend deux parties : <strong>la</strong> première, où domine <strong>la</strong> dimension narratrice, rapporte<br />

l’événement biblique (technique de l’émission radiodiffusée) ; <strong>la</strong> seconde où domine <strong>la</strong> dimension<br />

didactique, reprend l’événement en écho, mais en poursuivant deux objectifs : expliquer et<br />

interpréter (technique du commentaire).<br />

Chaque histoire est racontée d’après les références bibliques. Nous pensons avoir toujours respecté le<br />

théologoumenon, « l’intention théologique du texte », même si parfois <strong>la</strong> pointe de l’histoire semble<br />

privilégier un sens que le texte original, sans l’exclure, ne soutenait pas principalement. Il est évident<br />

que <strong>nous</strong> avons pratiqué un choix délibéré de lecture parmi d’autres. Légitimement. Ceci vaut pour<br />

l'ensemble des textes présentés ici.<br />

--------------------------------------------<br />

1. CAP 2000, Éditions de <strong>la</strong> Cathédrale, BP 246 R6, 67000 Strasbourg cedex.<br />

2. Alsace Media, CDI, 2, rue des Juifs, 67081 Strasbourg Cedex.<br />

9


Avec une harpe et une fronde<br />

(1 Samuel 16-18)<br />

Quand le vieux Jessé de Bethléem vit arriver chez lui Samuel le prophète, il se demanda quelle<br />

révé<strong>la</strong>tion devait encore troubler sa vie déjà bien remplie. Samuel ne dit d’abord pas quelle mission il<br />

avait reçue du Seigneur, mais il passa en revue les sept fils de Jessé, tous plus solides, noueux et<br />

résistants les uns que les autres, habitués à vivre à <strong>la</strong> dure dans le désert proche, à <strong>la</strong> recherche<br />

d’herbe et d’eau pour les troupeaux de leur père.<br />

En observant attentivement le regard bleu de l’un, <strong>la</strong> tignasse rouille de l’autre, <strong>la</strong> mâchoire<br />

carnassière d’un troisième, il se <strong>dis</strong>ait à chaque fois Voilà qui ferait un bon roi pour Israël !, mais à<br />

chaque fois <strong>la</strong> voix du Seigneur répliquait Non ! Ne te <strong>la</strong>isse pas impressionner par son bel aspect, tu<br />

regardes le visage, <strong>moi</strong> je regarde le cœur !<br />

Jessé, dit Samuel, n’as-tu pas d’autres fils ? Restait le plus jeune. Il est trop petit, je veux en<br />

faire un berger. Il ne sait rien faire d’autre, dit Jessé, personne ne sait ce qu’il veut !<br />

David se présenta, avec ses seize ans, sa chevelure en grappes sur les épaules, sa toque de cuir<br />

moulue par <strong>la</strong> pluie et tannée par le soleil, les mains écorchées par <strong>la</strong> taille du bois. Quand il entra en<br />

criant Qu’est-ce qu’il y a ?, Samuel entendit le rire satisfait du Seigneur et répondit : Mon petit, il<br />

faut apprendre à devenir roi ! Mets-toi à genoux que je te donne l’esprit du Seigneur !<br />

Et David se prépara. Une occasion se présenta, qu’il ne manqua pas, de rejoindre <strong>la</strong> cour. On<br />

cherchait un musicien. David s’était toujours entraîné, tan<strong>dis</strong> qu’il gardait les troupeaux, pendant les<br />

longues soirées d’été ou à <strong>la</strong> veillée avec les amis des alentours. Il était connu dans <strong>la</strong> région. Il entra<br />

ainsi au service de <strong>la</strong> cour. Nourri, logé, il jouait quand on le lui commandait, se demandant ce que<br />

cette p<strong>la</strong>ce avait à faire avec l’ordre de Samuel Apprends à devenir roi ! , se répétait-il, Roi de <strong>la</strong><br />

harpe, peut-être !<br />

En ce temps-là, le royaume était en guerre avec les voisins, les Philistins. Installés des deux<br />

côtés de <strong>la</strong> vallée du Térébinthe, les deux camps s’insultaient à qui mieux mieux.<br />

Un matin sortit du camp ennemi une espèce de géant, portant casque de bronze, cuirasse à<br />

écailles, cuissard, javelot et bouclier : il s’appe<strong>la</strong>it Goliath. Il se mit à provoquer toute l’armée<br />

d’Israël pour qu’elle lui oppose son champion.<br />

Les frères de David étaient militaires et lui, leur rendait souvent visite pour leur apporter<br />

quelques victuailles afin d’agrémenter l’ordinaire.<br />

David se glissa au premier rang pour voir Goliath et entendre ses insultes. Son sang ne fit qu’un<br />

tour. N’écoutant que sa générosité, il s’écria : Courage ! mes amis ! Je suis prêt à combattre contre<br />

lui ! Mais ce fut <strong>la</strong> même histoire : Tu n’es qu’un enfant, tu es trop jeune, tu n’as aucune expérience,<br />

c’est impossible ! David qui al<strong>la</strong>it résolument sur ses dix-huit ans, se dit qu’il était malheureux d’être<br />

toujours remballé, mais que, s’il recu<strong>la</strong>it cette fois-ci, il reculerait toujours ! Alors il répliqua devant<br />

toute <strong>la</strong> cour : Laissez-<strong>moi</strong> essayer, et avec l’aide du Seigneur <strong>nous</strong> vaincrons !<br />

Maintenant il ne pouvait plus se dédire : on le prit au mot.<br />

On voulut le charger d’armure et de cuirasse, de casque et d’épée. Mais il ne pouvait plus<br />

avancer. Il s’en débarrassa, enfi<strong>la</strong> son cuir et prit son sac à l’épaule, après y avoir mis sa fronde de<br />

berger et cinq cailloux bien ronds.<br />

David avança dans <strong>la</strong> vallée à <strong>la</strong> rencontre de Goliath qui se mit à le railler et l’insulter. David ne<br />

dit que quelques mots : Je combats au nom du Seigneur. C’est lui qui te frappera par ma main. Tu es<br />

déjà perdu. Puis, calmement, il prit une pierre dans son sac et <strong>la</strong> <strong>la</strong>nça avec sa fronde ; il atteignit<br />

Goliath au front où <strong>la</strong> pierre pénétra et le champion tomba face contre terre. David se jeta sur<br />

Goliath, lui arracha son épée et lui trancha <strong>la</strong> tête.<br />

Voilà comment David n’hésita pas à se prendre au sérieux une bonne fois pour toutes : il<br />

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n’hésita pas à voir autour de lui l’occasion de se mettre à l’épreuve. Il savait qu’il était bon à <strong>la</strong> harpe<br />

et à <strong>la</strong> fronde. Il misa sur ce qu’il savait faire pour réaliser ce qu’il devait faire. On ne naît pas roi, on<br />

le devient. Mais on le devient seulement si l’on se décide un jour à s’y mettre. Comme David.<br />

*<br />

* *<br />

C’est une vieille histoire que vous venez d’entendre: elle se serait passée il y environ 3 000 ans.<br />

Rendez-vous compte : depuis 3 000 ans, l’histoire de David et de son combat avec Goliath a été<br />

racontée partout, dans toutes les <strong>la</strong>ngues, jusqu’à aujourd’hui où je viens, à mon tour, de vous <strong>la</strong><br />

conter. Cette histoire se trouve dans <strong>la</strong> Bible : <strong>la</strong> Bible, c’est plus qu’un livre, c’est une bibliothèque.<br />

On y trouve toutes sortes d’aventures, de romans, de lois, de lettres… On rencontre David au milieu<br />

d’un récit qui rapporte l’histoire des premiers rois d’Israël : ce récit s’appelle « le livre de<br />

Samuel ».<br />

Si vous avez l’occasion de lire ce livre, vous remarquerez que je ne vous ai pas tout raconté :<br />

ce<strong>la</strong> aurait été trop long. Tous les détails que j’ai sautés sont intéressants, mais j’avais en tête une<br />

idée précise : je vou<strong>la</strong>is vous faire comprendre trois ou quatre choses. Pas plus J’y reviendrai dans<br />

un instant.<br />

Mais d’abord, je me demande si certains mots et noms propres n’ont pas été trop difficiles ! Par<br />

exemple, vous avez remarqué que <strong>nous</strong> avons affaire à <strong>la</strong> famille de David. David a une demidouzaine<br />

de frères, c’est le plus jeune. Son père s’appelle Jessé. Ils habitent Bethléem, à une dizaine<br />

de kilomètres au sud de Jérusalem, presque à <strong>la</strong> limite du désert du Négev.<br />

Samuel, c’est le vieux prophète, c’est-à-dire quelqu’un qui parle au nom de Dieu, s’entretient<br />

avec Dieu, et transmet aux hommes ce que Dieu a décidé. C’est ce qu’on appelle une « Révé<strong>la</strong>tion »<br />

faire connaître <strong>la</strong> volonté de Dieu. La volonté de Dieu à ce moment-là, c’était que le pays devait<br />

changer de roi. En effet, le roi Saül qui régnait, s’était éloigné de Dieu ; il n'en faisait qu'à sa guise,<br />

n’écoutant que lui. Alors sur l’ordre de Dieu, Samuel s’était mis à <strong>la</strong> recherche d’un successeur de<br />

Saül : c’est comme ça qu’il était arrivé chez le vieux Jessé.<br />

Vous avez compris que le choix n’était pas facile, étant donné que le pays était en guerre contre<br />

les gens de <strong>la</strong> côte, les Philistins, qui vou<strong>la</strong>ient s’emparer de <strong>la</strong> capitale. Il est normal que Samuel<br />

cherche un homme, grand, fort, robuste, et non un enfant, jeune berger sans expérience et qui en<br />

plus de ça, passait son temps à <strong>la</strong>ncer des cailloux et faire de <strong>la</strong> musique ! Il faut avouer que ça ne<br />

faisait pas sérieux<br />

On al<strong>la</strong>it lui rire au nez !<br />

DIEU EST COMME ÇA ! Il ne pense pas comme <strong>nous</strong> et n’agit pas comme les hommes ! Nous,<br />

<strong>nous</strong> faisons confiance à ce que <strong>nous</strong> voyons : <strong>la</strong> force, l’âge, l’expérience. Lui, il fait attention à<br />

autre chose : on ne sait pas toujours très bien quoi, mais en général c’est <strong>la</strong> simplicité, <strong>la</strong><br />

spontanéité, <strong>la</strong> pureté, même parfois <strong>la</strong> faiblesse ! Ici, c’est le jeune David, quinze seize ans, berger<br />

et musicien.<br />

Berger et musicien, peut-être. Mais berger capable et musicien apprécié. Là est <strong>la</strong> différence<br />

Parce qu’il y a des bergers qui ne connaissent pas leur métier et des musiciens qui ne savent faire<br />

que du bruit ! Dieu ne choisit pas n’importe qui, il sait ce qu’il veut, il choisit des gens « qui en<br />

veulent ».<br />

David est de ces gens-là : il sait à peu près ce qu’il sait faire. Il ne sait peut-être pas où ce<strong>la</strong> va<br />

le mener, mais il accepte les événements qui se présentent. Il est prêt à faire usage de ses dons, il<br />

n’en a pas honte, il en est même fier. Eh ! Mon Dieu, c’est légitime !<br />

C’est là qu’on s’aperçoit que l’âge n’a rien à voir avec l’héroïsme et que le courage n’a besoin<br />

11


que d’occasions pour se manifester : l’essentiel est d’être prêt, d’avoir confiance dans <strong>la</strong> vie, de se<br />

reposer sur Dieu et d’aller de l’avant. David l’avait compris en réfléchissant seul au milieu de son<br />

troupeau de chèvres, sur les collines caillouteuses qui bordent le désert. David avait deviné les<br />

tactiques de Dieu, en écoutant son père Jessé <strong>raconte</strong>r à table l’histoire du peuple depuis<br />

l’esc<strong>la</strong>vage en Égypte.<br />

Et David avait de suite réalisé que ce même Dieu aujourd’hui s’adressait à lui par <strong>la</strong> bouche du<br />

vieux Samuel. Était-il prêt à affronter son destin, c’est-à-dire était-il prêt à se charger d’accomplir<br />

ce que Dieu attendait de lui ? Vous imaginez <strong>la</strong> nuit qu’il a dû passer après le départ de Samuel !<br />

Vous imaginez l’interrogatoire que ses frères ont dû lui faire subir le lendemain matin ! Moi,<br />

j’imagine plutôt le silence plein de sagesse du vieux Jessé, surpris et même effrayé de ce qui se<br />

passait dans sa propre famille !<br />

Tout ce qui peut arriver quand même !<br />

12


Fini, le « petit » Jésus<br />

(Luc 2,40-52)<br />

La dernière fois qu’il était allé à <strong>la</strong> ville, il était trop petit. C’était pour les formalités du<br />

baptême : c’est fou ce qu’il y a de choses à faire quand on a un enfant ! Il paraît que c’est encore pire<br />

quand on meurt ! Mais ce qui est drôle, ce sont toujours les autres qui doivent se remuer pour <strong>nous</strong><br />

dans ces cas-là : ou bien on est trop petit et l’on ne peut pas, ou bien on ne peut plus du tout !<br />

Bref, Jésus avait grandi dans une bourgade du Nord, à Nazareth, dans les collines qui bordent le<br />

<strong>la</strong>c de Tibériade. C’est beau <strong>la</strong> Galilée, et beaucoup plus vert que le Sud, où il fal<strong>la</strong>it se rendre<br />

maintenant. Il avait en effet atteint l’âge où, d’après <strong>la</strong> loi juive, il devenait adulte et devait donc faire<br />

le pèlerinage de <strong>la</strong> Pâque, à Jérusalem <strong>la</strong> grand'ville !<br />

Et le voilà, le matin du départ, ému et inquiet, au milieu des chameaux, des mulets et des<br />

chevaux de <strong>la</strong> caravane, parmi les cris et les appels, sous le soleil déjà chaud du printemps, toujours<br />

précoce ici. Ça grimpe pour aller à Jérusalem : trois, quatre jours par les collines de Samarie, une<br />

grande halte au puits de Jacob à Sichem. Le lendemain soir, sur les hauteurs de Béthanie, c’était des<br />

pleurs de joie qui vous cou<strong>la</strong>ient sur le visage, à <strong>la</strong> vue du Temple, énorme vaisseau de pierre dans <strong>la</strong><br />

poussière dorée du couchant. Les fêtes duraient une bonne semaine. C’était l’occasion de revoir <strong>la</strong><br />

famille et les amis et de profiter pour faire quelques achats ; on ne trouvait pas grand-chose dans ce<br />

trou de Nazareth.<br />

Dans l’ambiance mé<strong>la</strong>ncolique du retour, les uns chantaient les derniers psaumes à succès,<br />

d’autres se racontaient ce qu’ils avaient fait ; Joseph <strong>dis</strong>cutait menuiserie avec un collègue, Marie<br />

avait retrouvé une vieille cousine. Les garçons en bandes couraient le long de <strong>la</strong> caravane sans <strong>la</strong><br />

<strong>moi</strong>ndre fille à taquiner car, jusqu’au mariage, elles devaient rester à <strong>la</strong> maison.<br />

Et voilà qu’à <strong>la</strong> halte du soir, pas de Jésus. Ses parents, en tête comme toujours, redescendent<br />

toute <strong>la</strong> caravane. Toujours pas de Jésus. Ni une, ni deux, ils récupèrent leurs montures : voilà joseph<br />

et Marie, entre colère et angoisse, galopant à bride abattue vers <strong>la</strong> Citadelle pleine de rumeurs. Toute<br />

<strong>la</strong> nuit, de parents en amis, de caravansérail 1 en auberge, ils cherchent, épuisés, désespérés. Ne<br />

sachant à quel prophète se vouer, ils vont au Temple implorer Dieu de leur rendre leur fils.<br />

Ils n’en croient ni leurs yeux ni leurs oreilles : sur les marches du parvis est, à <strong>la</strong> hauteur du<br />

troisième portique, emmitouflés dans leur manteau de fourrure et les épaules rentrées à cause du<br />

froid matinal, le nez enfoui dans leurs grandes barbes, mais l’œil et l’oreille aux aguets, une douzaine<br />

de professeurs de religion de l’Université, dans l’étonnement silencieux devant un Jésus debout, qui<br />

par<strong>la</strong>it, par<strong>la</strong>it, par<strong>la</strong>it… Saisie d’émotion, Marie l’appelle : Jésus, mon fils ! Pourquoi <strong>nous</strong> as-tu fait<br />

ce<strong>la</strong> ? Regarde dans quelle angoisse tu <strong>nous</strong> as jetés, ton père et <strong>moi</strong> ! Jésus s’était retourné pour<br />

écouter sa mère. Il jeta encore un œil sur les professeurs, ébahis par <strong>la</strong> scène. Mais avant de<br />

répondre, il regarda Marie dans les yeux. D’une drôle de façon, comme jamais jusqu’ici. Il ouvrit <strong>la</strong><br />

bouche, et <strong>dis</strong>tinctement : Et pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que c’est à <strong>moi</strong><br />

maintenant de m’occuper de mes affaires.<br />

Marie hocha <strong>la</strong> tête sans comprendre. Joseph avait l’habitude de ne plus rien comprendre. Avec<br />

tout ce qui lui arrivait depuis treize ans !…<br />

Jésus s’inclina devant les professeurs, encore plus ébahis, sourit à Joseph au passage, embrassa<br />

Marie qui pleurait et lui passa le bras autour des épaules. Puis tous trois, dans un silence lourd de<br />

questions, ils s’en retournèrent.<br />

Personne ne savait quoi, mais chacun avait compris. Fini le « petit » Jésus !<br />

13


*<br />

* *<br />

Avez-vous déjà observé une carte de Palestine ? Entre Nazareth au nord, dans <strong>la</strong> Province de<br />

Galilée, près du <strong>la</strong>c de Tibériade, et Jérusalem, <strong>la</strong> capitale, plus au sud dans <strong>la</strong> province de Judée, à<br />

<strong>la</strong> hauteur de <strong>la</strong> Mer Morte, il y a environ cent kilomètres à vol d’oiseau. Entre <strong>la</strong> Galilée et <strong>la</strong><br />

Judée, se trouve <strong>la</strong> Samarie, autre province qui n’aimait pas beaucoup les étrangers. Pour aller de<br />

Nazareth à Jérusalem, il existe trois routes : on peut soit longer <strong>la</strong> mer Méditerranée, soit descendre<br />

les rives du Jourdain, ou encore traverser les collines de Samarie. C’est cette dernière route, <strong>la</strong> plus<br />

courte, que prenaient en général les caravanes qui montaient vers Jérusalem, <strong>la</strong> ville sainte, à<br />

l’occasion du pèlerinage de <strong>la</strong> Pâque.<br />

En plein centre de <strong>la</strong> Samarie, à Sichem, se trouve un immense puits : exactement à mi-chemin<br />

entre Nazareth et Jérusalem, endroit intéressant pour faire une halte, abreuver chameaux, chevaux<br />

et ânes et passer <strong>la</strong> nuit. Ce puits est ancien : c’est Jacob qui l’avait creus, il y a plus de 3 500 ans,<br />

pour ses propres troupeaux.<br />

Mais vous ne savez peut-être pas qui est Jacob. C’est vraiment quelqu’un d’extraordinaire : le<br />

petit-fils d’Abraham ! Abraham, ça vous dit quelque chose : c’est l’homme qui avait quitté son pays<br />

du Golfe Persique, parce que Dieu lui avait dit d’aller s’installer de l’autre côté, près de <strong>la</strong> mer<br />

Méditerranée. Abraham avait eu un fils dans sa vieillesse : Isaac, qui avait eu à son tour deux fils,<br />

des faux-jumeaux : Esaü et Jacob. Ces deux-là étaient de vrais frères ennemis. Un autre jour peutêtre<br />

je vous <strong>raconte</strong>rai leurs aventures. Toujours est-il que Dieu avait choisi Jacob pour prendre <strong>la</strong><br />

suite d’Isaac son père et d’Abraham son grand-père. Et Jacob devint puissant : un jour, il changera<br />

de nom, il s’appellera Israël, son propre nom et celui de son peuple. C’est lui qui avait creusé ce<br />

puits, où le jeune Jésus campait donc ce soir-là, au milieu de <strong>la</strong> caravane avec Marie et Joseph.<br />

Il faut vous dire que, d’après <strong>la</strong> loi juive, un garçon est majeur à douze ans. C’est-à-dire qu’à<br />

douze ans, il n’est plus un enfant, mais un adulte responsable. Et comme le peuple juif est un peuple<br />

très religieux, chaque garçon, à douze ans, devait aller à Jérusalem, dans le Temple, pour fêter seul<br />

- il le fal<strong>la</strong>it - l’anniversaire de <strong>la</strong> Libération d’Égypte, datant de quelque mille trois cents ans<br />

auparavant. Vous vous rappelez certainement : le Pharaon, Moïse, les douze p<strong>la</strong>ies d’Égypte et le<br />

fameux passage de <strong>la</strong> Mer Rouge, où les armées égyptiennes se noyèrent, tan<strong>dis</strong> que les Hébreux<br />

s’enfuyaient dans le désert !<br />

Jésus avait donc douze ans cette année-là ! Pour <strong>la</strong> première fois, il al<strong>la</strong>it faire quelque chose<br />

qui le mettrait au rang des adultes. Je ne sais pas <strong>moi</strong> : pour vous en rendre compte aujourd’hui, il<br />

faudrait comparer avec un jeune qui atteint seize ans et qui ne serait plus obligé par <strong>la</strong> loi d’aller à<br />

l’école, ou bien avec un jeune qui atteint sa majorité et qui aurait le droit, s’il le désire, soit de se<br />

marier sans l’accord de ses parents, soit de quitter <strong>la</strong> maison familiale, sans rendre de compte à qui<br />

que ce soit. C’est comme une sorte de passage à <strong>la</strong> vie adulte, un changement radical dans<br />

l’existence, une nouvelle façon d’envisager le monde et <strong>la</strong> société.<br />

Jésus n’était plus un enfant. Jusqu’à présent, il faisait exactement ce qu’on lui <strong>dis</strong>ait de faire. Il<br />

n’avait rien à dire. Il obéissait. C’était normal. Il y a comme ça un temps où les autres <strong>dis</strong>ent ce que<br />

<strong>nous</strong> avons à faire : nos parents, nos éducateurs, nos professeurs, nos aînés. Pour Jésus, c’était <strong>la</strong><br />

même chose. Et chacun comprend que c’est nécessaire, parce que c’est naturel. Et c’est bien ainsi :<br />

ça <strong>nous</strong> aide, ça <strong>nous</strong> forme, ça <strong>nous</strong> apprend !<br />

Mais voilà qu’au retour, à <strong>la</strong> fin du pèlerinage et du séjour à Jérusalem, Jésus décide de rester<br />

plus longtemps. Il estime qu’il doit rester encore un peu. Par lui-même, sans demander à ses<br />

14


parents, ni même les avertir, il les <strong>la</strong>isse partir avec <strong>la</strong> caravane et il se rend de son propre chef<br />

dans <strong>la</strong> partie du Temple où les professeurs se réunissaient pour échanger leurs idées sur Dieu, le<br />

monde et les hommes.<br />

C’était <strong>la</strong> première fois que <strong>la</strong> chose se passait. C’était <strong>la</strong> première fois que Jésus découchait ;<br />

en plus de ça, au cours d’un voyage sur le chemin du retour ! Et dans une grande ville où tout est<br />

possible, où tout peut arriver ! Vous direz ce que vous voudrez, je comprends très bien l’angoisse, <strong>la</strong><br />

colère et l’étonnement de Marie et de Joseph devant le comportement de Jésus !<br />

Je ne sais si vous avez déjà fait une fugue ! (Moi, si !) Imaginez <strong>la</strong> peur de vos parents, les coups<br />

de téléphone dans toutes les directions, <strong>la</strong> police, les recherches ! Marie et Joseph courent le long de<br />

<strong>la</strong> caravane, puis galopent en trombe vers Jérusalem, cherchant pendant trois jours trois jours et<br />

trois nuits...<br />

On se demande parfois si Jésus s’est rendu compte de <strong>la</strong> panique qu’il avait provoquée. Le<br />

comble, c’est sa surprise quand on le cherche ! Voyez-vous : c’est là qu’on comprend qu’il se<br />

passait quelque chose d’extraordinaire, que ce n’était pas une fugue comme une autre, qu’il savait<br />

ce qu’il faisait, qu’il était conscient de ce qu’il <strong>dis</strong>ait.<br />

« C’est à <strong>moi</strong> maintenant de m’occuper des affaires de mon père, et des miennes ! » Ni plus ni<br />

<strong>moi</strong>ns ! Définitivement !<br />

Il fal<strong>la</strong>it bien qu’un jour ils le sachent ! Jésus était un garçon comme les autres, mais aussi un<br />

garçon pas comme les autres ! Il avait une mission, comme on dit ! C’est-à-dire qu’il avait quelque<br />

chose de précis à faire : on le verra plus tard. Il fal<strong>la</strong>it qu’il s’y mette un jour. Même si ce<strong>la</strong> devait<br />

faire de <strong>la</strong> peine à ceux qui l’aimaient : et Dieu sait si Marie et Joseph l’aimaient !<br />

Ah ! que c’est dur pour les parents de se rendre compte un jour que leurs enfants ne leur<br />

appartiennent plus, que leurs enfants ne leur appartiennent pas : surtout quand il s’agit du Fils<br />

même de Dieu !<br />

15


Jonas<br />

(Livre de Jonas)<br />

La journée avait de toute façon mal commencé ; il n’y avait aucune raison pour que ça aille<br />

mieux maintenant. Jonas avait eu des mots avec Amittaï son père, dès l’ouverture des bureaux<br />

d’export-import qu’ils tenaient dans le port de Jaffa : une cargaison de <strong>la</strong>ine qu’il n’aurait pas<br />

signalée dans les papiers de douane. Il y avait eu des complications avec le capitaine qui s’était p<strong>la</strong>int<br />

à Amittaï, qui s’en était pris à Jonas… qui maintenant arpentait les quais, absorbé dans sa mauvaise<br />

humeur et son entêtement.<br />

Au bout de <strong>la</strong> jetée, il s’arrêta pour regarder les vagues se briser contre les rochers. C’est alors<br />

qu’il entendit <strong>dis</strong>tinctement une voix lui donner c<strong>la</strong>irement cet ordre : Va à Ninive et <strong>dis</strong> aux<br />

habitants que j’en ai assez de leurs agissements ! Jonas se retourna, épouvanté, dans tous les sens. Il<br />

prit peur, car il se doutait de qui venait cet ordre. Après un instant de panique, il courut jusqu’à un<br />

bateau de son père qui était juste en train de <strong>la</strong>rguer les amarres, grimpa à bord en <strong>dis</strong>ant qui il était<br />

et, sans hésiter, prit <strong>la</strong> direction opposée à Ninive : le bateau partait en effet pour l’Espagne, Tarsis.<br />

Ils n’avaient pas plutôt quitté le port qu’une tempête jeta des trombes d’eau sur le bateau : on<br />

était près de couler ! Tout le monde pleurait, criait, priait : on implorait tous les <strong>dieu</strong>x possibles.<br />

Jonas s’était réfugié à fond de cale et dormait. Le capitaine qui battait le rappel, le découvrit, le<br />

bouscu<strong>la</strong> et lui enjoignit de se mettre aussi à appeler son <strong>dieu</strong> au secours. Qui sait si ce n’est pas le<br />

bon ! » Rien n’y fit ! Tirons au sort ! Il doit y avoir quelqu’un qui <strong>nous</strong> porte malheur ! Comme il<br />

fal<strong>la</strong>it s’y attendre, le sort tomba sur Jonas que l’on pressa aussitôt de questions. Il raconta ce qui lui<br />

était arrivé depuis le matin : <strong>la</strong> <strong>dis</strong>pute avec son père, sa promenade sur <strong>la</strong> jetée, l’ordre de Dieu et sa<br />

fuite en bateau : La tempête, c’est ma faute, jetez-<strong>moi</strong> par-dessus bord, vous verrez, ça va s’arrêter.<br />

C’est après <strong>moi</strong> qu’il en a : je le connais, mon Dieu !<br />

Ils le jetèrent à <strong>la</strong> mer : <strong>la</strong> tempête s’apaisa. Et Jonas attendit <strong>la</strong> suite qui ne se fit pas attendre !...<br />

Quelle peur devant <strong>la</strong> gueule grande ouverte de cette baleine surgie soudain de nulle part !<br />

Peur bien sûr et, en même temps, une espèce d’inexplicable tranquillité : comme si tout ce<strong>la</strong><br />

al<strong>la</strong>it de soi !<br />

Dans les entrailles du monstre, Jonas se mit à revoir sa vie et surtout cette incroyable journée qui<br />

n’était pas encore finie ! Mon Dieu quelle histoire ! Sauve-<strong>moi</strong> ! Arrête ce cauchemar !<br />

Combien de temps ce<strong>la</strong> dura, Jonas ne pouvait le dire. Mais il se retrouva tout étonné sur une<br />

p<strong>la</strong>ge de Jaffa - d'où il était parti ! -, où <strong>la</strong> baleine l’avait apparemment recraché ! Rien de brisé ! À<br />

peine humide ! Le soleil se levait sur un jour neuf. Ouf ! se dit Jonas. Va à Ninive, Jonas, retentit de<br />

nouveau <strong>la</strong> voix, et <strong>dis</strong>-leur ce que je t’ai dit !<br />

La mer était calme, le port était loin, le ciel était bleu. De rage, Jonas donna un coup de poing<br />

dans le sable. Puis il se leva et, les dents serrées, se mit en route pour Ninive...<br />

Il y arriva par <strong>la</strong> montagne : Ninive était une énorme capitale, il n’en <strong>dis</strong>tinguait pas les<br />

extrémités. Quand il atteignit les premiers faubourgs, les gens sortaient du travail et rentraient chez<br />

eux. Les rues étaient bondées. Il rejeta son grand manteau de voyage et le poing menaçant<br />

commença de crier à <strong>la</strong> foule : Dans 40 jours, <strong>la</strong> ville sera détruite !<br />

Et il al<strong>la</strong>it de l’avant, vengeur et terrifiant, semant sur son passage horreur et panique, sans<br />

s’inquiéter de <strong>la</strong> réaction des habitants. Ces derniers cependant l’avaient pris au sérieux et se mirent,<br />

roi en tête, à changer leurs façons de faire : les voleurs non seulement ne vo<strong>la</strong>ient plus, mais<br />

partageaient leurs biens ; les tricheurs aidaient les faibles à s’en tirer ; quant aux voyous de tous<br />

16


ordres, ils demandaient à leurs victimes de leur pardonner. Bref, c’était le monde à l’envers ! Dieu<br />

n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, au point qu’il renonça à punir tout ce monde. Il décida de<br />

pardonner. Quant à Jonas, il avait traversé <strong>la</strong> ville en rumeur et il se rendait maintenant sur une<br />

hauteur pour contempler le cataclysme qu’il avait annoncé à grands cris.<br />

En constatant que rien ne se produisait, il comprit que Dieu avait encore changé d’avis, il ne se<br />

contint plus. Pourquoi m’avoir obligé à ce travail ? Je savais bien que tu finirais par te <strong>la</strong>isser<br />

toucher. Quel air j’ai, <strong>moi</strong>, maintenant ! Ah ! Laisse-<strong>moi</strong> mourir, que ça finisse ! - Qu’est-ce que tu<br />

<strong>raconte</strong>s ! dit <strong>la</strong> voix, tan<strong>dis</strong> que Jonas s’allongeait par terre, les yeux fermés, sous le soleil dur de<br />

midi ! L’air était torride et sec. Jonas ne bougeait plus. Et Dieu fit pousser, vite fait bien fait, une<br />

grosse fougère au-dessus de <strong>la</strong> tête de Jonas : Ah ! Un peu de fraîcheur et de quoi m’abriter ! se dit-il<br />

en se retournant. Mais le lendemain, <strong>la</strong> fougère avait dépéri sous le vent d’est et Jonas gisait de<br />

nouveau en plein soleil. Il cria : Mais pourquoi as-tu fait ça ? Fais-<strong>moi</strong> donc mourir aussi, puisque<br />

c’est ce que tu veux ! - C’est à cause de cette fougère que tu parles comme ça ? répondit <strong>la</strong> voix. Oui<br />

et je veux mourir ! répliqua Jonas. Voilà comme tu es ! reprit Dieu. Tu as pitié d’une fougère que tu<br />

n’as ni p<strong>la</strong>ntée ni arrosée ni soignée, qui pousse en une nuit et qui meurt en une nuit. Et <strong>moi</strong>, je ne<br />

devais pas avoir pitié des 120 000 habitants de Ninive qui <strong>dis</strong>tinguent à peine leur droite de leur<br />

gauche ! Sans parler des bêtes ! Jonas se taisait : il savait qu’il avait tort. Tête baissée, bras croisés,<br />

il ruminait sa rage, préférant sa rogne et sa grogne, aux cris de joie qui lui parvenaient de <strong>la</strong> ville.<br />

À vouloir avoir toujours raison, on finit par croire que le monde entier <strong>nous</strong> en veut. Pauvre<br />

Jonas !<br />

*<br />

* *<br />

Tout le monde connaît l’histoire de Jonas et de <strong>la</strong> baleine : il y a même des chants de colonie de<br />

vacances qui se moquent de ce pauvre Jonas ! Mais habituellement, on ne se souvient que de cette<br />

partie de l’aventure et l’on oublie <strong>la</strong> fin de l’histoire. Rares sont ceux qui cherchent à comprendre<br />

pourquoi tout ce<strong>la</strong> arrive.<br />

L’histoire démarre à Joppé, une ville près de Tel-Aviv, en Israël, sur <strong>la</strong> côte méditerranéenne.<br />

Joppé (qui s’appelle aujourd’hui Jaffa) était un grand port. Jonas habitait là, et c’est dans le port<br />

qu’il reçut l’ordre d’aller à Ninive.<br />

Ninive, c’est <strong>la</strong> capitale de l’empire assyrien : une énorme ville située sur le fleuve Tigre qui se<br />

jette dans le golfe Persique. Entre Jaffa et Ninive, il doit y avoir cinq à six cents kilomètres, à travers<br />

des régions désertiques. On s’y rendait en général par le Nord, par <strong>la</strong> route des caravanes qu’on<br />

appe<strong>la</strong>it le Croissant Fertile : c’est par là qu’Abraham était venu de chez lui sur <strong>la</strong> côte. Jonas ne<br />

veut pas aller à Ninive : il prend même <strong>la</strong> direction complètement opposée, puisqu’il s’embarque<br />

pour l’Espagne sur un cargo en partance ! Il ne veut pas remplir <strong>la</strong> mission que Dieu lui confie, il ne<br />

veut pas aller annoncer aux habitants de cette ville qu’ils ont intérêt à changer de vie, parce que<br />

Dieu en a assez de leurs agissements et que ça commence à « bien faire »<br />

Jonas n’est pas un lâche. Vous avez remarqué qu’il se <strong>la</strong>isse jeter à <strong>la</strong> mer pour que <strong>la</strong> tempête<br />

s’apaise. Non ! S’il ne veut pas aller à Ninive, ce n’est pas parce qu’il a peur. Il sait, il sent que Dieu<br />

est imprévisible. Il sait, il sent qu’on ne lui a rien accordé tant qu’on ne lui a pas tout accordé ! Il<br />

sait, il sent que celui qui commence à travailler pour Dieu, doit accepter de ne pas toujours<br />

comprendre ce qu’il doit faire, mais de devoir le faire quand même !<br />

Jonas ne veut pas renoncer à sa propre vie, à sa propre volonté, à sa propre vision des choses.<br />

Jonas veut faire ce qu’il veut, il ne veut pas obéir !<br />

Mais on n’échappe pas à Dieu ! Jonas se retrouve au point de départ et l’ordre de mission<br />

retentit à nouveau. Cette fois-ci, pas moyen d’échapper. Et il y va par force, mais il y va ! Seulement<br />

voilà : il n’a pas renoncé à en faire à sa tête et il ne pousse pas les habitants à changer de vie : il les<br />

condamne purement et simplement. Il prend <strong>la</strong> décision à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de Dieu, à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de Celui qui<br />

17


peut seul prendre une décision de cet ordre. Jonas ne prêche pas : « Changez de vie ou il vous<br />

arrivera malheur ! », il prononce une sentence : « Dans 40 jours, <strong>la</strong> ville sera détruite ! »<br />

Ce<strong>la</strong>, vous l’imaginez, n’est pas fait pour p<strong>la</strong>ire à Dieu ! Quand quelqu’un prend sa p<strong>la</strong>ce !<br />

D’autant que Dieu avait changé d’avis. Jonas savait que Dieu finirait par pardonner. Jonas savait<br />

que, lorsque Dieu change d’avis, c’est pour sauver les hommes et que l’homme doit reconnaître que<br />

Dieu est meilleur pour l’homme que l’homme lui-même.<br />

Mais Jonas était contrarié. Il avait forcé <strong>la</strong> main de Dieu en annonçant à l’avance <strong>la</strong><br />

destruction de <strong>la</strong> ville. Dieu ne s’était pas <strong>la</strong>issé faire en voyant <strong>la</strong> bonne volonté des habitants.<br />

Mais comme Jonas a son caractère, il boude. Il ne veut plus rien savoir, il se demande ce qu’il a<br />

fait au Bon Dieu pour mériter ça.<br />

Il veut mourir.<br />

Dieu essaie de lui expliquer qu’il ne menace que pour mieux pardonner, que sa colère<br />

n’exprime que sa passion de sauver.<br />

Jonas est dur à convaincre. J’avoue que c’est ce qui me p<strong>la</strong>ît en lui. Il se tait, il fait <strong>la</strong> forte tête.<br />

Il sait pourtant qu’il a tort et Dieu le voit bien.<br />

C’est pourquoi, le silence de Jonas est le plus grand repentir que je connaisse : celui qu’aucune<br />

parole ne peut exprimer. Comme <strong>la</strong> parole de Dieu.<br />

18


Tobie et Sara<br />

(Livre de Tobie)<br />

Il était une fois un homme bon, généreux et serviable : il rendait service à tout le monde. Un jour, il<br />

devint aveugle par accident et son fils Tobie s’occupa de lui comme il fal<strong>la</strong>it, mais personne ne<br />

pouvait le guérir. À l’autre bout du pays, un autre homme, son cousin, avait une fille qui s’appe<strong>la</strong>it<br />

Sara. Elle avait déjà été mariée sept fois, mais ses maris mouraient le soir de noces, en entrant dans<br />

<strong>la</strong> chambre nuptiale. Et personne n’y pouvait rien. Tobie et Sara étaient bien malheureux, chacun de<br />

son côté. Un jour le père de Tobie appe<strong>la</strong> son fils : Je vais mourir, dit-il, mais avant ce<strong>la</strong>, j’aimerais<br />

savoir que tu as pris femme, même si je ne dois jamais <strong>la</strong> voir. Mon cousin a une fille : je ne sais ce<br />

qu’ils sont tous devenus depuis longtemps. Mais d’après nos coutumes, c’est à toi qu’elle revient. Ils<br />

habitent de l’autre côté du pays : voici un parchemin qui te fera reconnaître. Trouve-toi un guide<br />

pour le voyage et hâte-toi !<br />

Tobie sortit pour se préparer. Il rencontra un étranger à qui il demanda comment rejoindre <strong>la</strong><br />

ville où habitait le cousin de son père. Raphaël répondit qu’il connaissait <strong>la</strong> route et se proposa même<br />

de l’accompagner, sans révéler à Tobie qu’il était envoyé de Dieu : il se fit passer pour Asarias,<br />

d’une famille de marchands. Le lendemain matin à l’aube, Raphaël, Tobie et son chien se mirent en<br />

route. Raphaël n’était pas bavard et Tobie jouait à <strong>la</strong> course avec son chien.<br />

À l’étape du soir, Tobie voulut prendre un bain dans une rivière près de <strong>la</strong>quelle ils campaient,<br />

lorsqu’un étrange poisson nagea tout près de lui. Tobie eut peur. Mais Raphaël lui cria : Attrape-le et<br />

jette-le sur <strong>la</strong> berge ! - Tu vois, continua Raphaël. Ouvre ce poisson. Arrache-lui le cœur, le foie et<br />

l’intestin et garde-les précieusement. Tu en auras besoin. Ils firent griller le reste sur des feuilles de<br />

figuier, l’arrosèrent de citron, puis le mangèrent en contemp<strong>la</strong>nt les premières étoiles. Le lendemain,<br />

ils se remirent en route et atteignirent sans encombre le but de leur voyage. Raphaël avait dit à<br />

Tobie : N’aie pas peur quand on te dira que Sara a déjà eu sept maris, avant même d’avoir dormi<br />

avec eux. Dis simplement qu’elle te revient et que tu <strong>la</strong> veux.<br />

Tobie agit suivant le conseil de Raphaël. Les parents de Sara eurent beau essayer de le<br />

<strong>dis</strong>suader, Tobie voulut Sara pour femme. Elle-même essaya de le convaincre d’y renoncer, Tobie<br />

obéit à Raphaël.<br />

Raphaël lui dit : Quand tu entreras dans <strong>la</strong> chambre, pose le cœur et le foie du poisson sur les<br />

cendres de <strong>la</strong> cheminée. Une odeur se répandra qui fera fuir tous les mauvais esprits. Puis, avec<br />

Sara, demande à Dieu de vous protéger. Ainsi firent Tobie et Sara.<br />

En bas, tout le monde s’inquiétait. Le père de Sara commençait déjà à creuser une tombe pour<br />

Tobie. On dépêcha une servante pour aller voir : Ils sont vivants et ils dorment ! Le lendemain, ce fut<br />

encore <strong>la</strong> fête, et les jours suivants. Alors Tobie s’inquiéta de ses parents et surtout de son père<br />

aveugle qui devait s’inquiéter.<br />

Je dois partir : il faut que je retourne chez mon père ! dit-il à ses beaux-parents. On essaya en<br />

vain de le retenir.<br />

Sara reçut en dot <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié des biens de son père. Un matin, avant le lever du jour, une énorme<br />

caravane se mit en route, avec en tête le chien de Tobie qui ouvrait le convoi.<br />

Comme on tardait, Raphaël dit à Tobie : Va de l’avant. Nous arriverons après. Dès ton arrivée,<br />

fais reposer un instant l’intestin du poisson sur les yeux de ton père et il verra. »<br />

Tobie avait appris à faire entièrement confiance à Raphaël sans poser de questions, il piqua des<br />

deux et chevaucha vers son père. Quelle joie pour les parents d’embrasser leur fils de retour. Sans<br />

leur <strong>la</strong>isser le temps de parler, Tobie apposa sur les yeux de son père l’intestin du poisson. Le père<br />

voulut s’en défendre : Je t’en prie, insista Tobie. Asarias l’a dit !<br />

Et au moment où le père ouvrit les yeux sur son fils, Sara entra dans <strong>la</strong> pièce, à <strong>la</strong> main de<br />

Raphaël.<br />

Vous imaginez <strong>la</strong> joie et <strong>la</strong> fête qui durèrent des jours et des jours. Seul Raphaël restait<br />

silencieux et grave. Tobie et Sara s’approchèrent de lui : Asarias, <strong>nous</strong> te devons tant et tant. Tiens,<br />

19


<strong>nous</strong> te donnons <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié de nos biens. Sans toi, que serions-<strong>nous</strong> devenus ?<br />

Alors Raphaël ouvrit <strong>la</strong> bouche en leur pressant <strong>la</strong> main à chacun : Je suis Raphaël, l’un des sept<br />

envoyés de Dieu, toujours prêts à intervenir à ses ordres. Tobie et Sara tombèrent à genoux, saisis de<br />

crainte. N’ayez pas peur. Relevez-vous et louez Dieu. C’est lui qui m’a envoyé pour vous protéger.<br />

Racontez à tous ce qui vous est arrivé. Aimez vos enfants comme vos parents vous ont aimés. Et<br />

faites toujours foi à ce que Dieu vous dit.<br />

Quand Tobie et Sara relevèrent <strong>la</strong> tête, Raphaël n’était plus là. On dit qu’il parcourt le monde, au<br />

service de ceux qui se cherchent sans se connaître encore. Si un jour vous êtes dans l’embarras,<br />

appelez-le. Et puis, n’ayez pas peur d’insister : il a tant à faire !<br />

*<br />

* *<br />

C’est l’une des plus belles histoires d’amour que je connaisse. C’est une histoire d’amour<br />

comme on n’en écrit plus, ou si rarement. Parce que, voyez-vous, elle allie dans le même mouvement<br />

l’amour des parents pour leurs enfants, l’amour des enfants pour leurs parents, l’amour de l’homme<br />

pour <strong>la</strong> femme, l’amour de <strong>la</strong> femme pour l’homme et l’amour de Dieu pour chacune de ses<br />

créatures.<br />

Bien sûr, vous l’avez remarqué, on se croirait dans un conte de fées : l’ange Raphaël arrive à<br />

point nommé pour conduire et guider le jeune Tobie ; le merveilleux poisson, du <strong>moi</strong>ns ses entrailles,<br />

éloigne le mauvais sort de <strong>la</strong> chambre nuptiale et redonne <strong>la</strong> vue au père du jeune homme. Chacun a<br />

bien compris : ces éléments de l’histoire ne sont là que pour <strong>nous</strong> indiquer le sens de ces événements<br />

et leur importance pour <strong>nous</strong> aujourd’hui.<br />

Car ce qui est raconté <strong>nous</strong> concerne, même si <strong>nous</strong> ne racontons pas aujourd’hui comme on<br />

racontait il y a deux mille ans. C’est l’intérêt de l’histoire de Sara et Tobie : elle <strong>nous</strong> en dit plus sur<br />

<strong>nous</strong> et ceux que <strong>nous</strong> aimons ou qui <strong>nous</strong> aiment, que les romans à l’eau de rose et les feuilletons de<br />

hall de gare.<br />

L’amour est sans cesse menacé, l’amour est chaque fois à découvrir, l’amour est une aventure<br />

qui ne se termine jamais, même pas à <strong>la</strong> mort.<br />

Voyez-vous : on croit toujours qu’un malheur humain est une punition de Dieu. Ce qui devient<br />

incompréhensible et inacceptable, quand ce malheur touche des gens simples et généreux. Et l’on se<br />

demande tout de suite en accusant le ciel : « Mais qu’est-ce que le vieux père avait fait au bon Dieu<br />

pour perdre <strong>la</strong> vue ? Qu’est-ce que <strong>la</strong> pauvre Sara avait fait de mal, pour devenir sept fois veuve ? »<br />

On oublie que le malheur est là pour être combattu et que le mal reste toujours sous le contrôle de<br />

Dieu qui n’abandonne personne, même quand on se croit dé<strong>la</strong>issé par le ciel et par tout le monde.<br />

Il y a des gens comme ça, qui jouent à notre côté le rôle de ce Raphaël qui se fait passer pour un<br />

autre : chacun d’entre <strong>nous</strong> a un Raphaël auprès de lui. Seulement, ce n’est pas tout le monde qui le<br />

reconnaît, ce n’est pas tout le monde qui écoute ses conseils. Ce n’est pas tout le monde qui lui fait<br />

confiance.<br />

L’amour de Dieu, l’amour des hommes, l’amour humain, c’est tout un apprentissage, un<br />

entraînement à travers les années, une course d’obstacles à travers <strong>la</strong> vie. On n’y arrive pas du<br />

premier coup, et l’on n’y arrive pas tout seul. On a besoin d’aide, de confiance et de courage. Et il<br />

en faut, pour courir les risques de l’existence.<br />

Tout amour est une conquête, tout amour est une recherche, tout amour est une patience.<br />

L’amour des parents rend fort, <strong>la</strong> confiance des amis rend audacieux, <strong>la</strong> tendresse humaine ouvre le<br />

cœur. Sans Raphaël, Tobie n’aurait trouvé ni <strong>la</strong> route qui devait le mener jusqu’au cœur de Sara, ni<br />

<strong>la</strong> façon de rendre à son père <strong>la</strong> lumière de <strong>la</strong> vie.<br />

Dieu est toujours à côté de <strong>nous</strong>. Mais <strong>nous</strong> oublions le plus souvent de compter avec lui. Il ne<br />

faut <strong>nous</strong> en prendre qu’à <strong>nous</strong>. Avouez quand même que c’est bien bête de se passer de lui.<br />

20


Moïse<br />

(Exode chap. 2 à 20 ; 24 ; 32 à 35.<br />

Nombres chap. 10 à 14 ; 16 et 17 ; 26.<br />

Deutéronome chap. 31)<br />

Moïse avait grandi à <strong>la</strong> cour du Pharaon d’Égypte, dans l’immense pa<strong>la</strong>is de <strong>la</strong> princesse qui,<br />

seize ans plus tôt, l’avait sauvé des eaux.<br />

Pendant tout ce temps, les autres Hébreux, <strong>moi</strong>ns chanceux que lui, subissaient un esc<strong>la</strong>vage de<br />

plus en plus sévère au fur et à mesure que leur nombre se multipliait, malgré déportations et<br />

exterminations. Aucun roi ne peut venir à bout d’un peuple, quand ce dernier ne veut pas <strong>dis</strong>paraître.<br />

Moïse comprenait chaque jour mieux <strong>la</strong> condition de ses compatriotes et il <strong>la</strong> découvrait chaque jour<br />

davantage, en se promenant sur les hauts murs du pa<strong>la</strong>is de <strong>la</strong> princesse. Dans le lointain, il voyait<br />

monter des pyramides, des silos, des minarets et des routes nouvelles courir le long du Nil. Quand le<br />

soir tombait, il ne parvenait pas à compter le nombre de charrettes qui ramenaient - pour les brûler-<br />

les cadavres des prisonniers, morts à <strong>la</strong> tâche au cours de <strong>la</strong> journée.<br />

Un matin, il sortit du pa<strong>la</strong>is pour voir. Il arpenta les chantiers, les échafaudages, les mortiers, les<br />

machines. Vers midi, alors qu’il s’en retournait, écœuré et troublé, il vit un garde égyptien frapper un<br />

Hébreu. Moïse regarda rapidement à gauche et à droite. Ne voyant personne, il se jeta sur l’Égyptien<br />

et le frappa de son poignard. Puis il enfouit le corps dans le sable et rentra au pa<strong>la</strong>is.<br />

Il ne dormit pas de <strong>la</strong> nuit, tellement étaient grandes son excitation et sa colère.<br />

Le lendemain il sortit de nouveau. Cette fois-ci, il aperçut deux Hébreux qui se querel<strong>la</strong>ient.<br />

Plein de compassion, il courut vers eux, les sépara : Pourquoi vous battez-vous entre frères ? La<br />

réponse fut cing<strong>la</strong>nte. Qui te permet de <strong>nous</strong> juger et de <strong>nous</strong> conseiller ? Veux-tu <strong>nous</strong> tuer comme<br />

tu as tué l’Égyptien hier ? Moïse prit peur et recu<strong>la</strong> : on l’avait donc vu Il regagna aussitôt le pa<strong>la</strong>is,<br />

empaqueta quelques affaires, fit atteler un chameau, et, tan<strong>dis</strong> que le soleil était au plus haut dans un<br />

ciel sans nuage, il s’enfuit à toute allure de devant Pharaon, à travers le désert, vers le pays de<br />

Madiari.<br />

Sa fuite dura un jour et une nuit ; il s’arrêtait juste pour reposer sa monture. Le soir du deuxième<br />

jour tombait, quand il atteignit le premier puits de Madian.<br />

La p<strong>la</strong>ce semb<strong>la</strong>it déjà occupée; il s’immobilisa sur une dune qui surplombait le puits. Sept<br />

femmes - oui, c’était bien des femmes - étaient en train d’abreuver d’immenses troupeaux de<br />

moutons, quand survinrent d’autres bergers qui se mirent à les chasser. Les seize ans de Moïse ne<br />

purent le supporter : rassemb<strong>la</strong>nt toute l’énergie et <strong>la</strong> violence dont il était encore capable, il déva<strong>la</strong><br />

<strong>la</strong> dune en hur<strong>la</strong>nt et, de son cimeterre, fit p<strong>la</strong>ce nette. Puis il mit pied à terre et ga<strong>la</strong>mment abreuva<br />

les troupeaux de ces de<strong>moi</strong>selles, tan<strong>dis</strong> qu’elles s’étaient assises sous l’unique arbre du lieu et<br />

l’observaient en échangeant des « commentaires ».<br />

Quand elles rapportèrent l’affaire à leur père, il fit aussitôt chercher Moïse. Moïse lui plut il lui<br />

plut tellement qu’au bout de quelques <strong>moi</strong>s, il lui donna en mariage sa fille Tsiporah. Et Tsiporah<br />

plut tellement à Moïse que le vieil homme devint rapidement grand-père d’un petit garçon nommé<br />

Gershom.<br />

Et voilà notre Moïse devenu berger de son beau-père Jethro. Pendant ce temps, en Égypte, le<br />

Pharaon qui avait fait rechercher Moïse était mort mais son successeur ne relâchait pas sa politique<br />

d’extermination du peuple hébreu. Les caravanes qui transitaient par Madian rapportaient toutes les<br />

privations de cette nation, que l’Égypte avait réduite à l’esc<strong>la</strong>vage. Moïse écoutait et il pensait à sa<br />

famille qu’il n’avait pas connue, à ses compatriotes qui… tan<strong>dis</strong> que lui… Mais que pouvait-il faire ?<br />

C’est le destin ! se <strong>dis</strong>ait-il, en entamant <strong>la</strong> grande transhumance de printemps, à <strong>la</strong> tête des brebis<br />

mères et des agneaux, tan<strong>dis</strong> que les béliers étaient conduits vers d’autres pâturages. Moïse<br />

conduisait les mères et les petits vers l’Horeb, <strong>la</strong> montagne de l’Entre-deux-mers, sur les f<strong>la</strong>ncs de<br />

21


<strong>la</strong>quelle poussait l’herbe <strong>la</strong> plus tendre de l’année.<br />

C’est une tâche qu’il accomplissait seul chaque année. Il aimait conduire toute cette vie, celle<br />

des promesses, celle de l’avenir, celle des renouveaux. Son chameau tout b<strong>la</strong>nc semb<strong>la</strong>it une île<br />

mouvante au milieu de cette vague irrégulière de toisons jaunes et brunes. Il y avait des moments où<br />

il était saoul de bruit, de suint et de lumière. Il avançait…<br />

C’était midi <strong>la</strong> chaleur était torride, les brebis s’étaient étendues dans l’ombre des rochers, au<br />

pied de <strong>la</strong> montagne. Seul Moïse marchait dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine dont les buissons c<strong>la</strong>irsemés formaient<br />

comme des bornes b<strong>la</strong>nches dans <strong>la</strong> lumière. Et voilà qu’un buisson tout à coup semb<strong>la</strong> s’enf<strong>la</strong>mmer<br />

à quelques mètres de lui, il semb<strong>la</strong>it irradier toute <strong>la</strong> chaleur du soleil. Moïse se couvrit le visage de<br />

ses mains et observa le buisson à travers ses doigts.<br />

Alors dans l’immensité dure et lumineuse des espaces désertiques, se répercutant depuis <strong>la</strong><br />

montagne de l’Horeb jusqu’aux deux mers, à <strong>la</strong> fois tranchante comme un g<strong>la</strong>ive et suave comme<br />

une orange, une voix appe<strong>la</strong> par deux fois : Moïse, Moïse ! Comme attiré par un aimant, Moïse<br />

s’avança vers le buisson, mais il dut bientôt s’arrêter une force le retenait ; il tomba à terre, enleva<br />

ses sandales, sentant qu’il fou<strong>la</strong>it un sol sacré, et se prosterna, n’osant plus regarder le buisson.<br />

La c<strong>la</strong>meur reprit, dans l’infini de <strong>la</strong> solitude, comme si chaque caillou <strong>la</strong> renvoyait : Je suis<br />

Yahvé, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Je t’envoie vers Pharaon fais sortir mon peuple<br />

d’Égypte. Moïse n’osait ouvrir <strong>la</strong> bouche, mais se demanda si… Je suis avec toi. Et si on te demande<br />

qui t’envoie, réponds : Je suis qui je suis, Yahvé ! Va ! C’est <strong>moi</strong> qui vous conduirai vers <strong>la</strong> terre de<br />

Canaan Vers <strong>la</strong> Terre Promise ! Moïse restait prostré, inquiet et épouvanté ; alors <strong>la</strong> voix annonça<br />

Ton bâton deviendra serpent, tu commanderas à <strong>la</strong> lèpre, tu transformeras en sang l’eau du Nil pour<br />

les convaincre. Moïse sentait qu’il n’en réchapperait pas et se souvint qu’il par<strong>la</strong>it mal : Je serai avec<br />

ta bouche, je t’enseignerai quoi dire, résonna <strong>la</strong> voix dans <strong>la</strong> chaleur. Puis, d’un ton à mettre fin à<br />

toute hésitation : Aaron sera ta bouche, <strong>dis</strong>-lui ce que je t’inspirerai, et lui parlera !<br />

Il y eut alors comme un grand coup de vent. Moïse resta un long moment immobile. Puis il se<br />

décida à relever <strong>la</strong> tête. Tout reposait sous le soleil : il était seul ; le buisson était redevenu un<br />

buisson comme les autres buissons du désert.<br />

Quelques jours plus tard, Moïse reprenait le chemin de Madian. Jethro vit que quelque chose<br />

s’était passé, il ne retint pas son gendre quand ce dernier lui annonça son départ immédiat pour<br />

l’Égypte. Moïse prit Tsiporah et Gershom et il se joignit à <strong>la</strong> première caravane qui transita par<br />

Madian.<br />

En voyant Aaron son frère l’attendre à <strong>la</strong> halte de l’Horeb, Moïse comprit qu’il n’avait pas rêvé<br />

quinze jours plus tôt. Aaron de son côté ne fut pas surpris le <strong>moi</strong>ns du monde d’entendre de <strong>la</strong><br />

bouche de Moïse ce qui s’était passé près du buisson lors de <strong>la</strong> dernière transhumance.<br />

C’est ça qui était étonnant personne ne s’étonnait de rien ce qui se passait. Pourtant tout ce qui<br />

se passait n’était pas si normal que ça ! Peut-être, n’y a-t-il rien de plus ordinaire que l’extraordinaire<br />

quand on l’accepte tout simplement<br />

C’est ce qui arriva quand Moïse et Aaron se présentèrent aux Anciens du peuple des Hébreux :<br />

tout le monde les crut. Et dès le lendemain de leur arrivée dans <strong>la</strong> capitale, les deux frères se<br />

présentèrent devant le Pharaon.<br />

Alors tout ce que Yahvé avait annoncé et révélé à Moïse arriva.<br />

Pharaon refusa de <strong>la</strong>isser le peuple aller au désert offrir un sacrifice à Yahvé. Même il ne fournit<br />

plus aux maçons <strong>la</strong> paille nécessaire à <strong>la</strong> confection des briques, sans pour autant rabaisser <strong>la</strong><br />

quantité imposée. Moïse regretta sa démarche.<br />

Mais poussé par Yahvé, il retourna demander au Pharaon de <strong>la</strong>isser partir les Hébreux. Le cœur<br />

du Pharaon fut aussi endurci que <strong>la</strong> première fois Moïse eut beau lui faire le coup du bâton qui se<br />

transforme en serpent, les magiciens d’Égypte en firent autant. À <strong>la</strong> seule différence que le serpent<br />

de Moïse engloutit ceux des magiciens.<br />

Yahvé poussa une troisième fois Moïse au-devant du Pharaon, alors qu’il descendait d’un bateau<br />

du Nil. Moïse changea l’eau du fleuve en sang mais <strong>la</strong> troupe des magiciens appelés à <strong>la</strong> rescousse,<br />

en fit autant. Et le Pharaon s’endurcit encore plus.<br />

22


À leur quatrième visite, Moïse et Aaron firent monter vers <strong>la</strong> capitale toutes les grenouilles<br />

d’Égypte qui envahirent le pa<strong>la</strong>is et les maisons. Pharaon eut peur, il promit à Moïse de <strong>la</strong>isser partir<br />

le peuple, pourvu que les grenouilles…<br />

Les grenouilles partirent, mais le Pharaon ne tint pas ses promesses.<br />

Alors ce furent les poux qui attaquèrent l’Égypte, puis les fauves. Toujours le Pharaon promit.<br />

Et toujours le Pharaon se reprit.<br />

Yahvé déclencha <strong>la</strong> peste contre les animaux : ceux des Égyptiens moururent tous, tan<strong>dis</strong> que les<br />

troupeaux des Hébreux continuèrent de prospérer.<br />

Puis Yahvé fit éclore sur bêtes et gens les pustules et les scrofules les plus horribles.<br />

Mais le Pharaon resta de pierre.<br />

Yahvé essaya <strong>la</strong> grêle : elle ravagea toute l’Égypte, excepté les Hébreux et leurs biens. Encore<br />

une fois, le Pharaon promit et se reprit.<br />

La fois suivante, on vit s’abattre du ciel noir des nuages de sauterelles voraces et carnivores.<br />

Croyez-vous que le Pharaon ait compris ? Non ! Il continua de retenir les Hébreux.<br />

Même devant les ténèbres, le Pharaon résista.<br />

À <strong>la</strong> fin Yahvé se résolut à frapper le Pharaon dans ce qu’il avait de plus cher, sa patience ayant<br />

tout essayé ! Moïse et Aaron réunirent les Hébreux : Le dix de ce <strong>moi</strong>s, vous prendrez un agneau par<br />

maison. Le soir, vous l’égorgerez ; avec son sang, vous marquerez votre porte. Vous le ferez rôtir au<br />

feu avec des galettes et de <strong>la</strong> sa<strong>la</strong>de amère. Vous les mangerez pendant <strong>la</strong> nuit. Le reste vous le<br />

brûlerez. Vous mangerez, prêts à partir en toute hâte. Car <strong>moi</strong> Yahvé, je vais passer ! Je frapperai<br />

tous les aînés de l’Égypte, de l’homme à <strong>la</strong> bête. Le signe du sang vous préservera. Et vous fêterez<br />

cette nuit jusqu’à <strong>la</strong> fin des temps. Et vous <strong>la</strong> <strong>raconte</strong>rez aux enfants des enfants de vos enfants.<br />

Cette nuit-là, ce fut une unique et immense c<strong>la</strong>meur dans tout le pays de l’Égypte, quand passa<br />

l’ange exterminateur. Le Pharaon découvrit le cadavre de son fils, fit tout de suite appeler Moïse<br />

pour lui ordonner de quitter immédiatement le pays avec tout le peuple des Hébreux.<br />

Les Hébreux firent main basse sur tout ce qu’ils trouvèrent à emporter, ils étaient des milliers et<br />

des milliers, avec leurs chameaux, leurs bœufs, leurs vaches, leurs moutons, leurs chèvres, leurs<br />

charrettes, leurs chevaux. Un peuple immense passa les portes de Ramsès en direction de <strong>la</strong> Mer des<br />

Joncs. Les cris des caravanes et les cris des Égyptiens se mê<strong>la</strong>ient indescriptiblement dans <strong>la</strong> nuit<br />

fraîche du printemps neuf ! La liberté après quatre cents ans de servitude ! Alléluia ! Alléluia !<br />

hur<strong>la</strong>ient les parents. Alléluia ! répétaient les enfants saouls de sommeil, accrochés au dos de leur<br />

mère. Alléluia !<br />

Alléluia ! priait Moïse en tête de <strong>la</strong> marée humaine, surveil<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> monture qui transportait à côté<br />

de lui les restes de Joseph, l’ancêtre qui avait ja<strong>dis</strong> lui fait jurer, qu’on ramenât ses os en terre sainte.<br />

Le jour, c’était une ombre immense, <strong>la</strong> nuit comme une immense torche, qui avançait devant le<br />

peuple, lui indiquant <strong>la</strong> direction.<br />

Mais le Pharaon voulut encore se reprendre. Il prit <strong>la</strong> tête de ses six cents chars d’élite et de ses<br />

meilleurs capitaines. Les Hébreux se mettaient déjà à camper près de <strong>la</strong> Mer des Joncs, quand les<br />

arrière-gardes firent se répandre <strong>la</strong> nouvelle d’une attaque imminente.<br />

Et ce fut le premier murmure du peuple contre Moïse. Est-ce pour <strong>nous</strong> faire périr au désert que<br />

tu <strong>nous</strong> as tirés d’Égypte ? Moïse grimpa sur un promontoire et se mit à prier Dieu, tan<strong>dis</strong> que le<br />

peuple faisait éc<strong>la</strong>ter sa mauvaise humeur.<br />

Soudain on vit Moïse se lever : il paraissait étrangement grand avec son manteau et ses cheveux<br />

flottant dans le vent de l’immense ouragan que ses bras semb<strong>la</strong>ient déclencher. Alors un souffle<br />

irrésistible ba<strong>la</strong>ya <strong>la</strong> mer devant le peuple de façon à découvrir les gués cachés dans les joncs. Moïse<br />

cria d’une voix que chacun semb<strong>la</strong> entendre en lui-même : En avant !<br />

Et ce fut <strong>la</strong> formidable ruée de dizaines et de dizaines de milliers et de milliers d’hommes et de<br />

bêtes, se jetant dans le couloir marin. On entendait crier à tue-tête dans <strong>la</strong> tempête éc<strong>la</strong>tée<br />

soudainement : Yahvé est notre Dieu Yahvé est notre Dieu !, tan<strong>dis</strong> que d’autres reprenaient<br />

in<strong>la</strong>ssablement à <strong>la</strong> limite de l’épuisement : Car éternel est son amour ! Car éternel est son amour.<br />

Moïse restait les bras levés vers le ciel. Et le peuple se faufi<strong>la</strong>it au milieu de <strong>la</strong> mer ouverte.<br />

23


C’est alors que surgit sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge l’armée terrible du Pharaon : il reforma le front et d’un cri<br />

terrible <strong>la</strong>nça ses six cents chars à <strong>la</strong> poursuite des Hébreux. Mais Moïse avait baissé les bras et, à ce<br />

moment, <strong>la</strong> tempête s’arrêta, le vent tomba et <strong>la</strong> mer se referma, engloutissant chars et cavaliers au<br />

fur et à mesure qu’ils s’y précipitaient. Les chars de tête vou<strong>la</strong>ient stopper et faire demi-tour, mais<br />

poussés par ceux qui les suivaient, ils s’abîmaient dans les flots rouges de <strong>la</strong> Mer des Joncs. Ce fut<br />

l’anéantissement total de <strong>la</strong> cavalerie égyptienne, tan<strong>dis</strong> que le peuple des Hébreux sortait de l’autre<br />

côté et bénissait Yahvé qui faisait, pour lui, éc<strong>la</strong>ter les merveilles de sa puissance.<br />

À vrai dire, l’aventure ne faisait que commencer elle avait démarré sur les chapeaux de roues…<br />

égyptiennes ! Mais ce qui attendait les Hébreux pendant les quarante ans qui commençaient ce<br />

matin-là, al<strong>la</strong>it aussi leur en faire voir et leur en apprendre. Pourtant, cette fois, c’est Yahvé luimême<br />

qui devait s’en charger.<br />

Dès le troisième jour, les gens se p<strong>la</strong>ignirent de <strong>la</strong> chaleur, de <strong>la</strong> fatigue, de <strong>la</strong> soif et de <strong>la</strong> faim.<br />

Moïse dut faire avec Yahvé ce qu’il avait fait avec le Pharaon : il dut intercéder et jouer les<br />

intermédiaires. Seulement <strong>la</strong> différence, c’est que Yahvé n’était pas comme le Pharaon : Yahvé<br />

intervient toujours pour sauver le peuple.<br />

Yahvé fit pleuvoir une espèce de neige, <strong>la</strong> manne, qui prenait le goût que l’on désirait et qui<br />

nourrit les Hébreux sur tout le chemin. On en garda un peu dans une noue, en souvenir.<br />

Puis les gens voulurent de l’eau fraîche. Devant leurs récriminations incessantes, Moïse fut<br />

sceptique sur <strong>la</strong> réponse de Yahvé. Yahvé accorda l’eau au peuple, mais il n’oublia pas que Moïse<br />

avait douté de lui.<br />

La troupe repassa par l’Horeb, d’où tout était parti. Moïse revit son beau-père Jethro qui lui<br />

conseil<strong>la</strong> de s’adjoindre des aides qui lui faciliteraient <strong>la</strong> tâche plus tard. Moïse en tint compte. Puis<br />

Jethro le quitta.<br />

C’est après trois <strong>moi</strong>s de désert qu’on arriva au Mont Sinaï. Un matin, Moïse grimpa sur <strong>la</strong><br />

montagne où l’avait appelé Yahvé qui vou<strong>la</strong>it conclure un pacte avec le peuple hébreu et en faire un<br />

peuple consacré, choisi, élu. Moïse redescendit le peuple donna son accord. Moïse retourna sur <strong>la</strong><br />

montagne et informa Yahvé de l’accord du peuple.<br />

Alors, trois jours plus tard, <strong>la</strong> montagne devint noire, le ciel descendit jusqu’à en obscurcir le<br />

sommet. Tout le peuple dans le camp s’angoissa. Puis, conduit par Moïse, on s’approcha du pied de<br />

<strong>la</strong> montagne qui tremb<strong>la</strong>it. Le peuple s’arrêta.<br />

Seul, Moïse gravit dans l’obscurité <strong>la</strong> pente de <strong>la</strong> montagne à <strong>la</strong> rencontre de Yahvé, qui y était<br />

descendu.<br />

Yahvé par<strong>la</strong> à Moïse :<br />

« Voilà ma volonté :<br />

Je suis le seul Dieu<br />

Mon nom est Yahvé<br />

Le premier jour de <strong>la</strong> semaine sera mon jour<br />

Respecte ton père et ta mère<br />

Ne tue pas<br />

N’adultère pas<br />

Ne vole pas<br />

Ne mens pas<br />

Ne dépose pas de faux té<strong>moi</strong>gnage<br />

N’envie personne<br />

Je ne veux ni statue ni image : Je suis qui je suis. »<br />

Moïse redescendit faire part au peuple du pacte de Yahvé. Le peuple donna son accord. Alors<br />

Moïse organisa un sacrifice devant les Hébreux et aspergea le peuple et les actes du pacte avec le<br />

sang des victimes. Puis Moïse, Aaron et soixante-dix anciens montèrent sur <strong>la</strong> montagne pour<br />

présenter à Yahvé <strong>la</strong> réponse du peuple.<br />

Tan<strong>dis</strong> que tous redescendaient, Moïse resta sur <strong>la</strong> montagne. Une brume épaisse l’entoura et le<br />

24


cacha soudain aux regards : Je te donnerai les tables de pierre sur lesquelles j’inscrirai ma loi, <strong>la</strong><br />

Torah. Moïse resta avec Yahvé.<br />

Moïse dut rester longtemps avec Yahvé, car le peuple s’impatienta. Au point qu’il demanda à<br />

Aaron de faire construire une idole. Aaron, qui se demandait aussi ce que son frère pouvait bien faire<br />

sur <strong>la</strong> montagne, se rendit à leurs arguments. On rassemb<strong>la</strong> tout l’or <strong>dis</strong>ponible pour en fondre un<br />

veau, un veau d’or. Le peuple se prosterna devant le veau en criant : Le voilà, notre Dieu, qui <strong>nous</strong> a<br />

fait sortir d’Égypte ! Puis le peuple s’assit pour manger et boire à <strong>la</strong> santé de son nouveau <strong>dieu</strong>.<br />

Yahvé n’y tint plus. Il renvoya Moïse : Retourne vers ce peuple qui a <strong>la</strong> tête dure et <strong>la</strong> nuque<br />

raide ! Laisse-<strong>moi</strong> l’exterminer: je recommencerai tout avec toi ! Moïse dut calmer <strong>la</strong> colère de<br />

Yahvé. Alors Yahvé se <strong>la</strong>issa apaiser par Moïse.<br />

Dès que Moïse eut convaincu Yahvé, il déva<strong>la</strong> <strong>la</strong> montagne, les tables de <strong>la</strong> loi sur le bras. Mais<br />

en voyant le veau d’or briller devant les f<strong>la</strong>mmes des sacrifices, il se saisit des tables et, dans un<br />

hurlement de rage, les brisa contre <strong>la</strong> montagne. Aaron n’en menait pas <strong>la</strong>rge, il voulut s’expliquer.<br />

Moïse lui imposa le silence et courut à <strong>la</strong> porte du camp, il sonna de <strong>la</strong> grande corne et cria : Qui est<br />

pour Yahvé, à <strong>moi</strong> !<br />

Vous me croirez si vous voulez, mais on ne vit venir que les membres de <strong>la</strong> tribu de Levi. Alors<br />

Moïse leur ordonna : Exterminez tous les idolâtres ! Et toute <strong>la</strong> nuit, le sang des impies abreuva les<br />

sables du désert.<br />

Alors seulement Moïse osa remonter sur <strong>la</strong> montagne à <strong>la</strong> rencontre de Yahvé. Yahvé se montra<br />

de nouveau à Moïse. Moïse tail<strong>la</strong> deux autres tables dans <strong>la</strong> pierre de <strong>la</strong> montagne. Et Yahvé écrivit à<br />

nouveau sa Torah sur les tables.<br />

Cette fois-ci, quand Moïse redescendit, son visage rayonnait, mais rayonnait véritablement, au<br />

point qu’il dut se mettre un voile sur le visage car, qui vou<strong>la</strong>it lui parler, était ébloui par <strong>la</strong> lumière<br />

divine qui émanait de lui. C’est ainsi que Moïse put enfin transmettre au peuple hébreu <strong>la</strong> Torah de<br />

Yahvé écrite sur les tables.<br />

Il y en eut des étapes, des crises et des révoltes pendant les quarante ans que dura <strong>la</strong> randonnée<br />

dans le désert. Le peuple réc<strong>la</strong>ma et réc<strong>la</strong>ma toujours. On fit un premier essai infructueux pour<br />

rentrer en Canaan, le peuple ayant refusé d’avancer. Moïse dut encore s’interposer entre Dieu et les<br />

Hébreux. Le peuple al<strong>la</strong> même jusqu’à contester l’autorité de Moïse et d’Aaron. Certains voulurent<br />

prendre le commandement à leur p<strong>la</strong>ce. Yahvé dut intervenir pour rétablir les chefs qu’il avait luimême<br />

choisis.<br />

Enfin, on arriva en vue de <strong>la</strong> Terre Promise. Aaron mourut et on le pleura trente jours et trente<br />

nuits. C’est alors qu’eut lieu le grand recensement, afin de savoir comment il faudrait partager le<br />

pays à conquérir. Moïse vieillissait : il choisit Josué pour le seconder et lui succéder, il le présenta au<br />

peuple rassemblé qui l’acc<strong>la</strong>ma.<br />

Alors Moïse sentit qu’il al<strong>la</strong>it rejoindre ses pères. Il monta sur le Mont Nébo, en face de Jéricho,<br />

et Yahvé lui fit voir tout le pays, toute cette Terre Promise, vers <strong>la</strong>quelle il avait guidé le peuple<br />

depuis l’Égypte et dans <strong>la</strong>quelle il ne lui était pas permis d’entrer parce qu’un jour il avait douté de<br />

Yahvé !<br />

C’est à ta descendance que je le donne, ce pays, car je l’ai promis par serment à Abraham, à<br />

Isaac et à Jacob. Mais toi, tu n’y passeras pas !<br />

Moïse ferma alors les yeux pour contempler <strong>la</strong> gloire de Yahvé. Nul ne sait où est son tombeau.<br />

Josué prit le commandement. Il passa trente jours sur <strong>la</strong> montagne près du corps de Moïse, de<br />

cet homme qui avait pu contempler Yahvé, l’Éternel, de cet homme dont il prenait <strong>la</strong> suite, et qui<br />

restait comme une sentinelle aux portes toujours menacées de <strong>la</strong> Terre des Promesses.<br />

*<br />

* *<br />

Si l’histoire de l’humanité et toutes ses bibliothèques devaient perdre <strong>la</strong> mé<strong>moi</strong>re, il serait<br />

difficile d’oublier le souvenir de quelques grands hommes, une dizaine peut-être, parmi lesquels<br />

25


Moïse ne tiendrait pas <strong>la</strong> dernière p<strong>la</strong>ce, loin de là<br />

Moïse est une figure dont l’immensité et <strong>la</strong> grandeur sont à l’image des pays et des déserts qu’il<br />

a traversés. Moïse est un personnage à <strong>la</strong> taille du Nil, des Pyramides, de <strong>la</strong> Mer Rouge et du Sinaï.<br />

Moïse est un être dont le destin, c’est-à-dire <strong>la</strong> naissance, <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> mort, les aventures<br />

nécessiteraient plusieurs existences successives. Moïse est un homme à l’image de Dieu : plus on s’y<br />

plonge, plus on s’y perd<br />

Après Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, avant Josué, David et Salomon, il est celui qui va<br />

préparer une tribu du désert, les Hébreux, à devenir un peuple, Israël, d’où sortira un jour, un<br />

certain Jésus de Nazareth.<br />

Quel que soit le côté par lequel on le contemple, Moïse en impose. Tout petit, il est sauvé de <strong>la</strong><br />

noyade. Esc<strong>la</strong>ve juif, il est élevé par protection à <strong>la</strong> cour du Pharaon. Berger nomade dans le désert,<br />

il est interpellé par Dieu. Piètre orateur, il doit convaincre le tyran de libérer une main-d'œuvre bon<br />

marché. Homme effrayé, il va faire s’ouvrir <strong>la</strong> mer et couler le rocher. Hébreux parmi les Hébreux,<br />

il va unifier sa race et l’amener aux portes de <strong>la</strong> Terre Promise, après toutes les péripéties que vous<br />

venez d’écouter.<br />

Voyez-vous : ce qui est caractéristique chez Moïse, comme chez ses prédécesseurs, c’est que le<br />

choix de Dieu est gratuit, son élection par Dieu est inattendue et Dieu arrive à faire quelqu’un de<br />

n’importe qui.<br />

Quand Dieu choisit quelqu’un, il ne le lâche plus. Malgré difficultés, oppositions,<br />

argumentations, excuses, malgré les bonnes raisons que <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> inventons pour passer à côté de<br />

l’appel et de <strong>la</strong> volonté de Dieu, Dieu ne se <strong>la</strong>isse pas avoir ; il arrive toujours à ses fins sur <strong>nous</strong>.<br />

En définitive, c’est bien mieux ainsi.<br />

Moïse croyait que c’était en se révoltant individuellement qu’il al<strong>la</strong>it pouvoir unifier ses frères<br />

et les libérer : <strong>la</strong> politique des attentats est une décision à courte vue Mais cette confrontation avec<br />

<strong>la</strong> souffrance de ses compatriotes lui avait ouvert les yeux. Le meurtrier qui s’enfuyait à bride<br />

abattue vers <strong>la</strong> solitude du désert, devait revenir reprendre le travail de libération, mais d’une autre<br />

façon !<br />

Moïse devait d’abord rencontrer Dieu. Et Dieu l’attendait dans un endroit où il n’y avait<br />

personne : le désert. De cette façon Moïse ne pouvait pas se tromper. Ou bien Dieu lui avait parlé<br />

ou bien Moïse avait eu des hallucinations.<br />

Vous avez remarqué que ce n’était pas des hallucinations. Les pourparlers avec le Pharaon<br />

n’étaient pas des hallucinations non plus.<br />

Il a fallu pas mal de tentatives pour arriver à <strong>la</strong> solution finale. Vous êtes-vous demandé quels<br />

étaient les sentiments de Moïse, le soir du grand départ, <strong>la</strong> nuit de <strong>la</strong> Pâque, cette nuit où tout le<br />

pays retentissait des cris mêlés des Égyptiens et des Hébreux, les uns pleurant leurs enfants morts,<br />

les autres hur<strong>la</strong>nt leur liberté retrouvée?<br />

Et, arrivés devant <strong>la</strong> mer, avec les chars aux trousses. Et ensuite, <strong>la</strong> faim, <strong>la</strong> soif, les révoltes,<br />

quarante années de marche en rond, de tentations et de combats...<br />

Et quand Dieu convoqua Moïse sur <strong>la</strong> montagne pour lui transmettre sa loi. Et quand Moïse<br />

brisa les tables de <strong>la</strong> loi, en voyant le peuple tomber dans l’idolâtrie d’un veau d’or. Et quand il dut<br />

faire massacrer tous les renégats pour reconstituer un peuple uni et fidèle à Dieu...<br />

Que de décisions, de cas de conscience, de problèmes ! Que de nuits et de jours remplis de<br />

questions, de doutes et d’angoisses !<br />

Seul, face à Dieu, Moïse avançait. Confronté à tous les malheurs de sa race, à toutes les erreurs<br />

des hommes, à toutes les embûches de <strong>la</strong> tentation, Moïse se reposait sur Dieu et préservait<br />

l’alliance, le pacte que le Ciel vou<strong>la</strong>it pour <strong>la</strong> suite des temps conclure avec <strong>la</strong> Terre.<br />

Moïse le fils d’esc<strong>la</strong>ve, libérant ses frères au nom de Dieu et les conduisant vers <strong>la</strong> Terre<br />

Promise depuis le début à <strong>la</strong> famille d’Abraham.<br />

Ce n’est pas extraordinaire, ça ?<br />

26


Suzanne et Daniel<br />

(Daniel 13,1-62)<br />

Vous avez certainement entendu le proverbe : Ah si jeunesse savait ! Si vieillesse pouvait !<br />

Écoutez l’histoire de Suzanne et de Daniel : il n’y a pas d’âge pour savoir et pour pouvoir. Les plus<br />

vieux ne sont pas toujours les plus sages, qui croient que les plus jeunes ne savent pas ce qu’ils<br />

peuvent.<br />

Suzanne était <strong>la</strong> fille d’un bourgeois de Babel. Elle était très belle et beaucoup de gens étaient<br />

jaloux de Jojakim qui venait de l’épouser, encore toute jeune, comme c’était <strong>la</strong> coutume en ce tempslà.<br />

Jojakim avait une grande maison au milieu d’un grand parc, qu’il mettait à <strong>la</strong> <strong>dis</strong>position du<br />

public, en particulier des deux juges de <strong>la</strong> ville. Il faisait tellement chaud à Babel qu’on préférait<br />

travailler dehors, le matin. L’après-midi, le parc était fermé et Suzanne avait l’habitude de s’y<br />

promener avec ses suivantes à l’abri des regards in<strong>dis</strong>crets. Les deux juges traînaient un peu, ils<br />

avaient pris l’habitude de ne quitter le parc que lorsque Suzanne apparaissait. Ils <strong>la</strong> saluaient alors<br />

longuement, <strong>la</strong> regardaient s’éloigner et enfin passaient <strong>la</strong> grille.<br />

Sans se l’avouer, ni à eux-mêmes ni entre eux, ils en étaient tombés amoureux et cherchaient<br />

l’occasion de lui faire des propositions.<br />

Un jour, après avoir passé <strong>la</strong> grille comme d’habitude à regret, ils rentrèrent chacun chez soi ;<br />

mais sans s’entendre, ils revinrent aussitôt au parc, comptant être seuls. Ils se dévoilèrent alors l’un à<br />

l’autre leur passion pour Suzanne. Nous <strong>la</strong> surprendrons, se dirent-ils. Elle ne pourra refuser nos<br />

avances. Sinon, <strong>nous</strong> dirons qu’elle avait rendez-vous avec un ga<strong>la</strong>nt. On <strong>nous</strong> croira, <strong>nous</strong> sommes<br />

les juges de <strong>la</strong> ville.<br />

Suzanne venait de demander à ses servantes de s’assurer que <strong>la</strong> grille était bien fermée, les deux<br />

juges s’étaient faufilés dans le parc, juste avant qu’elles n’aient donné un tour de clé, ils virent les<br />

servantes s’éloigner vers <strong>la</strong> maison chercher quelque chose pour leur maîtresse. Ils sortirent alors de<br />

leur cachette et surprirent une Suzanne nue qui se préparait à rentrer dans un bassin qu’abritaient<br />

d’innombrables bougainvillées rouges et mauves. Suzanne comprit aussitôt leur intention, quand elle<br />

vit leurs yeux bril<strong>la</strong>nts et l’agitation de leurs bras.<br />

En une seconde, sa décision fut prise. Quoi qu’elle fît, on ne <strong>la</strong> croirait pas. Autant crier à l’aide<br />

plutôt que de devoir endurer les exigences de ces deux barbons. En l’entendant se mettre à crier à<br />

l’aide, les deux compères en firent autant, histoire de se <strong>dis</strong>culper d’une façon ou d’une autre. Les<br />

servantes, Jojakim, tout le monde se précipita vers le bassin. Les deux juges crièrent très fort, sans<br />

<strong>la</strong>isser Suzanne dire un mot : Elle avait rendez-vous avec un ga<strong>la</strong>nt de son âge. Nous les avons<br />

surpris. Mais lui <strong>nous</strong> a échappé, il a sauté <strong>la</strong> grille ; elle, <strong>nous</strong> savons qu’elle était avec lui. Tout<br />

ce<strong>la</strong> fit beaucoup de bruit dans <strong>la</strong> ville. Les juges convoquèrent dès le lendemain <strong>la</strong> haute cour de<br />

justice devant le peuple rassemblé. Ils té<strong>moi</strong>gnèrent devant l’assemblée, répétant en public ce qu’ils<br />

avaient déc<strong>la</strong>ré <strong>la</strong> veille à Jojakim. La foule les crut : il faut bien croire les juges ! Sinon qui croire ?<br />

Suzanne se contenta de prendre Dieu à té<strong>moi</strong>n de son innocence : personne ne <strong>la</strong> crut. Qui va<br />

croire une femme ?<br />

Dans <strong>la</strong> foule, quelqu’un sentait qu’une énorme injustice se commettait. Il avait écouté et<br />

observé Suzanne et les vieil<strong>la</strong>rds Mon Dieu ! se dit-il, Est-ce possible ! Pourquoi cette haine ? Ils se<br />

vengent de n’être plus ce qu’ils étaient ! En lui une révolte montait, tan<strong>dis</strong> que sa conscience lui<br />

imposait d’intervenir. Alors qu’on emmenait Suzanne pour <strong>la</strong> mettre à mort, il monta sur une murette<br />

et cria de toutes ses forces : Objection, objection, il faut rejuger l’affaire !<br />

Ce jeune homme s’appe<strong>la</strong>it Daniel. Malgré son jeune âge, il était connu pour sa droiture et son<br />

<strong>dis</strong>cernement. Il s’avança, monta sur l’estrade des juges, et déc<strong>la</strong>ra à <strong>la</strong> foule : Ces deux juges ont<br />

porté un faux té<strong>moi</strong>gnage !<br />

Scandale ! Il ne manquait plus que ce<strong>la</strong>. Quelle honte ! Accuser les juges de faux té<strong>moi</strong>gnage<br />

27


Prouve-le ! cria <strong>la</strong> foule. C’est ce que je vais faire, dit-il. Qu’on les sépare et qu’on les amène devant<br />

<strong>moi</strong>, l’un après l’autre ! Tout le monde se pressait près de l’estrade, un silence de mort régnait sur <strong>la</strong><br />

grand'p<strong>la</strong>ce de Babel.<br />

Daniel demanda au premier juge : Sous quel arbre les as-tu surpris ? - Un p<strong>la</strong>tane. - Menteur ! .<br />

Daniel fit venir le second : Sous quel arbre les as-tu surpris ? - Un chêne. - Menteur ! - Voilà !<br />

continua Daniel à l’adresse du peuple, Dieu sauve ceux qui lui font confiance il protège toujours le<br />

sang innocent. Quant à ceux-là, emmenez-les, qu’ils subissent le sort qu’ils réservaient à Suzanne !<br />

On loua longtemps <strong>la</strong> sagesse de Daniel et <strong>la</strong> loyauté de Suzanne : quand <strong>la</strong> jeunesse n’a pas peur et<br />

de dire ce qu’elle pense et de faire ce qu’elle doit, sa valeur n’attend pas le nombre des années<br />

*<br />

* *<br />

Et voilà,C’est bien fait pour eux ! a-t-on envie de dire à <strong>la</strong> fin. Pas vrai ? La foule aussi a du<br />

avoir cette pensée, elle qui pourtant, l’instant d’avant, se serait contentée de <strong>la</strong> sentence des juges<br />

qui condamnaient Suzanne sur le seul té<strong>moi</strong>gnage de leur propre mensonge : sans preuve et sans<br />

té<strong>moi</strong>n. Vous voyez : on fait ce qu’on veut d’une foule. Il suffit de répéter in<strong>la</strong>ssablement n’importe<br />

quoi, mais de le crier très fort, ce<strong>la</strong> finit par devenir vrai.<br />

Mais peut-être n’arrivez-vous pas à situer suffisamment l’histoire. Nous <strong>nous</strong> trouvons à Babel.<br />

Vous vous souvenez, <strong>la</strong> Tour de Babel que les premiers hommes devaient construire pour grimper<br />

jusqu’au ciel. Babel est une grande ville assyrienne près du Golfe Persique. Les Juifs s’y trouvaient<br />

depuis qu’ils y avaient été déportés dans les années 580 avant Jésus-Christ par Nabuchodonosor :<br />

Jérusalem avait été prise, le temple pillé et détruit, les popu<strong>la</strong>tions dép<strong>la</strong>cées pour servir de maind'œuvre<br />

aux grands travaux des villes de l’empire.<br />

Puis, les Juifs s’étaient organisés et installés. Ils avaient créé leurs propres institutions : voilà<br />

pourquoi ils avaient leurs propres tribunaux et leurs juges. Jojakim était un grand marchand, il<br />

avait une grande demeure avec un parc, Daniel était étudiant à l’École Impériale d’Administration,<br />

<strong>la</strong> pauvre Suzanne était fille à marier.<br />

Ils avaient d’autres coutumes que les nôtres, ces gens d’il y a 2 500 ans. Ils mariaient les filles<br />

très jeunes, on ne demandait pas à celles-ci leur avis les « droits de <strong>la</strong> femme » n’étaient pas à <strong>la</strong><br />

mode. Les femmes, les enfants, les esc<strong>la</strong>ves, les étrangers tout ce<strong>la</strong> n’avait aucun droit et ne comptait<br />

pour rien. Vous comprenez pourquoi <strong>la</strong> foule ne s’est pas fait prier pour croire les juges plutôt que<br />

Suzanne et pourquoi elle était scandalisée que le jeune Daniel - encore un grand enfant - ait eu<br />

l’audace, l’indécence et l’insolence de mettre en doute <strong>la</strong> sentence prononcée.<br />

En somme, c’est une histoire révolutionnaire. Elle montre comment Dieu - qui voit tout, qui est<br />

bon, mais qui n’est pas bête, prend parti pour ceux que <strong>la</strong> société ne reconnaît pas : une jeune<br />

femme et un jeune homme, presque des enfants. Et non en secret, ni en catimini. Mais sur <strong>la</strong> grandp<strong>la</strong>ce<br />

de Babel, devant les juges et <strong>la</strong> foule, bref officiellement. Dieu désavoue officiellement ceux<br />

qui ont le pouvoir, parce que le pouvoir les a corrompus. Dieu se prononce officiellement pour ceux<br />

qui n’ont aucun pouvoir et qui sont donc encore libres de dire ce qu’ils pensent et de faire leur<br />

devoir.<br />

Ceci se passait il y a 2 500 ans.<br />

Comme cette histoire est actuelle ! Il suffirait de changer quelques noms, on croirait une<br />

nouvelle tirée d’un magazine.<br />

J’aimerais que vous remarquiez ici le savoir-faire, <strong>la</strong> délicatesse et l’humour de Dieu. Dieu<br />

<strong>la</strong>isse l’affaire se développer jusqu’à <strong>la</strong> dernière extrémité. On pense que c’en est fini de <strong>la</strong> pauvre<br />

Suzanne, elle aussi d’ailleurs, puisqu’elle a renoncé à se défendre, elle se contente de se confier au<br />

ciel, les juges se réjouissent, <strong>la</strong> foule approuve.<br />

Et puis, c’est le coup de théâtre, l’intervention inattendue. Au milieu d’un troupeau de moutons<br />

dociles - et lâches, en définitive -, l’agneau refuse l’abattoir.<br />

Daniel était là, depuis le début de <strong>la</strong> mascarade, personne ne le savait, sauf Dieu qui l’avait mis<br />

28


là, au premier rang, et qui attendait que ce jeune lui-même suive <strong>la</strong> voix de sa conscience et de son<br />

courage.<br />

Et voilà, c’est celui qui n’a aucun droit qui va rendre <strong>la</strong> justice, c’est celui qui ne compte pas<br />

qui va régler les comptes.<br />

Seul l’innocent peut sauver l’innocent; qui est compromis, a toujours mauvaise conscience.<br />

Ça a du <strong>dis</strong>cuter sec, ce soir-là, dans les chaumières, autour de <strong>la</strong> table familiale !<br />

29


Un temps pour…<br />

(Ecclésiaste 3, 1-15)<br />

Vois-tu : chaque chose a son temps<br />

Il y a un temps pour naître<br />

et un temps pour mourir<br />

un temps pour p<strong>la</strong>nter<br />

et un temps pour récolter<br />

Il y a un temps pour tuer<br />

et un temps pour soigner<br />

un temps pour détruire<br />

et un temps pour construire<br />

Il y a un temps pour pleurer<br />

et un temps pour rire<br />

un temps pour se p<strong>la</strong>indre<br />

et un temps pour danser<br />

Il y a un temps pour tout jeter en l’air<br />

et un temps pour mettre de l’ordre<br />

un temps pour embrasser<br />

et un temps pour se refuser<br />

Il y a un temps pour chercher<br />

et un temps pour perdre<br />

un temps pour conserver<br />

et un temps pour se défaire<br />

Il y a un temps pour déchirer<br />

et un temps pour recoudre<br />

un temps pour se taire<br />

et un temps pour ouvrir <strong>la</strong> bouche<br />

Il y a un temps pour haïr<br />

et un temps pour aimer<br />

un temps pour <strong>la</strong> guerre<br />

et un temps pour <strong>la</strong> paix.<br />

À quoi sert alors de se briser <strong>la</strong> tête ? Voilà <strong>la</strong> plus grande épreuve que Dieu envoie aux<br />

hommes. Il fait toujours tout en temps opportun; <strong>nous</strong> avons bien de notre côté une idée de<br />

l’ensemble, mais cette idée ne suffit pas à comprendre ce que Dieu veut.<br />

Ce qui reste à faire, c’est de <strong>nous</strong> réjouir de ce que <strong>nous</strong> sommes en vie, et de boire et de manger<br />

en remerciant Dieu de pouvoir le faire.<br />

Ce que Dieu fait demeure pour toujours : rien à ajouter, rien à retrancher.<br />

Ce qui existe est là depuis longtemps, et ce qui arrive aussi.<br />

Rien ne tient en fait. Tout vient de <strong>la</strong> poussière et retourne à <strong>la</strong> poussière.<br />

Réjouissons-<strong>nous</strong> déjà de pouvoir faire ce que <strong>nous</strong> faisons. Le reste lui appartient.<br />

Quand <strong>nous</strong> ne comprenons plus, c’est qu’il s’est mis au travail.<br />

Ne perds pas espoir !<br />

***<br />

Je suis persuadé que vous vous dites : Mon Dieu, qu’il est pessimiste, ce type Il n’attend plus<br />

rien de <strong>la</strong> vie ! Il est mûr pour le suicide !<br />

Il est certain qu’une écoute superficielle de ces paroles entraîne une telle impression. On se dit:<br />

30


le temps passe et personne ne peut le retenir. Que l’on fasse ceci ou ce<strong>la</strong>, comme ci ou comme ça,<br />

quelle importance au fond. L’histoire bégaie sans cesse et les mêmes causes produisent les mêmes<br />

effets. Dieu, là-dedans, fait bien ce qu’il veut et <strong>nous</strong> traite en pantins ! Alors, à quoi bon tout ça ! À<br />

quoi ça rime !<br />

C’est vrai d’une certaine façon. Le temps passe effectivement et, comme le sable dans <strong>la</strong> main, il<br />

coule irrésistiblement. Quand on prend une décision et qu’on doit choisir entre <strong>la</strong> gauche et <strong>la</strong><br />

droite, on s’aperçoit vite que le choix contraire aurait été aussi bon, c’est-à-dire, aussi mauvais.<br />

Quand on regarde les cinquante dernières années, on s’aperçoit qu’il n’y a jamais eu autant de<br />

guerres, alors que déjà en 1914, on par<strong>la</strong>it de « <strong>la</strong> der des der ». Enfin, quand on se demande <strong>la</strong> part<br />

de Dieu là-dedans, on est obligé de baisser les bras, de pousser un soupir et de faire <strong>la</strong> moue en<br />

guise de réponse.<br />

Qu’est-ce que l’homme ? Que fait-il sur <strong>la</strong> terre ? Où va-t-il ? La vie a-t-elle un sens ? Lequel ?<br />

Pourquoi vivons-<strong>nous</strong> ?<br />

Je crois qu’il est sain de se poser de temps en temps, ce genre de questions. Bien sûr, ce sont des<br />

questions et des réflexions qui <strong>nous</strong> secouent dans nos certitudes et nos habitudes, dans nos façons<br />

ordinaires d’agir et de parler. Ce genre de méditation et d’interrogation dérange : ce<strong>la</strong> empêche de<br />

tourner en rond.<br />

Précisément. Parce que <strong>la</strong> plupart du temps, <strong>nous</strong> tournons en rond du lundi au lundi, de janvier<br />

à décembre et de 8 heures et 22 heures Nous ne faisons que répéter ce que <strong>nous</strong> avons dit et fait.<br />

Nous vivons à <strong>la</strong> chaîne <strong>nous</strong> sommes les OS de <strong>la</strong> vie, <strong>nous</strong> faisons nos huit heures, toujours les<br />

mêmes. Encore un peu de temps, et il y aura même un calendrier pour s’aimer: il y en a déjà un pour<br />

jouer au loto et au tiercé !<br />

L’homme est une bête à habitudes. Le problème, c’est que l’habitude en fait une bête. Quand il<br />

s’en rend compte, il se sent malheureux, triste et pessimiste.<br />

Mais il y a pire : il est des hommes qui ne s’en rendent même pas compte et qui continuent de<br />

baliser leur vie avec <strong>la</strong> voiture, le tiercé et les variétés télévisées. Ils sont tellement programmés<br />

qu’il n’y a plus de créneau pour se poser une seule question. Ils tournent !<br />

D’où viendra le sursaut ? C’est une sérieuse question ! D’où viendra le sursaut ? J’avoue que je<br />

n’en sais rien. Je veux dire qu’il n’y a pas de réponse va<strong>la</strong>ble pour tous, sinon on retomberait dans<br />

le système du produit unique pour tous.<br />

Il n’y a pas de poudre miracle.<br />

Pourtant, je crois que je peux dire quelque chose. Il n’y a plus assez de silence. Il n’y a plus<br />

assez de p<strong>la</strong>ges de silence, comme sur un <strong>dis</strong>que au début ou à <strong>la</strong> fin. Il n’y a pas assez de pannes à<br />

<strong>la</strong> télévision, d’embouteil<strong>la</strong>ges sur les autoroutes, d’inondations sur les terrains de boules, ni de<br />

fièvres de cheval sur les hippodromes.<br />

On ne sait pas s’arrêter !<br />

Or celui qui ne s’arrête pas, ne sait pas qu’il avançait jusque-là !<br />

31


En revenir<br />

(Luc 15, 11-24)<br />

Il a vieilli d’un seul coup ! racontaient les voisins en le voyant tous les matins, tous les mi<strong>dis</strong> et<br />

tous les soirs, grimper sur <strong>la</strong> terrasse envahie de vigne vierge de <strong>la</strong> grande maison rouge, qui,<br />

quelques <strong>moi</strong>s auparavant, résonnait encore de réjouissances familiales.<br />

L’homme al<strong>la</strong>it en effet le dos de plus en plus courbé et ne se redressait qu’au plus haut de <strong>la</strong><br />

maison pour voir si par hasard, sur <strong>la</strong> route qui mène au vil<strong>la</strong>ge, n’apparaissait pas dans <strong>la</strong> poussière<br />

une silhouette tant attendue.<br />

Cet homme avait deux fils. Un jour le plus jeune lui avait dit : Donne-<strong>moi</strong> ma part d’héritage. Je<br />

veux partir. C’est trop petit ici ! Je veux vivre ma vie ! Interloqué, le père n’avait d’abord rien dit<br />

comme s’il ne comprenait pas. La nuit suivante, il n’avait pas fermé l’œil. Le lendemain, quand son<br />

fils le revit, avant même de lui souhaiter le bonjour, il n’eut qu’un mot : Alors ?<br />

Un monde s’écrou<strong>la</strong>it. Une vie s’arrêtait. Comme tout passe ! Le père fit faire un état de ses<br />

biens et, <strong>la</strong> mort dans l’âme, en fit remettre <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié en liquide à son fils, n’ayant pas le cœur de le<br />

faire lui-même. Quelques jours tard, le jeune homme partait : son père le suivit des yeux, jusqu’au<br />

tournant de <strong>la</strong> route et resta là longtemps, après que le soir fut venu.<br />

Dans <strong>la</strong> capitale, le fils eut vite fait de trouver des amis : il payait tout, offrait à chacun de quoi<br />

s’amuser, dépensait sans compter, ne se refusait aucune folie. De boîte en casino et de fumerie en<br />

maison close, il eut vite fait de dépenser son avoir. C’est alors que ses amis le quittèrent : il n’était<br />

plus intéressant puisqu’il n’avait plus d’argent.<br />

Le garçon était courageux et robuste, il essaya de surmonter sa déception en cherchant du<br />

travail. Une vague de chômage le rejeta à <strong>la</strong> garde d’un troupeau de cochons dans une ferme<br />

esseulée. On le payait à peine, car une famine se préparait. Il y eut un tel marché noir que <strong>la</strong> <strong>moi</strong>ndre<br />

rave était un p<strong>la</strong>t de luxe. Il en fut réduit à <strong>dis</strong>puter aux cochons les caroubes qu’on leur servait.<br />

Sa belle humeur se ramollit et son beau courage f<strong>la</strong>ncha. Il se revit six <strong>moi</strong>s plus tût ; il revit <strong>la</strong><br />

maison, son père, son frère, les journaliers qui rentraient le soir assis en haut des chars à foin ; il<br />

entendit résonner dans sa douleur les bruits familiers.<br />

Je vais rentrer. Il faut que je rentre. Je ne peux pas rester comme ça ! Mais qu’est-ce qui m’a<br />

pris ! Mon Dieu, que je suis bête ! Je suis sûr qu’on m’attend !<br />

Le lendemain, sans avertir personne, il prit le chemin du retour après avoir mis en liberté les<br />

douze cochons qu’il gardait. Histoire de se venger, en faisant un peu de bien !<br />

Il ne fit aucune halte. Il marcha, marcha et marcha. Le soir tombait quand il reconnut de loin les<br />

premières maisons du vil<strong>la</strong>ge. Mais quelqu’un semb<strong>la</strong>it courir à sa rencontre, tan<strong>dis</strong> que montait<br />

l’étoile du berger. Un homme qui al<strong>la</strong>it aussi vite qu’il pouvait, échevelé, les bras grands ouverts et<br />

<strong>la</strong> tunique débraillée. Soudain, il reconnut son père et se jeta à genoux dans <strong>la</strong> poussière, les yeux<br />

baissés.<br />

De loin, il cria : Père je ne suis plus ton fils, je n’en suis plus digne. Traite-<strong>moi</strong> comme un de tes<br />

serviteurs je t’ai offensé. Tout se paie, j’en sais quelque chose !<br />

Les derniers mots se perdirent dans des embrassades joyeuses et humides de <strong>la</strong>rmes que lui<br />

prodiguait son père, sans l’écouter : Holà ! Tout le monde. Préparez un banquet, tuez le veau gras,<br />

sortez le champagne. Mon fils est revenu ! Mon fils est revenu ! Vite, qu’on fasse couler un bain,<br />

qu’on prépare des habits propres, qu’on lui mette une chevalière au doigt. Je l’avais perdu et le<br />

revoilà, il était loin et maintenant il est là !<br />

Le fils pleurait, c’était <strong>la</strong> seule chose à faire ! Il ne résistait plus, il se <strong>la</strong>issait emporter par<br />

l’amour de son père, qui ne posait aucune question, n’exigeait aucun compte, mais se contentait de<br />

l’accueillir. Comme si de rien n’était. Comme un père accueille un fils. Parce qu’un père reste<br />

toujours un père, même quand un fils oublie qu’il est un fils. Tout ce bonheur autour de lui, toute<br />

32


cette tendresse, il ne les avait pas vus. Il fal<strong>la</strong>it tout perdre pour s’en rendre compte. Il fal<strong>la</strong>it<br />

manquer de tout pour désirer les plus petites choses. Celui qui n’a rien fait pour jouir de ce qu’il a, ne<br />

sait pas qu’il est heureux. Le bonheur n’est pas au bout du monde : le bonheur est en toi. Apprends à<br />

le reconnaître.<br />

*<br />

* *<br />

C’est l’une des plus belles paraboles que je connaisse. Une parabole, c’est une histoire que<br />

Jésus inventait sur p<strong>la</strong>ce, comme ça, pour faire comprendre à ceux qui l’écoutaient ce qu’il vou<strong>la</strong>it<br />

dire, plutôt ce qu’il vou<strong>la</strong>it leur faire ressentir. Car Jésus ne s’adresse pratiquement jamais à <strong>la</strong><br />

« tête » des gens, c’est-à-dire à leur raison froide ou à leur raisonnement calcu<strong>la</strong>teur. Jésus<br />

s’adresse au cœur, à ce que le cœur éprouve, à ce qui résonne dans le cœur.<br />

Jésus ne répond jamais théoriquement, abstraitement, intellectuellement aux questions qu’on lui<br />

pose : il se met soudain à composer une nouvelle, comme un petit conte. Si les auditeurs écoutent<br />

attentivement - et Jésus racontait si bien que tout le monde ne pouvait s’empêcher d’écouter<br />

attentivement -, il se passe alors quelque chose dans le cœur des gens ils se sentent « tout drôles ».<br />

Ils se sentent meilleurs, ils reprennent courage, il leur vient des idées, ils se mettent à croire que rien<br />

n’est perdu, qu’il faut se remettre au travail et toujours réessayer, que <strong>la</strong> vie l’emporte en définitive<br />

et que le malheur du monde n’est là que pour être combattu et remp<strong>la</strong>cé par le bonheur des hommes.<br />

Jésus ne se contente pas de « remonter le moral » comme on dit ; il montre, il indique comment<br />

il faut faire pour que ça aille mieux et pour que l’erreur, <strong>la</strong> faute, l’injustice, le péché soient réparés<br />

et remp<strong>la</strong>cés par <strong>la</strong> justice, le bien, le vrai, l’amour.<br />

Cette histoire, Jésus s’était mis à l’inventer parce que ses ennemis – Dieu sait s’il en avait ! tous<br />

ceux qui <strong>dis</strong>ent ce qu’ils pensent en ont – lui reprochaient d’avoir comme amis des voyous, des<br />

<strong>moi</strong>ns-que-rien et des hors-<strong>la</strong>-loi ! Jésus, en effet, c’est quelqu’un qu’on mettrait vite en prison, s’il<br />

revenait aujourd’hui parmi <strong>nous</strong> ! On lui ferait subir le même sort qu’il y a 2 000 ans, peut-être pas<br />

<strong>la</strong> croix - parce que c'est démodé ! -, mais un bon attentat camouflé en accident de <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion.<br />

Vous comprenez ça gêne, ces gens-là ! Ça gêne énormément ! Ça gêne surtout – c’est l’un des<br />

sens de <strong>la</strong> parabole – parce que ça pardonne ! Ça pardonne tout ! Vous avez reconnu Dieu dans ce<br />

père admirable qui souffre en silence quand son jeune fils, le plus petit, veut le quitter pour vivre sa<br />

vie ! Que voulez-vous qu’il <strong>dis</strong>e ? Qu’il lui fasse <strong>la</strong> morale ? Vous écoutez, vous, quand on vous fait<br />

<strong>la</strong> morale ?<br />

Dieu préfère se taire. Mais dès qu’on est parti, il commence à <strong>nous</strong> attendre, il pense à <strong>nous</strong>, il<br />

ne <strong>nous</strong> oublie pas quoi qu’on fasse et quoi qu’on ait dit. Dieu attend notre retour et « prie » pour<br />

qu’il ne <strong>nous</strong> arrive rien.<br />

Voilà comment est Dieu, dit Jésus. Il ne sait pas se venger, il n’arrive pas à en vouloir à<br />

quelqu’un, il ne peut pas rester insensible, il suffit qu’on lui demande pardon pour qu’il l’accorde.<br />

Mais voilà aussi - et c’est <strong>la</strong> seule condition -, il veut, il exige, il attend qu’on le lui demande.<br />

Parce que ce serait trop facile. On pourrait faire n’importe quoi, jouer le jeu du retour, et tout serait<br />

terminé, au suivant !<br />

Non. Si Dieu est fou, il n’est pas naïf ! Vouloir être pardonné, c’est montrer qu’on est prêt à<br />

changer. C’est ça, <strong>la</strong> confession : ce n’est pas seulement reconnaître qu’on a fait des bêtises, c’est<br />

aussi et en même temps montrer qu’on est décidé à ne plus les répéter.<br />

Alors Dieu, qui voit le fond des cœurs, ouvre les bras, <strong>nous</strong> embrasse et organise une grande<br />

fête.<br />

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Vous avez déjà vu un père qui ne fait pas <strong>la</strong> fête quand revient son fils parti à l’autre bout du<br />

monde !<br />

Jésus annonce un Dieu qui sait pleurer de joie !<br />

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En avant toute<br />

(Genèse 12, 1-9)<br />

Il était une fois un homme qui s’appe<strong>la</strong>it Abram. Il vivait au pays de Haran, à Ur en Chaldée,<br />

près du Golfe Persique. Abram était riche : ses caravanes sillonnaient le pays d’une mer à l’autre.<br />

Lui-même voyageait beaucoup pour régler ses affaires, il était toujours entouré de marchands et de<br />

banquiers, il était au courant de tout. On le consultait souvent pour les affaires de <strong>la</strong> cité : Abram<br />

écoutait ce qu’on lui confiait, puis se retirait au plus profond de ses maisons ou au plus haut de ses<br />

terrasses. On pouvait alors le voir aller et venir, les mains derrière le dos, le visage tantôt braqué sur<br />

l’horizon du désert, tantôt penché vers les carreaux mauves de <strong>la</strong> terrasse. Il pouvait y rester des<br />

heures ; c’est que l’affaire était importante à conclure, <strong>la</strong> décision difficile à prendre, le conseil<br />

délicat à donner. Dans ces cas-là, <strong>la</strong> maison se faisait plus silencieuse, tout semb<strong>la</strong>it vivre au ralenti.<br />

Les animaux eux-mêmes, dans les enclos du domaine, ruminaient sentencieusement, l’œil en<br />

direction des terrasses de <strong>la</strong> méditation.<br />

Un soir, Abram tardait à redescendre : il était monté dès quatre heures de l’après-midi sur le plus<br />

haut balcon de <strong>la</strong> maison. On l’avait vu s’arrêter, s’agripper à <strong>la</strong> murette rose, le visage tendu vers le<br />

ciel qui se noyait déjà dans des teintes de soie ; il ne bougeait pratiquement plus depuis… on ne<br />

savait plus très bien. Une chose était sûre tout le monde avait faim !<br />

Ne le dérangez pas ! avait ordonné sa femme, Saraï. Allez manger je reste là ! Tout le monde<br />

s’éclipsa et, dans <strong>la</strong> nuit violette qui sentait l’aloès, Saraï regardait Abram qui regardait…<br />

Quitte ton pays, <strong>dis</strong>ait une voix qui ne venait ni du désert, ni des étoiles, ni de <strong>la</strong> mer lointaine.<br />

Quitte ta famille et ta maison paternelle ! Va dans le pays que je te montrerai. Abram frémissait,<br />

pourtant, <strong>la</strong> nuit était tiède comme une dernière gorgée de thé au jasmin. Je ferai de toi, une grande<br />

nation, continuait <strong>la</strong> voix comme une confidence. Je te bénirai et toi-même tu seras pour les autres<br />

une bénédiction. Abram sentait qu’il al<strong>la</strong>it défaillir quand <strong>la</strong> voix se fit plus forte. Saraï avait dû<br />

l’entendre aussi : Je bénirai ceux qui te béniront et maudirai ceux qui te maudiront ! Abram se<br />

redressa soudain et Saraï le vit jeter ses deux bras dans le ciel, tan<strong>dis</strong> que <strong>la</strong> voix s’éteignait en<br />

affirmant : Toutes les familles de <strong>la</strong> terre seront bénies en toi !<br />

Abram avait baissé les bras. Il semb<strong>la</strong>it maintenant complètement écrasé. Craignant que dans sa<br />

faiblesse soudaine, il ne bascule dans le vide, Saraï grimpa jusqu’au balcon, s’approcha lentement de<br />

son mari, le prit par le bras et ils redescendirent en silence.<br />

Saraï ne posa aucune question, Abram ne donna aucune explication. Ils s’étendirent sur leur<br />

couche, <strong>la</strong> main dans <strong>la</strong> main, comme ils ne le faisaient plus depuis longtemps, depuis ce temps où<br />

Saraï était entrée pour <strong>la</strong> première fois dans <strong>la</strong> chambre d’Abram.<br />

Quelque chose de neuf al<strong>la</strong>it commencer, sans que personne ne sache exactement quoi !<br />

Tôt levé le lendemain matin, Abram se mit à liquider ses affaires. D’abord, tout le monde prit<br />

ce<strong>la</strong> pour des transactions, d’importance certes, mais de routine quand même. C’est quand il entreprit<br />

de vendre ses maisons que l’on s’inquiéta : personne n’osait l’interroger. Ses intendants répondaient<br />

qu’ils ne faisaient qu’exécuter les ordres du maître. Seule Saraï, qui pourtant n’en savait pas plus,<br />

répondait dans un sourire<br />

Faites ce qu’il vous dit : il sait ce qu’il fait !<br />

Un soir, tan<strong>dis</strong> que les serviteurs éteignaient les derniers f<strong>la</strong>mbeaux, Abram déc<strong>la</strong>ra à Saraï : J’ai<br />

entreposé tout ce que <strong>nous</strong> emportons, aux portes de <strong>la</strong> ville. Tout est prêt demain avec <strong>la</strong> dernière<br />

étoile, <strong>nous</strong> partirons ! Saraï sentit sauter en elle une âme de jeune fille, elle en oubliait soudain les<br />

75 ans d’Abram et leurs 60 années de vie commune. On al<strong>la</strong> se coucher comme on commence un<br />

rêve.<br />

Le lendemain matin, c’est Abram qui réveil<strong>la</strong> Saraï : effectivement, tout semb<strong>la</strong>it avoir rajeuni<br />

chez lui. Et l’habit de voyage qu’il portait déjà, lui donnait dans le contre-jour de <strong>la</strong> porte certains<br />

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airs d’antan qui firent couler sur le visage ridé de Saraï quelques <strong>la</strong>rmes de nostalgie.<br />

Un chameau harnaché les attendait : ils montèrent tous deux dans <strong>la</strong> nacelle, tan<strong>dis</strong> que les<br />

premières barres violettes de l’aube étageaient sur l’horizon des échelles mouvantes. À quelques<br />

kilomètres de <strong>la</strong> ville, au dernier caravansérail avant <strong>la</strong> piste, <strong>la</strong> grande litanie des chameaux, des<br />

chevaux et des mulets attendait déjà en ordre de marche. Les troupeaux étaient partis en avant depuis<br />

quelques heures et faisaient dans le lointain comme une grande rumeur sous un nuage de poussière.<br />

Abram et Saraï s’avancèrent juchés sur leur monture. Tout se tut. Ils remontèrent toute <strong>la</strong><br />

caravane piaffante jusqu’à <strong>la</strong> tête, où le chameau s’arrêta de lui-même. Se dressant alors dans <strong>la</strong><br />

nacelle bien arrimée et tenant <strong>la</strong> main de Saraï, Abram leva <strong>la</strong> main droite vers le ciel en criant de sa<br />

voix encore forte : En avant ! Alors dans un enchevêtrement de hurlements, de mugissements, de<br />

hennissements, de barrissements et de jappements, l’aventure s’ébran<strong>la</strong> dans les sables frais du désert<br />

matinal.<br />

Par <strong>la</strong> route du Croissant Fertile, <strong>la</strong> longue caravane avança, rencontrant d’autres caravanes,<br />

d’autres troupeaux en transhumance, d’autres voyageurs. Il fallut repousser les pil<strong>la</strong>rds, assainir les<br />

puits, s’occuper des brebis mères et des vaches pleines. Abram avançait, rajeunissant d’étape en<br />

étape, dans l’espérance de lendemains dont il ignorait tout et dont il attendait tout. Saraï se réjouissait<br />

et lui souriait chaque fois que leurs regards se croisaient.<br />

Et puis, un jour, on arriva en Canaan, entre <strong>la</strong> mer et le Jourdain. Abram monta jusqu’à Sichem<br />

en plein centre du pays et instal<strong>la</strong> le campement au lieu-dit le Chêne de Moré. Pendant qu’on montait<br />

les tentes, Abram circu<strong>la</strong>it et une voix, <strong>la</strong> même voix, lui répétait in<strong>la</strong>ssablement : Je donnerai ce<br />

pays à ta descendance. Abram érigea un autel à cet endroit. Puis on repartit en direction du Sud,<br />

jusqu’à Bethel, où Abram érigea aussi un autel. Il continua encore sa progression, d’étape en étape,<br />

vers le Negev, le désert du Sud.<br />

Tant que <strong>la</strong> voix ne lui dit pas de s’installer, Abram continua. Il avait foi en ce qu’il avait<br />

entendu. Le désert était son élément, car c’est l’élément des bâtisseurs de l’espérance.<br />

*<br />

* *<br />

« Oui, peut-être ! » a-t-on envie de dire ! Mais en attendant, il fal<strong>la</strong>it le courage de<br />

recommencer sa vie à cet âge, alors que tout marchait bien, que les affaires prospéraient et que le<br />

pays était si beau ! Mais c’est l’âge surtout, oui l’âge ! C’est surtout ça qui fait rêver : repartir à 75<br />

ans, commencer quelque chose à nouveau, presque centenaire ! Il faut le faire !<br />

J’imagine <strong>la</strong> panique des serviteurs, des col<strong>la</strong>borateurs et des clients d’Abram ! Un jour, il avait<br />

du leur paraître bizarre ; ça avait commencé le soir où il ne descendait plus de <strong>la</strong> terrasse ! Après,<br />

ça avait du s’enchaîner ! Des silences en guise de réponse à des questions qu’il rég<strong>la</strong>it jusqu’ici<br />

avec l’âpreté d’un financier chevronné : des yeux perdus de rêves en face de marchands fébriles à<br />

compter et recompter les totaux d’une transaction ; des étourderies à table, alors que chacun<br />

attendait, comme le veut <strong>la</strong> coutume, qu’il porte le premier <strong>la</strong> main au p<strong>la</strong>t !<br />

Un jour, Abram ne fut plus le même ! Un jour, il se mit à changer ! Quitte à s’étonner luimême<br />

!<br />

Comment peut-on encore changer à 75 ans ! Il faut que <strong>la</strong> vie soit extraordinaire, que ce qu’on<br />

ne connaît pas encore soit fascinant, que l’aventure l’emporte sur <strong>la</strong> sécurité, pour que quelqu’un<br />

soit prêt à plier bagage et à partir. Alors que tout al<strong>la</strong>it bien, que tout marchait, que tout tournait<br />

rond !<br />

Mais dans le cas d’Abram, il semble qu’il y ait eu quelque chose de plus ou de différent ou<br />

encore d’irrésistible !<br />

Abram semble n’avoir pas été n’importe qui ! Si les gens autour de lui faisaient appel à lui pour<br />

leurs affaires et leurs problèmes, c’est qu’il réfléchissait avant de parler ! Surtout, il devait avoir<br />

une vaste expérience ! C’est ça ! Abram était un homme d’expérience ! Expérience de <strong>la</strong> vie, des<br />

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affaires et des hommes ! Expérience de ce qu’on voit et de ce qu’on ne voit pas ! Expérience de ce<br />

qu’on sent et de ce qu’on ne sent pas ! Abram avait l’expérience du monde extérieur et celle du<br />

monde intérieur. Son expérience ne s’arrêtait pas au bout de ses doigts<br />

Abram savait qu’il y a toujours autre chose et que l’existence ne se réduit jamais à ce qu’on<br />

peut en dire !<br />

Abram savait qu’il y avait en lui plus que lui-même ! Quand Abram arpentait les balcons du<br />

crépuscule, ce n’était pas seulement pour prendre le frais ! Avec le frais, il prenait 1e temps de<br />

s’interroger sur sa propre existence Que faisait-il au fond sur cette terre de Chaldée, entre les deux<br />

fleuves immenses, le Tigre et l'Euphrate qui se précipitaient dans le Golfe Persique ? Pourquoi étaitil<br />

né là, et pas ailleurs ? Al<strong>la</strong>it-il toute sa vie faire le commerce des bêtes, des épices et des<br />

esc<strong>la</strong>ves ? Tout ce<strong>la</strong> ne pouvait remplir sa vie ! Mais quoi, alors ?<br />

Et c’est là qu’il a dû se passer quelque chose, que ni vous ni <strong>moi</strong> ne saurons jamais !<br />

Il semble que, du fond de l’immensité de l’univers, de plus loin encore que <strong>la</strong> dernière p<strong>la</strong>nète<br />

du dernier soleil, de plus loin que <strong>la</strong> dernière ga<strong>la</strong>xie hors des soleils, un souffle, une voix,<br />

quelqu’un - c’est ce que dit Abram -, un « être » s’est adressé à lui.<br />

N’y croyez pas, c’est votre droit ! Moi, j’y crois. Le désir d’Abram était trop grand pour qu’il ne<br />

corresponde pas à une réalité.<br />

C’est cette voix qu’il reconnut de suite. Une voix qu’il avait souhaité entendre depuis longtemps,<br />

depuis le temps qu’il avait pris l’habitude de l’appeler le soir, sur le plus haut balcon de <strong>la</strong> maison.<br />

« Pars ! » avait-il entendu. Et il était parti sans demander où. Parce que si l’on pose trop de<br />

questions, on ne part plus.<br />

« Pars ! » lui avait-on crié. Et il était parti sans se le faire répéter ! Parce que, quand on se<br />

demande si l’on a bien entendu, c’est qu’on ne veut pas partir !<br />

« Pars ! » c’est le seul mot qu’il attendait ! Parce qu’il savait que si l’on reste trop longtemps<br />

quelque part, on ne peut plus bouger !<br />

Abram est un nomade ! C’est quelqu’un qui sait, sans se l’expliquer que le puits de l’oasis<br />

suivante a une eau plus fraîche que l’oasis où il campe ! Et si on lui demande une preuve, il vous<br />

invite à partir avec lui pour constater !<br />

37


Essayez<br />

(Matthieu 25, 14-30)<br />

À quoi encore pourrais-je comparer le Royaume de Dieu ? demandait Jésus. Eh bien ! Écoutez<br />

cette autre histoire.<br />

(Vous devez auparavant savoir que le mot « talent » peut signifier beaucoup de choses. D’abord,<br />

tout le monde le sait, talent veut dire qualité, don : un musicien de talent. Mais le talent était aussi au<br />

temps de Jésus une monnaie, ce<strong>la</strong> va<strong>la</strong>it environ 1500 euros. Vous allez voir que c’est important pour<br />

notre histoire.)<br />

Il était une fois un homme très riche qui devait partir en voyage. Il réunit un soir ses<br />

col<strong>la</strong>borateurs et voulut leur confier ses biens. Il remit à l’un cinq talents, à un autre deux talents, à<br />

un troisième un seul talent, selon les qualités de chacun. (J’espère que vous avez fait le compte !) Le<br />

lendemain, l’homme partit pour son long voyage.<br />

Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents se mit à l’œuvre, les fit tant produire qu’il en gagna<br />

cinq autres. De même, celui qui en avait reçu deux se démena si bien qu’il en gagna deux autres.<br />

Mais celui qui n’avait reçu qu’un seul talent n’eut qu’une idée en tête : s’empresser de creuser un<br />

trou dans son jardin pour y enfouir l’argent de son maître !<br />

Longtemps après, le maître revient et les convoque tous trois pour rendre des comptes. Le<br />

premier se présenta et déc<strong>la</strong>ra tout fier : Maître, tu m’as confié cinq talents, en voici cinq autres que<br />

j’ai gagnés. Le maître lui répondit : Bravo pour ta fidélité, et puisqu’en cette petite affaire, tu t’es<br />

révélé tel, je te confierai beaucoup plus à l’avenir. Viens, tu peux te réjouir avec <strong>moi</strong> ! Le second<br />

serviteur se présenta ensuite et déc<strong>la</strong>ra, tout fier lui aussi : Maître, tu m’as confié deux talents, en<br />

voici deux autres que j’ai gagnés ! - Bravo pour ta fidélité, toi aussi. Puisque, en cette petite affaire,<br />

tu t’es révélé tel, je te confierai beaucoup plus à l’avenir : tu peux te réjouir avec <strong>moi</strong>.<br />

Ce fut enfin le tour de celui qui n’avait reçu qu’un seul talent : Maître, commença-t-il, j’ai<br />

toujours su que tu étais un homme dur : tu <strong>moi</strong>ssonnes là où tu n’as rien semé, tu ramasses là où tu<br />

n’as rien p<strong>la</strong>nté. J’ai eu peur et je suis allé enfouir ton talent dans <strong>la</strong> terre. Tiens voilà, je te le rends,<br />

tu as ton compte ! Alors le maître s’emporta : Paresseux et vaurien ! Si tu sais si bien que je suis<br />

comme tu <strong>dis</strong>, il fal<strong>la</strong>it au <strong>moi</strong>ns p<strong>la</strong>cer mon argent à <strong>la</strong> banque, et à mon retour j’aurais pu retirer<br />

mon bien avec les intérêts en plus... Rends-<strong>moi</strong> vite ce talent que je le donne à celui qui en a déjà<br />

dix: on va donner à celui qui est déjà comblé pour qu’il connaisse l’abondance ; mais à celui qui ne<br />

possède rien, on va retirer même ce qu’il croit avoir ! Quant à ce serviteur inutile, jetez-le dehors<br />

qu’on ne le voie plus : il pourra toujours pleurer et se mordre les ongles ! »<br />

*<br />

* *<br />

Voilà une affaire rondement expédiée ! Et qui s’en p<strong>la</strong>indrait ? Je ne sais qui Jésus avait en face<br />

de lui en racontant cette histoire, mais je suis sûr qu’il n’y en a pas eu un pour le contredire ou pour<br />

prendre <strong>la</strong> défense du troisième homme. Je suis même sûr que, dans <strong>la</strong> foule, l’un ou l’autre s’est<br />

exc<strong>la</strong>mé spontanément « Bien fait ! », quand Jésus s’est arrêté de parler ! Nous-mêmes qui venons<br />

d’écouter, <strong>nous</strong> avons pris parti.<br />

C’est vrai, quoi ! Voilà un patron généreux, libéral, progressiste, qui fait confiance, qui confie<br />

des sommes - pas fabuleuses peut-être, mais pas négligeables non plus - à de simples employés,<br />

après tout ! Et au lieu de faire prospérer cet argent, en voilà un qui va l’enterrer, de peur de le<br />

perdre, comme si c’était le sien, ou comme si on ne lui en avait confié que <strong>la</strong> garde.<br />

Les autres ont tout de suite compris que l’argent mort ne rapporte rien : ce dont on ne se sert<br />

38


pas, ne sert non plus à rien ! Eh bien, ça, le troisième ne l’avait pas compris ! On se demande même<br />

si, à <strong>la</strong> fin, il comprend ce qui lui arrive. Comment ? Il rend intact ce qui n’est pas à lui et on le jette<br />

dehors ! Voilà une honnêteté plutôt mal récompensée. Il croyait être quitte et c’est lui qui en fait les<br />

frais, c’est le cas de le dire !<br />

D’ailleurs, le maître savait bien au fond ce qu’il faisait, en n’en confiant pas trop à ce troisième<br />

col<strong>la</strong>borateur. Il devait le connaître un peu ou on l’avait averti. Ou encore quelque chose dans son<br />

visage l’en avait <strong>dis</strong>suadé au dernier moment. On est doué ou on ne l’est pas ! Pourtant, il lui avait<br />

confié quelque chose. Il aurait pu aussi bien ne rien lui donner du tout, si vraiment il l’avait tenu<br />

pour totalement bon à rien ou pour bon à rien du tout !<br />

Le maître lui donne sa chance. Tout homme a et a droit à sa chance. Au départ, au <strong>moi</strong>ns ! Au<br />

départ, on peut croire que tout le monde est capable de tout, du <strong>moi</strong>ns tant qu’on n’a pas fait <strong>la</strong><br />

preuve du contraire ! Comment peut-on dire a priori qu’un enfant est doué ou non ? Si on le savait<br />

tout de suite, on pourrait prendre des mesures !<br />

Ce troisième homme devait quand même être bon à quelque chose, puisque, avant cette<br />

malheureuse aventure, il avait été engagé et travail<strong>la</strong>it dans <strong>la</strong> maison : à quoi ? C’est vrai, on ne le<br />

dit pas ! Mais <strong>nous</strong> savons que ce patron n’était pas homme à payer quelqu’un à ne rien faire.<br />

Que s’est-il donc passé ?<br />

Il s’est passé que notre homme ne s’est pas montré à <strong>la</strong> hauteur des circonstances ! Il avait du<br />

être trop habitué à ne pas prendre d’initiative, à obéir bêtement, à ne pas chercher à comprendre.<br />

Des qualités, il en avait sûrement, mais elles étaient enfouies sous des mètres et des mètres<br />

d’habitude, de passivité et finalement d’indifférence ! Si bien que <strong>la</strong> première fois de sa vie où on lui<br />

confie une responsabilité d’une certaine importance - un million ancien, ce n’est quand même pas<br />

rien -, il se trouble, perd ses moyens et choisit <strong>la</strong> seule solution qui n’en soit pas une. Prenant<br />

l’argent pour une p<strong>la</strong>nte grasse, il croit que ça va pousser tout seul<br />

Dieu qui <strong>nous</strong> parle par <strong>la</strong> vie, celle de tous les jours, a tendance à en user de <strong>la</strong> même façon<br />

avec <strong>nous</strong>. Il <strong>nous</strong> pousse à <strong>nous</strong> dépasser <strong>nous</strong>-mêmes, il <strong>nous</strong> bouscule pour que <strong>nous</strong> allions plus<br />

loin, il exige ce qui <strong>nous</strong> paraît impossible.<br />

Il est comme ça ! Ce n’est pas <strong>nous</strong> qui allons le faire changer ! Surtout à son âge ! Ce qu’il<br />

aime, c’est que <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> montrions à <strong>la</strong> hauteur.<br />

À sa hauteur !<br />

Nice, août 1980<br />

39


DEUXIÈME PARTIE<br />

ENFANTS DES TESTAMENTS<br />

Les vingt-deux enfants et <strong>la</strong> multitude des innocents dont <strong>nous</strong> reprenons ici l’histoire à<br />

partir de l’un et l’autre Testament, illustrent de façon paradigmatique, depuis <strong>la</strong> Genèse<br />

jusqu’au quatrième Évangile, un mode de traitement d’un matériau narratif biblique : <strong>la</strong><br />

naissance, <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> mort d’un certain nombre de jeunes, considérés sous l’angle de leur<br />

élection par, de leur rencontre avec, et de leur comportement en face du Dieu d’Abraham,<br />

d’Isaac, de Jacob, finalement Dieu d’Israël et de Jésus-Christ.<br />

Non pas un De viris illustribus urbis Romae, mais un De liberis illustribus utriumque<br />

testamentorum 1 .<br />

Comme on le remarquera aux titres, chaque « histoire » traite l’originalité biographique<br />

du jeune: Ennemis, Désir/promesse, Qui gouverna, Sauvé des eaux,Qui par<strong>la</strong>it avec Dieu,<br />

Qui résistent devant <strong>la</strong> mort, Cousin, Qui payent pour les autres, Ressuscitée, Remis debout,<br />

Qui sauve <strong>la</strong> situation... Ce qui indique automatiquement <strong>la</strong> direction de leur utilisation et de<br />

leur application possibles.<br />

C’est cette originalité biographique que notre traitement du matériau biblique va<br />

privilégier, sans négliger bien sûr <strong>la</strong> portée théologique de <strong>la</strong> péricope, mais en tâchant de<br />

situer cette originalité dans <strong>la</strong> trajectoire même de cette portée.<br />

--------------------------------------------------------------<br />

1. Allusion à l’ouvrage de TITE-LIVE Histoire des hommes illustres de Rome, qui deviendrait ici « Histoire des enfants<br />

illustres des deux Testaments ».<br />

40


Les frères ennemis<br />

Caïn et Abel<br />

(Genèse 4, 1-16)<br />

Il avait du se passer quelque chose sans que personne ne s’en aperçoive. Quelque chose que<br />

personne n’avait remarquée, même pas Caïn. D’ailleurs il se pouvait aussi qu’il ne se soit rien passé<br />

du tout entre Caïn et Dieu : mais dès le début, ce<strong>la</strong> n’avait pas du marcher !<br />

Il y a des gens comme ça : on ne les connaît pas et au premier regard, au premier contact, au<br />

premier mot, on sent, on sait tout de suite que ce<strong>la</strong> ne pourra pas marcher entre eux et <strong>nous</strong> ! On<br />

appelle ça sympathie ou antipathie. C’est peut-être le mot exact : on sent les choses de <strong>la</strong> même<br />

manière ou non. On a ou on n’a pas les mêmes sentiments. C’est ça, Caïn et Dieu n’avaient pas les<br />

mêmes sentiments.<br />

Caïn avait un frère cadet : Abel. Leurs parents, tout le monde les connaît, puisque ce sont les<br />

premiers parents qu’il y ait eu sur <strong>la</strong> terre Adam et Ève !<br />

Pour Abel, tout marchait entre lui et Dieu. N’allez pas me demander pourquoi. Il y a des choses<br />

qu’on n’explique pas : on constate qu’elles sont ainsi ! Abel et Dieu s’entendaient bien, c’était plus<br />

agréable pour les deux, surtout au moment des visites.<br />

Abel était éleveur de moutons et de chèvres, il n’aimait pas trop le gros bétail : bœufs, vaches,<br />

taureaux, chevaux. Il se trouvait plus à l’aise au milieu des agneaux et des cabris. Caïn était<br />

cultivateur.<br />

Régulièrement, tous deux offraient à Dieu le produit de leur travail. Ce n’était qu’un geste, me<br />

direz-vous ! Oui, mais même si c’est le geste qui compte, ce<strong>la</strong> dépend aussi de <strong>la</strong> manière.<br />

C’est là que Caïn et Abel étaient différents. Caïn le faisait parce qu’il devait le faire, Abel le<br />

faisait de bon cœur.<br />

Dieu ne s’y trompait pas. Il se réjouit du cadeau d’Abel, le cadeau de Caïn le <strong>la</strong>issa froid !<br />

Caïn, qui n’était pas fou, le vit à <strong>la</strong> mine d’Abel et son visage se ferma. Il entendait bien « une »<br />

voix lui dire Caïn, Caïn, pourquoi fais-tu cette tête ? Si seulement tu pouvais sourire, on verrait que<br />

tu as changé ! Si tu ne changes pas, tu seras prêt à n’importe quoi !<br />

C’est ce qui arriva. Sous un prétexte quelconque, Caïn invita Abel à faire un tour dans les<br />

champs, et, fou de jalousie et de rage, il se jeta sur son frère et le tua, croyant par là résoudre ses<br />

problèmes et se venger de Dieu. Comme si on pouvait régler ses problèmes en supprimant son frère !<br />

Comme si Dieu pouvait rester insensible quand on tue un homme, surtout quelqu’un comme Abel.<br />

Où est ton frère ? demanda <strong>la</strong> voix ! - Je n’en sais rien, répondit Caïn, il est assez grand ! -<br />

Menteur, cria <strong>la</strong> voix ! Qu’as-tu fait ? En tuant ton frère, c’est toi-même que tu as tué !... Ah ! Caïn,<br />

tu n’as pas voulu changer ! Ton cœur ne sera jamais plus tranquille : il entendra toujours battre<br />

celui de ton frère ! Personne ne pourra t’aider pas même <strong>moi</strong>, car tu ne le veux pas ! Mais je ne me<br />

vengerai pas. Va !<br />

Et Caïn eut le temps de comprendre, sur les routes du désert et dans les rues des villes :<br />

supprimer un problème n’est pas le résoudre. Le mal qu’on fait aux autres, c’est à soi-même qu’on le<br />

fait.<br />

41


L’enfant du désir et l’enfant de <strong>la</strong> promesse<br />

Ismaël et Isaac<br />

(Genèse 16 ; 17 ; 18, 1-15 ; 21, 1-20 ; 22, 1-19)<br />

Abraham s’appe<strong>la</strong>it encore Abram, quand sa femme Sara ( ce qui veut dire La Princesse) - qui<br />

s’appe<strong>la</strong>it à l’époque Saraï ( Ma Princesse !) -, eut une idée : ils n’avaient pas d’enfant, et elle sentait<br />

bien qu’Abram en souffrait. Ils étaient tous deux âgés, mais Saraï était prête à un grand sacrifice. Il<br />

faut dire qu’en ce temps-là les gens ne vivaient pas comme maintenant. Il était admis, si l’épouse ne<br />

pouvait avoir d’enfant, qu’elle propose elle-même à son mari une autre femme prête à lui assurer une<br />

descendance.<br />

Saraï avait une servante égyptienne, Agar, qui accepta de rendre ce service. Mais quand <strong>la</strong><br />

servante se vit enceinte, elle ne tint plus compte de sa maîtresse. Saraï ne put supporter <strong>la</strong> situation et<br />

demanda à Abram de prendre une décision.<br />

Abram donna à Saraï tout pouvoir sur Agar. Et <strong>la</strong> maîtresse maltraita tellement <strong>la</strong> servante que<br />

celle-ci s’enfuit un beau matin à travers le désert.<br />

Agar s’arrêta près d’une source, à bout de force. Alors elle entendit une voix : Agar, je sais que<br />

tu fuis ta maîtresse Saraï. Tu vas retourner chez elle et tu lui seras soumise. N’aie pas peur ! Tu vas<br />

avoir un fils tu l’appelleras Ismaël. Je te protégerai, toi, lui et toute sa descendance. Ismaël sera le<br />

maître du désert ! Agar rentra chez Saraï, elle donna un fils à Abram : Abram avait 86 ans quand<br />

naquit Ismaël.<br />

Et le temps passa. Abram avait maintenant 99 ans, Ismaël gran<strong>dis</strong>sait, Saraï et Agar s’étaient<br />

réconciliées.<br />

Un jour, Abram entendit à nouveau <strong>la</strong> voix de Dieu : Abram, je veux conclure une alliance<br />

perpétuelle avec toi et avec toute ta descendance. Abram se jeta le visage contre terre. La voix<br />

continua : Toi, ne m’oublie pas, marche droit ! Des peuples et des rois sortiront de toi. Je serai ton<br />

Dieu et le Dieu de ta race, et je vous donnerai un pays pour toujours. Abram ne bougeait toujours<br />

pas et respirait à peine. La voix poursuivit : Tu t’appelleras désormais Abraham et ta femme Sara<br />

elle te donnera un fils et ta descendance sera innombrable. Toujours prosterné, Abraham eut de <strong>la</strong><br />

peine à ne pas rire en pensant à ses 100 ans et aux 90 ans de Sara : il se <strong>dis</strong>ait : L’Éternel va un peu<br />

loin ! Et il s’écria tout haut : Oui, longue vie à Ismaël ! La voix réagit aussitôt : Non, non ! Je <strong>dis</strong><br />

bien : Sara, ta femme aura un fils et tu l’appelleras Isaac. Je n’ai pas oublié Ismaël : c’est le fils de<br />

votre désir, et il deviendra grand. Mais mon alliance, c’est avec Isaac, le fils de ma promesse, que je<br />

l’établirai : je serai son Dieu et celui de sa race à jamais !<br />

Quand Abraham raconta tout ce<strong>la</strong> à Sara, elle en fut ébahie et se demanda aussi comment ce<strong>la</strong><br />

pouvait être possible.<br />

Quelques <strong>moi</strong>s passèrent, Abraham et Sara n’y pensaient plus. Mais un jour, en plein midi, alors<br />

qu’Abraham était assis à l’entrée de sa tente, Dieu se manifesta encore à lui sous l’aspect d’un<br />

voyageur accompagné de deux amis. Dès qu’il les aperçut, Abraham leur offrit l’hospitalité : il les<br />

pria d’accepter de quoi se restaurer et les instal<strong>la</strong> sous un énorme chêne près de <strong>la</strong> tente. Tan<strong>dis</strong> que<br />

les voyageurs se reposaient, Abraham rejoignit Sara : Fais vite cuire des galettes, je vais chercher un<br />

agneau. Prépare aussi du fromage et du <strong>la</strong>it. Ils doivent avoir faim !<br />

Abraham lui-même les servit, puis s’assit à quelques mètres d’eux pour ne pas les gêner. Où est<br />

Sara, ta femme ? demanda soudain l’inconnu; et avant qu’Abraham ne réponde : Je reviendrai l’an<br />

prochain chez toi, alors ta femme aura un fils. Sara, qui était dans <strong>la</strong> tente, entendait toute <strong>la</strong><br />

conversation : elle se mit à rire en pensant à son âge et à celui d’Abraham. Abraham était gêné.<br />

L’inconnu continua : Pourquoi rit-elle ? Y a-t-il rien de trop merveilleux pour Dieu ? L’an prochain,<br />

Sara aura un fils ! Alors l’inconnu se leva et s’en al<strong>la</strong>, comme il était venu, avec ses deux<br />

42


compagnons.<br />

C’est ce qui arriva. Quand Isaac naquit, Abraham avait juste cent ans : du coup, Sara et luimême<br />

ne se sentirent plus si vieux que ça. On n’est jamais vieux quand on a un enfant !<br />

Ismaël, lui, avait maintenant treize ans : il aimait jouer avec le petit Isaac. Sara, elle, n’aimait<br />

pas beaucoup ce<strong>la</strong>. La pauvre Agar craignait le pire en entendant Sara harceler Abraham, pour qu’il<br />

les renvoie, <strong>la</strong> mère et le fils, Agar et Ismaël, le plus loin possible dans le désert.<br />

Sara vou<strong>la</strong>it tout l’héritage pour son fils Isaac : Abraham était peiné d’entendre ce<strong>la</strong>. Alors <strong>la</strong><br />

voix de Dieu retentit à nouveau : Abraham, ne t’en fais pas ! Accorde à Sara ce qu’elle te demande.<br />

C’est en effet Isaac le fils de ma promesse. Mais d’Ismaël aussi sortira un grand peuple, car il est<br />

aussi de ta race. Abraham essayait de comprendre.<br />

Et un matin, très tôt, il empaqueta quelques provisions, réveil<strong>la</strong> Agar et Ismaël et les renvoya à<br />

contrecœur.<br />

La mère et le fils errèrent un moment dans le désert. Mais <strong>la</strong> provision d’eau s’épuisa vite. Agar<br />

instal<strong>la</strong> Ismaël sous un arbrisseau et s’éloigna à une portée d’arc. Elle s’assit, ne sachant que faire,<br />

mais ne vou<strong>la</strong>nt pas voir mourir l’enfant.<br />

Ismaël se mit à crier et pleurer : il avait soif, il avait peur. Dieu, qui suivait cette histoire depuis<br />

le début, n’y tint plus et cria à Agar : Agar, lève-toi et prends ton fils. Je ne vais quand même pas<br />

vous <strong>la</strong>isser finir comme ça. Vous vivrez, vous verrez ! Agar courut vers son fils, et après quelques<br />

mètres, aperçut un puits : elle fit boire Ismaël, but elle-même et remplit son outre.<br />

Dieu ne les abandonna pas. Ismaël s’instal<strong>la</strong> au désert, devint l’archer le plus adroit parmi les<br />

nomades, se mit à leur tête et finalement épousa une belle Égyptienne rencontrée dans une caravane.<br />

Mais Dieu n’en avait pas fini avec Isaac. Dieu n’en a jamais fini avec personne : Abraham<br />

devait en faire encore l’expérience et de <strong>la</strong> façon <strong>la</strong> plus brutale. C’est là qu’on voit que Dieu est<br />

souvent incompréhensible, mais en définitive, <strong>la</strong> meilleure solution, c’est encore de lui faire<br />

confiance même quand on ne comprend pas, surtout si on ne comprend plus rien ! De toute façon, il<br />

fait bien comme il veut !<br />

Isaac avait maintenant l’âge d’Ismaël - environ douze à treize ans - quand on l’avait chassé dans<br />

le désert avec sa mère Agar. Abraham et Sara commençaient à sentir leur âge : ils vivaient heureux à<br />

<strong>la</strong> vue d’Isaac qui devenait de plus en plus beau.<br />

Alors une fois encore <strong>la</strong> voix de Dieu retentit comme le tonnerre dans un ciel d’été : Abraham !<br />

Abraham ! - Quand Dieu appelle, ce n’est pas pour rien, se <strong>dis</strong>ait Abraham - Prépare-toi, il faut<br />

repartir ! - Me voici ! répondit Abraham. Prends Isaac et va à Moriya : là tu m’offriras ton fils en<br />

sacrifice à l’endroit que je t’indiquerai. Abraham ne comprenait plus rien ! En se levant tôt le<br />

lendemain matin, en réveil<strong>la</strong>nt Isaac et deux serviteurs, en fendant lui-même le bois du bûcher, il<br />

revoyait Ur, sa patrie, qu’il avait abandonnée sur l’ordre de Dieu, il repensait à son séjour en Égypte<br />

et à toutes les promesses de Dieu, <strong>la</strong> naissance et le départ d’Ismaël, <strong>la</strong> naissance d’Isaac, et<br />

maintenant…<br />

Une nouvelle fois, Abraham, se mit en route, renonçant à comprendre. Le troisième jour, il<br />

reconnut l’endroit et dit aux deux serviteurs : Restez ici avec l’âne et attendez notre retour. Je<br />

continue seul avec l’enfant. Il chargea le bois sur Isaac, prit lui-même le feu et le couteau, et tous<br />

deux continuèrent d’avancer ensemble.<br />

Isaac s’était d’abord réjoui de ce départ précipité aux aurores. C’était <strong>la</strong> première fois qu’il<br />

partait avec son père. Quelle aventure ! Il n’avait pas posé de question, lui non plus. Il avait grimpé<br />

sur l’âne, quand il avait été fatigué ; il s’était endormi dans les bras d’Abraham, le soir, devant le feu<br />

de camp ; il avait chassé à <strong>la</strong> nuit tombante le rat musqué avec les serviteurs. Isaac se sentait devenir<br />

un homme.<br />

Mais maintenant, il ne comprenait plus. Pourquoi tout ce mystère ? Père, <strong>nous</strong> avons tout pour<br />

le sacrifice, sauf <strong>la</strong> victime ! - Mon fils, ne t’en fais pas ! Dieu y pourvoira ! Et voilà, un point, c’est<br />

tout ! On continua d’avancer.<br />

Soudain Abraham s’arrêta. Isaac s’arrêta aussi. Abraham bâtit un autel, y <strong>dis</strong>posa le bois et se<br />

tourna vers Isaac. Isaac ne dit rien. Abraham ne dit rien non plus : il prit tendrement Isaac qui se<br />

43


<strong>la</strong>issa faire, lui enleva sa tunique, le contemp<strong>la</strong> une seconde à travers les <strong>la</strong>rmes qui lui brouil<strong>la</strong>ient<br />

les yeux. Abraham souleva son fils unique, le coucha sur le bois de l’autel et l’y attacha. Isaac ne<br />

<strong>dis</strong>ait toujours rien.<br />

Levant alors les yeux au ciel pour ne pas voir, Abraham brandit son couteau. Le temps semb<strong>la</strong><br />

s’arrêter dans <strong>la</strong> lumière droite de midi.<br />

Mais Dieu, dont le cœur battait si fort qu’on n’entendait plus le silence, cria encore plus fort sur<br />

<strong>la</strong> montagne : Abraham ! Abraham ! - Quand Dieu appelle, ce n’est pas pour rien, se dit Isaac, qui<br />

aimait répéter les dictons de son père. Abraham, ne touche pas cet enfant. Je sais maintenant que tu<br />

m’aimes, puisque même ton fils, tu ne me l’as pas refusé !<br />

Le cœur d’Abraham se mit alors à battre aussi fort que celui de Dieu : il comprit. En délivrant<br />

Isaac, il aperçut un bélier dont les cornes s’étaient prises dans un taillis. Le père et le fils s’en<br />

emparèrent et l’offrirent ensemble à Dieu, qui déc<strong>la</strong>ra aux quatre vents de l’univers :<br />

Je jure par <strong>moi</strong>-même parce que tu m’as obéi, tes descendants seront aussi nombreux que les<br />

étoiles du ciel et que le sable de <strong>la</strong> mer. En toi et en ta famille, je bénis toutes les nations de <strong>la</strong><br />

terre !<br />

Abraham entendait pleuvoir dru sur lui et sur Isaac l’amour inimaginable de Dieu et, les yeux<br />

éperdus de reconnaissance, il serra contre lui l’enfant de sa promesse.<br />

44


L’enfant qui gouverna : Joseph<br />

(Genèse 37 ; 39 ; 40 ; 41, 1-50)<br />

Joseph avait 17 ans. Il était berger et gardait les moutons et les chèvres avec ses frères. Israël,<br />

qui s’appe<strong>la</strong>it autrefois Jacob, l’aimait plus que tous ses autres enfants. Joseph était le fils de sa<br />

vieillesse, voyez-vous ! Israël lui fit faire une tunique spéciale à longues manches. Les autres frères<br />

voyaient que leur père le préférait et ils se mirent à lui en vouloir au point qu’ils ne pouvaient même<br />

plus lui adresser une parole amicale.<br />

Or un jour, joseph eut un songe et voulut en faire part à ses frères : Nous étions en train de lier<br />

des gerbes dans les champs et voici que ma gerbe se dressa tan<strong>dis</strong> que les vôtres se prosternèrent<br />

devant elle ! Les frères répliquèrent aussi sec<br />

Voudrais-tu par hasard dominer en maître sur <strong>nous</strong> ? Et ils lui en voulurent encore d’autant<br />

plus. Joseph, qui décidément rêvait beaucoup, voulut quand même leur <strong>raconte</strong>r un nouveau songe :<br />

leur père, intrigué, tendit l’oreille. Figurez-vous que le soleil, <strong>la</strong> lune et onze étoiles se prosternaient<br />

devant <strong>moi</strong> ! » Cette fois-ci, c’est le père qui s’offusqua : Non mais ! Il va peut-être falloir que <strong>moi</strong>,<br />

ta mère et tes onze frères, <strong>nous</strong> venions <strong>nous</strong> prosterner devant toi ! Vous imaginez combien <strong>la</strong><br />

jalousie des frères augmentait, tan<strong>dis</strong> qu’Israël enregistrait tout ce<strong>la</strong>.<br />

À <strong>la</strong> saison sèche, les frères de joseph étaient montés à Sichem avec le petit bétail. Israël envoya<br />

joseph quérir des nouvelles et apporter quelques provisions.<br />

Près de Sichem, joseph s’égara, mais il rencontra bientôt quelqu’un qui le renseigna. Il arriva en<br />

vue du campement reconnaissable des fils d’Israël. Ces derniers l’aperçurent de loin et, avant qu’il<br />

ne parvînt jusqu’à eux, ils complotèrent en vue de le supprimer. Tiens, voici venir l’homme qui rêve !<br />

Profitons de l’occasion : jetons-le dans une citerne. Nous allons voir si ses rêves vont se<br />

réaliser ! Mais Ruben, l’aîné, s’interposa : Abandonnez-le si vous voulez, mais ne le tuez pas ! Il<br />

pensait pouvoir le ramener à son père.<br />

Dès que Joseph fut dans le campement, ses frères le dépouillèrent de sa tunique, <strong>la</strong> fameuse<br />

tunique à manches longues taillée exprès pour lui, et le jetèrent dans une citerne vide. En regardant le<br />

ciel du fond de son trou, joseph pensa à ses dix sept ans et pleura.<br />

La poussière ba<strong>la</strong>yée par le vent du désert annonça qu’une caravane al<strong>la</strong>it passer. Juda, un autre<br />

frère, eut une idée Ne <strong>la</strong>issons pas Joseph mourir dans cette citerne vendons-le aux marchands de <strong>la</strong><br />

caravane. C’est quand même notre frère !<br />

Mais pendant qu’ils <strong>dis</strong>cutaient, une autre troupe de voyageurs avait entendu les appels de<br />

joseph ; ils l’avaient retiré de son trou et, pour finir, l’avaient vendu aux gens de <strong>la</strong> caravane. Si bien<br />

que Ruben trouva <strong>la</strong> citerne vide, quand il voulut chercher Joseph. L’enfant n’est plus là, cria-t-il à<br />

ses frères ! Mon Dieu, que vais-je devenir ?<br />

Ils se souvinrent alors de <strong>la</strong> tunique particulière de Joseph ils tuèrent un bouc, trempèrent <strong>la</strong><br />

tunique dans le sang et <strong>la</strong> firent porter à leur père Israël. Israël reconnut tout de suite le vêtement de<br />

son fils et crut mourir. Il resta inconso<strong>la</strong>ble pendant longtemps ses fils, ses filles, ses petits-enfants<br />

vinrent le soutenir. En vain. Il décida de garder le deuil pour le restant de ses jours. Israël ne savait<br />

plus que pleurer.<br />

Joseph arriva en Égypte avec <strong>la</strong> caravane. Le soir même, sur le grand marché aux esc<strong>la</strong>ves de <strong>la</strong><br />

capitale, il fut vendu à Potiphar. Potiphar était ministre du pharaon et commandait <strong>la</strong> garde. Joseph se<br />

demandait comment ce<strong>la</strong> al<strong>la</strong>it finir mais tout lui réussissait. Excepté son père, dont il regrettait<br />

l’absence et dont il soupçonnait <strong>la</strong> peine, il ne lui manquait à vrai dire pas grand-chose. D’autant que<br />

tout ce qu’il entreprenait avait du succès. Si bien que Potiphar l’attacha à son service particulier et le<br />

nomma majordome de toute <strong>la</strong> maison : plus Potiphar lui confiait de responsabilité dans<br />

l’administration de ses affaires, plus celles-ci prospéraient maison et domaine. La vie était<br />

merveilleuse. Pour couronner le tout, joseph devenait un beau jeune homme.<br />

45


Trop beau et désirable même. Un jour, alors qu’ils se trouvaient seuls dans une pièce, <strong>la</strong> femme<br />

de son maître lui fit des propositions Couche avec <strong>moi</strong> ! Joseph refusa net. Il essaya de lui faire<br />

comprendre que c’était mal, et pour l’amour de son mari et pour l’amour de Dieu. Elle ne vou<strong>la</strong>it<br />

rien entendre : chaque jour, elle lui renouve<strong>la</strong>it ses propositions ; chaque jour, le jeune et beau Joseph<br />

résistait. Elle décida alors de se venger. Un jour de congé - c’était en été - il n’y avait personne dans<br />

<strong>la</strong> maison, mais joseph était resté pour terminer un travail. La femme entra dans <strong>la</strong> pièce et le<br />

saisissant par son pagne, elle lui cria de toutes ses forces : Couche avec <strong>moi</strong> ! La fuite étant parfois <strong>la</strong><br />

meilleure forme de courage, joseph fit volte-face et se sauva… tout nu, lui abandonnant son pagne<br />

entre les mains. Alors elle, folle de rage, appe<strong>la</strong> ses servantes et leur raconta à grands hurlements ce<br />

qui n’était pas arrivé Ces Hébreux sont tous les mêmes ! Celui-là a voulu coucher avec <strong>moi</strong>, mais j’ai<br />

crié. Alors il a pris peur et il a même oublié son pagne. On attendit le retour de Potiphar pour lui<br />

rapporter l’affaire. Potiphar naturellement crut sa femme. Il fit aussitôt jeter Joseph dans <strong>la</strong> prison du<br />

roi.<br />

Après <strong>la</strong> citerne du désert, c’est maintenant <strong>la</strong> prison du Pharaon ! se dit Joseph. Et je n’ai rien<br />

fait ! Mon Dieu, pour qui faut-il que je paye ? Que veux-tu faire de <strong>moi</strong> ? Qu’est-ce qui va encore<br />

m’arriver ? Dieu ne répondit pas Dieu parle peu, il agit.<br />

Le geôlier-chef se prit d’affection et d’amitié pour joseph. De jour en jour, il se mit à lui confier<br />

<strong>la</strong> charge des détenus. Il ne se passait rien qui ne dût être contrôlé par Joseph. Joseph se <strong>la</strong>issait faire<br />

par Dieu, avec cette confiance qui vous prend quand vous avez <strong>la</strong> conviction d’être entre de bonnes<br />

mains.<br />

Un jour, on reçut deux détenus de marque le maître-cellier et le panetier du roi qui s’étaient<br />

rendus coupables d’une faute grave dans le service. Leurs arrêts ne devaient durer qu’un temps bref<br />

et le commandant des gardes mit Joseph à leur service particulier. Un matin, Joseph les trouva<br />

maussades, il leur en demanda <strong>la</strong> raison : Nous avons fait un songe, mais <strong>nous</strong> n’avons personne<br />

pour l’interpréter. Joseph pensa aussitôt à ses propres songes qui lui avaient déjà valu tant et tant<br />

d’aventures si contradictoires ; il leur dit : C’est Dieu qui interprète, mais dites toujours ! Le panetier<br />

commença à <strong>raconte</strong>r ; l’interprétation fut négative : Joseph lui annonça que trois jours plus tard, il<br />

serait pendu au gibet devant <strong>la</strong> ville. Le maître-cellier continua ; l’interprétation fut positive : Joseph<br />

lui annonça que trois jours plus tard il recouvrerait son emploi et que Pharaon lui accorderait de<br />

nouveau sa confiance. Joseph ajouta : Alors, souviens-toi de <strong>moi</strong> et défends ma cause devant le roi !<br />

De fait, trois jours plus tard - c’était l’anniversaire du Pharaon - le roi donna un grand banquet,<br />

fit amener les deux détenus, fit pendre l’un et rétablit l’autre. Quant à joseph, on l’oublia dans son<br />

oubliette.<br />

Deux années passèrent. Joseph était toujours en prison : il avait maintenant dans les vingt ans.<br />

Qui se souvient encore de <strong>moi</strong> ? se <strong>dis</strong>ait-il. Ma famille me croit mort, Potiphar ne se manifeste plus,<br />

le Pharaon ignore jusqu’à mon existence. Quand je pense à <strong>la</strong> danse des gerbes et à celle des astres,<br />

je n’arrive pas à ne pas croire qu’un jour ces choses se réaliseront. Dieu ne peut pas s’être moqué<br />

de <strong>moi</strong> !<br />

À son tour, Pharaon se prit à avoir des songes qui le troublèrent profondément. Il appe<strong>la</strong> à son<br />

chevet tout ce que l’Égypte comptait de sages et de devins et leur raconta ses rêves : personne ne put<br />

expliquer quoi que ce soit. C’est alors - tout finit par arriver - que le maître-cellier se souvint de<br />

Joseph : il raconta à toute <strong>la</strong> cour rassemblée comment Joseph avait su interpréter deux ans<br />

auparavant les songes de <strong>la</strong> vie et de <strong>la</strong> mort. Faites-le venir immédiatement ! ordonna Pharaon.<br />

En quittant sa geôle, Joseph sentit que Dieu s’était remis au travail et que finalement ces deux<br />

années lui avaient été nécessaires pour réfléchir un peu dans le calme. Il était cependant - on<br />

comprend ça - très heureux que ça change un peu. Enfin ! soupira-t-il à l’adresse de Dieu, en aspirant<br />

profondément l’air du désert et en sautant dans le char qui devait l’emmener à <strong>la</strong> cour : Enfin, ça<br />

repart ! - Qu’est-ce que c’est ! demanda le conducteur - Non, non, rien ! répondit joseph, je par<strong>la</strong>is<br />

comme ça ! - Ils sont fous, ces Hébreux, pensa l’Égyptien, ils parlent tout seuls maintenant !<br />

Pharaon fut on ne peut plus direct : J’ai entendu dire de toi qu’il te suffit d’entendre un songe<br />

pour savoir l’interpréter ! La réponse de joseph fut aussi directe : Je ne compte pas ! C’est Dieu qui<br />

46


donnera à Pharaon une réponse favorable.<br />

Pharaon regarda joseph. Joseph regarda Pharaon : quelque chose passa, une espèce de<br />

sympathie, mieux une sorte de connivence, comme de <strong>la</strong> complicité. Chacun savait qu’il jouait gros,<br />

puisqu’on jouait le tout pour le tout. Pharaon savait que <strong>la</strong> situation était grave ; Joseph savait que<br />

son heure était venue. Deux hommes se rencontraient, parce que Dieu l’avait voulu, deux hommes<br />

qui sentaient au-dessus de leur tête souffler le vent du destin.<br />

Je me tenais sur le Nil, commença Pharaon. Sept vaches grasses montèrent du fleuve, suivies de<br />

sept vaches maigres, si maigres je n’en ai jamais vu d’aussi maigres chez <strong>nous</strong>. Les vaches maigres<br />

se jetèrent sur les vaches grasses et les dévorèrent. Mais quand elles les eurent dévorées, elles<br />

étaient aussi maigres qu’avant. je m’éveil<strong>la</strong>i. Puis je me suis rendormi. Je vis alors sept épis pleins<br />

monter d’une même tige ; et après eux poussèrent sept autres épis desséchés, grêlés et brûlés par le<br />

vent d’est. Et les sept épis grêlés engloutirent les sept épis pleins... Voilà j’ai déjà raconté ce<strong>la</strong>, mais<br />

personne ne me donne <strong>la</strong> solution.<br />

Les deux songes de Pharaon ne font qu’un. Dieu a annoncé à Pharaon ce qu’il va accomplir.<br />

Les sept vaches grasses et les sept épis pleins représentent sept années d’abondance. Les sept vaches<br />

maigres et les sept épis desséchés représentent sept années de famine. L’Égypte connaîtra sept<br />

années d’abondance qui seront suivies de sept années de famine. Si le songe s’est renouvelé deux<br />

fois, c’est que <strong>la</strong> chose est bien décidée de <strong>la</strong> part de Dieu... Maintenant que Pharaon <strong>dis</strong>cerne un<br />

homme intelligent et sage, qu’il l’établisse sur tout le pays. Qu’il impose au cinquième toute<br />

l’Égypte pendant les sept années d’abondance et fasse emmagasiner toutes ces vivres dans les villes<br />

sous bonne garde. Ce sera <strong>la</strong> réserve pour les sept années de famine. Et ainsi l’Égypte ne sera pas<br />

exterminée !<br />

Joseph avait parlé d’un trait. Il ne s’était même pas aperçu que toute <strong>la</strong> cour était partagée entre<br />

l’horreur devant l’interprétation et l’admiration pour son p<strong>la</strong>n de salut public. Pharaon lui-même<br />

avait abandonné son attitude rigide protoco<strong>la</strong>ire, il l’écoutait attentivement, le menton dans les<br />

mains.<br />

Quand joseph se tut, chacun resta figé, comme frappé par un charme. Joseph ava<strong>la</strong>it sa salive et<br />

écoutait le sang bourdonner dans ses tempes. Dieu même ne souff<strong>la</strong>it mot.<br />

Alors Pharaon se leva et toute <strong>la</strong> cour se prosterna. Seul Joseph resta debout au pied des marches<br />

du trône. Puisque Dieu t’a révélé tout ce<strong>la</strong>, il n’y a personne d’aussi intelligent et sage que toi. Tu<br />

seras cet homme qui commandera à toute l’Égypte. Je ne te dépasserai que par le trône. Monte près<br />

de <strong>moi</strong> !<br />

Joseph était frappé de stupeur il aurait bien voulu avancer, mais ses jambes étaient comme<br />

paralysées. Tu vois, lui <strong>dis</strong>ait une voix qu’il reconnut ! Les gerbes, les astres : que t’avais-je prédit !<br />

Va, avance, monte. N’aie pas peur ! Joseph grimpa les sept marches du trône de Pharaon.<br />

Pharaon ôta son anneau de sa main et le mit à <strong>la</strong> main de Joseph, puis il lui passa au cou le lourd<br />

collier d’or et fit dépêcher le meilleur char du royaume après le sien.<br />

En rou<strong>la</strong>nt sur <strong>la</strong> voie triomphale qui menait à son pa<strong>la</strong>is, sous les cris de <strong>la</strong> foule qui s’était<br />

amassée, Joseph se revit nu dans <strong>la</strong> campagne de Sichem et sourit tendrement au clin d’œil de Dieu<br />

dans le ciel bleu d’Égypte.<br />

47


L’enfant sauvé des eaux<br />

Moïse<br />

(Exode 1 ; 2, 1-10)<br />

C’était au temps où les Hébreux se trouvaient en Égypte : tous les fils de Jacob, qu’on appe<strong>la</strong>it<br />

Israël, s’y étaient rendus à l’appel de leur frère joseph qui occupait alors <strong>la</strong> plus haute p<strong>la</strong>ce dans le<br />

royaume, immédiatement après le roi, immédiatement après Pharaon. Toute <strong>la</strong> famille avait fait le<br />

voyage, patriarche en tête, et s’était richement installée un peu partout. Puis Jacob-Israël mourut ; le<br />

pays prit le deuil. Mais <strong>la</strong> famille continuait de se multiplier et devenait très puissante. Joseph<br />

mourut à son tour : on l’embauma et on le déposa dans un sarcophage. Les frères de joseph<br />

moururent également. Et le temps passa.<br />

Un nouveau pharaon vint au pouvoir en Égypte, pour qui Joseph était un inconnu : il prit peur en<br />

constatant <strong>la</strong> puissance des Hébreux : Il faut prendre des mesures pour empêcher ce peuple de<br />

s’accroître, il pourrait en cas de guerre grossir le nombre de nos adversaires. On imposa donc au<br />

peuple des chefs de corvée avec mission de lui rendre <strong>la</strong> vie très dure. C’est ainsi qu’à travers le<br />

pays, on voyait circuler des colonnes entières de travailleurs hébreux qui al<strong>la</strong>ient construire ici une<br />

ville-entrepôt, là un barrage, plus loin une pyramide.<br />

Seulement voilà : plus le peuple était oppressé de travaux et de coups, plus il croissait et se<br />

multipliait, ce qui fit redouter de plus en plus les enfants d’Israël. Le roi d’Égypte fit alors donner<br />

l’ordre à toutes les maternités de faire mourir à <strong>la</strong> naissance tous les garçons hébreux. Mais les sagesfemmes<br />

n’en eurent pas le courage. Quand on les interrogea pour savoir pourquoi l’ordre du roi<br />

n’avait pas été respecté, elles répondirent que les femmes des Hébreux n’ont pas besoin<br />

d’accoucheuses et qu’elles se tirent d’affaire toutes seules. Ce qui explique que le peuple hébreu<br />

continua de grandir et de devenir fort.<br />

Alors le roi d’Égypte envisagea <strong>la</strong> solution finale : Tous les fils qui naîtront aux Hébreux, jetezles<br />

au fleuve, <strong>la</strong>issez vivre les filles.<br />

Un jour, chez un jeune couple de <strong>la</strong> famille de Lévi, naquit un fils. L’enfant était merveilleux :<br />

mais quel enfant n’est-il pas merveilleux pour sa mère ? Celle-ci le <strong>dis</strong>simu<strong>la</strong> pendant trois <strong>moi</strong>s.<br />

Mais l’enfant devenait trop grand : elle fabriqua alors une corbeille d’osier qu’elle enduisit de<br />

goudron. Elle y p<strong>la</strong>ça l’enfant et déposa <strong>la</strong> corbeille dans les roseaux proches de <strong>la</strong> rive du Nil. La<br />

sœur de l’enfant se posta à <strong>dis</strong>tance pour voir ce qu’il lui adviendrait.<br />

Or <strong>la</strong> fille de Pharaon descendit au fleuve pour s’y baigner, tan<strong>dis</strong> que ses suivantes se<br />

promenaient sur <strong>la</strong> rive. Elle aperçut <strong>la</strong> corbeille parmi les roseaux et envoya sa servante <strong>la</strong> prendre.<br />

Elle l’ouvrit et découvrit l’enfant qui pleurait : Mais c’est un petit Hébreu ! s’écria-t-elle. La sœur de<br />

l’enfant abandonna sa cachette et s’approcha de <strong>la</strong> fille de Pharaon : Veux-tu que j’aille te quérir,<br />

parmi les femmes des Hébreux, une nourrice pour le petit ? - Oh oui ! répondit <strong>la</strong> princesse. La jeune<br />

fille al<strong>la</strong> bien sûr chercher sa mère qui se précipita sur <strong>la</strong> rive du fleuve. Emmène cet enfant et<br />

nourris-le pour <strong>moi</strong> ! dit <strong>la</strong> princesse. Tu recevras un bon sa<strong>la</strong>ire !<br />

Toute <strong>la</strong> famille se trouva de nouveau réunie. L’enfant avait de nouveau le droit de vivre, parce<br />

que <strong>la</strong> fille du Pharaon l’avait en quelque sorte adopté.<br />

Quand l’enfant eut grandi, sa mère le rapporta à <strong>la</strong> princesse qui le traita comme un fils. Elle lui<br />

donna le nom de Moïse, car dit-elle, je l’ai tiré des eaux.<br />

L’acharnement des hommes ne peut rien contre le p<strong>la</strong>n de Dieu. Le bébé qui flottait sur les eaux<br />

du Nil devait être sauvé pour sauver à son tour, mais plus tard, le peuple de ses frères à travers <strong>la</strong> mer<br />

Rouge.<br />

L’enfant est le père de l’homme !<br />

48


L’enfant qui par<strong>la</strong>it avec Dieu : Samuel<br />

(1 Samuel chap. 1 à 4)<br />

Il était une fois, au temps où Dieu ne savait plus à qui parler, un homme du nom d’Elqana,<br />

descendant de <strong>la</strong> famille d’Éphraïm, le plus jeune fils de Joseph, fils de Jacob. Comme <strong>la</strong> coutume<br />

l’autorisait, Elqana avait deux femmes, Anne et Peninna. Mais alors que Peninna avait enfant sur<br />

enfant, Anne ne pouvait en avoir : elle avait beaucoup de chagrin. Chaque année, Elqana faisait un<br />

pèlerinage à Silo, où se trouvait le sanctuaire le plus proche, pour adorer Dieu et lui offrir un<br />

sacrifice ; ses deux femmes l’accompagnaient avec toute leur famille. C’était toujours l’occasion<br />

pour Peninna de se moquer d’Anne en lui rappe<strong>la</strong>nt, pour <strong>la</strong> railler devant tout le monde, que si Dieu<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>issait sans enfants, il devait bien y avoir une raison. Chaque fois, Anne pleurait et refusait toute<br />

nourriture. Elqana ne savait que faire, il aimait Anne de toutes ses forces; il <strong>la</strong> préférait même à<br />

Peninna. Anne le savait bien. Est-ce que je ne vaux pas pour toi mieux que dix fils ? lui <strong>dis</strong>ait Elqana,<br />

sûr de son amour. Mais Anne restait inconso<strong>la</strong>ble.<br />

Cette année-là, Anne n’y tint plus. Après les cérémonies d’usage, elle resta dans le sanctuaire et<br />

s’approcha du prêtre. La voix entrecoupée de sanglots, elle fit ce vœu : Mon Dieu, ne m’oublie pas !<br />

Si tu me donnes un fils, à mon tour je te le céderai pour toute sa vie ! Puis elle se recueillit et<br />

continua de répéter ce vœu à voix basse en articu<strong>la</strong>nt chaque mot, si bien que le prêtre se demandait<br />

ce qu’elle faisait ; il perdit patience et <strong>la</strong> rudoya un peu. Anne essaya de lui faire comprendre sa<br />

détresse ; pour en finir, le prêtre lui dit : Va en paix ! Que Dieu t’accorde ce que tu lui as<br />

demandé ! Toute confiante, Anne se retira et rejoignit son mari et sa famille. Le lendemain, <strong>la</strong><br />

caravane prit le chemin du retour. Mais Anne n’était plus <strong>la</strong> même.<br />

Elqana s’unit à Anne et Dieu se souvint d’elle. Anne conçut et mit au monde un fils qu’elle<br />

nomma Samuel, car, dit-elle, Je l’ai demandé à Dieu. Après un an révolu, Elqana monta à Silo avec<br />

sa famille pour offrir à Dieu le sacrifice annuel et accomplir son vécu. Mais Anne cette fois ne monta<br />

pas. Pas avant que l’enfant ne soit sevré, dit-elle. Alors je le conduirai <strong>moi</strong>-même, il sera présenté<br />

devant Dieu et il restera là pour toujours. Anne al<strong>la</strong>ita l’enfant jusqu’à son sevrage. Lorsqu’elle l’eut<br />

sevré, elle l’emmena avec elle à Silo, entra dans le sanctuaire et se rendit auprès du prêtre. Aussi vrai<br />

que tu vis,lui dit-elle, je suis cette femme qui se tenait près de toi ici priant Dieu. C’est pour cet<br />

enfant que je priais et Dieu me l’a donné. À mon tour, je le cède à Dieu tous les jours de sa vie. Et,<br />

lâchant <strong>la</strong> main de Samuel, elle le <strong>la</strong>issa là et partit.<br />

Samuel entra au service de Dieu au sanctuaire de Silo, sous les ordres du prêtre Eli. Il revêtit le<br />

pagne de lin, tenue des serviteurs du sanctuaire, et sa mère lui tissait chaque année une tunique<br />

qu’elle lui apportait, lorsqu’elle montait avec Elqana pour le sacrifice annuel. Dieu n’oubliait plus<br />

Anne qui conçut et mit au monde trois fils et deux filles. Peninna ne <strong>la</strong> rail<strong>la</strong>it plus. Et le jeune<br />

Samuel gran<strong>dis</strong>sait en taille et en grâce, auprès de Dieu et aux yeux des hommes.<br />

En ces temps-là, il était rare que Dieu parlât : personne ne l'écoutait plus ! Le prêtre Eli était<br />

maintenant presque aveugle, il ne quittait pratiquement plus son alcôve et restait allongé <strong>la</strong> plupart<br />

du temps. Un soir, <strong>la</strong> <strong>la</strong>mpe du sanctuaire n’était pas encore éteinte et Samuel reposait à côté de<br />

l’arche d’alliance. Dieu enfin appe<strong>la</strong> : Samuel ! Samuel ! Samuel répondit : Me voici ! Et il courut<br />

près d’Eli. Me voici ! répéta-t-il. Mais, je ne t’ai pas appelé, dit Eli, retourne te coucher ! Samuel se<br />

recoucha... . Dieu recommença d’appeler : Samuel ! Samuel ! Samuel se précipita de nouveau chez<br />

Eli. Me voici ! - Je ne t’ai pas appelé, mon fils ! Retourne te coucher ! Samuel ne connaissait pas<br />

encore Dieu et il n’avait jamais entendu sa voix. Pour <strong>la</strong> troisième fois, Dieu recommença d’appeler<br />

Samuel et, pour <strong>la</strong> troisième fois, Samuel se leva, courut auprès d’Eli et lui dit : Me voici ! Tu m’as<br />

bien appelé ? Eli comprit alors que c’était Dieu qui appe<strong>la</strong>it l’enfant et il dit à Samuel : Va te<br />

coucher et si l’on t’appelle, tu diras : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! Samuel al<strong>la</strong> se<br />

recoucher à sa p<strong>la</strong>ce.<br />

Alors Dieu vint.<br />

49


Il appe<strong>la</strong> comme les autres fois : Samuel ! Samuel ! Samuel répondit : Parle ! Ton serviteur<br />

écoute ! Et Dieu par<strong>la</strong> à Samuel. Quand Dieu par<strong>la</strong>it, Samuel écoutait. Puis Dieu se retira et Samuel<br />

reposa jusqu’au matin. Alors il se leva et ouvrit les portes du sanctuaire.<br />

Eli appe<strong>la</strong> Samuel : Samuel, mon fils, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> <strong>la</strong> parole de Dieu ! Samuel lui rapporta tout sans<br />

rien lui cacher. Eli dit alors : Il est Dieu : il fait comme il veut !<br />

Samuel grandit et Dieu était avec lui : quand Samuel restait seul dans le sanctuaire, chacun<br />

savait qu’il s’entretenait avec Dieu ; quand il se promenait en faisant des gestes sur les collines de<br />

Silo, personne n’al<strong>la</strong>it le déranger dans ses démêlés avec Dieu.<br />

Depuis Dan au Nord jusqu’à Beersheba tout au Sud, tout le pays apprit que Samuel était<br />

accrédité comme prophète de Dieu. Dieu continua de parler à Silo, car il avait trouvé quelqu’un qui<br />

écoutait. Samuel transmettait à chacun ce que Dieu lui <strong>dis</strong>ait.<br />

Ainsi Dieu reprit goût à parler avec les hommes !<br />

50


Les enfants qui résistent : Daniel et ses trois compagnons<br />

(Daniel, chap. 1 à 3)<br />

C’était au temps où le pays des Hébreux était divisé en deux royaumes. C’était aussi au temps<br />

où Nabuchodonosor, roi de Babylone, vou<strong>la</strong>it agrandir son royaume : il se mit en campagne contre le<br />

royaume de Juda, dévastant <strong>la</strong> capitale Jérusalem et le temple et déportant presque toute <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> ville. Pour administrer les nouveaux territoires, Nabuchodonosor avait fondé une<br />

école de formation des cadres, où il faisait venir les fils de descendance royale et de familles nobles :<br />

il choisissait des garçons de belle prestance, intelligents et solides, dont <strong>la</strong> tâche devait consister à<br />

être à son service. On leur enseignait <strong>la</strong> littérature et les sciences de Babylone, ainsi que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue du<br />

pays et surtout son écriture, l’écriture cunéiforme, ainsi nommée parce qu’elle a l’apparence d’une<br />

multitude de petits angles en forme de coins. La formation durait trois années, au cours desquelles<br />

les garçons étaient pris totalement en charge par <strong>la</strong> maison royale, jusqu’à leur nourriture prise<br />

directement à <strong>la</strong> table du roi.<br />

Parmi les nouveaux arrivés au Pa<strong>la</strong>is de Babylone se trouvaient quatre jeunes gens du royaume<br />

de Juda : Daniel, Hananya, Azarya et Mishaël. Le prévôt du personnel leur fit part de leur nouveau<br />

statut, al<strong>la</strong>nt même jusqu’à changer leur nom, pour leur montrer que leur destinée était maintenant<br />

dans les mains de Nabuchodonosor.<br />

Daniel et ses compagnons ne s’inquiétèrent pas de voir changer leurs noms : ils continueraient<br />

entre eux à s’appeler comme avant sans se soucier de ces étrangers. Mais ils ne vou<strong>la</strong>ient pas se<br />

soumettre aux habitudes de table de ces païens, qui sacrifiaient et offraient leur nourriture et leur<br />

boisson à leurs idoles de bois et de terre -, avant de les servir à table. Daniel et ses compagnons<br />

avaient foi en leur propre Dieu, celui de leurs ancêtres, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, le<br />

Dieu qui avait délivré le peuple de l’esc<strong>la</strong>vage égyptien et qui finirait par les délivrer de l’esc<strong>la</strong>vage<br />

babylonien.<br />

Daniel demanda au prévôt du personnel de bien vouloir les <strong>dis</strong>penser de toucher aux mets<br />

royaux. Cet homme de bonne volonté aurait bien voulu satisfaire leur requête, mais : Je craindrais<br />

pour ma tête, dit-il, si le roi voyait des visages abattus et des mines défaites, parmi les garçons de<br />

son service !<br />

Daniel répliqua qu’il comprenait bien, mais demanda alors qu’on les mît dix jours à l’épreuve :<br />

Donnez-<strong>nous</strong> seulement des légumes à manger et de l’eau à boire. Et alors tu compareras notre<br />

mine et celles des autres garçons qui mangent au menu du roi et tu agiras selon ! Comme vous<br />

pouvez vous y attendre, au bout des dix jours, Daniel, Hananya, Azarya et Mishaël présentaient un<br />

embonpoint et une mine meilleurs que les autres garçons, on les <strong>la</strong>issa tranquilles : ils se<br />

nourrissaient de fruits et de légumes et buvaient l’eau fraîche des fontaines.<br />

Nos quatre amis apprenaient tout très vite; intelligents et lestes, ils se faisaient remarquer par<br />

leur adresse et leur sagacité. Si bien qu’après trois ans, quand ils se présentèrent devant le roi<br />

Nabuchodonosor lui-même pour l’examen, il ne s’en trouva aucun comme eux pour répondre avec<br />

justesse et sagesse à toutes les questions qu’on leur posa. Le roi fut si enthousiaste qu’il les garda<br />

auprès de lui, les consultant pour toute affaire le touchant personnellement ou ayant trait à<br />

l’administration et au gouvernement du royaume.<br />

À quelque temps de là, le roi Nabuchodonosor eut des songes son esprit devint anxieux, le<br />

sommeil le quitta. Il fit alors appeler à son chevet tous les magiciens, conjureurs, incantateurs et<br />

astrologues du royaume. Mais le roi était si troublé qu’il en avait oublié le rêve qu’il avait fait ; <strong>la</strong><br />

question qu’il posa à <strong>la</strong> troupe des devins les remplit d’épouvante : Si vous ne me faites pas<br />

connaître et le songe et son interprétation, vous serez mis en pièces. Parole de roi ! Un mage<br />

s’essaya : Que le roi <strong>dis</strong>e le songe et <strong>nous</strong> en exposerons l’interprétation ! Le roi entra dans une<br />

grande colère et répondit : C’est à vous de me dire le songe et je saurai alors que vous êtes capables<br />

de m’en donner l’interprétation ! - Mais personne n’a jamais fait ça ! Les <strong>dieu</strong>x seuls en sont<br />

51


capables ! - C’en est assez ! cria le roi. Faites périr tous les sages de Babylone ! La sentence parut et<br />

voilà que l’on cherchait Daniel et ses compagnons pour les massacrer.<br />

Daniel demanda à être reçu sur-le-champ par le roi. Le roi le reçut, car il se souvenait de lui.<br />

Daniel pria le roi de lui accorder du temps ; quant à l’interprétation, il l’exposerait au roi. Celui-ci<br />

accepta. Daniel se retira et courut rejoindre ses compagnons timorés. Il faut demander à Dieu de<br />

<strong>nous</strong> révéler ce mystère, sinon <strong>nous</strong> périrons avec le reste des sages de Babylone. Alors Daniel,<br />

Hananya, Azarya et Mishael s’étendirent sur le sol, face contre terre, les bras en croix, et dans le<br />

silence de <strong>la</strong> nuit se mirent à prier le Dieu de leurs pères. Dans <strong>la</strong> vision de <strong>la</strong> nuit, le mystère leur fut<br />

révélé !<br />

Le lendemain matin, Daniel se rendit au pa<strong>la</strong>is, demanda que l’on sursoie à l’exécution des<br />

sages et sollicita une entrevue avec le roi. Quand le roi vit entrer Daniel, il se dressa sur son trône et<br />

cria : Peux-tu oui ou non me faire connaître le songe que j’ai vu et son interprétation ? - Le mystère<br />

dont le roi s’enquiert, répondit Daniel, ni sages, ni magiciens, ni devins, ne peuvent l’exposer au roi.<br />

Le roi exaspéré par ce début leva <strong>la</strong> main, mais avant que sa bouche n’eût proféré un mot, Daniel<br />

continua plein d’assurance : Mais il y a un Dieu qui révèle les mystères et il a fait connaître au roi<br />

Nabuchodonosor ce qui adviendra dans l’avenir ! Daniel décrivit alors l’immense statue que le roi<br />

avait vue dans son rêve et dont <strong>la</strong> tête était d’or, le corps de bronze, les jambes de fer et les pieds de<br />

céramique. Daniel expliqua au roi que Dieu lui pré<strong>dis</strong>ait ainsi l’avenir de son royaume qui<br />

s’affaiblirait de plus en plus et finirait peu à peu par s’effriter comme se brise <strong>la</strong> céramique, au fur et<br />

à mesure que ses successeurs agrandiraient, puis se <strong>dis</strong>puteraient l’empire. Le songe est sûr, termina<br />

Daniel, et son interprétation digne de foi !<br />

Tan<strong>dis</strong> que Daniel racontait, décrivait et interprétait, le roi avait insensiblement descendu les<br />

marches qui menaient à son trône. Il se trouvait maintenant sur <strong>la</strong> dernière marche et, quand Daniel<br />

baissa <strong>dis</strong>crètement <strong>la</strong> tête pour indiquer qu’il en avait fini, le roi tomba face contre terre aux pieds<br />

de Daniel. Tout en restant prosterné, il reconnut : Votre Dieu est le Dieu des <strong>dieu</strong>x, le Seigneur des<br />

rois et le révé<strong>la</strong>teur des mystères !<br />

Le roi éleva Daniel il lui donna autorité sur toute <strong>la</strong> province de Babylone et en fit le<br />

surintendant de tous les sages du royaume. Daniel fit alors une requête et le roi préposa Hananya,<br />

Azarya et Mishaël à l’administration de <strong>la</strong> province de Babylone.<br />

Le temps passa.<br />

Un jour, le roi eut l’idée de faire une statue d’or, une immense statue de trente mètres de haut. Il<br />

<strong>la</strong> fit dresser dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine près de Babylone. Et il envoya des messagers aux quatre coins du<br />

royaume pour convoquer satrapes, intendants, gouverneurs, conseillers, magistrats, bref tous les<br />

fonctionnaires des provinces, afin qu’ils viennent pour l’inauguration de <strong>la</strong> statue. Au jour dit, tout le<br />

monde était là ; le héraut cria avec force : Quand retentiront tous les instruments de musique à <strong>la</strong><br />

fois, vous vous prosternerez et vous adorerez <strong>la</strong> statue d’or. Sinon, on vous jettera dans une<br />

fournaise. À ces mots, retentirent tous les instruments autour de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine ; alors chacun se prosterna<br />

docilement et adora <strong>la</strong> statue d’or.<br />

Hananya, Azarya et Mishaël n’avaient pas l’habitude de se prosterner pour adorer des morceaux<br />

d’or, même élevés en statue. Au son des instruments, ils restèrent donc debout, tan<strong>dis</strong> qu’à perte de<br />

vue, <strong>la</strong> foule des fonctionnaires s’inclinait jusque dans <strong>la</strong> poussière devant l’idole scintil<strong>la</strong>nte.<br />

La cérémonie n’était pas terminée qu’une délégation de sages et de devins, supp<strong>la</strong>ntés par<br />

Daniel lors du songe du roi, profita de l’occasion pour se venger sur lui et ses compagnons. Tous se<br />

précipitèrent au pa<strong>la</strong>is royal et demandèrent à être reçus de toute urgence par le roi. O roi ! Vis à<br />

jamais ! Il y a des juifs que tu as préposés à l’administration de <strong>la</strong> province de Babylone : ces genslà<br />

n’ont pas eu égard à toi. Ils n’ont pas adoré ta statue d’or ! La fureur de Nabuchodonosor fut<br />

extrême. Il fit amener immédiatement les trois compagnons de Daniel qui savaient pertinemment ce<br />

qui les attendait. Cette accusation est-elle exacte ? demanda le roi. Hananya prit <strong>la</strong> parole au nom<br />

des deux autres et répondit : O roi, <strong>nous</strong> n’avons pas besoin de répondre à cette question. Si le Dieu<br />

que <strong>nous</strong> servons veut <strong>nous</strong> délivrer de <strong>la</strong> fournaise et de ta main, qu’il le fasse, ô roi ! Mais même<br />

s’il ne le fait pas, sache, ô roi, que <strong>nous</strong> ne servirons pas tes <strong>dieu</strong>x pour autant, ni n’adorerons <strong>la</strong><br />

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statue d’or que tu as dressée !<br />

Alors, le roi hur<strong>la</strong> qu’on chauffât <strong>la</strong> fournaise sept fois plus forte qu’on avait coutume de <strong>la</strong><br />

chauffer ; il ordonna de ligoter Hananya, Azarya et Mishaël, pour les y jeter. Mais les f<strong>la</strong>mmes<br />

montaient si haut et <strong>la</strong> chaleur était telle que les gardes furent happés par le feu et périrent brûlés.<br />

Quant à nos amis, ils roulèrent jusqu’au fond du four et se relevèrent, car leurs liens étaient tombés.<br />

Ils se mirent à marcher au milieu de <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme en célébrant Dieu et le bénissant. Debout au milieu du<br />

feu, Azarya se mit à chanter : Tu es juste en tout ce que tu fais ! Nous <strong>nous</strong> confions à toi comme se<br />

sont confiés à toi, Abraham ton ami, Isaac ton serviteur et Israël ton élu, eux avec qui tu par<strong>la</strong>is,<br />

<strong>dis</strong>ant que tu multiplierais leur descendance comme les étoiles du ciel et le sable du bord de <strong>la</strong> mer !<br />

Car vois-tu, Seigneur, <strong>nous</strong> sommes devenus le plus petit de tous les peuples. Il n’y a plus eu en ces<br />

temps ni prince, ni prophète, ni sacrifice, ni temple pour venir t’adorer. Mais vois cependant notre<br />

confiance en toi. Délivre-<strong>nous</strong> et rends ainsi gloire à ton nom ! Que chacun sache ici que c’est toi<br />

l’unique Seigneur Dieu, glorieux sur toute <strong>la</strong> terre ! Quand il eut terminé, Hananya et Mishaël<br />

chantèrent Amen ! Alléluia !<br />

Sur les bords de <strong>la</strong> fournaise, pendant ce temps, les gardes s’employaient à activer le feu avec du<br />

bitume, de <strong>la</strong> poix, de l’étoupe et des fagots. La f<strong>la</strong>mme s’élevait maintenant à vingt cinq mètres audessus<br />

du four : un coup de vent <strong>la</strong> rabattit et elle brû<strong>la</strong> tous ceux qui étaient venus contempler <strong>la</strong> fin<br />

des juifs qui, tout au fond, continuaient leurs louanges.<br />

Le soir, Nabuchodonosor les entendait toujours chanter et en fut stupéfait. Il convoqua<br />

l’escouade de service à <strong>la</strong> fournaise. Est-ce possible que je voie ces gens marcher au milieu du feu<br />

sans en être atteints ? J’ai même l’impression d’en voir un quatrième, tout resplen<strong>dis</strong>sant, qui les<br />

accompagne. Alors ? Devant le silence éloquent de ses soldats, le roi décida de se rendre à<br />

l’ouverture de <strong>la</strong> fournaise : Hananya, Azarya, Mishaël, serviteurs du Dieu Très Haut, sortez et<br />

venez ! Les trois amis sortirent du milieu du feu. Tout le monde constata que le feu n’avait eu aucun<br />

pouvoir sur leur corps : <strong>la</strong> chevelure n’avait pas été roussie, leurs vêtements étaient intacts et l’odeur<br />

du feu n’était pas passée sur eux !<br />

Alors le roi déc<strong>la</strong>ra : Béni soit le Dieu d’Hananya, d’Azarya et de Mishaël, qui a sauvé ses<br />

serviteurs parce qu’ils se sont confiés en lui et que, transgressant ma parole, ils ont livré leur corps,<br />

pour ne servir ni adorer aucun <strong>dieu</strong> si ce n’est leur Dieu.<br />

Et le roi continua : Quant à <strong>moi</strong>, j’ai donné ordre que quiconque b<strong>la</strong>sphémerait contre le Dieu<br />

d’Hananya, d’Azarya et de Mishaël, soit mis en pièces. Car il n’y a pas d’autre Dieu qui puisse<br />

délivrer ainsi.<br />

Hananya, Azarya, et Mishaël recouvrèrent leur poste, Daniel continua de gouverner <strong>la</strong> province<br />

de Babylone. Et le roi dut s’accommoder de ce Dieu unique, plus puissant que tous les siens réunis.<br />

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Les enfants devant <strong>la</strong> mort<br />

Le martyre des sept frères<br />

(2° livre des Maccabées, chap. 5 à 7)<br />

Quand Alexandre le Grand mourut à Babylone vers l’an 300 avant Jésus-Christ, ses généraux se<br />

partagèrent l’immense empire grec qui s’étendait depuis <strong>la</strong> Macédoine, où Alexandre était né,<br />

jusqu’à l’Inde et à l’Hima<strong>la</strong>ya. Le royaume de Juda, minuscule portion autour de Jérusalem, fut<br />

compris dans l’un des lots. Un siècle plus tard, Jérusalem tomba aux mains d’une famille de princes<br />

qui entreprirent de supprimer systématiquement <strong>la</strong> religion juive : un décret interdit le culte, puis le<br />

temple lui-même fut profané, ce qui entraîna une révolte du peuple réuni autour du grand-prêtre<br />

Mattathias. Le prince régnant s’appe<strong>la</strong>it alors Antiochus IV Épiphane : il était en campagne contre<br />

l’Égypte. Profitant de son absence de Jérusalem, un certain Jason essaya de lever une troupe pour le<br />

renverser et prendre le pouvoir : mais sa rébellion échoua et irrita Antiochus au point de le faire<br />

renoncer à sa guerre égyptienne ; il retourna à Jérusalem. Il y rentra furieux comme une bête<br />

sauvage : il ordonna à ses soldats de massacrer sans <strong>dis</strong>tinction tous ceux qu’ils rencontreraient dans<br />

<strong>la</strong> ville. On extermina jeunes et vieux, on supprima femmes et enfants, on égorgea vierges et<br />

nourrissons. La ville fut décimée : et les rescapés réduits à l'esc<strong>la</strong>vage.<br />

Ne recu<strong>la</strong>nt devant rien, emporté par sa rage d’en finir une fois pour toutes avec ce dernier nid<br />

de <strong>la</strong> résistance juive, il pénétra dans le Temple, le pil<strong>la</strong> de fond en comble et le profana. Puis, dans<br />

sa superbe meurtrière, il se hâta de regagner sa capitale Antioche, croyant, dans l’exaltation de son<br />

cœur, avoir rendu navigable <strong>la</strong> terre ferme et <strong>la</strong> mer praticable à <strong>la</strong> marche. Mais avant de se retirer<br />

des lieux du carnage, il <strong>la</strong>issa sur p<strong>la</strong>ce des lieutenants pour achever son œuvre d’extermination et de<br />

mort : à Jérusalem resta un certain Philippe, de caractère plus barbare encore, s’il était possible.<br />

Mais Antiochus n’était pas encore satisfait. Dès son arrivée à Antioche, il fut repris par sa haine<br />

envers le peuple de Juda. Il envoya immédiatement à Jérusalem un certain Apollonius, à <strong>la</strong> tête d’une<br />

armée de vingt mille hommes, avec ordre d’égorger tous ceux qui, dans le pays entier, étaient dans <strong>la</strong><br />

force de l’âge, et de vendre les femmes et les enfants. Apollonius usa de ruse : il se présenta en<br />

pacifique et le jour du sabbat et convoqua ses soldats à une prise d’armes. Les juifs sortirent sans se<br />

méfier pour assister au spectacle. Alors Apollonius les fit massacrer et envahit les campagnes<br />

environnantes en profitant de <strong>la</strong> surprise.<br />

Après Philippe et Apollonius, Antiochus envoya Géronte : ce fut le pire des trois. Son but était<br />

de forcer les Juifs à s’éloigner des lois de leurs pères et à cesser de régler leur vie selon les lois de<br />

Dieu. Le Temple fut rempli de débauches et d’orgies : des païens se divertissaient avec des<br />

courtisanes sur les parvis sacrés. L’autel des sacrifices était couvert de victimes impures interdites<br />

par les lois. Il ne fut plus permis de célébrer le sabbat ni aucune fête, ni simplement de confesser<br />

qu’on était juif. Chacun était obligé de participer aux cérémonies païennes ainsi qu’aux repas rituels<br />

des idoles. L’ordre était d’égorger ceux qui ne se décideraient pas à adopter les coutumes grecques.<br />

La terreur régnait sur tout le pays et sur Jérusalem.<br />

Certains hommes de foi parcouraient le pays en exhortant le peuple à ne pas se décourager à<br />

cause de ces ca<strong>la</strong>mités : Ces persécutions ont lieu, non pour <strong>la</strong> ruine, mais pour l’éducation de notre<br />

race, <strong>dis</strong>aient-ils ; notre Dieu <strong>nous</strong> forme par l’adversité : il ne <strong>nous</strong> abandonne pas. Ne perdons pas<br />

confiance : il <strong>nous</strong> sauvera !<br />

Un jour, Géronte s’attaqua même au vieil Eléazar, un des premiers docteurs de <strong>la</strong> loi, homme<br />

respecté par tout le peuple pour sa foi et son intégrité. Il faut savoir que les Juifs avaient des<br />

coutumes héritées des ancêtres, comme chaque peuple partout sous le soleil. Une de ces coutumes,<br />

va<strong>la</strong>ble depuis Moïse et <strong>la</strong> sortie d’Égypte - cette coutume était donc vieille de plus de 1 000 ans et<br />

elle était devenue un signe <strong>dis</strong>tinctif de <strong>la</strong> religion juive -, inter<strong>dis</strong>ait de manger <strong>la</strong> chair de certains<br />

animaux, comme le porc : cette viande avait été déc<strong>la</strong>rée impure pour des raisons qu’on avait peutêtre<br />

oubliées. Mais tout Juif pratiquant respectait cette interdiction, surtout en ces temps de<br />

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persécutions, ne fût-ce que pour montrer publiquement son opposition aux coutumes païennes que<br />

Géronte vou<strong>la</strong>it imp<strong>la</strong>nter à Jérusalem. Géronte voulut obliger le vieil Eléazar à manger<br />

publiquement de <strong>la</strong> viande de porc, espérant par là décourager et démoraliser tous ceux qui<br />

admiraient le courage et <strong>la</strong> résistance des anciens. Eléazar avait plus de quatre-vingts ans et préféra<br />

mourir sur <strong>la</strong> roue, <strong>la</strong>issant non seulement aux jeunes, mais à <strong>la</strong> grande majorité de <strong>la</strong> nation, un<br />

exemple de noblesse et un mémorial de fidélité à Dieu.<br />

Géronte ne savait plus à qui s’en prendre pour réduire toute résistance : le peuple avait été<br />

massacré, le Temple pillé et souillé, les hommes déportés et vendus en esc<strong>la</strong>vage, les anciens<br />

exécutés, le pays dévasté. Géronte décida de s’attaquer à des familles entières, pour l’exemple. On<br />

lui signa<strong>la</strong> une veuve avec ses sept fils. Il les fit arrêter : sous les coups de fouet et de nerfs de bœuf,<br />

on les força à manger des viandes interdites. La seule réponse fut : La mort, plutôt que l’infidélité !<br />

Antiochus se trouvait à Jérusalem et Géronte l’avait invité à contempler le spectacle. Rendu<br />

furieux par cette réponse de l’un des fils, le roi fit mettre sur les feux poêles et chaudrons : dès qu’ils<br />

furent brû<strong>la</strong>nts, il ordonna de couper <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue d’un garçon, de lui enlever <strong>la</strong> peau de <strong>la</strong> tête et de lui<br />

trancher les extrémités, sous les yeux de ses frères et de sa mère. Il fit alors approcher du brasier le<br />

corps ainsi mutilé, pour le passer à <strong>la</strong> poêle. Pendant ce temps, <strong>la</strong> mère et ses autres fils autour d’elle<br />

s’exhortaient mutuellement à mourir courageusement : Le Seigneur <strong>nous</strong> voit, il a pitié de <strong>nous</strong>, il<br />

n’abandonnera pas ceux qui lui sont fidèles !<br />

Quand le premier garçon eut péri, Antiochus fit amener le second qui résista aussi bien que son<br />

frère. Avant d’expirer, il eut <strong>la</strong> force de crier : Tu peux bien <strong>nous</strong> exclure de <strong>la</strong> vie présente, mais le<br />

roi du monde, parce que <strong>nous</strong> serons morts pour lui rester fidèles, <strong>nous</strong> ressuscitera pour une vie<br />

éternelle !<br />

Ce fut ensuite au tour du troisième qui força l’admiration de ses bourreaux en déc<strong>la</strong>rant : Ces<br />

membres que vous tranchez, c’est de Dieu que j’espère les recouvrer !<br />

Aux mêmes tortures furent soumis le quatrième, le cinquième et le sixième fils qui, chacun plus<br />

admirablement l’un que l’autre, surent affronter une mort injuste et horrible avec une foi qui<br />

confondait Antiochus, Géronte et tous les bourreaux.<br />

Mais <strong>la</strong> plus admirable de tous était <strong>la</strong> mère qui voyait sous ses propres yeux mourir ses sept fils<br />

en l’espace d’un seul jour et le supportait avec sérénité, parce qu’elle mettait son espérance en Dieu.<br />

Elle exhortait chacun d’eux sans faiblir ni se p<strong>la</strong>indre : Je ne sais comment vous êtes apparus dans<br />

mon ventre : ce n’est pas <strong>moi</strong> qui vous ai donné l’esprit et <strong>la</strong> vie. Aussi bien le créateur de l’univers<br />

qui a formé l’homme à sa naissance et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il dans sa<br />

miséricorde et cet esprit et cette vie que vous sacrifiez maintenant vous-mêmes, par amour pour<br />

lui ! Antiochus ne put supporter ce <strong>dis</strong>cours : il se crut méprisé et soupçonna même qu’on vou<strong>la</strong>it<br />

l’outrager.<br />

Il restait le plus jeune fils. Antiochus l’avait pris à part et lui faisait toutes sortes de promesses,<br />

lui jurant de le rendre riche s’il abandonnait <strong>la</strong> tradition de ses pères : il en ferait son ami et lui<br />

confierait de hauts emplois. Le jeune garçon ne se <strong>la</strong>issant toucher par aucun argument du roi, celuici<br />

demanda longuement à <strong>la</strong> mère de le convaincre de sauver sa vie. La mère écouta le roi,<br />

patiemment et sans réagir, puis elle se pencha vers son plus jeune fils et lui tint le <strong>dis</strong>cours le plus<br />

terrible qu’une oreille humaine ait jamais entendu : Mon fils, aie pitié de <strong>moi</strong> qui t’ai porté dans mon<br />

ventre neuf <strong>moi</strong>s, qui t’ai al<strong>la</strong>ité trois ans, qui t’ai nourri et élevé jusqu’à l’âge où tu es ! Je te<br />

conjure, mon enfant, regarde le ciel et <strong>la</strong> terre, contemple tout ce qu’ils contiennent et reconnais que<br />

Dieu les a créés de rien et que <strong>la</strong> race des hommes est faite de <strong>la</strong> même manière. Ne crains pas ce<br />

bourreau, montre-toi digne de tes frères, accepte <strong>la</strong> mort, afin que je te retrouve avec tes frères<br />

quand viendra le temps de <strong>la</strong> miséricorde.<br />

La mère n’avait pas dit son dernier mot, que le jeune garçon cria : Qu’attendez-vous ? Je n’obéis<br />

pas aux ordres du roi, j’obéis aux ordres de Dieu, transmis à nos pères par Moïse. Et toi, l’inventeur<br />

de tous ces malheurs qui s’abattent sur notre peuple, tu n’échapperas pas aux mains de Dieu. Car si<br />

<strong>nous</strong> souffrons, <strong>nous</strong> autres, c’est pour notre éducation : notre Seigneur qui est vivant se<br />

réconciliera bientôt avec <strong>nous</strong>. Mais toi, le plus infect des hommes, ne te berce d’aucune espérance :<br />

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en levant <strong>la</strong> main sur <strong>nous</strong>, tu n’échapperas pas à notre Dieu qui voit tout. Pour <strong>moi</strong>, je livre, comme<br />

mes frères, mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, en demandant à Dieu d’être bientôt<br />

clément pour notre nation et de t’amener, toi, à reconnaître qu’il est le seul Dieu !<br />

Ces sarcasmes ne plurent pas à Antiochus : amer et hors de lui, le roi sévit contre le dernier frère<br />

encore plus cruellement que contre les autres. Le jeune garçon mourut sous les yeux de sa mère dans<br />

une parfaite confiance dans le Seigneur Dieu de l’univers.<br />

Enfin <strong>la</strong> mère mourut, <strong>la</strong> dernière, après ses fils. Sans un cri, sans un mot.<br />

Mais le sang de <strong>la</strong> jeunesse ne se répand pas en vain. Dans toutes les campagnes de Judée, le<br />

peuple racontait <strong>la</strong> fin héroïque de <strong>la</strong> mère et de ses sept fils. D’autres se levèrent de plus en plus<br />

noùbreux contre Antiochus et ses lieutenants. L’insurrection gagna tout le pays : par familles<br />

entières, <strong>la</strong> nation se mobilisa pour défendre son honneur, sa vie et son Dieu.<br />

Antiochus apprit ainsi que le sang des martyrs est <strong>la</strong> semence <strong>la</strong> plus fertile pour <strong>la</strong> victoire.<br />

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Le petit cousin : Jean le Baptiste<br />

(Luc 1,5-80 ; 3,1-22. Jean 3,27-29. Marc 6,17-28)<br />

Il y eut un homme envoyé par Dieu. Il s’appe<strong>la</strong>it Jean. Il ne faisait que parler de <strong>la</strong> lumière et<br />

encourageait les gens à y croire. Il <strong>dis</strong>ait : Je ne suis pas <strong>la</strong> lumière, mais elle arrive : préparez-vous<br />

pour ne pas manquer sa venue ! Et il ajoutait : Quelqu’un va venir après <strong>moi</strong>, mais il me dépassera,<br />

parce qu’il existait avant <strong>moi</strong> ! Les gens l’écoutaient : c’était difficile à comprendre. Mais malgré<br />

son air un peu terrible, son visage émacié, sa barbe et sa chevelure hirsutes - et <strong>la</strong> peau de chèvre<br />

qu’une corde retenait autour de ses reins -, Jean inspirait confiance et conviction. Il était toujours<br />

entouré de foules avides de l’entendre. De temps en temps, il s’arrêtait de parler : le silence était<br />

alors aussi épais et lourd que <strong>la</strong> <strong>moi</strong>teur qui précède les orages. Après quelques secondes, il criait<br />

d’une voix puissante que renvoyaient les rives du Jourdain : Avancez dans l’eau du fleuve, purifiezvous<br />

avant de recevoir <strong>la</strong> lumière, changez de vie et vous verrez Dieu ! Les gens obéissaient et<br />

entraient dans le fleuve : ils avançaient jusqu’à Jean qui versait un peu d’eau sur leur tête, inventant<br />

le baptême sans le savoir. C’est pourquoi, les gens l’avaient surnommé : Jean-Baptiste, c’est-à-dire<br />

Jean qui baptise !<br />

L’histoire de Jean avait commencé quelque trente ans plus tôt, au temps d’Hérode, roi de Judée<br />

et de Jérusalem.<br />

Les parents de Jean habitaient Ain-Karem, petit vil<strong>la</strong>ge fleuri, abrité sur le f<strong>la</strong>nc d’une colline<br />

couverte d’oliviers, à quelques kilomètres au sud de Jérusalem. Son père s’appe<strong>la</strong>it Zacharie et sa<br />

mère Élisabeth : tous deux descendaient d’une famille célèbre pour son attachement traditionnel au<br />

service du Temple. Chacun les connaissait pour leur honnêteté et leur piété. Seulement voilà :<br />

Élisabeth ne pouvait avoir d’enfant et ils avaient abandonné l’espoir d’en avoir jamais, car ils se<br />

faisaient vieux.<br />

Or, un jour que Zacharie était de service, le sort le désigna pour aller brûler l’encens dans <strong>la</strong><br />

partie <strong>la</strong> plus secrète du Temple, le Saint des Saints, fermée aux yeux de tous par une immense<br />

tenture : c’est là qu’était conservée <strong>la</strong> fameuse arche d’alliance, symbole de <strong>la</strong> présence de Dieu au<br />

milieu de son peuple depuis <strong>la</strong> sortie d'Egypte. Comme d’habitude, au moment de l’encensement, <strong>la</strong><br />

foule du peuple se tenait en prière, dehors et sur les parvis. Soudain, une voix retentit sous les voûtes<br />

du sanctuaire : Zacharie fut rempli d’effroi. Mais <strong>la</strong> voix <strong>dis</strong>ait : Ne crains rien, Zacharie. Ta<br />

demande a été exaucée. Ta femme Élisabeth t’enfantera un fils. Tu l’appelleras Jean : il sera toute ta<br />

joie et beaucoup se réjouiront de sa naissance. Dieu comptera sur lui : ton fils lui sera consacré dès<br />

sa conception. Il ramènera vers Dieu les fils d’Israël, en préparant leurs esprits et leurs cœurs à<br />

recevoir <strong>la</strong> lumière ! Ne sachant dans quelle direction regarder, Zacharie répondit : Je veux une<br />

preuve, car ma femme et <strong>moi</strong>-même sommes des vieil<strong>la</strong>rds maintenant ! - Eh bien soit ! répondit <strong>la</strong><br />

voix, puisque tu ne me crois pas, tu resteras muet jusqu’au jour où tout ce<strong>la</strong> arrivera ! » Ce fut tout.<br />

Dehors, on s’étonnait que Zacharie s’attarde si longtemps dans le Temple. Mais quand il apparut<br />

et que l’on s’aperçut qu’il ne pouvait plus parler, on comprit qu’il s’était passé quelque chose.<br />

Zacharie essaya de s’expliquer par signes, mais personne ne comprit quoi que ce soit : il termina sa<br />

période de service, puis retourna chez lui, à Aïn-Karem.<br />

Quelque temps après, Élisabeth dut admettre qu’elle attendait un enfant. Elle en fut tellement<br />

troublée, et Zacharie avec elle, qu’elle ne sortit plus de chez elle, se demandant comment tout ce<strong>la</strong><br />

al<strong>la</strong>it se terminer.<br />

Un jour, alors qu’elle était déjà enceinte de six à sept <strong>moi</strong>s, Élisabeth vit arriver chez elle sa<br />

jeune cousine Marie qui, sans crier gare, débarqua d’une caravane à <strong>la</strong>quelle elle s’était jointe une<br />

semaine plus tôt à Nazareth, et qui continuait vers Beersheba et le désert du Négev en direction de<br />

l’Égypte. À <strong>la</strong> vue de Marie, l’enfant remua pour <strong>la</strong> première fois dans le ventre d’Élisabeth.<br />

Élisabeth poussa un grand cri de joie et Marie se jeta dans ses bras, mê<strong>la</strong>nt sa propre joie à celle de<br />

sa cousine. Sans attendre, elles s’assirent sous <strong>la</strong> grande treille qui couvrait l’auvent de <strong>la</strong> maison. Et<br />

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tan<strong>dis</strong> que montait l’étoile du berger dans <strong>la</strong> soirée bleutée du printemps précoce, Marie et Élisabeth<br />

se confièrent en chuchotant les mystères et les espérances de leur maternité.<br />

Comment as-tu su que j’attendais un enfant à mon âge ? demanda Élisabeth. Oh ! Comment<br />

t’expliquer ? répondit Marie, c’est une voix que j’ai entendue il y a quelque temps chez <strong>moi</strong> à<br />

Nazareth... Cette voix me <strong>dis</strong>ait des choses extraordinaires : que Dieu était avec <strong>moi</strong>, que bientôt le<br />

fils de Dieu serait en <strong>moi</strong>, que je devrais l’appeler Jésus. Et beaucoup d’autres choses encore que je<br />

n’ai pas très bien comprises sur sa vie et sur son règne ! Comme je m’en étonnais - puisque je ne<br />

suis pas encore mariée avec Joseph -, on m’a donné comme preuve toi, ma cousine, qui, comme je le<br />

constate, attends un enfant malgré ton âge... Ah ! Élisabeth ! Que tout ce<strong>la</strong> est mystérieux, mais que<br />

je suis heureuse !<br />

Elles se serrèrent l’une contre l’autre ; pourtant Marie continua : Mais comment as-tu deviné que<br />

<strong>moi</strong> aussi j’attends un enfant : je n’en suis qu’au début ! » Alors Élisabeth, les yeux pleins de <strong>la</strong>rmes<br />

à cause de sa propre incompréhension, répondit : Marie, je n’en sais rien ! Je sais simplement que<br />

j’en suis sûre, et que le fils que tu portes est le fruit de <strong>la</strong> promesse que Dieu a faite à son peuple.<br />

Marie, j’ignore ce qui <strong>nous</strong> arrive, j’ignore ce qu’il adviendra au juste de nos enfants. Tout ceci<br />

<strong>nous</strong> dépasse : que Dieu <strong>nous</strong> protège ! Marie pencha sa tête sur l’épaule d’Élisabeth. Elles ne dirent<br />

plus rien. Élisabeth prit <strong>la</strong> main de Marie et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ça sur son ventre : l’enfant était là, bien vivant. La<br />

jeune Marie sentit monter et grandir en elle tout un peuple de souvenirs, depuis Abraham l’Araméen<br />

jusqu’au petit Jean qui remuait. Puis elle sombra dans le sommeil, vaincue par <strong>la</strong> fatigue du voyage.<br />

Marie resta avec Élisabeth jusqu’à l’accouchement. Quelle joie quand on vit que c’était bien un<br />

garçon ! Tout le vil<strong>la</strong>ge se réjouit avec Élisabeth. On prépara le baptême qui devait avoir lieu huit<br />

jours après. Tout le monde s’attendait à ce qu’on l’appelle Zacharie comme son père. Mais Élisabeth<br />

dit : Non, il s’appellera jean ! Les voisins répliquèrent : Mais dans ta famille, personne ne s’appelle<br />

Jean ! On se retourna alors vers Zacharie qui réc<strong>la</strong>ma une tablette et il écrivit sur <strong>la</strong> tablette : Jean !<br />

Et tous de s’étonner ! Mais soudain sa bouche s’ouvrit, sa <strong>la</strong>ngue se délia, et Zacharie se mit à danser<br />

et à chanter pour remercier Dieu. Vous imaginez <strong>la</strong> panique des voisins devant <strong>la</strong> cascade<br />

d’événements que l’on commenta longtemps dans les collines des alentours. Chacun se demandait :<br />

Que sera donc cet enfant ?<br />

Il se passait en effet des choses étranges.<br />

Puis tout semb<strong>la</strong> rentrer de nouveau dans l’ordre. Du <strong>moi</strong>ns pendant un certain temps.<br />

Car d’après ce qu’on dit, dès que Jean fut assez grand, il quitta <strong>la</strong> maison de ses parents pour<br />

aller dans le désert, où d’aucuns l’apercevaient de temps à autre, vêtu d’une peau de bête, priant et<br />

méditant dans le silence et <strong>la</strong> solitude. Chacun avait le sentiment que Jean se préparait à quelque<br />

chose. Mais à quoi ?<br />

Un jour, on le vit réapparaître sur les bords du Jourdain. Ce<strong>la</strong> faisait tellement longtemps qu’on<br />

ne l’avait plus vu et il s’était passé tellement de choses dans le monde ! L’empereur de Rome était<br />

maintenant un certain Tibère et le gouverneur de Judée un dénommé Ponce Pi<strong>la</strong>te, que tout le monde<br />

connaît ! Au Temple de Jérusalem, le grand prêtre s’appe<strong>la</strong>it Caïphe. En Galilée enfin où Jésus avait<br />

grandi, c’était Hérode qui avait le pouvoir.<br />

Jean sortit du désert et il arpentait les rives du fleuve, invitant avec fermeté tous ceux qui<br />

venaient l’entendre à changer de vie, pour être capables de reconnaître et d’accueillir <strong>la</strong> lumière :<br />

Préparez le chemin du Seigneur, <strong>dis</strong>ait-il, préparez-vous à voir <strong>la</strong> lumière de Dieu !<br />

Quand Jean s’adressait au peuple, aux simples, aux gens de <strong>la</strong> campagne, aux ouvriers, qui<br />

venaient l’écouter après le travail, il était doux : sa voix se faisait convaincante et apaisante. Et tous<br />

ces hommes de bonne volonté entraient dans le fleuve et se <strong>la</strong>issaient verser sur <strong>la</strong> tête l’eau de <strong>la</strong><br />

purification et de <strong>la</strong> réconciliation.<br />

Mais quand il voyait parmi <strong>la</strong> foule des gens sûrs d’eux, curieux du dernier potin, quand il<br />

voyait ces gens du clergé de Jérusalem, professeurs et aristocrates de l’argent et du pouvoir, tous ces<br />

hommes qui n’étaient pas prêts à réviser leur position et à corriger le cas échéant leur comportement<br />

ou leur manière de voir, Jean Baptiste devenait alors d’une violence verbale telle qu’il était c<strong>la</strong>ir pour<br />

tous qu’il n’en avait plus pour longtemps : Race de vipères, leur criait-il, vous n’échapperez pas au<br />

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jugement ! Changez de vie au lieu de répéter : Nous avons pour père Abraham, <strong>nous</strong> avons pour<br />

père Abraham ! Dieu peut avec ces pierres donner des enfants à Abraham ! Malheur à vous ! Déjà<br />

<strong>la</strong> hache s’attaque à vos racines : tout arbre qui ne donne pas de bon fruit va être abattu et jeté au<br />

feu.»<br />

Vous comprenez que ce genre de <strong>dis</strong>cours ne pouvait p<strong>la</strong>ire à tout le monde. Très vite, on<br />

complota pour faire <strong>dis</strong>paraître Jean. Mais beaucoup sentaient qu’il avait raison : Que devons-<strong>nous</strong><br />

faire ? demandaient-ils. Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas ! Et que<br />

celui qui a de quoi manger fasse de même ! Des employés des impôts s’approchaient de lui et Jean<br />

leur conseil<strong>la</strong> : N’exigez rien en plus de ce qui vous a été fixe ! Aux militaires, il <strong>dis</strong>ait : Ne molestez<br />

personne. Ne dénoncez pas faussement. Et contentez-vous de votre solde ! » Les gens entraient dans<br />

le fleuve. Et Jean les baptisait. Et ils repartaient transformés.<br />

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le pays était sous l’occupation romaine et que <strong>la</strong> vie n’est<br />

agréable pour personne dans ce cas-là : ni pour l’occupant toujours affronté aux révoltes et aux<br />

attentats, ni pour l’occupé dont le seul but est de jeter l’occupant hors de son pays. La popu<strong>la</strong>tion<br />

attendait de tous ses vœux quelqu’un qui libérerait le pays, prendrait le pouvoir et sauverait <strong>la</strong><br />

situation. Un homme providentiel quoi ! On <strong>dis</strong>ait « Messie » dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue du pays et « Christ » en<br />

grec, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue internationale à l’époque.<br />

Jean exerçait une telle fascination sur le petit peuple, surtout en ces temps de trouble politique,<br />

qu’on vint lui demander s’il n’était pas par hasard « celui qu’on attendait », ce Messie, ce Christ<br />

libérateur. Jean se récria aussitôt : Attention, <strong>moi</strong>, c’est dans l’eau du fleuve que je vous baptise !<br />

Quelqu’un va venir, qui est plus grand et plus fort que <strong>moi</strong> : il vous communiquera son esprit qui<br />

brûlera en vous comme un feu. C’est lui qui fera le tri entre bons et mauvais !<br />

Un beau matin, en effet, alors que Jean par<strong>la</strong>it à <strong>la</strong> foule, quelqu’un s’avança dans l’eau à sa<br />

rencontre. Jean reconnut Jésus : C’est <strong>moi</strong> qui ai besoin de toi et c’est toi qui viens à <strong>moi</strong> !? Jésus le<br />

regarda longuement. Les deux cousins se regardèrent, comme ja<strong>dis</strong>, trente ans auparavant, leurs<br />

mères avaient dû se regarder sous <strong>la</strong> tonnelle à Aïn-Karem. Le sens du mystère commençait à se<br />

révéler : Laisse-<strong>moi</strong> faire, jean. Et toi aussi, fais ce que tu as à faire. Tu verras ! Et Jean vit en effet.<br />

Tan<strong>dis</strong> que les gens s’écartaient un peu, surpris par ce conciliabule, Jésus s’inclina devant Jean<br />

qui versa l’eau sur sa tête d’une main hésitante. Et pendant que Jésus remontait du fleuve, l’espace<br />

soudain se fendit dans le silence : un grand oiseau b<strong>la</strong>nc p<strong>la</strong>na au-dessus d’eux et Jean, comme<br />

pétrifié par <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion qu’il recevait, entendit résonner, aussi fort qu’était impatiente son attente,<br />

une voix qui <strong>dis</strong>ait : Voici mon fils bien-aimé !<br />

Jean avait fermé les yeux. Combien de temps resta-t-il immobile ? Quand il les rouvrit, Jésus<br />

s’était de nouveau fondu dans <strong>la</strong> foule qui ne comprenait rien, mais continuait d’affluer autour de<br />

Jean dans le fleuve. À partir de ce jour-là, Jean envoyait à Jésus ceux qui le suivaient et<br />

l’accompagnaient. Quand on lui demandait pourquoi il faisait ce<strong>la</strong>, il répondait : Je ne suis pas le<br />

Christ, j’ai été envoyé devant lui. Maintenant qu’il est là, ma joie est à son comble : il faut qu’il<br />

gran<strong>dis</strong>se et que <strong>moi</strong> je diminue !<br />

Jean ne croyait pas si bien dire. Désormais, il devinait qu’il avait rempli son rôle et que <strong>la</strong> vie<br />

avait trouvé sens pour lui. Sa certitude lui avait ôté toute crainte ; il ne redoutait plus, s’il l’avait<br />

jamais fait, les conséquences terribles de ses invectives contre les impostures, les crimes et les<br />

injustices.<br />

Entre-temps Hérode, qui gouvernait <strong>la</strong> Galilée, avait pris pour femme Hérodiade, épouse<br />

légitime de Philippe, son frère, gouverneur de l’Iturée, une province du nord de <strong>la</strong> Galilée. Et Jean de<br />

crier sur les bords du fleuve à qui vou<strong>la</strong>it l’entendre : Hérode, tu n'as pas le droit de prendre <strong>la</strong><br />

femme de ton frère ! Il ne prenait plus de précautions : quand passait le cortège d’Hérodiade, quand<br />

Hérode partait à <strong>la</strong> chasse, quand les gardes surveil<strong>la</strong>ient le Jourdain, Jean criait à leur adresse<br />

toujours le même refrain : Hérode, tu n’as pas le droit d’avoir <strong>la</strong> femme de ton frère !<br />

Hérodiade le haïssait et elle était résolue à le liquider. Mais Hérode avait du respect pour Jean :<br />

il savait que c’était un homme juste et saint. Et il le mettait à couvert. Quand il l’entendait, il était<br />

perplexe ; pourtant il l’écoutait volontiers. Mais il avait fini par le faire arrêter à cause d’Hérodiade.<br />

59


Hérodiade attendait un jour propice pour faire exécuter Jean. Ce jour arriva. C’était<br />

l’anniversaire d’Hérode, et ce dernier donna un grand banquet à ses tribuns et à tous les hauts<br />

fonctionnaires de Galilée. Le banquet se transforma en orgie, très rapidement, sous l’influence du vin<br />

qu’Hérode aimait fort et abondant. Hérodiade avait attendu ce moment. Elle ordonna à sa fille<br />

Salomé de sauter au milieu des tables couvertes de coupes renversées et de restes de repas, et de<br />

danser au son des instruments. La jeune Salomé - elle était très belle et dansait très bien - plut à<br />

Hérode qui, dans un accès de générosité décuplé par <strong>la</strong> boisson, lui déc<strong>la</strong>ra dans une emphase<br />

décadente : Demande-<strong>moi</strong> ce que tu voudras et je te le donnerai - serait-ce <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié de mon<br />

royaume !<br />

Essoufflée, émue et décontenancée, Salomé courut à sa mère pour lui demander ce qu’elle devait<br />

répondre. Hérodiade chuchota quelques mots à l’oreille de sa fille, tan<strong>dis</strong> que toute <strong>la</strong> salle du festin<br />

retenait son souffle. Salomé s’avança alors à pas lents et souples jusque devant Hérode et déc<strong>la</strong>ra le<br />

plus fort qu’elle put de sa voix fine : Je veux que tout de suite, tu me donnes sur un p<strong>la</strong>t <strong>la</strong> tête de<br />

Jean le Baptiste !<br />

Hérode devint triste. Mais à cause de ses serments et des convives, il ne pouvait, croyait-il, se<br />

dédire. Cette demande le dégrisa. Il envoya aussitôt un garde exécuter l’ordre macabre.<br />

Jean fut décapité dans sa prison. Le garde p<strong>la</strong>ça <strong>la</strong> tête sur un p<strong>la</strong>teau. Quand il rentra dans <strong>la</strong><br />

salle du festin, Hérode n’était plus là ; le garde donna alors le p<strong>la</strong>teau à Salomé qui le remit à<br />

Hérodiade. À ce moment, tous les convives quittèrent le lieu comme un seul homme et Salomé<br />

s’enfuit en pleurant.<br />

Hérodiade se retrouva seule, les mains dégouttant de sang, face à face avec <strong>la</strong> tête de Jean-<br />

Baptiste, tan<strong>dis</strong> qu’un vent violent fit soudain s'envoler les tentures et vint soulever une dernière fois<br />

les longs cheveux roux de Jean, le dernier prophète du premier testament.<br />

60


Ceux qui payent pour les autres : Les Saints Innocents<br />

(Matthieu 2,1-18)<br />

Jésus venait de naître à Bethléem de Judée, à une dizaine de kilomètres au sud de Jérusalem où<br />

régnait le roi Hérode.<br />

Un soir se présenta devant les portes une longue caravane, riche et ruti<strong>la</strong>nte, dont le conducteur<br />

demanda aux gardes et aux douaniers : Où est le roi des juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son<br />

astre à l’Orient et <strong>nous</strong> sommes venus <strong>nous</strong> prosterner devant lui ! - Le roi des Juifs ? se demandait<br />

chacun. Quel roi des Juifs ? Les gardes répondirent : Notre roi, c’est le roi Hérode ! Nous n’en<br />

connaissons pas d’autre ! La nouvelle se répandit vite dans les rues de <strong>la</strong> capitale, amplifiée et<br />

déformée, comme il se doit en pareille circonstance. Le chef de <strong>la</strong> garde se décida à se rendre au<br />

pa<strong>la</strong>is royal pour en avertir immédiatement qui de droit. Devant <strong>la</strong> panique qu’il venait de créer, le<br />

conducteur de <strong>la</strong> caravane ne sut que penser et retourna en référer lui aussi à ses clients qui<br />

attendaient toujours, juchés sur leurs dromadaires harnachés.<br />

Ces voyageurs étaient des savants, spécialisés dans l’étude des astres et le mouvement des<br />

p<strong>la</strong>nètes : on les appe<strong>la</strong>it des « Mages ». Leur vie se passait à observer le ciel et les étoiles et à établir<br />

les cartes du firmament. Quand ils remarquaient quelque transformation dans <strong>la</strong> <strong>dis</strong>position de<br />

l’univers céleste, ils essayaient d’en interpréter le sens. Dans leurs lointains pa<strong>la</strong>is de Babylone, de<br />

Pergame et de Khartoum, Melchior, Balthazar et Gaspard avaient, une nuit, observé le même<br />

mouvement d’un nouvel astre et ils s’étaient souvenus de <strong>la</strong> parole du prophète Michée dans <strong>la</strong> Bible<br />

des juifs<br />

Et toi, Bethléem, terre de Judée<br />

Tu n’es pas <strong>la</strong> <strong>moi</strong>ndre parmi les princes de Judée<br />

Car de toi sortira un chef<br />

Qui conduira mon peuple Israël.<br />

Aussitôt, ils avaient fait leurs bagages et pris <strong>la</strong> route des caravanes, chacun vers Jérusalem.<br />

Leurs troupes s’étaient rencontrées aux portes de <strong>la</strong> capitale, là où maintenant ils al<strong>la</strong>ient camper,<br />

attendant l’indication qui leur permettrait de vérifier leur découverte.<br />

À <strong>la</strong> nouvelle de leur arrivée et de leur requête, le roi Hérode fut troublé et tout Jérusalem avec<br />

lui. Hérode fit rassembler en pleine nuit les princes des prêtres et les professeurs de Bible. Quand<br />

tout le monde fut là, il demanda, pris entre <strong>la</strong> peur et l’impatience, où devait naître le Messie, le<br />

Christ, le libérateur que les juifs attendent depuis toujours. La réponse fut unanime et terrible : À<br />

Bethléem de Judée, à quelques kilomètres de Jérusalem, car il est écrit… Et d’une seule voix,<br />

l’assemblée des princes, des prêtres et des professeurs de Bible, récita, en <strong>la</strong> psalmodiant, <strong>la</strong> parole<br />

cadencée et pleine d’espérance du prophète Michée<br />

Et toi Bethléem, terre de Judée<br />

Tu n’es pas <strong>la</strong> <strong>moi</strong>ndre parmi les princes de Judée<br />

Car de toi sortira un chef<br />

Qui conduira mon peuple Israël.<br />

Fou de rage, Hérode renvoya tout le monde. Secrètement, il dépêcha une escouade aux portes de<br />

<strong>la</strong> ville, pour inviter les Mages à se rendre à son pa<strong>la</strong>is, avant que le jour ne se lève. On trouva les<br />

Mages autour d’un brasero, occupés à échanger leurs dernières découvertes et à partager leurs<br />

espérances à propos de cet astre qui les avait conduits jusqu’à Jérusalem. Ils se levèrent aussitôt,<br />

enfourchèrent leurs montures et suivirent l’escouade d’Hérode jusqu’au pa<strong>la</strong>is royal.<br />

Les premières échoppes du bazar ouvraient quand ils <strong>la</strong>issèrent les souks pour le quartier<br />

résidentiel. L’entrevue avec Hérode fut brève. Sa nervosité les surprit. Il s’enquit de <strong>la</strong> date exacte de<br />

l’apparition du nouvel astre, leur indiqua <strong>la</strong> route de Bethléem, et, tremb<strong>la</strong>nt de fièvre, les renvoya en<br />

leur <strong>dis</strong>ant : Enquérez-vous exactement de l’enfant. Et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-<strong>moi</strong><br />

61


savoir, afin que <strong>moi</strong> aussi, j’aille me prosterner devant lui.<br />

Quand ils rejoignirent le campement, le soleil était déjà haut. Ils donnèrent ordre au conducteur<br />

de prendre <strong>la</strong> route de Bethléem. Soudain, ils reconnurent, se dép<strong>la</strong>çant devant eux dans le ciel sans<br />

nuages, l’astre qu’ils avaient observé chez eux. L’astre indiquait le sud : d’un bout à l’autre de leurs<br />

trois caravanes, Melchior, Balthazar et Gaspard s’envoyaient de grands signes de satisfaction.<br />

De Jérusalem à Bethléem, <strong>la</strong> route descend ils atteignirent leur but en <strong>moi</strong>ns de deux heures, se<br />

demandant à qui s’adresser. Mais l’astre s’était immobilisé au-dessus d’une grotte bergerie, adossée<br />

à un repli du terrain. Habitués à obéir au ciel, les trois Mages firent stopper les caravanes et mirent<br />

pied à terre. Chacun en fit autant. Tan<strong>dis</strong> que les chameliers emmenaient les montures s’abreuver, les<br />

trois Mages, aidés de leurs pages, déballèrent leurs présents.<br />

Melchior avait apporté une petite cassette d’or fin : il vou<strong>la</strong>it rendre hommage à un roi, et l’or<br />

est le seul cadeau dont un roi puisse se satisfaire.<br />

Balthazar avait apporté un coffret d’encens le plus subtil : il vou<strong>la</strong>it rendre hommage à un <strong>dieu</strong><br />

et l’encens est une marque d’adoration pour Dieu seul.<br />

Gaspard avait apporté une cassolette de myrrhe parfumée : il vou<strong>la</strong>it rendre hommage à<br />

l’éternité et <strong>la</strong> myrrhe est le baume le plus puissant pour conserver les corps.<br />

Tous les trois ensemble, ils s’approchèrent de <strong>la</strong> maison, et ils virent alors l’enfant avec Marie,<br />

sa mère. Ils tombèrent à genoux et se prosternèrent longuement devant lui. Puis ils offrirent chacun<br />

son trésor, en <strong>dis</strong>ant quelques mots dans des <strong>la</strong>ngues que Marie ne comprenait pas. Marie ne<br />

comprenait d’ailleurs absolument rien, tellement surprise de voir trois princes richement habillés se<br />

prosterner avec tant de simplicité devant elle et son fils qu’elle était en train d’al<strong>la</strong>iter, dans un<br />

misérable abri pour le bétail. Il faut avouer que le spectacle était peu ordinaire. La suite des Mages,<br />

les chameliers, le conducteur de <strong>la</strong> caravane, s’approchèrent aussi de <strong>la</strong> bergerie, intrigués et<br />

stupéfaits de ce qu’ils voyaient : des savants astronomes, à genoux dans <strong>la</strong> poussière d’un enclos de<br />

chèvres, devant un bébé à qui une femme encore adolescente donnait le sein ! Pourtant,<br />

insensiblement, ils tombèrent eux aussi à genoux, les uns après les autres, comme s’ils comprenaient<br />

qu’il se passait quelque chose et qu’au-delà de cette pauvreté apparente se jouait un événement d’une<br />

portée universelle. Bientôt toute <strong>la</strong> troupe fut subjuguée : mages, chameliers, pages, chacun dans le<br />

silence de midi honorait le roi, adorait le <strong>dieu</strong> et contemp<strong>la</strong>it l’éternité sur <strong>la</strong> terre !<br />

Le temps semb<strong>la</strong>it s’être arrêté ! Combien de temps dura <strong>la</strong> scène ? Puis l’enfant pleura et le<br />

charme fut rompu. On se releva et à reculons, chacun rejoignit sa monture. Non loin de là se trouvait<br />

le Champ des Bergers, on décida d’établir le campement pour <strong>la</strong> nuit.<br />

Vous devinez que personne n’arriva à dormir <strong>la</strong> nuit qui suivit. D’ailleurs, cette nuit fut<br />

extraordinaire : il se passait décidément des choses étranges sur cette terre de Judée.<br />

En échangeant leurs sentiments sur l’aventure qui les avait arrachés à leurs pa<strong>la</strong>is tranquilles, les<br />

Mages arrivèrent à <strong>la</strong> conclusion qu’Hérode nourrissait un p<strong>la</strong>n peu honnête à l’égard de cet enfantroi<br />

: sa nervosité, sa curiosité et sa fébrilité les avaient mis mal à l’aise. Ils décidèrent de rentrer<br />

directement chez eux par un autre chemion, sans repasser par Jérusalem.<br />

De son côté, Joseph fit un rêve. Plus exactement, il eut un songe, tan<strong>dis</strong> qu’il était allongé sur sa<br />

natte à côté de Marie qui dormait paisiblement. Une voix lui répétait avec insistance : Lève-toi,<br />

prends l’enfant et sa mère et fuis en Égypte. Et restes-y jusqu’à nouvel ordre. Hérode va chercher<br />

l’enfant pour le faire mourir. Joseph avait beau se tourner et se retourner sur sa couche, <strong>la</strong> même<br />

voix lui répétait <strong>la</strong> même chose, sans lui <strong>la</strong>isser de répit. Il commençait à avoir l’habitude de ces<br />

monitions et prémonitions, avertissements et prévisions. Au bout d’un moment, il n’y tint plus,<br />

réveil<strong>la</strong> Marie, lui dit de préparer l’enfant, ramassa quelques affaires, fit des provisions de <strong>la</strong>it, de<br />

fromages et de galettes et détacha leur petit âne. Il y instal<strong>la</strong> Marie et l’enfant, ainsi que les bagages,<br />

jeta un dernier regard sur <strong>la</strong> bergerie qui leur avait servi d’abri, de maternité et de maison, et referma<br />

<strong>la</strong> barrière derrière eux. Quelle ne fut pas alors leur surprise de voir à quelques centaines de mètres<br />

les caravanes des Mages s’ébranler elles aussi pour le voyage du retour. En quelques instants, tout<br />

était redevenu calme les voyageurs prenaient leur direction respective.<br />

62


Bethléem pensa retomber dans le silence de l’Histoire. Mais pour cette bourgade, l’Histoire<br />

avait réservé son plein d’horreur. Quand Hérode en effet s’aperçut qu’il avait été joué par les Mages,<br />

il entra dans une fureur sanguinaire, enragé d’apprendre qu’il avait un rival.<br />

Le surlendemain, il prépara une opération punitive et meurtrière contre le vil<strong>la</strong>ge de Bethléem.<br />

Au petit matin, il y eut des mouvements de troupes dans les casernes de Jérusalem. Le<br />

rassemblement eut lieu porte de Jaffa, contrôlé du haut de <strong>la</strong> tour par un Hérode qui ne respirait que<br />

massacre et extermination. Lui-même donna l’ordre de marche. On vit alors s’ébranler aux premières<br />

lueurs du jour les colonnes soldatesques les plus féroces qu’on n’ait jamais vues. Au galop, <strong>la</strong> troupe<br />

déva<strong>la</strong> les pentes du Cédron, puis remonta le Mont des Oliviers, avant de <strong>dis</strong>paraître, plein Sud,<br />

derrière les hauteurs de Béthanie. Les chevaux eux-mêmes étaient si nerveux que <strong>la</strong> poussière<br />

soulevée par leurs piaffements et leur trot ne retomba entièrement qu’une fois le soleil haut dans le<br />

ciel.<br />

À Bethléem, on ne s’attendait à rien. Les premiers habitants qui se rendirent aux fontaines<br />

entendirent bien un bourdonnement sourd et un grondement gran<strong>dis</strong>sant, dont l’écho retentissait dans<br />

les collines, mais qui pouvait se douter ! Le vil<strong>la</strong>ge s’éveil<strong>la</strong>it, les fenêtres s’ouvraient, les animaux<br />

réc<strong>la</strong>maient à manger, quand sur les hauteurs Nord apparurent les « cavaliers de l’Apocalypse »,<br />

bardés de fer et hur<strong>la</strong>nt de rage.<br />

En un instant les vil<strong>la</strong>geois comprirent. Et ce fut le massacre. Hérode avait donné l’ordre de tuer<br />

tous les enfants en-dessous de deux ans - selon le temps qu’il avait appris des Mages -, de Bethléem<br />

et des environs. Les cavaliers galopaient dans les rues et tuaient, tuaient. Les cadavres jonchaient le<br />

sol. Parfois <strong>la</strong> mère ne vou<strong>la</strong>it pas lâcher son enfant, on <strong>la</strong> tuait avec lui. Si les hommes opposaient<br />

une résistance, ils subissaient le même sort. Les cavaliers étaient couverts de sang et leurs mains<br />

gluantes col<strong>la</strong>ient à leurs g<strong>la</strong>ives dégouttants.<br />

Le massacre ne dura qu’une demi-heure. Un coup de corne rassemb<strong>la</strong> <strong>la</strong> troupe qui se reforma et<br />

repartit nettoyer les alentours.<br />

Bethléem n’était plus qu’une c<strong>la</strong>meur rouge sous le soleil, qu’un hurlement écar<strong>la</strong>te dans <strong>la</strong><br />

lumière. Bethléem n’était plus que mort dans le jour qui naissait.<br />

Bethléem pleurait ses enfants et ne vou<strong>la</strong>it pas être consolée, car ils n’étaient plus ! Ce jour-là,<br />

des innocents avaient été sacrifiés à <strong>la</strong> folie d’un tyran, tan<strong>dis</strong> que Jésus y échappait de justesse.<br />

Trente ans plus tard, cet innocent à son tour devait être sacrifié à <strong>la</strong> folie des hommes pour que le<br />

monde échappe à <strong>la</strong> justice de Dieu... . Mystère de <strong>la</strong> destinée !<br />

63


Talitha Koum : <strong>la</strong> petite ressuscitée<br />

(Marc 5,21-43)<br />

C’était l’époque où Jésus était littéralement traqué par les foules : on n’avait plus le temps de<br />

manger, à peine celui de dormir ! Tôt le matin, les gens s’assemb<strong>la</strong>ient et attendaient que Jésus leur<br />

parle, qu’il leur <strong>raconte</strong>, qu’il les guérisse : les foules vou<strong>la</strong>ient Jésus et Jésus ne se refusait jamais.<br />

Ce matin-là, devant <strong>la</strong> cohue qui se bouscu<strong>la</strong>it, Jésus avait donné l’ordre à Pierre de passer en<br />

barque de l’autre côté du <strong>la</strong>c, de Capharnaüm à Gadara. Mais, le temps qu’ils traversent, les foules<br />

s’étaient déjà reformées quand ils débarquèrent. Dans l’après-midi, Jésus et ses <strong>dis</strong>ciples s'en<br />

retournèrent à Capharnaüm.<br />

De nouveau, ils n’avaient pas plutôt touché <strong>la</strong> terre ferme qu’un des chefs de <strong>la</strong> synagogue, un<br />

nommé Jaïre, se présente à Jésus, tombe à ses pieds et se met à le supplier avec insistance : Ma petite<br />

fille est à <strong>la</strong> dernière extrémité ! Viens lui imposer tes mains, afin qu’elle soit guérie, qu’elle vive !<br />

Devant <strong>la</strong> peine de cet homme, Jésus fut ému. Il suivit Jaïre, tan<strong>dis</strong> que <strong>la</strong> foule, s’épaississant<br />

encore, se pressait contre eux, curieuse et insatiable.<br />

Pendant que Jaïre et Jésus avançaient avec peine, une femme hémoroïsse (atteinte d’un flux de<br />

sang depuis douze ans) réussit à se rapprocher d'eux. (Elle avait beaucoup souffert du fait de<br />

nombreux médecins, et avait dépensé tout son avoir sans aucun profit). Cette femme donc, apprenant<br />

que Jésus passait par là, se mê<strong>la</strong> à <strong>la</strong> foule, vint par l’arrière et toucha son vêtement : Si seulement<br />

j’arrive à le toucher, je serai guérie ! Et effectivement, elle sentit aussitôt qu’elle ne perdait plus son<br />

sang et qu’elle était délivrée de son infirmité.<br />

Aussitôt Jésus, sentant qu’une force sortait de lui, se retourna au milieu de <strong>la</strong> foule et cria : Qui a<br />

touché mon vêtement ?<br />

Les <strong>dis</strong>ciples trouvèrent qu’il exagérait : Comment ? Tu vois <strong>la</strong> foule qui te presse de tous côtés,<br />

près de te renverser, toi avec <strong>nous</strong>, et tu demandes qui t’a touché ! Mais Jésus ne tenait pas compte<br />

de leur réflexion. De sa haute stature, il regardait autour de lui, cherchant à savoir qui avait fait ce<strong>la</strong>.<br />

La femme, effrayée et tremb<strong>la</strong>nte, sachant bien ce qui lui était arrivé, se présenta, tomba à ses pieds<br />

et lui dit toute <strong>la</strong> vérité.<br />

Jésus <strong>la</strong> releva : Ma fille, ta foi t’a sauvée, va en paix et sois guérie de ton infirmité ! Il par<strong>la</strong>it<br />

encore, qu’un homme se présenta de chez le chef de <strong>la</strong> synagogue : un serviteur essoufflé, les yeux<br />

remplis de <strong>la</strong>rmes, qui annonce : Ta fille est morte, maître ! Inutile d’importuner plus longtemps<br />

Jésus ! - N’aie pas peur, Jaïre, rétorque aussitôt Jésus, fais-<strong>moi</strong> confiance !<br />

Prenant avec lui, Pierre, Jacques et Jean, il se rend aussitôt chez Jaïre, ne permettant à personne<br />

d’autre de l’accompagner. Arrivé devant <strong>la</strong> maison du chef de <strong>la</strong> synagogue, il aperçoit les<br />

pleureuses des gens, bruyantes et démonstratives. Ils entrent dans <strong>la</strong> maison et Jésus assène d’une<br />

voix forte : Pourquoi cette rumeur et ces <strong>la</strong>mentations ? L’enfant n’est pas morte : elle dort ! Ce qui<br />

n’entraîna que moqueries de <strong>la</strong> part de tous.<br />

Jésus demande alors aux <strong>dis</strong>ciples de faire évacuer, puis il se tourne vers les parents de l’enfant<br />

et leur demande de monter avec lui jusqu’à <strong>la</strong> chambre où reposait l’enfant. Les parents ne pleuraient<br />

plus, les <strong>dis</strong>ciples retenaient leur souffle. Jésus s’approche de l’enfant, lui prend doucement <strong>la</strong> main<br />

et lui ordonne avec fermeté : Talitha Koum ! - Petite, lève-toi ! Aussitôt, <strong>la</strong> petite se leva et se mit à<br />

marcher dans <strong>la</strong> pièce. Elle avait douze ans.<br />

Jaïre et sa femme étaient frappés de stupeur : leurs yeux al<strong>la</strong>ient de Jésus à <strong>la</strong> petite, de <strong>la</strong> petite<br />

aux <strong>dis</strong>ciples, des <strong>dis</strong>ciples à Jésus. Jésus les réconforta et leur recommanda avec insistance de ne<br />

pas en parler autour d’eux. Puis il les quitta.<br />

En descendant l’escalier, il se retourna soudain et dit aux parents : Donnez-lui quelque chose à<br />

manger: elle doit avoir faim ! Alors seulement il se retira.<br />

64


L’épileptique possédé : Le garçon remis debout<br />

(Marc 9,14-29)<br />

Jésus redescendait de <strong>la</strong> montagne du Thabor, en compagnie de Pierre, Jacques et Jean. Les trois<br />

<strong>dis</strong>ciples ne <strong>dis</strong>aient mot : ils étaient encore sous le coup de ce dont ils avaient été té<strong>moi</strong>ns ce matinlà,<br />

quand jésus s’était entretenu avec Moïse et le prophète Elie, soudain apparus comme je vous vois.<br />

Pierre se souvenait de sa réflexion dép<strong>la</strong>cée (il vou<strong>la</strong>it p<strong>la</strong>nter trois tentes sur <strong>la</strong> montagne !) ; quant<br />

à Jacques et à Jean, ils ne pouvaient oublier l’éc<strong>la</strong>t insoutenable qui irradiait de Jésus à ce momentlà.<br />

Jésus avait été transfiguré : il leur avait montré un visage inimaginable !<br />

Chacun se taisait : dans ce cas, mieux va<strong>la</strong>it se taire pour éviter de dire des bêtises. Ils avaient<br />

essayé d’engager une <strong>dis</strong>cussion à propos d’Elie dont on <strong>dis</strong>ait qu’il devait revenir sur terre ; mais<br />

devant les réponses déconcertantes de Jésus, ils avaient renoncé.<br />

Ils n’étaient d’ailleurs plus très loin du lieu de rendez-vous fixé avec les autres compagnons.<br />

Ceux-ci étaient entourés de pas mal de monde et l’on entendait de loin assez de bruit pour<br />

comprendre que tous prenaient part à un débat animé ; on les voyait faire de grands gestes, brandir le<br />

poing. On <strong>dis</strong>tinguait même quelques spécialistes de religion avec leurs manteaux bien particuliers.<br />

Soudain, dans <strong>la</strong> foule remuante, quelqu’un dut se retourner et apercevoir jésus, car, en un clin d’œil,<br />

tout ce monde abandonna <strong>la</strong> <strong>dis</strong>cussion et se précipita à sa rencontre pour le saluer. Jésus demanda<br />

alors tout naturellement : À propos de quoi étiez-vous en train de vous <strong>dis</strong>puter ? Quelqu’un dans <strong>la</strong><br />

foule répondit : Maître, je t’ai amené mon fils. Il ne peut parler, il doit être possédé car, vois-tu,<br />

parfois il est pris de je ne sais quel mal, il se jette à terre, écume, grince des dents et devient tout<br />

raide. J’ai demandé à tes <strong>dis</strong>ciples de délivrer mon fils, ils n’ont pas pu. »<br />

Jésus changea de visage, mais, cette fois-ci, on n’y lisait plus <strong>la</strong> gloire de <strong>la</strong> transfiguration, mais<br />

plutôt l’exaspération de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ssitude : Vous ne croyez donc à rien. À qui s'adressait-il exactement ? À<br />

ses <strong>dis</strong>pciples? À tout le monde? Jusqu’à quand faudra-il que je reste avec vous ! Jusqu’à quand<br />

devrai-je vous supporter ?... Amenez-<strong>moi</strong> cet enfant.<br />

Les gens s’écartèrent. Alors apparut un visage que des crises répétées avaient émacié et tordu.<br />

Le corps lui-même et les vêtements té<strong>moi</strong>gnaient de <strong>la</strong> violence des accès : des marques de toutes<br />

sortes, des p<strong>la</strong>ies fermées puis rouvertes, des ecchymoses encore toutes fraîches. À <strong>la</strong> vue de jésus,<br />

l’enfant s’immobilisa soudain, puis fut secoué de hoquets et, tombant à terre d’une seule masse, il se<br />

rou<strong>la</strong>it en écumant.<br />

Jésus se retourna vers son père : Depuis quand est-il sujet à ce genre de crises ? - Depuis sa plus<br />

tendre enfance ! répondit l’homme, qui éc<strong>la</strong>ta en sanglots : Souvent il se jette dans le feu, dans l’eau,<br />

au risque de se tuer ! Puis soudain, changeant de ton et s’agrippant aux mains de Jésus, il se jeta à<br />

genoux et cria dans ses <strong>la</strong>rmes : Mais si toi tu peux quelque chose, viens à notre aide, aie pitié de<br />

<strong>nous</strong> ! Jésus baissa les yeux vers lui et reprit : Si tu peux… Tout est possible à celui qui<br />

croit ! Aussitôt le père de l’enfant s'écria, fou de douleur : Je crois, je crois. Mais viens en aide à<br />

mon peu de foi !<br />

Entre-temps, <strong>la</strong> foule avait grossi. On se pressait pour voir. Maintenant un grand silence s’était<br />

fait. Le regard de tous ces pauvres gens était animé par quelque chose qui n’était plus seulement de<br />

<strong>la</strong> curiosité : ils attendaient, espéraient, vou<strong>la</strong>ient quelque chose. Au plus profond de leur dénuement<br />

et de leur misère, ils exigeaient de celui qui se <strong>dis</strong>ait l’ami des pauvres et des reclus de <strong>la</strong> terre, qu’il<br />

le prouve !<br />

Jésus l’avait compris, lorsqu’il avait jeté sur <strong>la</strong> foule des visages un grand regard circu<strong>la</strong>ire.<br />

Alors il leva quelques secondes les yeux au ciel, puis d’une voix impérative et autoritaire, il dit<br />

Qui que tu sois qui tourmentes cet enfant, je te l’ordonne sors de lui et ne reviens plus jamais !<br />

L’enfant fut pris de convulsions comme jamais il ne l’avait été jusque-là : il hur<strong>la</strong>it, crachait, se<br />

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tordait, au point qu’on craignit pour sa vie. Son père, regardant son fils et Jésus, regrettait déjà sa<br />

démarche, quand aussi subitement que ce<strong>la</strong> avait commencé, tout s’arrêta : l’enfant gisait maintenant<br />

comme mort, immobile et pâle, au milieu de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce b<strong>la</strong>nche de soleil. Les gens commençaient à<br />

reculer d’horreur devant ce dénouement. Mais Jésus se baissa vers l’enfant, le prit par <strong>la</strong> main, le<br />

releva et celui-ci se tint debout, tout seul.<br />

Laissant alors l’enfant à sa libération, le père à sa joie et les gens à leur surprise, Jésus fendit <strong>la</strong><br />

foule et s’éloigna, suivi des <strong>dis</strong>ciples éberlués et frappés de stupeur.<br />

Ils se retirèrent tous dans une maison voisine ; alors seulement, quelqu’un demanda à jésus<br />

Pourquoi, <strong>nous</strong>, n’avons-<strong>nous</strong> pas pu guérir cet enfant ? Avant de répondre, Jésus termina d’avaler<br />

<strong>la</strong> bouchée de pain qu’il venait de prendre. Son regard se porta sur chacun des <strong>dis</strong>ciples, l’un après<br />

l’autre, avec insistance, comme s’il vou<strong>la</strong>it faire de sa réponse une réponse pour chacun en<br />

particulier. Enfin il se décida à dire, dans une atmosphère devenue épaisse : Parce que vous n’avez<br />

pas su le demander à Dieu !<br />

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Le jeune qui sauve <strong>la</strong> situation<br />

L’enfant de <strong>la</strong> multiplication des pains<br />

(Jean 6, 1-14)<br />

Jésus venait d’avoir une vive <strong>dis</strong>cussion avec un certain nombre de spécialistes de <strong>la</strong> loi et de <strong>la</strong><br />

religion : il n’avait pas mâché ses mots, comme d’habitude, et ce<strong>la</strong> les avait d’autant plus excités. Il<br />

s’agissait du sabbat cette fois-ci, et de <strong>la</strong> liberté souveraine que Jésus s’accordait, même le sabbat,<br />

pour faire le bien autour de lui, guérissant l’un ou sou<strong>la</strong>geant l’autre. Ce<strong>la</strong> ne p<strong>la</strong>isait pas à tout le<br />

monde, parce qu’un tel comportement n’était pas habituel : c’est ce que <strong>dis</strong>aient ceux que l’activité<br />

de jésus dérangeait dans leurs habitudes, leurs certitudes, leurs attitudes codifiées et normalisées une<br />

fois pour toutes.<br />

Jésus voulut se retirer pour se reposer, réfléchir et prier. Avec tout ce qui se passait, on n’avait<br />

plus le temps de faire quoi que ce soit.<br />

Il appe<strong>la</strong> Pierre, lui demanda de mettre sa barque à l’eau; les <strong>dis</strong>ciples y montèrent et toute <strong>la</strong><br />

petite troupe traversa le <strong>la</strong>c de Génésareth, qu’on appelle aussi <strong>la</strong>c ou mer de Tibériade ou de Galilée.<br />

Les gens, pas fous, voyant que Jésus al<strong>la</strong>it leur échapper, suivirent <strong>la</strong> barque en longeant le rivage<br />

nord jusqu’à l’endroit où Jésus al<strong>la</strong>it débarquer. Ce<strong>la</strong> faisait quand même une vingtaine de kilomètres<br />

à pied. Mais rien n’arrête <strong>la</strong> foule quand elle veut quelque chose.<br />

Si bien que Jésus et les Douze n’avaient pas plutôt gravi <strong>la</strong> colline qui surplombe <strong>la</strong> côte, que<br />

déjà au loin, sur le rivage, on pouvait voir arriver les plus rapides de ceux qui vou<strong>la</strong>ient absolument<br />

voir et entendre jésus.<br />

Comme <strong>la</strong> Pâque était proche et que beaucoup se préparaient à <strong>la</strong> célébrer, il y avait grande<br />

attente dans le peuple. En une demi-heure, <strong>la</strong> colline fut noire de monde : des hommes, des femmes,<br />

des enfants, que <strong>la</strong> parole de Jésus avait ce matin-là détournés de leur route et qui, sans s’inquiéter de<br />

l’heure ni de rien, s’étaient spontanément mis à le suivre de l’autre côté de <strong>la</strong> mer.<br />

Il ne fal<strong>la</strong>it plus songer à se reposer ni à réfléchir. Et puis il était midi passé. Ces gens n’avaient<br />

rien mangé depuis le matin, peut-être rien mangé du tout. La foule grossissait de minute en minute.<br />

Jésus aperçut Philippe à sa droite : Où va-t-on acheter du pain pour nourrir tous ces gens ? Il y<br />

avait une drôle d’intonation dans <strong>la</strong> voix de Jésus. Philippe le remarqua aussitôt. Philippe eut comme<br />

l’impression que Jésus savait très bien ce qu’il al<strong>la</strong>it faire, mais qu’il lui posait <strong>la</strong> question, histoire<br />

de le tester un peu ! Philippe ne se démonta pas et répondit sur le même ton : Même avec 5 000<br />

francs, on n’arriverait pas à donner quelque chose à chacun ! André, le frère de Pierre, qui avait<br />

entendu <strong>la</strong> conversation, se permit de faire remarquer à Jésus et à Philippe qui échangeaient des<br />

regards entendus : Il y a bien un jeune qui a cinq pains et deux poissons : mais il y a tant de monde !<br />

Jésus baissa alors les yeux : Philippe sut qu’il al<strong>la</strong>it se passer quelque chose. Tan<strong>dis</strong> que Jésus<br />

restait comme prostré, le front dans une main, immobile et absent au beau milieu de <strong>la</strong> foule avide, il<br />

chercha des yeux le jeune garçon aux cinq pains et aux deux poissons. D’un signe, il l’invita à<br />

s’approcher d’eux.<br />

Le jeune avança aussitôt. Il était très intrigué par toute cette histoire : <strong>la</strong> foule, Jésus assis par<br />

terre, cet homme qui lui demandait d’ouvrir son baluchon, où apparurent les minuscules galettes et<br />

les pauvres Saint-Pierre du <strong>la</strong>c. Le jeune pensa qu’il aurait mieux fait de ramener chez lui les<br />

commissions à sa mère (qui, entre parenthèses, devait se faire un mauvais sang de tous les diables en<br />

ne le voyant pas revenir à <strong>la</strong> maison) : il avait envie de tout remballer sans un mot et de s’en<br />

retourner, mais il sentait qu’il devait rester et que, d’une certaine façon, <strong>la</strong> suite dépendait un peu de<br />

lui.<br />

Il observa alors Philippe qui comptait et recomptait les pains et les poissons, pensant ainsi peutêtre<br />

les multiplier. Il observa André qui l’avait découvert et qui maintenant, les bras bal<strong>la</strong>nts, ne<br />

savait plus ce qu’il devait faire. Il observa enfin Jésus qui vraiment l’intriguait : il était là, comme s’il<br />

s’était trouvé en plein désert seul entre ciel et terre.<br />

Sentant qu’on l’observait, Jésus releva <strong>la</strong> tête et son regard rencontra celui du jeune qui ne<br />

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oncha pas. Au contraire, c’est le visage de Jésus qui s’éc<strong>la</strong>ira, oubliant toute fatigue et toute<br />

<strong>la</strong>ssitude. Le jeune esquissa un sourire, ce qui fit sourire Jésus à son tour. Comme lorsqu’on se<br />

comprend, sans mot dire ! Oh oui ! semb<strong>la</strong>ient demander les yeux du jeune. Eh bien soit ! semblèrent<br />

répondre ceux de jésus, au moment où il se relevait.<br />

Faites asseoir tous ces gens convenablement ! commanda Jésus aux <strong>dis</strong>ciples en s’approchant<br />

du jeune. Jésus posa sa main sur son épaule, tan<strong>dis</strong> qu’il jaugeait <strong>la</strong> foule du regard. Il y avait des tas<br />

de gens sur cette colline au bord du <strong>la</strong>c.<br />

Tout le monde était assis, même les apôtres qui attendaient les ordres. Seuls Jésus et le garçon<br />

étaient droits, côte à côte, dans <strong>la</strong> lumière b<strong>la</strong>nche de midi. C’était très beau. Tout le monde<br />

regardait. Le jeune pensait à sa mère qui aurait été si fière de cette scène. Peut-être Jésus pensait-il,<br />

lui aussi, à sa mère du côté de Nazareth, à une cinquantaine de kilomètres de là ; mais surtout il<br />

s’appuyait sur l'enfant pour demander à Dieu de faire éc<strong>la</strong>ter sa puissance. Une fois de plus.<br />

Tout se passa ensuite comme al<strong>la</strong>nt de soi : le jeune passait un pain et un poisson à Jésus qui les<br />

donnait à ceux qui étaient autour de lui ; les gens eux-mêmes se passaient entre eux pains et<br />

poissons. Et le jeune prenait toujours dans son baluchon, Jésus passait toujours aux gens qui toujours<br />

faisaient suivre, jusqu’à ce que chacun eût de quoi se rassasier en abondance.<br />

Lorsque chacun eut reçu de quoi, il restait tellement de pains et de poissons que Jésus dit aux<br />

<strong>dis</strong>ciples de les ramasser pour que rien ne se perde : on arriva à remplir douze paniers de tout ce qui<br />

« restait » des galettes de départ. Quand le jeune se pencha vers son baluchon, il remarqua qu’il y<br />

avait toujours les cinq pains et les deux poissons qu’il avait achetés le matin même avant cette<br />

aventure. Il leva alors les yeux vers Jésus…<br />

Mais Jésus était déjà loin : il l’aperçut qui s’éloignait à grandes enjambées vers <strong>la</strong> montagne.<br />

Seul.<br />

La foule s’égail<strong>la</strong>it déjà rassasiée et satisfaite. Les Douze étaient occupés à répartir les paniers,<br />

le jeune n’arrivait pas à se décider à partir : Jésus n’était plus qu’un point parmi les cailloux de <strong>la</strong><br />

montagne.<br />

C’est Philippe qui, lui touchant l’épaule, l’arracha à son rêve : Pourquoi ? » demanda le jeune.<br />

Philippe <strong>la</strong>issa tomber ses bras et hochant <strong>la</strong> tête balbutia : Je ne sais pas. Mais il faut le <strong>la</strong>isser seul<br />

maintenant, viens !<br />

Le jeune garçon frotta ses yeux mouillés. Et s’en retourna aux côtés de Philippe. Il sentait dans<br />

sa poitrine à <strong>la</strong> fois une grande joie et un grand chagrin !<br />

Allez comprendre quelque chose à ce<strong>la</strong> !<br />

Budapest, août 1979.<br />

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TROISIÈME PARTIE<br />

SITUATIONS<br />

Les vingt textes de cette troisième série illustrent d’une façon analogue à <strong>la</strong> série précédente<br />

(Les Enfants des Testaments) un autre mode de traitement du matériau narratif biblique : ici, des<br />

situations existentielles que certaines figures archétypiques, c’est-à-dire exemples réels de<br />

comportements vécus 1 , incarnent d’une manière éminemment référentielle pour les attitudes<br />

fondamentales en matière d’expérience de foi.<br />

Le terme de « situation » veut rendre cette espèce de topographie de l’expérience : il s’agit à<br />

chaque fois d’un être particulier, affronté de façon spécifique à un événement le concernant<br />

personnellement. La valeur, référentielle pour <strong>nous</strong>, de sa « situation » à lui vient du fait que son<br />

expérience est pour <strong>nous</strong> aujourd’hui, non seulement exemp<strong>la</strong>ire en matière de foi, mais fondatrice,<br />

dans le sens où le croyant est autorisé à dire à son tour Mon père était un Araméen nomade.<br />

Qu’il s’agisse ainsi de nos pères dans <strong>la</strong> foi (Abraham, Jacob, Moïse, l’Ecclésiaste), de l’attitude<br />

de Dieu à l’égard de son peuple (chez Isaïe et Osée), des enseignements (paraboles), des rencontres<br />

(Nicodème et <strong>la</strong> Samaritaine) ou des propres expériences de Jésus (son échec à Nazareth), ces<br />

situations ba<strong>la</strong>ient de leurs multiples faisceaux les aventures phylo- et ontogénétiques de l’homme et<br />

de Dieu.<br />

À <strong>la</strong> différence des traitements précédents, celui-ci a essayé de suivre verset par verset les<br />

rapports bibliques : il ne s’en est écarté qu’après un choix délibéré (que l’on remarquera en fonction<br />

du contexte) ou quand <strong>la</strong> nécessité s’imposait, pour une meilleure compréhension de <strong>la</strong> part de<br />

l’utilisateur, de rep<strong>la</strong>cer <strong>la</strong> péricope dans sa toile de fond socioculturelle ou/et événementielle.<br />

-------------------------------------------------------<br />

1. Et non archétypales », c’est-à-dire illustrations mythiques de comportements structuraux.<br />

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Confusion<br />

(Genèse 11, 1-9)<br />

C’était tout à fait au début. Juste après le déluge, dont seule <strong>la</strong> famille Noé avait réchappé. Vous<br />

vous souvenez ? Les trois fils de Noé - Sem, Cham et Japhet -, se multiplièrent. C’est à cette époque<br />

que les peuples se <strong>dis</strong>persèrent sur toute <strong>la</strong> terre. Ce<strong>la</strong> dura longtemps, mais l’histoire rapporte que<br />

tout le monde se servait à cette époque-là d’une même <strong>la</strong>ngue et des mêmes mots. Allez savoir !<br />

Les c<strong>la</strong>ns, les tribus, les nations avaient l’habitude de se dép<strong>la</strong>cer c’était des nomades. Avec<br />

leurs tentes, ils al<strong>la</strong>ient toujours là où se trouvait de l’eau. Car ils avaient d’immenses troupeaux,<br />

dont l’herbe était <strong>la</strong> seule nourriture.<br />

Et voici qu’en se dép<strong>la</strong>çant vers l’Orient, vers l’Est donc, ils trouvèrent une merveilleuse vallée<br />

abondamment arrosée et particulièrement fertile, c’était au pays de Shinéar. Les chefs tinrent conseil<br />

longtemps, au pied des tentes ; puis ils décidèrent de n’être plus nomades, mais de s’établir et de<br />

s’installer.<br />

C’était un grand changement ! Une nouvelle civilisation al<strong>la</strong>it naître, une nouvelle culture, un<br />

nouveau genre de vie ! Leur existence informe jusque-là al<strong>la</strong>it prendre consistance, elle al<strong>la</strong>it<br />

s’organiser, se structurer, se renforcer et se développer de plus en plus vite. Les hommes et les<br />

femmes du désert sentaient monter en eux d’abord une grande fierté pour avoir pris cette décision,<br />

puis un grand orgueil devant toutes les possibilités qu’ils entrevoyaient pour l’avenir.<br />

L’un d’eux, plus influent que les autres chefs, dit un jour, en pleine pa<strong>la</strong>bre du conseil : Faisons<br />

des briques ! Cuisons-les au feu ! Utilisons-les comme des pierres ! Récoltons du bitume et servons<strong>nous</strong>-en<br />

comme mortier ! Allons ! Bâtissons-<strong>nous</strong> une ville, et au milieu, élevons une tour, une tour<br />

très haute, dont le sommet pénétrera jusque dans les cieux ! Nous sommes forts désormais. Nous<br />

deviendrons plus forts encore. Faisons-<strong>nous</strong> un nom. Rassemblons-<strong>nous</strong>. Ne soyons plus <strong>dis</strong>persés<br />

sur toute <strong>la</strong> terre ! Nous voulons <strong>nous</strong> suffire à <strong>nous</strong>-mêmes.<br />

Ces paroles soulevèrent un irrésistible enthousiasme dans les popu<strong>la</strong>tions. Tous les soirs, et tard<br />

dans <strong>la</strong> nuit, au pied des tentes, autour des feux, sous le ciel turquoise de <strong>la</strong> vallée bienheureuse, les<br />

conversations al<strong>la</strong>ient bon train, les idées germaient, les désirs s’exaspéraient de voir enfin se bâtir <strong>la</strong><br />

ville, <strong>la</strong> première, et au milieu, <strong>la</strong> tour, qui irait signifier à Dieu, qu’on n’avait plus besoin de lui !<br />

Et avec un grand acharnement, les nations bédouines se mirent au travail.<br />

Mais Dieu, qui de toute façon se doute de tout, sans jamais douter de rien ni de personne,<br />

descendit pour voir de près <strong>la</strong> ville et, en son milieu, <strong>la</strong> tour que les hommes avaient bâtie.<br />

Dieu s’écria en lui-même : Mon Dieu ! Regardez-<strong>moi</strong> ça ! Ils ont profité d’être un seul peuple et<br />

de parler une seule <strong>la</strong>ngue pour se <strong>la</strong>ncer dans cette entreprise de provocation et de démesure ! Ils<br />

ont fini par croire qu’ils peuvent tout, que tout est réalisable pour eux et qu’il n’y a plus de limite à<br />

leurs desseins ! Pourquoi se révoltent-ils ainsi contre ce que je suis et qu’ils ne seront jamais :<br />

Dieu ! C’est <strong>la</strong> vieille histoire d’Adam qui recommence, mais à <strong>la</strong> puissance n cette fois ! Et cette<br />

fois encore, il faut que je les sauve d’eux-mêmes. S’ils restent ensemble comme ça, ils vont finir par<br />

prendre leurs désirs pour <strong>la</strong> réalité ! Je vais faire en sorte qu’ils ne se comprennent plus, je vais<br />

inventer les <strong>la</strong>ngues étrangères ! »<br />

Et en effet : voilà qu’ils ne se comprenaient plus. Chacun par<strong>la</strong>it une autre <strong>la</strong>ngue. Ils avaient<br />

beau crier, répéter, écrire : personne ne comprenait plus personne. Ce qui entraîna bien sûr des<br />

malentendus ! Au point qu’un beau matin, ils se <strong>dis</strong>persèrent à nouveau, chaque c<strong>la</strong>n, chaque tribu,<br />

chaque nation prenant une route différente, une direction différente, une destinée différente.<br />

Ils cessèrent de bâtir <strong>la</strong> ville avec l’immense tour qui resta en p<strong>la</strong>n. Cette ville, ils l’appelèrent<br />

Babel, et cette tour devint <strong>la</strong> tour de Babel, car Babel signifie <strong>la</strong> confusion.<br />

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L’épreuve d’Abraham<br />

(Genèse 22, 1-19)<br />

Abraham était déjà très âgé quand il avait quitté son pays du Golfe Persique, pour venir du côté<br />

de <strong>la</strong> Mer Méditerranée. Après pas mal de péripéties, que je vous <strong>raconte</strong>rai peut-être une autre fois,<br />

il avait fini par s’installer à Beersheba, au premier puits du désert du Negev. Sous les tamaris qu’il<br />

avait p<strong>la</strong>ntés, <strong>la</strong> vie s’écou<strong>la</strong>it très douce, surtout depuis que Dieu avait donné à ses cent ans un fils<br />

de Sara, jusque-là stérile. Personne n’y avait cru quand on avait dû reconnaître que Sara était<br />

vraiment enceinte. Quand Isaac arriva, Abraham se sentit redevenir jeune homme tout à fait, on dit<br />

même que Sara redevenait coquette !<br />

Abraham se rappe<strong>la</strong>it toutes les promesses que Dieu lui avait répétées depuis ce soir ja<strong>dis</strong> où, sur<br />

<strong>la</strong> terrasse de sa maison chaldéenne, sa vie avait pris un nouveau tournant : Isaac était bien le fils de<br />

cette Promesse, le fils de l’espérance qui ne trompe pas, le fils de <strong>la</strong> foi qui fait tout accepter, sinon<br />

tout comprendre.<br />

Sous les tamaris, Isaac jouait, Sara préparait des galettes, Abraham songeait en se lissant <strong>la</strong><br />

barbe. Soudain Abraham se releva et une force irrésistible le poussa jusqu’à l’orée du désert.<br />

Abraham aimait le désert : c’était sa vie ! Il fit quelques pas dans le sable du soir, il eut comme un<br />

pressentiment. Il savait qu’il al<strong>la</strong>it - encore ! -, lui arriver quelque chose. Un vent léger caressait en<br />

siff<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> crête des dunes et gonf<strong>la</strong>it les pans de son <strong>la</strong>rge manteau. Il était seul face à l’horizon.<br />

Mais ce fut comme un coup de tonnerre. Et ce<strong>la</strong> recommença : Abraham ! - Me voici ! - Prends ton<br />

fils, ton fils unique Isaac que tu aimes et rends-toi au pays de Morya, (l’actuelle Jérusalem) et tu<br />

m’offriras ton fils en holocauste sur <strong>la</strong> hauteur que je t’indiquerai ! Ce fut tout.<br />

Abraham eut soudain très froid. D’un geste machinal, il rabattit sa capuche sur les yeux et<br />

resserra les pans de son manteau. Est-ce qu’il glissa ? Le fait est qu’il se retrouva, prostré, <strong>la</strong> tête<br />

contre le sable. Il gémissait.<br />

Il dut rester ainsi un bon moment. Ce furent les appels d’Isaac et de Sara qui le ramenèrent à <strong>la</strong><br />

réalité : Abba, Abba (c’est-à-dire, Papa, Papa) criait Isaac. Abraham, Abraham ! appe<strong>la</strong>it Sara. Il se<br />

releva avec une agilité surprenante, épousseta les plis de son manteau, rejeta sa capuche en arrière, se<br />

tint droit devant le ciel, puis semb<strong>la</strong> s’incliner profondément, comme quand on se retire de <strong>la</strong><br />

présence de quelqu’un.<br />

Abraham rentra sous sa tente : son allure et son visage retinrent Isaac et Sara de l’approcher et<br />

de lui parler. Il se coucha et s’endormit.<br />

Le lendemain matin, Abraham sel<strong>la</strong> son âne ; il prit avec lui deux de ses serviteurs ainsi<br />

qu’Isaac, fendit du bois pour l’holocauste et partit pour Morya. Comme il ne desserrait pas les lèvres,<br />

personne n’osait lui adresser <strong>la</strong> parole. Vous imaginez quel voyage ce fut ! À chaque halte, Abraham<br />

s’asseyait à cent pas des tentes et restait là, immobile, jusqu’à ce que chacun dorme. Puis il al<strong>la</strong>it<br />

s’étendre un peu.<br />

Le troisième jour, on arriva en vue du mont Morya : Restez ici avec l’âne, dit-il à ses serviteurs ;<br />

<strong>moi</strong> et l’enfant, <strong>nous</strong> irons jusque là-haut pour adorer ; <strong>nous</strong> reviendrons ensuite. Abraham prit le<br />

bois de l’holocauste et le chargea sur son fils Isaac ; lui-même prit le feu et le couteau et ils s’en<br />

allèrent tous deux.<br />

Au bout de quelques instants, Isaac s’enhardit à demander : Papa - Oui, mon fils ! - Nous avons<br />

bien le feu et le bois, mais où est <strong>la</strong> brebis pour l’holocauste ? - Dieu se pourvoira lui-même de <strong>la</strong><br />

victime pour l’holocauste, mon fils, répondit Abraham, <strong>la</strong> voix cassée. Et ils continuèrent d’avancer.<br />

Quand ils furent parvenus à l’endroit que Dieu avait indiqué, Abraham dressa l’autel, <strong>dis</strong>posa le<br />

bois, lia Isaac, et le p<strong>la</strong>ça sur l’autel, à même le bois. Puis il tendit <strong>la</strong> main et saisit le couteau pour<br />

égorger son fils.<br />

Le ciel, muet jusqu’ici, se déchira soudain dans un formidable fracas. Abraham ! Abraham ! -<br />

Me voici - Ne porte pas <strong>la</strong> main sur l’enfant et ne lui fais rien. Je sais maintenant que tu aimes Dieu,<br />

puisque tu ne m’as pas refusé ton fils unique. Le bras d’Abraham retomba, mais sa main n’avait pas<br />

71


lâché le couteau. Il se retourna et aperçut derrière lui un bélier qui s’était pris les cornes dans un<br />

buisson. Il s’empressa de le saisir et l’offrit en holocauste à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de son fils. Abraham appe<strong>la</strong> cet<br />

endroit Providence.<br />

En redescendant de <strong>la</strong> montagne, <strong>la</strong> main sur l’épaule d’Isaac qui préférait ne rien dire parce<br />

qu’il ne comprenait plus rien, Abraham entendait résonner dans ses oreilles des paroles qu’il<br />

entendait déjà depuis trente ans au <strong>moi</strong>ns et que seule sa foi lui avait fait accepter : À cause de ce que<br />

tu as fait, je te bénirai, je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel. Les étoiles du ciel,<br />

répétait Abraham à haute voix, et comme le sable du littoral. Le sable, le sable, chantonnait<br />

Abraham. Et toutes les nations de <strong>la</strong> terre souhaiteront d’être bénies comme ta descendance, parce<br />

que tu as obéi à ma voix !<br />

Abraham répéta à Isaac, comme en écho, après que <strong>la</strong> voix se fût tue : L’obéissance de <strong>la</strong> foi,<br />

l’obéissance de <strong>la</strong> foi, retiens ça mon fils !<br />

On retrouva les serviteurs et l’on regagna Beersheba, où Abraham put enfin s’installer. Oui,<br />

enfin !<br />

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Le marché de Jacob<br />

(Genèse 28, 10-21)<br />

Abraham avait eu un fils de Sara, Isaac. Et Isaac avait eu des jumeaux de Rébecca, Ésaü et<br />

Jacob ; ils ne se ressemb<strong>la</strong>ient pas beaucoup. On aurait même dit que tout se conjuguait pour les<br />

séparer : leur apparence, leurs qualités et leurs défauts bien sûr, mais aussi leurs goûts, leurs<br />

activités, leurs loisirs. Ajoutez à ce<strong>la</strong> que même des jumeaux doivent sortir l’un après l’autre du<br />

ventre de leur mère. L’aîné, c’était Ésaü ce qui l’avait rendu conscient de ses droits à lui et des<br />

devoirs de son frère Jacob envers lui.<br />

Mais Jacob était malin comme un renard du désert : il y avait déjà quelque temps, il avait fait<br />

renoncer Ésaü à son droit d’aînesse en sa faveur contre un p<strong>la</strong>t de gros ragoût, car Ésaü était rentré<br />

au campement mort de faim et il aurait promis n’importe quoi pour avoir quelque chose à se mettre<br />

sous <strong>la</strong> dent. Mais Jacob avait récidivé quelques jours ensuite, à l’instigation de Rébecca, sa mère qui<br />

avait, il est vrai, un faible pour son fils cadet. Déguisé en Ésaü, il avait usurpé <strong>la</strong> grande bénédiction<br />

d’Isaac, leur père - bénédiction qu’un père ne donne qu’une fois à son fils aîné et qui, une fois<br />

donnée, va à celui qui l’a reçue, quel qu’il soit et quel que soit le moyen par lequel il l’a extorquée.<br />

Vous imaginez <strong>la</strong> colère d’Ésaü quand il apprit <strong>la</strong> chose. C’est simple, il jura qu’il tuerait son frère<br />

s’il le revoyait. Rébecca, qui l’en croyait fort capable, s’était empressée de faire envoyer Jacob loin<br />

de son frère Ésaü, à l’autre bout du pays, pour y chercher femme - puisque de toute façon il était en<br />

âge de se marier, que les femmes de Canaan ne lui p<strong>la</strong>isaient pas à elle et qu’elle préférait pour son<br />

fils une femme du pays d’où elle venait elle-même, Haran, le pays d’Abraham, près du Golfe<br />

Persique.<br />

C’est pourquoi, Jacob avait quitté Beersheba en quatrième vitesse et il avait pris seul <strong>la</strong> route des<br />

caravanes pour Haran. Parti à l’aube, il avait chevauché toute <strong>la</strong> journée et maintenant que le soleil se<br />

couchait, il décida de faire halte : il se servit d’une pierre pour en faire son chevet et s’endormit sur<br />

p<strong>la</strong>ce.<br />

Il eut un songe : il voyait une échelle posée à terre et dont le sommet touchait le ciel. Le long de<br />

cette échelle, des anges montaient et descendaient. Au sommet se tenait le Seigneur qui lui dit : Je<br />

suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham ton grand-père, d’Isaac ton père. La terre sur <strong>la</strong>quelle tu es<br />

couché, je te <strong>la</strong> donnerai ainsi qu’à ta descendance. Ta descendance sera aussi nombreuse que les<br />

grains de poussière sur le sol tu t’étendras à l’Occident et à l’Orient, au nord et au midi, toutes les<br />

familles de <strong>la</strong> terre seront en toi et en ta descendance. Je suis avec toi pour te garder partout où tu<br />

iras et je te ramènerai dans ce pays, car je ne t’abandonnerai pas avant d’avoir accompli ce que je<br />

t’ai promis.<br />

Jacob poussa un cri et se réveil<strong>la</strong> brusquement. Il transpirait : Dieu est ici et je ne le savais pas !<br />

s’écria-t-il. Pris de frayeur, il ajouta : Quel endroit redoutable ! La maison de Dieu ! La porte du<br />

ciel ! Il arrangea son manteau, se recoucha et attendit le jour. Ses pensées se brouil<strong>la</strong>ient, il se<br />

rappe<strong>la</strong>it <strong>dis</strong>tinctement ce qu’il avait entendu dans le songe ; il se rendait compte maintenant que ce<strong>la</strong><br />

correspondait exactement, presque mot pour mot, à ce que rapportait <strong>la</strong> tradition familiale à propos<br />

de son grand-père Abraham quand il avait quitté son pays et quand il avait fallu immoler Isaac, son<br />

propre père à lui Jacob, qui maintenant entendait de nouveau les mêmes promesses, tan<strong>dis</strong> qu’il<br />

fuyait de devant son frère. Étrange !, se répéta-t-il pendant un moment, avant de sombrer dans le<br />

dernier sommeil de cette nuit mémorable.<br />

C’est un rayon de soleil qui le réveil<strong>la</strong>. Il se dressa aussitôt, prit <strong>la</strong> pierre dont il s’était fait un<br />

chevet et l’érigea en stèle. Sur son sommet, il versa de l’huile pour <strong>la</strong> consacrer. Il décida que cet<br />

endroit s’appellerait désormais Bethel, Maison-Dieu. Et tan<strong>dis</strong> que le soleil se levait promettant<br />

d’être fort, il se prosterna devant <strong>la</strong> stèle et prononça le vœu suivant : Si tu es avec <strong>moi</strong>, si tu me<br />

gardes durant ce voyage que je suis obligé de faire, si tu me donnes du pain pour manger et des<br />

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habits pour me vêtir, si enfin je reviens sain et sauf à <strong>la</strong> maison de mon père, tu seras mon Dieu ! »<br />

Jacob resta un long moment visage contre terre, surpris de sa propre audace et heureux d’avoir<br />

osé traiter avec Dieu comme avec un partenaire. La tradition familiale rapportait que son grand-père<br />

et son père avaient surtout écouté : lui, le premier, avait conclu une alliance, un pacte, un marché. On<br />

parlerait encore longtemps du marché de Jacob !<br />

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Le combat de Jacob<br />

(Genèse 32, 23-32)<br />

L’homme qui, à présent, suivait le cours du Jaboc, petit affluent du Jourdain, avait bien changé.<br />

Il était à <strong>la</strong> tête d’une immense caravane de chameaux, de brebis, de bœufs et de mulets, entouré<br />

d’une multitude de serviteurs, ainsi que, sur les montures les plus proches, de ses deux femmes, de<br />

leurs deux servantes et de ses onze enfants. C’était Jacob qui revenait au pays de Canaan, à<br />

Beersheba, chez son père Isaac, après être resté vingt ans chez son beau-père Laban, au pays de<br />

Haran, sur le Golfe Persique. Il avait bien changé c’était maintenant un homme mûr, à qui <strong>la</strong> barbe et<br />

le hâle du désert façonnaient déjà des allures de patriarche.<br />

Jacob avait peur de <strong>la</strong> vengeance de son frère aîné, Ésaü, à qui il avait ja<strong>dis</strong> acheté son droit<br />

d’aînesse contre une ration de ragoût, et qu’il avait ensuite privé de <strong>la</strong> bénédiction paternelle due à<br />

tout aîné de famille, en se substituant à lui par un stratagème manigancé par Rébecca, leur mère.<br />

Jacob savait que Ésaü n’avait rien oublié et qu’il n’était pas homme à pardonner ; surtout une telle<br />

chose !<br />

Si Jacob revenait au pays, c’est que Dieu lui en avait donné l’ordre lors de <strong>la</strong> dernière<br />

transhumance et de <strong>la</strong> naissance de son onzième enfant : Joseph. Et puis, lui-même ne se p<strong>la</strong>isait plus<br />

chez son beau-père Laban. L’ordre de Dieu correspondait à son désir profond : revoir <strong>la</strong> maison<br />

d’Abraham son grand-père et d’Isaac son père et s’y installer, même si le prix devait en être un<br />

affrontement avec son frère ennemi Ésaü. La veille et l’avant-veille, Jacob avait d’ailleurs envoyé<br />

deux petites caravanes, chacune à un jour d’intervalle, en avant du gros convoi, avec mission de<br />

saluer Ésaü et de lui offrir des présents pour l’apaiser. Des éc<strong>la</strong>ireurs avaient signalé qu’Ésaü faisait<br />

route à <strong>la</strong> rencontre de son frère, à <strong>la</strong> tête de quatre cents cavaliers.<br />

Le lendemain, <strong>la</strong> rencontre serait inévitable. Jacob avait peur. Il commençait à douter de lui, de<br />

ses forces, des promesses qu’il avait entendues et du pacte qu’il avait conclu avec Dieu.<br />

On était arrivé au gué du Jacob. La nuit était tombée et le camp commençait de reposer sous les<br />

étoiles. La tente de Jacob s’agita soudain : il se leva, réveil<strong>la</strong> ses deux femmes, leurs deux servantes<br />

et ses onze enfants. Pendant qu’ils se préparaient, il testa le gué ; puis il revint les chercher, les aida à<br />

traverser le torrent et fit passer à <strong>la</strong> suite tout le reste de <strong>la</strong> caravane. Tout le monde maugréait, mais<br />

tout le monde obéit.<br />

Quand tout fut passé, Jacob revint sur l’autre rive. Le ciel s’était couvert, <strong>la</strong> nuit était noire,<br />

Jacob resta seul.<br />

Alors quelqu’un tomba sur lui et ils luttèrent ensemble jusqu’au lever de l’aurore. Jacob ne fut<br />

pas surpris, ni épouvanté : <strong>la</strong> peur, qui jusqu’à cette seconde le tenail<strong>la</strong>it, l’abandonna. Et c’est avec<br />

une furieuse vigueur qu’il s’acharnait. Comprenant qu’il ne pouvait le réduire, l’autre l’atteignit d’un<br />

coup à l’articu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> hanche qui se démit. Mais Jacob s’était collé à lui comme une ventouse et<br />

ne le lâchait toujours pas. L’autre lui dit : Laisse-<strong>moi</strong> partir, l’aurore se lève ! - Je ne te <strong>la</strong>isserai<br />

partir, répondit Jacob, que si tu me bénis ! - Comment t’appelles-tu ? - Jacob ! - Ton nom ne sera<br />

plus Jacob, mais Israël, ce qui voudra dire que tu as lutté avec Dieu comme avec des hommes et tu<br />

l’as emporté. Alors Jacob lui demanda : Et toi, je t’en prie, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> qui tu es ! - As-tu besoin de me le<br />

demander ! répondit l’autre. Et sur-le-champ il le bénit. Alors Jacob se retrouva de nouveau seul.<br />

Jacob appe<strong>la</strong> cet endroit Phanuel Face-Dieu, car, se dit-il : J’ai vu Dieu face à face et j’ai<br />

conservé <strong>la</strong> vie. Et tan<strong>dis</strong> qu’un soleil neuf se levait, Jacob continua sa route, en boîtant.<br />

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La vocation de Moïse<br />

(Exode 3, 1-18)<br />

Quand Moïse fut sauvé des eaux par <strong>la</strong> fille du Pharaon - tout le monde s’en souvient -, il fut<br />

élevé à <strong>la</strong> cour. Mais on a peut-être oublié ce qui arriva, quand il devint jeune homme. Un jour qu’il<br />

avait vu comment on traitait ses frères juifs qui travail<strong>la</strong>ient comme esc<strong>la</strong>ves, il avait écouté l’appel<br />

du sang et s’était jeté sur un garde-chiourme égyptien. Il y était allé un peu fort, car il le tua. Il dut<br />

alors s’enfuir dans le désert, de l’autre côté de <strong>la</strong> mer Rouge.<br />

Là, il lui arriva un grand nombre d’aventures qui l’amenèrent finalement à épouser <strong>la</strong> fille de<br />

Jethro, un homme puissant du pays de Madian. Moïse était devenu l’homme de confiance de Jethro,<br />

c’est lui qui était chargé de l’immense troupeau qu’il fal<strong>la</strong>it dép<strong>la</strong>cer suivant les saisons, à <strong>la</strong><br />

recherche de pâturages et d’eau.<br />

L’Égypte était loin maintenant. Moïse n’avait pas totalement oublié ses coreligionnaires, ni sa<br />

famille. Mais que pouvait-il y changer ? Chacun mène sa vie comme il peut. Il était maintenant<br />

installé : sa femme Sephora lui avait donné un fils Gershorm. Il avait charge de famille et son métier<br />

lui p<strong>la</strong>isait. Que demande le peuple !<br />

Un jour qu’il avait mené les bêtes au-delà du désert, il atteignit <strong>la</strong> montagne du Sinaï. L’herbe<br />

semb<strong>la</strong>it abondante et il savait qu’il y avait là un puits important. Il instal<strong>la</strong> le campement et se mit<br />

en demeure de séparer brebis et béliers, pour qu’il n’y ait pas de bataille en ces premiers jours de<br />

printemps.<br />

Le vent de sable qui souff<strong>la</strong>it depuis le matin tomba tout d’un coup. Mais si brusquement que<br />

même les bêtes en furent surprises. C’était étrange. Moïse al<strong>la</strong>it se mettre au travail, quand, d’un<br />

buisson d’épineux au pied de <strong>la</strong> montagne, une f<strong>la</strong>mme jaillit Moïse remarqua que le buisson<br />

f<strong>la</strong>mbait sans se consumer. Piqué par <strong>la</strong> curiosité, il voulut s’approcher pour voir. Il n’était plus qu’à<br />

quelques mètres, quand, de <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme du buisson, une voix <strong>dis</strong>tincte et impérative retentit : Moïse,<br />

Moïse ! - Me voici ! - N’approche point d’ici. Ôte tes sandales de tes pieds le lieu que tu foules est<br />

une terre sacrée. Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.<br />

N’osant regarder Dieu, Moïse se cacha aussitôt le visage.<br />

Et <strong>la</strong> voix continua : J’ai vu <strong>la</strong> détresse de mon peuple en Égypte et j’ai entendu les cris que lui<br />

font pousser ses oppresseurs. Oui, je connais ses souffrances : je viens pour le délivrer et le conduire<br />

dans une contrée fertile et spacieuse, qui ruisselle de <strong>la</strong>it et de miel. Soudain le ton changea et Moïse<br />

tressaillit. Va, je t’envoie auprès du Pharaon pour faire sortir d’Égypte les Israélites, mon peuple.<br />

Moïse répliqua aussitôt : Mais qui suis-je, <strong>moi</strong>, pour faire ce<strong>la</strong> ? - Je serai avec toi , dit <strong>la</strong> voix.<br />

Mais, à supposer que j’aille leur dire : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous ! s’ils me<br />

demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ? Dieu dit à Moïse : Je suis qui je suis ! C’est<br />

ainsi qu’on m’appellera dorénavant et pour toujours Yahvé ! Et Yahvé continua : Va le leur dire ! Ils<br />

t’écouteront. Ensuite, tu iras trouver Pharaon. Je sais qu’il ne vous <strong>la</strong>issera pas partir s’il n’y est<br />

contraint par <strong>la</strong> force. Mais je ferai en sorte qu’il s’y résigne !<br />

Mais Moïse ne lâcha pas pied : Ils ne me croiront pas, ils ne m’écouteront pas, ils diront que<br />

jamais le Seigneur ne m’est apparu ! - Qu’as-tu à <strong>la</strong> main ? - Un bâton ! - Jette-le à terre ! Le bâton<br />

se transforma en serpent Moïse recu<strong>la</strong>. Étends <strong>la</strong> main et saisis-le par <strong>la</strong> queue. Ce que fit Moïse, et<br />

le serpent redevint bâton.<br />

Moïse était encore tout éberlué quand Dieu ajouta : Mets <strong>la</strong> main contre ton sein. Quand Moïse<br />

retira sa main, elle était b<strong>la</strong>nche de lèpre. Rep<strong>la</strong>ce-<strong>la</strong> sur ton sein ! Alors <strong>la</strong> main au grand<br />

sou<strong>la</strong>gement de Moïse reprit l’aspect de <strong>la</strong> chair.<br />

Yahvé reprit : S’ils demeurent incrédules devant ces deux prodiges, tu prendras de l’eau du Nil<br />

et tu <strong>la</strong> répandras par terre l’eau deviendra du sang sur le sol.<br />

Yahvé avait encore eu le dernier mot. Moïse ne savait plus quoi lui opposer, quand une dernière<br />

idée lui vint : Seigneur ! Je ne sais pas parler, je n’ai jamais été doué pour ça, je m’embrouille<br />

quand je parle ! - Allons, allons ! dit Yahvé, je serai avec toi quand tu parleras ! Je t’enseignerai ce<br />

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que tu auras à dire ! - Et non à <strong>la</strong> fin, dit Moïse, envoie donc qui tu veux !<br />

C’est alors que le Seigneur se fâcha : Et ton frère Aaron ? Je suis sûr qu’il saura s’exprimer,<br />

lui ! Tu lui parleras, tu lui diras ce qu’il aura à dire. Je serai avec vous deux, je vous apprendrai ce<br />

que vous aurez à faire. Il te servira d’organe et toi tu seras comme Dieu tu lui souffleras ! Allez !<br />

Prends ton bâton et vas-y !<br />

Moïse prit alors son bâton. Moïse y al<strong>la</strong> : on ne choisit pas sa vocation, on <strong>la</strong> reçoit !<br />

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Fascination<br />

(Exode 32, 1-35)<br />

C’est vrai que Moïse tardait à redescendre du mont Sinaï, où Yahvé l’avait convoqué pour lui<br />

remettre <strong>la</strong> Loi. L’entretien devait être important, ou alors : Moïse a dû être dévoré par les chacals<br />

du désert, il ne redescendra plus du tout ! » songeait Josué qui l’attendait à mi-chemin !<br />

Le peuple grondait déjà. Aaron, le frère de Moïse, qui assurait le commandement en second, se<br />

vit un matin entouré d’une foule énorme qui lui criait à tue-tête : Fabrique-<strong>nous</strong> un Dieu qui marche<br />

à notre tête ; Moïse, c’est fini, on ne le reverra plus ! Aaron, effrayé par l’ampleur du mouvement,<br />

ne sauva sa peau qu’en leur cédant : Rassemblez tout l’or et tous les bijoux que vous avez ! Et<br />

apportez-<strong>moi</strong> le tout ! Il le fit jeter dans un moule et en fit sortir un veau de métal fondu. Alors le<br />

peuple s’écria : Israël, voici ton <strong>dieu</strong> qui t’a fait sortir d’Égypte ! Vou<strong>la</strong>nt récupérer <strong>la</strong> situation,<br />

Aaron ordonna de bâtir un autel et proc<strong>la</strong>ma : Demain, il y aura fête en l’honneur du Seigneur ! Le<br />

lendemain, grande cérémonie suivie d’un banquet et de danses. Pendant ce temps, sur <strong>la</strong> montagne,<br />

Moïse continuait son entretien avec Yahvé qui lui dit soudain : Redescends tout de suite ! Ton peuple<br />

que tu as fait sortir d’Égypte, le voici maintenant qu’il me remp<strong>la</strong>ce par un veau de métal fondu !<br />

Ah ! Ce qu’ils ont <strong>la</strong> tête dure ! Laisse-<strong>moi</strong> les anéantir ! Mais toi, tu n’as rien à craindre ! - N’en<br />

fais rien, Seigneur ! pria Moïse. Que diraient les Égyptiens en l’apprenant ? C’est pour les faire<br />

mourir au désert qu’Il les a sortis de chez <strong>nous</strong> ! Ravise-toi ! Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et de<br />

Jacob, auxquels tu as juré par toi-même de les multiplier et de les conduire vers une terre nouvelle !<br />

Yahvé se <strong>la</strong>issa apaiser.<br />

Moïse déva<strong>la</strong> alors <strong>la</strong> montagne, <strong>la</strong> Loi dans <strong>la</strong> main. Au bruit des acc<strong>la</strong>mations poussées par le<br />

peuple, Josué, qui l’avait rejoint, dit à Moïse : Ma parole, mais ils se battent !<br />

Non, dit Moïse, ils chantent. Entrant dans le camp, Moïse aperçut <strong>la</strong> statue et les danses. La<br />

colère le saisit il leva les tables de <strong>la</strong> Loi à bout de bras et les brisa contre les rochers de <strong>la</strong> montagne.<br />

D’un bond, il sauta sur l’autel et empoigna le veau qu’il fit basculer dans le vide. Il ordonna qu’on le<br />

brûlât, qu’on le broyât, qu’on le réduisît en poussière que l’on versa dans des bidons d’eau : et les<br />

Israélites durent boire toute l’eau.<br />

Puis ce fut au tour d’Aaron ! : Comment t’es-tu <strong>la</strong>issé entraîner à ce genre d’exploit ! - Je t’en<br />

prie, essaie de comprendre ! Tu sais toi-même combien ce peuple a tendance à se <strong>la</strong>isser aller !<br />

Le peuple était déchaîné. Aaron lui avait lâché <strong>la</strong> bride. C’était <strong>la</strong> grande débandade. Moïse prit<br />

alors une décision radicale. Il courut à l’entrée du camp et cria : À <strong>moi</strong> tous ceux qui sont pour<br />

Yahvé ! La tribu de Lévi, l’une des douze tribus qui constituaient le peuple d’Israël, se rallia presque<br />

totalement à Moïse. Moïse leur ordonna : Supprimez de votre tribu tous les renégats. Après <strong>la</strong><br />

pénible besogne, Moïse leur déc<strong>la</strong>ra : Désormais votre tribu et tous ses descendants sont consacrés<br />

au service de Yahvé, car chacun d’entre vous a attiré sur lui sa bénédiction !<br />

Au grand rassemblement du lendemain, Moïse informa le peuple qu’il remonterait sur <strong>la</strong><br />

montagne obtenir le pardon de Yahvé.<br />

Et Yahvé pardonna.<br />

Alors <strong>la</strong> grande dérive reprit son cours.<br />

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Désir<br />

(2 Samuel 11,1 à 12,24)<br />

David avait attendu <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> saison des pluies. Dès les premiers jours de mars, il avait<br />

dépêché une expédition militaire, dirigée par Joab, pour réduire les positions des Ammonites et<br />

enlever leur capitale Rabba, de l’autre côté du Jourdain. Lui-même était resté à Jérusalem, qui sentait<br />

déjà monter le vent chaud du désert.<br />

Un soir que David prenait le frais sur <strong>la</strong> terrasse du pa<strong>la</strong>is, il aperçut en contrebas une femme qui<br />

se baignait. Il <strong>la</strong> désira. Il se fit renseigner sur elle : C’est Bethsabée, <strong>la</strong> femme de ton meilleur<br />

général, Uri ! David <strong>la</strong> fit chercher sous escorte, <strong>la</strong> séduisit, puis <strong>la</strong> renvoya chez elle.<br />

Le temps passa, <strong>la</strong> guerre durait, David pensait à autre chose, quand Bethsabée envoya dire au<br />

pa<strong>la</strong>is qu’elle était enceinte. David prit peur et imagina un stratagème. Il envoya un détachement à<br />

Rabba pour faire revenir Uri. Uri se présenta aussitôt à David qui lui demanda des nouvelles de Joab,<br />

de l’armée, des opérations : Profite un peu de ta permission, lui dit David. Rentre chez toi ! ,<br />

espérant par là rejeter sur Uri <strong>la</strong> paternité de l’enfant de Bethsabée. David lui fit même remettre de<br />

superbes présents. Mais Uri ne rentra pas chez lui ; il se rendit à <strong>la</strong> caserne du pa<strong>la</strong>is et dormit dans le<br />

cantonnement avec les soldats. On en fit part à David qui convoqua Uri : Je ne comprends pas : tu<br />

arrives de campagne et tu ne rejoins pas ta femme ? - Joab, mon chef, et toutes nos armées campent<br />

en rase campagne, sur le pied de guerre, et <strong>moi</strong>, je rentrerais à <strong>la</strong> maison, pour manger, boire et<br />

coucher avec ma femme ? Par le Dieu d’Israël, je n’en ferai rien ! - Écoute, reste ici ce soir au<br />

<strong>moi</strong>ns ! Demain, je te renverrai ! Uri demeura donc au pa<strong>la</strong>is. Le lendemain, David l’invita à sa<br />

table, l’enivra ; mais le soir, Uri rentra de nouveau à <strong>la</strong> caserne !<br />

Alors David écrivit à Joab une lettre qu’il lui fit remettre par Uri lui-même : P<strong>la</strong>ce Uri au plus<br />

fort du combat ; retirez-vous ensuite. Il faut qu’il meure ! Joab exécuta les ordres de David. Lors<br />

d’une sortie des assiégés, Uri tomba, avec les plus valeureux guerriers. Joab envoya immédiatement<br />

un messager au pa<strong>la</strong>is royal pour en aviser David. Tan<strong>dis</strong> que l’estafette racontait les péripéties du<br />

combat, David entra dans une grande colère : en apprenant <strong>la</strong> mort d’Uri, il se calma soudain et<br />

renvoya le messager avec des mots d’encouragement pour Joab. Puis il fit venir Bethsabée au pa<strong>la</strong>is,<br />

<strong>la</strong> recueillit, en fit sa femme et elle lui donna un fils. Voilà que tout semb<strong>la</strong>it rentrer dans l’ordre. Au<br />

gré de David.<br />

Mais un matin, on vit le vieux prophète Nathan gravir lentement mais sûrement les marches du<br />

pa<strong>la</strong>is. Chacun respectait le vieil homme, on le conduisit immédiatement auprès du roi. Roi, dit-il.<br />

Écoute cette histoire ! Il y avait dans <strong>la</strong> même ville deux hommes : l’un était riche, l’autre était<br />

pauvre. Le riche avait quantité de troupeaux, le pauvre n’avait qu’une petite brebis : il l’élevait et<br />

elle gran<strong>dis</strong>sait auprès de lui avec ses enfants ; elle mangeait son pain, buvait à sa coupe, dormait<br />

près de lui ; elle était pour lui comme une fille ! Un beau jour, le riche reçut <strong>la</strong> visite d’un étranger.<br />

Mais au lieu de puiser dans son cheptel, il s’empara de l’unique brebis du pauvre pour <strong>la</strong> servir à<br />

son hôte ! David bondit de son trône : Par <strong>la</strong> vie du Seigneur ! L’homme qui a fait ce<strong>la</strong> mérite <strong>la</strong><br />

mort ! - Cet homme, c’est toi ! répliqua Nathan dans un cri. Et par ma voix, écoute ce que te dit le<br />

Seigneur, Dieu d’Israël : je t’ai élu roi d’Israël, je t’ai sauvé des mains de tes ennemis, je t’ai donné<br />

tout et plus encore. Pourquoi as-tu fait ce<strong>la</strong> ? Pourquoi as-tu assassiné Uri pour lui voler sa<br />

femme ? Tu vas apprendre ce qu’il en coûte de me mépriser : ce que tu as fait en cachette, c’est en<br />

plein jour que je l’accomplirai ! David glissa de son trône et tomba à genoux : J’ai péché contre<br />

Dieu ! reconnut-il : Oui, dit Nathan, c’est pourquoi Dieu te pardonne parce que tu le reconnais.<br />

Mais l’enfant mourra ! Et Nathan se retira.<br />

L’enfant tomba gravement ma<strong>la</strong>de. David implora Dieu pour l’enfant. Il jeûna, passa ses nuits<br />

prostré par terre. On tentait de le ramener à lui. David ne relâcha ni son repentir ni sa pénitence. Le<br />

septième jour, l’enfant mourut. Alors David se releva de terre, prit un bain, se parfuma et changea de<br />

vêtements. Il rentra chez lui, se fit servir et mangea. Que fais-tu là ? lui <strong>dis</strong>ait-on. Quand l’enfant<br />

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était encore en vie, tu jeûnais et tu pleurais. Maintenant qu’il est mort tu te relèves et tu manges ! -<br />

Oui, quand l’enfant était encore en vie, je me <strong>dis</strong>ais : Qui sait ? Peut-être le Seigneur aura-t-il pitié<br />

de <strong>moi</strong>, et l’enfant guérira-t-il ! Mais maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûner encore ? Puis-je le<br />

faire revenir à <strong>la</strong> vie ? C’est <strong>moi</strong> qui irai le rejoindre, ce n’est pas lui qui reviendra près de <strong>moi</strong> !<br />

David conso<strong>la</strong> Bethsabée, sa femme. Ils eurent un autre fils, auquel elle donna le nom de<br />

Salomon, ce qui signifie : <strong>la</strong> Paix !<br />

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Rien ne sert à rien<br />

(Ecclésiaste 1,1 à 2,26)<br />

Vanité des vanités ! Vanité des vanités ! Tout est vanité. À quoi bon se donner tant de peine sur cette<br />

terre !<br />

Une génération s’en va, une autre vient, mais <strong>la</strong> terre continue de tourner. Le soleil se lève, le<br />

soleil se couche, puis il se lève encore. Le vent souffle au sud, le vent souffle au nord et suit les<br />

mêmes routes. Tous les fleuves se jettent à <strong>la</strong> mer sans qu’elle déborde et eux continuent de s’y jeter.<br />

L’œil ne se <strong>la</strong>sse jamais de voir, ni l’oreille d’entendre.<br />

Ce qui a été, c’est ce qui sera ; le passé et l’avenir, c’est <strong>la</strong> même chose, il n’y a rien de nouveau<br />

sous le soleil ! Tout s’oublie et nos descendants ne <strong>la</strong>isseront pas plus de souvenir chez ceux qui<br />

viendront après eux.<br />

Je me suis appliqué à étudier et à observer attentivement tout ce qui se passe sous le ciel : c’est<br />

une ingrate occupation que Dieu a imposée aux hommes. J’ai voulu considérer tout ce qui se fait<br />

sous le soleil : tout n’est que vanité, tout n’est que poursuite du vent !<br />

Ce qui est tordu ne peut devenir droit et ce qui manque manquera toujours.<br />

Je me suis dit que j’avais amassé et accumulé plus de savoir que quiconque. J’ai voué mon esprit<br />

à l’étude de <strong>la</strong> sagesse et de <strong>la</strong> science, j’ai consacré mon cœur au <strong>dis</strong>cernement de <strong>la</strong> sagesse, de <strong>la</strong><br />

folie et de <strong>la</strong> satire. Mais j’ai dû reconnaître que ce n’était aussi que poursuite du vent : à augmenter<br />

<strong>la</strong> sagesse, on augmente le chagrin ; à accroître sa science, on accroît sa douleur !<br />

Tentons <strong>la</strong> joie alors et goûtons le p<strong>la</strong>isir ! Ce<strong>la</strong> aussi est vanité. Le rire n’est que folie et <strong>la</strong> joie<br />

dérisoire ! Je me suis mis à boire, tan<strong>dis</strong> que mon cœur s’appliquait encore à <strong>la</strong> sagesse ; j’ai essayé<br />

<strong>la</strong> folie pour voir ce qui serait bon de faire durant une vie. Alors j’ai entrepris de grands travaux, bâti<br />

des maisons, p<strong>la</strong>nté des vignes, des jardins, des vergers remplis de tous les arbres fruitiers, creusé des<br />

réservoirs pour arroser les p<strong>la</strong>ntations. J’ai acheté des esc<strong>la</strong>ves, des serviteurs. J’ai acquis abondance<br />

de bétail, bœufs et brebis, plus que tout autre. J’ai amassé or et argent, toutes les richesses. Je me suis<br />

procuré chanteurs et danseurs, femmes et odalisques. Grand, je l’ai été plus que tous ceux qui m’ont<br />

précédé ; et ma sagesse me resta. De tout ce que mes yeux ont désiré, je ne me suis rien refusé et n’ai<br />

privé mon cœur d’aucune joie, car mon cœur trouvait sa joie dans mon travail. Mais quand je me suis<br />

mis à considérer tout ce que j’avais fait et <strong>la</strong> peine que je m’étais donnée pour ce faire, j’ai dû<br />

conclure encore que tout est vanité et poursuite du vent.<br />

Ici-bas, rien ne sert à rien !<br />

Alors j’ai considéré <strong>la</strong> sagesse, <strong>la</strong> folie et <strong>la</strong> sottise. Que fera le successeur du prince ? Ce que<br />

font tous les princes ! Oh ! bien sûr que <strong>la</strong> sagesse a le même avantage sur <strong>la</strong> folie, que <strong>la</strong> lumière sur<br />

les ténèbres ; bien sûr que le sage se sert de ses yeux, tan<strong>dis</strong> que l’insensé marche dans les ténèbres.<br />

Mais j’ai remarqué aussi qu’une même destinée les attend tous deux ! Et je me suis dit, si <strong>la</strong> destinée<br />

du sot à <strong>la</strong> mienne sera pareille, à quoi bon toute ma sagesse ? Vanité, ce<strong>la</strong> aussi ! La mé<strong>moi</strong>re du<br />

sage n’est pas plus éternelle que celle du sot, puisque dans les jours qui suivent, ils sont bien vite<br />

oubliés le sage meurt aussi bien que le fou.<br />

Et j’ai détesté <strong>la</strong> vie, car à mes yeux, tout est mauvais sur cette terre, tout est vanité et poursuite<br />

du vent. Je hais tout le travail que j’ai fait jusqu’ici, parce qu’il me faut le <strong>la</strong>isser à celui qui va venir<br />

après <strong>moi</strong> et qui sait s’il sera sage ou sot ? C’est pourtant lui qui <strong>dis</strong>posera de tout le fruit des travaux<br />

où j’ai mis <strong>la</strong>beur et sagesse. Vanité, tout ce<strong>la</strong> !<br />

Et je me suis senti le cœur plein de dégoût pour tout ce que j’ai dû supporter sur cette terre :<br />

besogner avec sagesse, savoir et succès pour <strong>la</strong>isser le fruit de son <strong>la</strong>beur à un autre qui ne s’est<br />

donné aucune peine, c’est bien le comble de <strong>la</strong> vanité ! Que reste-t-il à l’homme de tout le mal qu’il<br />

s’est donné ? Ses jours ne sont que douleurs, ses travaux ne sont que chagrins, <strong>la</strong> nuit même, il ne<br />

goûte aucun repos. N’est-ce pas vanité ?<br />

L’homme n’a rien de mieux à faire que de manger, de boire, et d’aimer ce qu’il fait. Mais ce<strong>la</strong><br />

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aussi vient de Dieu ! Qui mange, qui boit, si ce n’est grâce à lui ? À qui bon lui semble, Dieu donne<br />

sagesse, science et joie ! À qui lui dép<strong>la</strong>ît, il donne <strong>la</strong> tâche d’amasser les biens qu’il fait passer<br />

ensuite à qui lui p<strong>la</strong>ît ! N’est-ce pas là poursuite du vent ?<br />

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Tu n’as rien à craindre<br />

(Isaïe 43,1-7)<br />

Aujourd’hui je te <strong>dis</strong><br />

Jacob que j’ai créé<br />

Israël que j’ai formé<br />

Aujourd’hui je te <strong>dis</strong> que tu n’as rien à craindre<br />

Et que je te rachète<br />

J’appelle ton nom : Tu m’appartiens<br />

À tes côtés je passerai les fleuves : rien ne t’engloutira<br />

Sans brûler, dans le feu tu trouveras ta route<br />

Car le maître c’est <strong>moi</strong> : Israël, je te sauve<br />

Je te donne l’Égypte pour acquitter ta dette<br />

La Nubie et Saba pour compenser tes pertes<br />

Si tu savais comme je t’aime<br />

Si tu savais combien je tiens à toi<br />

Au point que pour ta vie je livrerai des peuples<br />

Je te <strong>dis</strong> aujourd’hui que je suis avec toi<br />

D’Orient en Occident je te rassemblerai<br />

Du Nord et du Midi je te ramènerai<br />

Des parages lointains, des confins de <strong>la</strong> terre<br />

Mes filles et mes fils viendront<br />

Car ils portent mon nom<br />

Si je les ai créés, c’est au nom de ma gloire<br />

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Les cris de <strong>la</strong> tendresse<br />

(Osée 11,1-9)<br />

Israël était encore enfant que déjà je l’aimais<br />

Depuis l’Égypte combien de fois l’ai-je appelé<br />

Mais plus je l’appe<strong>la</strong>is, plus il se dérobait<br />

Aux idoles il offrait les plus beaux sacrifices<br />

Et dans mes bras pourtant faisait ses premiers pas<br />

Je le serrais par des attaches trop humaines<br />

Et je me suis penché vers lui pour le nourrir<br />

Mais s’il ne veut pas revenir<br />

L’Égypte ou l’Assyrie se chargeront de lui<br />

L’épée régnera dans ses villes,<br />

Détruisant les enfants pour venger ses forfaits<br />

Mais puis-je abandonner Israël, te trahir, Éphraïm<br />

Mon cœur en <strong>moi</strong> se tourne et se retourne de compassion<br />

Je veux <strong>la</strong>isser ma colère s’éteindre<br />

Je suis Dieu, Éphraïm : je ne suis pas un homme<br />

Et je ne me p<strong>la</strong>is pas à détruire <strong>la</strong> vie<br />

84


Écouter le silence<br />

(Luc 2,1-20)<br />

C’était plutôt le bruit et <strong>la</strong> fureur qui régnaient en Galilée, carrefour des nations, quand parut<br />

l’édit de César Auguste, prescrivant le recensement de toute <strong>la</strong> terre. À cette époque, l’empire romain<br />

s’étendait de l’Écosse à <strong>la</strong> Mauritanie et de Cologne à Khartoum. À l’Est, on n’a jamais su très bien<br />

s’il s’arrêtait à l’Euphrate ou à l’Indus. Mais ce que <strong>nous</strong> savons, c’est que ce<strong>la</strong> occasionnait un<br />

mouvement incessant des légions ; avec elles bougeaient aussi des peup<strong>la</strong>des entières qui les<br />

approvisionnaient. Ce<strong>la</strong> provoquait inévitablement un ensemble de dép<strong>la</strong>cements que<br />

l’administration centrale, à Rome, ne pouvait plus contrôler. C’était devenu un tel méli-mélo du<br />

Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, de Saxons, de Pictes et de Germains qui s’établissaient dans le<br />

Midi ; d’Arabes, d’Égyptiens et de Grecs qui émigraient au-delà des Alpes ; c’était devenu un tel<br />

brassage que l’empereur avait décidé ce recensement de l’empire.<br />

C’était le premier. Bien sûr, personne ne savait comment ce<strong>la</strong> al<strong>la</strong>it se passer. Les bureaucrates<br />

de <strong>la</strong> capitale avaient fini par mettre au point une méthode. Chacun devait aller se faire inscrire dans<br />

sa ville, c’est-à-dire dans sa ville d’origine, celle de ses ancêtres, bref, sa ville-patrie ! Ainsi chacun<br />

rentrerait chez soi.<br />

C’est pourquoi, Joseph quitta <strong>la</strong> ville de Nazareth, en Galilée, là où il tenait sa petite entreprise<br />

de charpenterie, pour monter en Judée, au sud de Jérusalem, jusqu’à <strong>la</strong> ville de David, Bethléem,<br />

parce qu’il était lui aussi de <strong>la</strong> famille de David. Comme il était marié avec une certaine Marie, il<br />

devait y aller avec elle. Et Marie était enceinte.<br />

Alors qu’habituellement il y avait déjà grande circu<strong>la</strong>tion entre les gens du Sud qui émigraient<br />

au Nord et les gens du Nord qui s’établissaient dans le Sud, ces dép<strong>la</strong>cements devinrent à cause du<br />

recensement, <strong>la</strong> goutte qui fit déborder le vase : embouteil<strong>la</strong>ges sur les voies romaines, files<br />

interminables aux postes de douanes, contrôles de police épuisants. D’autant que l’occupant,<br />

craignant quelque émeute ou même une révolte à l’occasion de ces chamboulements, avait dépêché<br />

des renforts dans toutes les garnisons : alerte permanente !<br />

Voilà dans quelle bouscu<strong>la</strong>de Marie et Joseph arrivèrent un soir à Bethléem, dont <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

avait soudain décuplé.<br />

Vous connaissez l’histoire : hôtels complets, pas de chambres chez les particuliers. Joseph<br />

n’avait pas réservé, il devait croire aux miracles ! Les douleurs arrivent et un éleveur compréhensif<br />

met une grotte-bergerie à <strong>la</strong> <strong>dis</strong>position du jeune couple imprévoyant.<br />

Je ne sais quelle heure il pouvait être, mais c’était <strong>la</strong> nuit. Ce qui surprit les bergers des alentours<br />

qui veil<strong>la</strong>ient pour garder leurs troupeaux, ce n’est pas le silence, ourlé de temps en temps du<br />

bêlement frêle d’une brebis aux prises avec un cauchemar. Ce n’est pas non plus les <strong>la</strong>mbeaux d’une<br />

mélopée <strong>la</strong>nguissante que le vent de <strong>la</strong> nuit transportait en plein champ, depuis les braseros de<br />

Bethléem autour desquels des étrangers campaient. Ce n’est pas le cri rauque d’un centurion romain<br />

patrouil<strong>la</strong>nt au sud de <strong>la</strong> capitale à <strong>la</strong> tête d’une escouade !<br />

Ce qui surprit les bergers, c’est que soudain le silence se mit à leur parler. Une espèce<br />

d’éblouissement d’étoiles qui tinta dans leur cœur assoupi et craintif. Ce n’était que des bergers !<br />

Pourtant l’air frisquet résonna de paroles de joie cristalline<br />

Écoutez <strong>la</strong> nouvelle bien douce qui vaut pour chacun : voilà qu’il est né aujourd’hui, à<br />

Bethléem, celui que vous attendez. Vous le reconnaîtrez facilement : c’est un nouveau-né, couché sur<br />

de <strong>la</strong> paille ! Et, dans le ciel criblé d’étincelles, sautil<strong>la</strong>ient toutes les notes de <strong>la</strong> gamme, en majeur<br />

et en mineur, avec tous les dièses et les bémols ! Si les bergers avaient su <strong>la</strong> musique - peut-être<br />

certains avaient-ils appris après tout - on pouvait déchiffrer Dans les cieux gloire à Dieu, sur <strong>la</strong> terre<br />

paix aux hommes, car Dieu les aime !<br />

C’est lorsqu’ils n’entendirent plus rien que les bergers eurent peur. Ils se regardaient incrédules,<br />

mais comme ils n’étaient sourds ni les uns ni les autres, ils durent reconnaître qu’ils avaient bel et<br />

85


ien entendu quelque chose. Allons voir si c’est vrai ! se dirent-ils, en se précipitant vers Bethléem.<br />

Ils trouvèrent les choses comme on leur avait dit. Ils racontèrent ce qui leur était arrivé. À part<br />

Joseph et Marie qui savaient, les autres restèrent sceptiques.<br />

Alors les bergers retournèrent à leurs troupeaux et attendirent, les oreilles aux aguets, des fois<br />

que…<br />

Ils ne savaient pas encore que le silence ne parle qu’une fois.<br />

86


Les de<strong>moi</strong>selles d’honneur<br />

(Matthieu 25,1-13)<br />

À quoi pourrai-je comparer le royaume de Dieu ? demandait Jésus. Eh bien ! Écoutez cette<br />

histoire.<br />

Un jour, dix charmantes personnes devaient être filles d’honneur à une noce où elles étaient<br />

invitées : elles prirent leur <strong>la</strong>mpe dans <strong>la</strong> nuit et s’en furent à <strong>la</strong> rencontre du jeune marié, comme<br />

c’était <strong>la</strong> coutume dans <strong>la</strong> région. Seulement voilà, cinq d’entre elles étaient sottes et cinq étaient<br />

sages. En prenant leur <strong>la</strong>mpe, les sottes avaient oublié de se munir d’huile, tan<strong>dis</strong> que les sages en<br />

avaient amené de réserve. Comme ce<strong>la</strong> arrive dans toutes les noces, le marié se fit un peu attendre, si<br />

bien que nos charmantes de<strong>moi</strong>selles s’assoupirent et finirent par s’endormir. Mais voilà qu’en<br />

pleine nuit, un cri se fait entendre : Voici le marié ! Allez à sa rencontre. Vite on se lève, on<br />

s’ébroue, on déchiffonne sa robe et chacune se met à apprêter sa <strong>la</strong>mpe. C’est alors que nos sottes<br />

<strong>dis</strong>ent aux sages : Dites, donnez-<strong>nous</strong> de votre huile, nos <strong>la</strong>mpes s’éteignent ! Mais les sages de<br />

répondre : Il n’y en aura certainement pas assez pour <strong>nous</strong> et pour vous. Vous feriez mieux d’aller en<br />

acheter pour vous. Et ce qui devait arriver arriva : pendant qu’elles couraient en acheter, le marié<br />

survint. Les de<strong>moi</strong>selles d’honneur qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans <strong>la</strong> salle des noces. On<br />

ferme <strong>la</strong> porte. Beaucoup plus tard arrivent enfin les autres jeunes filles : elles eurent beau répéter :<br />

Seigneur, Seigneur, c’est <strong>nous</strong> ! Ouvre-<strong>nous</strong> ! Lui, leur répondit : Moi, je ne vous connais pas !<br />

Et jésus ajouta : Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l’heure !<br />

87


Personne n’est prophète dans son pays<br />

(Luc 4, 13-32)<br />

Avant de se mettre à traverser le pays pour annoncer <strong>la</strong> Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu,<br />

Jésus s’était rendu dans le désert proche du Jourdain. Pendant quarante jours et quarante nuits, il<br />

avait prié, médité et réfléchi sur sa vie, son destin et sa mission. L’esprit du mal vint le tenter pour le<br />

faire renoncer à son entreprise, déployant toutes ses ruses et tous ses artifices. Mais c’est l’esprit de<br />

Dieu qui finit par l’emporter et qui remplit Jésus de force et de courage.<br />

Au sortir de cette retraite, Jésus retourna en Galilée, dans le nord du pays, et sa renommée se<br />

répandit dans <strong>la</strong> région. Il prenait <strong>la</strong> parole dans les synagogues et tout le monde était en admiration<br />

devant ce qu’il <strong>dis</strong>ait.<br />

C’est ainsi qu’il arriva à Nazareth où il avait grandi. Selon son habitude, il entra le jour du<br />

sabbat dans <strong>la</strong> synagogue du vil<strong>la</strong>ge et se leva pour faire <strong>la</strong> lecture, comme il est permis à tout<br />

homme adulte, dans <strong>la</strong> religion juive. On lui présenta le livre du prophète Isaïe, Jésus le dérou<strong>la</strong> et<br />

choisit le passage où il est écrit (Isaïe 61, 1-2) : L’esprit du Seigneur est sur <strong>moi</strong>, parce qu’il m’a élu<br />

pour annoncer <strong>la</strong> bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé consoler les cours brisés, libérer les<br />

prisonniers, ouvrir les yeux des aveugles, relever les opprimés il m’a envoyé proc<strong>la</strong>mer <strong>la</strong> trêve de<br />

Dieu. Puis jésus rou<strong>la</strong> le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans <strong>la</strong> synagogue fixaient les<br />

yeux sur lui. Ses premiers mots furent : L’oracle que vous venez d’entendre s’accomplit<br />

aujourd’hui ! Et chacun renchérissait sur lui, tellement on était surpris des paroles merveilleuses qui<br />

tombaient de ses lèvres.<br />

Mais bientôt quelqu’un cria : N’est-ce pas le fils de Joseph ? Jésus continua : Vous allez sans<br />

doute me citer ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même ! C’est-à-dire, fais donc ici chez toi les<br />

merveilles que tu as accomplies, <strong>nous</strong> assure-t-on, à Kephar-Nahum ! Après un silence, il ajouta :<br />

Laissez-<strong>moi</strong> vous dire qu’aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie ! Comme ils se taisaient<br />

toujours, il poursuivit : Rappelez-vous un peu au temps du prophète Elie, il y avait beaucoup de<br />

veuves en Israël, pendant <strong>la</strong> sécheresse qui dura plus de trois ans et qui provoqua une famine<br />

générale ; pourtant, Elie ne fut envoyé à aucune veuve d’Israël, mais à une veuve étrangère, de<br />

Sarepta, sur <strong>la</strong> côte de Sidon. Même chose au temps du prophète Élisée : il y avait beaucoup de<br />

lépreux en Israël ; pourtant, aucun d’eux ne fut guéri, si ce n’est l’étranger Naaman qui était<br />

Syrien !<br />

À ces mots, <strong>la</strong> colère s’empare de l’assistance de <strong>la</strong> synagogue. Tout le monde se lève, les plus<br />

acharnés l’entraînent hors de <strong>la</strong> ville jusqu’à <strong>la</strong> crête de <strong>la</strong> colline sur <strong>la</strong>quelle était bâtie<br />

l’agglomération. Ils essaient de le précipiter en bas. Mais Jésus passa au milieu d’eux et s’en al<strong>la</strong>. Il<br />

se rendit à Kephar-Nahum sur le <strong>la</strong>c et continua d’enseigner le jour du sabbat. Ce qui frappait, c’était<br />

bien sûr ce qu’il <strong>dis</strong>ait. Mais plus encore, c’était l’autorité avec <strong>la</strong>quelle il le <strong>dis</strong>ait.<br />

88


Ton prochain comme toi-même<br />

(Luc 10, 25-37)<br />

Peut-être l’avez-vous oublié, mais <strong>la</strong> religion jouait un grand rôle au temps de Jésus. On peut<br />

même dire que toute l’existence était organisée par rapport à elle, aussi bien <strong>la</strong> vie privée que <strong>la</strong> vie<br />

publique. Chacun se voyait attribuer un rôle précis : tout ce<strong>la</strong> venait de <strong>la</strong> grande tradition des livres<br />

saints.<br />

Ainsi certains magistrats connaissaient-ils dans ses <strong>moi</strong>ndres détails <strong>la</strong> Loi que Moïse avait mise<br />

au point au désert : on les appe<strong>la</strong>it les légistes. D’autres s’occupaient du Temple de Jérusalem : il y<br />

avait par exemple les prêtres chargés des sacrifices quotidiens et les lévites qui étaient un peu les<br />

sacristains de l’époque, veil<strong>la</strong>nt au matériel et à l’entretien ; mais prêtres et lévites vouaient leur<br />

existence au service de Yahvé dans le temple.<br />

Les juifs tenaient dans le plus grand mépris les Samaritains : <strong>la</strong> Samarie est une province qui<br />

avait fait sécession religieuse ; elle se situe entre <strong>la</strong> Galilée au nord, et <strong>la</strong> Judée au sud. Les<br />

Samaritains ne montaient pas à Jérusalem ; ils adoraient Dieu à un autre endroit en Samarie, le mont<br />

Garizim. Les juifs haïssaient tellement les Samaritains que le mot lui-même était devenu une insulte.<br />

Vous allez comprendre pourquoi il fal<strong>la</strong>it que je vous donne ces détails.<br />

Un jour, au cours d’une <strong>dis</strong>cussion, un légiste posa à Jésus une question-piège : Maître, que<br />

dois-je faire pour aller au ciel ? Jésus lui répondit du tac au tac : Que lis-tu dans les livres de <strong>la</strong><br />

Loi ? L’autre répondit par coeur : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton<br />

âme, de toute ta force et de toute ta pensée (Deutéronome 6,5), et ton prochain comme toi-même !<br />

(Lévitique 19, 18) Jésus rétorqua : Bonne réponse : tu n’as qu’à faire ce<strong>la</strong> et tu iras au ciel ! Mais le<br />

légiste, vou<strong>la</strong>nt pousser plus loin, continua : Oui, mais qui est mon prochain ?<br />

Jésus le regarda un instant. Puis il s’assit, se ca<strong>la</strong> contre le mur de <strong>la</strong> maison et raconta : Un<br />

homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Tu connais <strong>la</strong> route déserte et sinueuse, propice aux<br />

embuscades et aux guets-apens, qui n’en finit pas d’arriver à <strong>la</strong> ville des Palmes. Cet homme tomba<br />

entre les mains de brigands, qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et l’abandonnèrent à demimort<br />

sur le chemin. Par hasard vint à passer par là un prêtre, qui vit bien le blessé, mais passa<br />

outre. Quelque temps plus tard, c’est un lévite qui arriva sur les lieux, lui aussi continua sa route,<br />

bien qu’il ait vu le moribond... Mais voilà que passe un Samaritain en voyage : il s’approche de<br />

l’homme, l’examine, est pris de pitié. Alors il s’occupe de lui, nettoie ses p<strong>la</strong>ies avec de l’huile et du<br />

vin qu’il avait dans son bagage, les bande. Puis il juche l’homme sur sa propre monture et le conduit<br />

dans l’auberge <strong>la</strong> plus proche où il passe toute <strong>la</strong> nuit à son chevet. Le lendemain, il met quelques<br />

billets dans <strong>la</strong> main de l’hôtelier : Prends soin de lui, dit-il, et si tu as des frais supplémentaires, je te<br />

paierai à mon retour.<br />

Jésus s’arrêta quelques secondes, puis interrogea le légiste à son tour : D’après toi, lequel des<br />

trois voyageurs a été le prochain de celui que les brigands avaient massacré ? - Celui qui a eu pitié<br />

de lui, je pésume. - Eh bien, conclut Jésus en se relevant, tu n’as qu’à en faire autant !<br />

89


Même si un mort ressuscitait<br />

(Luc 16, 19-31)<br />

Jésus n’aimait pas faire de grandes théories quand on lui posait une question trop abstraite, trop<br />

intellectuelle, ou même quand on ne lui en posait pas du tout, mais qu’il sentait combien les gens<br />

étaient endurcis et réticents à se <strong>la</strong>isser toucher, ou convaincre, il inventait sur-le-champ une histoire,<br />

une parabole. Il était alors tellement fascinant dans ces occasions qu’on ne pouvait faire autrement<br />

que de l’écouter, même si ensuite…<br />

Ce jour-là, Jésus venait de <strong>raconte</strong>r une série de paraboles aux gens qui l’entouraient. Il y avait<br />

ses compagnons bien sûr, mais aussi des publicains - qui sont les col<strong>la</strong>borateurs de l’occupant<br />

romain -, et pas mal de Pharisiens - qui étaient les Juifs spécialistes de <strong>la</strong> stricte observance de <strong>la</strong> Loi.<br />

Ces derniers écoutaient bien, mais on sentait leur cœur bouché ils ricanaient.<br />

Au bout d’un moment, Jésus se retourna carrément vers eux et entama à leur intention <strong>la</strong><br />

parabole suivante : Il était une fois un homme riche, qui s’habil<strong>la</strong>it de pourpre et de fine toile et qui<br />

chaque jour faisait bombance. Mais il y avait aussi, allongé devant sa porte, couvert de pustules et<br />

de saleté, un pauvre nommé Lazare qui aurait bien voulu se nourrir des déchets de <strong>la</strong> table du riche.<br />

Les jours passaient de <strong>la</strong> sorte. Le pauvre n’eut même pas <strong>la</strong> force de repousser les chiens qui<br />

venaient lui lécher les p<strong>la</strong>ies : il mourut. Alors les anges vinrent le prendre pour le porter au ciel<br />

près d’Abraham.<br />

Le riche aussi finit par mourir à son tour et on l’ensevelit. Une fois chez les morts, le riche leva<br />

les yeux, tan<strong>dis</strong> qu’il était à <strong>la</strong> torture, et il aperçut de loin Abraham qui entourait Lazare de son<br />

bras. Alors le riche s’écria : Père Abraham, aie pitié de <strong>moi</strong> ! Envoie Lazare tremper dans l’eau le<br />

bout du doigt pour m’en rafraîchir <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, car je souffre horriblement dans ces f<strong>la</strong>mmes. Abraham<br />

répondit : Mon fils, souviens-toi que tu étais riche sur terre, tan<strong>dis</strong> que Lazare n’avait que des<br />

malheurs : maintenant c’est lui qui est réconforté ici, tan<strong>dis</strong> que tu souffres. D’ailleurs, mon pauvre,<br />

entre <strong>nous</strong> et vous il y a un tel abîme qu’il est impossible, même si on le vou<strong>la</strong>it, de passer d’ici chez<br />

vous et vice versa !<br />

Le riche supplia alors : Père Abraham, je te prie au <strong>moi</strong>ns d’envoyer Lazare dans notre maison<br />

paternelle car j’ai cinq frères, il devrait aller leur dire ce qu’il en est, pour qu’ils ne finissent pas eux<br />

aussi dans ce lieu de tourments !<br />

Abraham répliqua : Vois-tu ! Ils ont <strong>la</strong> loi de Moïse et tous les prophètes : ils n’ont qu’à les<br />

écouter ! Le riche ne s’avouait pas vaincu : Non, père Abraham ! Mais si quelqu’un qui est mort va<br />

les trouver, ils se repentiront ! Mais Abraham eut cette phrase, tan<strong>dis</strong> qu’il esquissait déjà le geste de<br />

s’éloigner : S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, quand bien même un mort ressusciterait, ils<br />

ne se <strong>la</strong>isseront pas convaincre !<br />

90


Connaître et reconnaître<br />

(Luc 24, 13-39)<br />

Deux hommes hâtaient le pas sur <strong>la</strong> route qui descend par les collines de Jérusalem à Jaffa sur <strong>la</strong><br />

côte. C’était déjà l’après-midi, ils se rendaient au bourg d’Emmaüs, à une douzaine de kilomètres de<br />

<strong>la</strong> capitale. Tout en marchant, ils commentaient les derniers événements du week-end précédent :<br />

l’arrestation de Jésus, sa condamnation, sa crucifixion et <strong>la</strong> mise au tombeau. Pendant qu’ils<br />

<strong>dis</strong>cutaient entre eux, un autre voyageur les accosta et se joignit à eux : c’était Jésus, mais c’était<br />

comme s’ils avaient un bandeau sur les yeux : ils ne le reconnurent pas. De quoi parliez-vous chemin<br />

faisant ? leur demanda-t-il. Tous deux s’arrêtèrent alors, le visage triste. L’un des deux, qui<br />

s’appe<strong>la</strong>it Cléophas, lui répond : Serais-tu le seul étranger dans Jérusalem à ignorer ce qui s’y est<br />

passé ces jours-ci ? - Mais quoi donc ? - Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth ! C’était un prophète<br />

extraordinaire qui faisait des miracles, qui <strong>dis</strong>ait des choses admirables un homme de Dieu, le<br />

peuple ne s’y trompait pas ! Eh bien, nos grands prêtres et nos magistrats l’ont livré à <strong>la</strong> police<br />

romaine pour le faire condamner à mort et ils l’ont crucifié. Et <strong>nous</strong>, qui espérions que ce serait lui<br />

qui sauverait Israël ! Et tout cas, ce<strong>la</strong> fait trois jours que ces événements sont arrivés. Il y a bien<br />

quelques femmes de notre groupe qui <strong>nous</strong> ont rapporté des choses déconcertantes : elles sont allées<br />

tôt le matin jusqu’au tombeau et n’y ont pas trouvé le corps. Elles sont revenues rapporter <strong>la</strong> chose<br />

en ajoutant que des anges leur sont apparus pour leur dire qu’il est vivant. Quelques-uns des nôtres<br />

se sont aussitôt rendus au tombeau à leur tour, ils ont confirmé ce que les femmes avaient rapporté.<br />

Mais lui, ils ne l’ont pas vu !<br />

Jésus dit alors : Vous ne comprenez donc pas ? Ah ! qu’il vous en faut du temps pour croire ce<br />

qu’ont dit les prophètes ! Le Messie devait souffrir pour être glorifié ! Alors, reprenant à partir de<br />

Moïse et en passant par tous les prophètes, il leur explique tout ce que les Écritures racontaient à son<br />

sujet.<br />

Tan<strong>dis</strong> qu’il par<strong>la</strong>it, voilà qu’apparaît le vil<strong>la</strong>ge où ils se rendaient. Jésus fait mine d’aller plus<br />

loin. Mais ils insistent : Reste avec <strong>nous</strong>. Le soir tombe et il fait déjà sombre. Il accepte. Et pendant<br />

le repas, il prend le pain, le bénit, le rompt et le leur présente. À ce moment précis, leurs yeux<br />

s’ouvrent. Ils le reconnaissent, mais il avait <strong>dis</strong>paru.<br />

Illico presto, ils se remirent en route, direction Jérusalem : Tu te rappelles comme <strong>nous</strong> étions<br />

émus tout à l’heure, quand il <strong>nous</strong> expliquait les Écritures ? - Oui, je me rappelle maintenant !<br />

À Jérusalem, ils courent chez les Onze. On leur annonce : Le Seigneur est vraiment ressuscité :<br />

il est apparu à Simon ! À leur tour, ils <strong>raconte</strong>nt ce qui leur étaient arrivé en chemin et comment ils<br />

l’avaient reconnu au moment où il rompait le pain.<br />

91


Appelle - Appelons - Appelez !<br />

(Jean 1, 35-51)<br />

Tout le monde connaît Jean-Baptiste : c’est le cousin de jésus. Il s’était posté sur <strong>la</strong> rive du<br />

Jourdain et s'adressait aux foules qui venaient à lui, afin que chacun change son cœur pour préparer<br />

<strong>la</strong> venue du Messie, du fils de Dieu. Les gens entraient dans le fleuve et avouaient leurs fautes, Jean<br />

leur versait symboliquement de l’eau sur <strong>la</strong> tête en signe de pardon. Un jour, Jésus aussi se présenta à<br />

Jean, qui tout d’abord ne voulut pas le baptiser : on ne baptise pas le Messie, on l’accueille. Mais<br />

Jésus avait voulu lui aussi, en tant qu’homme parmi les hommes, se soumettre à ce rite.<br />

Le lendemain de son baptême, Jésus repassa par l’endroit où Jean baptisait. Entouré de deux de<br />

ses <strong>dis</strong>ciples, Jean le reconnut et s’écria devant eux en l’indiquant du doigt : Le voilà, c’est lui ! À<br />

ces mots, les deux <strong>dis</strong>ciples le <strong>la</strong>issèrent et se mirent aussitôt à suivre jésus. Jésus se retourne : Que<br />

voulez-vous ? - Rabbi, c’est-à-dire Maître, où demeures-tu ? - Venez voir ! fut <strong>la</strong> seule réponse. Ce<br />

qu’ils firent. Et ils passèrent <strong>la</strong> journée avec lui. C’était en fin d’après-midi.<br />

L’un d’eux était André et il avait un frère, Simon. Il al<strong>la</strong> aussitôt le trouver et lui annonça : Nous<br />

avons découvert le Messie ! Il l’amena à Jésus qui lui dit en le fixant dans les yeux : Tu es Simon, fils<br />

de Jean : tu t’appelleras désormais Pierre !<br />

Le lendemain, Jésus vou<strong>la</strong>it se rendre en Galilée. Sur le chemin, il rencontre Philippe. Suis<strong>moi</strong><br />

! lui dit-il. Il faut dire que Philippe était de Bethsaïde, d’où venaient aussi André et Pierre.<br />

Philippe à son tour tombe sur Nathanaël : Nous avons trouvé celui dont Moïse a parlé dans <strong>la</strong> Loi et<br />

qu’ont annoncé les prophètes : C’est jésus de Nazareth, le fils de joseph ! Nathanaël répondit en<br />

ricanant : Que peut-il donc sortir de bon de Nazareth ? Philippe lui répondit un peu agacé : Viens<br />

donc voir !<br />

En voyant Nathanaël venir à lui, Jésus dit de loin : Voici un Israélite typique qui dit ce qu’il<br />

pense ! Mais Nathanaël rétorqua aussitôt : D’où me connais-tu ? - Avant que Philippe ne t’appelle,<br />

quand tu te reposais sous le figuier, je t’avais déjà vu ! Alors, tan<strong>dis</strong> que les bras lui en tombaient,<br />

Nathanaël s’écria sur un tout autre ton : Maître, tu es le fils de Dieu, tu es le roi d’Israël ! - Ah !<br />

Nathanaël, reprit Jésus, parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois ! Tu vas voir ce<br />

que tu vas voir ! Et jésus ajouta en se redressant, comme s’il avait soudain grandi à vue d’œil : Je<br />

vous le déc<strong>la</strong>re solennellement : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu escorter le fils de<br />

l’homme !<br />

Et l’on partit pour <strong>la</strong> Galilée !<br />

92


Il faut renaître<br />

(Jean 3, 1-15)<br />

Les Pharisiens formaient un groupe religieux qui observaient à <strong>la</strong> lettre les <strong>moi</strong>ndres détails de <strong>la</strong><br />

Loi et qui en avaient tiré une multitude de préceptes régissant <strong>la</strong> vie quotidienne, non seulement du<br />

matin jusqu’au soir, mais même toute <strong>la</strong> nuit. Vous savez que Jésus avait souvent maille à partir avec<br />

eux, parce qu’ils lui reprochaient d’être sans foi ni loi ; lui leur rétorquait qu’ils avaient fini par<br />

remp<strong>la</strong>cer <strong>la</strong> loi de Moïse, par leurs propres lois à eux. Bref, c’était <strong>la</strong> guerre ouverte.<br />

Parmi les Pharisiens se trouvait un notable, Nicodème, qui se posait quand même des questions.<br />

Une nuit, par crainte des autres, il vint trouver Jésus. Il lui fal<strong>la</strong>it quand même du courage. Maître,<br />

commença-t-il, <strong>nous</strong> savons que tu es un docteur et que tu viens de <strong>la</strong> part de Dieu, parce que<br />

personne ne peut faire ce que tu fais si Dieu n’est pas avec lui ! Il se tut un instant, ne sachant<br />

comment aller plus loin. Comme en écho, jésus poursuivit alors : Tu sais, pour voir le royaume de<br />

Dieu, il faut naître ailleurs ! » Nicodème se raccrocha alors : Oui, quand on est vieux, comment peuton<br />

renaître ? On ne peut tout de même pas rentrer dans le ventre de sa mère et naître une deuxième<br />

fois ! - Attention : pour entrer dans le royaume de Dieu, il faut être enfanté par l’Esprit. Ce qui est<br />

enfanté par <strong>la</strong> chair est chair, ce qui est enfanté par l’Esprit est Esprit. Tu comprends maintenant<br />

pourquoi je <strong>dis</strong> qu’il faut naître ailleurs ! L’Esprit, comme le vent, souffle où il veut : tu l’entends<br />

bien, mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va ! C’est <strong>la</strong> même chose pour l’homme enfanté par<br />

l’Esprit. Nicodème interrogea, désappointé : Mais comment ce<strong>la</strong> se passe-t-il ?<br />

Jésus sourit : Comment ? Tu es docteur en Israël et tu ne comprends pas ce que je <strong>dis</strong> ? Moi, je<br />

<strong>dis</strong> ce que je sais, j’atteste ce que j’ai vu, mais vous, vous n’acceptez pas ce que je <strong>dis</strong>. Si vous ne me<br />

croyez pas quand je vous parle de <strong>la</strong> terre, lorsque je vous parlerai du ciel, comment me croirezvous<br />

? Or nul n’est monté au ciel, sinon celui qui en est descendu, le Fils de l’Homme qui est dans le<br />

ciel. Nicodème se taisait. Jésus le regardait, puis il ajouta : Tu te souviens du serpent d’airain que<br />

Moïse fit dresser dans le désert ? Il guérissait tous ceux qui tournaient les yeux vers lui. De même, il<br />

faut que le Fils de l’Homme soit dressé en l’air et tout homme qui croira en lui, connaîtra <strong>la</strong> vie<br />

éternelle.<br />

En rasant les rues étroites de <strong>la</strong> vieille ville, Nicodème méditait un <strong>la</strong>ngage qu’il entendait pour<br />

<strong>la</strong> première fois : Renaître ! répétait-il en pressant le pas ! Renaître !<br />

93


Il y a eau et eau<br />

(Jean 4, 4-42)<br />

Les Samaritains ne peuvent pas supporter les juifs, ni les juifs les Samaritains. Seulement voilà :<br />

pour passer de Judée en Galilée, il faut traverser <strong>la</strong> Samarie, c’est <strong>la</strong> ligne directe. Il arrive donc que<br />

Samaritains et non Samaritains se rencontrent quand même.<br />

Jésus vou<strong>la</strong>it passer de Judée en Galilée : il devait donc traverser <strong>la</strong> Samarie.<br />

On arriva dans une localité nommée Sichar, près de <strong>la</strong> terre que le patriarche Jacob avait donnée<br />

à son fils Joseph : il y avait là le fameux puits de Jacob. Fatigué du voyage, Jésus s’était assis sur <strong>la</strong><br />

margelle du puits, tan<strong>dis</strong> que ses <strong>dis</strong>ciples étaient allés en ville chercher des provisions. Il était<br />

environ midi.<br />

Voilà qu’une Samaritaine vint puiser de l’eau. Celle-ci ignora jésus qui, d’un coup, lui dit :<br />

Donne-<strong>moi</strong> à boire ! Elle lui répondit alors très étonnée : Comment, toi, un Juif, tu me demandes à<br />

boire, à <strong>moi</strong>, une Samaritaine ! Jésus répliqua : Si tu te doutais de ce que Dieu peut faire, et si tu<br />

savais à qui tu parles, c’est toi qui m’aurais demandé à boire, et <strong>moi</strong>, je t’aurais donné de l’eau<br />

vive ! La femme dit alors, un sourire au coin de lèvres : Tu n’as rien pour puiser et le puits est<br />

profond, d’où tires-tu donc cette eau vive ? Es-tu plus grand que notre ancêtre Jacob qui <strong>nous</strong> a<br />

<strong>la</strong>issé ce puits, dont il a bu lui, ses fils et ses troupeaux ? - Quiconque boit de cette eau, poursuivit<br />

Jésus, aura soif à nouveau, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif.<br />

L’eau que je lui donnerai deviendra elle-même source inépuisable à jamais. Alors elle trancha :<br />

Donne-<strong>moi</strong> vite de cette eau, comme ça je n’aurai plus soif, et je n’aurai plus à venir puiser ici !<br />

Soudain, Jésus changea de ton : Va chercher ton mari et reviens ici ! Interloquée, <strong>la</strong> femme<br />

souff<strong>la</strong> faiblement : Je n’ai pas de mari ! - C’est vrai ce que tu <strong>dis</strong>, continua Jésus. Tu en as eu cinq,<br />

et l’homme avec qui tu vis maintenant, n’est pas le tien. Tu as raison !<br />

La voix de <strong>la</strong> femme semb<strong>la</strong> se raffermir, elle interrogea tout à coup : D’accord, je vois que tu es<br />

un prophète ! Peux-tu me dire pourquoi nos pères ont adoré Dieu sur cette montagne, là derrière,<br />

sur le mont Garizim, et pourquoi vous, les Juifs, vous dites que c’est à Jérusalem qu’il faut adorer<br />

Dieu ? Patiemment, presque souriant, Jésus répondit : Femme, crois-<strong>moi</strong>, le jour arrive où ce ne sera<br />

ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père : Vous, les Samaritains, vous adorez<br />

ce que vous ne connaissez pas ; <strong>nous</strong> adorons, <strong>nous</strong>, juifs, ce que <strong>nous</strong> connaissons : le salut vient<br />

des juifs, attention ! Mais voici venir le temps, et il est déjà là, où les vrais adorateurs adoreront le<br />

Père en Esprit et vérité : c’est ce qu’il veut. Dieu est esprit, il faut que ses adorateurs l’adorent en<br />

esprit et en vérité ! À ces mots, <strong>la</strong> femme répliqua : Je sais que le Messie doit venir pour <strong>nous</strong><br />

expliquer tout ce<strong>la</strong> ! - Eh bien, c’est <strong>moi</strong> qui te parle ! termina Jésus.<br />

À ce moment arrivent les autres, surpris de le voir avec une femme ; mais personne ne lui<br />

demande quoi que ce soit. Soudain <strong>la</strong> femme, abandonnant sa cruche, court en ville et annonce à qui<br />

veut l’entendre : Venez, j’ai vu un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait : c’est peut-être le<br />

Messie ! Et beaucoup <strong>la</strong> suivent jusqu’à Jésus.<br />

Pendant ce temps, les <strong>dis</strong>ciples avaient invité jésus à se restaurer un peu. Jésus repoussa ce<br />

qu’on lui offrait en <strong>dis</strong>ant : Je suis convié à une table dont vous n’avez aucune idée ! - Quelqu’un<br />

l’aurait-il déjà invité ? se demandaient entre eux les <strong>dis</strong>ciples. Je me nourris de <strong>la</strong> volonté de mon<br />

père, reprit Jésus, le regard perdu dans les collines, c’est son œuvre que j’accomplis. Ne dites-vous<br />

pas que <strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson est dans quatre <strong>moi</strong>s ? Eh bien, <strong>moi</strong>, je vous le <strong>dis</strong> : Levez les yeux, regardez, les<br />

campagnes sont déjà b<strong>la</strong>nches pour <strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson, déjà le <strong>moi</strong>ssonneur voit sa récompense et engrange<br />

pour une vie qui ne finit pas. Le proverbe a bien raison pour une fois : l’un sème, l’autre <strong>moi</strong>ssonne.<br />

Je vous ai envoyés <strong>moi</strong>ssonner un champ que vous n’avez pas travaillé ; d’autres ont travaillé et<br />

vous avez profité de leur travail !<br />

Jésus s’était arrêté de parler et restait les yeux fixés sur l’horizon, quand on vit s’approcher les<br />

vil<strong>la</strong>geois qui avaient suivi <strong>la</strong> femme : on pria Jésus de séjourner à Sychar. Jésus y resta deux jours.<br />

Beaucoup d’autres vil<strong>la</strong>geois se mirent à croire en lui et ils <strong>dis</strong>aient alors à <strong>la</strong> femme, toute<br />

94


ouleversée par ce qui arrivait grâce à elle : Ce n’est plus seulement à cause de toi que <strong>nous</strong> croyons<br />

en lui maintenant. Nous l’avons écouté <strong>nous</strong>-mêmes ; c’est vraiment lui qui vient pour <strong>nous</strong> sauver !<br />

95


Selon l’apparence<br />

(Jean 8, 1-11)<br />

À cette époque, Jésus voyait sa réputation empirer auprès des chefs des prêtres, des spécialistes de <strong>la</strong><br />

loi, mais aussi des forces de police chargées de maintenir l’ordre : partout où Jésus par<strong>la</strong>it, <strong>la</strong> foule<br />

grossissait. On prenait parti pour ou contre lui. Les gens étaient divisés. Personne ne savait plus. On<br />

par<strong>la</strong>it déjà de complot pour le supprimer et on lui tendait tous les pièges possibles pour le<br />

surprendre en faute et pouvoir l’accuser. Tout serait bon !<br />

Jésus avait suivi les conseils de ses amis de Béthanie : il habitait chez eux, de l’autre côté du<br />

Cédron, derrière le mont des Oliviers. Juste à une demi-heure de Jérusalem. Il s’y retirait chaque<br />

soir. Le matin, il n’avait qu’à redescendre <strong>la</strong> pente en contemp<strong>la</strong>nt l’architecture formidable du<br />

temple pour accéder immédiatement aux escaliers qui menaient dans les cours intérieures. Dès qu’il<br />

arrivait, on se précipitait en masse pour l’entendre ; il s’asseyait au pied d’une colonne, et du haut de<br />

quelques marches, il se mettait à enseigner dans un silence impressionnant pour l’endroit.<br />

Ce matin-là, tan<strong>dis</strong> qu’il par<strong>la</strong>it, un groupe de scribes et de pharisiens traînèrent devant lui une<br />

femme débraillée. Le silence, déjà lourd, devient pesant. Autour de <strong>la</strong> femme, on s’écarte : elle reste<br />

là, au centre d’un cercle, échevelée et livide, plus honteuse encore que si elle avait été nue, sous les<br />

regards pleins de haine et de jouissance morbides, qui animent les voyeurs, les impuissants et les<br />

pervers de <strong>la</strong> terre. Elle regarde Jésus, ses accusateurs regardent Jésus, <strong>la</strong> foule regarde Jésus : Jésus<br />

semble regarder un point inaccessible, au fond de chacun d’eux, le point de rupture où l'homme et <strong>la</strong><br />

bête se séparent. Maître ! Le mot c<strong>la</strong>que dans l’air électrique. Cette femme a été surprise en f<strong>la</strong>grant<br />

délit d’adultère. Dans <strong>la</strong> Loi, Moïse prescrit de <strong>la</strong>pider ces femmes-là. Et pour le mettre à l’épreuve<br />

de <strong>la</strong> vérité, devant <strong>la</strong> foule qui retient son souffle, l’accusateur l’interroge : Et toi, qu’en <strong>dis</strong>-tu ?<br />

Tous les regards étaient maintenant braqués sur l’homme de Nazareth : il avait légèrement<br />

baissé <strong>la</strong> tête vers le sol et semb<strong>la</strong>it déchiffrer des signes automatiques que son doigt dessinait sur le<br />

marbre centenaire des dalles du portique. Cette attitude ne fut pas pour p<strong>la</strong>ire à l’orateur, qui, prenant<br />

du regard <strong>la</strong> foule à té<strong>moi</strong>n, se réjouissait déjà et se préparait à insister. C’est alors que Jésus,<br />

relevant soudain <strong>la</strong> tête, leur asséna d’une voix irrésistible : Que celui qui n’a rien à se reprocher lui<br />

jette <strong>la</strong> pierre le premier ! Et d’une tranquille assurance, il poursuivit son jeu d’écriture.<br />

Ce fut d’abord comme une immense stupeur qui se serait abattue sur le groupe des accusateurs ;<br />

ils semb<strong>la</strong>ient avoir rapetissé. C’est sur eux maintenant que les mille yeux de <strong>la</strong> foule versatile<br />

avaient versé. On les vit se retirer un à un jusqu’au dernier, à commencer par les plus âgés, sous les<br />

huées du peuple, ravi de conspuer ceux dont <strong>la</strong> morgue religieuse avait déshumanisé le culte et <strong>la</strong> loi.<br />

À <strong>la</strong> fin, Jésus resta seul avec <strong>la</strong> femme devant lui et, bien sûr, <strong>la</strong> foule qui attendait le dénouement.<br />

Jésus se releva. Debout en haut des marches, <strong>la</strong> colonne derrière lui, il paraissait immense. Il<br />

posa sur <strong>la</strong> femme un regard malicieusement surpris : Où sont-ils ? On ne te condamne plus ? - Non,<br />

Seigneur ! souff<strong>la</strong>-t-elle, tremb<strong>la</strong>nte. Et secouant <strong>la</strong> tête, il continua, tan<strong>dis</strong> que <strong>la</strong> joie simple faisait<br />

couler quelques <strong>la</strong>rmes aux premiers rangs : Moi non plus, je ne te condamne pas. Tu peux t’en aller.<br />

Et puis, désormais, ne te trompe plus !<br />

Céron-Marcigny, septembre 1981.<br />

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QUATRIÈME PARTIE<br />

LA BIBLE...<br />

À NOS AMOURS !<br />

Dans le genre « Il était une fois… », <strong>la</strong> Bible n’a jamais été dépassée. Elle est <strong>la</strong> mère du conte !<br />

J’ai commis un premier livre, - « Si <strong>la</strong> Bible m’était contée… » il y a plus de vingt ans ( !) -, qui<br />

reprenait mes émissions du « Jour du Seigneur » au début des années quatre-vingt, où je « jouais » le<br />

rôle du « Conteur biblique ». L’émission et le livre connurent un certain succès : taux d’écoute doublé,<br />

et deux éditions. Tout est épuisé ! Ce sont les textes qui précèdent.<br />

Et puis, c’est apparemment le retour à mes anciens démons : rendre le texte des deux testaments aussi<br />

proche que possible des mentalités contemporaines, post, méta et parachrétiennes, dont les oreilles et<br />

l’imaginaire ont été battus et formés à ces références devenues quasi inconscientes, d’univers nés entre<br />

des fleuves, des déserts et des rivages qui ont permis à <strong>la</strong> foi monothéiste de naître et qui font toujours<br />

rêver ! Peut-être d’ailleurs n’y a-t-il rien de plus proches en l’homme que le rêve et <strong>la</strong> foi !<br />

En 2004, ont paru les quatre tomes de mes transpositions intégrales du Nouveau Testament, sous le<br />

titre général de « Relire le Testament », aux éditions Dô (bientôt <strong>dis</strong>tribué par Factuel/Parole et<br />

Silence, qui publie le présent ouvrage), texte traduit à partir du grec ancien original. Mes amis m’ont<br />

suggéré alors de me mettre à une autre thématique, celle de l’amour, des amours plus exactement, à<br />

partir d’histoires tirées de l’Ancien Testament.<br />

Me voici donc au seuil d’une vingtaine d’aventures (vingt et une exactement) qui d’Adam et Ève vont<br />

jusqu’à Joseph et Marie. De toutes sortes : patriarches, prophètes, rois, quidams qui ont un jour aimé,<br />

c’est-à-dire vibré, souffert, vécu, espéré, et que <strong>la</strong> postérité a immédiatement choisis comme<br />

ambassadeurs de ses existences multiples et paradoxales.<br />

Les femmes de <strong>la</strong> Bible porteraient-elles l’intuition de Dieu ?<br />

On dit que <strong>la</strong> Bible est rude avec les femmes. Le jugement est trop dur. Dans une société où <strong>la</strong> femme<br />

avait effectivement peu de droits pour beaucoup de devoirs, <strong>la</strong> Bible a sculpté des portraits<br />

d’exception, avec cette intuition majeure : magnifiques, tenaces, parfois fourbes ou astucieuses, ces<br />

femmes sont souvent étonnamment ajustées au projet de Dieu. Elles veillent sur lui comme sur un<br />

nouveau né, elles ouvrent <strong>la</strong>rge l’espace de Dieu au pays des hommes.<br />

L’ancienne saga voit défiler de grandes figures étonnantes !<br />

Ainsi Ève, qui inaugure ; Sara, déjà vieille, qui rit de ce qu’elle entend de l’étranger qui passe ! Puis<br />

viennent Rébecca et Rachel, qui entrent dans l’histoire d’Isaac et de Jacob par <strong>la</strong> porte du courage et<br />

de <strong>la</strong> fidélité. Ruth, Anne et Sara qui souffrent et qui voient se réaliser leurs rêves !<br />

La femme n’est pas toujours l’amie de l’homme, qu’elle veuille son droit, se venger de lui ou<br />

l’exploiter : Tamar de Juda, Madame Potiphar et Dali<strong>la</strong> ne sont pas recommandables !<br />

97


Beaucoup de victimes parmi elles : du désir, de <strong>la</strong> folie et de <strong>la</strong> haine. Voici Mikal, Bethsabée, et<br />

Tamar d’Amnon, pauvres objets !<br />

Et voici l’héroïne entre toutes, Judith ! Les amants entre tous, le Bien Aimé et <strong>la</strong> Bien Aimée du<br />

Cantique immortel !<br />

Voici Gomer qui joue son rôle de prostituée dans <strong>la</strong> prédication prophétique d’Osée !<br />

Un petit détour par <strong>la</strong> saga nouvelle <strong>nous</strong> fait assister à ces mariages porteurs de <strong>la</strong> promesse de Dieu<br />

que sont les chastes épousailles de Marie et de Joseph, et <strong>la</strong> descendance inespérée d’Élisabeth et de<br />

Joseph.<br />

Je n’ai pu m’empêcher de terminer cette galerie par les grandes amoureuses que furent chacune dans<br />

son emploi, l’insatiable Magdaléenne et son Rabouni pascal, ainsi que l’immense chercheuse d’amour<br />

qu’est <strong>la</strong> Samaritaine, avide d’une eau qui <strong>la</strong> désaltèrera définitivement !<br />

Le croyant, qui voit le doigt de Dieu partout, parlera de providence et de prédétermination.<br />

L’agnostique n’y verra que les feux de l’amour, attisés par le souffle d’une civilisation et d’une culture<br />

nourries aux mouvements poétiques d’époques d’autant plus fabuleuses qu’elles bénéficient de notre<br />

ignorance. Le tout venant se contentera de jouir des vicissitudes de cette occupation humaine des plus<br />

triviales, mais soumise sans cesse aux aléas imprescriptibles des destins et des libertés individuelles.<br />

Pourquoi sommes-<strong>nous</strong> donc toujours concernés par l’aventure de l’amour ? Parce que cette aventure<br />

est à <strong>la</strong> portée de tout un chacun, par le seul fait qu’il est un être humain. Aimer - et son contraire haïr,<br />

avec toute <strong>la</strong> cohorte des sentiments intermédiaires qui en découlent -, est notre lot à tous. Et rien de ce<br />

qui arrive aux autres en ce domaine ne peut <strong>nous</strong> <strong>la</strong>isser indifférents.<br />

Voici donc les histoires d’amours de nos ancêtres dans <strong>la</strong> foi et l’espérance : ils ont cru, ils ont espéré :<br />

« Qu’on <strong>dis</strong>e : Ils ont aimé… »<br />

À mon ami Francesco Scarani,<br />

Signore da Villongo d’Iseo<br />

Commencé à Villongo d’Iseo, Bergame ;<br />

Terminé au Château de Rozès, Gers.<br />

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Adam & Ève : L’initiative<br />

Gn 1,26-31 ; 2,4b-25(+4,1-26)<br />

Ce fut donc au bout du compte que Dieu se serait décidé à mettre l’homme au monde ! On peut<br />

vraiment se demander pourquoi et comment une telle idée lui est venue ! Encore plus étonnant : ce<br />

dernier ressemblerait à Dieu, il serait une « image » de Dieu. Oh, bien sûr, une image abstraite, un<br />

symbole, une épiphanie de Dieu, lui tenant lieu de visibilité ! Mais encore : pourquoi ce besoin chez<br />

Dieu de fabriquer de rien, de le terre adama, une sorte de clone sensible de lui-même, qui reste<br />

insensible ? Pour se voir en le voyant ? Dieu contemp<strong>la</strong>nt Adam, issu de <strong>la</strong> terre et de lui-même, à <strong>la</strong><br />

fois sensible et insensible, à <strong>la</strong> fois poussière et éternité, donc ! Ce que Dieu ne peut pas être : à <strong>la</strong><br />

limite Adam serait plus complet que son inventeur !... C’est <strong>la</strong> meilleure !<br />

Il semble même que Dieu s’y soit complu, à cette espèce de double de lui-même, quelque part, comme<br />

on dit. Il lui donne, tout simplement, de commander à tout l’univers qu’il vient d’appeler de rien. Il lui<br />

donne de commander aux poissons, aux oiseaux, aux bêtes, à celles qui deviendront domestiques et à<br />

celles qui resteront sauvages, et à tout ce qui rampe…, pourquoi tout ce qui rampe ? Ramper, mon<br />

<strong>dieu</strong>, quelle destinée !<br />

Seulement voilà, par quel détour de sa pensée, Dieu crut-il bon de mettre à exécution une autre idée,<br />

celle qui devait <strong>la</strong>ncer toute l’aventure humaine ! Il fut d’avis en effet qu’il ne fal<strong>la</strong>it pas <strong>la</strong>isser<br />

Adama seul, qu’il lui fal<strong>la</strong>it une compagne, « une aide, dit le texte, qui lui soit assortie ! ». Ce fut<br />

même l’homme qui « enfanta » cette compagne – Dieu aidant, bien sûr ! –, non pas par où l’enfant<br />

arrivera par <strong>la</strong> femme dans <strong>la</strong> suite, mais par le côté, par le f<strong>la</strong>nc, par le cœur. Pour le coup, rapporte<br />

encore <strong>la</strong> belle histoire, c’est l’os de mes os, et <strong>la</strong> chair de ma chair ! se serait écrié Adama. Je<br />

l’appellerai Ève, <strong>la</strong> vie !<br />

Et c’est ainsi que l’image, le clone, le double physique de Dieu perdit – s’il l’eût jamais connue –, <strong>la</strong><br />

simplicité, l’unité, l’intégrité de nature. Ce dernier-né de <strong>la</strong> volonté éternellement incompréhensible se<br />

trouva finalement être deux ! Non pas deux en un, mais deux séparés l’un de l’autre, pour ne faire<br />

qu’un quand ils s’uniraient, un temps d’étreinte, de p<strong>la</strong>isir et de mort ! Mais le reste du temps - temps<br />

qui commence avec eux -, ils resteraient irrémédiablement deux, toute leur existence, à <strong>la</strong> fois<br />

compatibles et incompatibles, attirés mais s’excluant l’un l’autre, se désirant et se repoussant, brû<strong>la</strong>nt<br />

d’être ensemble et aspirant à être éloignés, jamais tranquilles, jamais satisfaits, voués à <strong>la</strong> répétition<br />

obsessionnelle de l’attraction et de <strong>la</strong> <strong>dis</strong>traction, comme « l’inspir et l’expir » l’actinie sous <strong>la</strong> caresse<br />

de <strong>la</strong> vague, comme pompent <strong>la</strong> diastole et <strong>la</strong> systole du cœur sous les coups du sang.<br />

Ainsi, c’est par <strong>la</strong> simplicité que Dieu se réservait de rester Dieu, au-delà de toute image et de toute<br />

ressemb<strong>la</strong>nce, et surtout de toute division : simple, un, indivis, en soi, complet par lui-même, sans<br />

ajout ni retrait, sans désir de l’autre, parce qu’étant à <strong>la</strong> fois l’un et l’autre, utriusque !<br />

Le lieu de cet irréparable scindement chez <strong>la</strong> créature sera situé précisément là où le rapprochement se<br />

produira saisonnièrement : ce lieu portera même le nom de cette ontologique séparation. Il s’appellera<br />

« sexe » : section, coupure ! Section, coupure inscrites dans <strong>la</strong> nature, dans <strong>la</strong> chair, et puis dans<br />

l’esprit, dans le cœur, jusque dans l’âme !<br />

Dieu lui reste non sexué : son sectionné, non coupé ! Il continue à ne faire qu’un avec lui-même, dans<br />

l’immobile permanence du présent de son être !<br />

Alors, à Adam et à celle qui sera appelée Ève, <strong>la</strong> femme, <strong>la</strong> vie, - à <strong>la</strong> Terre et à <strong>la</strong> Vie donc, - Dieu<br />

donna l’ordre de se multiplier, d’être féconds, de faire s’unir leurs sexes, pour une mutuelle<br />

fécondation, et de remplir de <strong>la</strong> sorte par leur progéniture l’espace ainsi développé... Et ainsi de<br />

suite… Tout était c<strong>la</strong>ir, alors : le désir se confondant avec le besoin, le bonheur avec le p<strong>la</strong>isir,<br />

l’imaginaire avec le réel et le présent avec l’avenir. Aucune frustration ni insatisfaction, aucun regret<br />

ni remords : les choses se faisaient, arrivaient, se passaient… Ils vivaient nus, ils n’avaient pas honte<br />

l’un devant l’autre (de quoi donc, mon Dieu ?), comme dit le texte naïvement, et avec comme une<br />

nostalgie…<br />

99


En tout cas, c’était le dernier jour, le sixième, de toute cette entreprise de faire en sorte qu’« il y ait<br />

quelque chose plutôt que rien » ! Et content de lui et de son œuvre, Dieu se reposa ! Shabbat !<br />

Alors ils s’aimèrent donc, puisque c’était ce que Dieu attendait d’eux !<br />

S’aimer n’est pas tout : et c’est déjà pourtant une tache énorme ! Mais devenir parents, çà ce fut<br />

quelque chose, et ils inauguraient ! Quelle surprise donc, quand Ève se vit grosse ! Quelle surprise<br />

encore quand elle accoucha : <strong>la</strong> première accouchée de l’histoire humaine !<br />

C’était un garçon, on l’appe<strong>la</strong> Caïn ! Et forts de l’expérience, ils firent un second enfant, ce fut Abel…<br />

Caïn et Abel ! L’histoire tragique des deux premiers frères est trop bien connue pour que je <strong>la</strong> <strong>raconte</strong><br />

ici : l’aîné tua le cadet !<br />

J’imagine seulement l’incompréhension des parents : <strong>la</strong> première famille, le premier meurtre, le<br />

premier sang répandu, le leur, tout neuf, à peine transmis dans <strong>la</strong> première étreinte, répandu par terre,<br />

dans <strong>la</strong> terre d’où il venait, « Adama, <strong>la</strong> première terre édifiée en homme », le sang retournant à <strong>la</strong><br />

terre, et l’homme, le fils, le cadet, à <strong>la</strong> poussière. La descendance serait donc une engeance issue d’un<br />

assassin, d’un fratricide, d’un tueur !<br />

S’aimer entraîne tant de choses qui <strong>nous</strong> surprendront : nos enfants, certes, ne sont pas nos enfants,<br />

<strong>nous</strong> l’apprenons très vite. Mais que l’amour provoque de telles catastrophes ! Adam et Ève ont du se<br />

poser bien des questions, en constatant l’échec de leur famille, <strong>la</strong> première : un assassin et un<br />

assassiné. Et eux, père et mère d’une victime et d’un meurtrier, tout ce<strong>la</strong> dans <strong>la</strong> même famille, <strong>la</strong><br />

première du genre humain, mais certes pas <strong>la</strong> première du genre…<br />

Le texte rapporte que les premiers parents firent l’amour encore une fois : un autre garçon naquit,<br />

qu’ils nommèrent Seth. Lui aussi eut un fils du nom d’Énoch, mais on se sait pas de qui ! Eh oui !<br />

Tout ce<strong>la</strong> se passait en des temps très anciens, et il fal<strong>la</strong>it bien que ce<strong>la</strong> commence d’une façon ou<br />

d’une autre, puisque ce<strong>la</strong> a commencé …<br />

On dit qu’Adam et Ève avait déjà cent trente ans quand Seth leur arriva. Et qu’ils vécurent encore plus<br />

de huit cents ans, engendrant fils en filles en quantité.<br />

Voilà ! Et leur mission accomplie de « croître et de se multiplier », ils moururent.<br />

C’est toujours difficile, de <strong>raconte</strong>r les débuts, surtout quand on n’était pas là. Toutes les amours<br />

démarrent aussi à notre insu. Quand <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> rendons compte que <strong>nous</strong> aimons, c’est que ce<strong>la</strong> a<br />

commencé depuis un moment déjà, mais <strong>nous</strong> ne le savions pas.<br />

Alors <strong>nous</strong> récupérons notre passé comme <strong>nous</strong> pouvons. Et quand il n’y a aucun document, eh bien,<br />

<strong>nous</strong> inventons notre épopée amoureuse qui n’est que « l’histoire écoutée aux portes de <strong>la</strong> légende » !<br />

100


Noé : Madame Noé<br />

Gn 6(5) 9 - 9(29) [10,1-32]<br />

Il semble que <strong>la</strong> méchanceté de l’homme se répandait sur <strong>la</strong> terre, bien plus vite que <strong>la</strong> bonté ! À<br />

l’époque ! Mais ce<strong>la</strong> n’a pas tellement changé ! Et que ce soi-<strong>dis</strong>ant sommet de <strong>la</strong> création<br />

- l’Homme ! - ne formait que des mauvais desseins à longueur de journée ! Comme quoi : on peut<br />

avoir semé le bien en toute bonne foi (et de Dieu, on ne peut pas en douter !), et récolter quand même<br />

<strong>la</strong> tempête ! Dieu n’avait vraiment pas de chance avec son œuvre <strong>la</strong> plus belle ! Sa décision fut<br />

immédiate : tout annuler et recommencer à zéro !<br />

Pas tout à fait à zéro, pourtant : Noé avait trouvé grâce à ses yeux ! Noé marchait avec Dieu. Il avait<br />

trois fils : Sem, Cham et Japhet.<br />

Un jour, Dieu dit à Noé : L’homme va <strong>dis</strong>paraître, c’est décidé ! La violence, çà suffit !... Je te<br />

demande de fabriquer un bateau couvert en bois résineux, et tu le cafalteras bien avec du goudron,<br />

dedans et dehors. Fabrique un grand bateau, sur trois ponts, avec une grande porte sur le côté ! Pour<br />

<strong>moi</strong>, je vais provoquer un déluge formidable qui les fera tous périr ! Mais toi, je te garde comme mon<br />

ami ! Tu embarqueras avec ta femme, tes enfants et toute ta famille… Et en plus, je veux que de tous<br />

les animaux terrestres, marins ou aériens, tu fasses embarquer un couple par espèce ! Eux, avec les<br />

tiens, vous resterez en vie… et <strong>nous</strong> recommencerons Ah ! N’oublie pas de stocker toutes les<br />

provisions possibles pour tout le monde !<br />

Madame Noé s’empressa d’avertir ses fils, ses brus et ses petits et arrière petits enfants : elle dirigea<br />

tous les préparatifs de départ, tan<strong>dis</strong> que Noé avec ses fils et ses gendres se mettaient à construire le<br />

navire ; les grands petits enfants, eux, avaient pour mission de rassembler dans un enclos tous les<br />

couples d’animaux qui rappliquaient des alentours, en voyant tout ce remue-ménage au bord de <strong>la</strong> mer.<br />

Les animaux étaient encore les amis des hommes, et nul n’était effrayé par eux. Ils venaient<br />

docilement, invités par les plus petits qui leur racontaient à l’oreille, tout le p<strong>la</strong>n de l’expédition !<br />

Madame Noé demandait conseil à son Noé, promu par Dieu chef de chantier naval, chaque fois qu’elle<br />

hésitait sur une quantité de provision ou une espèce animale qu’elle ne connaissait pas bien ! Elle ne<br />

sortait pas beaucoup et avait pas mal à faire avec tous les enfants de son immense famille !<br />

Et le jour arriva ! Entre dans l’arche, Noé, avec toute ta famille et tous les animaux ! On se doute qu’il<br />

fallut un certain temps pour embarquer tout ce monde. Les époux Noé aux commandes, tout fut réglé<br />

assez vite, car leur coopération et leur harmonie étaient parfaites : ils en avaient tellement vu et fait<br />

ensemble ! Noé avait à l’époque six cents ans.<br />

Et il ferma <strong>la</strong> porte.<br />

Au bout de sept jours l’eau tomba en trombe ! Jaillirent alors toutes les sources du grand abîme et les<br />

écluses du ciel s’ouvrirent toutes grandes. Pendant quarante jours et quarante nuits, il plut.<br />

L’eau montait, les p<strong>la</strong>ines puis les montagnes furent recouvertes, et ainsi périt noyée toute créature<br />

sous le ciel ! Effacée ! Il ne resta bientôt plus que Noé et ceux qui étaient dans l’arche avec lui ! La<br />

crue dura cent cinquante jours ! Madame Noé était partout dans le navire : on <strong>la</strong> voyait, entourée de<br />

ses petits enfants qui lui col<strong>la</strong>ient aux jupes, aller de l’une à l’autre de ses brus pour leur donner du<br />

courage, courir d’un couple d’animaux à l’autre pour s’assurer qu’ils ne manquaient de rien ! Ses fils<br />

et ses filles étaient fiers d’elle ! Et puis, fatiguée, elle al<strong>la</strong>it s’asseoir aux pieds de son héros de mari,<br />

posant sa tête chenue sur ses genoux encore solides !<br />

Quelle immense émotion quand il s’agit de vivre <strong>la</strong> recréation du monde, et d’en être un partenaire<br />

privilégié !<br />

Vous savez tous comment Noé, voyant que les eaux baissaient, envoya le corbeau, puis <strong>la</strong> colombe<br />

une première, une seconde, et une troisième fois : et elle ne revint plus ! Noé retira <strong>la</strong> couverture du<br />

bateau.<br />

Alors Dieu lui dit : Noé, tu peux sortir désormais, toi et tous les autres !... Recommencez <strong>la</strong> Terre !<br />

Une fois tout le monde dehors, Noé érigea un autel et fit une offrande à Dieu, qui déc<strong>la</strong>ra : Je ne<br />

maudirai plus <strong>la</strong> Terre à cause de l’homme : je sais désormais que les desseins de son cœur sont<br />

mauvais dès son enfance ! Mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme j’ai fait !<br />

101


Et accompagné par <strong>la</strong> chorale de toute <strong>la</strong> famille Noé, Dieu chanta :<br />

« Tant que durera <strong>la</strong> terre<br />

Semailles et <strong>moi</strong>ssons,<br />

Froidure et chaleur,<br />

Été et hiver,<br />

Jour et nuit,<br />

Jamais ne cesseront ! »<br />

Et toute <strong>la</strong> famille se remit à se multiplier et à pulluler sur toute <strong>la</strong> terre.<br />

Et Dieu déc<strong>la</strong>ra : Je vais établir une alliance visible avec vous et vos descendants après vous, et avec<br />

toutes les nouvelles créatures. Il n’y aura plus de déluge. Je vais mettre mon arc dans <strong>la</strong> nuée : ce sera<br />

l’arc-en-ciel, le signe de mon alliance avec vous !<br />

Mais voilà qu’un jour Noé eut l’idée de p<strong>la</strong>nter une vigne, et il inventa aussi le vin. Un certain soir, il<br />

en but… beaucoup, il se saou<strong>la</strong> et s’affa<strong>la</strong> tout nu sous sa tente. Madame Noé s’était absentée ! Ce fut<br />

le fils cadet, Cham, qui le découvrit dans cet état, et il s’empressa d’en avertir ses deux frères, Sem et<br />

Japhet, qui accoururent immédiatement, et jetèrent vite un linge sur le corps nu de leur père, mais tout<br />

en détournant les yeux par respect pour sa nudité.<br />

Quand Noé se fut réveillé de son ivresse, ce fut Madame Noé qui lui raconta tout avec délicatesse :<br />

Noé éprouva une grande colère envers Cham qui l’avait vu dans cet état. Mais devant les yeux de<br />

reproche silencieux de sa femme, il se rendit compte que <strong>la</strong> faute revient toujours à celui qui provoque<br />

les situations où d’autres, <strong>moi</strong>ns aguerris, se <strong>la</strong>issent prendre.<br />

Cham avait certes tort, mais le premier ivrogne de l’histoire qui s’était <strong>la</strong>issé aller au p<strong>la</strong>isir nouveau<br />

de l’ivresse, c’était bien lui, Noé. Et Noé pleura de honte dans les bras de sa femme.<br />

On dit que Noé vécut plus de neuf cent cinquante ans ! Mais l’histoire ne rapporte ni s’il s’enivra à<br />

nouveau, ni si Madame Noé était encore avec lui quand il rejoignit l’arc dans le ciel !<br />

102


Abra(ha)m & Sara(ï) :<br />

De commencement en commencement<br />

Gn 12,1-24,1----25,1-11<br />

Voilà une aventure exceptionnelle : celle d’Abraham, de Sara et de leur famille ! C’est une destinée où<br />

chacun depuis les siècles des siècles peut se retrouver, tellement les péripéties de leur vie sont une<br />

préfiguration des générations qui se succèdent sous le soleil !<br />

Quand Abram dut quitter Haran sa patrie, il était déjà très âgé, sans enfant : il avait soixante quinze<br />

ans. Sa femme Saraï et leur neveu Lot qu’ils prirent avec eux, ne lui posèrent pas de question. Quand<br />

Abram décidait, c’est qu’il en avait <strong>dis</strong>cuté suffisamment avec celui qu’il appe<strong>la</strong>it son Seigneur, pour<br />

qu’on lui demande quoi que ce soit ! On obéissait, comme lui-même obéissait aux injonctions du ciel<br />

Il avait réalisé tout son avoir et s’était mis en route avec tout son personnel. Il savait que Saraï<br />

souffrait de n’avoir pas eu d’enfant : il avait donc suggéré à leur neveu de prendre <strong>la</strong> route, sentant en<br />

lui le désir de partir…<br />

On entra en Canaan après avoir suivi <strong>la</strong> route des troupeaux, celle du Croissant fertile, qui monte de<br />

Chaldée jusqu’à <strong>la</strong> frontière que trace l’Euphrate au pied du Taurus, en évitant le désert de l’antique<br />

Palmyre, puis redescend à mi chemin entre <strong>la</strong> mer et le Jourdain, à travers les collines de Canaan,<br />

jusqu’à Sichem, et au Chêne dit, Chêne de Moré, où il établit son camp ! Provisoire ! Car il savait -<br />

une force le poussait -, qu’il devait descendre encore ! Il bâtit un autel à Béthel, La Maison Dieu, puis<br />

il poursuivit, de campement en campement, jusqu’au Negev.<br />

Il s’appe<strong>la</strong>it alors Abram, Le Père, et sa femme, Saraï, Ma Princesse !<br />

La famine tomba sur le pays, et Abram décida de descendre encore plus bas : en Égypte ! Avant<br />

d’arriver à destination, il eut une conversation avec Saraï : Saraï, tu sais, je sais que tu es encore une<br />

très belle femme. Quand les Égyptiens te verront, ils me tueront certainement pour pouvoir te<br />

posséder. Alors je crois que le mieux serait que tu te fasses passer pour ma sœur, comme çà ils<br />

m’épargneront par égard pour toi !<br />

Le scénario d’Abram se réalisa à <strong>la</strong> lettre. Pas plutôt arrivés, les voilà choyés à cause de <strong>la</strong> beauté de<br />

Saraï, que les officiers se hâtent d’offrir à Pharaon qui se met à combler Abram de toutes sortes de<br />

cadeaux en échange !<br />

Mais voilà que Pharaon est bientôt frappé de tous les maux, et fait appeler Abram qui lui dévoile le pot<br />

aux roses ! Reprends ta femme ! Reprends-<strong>la</strong> vite ! lui crie Pharaon, et rentre chez toi ! Garde tout ! Je<br />

ne veux plus te voir !<br />

Et voilà <strong>la</strong> petite troupe, qui remonte le Negev jusqu’à Béthel, ne sachant s’il fal<strong>la</strong>it rire ou pleurer de<br />

cette histoire de dupe dupée et de malin malin et demi, qui, de <strong>la</strong> couar<strong>dis</strong>e et du stratagème pas très<br />

catholique d’Abram, avait transformé <strong>la</strong> situation en avantages et en richesses, même si ce<strong>la</strong> avait<br />

(presque ?) été au prix de <strong>la</strong> vertu de Saraï. On ne rapporte pas ce que pensait cette dernière. Oh, elle<br />

avait été sûrement bien traitée. Mais elle avait du changer de lit, avec <strong>la</strong> bénédiction de son mari.<br />

Chacun y avait trouvé son compte. Peut-être elle aussi, surtout si Pharaon était bel homme !<br />

On dut se séparer de Lot : des histoires de famille ! Ah, faire des affaires avec les gens de sa famille,<br />

c’est toujours, ou presque, courir à sa perte. Abram en profita pour déménager lui aussi. Il s’instal<strong>la</strong>,<br />

pour longtemps cette fois, près d’Hébron, aux Chênes de Mambré. Saraï suivait, obéissante et rangée :<br />

elle al<strong>la</strong>it rester seule un bon moment, car Abram se vit tenu de lever une troupe de partisans pour aller<br />

au secours de son neveu Lot, dont les fameux quatre grands rois Amraphel, Aryok, Kedor-Laomer et<br />

Tidéal étaient en train de s’emparer du territoire et qu’ils avaient fini par capturer. Abram sortit<br />

vainqueur de cette campagne, rendit ses biens à Lot, avec ses femmes et ses gens.<br />

Il eut même le privilège alors de voir venir jusqu’à lui, avec le roi de Sodome, le grand prêtre<br />

Melchisédech, le Roi de Sainteté, avec les offrandes de pain et de vin, qui lui renouve<strong>la</strong> <strong>la</strong> promesse et<br />

<strong>la</strong> bénédiction du seul <strong>dieu</strong> qu’il adorait lui aussi, l’Unique, et à qui Abram donna le dixième de tous<br />

ses biens. Du roi de Sodome, il ne voulut rien accepter : ni biens, ni hommes !<br />

103


En rentrant à Mambré, Abram éprouva une grande tendresse et une grande peine pour Saraï, qui, sans<br />

le lui reprocher, regrettait tant de ne pas avoir d’enfant, et surtout de ne pas en donner à Abram, qui,<br />

trop fier de son côté, gardait sa peine pour lui.<br />

Abram rêvait, faisait des cauchemars, connaissait insomnie sur insomnie : il avait des visions de toutes<br />

sortes auxquelles il ne comprenait rien. Il par<strong>la</strong>it à Dieu, ne comprenant rien de ce qu’il lui <strong>dis</strong>ait.<br />

Abram et Saraï étaient bien malheureux !<br />

Et puis Saraï n’y tint plus. Elle avait une servante, Agar, fidèle et rangée. Et pas mal du tout de sa<br />

personne ! Pas aussi belle qu’elle, mais enfin ! Elle ferait l’affaire ! Le droit du désert autorisait<br />

l’épouse légitime à mettre dans le lit de son mari, une personne de son choix, si le ciel voulût qu’elle<br />

fût elle-même stérile ! L’enfant, reconnu par le géniteur, était dès lors considéré comme le fils de<br />

famille et l’héritier ! C’est ce que fit Saraï, en présentant <strong>la</strong> chose le plus naturellement et le plus<br />

adroitement possible ! Fal<strong>la</strong>it-il qu’elle l’aimât, son Abram, pour organiser elle-même ce deuxième lit<br />

de son vivant à elle ! Ah, ce que l’amour peut faire faire et endurer !<br />

Mais une fois enceinte, Agar ne se sentait plus, et ne tenait plus compte de sa maîtresse ! Même<br />

Abram sentait pour Agar une tendresse qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant, pour <strong>la</strong> bonne raison<br />

que…Saraï vou<strong>la</strong>it mourir ! Elle harce<strong>la</strong> Abram à tel point qu’un jour il lui déc<strong>la</strong>ra : Eh bien, fais donc<br />

d’Agar ce que tu veux ! Saraï s’acharna tellement contre sa rivale, que cette dernière préféra fuir dans<br />

le désert !<br />

Dieu dépêcha un émissaire pour vite <strong>la</strong> rattraper : on lui demanda de rentrer chez sa maîtresse et de lui<br />

être soumise en tout ! Ton fils s’appellera Ismaël, Dieu entend. Sa descendance sera grande ! On les<br />

appelle aujourd’hui les Ismaélites ! Et c’est ce qui arriva : Abram avait alors quatre-vingt six ans déjà !<br />

À quatre-vingt dix neuf ans, l’Unique s’adressa à Abram à nouveau : Je vais faire alliance avec toi. Tu<br />

deviendras un peuple immense. Désormais, tu t’appelleras Abraham, Père de tous les croyants. La<br />

marque dans votre corps de votre appartenance à l’Unique, sera <strong>la</strong> circoncision des mâles. Vos corps<br />

se souviendront de <strong>moi</strong>, jamais ils ne m’oublieront ! Et ta femme s’appellera désormais Sara, <strong>la</strong><br />

Princesse, et non plus seulement Ma Princesse ! Elle aussi sera bénie et mère de nombreuses nations<br />

et de peuples immenses !<br />

Abraham se jeta tête contre terre en pensant très fort devant Dieu qu’il serait bientôt centenaire et que<br />

Sara était une bonne nonagénaire ! Comment, comment sera-ce possible ? Bien sûr il y a déjà Ismaël,<br />

mais… Dieu se fit plus tendre : Non Abraham, ce sera un fils issu de toi et de Sara ! L’an prochain, à<br />

cette même saison, Isaac sera mis au monde ! Et sur cette assertion péremptoire, Dieu remonta chez<br />

lui !<br />

Abraham ne perdit pas une seconde. C’est çà, Abraham : il obéit immédiatement et sans bavure aux<br />

ordres de Dieu ! Tous les mâles de sa maison y passèrent : lui en premier, et puis Ismaël qui courait<br />

vers ses treize ans, et puis tous ses gens !<br />

Dieu non plus ne voulut pas faire attendre Abraham ni Sara ! À quelque temps de là se présentèrent<br />

sur <strong>la</strong> route de Mambré, trois voyageurs, dont l’un semb<strong>la</strong>it être le chef ! Abraham selon <strong>la</strong> tradition du<br />

désert se précipita à leur devant pour les inviter à se refaire et à se reposer sous sa tente. Ce qu’ils<br />

acceptèrent. Au cours du repas chaud que Sara préparait sous <strong>la</strong> tente et qu’Abraham leur servait sous<br />

l’auvent, le chef déc<strong>la</strong>ra : Quand <strong>nous</strong> repasserons l’an prochain, ta femme aura un enfant ! Malgré<br />

toutes les promesses de l’Unique, Abraham ni Sara n’y comptaient plus. Si bien qu’un rire étouffé<br />

jaillit de <strong>la</strong> tente où fouinait Sara ! Pourquoi ce rire ? demanda le chef, légèrement courroucé ! C’est<br />

que… ! balbutia Abraham horriblement gêné ! Il s’appellera Isaac, puisque tu as ri ! (« Itzaak »<br />

signifie « tu as ri » !)<br />

Le repas fini, les rites de purification accomplis, Abraham raccompagna ses hôtes jusque sur <strong>la</strong> grand<br />

route où il prit congé d’eux !<br />

Et Isaac naquit ! Peut-on imaginer seulement <strong>la</strong> joie qui submergea le vieux couple quand cet<br />

impossible évènement se produisit ! Peut-on penser l’impensable, voir se réaliser l’inespéré ?<br />

Peut-on comprendre <strong>la</strong> vie tant qu’on ne l’a pas donnée, tant qu’on n’a pas reçue, sauvée par un autre !<br />

Je te dois <strong>la</strong> vie : voilà une expression que peu d’entre <strong>nous</strong> ont du déjà employer !<br />

Mais avec <strong>la</strong> naissance d’Isaac, le « vrai » fils de famille, le « véritable » héritier, le fils « naturel »<br />

d’Abraham et de Sara, voilà qu’avec Isaac, resurgissait encore plus violemment le problème d’Agar et<br />

d’Ismaël.<br />

104


Sara prenait sa revanche, mais Abraham ne pouvait renier le fils de ses reins, qu’il sortît d’Agar ou<br />

d’une autre. C’était du Mauriac, du Bazin, du Troyat…<br />

C’est le cœur plein de chagrin, mais conseillé par l’Unique, que le vieil Abraham dut se résoudre aux<br />

arguments de <strong>la</strong> mère du seul Isaac ! Mieux vaut rencontrer une ourse à qui on a enlevé ses petits,<br />

qu’un insensé dans son délire, peut-on lire dans le livre des Proverbes. La rage qui animait Sara<br />

venait-elle d’une insensée ou d’une mère jalouse ? Les deux sûrement, ce qui doub<strong>la</strong>it sa haine envers<br />

l’imposteure à ses yeux !<br />

Exit Agar et Ismaël ! Mais <strong>nous</strong> savons par ailleurs que Dieu s’en chargea pour le mieux ! On ne les<br />

revit plus !<br />

Pourtant le cœur d’Abraham et de Sara, déjà éprouvé et fatigué de tant de vicissitudes, n’avait pas fini<br />

d’en voir. Dieu réserve ses surprises tant qu’on est en vie, c’est-à-dire jusqu’au bout !<br />

Un matin, Abraham entendit <strong>la</strong> voix qui met toujours tout en branle, qui dérange tous les p<strong>la</strong>ns, qui<br />

apporte de l’inédit dans une vie ! Me voici ! - Prends ton fils, ton unique, celui que tu chéris, Isaac, et<br />

va-t-en au pays de Moriya, et là tu l’offriras en holocauste sur une montagne que je t’indiquerai !<br />

Voilà qui fait s’écrouler une vie ! Abraham n’a du rien dire de cet ordre à Sara. Après s’être remis du<br />

choc, et décidé à prendre <strong>la</strong> route du sacrifice, il a préparé tous les ingrédients sans un mot, parce qu’il<br />

était déjà mort dans son cœur, et c’est dans son silence fermé que Sara a su deviner quelque chose<br />

d’irréparable et d’inimaginable, comme toujours avec cet Unique dont Abraham et elles se <strong>dis</strong>aient les<br />

adorateurs !<br />

Chacun connaît l’histoire du sacrifice d’Isaac qui finalement se termine « bien » : l’Unique félicitant<br />

Abraham de lui faire toujours confiance contre toute confiance et d’espérer contre toute espérance !<br />

Mais comment imaginer les affres de Sara, restée à <strong>la</strong> maison, de Sara qui ne pose pas de question<br />

mais qui redoute le pire, de Sara qui meurt d’apprendre et qui veut tout savoir ! De Sara qui adore et<br />

hait Abraham en même temps, qui adore et hait l’Unique en même temps, qui adore être mère et se<br />

maudit de l’être devenue !<br />

L’amour doit-il passer par <strong>la</strong> terreur de perdre et de se perdre ? L’amour doit-il nécessairement<br />

connaître les affres de l’intelligence qui ne comprend rien et qui redoute de comprendre ?<br />

Sara mourut à cent vingt-sept ans à Hébron. Abraham acheta exprès une concession funéraire pour l’y<br />

déposer, <strong>la</strong> grotte du champ de Makpé<strong>la</strong>.<br />

Le deuil n’était pas plutôt accompli qu’il fallut trouver une épouse pour Isaac. Ah, que Sara aurait été<br />

heureuse de découvrir sa bru Rébecca et de bercer ses petits enfants Ésaü et Jacob. Qu’aurait-t-elle<br />

pensé, - question idiote !- en considérant qui devait prendre sa p<strong>la</strong>ce dans le lit d’Abraham, cette<br />

Qetura qui devait lui donner encore six enfants !<br />

Abraham finit (quand même !) par mourir à l’âge de cent soixante quinze ans ! Ce sont les frères<br />

réconciliés, ses deux fils, les premiers, Ismaël d’Agar et Isaac de Sara qui l’enterrèrent dans <strong>la</strong> grotte<br />

de Makpé<strong>la</strong>, aux côtés de celle qui resta, malgré tout, et malgré les nécessités, le cœur de son cœur et<br />

<strong>la</strong> vie de sa vie : sa princesse à lui !<br />

105


Isaac & Rebecca : Retour aux sources<br />

Gn 24,1-67 ; 25,19 ; 26,34-35 ; 28,6-9 ; 36,1-37,1<br />

Abraham commençait se faire vieux, très vieux même. Il avait été comblé par Dieu. On l’avait même<br />

surnommé l’ami de Dieu, car Dieu s’était adressé ja<strong>dis</strong> à lui comme à personne d’autre avant lui,<br />

comme à un très vieil ami dont on aime <strong>la</strong> conversation et qu’on prend p<strong>la</strong>isir à écouter.<br />

Abraham avait encore une chose à faire avant de rejoindre ses pères : marier son fils Isaac, le fils de<br />

Sara. Et peut-être – mais là, il n’osait plus l’espérer, lui qui pourtant avait espéré contre toute<br />

espérance « contra spem speravit », dirait bien plus tard le vieux Jérôme –, oui, peut-être Dieu lui<br />

accorderait-il encore de voir ses petits enfants.<br />

Un jour, sans même en avertir Sara, dit-on, il convoqua son régisseur, un vieux serviteur qui l’avait<br />

suivi depuis les tous débuts, originaire comme lui d’Ur, <strong>la</strong> capitale des Chaldéens. Mets ta main sous<br />

ma cuisse ! » lui dit-il. En fait l’expression veut atténuer <strong>la</strong> crudité du rite auquel on soumettait toute<br />

personne prête à vous jurer fidélité et obéissance : elle devait prendre dans sa main le sexe de celui<br />

envers qui elle s’engageait !<br />

Tu vas me jurer que tu feras tout pour que mon fils Isaac n’épouse pas une Cananéenne, de ce pays où<br />

<strong>nous</strong> <strong>nous</strong> sommes installés !... Je veux que tu te rendes dans mon pays à <strong>moi</strong>, dans ma patrie, <strong>la</strong><br />

Chaldée, là où je suis né ! Tu choisiras pour mon fils une femme de ma parenté ! Conscient de <strong>la</strong><br />

délicatesse de <strong>la</strong> mission, le régisseur demanda : « Et si <strong>la</strong> femme ne veut pas me suivre jusqu’ici,<br />

faudra-t-il ramener ton fils là-bas ? » - « Bien sûr que non ! répliqua Abraham. Garde-toi de faire<br />

ce<strong>la</strong> ! Je suis sûr que ce Dieu qui m’a arraché à ma terre pour me conduire ici et qui m’a donné cette<br />

terre pour <strong>moi</strong> et mes descendants, je te <strong>dis</strong> que je suis sûr qu’il conduira tes pas et tes démarches, et<br />

que tu trouveras cette femme pour mon fils ! … Et si finalement cette femme ne veut pas te suivre, eh<br />

bien, tu seras quitte de ton serment… Mais en aucun cas, tu ne ramèneras mon fils là-bas !<br />

Le régisseur d’Abraham prit le sexe de son maître dans sa main, et il prêta serment !<br />

Puis ce furent les préparatifs de l’expédition : les dix meilleurs chameaux du troupeau, les cadeaux les<br />

plus beaux, et en avant pour le pays de l’Aram Naharayim, pour <strong>la</strong> ville de Nahor, le père d’Abraham.<br />

Après plusieurs semaines à travers les déserts que traverse <strong>la</strong> route du Croissant fertile, après les belles<br />

oasis regorgeant de dattes, de grenades et de citrons, <strong>la</strong> caravane arriva en vue du but de l’équipée. Le<br />

régisseur fit agenouiller les chameaux en dehors de <strong>la</strong> ville, près du puits à <strong>la</strong> fraîche, à l’heure où les<br />

femmes sortent pour puiser. Et il fit cette prière spontanément, car il n’avait aucun idée de <strong>la</strong> façon<br />

dont il al<strong>la</strong>it s’acquitter de sa mission : « Ô Yahvé, Dieu de mon maître Abraham, viens à mon aide !<br />

Je veux faire un marché avec toi, car j’ai foi en toi, et ne veux pas t’importuner ! Voilà : je vais me<br />

poster près de <strong>la</strong> source, où viennent les vil<strong>la</strong>geoises puiser de l’eau. La jeune fille à qui je<br />

demanderai de me donner à boire, et qui me répondra quelque chose comme :’Bois, et pendant ce<br />

temps je vais abreuver tes chameaux !’, eh bien je considèrerai que c’est elle que tu destines au fils de<br />

mon maître, et je suis sûr que ce sera <strong>la</strong> preuve que tu <strong>nous</strong> aimes ! »<br />

Il n’avait pas fini sa prière intérieure qu’apparut Rebecca, <strong>la</strong> fille de Betuel ! Betuel était le fils de<br />

Milka, <strong>la</strong> femme de Nahor. Et Nahor était le propre frère d’Abraham. Si vous calculez bien, le<br />

régisseur se trouvait en face de <strong>la</strong> petite nièce de son maître !<br />

Rébecca portait sa cruche sur son épaule, comme à l’accoutumée ! Dire qu’elle était belle est bien<br />

peu ! En tout cas, elle était encore à marier, elle n’avait encore connu point d’homme !<br />

Elle descendit à <strong>la</strong> source, remplit sa cruche et remonta. C’est à cet instant que le régisseur d’Abraham<br />

se porta à son devant avec ces mots : Veux-tu bien me donner un peu d’eau ? - Mais bien sûr,<br />

étranger ! répondit-elle. Et elle abaissa sa cruche sur son bras pour lui donner à boire. Le régisseur se<br />

désaltérait encore qu’elle ajouta avec le plus grand naturel : Je m’en vais puiser aussi pour tes<br />

chameaux ! Ils doivent mourir de soif, eux aussi ! Elle vida alors le reste de sa cruche dans l’auge, et<br />

redescendit au puits pour puiser encore, jusqu’à ce que l’auge fut pleine. Tout ce temps, l’homme<br />

restait songeur, se demandant si Dieu était ou non en train d’exaucer son vœu.<br />

Une fois les chameaux désaltérés, le régisseur sortit de ses bagages un anneau et deux lourds bracelets<br />

d’or : Dis-<strong>moi</strong> le nom de ton père, veux-tu ! Penses-tu qu’il pourrait me recevoir pour <strong>la</strong> nuit ? - Je<br />

106


suis <strong>la</strong> fille de Betuel, et mes grands parents sont Nahor et Milka, et elle continua : Il y a chez <strong>nous</strong> de<br />

<strong>la</strong> paille et du fourrage en quantité et de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce pour le gîte !<br />

À ces mots, et sans honte devant Rébecca, le régisseur d’Abraham se prosterna à terre et remercia<br />

Yahvé à haute voix : Béni sois-tu, Yahvé, Dieu de mon maître Abraham, à qui tu ne cesses de montrer<br />

ton amour ! Merci d’avoir guidé mes pas jusque chez le frère de mon maître !<br />

La jeune fille courut vite informer sa mère de cet événement. Rébecca avait un frère du nom de<br />

Laban : il se dépêcha immédiatement jusqu’à <strong>la</strong> source à <strong>la</strong> vue des bijoux que sa sœur portait déjà. Il<br />

trouva l’homme affairé avec ses bêtes. Bienvenue, toi que Dieu a béni ! Ne reste pas dehors, viens<br />

t’installer chez <strong>nous</strong> ! Laban l’aida à débâter les chameaux, fournit paille et fourrage, et prépara de<br />

l’eau pour baigner les pieds des voyageurs.<br />

Alors que Laban lui présentait de quoi manger, le régisseur déc<strong>la</strong>ra : Je ne toucherai aucune<br />

nourriture, avant de dire ce que j’ai à dire ! - Mais parle donc ! s’exc<strong>la</strong>ma Laban devant tant de<br />

solennité ! Je suis le serviteur d’Abraham ! Dieu l’a comblé depuis toujours de richesses et de toutes<br />

sortes de bienfaits. Dans sa vieillesse, Sara, sa femme, lui a donné un fils, son seul héritier. J’ai<br />

promis sous serment à mon maître d’aller dans sa famille trouver une femme à Abraham, car mon<br />

maître ne veut pas d’une Cananéenne. J’avais peur que cette épouse, si je <strong>la</strong> trouvais, ne veuille pas<br />

me suivre ! Alors mon maître m'a assuré que Yahvé me mènerait jusqu’à sa maison paternelle. Alors<br />

voilà, je quitte de mon engagement, puisque je me trouve dans <strong>la</strong> maison de Nahor et que j’ai trouvé<br />

Rébecca : c’est pourquoi je lui mis cet anneau à ses narines et ces bracelets à ses bras ! Un silence<br />

éloquent tomba soudain sur <strong>la</strong> scène. Et le régisseur en profita pour conclure d’une voix grave et<br />

suppliante : Maintenant, si vous êtes <strong>dis</strong>posés à satisfaire le vœu de mon maître, déc<strong>la</strong>rez-vous, que je<br />

le sache. Sinon, je veux aussi le savoir, et je prendrai congé sur le champ !<br />

Laban et Betuel répondirent en même temps : La chose vient de Yahvé, <strong>nous</strong> n’avons rien à ajouter.<br />

Rébecca est là : prends-<strong>la</strong> avec toi, et qu’elle devienne <strong>la</strong> femme d’Isaac, selon <strong>la</strong> volonté de Yahvé !<br />

Aussitôt, le régisseur tomba de nouveau à terre pour remercier Dieu, puis il se mit à sortir de ses<br />

bagages toutes sortes de bijoux d’argent et d’or, et toutes sortes de vêtements qu’il donna à Rébecca,<br />

sans oublier Laban et Milka.<br />

On put alors passer à table.<br />

Le lendemain matin, le régisseur déc<strong>la</strong>ra tout de go : Je m’en vais retourner chez mon maître. Le frère<br />

et <strong>la</strong> mère de Rébecca demandèrent d’attendre encore une dizaine de jours… Mais le serviteur<br />

d’Abraham rétorqua : Je vous en prie, ne me retardez pas : c’est <strong>la</strong> volonté de Yahvé ! - Nous allons<br />

demander son avis à Rébecca ... Veux-tu partir de suite ? - Oui ! répondit-elle sans hésiter ! Eh bien<br />

soit ! conclurent son frère et son père.<br />

Quelques minutes plus tard, on bénit Rébecca. Alors, avec sa nourrice et ses servantes, elle grimpa sur<br />

sa monture, en route pour le retour, avec les vœux de <strong>la</strong> famille et du c<strong>la</strong>n qui criaient dans leurs<br />

mains : Deviens des milliers de myriades ! Enfante les vainqueurs de tes ennemis ! Et bientôt leurs<br />

silhouettes <strong>dis</strong>parurent dans <strong>la</strong> poussière du chemin.<br />

À l’autre bout du pays, Isaac venait de rentrer du puits de Lahaï Roï, dans le Néguev où il habitait. Il<br />

sortit à <strong>la</strong> fraîche, ce soir-là, pour se détendre, et croisa <strong>la</strong> caravane. Et Rébecca vit Isaac pour <strong>la</strong><br />

première fois. Elle sauta du chameau et demanda au régisseur s’il connaissait l’homme qui venait à<br />

leur rencontre. C’est mon maître, justement !, répondit-il. Alors Rébecca, reprit son voile et se couvrit.<br />

Isaac écouta le rapport circonstancié de toute l’aventure.<br />

Alors il présenta Rébecca à sa mère Sara. C’est ainsi que Rébecca devint <strong>la</strong> femme d’Isaac.<br />

On rapporte qu’Isaac était tellement attaché à Sara, qu’il fal<strong>la</strong>it que son amour pour Rébecca fût<br />

encore plus fort, pour le consoler de celui qu’il portait à sa mère ! Il avait pourtant déjà quarante ans.<br />

Rébecca se révé<strong>la</strong> stérile. Mais Yahvé, comme toujours chez ces gens, exauça leur prière, et Rébecca<br />

tomba enceinte. Et déjà dans son ventre, les jumeaux se battaient entre eux. Elle en était désespérée,<br />

elle en perdait le goût de vivre. C’est Yahvé, encore lui et toujours lui, qui lui donna de quoi réfléchir<br />

à sa destinée : Il y a deux nations en ton sein, lui révélé Dieu. Deux peuples sortiront de toi, voués à se<br />

séparer, et régner l’un sur l’autre. Et c’est même l’aîné qui devra servir le cadet !<br />

Quand elle accoucha, le premier qui se présenta était roux et poilu de partout : on l’appe<strong>la</strong> Ésaü.<br />

Quand l’autre apparut, on vit qu’il tenait dans sa main le talon de son frère : on l’appe<strong>la</strong> Jacob. Ésaü<br />

veut dire « le roux », précisément, et Jacob « le tricheur » ! Leur histoire commune et personnelle<br />

illustrera bien l’identité de leurs noms.<br />

107


Quant à leur père Isaac, il était âgé de soixante ans à leur naissance.<br />

Ésaü devint un grand chasseur de <strong>la</strong> steppe. Jacob était plus tranquille, plus sédentaire. Isaac avait un<br />

faible pour Ésaü car il aimait <strong>la</strong> viande de venaison. Rébecca préférait Jacob ! Le vieux couple n’avait<br />

pas fini d’en voir avec leurs jumeaux. Rivalité sur rivalité, fuite, longue expatriation, retour,<br />

vengeance, poursuite… Ce sont les intrigues de Rébecca en faveur de son fils préféré, Jacob, qui<br />

déclencheront en fait les hostilités entre les deux frères, et paradoxalement firent s’accomplir <strong>la</strong><br />

prophétie de Yahvé : Il y a deux nations en ton sein. Deux peuples sortiront de toi, voués à se séparer,<br />

et régner l’un sur l’autre ! Et c’est même l’aîné qui devra servir le cadet !<br />

Tout le monde connaît <strong>la</strong> supercherie montée par Rébecca, <strong>la</strong> mère, pour faire passer Jacob pour Ésaü ;<br />

puis les péripéties de l’éloignement de Jacob au pays des ancêtres, chez son oncle maternel, Laban, le<br />

frère de sa mère, et son long séjour chez lui, le temps d’épouser ses deux cousines, et deux concubines,<br />

de leur faire onze enfants, avant de reprendre le chemin du retour de repasser par le Yabok où il lutta<br />

avec l’ange qui changea son nom en Israël…<br />

Quant à Isaac et à Rébecca, il leur arriva à Gérar chez le roi Abimélek <strong>la</strong> même aventure qu’à<br />

Abraham et à Sara en Égypte chez le Pharaon. Par crainte de devoir y <strong>la</strong>isser <strong>la</strong> vie, le fils monta le<br />

même scénario que son père : de même que l’ancêtre Abraham fit passer sa femme Saraï pour sa sœur,<br />

Isaac fit de même avec Rébecca. Car, ils avaient eu peur que cette fois le roi, comme le pharaon ja<strong>dis</strong>,<br />

ne les supprime pour s’emparer de leurs femmes, tellement elles étaient belles. Tan<strong>dis</strong> que des sœurs,<br />

on pouvait, sans manquer à quiconque, les prendre pour en faire femmes ou concubines !<br />

Jacob/Israël eut juste le temps de rentrer chez son père à Qiryat-Arba - c’est Hébron aujourd’hui. Isaac<br />

avait plus de 180 ans ! Il s’éteignit quelque temps après, et ce sont les deux frères autrefois ennemis,<br />

maintenant réconciliés, qui l’ensevelirent auprès d’Abraham dans <strong>la</strong> grotte de Makpé<strong>la</strong>, que l’ancêtre<br />

avait ja<strong>dis</strong> acquise pour y déposer Sara ! L’histoire ne dit pas quand ni où mourut Rébecca. Elle<br />

s’éteignit certainement dans <strong>la</strong> maison paternelle et elle fut déposée dans le fief de l’ancêtre, comme<br />

Sara, sa belle-mère, à Hébron, et Rachel sa bru, à Ephrata, sur <strong>la</strong> route de Bethlehem.<br />

Les amours d’Isaac et de Rébecca sont des amours intermédiaires, entre celles du fondateur de <strong>la</strong><br />

lignée, Abraham avec Sara, et celles du fondateur du peuple, Jacob / Israël, avec Rachel, <strong>la</strong> mère de<br />

Joseph. La rencontre près du puits de Nahor, entre le régisseur d’Abraham et <strong>la</strong> belle Rébecca, plus<br />

que les épousailles elles-mêmes avec Isaac, est l’épisode le plus romantique qui soit. Et quand<br />

Rébecca décide de suite de partir rencontrer son promis, c’est sa hâte qui <strong>nous</strong> transporte, celle d’une<br />

jeune fille, pas encore une femme, qui est comme pressée de quitter <strong>la</strong> maison de son père, car elle en<br />

a un peu assez d’être encore <strong>la</strong> fille et <strong>la</strong> sœur ! Elle veut enfin devenir femme, épouse et mère ! Plus<br />

qu’Isaac, bien qu’à son insu, elle devient l’instrument du choix que fait Yahvé du plus jeune de ses<br />

enfants pour en faire le père de son peuple, Israël.<br />

Si Isaac restera dans <strong>la</strong> mé<strong>moi</strong>re l’enfant de <strong>la</strong> promesse qu’Abraham accepte de sacrifier, mais que<br />

Yahvé sauve in extremis, Rébecca restera <strong>la</strong> mère incontestée du peuple qui portera le nom que Yahvé<br />

lui-même a donné à son fils.<br />

Isaac est le fils d’Abraham, Rébecca est <strong>la</strong> mère de Jacob/Israël.<br />

108


Jacob & Rachel : C’était elles, c’était <strong>moi</strong> !<br />

Gn 27,46-33,20 ; 34,1-31 ; 35,27-29 [35 ; 49,1-28 ; 49,29-26]<br />

Les amours de Jacob, fils d’Isaac et petit-fils d’Abraham, ont commencé grâce à ou à cause de – on<br />

choisira ! – <strong>la</strong> préférence que sa mère Rébecca avait pour lui. Il avait un jumeau hétérozygote, et <strong>la</strong><br />

tradition rapporte que Jacob était bien sorti le second du ventre de sa mère, mais en retenant le talon de<br />

son frère Ésaü. Ce qui signifiait, selon le droit de succession de ce temps, que l’aîné était bien Ésaü,<br />

mais que Jacob l’avait supp<strong>la</strong>nté, « au poteau » pourrait-on dire. D’ailleurs autant le nom d’Ésaü est<br />

simplement descriptif, « le rouquin », autant celui de Jacob est un qualificatif très précis,<br />

« l’usurpateur ». Ce qui veut tout dire !<br />

Pour Isaac, le père, très vieux maintenant et quasi aveugle, il était c<strong>la</strong>ir que l’aîné était Ésaü, à qui il<br />

réservait <strong>la</strong> grande bénédiction due au chef de <strong>la</strong> descendance, quand le temps de son départ viendrait.<br />

Mais Rébecca ne l’entendait pas de cette oreille, et elle manigança cette mise en scène de <strong>la</strong><br />

bénédiction, en déguisant Jacob en Ésaü, tan<strong>dis</strong> que ce dernier était occupé à chasser dans les<br />

montagnes. C’est donc Jacob qui reçut <strong>la</strong> grande et unique bénédiction (elle ne se donnait qu’une fois,<br />

et ne pouvait être renouvelée !). Quand Ésaü l’apprit, il ne fut pas bon pour Jacob de rester à Hébron,<br />

et sa mère l’envoya donc dans sa famille, les Chaldéens, chez son frère Laban. C’est là que tout devait<br />

se jouer !<br />

Sur <strong>la</strong> route, au gué du Yabok, Jacob eut un songe où il vit une échelle descendant du ciel, et des anges<br />

qui <strong>la</strong> gravissaient, liant ainsi <strong>la</strong> terre avec le ciel. Jacob y conclut un marché avec Yahvé, faisant vœu<br />

de le choisir comme son Dieu (à <strong>la</strong> suite de son grand-père Abraham et de son père Isaac, – à qui il<br />

venait d’extorquer sa grande bénédiction) à condition qu’il le protège pendant sa fuite, lui fasse<br />

trouver refuge et le ramène sain et sauf à <strong>la</strong> maison paternelle !<br />

Il approchait de <strong>la</strong> campagne de son oncle Laban, au même puits où le régisseur de son grand père<br />

Abraham avait déniché celle qui devait devenir sa propre mère, Rébecca, venue puiser de l’eau ! Le<br />

puits, cette fois-ci était complètement occupé par trois troupeaux de moutons qui paissaient<br />

paisiblement en attendant leur tour de boire. La pierre qui recouvrait le puits était grande, car<br />

l’ouverture du puits était grande, elle aussi. Quand les troupeaux étaient prêts à boire, on faisait glisser<br />

<strong>la</strong> pierre, et tous pouvaient boire pratiquement en même temps.<br />

Jacob demanda aux bergers d’où ils étaient :<br />

— De Haran !<br />

— Connaissez-vous Laban, fils de Nahor ?<br />

— Oui, bien sûr !<br />

— Et comment va-t-il ?<br />

— Bien ! Tiens, voici sa fille Rachel, qui arrive avec son troupeau !<br />

— Mais il fait encore grand jour ! Ce n’est pas l’heure de rentrer le bétail. Abreuvez les bêtes et<br />

retournez donc au pâturage !<br />

— Non, <strong>nous</strong> devons attendre que tous les troupeaux soient rassemblés pour rouler <strong>la</strong> pierre sur <strong>la</strong><br />

bouche du puits ; alors seulement, <strong>nous</strong> abreuverons les bêtes !<br />

Rachel était maintenant près du puits avec le troupeau de son père. Et Jacob s’empressa de rouler <strong>la</strong><br />

pierre et d’abreuver les bêtes de son oncle. Il donna un baiser à Rachel, et éc<strong>la</strong>ta en sanglots : un peu<br />

l’émotion de se trouver en famille, un peu le relâchement après les semaines de fuite de devant son<br />

frère Ésaü. Il se présenta à sa cousine, en lui révé<strong>la</strong>nt son identité. Bien sûr, <strong>la</strong>issant le troupeau aux<br />

bons soins de son cousin, Rachel courut vite avertir son père de l’arrivée de son neveu Jacob. Laban,<br />

plein de joie à <strong>la</strong> pensée de voir le fils de sa sœur, courut à sa rencontre, l’embrassa, le serra dans ses<br />

bras et l’accueillit chez lui, où Jacob lui raconta toute l’histoire qui l’amenait jusqu’ici ! Oui, tu es bien<br />

de mes os et de ma chair, fils de ma sœur ! Reste chez <strong>moi</strong> ! Un <strong>moi</strong>s entier passa !<br />

109


Laban vou<strong>la</strong>it régler <strong>la</strong> situation, car Jacob travail<strong>la</strong>it pour lui et il vou<strong>la</strong>it le rémunérer en toute<br />

honnêteté, d’autant qu’il s’agissait en plus du fils de sa sœur, donc son neveu, et… qu’il n’était pas<br />

vi<strong>la</strong>in garçon ! Combien veux-tu comme gages ?<br />

Jacob voyait loin et avait donc un œil sur sa cousine Rachel. Mais Laban avait deux filles : l’aînée<br />

s’appe<strong>la</strong>it Léa, « <strong>la</strong> loucheuse », et Rachel n’était que <strong>la</strong> cadette.<br />

— Je servirai chez toi sept ans, pour Rachel, ta fille cadette !<br />

— Mieux vaut qu’elle te revienne, en effet, plutôt qu’à un étranger ! répondit Laban à son neveu !<br />

Et donc Jacob servit chez Laban pour Rachel sept années qui lui parurent comme quelques jours,<br />

tellement il l’aimait ! Et quand le temps fut accompli, il demanda son du à son oncle, épouser Rachel.<br />

Et Laban <strong>la</strong>nça les invitations et organisa un banquet. Le soir des noces, Laban avait donné l’ordre<br />

secret à tous ses serviteurs d’éteindre tous les f<strong>la</strong>mbeaux de <strong>la</strong> fête, et, profitant de l’épaisse ténèbre de<br />

cette soirée, il glissa subrepticement sa fille Léa, « <strong>la</strong> loucheuse », l’aînée de Rachel, dans <strong>la</strong> tente<br />

nuptiale des nouveaux époux. Il pensait qu’il fal<strong>la</strong>it d’abord « caser » Léa ; Rachel, elle, n’aurait<br />

jamais de mal à trouver un parti !<br />

Vous imaginez <strong>la</strong> (mauvaise) surprise de Jacob, le lendemain matin !<br />

— Quel tour m’as-tu joué là ? C’est pour Rachel que j’ai servi sept ans chez toi ? Pourquoi m’as-tu<br />

trompé ?<br />

— Tu sais, ce n’est pas l’usage chez <strong>nous</strong> de marier <strong>la</strong> cadette avant l’aînée !... Mais ne t’en fais pas !<br />

Achève cette semaine de noces, et je te donnerai aussi l’autre, comme prix du service que tu feras chez<br />

<strong>moi</strong> encore sept autres années ! Que faire ? Ce<strong>la</strong> se passa comme Laban l’avait manigancé : Jacob, le<br />

trompeur, trompé par (encore) plus trompeur que lui. Laban était bien le frère de Rébecca, qui avait<br />

trompé Isaac ! À trompeur, trompeur et demi ! Léa et Rachel reçurent deux servantes : Zilpa pour Léa,<br />

et Bilha pour Rachel. L’histoire dit que Jacob aimait Rachel bien plus que Léa. Mais, en fin de<br />

compte, il était à <strong>la</strong> tête d’un petit harem de quatre femmes : Léa, Rachel, Zilpa et Bilha ! Pourtant, il<br />

attendait l’occasion de rendre à son oncle <strong>la</strong> monnaie de sa pièce, tout en servant pour lui encore les<br />

sept années convenues !<br />

La vie se joue de <strong>nous</strong>, quand on joue avec elle ! Léa était d’autant plus féconde qu’elle était ( <strong>moi</strong>ns<br />

belle et) <strong>moi</strong>ns aimée par Jacob, et Rachel d’autant plus stérile que Jacob lui té<strong>moi</strong>gnait plus d’amour !<br />

Coup sur coup Léa enfanta Ruben, Siméon, Lévi et Juda ! Ce fut un véritable concours ! Rachel se<br />

voyant sans enfant, alors qu’elle était <strong>la</strong> préférée, n’y tint plus. Jalouse de sa sœur, elle importunait ce<br />

pauvre Jacob qui ne savait plus où donner de <strong>la</strong> tête, si l’on peut dire !<br />

— Vois avec Dieu si tu ne peux avoir d’enfant ! Ce n’est pas ma faute, quand même !<br />

— Eh bien je vais mettre ma servante dans ton lit ! Fais un enfant avec elle, elle enfantera sur mes<br />

genoux ! C’est ainsi que naquirent coup sur coup Dan et Nephtali, les fils de Bilha/Rachel ! Cette<br />

coutume ancienne était admise quand l’épouse ne pouvait avoir d’enfant : elle en faisait un par<br />

procuration, si l’on peut dire, et cet enfant que l’épouse stérile recevait sur ses genoux à <strong>la</strong> naissance,<br />

était considéré comme légitime héritier selon <strong>la</strong> loi coutumière. Sara, <strong>la</strong> femme de l’ancêtre par<br />

excellence, avait fait de même pour Abraham, en mettant dans son lit sa servante Agar, dont était né<br />

Ismaël ! Mais Léa, constatant qu’elle ne pouvait plus avoir d’enfant et ne vou<strong>la</strong>nt surtout pas être de<br />

reste dans ce concours natalitaire, mit sa servante Zilpa dans le lit de Jacob, qui conçut ainsi à <strong>la</strong> suite<br />

Gad et Asher !<br />

Tous les stratagèmes étaient bons pour activer l’ému<strong>la</strong>tion des maternités ! Un jour Ruben, le premier<br />

né de Léa - c’était un jeune homme maintenant -, était revenu d’une bal<strong>la</strong>de avec quelques pommes<br />

d’amour qu’il offrit à sa mère. À <strong>la</strong> vue des ces fruits, Rachel apostropha Léa :<br />

— Donne-m’en, s’il te p<strong>la</strong>ît !<br />

— Il ne te suffit donc pas de m’avoir pris mon mari, que tu veuilles aussi t’emparer des pommes<br />

d’amour de mon fils !<br />

— Eh bien que Jacob couche avec toi, cette nuit, en échange de ces pommes d’amour !<br />

Dès le retour de Jacob à <strong>la</strong> fin du jour, Léa courut à lui :<br />

— Ce soir, <strong>nous</strong> coucherons ensemble : car je t’ai pris à gages pour les pommes d’amour que m’a<br />

rapportées mon fils !<br />

Léa enfanta à Jacob un cinquième fils, Issachar, puis un sixième, Zabulon, et même une fille, Dina ! Et<br />

cette Dina ne fut pas un cadeau, comme <strong>nous</strong> verrons une autre fois !<br />

110


Mais Dieu, qui essayait de voir c<strong>la</strong>ir dans toutes ces initiatives quelque peu désordonnées, se rendait<br />

bien compte que Rachel souffrait de n’avoir eu qu’un fils, à côté de cette défer<strong>la</strong>nte infatigable qu’était<br />

Léa ! Et alors, plein de délicatesse et de tendresse envers <strong>la</strong> bien-aimée de Jacob, il <strong>la</strong> rendit enfin<br />

féconde, et elle donna à Jacob un fils qui al<strong>la</strong>it faire parler de lui. Ce fut Joseph ! Joseph jouera<br />

toujours comme un déclencheur dans le destin de <strong>la</strong> famille, comme son père l’avait fait en fuyant<br />

chez Laban, et comme lui encore, Joseph, le fera en Égypte, quand… mais ceci est une autre histoire !<br />

Jacob al<strong>la</strong> voir son beau-père :<br />

— Je rentre au pays, Laban, je retourne à Hébron, chez mon père ! Alors je te demande de me <strong>la</strong>isser<br />

partir tranquille avec tout ce qui m’appartient, et pour lequel je t’ai assez servi : mes femmes et mes<br />

enfants !<br />

— Eh bien fixe <strong>moi</strong> ton sa<strong>la</strong>ire et je te paierai !<br />

— Tu sais combien j’ai fait se multiplier tes biens, et combien <strong>la</strong> bénédiction de Yahvé te profitait par<br />

mon intermédiaire ! Maintenant il me faut travailler pour mon propre compte !<br />

— Mais <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong>, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> donc ce que je te dois !<br />

— Eh bien tu n’auras rien à me payer si tu fais ce que je vais te dire… Dans ton troupeau, mets de côté<br />

pour <strong>moi</strong> tout mouton noir, et toute chèvre tachetée ou mouchetée. C’est tout ce que je veux ! Tu<br />

pourras facilement vérifier mon honnêteté ! Tout ce qui ne sera ni noir ni tacheté ni moucheté<br />

t’appartiendra !<br />

— Qu’il en soit ainsi ! conclut Laban.<br />

Pendant toute <strong>la</strong> durée du travail du triage des bêtes par les fils de Laban, ce dernier mit trois jours de<br />

chemin entre lui et Jacob qui faisait paître le reste du gros bétail de son beau-père. Mais Jacob<br />

s’activait aussi de son côté. Il imagina un stratagème pour prendre sa revanche sur Laban : il ne<br />

pouvait lui pardonner cette histoire de substitution lors de son mariage ! Il prit des baguettes fraîches<br />

de peuplier, d’amandier et de p<strong>la</strong>tane, et il les écorça de bandes b<strong>la</strong>nches, mettant à nu l’aubier qui<br />

était sur les baguettes. Il p<strong>la</strong>ça ces baguettes en face des bêtes dans les auges, et dans les abreuvoirs où<br />

elles s’accoup<strong>la</strong>ient tout en buvant. Et le phénomène provoqua des naissances de petits rayés, tachetés<br />

ou mouchetés ! Il fit de même avec les moutons, en les tournant vers tout ce qui était noir et rayé dans<br />

le troupeau de Laban. Ainsi il se constitua des troupeaux à lui, qu’il ne mê<strong>la</strong> pas à ceux de Laban. De<br />

plus il s’ingénia à appliquer sa trouvaille uniquement à des bêtes robustes et résistantes. Tout ce qui<br />

était chétif était bon pour Laban, et restait b<strong>la</strong>nc et sans tache aucune ! Il se bâtit une véritable fortune<br />

sur pied, qui, s’ajoutant aux servantes, serviteurs, chameaux et ânes, faisait désormais de lui, le Jacob<br />

qui fuyait devant <strong>la</strong> colère de son frère, un vrai patriarche, puissant et redoutable !<br />

Les fils de Laban se rendirent compte que quelque chose s’était passé, qu’ils ne comprenaient pas,<br />

mais qui avait fait basculer une énorme quantité des biens de Laban du côté de Jacob ! Jacob le vit<br />

bien, lui, à <strong>la</strong> mine de Laban : il n’était manifestement plus de son côté !<br />

Alors Jacob entendit au fond de son cœur une voix qu’il reconnut : Retourne au pays de ton grandpère<br />

et de ton père ! Retourne à Hébron ! Il fit appeler immédiatement Léa et Rachel qui étaient aux<br />

champs : Votre père a changé de visage avec <strong>moi</strong> ! Mais le <strong>dieu</strong> de ma famille ne m’a jamais<br />

abandonné ! Vous m’êtes té<strong>moi</strong>ns, l’une et l’autre, que j’ai servi votre père de toutes mes forces !...<br />

Mais lui s’est joué de <strong>moi</strong>, il a changé dix fois mon sa<strong>la</strong>ire ; mais Dieu me protège et m’a inspiré. Il<br />

m’a dit : Je suis le <strong>dieu</strong> de Béthel où tu as oint une stèle et où tu m’as fait un vœu ! Maintenant<br />

debout : sors de ce pays et rentre dans ta patrie !<br />

Les deux épouses répondirent : Nous n’avons <strong>nous</strong> non plus aucune part ni aucun héritage dans <strong>la</strong><br />

maison de notre père ! Il <strong>nous</strong> a traitées comme des étrangères, puisqu’il <strong>nous</strong> a vendues et qu’il a<br />

ensuite mangé notre argent ! En vérité, tout ce que Dieu a retiré à notre père est à <strong>nous</strong> et à nos<br />

enfants ! Jacob, fais tout ce que Dieu t’a dit !<br />

Aussitôt dit… Jacob organisa vite une caravane de chameaux de tous les biens qu’il emportait avec<br />

lui : femmes, enfants, bétail divers et nombreux ! Direction : Canaan ! Et pendant que Laban était<br />

occupé à <strong>la</strong> tonte, Rachel déroba les idoles domestiques de son père. Pas une seconde, Jacob ne <strong>la</strong>issa<br />

Laban soupçonner son départ précipité : il fuit à marches forcées, passa l’Euphrate et se dirigea vers le<br />

Mont Ga<strong>la</strong>ad.<br />

111


Ce n’est que trois jours plus tard que Laban apprit <strong>la</strong> fuite de Jacob ! Il rassemb<strong>la</strong> une petite troupe<br />

autour de ses frères et se mit à sa poursuite pendant sept jours. Il finit par le rattraper au Mont Ga<strong>la</strong>ad.<br />

Laban reçut <strong>la</strong> visite d’un envoyé de Dieu lui intimant l’ordre de <strong>la</strong>isser Jacob tranquille. Il rejoignit<br />

pourtant son beau-fils et établit son camp à Ga<strong>la</strong>ad.<br />

— Pourquoi m’as-tu abusé ? Pourquoi as-tu emmené mes filles comme des captives de guerre ?<br />

Pourquoi ne m’as-tu pas avisé de ton départ ? Je t’aurais reconduit dans l’allégresse des chants, des<br />

tambourins et des lyres ! Tu ne m’as même pas <strong>la</strong>issé embrasser mes filles ! Vraiment tu as agi en<br />

insensé ! Je pourrais vous punir, mais le <strong>dieu</strong> de tes pères m’a mis en garde <strong>la</strong> nuit dernière ! Que tu<br />

partes parce que tu te <strong>la</strong>nguissais tellement après <strong>la</strong> maison de ton père, soit : mais pourquoi avoir volé<br />

mes <strong>dieu</strong>x domestiques ?<br />

— Je dois t’avouer que j’ai eu peur. J’ai cru que tu al<strong>la</strong>is m’enlever tes filles. Mais sache que celui<br />

chez qui tu trouveras tes <strong>dieu</strong>x ne restera pas vivant ! Va, fouille, et reprends ce qui est à toi !<br />

Jacob ignorait totalement que Rachel les avait dérobés, ces <strong>dieu</strong>x !<br />

Laban fouil<strong>la</strong> <strong>la</strong> tente de Jacob, celle de Léa, puis celles des deux servantes : il ne trouva rien, et pour<br />

cause ! Il passa à <strong>la</strong> tente de Rachel. Or Rachel, qui avait les idoles domestiques, les avait cachées dans<br />

le pa<strong>la</strong>nquin du chameau qu’elle montait, et s’était assise dessus. Laban fouil<strong>la</strong> <strong>la</strong> tente de fond en<br />

comble, et, bien sûr, ne trouva encore rien. Rachel dit à son père : Si je ne me lève pas en ta présence,<br />

n’y vois aucune offense, car j’ai mes règles, et je ne puis bouger ! Ainsi Laban ne put rien trouver !<br />

Alors Jacob, toujours ignorant du subterfuge de Rachel, entra dans une grande colère et s’en prit<br />

véhémentement à Laban.<br />

— Quel est donc mon crime, quelle est donc ma faute, que tu te sois acharné de <strong>la</strong> sorte contre <strong>moi</strong> ?<br />

Je t’ai <strong>la</strong>issé fouiller toutes mes affaires, as-tu trouvé ce que tu cherches ? Allez, montre-le devant tout<br />

le monde, pour qu’on juge entre <strong>nous</strong> ! Voici vingt ans que je suis chez toi, tes brebis et tes chèvres<br />

n’ont pas avorté, et je n’ai pas mangé les béliers de ton troupeau. Les animaux déchirés par les fauves,<br />

je ne les rapportais pas, c’était <strong>moi</strong> qui compensais leur perte ; tu me les réc<strong>la</strong>mais, qu’on me les ait<br />

volés de jour ou de nuit ! La chaleur du jour et le froid de <strong>la</strong> nuit m’ont dévoré, et <strong>la</strong> nuit, en plus, le<br />

sommeil me fuyait ! Oui, voici vingt ans que je suis dans ta maison et je t’ai servi quatorze ans pour<br />

tes deux filles et six ans pour ton troupeau et tu as changé dix fois mon sa<strong>la</strong>ire. Si le Dieu de mon père,<br />

le Dieu d’Abraham, père de mon propre père n’avait pas été avec <strong>moi</strong>, tu m’aurais renvoyé les mains<br />

vides. Mais Dieu a vu mes fatigues et mon <strong>la</strong>beur, et <strong>la</strong> nuit dernière, il a rendu son jugement !<br />

Laban reprit <strong>la</strong> parole :<br />

— Ces filles sont mes filles, ces enfants sont mes enfants, ce bétail est mon bétail : tout ce que tu vois<br />

est à <strong>moi</strong> ! Mais vais-je faire du mal à mes filles et à leurs enfants ? Allons, concluons un traité, toi et<br />

<strong>moi</strong> ! Et qu’il <strong>nous</strong> serve de té<strong>moi</strong>n !<br />

Après le rite du traité, Laban embrasa se filles et ses petits enfants, puis il les bénit et rentra chez lui.<br />

Jacob poursuivit sa progression et vit une troupe d‘anges de Dieu devant lui : il baptisa l’endroit<br />

Mahanayim « le Camp de Dieu ».<br />

Mais notre Jacob avait maintenant un autre problème à résoudre, et bien plus sérieux : comment ne pas<br />

tomber sous le coup de <strong>la</strong> vengeance de son frère Ésaü ! Et ça, c’était une autre paire de manches :<br />

Ésaü attendait l’occasion depuis assez longtemps pour savoir que « ce p<strong>la</strong>t se mange froid ! ». Jacob<br />

commença par dépêcher des messagers devant lui, porteurs du message suivant : Je rentre de mon<br />

séjour chez Laban. J’ai passé chez lui assez de temps pour acquérir bœufs, ânes, petit bétail,<br />

serviteurs et servantes. Je veux que tu le saches pour trouver grâce à tes yeux ! La réponse des<br />

messagers fut terrible : « Ton frère avance avec plus de quatre cents hommes de troupe !<br />

Alors pour <strong>la</strong> première fois de sa vie, Jacob eut peur et il sentait l’angoisse l’étouffer. Il eut l’idée de<br />

diviser tout son bien en deux camps : le petit et le gros bétail, ainsi que les chameaux : Si Ésaü attaque<br />

un camp, l’autre restera sauf ! Alors il se tourna vers Yahvé :<br />

— Tu es le Dieu de mon père Isaac et le Dieu de mon grand-père Abraham. C’est toi qui m’as<br />

commandé de retourner dans ma patrie en me promettant ta protection. Je sais que je suis indigne de<br />

toutes les faveurs que tu m’as accordées. Je n’avais qu’un bâton quand j’ai passé le Jourdain, et me<br />

voici maintenant à <strong>la</strong> tête de deux camps ! Protège-<strong>moi</strong> de <strong>la</strong> main de mon frère Ésaü, ne permets pas<br />

112


qu’il tue les mères avec leurs enfants. Souviens-toi de ta promesse : Je te comblerai de bienfaits et ta<br />

descendance se répandra comme le sable de <strong>la</strong> mer, qu’on ne pourra jamais compter !<br />

Et sur ce, Jacob passa <strong>la</strong> nuit à cet endroit.<br />

Au matin, il prépara un cadeau pour son frère : deux cents chèvres et vingt boucs, deux cents brebis et<br />

vingt béliers, trente chamelles qui al<strong>la</strong>itaient avec leurs petits, quarante vaches et dix taureaux, vingt<br />

ânesses et dix ânons. Il les confia à ses serviteurs, chaque troupeau à part : Passez devant <strong>moi</strong> et<br />

<strong>la</strong>issez du champ entre les troupeaux. À chacun il donna cet ordre : Quand vous serez en vue de mon<br />

frère Ésaü, et qu’il vous demandera : « À qui es-tu ? Où vas-tu ? À qui appartient tout ça ? » vous<br />

répondrez : « C’est à Jacob, qui te l’envoie comme présent. Et lui-même arrive derrière <strong>nous</strong> ».<br />

Qui sait, se <strong>dis</strong>ait Jacob, devant ses femmes qui attendaient l’issue du dilemme. Qui sait ? Peut-être<br />

Ésaü se <strong>la</strong>issera-t-il toucher ou gagner par ces présents, peut-être renoncera-t-il à sa vengeance. Et <strong>la</strong><br />

nuit tomba. Il se tournait et se retournait sur sa couche, ne trouvant ni sommeil, ni repos. Et puis d’un<br />

coup, il eut comme une illumination, un éveil, une vision ! En un éc<strong>la</strong>ir !<br />

Il se leva, prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabok, le gué<br />

où, à l’aller, il avait vu le ciel ouvert et l’échelle des anges, ce lieu même où il avait fait vœu à Yahvé<br />

de le reconnaître comme son seul Dieu s’il le protégeait et le ramenait sain et sauf chez son père, alors<br />

qu’il fuyait, comme aujourd’hui, devant <strong>la</strong> fureur de son jumeau Ésaü. Il fit aussi passer tous ses biens.<br />

Puis il repassa le torrent et resta seul.<br />

Et quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. Voyant qu’il ne parvenait pas à le maîtriser,<br />

l’autre le frappa à l’emboîture de <strong>la</strong> hanche qui se démit sous le coup, en criant :<br />

— Lâche-<strong>moi</strong>, l’aurore arrive !<br />

— Non, pas tant que tu ne m’aies béni !<br />

— Alors, quel est ton nom ?<br />

— Jacob !<br />

— Eh bien désormais, on ne t’appellera plus Jacob (le menteur), mais Israël,(le héros de Dieu) car tu<br />

t’es mesuré aux hommes et à Dieu, et tu l’as emporté.<br />

— Mais <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> ton nom, toi aussi !<br />

— Tu as besoin de le demander ? Et sur ce, l’autre le bénit.<br />

Jacob baptisa ce lieu Pénuel Visage de Dieu : j’ai vu Dieu face à face, et je vis toujours.<br />

Quand le soleil se leva, il s’aperçut qu’il boitait !<br />

Au moment même où il réapparut devant sa famille, au loin Ésaü se présentait avec ses quatre cents<br />

hommes. Alors vite, il répartit tout le monde en trois positions : en tête, les servantes Zilpa et Bilha et<br />

leurs enfants, ensuite Léa et les siens, et enfin, loin derrière, Rachel et le petit Joseph ! Lui-même,<br />

passa devant tout le monde à <strong>la</strong> rencontre de son frère, et se prosterna sept fois avant de l’aborder.<br />

Mais, miracle ! Ésaü courut à sa rencontre, le prit dans ses bras, se jeta à son cou et l’embrassa en<br />

pleurant. Apercevant alors les femmes et les enfants :<br />

— Qui sont tous ces gens ?<br />

— Ce sont les enfants que Dieu m’a donnés !<br />

Alors, spontanément, servantes, femmes et enfants s’approchèrent et se prosternèrent devant Ésaü.<br />

— Que veux-tu faire de tous les camps que j’ai rencontrés sur <strong>la</strong> route ?<br />

— C’était pour trouver grâce à tes yeux !<br />

— Mais j’ai suffisamment ! Garde ton bien !<br />

— Non, je t’en prie ! Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, accepte ! J’ai affronté ta présence comme on<br />

affronte celle de Dieu, et tu m’as accueilli ! Accepte ! Dieu m’a favorisé ! J’ai ce tout ce qu’il me<br />

faut !<br />

Alors Ésaü accepta.<br />

— Eh bien, levons le camp, maintenant, je marcherai en tête !<br />

— Mon frère sait bien que les enfants sont délicats, et que je dois penser aux brebis et aux vaches qui<br />

al<strong>la</strong>itent : si on les surmène un seul jour, tout le bétail va mourir. Que mon frère parte en avant de<br />

<strong>moi</strong> ; je cheminerai lentement au pas du troupeau et au pas des enfants, jusqu’en ta demeure, en Seïr !<br />

— D’accord, mais je vais au <strong>moi</strong>ns <strong>la</strong>isser avec toi une partie des mes compagnons.<br />

— Mais pourquoi donc ! Il me suffit de trouver grâce à tes yeux.<br />

113


Et c’est ainsi que Ésaü prit <strong>la</strong> route de Seïr. Quant à Jacob, n’ayant qu’à <strong>moi</strong>tié confiance dans le<br />

retournement spectacu<strong>la</strong>ire de son frère, il préféra prendre <strong>la</strong> direction de Sukkot, où il instal<strong>la</strong> sa<br />

maison et bâtit des huttes pour le bétail, d’où le nom de sukkot cabanes. Après quelque temps il reprit<br />

<strong>la</strong> route pour Sichem, en Canaan, où il acheta <strong>la</strong> parcelle de champ où il avait dressé son camp : il y<br />

érigea un autel qu’il nomma El, Dieu d’Israël.<br />

Mais le mal arrive toujours par là où l’on ne l’attend pas a priori. Sa seule fille, <strong>la</strong> fille que Léa lui<br />

avait donnée, <strong>la</strong> voilà qui décide de « sortir le soir ». Et Sichem, le fils d’Hamor, prince du pays, voilà<br />

qu’il l’enlève et <strong>la</strong> viole. Mais le plus beau, c’est qu’après ces violences, il en tomba amoureux et qu’il<br />

demanda à son père <strong>la</strong> petite Dina pour femme. À cette nouvelle, Jacob, qui se trouvait seul, car tous<br />

ses fils étaient aux champs, garda le silence jusqu’à leur retour.<br />

Alors il y eut pourparlers, négociations et pacte. Hamor se rendit chez Jacob et ses fils : il fit sa<br />

déc<strong>la</strong>ration pour son fils Sichem, était prêt à payer toute réparation exigée, et proposait en même<br />

temps une exogamie entre leurs deux familles : échange des femmes et imp<strong>la</strong>ntation dans le pays. La<br />

seule condition pour accepter, de <strong>la</strong> part de <strong>la</strong> famille de Jacob, fut que toute <strong>la</strong> famille d’Hamor,<br />

Sichem en tête, se fasse circoncire. Et si incroyable que ce<strong>la</strong> puisse paraître, ce fut accepté, Sichem le<br />

premier, car il était amoureux fou de Dina, et d’autre part le plus considéré de toute <strong>la</strong> famille. On<br />

pensait que toute l’affaire était réglée. Eh bien loin de là !<br />

Trois jours après, Simon et Lévi, les frères de Dina, se firent passer pour souffrants, mais ils prirent<br />

leurs armes, et se rendirent en ville sans obstacle, étant donné le pacte. Ils passèrent tous les mâles au<br />

fil de l’épée, y compris Hamor et Sichem, et récupérèrent leur sœur. Ils achevèrent même les blessés,<br />

et pillèrent tout ce qu’ils purent, en représailles pour le viol de leur sœur. Ils ravirent tout ce qu’ils<br />

trouvèrent : biens, femmes et enfants. Jacob leur fit remarquer qu’ils l’avaient mis en mauvaise posture<br />

avec tous les Cananéens.<br />

— J’ai peu d’hommes, ils vont s’unir entre eux et anéantir ma maison !<br />

— Mais on ne pouvait tout de même pas ne pas venger l’honneur de notre sœur !<br />

Comme d’habitude, c’est encore Dieu qui par<strong>la</strong> à Jacob : Allez ! Monte à Béthel sur Yabok, et fixes-ytoi<br />

! Aussitôt Jacob convoqua toute <strong>la</strong> famille : Jetez toutes les idoles que vous avez encore avec vous.<br />

Changez de vêtements ! Purifiez-vous ! Nous montons à Béthel ! La terreur semb<strong>la</strong> être tombée sur <strong>la</strong><br />

contrée toute entière : personne ne les poursuivit ! Après avoir remercié Yahvé à Béthel, et reçu<br />

confirmation de <strong>la</strong> promesse faite à ses père et grand-père sur le pays et <strong>la</strong> descendance qu’il leur<br />

accordait, Jacob leva le camp encore une fois pour Bethléem.<br />

Mais là, sur <strong>la</strong> route, Rachel eut les douleurs. Et elle accoucha de Benjamin dans de terribles<br />

circonstances : elle sentait qu’elle se mourait, heureuse cependant de donner un dernier fils à son bienaimé,<br />

un fils qui serait pour lui « son bâton de vieillesse ». Elle fut enterrée au lieu dit Ephrata, près de<br />

Bethléem. Jacob perdait avec Rachel <strong>la</strong> seule femme qu’il ait jamais aimée !<br />

Il se passe de tout dans une famille, surtout dans des familles à ramifications multiples comme celle de<br />

Jacob, mais comme celles de maintenant, entre divorces, remariages et concubinages divers ! C’est<br />

l’aîné de tous les frères, le premier né de Jacob et de Léa, qui fit aussi des siennes, en al<strong>la</strong>nt coucher<br />

avec Bilha, <strong>la</strong> servante de feu Rachel, et concubine de son père. Jusqu’à sa propre mort, Jacob en verra<br />

de toutes les couleurs : se marier, fonder une famille, <strong>la</strong> multiplier, rien de mieux pour se préparer les<br />

problèmes les plus nombreux et les plus divers. Il y eut encore <strong>la</strong> <strong>dis</strong>parition de Joseph que ses frères<br />

firent passer pour mort, alors qu’ils s’en étaient débarrassés par jalousie en le vendant comme esc<strong>la</strong>ve<br />

à une caravane qui descendait en Égypte : aventure qui se transforma en épopée héroïque pour tout le<br />

c<strong>la</strong>n de Jacob descendu s’installer chez Pharaon. Il y eut enfin <strong>la</strong> détestable aventure de Juda – le<br />

quatrième fils de Jacob et de Léa – avec Tamar, dont je <strong>raconte</strong> ailleurs <strong>la</strong> triste et <strong>la</strong>mentable histoire.<br />

Jacob vécut dix-sept ans à Goshen en terre d’Égypte, jusqu’à atteindre l’âge de cent quarante-sept ans.<br />

Sentant sa fin prochaine, il appe<strong>la</strong> Joseph à son chevet, et lui fit promettre - à <strong>la</strong> mode antique et<br />

solennelle, prendre dans sa main le sexe de celui envers qui on s’engage -, de rapatrier son corps en<br />

114


terre de Canaan, pour le déposer aux côtés d’Abraham son grand-père et d’Isaac son père. Joseph<br />

promit. Quelque temps plus tard, l’état de Jacob empira, et Joseph lui rendit visite avec ses deux fils<br />

Manassé et Éphraïm. Devant eux, Jacob transmit <strong>la</strong> bénédiction de Yahvé à Joseph, et adopta comme<br />

siens ses deux petits-fils et leurs fils après eux, au même titre que tous les enfants qu’il avait eus de ses<br />

femmes et de ses concubines.<br />

Peu de temps après, il fit appeler tous ses fils autour de lui, et il leur donna <strong>la</strong> grande bénédiction, que<br />

lui-même, le cadet, avait reçue de son père Isaac, en l’usurpant à son frère Ésaü, par le stratagème de<br />

Rébecca, sa mère. Chaque fils reçut <strong>la</strong> bénédiction qui lui convenait et que lui accordait son père,<br />

personnellement. Voilà, je m’en vais ! Enterrez-<strong>moi</strong> près de mes pères dans <strong>la</strong> grotte de Makpé<strong>la</strong>, en<br />

face de Mambré, au pays de Canaan, là où reposent Abraham avec Sara, et Isaac avec Rébecca, là où<br />

j’ai <strong>moi</strong>-même enseveli Léa. Et il expira. Joseph se jeta sur le corps de son père et le baigna de ses<br />

<strong>la</strong>rmes.<br />

Il ordonna de suite de procéder aux rites de l’embaumement qui durent quarante jours. Les Égyptiens<br />

le pleurèrent soixante-dix jours. Pharaon permit à Joseph de monter jusqu’en Canaan pour enterrer son<br />

père selon ses dernières volontés, accompagnés de tous les dignitaires de son pa<strong>la</strong>is et du pays tout<br />

entier. Montèrent avec eux tous les membres de <strong>la</strong> famille de Jacob. C’était un cortège des plus<br />

imposants ! Sur p<strong>la</strong>ce, <strong>la</strong> grande <strong>la</strong>mentation et le deuil rituel durèrent sept jours. Les Cananéens en<br />

furent tellement impressionnés, qu’ils appelèrent l’endroit Abel-Miçrayim, Le deuil des Égyptiens. Et<br />

on redescendit au pays du Nil !<br />

Même mort, Jacob servit encore de bouclier à ses fils, à ceux en tout cas qui avaient vendu, ja<strong>dis</strong>,<br />

Joseph leur frère à <strong>la</strong> caravane, par jalousie, pour s’en débarrasser ! Ils forgèrent une déc<strong>la</strong>ration de<br />

leur père, enjoignant Joseph de leur pardonner définitivement leur crime, car ils avaient peur, que, leur<br />

père <strong>dis</strong>paru, Joseph donnât maintenant libre cours à sa vengeance et à sa fureur !<br />

— Vais-je me substituer à Dieu ? leur répondit Joseph. Dieu a changé le mal en bien, pour le salut de<br />

tous ! J’accomplirai <strong>moi</strong> aussi sa volonté. Et <strong>moi</strong>, quand je mourrai, je veux que, comme je l’ai fait<br />

pour mon père, on transfère mes ossements au pays de mes ancêtres !<br />

Voilà <strong>la</strong> belle et longue histoire de l’amour de Jacob et de Rachel. C’est de Rachel, de ses fils Joseph<br />

et Benjamin, et de ses petits enfants, Ephraïm et Manassé, que le peuple d’Israël naîtra, qu’il sortira<br />

d’Égypte et passera <strong>la</strong> Mer Rouge et le désert avec Moïse, pour pénétrer dans <strong>la</strong> Terre Promise avec<br />

Josué. Rachel est l’ancêtre de <strong>la</strong> famille de David, de Jessé de Bethléem. Rachel, qui repose dans son<br />

tombeau d’Ephrata, à l’entrée de Bethléem, est celle dont on décimera les enfants lors du « massacre<br />

des saints innocents », dans cette même ville de Bethléem que visitèrent des Mages venus d’Orient,<br />

pour adorer le Roi du ciel et de <strong>la</strong> terre, Jésus de Nazareth, un descendant de David, le fils lointain de<br />

Jacob/Israël et de Rachel…<br />

115


Juda & Tamar L’amour pervers<br />

Gn 38,1-30 ; 49,8-13<br />

Juda était le quatrième fils que Léa avait donné à Jacob. Son destin (prophétisé par son père sur son lit<br />

de mort, en Égypte, au temps de Joseph, le onzième fils, lors de <strong>la</strong> grande bénédiction rituelle) en fait<br />

un héros fabuleux ! Écoutez plutôt :<br />

Juda, toi, tes frères te loueront,<br />

ta main est sur <strong>la</strong> nuque de tes ennemis,<br />

et tes frères s‘inclineront devant toi.<br />

Juda est un jeune lion, retour de <strong>la</strong> chasse.<br />

Le voici accroupi comme le roi des animaux :<br />

qui l’obligera à se lever ?<br />

Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda,<br />

ni son bâton de chef d’entre ses pieds<br />

jusqu’à ce que le tribut lui soit apporté<br />

et que les peuples lui obéissent !<br />

Il lie son ânon à <strong>la</strong> vigne,<br />

il <strong>la</strong>ve son vêtement dans le sang du raisin,<br />

ses yeux sont troubles de vin<br />

et ses dents sont b<strong>la</strong>nches de <strong>la</strong>it !<br />

C’est en effet de son nom que dériveront et le nom de <strong>la</strong> province autour de Jérusalem, <strong>la</strong> Judée ; et le<br />

nom du croyant, juif. Ce dernier nom désignera bientôt non seulement tous ceux qui croient en Yahvé,<br />

mais aussi toute <strong>la</strong> nation. C’est dire l’importance de cette tribu et de son ancêtre.<br />

Pendant que <strong>la</strong> famille de Jacob était installée à Sichem, et après que les onze frères, dont Juda,<br />

eussent plongé dans <strong>la</strong> conjuration de supprimer Joseph - ce qui se serait produit sans l’intervention du<br />

premier-né, Ruben, qui p<strong>la</strong>ida sa cause pour l’amour de leur père -, il arriva que Juda voulut faire c<strong>la</strong>n<br />

à part, et il prit <strong>dis</strong>tance vis-à-vis de <strong>la</strong> famille. Il se lia d’amitié avec un homme d’Adul<strong>la</strong>m du nom de<br />

Hira. Il y rencontra <strong>la</strong> fille d’un Cananéen nommé Shua... et il <strong>la</strong> prit pour femme.<br />

Il eut un premier fils qu’il appe<strong>la</strong>, Er ; puis un second, Onân. Et puis un troisième, Shé<strong>la</strong>. Tout ceci se<br />

passait à Kezib.<br />

Le temps passa… Et quand ce fut le moment, Juda choisit pour son fils premier-né, Er, une épouse du<br />

nom de Tamar. Mais Er menait une mauvaise vie, et il déplut à Yahvé ! Er mourut !<br />

Alors Juda dit à Onân, le puîné : Remplis ton devoir de beau-frère et donne un descendant à ton frère,<br />

puisqu’il n’est plus !<br />

En effet, d’après <strong>la</strong> coutume, quand un homme mourait sans postérité, il revenait à son frère de <strong>la</strong> lui<br />

assurer ! Mais, ce que <strong>dis</strong>ait <strong>la</strong> coutume, et ce que savait fort bien Onân, c’est que cette « postérité<br />

assurée » ne pouvait en aucun cas être <strong>la</strong> sienne propre, mais légalement celle de son frère auquel il se<br />

substituait dans le lit de <strong>la</strong> veuve, sa belle-sœur !<br />

Et ainsi chaque fois qu’il avait un rapport avec Tamar, il se retirait juste avant l’éjacu<strong>la</strong>tion, et <strong>la</strong>issait<br />

sa semence se perdre.<br />

Ce<strong>la</strong> non plus ne p<strong>la</strong>isait pas à Yahvé. Onân mourut à son tour !<br />

Alors Juda dit à sa belle-fille : Écoute, retourne comme veuve chez ton père, en attendant que<br />

gran<strong>dis</strong>se mon dernier fils Shé<strong>la</strong> ! En fait il ne vou<strong>la</strong>it pas que Shé<strong>la</strong> connaisse le même sort que ses<br />

frères. Tamar s’en retourna donc à <strong>la</strong> maison paternelle.<br />

Bien des jours passèrent, et <strong>la</strong> femme de Juda - mère de Shé<strong>la</strong>, donc belle-mère de Tamar -, mourut.<br />

Après le temps de deuil rituel, Juda monta à Timna avec Hira, son ami d’Adul<strong>la</strong>m, pour <strong>la</strong> tonte des<br />

116


ebis. Tamar l’apprit. Elle quitta aussitôt ses habits de veuve, se couvrit d’un voile dont elle<br />

s’enveloppa, et s’en al<strong>la</strong> s’asseoir à l’entrée du vil<strong>la</strong>ge d’Enayim, qui se trouve sur <strong>la</strong> route de Timna.<br />

Elle s’était bien rendue compte que Shé<strong>la</strong>, le troisième frère était devenu un homme maintenant, et<br />

qu’elle ne lui avait toujours pas été donnée pour femme !<br />

Juda remarqua Tamar, sans <strong>la</strong> reconnaître bien entendu, et il <strong>la</strong> prit pour une prostituée, le visage voilé.<br />

Il lui demanda d’aller avec elle. Que me donneras-tu pour ça ? - Je t’enverrai un chevreau du<br />

troupeau ! - D’accord, mais je veux un gage en attendant ! - Mais quel gage puis-je te donner ? - Eh<br />

bien, ton sceau, par exemple, et puis ton cordon et ta canne ! - D’accord !<br />

Il lui donna ce qu’elle demandait. Ils firent ce qu’ils avaient convenu. Tamar rentra chez son père, et<br />

reprit ses vêtements de veuve. Quelques <strong>moi</strong>s plus tard, elle constata qu’elle était enceinte ! Entre<br />

temps Juda avait envoyé le chevreau par l’intermédiaire de son ami d’Abdul<strong>la</strong>m, avec mission de<br />

récupérer ses gages. Mais ce dernier ne retrouva pas <strong>la</strong> femme ! Et pour cause ! Il s’en enquit auprès<br />

des gens du lieu : Où est passée cette prostituée qui se tenait à Enayim sur le chemin ? - Mais il n’y a<br />

jamais eu de prostituée ici ! L’homme s’en revint et raconta tout à Juda : Eh bien qu’elle garde tout,<br />

rétorqua celui-ci ! Il ne faut pas qu’on se moque de <strong>nous</strong> : tu es té<strong>moi</strong>n que j’ai bien envoyé ce<br />

chevreau, et que toi tu ne l’as pas retrouvée !<br />

Environ trois <strong>moi</strong>s plus tard, on annonça à Juda que sa belle-fille était enceinte, qu’elle s’était<br />

prostituée, et que c’était là le fruit de son inconduite. Qu’on l’amène ici, et qu’on <strong>la</strong> brûle vive ! fut <strong>la</strong><br />

réaction de Juda. C’était en effet le châtiment réservé aux femmes adultères. Mais comme on<br />

l’amenait, Tamar envoya dire à son beau-père : C’est de l’homme à qui appartient ceci que je suis<br />

enceinte ! Reconnais donc le propriétaire de ce sceau, de ce cordon et de cette canne ! Juda n’en<br />

revint pas, et il déc<strong>la</strong>ra : Elle est plus juste que <strong>moi</strong> ! C’est elle qui a raison : je devais lui donner mon<br />

fils Shé<strong>la</strong> ! Et il n’eut plus désormais de rapport avec elle.<br />

Tamar devait accoucher de jumeaux. Mais pendant l’accouchement, l’un des deux tendit <strong>la</strong> main et <strong>la</strong><br />

sage-femme <strong>la</strong> saisit et y attacha un fil écar<strong>la</strong>te pour reconnaître qui était sorti le premier ! Important<br />

pour le droit d’aînesse. Mais l’enfant retira sa main. Ce fut son frère qui sortit le premier, en fait, et il<br />

fut appelé Péreç - « Celui qui s’est ouvert une brèche ». Alors l’autre sortit avec son fil écar<strong>la</strong>te au<br />

poignet : on l’appe<strong>la</strong> Zerah !<br />

Fin de l’histoire !<br />

Cette finale peut décevoir ; on pouvait s’attendre à quelque chose de plus dramatique, de plus<br />

sensationnel. En fait, chacun a eu son du, d’une façon un peu « tordue », mais quand même ! Tamar a<br />

eu des enfants, et Juda des petits enfants. Bien sûr, Tamar les a eus du père de ses maris, de son beaupère,<br />

donc, et les petits enfants de Juda sont en même temps ses propres enfants, qu’il aura eus de <strong>la</strong><br />

femme de ses fils ! Eh bien, ces situations sont bien plus courantes qu’on ne le suppose ! On n’en<br />

apprend <strong>la</strong> réalité que dans les alcôves des cabinets de consultation et des confessionnaux.<br />

Mais ces histoires de <strong>la</strong> Bible, histoires d’amour ou autres, ne sont pas de simples histoires « pour<br />

passer le temps » ! Elles <strong>dis</strong>ent toujours plus qu’elles ne <strong>raconte</strong>nt. Ainsi, ici, cet enfant « Péreç », qui<br />

force <strong>la</strong> sortie et précède le petit Zérah, censé devoir sortir le premier, ce Péreç donc, sera retenu dans<br />

<strong>la</strong> généalogie de Jésus comme un de ses multiples ancêtres « directs », par David ! Et Tamar, <strong>la</strong> mère<br />

de Péreç, fécondée par Juda, sera déc<strong>la</strong>rée « juste » par Juda lui-même, dont j’ai cité dès le début le<br />

destin prophétique, national et religieux, annoncé par l’ancêtre du peuple juif par excellence, Jacob /<br />

Israël.<br />

En fait, <strong>nous</strong> apprenons « simplement » encore que les voies de Dieu sont vraiment impénétrables, et<br />

que nos malheurs concourent toujours, en définitive, à notre bonheur pour sa plus grande gloire !<br />

117


Joseph & Mme Potiphar : L’échappée belle<br />

Gn 39,1-23<br />

Quand Ruben, l’aîné des onze fils de Jacob, eut réussi à convaincre ses neuf frères de ne pas<br />

éliminer Joseph et ses prétentions à leur être supérieur un jour ; quand il fut décidé à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de le<br />

déposer au fond d’un réservoir à eau de pluie et de tremper sa belle tunique, spécialement tissée par<br />

Rachel, dans le sang d’un bouc, histoire de faire croire qu’une bête l’avait tué ; quand, enfin, à <strong>la</strong> vue<br />

d’une caravane ismaélite en route pour l’Égypte, les frères criminels finirent par vendre leur petit frère<br />

comme esc<strong>la</strong>ve… Joseph se retrouva sur le marché de Memphis, offert à <strong>la</strong> vente au plus offrant.<br />

Ce fut Potiphar qui l’acquit. Potiphar était eunuque de Pharaon et commandant en chef des<br />

gardes du pa<strong>la</strong>is. Potiphar affecta Joseph à sa maison, comme administrateur de tous ses biens. Il<br />

s’était vite rendu compte que le jeune hébreu était intelligent, doué et efficace. Il par<strong>la</strong>it non seulement<br />

sa <strong>la</strong>ngue maternelle, mais aussi l’araméen, cet ang<strong>la</strong>is de l’époque, utilisé dans tout le Moyen Orient<br />

de <strong>la</strong> Mer Noire à l’Égypte et de <strong>la</strong> Méditerranée jusqu’au-delà de l’Euphrate. De plus, il était<br />

agréable, de bonne compagnie et avait belle figure. Comme Yahvé avait des vues sur Joseph, et qu’il<br />

le protégeait, <strong>la</strong> maison de Potiphar en bénéficiait par voie de conséquence ! Ce qui rendait Potiphar<br />

toujours plus content de Joseph ; ce qui faisait de Joseph l’esc<strong>la</strong>ve le plus envié de <strong>la</strong> ville !<br />

Bref, Joseph était devenu le second après son maître pour tout ce qui touchait sa maison, ses<br />

biens et leur administration.<br />

Mais c’était sans compter avec l’épouse de son maître, <strong>la</strong> ci-devant madame Potiphar. Elle aussi<br />

était satisfaite des services de Joseph, bien sûr ! Mais elle le voyait aussi avec les yeux d’une femme<br />

dont l’époux était quand même eunuque, même s’il était eunuque de Pharaon et tout ce qu’on voudra !<br />

En considérant Joseph, son corps frustré ne pouvait que rêver à ce que serait sa vie de femme, si<br />

Joseph…<br />

Un après-midi de grande chaleur, alors que tout dans l’immense maison reposait, abasourdi et<br />

immobile, elle se faufi<strong>la</strong> jusqu’au bâtiment administratif affecté à l’équipe que dirigeait Joseph, au<br />

service des intérêts de Potiphar. Peut-être Joseph s’y trouve-t-il, puisqu’il se dépense sans compter au<br />

service de mon époux, et que, quel que soit le temps, il est toujours à son poste ! Effectivement, seul<br />

au milieu des vastes bureaux administratifs, Joseph vaquait à ses occupations. Il entendit quelqu’un se<br />

faufiler dans l’enfi<strong>la</strong>de des pièces, il se retourna bientôt pour apercevoir <strong>la</strong> femme de son maître qui<br />

avançait vers lui en minaudant dangereusement. Mine de rien et avec un sourire de déférence, Joseph<br />

mit une <strong>la</strong>rge table entre <strong>la</strong> séductrice et lui. Mais elle, plus directe qu’une flèche tirée à bout portant,<br />

lui décocha : Couche avec <strong>moi</strong> ! Le jeune homme, tout bien monté qu’il pût être, rougit de l’invite<br />

impudique et baissa les yeux, feignant de n’avoir rien entendu ! Couche avec <strong>moi</strong> ! réitéra-t-elle ! Mais<br />

madame, mon maître me fait entièrement confiance, il m’a confié toute sa maison, j’ai quasiment<br />

autant de pouvoir que lui sur tout ! Il ne m’a rien interdit que toi, sa femme ! Comment pourrais-je lui<br />

faire du mal et pécher contre mon Dieu ?<br />

La femme Potiphar se retira, dépitée, ce jour-là. Mais elle revint à <strong>la</strong> charge, pratiquement<br />

chaque jour et chaque fois qu’elle le rencontrait pour les affaires de <strong>la</strong> maison. Joseph l’évitait, autant<br />

que possible, mais parfois il n’y avait aucune échappatoire, et il était obligé de subir des avances de<br />

plus en plus en plus pressantes, qui lui pesaient d’autant, et le rendaient bien malheureux ! De plus, il<br />

ne semb<strong>la</strong>it pas que cette femme d’eunuque pût être son type !<br />

Un autre après-midi, Joseph se trouva de nouveau tout seul dans ses bureaux, et <strong>la</strong> femme<br />

survint toute excitée et prête à toute extrémité ! Cette fois-ci, elle s’approcha par derrière sans qu’il y<br />

prenne garde, et saisissant son pagne et seul vêtement, elle cria comme une folle : Couche avec <strong>moi</strong> !<br />

Joseph, pris de panique, lui abandonna son pagne et s’enfuit tout nu dans ses appartements ! Elle, le<br />

pagne à <strong>la</strong> main, se mit à hurler, appe<strong>la</strong>nt toutes ses suivantes à <strong>la</strong> ronde. On accourut, on reconnut le<br />

pagne de Joseph : Voyez-vous, Potiphar <strong>nous</strong> a gratifiées d’un Hébreu pour badiner avec <strong>nous</strong> ! Et<br />

quand j’ai appelé au secours, il s’est enfui, l’idiot, en abandonnant ça ! , criait-elle en bran<strong>dis</strong>sant le<br />

118


pagne, comme le trophée de sa fidélité outragée ! Potiphar fut bientôt là, et elle poursuivit sa comédie<br />

en l’apostrophant à son tour, mê<strong>la</strong>nt <strong>la</strong>rmes et imprécations : Voilà de quelle manière ton esc<strong>la</strong>ve<br />

préféré a agi envers <strong>moi</strong>, ton épouse !<br />

Potiphar, incrédule mais scandalisé, dut faire saisir Joseph et le jeter dans <strong>la</strong> prison de Pharaon !<br />

Potiphar devait connaître sa femme et comprendre son insatisfaction ; il ne pouvait croire Joseph<br />

capable d’une telle ignominie. Mais il dut s’exécuter : on dira plus tard, « <strong>la</strong> femme de César ne peut<br />

avoir tort », <strong>la</strong> femme de Potiphar ne pouvait pas avoir inventé une telle turpitude. Et pourtant...<br />

Nous ne savons pas qui Joseph, plus tard, dans sa gloire de vizir de Pharaon, élut comme<br />

maîtresse de son cœur. Car l’histoire de Joseph se termina bien. Dieu ne l’abandonna pas, comme il<br />

n’abandonne jamais ceux qui mettent en lui seul leur foi, leur espérance et leur amour. Ainsi le geôlier<br />

l’eut à <strong>la</strong> bonne, mais surtout Joseph reçut de Dieu de savoir interpréter les songes, d’abord ceux du<br />

grand panetier et du grand échanson, jetés comme lui en prison, ensuite les songes de Pharaon luimême,<br />

ce qui lui valut non seulement <strong>la</strong> grâce, mais le poste le plus élève de l’empire : grand vizir de<br />

Pharaon, donc <strong>la</strong> deuxième personne de l’empire d’Égypte, comme il avait été <strong>la</strong> deuxième personne<br />

de <strong>la</strong> maison de Potiphar.<br />

On ne sait pas non plus ce qu’il advint de Madame Potiphar, ni de son brave eunuque de mari.<br />

De Joseph, <strong>nous</strong> apprendrons – quand toute sa famille l’aura rejoint en Égypte, lors de <strong>la</strong> grande<br />

famine qu’il avait su anticiper et contenir –, oui, on apprendra qu’il avait eu deux fils, d’une épouse<br />

égyptienne, selon toute vraisemb<strong>la</strong>nce : Éphraïm et Manassé, que leur grand-père Jacob sur son lit de<br />

mort voulut adopter comme ses propres enfants, au même titre que ses douze fils, pour en faire ses<br />

héritiers directs : héritiers surtout de <strong>la</strong> grande tradition qui fondera le peuple au sein duquel devait<br />

naître un jour, Jésus, fils de Marie, et par Joseph de Nazareth, son père nourricier, fils de David de<br />

Bethléem, lui-même descendant de Jacob de Sichem et de Joseph d’Égypte.<br />

119


Samson & Dali<strong>la</strong> La séduction<br />

Jg 13,1-16,31<br />

Cette histoire s’est passée en des temps très anciens, juste après qu’avec Josué à leur tête, les<br />

Hébreux rapatriés d’Égypte par Moïse et Aaron, fussent entrés dans cette Terre Promise, qu’ils durent<br />

enlever par <strong>la</strong> force des armes : batailles jamais gagnées, jamais perdues. Et ce<strong>la</strong> dure encore ! Il fallut<br />

reconquérir les p<strong>la</strong>ces des ancêtres : Béthel, l’ancienne Luz de Jacob ; Qiryat-Arba, maintenant<br />

Hébron ; Sichem, <strong>la</strong> future Naplouse. Et <strong>la</strong> côte, de Gaza et d’Ashkelon à Akko et Sidon ; et le centre,<br />

de Megiddo à Bet-Shemesh. Mais après <strong>la</strong> mort de Josué, les Israélites se <strong>la</strong>issèrent de nouveau aller<br />

au culte des idoles de Baal et d’Astarté.<br />

Yahvé suscita des « juges », des sortes de prévôts, des shérifs avec pleins pouvoirs : politiques,<br />

religieux et militaires, au service de <strong>la</strong> cause de Dieu et du peuple. Mais quand un juge mourait, le<br />

peuple retombait dans ses ornières idolâtriques ! Ce qui faisait de cette Terre Promise, le dépotoir de<br />

toutes les extravagances religieuses importées ou locales, et de leurs mixtures. Et les mé<strong>la</strong>nges des<br />

popu<strong>la</strong>tions n’arrangeaient rien : tout se mê<strong>la</strong>it, hommes et femmes, croyances et superstitions, Yahvé<br />

et <strong>la</strong> cohorte des <strong>dieu</strong>x étrangers !<br />

Ainsi avant l’apparition de Samson, on vit venir Otniel, Ehud, Shamgar, Déborah et Baraq,<br />

Gédéon et Abimelek, To<strong>la</strong>, Yaïr, Jephté, Ibçân, Elôn et Abdôn. Samson fut le douzième et le dernier<br />

des juges, et sa fin, il <strong>la</strong> dut à son aveuglement amoureux…Mais n’anticipons pas !<br />

Les Israélites étaient retombés dans leur travers préféré, l’idolâtrie, après <strong>la</strong> mort d’Elôn et<br />

d’Abdôn. Les Philistins attaquèrent et occupèrent le pays pendant quarante ans. À Coréa, dans le c<strong>la</strong>n<br />

de Dan, au nord du pays, un homme du nom de Manoah était marié à une femme stérile, et par<br />

conséquent il n’avait pas d’enfant. Yahvé envoya son messager à cette femme : Je sais que tu ne peux<br />

avoir d’enfant. Mais tu vas en concevoir un : ce sera un garçon ! Désormais, prends garde : pas<br />

d’alcool, pas d’aliment impur. Cet enfant, quand il sera grand, ne connaîtra ni ciseaux, ni rasoir. Il<br />

sera « nazir » de Dieu – consacré à Dieu –, et ce, dès qu’il se manifestera dans ton sein. C’est lui qui<br />

commencera le travail d’expulsion des Philistins du territoire. Surprise et heureuse, <strong>la</strong> femme de<br />

Manoah s’empressa d’avertir son mari de cette nouvelle. Manoah se tourna vers Dieu pour le<br />

remercier et lui demander quelques explications supplémentaires sur le devenir et le destin de cet<br />

enfant qu’on lui promettait. Mais c’est encore à <strong>la</strong> future mère que Dieu envoya son messager, alors<br />

qu’elle travail<strong>la</strong>it aux champs, tan<strong>dis</strong> que Manoah était en ville. Alors <strong>la</strong> femme courut en informer<br />

son mari, qui se dépêcha jusqu’à l’endroit où le messager se trouvait encore : Oui, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong>, quand tout<br />

ce<strong>la</strong> se passera, quelles règles l’enfant devra-t-il suivre, que devra-t-il faire ? - Surtout et d’abord, ne<br />

rien faire de ce que j’ai interdit à ta femme... Après, <strong>nous</strong> verrons ! - Permets que <strong>nous</strong> te retenions et<br />

que <strong>nous</strong> t’apprêtions un chevreau - Même si j’acceptais, je ne pourrais pas manger de ta nourriture.<br />

Mais si tu désires préparer un holocauste, offre-le à Yahvé . Dans sa simplicité, Manoah ignorait en<br />

effet qu’à travers cet homme, il invitait Dieu lui-même. Dis-<strong>nous</strong> au <strong>moi</strong>ns ton nom, que <strong>nous</strong><br />

puissions t’honorer quand tout ceci se passera. - Pourquoi me demander mon nom ? Il est<br />

merveilleux. Alors Manoah se résolut à offrir l’holocauste promis, sur le rocher, tan<strong>dis</strong> que le couple<br />

contemp<strong>la</strong>it l’offrande. Or comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme du sacrifice montait vers le ciel, Manoah et sa femme<br />

virent le messager monter lui aussi dans <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme de l’autel sous leurs yeux émerveillés. Et tous deux<br />

tombèrent aussitôt <strong>la</strong> face contre terre. C’est alors seulement que Manoah prit conscience de l’identité<br />

du messager qui ne se présenta plus à eux dans <strong>la</strong> suite.<br />

Et poursuivant dans sa logique, il continua : Nous allons certainement mourir maintenant,<br />

puisque <strong>nous</strong> avons vu Dieu - Si Yahvé avait eu l’intention de <strong>nous</strong> faire mourir, rétorqua sa femme –<br />

un peu agacée par les inepties de Manoah –, il n’aurait accepté de nos mains ni offrande ni ob<strong>la</strong>tion,<br />

enfin, voyons ! Il ne <strong>nous</strong> aurait pas fait voir tout ce<strong>la</strong>, pour <strong>nous</strong> anéantir de suite après !<br />

Au temps normal, <strong>la</strong> femme mit au monde un fils, qu’elle prénomma Samson. Yahvé protégeait<br />

l’enfant, et son esprit commença de l’agiter, au camp de Dan, entre Coréa et Eshtaol.<br />

Quand Samson fut grand, il lui arriva un jour de devoir descendre pour affaire, de Dan, au Nord,<br />

à Timna, au sud. En ville, il remarqua une femme, une Philistine. De retour chez lui, il s’en ouvrit à<br />

120


ses parents, et demanda à son père de <strong>la</strong> lui prendre comme épouse. N’y a-t-il donc personne chez<br />

<strong>nous</strong>, mon fils, parmi tes nièces ou ailleurs, pour que tu ailles choisir une femme parmi ces Philistins<br />

incirconcis ? - C’est celle-là qui me p<strong>la</strong>ît ! Je t’en prie, prends-<strong>la</strong>-<strong>moi</strong>. Comment les parents<br />

pouvaient-ils deviner que ce<strong>la</strong> entrait dans le p<strong>la</strong>n de Yahvé, de donner un sujet de querelle avec les<br />

Philistins qui occupaient le pays à cette époque.<br />

On descendit donc à Timna. Mais voilà qu’en arrivant aux alentours des vignes du pays, ils se<br />

trouvèrent face à face avec un jeune lion qui se dirigeait vers eux en rugissant. Samson courut en avant<br />

et le détourna de <strong>la</strong> direction de ses parents. Aussitôt l’esprit de Yahvé fondit sur Samson, qui, les<br />

mains nues, déchira le lion, comme on déchire un chevreau. Mais il cacha son exploit à ses parents.<br />

On continue <strong>la</strong> route, on rencontre <strong>la</strong> famille de <strong>la</strong> jeune fille, on parlemente, elle plut. À<br />

quelque temps de là, Samson revint pour l’épouser. Mais il voulut faire le détour, pour voir si le<br />

cadavre du lion était toujours là. Il était bien là, et dans <strong>la</strong> carcasse un essaim d’abeilles s’était logé, et<br />

y avait fait son miel. Samson ramassa une poignée de miel et il en mangea tout en cheminant. Il en<br />

avait aussi recueilli dans un sac pour en faire goûter à ses parents, mais toujours en taisant l’endroit où<br />

il l’avait ramassé. Son père descendit plus tard chez l’épouse de son fils, et Samson organisa un festin<br />

à cette occasion. On invita même une bande de trente compagnons.<br />

Pour mettre un peu d’ambiance, Samson leur proposa une énigme : Si vous m’en révélez le sens,<br />

au cours des sept jours de festins, oui, si vous trouvez, je vous donnerai trente pièces de toile fine et<br />

trente vêtements d’honneur. Mais si vous ne trouvez pas <strong>la</strong> solution, eh bien c’est vous qui me<br />

donnerez ces trente pièces de toile fine et ces trente vêtements d’honneur ! - D’accord ! Propose ton<br />

énigme, <strong>nous</strong> sommes tout ouïe. - La voici : De celui qui mange est sorti ce qui se mange, et du fort est<br />

sorti le doux.<br />

Mais après trois jours, ils n’avaient toujours rien trouvé. Au septième jour, ils dirent à <strong>la</strong> femme<br />

de Samson : Séduis ton mari et arrache lui <strong>la</strong> solution de l’énigme, sinon <strong>nous</strong> te brûlerons, toi, et <strong>la</strong><br />

maison de ton père. Ma parole, mais c’est pour <strong>nous</strong> dépouiller que vous <strong>nous</strong> avez invités ici. Alors<br />

<strong>la</strong> femme se mit à jouer <strong>la</strong> comédie des reproches. Elle pleura sans arrêt : Tu ne m’aimes pas, au fond.<br />

Tu as proposé une énigme à mes concitoyens, et à <strong>moi</strong>, tu ne m’en as même pas donné <strong>la</strong> solution ! -<br />

Mais je ne l’ai pas dit non plus à mon père ni à ma mère, et je vais te <strong>la</strong> dire à toi ? Alors elle<br />

redoub<strong>la</strong> ses pleurs et ses reproches, si bien qu’au bout du compte, il lui céda. Et elle s’empressa alors<br />

de le rapporter à <strong>la</strong> bande des invités Philistins.<br />

Le septième jour, avant le coucher du soleil, les Philistins vinrent donc dire à Samson : Qu’y at-il<br />

de plus doux que le miel, et quoi de plus fort que le lion ? - Si vous n’aviez pas <strong>la</strong>bouré avec ma<br />

génisse, leur répondit-il crûment, vous n’auriez pas trouvé mon énigme. Alors d’un coup, l’esprit de<br />

Yahvé fondit sur lui, à nouveau. Il descendit à Ashqelôn et tua trente hommes, prit leurs dépouilles et<br />

remit les vêtements d’honneur à ceux qui avaient deviné l’énigme. Puis fulminant de colère, il remonta<br />

vers le nord, s’en retournant chez son père. Sa femme, restée dans le sud, fut finalement donnée au<br />

compagnon qui lui avait servi de garçon d’honneur !<br />

Pourtant à quelque temps de là, à l’époque de <strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson, Samson eut envie de revoir sa femme.<br />

Il apportait un chevreau. Je veux rentrer dans <strong>la</strong> chambre de ma femme. Mais le beau-père ne le lui<br />

permit pas. J’ai cru comprendre que tu l’avais prise en aversion, et je l’ai donnée à ton garçon<br />

d’honneur. Ma sa sœur cadette ne vaut-elle mieux qu’elle ? Tu n’as qu’à <strong>la</strong> prendre à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, si tu<br />

veux. - Cette fois, dit-il, je ne serai quitte envers les Philistins, qu’en leur faisant du mal.<br />

Samson al<strong>la</strong> dans <strong>la</strong> campagne et captura trois cents renards, et il les attacha deux par deux par<br />

<strong>la</strong> queue, en adjoignant une torche au nœud. Il mit le feu aux torches et il lâcha les cent cinquante<br />

paires de renards, dans les <strong>moi</strong>ssons des Philistins, incendiant tout : gerbes, blés sur pied, et jusqu’aux<br />

vignes et aux oliviers. Affolés, les Philistins criaient : Mais qui a fait ce<strong>la</strong> ?- C’est Samson, le gendre<br />

du Timnite qui a repris sa femme pour <strong>la</strong> donner à son garçon d’honneur. Alors ils mirent à feu et à<br />

sang <strong>la</strong> maison, avec <strong>la</strong> femme et son père. Très bien, leur fit savoir Samson, j’agirai <strong>moi</strong>-même en<br />

conséquence. Et il les massacra jusqu’au dernier. En suite de quoi, il descendit se p<strong>la</strong>nquer dans <strong>la</strong><br />

grotte du rocher d’Etam pour s’y établir.<br />

121


De leur côté, les Philistins firent une incursion à Léhi de Juda : Mais pourquoi venir chez<br />

<strong>nous</strong> ? s’étonnèrent les Judéens. C’est pour <strong>nous</strong> saisir de Samson, et lui rendre <strong>la</strong> monnaie de sa<br />

pièce ! Immédiatement trois mille Judéens se rassemblèrent pour descendre à <strong>la</strong> grotte du rocher<br />

d’Etam et dire à Samson : Tu sais bien que les Philistins occupent le pays. Tu <strong>nous</strong> compliques <strong>la</strong><br />

vie avec tes histoires !- Je n’ai fait que leur rendre <strong>la</strong> pareille ! - En fait <strong>nous</strong> sommes venus t’arrêter<br />

pour te livrer à eux ! - Jurez-<strong>moi</strong> que vous ne me tuerez pas vous-mêmes ! - Nous le jurons. Nous<br />

voulons seulement te livrer à eux, mais <strong>nous</strong>, <strong>nous</strong> ne voulons pas ta mort ! Alors Samson se <strong>la</strong>issa<br />

prendre, ligoter et livrer.<br />

Comme <strong>la</strong> troupe arrivait à Léhi, les Philistins accoururent en poussant des cris de triomphe.<br />

L’esprit de Yahvé fondit à nouveau sur Samson, il se défit des cordes comme de fils de lin, et<br />

recouvrit ses mains libres. Il ramassa une mâchoire d’âne qui traînait par là, et s’en servit comme<br />

d’une massue pour abattre plus de mille ennemis. Et il chanta : Avec une mâchoire d’âne, je les ai bien<br />

étrillés. Avec une mâchoire d’âne, j’ai battu mille hommes ! Et il se débarrassa de cette mâchoire : cet<br />

endroit s’appelle désormais « Ramat-Léhi ». Mais comme il mourait de soif, et qu’il n’y avait pas de<br />

point d’eau, Samson se tourna vers Yahvé, qui fendit le bassin de Léhi et en fit jaillir de l’eau pour<br />

Samson : cette nouvelle source s’appe<strong>la</strong> Enha-Qoré.<br />

C’est à cette époque qu’il se rendit à Gaza. Il y rencontra une prostituée, à qui il rendit visite. On<br />

sut qu’il se trouvait en ville. On fit des rondes et on le guetta toute <strong>la</strong> nuit à <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> ville. Les<br />

Philistins pensaient s’en débarrasser dès qu’ils le verraient. Samson dormit jusqu’au milieu de <strong>la</strong> nuit,<br />

se leva, se rendit aux portes, les arracha avec leurs deux montants et <strong>la</strong> barre, les chargea sur ses<br />

épaules, et les monta jusqu’au sommet de <strong>la</strong> montagne en face d’Hébron.<br />

La troisième femme de sa vie entra alors en scène. Elle s’appe<strong>la</strong>it Dali<strong>la</strong>, et était originaire de <strong>la</strong><br />

vallée de Soreq. Il l’aimait. Et les princes des Philistins vinrent <strong>la</strong> trouver elle aussi et lui proposèrent<br />

le marché suivant : Séduis-le, et tache de savoir d’où lui vient sa force herculéenne, de façon que <strong>nous</strong><br />

sachions comment le ligoter et le maîtriser. De notre côté, <strong>nous</strong> te paierons chacun onze cents sicles<br />

d’argent.<br />

Avec ce naturel enfantin qui caractérise les grandes traîtresses, Dali<strong>la</strong> dit à Samson : Dis-<strong>moi</strong>, je<br />

t’en prie, d’où te vient ta grande force et quels liens il faudrait utiliser si l’on vou<strong>la</strong>it te maîtriser ! -<br />

Eh bien vois-tu, belle Dali<strong>la</strong>, si on me liait avec sept cordes d’arc fraîches, et qu’on n’aurait pas<br />

encore fait sécher, je perdrais ma vigueur, je deviendrais un homme ordinaire. Dali<strong>la</strong> se fit livrer le<br />

matériel et elle le lia elle-même. Samson se serait-il donc <strong>la</strong>issé faire ? Et puis, alors qu’elle se trouvait<br />

avec Samson dans sa chambre, elle cria : Au secours, les Philistins sont sur toi, Samson ! Et Samson<br />

rompit les cordes aussi facilement que des cordons d’étoupe.<br />

Alors Dali<strong>la</strong> – c’est incroyable, mais c’est comme ça –, reprocha à Samson de s’être joué d’elle<br />

et de lui avoir menti. Maintenant, je veux <strong>la</strong> vérité. Avec quoi faudrait-il te lier ? Comme quoi seul le<br />

culot paye. Surtout quand on veut se <strong>la</strong>isser séduire. Eh bien, ce serait avec des cordes neuves, qui<br />

n’ont jamais servi ! répondit-il. Et ce fut le même scénario : les Philistins apportent les cordes à Dali<strong>la</strong>,<br />

elle attache Samson, crie aux Philistins, Samson fait sauter ses liens et se libère.<br />

Une troisième fois, Dali<strong>la</strong> lui joua <strong>la</strong> même comédie. Si tu tissais les sept tresses de ma<br />

chevelure avec <strong>la</strong> chaîne d’un tissu, lui dit Samson, et si tu les comprimais avec <strong>la</strong> batte de tisserand,<br />

je…etc., etc. Même scénario, même résultat !<br />

Comment peux-tu dire que tu m’aimes, si ton cœur n’est pas avec <strong>moi</strong> ? eut-elle le front de lui<br />

dire. Mais elle devait avoir un beau front ! Voilà trois fois que tu te joues de <strong>moi</strong>, et je ne sais toujours<br />

pas d’où te vient ta force ! Chaque jour elle le poussait à bout de <strong>la</strong> sorte, elle le harce<strong>la</strong>it à en mourir.<br />

Il finit, par <strong>la</strong>ssitude de vivre peut-être, par lui ouvrir son (pauvre !) cœur : Le rasoir n’est jamais<br />

passé sur ma tête, je suis nazir de (consacré à) Dieu depuis le sein de ma mère. Si on me rasait, alors<br />

<strong>la</strong> force se retirerait de <strong>moi</strong>, je perdrais définitivement ma vigueur, devenant comme tout homme ! »<br />

Dali<strong>la</strong> sentit bien que Samson lui avait cette fois ouvert tout son cœur, et elle convoqua les princes des<br />

Philistins : Cette fois, c’en est fait de lui ! Ils vinrent chez elle, l’argent en main. Elle endormit Samson<br />

122


sur ses genoux, appe<strong>la</strong> un homme et lui fit raser les sept tresses des cheveux de sa tête. Et <strong>la</strong> force se<br />

retira de lui. Quand elle cria aux Philistins, Samson pensa s’en tirer comme les autres fois. Il ignorait<br />

qu’il était devenu un homme comme les autres. Les Philistins se ruèrent sur lui, lui crevèrent vite les<br />

yeux et le transférèrent à Gaza. On l’enchaîna avec une double chaîne d’airain, et on lui faisait tourner<br />

<strong>la</strong> meule de <strong>la</strong> prison.<br />

Mais une fois rasée, <strong>la</strong> chevelure se remit à pousser. Comme toutes les chevelures. C’est leur<br />

nature. Les Princes des Philistins avaient décidé une grande fête en l’honneur de Dagôn, leur <strong>dieu</strong>.<br />

Notre <strong>dieu</strong> a livré en nos mains, Samson notre ennemi ! chantaient-ils. À <strong>la</strong> vue de leur <strong>dieu</strong>, le peuple<br />

poussa de grandes acc<strong>la</strong>mations en son honneur. Notre <strong>dieu</strong> a livré en nos mains, Samson notre<br />

ennemi, celui qui dévastait notre pays et multipliait nos morts. Et pleins de joie, ils exigèrent qu’on<br />

fasse venir Samson : Qu’il <strong>nous</strong> amuse ! On amena Samson de <strong>la</strong> prison. Et après quelques jeux, on le<br />

p<strong>la</strong>ça debout entre les colonnes.<br />

Samson demanda alors au jeune garçon qui le menait par <strong>la</strong> main : Conduis-<strong>moi</strong>, je te prie, et<br />

fais-<strong>moi</strong> toucher les colonnes maîtresses pour que je m’y appuie. Le temple était comble : il y avait là<br />

tous les princes des Philistins, et sur <strong>la</strong> terrasse, environ trois mille hommes et femmes venus regarder<br />

les jeux de Samson. Alors Samson s’adressa à Yahvé : Redonne-<strong>moi</strong> ta force une seule fois encore,<br />

que je te venge des Philistins, ainsi que pour mes deux yeux. Samson tâta les deux colonnes sur<br />

lesquelles reposait le temple, il s’arc-bouta contre elles de ses deux bras, et il s’écria : Que je meure<br />

avec les Philistins ! Il poussa de toutes ses forces recouvrées, et le temple s’écrou<strong>la</strong> en écrasant toute<br />

l’assemblée. En un coup et en mourant, il en tua plus que pendant toute son existence.<br />

Ses frères et toute <strong>la</strong> maison de son père descendirent pour recueillir son corps et l’emportèrent.<br />

Ils l’ensevelirent entre Coréa et Eshtaol dans le tombeau de Manoah, son père.<br />

Samson fut juge en Israël pendant vingt ans.<br />

Trois femmes : une épouse, une prostituée et une espionne. Pauvre Samson... Choisi par Dieu<br />

pour être juge en Israël. Force inégalée. Mais un être faible, naïf, infantile même.<br />

Sait-on jamais qui on épouse ? Les héros et les champions, de quelles compagnes ont-ils<br />

besoin ?<br />

123


Le lévite d’Éphraïm & <strong>la</strong> concubine :<br />

Vendetta chez les Juges<br />

Jg 19,1-21,25<br />

En ce temps-là, c’était l’anarchie culturelle et morale en Israël, il n’y avait pas de roi, mais des<br />

« Juges ». Ces derniers gouvernaient le peuple, le conduisaient à <strong>la</strong> guerre et le sauvaient du péril. Ils<br />

n’exerçaient leur action qu’au profit d’un c<strong>la</strong>n ou d’une tribu, rarement au profit d’un groupe de tribus.<br />

Ils avaient pourtant tous un trait commun, ils avaient reçu une grâce spéciale, un charisme : ils avaient<br />

été spécialement choisis par Dieu pour une mission de salut. Gédéon, Samson, Jephté sont des Juges.<br />

L’instal<strong>la</strong>tion des Israélites en Canaan fut longue et pénible : les tribus et les c<strong>la</strong>ns faisaient <strong>la</strong> guerre<br />

isolément, et s’instal<strong>la</strong>ient surtout dans les régions montagneuses sans parvenir à s’emparer des villes<br />

de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine. L’unité entre les différentes factions était assurée par <strong>la</strong> participation à <strong>la</strong> même foi<br />

religieuse : le sanctuaire de Silo était un centre où tous les groupes se retrouvaient.<br />

Il y avait un homme, un lévite (de <strong>la</strong> tribu de Lévi), qui résidait dans le pays perdu de <strong>la</strong><br />

montagne d’Ephraïm, au nord-ouest de Jérusalem, vers <strong>la</strong> mer. Il avait pris pour concubine une femme<br />

de Bethlehem de Juda, au sud de Jérusalem. Un jour de colère, sa concubine le quitta et s’en retourna<br />

dans <strong>la</strong> maison de son père… Quatre <strong>moi</strong>s passèrent, et notre lévite trouvant que ce<strong>la</strong> avait assez duré,<br />

décida d’aller <strong>la</strong> reprendre et de <strong>la</strong> convaincre de revenir chez lui. Il prit <strong>la</strong> route, accompagné d’un<br />

serviteur et de deux montures. Son beau-père le vit venir de loin, et courut au devant de lui pour<br />

l’accueillir avec joie : il lui enjoignit de rester quelques jours chez lui, de se reposer et de festoyer<br />

ensemble. Mais ce<strong>la</strong> n’en finissait pas. Le matin du quatrième jour, son beau père ne le <strong>la</strong>issa pas<br />

encore partir, insistant pour qu’il reste encore quelques jours. Le lévite se <strong>la</strong>issait toujours convaincre<br />

de rester d’autant plus que l’endroit était fort agréable, son beau père fort généreux, et qu’il n’avait pas<br />

d’affaire urgente à régler chez lui. Il en fut de même le sixième jour. Mais le septième jour, comme il<br />

sentait qu’il al<strong>la</strong>it encore se <strong>la</strong>isser retenir, il coupa court et dans l’après-midi, sa concubine avec lui, il<br />

prit congé. Mais il était déjà un peu tard. Tant pis, il prit <strong>la</strong> route de Jébus, <strong>la</strong> ville des Jébuséens qui<br />

deviendra Jérusalem, après sa conquête par David…<br />

À <strong>la</strong> hauteur de Jérusalem, le jour avait bien baissé : Maître, <strong>nous</strong> ferions mieux de faire halte<br />

ici – Non, non ! Nous n’allons tout de même pas <strong>nous</strong> arrêter chez des non Israélites ! Poussons plutôt<br />

jusqu’à Gibéa… Gibéa ou Rama ! Allons dépêchons-<strong>nous</strong> ! C’est ce qu’ils firent, un maître ayant<br />

toujours raison sur son serviteur. Quand ils atteignirent Gibéa, le soleil se couchait. On entra dans <strong>la</strong><br />

localité, on s’assit sur <strong>la</strong> petite p<strong>la</strong>ce, mais personne ne leur offrit l’hospitalité pour <strong>la</strong> nuit. À <strong>la</strong> fin –<br />

ce<strong>la</strong> faisait un bon moment qu’ils attendaient – un vieil<strong>la</strong>rd, de retour des champs, s’arrêta devant eux.<br />

Il était d’Éphraïm, comme notre lévite. Les gens de Gibéa étaient des Benjaminites (de <strong>la</strong> tribu de<br />

Benjamin) : D’où viens-tu, et où vas-tu ? Le vieil homme avait une belle voix, et son accent confirma<br />

qu’il n’était pas benjaminite mais bien lévite, comme notre voyageur. Nous faisons route de Bethlehem<br />

de Juda vers le fond de <strong>la</strong> montagne d’Éphraïm. Je suis de là-bas. Je suis sur le chemin du retour,<br />

mais personne ne m’a offert l’hospitalité chez lui. Nous avons pourtant de quoi : de <strong>la</strong> paille te du<br />

fourrage pour nos montures, j’ai même du pain et du vin pour <strong>moi</strong>, pour ta servante, et pour le garçon<br />

qui accompagne ton serviteur…- C’est bon, sois le bienvenu, <strong>la</strong>isse-<strong>moi</strong> pourvoir à tes besoins, mais,<br />

pour l’amour de Yahvé, ne passe pas <strong>la</strong> nuit sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce. On arrive chez l’hôte, on donne aux ânes.<br />

Nos voyageurs se <strong>la</strong>vent les pieds et se restaurent.<br />

Pendant qu’ils en étaient à se réconforter, voilà que des coups violents retentirent à <strong>la</strong> grosse<br />

porte de bois du logis, et qu’un attroupement d’hommes à <strong>la</strong> mine patibu<strong>la</strong>ire se mirent à vociférer<br />

dans <strong>la</strong> nuit désormais pleine : Fais sortir le voyageur, <strong>nous</strong> voulons lui passer dessus. – Quoi, vous<br />

n’y pensez pas, ne commettez pas ce crime : vous savez que l’hospitalité est un devoir sacré. Je vous<br />

en supplie, ne commettez pas cette infamie… Je vais vous donner ma fille, elle est encore vierge, vous<br />

en ferez ce que vous voudrez ! Mais vous livrer mon hôte, jamais !<br />

124


Déjà <strong>la</strong> jeune fille, toute mignonne et frêle, sortait de <strong>la</strong> maison, obéissant à son père qui pleurait<br />

de colère et d’impuissance. Les vauriens ne voulurent rien entendre. Alors notre lévite fit sortir sa<br />

concubine, ils en abusèrent toute <strong>la</strong> nuit, et ne <strong>la</strong> lâchèrent qu’au lever du jour. À l’aube, <strong>la</strong> femme se<br />

traîna et tomba, évanouie, à <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> maison. Au matin, c’est là que son mari <strong>la</strong> trouva, gisant<br />

dans ses râles : Debout, <strong>nous</strong> partons ! Ne recevant aucune réponse – elle était morte – il <strong>la</strong> chargea<br />

sur une monture, et prit <strong>la</strong> route de <strong>la</strong> montagne d’Éphraïm.<br />

Une fois rendu, et sans reprendre souffle, il se saisit d’un grand couteau à découpe, et fit douze<br />

morceaux du cadavre de sa femme, qu’il envoya, un par tribu, sur tout le territoire d’Israël. Aux<br />

émissaires, il donna l’ordre de proc<strong>la</strong>mer les paroles suivantes : A-t-on vu chose pareille chose depuis<br />

que les Israélites sont montés du pays d’Égypte ? Réfléchissez bien, consultez-vous et prononcez-vous.<br />

Et chaque fois c’était <strong>la</strong> même horreur : Jamais pareille chose n’est arrivée et s’est depuis que <strong>nous</strong><br />

avons été tirés du pays de l’esc<strong>la</strong>vage.<br />

Alors il y eut un tel mouvement d’indignation que de Dan, au Nord, jusqu’à Beersheba, dans le<br />

sud, les chefs de toutes les tribus et de tous les c<strong>la</strong>ns se rendirent avec leurs membres au pays de<br />

Ga<strong>la</strong>ad, à Miçpa, en assemblée générale du peuple de Dieu. Plus de quatre cents mille hommes à pied<br />

sachant tirer l’épée ! Ce qu’apprirent vite les benjaminites. Rapportez-<strong>nous</strong> les faits, exigèrent-ils.<br />

Notre lévite se présenta alors : J’étais venu à Gibea de Benjamin avec ma concubine et mon serviteur<br />

pour y passer <strong>la</strong> nuit. Les habitants <strong>nous</strong> ont proprement assiégés, ils vou<strong>la</strong>ient me tuer, et ils ont<br />

abusé toute <strong>la</strong> nuit de ma concubine, au point qu’elle en est morte. Je l’ai donc découpée en morceaux<br />

que je vous ai envoyés dans tout le territoire de l’héritage d’Israël, car ceci est une infamie. Et<br />

maintenant, Israélites, <strong>nous</strong> devons prendre une décision !<br />

La réaction fut immédiate. Le lévite ne s’était pas plutôt tu que tout le monde se dressa, le poing<br />

en l’air : Personne d’entre <strong>nous</strong> ne regagnera sa tente ou sa maison. Les chefs décidèrent : Voici<br />

comment <strong>nous</strong> allons procéder. Toutes les tribus d’Israël fourniront dix hommes sur cent, cent sur<br />

mille, et mille sur dix mille. Ils se procureront les vivres nécessaires pour cette campagne contre les<br />

gens de Gibéa. Une magnifique union rassemb<strong>la</strong> tout le monde.<br />

La première opération consista à envoyer des émissaires chez les Benjaminites pour qu’ils<br />

livrent les coupables. Les Benjaminites ne voulurent pas écouter leurs frères Israélites. Alors une lutte<br />

sans merci fut déclenchée qui n’al<strong>la</strong> pas d’abord, et par deux fois, dans le sens désiré. Les<br />

Benjaminites repoussèrent deux fois les troupes coalisées du reste d’Israël qui se retirèrent avec de très<br />

lourdes pertes et furent bien près de renoncer. Et puis après s’être une troisième fois confiés à Yahvé et<br />

à sa puissance, les onze tribus vinrent enfin à bout de <strong>la</strong> résistance de <strong>la</strong> douzième, dévastant tout sur<br />

leur passage, ne <strong>la</strong>issant rien debout de <strong>la</strong> ville de Gibéa et des autres villes de leur c<strong>la</strong>n, passant au fil<br />

de l’épée toute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion mâle, ainsi que tout le bétail.<br />

Les tribus avaient aussi fait le serment, de ne donner aux jeunes Benjaminites célibataires<br />

aucune de leurs filles comme épouses. Oui, mais comment faire pour que <strong>la</strong> tribu de Benjamin ne<br />

<strong>dis</strong>paraisse pas et affaiblisse finalement <strong>la</strong> puissance numérique des Douze ? Un chef eut une idée, car<br />

il avait remarqué que dans <strong>la</strong> tribu de Ga<strong>la</strong>ad, personne du vil<strong>la</strong>ge de Yabesh n’avait pas pris part aux<br />

opérations de représailles et de vengeance contre les Benjaminites. Eh bien envoyons un commando<br />

exécutif de <strong>la</strong> sentence : Passer au fil de l’épée, tous les habitants de Yabesh, hommes mariés, femmes<br />

et enfants, sauf les jeunes filles. On en trouva quatre cents, et on les achemina au camp de Silo, près du<br />

sanctuaire de Yahvé. On al<strong>la</strong> proposer <strong>la</strong> paix aux Benjaminites rescapés, ce qu’ils s’empressèrent<br />

d’accepter, et comme cadeau de réconciliation, on leur remit les quatre cents filles épargnées des<br />

massacres de Yabesh, mais, il n’y en eut pas pour tout le monde. Le serment que les onze tribus<br />

avaient fait étant toujours va<strong>la</strong>ble, il fallut trouver encore une « combine » pour doter d’une compagne<br />

les jeunes Benjaminites non encore pourvus.<br />

Quelqu’un des chefs eut une idée que <strong>nous</strong> qualifierions de jésuite aujourd’hui. Écoutez plutôt !<br />

125


La Fête des Tentes approchait, et à Silo, près de Sichem (aujourd’hui Naplouse), elle était<br />

célébrée en très grande pompe. On recommanda donc aux jeunes Benjaminites encore non dotés :<br />

Allez vous mettre en embuscade dans les vignes. Guettez les filles de Silo. Quand elles sortiront du<br />

sanctuaire pour danser en chœurs, allez vous en emparez et prenez ce qui vous manque. Et alors,<br />

rentrez vite chez vous au pays de Benjamin. Si leur père ou leur frère viennent vous chercher querelle,<br />

<strong>nous</strong> leur dirons : Pardonnez-leur d’avoir pris chacun sa femme comme à <strong>la</strong> guerre. Car si c’est vous<br />

qui les leur eussiez données, c’est vous qui eussiez péché, car vous auriez ainsi rompu votre serment.<br />

C’est ce que firent les jeunes Benjaminites, ne s’emparant que d’autant d’épouses dont ils<br />

avaient besoin pour être tous pourvus. Et ils regagnèrent dare dare tout heureux le territoire de leur<br />

tribu. Tous les Israélites en firent de même et chacun regagna son héritage.<br />

Oui, en ces temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël, et chacun faisait (un peu) ce qui lui<br />

p<strong>la</strong>isait ! Une espèce de système D, en somme !<br />

126


Booz & Ruth : Le conte de fée<br />

Rt 1,1-4,22<br />

Au temps des Juges (ce sont ces sherifs de l’époque), une famine survint dans le pays. Un<br />

habitant de Bethlehem s’expatria avec sa femme et ses deux fils pour s’installer dans les Champs de<br />

Moab. Il s’appe<strong>la</strong>it Elimelek (ce qui veut dire : Mon Dieu est Roi), sa femme Noami (ma mignonne),<br />

et ses deux fils Mahlôn (<strong>la</strong>ngueur) et Kilyôn (consomption) : ils étaient Ephratéens (Ephrata se trouve<br />

près de Bethlehem en Juda).<br />

À peine installés en Moab, Elimelek mourut, <strong>la</strong>issant une veuve avec deux fils. Les deux<br />

garçons finirent par prendre femmes à leur tour. Ce furent Orpa et Ruth. Rien ne se passa pendant dix<br />

ans, jusqu’au jour où (destin ? malheur ?), <strong>la</strong> mort les emporta à leur tour et quasi en même temps.<br />

Noami resta donc seule, privées en quelques années de son mari et des ses deux fils. Avec ses deux<br />

belles filles, elle se prépara à quitter les Champs de Moab, pour retourner dans sa patrie, car, <strong>dis</strong>ait-on,<br />

il était fini le temps de <strong>la</strong> famine : Yahvé avait revisité son peuple. Voilà donc nos trois femmes sur <strong>la</strong><br />

route du pays de Juda.<br />

En route, à <strong>la</strong> première halte, Noamie voulut c<strong>la</strong>rifier <strong>la</strong> situation avec ses deux brus :<br />

Désormais, vous pouvez partir et rentrer chez vous. Dieu vous accompagnera, comme vous avez<br />

accompagné ma famille, et <strong>moi</strong>-même depuis <strong>la</strong> mort de mon mari et de mes deux fils. Mais elles, de se<br />

mettre à sangloter : Non, <strong>nous</strong> restons avec toi, et <strong>nous</strong> intégrerons ton peuple - Mais pourquoi ? Je<br />

n’ai plus de fils à vous offrir, et je suis trop vieille pour me remarier. Et même si je <strong>dis</strong>ais que j’ai<br />

toujours mes chances, allez-vous attendre que mes fils à venir soient assez grands pour que vous les<br />

épousiez à leur tour ? Et à cause de ce<strong>la</strong>, allez-vous vous condamner à ne pas vous remarier vousmêmes<br />

? Non, mes filles, j’aurais trop de peine pour vous. C’est mon destin ! Allez-vous-en ! Sur ce,<br />

Orpa prit congé, mais Ruth resta.<br />

Pour comprendre cette situation, il faut connaître ce qui s’appelle <strong>la</strong> loi du lévirat. Quand un<br />

homme meurt sans descendance, c’est le devoir d’un de ses frères que d’épouser sa veuve pour lui<br />

susciter une descendance, par procuration, en somme. Et si ce<strong>la</strong> n’est pas possible, car il n’y a plus de<br />

frère en lice, alors, s’applique une autre loi, celle du rachat. C’est le parent le plus proche, qui assure<br />

ce devoir, auquel est attaché en plus l’héritage de celui à qui on doit assurer une descendance : ce<br />

parent prend pour femme <strong>la</strong> veuve et « hérite » des biens du défunt, qui iront au fils qui naîtra de cette<br />

union du rachat. Ainsi, d’une façon ou d’une autre, le défunt a une descendance, qui devient<br />

légalement <strong>la</strong> sienne, et <strong>la</strong> mère du défunt devient légalement <strong>la</strong> grand-mère de l’enfant, etc. Noami<br />

n’ayant pas d’autre fils d’Elimelek, et Élimélek pas de frère, ce sera à d’autres parents, en commençant<br />

par les plus proches, de se charger de ce devoir à <strong>la</strong> fois légal et religieux…<br />

Ruth déc<strong>la</strong>ra à sa belle-mère, après le départ d’Orpa : Où tu riras, j’irai. Où tu demeureras, je<br />

demeurerai. Ton peuple sera mon peuple, et ton <strong>dieu</strong> mon <strong>dieu</strong>. Là où tu mourras, je mourrai et là je<br />

serai ensevelie. Seule <strong>la</strong> mort <strong>nous</strong> séparera ! Noami ne dit rien, et elles prirent <strong>la</strong> route de Bethlehem.<br />

Leur arrivée provoqua un é<strong>moi</strong> dans tout le vil<strong>la</strong>ge : Noami est de retour – Ne m’appelez plus<br />

Noami dit-elle (Noami qui veut dire « ma mignonne ») Appelez-<strong>moi</strong> désormais Mara (« l’amère »),<br />

car Dieu m’a éprouvée.<br />

C’était le début de <strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson des orges. Noami avait du côté de son défunt mari un parent<br />

proche du nom de Booz. Ruth, <strong>la</strong> moabite, demanda à Noami sa belle-mère <strong>la</strong> permission d’aller<br />

g<strong>la</strong>ner dans les champs de quoi se nourrir. Sa chance <strong>la</strong> conduisait sur <strong>la</strong> pièce de terrain appartenant à<br />

Booz, justement, du c<strong>la</strong>n d’Elimelek. Booz arrivait juste ce matin-là de Bethlehem où il résidait. À <strong>la</strong><br />

vue de <strong>la</strong> nouvelle g<strong>la</strong>neuse, il s’enquit de son identité et à qui elle appartenait. On lui répondit qu’elle<br />

était moabite, qu’elle venait d’arriver dans le pays, accompagnant sa belle-mère Noami veuve de son<br />

127


parent Elimelek. S’adressant alors directement à Ruth, Booz lui dit : Écoute bien, ma fille, ne va pas<br />

g<strong>la</strong>ner ailleurs, reste sur mes terres. Ici personne ne te molestera. Tu peux boire aux cruches l’eau qui<br />

restera.<br />

Ruth n’en revenait pas. Elle ne put que se jeter aux pieds de Booz, qui continua alors : On m’a<br />

rapporté tout le bien que tu as fait à ta belle-mère après <strong>la</strong> mort de son mari et du tien, et comment tu<br />

n’as pas hésité à quitter ta patrie pour t’installer là où tu ne connais personne. Que Dieu te<br />

récompense de ta piété familiale ! À <strong>la</strong> pause du repas, Booz s’adressa encore à Ruth : Viens, mange<br />

de mon pain, et trempe-le dans <strong>la</strong> piquette ! Booz lui fit même passer des grains rôtis. Au point que,<br />

rassasiée, elle en eut du reste. Quand elle se releva pour aller g<strong>la</strong>ner, Booz donna cet ordre à ses<br />

employés : Laissez-là g<strong>la</strong>ner entre les gerbes, et n’allez pas lui faire d’affront. Et même, pensez à<br />

<strong>la</strong>isser tomber de vos javelles quelques épis qu’elle ramassera, sans crier après elle ! Ce jour-là, Ruth<br />

g<strong>la</strong>na pour plus d’une mesure d’orge.<br />

Quand elle rentra, Noami était toute excitée. Ruth lui remit et <strong>la</strong> mesure d’orge et les restes de<br />

son repas qu’elle avait emporté avec elle. Où as-tu g<strong>la</strong>né aujourd’hui ? Chez qui ? - Booz, dit-elle, ne<br />

pouvant en dire plus car l’émotion l’étreignait trop. Noami elle aussi fut suffoquée. Ce Booz est notre<br />

parent : Dieu soit béni. Il est de ceux qui ont sur <strong>nous</strong> un droit de rachat – Il m’a dit aussi, reprit Ruth,<br />

de rester avec lui tant que dureront les <strong>moi</strong>ssons d’orge et de blé. Tout se passa comme prévu jusqu’à<br />

<strong>la</strong> fin des <strong>moi</strong>ssons. Ruth travail<strong>la</strong>it chez Booz, on ne l’ennuyait pas, et elle rentrait chaque soir chez<br />

sa belle-mère, où elle demeurait.<br />

Un jour, Noami qui ne perdait pas le nord par<strong>la</strong> à Ruth : Ma fille, il faut que je songe à t’établir<br />

à nouveau pour que tu sois heureuse, tu le mérites. Booz est notre parent. Je sais que ce soir il doit<br />

vanner l’orge sur son site ! Elle attendit quelques instants, <strong>la</strong>issant Ruth deviner sa tactique…Et quand<br />

Ruth esquissa un sourire : Lave-toi, parfume-toi, habille-toi, descends sur l’aire, mais ne te <strong>la</strong>isse pas<br />

reconnaître par lui avant qu’il n’ait achevé de manger et de boire…Quand il sera couché, observe<br />

bien l’endroit, puis va t’allonger à ses pieds… Il te fera savoir lui-même ce que tu auras à faire – Tout<br />

ce que tu me <strong>dis</strong>, je le ferai ! conclut Ruth.<br />

Booz s’était couché de fatigue accablé ;<br />

Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;<br />

Puis avait fait son lit à sa p<strong>la</strong>ce ordinaire ;<br />

Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.<br />

Ce vieil<strong>la</strong>rd possédait des champs de blé et d’orge ;<br />

Il était, quoique riche, à <strong>la</strong> justice enclin ;<br />

Il n’avait pas de fange en l’eau de son moulin ;<br />

Il n’avait pas d’enfer dans le feu de sa forge.<br />

Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril.<br />

Sa gerbe n’était point avare ni haineuse ;<br />

Quand il voyait passer quelque pauvre g<strong>la</strong>neuse :<br />

- Laissez tomber exprès des épis, <strong>dis</strong>ait-il.<br />

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,<br />

Vêtu de probité candide et de lin b<strong>la</strong>nc ;<br />

Et, toujours du côté des pauvres ruisse<strong>la</strong>nt,<br />

Ses sacs de grains semb<strong>la</strong>ient des fontaines publiques.<br />

Booz était bon maître et fidèle parent ;<br />

Il était généreux, quoiqu’il fût économe ;<br />

Les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme,<br />

Car le jeune homme est beau, mais le vieil<strong>la</strong>rd est grand.<br />

128


Le vieil<strong>la</strong>rd, qui revient vers <strong>la</strong> source première,<br />

Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;<br />

Et l’on voit de <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme aux yeux des jeunes gens,<br />

Mais dans l’œil du vieil<strong>la</strong>rd on voit de <strong>la</strong> lumière.<br />

Donc, Booz dans <strong>la</strong> nuit dormait parmi les siens ;<br />

Près des meules, qu’on eût prises pour des décombres,<br />

Les <strong>moi</strong>ssonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;<br />

Et ceci se passait dans des temps très anciens.<br />

Les tribus d’Israël avaient pour chef un juge ;<br />

La terre, où l’homme errait sous <strong>la</strong> tente, inquiet<br />

Des empreintes de pieds de géants qu’il voyait,<br />

Était mouillée encore et molle du déluge.<br />

Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,<br />

Booz, les yeux fermés, gisait sous <strong>la</strong> feuillée ;<br />

Or, <strong>la</strong> porte du ciel s’étant entrebâillée<br />

Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.<br />

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne<br />

Qui, sorti de son ventre, al<strong>la</strong>it jusqu’au ciel bleu ;<br />

Une race y montait comme une longue chaîne ;<br />

Un roi chantait en bas, en haut mourait un <strong>dieu</strong>.<br />

Et Booz murmurait avec <strong>la</strong> voix de l’âme :<br />

Comment se pourrait-il que de <strong>moi</strong> ceci vînt ?<br />

Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,<br />

Et je n’ai pas de fils, et je n’ai plus de femme.<br />

Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi,<br />

O Seigneur ! a quitté ma couche pour <strong>la</strong> vôtre ;<br />

Et <strong>nous</strong> sommes encor tout mêlés l’un à l’autre,<br />

Elle à demi vivante et <strong>moi</strong> mort à demi.<br />

Une race naîtrait de <strong>moi</strong> ! Comment le croire ?<br />

Comment se pourrait-il que j’eusse des enfants ?<br />

Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;<br />

Le jour sort de <strong>la</strong> nuit comme d’une victoire ;<br />

Mais vieux, on tremble ainsi qu’à l’hiver le bouleau ;<br />

Je suis veuf, je suis seul, et sur <strong>moi</strong> le soir tombe,<br />

Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers <strong>la</strong> tombe,<br />

Comme un bœuf ayant soif penche son front vers l’eau. "<br />

Ainsi par<strong>la</strong>it Booz dans le rêve et l’extase,<br />

Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;<br />

Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,<br />

Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.<br />

Pendant qu’il sommeil<strong>la</strong>it, Ruth, une moabite,<br />

S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,<br />

Espérant on ne sait quel rayon inconnu,<br />

Quand viendrait du réveil <strong>la</strong> lumière subite.<br />

129


Booz ne savait point qu’une femme était là,<br />

Et Ruth ne savait point ce que Dieu vou<strong>la</strong>it d’elle.<br />

Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle ;<br />

Les souffles de <strong>la</strong> nuit flottaient sur Galga<strong>la</strong>.<br />

L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;<br />

Les anges y vo<strong>la</strong>ient sans doute obscurément,<br />

Car on voyait passer dans <strong>la</strong> nuit, par moment,<br />

Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.<br />

La respiration de Booz qui dormait<br />

Se mê<strong>la</strong>it au bruit sourd des ruisseaux sur <strong>la</strong> mousse.<br />

On était dans le <strong>moi</strong>s où <strong>la</strong> nature est douce,<br />

Les collines ayant des lys sur leur sommet.<br />

Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;<br />

Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;<br />

Une immense bonté tombait du firmament ;<br />

C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.<br />

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;<br />

Les astres émail<strong>la</strong>ient le ciel profond et sombre ;<br />

Le croissant fin et c<strong>la</strong>ir parmi ces fleurs de l’ombre<br />

Bril<strong>la</strong>it à l’occident, et Ruth se demandait,<br />

Immobile, ouvrant l’œil à <strong>moi</strong>tié sous ses voiles,<br />

Quel <strong>dieu</strong>, quel <strong>moi</strong>ssonneur de l’éternel été,<br />

Avait, en s’en al<strong>la</strong>nt, négligemment jeté<br />

Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.<br />

Au milieu de <strong>la</strong> nuit, Booz eut un frisson, et jetant les yeux tout autour, s’aperçut qu’une femme<br />

était là, à ses pieds. Qui es-tu ? – Je suis Ruth. Étends sur <strong>moi</strong> ton manteau, tu peux me prendre, car tu<br />

as sur <strong>moi</strong> droit de rachat ! – Que Dieu te bénisse, ma fille, ce second acte de piété filiale est encore<br />

plus grand que le premier, puisque tu n’as pas recherché de jeunes gens, pauvres ou riches. Ne crains<br />

rien, tout ce que tu demanderas, tu l’obtiendras. D’ailleurs tout le monde sait à <strong>la</strong> Porte de Bethlehem<br />

que tu es une femme parfaite… Pourtant s’il est vrai que j’ai droit de rachat sur toi, il est un parent<br />

encore plus direct que <strong>moi</strong>…Passe <strong>la</strong> nuit ici, et demain matin, s’il veut exercer son droit à ton égard,<br />

qu’il te rachète, mais s’il ne veut pas le faire, alors, par Yahvé vivant, c’est <strong>moi</strong>, Booz qui te<br />

rachèterai. Reste couchée !<br />

Mais Booz, lui, se leva à potron minet : Il ne faut pas qu’on sache que cette femme est venue à<br />

l’aire, pensait-il. Ouvre ton manteau devant toi, et tiens-le bien ! Elle le lui tendit, et Booz y versa six<br />

parts d’orge. Puis il rentra en ville.<br />

Ruth s’en revint toute bouleversée chez Noami, pour lui <strong>raconte</strong>r en haletant les événements de<br />

<strong>la</strong> nuit, et les six parts d’orge : « Il ne faut pas rentrer chez ta belle-mère les mains vides ! » Ma fille,<br />

repose-toi maintenant. Attendons comment tout ce<strong>la</strong> va tourner. Je suis sûre qu’aujourd’hui encore<br />

tout ce<strong>la</strong> va se dénouer et trouver une issue heureuse !<br />

Booz s’était rendu à <strong>la</strong> Porte de Bethlehem, et s’y était posté pour attendre l’arrivée du parent<br />

dont il avait parlé à Ruth. Viens, approche-toi, lui demanda-t-il à son arrivée. Booz choisit encore dix<br />

hommes parmi les Anciens de <strong>la</strong> ville : Voulez-vous bien prendre p<strong>la</strong>ce ! Ils obéirent. Alors à l’adresse<br />

du parent plus direct qui avait droit de rachat : La pièce de terre qui appartenait à notre frère<br />

Elimelek, Noami, qui est revenue des Champs de Moab, <strong>la</strong> met en vente. J’ai jugé bon de t’en<br />

informer. Acquiers-<strong>la</strong> si tu le désires en présence des Anciens ici rassemblés. Si tu ne le désires pas,<br />

130


<strong>dis</strong>-le-<strong>moi</strong>. Car <strong>moi</strong>, ce<strong>la</strong> m’intéresse, mais tu as priorité sur <strong>moi</strong> ! – Oui, je veux bien user de mon<br />

droit. – Mais n’oublie pas que tu acquiers non seulement Noami et le champ mais aussi Ruth, <strong>la</strong><br />

Moabite, <strong>la</strong> femme du défunt fils de Noami, pour perpétuer son nom sur le patri<strong>moi</strong>ne ! – Alors je ne<br />

puis exercer mon droit, je craindrais de nuire à mon propre héritage. Fais-le toi, si tu veux ! L’affaire<br />

fut donc conclue : <strong>la</strong> coutume était que l’on retirait sa sandale et <strong>la</strong> donnait à l’autre. L’autre retira<br />

donc sa sandale en <strong>dis</strong>ant : Exerce ton droit de rachat à ton profit !<br />

Booz ne se le fit pas dire deux fois : Vous êtes bien tous té<strong>moi</strong>ns que j’acquiers aujourd’hui de<br />

<strong>la</strong> main de Noami tout ce qui appartenait à Elimelek, et tout ce qui appartenait à Kilyôn et Mahlôn,<br />

que j’acquiers en même temps pour femme Ruth <strong>la</strong> Moabite, veuve de Malhôn, pour perpétuer le nom<br />

du défunt sur son héritage, et pour que ne s’éteigne pas son nom ! Tout le monde cria : Nous en<br />

sommes té<strong>moi</strong>ns ! Et les Anciens continuèrent : Que Yahvé rende <strong>la</strong> femme qui va entrer dans ta<br />

maison, semb<strong>la</strong>ble à Rachel et à Léa, qui à elles deux, ont « édifié <strong>la</strong> maison d’Israël ! »<br />

Booz épousa donc Ruth et elle devint sa femme. Ruth conçut un fils, que Noami prit sur son<br />

sein et dont elle s’occupa. L’enfant fut nommé Obed (Serviteur de Dieu). Il devint à son tour le père de<br />

Jessé, lui-même père de David. Ce fut ainsi Ruth l’étrangère qui devint l’aïeule de David et par lui, de<br />

Jésus de Nazareth, le Christ de Yahvé !<br />

131


Elkana & Anne : La foi<br />

1S 1,1-2,11<br />

Il y avait une fois un homme du nom d’Elkana. Il était de Ramathaïm Tsophim, de <strong>la</strong> montagne<br />

d’Éphraïm. Son père n’était autre que Jéroham, fils d’Élihu, fils de Thohu, fils de Tsuph, Éphratien<br />

(Éphrata est un vil<strong>la</strong>ge près de Bethléhem).<br />

Elkana avait deux épouses : Anne et Peninna. Peninna avait des enfants, mais Anne n’en avait<br />

point, car elle était stérile, <strong>la</strong> malheureuse !<br />

Et c’est en fait l’histoire de son épouse malheureuse que j’aimerais <strong>raconte</strong>r. Car rien n’est plus<br />

terrible à vivre, que de ne pouvoir accomplir, non pas un projet, un rêve, un désir, mais <strong>la</strong> réalisation<br />

de sa propre nature et de sa vocation : être mère, porter un enfant, être une épouse comblée… Voilà ce<br />

qu’Anne ne pouvait vivre, et qu’elle souffrait de voir vivre par l’autre épouse de son mari<br />

Chaque année, en pieux fidèle, notre homme montait de sa ville au sanctuaire de Silo, pour faire<br />

ses dévotions, se prosterner devant l’Éternel des armées et lui offrir des sacrifices. À Silo officiaient<br />

les deux fils du prophète Éli : Hophni et Phinées, sacrificateurs de l’Éternel.<br />

Quand Elkana offrait son sacrifice, il en donnait naturellement des portions à Peninna, sa<br />

femme, et à tous les fils et à toutes les filles qu’il avait d’elle. Mais il donnait à Anne une portion<br />

double ; car il aimait Anne, bien que l’Éternel l’eût rendue stérile. Il l’aimait quand même, et d’autant<br />

plus ! Sa rivale, elle, ne se privait pas de lui prodiguer toutes sortes de mortifications, pour <strong>la</strong> porter à<br />

s’irriter de ce que l’Éternel l’avait rendue stérile, et à se révolter contre lui. Elkana essayait bien de <strong>la</strong><br />

faire taire, par <strong>dis</strong>crétion sinon par compassion, mais… y a-t-il plus terrible que « femmes entre<br />

elles » ?<br />

Et c’était tous les ans <strong>la</strong> même chose : chaque fois qu’Anne montait à <strong>la</strong> maison de l’Éternel,<br />

Peninna <strong>la</strong> mortifiait de <strong>la</strong> même manière. Alors elle ne cessait de pleurer et ne mangeait plus. Elkana,<br />

son mari, avait beau lui dire : Ma chérie, pourquoi pleures-tu, pourquoi ne manges-tu pas ? Pourquoi<br />

es-tu si triste ? Est-ce que je ne vaux pas pour toi mieux que dix fils ?<br />

Mais cette fois-là, Anne <strong>dis</strong>parut, sitôt qu’on eut mangé et bu à Silo.<br />

Le sacrificateur Éli était assis sur un siège, près de l’un des poteaux du temple de l’Éternel. Et,<br />

l’amertume dans l’âme, Anne pria l’Éternel en pleurant toutes les <strong>la</strong>rmes de son corps. Dans sa<br />

détresse, elle fit un vœu suivant : Éternel des armées, si tu daignes regarder l’affliction de ta servante,<br />

si tu te souviens de <strong>moi</strong> et n’oublies point ta servante, et si tu donnes à ta servante un enfant mâle, je<br />

le consacrerai à l’Éternel pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera point sur sa tête ! (Ce<br />

qui était un signe public de consécration à Dieu.)<br />

Comme elle restait longtemps en prière devant l’Éternel, Éli, depuis son poste d’observation<br />

remarqua sa bouche : Anne par<strong>la</strong>it dans son cœur, et ne faisait que remuer les lèvres, mais on<br />

n’entendait point sa voix. Éli pensa qu’elle était ivre et il lui dit : Jusques à quand vas-tu rester<br />

saoule ? Allez, va faire passer ton vin ! Anne répondit : Non, mon seigneur, je suis seulement une<br />

femme qui souffre en son cœur, et je n’ai bu ni vin ni boisson enivrante ; mais je répandais mon âme<br />

devant l’Éternel. Ne prends pas ta servante pour une femme pervertie, car c’est l’excès de ma douleur<br />

et de mon chagrin qui m’a fait parler jusqu’à présent. - Alors, va en paix, et que le Dieu d’Israël<br />

exauce <strong>la</strong> prière que tu lui as adressée ! - Que ta servante trouve grâce à tes yeux !<br />

Et elle s’en al<strong>la</strong>. Elle se remit à manger, et son visage ne fut plus le même. On se leva de bon<br />

matin, le lendemain, et après s’être prosterné une dernière fois devant l’Éternel, on s’en retourna chez<br />

soi à Rama.<br />

Sur son invitation, Elkana eut des rapports avec Anne, sa femme, et l’Éternel se souvint d’elle.<br />

Dans le cours de l’année suivante, Anne devint enceinte, et elle enfanta un fils, qu’elle nomma<br />

Samuel, car, dit-elle, je l’ai demandé à l’Éternel. (‘Sam’ veut dire ‘voix’ et ‘el, <strong>dieu</strong>’). Et toute <strong>la</strong><br />

famille d’Elkana monta ensuite jusqu’à Silo, pour offrir à l’Éternel le sacrifice annuel, et pour<br />

accomplir son vœu.<br />

132


Mais cette fois-là, Anne préféra ne pas y monter et elle dit à son mari : Lorsque l’enfant sera<br />

sevré, je le mènerai, afin qu’il soit présenté devant l’Éternel et qu’il reste là pour toujours. Elkana,<br />

son mari, qui vou<strong>la</strong>it tout ce que vou<strong>la</strong>it son épouse préférée, lui dit : Fais ce qui te semblera bon,<br />

attends de l’avoir sevré. Veuille seulement l’Éternel accomplir sa parole. Et <strong>la</strong> femme resta et al<strong>la</strong>ita<br />

son fils, jusqu’à ce qu’elle le sevrât.<br />

Et quand elle l’eut sevré, elle le fit monter comme promis avec elle ; elle emporta avec elle trois<br />

taureaux, un épha de farine, et une outre de vin. Elle mena Samuel dans <strong>la</strong> maison de l’Éternel à Silo.<br />

L’enfant était encore tout jeune. Ils égorgèrent les taureaux, et on conduisit l’enfant à Éli. Anne dit :<br />

Mon seigneur, pardon ! Aussi vrai que ton âme vit, je suis cette femme, t’en souvient-il, qui me tenais<br />

ici près de toi pour prier l’Éternel. C’était pour cet enfant que je priais, et l’Éternel a exaucé <strong>la</strong> prière<br />

que je lui adressais. Aussi je veux le prêter à l’Éternel : il sera toute sa vie prêté à l’Éternel. Et ils se<br />

prosternèrent là devant l’Éternel.<br />

Alors Anne entonna à haute voix l’hymne suivante, que reprendra Marie de Nazareth dans son<br />

« Magnificat » :<br />

Mon cœur se réjouit en l’Éternel !<br />

Ma force a été relevée par l’Éternel !<br />

Ma bouche s’est ouverte contre mes ennemis !<br />

Car je me réjouis de ton secours.<br />

Nul n’est saint comme l’Éternel :<br />

il n’y a point d’autre Dieu que toi ; il n’y a point de rocher comme notre Dieu.<br />

Ne parlez plus avec tant de hauteur !<br />

Que l’arrogance ne sorte plus de votre bouche !<br />

Car l’Éternel est un Dieu qui sait tout,<br />

et par lui sont pesées toutes les actions.<br />

L’arc des puissants est brisé,<br />

et les faibles ont <strong>la</strong> force pour ceinture.<br />

Ceux qui étaient rassasiés se louent pour du pain,<br />

et ceux qui étaient affamés se reposent !<br />

Même <strong>la</strong> stérile enfante sept fois,<br />

et celle qui avait beaucoup d’enfants est flétrie.<br />

L’Éternel fait mourir et il fait vivre.<br />

Il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter.<br />

L’Éternel appauvrit et il enrichit,<br />

Il abaisse et il élève.<br />

De <strong>la</strong> poussière il retire le pauvre,<br />

du fumier il relève l’indigent,<br />

pour les faire asseoir avec les grands.<br />

Et il leur donne en partage un trône de gloire !<br />

Car à l’Éternel sont les colonnes de <strong>la</strong> terre,<br />

et c’est sur elles qu’il a posé le monde.<br />

Il gardera les pas de ses bien-aimés.<br />

Mais les méchants seront anéantis dans les ténèbres !<br />

Car l’homme ne triomphera point par <strong>la</strong> force.<br />

Les ennemis de l’Éternel trembleront !<br />

Du haut des cieux il <strong>la</strong>ncera sur eux son tonnerre !<br />

L’Éternel jugera les extrémités de <strong>la</strong> terre.<br />

Il donnera <strong>la</strong> puissance à son roi,<br />

et il relèvera <strong>la</strong> force de son messie. »<br />

Elkana retourna chez lui à Rama avec toute sa famille, l’enfant Samuel resta au service de<br />

l’Éternel devant le sacrificateur Éli, et Anne vécut comblée de joie et de reconnaissance : elle ne le<br />

savait pas encore, mais elle avait mis au monde l’un des plus grands prophètes de <strong>la</strong> nation, celui qui<br />

devait consacrer David de Jessé, roi d’Israël, l’ancêtre de Jésus qu’on appellerait Fils de David !<br />

133


David & Mikal (fille de Saül) : La raison<br />

1S 18,17-30 ; 19,8-18<br />

Le roi Saül n’avait pas su que le prophète Samuel avait versé l’huile sainte sur <strong>la</strong> tête du jeune<br />

David, fils de Jesse de Bethléhem, pour le consacrer futur roi d’Israël. Le roi ne vou<strong>la</strong>it qu’un un<br />

musicien pour apaiser ses effroyables migraines qui le rendaient fou furieux et terrorisait son<br />

entourage. Et c’est parce qu’il jouait bien de <strong>la</strong> cithare que le jeune David était en fait venu à <strong>la</strong> cour.<br />

David avait achevé de parler à Saül en présence de Jonathan. Et dès lors l’âme de Jonathan, fils<br />

de Saül, s’attacha à l’âme de David, et Jonathan l’aima comme son âme. Ce même jour, il retint David<br />

et ne le <strong>la</strong>issa pas retourner chez son père, à Bethléhem. Jonathan vou<strong>la</strong>it s’attacher David et nouer<br />

avec lui comme une alliance, parce qu’il l’aimait vraiment comme son âme, justement, et David se<br />

demandait quelle sorte d’amour c’était là. Jonathan ôta symboliquement le manteau qu’il portait, pour<br />

le donner à David ; et il lui donna aussi ses vêtements, même son épée, son arc et sa ceinture. Il était<br />

nu devant David, s’offrant tout entier à lui, qui se demandait encore…<br />

En plus de <strong>la</strong> musique et du chant, David al<strong>la</strong>it et réussissait partout où l’envoyait Saül ; il fut<br />

même mis par Saül à <strong>la</strong> tête de gens de guerre. David p<strong>la</strong>isait à tout le peuple, même aux serviteurs de<br />

Saül. Le comble de sa renommée fut atteint lors de son combat victorieux contre Goliath, le géant<br />

philistin. Comme on en revenait, les femmes sortirent de toutes les villes d’Israël au-devant du roi<br />

Saül, en chantant et en dansant, au son des tambourins et des triangles, et en poussant des cris de joie.<br />

Les femmes qui chantaient se répondaient les unes aux autres, et <strong>dis</strong>aient :<br />

Saül a frappé ses mille,<br />

Et David ses dix mille !<br />

Saül fut très irrité, et ce<strong>la</strong> lui déplut : On en donne dix mille à David, et c’est à <strong>moi</strong> que l’on<br />

donne les mille. Il ne lui manque plus que <strong>la</strong> royauté, ma parole ! Et à partir de ce jour, Saül se mit à<br />

regarder David d’un mauvais œil. Le lendemain, le mauvais esprit de Dieu saisit Saül, qui eut des<br />

transports furieux au milieu de <strong>la</strong> maison. David jouait, comme les autres jours, et Saül avait sa <strong>la</strong>nce à<br />

<strong>la</strong> main. Saül leva sa <strong>la</strong>nce : Je vais frapper David et le clouer contre <strong>la</strong> paroi, pensait-il en lui-même<br />

Mais David l’esquiva par deux fois. Saül craignait maintenant jusqu’à sa présence, parce que l’Éternel<br />

était avec David et qu’il s’était retiré de lui, Saül. Il finit par l’éloigner de sa personne, l’établissant<br />

chef de mille hommes. Désormais David sortait et rentrait à <strong>la</strong> tête du peuple ; il réussissait dans toutes<br />

ses entreprises, et l’Éternel était avec lui. Saül, voyant qu’il réussissait tout ce qu’il entreprenait, se mit<br />

à le redouter plus que jamais. Mais tout Israël et le territoire de Juda, autour de <strong>la</strong> capitale, aimaient<br />

David à <strong>la</strong> folie, parce qu’il sortait et rentrait à leur tête.<br />

Alors Saül eut une autre idée : il essaya de s’attacher David. Un matin, il lui confia : Je veux te<br />

donner pour femme ma fille aînée Mérab. En retour, sers-<strong>moi</strong> seulement avec vail<strong>la</strong>nce, et soutiens les<br />

guerres de l’Éternel. En fait Saül pensait par devers lui : Puisque je ne veux pas mettre <strong>la</strong> main sur lui,<br />

que ce soit celle des Philistins ! Mais David répondit à Saül : Qui suis-je, et qu’est-ce que ma vie,<br />

qu’est-ce que <strong>la</strong> famille de mon père en Israël, pour que je devienne le gendre du roi ? Et, lorsque<br />

arriva le temps où Mérab, fille de Saül, devait être donnée à David, elle fut en fait donnée pour femme<br />

à Adriel, de Meho<strong>la</strong>.<br />

Mais Mikal, l’autre fille de Saül, tomba amoureuse de David. On en informa immédiatement<br />

Saül, et <strong>la</strong> chose lui convint. Car il se <strong>dis</strong>ait toujours : Je <strong>la</strong> lui donnerai, elle sera un piège pour lui, et<br />

il tombera sous <strong>la</strong> main des Philistins. Et Saül dit à David pour <strong>la</strong> seconde fois : Tu vas aujourd’hui<br />

devenir mon gendre. Saül donna cet ordre aux gens de sa maison : Parlez en confidence à David, et<br />

dites-lui : Sache que le roi est bien <strong>dis</strong>posé envers toi, et tous ses serviteurs t’aiment ; sois maintenant<br />

le gendre du roi !<br />

134


Les serviteurs de Saül répétèrent ces paroles à David. Et David répondit : Croyez-vous qu’il soit<br />

facile de devenir le gendre du roi ? Moi, je suis un homme pauvre et de peu d’importance. Les<br />

serviteurs de Saül rapportèrent au roi ce qu’avait répondu David. Dites à David, rétorqua le roi Saül :<br />

Le roi ne demande point de dot ; mais il désire cent prépuces de Philistins, pour être vengé de ses<br />

ennemis. Saül nourrissait depuis le début cette idée fixe de faire tomber David entre les mains des<br />

Philistins. Les serviteurs de Saül transmirent à David, et David agréa ce qui lui était demandé pour<br />

pouvoir devenir le gendre du roi. Avant le terme fixé, David partit avec ses gens : il tua deux cents<br />

hommes parmi les Philistins et il apporta au roi le nombre complet de leurs prépuces, afin de devenir<br />

son gendre. Alors Saül lui donna pour femme sa fille Mikal, Saül comprit finalement que l’Éternel<br />

était avec David ; et Mikal, sa fille, aimait David. Désormais <strong>la</strong> crainte de Saül envers David devint<br />

monstrueuse : il se le déc<strong>la</strong>ra son ennemi numéro un.<br />

Les princes des Philistins faisaient des sorties; et chaque fois, David avait plus de succès que<br />

tous les capitaines de Saül, et son nom devint le plus célébré… Saül demanda à Jonathan, son fils, et à<br />

tous ses serviteurs, de faire mourir David. Mais Jonathan, qui avait pour David l’affection que l’on<br />

sait, l’en informa : Saül, mon père, cherche à te faire mourir. Sois donc sur tes gardes demain matin,<br />

reste dans un lieu retiré, et cache-toi. Moi, je sortirai et je me tiendrai à côté de mon père dans le<br />

champ de bataille où tu seras ; je parlerai de toi à mon père, je verrai ce qu’il dira, et je te le<br />

rapporterai. Jonathan défendit <strong>la</strong> cause de David auprès de Saül : Que le roi, ne commette pas un<br />

péché à l’égard de son serviteur David, car lui n’en a point commis envers toi. Au contraire, il a agi<br />

pour ton bien ; il a exposé sa vie, il a tué le Philistin, et l’Éternel a opéré une grande délivrance pour<br />

tout Israël. Tu l’as vu, et tu t’en es réjoui. Pourquoi pécherais-tu contre le sang innocent, et ferais-tu<br />

sans raison mourir David ? Saül écouta <strong>la</strong> voix de Jonathan, et il jura : L’Éternel est vivant ! David ne<br />

mourra pas ! Jonathan rapporta tout ce<strong>la</strong> à David ; puis il l’amena auprès de Saül, en présence de qui<br />

David fut comme auparavant.<br />

La guerre continuait. David marcha contre les Philistins, et se battit avec eux ; il leur fit subir<br />

une grande défaite, et ils s’enfuirent devant lui. Alors le mauvais esprit de l’Éternel tomba de nouveau<br />

sur Saül, un jour qu’il était assis chez lui, sa <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main. David jouait, et Saül voulut le frapper<br />

encore une fois avec sa <strong>la</strong>nce. Mais encore une fois, David fut plus leste et l’esquiva. Et Saül en fut<br />

quitte pour toucher <strong>la</strong> paroi. David prit <strong>la</strong> fuite et s’échappa pendant <strong>la</strong> nuit. Saül envoya des gens chez<br />

David, pour le surprendre et l’exécuter à l’aube. Mais Mikal, femme de David et fille de Saül, l’en<br />

informa aussitôt : Si tu ne te sauves pas cette nuit, demain tu es mort. Elle le fit descendre par <strong>la</strong><br />

fenêtre, et David s’enfuit à nouveau… C’est ainsi qu’il échappa encore une fois au dessein meurtrier<br />

de son beau-père, le roi. Mikal alors prit le téraphim (sorte de tablier liturgique), qu’elle p<strong>la</strong>ça dans le<br />

lit ; elle mit une peau de chèvre à son chevet, et elle l’enveloppa d’une couverture. Lorsque Saül<br />

envoya des gens pour s’emparer de David, elle leur déc<strong>la</strong>ra : Il est ma<strong>la</strong>de ! Saül ré envoya le<br />

commando avec cet ordre : Apportez-le-<strong>moi</strong> dans son lit ! Je veux le tuer <strong>moi</strong>-même ! Les gens se<br />

présentèrent donc à nouveau chez David, et voici que le téraphim était dans le lit, et une peau de<br />

chèvre à son chevet… Saül dit à Mikal : Pourquoi m’avoir trompé de <strong>la</strong> sorte ? Pourquoi as-tu <strong>la</strong>issé<br />

partir mon ennemi qui s’est échappé ? Mikal répondit à son père, le roi : Il m’a dit : Laisse <strong>moi</strong> aller,<br />

ou je te tue ! Voilà comment David réussit à échapper à <strong>la</strong> mort une énième fois !<br />

Il se rendit à Rama auprès du prophète Samuel qui l’avait consacré : il lui fit le récit de tout ce<br />

que Saül lui avait fait. Et il resta avec le prophète Najoth.<br />

135


David & Bethsabée : Le désir<br />

2S 11,1- 12,25<br />

Au temps où les rois se mettent en campagne, David envoya son général Joab avec ses armées<br />

détruire les Ammonites et assiéger Rabba, leur capitale. David resta à Jérusalem.<br />

Un soir que David ne trouvait pas le sommeil, il se leva, et, comme il se promenait sur le toit de<br />

<strong>la</strong> maison royale, il aperçut depuis sa terrasse une femme qui prenait un bain, et elle était très belle de<br />

figure. David fit demander qui était cette femme qui se baignait, <strong>la</strong> nuit, en plein air, et on lui dit : Il<br />

semble que c’est Bath Schéba (ou Bethsabé), fille d’Éliam, femme d’Uri, le Hittite. Et David <strong>la</strong> fit<br />

chercher.<br />

Elle ne put qu’obéir au roi, il coucha avec elle, et après s’être purifiée, elle retourna chez elle.<br />

Mais c’est qu’elle se trouva bientôt enceinte. Et elle fit dire à David : Je suis enceinte de toi ! Alors<br />

David expédia vite cet ordre à Joab : Envoie-<strong>moi</strong> Uri, le Hittite. Ce que fit Joab. Uri se présenta à<br />

David, qui l’interrogea sur Joab, le peuple, et sur l’état de <strong>la</strong> guerre. Puis David dit à Uri : Descends<br />

chez toi, et prends du repos. Uri sortit de <strong>la</strong> maison royale, tan<strong>dis</strong> que le suivait un présent roi. Mais<br />

Uri se coucha à <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> maison royale, au milieu de tous les serviteurs de son maître, et il ne<br />

descendit pas chez lui.<br />

On en informa David : Uri n’est pas descendu chez lui. Et David dit à Uri : N’arrives-tu pas de<br />

voyage ? Pourquoi n’es-tu pas descendu chez toi ? - L’arche et Israël et Juda habitent sous des tentes,<br />

mon seigneur Joab et les serviteurs de mon seigneur campent en rase campagne, et <strong>moi</strong> j’entrerais<br />

dans ma maison pour manger et boire et pour coucher avec ma femme ! Aussi vrai que tu es vivant et<br />

que ton âme est vivante, je ne ferai point ce<strong>la</strong>. - Reste ici encore aujourd’hui, et demain je te renverrai<br />

au front. Et Uri resta à Jérusalem ce jour-là et le lendemain.<br />

David l’invita à manger et à boire en sa présence, et il l’enivra ; et le soir, Uri sortit pour se<br />

coucher, mais ce fut encore au milieu des serviteurs de son maître. Il ne rentra pas chez lui. Le<br />

lendemain matin, David écrivit une lettre à Joab, qu’il remit en main propres à Uri. Il écrivait dans<br />

cette lettre : P<strong>la</strong>cez Uri au plus fort du combat, et retirez-vous, qu’il soit frappé et qu’il meure.<br />

Joab, au siège de <strong>la</strong> ville, p<strong>la</strong>ça Uri à l’endroit qu’il savait défendu par de vail<strong>la</strong>nts soldats. Les<br />

assiégés firent une sortie et se battirent vail<strong>la</strong>mment ; plusieurs tombèrent des rangs de Joab, et parmi<br />

eux le courageux Uri, le Hittite qui y <strong>la</strong>issa donc <strong>la</strong> vie.<br />

Joab envoya un rapport à David. Au messager il donna cet ordre : Quand tu auras achevé de<br />

<strong>raconte</strong>r au roi tous les détails du combat, peut-être se mettra-t-il en fureur et te dira-t-il : Pourquoi<br />

vous êtes vous approchés de <strong>la</strong> ville pour combattre ? Ne savez-vous pas qu’on <strong>la</strong>nce des traits du haut<br />

de <strong>la</strong> muraille ? Qui a tué Abimélec, fils de Jerubbéscheth sinon une femme qui <strong>la</strong>nça sur lui du haut<br />

de <strong>la</strong> muraille un morceau de meule de moulin, et n’en est-il pas mort à Thébets ? Pourquoi vous êtesvous<br />

approchés de <strong>la</strong> muraille ?... Alors tu diras : Ton serviteur Uri, le Hittite, est mort aussi.<br />

Le messager fit rapport à David de tout ce que Joab lui avait ordonné.<br />

Le messager dit à David : Ces gens ont eu sur <strong>nous</strong> l’avantage ; ils avaient fait une sortie contre<br />

<strong>nous</strong> dans les champs, et <strong>nous</strong> les avons repoussés jusqu’à l’entrée de <strong>la</strong> porte ; les archers ont tiré du<br />

haut de <strong>la</strong> muraille sur tes serviteurs, et plusieurs ont été tués, dont ton serviteur Uri, le Hittite.<br />

David dit au messager : Dis à Joab : Ne t’accable pas de cette affaire, l’épée dévore tantôt l’un,<br />

tantôt l’autre ; attaque vigoureusement <strong>la</strong> ville, et renverse-<strong>la</strong>…. Et toi, encourage-le !<br />

La femme d’Uri apprit que son mari était mort, et elle le pleura. Quand le deuil fut passé, David<br />

l’envoya chercher et <strong>la</strong> recueillit dans sa maison. Elle devint sa femme et lui enfanta un fils.<br />

Ce que David avait fait déplut à l’Éternel<br />

L’Éternel envoya le prophète Nathan à David. Et Nathan lui raconta cette histoire : Il y avait une<br />

fois deux hommes, l’un riche et l’autre pauvre. Le riche avait des brebis et des bœufs en quantité. Le<br />

pauvre n’avait rien du tout qu’une petite brebis, qu’il avait achetée ; il <strong>la</strong> nourrissait, et elle<br />

gran<strong>dis</strong>sait chez lui avec ses enfants ; elle mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait sur<br />

son sein, et il <strong>la</strong> regardait comme sa fille...Un soir, un voyageur arriva chez le riche. Et le riche n’a<br />

pas voulu toucher à ses brebis ou à ses bœufs, pour préparer un repas à son hôte ; il a pris <strong>la</strong> brebis<br />

du pauvre, et l’a apprêtée pour l’hôte.<br />

136


David s’enf<strong>la</strong>mma d’une violente colère contre cet homme : L’Éternel est vivant ! L’homme qui<br />

a fait ce<strong>la</strong> mérite <strong>la</strong> mort… Et il rendra quatre brebis, pour avoir commis cette action et pour avoir été<br />

sans pitié.<br />

Et Nathan dit à David : C’est toi, cet homme-là !... Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël : Je<br />

t’ai oint comme roi sur Israël, et je t’ai délivré de <strong>la</strong> main de Saül ; je t’ai mis en possession de <strong>la</strong><br />

maison de ton maître, j’ai p<strong>la</strong>cé dans ton sein les femmes de ton maître, et je t’ai donné <strong>la</strong> maison<br />

d’Israël et de Juda. Et si ce<strong>la</strong> eût été peu, j’y aurais encore ajouté... Pourquoi donc as-tu méprisé <strong>la</strong><br />

parole de l’Éternel, en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Tu as frappé de l’épée Uri, le Hittite ; tu as<br />

pris sa femme pour en faire ta femme, et lui, tu l’as tué par l’épée des Ammonites. Maintenant, l’épée<br />

ne s’éloignera jamais de ta maison, parce que tu m’as méprisé, et parce que tu as pris <strong>la</strong> femme d’Uri,<br />

le Hittite, pour en faire ta femme. Ainsi parle l’Éternel : Je vais faire sortir de ta maison le malheur<br />

contre toi, et je vais prendre sous tes yeux tes propres femmes pour les donner à un autre, qui<br />

couchera avec elles à <strong>la</strong> vue de ce soleil. Ah, tu as agi en secret ; eh bien <strong>moi</strong>, je ferai ce<strong>la</strong> en présence<br />

de tout Israël et à <strong>la</strong> face du soleil !<br />

David dit à Nathan : J’ai péché contre l’Éternel. - L’Éternel pardonne ton péché, tu ne mourras<br />

pas. Mais, parce que tu as fait b<strong>la</strong>sphémer les ennemis de l’Éternel, en commettant cette action, le fils<br />

qui t’est né mourra.<br />

Et Nathan s’en al<strong>la</strong>... L’Éternel frappa l’enfant que <strong>la</strong> femme d’Uri avait enfanté à David, et il<br />

tomba ma<strong>la</strong>de. David pria Dieu pour l’enfant, et jeûna ; et il passait <strong>la</strong> nuit couché par terre. Les<br />

anciens de sa maison insistèrent auprès de lui pour le faire se lever, mais il ne voulut rien savoir, et il<br />

ne mangeait rien.<br />

Le septième jour, l’enfant mourut. Les serviteurs de David craignaient de le lui annoncer :<br />

Lorsque l’enfant vivait encore, <strong>nous</strong> lui avons parlé, et il ne <strong>nous</strong> a pas écoutés ; comment lui dire<br />

maintenant que l’enfant est mort ?<br />

David s’aperçut que ses serviteurs par<strong>la</strong>ient tout bas entre eux, et il comprit que l’enfant était<br />

mort. Il demanda : L’enfant est-il mort ? - Il est mort. Alors David se redressa. Il se <strong>la</strong>va, se parfuma et<br />

changea de vêtements ; puis il se rendit dans <strong>la</strong> maison de l’Éternel, et se prosterna. De retour chez lui,<br />

il demanda qu’on lui servît à manger, et il mangea.<br />

Ses serviteurs lui dirent : Que signifie ce que tu fais ? Tant que l’enfant vivait, tu jeûnais et tu<br />

pleurais ; et maintenant que l’enfant est mort, tu te redresses et tu manges - Comprenez : lorsque<br />

l’enfant vivait encore, je jeûnais et je pleurais, car je me <strong>dis</strong>ais : Qui sait si l’Éternel n’aura pas pitié<br />

de <strong>moi</strong> et si l’enfant ne vivra pas ? Maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûnerais-je ? Puis-je le faire<br />

revenir ? C’est <strong>moi</strong> qui un jour irai vers lui, mais il ne reviendra jamais plus vers <strong>moi</strong> !<br />

David conso<strong>la</strong> Bath Schéba, sa femme, et il coucha de nouveau avec elle. Et elle enfanta un fils<br />

qu’il appe<strong>la</strong> Salomon et qui fut aimé de l’Éternel.<br />

David confia Salomon entre les mains de Nathan le prophète, et Nathan lui donna le nom de<br />

Jedidja, à cause de l’Éternel.<br />

Et Joab, qui assiégeait Rabba des Ammonites, finit par s’emparer de <strong>la</strong> ville royale !<br />

137


Amnon & sa demi-sœur Tamar : L’inceste<br />

2S 13,1-39<br />

On aurait envie de dire : tel père, tel fils ! Et puis, on s’en veut d’y avoir seulement pensé, car<br />

ces situations sont très douloureuses, et pour le père, et pour le fils, et pour tous ceux et celles qui en<br />

subissent les dommages col<strong>la</strong>téraux, comme l’on dit.<br />

Mais quand on a un père comme David, vail<strong>la</strong>nt au combat, certes, toujours prêt à reconnaître<br />

ses torts devant les hommes et ses péchés devant Dieu, re certes... mais qui entretient un harem (qu’on<br />

peut imaginer à <strong>la</strong> hauteur de ses instincts et de ses ambitions), et qu’en conséquence on multiplie sa<br />

descendance de multiples épouses et concubines,… on peut aussi aisément imaginer <strong>la</strong> confusion qui<br />

peut régner dans <strong>la</strong> « famille » mono paternelle et multi maternelle. Tous sont les filles et les fils de<br />

David, mais tous n’ont pas <strong>la</strong> même mère. Et dans <strong>la</strong> quantité… La légende prétend que Priam, roi de<br />

Troie, aurait eu plus de cinquante fils…, sans compter les filles.<br />

Absalom était bien le fils, le deuxième enfant que David avait eu de Bethsabé, fille d’Éliam,<br />

femme d’Uri, le Hittite qu’il avait supprimé pour avoir son épouse (rappelez-vous : le premier enfant<br />

était mort). Et Absalom avait une sœur, très belle, du nom de Tamar, de <strong>la</strong> même mère que lui. Quant<br />

à Amnon, il était bien un fils de David lui aussi, mais d’un autre lit. Il se trouve qu’Amnon tomba<br />

amoureux de cette demi-sœur, Tamar… : donc même père, mais mère différente !<br />

Amnon était tourmenté par cette passion (demi ?) incestueuse et dévorante jusqu’à se rendre<br />

ma<strong>la</strong>de. Tamar était vierge, et il paraissait difficile à Amnon de faire sur elle <strong>la</strong> <strong>moi</strong>ndre tentative.<br />

Amnon avait un ami, nommé Jonadab, fils de Schimea, frère de David - son cousin, donc - et Jonadab<br />

était un homme très habile et très malin.<br />

[ Suivons bien : Amnon et Tamar sont les enfants de David, mais ils ont une mère différente ; et<br />

Jonabad est neveu de David, et donc cousin d’Amnon et de Tamar.]<br />

Un jour, voyant sa mine triste et son teint blême, Jonabad apostropha Amnon : Pourquoi<br />

maigris-tu chaque jour un peu plus, toi, fils de roi ? Ne veux-tu pas me le dire ?<br />

Amnon lui répondit : J’aime Tamar, <strong>la</strong> sœur d’Absalom, mon frère, n’osant pas dire seulement<br />

qu’elle était donc sa demi-sœur !<br />

Jonadab lui dit : Ecoute <strong>moi</strong> ! Mets-toi au lit, et fais le ma<strong>la</strong>de. Quand ton père David viendra te<br />

voir, tu lui diras : Permets à Tamar, ma sœur, de venir pour me donner à manger ; qu’elle prépare un<br />

mets sous mes yeux, afin que je le voie et que je le prenne de sa main.<br />

Amnon se coucha, et fit le ma<strong>la</strong>de. Effectivement, le roi David, son père, vint le voir, et Amnon<br />

lui présenta sa requête : Je t’en prie, <strong>la</strong>isse Tamar, ma sœur, venir faire deux gâteaux sous mes yeux, et<br />

que je les mange de sa main »<br />

David envoya dire à Tamar au fond des appartements : Va dans les quartiers d’Amnon, ton<br />

frère, et prépare-lui un mets.<br />

Tamar s’y rendit : Amnon était couché. Elle prit de <strong>la</strong> pâte, <strong>la</strong> pétrit, prépara devant lui des<br />

gâteaux, et les fit cuire ; et de <strong>la</strong> poêle, elle les versa dans un p<strong>la</strong>t devant ses yeux.<br />

Mais Amnon refusa de manger. Il dit : Faites sortir tout le monde ! Et tout le monde sortit.<br />

Alors Amnon dit à Tamar : Apporte le mets dans <strong>la</strong> chambre, et que je le mange de ta<br />

main. Tamar prit les gâteaux qu’elle avait faits, et les porta à Amnon, son frère, dans <strong>la</strong> chambre.<br />

Comme elle les lui présentait à manger, il <strong>la</strong> saisit et lui dit : Viens, couche avec <strong>moi</strong>, ma sœur !<br />

- Non, mon frère, ne me déshonore pas, car on n’agit point ainsi en Israël ; ne commets pas cette<br />

infamie. Où irais-je, <strong>moi</strong>, avec ma honte ? Et toi, tu serais comme l’un des infâmes en Israël. Mais, je<br />

te prie, parle donc au roi : il ne s’opposera pas à ce que je sois à toi. ( Ce qui <strong>nous</strong> apprend que demi<br />

sœurs et demi frères n’étaient pas régis par <strong>la</strong> même loi de l’inceste que frères et sœurs de même lit).<br />

Mais Amnon ne voulut pas l’écouter ; il lui fit violence, <strong>la</strong> déshonora et coucha avec elle.<br />

Puis Amnon éprouva subitement pour elle une forte aversion, plus forte que n’avait été son<br />

amour – Ce qui arrive souvent, quand on a assouvi à tout prix un désir très violent, qui finalement<br />

138


s’épuise dans sa satisfaction même ! Et il <strong>la</strong> renvoya brutalement : Va-t’en ! - N’augmente pas, en me<br />

chassant, le mal que tu m’as déjà fait. Mais il ne voulut pas l’écouter, et appe<strong>la</strong>nt son page : Qu’on<br />

éloigne de <strong>moi</strong> cette femme et qu’on <strong>la</strong> mette dehors. Et ferme <strong>la</strong> porte après elle ! Il ne vou<strong>la</strong>it plus<br />

« voir » ce qu’il avait fait.<br />

Tamar portait une tunique de plusieurs couleurs : c’était le vêtement des filles du roi, aussi<br />

longtemps qu’elles étaient vierges. Le serviteur d’Amnon <strong>la</strong> mit dehors, et ferma <strong>la</strong> porte après elle,<br />

suivant les ordres de son maître.<br />

Tamar répandit de <strong>la</strong> cendre sur sa tête, et déchira sa tunique bigarrée ; elle mit <strong>la</strong> main sur sa<br />

tête, et s’en al<strong>la</strong> en poussant des cris. Absalom, son frère, qui était accouru, lui demanda : Amnon, ton<br />

frère, a-t-il été avec toi » Devant le silence éloquent de sa sœur, il continua : Maintenant, ma sœur,<br />

tais-toi, c’est ton frère ; ne prends pas cette affaire trop à cœur ! Et Tamar, désolée, demeura dans <strong>la</strong><br />

maison d’Absalom, son frère.<br />

Le roi David apprit toutes ces choses, et il fut très irrité. Autant par le fait, je suppose, que par <strong>la</strong><br />

mé<strong>moi</strong>re de sa propre vie passée. Absalom n’eut aucune explication avec son frère Amnon ; mais il le<br />

prit en haine, parce qu’il avait déshonoré Tamar, sa sœur.<br />

Deux ans après, comme Absalom avait les tondeurs de brebis chez lui, à Baal Hatsor, près<br />

d’Éphraïm, il invita tous les fils du roi David, ses frères. Absalom al<strong>la</strong> voir son père : Ton serviteur a<br />

les tondeurs ; que le roi et ses fils viennent chez ton serviteur. - Non, mon fils, <strong>nous</strong> n’irons pas tous,<br />

de peur que <strong>nous</strong> ne te soyons à charge. Absalom le pressa ; mais le roi refusa à nouveau et il le bénit.<br />

Permets du <strong>moi</strong>ns à Amnon, mon frère, de venir avec <strong>nous</strong>. - Pourquoi irait-il chez toi ? Et sur les<br />

instances d’Absalom, le roi <strong>la</strong>issa aller avec lui Amnon et tous ses fils.<br />

Absalom avait un p<strong>la</strong>n de vengeance qu’il ruminait depuis deux ans. Il donna cet ordre aux gens<br />

de sa maison : Faites attention ! Quand le cœur d’Amnon sera égayé par le vin et que je vous dirai :<br />

Frappez Amnon ! Alors tuez-le ; ne craignez rien, n’est-ce pas <strong>moi</strong> qui vous l’ordonne ? Soyez fermes,<br />

et montrez du courage ! Les serviteurs d’Absalom traitèrent Amnon comme Absalom l’avait ordonné.<br />

Et tous les autres fils du roi prirent <strong>la</strong> fuite à dos de mulet. Ils étaient encore en chemin, que le bruit<br />

parvint à David qu’Absalom avait tué tous ses fils, et qu’il n’en était pas resté un seul.<br />

Le roi déchira ses vêtements, et se coucha par terre ; et tous ses serviteurs l’entourèrent, après<br />

s’être déchirés les vêtements eux aussi.<br />

Mais Jonadab, fils de Schimea, frère de David, éc<strong>la</strong>ira le roi : Que mon seigneur ne pense point<br />

que tous les fils du roi, ont été tués : Amnon seul est mort ; et c’est l’effet d’une résolution d’Absalom,<br />

depuis le jour où Amnon a déshonoré Tamar, sa sœur. Aussi, que le roi mon seigneur ne se tourmente<br />

donc pas dans l’idée que tous ses fils sont morts : Amnon seul est mort.<br />

Bien sûr, Absalom prit <strong>la</strong> fuite.<br />

Or <strong>la</strong> sentinelle du pa<strong>la</strong>is royal aperçut une grande troupe qui venait par le chemin, derrière lui,<br />

du côté de <strong>la</strong> montagne. Jonadab dit au roi : Voici les fils du roi qui arrivent ! Ainsi se confirme ce que<br />

je te <strong>dis</strong>ais ! Les fils du roi arrivèrent bientôt. Ils crièrent et pleurèrent avec le roi aussi et tous ses<br />

serviteurs.<br />

Absalom, quant à lui, avait donc réussi à s’enfuir : il se réfugia chez Talmaï, fils d’Ammihur, roi<br />

de Gueschur. Et David pleurait tous les jours son fils.<br />

Absalom resta trois ans à Gueschur. Et le roi David cessa de poursuivre Absalom, car il était<br />

consolé de <strong>la</strong> mort d’Amnon.<br />

Que <strong>la</strong> vie devient donc compliquée, quand on s’éloigne de <strong>la</strong> nature et du bon sens.<br />

Mais peut-être faut-il qu’elle <strong>nous</strong> malmène pour que <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> sentions vivre !<br />

139


Tobie & Sara : L’amour vainqueur<br />

Tb 1,1-13,15<br />

Avec Tobie et Sara, ce sont trois amours qui s’entremêlent et qui donnent à notre histoire <strong>la</strong><br />

beauté des tapis orientaux aux multiples trames, couleurs et dessins. Tobie aime ses coreligionnaires<br />

en déportation à Babylone, et il les enterre de nuit au risque de sa propre vie. Le jeune Tobie, son fils,<br />

aime <strong>la</strong> jeune Sara, mais ils ne pourront s’aimer qu’après avoir exorcisé tous les démons de mort qui<br />

hantent <strong>la</strong> couche des amants. Et puis Yahvé aime son peuple qu’il n’oublie pas, et envoie ici son<br />

archange Raphaël, pour lui prodiguer sa tendresse et sa protection…<br />

Tobie était de <strong>la</strong> tribu de Nephthali, en Haute Galilée, au-dessus de Naasson, près de Séphet,<br />

Safed aujourd’hui. Il avait été emmené captif au temps de Salmanasar, roi des Assyriens ; mais dans sa<br />

captivité, il n’abandonna jamais le chemin de <strong>la</strong> vérité. Tous les jours, il <strong>dis</strong>tribuait à ses frères, ceux<br />

de sa nation, captifs comme lui, tout ce dont il pouvait <strong>dis</strong>poser. Et alors même qu’il était le plus jeune<br />

de <strong>la</strong> tribu de Nephthali, il n’y avait rien d’enfantin en sa conduite. Tan<strong>dis</strong> que tout le monde courait<br />

adorer les veaux d’or que Jéroboam, roi d’Israël avait fait dresser, lui seul, à l’encontre de tous, se<br />

rendait au temple de Jérusalem, pour y adorer le Dieu d’Israël, offrant fidèlement les prémices et les<br />

dîmes de ses biens.<br />

Tous les trois ans, il <strong>dis</strong>tribuait toute sa dîme aux prosélytes (sympathisants du judaïsme) et aux<br />

étrangers. Il avait observé toute <strong>la</strong> Loi dès son jeune âge. Parvenu à l’âge d’homme, il épousa une<br />

femme de sa tribu, nommée Anne ; et il en eut un fils auquel il donna son nom, et qu’il instruisit dès<br />

l’enfance dans <strong>la</strong> soumission à Dieu et <strong>la</strong> fuite du péché.<br />

Lors donc qu’il fut arrivé comme captif, avec sa femme et son fils, en <strong>la</strong> ville de Ninive, où était<br />

toute sa tribu, bien que tous les autres mangeassent <strong>la</strong> nourriture des païens (offerte aux <strong>dieu</strong>x), il<br />

garda son âme pure, et jamais il ne se souil<strong>la</strong> de leurs viandes. Et parce qu’il n’oubliait pas son Dieu,<br />

Dieu lui concilia <strong>la</strong> faveur du roi Salmanasar, qui lui octroya un <strong>la</strong>isser-passer partout où il voudrait,<br />

avec liberté de faire ce qu’il lui p<strong>la</strong>irait. C’est ainsi qu’il al<strong>la</strong>it visiter tous les captifs. Une fois il al<strong>la</strong><br />

même jusqu’à Ragès des Mèdes, avec dix talents, provenant des <strong>la</strong>rgesses du roi. Il rencontra parmi<br />

ses compatriotes, un homme de sa tribu dans le besoin, un nommé Gabélus, il lui donna cette somme<br />

d’argent contre un reçu.<br />

Après <strong>la</strong> mort de Salmanasar, Sennachérib, son fils, monta sur le trône. Comme ce prince<br />

nourrissait une grande haine contre les enfants d’Israël, Tobie al<strong>la</strong>it visiter chaque jour tous ceux de sa<br />

parenté pour les consoler, et il <strong>dis</strong>tribuait de ses biens à chacun, selon ses possibilités, donnant à<br />

manger à ceux qui avaient faim, procurant des vêtements à ceux qui étaient nus et donnant une<br />

sépulture aux morts ou aux tués.<br />

Quand le roi Sennachérib, revenu de Judée en fugitif - après <strong>la</strong> défaite dont Dieu l’avait frappé<br />

pour ses b<strong>la</strong>sphèmes -, décida dans sa fureur mettre à mort les enfants d’Israël, Tobie décida d’<br />

enterrer les cadavres. Le roi ordonna de le mettre à mort et lui confisqua tous ses biens. Mais Tobie<br />

prit <strong>la</strong> fuite avec son fils et sa femme, et, dépouillé de tout, il réussit à se cacher, parce qu’il avait<br />

beaucoup d’amis. Quarante-cinq jours après, voilà que le roi était assassiné par ses propres fils. Alors<br />

Tobie revint chez lui, et tous ses biens lui furent rendus.<br />

Un jour de grande fête religieuse, au cours d’un banquet chez lui, Tobie dit à son fils : Invite à<br />

notre table quelques hommes de notre tribu, des fidèles de Yahvé ! À son retour, Tobie apprit à son<br />

père qu’un des enfants d’Israël, qu’on avait vraisemb<strong>la</strong>blement assassiné, gisait dans <strong>la</strong> rue. À<br />

l’instant, Tobie se leva de table et, sans avoir rien mangé, retrouva le cadavre, et le rapporta<br />

secrètement chez lui pour l’inhumer prudemment après le coucher du soleil. Puis il prit son repas avec<br />

<strong>la</strong>rmes et tremblement, au souvenir de cette parole que le Seigneur avait inspirée au prophète Amos :<br />

140


« Vos jours de fêtes seront changés en gémissements et en deuil. » Au coucher du soleil, il sortit et<br />

porta le corps en terre. Tous ses voisins le blâmaient : On a déjà ordonné de te faire mourir à cause de<br />

ce<strong>la</strong>, et à peine en as-tu réchappé, que tu recommences à donner une sépulture aux morts ! Mais<br />

Tobie, préférant obéir à Dieu plutôt qu’au roi, enlevait les corps de ceux qui avaient été tués, les<br />

cachait dans sa maison et les inhumait de nuit. Un jour, fatigué qu’il était d’avoir enterré toute <strong>la</strong> nuit,<br />

il tomba de sommeil au pied de <strong>la</strong> muraille et s’endormit. Et pendant qu’il dormait, il lui tomba d’un<br />

nid d’hirondelles de <strong>la</strong> fiente chaude sur les yeux, et il devint aveugle.<br />

Dieu permit que cette épreuve lui arrivât, pour que sa patience, comme celle de Job, fût donnée<br />

en exemple à <strong>la</strong> postérité. Et effectivement, fidèle à Dieu et à ses commandements dès son enfance, il<br />

ne se révolta pas. Au contraire, il resta inébran<strong>la</strong>ble dans sa foi, rendant grâces tous les jours de sa vie.<br />

Et de même que les chefs de tribu insultaient au bienheureux Job, ainsi les parents et les amis de Tobie<br />

rail<strong>la</strong>ient sa conduite : Qu’est devenue ta belle espérance, pour <strong>la</strong>quelle tu faisais des aumônes et<br />

donnais <strong>la</strong> sépulture aux morts ? Tobie les reprenait : Ne parlez pas ainsi ; car <strong>nous</strong> sommes les<br />

enfants des saints, et <strong>nous</strong> attendons cette vie que Dieu doit donner à ceux qui lui restent<br />

fidèles. Anne, sa femme, al<strong>la</strong>it tous les jours tisser de <strong>la</strong> toile et, par le travail de ses mains, elle<br />

rapportait, pour leur entretien, ce qu’elle pouvait gagner. Un jour elle reçut un chevreau en paiement,<br />

et elle l’apporta à <strong>la</strong> maison. Entendant le bêlement du chevreau Son mari déc<strong>la</strong>ra : Vérifiez si ce<br />

chevreau n’aurait pas été dérobé, et rendez-le à son maître, car il ne <strong>nous</strong> est pas permis de rien<br />

manger qui provienne d’un vol, ni même d’y toucher. Alors sa femme n’y tint plus : Il est manifeste<br />

que ton espérance est devenue vaine ; voilà ce que t’ont rapporté tes aumônes ! Et elle aussi se mit à<br />

l’injurier.<br />

Alors Tobie, dans un long soupir, se mit à prier dans les <strong>la</strong>rmes et dans son style inimitable:<br />

Vous êtes juste, Seigneur ;<br />

justes sont tous vos jugements, et toutes vos voies sont miséricorde, vérité et justice.<br />

Mais maintenant, souvenez-vous de <strong>moi</strong> ;<br />

ne tirez pas vengeance de mes péchés,<br />

et ne rappelez pas en votre mé<strong>moi</strong>re mes offenses, ou celles de mes ancêtres.<br />

Car <strong>nous</strong> n’avons pas toujours obéi à vos préceptes ;<br />

c’est pourquoi <strong>nous</strong> avons été livrés au pil<strong>la</strong>ge, à <strong>la</strong> captivité, à <strong>la</strong> mort, à <strong>la</strong> risée et à l’opprobre<br />

parmi toutes les nations au sein desquelles vous <strong>nous</strong> avez <strong>dis</strong>persés.<br />

Et maintenant, Seigneur, vos châtiments sont grands, parce que <strong>nous</strong> n’avons pas agi selon vos<br />

préceptes et que <strong>nous</strong> n’avons pas marché devant vous avec sincérité.<br />

Alors, traitez-<strong>moi</strong> selon votre volonté,<br />

et commandez que mon esprit soit reçu en paix,<br />

car il est meilleur pour <strong>moi</strong> de mourir que de vivre.<br />

En ce même jour, à Ecbatane, en Médie, Sara, fille de Raguel, subit, elle aussi, les injures d’une<br />

des servantes de son père. Car elle avait été successivement donnée en mariage à sept maris, et un<br />

démon, nommé Asmodée, les avait fait mourir aussitôt qu’ils s’étaient approchés d’elle. Un jour qu’<br />

elle reprenait cette servante pour quelque faute, celle-ci lui rétorqua : Puissions-<strong>nous</strong> ne jamais voir<br />

sur <strong>la</strong> terre ni fils ni fille de toi, meurtrière de tes maris ! Veux-tu donc me donner aussi <strong>la</strong> mort,<br />

comme tu as déjà fait mourir sept époux? À cette parole, Sara monta dans <strong>la</strong> chambre haute de sa<br />

maison et y resta trois jours et trois nuits, sans boire ni manger. Inébran<strong>la</strong>ble dans <strong>la</strong> prière, elle<br />

suppliait Dieu dans les <strong>la</strong>rmes de <strong>la</strong> délivrer de cet opprobre. Le troisième jour, elle acheva sa prière et<br />

bénit le Seigneur, à <strong>la</strong> façon de Tobie :<br />

Béni soit votre nom, ô Dieu de nos pères,<br />

qui, même irrité, faites miséricorde,<br />

et qui, au temps de <strong>la</strong> tribu<strong>la</strong>tion, pardonnez les péchés à ceux qui vous invoquent.<br />

Vers vous, Seigneur, je tourne mon visage,<br />

vers vous j’élève mes yeux.<br />

Je vous demande, Seigneur,<br />

de me délivrer des liens de cet opprobre ; sinon, de me retirer de cette terre.<br />

Vous savez, Seigneur, que je n’ai jamais désiré un mari,<br />

141


et que j’ai conservé mon âme pure de toute concupiscence.<br />

Jamais je n’ai fréquenté les jeux folâtres<br />

et n’ai eu de commerce avec les hommes de conduite légère.<br />

C’est dans votre crainte, et non pour suivre ma passion,<br />

que j’ai consenti à prendre un mari.<br />

Ou bien je n’étais pas digne d’eux, ou bien peut-être n’étaient-ils pas dignes de <strong>moi</strong>,<br />

car il se pourrait que vous m’ayez conservée pour un autre époux.<br />

Il n’est pas au pouvoir de l’homme de pénétrer vos desseins.<br />

Mais quiconque vous honore tient pour assuré<br />

que sa vie, si elle a été dans l’épreuve, sera couronnée,<br />

que s’il a été dans <strong>la</strong> tribu<strong>la</strong>tion, il sera délivré,<br />

et que si le châtiment est venu sur lui, il pourra obtenir votre miséricorde.<br />

Car vous ne prenez point p<strong>la</strong>isir à notre perte,<br />

mais après <strong>la</strong> tempête vous ramenez le calme,<br />

et après les pleurs et les <strong>la</strong>rmes vous répandez <strong>la</strong> joie.<br />

Que votre nom, Dieu d’Israël, soit béni dans tous les siècles !<br />

Ces deux supplications furent glorieusement exaucées en même temps par le Dieu souverain ; et<br />

l’ange Raphaël fut envoyé au secours de Tobie et de Sara, dont les prières avaient été adressées à Dieu<br />

en même temps.<br />

Le vieux Tobie croyant que sa prière était exaucée et qu’il al<strong>la</strong>it mourir, appe<strong>la</strong> auprès de lui<br />

Tobie, son fils (qui sourit <strong>dis</strong>crètement en entendant le fameux style de son père) :<br />

Écoute, mon fils, les paroles de ma bouche<br />

et pose les comme un solide fondement dans ton cœur.<br />

Lorsque Dieu aura reçu mon âme, mets mon corps en terre.<br />

Tu honoreras ta mère tous les jours de sa vie ;<br />

car tu dois te souvenir de ce qu’elle a souffert et des grands dangers qu’elle a courus à cause de<br />

toi, lorsqu’elle te portait dans son sein.<br />

Et quand elle-même aura aussi achevé le temps de sa vie,<br />

tu lui donneras <strong>la</strong> sépulture auprès de <strong>moi</strong>.<br />

Tous les jours de ta vie aie Dieu présent à ta pensée,<br />

et garde-toi de consentir jamais au péché et de transgresser les préceptes du Seigneur, ton Dieu.<br />

Fais l’aumône de ton bien, et ne détourne point ton visage d’aucun pauvre ;<br />

Et le visage de Dieu ne se détournera point de toi.<br />

De <strong>la</strong> manière que tu le pourras, sois miséricor<strong>dieu</strong>x.<br />

Si tu as beaucoup de bien, donne <strong>la</strong>rgement ; si tu en as peu, aie soin de partager même ce peu<br />

de bon cœur.<br />

Tu t’amasseras ainsi un grand trésor pour le jour du besoin.<br />

Car l’aumône délivre de tout péché et de <strong>la</strong> mort, et elle ne <strong>la</strong>issera point l’âme descendre dans<br />

les ténèbres.<br />

L’aumône sera, pour tous ceux qui l’auront faite, un grand sujet de confiance devant le Dieu<br />

souverain.<br />

Garde-toi, mon fils, de toute impureté, et qu’en dehors de ton épouse ta conscience ne te<br />

reproche jamais une action criminelle.<br />

Ne <strong>la</strong>isse jamais l’orgueil dominer dans ton cœur ni dans tes paroles, car c’est par lui que tous<br />

les maux ont pris commencé.<br />

Quand un homme aura fait pour toi un travail, paie lui aussitôt son sa<strong>la</strong>ire, et que le sa<strong>la</strong>ire du<br />

mercenaire ne reste pas un instant chez toi.<br />

Ce que tu serais fâché qu’on te fît, aie soin de ne le faire jamais à un autre.<br />

Mange ton pain avec ceux qui ont faim et avec les indigents, et couvre de tes vêtements ceux<br />

qui sont nus.<br />

Fais servir ton pain et ton vin à célébrer <strong>la</strong> sépulture des justes, mais ne le<br />

mange ni ne le bois avec les pécheurs.<br />

Cherche toujours conseil auprès d’un homme sage.<br />

142


Bénis Dieu en tout temps ; demande-lui qu’il dirige tes voies, et que tous tes desseins<br />

réussissent par lui.<br />

Et ne perdant pas le nord, si l’on peut dire, il n’oublia pas de lui rappeler :<br />

Je t’informe, aussi, mon fils, que, lorsque tu étais encore petit, j’ai prêté dix talents d’argent à<br />

Gabélus de Ragès, ville des Mèdes : j’ai ici son reçu. C’est pourquoi fais diligence pour l’aller trouver<br />

et retirer cette somme d’argent, et tu lui rendras son obligation. N’aie point de crainte, mon fils. Il est<br />

vrai que <strong>nous</strong> menons une vie pauvre, mais <strong>nous</strong> aurons beaucoup de biens si <strong>nous</strong> craignons Dieu, si<br />

<strong>nous</strong> évitons tout péché et faisons de bonnes œuvres.<br />

Tobie lui répondit :<br />

Tout ce que tu m’as ordonné, je le ferai mon père. Mais je ne sais comment je pourrai récupérer<br />

cet argent. Cet homme ne me connaît pas, et il m’est également inconnu ; quel signe lui donnerai-je ?<br />

Je ne sais pas même le chemin qui conduit en ce pays-là. – Voici son reçu ; aussitôt que tu le lui auras<br />

montré, il te remboursera. Mais va maintenant chercher un homme fiable qui aille avec toi,<br />

moyennant sa<strong>la</strong>ire, afin que tu rentres en possession de cet argent, pendant que je vis encore.<br />

En sortant de chez lui, Tobie se trouva nez à nez avec un beau et grand jeune homme qui partait<br />

en voyage lui-même et se déc<strong>la</strong>ra <strong>dis</strong>posé à prendre compagnon avec lui. Ignorant qu’il s’agissait d’ un<br />

ange de Dieu, il fit connaissance : D’où es-tu ? - Je suis un des enfants d’Israël. - Connais-tu <strong>la</strong> route<br />

qui conduit au pays des Mèdes ? - Oui, j’ai souvent parcouru tous ces chemins et j’ai même logé chez<br />

Gabélus, notre frère, qui demeure à Ragès, ville des Mèdes, dans les montagnes d’Ecbatane. -<br />

Attends-<strong>moi</strong>, je te prie, je vais en informer mon père. Sur quoi le père émerveillé demanda qu’on fît<br />

entrer le jeune homme : Que <strong>la</strong> joie soit toujours avec toi ! - Quelle joie, pour <strong>moi</strong> qui suis assis dans<br />

les ténèbres et qui ne vois pas <strong>la</strong> lumière du ciel ? - Aie bon courage ! Dieu peut te guérir. Alors Tobie<br />

lui demanda : Pourrais-tu conduire mon fils chez Gabélus, à Ragès des Mèdes ? À ton retour, je te<br />

donnerai ton sa<strong>la</strong>ire. - Je le conduirai et te le ramènerai. - Dis-<strong>moi</strong>, je t’en prie, de quelle famille et de<br />

quelle tribu es-tu ? - Est-ce <strong>la</strong> famille du mercenaire que tu cherches, ou le mercenaire qui doit<br />

accompagner ton fils ? Mais ne t’inquiète pas : sache que je suis Azarias, fils du grand Ananie. -<br />

Noble race ! Mais ne te fâche pas, je te prie, de ce que j’ai désiré connaître ta famille. - Je conduirai<br />

ton fils sain et sauf, et je te le ramènerai sain et sauf. Tobie ajouta enfin : Alors bon voyage ! Que Dieu<br />

soit sur votre chemin, et que son ange vous accompagne !<br />

Les bagages faits, Tobie fit ses a<strong>dieu</strong>x à son père et à sa mère, et il se mit en route avec l’ange.<br />

Anne, <strong>la</strong> mère se mit à gémir contre son mari : Tu <strong>nous</strong> as ôté le bâton de notre vieillesse, et tu<br />

l’as éloigné de <strong>nous</strong>. Plût à Dieu que cet argent pour lequel tu l’as envoyé n’eût jamais exister. Car<br />

notre pauvreté <strong>nous</strong> suffisait, et c’était pour <strong>nous</strong> une richesse que de voir notre fils.- Ne pleure point ;<br />

notre fils arrivera sain et sauf, et il <strong>nous</strong> reviendra sain et sauf, et tes yeux le reverront. Car je crois<br />

qu’un bon ange de Dieu l’accompagne, et qu’il <strong>dis</strong>pose heureusement tout ce qui lui arrive, en sorte<br />

qu’il <strong>nous</strong> viendra dans <strong>la</strong> joie. La mère cessa de pleurer, et elle se tut.<br />

Tobie partit, suivi de son chien, et <strong>la</strong> première halte eut lieu près du fleuve Tigre.<br />

Comme il descendait sur <strong>la</strong> rive pour se baigner les pieds, voici qu’un énorme poisson s’é<strong>la</strong>nça<br />

sur lui. Effrayé, Tobie poussa un grand cri : À l’aide, il se jette sur <strong>moi</strong> ! - Prends-le par les ouïes et<br />

tire-le à toi. Tobie obéit et il le tira sur <strong>la</strong> terre ferme, et le poisson se débattit à ses pieds. Vide-le et<br />

conserves-en le cœur, le fiel et le foie, ils serviront de remèdes. Tobie obéit encore ; puis il fit rôtir une<br />

partie de <strong>la</strong> chair, qu’ils emportèrent avec eux pour <strong>la</strong> route ; ils salèrent le reste, qui devait leur suffire<br />

jusqu’à Ragès des Mèdes.<br />

Tobie interrogea l’ange : S’il te p<strong>la</strong>ît, frère Azarias, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> quelle vertu curative possèdent les<br />

entrailles de ce poisson que tu m’as commandé de garder. - Si tu poses sur des charbons une petite<br />

partie du cœur, <strong>la</strong> fumée qui s’en exhale chasse toute espèce de démons, soit d’un homme, soit d’une<br />

femme, en sorte qu’ils ne peuvent plus s’en approcher. Et le fiel sert à oindre les yeux couverts d’une<br />

taie, et il les guérit.<br />

143


Tobie lui demanda alors : Où veux-tu que <strong>nous</strong> fassions halte ce soir ? - Il y a ici un homme<br />

appelé Raguel, de ta tribu et de ta famille ; il a une fille unique nommée Sara. Tout son bien doit te<br />

revenir, et il faut que tu <strong>la</strong> prennes pour épouse. Demande-<strong>la</strong> donc à son père, et il te <strong>la</strong> donnera pour<br />

femme. – Mais j’ai ouï dire qu’elle avait déjà eu sept maris, et qu’ils sont tous morts : il paraît même<br />

qu’un démon les aurait tués. J’ai peur de subir le même sort qu’eux, et comme je suis <strong>moi</strong> aussi fils<br />

unique, je ne voudrais pas que mes vieux parents meurent dans tristesse.<br />

Raphaël le raisonna : Écoute-<strong>moi</strong>, je vais te dire, <strong>moi</strong>, quels sont ceux sur lesquels le démon a<br />

du pouvoir. Ce sont ceux qui entrent dans le mariage en bannissant Dieu de leur cœur et de leur<br />

pensée, pour se livrer à leur passion, comme le cheval et le mulet qui n’ont pas de raison : sur ceux-là<br />

le démon a du pouvoir. Mais toi, lorsque tu l’auras épousée, quand tu entreras dans <strong>la</strong> chambre, vis<br />

avec elle en continence pendant trois jours, et ne songe à autre chose qu’à prier Dieu avec elle. La<br />

première nuit, pose sur le feu le foie du poisson, et le démon s’enfuira. La seconde nuit, tu seras admis<br />

dans <strong>la</strong> société des saints patriarches. La troisième nuit, tu recevras <strong>la</strong> bénédiction promise à leur<br />

postérité, afin qu’il naisse de vous des enfants pleins de vigueur. La troisième nuit passée, tu prendras<br />

<strong>la</strong> jeune fille dans <strong>la</strong> crainte du Seigneur, guidé bien plus par le désir d’avoir des enfants que par <strong>la</strong><br />

passion, afin d’obtenir dans tes enfants <strong>la</strong> bénédiction promise à <strong>la</strong> race d’Abraham.<br />

Raguel les reçut avec joie. À <strong>la</strong> vue de Tobie, Raguel confia à Anne, sa femme : Comme ce<br />

jeune homme ressemble à mon cousin ! Et il demanda aux voyageurs : D’où êtes-vous, jeunes gens ? -<br />

Nous sommes de <strong>la</strong> tribu de Nephthali, du nombre des captifs de Ninive. - Connaissez-vous par hasard<br />

Tobie, mon frère ? - Oui, bien sûr ! Et comme Raguel <strong>dis</strong>ait beaucoup de bien de Tobie, l’ange lui dit :<br />

Tobie, dont tu <strong>nous</strong> parles, est le père de ce jeune homme. Aussitôt Raguel l’embrassa tout en <strong>la</strong>rmes :<br />

Sois béni, mon fils, car tu es le fils d’un homme de bien, du meilleur des hommes ! Tout le monde<br />

pleurait, Anne, sa femme, et leur fille Sara. Raguel alors fit tuer un bélier et préparer un festin. Puis,<br />

comme il les engageait à s’asseoir pour le repas, Tobie déc<strong>la</strong>ra : Je ne mangerai ni ne boirai ici<br />

aujourd’hui, que tu ne m’aies promis d’abord de me donner Sara, ta fille. À ces mots, Raguel fut saisi<br />

de frayeur, sachant ce qui était arrivé aux sept maris qui s’étaient approchés d’elle, et il craignait que<br />

pareil malheur n’arrivât encore à celui-ci.<br />

Comme dans cette incertitude donnait aucune réponse à <strong>la</strong> demande de Tobie, l’ange lui dit :<br />

N’appréhende point de donner ta fille à ce jeune homme ; car c’est à lui, qui craint Dieu, qu’elle doit<br />

appartenir comme épouse ; voilà pourquoi aucun autre n’a pu <strong>la</strong> posséder. - Je ne doute pas que Dieu<br />

n’ait exaucé mes prières et mes <strong>la</strong>rmes. Et je crois qu’il vous a fait venir vers <strong>moi</strong>, afin que ma fille<br />

épouse son parent, selon <strong>la</strong> loi de Moïse. Tobie, ne doute donc pas que je te l’accorde. Et prenant <strong>la</strong><br />

main droite de sa fille, il <strong>la</strong> mit dans <strong>la</strong> main droite de Tobie : Que le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac<br />

et le Dieu de Jacob soit avec vous, que lui-même vous unisse et qu’il répande sur vous sa pleine<br />

bénédiction ! Ils prirent du parchemin et ils rédigèrent illico presto l’acte du mariage. Et on festoya en<br />

bénissant Dieu. Raguel pria Anne, sa femme de préparer une autre chambre. Elle y conduisit Sara, sa<br />

fille, qui se prit à pleurer. Mais elle <strong>la</strong> réconforta : Aie bon courage, ma fille. Que le Seigneur du ciel<br />

transforme en joie tout le chagrin que tu as éprouvé !<br />

Le repas achevé, ils conduisirent le jeune homme auprès de Sara. Tobie, se ressouvenant des<br />

paroles de l’ange, tira de son sac une partie du foie et en posa sur des charbons ardents. Alors l’ange<br />

Raphaël saisit le démon et l’enchaîna dans le désert de <strong>la</strong> Haute-Égypte. Et Tobie exhorta <strong>la</strong> jeune<br />

fille : Sara, prions Dieu aujourd’hui, demain et après-demain ; durant ces trois nuits <strong>nous</strong> serons unis<br />

à Dieu, et, après <strong>la</strong> troisième nuit, <strong>nous</strong> vivrons notre mariage. Car <strong>nous</strong> sommes les enfants des<br />

saints, et <strong>nous</strong> ne pouvons pas <strong>nous</strong> unir comme les nations qui ne connaissent pas Dieu.<br />

Tous deux demandèrent instamment à Dieu de leur accorder <strong>la</strong> santé . Tobie commença :<br />

Seigneur, Dieu de nos pères,<br />

que le ciel et <strong>la</strong> terre, que <strong>la</strong> mer, les fontaines et les fleuves,<br />

avec toutes vos créatures qu’ils renferment, vous bénissent !<br />

Vous avez fait Adam du limon de <strong>la</strong> terre, et vous lui avez donné Ève pour compagne.<br />

Et maintenant, Seigneur, vous savez que ce n’est point pour satisfaire ma passion que je prends<br />

ma sœur pour épouse,<br />

mais dans le seul désir de <strong>la</strong>isser des enfants qui bénissent votre nom dans tous les siècles.<br />

144


Ayez pitié de <strong>nous</strong>, Seigneur, continua Sara, ayez pitié de <strong>nous</strong>,<br />

et puissions-<strong>nous</strong> tous ceux ensemble arriver à <strong>la</strong> vieillesse dans une parfaite santé !<br />

Au chant du coq, Raguel appe<strong>la</strong> ses serviteurs, et ils s’en allèrent avec lui creuser une fosse. Il<br />

pourrait bien lui être arrivé <strong>la</strong> même chose qu’aux sept autres maris prédédents. Une fois <strong>la</strong> fosse<br />

creusée, Raguel rejoignit sa femme : Envoie une de tes servantes pour voir s’il est mort afin que je le<br />

mette en terre avant qu’il fasse jour. La servante entra dans <strong>la</strong> chambre et les trouva sains et saufs,<br />

pareillement endormis.<br />

À cette bonne nouvelle, Raguel et Anne bénirent le Seigneur :<br />

Nous vous bénissons Seigneur, Dieu d’Israël,<br />

car le malheur que <strong>nous</strong> redoutions n’est pas arrivé.<br />

Vous avez usé envers <strong>nous</strong> de miséricorde,<br />

et vous avez éloigné de <strong>nous</strong> l’ennemi qui <strong>nous</strong> persécutait.<br />

Vous avez eu pitié de deux enfants uniques.<br />

Faites, Seigneur, qu’ils vous bénissent de plus en plus,<br />

et qu’ils vous offrent un sacrifice de louange pour leur préservation,<br />

afin que toutes les nations reconnaissent que vous seul êtes Dieu sur toute <strong>la</strong> terre.<br />

Aussitôt Raguel commanda à ses serviteurs de combler avant le jour <strong>la</strong> fosse qu’ils avaient<br />

creusée. Et il fit apprêter un festin et préparer le nécessaire de voyage. On tua aussi deux vaches<br />

grasses et quatre béliers, pour régaler d’un banquet voisins et amis. Raguel conjura Tobie de rester<br />

chez lui deux semaines, lui donnant <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié de tout ce qu’il possédait, et il rédigea un contrat afin<br />

que <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié qui restait devînt <strong>la</strong> propriété de Tobie, après leur mort à lui et Anne.<br />

Alors le jeune Tobie se rapprocha de l’ange - qu’il prenait toujours pour un homme : Azarias,<br />

mon frère, je te prie de m’écouter. Quand je me donnerais à toi comme esc<strong>la</strong>ve, je ne reconnaîtrais<br />

pas encore tous tes services. Néan<strong>moi</strong>ns je t’adresse encore cette prière : Prends avec toi bêtes de<br />

somme et serviteurs, et va trouver Gabélus, à Ragès, ville des Mèdes ; tu lui rendras son reçu, tu<br />

récupéreras <strong>la</strong> somme correspondante et tu le prieras de venir à mes noces... Car tu sais bien que mon<br />

père compte les jours, et que, si je tarde un jour de plus, son âme sera triste. Tu vois aussi de quelle<br />

manière Raguel m’a conjuré de rester ici, et que je ne puis résister à ses instances.<br />

Raphaël prit donc quatre des serviteurs de Raguel et deux chameaux et se rendit à Ragès des<br />

Mèdes. Il rendit son billet à Gabélus, en reçut tout l’argent correspondant, et, après lui avoir raconté<br />

tout ce qui était arrivé à Tobie, fils de Tobie, il l’invita aux noces...<br />

A son arrivée Gabélus trouva Tobie à table : ils échangèrent une longue embrassade, et Gabélus<br />

bénit Dieu en pleurant :<br />

Que le Dieu d’Israël te bénisse, car tu es le fils d’un homme<br />

excellent, juste et craignant Dieu, et généreux !<br />

Que <strong>la</strong> bénédiction se répande aussi sur ta femme et sur vos parents.<br />

Puissiez-vous voir vos fils et les fils de vos fils, jusqu’à <strong>la</strong> troisième et <strong>la</strong> quatrième génération.<br />

Que votre postérité soit bénie du Dieu d’Israël, qui règne dans les siècles des siècles !<br />

Après un Amen ! retentissant, on se mit à table, et c’est en louant Dieu que se dérou<strong>la</strong> le festin<br />

des noces.<br />

Pendant que Tobie différait son départ à cause de ses noces, son père Tobie se mourait<br />

d’inquiétude : D’où vient le retard de mon fils ? Quelle raison peut le retenir dans ce pays ? Gabélus<br />

serait-il mort, et n’y aurait-il plus personne pour lui rendre cet argent ? Tobie et Anne commencèrent<br />

à se <strong>la</strong>menter et à pleurer. La mère surtout répandait des <strong>la</strong>rmes intarissables : Hé<strong>la</strong>s ! Hé<strong>la</strong>s ! mon fils,<br />

pourquoi t’avons-<strong>nous</strong> envoyé si loin, toi qui étais <strong>la</strong> lumière de nos yeux, le bâton de notre vieillesse,<br />

<strong>la</strong> conso<strong>la</strong>tion de notre vie et l’espérance de notre postérité ? Nous qui avions tout en toi seul, <strong>nous</strong><br />

n’aurions pas dû t’éloigner de <strong>nous</strong>. Tobie <strong>la</strong> conso<strong>la</strong>it du mieux qu’il pouvait : Cesse tes p<strong>la</strong>intes et<br />

145


ne te trouble pas ; notre fils se porte bien et l’homme avec qui <strong>nous</strong> l’avons fait partir est très fiable.<br />

Mais rien ne pouvait <strong>la</strong> consoler ; elle sortait chaque jour et regardait de tous côtés, al<strong>la</strong>nt sur tous les<br />

chemins possibles par lesquels il reviendrait pour le voir arriver de loin...<br />

Cependant Raguel <strong>dis</strong>ait à son gendre : Reste ici, et j’enverrai des nouvelles de ta santé à Tobie,<br />

ton père. - Je sais que mon père et ma mère comptent les jours et que leur esprit se tourmente. Malgré<br />

de multiples insistances, Tobie ne voulut plus rien entendre, et Raguel lui remit Sara avec <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié de<br />

tout ce qu’il possédait, en serviteurs et en servantes, en troupeaux, en chameaux, en vaches, en argent<br />

– il était très riche -, et il le <strong>la</strong>issa partir, plein de santé et de joie : Que le saint ange du Seigneur soit<br />

sur votre chemin, qu’il vous conduise jusque chez vous sains et saufs ; puissiez-vous trouver toute<br />

chose prospère chez vos parents, et puissent mes yeux voir vos enfants avant ma mort ! Et le père et <strong>la</strong><br />

mère embrassèrent leur fille et <strong>la</strong> <strong>la</strong>issèrent enfin aller, après lui avoir recommandé d’honorer ses<br />

beaux-parents, d’aimer son mari, de bien conduire sa famille, de gouverner sa maison et de se<br />

conserver elle-même sans reproche.<br />

Après dix jours de route, les voyageurs arrivèrent à Charan, à mi chemin de Ninive. Tobie, mon<br />

frère, dit l’ange, tu sais en quel état tu as <strong>la</strong>issé ton père. Si tu le désires, prenons les devants, et que<br />

tes serviteurs suivent à petites journées, avec ta femme et tes troupeaux. Tobie approuva cette idée, et<br />

Raphaël ajouta : Prends avec toi du fiel de poisson, car tu en auras besoin. Tobie prit de ce fiel, et ils<br />

partirent.<br />

Anne cependant al<strong>la</strong>it tous les jours s’asseoir près du chemin, au sommet d’une éminence, d’où<br />

elle pouvait découvrir le lointain. Et comme elle épiait de là l’arrivée de son fils, elle l’aperçut au loin<br />

et elle courut l’annoncer à son mari : Ton fils arrive ! En même temps, Raphaël dit à Tobie : Lorsque<br />

tu seras entré dans ta maison, adore aussitôt le Seigneur, ton Dieu, et rends-lui grâces, puis, tu<br />

t’approcheras de ton père, tu le baiseras et tu étendras tout de suite sur ses yeux de ce fiel de poisson ;<br />

ses yeux s’ouvriront à l’instant : ton père verra <strong>la</strong> lumière, et ta vue le comblera de joie.<br />

Le chien qui les avait accompagnés courut devant eux, frétil<strong>la</strong>nt de <strong>la</strong> queue comme pour<br />

apporter <strong>la</strong> nouvelle. Et le père aveugle se leva et voulut courir ; et, comme il heurtait des pieds, il<br />

donna <strong>la</strong> main à un serviteur pour aller au-devant de son fils : il le prit dans ses bras, il l’embrassa,<br />

Anne de même, et tous deux pleuraient de joie ! Après avoir rendu grâces à Dieu, Tobie étendit du fiel<br />

du poisson sur les yeux de son père. Au bout d’une demi-heure environ, une taie b<strong>la</strong>nche, comme <strong>la</strong><br />

pellicule d’un œuf, commença à sortir de ses yeux. Tobie <strong>la</strong> saisit, et l’arracha des yeux de son père, et<br />

à l’instant celui-ci recouvra <strong>la</strong> vue. Et tous de rendre gloire à Dieu, lui et sa femme et tous ceux qui le<br />

connaissaient. Tobie <strong>dis</strong>ait : Je vous bénis, Seigneur, Dieu d’Israël, parce que vous m’avez châtié et<br />

que vous m’avez guéri ; et voici que je vois mon fils Tobie !<br />

Sept jours après arriva aussi Sara, <strong>la</strong> femme de son fils, avec tous ses serviteurs, avec les<br />

troupeaux et les chameaux, et tout l’argent de son mariage ainsi que celui qu’avait rendu Gabélus. Et<br />

Tobie raconta à ses parents tous les bienfaits dont Dieu l’avait comblé par l’homme qui l’avait<br />

conduit. Achior et Nabath, parents de Tobie, vinrent le trouver et le félicitèrent de <strong>la</strong> bonté de Dieu à<br />

son égard. Et pendant sept jours, on partagea <strong>la</strong> table et ce furent de grandes réjouissances.<br />

Tobie appe<strong>la</strong> son fils à l’écart : Dis-<strong>moi</strong> :que donnerons-<strong>nous</strong> à ce saint homme qui t’a<br />

accompagné dans ton voyage ? - En effet, mon père, quelle récompense pouvons-<strong>nous</strong> bien lui offrir ?<br />

Y a-t-il quelque chose qui soit en rapport avec ses services ? Il m’a conduit et ramené sain et sauf ; il<br />

a été lui-même récupérer l’argent chez Gabélus ; il m’a fait trouver mon épouse, dont il a éloigné le<br />

démon, comb<strong>la</strong>nt ses parents de joie ; il m’a sauvé <strong>moi</strong>-même de <strong>la</strong> menace du poisson ; il t’a fait<br />

revoir <strong>la</strong> lumière du jour, et par lui <strong>nous</strong> avons été comblés de toutes sortes de bienfaits. Pourrons<strong>nous</strong><br />

jamais lui rendre de quoi égaler ce qu’il a fait pour <strong>nous</strong> ? ... Je t’en prie, mon père : demandelui<br />

s’il ne daignerait pas accepter <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié de tout le bien que <strong>nous</strong> avons rapporté.<br />

Tobie et son fils prirent Raphaël à part, et le prièrent de bien vouloir accepter <strong>la</strong> <strong>moi</strong>tié de tout<br />

ce qu’ils avaient rapporté de leur équipée. Seul avec eux, l’ange leur déc<strong>la</strong>ra :<br />

146


Bénissez le Dieu du ciel et rendez-lui gloire devant tout être vivant,<br />

parce qu’il vous a té<strong>moi</strong>gné sa miséricorde.<br />

Il est bon de tenir caché le secret du roi,<br />

mais il est honorable de révéler et de publier les œuvres de Dieu.<br />

La prière est bonne avec le jeûne, et l’aumône vaut mieux que l’or et les trésors.<br />

Car l’aumône délivre de <strong>la</strong> mort,<br />

et c’est elle qui efface les péchés, et fait trouver <strong>la</strong> miséricorde et <strong>la</strong> vie éternelle.<br />

Mais ceux qui commettent le péché et l’iniquité sont leurs propres ennemis...<br />

Je vais donc vous révéler <strong>la</strong> vérité, et je ne veux rien vous cacher.<br />

Lorsque tu priais dans les <strong>la</strong>rmes et donnais <strong>la</strong> sépulture aux morts ;<br />

lorsque, quittant ton repas, tu cachais les morts dans ta maison pendant le jour,<br />

et que tu les mettais en terre pendant <strong>la</strong> nuit,<br />

je présentais ta prière au Seigneur.<br />

Et c’est parce que tu étais agréable à Dieu, qu’il fal<strong>la</strong>it que <strong>la</strong> tentation t’éprouvât.<br />

Maintenant, le Seigneur m’a envoyé te guérir,<br />

et délivrer du démon, Sara, <strong>la</strong> femme de ton fils.<br />

Et après un léger silence :<br />

Je suis l’ange Raphaël, un de sept qui <strong>nous</strong> tenons en présence du Seigneur.<br />

Ces paroles les renversèrent littéralement, et tout tremb<strong>la</strong>nts, ils tombèrent <strong>la</strong> face contre terre.<br />

Raphaël continua :<br />

Que <strong>la</strong> paix soit avec vous ! N’ayez pas peur.<br />

Lorsque j’étais avec vous, j’y étais par <strong>la</strong> volonté de Dieu ;<br />

bénissez-le donc et chantez ses louanges.<br />

Il vous a paru que je mangeais et buvais avec vous ;<br />

mais je me nourrissais d’un aliment invisible<br />

et d’une boisson que l’œil de l’homme ne peut atteindre.<br />

Il est donc temps que je retourne vers celui qui m’a envoyé ;<br />

mais vous, bénissez Dieu et publiez toutes ses merveilles.<br />

Il fut alors dérobé à leurs regards. Trois heures ils restèrent visage contre terre, bénissant Dieu et<br />

se répétant toutes ses merveilles.<br />

Le vieux Tobie, comme à l’accoutumée, improvisa cette prière :<br />

Vous êtes grand, Seigneur, dans l’éternité, et votre règne s’étend à tous les siècles,<br />

car vous châtiez et vous sauvez, vous conduisez au tombeau et vous en ramenez,<br />

et il n’est personne qui puisse échapper à vos mains.<br />

Célébrez le Seigneur, enfants d’Israël, et louez-le devant les nations.<br />

Car il vous a <strong>dis</strong>persés parmi les nations qui l’ignorent,<br />

afin que vous racontiez ses merveilles,<br />

et que vous leur fassiez connaître qu’il n’y a point d’autre Dieu tout-puissant que lui seul.<br />

Il <strong>nous</strong> a châtiés à cause de nos iniquités,<br />

et il <strong>nous</strong> sauvera à cause de sa miséricorde.<br />

Considérez comment il a agi envers <strong>nous</strong>, et bénissez-le avec crainte et tremblement,<br />

et glorifiez par vos œuvres le Roi des siècles.<br />

Pour <strong>moi</strong>, je veux le bénir dans ce pays où je suis captif,<br />

parce qu’il a fait éc<strong>la</strong>ter sa gloire sur une nation criminelle.<br />

Convertissez-vous donc, pécheurs,<br />

et pratiquez <strong>la</strong> justice devant Dieu, dans <strong>la</strong> confiance qu’il vous fera miséricorde !<br />

Pour <strong>moi</strong>, je me réjouirai en lui de toute mon âme.<br />

Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes le peuple choisi ;<br />

célébrez des jours de joie et chantez ses louanges !<br />

Jérusalem, cité de Dieu, le Seigneur t’a châtiée à cause de tes œuvres .<br />

Glorifie le Seigneur par tes bonnes œuvres,<br />

147


et bénis le Dieu des siècles,<br />

afin qu’il rebâtisse en toi son sanctuaire,<br />

qu’il rappelle à toi tous les captifs<br />

et que tu te réjouisses dans tous les siècles des siècles.<br />

Tu brilleras d’une éc<strong>la</strong>tante lumière,<br />

et tous les pays de <strong>la</strong> terre se prosterneront devant toi.<br />

Les nations viendront à toi des contrées lointaines, apportant des présents,<br />

elles adoreront le Seigneur dans tes murs,<br />

et considéreront ta terre comme un sanctuaire ;<br />

car elles invoqueront le grand Nom au milieu de toi.<br />

Ainsi finit <strong>la</strong> belle histoire de Tobie et de Sara !<br />

148


Judith & Holopherne : La Matriote<br />

Jdt 8,1-16,25<br />

La guerre que livrait Nabuchodonosor au Roi Ozias courait depuis quelque temps déjà. Elle<br />

devait se terminer par <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tion et l’écrasement total d’Israël, et sa déportation à Babylone en<br />

587. Nous étions dans les années 90 du VI e siècle avant Jésus-Christ. Mais les vicissitudes de <strong>la</strong> guerre<br />

sont telles qu’on ne sait jamais longtemps à l’avance le sort des armes. Le commandement général de<br />

l’armée venait d’être confié par Le Roi des Rois à Holopherne, bon stratège mais perdu d’arrogance et<br />

de vanité. Son nom seul semait <strong>la</strong> terreur. Les troupes d’Ozias, misérables et mal entraînées, étaient<br />

plus vaincues par <strong>la</strong> peur de cet ennemi redoutable que par les actions militaires elles-mêmes.<br />

Holopherne avait tenu le conseil de guerre de <strong>la</strong> victoire. Le lendemain, il donnait l’ordre à ses<br />

troupes de monter contre Béthulie. Son armée était forte de cent vingt mille hommes de pied et de<br />

vingt-deux mille cavaliers, sans compter les supplétifs qu’il avait faits prisonniers et les jeunes gens<br />

qu’il avait réquisitionnés des provinces et des villes. Tous étaient prêts au combat contre les enfants<br />

d’Israël et, par <strong>la</strong> montagne jusqu’au sommet qui regarde Dothaïn, ils campèrent depuis le lieu appelé<br />

Belma, jusqu’à Chelmon, vis-à-vis d’Esdrelon. À <strong>la</strong> seule vue de cette multitude, les Hébreux se<br />

jetèrent au sol et, se couvrant <strong>la</strong> tête de cendres, prièrent le Dieu d’Israël de faire éc<strong>la</strong>ter sa miséricorde<br />

sur son peuple. Ils prirent alors leurs armes et occupèrent les lieux où de petits sentiers permettaient de<br />

passer entre les montagnes : ils y montaient <strong>la</strong> garde jour et nuit.<br />

En reconnaissant le terrain, Holopherne découvrit une source en dehors de <strong>la</strong> ville, du côté du<br />

midi, <strong>la</strong>quelle s’y procurait son eau par un aqueduc. Il fit couper cet aqueduc. Cependant il y avait, non<br />

loin des murs, d’autres sources où les assiégés venaient puiser à <strong>la</strong> dérobée un peu d’eau, plus pour<br />

sou<strong>la</strong>ger leur soif que pour l’apaiser. Mais les Ammonites et les Moabites, ennemis de l’intérieur des<br />

Hébreux, s’en vinrent trouver Holopherne : Les enfants d’Israël n’ont confiance ni dans leurs <strong>la</strong>nces<br />

ni dans leurs flèches ; mais ces montagnes les défendent et ces collines suspendues sur des précipices<br />

font leur force. Pour pouvoir triompher d’eux sans livrer bataille, p<strong>la</strong>cez près des sources des gardes<br />

qui les empêchent d’y puiser de l’eau ; vous les ferez périr ainsi sans coup férir, ou bien, épuisés par<br />

<strong>la</strong> soif, ils rendront leur ville, qu’ils regardent comme imprenable parce qu’elle est p<strong>la</strong>cée sur les<br />

montagnes.<br />

Le conseil plut à Holopherne et à ses officiers, et il fit mettre un poste de cent hommes autour de<br />

chaque source. Au bout de vingt jours, toutes les citernes et tous les réservoirs d’eau de Béthulie furent<br />

à sec, de sorte qu’il ne restait pas dans <strong>la</strong> ville de quoi rassasier leur soif même un seul jour : on en<br />

était à <strong>dis</strong>tribuer chaque jour au peuple l’eau par mesure. Alors <strong>la</strong> ville entière, hommes et femmes,<br />

jeunes gens et enfants, tous se rassemblèrent devant le pa<strong>la</strong>is d’Ozias et d’une seule voix lui crièrent :<br />

Que Dieu soit juge entre toi et <strong>nous</strong>, car tu as agi pour notre malheur en refusant de traiter avec les<br />

Assyriens ; et c’est pour ce<strong>la</strong> que Dieu <strong>nous</strong> a livrés entre leurs mains. Et personne qui vienne à notre<br />

secours, alors que <strong>nous</strong> défaillons sous leurs yeux de soif et de faim ! Alors maintenant, rassemble<br />

tous ceux qui sont en ville, <strong>nous</strong> allons <strong>nous</strong> rendre tous volontairement aux soldats d’Holopherne. Il<br />

vaut mieux finalement <strong>nous</strong> garder en vie et bénir Dieu en captivité, que mourir et être en opprobre à<br />

tous les hommes, après avoir vu nos femmes et nos enfants périr sous nos yeux. En prenant<br />

aujourd’hui à té<strong>moi</strong>n le ciel et <strong>la</strong> terre, et le Dieu de nos pères, qui <strong>nous</strong> châtie selon nos péchés, <strong>nous</strong><br />

te conjurons de livrer de suite <strong>la</strong> ville à Holopherne, afin que <strong>nous</strong> trouvions une prompte mort par le<br />

g<strong>la</strong>ive, au lieu d’une mort lente par <strong>la</strong> soif.<br />

Après ces mots, ce ne furent que cris et <strong>la</strong>mentations dans toute l’assemblée ; et soudain, d’une<br />

seule voix, et pendant plusieurs heures, on cria vers Dieu : Nous avons péché avec nos pères, <strong>nous</strong><br />

avons été infidèles, <strong>nous</strong> avons commis l’iniquité. Toi, qui es miséricor<strong>dieu</strong>x, aie pitié de <strong>nous</strong> ; ou<br />

bien tire vengeance de nos crimes en <strong>nous</strong> châtiant toi-même, et ne livre pas ceux qui te glorifient à un<br />

peuple qui ne te connaît pas, afin qu’on ne <strong>dis</strong>e pas parmi les nations : Où est leur Dieu ?<br />

Fatigués de crier et de pleurer, les Hébreux se turent. Alors Ozias se leva, baigné de <strong>la</strong>rmes :<br />

Ayez bon courage, mes frères, et attendons pendant cinq jours <strong>la</strong> miséricorde du Seigneur. Car peut-<br />

149


être mettra-t-il fin à sa colère et donnera-t-il gloire à son nom. Ces cinq jours passés, si le secours<br />

n’est pas venu, <strong>nous</strong> ferons ce que vous <strong>nous</strong> avez proposé.<br />

On rapporta ces paroles à Judith, une veuve, fille de Mérari, fils d’Idox, fils de Joseph, fils<br />

d’Ozias, fils d’E<strong>la</strong>ï, fils de Jamnor, fils de Bédéron, fils de Raphaïm, fils d’Achitob, fils de Melchias,<br />

fils d’Enan, fils de Nathanias, fils de Sa<strong>la</strong>thiel, fils de Siméon, fils d’Israël. Son mari, appelé<br />

Manassès, était mort au temps de <strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson de l’orge : comme il surveil<strong>la</strong>it les <strong>moi</strong>ssonneurs, qui<br />

liaient les gerbes dans les champs, l’ardeur du soleil le frappa à <strong>la</strong> tête, et il mourut dans Béthulie, sa<br />

ville, et il y fut inhumé avec ses pères. Déjà trois ans et six <strong>moi</strong>s que Judith était veuve : elle s’était<br />

construit, sur le toit de sa maison, une chambre retirée, où elle demeurait enfermée avec ses servantes.<br />

Les reins couverts d’un cilice, elle jeûnait tous les jours de sa vie, excepté les jours de sabbat et de<br />

nouvelle lune et les fêtes de <strong>la</strong> maison d’Israël. Elle avait très belle figure, et son mari lui avait <strong>la</strong>issé<br />

de grandes richesses, de nombreux serviteurs et des domaines remplis de troupeaux de bœufs et de<br />

brebis. Elle était en grande estime auprès de tous, parce qu’elle vénérait le Seigneur, et on ne<br />

connaissait personne qui ait dit d’elle une parole de blâme…<br />

Ayant appris qu’Ozias avait promis de livrer <strong>la</strong> ville passés cinq jours, elle fit mander chez elle<br />

les Anciens du peuple Chabri et Charmi :<br />

Comment Ozias a-t-il pu dire qu’il livrerait <strong>la</strong> ville aux Assyriens, si dans cinq jours, il ne vous<br />

arrive pas de secours ?<br />

Et qui êtes-vous, pour mettre ainsi le Seigneur à l’épreuve ?<br />

Ce n’est pas là une parole qui attire <strong>la</strong> miséricorde, mais plutôt qui excite <strong>la</strong> colère et allume <strong>la</strong><br />

fureur.<br />

Vous avez fixé au Seigneur un terme dans lequel il doit exercer sa miséricorde, et vous lui<br />

imposé un ultimatum selon votre bon p<strong>la</strong>isir !<br />

Mais le Seigneur est patient : faisons pénitence de cette faute, et implorons son pardon en<br />

versant des <strong>la</strong>rmes.<br />

Car Dieu ne menace point à <strong>la</strong> manière de l’homme, et il ne s’enf<strong>la</strong>mme point de colère comme<br />

un fils d’homme.<br />

Humilions donc nos âmes devant lui, et mettons en <strong>nous</strong> un esprit d’humilité, comme il convient<br />

à ses serviteurs.<br />

Prions ardemment le Seigneur de <strong>nous</strong> faire sentir, en <strong>la</strong> manière qu’il lui p<strong>la</strong>ira, les effets de sa<br />

miséricorde, afin que, comme l’orgueil de nos ennemis a jeté le trouble dans notre cœur, ainsi notre<br />

humilité <strong>nous</strong> devienne un sujet de gloire.<br />

Car <strong>nous</strong> n’avons pas imité les péchés de nos pères qui ont abandonné leur Dieu et adoré des<br />

<strong>dieu</strong>x étrangers. C’est à cause de ce crime qu’ils ont été livrés au g<strong>la</strong>ive, au pil<strong>la</strong>ge et à <strong>la</strong> moquerie de<br />

leurs ennemis ; mais <strong>nous</strong>, <strong>nous</strong> ne connaissons pas d’autre Dieu que lui.<br />

Attendons humblement sa conso<strong>la</strong>tion, et il vengera notre sang sur nos ennemis qui <strong>nous</strong><br />

affligent ; il humiliera toutes les nations qui s’élèvent contre <strong>nous</strong>, et il les couvrira de confusion, lui,<br />

le Seigneur notre Dieu.<br />

Et maintenant, mes frères, puisque vous êtes les Anciens du peuple de Dieu, et que leur vie<br />

dépend de vous, relevez leurs cœurs par vos paroles, pour qu’ils se souviennent que nos pères ont été<br />

éprouvés pour établir <strong>la</strong> preuve qu’ils servaient véritablement leur Dieu.<br />

Ils doivent se rappeler comment Abraham, notre père, a été tenté ; et comment, lourdement<br />

éprouvé, il est devenu l’ami de Dieu. De même Isaac, de même Jacob, de même Moïse et tous ceux<br />

qui ont plu à Dieu, sont passés par beaucoup d’afflictions et demeurèrent fidèles.<br />

Mais ceux qui n’ont pas accepté ces épreuves en y reconnaissant <strong>la</strong> volonté de Dieu, et qui ont<br />

donné libre cours à leur impatience et à leurs murmures, ceux-là, l’exterminateur les a frappés de mort,<br />

et les serpents les ont fait périr.<br />

Ne <strong>nous</strong> <strong>la</strong>issons donc pas aller à l’impatience à cause de ce que <strong>nous</strong> endurons. Estimons plutôt<br />

que ces tourments, <strong>moi</strong>ndres que nos péchés, sont les verges dont le Seigneur <strong>nous</strong> châtie, comme ses<br />

enfants, pour <strong>nous</strong> amender ; et croyons que ce n’est pas pour notre perte qu’ils <strong>nous</strong> ont été envoyés.<br />

Ozias et les Anciens lui répondirent : Tout ce que tu as dit est vrai, et il n’y a rien à reprendre<br />

dans tes paroles. Maintenant donc, prie Dieu pour <strong>nous</strong>, car tu es une femme sainte devant Dieu.<br />

150


Et Judith leur répondit : Puisque vous reconnaissez que ce que j’ai pu dire est de Dieu, éprouvez<br />

si ce que j’ai résolu de faire est aussi de lui, et priez que Dieu me donne <strong>la</strong> force de réaliser mon<br />

dessein… Vous vous tiendrez cette nuit à <strong>la</strong> porte, et je sortirai avec ma compagne ; et priez afin que<br />

dans cinq jours, comme vous l’avez dit, le Seigneur jette les yeux sur son peuple Israël. Mais je ne<br />

veux pas que vous cherchiez à savoir ce que j’entreprends jusqu’à ce que je revienne vous en donner<br />

des nouvelles : qu’on ne fasse pas autre chose que de prier pour <strong>moi</strong> le Seigneur notre Dieu.<br />

Ozias, le prince de Juda, lui déc<strong>la</strong>ra : Va en paix et que le Seigneur soit avec toi pour tirer<br />

vengeance de nos ennemis !<br />

Lorsqu’ils furent partis, Judith entra dans son oratoire, et, revêtue d’un cilice, <strong>la</strong> tête couverte de<br />

cendre, elle se prosterna devant le Seigneur et l’invoqua :<br />

- Seigneur, Dieu de mon père Siméon,<br />

Tu lui as donné l’épée pour se venger d’étrangers qui, entraînés par <strong>la</strong> passion, avaient violé une<br />

vierge et lui avaient fait outrage pour sa confusion ;<br />

toi qui as livré leurs femmes aux ravisseurs, leurs filles à l’esc<strong>la</strong>vage et toutes leurs dépouilles<br />

en partage à vos serviteurs brû<strong>la</strong>nts de zèle pour ta cause,<br />

assiste-<strong>moi</strong>, je t’en prie, Seigneur, mon Dieu,<br />

secours une veuve.<br />

C’est toi qui as opéré les merveilles des temps anciens, et formé le dessein de celles qui ont<br />

suivi, et elles se sont accomplies parce que tu l’as voulu.<br />

Toutefois tes voies sont tracées d’avance, et tu as <strong>dis</strong>posé tes jugements par ta prévision.<br />

Regarde aujourd’hui le camp des Assyriens, comme tu as daigné autrefois regarder celui des<br />

Égyptiens, lorsqu’ils poursuivaient tes serviteurs les armes à <strong>la</strong> main, se confiant dans leurs chars, dans<br />

leurs cavaliers et dans <strong>la</strong> multitude de leurs combattants. Mais il t’a suffi de regarder leur camp, et les<br />

ténèbres leur ont ôté leur force. L’abîme a retenu leurs pieds, et les eaux les ont engloutis.<br />

Qu’il en soit de même, Seigneur, de ceux-ci, qui se confient dans leur nombre, dans leurs chars,<br />

dans leurs javelots, dans leurs boucliers et dans leurs flèches, et qui sont fiers de leurs <strong>la</strong>nces. Ils ne<br />

savent pas que c’est toi qui es notre Dieu, toi qui dès le commencement terrassais les armées et dont le<br />

nom est Seigneur.<br />

Lève ton bras, comme aux siècles passés ; brise leur puissance par ta puissance ; que leur force<br />

tombe devant ta colère, eux qui se promettent de violer ton sanctuaire, de profaner le tabernacle de ton<br />

nom et d’abattre de leur épée les cornes de ton autel. Fais, Seigneur, que l’orgueil de cet homme soit<br />

abattu par sa propre épée. Qu’il se prenne aux <strong>la</strong>cs de son regard sur <strong>moi</strong>, et frappe-le par les douces<br />

paroles de mes lèvres. Mets dans mon cœur assez de fermeté pour le mépriser, assez de force pour le<br />

perdre. Ce sera pour ton nom une gloire mémorable qu’il soit abattu par <strong>la</strong> main d’une femme.<br />

Car ta puissance, Seigneur, n’est point dans le grand nombre, et ta volonté ne dépend pas de <strong>la</strong><br />

force des chevaux ; et dès le commencement les superbes ne t’ont pas plu, mais tu as toujours trouvé<br />

agréable <strong>la</strong> prière des hommes humbles et doux. Dieu du ciel, Créateur des eaux et Seigneur de toute<br />

<strong>la</strong> création, exauce-<strong>moi</strong>, malheureuse, qui te supplie et qui mets ma confiance en ta miséricorde.<br />

Souviens-toi, Seigneur, de ton alliance, donne <strong>la</strong> parole à ma bouche, <strong>la</strong> force au dessein qui est<br />

dans mon cœur, afin que ta maison conserve <strong>la</strong> sainteté dont tu l’as revêtue, et que toutes les nations<br />

reconnaissent que tu es Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre que toi.<br />

Sa prière achevée, Judith se releva de sa prosternation. Elle appe<strong>la</strong> sa servante, descendit dans sa<br />

maison, ôta son cilice et se dépouil<strong>la</strong> des vêtements de son veuvage. Elle se <strong>la</strong>va le corps, s’oignit de <strong>la</strong><br />

myrrhe <strong>la</strong> plus fine, <strong>dis</strong>posa sa chevelure, mit le turban sur sa tête, revêtit ses vêtements de fête,<br />

attacha des sandales à ses pieds, enfi<strong>la</strong> bracelets, collier, pendants d’oreilles, et anneaux, en un mot,<br />

elle se para de tous ses atours. Le Seigneur releva encore son éc<strong>la</strong>t, parce que tout cet ajustement avait<br />

son principe, non dans <strong>la</strong> volupté, mais dans <strong>la</strong> vertu ; c’est pourquoi le Seigneur augmenta sa beauté<br />

de telle sorte qu’elle brillât aux yeux de tous d’un éc<strong>la</strong>t incomparable.<br />

Puis elle chargea sa servante d’une outre de vin, d’un vase d’huile, de farine grillée, de fruits<br />

secs, de pain et de fromage, et <strong>la</strong> voilà partie. À <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> ville, elle trouva Ozias et les Anciens qui<br />

l’attendaient. En sa vue, tous furent ravis d’admiration pour sa beauté. Cependant ils ne lui adressèrent<br />

151


aucune question, et <strong>la</strong> <strong>la</strong>issèrent passer : Que le Dieu de nos pères te donne sa grâce ; qu’il affermisse<br />

par sa puissance tous les desseins qui sont dans ton cœur, afin que Jérusalem soit glorifiée à cause de<br />

toi, et que ton nom figure parmi ceux des saints et des justes. » Tous les présents conclurent d’une<br />

seule voix : Amen, Amen !<br />

Et Judith franchit les portes, elle et sa servante, en priant le Seigneur. Comme elle descendait <strong>la</strong><br />

montagne, au lever du jour, elle tomba sur les postes avancés des Assyriens qui : D’où viens-tu, et où<br />

vas-tu ? - Je suis une fille des Hébreux, et je me suis enfuie du milieu d’eux, parce que j’ai reconnu<br />

qu’ils vont vous être livrés en proie : ils vous ont méprisés et ils n’ont pas voulu se rendre à vous<br />

volontairement, pour trouver grâce devant vous. Alors je me suis dit: Je me présenterai devant le<br />

prince Holopherne, pour lui découvrir leurs secrets et lui indiquer un accès par où il pourra les<br />

prendre sans perdre un seul homme de son armée.<br />

À ces paroles, les soldats considérèrent son visage, et leurs yeux bril<strong>la</strong>ient de surprise devant<br />

tant de beauté : Tu as sauvé ta vie, en prenant cette décision. Tu peux être assurée que, lorsque tu<br />

paraîtras devant lui, il te traitera bien et que tu seras très agréable à son cœur.<br />

Puis ils <strong>la</strong> conduisirent à <strong>la</strong> tente d’Holopherne. Dès qu’elle parut en sa présence, Holopherne<br />

n’en crut pas ses yeux. Ses officiers firent même <strong>la</strong> réflexion : Qui donc pourrait mépriser le peuple<br />

des Hébreux qui a de si belles femmes ? Dommage que pour les posséder <strong>nous</strong> devions lui faire <strong>la</strong><br />

guerre ?<br />

Judith vit Holopherne assis sous son pavillon, au tissu de pourpre et d’or orné d’émeraudes et de<br />

pierres précieuses. Les yeux fixés sur son visage, elle se prosternant jusqu’à terre. Aussitôt, sur l’ordre<br />

de leur maître, les serviteurs d’Holopherne <strong>la</strong> relevèrent : Rassure-toi et bannis <strong>la</strong> crainte de ton cœur,<br />

car je n’ai jamais fait de mal à quiconque a voulu servir le roi Nabuchodonosor. Si ton peuple ne<br />

m’avait pas méprisé, je n’aurais pas levé ma <strong>la</strong>nce contre lui. Maintenant, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> pourquoi tu t’es<br />

éloignée d’eux et tu as pris le parti de venir vers <strong>nous</strong> ?<br />

– Ecoute-<strong>moi</strong> : car si tu suis mes paroles, le Seigneur Dieu réalisera pleinement ses desseins sur<br />

toi, aussi vrai que Nabuchodonosor, le roi de <strong>la</strong> terre, est vivant, et que sa puissance est vivante,<br />

puissance dont tu es dépositaire pour le châtiment de tous ceux qui sont égarés. Car non seulement les<br />

hommes sont amenés par toi à le servir, mais les animaux des champs eux-mêmes lui obéissent. En<br />

effet, <strong>la</strong> sagesse de ton esprit est célèbre dans toutes les nations ; tout le monde sait que dans tout son<br />

royaume tu es le seul bon et puissant, et ton gouvernement est vanté dans toutes les provinces. On sait<br />

aussi ce qu’a dit Achior, et on n’ignore pas de quelle manière tu as ordonné de le traiter. Car il est<br />

certain que notre Dieu est tellement offensé par les péchés de son peuple, qu’il lui a fait annoncer par<br />

ses prophètes qu’il al<strong>la</strong>it le livrer à ses ennemis à cause de ses infidélités. Et parce que les enfants<br />

d’Israël savent qu’ils ont offensé leur Dieu, ils tremblent de frayeur devant toi. En outre, <strong>la</strong> famine les<br />

presse, et, les réservoirs d’eau étant desséchés, ils sont déjà à compter parmi les morts. Ils ont même<br />

pris <strong>la</strong> résolution de tuer leur bétail et d’en boire le sang. Il n’est pas jusqu’aux choses consacrées au<br />

Seigneur, leur Dieu - auxquelles Dieu leur a défendu de toucher : le blé, le vin et l’huile des dîmes et<br />

des prémices -, qu’ils n’aient résolu de faire servir à leur usage, osant se nourrir de choses qu’il ne leur<br />

est pas même permis de toucher de leurs mains. Puisqu’ils agissent ainsi, il est certain qu’ils seront<br />

livrés à <strong>la</strong> ruine. Voilà ce que je sais, <strong>moi</strong>, ta servante, et j’ai fui loin d’eux, et le Seigneur m’a envoyée<br />

t’en informer. Car <strong>moi</strong>, je sers Dieu, maintenant même que je suis auprès de toi ; et ta servante sortira<br />

du camp pour aller prier Dieu. Et il me fera connaître quand il doit les châtier pour leur péché, et je<br />

viendrai te l’annoncer. Je te conduirai alors à travers <strong>la</strong> Judée jusqu’à Jérusalem, et tu trouveras tout le<br />

peuple d’Israël comme des brebis qui n’ont plus de pasteur, et il n’y aura pas même un chien qui aboie<br />

contre toi. C’est <strong>la</strong> prescience de Dieu qui m’a révélé ces choses ; et comme il est irrité contre eux, j’ai<br />

reçu mission de te les annoncer.<br />

Tout ce <strong>dis</strong>cours plut à Holopherne et à ses serviteurs. Ils admiraient <strong>la</strong> sagesse de Judith : Il<br />

n’existe pas sur <strong>la</strong> terre de femme qui soit semb<strong>la</strong>ble à celle-ci pour <strong>la</strong> prestance, pour <strong>la</strong> beauté et<br />

pour <strong>la</strong> sagesse de ses <strong>dis</strong>cours. Holopherne répondit : Dieu a bien fait de t’envoyer pour <strong>nous</strong> livrer<br />

ce peuple. Ta proposition est bonne : si ton Dieu fait ce<strong>la</strong> pour <strong>moi</strong>, il sera aussi mon Dieu, et toi, tu<br />

seras grande dans <strong>la</strong> maison de Nabuchodonosor, et ton nom deviendra célèbre dans toute <strong>la</strong> terre.<br />

152


Alors Holopherne ordonna qu’on fît entrer Judith sous <strong>la</strong> tente aux trésors, afin qu’elle y<br />

demeurât et il rég<strong>la</strong> ce qu’on devait lui donner de sa table. Judith lui répondit : Je ne puis manger<br />

maintenant des choses que tu commandes qu’on me donne, de peur de me rendre coupable d’un<br />

péché ; je mangerai de ce que j’ai apporté pour <strong>moi</strong>-même. - Quand les vivres que tu as apportés<br />

seront épuisées, que ferons-<strong>nous</strong> pour toi ? - Seigneur, je jure par ta vie que ta servante n’aura pas<br />

consommé toutes ses provisions avant que Dieu ait réalisé par ma main le dessein que j’ai formé.<br />

Et ses serviteurs l’introduisirent dans <strong>la</strong> tente qu’il avait désignée. Elle demanda qu’on lui<br />

accordât <strong>la</strong> faculté de sortir, <strong>la</strong> nuit et avant le jour, pour aller prier et invoquer le Seigneur. Et<br />

Holopherne ordonna à ses serviteurs de <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser sortir et entrer à son gré, pendant trois jours pour<br />

adorer son Dieu. Elle sortait donc chaque nuit dans <strong>la</strong> vallée de Béthulie, et elle se <strong>la</strong>vait dans une<br />

fontaine. Un fois remontée, elle priait le Seigneur, Dieu d’Israël, de <strong>la</strong> guider pour <strong>la</strong> délivrance de son<br />

peuple. Puis, rentrant dans sa tente, elle y demeurait pure jusqu’à ce qu’elle prît sa nourriture vers le<br />

soir. Le quatrième jour, Holopherne donna un festin à ses serviteurs, et il dit à Vagao, son eunuque :<br />

Va persuader cette Juive de consentir de bon cœur à habiter avec <strong>moi</strong>. Ce serait une honte pour un<br />

homme, chez les Assyriens, qu’une femme se moquât de lui et le quittât sans avoir cédé à ses<br />

désirs. Vagao al<strong>la</strong> voir Judith : Que <strong>la</strong> bonne fille ne craigne point de venir auprès de mon seigneur,<br />

pour être honorée en sa présence, pour manger et boire avec lui. - Qui suis-je pour résister à mon<br />

seigneur ? Tout ce qui est bon et excellent à ses yeux, je le ferai ; et tout ce qu’il préfère sera pour <strong>moi</strong><br />

le meilleur, tous les jours de ma vie. Et elle se para de ses atours, et al<strong>la</strong> se présenter devant<br />

Holopherne. Le cœur d’Holopherne brû<strong>la</strong>it de désir pour elle : Bois donc et mange, car tu as trouvé<br />

grâce devant <strong>moi</strong>. - Je boirai, seigneur, car mon âme est plus honorée en ce jour qu’elle ne l’a été<br />

tous les jours de ma vie. Et prenant ce que sa servante lui avait préparé, elle mangea et but devant lui.<br />

Holopherne fut transporté de joie, et il but du vin à l’excès, plus qu’il n’en avait jamais bu dans sa vie.<br />

Le soir venu, les serviteurs d’Holopherne se hâtèrent de regagner leurs tentes ; et Vagao, ayant<br />

fermé les portes de <strong>la</strong> tente, se retira lui aussi. Tous étaient appesantis par le vin, et Judith restait seule<br />

dans <strong>la</strong> tente. Holopherne était étendu sur son lit, plongé dans l’assoupissement d’une complète<br />

ivresse. Judith avait dit à sa servante de se tenir dehors devant <strong>la</strong> tente, et de faire le guet. Debout<br />

devant le lit, Judith pria intensément quelques secondes, remuant les lèvres en silence : Seigneur, Dieu<br />

d’Israël, fortifie-<strong>moi</strong>, et jette maintenant un regard favorable sur l’œuvre de mes mains, afin que,<br />

selon ta promesse, tu relèves ta ville de Jérusalem, et que j’achève ce que j’ai cru possible par ton<br />

assistance. Alors, elle s’approcha de <strong>la</strong> colonne qui était à <strong>la</strong> tête du lit d’Holopherne, détacha son<br />

épée qui y était suspendue et, l’ayant tirée du fourreau, elle saisit les cheveux d’Holopherne, en<br />

<strong>dis</strong>ant : Seigneur Dieu, fortifie-<strong>moi</strong> à cette heure ! Et de deux coups sur <strong>la</strong> nuque, elle lui trancha <strong>la</strong><br />

tête. Puis elle détacha le rideau des colonnes et rou<strong>la</strong> par terre le corps décapité. Et, sortant sans retard,<br />

elle donna <strong>la</strong> tête d’Holopherne à sa servante, en lui ordonnant de <strong>la</strong> mettre dans son sac. Elles<br />

partirent ensuite toutes deux, selon leur coutume, comme pour aller prier. Et, après avoir traversé le<br />

camp et contourné <strong>la</strong> vallée, elles arrivèrent à <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> ville.<br />

Judith cria de loin aux gardiens des murailles : Ouvrez <strong>la</strong> porte, car Dieu est avec <strong>nous</strong>, et il a<br />

signalé sa puissance en faveur d’Israël. À ses paroles, les gardes appelèrent les Anciens de <strong>la</strong> ville.<br />

Bientôt tous les habitants accoururent vers elle, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, car ils<br />

commençaient à désespérer de son retour. À <strong>la</strong> lueur des f<strong>la</strong>mbeaux, ils se rassemblèrent tous autour<br />

d’elle. Judith, montant sur éléveation du terrain, demanda le silence : Louez le Seigneur, notre Dieu,<br />

qui n’a pas abandonné ceux qui espéraient en lui. Par <strong>moi</strong>, sa servante, il a accompli ses promesses<br />

de miséricorde en faveur de <strong>la</strong> maison d’Israël, et il a tué cette nuit par ma main l’ennemi de son<br />

peuple. Tirant alors du sac <strong>la</strong> tête d’Holopherne, elle <strong>la</strong> leur montra : Voici <strong>la</strong> tête d’Holopherne, chef<br />

de l’armée des Assyriens, et voici le rideau sous lequel il était couché dans son ivresse, lorsque le<br />

Seigneur notre Dieu l’a frappé par <strong>la</strong> main d’une femme. Aussi vrai que le Seigneur est vivant, son<br />

ange m’a gardée à mon départ, durant mon séjour au milieu d’eux, et à mon retour, et le Seigneur n’a<br />

pas permis que sa servante fût souillée, mais il m’a rendue à vous sans aucune tache de péché, toute<br />

joyeuse de sa victoire, de ma conservation et de votre délivrance. Vous tous, chantez ses louanges :<br />

car il est bon, car sa miséricorde dure à jamais ! - Le Seigneur t’a bénie dans sa force, car par toi il a<br />

réduit à néant tous nos ennemis.<br />

153


Ozias, le prince du peuple d’Israël, prit <strong>la</strong> parole : Ma fille, tu es bénie par le Seigneur, le Dieu<br />

très haut, plus que toutes les femmes qui sont sur <strong>la</strong> terre. Béni soit le Seigneur, créateur du ciel et de<br />

<strong>la</strong> terre, qui a conduit ta main pour trancher <strong>la</strong> tête au plus grand de nos ennemis ! Il a rendu<br />

aujourd’hui ton nom si glorieux, que ta louange ne <strong>dis</strong>paraîtra pas de <strong>la</strong> bouche des hommes, qui se<br />

souviendront éternellement de <strong>la</strong> puissance du Seigneur ; car, en leur faveur, tu n’as pas épargné ta<br />

vie devant les souffrances et <strong>la</strong> détresse de ta race, mais tu <strong>nous</strong> a sauvés de <strong>la</strong> ruine en marchant<br />

dans <strong>la</strong> droiture en présence de notre Dieu. Et tout le peuple de crier : Amen ! Amen !<br />

Ensuite on fit venir Achior, et Judith lui dit : Le Dieu d’Israël - à qui tu as rendu ce té<strong>moi</strong>gnage<br />

qu’il tire vengeance de ses ennemis -, a tranché lui-même cette nuit, par ma main, <strong>la</strong> tête du chef de<br />

tous les infidèles. Et pour te convaincre qu’il en est ainsi, voici <strong>la</strong> tête d’Holopherne qui, dans<br />

l’insolence de son orgueil, méprisait le Dieu d’Israël et t’a menacé de mort, en <strong>dis</strong>ant « Lorsque le<br />

peuple d’Israël sera vaincu, je te ferai passer au fil de l’épée ». À <strong>la</strong> vue de <strong>la</strong> tête d’Holopherne,<br />

Achior frissonna d’horreur ; il tomba le visage contre terre, et s’évanouit. Revenu à lui, il se prosterna<br />

aux pieds de Judith : Sois proc<strong>la</strong>mée bénie de ton Dieu dans toutes les tentes de Jacob ! Parmi tous les<br />

peuples qui entendront ton nom, le Dieu d’Israël sera glorifié à cause de toi.<br />

Judith s’adressa alors à tout le peuple : Ecoutez-<strong>moi</strong>, mes frères, suspendez cette tête au haut de<br />

nos murailles. Et, quand le soleil sera levé, que chacun prenne ses armes ; puis sortez avec<br />

impétuosité, non pour descendre seulement dans <strong>la</strong> vallée, mais comme pour une attaque générale. Il<br />

faudra bien alors que les avant-postes s’enfuient vers leur général, afin de le réveiller pour le combat.<br />

Lorsque leurs chefs auront trouvé Holopherne décapité et baignant dans son sang, l’épouvante<br />

s’emparera d’eux. Et lorsque vous les verrez fuir, mettez-vous hardiment à leur poursuite, car le<br />

Seigneur les écrasera sous vos yeux.<br />

Constatant <strong>la</strong> puissance qu’exerçait le Dieu d’Israël, Achior abandonna le culte des païens ; il<br />

crut en Dieu, se circoncit, et fut incorporé au peuple d’Israël, ainsi que tous ses descendants, jusqu’au<br />

temps présent.<br />

Dès que le jour parut, les habitants de Béthulie suspendirent aux murailles <strong>la</strong> tête d’Holopherne.<br />

Chaque homme prit les armes, tous ensemble, comme un seul hopmme, ils sortirent de <strong>la</strong> ville avec un<br />

grand tumulte et de grands cris. À cette vue, les avant-postes coururent à <strong>la</strong> tente d’Holopherne. On fit<br />

du bruit pour le réveiller. Car personne n’osait, ni en frappant, ni en entrant, ouvrir <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> tente<br />

du plus grand des Assyriens. Mais ses généraux, ses commandants et tous les officiers de l’armée du<br />

roi des Assyriens dirent aux chambel<strong>la</strong>ns : Entrez et éveillez-le, car ces rats sont sortis de leurs trous<br />

et ont osé <strong>nous</strong> provoquer au combat. Alors Vagao entra, s’arrêta devant le rideau, et frappa des<br />

mains, car il s’imaginait que son maître dormait avec Judith. Mais en n’entendant aucune réaction, il<br />

s’approcha du rideau et aperçut le cadavre d’Holopherne étendu par terre, sans tête, et baignant dans<br />

son sang. Il poussa un cri d’horreur et déchira ses vêtements. Il courut à <strong>la</strong> tente de Judith et ne <strong>la</strong><br />

trouvant pas, il sortit en toute hâte et hur<strong>la</strong> : Une seule femme juive a mis <strong>la</strong> confusion dans <strong>la</strong> maison<br />

du roi Nabuchodonosor ; Holopherne est étendu par terre, et sa tête n’est plus avec son corps ! À ces<br />

mots, tous les princes de l’armée des Assyriens déchirèrent leurs vêtements, une crainte et une frayeur<br />

extrêmes s’emparèrent d’eux, leurs esprits furent bouleversés, et une c<strong>la</strong>meur indicible retentit au<br />

milieu de leur camp.<br />

Quand toute l’armée eut appris qu’Holopherne avait eu <strong>la</strong> tête tranchée, les soldats perdirent<br />

tout sens et toute prudence, et, n’écoutant que <strong>la</strong> peur et l’effroi, ils cherchèrent leur salut dans <strong>la</strong> fuite.<br />

Sans se concerter, <strong>la</strong> tête basse et abandonnant tout sur p<strong>la</strong>ce, pressés d’échapper aux Hébreux qu’ils<br />

entendaient fondre sur eux les armes à <strong>la</strong> main, ils prirent à travers champs et par les sentiers des<br />

montagnes. Les enfants d’Israël, à cette vue, se mirent à leur poursuite ; ils dégringo<strong>la</strong>ient en sonnant<br />

de <strong>la</strong> trompette et en poussant de grands cris. Et comme les Assyriens fuyaient en ordre <strong>dis</strong>persé et en<br />

toute hâte, les enfants d’Israël, qui les poursuivaient d’un seul corps, tail<strong>la</strong>ient en pièces tous ceux<br />

qu’ils pouvaient atteindre. En même temps Ozias envoya des messagers dans toutes les villes et dans<br />

toutes les campagnes d’Israël. Ainsi chaque vil<strong>la</strong>ge et chaque ville, ayant fait prendre les armes à<br />

l’élite de leurs jeunes gens, les envoyèrent après les Assyriens, et ils les poursuivirent à <strong>la</strong> pointe de<br />

l’épée jusqu’à leur extrême frontière. Ceux qui étaient restés à Béthulie entrèrent dans le camp des<br />

154


Assyriens, emportèrent le butin que les Assyriens avaient abandonné dans leur fuite, et en revinrent<br />

tout chargés. D’autre part, ceux qui, après <strong>la</strong> victoire, retournèrent à Béthulie, amenèrent avec eux tout<br />

ce qui avait appartenu à l’ennemi : bestiaux sans nombre, animaux de trait et tout leur bagage, en sorte<br />

que, tous, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, s’enrichirent de leurs dépouilles.<br />

Joakim, le grand prêtre, vint de Jérusalem à Béthulie, avec tous les Anciens, pour voir Judith.<br />

Lorsqu’elle sortit pour aller à sa rencontre, tous <strong>la</strong> bénirent d’une seule voix : Tu es <strong>la</strong> gloire de<br />

Jérusalem ; tu es <strong>la</strong> joie d’Israël ; tu es l’honneur de notre peuple. Car tu as montré une âme virile, et<br />

ton cœur a été plein de vail<strong>la</strong>nce. Parce que tu as aimé <strong>la</strong> chasteté et que, après avoir perdu ton mari,<br />

tu n’as pas voulu en connaître un autre, <strong>la</strong> main du Seigneur t’a revêtue de force, et tu seras bénie<br />

éternellement. Tout le peuple scandait ! Amen, ! Amen !<br />

Trente jours suffirent à peine au peuple d’Israël pour recueillir toutes les dépouilles des<br />

Assyriens. Tout ce qu’on reconnut avoir appartenu à Holopherne : or et argent, vêtements, pierres<br />

précieuses et objets divers, on le donna à Judith. Et tout le peuple se réjouit, avec les femmes, les<br />

jeunes filles et les jeunes gens, au son des harpes et des cithares. Alors Judith chanta ce cantique au<br />

Seigneur :<br />

- Célébrez le Seigneur au son des tambourins,<br />

chantez le Seigneur avec les cymbales,<br />

modulez en son honneur un cantique nouveau, exaltez et acc<strong>la</strong>mez son nom.<br />

Le Seigneur met fin aux guerres ; le Seigneur est son nom !<br />

Il a dressé son camp au milieu de son peuple, pour <strong>nous</strong> délivrer des mains de tous nos ennemis.<br />

Assur est venu des montagnes, du côté de l’Aquilon, avec les myriades de ses guerriers ;<br />

leur multitude arrêtait les torrents, et leurs chevaux couvraient les vallées.<br />

Il se promettait de ravager mon territoire par le feu,<br />

d’immoler mes jeunes gens par l’épée,<br />

de faire de mes enfants un butin,<br />

de mes vierges des captives.<br />

Mais le Seigneur tout-puissant l’a couvert d’ignominie ;<br />

il l’a livré aux mains d’une femme, et elle en a triomphé.<br />

Leur héros n’est point tombé sous les coups des jeunes gens ;<br />

des géants à haute stature ne se sont pas mesurés avec lui.<br />

C’est Judith, <strong>la</strong> fille de Mérari, qui l’a renversé par <strong>la</strong> beauté de son visage.<br />

Elle s’est dépouillée des vêtements de son veuvage ;<br />

elle s’est parée de ses vêtements de fête,<br />

pour le triomphe des enfants d’Israël ;<br />

elle a fait couler sur son visage une huile parfumée,<br />

elle a <strong>dis</strong>posé sous le turban les boucles de sa chevelure.<br />

Elle a revêtu une robe neuve pour le séduire.<br />

L’éc<strong>la</strong>t de sa chaussure a ébloui ses yeux,<br />

sa beauté a rendu son âme captive,<br />

et elle lui a tranché <strong>la</strong> tête avec l’épée.<br />

Les Perses ont frémi de sa vail<strong>la</strong>nce,<br />

les Mèdes de son audace ;<br />

le camp des Assyriens a retenti de hurlements ;<br />

quand se sont montrés les miens, exténués et desséchés par <strong>la</strong> soif.<br />

Des fils de jeunes femmes les ont transpercés et les ont tués comme des enfants qui s’enfuient.<br />

Ils ont péri dans le combat, devant <strong>la</strong> face du Seigneur mon Dieu.<br />

Chantons un cantique au Seigneur,<br />

chantons au Seigneur un cantique nouveau :<br />

Maître souverain, Seigneur, vous êtes grand, et magnifique dans votre puissance,<br />

et nul ne peut vous surpasser.<br />

Que toutes vos créatures vous servent, parce que vous avez parlé, et tout a été fait ;<br />

vous avez envoyé votre esprit, et tout a été créé, et nul ne peut résister à votre voix.<br />

155


Les montagnes, ainsi que les eaux, sont agitées sur leurs bases,<br />

les pierres se fondent comme <strong>la</strong> cire, devant votre face ;<br />

mais ceux qui vous craignent sont grands devant vous en toutes choses.<br />

Malheur à <strong>la</strong> nation qui s’élève contre mon peuple !<br />

Car le Seigneur, le Tout-Puissant, se vengera d’elle, il <strong>la</strong> visitera au jour du jugement,<br />

il livrera leur chair au feu et aux vers,<br />

afin qu’ils brûlent et qu’ils éprouvent ce supplice éternellement.<br />

Après cette victoire, tout le peuple se rendit à Jérusalem pour adorer le Seigneur et, sitôt<br />

purifiés, ils offrirent tous les holocaustes et acquittèrent leurs vœux et leurs promesses. Judith offrit<br />

toutes les armes d’Holopherne, que le peuple lui avait données, et le rideau qu’elle avait elle-même<br />

enlevé du lit, en anathème d’oubli. Tout le peuple était dans l’allégresse en face du sanctuaire, et <strong>la</strong><br />

joie de cette victoire fut célébrée avec Judith pendant trois <strong>moi</strong>s.<br />

Ces jours de fête étant passés, chacun retourna chez lui ; Judith fut honorée dans Béthulie, et<br />

elle jouit d’un grand renom dans tout le pays d’Israël. Joignant au courage <strong>la</strong> chasteté, elle ne connut<br />

point d’homme le reste de sa vie, depuis <strong>la</strong> mort de Manassès, son mari. Les jours de fête, elle<br />

paraissait magnifiquement parée. Après avoir demeuré cent cinq ans dans <strong>la</strong> maison de son mari et<br />

donné <strong>la</strong> liberté à sa servante, elle mourut et fut inhumée à Béthulie avec son mari, et tout le peuple <strong>la</strong><br />

pleura pendant sept jours. Dans tout le cours de sa vie et après sa mort, il n’y eut personne, pendant de<br />

longues années, qui troub<strong>la</strong> <strong>la</strong> paix d’Israël.<br />

Le jour de fête institué en souvenir de cette victoire est compté par les Hébreux au nombre des<br />

saints jours, et il est célébré par les Juifs depuis ce temps-là jusqu’aujourd’hui !<br />

156


Le Bien Aimé & <strong>la</strong> Bien Aimée : Le chant immortel<br />

Ct 1-8<br />

Qu’il m’embrasse, qu’il m’embrasse !<br />

Je suis saoule de ton amour !<br />

Ta peau est parfumée, elle est suave<br />

Quand je prononce ton nom, c’est un parfum qui se répand !<br />

Toutes les filles sont folles de toi !<br />

Entraîne-<strong>moi</strong> après toi ! Courrons ensemble !<br />

Le roi m’introduit dans ses appartements...<br />

Nous allons faire <strong>la</strong> fête, tu seras <strong>la</strong> cause de notre joie !<br />

Nous boirons aux fontaines de ton amour !<br />

Ah ! On a bien raison de t’aimer !<br />

Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem !<br />

Noire comme les tentes du désert, comme les pavillons de Salomon !<br />

Oui : C’est le soleil qui m’a brûlée.<br />

Mes frères m’ont fait grief : ils m’ont affectée à <strong>la</strong> garde des vignes,<br />

et ma propre vigne, je n’ai pu <strong>la</strong> garder !<br />

Dis-<strong>moi</strong>, ô toi que mon cœur aime,<br />

Où fais-tu paître tes brebis ?<br />

Où les fais-tu reposer à midi,<br />

Pourquoi devrais-je errer près des troupeaux de tes compagnons ?<br />

Si tu ne le sais pas, ô <strong>la</strong> plus belle,<br />

Sors sur les traces des brebis,<br />

Et fais paître tes chevreaux près des demeures des bergers.<br />

Je te compare, ô mon amie, à ma jument qu’on attelle aux chars de Pharaon !<br />

Que tes joues sont belles au milieu des colliers,<br />

Que ton cou est beau au milieu des rivières de perles !<br />

Nous te ferons des colliers d’or, avec des points d’argent.<br />

Tan<strong>dis</strong> que le roi te presse, mon nard exhale son parfum.<br />

Mon bien-aimé est pour <strong>moi</strong> un bouquet de myrrhe qui repose entre mes seins.<br />

Mon bien-aimé est pour <strong>moi</strong> une grappe de troène des vignes d’En Guédi.<br />

Que tu es belle, mon amie, mais que tu es belle !<br />

Tes yeux sont des colombes.<br />

Que tu es beau, mon bien-aimé, mais que je t’aime !<br />

Notre lit, c’est <strong>la</strong> verdure.<br />

Les solives de nos maisons sont des cèdres, nos <strong>la</strong>mbris des cyprès.<br />

Je suis un narcisse de Saron, un lis des vallées.<br />

Un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles.<br />

Un pommier au milieu des grands arbres, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes gens.<br />

J’ai tellement désiré m’asseoir à son ombre,<br />

Son fruit est si doux à mon pa<strong>la</strong>is.<br />

Il m’a fait entrer dans <strong>la</strong> maison du vin !<br />

La bannière qu’il déploie sur <strong>moi</strong>, c’est l’amour.<br />

Soutenez-<strong>moi</strong> avec des gâteaux de raisins, fortifiez-<strong>moi</strong> avec des pommes :<br />

157


je suis ma<strong>la</strong>de d’amour !<br />

Qu’il p<strong>la</strong>ce sa main gauche sous ma tête, que sa droite m’embrasse !<br />

Je vous en conjure, filles de Jérusalem par les gazelles et les biches des champs,<br />

Ne réveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’il le veuille.<br />

C’est <strong>la</strong> voix de mon bien-aimé !<br />

Le voici, il vient, sautant sur les montagnes, bon<strong>dis</strong>sant sur les collines.<br />

Mon bien-aimé est une gazelle, c’est le faon d’une biche !<br />

Le voici, il est derrière notre mur, il regarde par <strong>la</strong> fenêtre, il regarde par le treillis.<br />

Mon bien-aimé parle, il me dit :<br />

Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !<br />

Car voici que l’hiver est passé, <strong>la</strong> pluie a cessé, elle s’en est allée.<br />

Les fleurs paraissent sur <strong>la</strong> terre, le temps de chanter est arrivé,<br />

et <strong>la</strong> voix de <strong>la</strong> tourterelle se fait entendre dans nos campagnes !<br />

Le figuier embaume de ses fruits,<br />

Et les vignes en fleur exhalent leur parfum.<br />

Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !<br />

Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher,<br />

qui te caches dans les parois escarpées,<br />

fais-<strong>moi</strong> voir ta figure,<br />

fais-<strong>moi</strong> entendre ta voix !<br />

Car ta voix est douce, et ta figure est agréable.<br />

Attrapez les renards, les petits renards qui ravagent les vignes :<br />

car nos vignes sont en fleur !<br />

Mon bien-aimé est à <strong>moi</strong>, et je suis à lui !<br />

Il fait paître son troupeau parmi les lis.<br />

Avant que le jour se rafraîchisse, et que les ombres fuient,<br />

Reviens !...<br />

Redeviens, mon bien-aimé,<br />

redeviens <strong>la</strong> gazelle ou le faon de <strong>la</strong> biche sur les montagnes qui <strong>nous</strong> séparent<br />

Sur ma couche, pendant les nuits, j’ai cherché celui que mon cœur aime !<br />

Je l’ai cherché, et ne l’ai point trouvé...<br />

Je me lèverai, je ferai le tour de <strong>la</strong> ville, dans les rues et sur les p<strong>la</strong>ces :<br />

Je chercherai celui que mon cœur aime...<br />

Je l’ai cherché, et ne l’ai point trouvé.<br />

Les gardes qui font <strong>la</strong> ronde dans <strong>la</strong> ville m’ont rencontrée :<br />

Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?<br />

À peine les avais-je passés, que je l’ai trouvé celui que mon cœur aime !<br />

Je l’ai saisi, et je ne l’ai pas lâché jusqu’à ce que je l’aie amené dans <strong>la</strong> maison de ma mère,<br />

Dans <strong>la</strong> chambre de celle qui m’a conçue.<br />

Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs,<br />

Ne réveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’elle le veuille.<br />

Qui est celle qui monte du désert, comme des colonnes de fumée,<br />

au milieu des vapeurs de myrrhe et d’encens et de tous les aromates des marchands ?<br />

Voici <strong>la</strong> litière de Salomon,<br />

et autour d’elle soixante hommes vail<strong>la</strong>nts, les plus vail<strong>la</strong>nts d’Israël.<br />

Tous sont armés de l’épée, tous sont exercés au combat !<br />

Chacun porte l’épée sur sa hanche, en vue des a<strong>la</strong>rmes nocturnes.<br />

Le roi Salomon s’est fait une litière de bois du Liban.<br />

158


Il en a fait les colonnes d’argent, le dossier d’or, le siège de pourpre ;<br />

au milieu, une broderie, œuvre d’amour des filles de Jérusalem.<br />

Sortez, filles de Sion, regardez le roi Salomon,<br />

avec <strong>la</strong> couronne dont sa mère l’a couronné le jour de ses fiançailles,<br />

le jour de <strong>la</strong> joie de son cœur.<br />

Que tu es belle, mon amie, que tu es belle !<br />

Tes yeux sont des colombes derrière ton voile.<br />

Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres,<br />

suspendues aux f<strong>la</strong>ncs de <strong>la</strong> montagne de Ga<strong>la</strong>ad.<br />

Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues, qui remontent de l’abreuvoir :<br />

toutes portent des jumeaux, aucune d’elles n’est stérile.<br />

Tes lèvres sont comme un fil cra<strong>moi</strong>si, et ta bouche est charmante,<br />

ta joue est comme une <strong>moi</strong>tié de grenade, derrière ton voile.<br />

Ton cou est comme <strong>la</strong> tour de David, bâtie pour être un arsenal :<br />

mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des héros.<br />

Tes deux seins sont comme deux faons,<br />

comme les jumeaux d’une gazelle, qui paissent au milieu des lis.<br />

Avant que le jour se rafraîchisse, et que les ombres fuient,<br />

j’irai à <strong>la</strong> montagne de <strong>la</strong> myrrhe, à <strong>la</strong> colline de l’encens.<br />

Tu es toute belle, mon amie : en toi point de défaut !<br />

Viens avec <strong>moi</strong> du Liban, ma fiancée, viens avec <strong>moi</strong> du Liban !<br />

Regarde du sommet de l’Amana, du sommet du Senir et de l’Hermon,<br />

des tanières des lions des montagnes, des léopards.<br />

Tu me ravis le cœur, ma sœur, ma fiancée,<br />

tu me ravis le cœur par l’un de tes regards, par l’un des colliers de ton cou.<br />

Que de charmes dans ton amour, ma sœur, ma fiancée !<br />

Comme ton amour vaut mieux que le vin,<br />

et combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates !<br />

Tes lèvres <strong>dis</strong>tillent le miel, ma fiancée ;<br />

il y a sous ta <strong>la</strong>ngue du miel et du <strong>la</strong>it,<br />

et l’odeur de tes vêtements est comme l’odeur du Liban.<br />

Tu es un jardin fermé, ma sœur, ma fiancée, une source fermée, une fontaine scellée.<br />

Tes eaux forment un jardin, où sont des grenadiers, avec les fruits les plus excellents,<br />

les troènes avec le nard ;<br />

Le nard et le safran, le roseau aromatique et le cinnamome,<br />

avec tous les arbres qui donnent l’encens, <strong>la</strong> myrrhe et l’aloès,<br />

et les plus puissants des aromates ;<br />

Une fontaine des jardins, une source d’eaux vives, des ruisseaux du Liban.<br />

Lève-toi, aquilon ! Viens, autan !<br />

Soufflez sur mon jardin, et que les parfums s’en exhalent !<br />

Que mon bien-aimé entre dans son jardin,<br />

Et qu’il mange de ses fruits excellents !<br />

J’entre dans mon jardin, ma sœur, ma fiancée !<br />

Je cueille ma myrrhe avec mes aromates,<br />

je mange mon rayon de miel avec mon miel,<br />

je bois mon vin avec mon <strong>la</strong>it...<br />

Mangez, amis, buvez,<br />

enivrez-vous d’amour !<br />

J’étais endormie, mais mon cœur veil<strong>la</strong>it...<br />

C’est <strong>la</strong> voix de mon bien-aimé, qui frappe :<br />

159


Ouvre-<strong>moi</strong>, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite !<br />

Car ma tête est couverte de rosée, mes boucles sont pleines des gouttes de <strong>la</strong> nuit.<br />

J’ai ôté ma tunique ; comment <strong>la</strong> remettrais-je ?<br />

J’ai <strong>la</strong>vé mes pieds ; comment les salirais-je ?<br />

Mon bien-aimé a passé <strong>la</strong> main par <strong>la</strong> fenêtre,<br />

et mes entrailles se sont émues pour lui.<br />

Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé !<br />

Et de mes mains a dégoutté <strong>la</strong> myrrhe de mes doigts,<br />

<strong>la</strong> myrrhe répandue sur <strong>la</strong> poignée du verrou.<br />

J’ai ouvert à mon bien-aimé !<br />

Mais mon bien-aimé s’en était allé, il avait <strong>dis</strong>paru.<br />

J’étais hors de <strong>moi</strong>, quand il me par<strong>la</strong>it.<br />

Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé,<br />

je l’ai appelé, et il ne m’a point répondu !<br />

Les gardes qui font <strong>la</strong> ronde dans <strong>la</strong> ville m’ont rencontrée !<br />

Ils m’ont frappée, ils m’ont blessée ;<br />

ils m’ont enlevé mon voile, les gardes des murs.<br />

Je vous en conjure, filles de Jérusalem,<br />

si vous trouvez mon bien-aimé, que lui direz-vous ?...<br />

Que je suis ma<strong>la</strong>de d’amour.<br />

Qu’a ton bien-aimé de plus qu’un autre, O <strong>la</strong> plus belle des femmes ?<br />

Qu’a ton bien-aimé de plus qu’un autre, pour que tu <strong>nous</strong> conjures ainsi ? –<br />

Mon bien-aimé est b<strong>la</strong>nc et vermeil, il se <strong>dis</strong>tingue entre dix mille.<br />

Sa tête est de l’or pur ; ses boucles sont flottantes, noires comme le corbeau.<br />

Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux,<br />

se baignant dans le <strong>la</strong>it, reposant au sein de l’abondance.<br />

Ses joues sont comme un parterre d’aromates, une couche de p<strong>la</strong>ntes odorantes ;<br />

ses lèvres sont des lis, d’où découle <strong>la</strong> myrrhe.<br />

Ses mains sont des anneaux d’or, garnis de chrysolithes ;<br />

son corps est de l’ivoire poli, couvert de saphirs.<br />

Ses jambes sont des colonnes de marbre b<strong>la</strong>nc, posées sur des bases d’or pur.<br />

Son aspect est comme le Liban, <strong>dis</strong>tingué comme les cèdres.<br />

Son pa<strong>la</strong>is n’est que douceur, et toute sa personne est pleine de charme.<br />

Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, Filles de Jérusalem ! –<br />

Où est allé ton bien-aimé, O <strong>la</strong> plus belle des femmes ?<br />

De quel côté ton bien-aimé s’est-il dirigé ?<br />

Nous le chercherons avec toi.<br />

Mon bien-aimé est descendu à son jardin, au parterre d’aromates,<br />

pour faire paître son troupeau dans les jardins, et pour cueillir des lis.<br />

Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à <strong>moi</strong> !<br />

Il fait paître son troupeau parmi les lis.<br />

Tu es belle, mon amie, comme Thirtsa, agréable comme Jérusalem,<br />

mais terrible comme des troupes sous leurs bannières.<br />

Détourne de <strong>moi</strong> tes yeux, car ils me troublent.<br />

Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, suspendues aux f<strong>la</strong>ncs de Ga<strong>la</strong>ad.<br />

Tes dents sont comme un troupeau de brebis, qui remontent de l’abreuvoir :<br />

toutes portent des jumeaux, aucune d’elles n’est stérile.<br />

Ta joue est comme une <strong>moi</strong>tié de grenade, derrière ton voile...<br />

160


Il y a soixante reines, quatre-vingts concubines, et des jeunes filles sans nombre !<br />

Une seule est ma colombe, ma parfaite !<br />

Elle est l’unique de sa mère, <strong>la</strong> préférée de celle qui lui donna le jour.<br />

Les jeunes filles <strong>la</strong> voient, et <strong>la</strong> <strong>dis</strong>ent heureuse,<br />

les reines et les concubines aussi, et elles <strong>la</strong> louent.<br />

Qui est celle qui apparaît comme l’aurore, belle comme <strong>la</strong> lune, pure comme le soleil,<br />

mais terrible comme des troupes sous leurs bannières ?<br />

Je suis descendue au jardin des noyers, pour voir <strong>la</strong> verdure de <strong>la</strong> vallée,<br />

pour voir si <strong>la</strong> vigne pousse, si les grenadiers fleurissent.<br />

Je ne sais, mais mon désir m’a rendue semb<strong>la</strong>ble aux chars de mon noble peuple.<br />

Reviens, reviens, Su<strong>la</strong>mithe ! Reviens, reviens, afin que <strong>nous</strong> te regardions.<br />

Qu’avez-vous à regarder <strong>la</strong> Su<strong>la</strong>mithe comme une danse de deux chœurs ?<br />

Que tes pieds sont beaux dans ta chaussure, fille de prince !<br />

Les contours de ta hanche sont comme des colliers, œuvre des mains d’un artiste.<br />

Ton sein est une coupe arrondie, où le vin parfumé ne manque pas :<br />

ton corps est un tas de froment, entouré de lis.<br />

Tes deux seins sont comme deux faons, comme les jumeaux d’une gazelle.<br />

Ton cou est comme une tour d’ivoire,<br />

tes yeux sont comme les étangs de Hesbon, près de <strong>la</strong> porte de Bath Rabbim,<br />

ton nez est comme <strong>la</strong> tour du Liban, qui regarde du côté de Damas.<br />

Ta tête est élevée comme le Carmel, et les cheveux de ta tête sont comme <strong>la</strong> pourpre :<br />

un roi est enchaîné par des boucles !...<br />

Que tu es belle, que tu es agréable, O mon amour, au milieu des délices !<br />

Ta taille ressemble au palmier, et tes seins à des grappes.<br />

Je me <strong>dis</strong> : Je monterai sur le palmier, j’en saisirai les rameaux !<br />

Que tes seins soient comme les grappes de <strong>la</strong> vigne,<br />

le parfum de ton souffle comme celui des pommes.<br />

Et ta bouche comme un vin excellent<br />

qui coule aisément pour mon bien-aimé, et glisse sur les lèvres de ceux qui s’endorment !<br />

Je suis à mon bien-aimé, et ses désirs se portent vers <strong>moi</strong>.<br />

Viens, mon bien-aimé, sortons dans les champs, demeurons dans les vil<strong>la</strong>ges !<br />

Dès le matin <strong>nous</strong> irons aux vignes, <strong>nous</strong> verrons si <strong>la</strong> vigne pousse,<br />

si <strong>la</strong> fleur s’ouvre, si les grenadiers fleurissent.<br />

Là je te donnerai mon amour !<br />

Les mandragores répandent leur parfum,<br />

et <strong>nous</strong> avons à nos portes tous les meilleurs fruits, nouveaux et anciens :<br />

Mon bien-aimé, je les ai gardés pour toi.<br />

Oh ! Que n’es-tu mon frère, al<strong>la</strong>ité des mamelles de ma mère !<br />

Je te rencontrerais dehors, je t’embrasserais,<br />

et l’on ne me mépriserait pas.<br />

Je veux te conduire, t’amener à <strong>la</strong> maison de ma mère !<br />

Tu me donneras tes instructions, et je te ferai boire du vin parfumé, du moût de mes grenades.<br />

Que sa main gauche soit sous ma tête,<br />

Et que sa droite m’embrasse !<br />

Je vous en conjure, filles de Jérusalem,<br />

ne réveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’elle le veuille.<br />

Qui est celle qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ?<br />

Je t’ai réveillée sous le pommier :<br />

là ta mère t’a enfantée, c’est là qu’elle t’a enfantée, qu’elle t’a donné le jour.<br />

161


Mets-<strong>moi</strong> comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras !<br />

Car l’amour est fort comme <strong>la</strong> mort,<br />

<strong>la</strong> jalousie est inflexible comme le séjour des morts :<br />

ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une f<strong>la</strong>mme de l’Éternel.<br />

Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas !<br />

Quand un homme offrirait tous les biens de sa maison contre l’amour,<br />

il ne s’attirerait que le mépris !<br />

Nous avons une petite sœur, qui n’a point encore de mamelles :<br />

que ferons-<strong>nous</strong> de notre sœur, le jour où on <strong>la</strong> recherchera ?<br />

Si elle est un mur, <strong>nous</strong> bâtirons sur elle des créneaux d’argent !<br />

Si elle est une porte, <strong>nous</strong> <strong>la</strong> fermerons avec une p<strong>la</strong>nche de cèdre.<br />

Je suis un mur, et mes seins sont comme des tours !<br />

J’ai été à ses yeux comme celle qui trouve <strong>la</strong> paix !<br />

Salomon avait une vigne à Baal Hamon ;<br />

il remit <strong>la</strong> vigne à des gardiens ; chacun apportait pour son fruit mille sicles d’argent !<br />

Ma vigne à <strong>moi</strong>, je <strong>la</strong> garde.<br />

À toi, Salomon, les mille sicles,<br />

Et deux cents à ceux qui gardent le fruit !<br />

Habitante des jardins !<br />

Des amis prêtent l’oreille à ta voix.<br />

Daigne me <strong>la</strong> faire entendre !<br />

Fuis, mon bien-aimé !<br />

Sois semb<strong>la</strong>ble à <strong>la</strong> gazelle ou au faon des biches,<br />

Sur les montagnes des aromates !<br />

162


Osée & Gomer : Pour l’exemple<br />

Os 1,1-3,5<br />

La parole de l’Éternel fut adressée à Osée, fils de Beéri, au temps d’Ozias, de Jotham, d’Achaz,<br />

d’Ézéchias, rois de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d’Israël.<br />

C’était l’époque où les Hébreux étaient divisés en deux royaumes : celui du Nord, Israël, et celui<br />

du Sud, Juda, avec des rois qui se faisaient <strong>la</strong> guerre entre eux, non contents d’être déjà chacun en<br />

guerre avec les royaumes qui les entouraient ! Temps de confusion et de folie, de décadence et de<br />

misère. Temps d’abandon de l’Éternel, chacun courant après des <strong>dieu</strong>x étrangers, comme les mouches<br />

sur les cadavres. Le peuple et ses rois étaient en décomposition !<br />

La première fois que l’Éternel adressa <strong>la</strong> parole à Osée, voici ce qu’il lui dit : Prends pour<br />

femme une prostituée et fais des enfants de prostitution : car le pays se prostitue, il abandonne<br />

l’Éternel !<br />

Osée prit comme femme, Gomer, fille de Dib<strong>la</strong>ïm. Elle conçut et lui enfanta un fils.<br />

Et l’Éternel dit alors : Appelle-le du nom de Jezréel ; car encore un peu de temps, et je châtierai<br />

<strong>la</strong> maison de Jéhu pour le sang versé à Jezréel, je mettrai fin au royaume de <strong>la</strong> maison d’Israël… Ce<br />

jour-là, je briserai l’arc d’Israël dans <strong>la</strong> vallée de Jezréel.<br />

Gomer conçut de nouveau, et enfanta une fille à Osée. Et l’Éternel ordonna à Osée : Donne-lui<br />

le nom de Lo Ruchama (« Pas de pitié »); car je n’aurai plus pitié de <strong>la</strong> maison d’Israël, je ne lui<br />

pardonnerai plus. En revanche j’aurai pitié de <strong>la</strong> maison de Juda ; je les sauverai par <strong>moi</strong>-même,<br />

l’Éternel, leur Dieu, et non par l’arc, ni par l’épée, ni par les combats, ni par les chevaux, ni par les<br />

cavaliers.<br />

Gomer sevra Lo Ruchama ; puis elle conçut, et enfanta à Osée un deuxième fils. Comme on<br />

voit, Osée avançait sur ce chemin tant que l’Éternel ne lui dit pas d’arrêter ! Et l’Éternel lui dit enfin :<br />

Donne-lui le nom de Lo Ammi(« Pas mon Peuple ») ; car vous n’êtes pas mon peuple, et je ne suis pas<br />

votre Dieu. »<br />

L’Eternel, toujours aussi surprenant dans ses voies comme dans ses déc<strong>la</strong>rations, annonça :<br />

N’ayez crainte : le nombre des enfants d’Israël sera comme le sable de <strong>la</strong> mer, qui ne peut ni se<br />

mesurer ni se compter ; et au lieu qu’on leur <strong>dis</strong>ait : « Vous n’êtes pas mon peuple ! », on les<br />

nommera : « Filles et Fils du Dieu vivant ». Oui, les enfants de Juda et les enfants d’Israël se<br />

rassembleront, se donneront un chef, et sortiront du pays ; car grande sera <strong>la</strong> journée de Jezréel.<br />

Dites à vos frères : « Ammi » (mon peuple) Et à vos sœurs : « Ruchama » (Pitié).<br />

P<strong>la</strong>idez, p<strong>la</strong>idez contre votre mère, car elle n’est point ma femme, et je ne suis point son mari.<br />

Qu’elle <strong>la</strong>isse là ses prostitutions, et purifie son sein de ses adultères.<br />

Sinon, je <strong>la</strong> dépouille à nu, je <strong>la</strong> mets comme au jour de sa naissance, je <strong>la</strong> rends semb<strong>la</strong>ble à un<br />

désert, à une terre aride, et je <strong>la</strong> fais mourir de soif ; et je n’aurai pas pitié de ses enfants, car ce sont<br />

des enfants de prostitution.<br />

Oui, leur mère s’est prostituée, celle qui les a conçus s’est déshonorée. Elle a dit : « J’irai après<br />

mes amants, qui me donnent mon pain et mon eau, ma <strong>la</strong>ine et mon lin, mon huile et ma boisson ».<br />

C’est pourquoi je vais fermer son chemin avec des épines et y élever un mur, pour qu’elle ne<br />

trouve plus ses sentiers. Elle poursuivra ses amants, et ne les atteindra pas ; elle les cherchera, et ne<br />

les trouvera pas. Alors elle dira : « Je vais retourner vers mon premier mari, car alors j’étais plus<br />

heureuse que maintenant. »<br />

Elle n’a pas reconnu que c’était <strong>moi</strong> qui lui donnais le blé, le moût et l’huile ; et elle a consacré<br />

au service de Baal l’argent et l’or que je lui prodiguais.<br />

C’est pourquoi je reprendrai mon blé en son temps et mon moût dans sa saison, et j’enlèverai<br />

ma <strong>la</strong>ine et mon lin qui devaient couvrir sa nudité.<br />

Maintenant je vais découvrir sa honte aux yeux de ses amants, et nul ne <strong>la</strong> délivrera de ma<br />

main.<br />

163


Je vais faire cesser toute sa joie, ses fêtes, ses nouvelles lunes, ses sabbats et toutes ses<br />

solennités.<br />

Je vais ravager ses vignes et ses figuiers, dont elle <strong>dis</strong>ait : « C’est le sa<strong>la</strong>ire que m’ont donné<br />

mes amants ! » Je les réduirai en une forêt, et les bêtes des champs les dévoreront.<br />

Je <strong>la</strong> châtierai pour les jours où elle encensait les Baals, où elle se paraît de ses anneaux et de<br />

ses colliers, al<strong>la</strong>it après ses amants, et m’oubliait, dit l’Éternel.<br />

C’est pourquoi je veux l’attirer et <strong>la</strong> conduire au désert, et je parlerai à son cœur.<br />

Là, je lui donnerai ses vignes et <strong>la</strong> vallée d’Acor, comme une porte d’espérance, et là, elle<br />

chantera comme au temps de sa jeunesse, et comme au jour où elle remonta du pays d’Égypte.<br />

En ce jour-là, dit l’Éternel, tu m’appelleras : « Mon mari » Et tu ne m’appelleras plus : « Mon<br />

maître. »<br />

J’ôterai de sa bouche les noms des Baals, qu’on ne les mentionne plus par leurs noms.<br />

Ce jour-là, je briserai dans le pays l’arc, l’épée et <strong>la</strong> guerre, et je les ferai reposer avec<br />

sécurité.<br />

Je serai ton fiancé pour toujours ; je serai ton fiancé par <strong>la</strong> justice, <strong>la</strong> droiture, <strong>la</strong> grâce et <strong>la</strong><br />

miséricorde ; je serai ton fiancé par <strong>la</strong> fidélité, et tu reconnaîtras l’Éternel.<br />

En ce jour-là, j’exaucerai, dit l’Éternel, j’exaucerai les cieux, et ils exauceront <strong>la</strong> terre ; <strong>la</strong> terre<br />

exaucera le blé, le moût et l’huile, et ils exauceront Jezréel.<br />

Je p<strong>la</strong>nterai pour <strong>moi</strong> Lo Ruchama dans le pays, et je lui ferai miséricorde ; je dirai à Lo<br />

Ammi : « Tu es mon peuple. » Et il répondra : « Mon Dieu. »<br />

L’Éternel me dit, rapporte Osée : Aime encore une femme dotée d’un amant, et en plus<br />

adultère ; aime-<strong>la</strong> comme l’Éternel aime les enfants d’Israël, qui se tournent vers d’autres <strong>dieu</strong>x et qui<br />

aiment les gâteaux de raisins.<br />

Alors j’achetai cette femme pour quinze sicles d’argent, un homer d’orge et un léthec d’orge. Et<br />

je lui <strong>dis</strong> : Reste avec <strong>moi</strong>, ne te livre pas à <strong>la</strong> prostitution, ne sois à aucun homme, et je serai de même<br />

envers toi.<br />

Car les enfants d’Israël resteront longtemps sans roi, sans chef, sans sacrifice, sans statue, sans<br />

éphod, et sans téraphim (tabliers et tuniques liturgiques). Mais ils finiront par revenir ; ils chercheront<br />

l’Éternel, leur Dieu, et David, leur roi ; et ils tressailliront d’allégresse à <strong>la</strong> vue de l’Éternel et de sa<br />

bonté, dans <strong>la</strong> suite des temps.<br />

164


Joseph & Marie, Zacharie et Élisabeth : L’inattendu !<br />

Mt 1,18-[25]2,23//Lc1, 5-2,52<br />

Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham :<br />

Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob,<br />

Jacob engendra Juda et ses frères,<br />

Juda engendra Pharès et Zara, de Tamar,<br />

Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram,<br />

Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naason,<br />

Naason engendra Salmon, Salmon engendra Booz, de Rahab,<br />

Booz engendra Jobed, de Ruth, Jobed engendra Jessé,<br />

Jessé engendra le Roi David.<br />

David engendra Salomon, de <strong>la</strong> femme d’Uri,<br />

Salomon engendra Roboam,<br />

Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa, Asa engendra Josaphat,<br />

Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias,<br />

Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Achaz,<br />

Achaz engendra Ezéchias, Ezéchias engendra Manassé,<br />

Manassé engendra Amon, Amon engendra Josias,<br />

Josias engendra Jéchonias et ses frères,<br />

Ce fut alors <strong>la</strong> déportation à Babylone.<br />

Après <strong>la</strong> déportation à Babylone, Jéronias engendra Sa<strong>la</strong>thiel,<br />

Sa<strong>la</strong>thiel engendra Zorobabel, Zorobabel engendra Abioud,<br />

Abioud engendra Eliakim, Eliakim engendra Azor,<br />

Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akhim,<br />

Akhim engendra Elioud, Elioud engendra Eléazar,<br />

Eléazar engendra Matthan, Matthan engendra Jacob,<br />

Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de <strong>la</strong>quelle naquit<br />

Jésus que l’on appelle Christ.<br />

D’après les calculs de Matthieu, il y aurait donc eu quatorze générations depuis Abraham<br />

jusqu’à David ; encore quatorze depuis David jusqu’à <strong>la</strong> déportation de Babylone ; et enfin quatorze<br />

depuis cette époque jusqu’à <strong>la</strong> naissance de Jésus. Quand on pense que, d’après <strong>la</strong> mentalité juive,<br />

sept est un chiffre parfait, on comprend que « deux fois sept » – quatorze donc – deviennent le<br />

chiffre plus que parfait ! Si on ajoute, comme le fera Saint Augustin plus tard, que ces trois séries de<br />

quatorze générations donnent le chiffre quarante-deux, et que quarante-deux est le produit de sept<br />

(chiffre parfait) par six (chiffre imparfait), on conclut inévitablement (enfin, Augustin conclut !) que<br />

quarante-deux est le produit de l’imperfection de l’homme et de <strong>la</strong> perfection de Dieu : Jésus, Fils de<br />

l’Homme et Fils de Dieu !<br />

De toute façon – continue Matthieu – voici comment Jésus, le Christ est né.<br />

Marie, sa mère, était fiancée à Joseph, mais avant qu’ils ne soient mariés et n’aient vécu<br />

ensemble, Marie se trouva enceinte de par <strong>la</strong> volonté et <strong>la</strong> puissance de Dieu. Joseph, son promis,<br />

était un homme de foi, et il n’avait nullement l’intention de <strong>la</strong> dénoncer publiquement ce qui aurait<br />

eu pour effet de <strong>la</strong> déshonorer au <strong>moi</strong>ns, et au plus de <strong>la</strong> livrer à une condamnation pouvant entraîner<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>pidation. C’est qu’on ne p<strong>la</strong>isantait pas avec les choses du sexe, à cette époque, où <strong>la</strong> femme<br />

entièrement livrée au bon vouloir machiste, n’avait d’autre droit que celui de fille, sœur, épouse ou<br />

mère. Un point c’est tout !<br />

165


Sachant fort bien que Marie était une fille sérieuse, ce qui arrivait, tout incompréhensible que<br />

ce<strong>la</strong> pût paraître, ne pouvait le faire douter de l’honnêteté de sa fiancée. Il s’en ouvrit à ses ex-futursvrais-faux-beaux-parents,<br />

qui comprirent fort bien <strong>la</strong> situation. Mais <strong>la</strong> nuit qui suivit, Joseph eut un<br />

songe. Une voix qui faisait briller <strong>la</strong> nuit lui répétait : Joseph, descendant de David, n’aie pas peur<br />

de prendre Marie pour épouse, car c’est de <strong>la</strong> vie même de Dieu qu’elle est enceinte. Elle mettra au<br />

monde un fils que tu appelleras Jésus, et comme ce nom l’indique, il apportera le salut et le pardon<br />

à tout le peuple.<br />

Matthieu ajoute que tout ce<strong>la</strong> arriva pour que se réalise ce qu’avait annoncé le prophète Isaïe :<br />

Une femme se trouvera enceinte<br />

et elle mettra au monde un fils<br />

qu’on appellera Emmanuel,<br />

nom qui signifie : Dieu est avec <strong>nous</strong>.<br />

Quand Joseph se réveil<strong>la</strong> de son songe, il fit exactement ce qu’il avait entendu. Il se maria avec<br />

Marie, mais se garda bien d’avoir des re<strong>la</strong>tions avec elle, jusqu’à ce qu’elle ait mis au monde son fils,<br />

que Joseph appe<strong>la</strong> Jésus.<br />

Parallèlement à ces évènements mystérieux, une autre histoire s’était mise en route dans le petit<br />

vil<strong>la</strong>ge d’Aïn Karem, abrité sur le f<strong>la</strong>nc d’une colline couverte d’oliviers, à quelques kilomètres au sud<br />

de Jérusalem, où habitaient un certain Zacharie et sa femme, Élisabeth, cousine âgée de Maie de<br />

Nazareth : tous deux descendaient d’une famille célèbre pour son attachement traditionnel au service<br />

du Temple. Chacun les connaissait pour leur honnêteté et leur piété. Seulement, voilà, Élisabeth ne<br />

pouvait pas avoir d’enfant et ils avaient abandonné l’espoir d’en avoir jamais, car ils se faisaient vieux.<br />

Or, un jour que Zacharie était de service, le sort le désigna pour aller brûler l’encens dans <strong>la</strong><br />

partie <strong>la</strong> plus secrète du Temple, le Saint des Saints, fermée par une immense tenture aux yeux de tous.<br />

C’est là qu’était conservée <strong>la</strong> fameuse Arche d’Alliance, symbole de <strong>la</strong> présence de Dieu au milieu de<br />

son peuple. Et comme d’habitude, au moment de l’encensement, toute <strong>la</strong> foule du peuple se tenait en<br />

prière, dehors et sur les parvis. Et soudain une voix retentit sous les voûtes du sanctuaire. Zacharie fut<br />

rempli d’effroi. Mais <strong>la</strong> voix <strong>dis</strong>ait : Ne crains rien, Zacharie. Ta demande a été exaucée. Ta femme<br />

Élisabeth t’enfantera un fils, tu l’appelleras Jean. Il sera toute sa joie et beaucoup se réjouiront de sa<br />

naissance. Dieu comptera sur lui. Ton fils lui sera consacré dès sa conception. Il ramènera vers Dieu<br />

les fils d’Israël en préparant leurs esprits et leurs cœurs à recevoir <strong>la</strong> lumière ! Ne sachant dans quelle<br />

direction regarder, Zacharie répondit : Je veux une preuve car ma femme et <strong>moi</strong>-même sommes des<br />

vieil<strong>la</strong>rds maintenant - Eh bien, soit répondit <strong>la</strong> voix : Puisque tu ne me crois pas sur parole, tu<br />

resteras muet jusqu’au jour où tout ce<strong>la</strong> arrivera. Et ce fut tout !<br />

Dehors, l’on s’étonnait que Zacharie s’attarde si longtemps dans le Temple. Mais quand il<br />

réapparut, en voyant qu’il ne pouvait plus parler, on comprit qu’il s’était passé quelque chose.<br />

Zacharie essaya bien de s’expliquer par signes, mais personne ne comprit quoi que ce soit : il termina<br />

sa période de service puis retourna chez lui, à Aïn-Karem.<br />

Quelque temps après, Élisabeth dut admettre qu’elle attendait un enfant. Elle en fut tellement<br />

troublée, et Zacharie avec elle, qu’elle ne sortit plus de chez elle, se demandant comment tout ce<strong>la</strong><br />

al<strong>la</strong>it bien pouvoir se terminer. Un jour, alors qu’elle était déjà enceinte de six à sept <strong>moi</strong>s, Élisabeth<br />

vit arriver chez elle sa jeune cousine Marie qui, sans crier gare, débarqua d’une caravane à <strong>la</strong>quelle<br />

elle s’était jointe une semaine plus tôt à Nazareth, et qui continuait vers Beersheba et le désert du<br />

Néguev en direction de l’Égypte. À <strong>la</strong> vue de Marie, l’enfant remua pour <strong>la</strong> première fois dans le<br />

ventre d’Élisabeth. Et Élisabeth poussa un grand cri de joie. Marie se jeta dans ses bras, mê<strong>la</strong>nt sa<br />

propre joie à celle de sa cousine. Et <strong>la</strong> voix de Marie s’éleva, tan<strong>dis</strong> que le temps, soudain, se<br />

suspendait à ses lèvres.<br />

Ma vie chante le Seigneur,<br />

Et l’air que je respire danse en Dieu mon Sauveur :<br />

Il m’a regardée, <strong>moi</strong> qui ne suis rien !<br />

166


Et <strong>la</strong> suite des siècles <strong>raconte</strong>ra ma Joie<br />

Devant le merveilleux cadeau de sa puissance.<br />

Son nom est saint !<br />

Comme est infinie sa tendresse, quand on l’aime.<br />

Avec quelle force, il sait désorienter<br />

Les orgueilleux chez qui l’intelligence<br />

A remp<strong>la</strong>cé le cœur !<br />

Les puissants, il les précipite :<br />

C’est les petits qu’il élève !<br />

Il rassasie les mendiants<br />

Abandonnant les riches à leur vanité.<br />

Il tient à bout de bras son enfant Israël.<br />

Il se souvient de sa tendresse.<br />

Il n’oublie pas sa promesse éternelle<br />

Pour Abraham et ses enfants,<br />

Et les enfants de ses enfants.<br />

Sans plus attendre, elles s’assirent sous <strong>la</strong> grande treille qui couvrait tout l’auvent de <strong>la</strong> maison.<br />

Et tan<strong>dis</strong> que montait l’étoile du berger dans <strong>la</strong> soirée bleutée du printemps précoce, Marie et<br />

Élisabeth, en chuchotant, se confièrent les mystères et les espérances de leurs maternités.<br />

Comment as-tu su que j’attendais un enfant à mon âge ?, demandait Élisabeth.<br />

Oh, comment t’expliquer ? répondait Marie. C’est une voix que j’ai entendue, il y a quelque<br />

temps, chez <strong>moi</strong> à Nazareth. Et cette voix me <strong>dis</strong>ait des choses extraordinaires : que Dieu était avec<br />

<strong>moi</strong>, et que bientôt le fils de Dieu serait en <strong>moi</strong>, et que je devrais l’appeler Jésus. Et beaucoup<br />

d’autres choses encore que je n’ai pas très bien comprises sur sa vie et sur son règne. Et comme je<br />

m’en étonnais puisque, tu dois savoir, je ne suis pas encore mariée avec Joseph, on m’a donné comme<br />

preuve, toi ma cousine, qui, comme je le constate effectivement, attends un enfant malgré ton âge...<br />

Ah ! Élisabeth ! Que tout ce<strong>la</strong> est mystérieux, mais que je suis heureuse !<br />

Elles se serrèrent l’une contre l’autre.<br />

Pourtant Marie continua : Mais comment as-tu deviné, que <strong>moi</strong> aussi, j’attends un enfant, je<br />

n’en suis qu’au début ? Alors, Élisabeth, les yeux pleins de <strong>la</strong>rmes à cause de sa propre ignorance,<br />

répondit : Marie, je n’en sais rien ! Je sais seulement que j’en suis sûre et que le fils que tu portes est<br />

le fruit de <strong>la</strong> promesse que Dieu a faite à son peuple... Marie, j’ignore ce qui <strong>nous</strong> arrive ; j’ignore ce<br />

qu’il adviendra au juste de nos enfants. Tout ceci <strong>nous</strong> dépasse : que Dieu <strong>nous</strong> protège !<br />

Marie pencha sa tête sur l’épaule d’Élisabeth. Elles ne dirent plus rien. Élisabeth prit <strong>la</strong> main de<br />

Marie et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ça sur son ventre : l’enfant était là, bien vivant. La jeune Marie sentit monter et grandir<br />

en elle tout un peuple de souvenirs, depuis Abraham l’Araméen jusqu’au petit Jean qui remuait. Puis<br />

elle sombra dans le sommeil, vaincue par <strong>la</strong> fatigue du voyage.<br />

Marie resta avec Élisabeth jusqu’à l’accouchement. Quelle joie quand on vit que c’était un<br />

garçon. Tout le vil<strong>la</strong>ge se réjouit avec Élisabeth. Et on prépara le baptême qui devait avoir lieu huit<br />

jours après.<br />

Tout le monde s’attendait à ce qu’on l’appelle Zacharie comme son père. Mais Élisabeth dit :<br />

Non, il s’appellera Jean ! Les voisins répliquèrent : Mais dans ta famille, personne ne s’appelle Jean !<br />

On se retourna alors vers Zacharie qui réc<strong>la</strong>ma une tablette et il écrivit sur <strong>la</strong> tablette : Jean ! Et tous<br />

de s’étonner ! Mais soudain sa bouche s’ouvrit, sa <strong>la</strong>ngue se délia et Zacharie se mit à danser et à<br />

chanter pour remercier Dieu. Vous imaginez <strong>la</strong> panique des voisins devant <strong>la</strong> cascade d’évènements<br />

que l’on commenta longtemps dans les collines des alentours. Et chacun se demandait : Que sera donc<br />

cet enfant ?<br />

L’Esprit semb<strong>la</strong> alors tomber sur Zacharie qui se mit à improviser un chant de fête :<br />

Le Seigneur est béni.<br />

Vive le Dieu d’Israël<br />

Qui rend visite à son Peuple pour le ramener à lui !<br />

Il fait sonner pour <strong>nous</strong> les trompettes de <strong>la</strong> Vie<br />

Dans <strong>la</strong> maison de David, son enfant.<br />

167


Il l’a promis depuis toujours,<br />

Par <strong>la</strong> bouche sainte de ceux qu’il inspire,<br />

Le Salut qui <strong>nous</strong> sauve des mains de nos ennemis.<br />

Il vient faire <strong>la</strong> paix avec notre race !<br />

Il ne peut oublier l’Alliance sacrée,<br />

Son serment juré à Abraham notre Père :<br />

Délivrés de <strong>la</strong> guerre et de <strong>la</strong> peur,<br />

Que <strong>nous</strong> soyons à son service,<br />

Revêtus devant Lui de Sainteté et de Justice,<br />

Tous les jours de notre vie...<br />

Et toi, petit enfant,<br />

Ton nom sera : Prophète du Dieu Sublime !<br />

Oui, tu monteras devant lui pour lui ouvrir <strong>la</strong> Route,<br />

Et préparer son Peuple au Salut qu’il lui offre<br />

Quand il pardonne !<br />

Dans son Amour fou,<br />

Il viendra tout droit dans le soleil levant<br />

Se montrer aux gisants de <strong>la</strong> mort obscure,<br />

Et conduire nos pas sur un chemin de Paix !<br />

Il se passait, en effet, des choses étranges ! Puis tout semb<strong>la</strong> rentrer de nouveau dans l’ordre. Du<br />

<strong>moi</strong>ns pendant un certain temps. Chacun avait le sentiment que Jean se préparait à quelque chose.<br />

Mais à quoi ?...<br />

En effet, c’était plutôt le bruit et <strong>la</strong> fureur qui régnaient en Galilée, carrefour des nations, quand<br />

parut l’édit de César-Auguste, prescrivant le recensement de toute <strong>la</strong> terre. À cette époque, l’empire<br />

romain s’étendait de Scotia (l’Écosse) à Mauritania (Mauritanie) et de Germania (Allemagne) à Nubia<br />

(Nubie). À l’Est, on n’a jamais su très bien s’il s’arrêtait à l’Euphrate, à l’Indus ou à l’Hima<strong>la</strong>ya. Mais<br />

ce que <strong>nous</strong> savons, c’est que ce<strong>la</strong> occasionnait un mouvement incessant des légions ; avec elles<br />

bougeaient aussi des peup<strong>la</strong>des entières qui les approvisionnaient. Ce<strong>la</strong> provoquait inévitablement un<br />

ensemble de dép<strong>la</strong>cements que l’administration centrale, à Rome, ne pouvait plus contrôler. C’était<br />

devenu un tel méli-mélo du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, de Saxons, de Pictes et de Germains qui<br />

s’établissaient dans le Midi ; d’Arabes, d’Égyptiens et de Grecs qui émigraient au-delà des Alpes.<br />

C’était devenu un tel brassage que l’empereur avait décidé ce recensement de l’empire. C’était le<br />

premier. Bien sûr, personne ne savait comment ce<strong>la</strong> al<strong>la</strong>it se passer. Les fonctionnaires et les<br />

bureaucrates de <strong>la</strong> capitale avaient fini par mettre au point une méthode : chacun devait aller se faire<br />

inscrire dans sa ville, c’est-à-dire dans sa ville d’origine, celle de ses ancêtres, bref, sa ville patrie.<br />

Ainsi chacun rentrerait chez soi.<br />

C’est pourquoi, Joseph quitta <strong>la</strong> ville de Nazareth, en Galilée, là où il tenait sa petite entreprise<br />

de charpenterie, pour monter en Judée, au sud de Jérusalem, jusqu’à <strong>la</strong> ville de David, Bethléem, parce<br />

qu’il était lui aussi de <strong>la</strong> famille de David. Comme il était marié avec Marie, il devait y aller avec elle.<br />

Et Marie était enceinte.<br />

Alors qu’habituellement il y avait déjà grande circu<strong>la</strong>tion entre les gens du Sud qui émigraient<br />

au Nord et les gens du Nord qui s’établissaient dans le Sud, ces dép<strong>la</strong>cements, occasionnés par le<br />

recensement, devinrent <strong>la</strong> goutte qui fit déborder le vase : embouteil<strong>la</strong>ges sur les voies romaines, files<br />

interminables aux postes de douane, contrôles de police épuisants. D’autant que l’occupant, craignant<br />

quelque émeute ou même une révolte à l’occasion de ces chamboulements, avait dépêché des renforts<br />

dans toutes les garnisons de l’empire... alerte rouge ! Voilà dans quelle bouscu<strong>la</strong>de Marie et Joseph<br />

arrivèrent un soir à Bethléem, dont <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion avait soudain décuplé.<br />

Vous connaissez l’histoire : hôtels complets, pas de chambre chez les particuliers. Joseph<br />

n’avait pas réservé, il devait croire aux miracles... Les douleurs arrivent et un éleveur compréhensif<br />

met une grotte-bergerie à <strong>la</strong> <strong>dis</strong>position du jeune couple imprévoyant.<br />

168


Je ne sais quelle heure il pouvait être, mais c’était <strong>la</strong> pleine nuit. Ce qui surprit les bergers des<br />

alentours qui veil<strong>la</strong>ient à <strong>la</strong> garde leurs troupeaux, ce n’est pas le silence, ourlé de temps en temps du<br />

bêlement frêle d’une brebis aux prises avec un cauchemar. Ce n’est pas non plus les <strong>la</strong>mbeaux d’une<br />

mélopée <strong>la</strong>nguissante que le vent de <strong>la</strong> nuit transportait en plein champ, depuis les braseros de<br />

Bethléem autour desquels campaient des étrangers. Ce n’est pas le cri rauque d’un centurion romain<br />

patrouil<strong>la</strong>nt au sud de <strong>la</strong> capitale à <strong>la</strong> tête d’une escouade...<br />

Ce qui surprit les bergers, c’est que soudain le silence se mit à leur parler. Une espèce<br />

d’éblouissement d’étoiles qui tinta dans leur cœur assoupi et craintif. Ce n’était que des bergers.<br />

Pourtant l’air frisquet résonna de paroles de joie cristalline : Écoutez <strong>la</strong> nouvelle bien douce qui vaut<br />

pour chacun : voilà qu’il est né aujourd’hui, à Bethléem, celui que vous attendez. Vous le reconnaîtrez<br />

facilement, c’est un nouveau-né, couché sur <strong>la</strong> paille ! Et, dans le ciel criblé d’étincelles, sautil<strong>la</strong>ient<br />

toutes les notes de <strong>la</strong> gamme, en majeur et en mineur, avec tous les dièses et les bémols ! Si les bergers<br />

avaient su <strong>la</strong> musique – peut-être certains avaient-ils appris, après tout – on pouvait déchiffrer : Dans<br />

les cieux, gloire à Dieu ; sur <strong>la</strong> terre, paix aux hommes, car Dieu les aime !<br />

C’est lorsqu’ils n’entendirent plus rien que les bergers eurent peur. Ils se regardaient incrédules,<br />

mais comme ils n’étaient sourds ni les uns ni les autres, ils durent reconnaître qu’ils avaient bel et bien<br />

entendu quelque chose. Allons voir si c’est vrai, se dirent-ils, en se précipitant vers Bethléem.<br />

Ils trouvèrent les choses comme on leur avait dit. Ils racontèrent ce qui leur était arrivé. À part<br />

Joseph et Marie qui savaient, les autres restèrent sceptiques. Alors les bergers retournèrent à leurs<br />

troupeaux et attendirent, les oreilles aux aguets, des fois que… Ils ne savaient pas encore que le silence<br />

ne parle qu’une fois !<br />

Huit jours plus tard, une petite cérémonie familiale devait réunir les amis proches : c’était <strong>la</strong><br />

circoncision. Par ce geste, l’enfant, comme chaque petit Israélite, devenait partie intégrante du peuple<br />

choisi de Dieu, suivant le rite inauguré au temps d’Abraham. On lui donna son nom, ce nom que le<br />

messager même de Dieu avait prononcé avant que sa mère ne l’ait conçu au plus profond de son<br />

corps : Jésus, c’est-à-dire « Dieu vient <strong>nous</strong> sauver ».<br />

Puis vinrent les jours de <strong>la</strong> Purification, comme après chaque naissance, dans chaque famille<br />

israélite. La loi de Moise avait prescrit de se rendre à Jérusalem pour présenter l’enfant au Seigneur :<br />

« Tout enfant premier-né sera appelé : Propriété du Seigneur. » À cette occasion, le rite imposait aux<br />

parents d’offrir un sacrifice à Dieu : un couple de tourterelles ou de pigeons, pour les pauvres.<br />

Joseph s’affairait autour des vendeurs quand il vit venir un vieil homme dans sa direction. On<br />

lui souff<strong>la</strong> à l’oreille : C’est Siméon ! Il est toujours dans le temple depuis quelque temps. C’était en<br />

effet un homme connu pour sa piété et sa droiture. Il al<strong>la</strong>it, répétant qu’il attendait le réconfort d’Israël.<br />

On <strong>dis</strong>ait que l’Esprit de Dieu l’habitait. Il lui aurait même assuré qu’il ne mourrait pas avant d’avoir<br />

vu l’envoyé du Seigneur, le Messie Sauveur. Ce matin, ce même Esprit l’avait poussé dans le<br />

sanctuaire. Juste au moment où Joseph et Marie entraient, tenant chacun le petit Jésus par <strong>la</strong> main pour<br />

accomplir le rite de <strong>la</strong> loi, Simon se tint devant eux, les yeux remplis de <strong>la</strong>rmes, le visage illuminé de<br />

joie, les mains tendues vers l’enfant. Sans un mot, Marie et Joseph firent comprendre qu’il pouvait...<br />

Simon prit Jésus dans ses bras. Jésus lui sourit. Alors, <strong>la</strong> tête levée vers <strong>la</strong> fumée des sacrifices,<br />

Siméon, à son tour, entonna une admirable et terrible improvisation :<br />

Dieu, tu peux maintenant me rappeler à Toi !<br />

Tout est bien<br />

Maître, ta promesse se réalise,<br />

Et je vois de mes yeux ton salut pour le monde,<br />

La lumière révélée aux païens,<br />

La gloire de ton peuple Israël.<br />

Marie et Joseph se demandaient ce qui se passait. À leurs yeux étonnés, Siméon les bénit à leur<br />

tour : Votre fils sera, pour Israël, un signe de contestation : beaucoup renieront leur vie, beaucoup<br />

d’autres <strong>la</strong> renouvelleront, à cause de Lui. Et se tournant douloureusement vers Marie : Toi, mère, tu<br />

devras mourir mille morts pour que beaucoup <strong>la</strong>issent parler leur cœur. Un petit attroupement s’était<br />

formé : une femme s’en détacha. On <strong>dis</strong>ait qu’elle était, elle aussi, habitée par l’Esprit de Dieu. C’était<br />

Anne, <strong>la</strong> fille de Phanuel de <strong>la</strong> tribu d’Aser : elle ne comptait plus son âge. Elle avait été mariée sept<br />

169


ans et depuis son veuvage, elle ne quittait plus le sanctuaire. Et bien qu’ayant dépassé les quatre-vingts<br />

ans, elle se consacrait au service du culte en jeûnant et en priant. Elle voulut, elle aussi, se présenter<br />

aux parents de Jésus. Elle se mit à rendre gloire à Dieu. Pourtant, elle se retira aussitôt, pressée d’aller<br />

<strong>raconte</strong>r l’évènement à tous ceux, qui, avec elle, attendaient le salut d’Israël.<br />

Simon se retira aussi. Les gens s’écartèrent. Marie et Joseph terminèrent d’accomplir les<br />

préceptes de <strong>la</strong> Loi. Le lendemain, ils reprenaient <strong>la</strong> route de Galilée pour rejoindre Nazareth. Jésus<br />

gran<strong>dis</strong>sait et devenait un solide garçon. Quelque chose l’habitait qu’on pourrait appeler <strong>la</strong> Sagesse.<br />

En tout cas on pouvait sentir combien Dieu veil<strong>la</strong>it sur lui...<br />

Ce fut ainsi que les mères de Jean et de Jésus, et que leurs pères, Zacharie et Joseph de façon<br />

extraordinaire, étaient devenus, à leur insu, par leurs amours contrariés, les porteurs de toute<br />

l’espérance du monde.<br />

Car Dieu a toujours de drôles de projets, qu’on ne comprend bien, que lorsqu’on ne cherche pas<br />

à comprendre, mais uniquement si l’on fait confiance à celui qui créa le ciel et <strong>la</strong> terre et tout ce qu’ils<br />

contiennent.<br />

Et qui fait danser les mondes !<br />

170


La Samaritaine : L’amour qui cherche<br />

Jn 4, 5-42<br />

Depuis que Jésus avait rencontré son cousin Jean sur le bord du Jourdain, toutes sortes de bruits<br />

couraient sur son compte. On avait remarqué que les <strong>dis</strong>ciples de Jean quittaient ce dernier pour<br />

rejoindre Jésus : Jean les y poussait lui-même d’ailleurs, criant à qui vou<strong>la</strong>it l’entendre qu’il n’était<br />

pas, lui, celui qu’on attendait, mais qu’il lui préparait seulement <strong>la</strong> route. On essaya même de dresser<br />

les deux cousins l’un contre l’autre, en faisant le décompte de leurs <strong>dis</strong>ciples respectifs : comme s’il<br />

s’agissait de ce<strong>la</strong>. Jésus en avait assez : il décida de quitter à nouveau <strong>la</strong> Judée, pour regagner <strong>la</strong><br />

Galilée. Pour prendre au plus court, il lui fal<strong>la</strong>it traverser <strong>la</strong> Samarie. On se mit en route de bon matin,<br />

et vers midi, on arriva à Sychar, (ou Sichem, maintenant Naplouse, en plein territoire palestinien), non<br />

loin de l’endroit où Jacob avait campé ja<strong>dis</strong> et fait creuser un puits qui porte encore son nom. Le soleil<br />

était à <strong>la</strong> verticale : fatigué de <strong>la</strong> route, Jésus se <strong>la</strong>issa tomber au bord du puits. Le <strong>moi</strong>ndre geste était<br />

exténuant à cause de <strong>la</strong> chaleur : Jésus avait fermé les yeux...<br />

Un bruit de sandales. Une femme est là, <strong>la</strong> gargoulette sur l’épaule. Debout dans le soleil. On ne<br />

<strong>dis</strong>tingue pas ses traits : Donne-<strong>moi</strong> à boire, demande Jésus, <strong>la</strong> main sur ses yeux éblouis. Les<br />

<strong>dis</strong>ciples s’étaient rendus en ville pour acheter de quoi manger. Un silence, tout d’abord, comme une<br />

hésitation, une surprise, un étonnement :<br />

— Comment, toi, un Juif, tu me demandes à boire, à <strong>moi</strong>, une Samaritaine ? – Juifs et<br />

Samaritains, en effet, ne pouvaient pas se sentir !<br />

— Si tu savais ce que Dieu peut donner, et si tu savais qui te demande à boire, c’est toi qui<br />

aurais demandé, et il t’aurait donné une eau vive !<br />

— Étranger, tu n’as même pas de seau, et le puits est profond. Où vas-tu <strong>la</strong> prendre, cette eau<br />

vive ? Est-ce que par hasard tu serais plus fort que notre ancêtre Jacob qui <strong>nous</strong> a <strong>la</strong>issé ce<br />

puits, après y avoir bu, lui, ses fils et ses bêtes ?<br />

— Quiconque boit de cette eau-çi aura encore soif mais celui qui boira de l’eau que je lui<br />

donnerai, n’aura plus jamais soif. Bien plus, l’eau que je lui donnerai, deviendra en lui comme<br />

une source inépuisable de vie !<br />

— Étranger, donne-<strong>moi</strong> vite de cette eau, comme ça je n’aurai plus soif, et je n’aurai plus<br />

besoin de venir puiser ici !...<br />

Il y eut alors un silence : le soleil se fit plus chaud, <strong>la</strong> lumière plus b<strong>la</strong>nche, le ton plus ferme :<br />

— Va chercher ton mari, et reviens ici ! reprit soudain Jésus.<br />

Du tac au tac, <strong>la</strong> femme répondit :<br />

— Je n’ai pas de mari.<br />

Et Jésus aussitôt :<br />

— C’est vrai, mais tu en as eu cinq, et l’homme que tu as maintenant, n’est pas ton mari. Tu as<br />

raison, au fond !<br />

(Pour bien comprendre tous ces chiffres, il ne faut pas oublier que ces textes sont codés, et que<br />

les mots, et les chiffres, renvoient à du sens qui les dépassent eux-mêmes. Ici par exemple – c’est une<br />

bonne partie de l’intention du texte, qu’on appelle le « theologoumenon » – si <strong>nous</strong> comptons les<br />

« hommes » de cette femme, ce<strong>la</strong> fait cinq, plus celui avec elle est à l’heure actuelle. Ce qui fait six en<br />

tout, chiffre imparfait ; c’est une femme qui cherche désespérément le véritable amour : le septième<br />

donc ! Qui se présentera à elle, tout à l’heure. Non pas comme un amant de plus, mais comme<br />

l’Amant, par excellence, celui qui pourra satisfaire, enfin, sa soif légitime de bonheur : « C’est <strong>moi</strong><br />

qui te parle » lui révèlera-t-il ! Et alors, elle <strong>la</strong>issera tout et courra au vil<strong>la</strong>ge annoncer qu’elle l’a<br />

trouvé... Celui que son cœur cherche !)<br />

De nouveau un silence : pas le <strong>moi</strong>ndre souffle d’air. Rien que <strong>la</strong> réverbération qui faisait plisser<br />

les yeux. C’est <strong>la</strong> femme qui reprit cette fois :<br />

— Étranger, je vois que tu es un prophète… Mais <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> un peu : nos Pères ont adoré sur<br />

cette montagne que tu vois - elle montrait du doigt le mont Garizim, juste derrière Jésus -, et<br />

vous, les Juifs, vous affirmez que c’est à Jérusalem qu’il faut adorer !<br />

171


— Crois-<strong>moi</strong>, femme, répondit Jésus, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni à<br />

Jérusalem que vous adorerez Dieu, notre Père ! Oui l’heure vient, et elle est là maintenant, où<br />

les vrais adorateurs adoreront Dieu le Père en esprit et en vérité. C’est eux que cherche Dieu.<br />

Dieu est Esprit, et c’est en Esprit qu’il faut l’adorer.<br />

La femme continua :<br />

— Je sais qu’un Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il <strong>nous</strong> dira<br />

tout !<br />

Sur ces derniers mots, <strong>la</strong> femme s’était penchée pour saisir <strong>la</strong> corde du puits dans le même<br />

instant, Jésus se redressa, debout dans <strong>la</strong> lumière, dominant de sa haute stature, et le puits et <strong>la</strong> femme,<br />

et <strong>la</strong> terre. La femme leva les yeux vers lui, juste pour l’entendre lui révéler :<br />

— C’est <strong>moi</strong> qui te parle !<br />

La scène fut interrompue par l’arrivée des <strong>dis</strong>ciples, tout stupéfaits que Jésus parlât avec une<br />

femme, et une Samaritaine, encore plus ! Cependant, personne ne lui fit de remarque. Alors, <strong>la</strong><br />

Samaritaine, abandonnant sa cruche, se mit à courir en direction du vil<strong>la</strong>ge. Et <strong>la</strong> voilà qui racontait à<br />

qui vou<strong>la</strong>it l’entendre :<br />

— Venez voir un homme, qui m’a dit tout ce que j’ai fait… Et si c’était le Christ ?<br />

On décida d’aller voir.<br />

Entre temps, les <strong>dis</strong>ciples le pressaient :<br />

— Maître, mange donc un morceau.<br />

Mais lui les repoussait de <strong>la</strong> main :<br />

— Non ! j’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas.<br />

Les <strong>dis</strong>ciples n’y comprenaient plus rien. Quelqu’un lui aurait-il déjà porté à manger ? Mais<br />

Jésus les interrompit :<br />

— Ma nourriture, c’est de faire <strong>la</strong> volonté de celui qui m’a envoyé. Vous-mêmes, vous dites :<br />

Encore quatre <strong>moi</strong>s, et ce sera <strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson !<br />

Et haussant soudain le ton, dans <strong>la</strong> b<strong>la</strong>ncheur dure de midi :<br />

— Mais <strong>moi</strong>, je vous <strong>dis</strong> : Levez les yeux, regardez ! Déjà les champs sont b<strong>la</strong>ncs pour <strong>la</strong><br />

<strong>moi</strong>sson. Déjà le <strong>moi</strong>ssonneur reçoit son sa<strong>la</strong>ire, en amassant le grain éternel ; si bien que<br />

celui qui sème et celui qui <strong>moi</strong>ssonne se réjouissent ensemble, Le proverbe a raison : l’un<br />

sème, l’autre <strong>moi</strong>ssonne. Je vous ai envoyés <strong>moi</strong>ssonner ce qui ne vous a coûté aucune peine :<br />

d’autres ont peiné pour vous !<br />

Beaucoup de vil<strong>la</strong>geois avaient cru <strong>la</strong> Samaritaine. Quand ils furent autour de Jésus, ils le<br />

prièrent de rester chez eux : Jésus demeura deux jours avec eux. Et bien plus nombreux encore furent<br />

ceux qui alors crurent en lui. Ceux-là répétaient à <strong>la</strong> femme :<br />

— Ce n’est plus seulement grâce à toi que <strong>nous</strong> croyons. Maintenant <strong>nous</strong> l’avons entendu<br />

<strong>nous</strong>-mêmes, et <strong>nous</strong> savons que c’est lui qui pourra tous <strong>nous</strong> sauver !<br />

172


La Magdaléenne<br />

L’amour qui s’achète et l’amour qui se donne<br />

Jn 8, 3-11 ; 12,1-9 ;<br />

Mt 26,6-13 ; Mc 14,3-9<br />

Jésus avait suivi les conseils de ses amis de Béthanie : il habitait chez eux, de l’autre côté du<br />

Cédron, derrière le mont des Oliviers. Juste à une demi-heure de Jérusalem. Il s’y retirait chaque soir.<br />

Le matin, il n’avait qu’à redescendre <strong>la</strong> pente en contemp<strong>la</strong>nt l’architecture formidable du temple,<br />

pour accéder immédiatement aux escaliers qui menaient dans les cours intérieures. Dès qu’il arrivait,<br />

on se précipitait en masse pour l’écouter : il s’asseyait au pied d’une colonne, en haut de quelques<br />

marches, et se mettait à enseigner dans un silence impressionnant pour l’endroit.<br />

Ce matin-là, tan<strong>dis</strong> qu’il parle, un groupe de scribes et de pharisiens en colère traînent devant lui<br />

une femme toute débraillée. Le silence, déjà lourd, devient pesant. Autour de <strong>la</strong> femme, on s’écarte :<br />

elle reste là, au centre d’un cercle, échevelée, livide, plus honteuse encore que si elle avait été nue,<br />

sous les regards pleins de haine et de jouissance morbide, qui animent tous les voyeurs, les<br />

impuissants et les pervers de <strong>la</strong> terre. Elle regarde Jésus, ses accusateurs regardent Jésus, <strong>la</strong> foule<br />

regarde Jésus : Jésus semble regarder un point inaccessible, au fond de chacun d’eux, le point de<br />

rupture où l’homme et <strong>la</strong> bête se séparent. Maître ! - le mot c<strong>la</strong>que dans l’air électrique - Cette femme<br />

a été surprise en f<strong>la</strong>grant délit d’adultère. Moïse, dans <strong>la</strong> loi, <strong>nous</strong> a prescrit de <strong>la</strong>pider ces femmeslà<br />

. Et pour bien le mettre à 1’épreuve de <strong>la</strong> vérité, devant <strong>la</strong> foule qui retient son souffle, l’accusateur<br />

l’interroge : Et toi, qu’en <strong>dis</strong>-tu ?<br />

Tous les regards étaient maintenant braqués sur l’homme de Nazareth : il avait légèrement<br />

baissé <strong>la</strong> tête vers le sol et semb<strong>la</strong>it déchiffrer les signes automatiques que son doigt dessinait sur le<br />

marbre centenaire des dalles du portique. Cette attitude ne fut pas pour p<strong>la</strong>ire à l’accusateur, qui,<br />

prenant du regard <strong>la</strong> foule à té<strong>moi</strong>n, se réjouissait déjà et se préparait à insister, quand, Jésus, relevant<br />

soudain <strong>la</strong> tête, leur asséna d’une voix irrésistible : Que celui qui n’a rien à se reprocher lui jette <strong>la</strong><br />

pierre, le premier ! Et d’une tranquille assurance, il poursuivit son jeu d’écriture.<br />

Ce fut d’abord comme une immense stupeur qui se serait abattue sur le groupe des accusateurs ;<br />

ils semb<strong>la</strong>ient avoir rapetissé : c’est sur eux maintenant que les mille yeux de <strong>la</strong> foule versatile avaient<br />

versé. Et on les vit se retirer un à un jusqu’au dernier, à commencer par les plus âgés, sous les huées<br />

du peuple, ravi de conspuer ceux dont <strong>la</strong> morgue religieuse avait déshumanisé et le culte et <strong>la</strong> Loi... si<br />

bien qu’à <strong>la</strong> fin, Jésus resta seul, avec <strong>la</strong> femme devant lui, et, bien sûr, <strong>la</strong> foule qui attendait,<br />

insatiable, le dénouement. Alors, Jésus se releva. Debout, en haut des marches, avec <strong>la</strong> colonne<br />

derrière lui, il paraissait immense. Il posa sur <strong>la</strong> femme un regard malicieusement surpris : Où sontils<br />

? On ne te condamne plus ? - Non, Seigneur ! souff<strong>la</strong>-t-elle, tremb<strong>la</strong>nte. Et secouant <strong>la</strong> tête, il<br />

continua, tan<strong>dis</strong> que <strong>la</strong> joie simple faisait couler quelques <strong>la</strong>rmes aux premiers rangs. Moi non plus, je<br />

ne te condamne pas. Tu peux t’en aller. Et puis, désormais ne te trompe plus, hein !<br />

Marie de Béthanie était là, présente de toute sa mé<strong>moi</strong>re douloureuse encore, et ce<strong>la</strong> lui rappe<strong>la</strong><br />

d’autres lieux et d’autres temps. Suivant certains, elle aurait été ja<strong>dis</strong> cette Marie de Magda<strong>la</strong>, qui<br />

vendait ses charmes dans cette ville du Lac de Génésareth, assez loin de Béthanie pour ne gêner ni son<br />

frère Lazare, ni sa sœur Marthe, à cause de ses activités…<br />

La dernière semaine passait à une allure vertigineuse. Jésus avait prononcé les dernières paroles<br />

avec une telle insistance, et son tableau du dernier règlement des comptes, au dernier jour avait été si<br />

p<strong>la</strong>stique, que les trois mots qu’il ajouta, presque à voix basse pourtant, firent frissonner les <strong>dis</strong>ciples<br />

encore plus que le reste : Vous savez que dans deux jours c’est Pâques : eh bien le Fils de l’Homme<br />

sera arrêté pour être cloué sur une croix.<br />

De leur côté, les chefs des prêtres et les Anciens du peuple s’étaient donné rendez-vous dans <strong>la</strong><br />

cour du pa<strong>la</strong>is de Caïphe, le grand prêtre, pour décider l’arrestation et l’exécution de Jésus. Pas<br />

pendant <strong>la</strong> fête : il ne s’agit pas de provoquer le peuple !<br />

173


Ce soir-là, Jésus dîne à Béthanie, mais pas chez Lazare : il est invité avec ses compagnons chez<br />

Simon le lépreux. L’atmosphère est lourde : il y a des espions partout... Au milieu du repas, Marie se<br />

présente à <strong>la</strong> porte de <strong>la</strong> salle à manger, un f<strong>la</strong>con d’albâtre à <strong>la</strong> main : c’est de l’extrait de nard, un<br />

parfum fort coûteux. Par derrière elle approche de Jésus, qui ne bronche pas, tan<strong>dis</strong> que les autres font<br />

le geste de <strong>la</strong> repousser (les convives sont allongés de côté le long de <strong>la</strong> table) : elle brise le bouchon<br />

du f<strong>la</strong>con et lui en verse le contenu sur <strong>la</strong> tête. Le parfum, assez épais, p<strong>la</strong>que les boucles entremêlées,<br />

sur le <strong>la</strong>rge front de Jésus, et continue de dégouliner sur ses yeux, dans sa barbe et le long de son cou.<br />

Il ne dit toujours rien. Et maintenant, toute étonnée de son audace, elle recule de quelques pas. Les<br />

<strong>dis</strong>ciples profitent de cette hésitation soudaine pour crier leur irritation. Certains se déc<strong>la</strong>rent même<br />

indignés : Pourquoi gaspiller ce parfum. On aurait pu le vendre et donner l’argent aux pauvres ! Et<br />

les voici qui se mettent à lui faire toutes sortes de remontrances : Vous allez <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser tranquille, à <strong>la</strong><br />

fin, oui !... Pourquoi voulez-vous à tout prix lui faire de <strong>la</strong> peine ? J’apprécie beaucoup le cadeau<br />

qu’elle m’a fait ! Les pauvres, les pauvres ! Vous en aurez toujours avec vous, des pauvres, et vous<br />

pourrez leur faire du bien tant que vous voudrez ! Moi, vous ne m’aurez pas toujours ! Elle, elle, a fait<br />

comme elle a pu : elle s’y est prise en avance pour parfumer mon corps en vue de l’ensevelissement...<br />

Elle a très bien agi, c’est pour <strong>moi</strong> qu’elle l’a fait... Et <strong>moi</strong>, je vous le <strong>dis</strong> : partout où dans l’univers le<br />

règne de Dieu sera proc<strong>la</strong>mé, on se souviendra de ce qu’elle a fait, et on le <strong>raconte</strong>ra. Personne ne<br />

l’oubliera !<br />

[Jean se souvient, dit-il, que <strong>la</strong> même scène s’est déroulée une seconde fois, à quelques jours d’intervalle, chez Lazare<br />

lui-même, à Béthanie, où Jésus avait ses habitudes, le soir, après avoir prêché dans le Temple toute <strong>la</strong> journée jusqu’au<br />

coucher du soleil. On était tellement heureux de le voir, et de l’écouter. Avoir Jésus chez soi, à domicile ; le servir, s’occuper<br />

de lui. L’aimer, car il se <strong>la</strong>issait aimer, Jésus. Il aimait qu’on l’aime. Il aimait être aimé. Ce n’est parce qu’il était Dieu, qu’il<br />

n’en était pas <strong>moi</strong>ns homme !]<br />

Ce soir-là, Jésus rentra un peu plus <strong>la</strong>s qu’à l’ordinaire. Lazare organisa vite un petit dîner pour<br />

le remonter. Il se hâta d’avertir juste une paire d’amis très proches, et bientôt, sous <strong>la</strong> tonnelle encore<br />

sans grappes, où les feuilles nouvelles se tordaient sous les coups de <strong>la</strong> sève, les quelques convives se<br />

pressèrent autour de <strong>la</strong> longue table qu’on avait sortie exprès : il faisait si bon. Comme à<br />

l’accoutumée, Marthe servait, Lazare s’était installé près de Jésus.<br />

Mais Marie avait <strong>dis</strong>paru dans le mouvement, personne ne l’avait remarquée grimper à l’étage.<br />

Soudain, elle réapparut, portant, comme chez Simon un f<strong>la</strong>con de parfum que chacun reconnut à sa<br />

forme. Jésus lui sourit un peu gêné par <strong>la</strong> réplique. Marie avait le visage tellement grave, ce qui surprit<br />

tout le monde, mais elle essaya de sourire à son tour, donnant à ses traits une expression d’immense<br />

douleur. Elle s’avança alors, et comme chez Simon, elle versa le liquide uniquement sur les pieds de<br />

Jésus, les essuya de ses cheveux et <strong>la</strong> maison fut remplie de ce parfum. Marie pleurait. Jésus lui prit <strong>la</strong><br />

tête entre les mains : ils se regardèrent. Le silence iso<strong>la</strong>it leur regard.<br />

Et de nouveau les mêmes remarques : Pourquoi n’avoir pas vendu ce parfum ? Les pauvres,<br />

etc. ! C’était <strong>la</strong> voix légèrement nasil<strong>la</strong>rde de Judas, une voix capable de casser toutes les atmosphères.<br />

D’ailleurs chacun savait bien - on le connaissait, qu’il se fichait pas mal des pauvres. Seulement il était<br />

chargé de <strong>la</strong> bourse, et à l’occasion ne se gênait pas pour y puiser – on sent ici combien Jean ne portait<br />

Judas dans son cœur. Mais déjà <strong>la</strong> voix de Jésus rétablissait <strong>la</strong> situation : Laisse-<strong>la</strong> tranquille une fois<br />

pour toutes. Au fond, elle ne fait qu’anticiper sur <strong>moi</strong> les rites de l’ensevelissement ! Marie pleurait :<br />

lui seul avait compris. Jésus continua : Des pauvres, je vous le répète, vous n’en manquerez pas autour<br />

de vous. Mais <strong>moi</strong>, sachez-le, vous ne m’aurez pas pour toujours ! Les derniers mots coupèrent court à<br />

toute réflexion supplémentaire. La soirée était terminée. Marie se retira à reculons, les yeux braqués<br />

sur Jésus qui secouait <strong>la</strong> tête en guise d’au revoir.<br />

C’est à <strong>la</strong> croix qu’ils devaient se revoir, lui, nu, cloué entre ciel et terre, elle, mêlée aux deux<br />

autres Marie, <strong>la</strong> mère et <strong>la</strong> tante de Jésus. On dit qu’il y avait d’autres femmes aussi, qui le suivaient<br />

depuis <strong>la</strong> Galilée. En tout cas, à part le petit Jean - encore un grand enfant et qui <strong>raconte</strong> si bien -, il<br />

n’y aurait point d’hommes, pas de <strong>dis</strong>ciples, aucun de ceux qui, parait-il, étaient prêts à mourir pour<br />

lui et avec lui. Quand Joseph d’Arimathie, muni des autorisations officielles, eut récupéré le corps de<br />

Jésus, elles seraient encore là, ces femmes, <strong>la</strong> Madeleine, au premier rang, pour bien voir l’endroit où<br />

on déposerait, pour le sabbat, le cadavre raidi de l’homme de sa vie.<br />

174


La première étoile venait de s’éteindre dans un ciel tout neuf. Pendant tout le sabbat,<br />

l’atmosphère avait été étouffante, jusqu’à ce que d’énormes nuages noirs se mettent à vomir une eau<br />

lourde, et épaisse de tous les événements de cette fin de semaine : l’arrestation, l’interrogatoire, le<br />

jugement, le supplice, <strong>la</strong> mort et l’enterrement de Jésus de Nazareth. Tout ce<strong>la</strong> en si peu de temps. Et<br />

on était déjà au premier jour de <strong>la</strong> semaine, le lendemain du sabbat : ce qui deviendra notre dimanche,<br />

le Jour du Seigneur, Dies Dominica !<br />

Finale A<br />

Notre Magdaléenne et l’autre Marie, <strong>la</strong> mère de Jacques et de Joseph, s’en allèrent au sépulcre,<br />

comme on va en pèlerinage, emmitouflées dans leur grand châle noir à cause de l’air coupant de ce<br />

matin de printemps. Et il y eut soudain comme un tremblement de terre. Un être resplen<strong>dis</strong>sant de<br />

lueur, un ange, Dieu - mon <strong>dieu</strong>, qui sait ? -, fit rouler <strong>la</strong> pierre qui fermait le tombeau, et,<br />

majestueusement s’assit dessus. Un éc<strong>la</strong>ir b<strong>la</strong>nc, insoutenable au regard. Les gardes étaient morts de<br />

peur et ne bougeaient plus.<br />

L’être merveilleux ouvrit alors <strong>la</strong> bouche : Femmes, vous n’avez rien à craindre, vous. Je sais<br />

que vous cherchez Jésus le crucifié... Il n’est plus ici : il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez !<br />

Venez voir l’endroit où il reposait... Et maintenant, allez vite dire à ses amis : Il est ressuscité des<br />

morts. Il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit.<br />

Les deux femmes, un peu <strong>la</strong> crainte, un peu <strong>la</strong> joie, se précipitèrent tout échevelées porter <strong>la</strong><br />

nouvelle aux <strong>dis</strong>ciples. Elles n’étaient pas plus tôt sur le chemin de <strong>la</strong> ville que Jésus vint à leur<br />

rencontre, en leur <strong>dis</strong>ant le plus (sur)naturellement du monde : Shalom ! Elles s’arrêtèrent net, puis<br />

lentement s’approchèrent de lui, se jetèrent à ses pieds, en le saisissant de leurs bras. N’ayez pas peur,<br />

résonna <strong>la</strong> voix de leur espoir. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est<br />

là qu’ils me verront ! Sans se retourner, elles se mirent à courir vers <strong>la</strong> ville. Elles furent rattrapées<br />

puis dépassées par quelques hommes de <strong>la</strong> garde qui se hâtaient eux aussi, afin d’informer les grands<br />

prêtres de ce qui était arrivé.<br />

[Ces derniers convoquèrent les Anciens et après délibération, remirent aux soldats une bonne somme<br />

d’argent, avec <strong>la</strong> consigne suivante : Vous direz ceci, si on vous interroge : Ses <strong>dis</strong>ciples sont venus pendant <strong>la</strong><br />

nuit, et l’ont dérobé pendant que <strong>nous</strong> dormions… Et si l’affaire vient aux oreilles du gouverneur, c’est <strong>nous</strong> qui<br />

le calmerons de sorte que vous ne soyez pas inquiétés. Les soldats prirent l’argent et se conformèrent à <strong>la</strong> leçon<br />

qu’on leur avait apprise. Ce récit s’est d’ailleurs propagé chez les juifs jusqu’à nos jours.]<br />

Quant aux <strong>dis</strong>ciples, ils se rendirent en Galilée, sur <strong>la</strong> montagne où Jésus leur avait dit d’aller.<br />

Jésus était là, plus juvénile et plus vivant que jamais. Ils tombèrent à genoux et leurs visages<br />

s’éc<strong>la</strong>irèrent de vie et d’espoir, bien que certains eussent encore quelque doute ! Jésus s’approcha<br />

d’eux : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur <strong>la</strong> terre. De toutes les nations, allez faire des<br />

<strong>dis</strong>ciples : vous les baptiserez au nom du Père, et du Fils et de l’Esprit Saint, et vous leur apprendrez<br />

à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et <strong>moi</strong> – là, il semb<strong>la</strong>it soudain grandir dans le vent qui<br />

montait – <strong>moi</strong> (Mon Dieu sa voix était bien <strong>la</strong> sienne, mais elle résonnait si étrangement maintenant,)<br />

je suis désormais avec vous, tous les jours, jusqu’à <strong>la</strong> fin des temps.<br />

Finale B :<br />

Mon Dieu, quelle nuit ! Aucun des Douze n’avait ouvert <strong>la</strong> bouche. Chacun s’était calfeutré<br />

dans le silence douloureux de son manteau refermé, au plus profond de toutes les obscurités de <strong>la</strong><br />

pièce où maintenant l’aube s’annonçait enfin. Quelle nuit ! Nuit du désespoir muet devant l’espérance<br />

qui meurt. Nuit de <strong>la</strong> peur au ventre, à l’affût de l’avenir bouché. Nuit du vide vertigineux qu’il al<strong>la</strong>it<br />

falloir remb<strong>la</strong>yer avec les ruines du passé. Oui, quelle nuit humide et <strong>moi</strong>te de toutes les sueurs<br />

d’angoisse...<br />

Quelqu’un se leva soudain et gagna rapidement <strong>la</strong> porte en arrangeant son manteau. La porte<br />

s’ouvrit. L’aube se levait sur le premier jour de <strong>la</strong> semaine, et il faisait encore sombre. Pourtant, dans<br />

ce crépuscule du matin, où tout finira par devenir ce qu’il promet, le visage défait de <strong>la</strong> Magdaléenne<br />

s’inscrivit comme une sentinelle aux aguets. Elle ne resta dans l’embrasure qu’un seul instant : chacun<br />

put voir que c’était elle. Et tout aussi vite, <strong>la</strong>issant derrière elle <strong>la</strong> porte ouverte sur <strong>la</strong> lumière, elle<br />

courut en direction du tombeau.<br />

175


Personne dans les rues, seule sa respiration irrégulière résonne autour d’elle... Et <strong>la</strong> voilà qui<br />

s’arrête net... La pierre a été enlevée du tombeau... Elle ne va pas plus loin. Elle fait immédiatement<br />

demi-tour et remonte rejoindre les autres. Son émotion et sa fatigue ralentissent sa course. Pourtant sur<br />

le pas de <strong>la</strong> porte, Simon et Jean apparaissent déjà et <strong>la</strong> regardent épouvantés : On a du l’enlever du<br />

tombeau, et je ne sais pas où ils l’ont mis. Sa voix se casse, elle glisse le long du mur où elle<br />

s’appuyait et se répand sur les dalles du chemin. Pierre et Jean sont ahuris. Bientôt Jean tire le bras de<br />

Pierre, qui semble sortir d’une profonde léthargie... Sans échanger un mot, les voilà maintenant qui, à<br />

leur tour, se hâtent vers le tombeau. Jean, qui était plus rapide arriva le premier. Il se penche et voit les<br />

bandelettes posées là. Mais il n’entre pas. Pierre arrive à son tour. Il entre résolument dans le tombeau,<br />

considère lui aussi les bandelettes, et plié, à part de l’autre côté, le linge qui avait recouvert <strong>la</strong> tête.<br />

Jean se permit alors d’entrer dans le tombeau... il vit... et il comprit tout, et surtout ce passage de<br />

l’Écriture selon <strong>la</strong>quelle Jésus devait se redresser du milieu des morts. Après quelque temps Pierre et<br />

Jean s’en retournèrent.<br />

Marie <strong>la</strong> Magdaléenne, elle, était restée dehors et elle pleurait. Et tout en pleurant et en se<br />

<strong>la</strong>mentant, elle ba<strong>la</strong>nçait son corps, au-dessus de l’entrée du tombeau. Elle voit alors deux silhouettes<br />

vêtues de b<strong>la</strong>nc, assises à l’endroit même où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à <strong>la</strong> tête et l’autre<br />

aux pieds. Le soleil brille déjà au-dessus de l’horizon. Non, elle ne rêve pas. Femme ! Pourquoi<br />

pleures-tu ? Voilà qu’elle les entend lui parler maintenant : Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais<br />

pas où ils l’ont mis. Tout en par<strong>la</strong>nt, elle se retourne et elle voit Jésus qui se tenait là ; elle ne se rend<br />

pas compte que c’est lui... De nouveau, elle entend : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?<br />

Marie croit avoir affaire au gardien du jardin, et elle le supplie : Si c’est toi qui l’as enlevé, je<br />

t’en prie, <strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> où tu l’as mis et j’irai le chercher. L’autre lui crie : Marie ! Elle le reconnaît alors,<br />

cria à son tour en éc<strong>la</strong>tant en sanglots et en se précipitant vers lui : Maître ! Jésus recule de quelques<br />

pas et, se protégeant de <strong>la</strong> main, murmure : Non, Marie, non ! Je t’en prie : je ne suis pas encore<br />

monté vers mon Père, qui est aussi votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.<br />

Et... elle ne vit plus rien. Elle resta un moment à terre, éperdue à <strong>la</strong> fois de douleur et de joie,<br />

c’est-à-dire éperdue d’amour. Puis elle se releva, et le cœur en fête, elle courut annoncer aux<br />

<strong>dis</strong>ciples : J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’il m’a dit.<br />

Tout le monde était encore sous le coup des rapports de Pierre et Jean d’une part, et, de Marie<br />

de Magda<strong>la</strong>, d’autre part. Les deux <strong>dis</strong>ciples avaient bien confirmé ce que Marie avait d’abord<br />

remarqué : que le tombeau avait été ouvert, que le corps de Jésus n’était plus là, que seuls les<br />

bandelettes, le suaire et le linceul étaient encore visibles. Et puis voilà que Marie rapportait qu’elle<br />

venait de voir Jésus, quand Pierre et Jean s’en étaient retournés.<br />

Et qu’elle lui avait parlé et qu’il lui avait répondu ! Et qu’il était vivant, puisque...<br />

176


Cinquième Partie<br />

Le Rêve de Booz<br />

•<br />

Odes, Hymnes & Stances<br />

À propos des 25 œuvres de Marc Chagall<br />

Réalisées pour le Message Biblique de Nice Cimiez<br />

177


C I N Q O D E S<br />

Sur le traitement du corps dans les 17 grandes toiles de <strong>la</strong> salle principale du Musée du<br />

MESSAGE BIBLIQUE MARC CHAGALL<br />

Cimiez, Nice.<br />

je ne sais pas si j'ai vécu je ne sais<br />

si je vis. Je regarde le ciel<br />

je ne reconnais pas le monde<br />

mon corps passe dans l'ombre<br />

l'amour les fleurs les tableaux m<br />

me font aller et venir<br />

ne <strong>la</strong>isse pas ma main sans lumière<br />

quand <strong>la</strong> maison sera plus sombre<br />

comment verrai-je ta b<strong>la</strong>ncheur<br />

comment t'entendrai-je appeler<br />

quand je n'aurai plus avec <strong>moi</strong><br />

que <strong>la</strong> nuit qui tremble.<br />

1955-1960<br />

Deux mille années de mon exil<br />

si court l'âge du pays nouveau<br />

l'âge de mon fils David<br />

je tends les bras<br />

je cherche les étoiles et le signe de David<br />

sous les vagues nagent les prophètes<br />

Moïse de loin s'éc<strong>la</strong>ire<br />

depuis longtemps ses rayons me touchent<br />

le vent qui se lève sur ses pas<br />

toutes ces années à compter des <strong>la</strong>rmes<br />

je t'ai cherché sous le soleil sur <strong>la</strong> terre<br />

Deux mille ans j’ai attendu<br />

que mon coeur s'apaise et te voie<br />

sur le pays neuf<br />

sur deux mille ans d’exil<br />

sur David mon fils<br />

elles ont chanté plus douces<br />

que Mozart et Bach<br />

178


O D E I<br />

corps créé/ corps offert<br />

PEINTURE I : LA CRÉATION DE L'HOMME : GN 1,26<br />

PEINTURE 7 : SACRIFICE D'ISAAC : GN 22,9-11<br />

Le voici donc ce corps,<br />

que le peintre répand au premier p<strong>la</strong>n,<br />

au centre, à <strong>la</strong> base de <strong>la</strong> Création et du Sacrifice.<br />

La b<strong>la</strong>ncheur, dorée par taches,<br />

du garçon potelé, frais émoulu du concetto divin,<br />

répond à l'or rougi déjà aux cuisses,<br />

de l'adolescent longiligne<br />

dont les formes pubères nient <strong>la</strong> mort imminente.<br />

Une identique courbe,<br />

comme une orbe d'alliance,<br />

a plié tendrement les cous graciles,<br />

et le sommeil d'Adam,<br />

pesant d'éternité sur sa face d'ébauche,<br />

ignore encore ce qu'aura vu déjà<br />

le clin d'oeil d'Isaac, tranquille d'espérance.<br />

L'ange, monumental et bleu,<br />

taché à l'aile de soleil,<br />

regarde, en s'avançant, l'origine,<br />

et met au monde, à bout de bras immenses,<br />

<strong>la</strong> dernière créature.<br />

Abraham, franciscain<br />

déjà stigmatisé du sang qu'il doit répandre,<br />

scrute <strong>la</strong> décision<br />

de l'ange d'émeraude qui l'accueille<br />

et de l'ange du <strong>la</strong>it de <strong>la</strong> tendresse humaine,<br />

qui d'un bras déployé le sauve de l'épreuve .<br />

inutiles, désormais, le bûcher de l'autel<br />

et le couteau luisant<br />

que brandit <strong>la</strong> main droite à sept doigts.<br />

L'espace pictural, autour du corps central,<br />

s'épanouit en une composition analogue.<br />

Sur <strong>la</strong> base de l'Ange - porteur -d'Adam,<br />

s'ouvre, à gauche, une trouée de ciel jaune :<br />

une foule, émergeantd'une nuée, gesticule<br />

pendant qu'au-dessus d'elle,<br />

passe un poisson hérissé d'une main,<br />

vole une tête de Moise ailée, surplombée de deux p<strong>la</strong>nètes<br />

je suis ton fils<br />

sur terre qui marche â peine<br />

tu m'as rempli les mains<br />

de couleurs de pinceaux<br />

je ne sais pas comment te peindre<br />

1940- 1945<br />

179


et qui reçoit les tables, tendues par deux bras jaillis du ciel<br />

tan<strong>dis</strong> qu'un angelot, sans corps mais à trompette,<br />

alimente de son souffle <strong>la</strong> roue so<strong>la</strong>ire.<br />

Dans <strong>la</strong> continuité chromatique du thème,<br />

-nuée b<strong>la</strong>nc-craie et bleu-ciel,-<br />

tournoie un <strong>dis</strong>que rouge-orange<br />

dont l'allure stroboscopique engendre<br />

une herse de cercles et de spirales,<br />

dérou<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> pellicule bariolée de <strong>la</strong> mé<strong>moi</strong>re chagallienne :<br />

une horloge égrénant l'heure entremêlée<br />

de Vitebsk et de Jérusalem.<br />

Le Juste, en croix, les reins ceints du châle de prière,<br />

devant Marc, accroché à son toit, près d'une échelle<br />

et contemp<strong>la</strong>nt le monde sens dessus dessous ;<br />

<strong>la</strong> symphonie flottante des anges sia<strong>moi</strong>s ;<br />

<strong>la</strong> synagogue, attentive au lecteur juché sur l'échelle de Jacob<br />

à <strong>la</strong> lumière de <strong>la</strong> Ménorah ;<br />

et dans <strong>la</strong> condensation fulgurante d'un instant,<br />

-où l'oeil et l'oreille ensemble sont à <strong>la</strong> fête,-<br />

une congrégation étrange et mauve,<br />

guidée par un veau blond et par un grand coq rouge,<br />

se presse autour du roi-musicien-bleu,<br />

grattant sur sa cithare,<br />

adossé aux palissades des maisons de Vitebsk<br />

où trône un prêtre vert à tête de bouc,<br />

les deux mains refermées sur une Torah rouge : David et Aaron.<br />

Les autres p<strong>la</strong>ns du Sacrifice<br />

pour n'être pas aussi complexes, n'en sont pas <strong>moi</strong>ns riches.<br />

La couleur ! ou plutôt les volumes de couleurs :<br />

voilà de quoi sont faits les espaces !<br />

Outrepassant Les limites figuratives,<br />

des vagues :<br />

jaune-or, rouge-orange, bleu-émeraude, b<strong>la</strong>nc-craie et terre-cuivre<br />

mê<strong>la</strong>nt précisément à leurs p<strong>la</strong>ges<br />

l'or et l'orange, l'émeraude, <strong>la</strong> craie et le cuivre,<br />

-dans une gradation glissante, -<br />

allument un é<strong>moi</strong> chromatique,<br />

digne de <strong>la</strong> perplexité mortelle<br />

d'un père obligé d'immoler de sa main,- Abraham !-<br />

son fils, son unique, celui qu'il aime !- Isaac-.<br />

La confusion de l'âme baignée par <strong>la</strong> couleur en trombes !<br />

Le ciel aussi s'émeut<br />

en battements d'ailes bleus de toutes les nuances,<br />

par dessus l'arbre<br />

où s'abrite <strong>la</strong> victime de remp<strong>la</strong>cement,<br />

et supplie d'angoisse une femme, <strong>la</strong> mère,-Sara !-<br />

demeurée sous <strong>la</strong> tente d'Hébron au Chêne de Membré,<br />

mais dont le sanglot long résonne jusqu'ici.<br />

Plus haut, au centre,<br />

un nouveau glissement de ce bleu dé<strong>la</strong>vé de <strong>la</strong>rmes,<br />

à un vert hésitant, qu'un terre brûlée bientôt<br />

va cuivrer sous les pas du crucifère,<br />

180


du porteur-de-croix, du Juste-toujours-persécuté,<br />

qui <strong>la</strong> connaît, sa croix, qu'il en<strong>la</strong>ce d'un impossible bras<br />

dans un en-avant-toute en rupture d'équilibre.<br />

C'est lui, le Messie d'à jamais,<br />

qui s'en va pas à pas, au pas du Juif Errant, .<br />

accoutré en hassid de Vitebsk,<br />

entouré de femmes désolées,d'une mère pressée d'enfants<br />

et d'une fillette, les bras au ciel.<br />

Mais approchez-vous, penchez-vous,<br />

scrutez le vallon bleu au-dessus de <strong>la</strong> croix.<br />

Vous les voyez, tous les six ?<br />

A gauche, celui qui est à genoux, tête vers l'ouest.<br />

A droite, celui qui part vers l'est ;<br />

au centre, les quatre autres qui ne savent que faire ?<br />

Vous le reconnaissez, le Jardin des Olives,<br />

l'antique Gethsémani de l'agonie,<br />

où Jésus, devant les compagnons du tout début,<br />

transpira tout le sang de l'angoisse<br />

tan<strong>dis</strong> que s'éloignait Judas, dans <strong>la</strong> nuit de <strong>la</strong> trahison !<br />

Voilà ce qu'il en est d'un corps créé,<br />

mis au monde pour l'Histoire du monde<br />

-(mais déjà, à côté d'Eve et d'Adam énamourés,<br />

sous les fesses de l'homme neuf qui l'ignore,<br />

"quelque chose" de bleu sombre, lové sur soi, en colonne,<br />

attend son heure et son triomphe !)-,<br />

et Adam et Jacob et le Juste<br />

se répondent sous les yeux pendu<strong>la</strong>ires<br />

du facétieux enfant de Vitebsk !<br />

Voilà ce qu'il en est d'un corps offert,-comme en écho,-<br />

immolé par l'Histoire du monde,<br />

sacrifié pour ... pourquoi ? sourd le cri muet d'Abraham !<br />

sacrifier l'enfant ...<br />

crucifier le juste ...<br />

persécuter le juif ...<br />

pourquoi ?<br />

Dieu qui ne se montre et qui est l'origine,<br />

Dieu qui a besoin de savoir,<br />

ne répond pas !<br />

C'est à travers les anges,<br />

-messages, nouvelles, paroles,-<br />

c'est au-delà des anges<br />

que s'explique l' Histoire et s'ordonne le sens,<br />

que se rejoignent en un seul corps<br />

et <strong>la</strong> question et <strong>la</strong> réponse de <strong>la</strong> vie et de <strong>la</strong> mort.<br />

Je réponds à <strong>la</strong> souffrance à l'injustice, au mal, à <strong>la</strong> mort<br />

en peignant,<br />

<strong>nous</strong> dit Marc !<br />

181


O D E 2<br />

le corps transfiguré<br />

PEINTURE 10 : MOISE DEVANT LE BUISSON ARDENT : EX 3,2<br />

PEINTURE I1 : LE FRAPPEMENT DU ROCHER : EX 17,5-6<br />

PEINTURE 12 : MOISE RECEVANT LES TABLES DE LA LOI : EX 31,18<br />

Moïse doit devenir Moïse ! l'homme doit passer l'homme !<br />

Son visage l'attend au bout des apparences.<br />

L`artiste a ramassé cette transformation en<br />

trois grands spectacles,<br />

où le feu et <strong>la</strong> mer, le rocher et le ciel<br />

ponctuent <strong>la</strong> longue voie de transfiguration<br />

en arcanes élémentaires.<br />

Nous-mêmes, cette fois, devrons <strong>nous</strong> dép<strong>la</strong>cer<br />

pour accomplir, avec Moïse, le passage des portes,<br />

depuis 1a solitude de Madian,<br />

par <strong>la</strong> Mer Rouge et l'Horeb, jusqu'au Sinaï.<br />

Les deux premiers tableaux n'offrent qu'un seul spectacle.<br />

L'Ardent Buisson, p<strong>la</strong>nté en plein milieu,<br />

lèche de ses f<strong>la</strong>mmèches de sang<br />

le triple cercle jaune-bleu-rouge d'une présence invisible,<br />

que déploie de ses bras et ailes diaphanes,<br />

un Ange vert au nez grec et aux cheveux bouclés.<br />

De part et d'autre de "Celui-qui-est"<br />

dans un océan bleu, tiré de lignes réfractaires,<br />

et barré tout en 'haut d'un riche horizon vert,<br />

deux Moise regardent, tournés l'un vers Yahvé<br />

et l'autre vers <strong>la</strong> Loi qu'il observe en avant !<br />

Le tryptique se donne de droite à gauche<br />

comme se lit l'hébreu.<br />

Le même mouvement pousse les deux Moïse<br />

au-delà de l'image même qu'ils contemplent.<br />

Le Moise-à-<strong>la</strong>-f<strong>la</strong>mme, éthéré, recueilli,<br />

emmailloté de bleu dé<strong>la</strong>vé et de b<strong>la</strong>nc craie,<br />

scintille d'or <strong>dis</strong>cret, depuis ses cornes de lumière<br />

sur ses traits qui acquiescent,<br />

jusqu'à sa main gauche à quatre doigts,<br />

jusqu'au. pied nu . ectop<strong>la</strong>sme de Dieu !<br />

Le Moïse-à-<strong>la</strong>-mer, profil d'or ruti<strong>la</strong>nt,<br />

tranquille, confiant, sûr de <strong>la</strong> route à suivre,<br />

rive ses yeux déjà sur le vieux testament.<br />

Son corps pyramidal est une double chape<br />

qu'un nuage de mer, comme un gros cocon g<strong>la</strong>uque, -<br />

je voudrais exaucer ton rêve<br />

montrer une autre vérité<br />

prendre â ta lumière<br />

mes couleurs<br />

1940-1945<br />

182


double engrossement de catastrophe<br />

scinde en deux, par une décision irrévocable :<br />

le cône supérieur , bleu profond, avance en rangs paisibles<br />

à <strong>la</strong> suite du chef, comme un corps vers sa tête,<br />

mais <strong>la</strong> base, <strong>la</strong>mentable trapèze au goût de vase,<br />

gesticu<strong>la</strong>nt en vain d'armes, de chars et de chevaux,<br />

s'en va rougir, pour les poissons étonnés,<br />

une mer qui voit <strong>la</strong> naissance d'un peuple !<br />

Les moutons du berger sont métamorphosés<br />

en peuple, qu'à l'ombre de Moïse, Aaron le prêtre guidera.<br />

L'horizon vert frétille d'ailes d'anges et d'oiseaux.<br />

Le Moise-au-rocher hésita, dit <strong>la</strong> Bible !<br />

Sa robe sombre peine à coïncider<br />

avec le bleu <strong>moi</strong>ré de l'eau de <strong>la</strong> Promesse.<br />

L'Ange, de sa trompette, a beau l'encourager :<br />

comme un besogneux ordinaire, Moise-le-berger brandit bien le bâton ,<br />

mais il y va aussi de sa main gauche, et frappe le rocher une seconde fois.<br />

L'eau coule, bien sûr, à travers tout le peuple<br />

qui en a vu de toutes les couleurs<br />

et se jette à p<strong>la</strong>isir dans cette eau minérale !<br />

Moise reste figé, encore incrédule :<br />

<strong>la</strong> terre ronde et le couchant, et l'or du soir<br />

l'indiffèrent : i1 sait qu'il vient de perdre le droit d'entrer<br />

dans <strong>la</strong> Terre de <strong>la</strong> Grande Promesse.<br />

I1 y a bien encore le Sinaï, et <strong>la</strong> Loi, et les Tables,<br />

mais aussi l'Idole d'Or dans le désert.<br />

Le veau b<strong>la</strong>nchâtre, <strong>la</strong> génisse verdâtre,<br />

qu'une femme et qu'un homme gardent au bord de l'eau,<br />

présagent bien de l'épreuve d'une terre<br />

où le Juif de Vitebsk ne cesse d'errer en rond !<br />

Le Moïse-du-ciel et celui de <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme sont les mêmes :<br />

même grâce extatique de lévitation,<br />

même ravis'sement dans <strong>la</strong> vision qui s'éternise,<br />

où les mains, prêtes ja<strong>dis</strong>, prennent maintenant !<br />

La robe ici pourtant s'assombrit d'argent noir,<br />

comme ces vieux bijoux qu'on aime à caresser.<br />

Le corps émane de <strong>la</strong> montagne,<br />

que le dessin cubiste sculpte en rouleaux cosmiques,<br />

-les cinq rouleaux du Pentateuque à venir-.<br />

Les bras, du bâillement de l'orageux nuage,<br />

-où l'oeil devine un Jehovah de Michel-Ange,-<br />

tendent au Chef du Peuple <strong>la</strong> Torah Primordiale !<br />

Alors les rayons dardent sur Vitebsk à l'ouest,<br />

où les amoureux flânent sous <strong>la</strong> garde des anges;<br />

au sud, ils pleuvent aussi sur Jérusalem<br />

à l'heure de <strong>la</strong> prière mauve, en vert recueillement<br />

des rois, prophètes et patriarches, à <strong>la</strong> lumière du prêtre Aaron.<br />

Moise l'ignore encore : Dieu va le lui hurler !<br />

Le peuple s'impatiente , il le croit mort déjà !<br />

Un veau fera l'affaire pour remp<strong>la</strong>cer le chef<br />

et pour invoquer Dieu, pourvu qu'il brille et qu'on le voie.<br />

Qu'elle est vieille <strong>la</strong> Terre !<br />

183


Le Feu consume tout<br />

et l'Eau ne suffit plus !<br />

Le Ciel a cessé de parler ...<br />

Moise a dû briser les tables !<br />

184


Profusion, effusion, confusion, fusion ...<br />

Le para<strong>dis</strong> donné, le para<strong>dis</strong> perdu,<br />

le para<strong>dis</strong> bleu et le vert para<strong>dis</strong><br />

engendrent des vertiges !<br />

0 D E 3<br />

corps donne/ corps perdu<br />

PEINTURE '2 : LE PARADIS : GN 2,8<br />

PEINTURE 3 : ADAM ET EVE CHASSES DU PARADIS : GN 3,24<br />

L'Éden exagère sa luxuriance,<br />

générant une excroissance orgiaque,<br />

d'êtres et de couleurs, de chemins verts, de bleus espaces,<br />

d'arbres et de bouquets, de buissons, de vallons,<br />

de monstres affectueux, et de fauves béats,<br />

de gamins facétieux, de croissants verts et de coqs jaunes :<br />

et même Nord-Nord-Ouest, aux antipodes,<br />

<strong>la</strong> Ménorah de Vitebsk<br />

illumine Saint-<strong>Paul</strong>-de-Vence et son clocher !<br />

Laissez venir pourtant les anges et les hommes.<br />

L'Ange-de-<strong>la</strong>-lumière sur <strong>la</strong> terre natale<br />

exorcise Léviathan, mi-<strong>la</strong>ine et mi-écailles.<br />

L'Ange-oiseau, mi-bec et mi-visage,<br />

campe au Nord-Nord-Est ses serres en arrêt !<br />

L'Ange-b<strong>la</strong>nc est ravi, ailes baissées, bras écartés,<br />

<strong>la</strong> bouche bée d'é<strong>moi</strong>, sur le dais de bouquets,<br />

mauves, rouges, et de guir<strong>la</strong>ndes vertes.<br />

Et l'Ange-bleu se hâte de sa trompette<br />

délivrer un message qu'on n'écoutera pas,<br />

puisqu' on écoute les sirènes.<br />

Les couples deux à deux inaugurent l'amour.<br />

Le couple de midi, le couple de neuf heures,<br />

dans le jardin ou dans <strong>la</strong> mer,<br />

s'abandonnent à <strong>la</strong> tendresse qu'ils inventent.<br />

Mais le grand couple bleu, pour l'amour d'une pomme,<br />

ignore, fasciné, cette Double présence<br />

du Bien supérieur qui se désole<br />

et du Mal tortueux qui se dresse derrière :<br />

<strong>la</strong> main d'Adam n'hésite pas<br />

qui va f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> différence !<br />

C'est le même cocon g<strong>la</strong>uque de <strong>la</strong> Mer Rouge,<br />

engrossement jumeau d'Abel et de Cain,<br />

que fabriquent le sang vermeil d'une Eve de désir<br />

Il monte entre <strong>nous</strong> un mur<br />

une montagne couverte d'herbe et de tombe<br />

elle <strong>nous</strong> a séparés, <strong>la</strong> main<br />

qui créée les tableaux et les livres<br />

1942<br />

185


et <strong>la</strong> semence d'or d'un Adam qui voit c<strong>la</strong>ir !<br />

De l'Ange. b<strong>la</strong>nc à l'Ange-bleu<br />

naissent l'Histoire et <strong>la</strong> Conscience.<br />

Eve <strong>la</strong> Rousse suit Adam qui montre le chemin.<br />

Il faut partir, abandonner l'eau primordiale<br />

de <strong>la</strong> naïve enfance jouée-perdue,<br />

obtempérer à l'Ange-au-yeux-.clos,<br />

mais garder l'oeil ouvert sur le risque de vivre.<br />

L'Éden est le même . i1 ne satisfait plus !<br />

L'homme premier et <strong>la</strong> femme première<br />

s'ignoraient différents . ils ne sont plus les mêmes !<br />

L'azur tranchant du Chérubin<br />

a découpé dans l'androgyne originaire<br />

les protagonistes de l'humaine-comédie !<br />

On folâtre toujours au fond des vallons bleus,<br />

les grands cerfs blonds ouverts brâment encore<br />

sous les sapins géants ; <strong>la</strong> faune des forêts,<br />

de l'air, de l'eau, naïades fabuleuses,<br />

visages d'infinis ... contempleront sans l'Homme désormais<br />

l'immense arbre de fleurs, l'immense arbre de vie<br />

qui donne <strong>la</strong> lumière à toute créature.<br />

Le peintre.a décidé de rendre té<strong>moi</strong>gnage.<br />

Le maître de dessin petersbourgeois<br />

p<strong>la</strong>nte son chevalet sur les premiers parents.<br />

I1 avait dû quitter Vitebsk, Bel<strong>la</strong> au champ de roses,<br />

<strong>la</strong> maison palissée qui fleurait le hareng<br />

et l'oncle aux contes en abîme !<br />

La toile nue reflète encore le rien inaugural ,<br />

l'oeil rêve et les pinceaux attendent.<br />

Un corps de femme,mauve, qui s'abandonne,<br />

tourne une tête avide et suppliante . Bel<strong>la</strong> !<br />

Le grand coq rouge accompagnera les bannis<br />

qui ne perdront plus jamais conscience ;<br />

et le poisson vo<strong>la</strong>nt aux ailes <strong>moi</strong>rées,<br />

-enfant commun de <strong>la</strong> mer et du ciel,-<br />

rejoint l'enfant de terre dans les bras de sa mère.<br />

Car l'épreuve du feu va commencer enfin !<br />

186


O D E 4<br />

Du mythe à <strong>la</strong> préhistoire,<br />

par le déluge et <strong>la</strong> descendance résolue,<br />

avec Noé l'Ancêtre et Abraham le Patriarche,<br />

l'Eternité finit par accoucher du Temps.<br />

L'Arche va sauver <strong>la</strong> création déchue,<br />

l'Arc rétablira l'Alliance Universelle<br />

et l'Arcature abstraite d'une tente bédouine<br />

abritera un avenir inconcevable !<br />

le corps de l'alliance<br />

PEINTURE 4 : NOÉ LÂCHE LA COLOMBE GN 8,8<br />

PEINTURE 5 : NOÉ ET L'ARC EN CIEL GN 9, 12<br />

PEINTURE 6 : ABRAHAM ET LES 3 ANGES : GN 16,6.8<br />

Noé a fait sauter l'écoutille,<br />

et l'azur vierge des premiers matins<br />

a métamorphosé <strong>la</strong> peur vert-g<strong>la</strong>uque des rescapés de <strong>la</strong> colère.<br />

Tout renaît aux couleurs dans <strong>la</strong> lumière,<br />

illuminant par avance l'âge futur<br />

d'une échelle et d'un ange entre ciel et terre !<br />

Des reflets de soleil b<strong>la</strong>nc éc<strong>la</strong>boussent d'étincelles<br />

<strong>la</strong> fabuleuse traîne d'un paon royal<br />

et les corps qui renaissent des bêtes et des hommes :<br />

chacun se réjouit et les mères, apaisées,<br />

jouent avec leurs enfants une nouvelle fois.<br />

Noé, les yeux baissés, explique du regard,<br />

au jeune taureau b<strong>la</strong>nc, à l'oiseau bleu, au cheval vert,<br />

pourquoi il va lâcher <strong>la</strong> colombe.<br />

Elle reviendra deux fois,<br />

toute trempée d'abord des grandes cataractes,<br />

porteuse ensuite de l'olivier qui reverdit.<br />

Puis elle ne revint pas<br />

et Noé fut certain que Dieu avait étanché sa colère,<br />

et sauvé l'essentiel :<br />

deux corps de chaque espèce pour reprendre l'Histoire,<br />

et <strong>la</strong> seule famille de <strong>la</strong> Fidelité ...<br />

le peintre s'est perché dans l'encoignure du spectacle,<br />

à gauche de l'échelle, et dessine en plongée,<br />

<strong>la</strong> foule échappée belle de cette intempérie.<br />

P<strong>la</strong>cé au même endroit dans le suivant spectacle,<br />

Chagall, de face et de profil, tient sa toile à deux bras :<br />

mon <strong>dieu</strong> <strong>la</strong> nuit est venue<br />

tu fermeras mes yeux avant le jour<br />

et <strong>moi</strong> je peindrai à nouveau<br />

des tableaux pour toi<br />

sur <strong>la</strong> terre et le ciel<br />

1965<br />

187


<strong>la</strong> scène est féérique, assour<strong>dis</strong>sante de grandeur.<br />

A l'antipode diagonale, un immense Noé contemple<br />

ce qui précède et ce qui suit l'événement.<br />

A bras puissants l'Ange-Vieil<strong>la</strong>rd, jaune et rouge,<br />

installe dans le ciel, comme une Voie Lactée,<br />

l'Arc même de Dieu, en signe d'Alliance,<br />

qui part depuis <strong>la</strong> droite, du Couple Originaire,<br />

-un Adam bleu, une Eve verte,-<br />

pour plonger, de l'autre côté du Déluge,<br />

dans <strong>la</strong> nouvelle génération reconnaissante.<br />

Tout autour, tout est liesse, danse, musique, amour :<br />

animaux fabuleux aux yeux et têtes doubles,<br />

femmes glissant à p<strong>la</strong>isir sur les plumes de l'air,<br />

et les verts mouvements de <strong>la</strong> tendresse,<br />

et le roi-musicien p<strong>la</strong>nant vers l'est !<br />

Mais l'Alliance, jamais, ne supprime l'Histoire !<br />

<strong>la</strong> fumée des pogromes jettera toujours son ombre b<strong>la</strong>farde<br />

sur les revenants fantômes des exterminations !<br />

En familles, en vil<strong>la</strong>ges, pour <strong>la</strong> concentration,<br />

l'homme continuera d'être un loup pour l'autre homme.<br />

Et que monte <strong>la</strong> tour, de Babel ou de Manhattan,<br />

elle rejoindra toujours l'Ange de l'Apocalypse !<br />

Noé, David, Marc,<br />

-de vin, de musique et de couleurs,-<br />

vous baignez, vous bercez, et vous peignez <strong>la</strong> vie,<br />

et puisez dans l'ivresse, <strong>la</strong> douceur, <strong>la</strong> palette du rêve,<br />

de quoi survivre, hier, à <strong>la</strong> fatalité,<br />

aujourd'hui, aux barbares<br />

et demain, au trou noir de <strong>la</strong> désespérance !<br />

Noé, navigateur des divines tempêtes,<br />

David, roi-musicien, danseur-étoile, aimé-de-Dieu,<br />

Marc, magicien-fou-qui-peint-les rêves .<br />

que votre Alliance est belle au coeur des millénaires !<br />

L'Arcature a bandé les plis du tabernacle .<br />

rouge éc<strong>la</strong>tant, orange feu, lie de vin et de sang,<br />

âtre de f<strong>la</strong>mmes immobiles,<br />

saisies, pour f<strong>la</strong>tter sans <strong>la</strong> consumer,<br />

<strong>la</strong> Triade. Angélique forte, sublime et souple.<br />

Abraham reste aux ordres, enveloppé d'humilité bleue,<br />

<strong>la</strong> face reflétant <strong>la</strong> beauté de ses hôtes,<br />

<strong>la</strong> main droite esquissant l'invite<br />

à Sarah de servir, et à <strong>nous</strong> de venir si le coeur <strong>nous</strong> en dit.<br />

Le banc, inachevé, campe sur un tapis conçu par l'Ange-de-Vitet<br />

celui du milieu repose son pied droit,<br />

celui de droite a gardé son auréole,<br />

celui de gauche lève son verre à leur santé !<br />

Les ailes mordorées, émeraude, améthyste,<br />

tombent noncha<strong>la</strong>mment<br />

et révèlent des corps d'une sveltesse arquée.<br />

La scène est fleurie en l'honneur des hôtes :<br />

sur Vitebsk, un feuil<strong>la</strong>ge où nichent des oiseaux ;<br />

188


aux pieds des Anges, le Chêne de Mambré et le panier de fruits ;<br />

sortant du ciel, enfin, une main va conduire<br />

un chamelier fourbu<br />

qui s'éloigne d'un vaste verger bleu, luxuriant, sûrement clôturé,<br />

pour être livré, avec douceur et sûreté,<br />

à trois autres Anges qui l'emmènent<br />

où jamais de lui-même i1 ne serait allé !<br />

La saga d'Abraham au triple mouvement,<br />

-l'abandon d'Ur, sa patrie de Chaldée ;<br />

<strong>la</strong> promesse d'un fils au Chêne de Mambré ;<br />

le sacrifice humain sur le mont Moryah, -<br />

l'Alliance d'Abraham est tissée d'Espérance<br />

et son corps bleu, balloté par le désir divin dans <strong>la</strong> toile de feu<br />

rejoint à l'autre bout de <strong>la</strong> salle,<br />

le grand corps bleu couché, empreint d'ivresse verte,<br />

d'un Noé confiant.<br />

Isaac viendra donc . Sarah a ri, l'incrédule !<br />

Là où Noé repart, Abraham commence !<br />

L'Homme deviendra Peuple aux reins du Patriarche<br />

-Père d'une multitude de multitudes,- .<br />

sept Anges en té<strong>moi</strong>gnent sous <strong>la</strong> main de Yahvé,<br />

et sur le tapis rouge de <strong>la</strong> tente natale.<br />

189


O D E 5<br />

corps vaincu/corps vainqueur<br />

PEINTURE 8 : LE SONGE DE JACOB :GN 28,12<br />

PEINTURE 9 : LA LUTTE DE JACOB ET DE L'ANGE : GN 32,25.27-29<br />

De Vitebsk â <strong>la</strong> gloire,<br />

<strong>la</strong> route du petit Juif passe par Petersbourg !<br />

Qui se souvient encore du vil<strong>la</strong>ge russe b<strong>la</strong>nc ?<br />

Aujourd'hui f <strong>la</strong> Nêva baigne Saint Leningrad,<br />

et le jeune commissaire aux Beaux-Arts<br />

resplendit à Paris, à New-york et à Jérusalem,<br />

à Nice enfin, où il rejoint le fils cadet d'Isaac !<br />

De Hébron à Bethel,<br />

<strong>la</strong> route de l'élu passe par le Yabbok !<br />

Nomenc<strong>la</strong>ture archéologique<br />

pour désigner â l'initié le parcours singulier<br />

qui va de <strong>la</strong> maison du père où i1 n'est rien,<br />

à sa propre maison qu'il consacre à son Dieu . Beth-El !<br />

Dans le gué du torrent, anagramme de son nom,<br />

Jacob par Dieu en sera dépouillé :<br />

" d'imposteur ", il devient son héros, Israël !<br />

Le Songe et le Combat,<br />

-alpha et oméga de <strong>la</strong> métamorphose,-<br />

inversent <strong>la</strong> défaite en victoire,<br />

en alchimie de mort et de résurrection.<br />

I1 fal<strong>la</strong>it donc mourir à <strong>la</strong> terre natale, â <strong>la</strong> mère patrie,<br />

il faut donc, impérativement, mourir â ce qui passe,<br />

pour renaître identique en n'étant plus le même.<br />

Pour être né en France, une deuxième fois,<br />

Marc est frère de Jacob :<br />

Chagall est Israël.<br />

Les deux peintures qui <strong>nous</strong> attendent, dans l'angle le plus frais,<br />

au bout, ainsi qu'au but de notre promenade,<br />

ont le goût doux-amer des aboutissements.<br />

Tel qu'il est accroché, le triptyque, de droite â gauche,<br />

roule trois vagues chromatiques admirables :<br />

le bleu profond de l'Ange, hiératique luciole ;<br />

le mauve, troué des feux du songe d'agonie,<br />

le bleu nocturne enfin de <strong>la</strong> lutte d'étreinte.<br />

C'est <strong>la</strong> chronologie,-de droite à gauche, comme <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue.<br />

La nuit de Leningrad <strong>nous</strong> enfanta Chagall :<br />

dans <strong>la</strong> faim, dans le froid, dans le doute,<br />

dans <strong>la</strong> conscience noire de ne se savoir rien,<br />

<strong>la</strong> nuit il vole un ange dans le ciel<br />

un éc<strong>la</strong>ir b<strong>la</strong>nc sur les toits<br />

il me prédit une longue longue route<br />

il <strong>la</strong>ncera mon nom au-dessus des mai:<br />

1930-1935<br />

190


dans le désir mortel d'anéantissement,<br />

le p<strong>la</strong>fond du local, -rapporte-t-il,-<br />

s'est vo<strong>la</strong>tilisé : une figure ailée, aux quatre grandes ailes,<br />

recueillie, les yeux clos, Ménorah scintil<strong>la</strong>nte,<br />

flottait dans une immobilité bleue,<br />

"et me réanima comme une Pentecôte !<br />

J'enten<strong>dis</strong> l'avenir me parler de victoire,<br />

et que <strong>la</strong> Foi, nourrie d'Amour, sécrète l'Espérance."<br />

La voici, dans un mouvement d'atterrissage cosmique,<br />

cette hallucination travaillée par le rêve.<br />

La vision s'enrichit de tous les Patriarches :<br />

au sol, c'est Abraham qui contemple Isaac,<br />

tenant comme une pincette, l'inutile couteau,<br />

alors que l'ange de service lui dépêche<br />

le bouquetin roux en guise de victime ;<br />

au ciel, voici Jacob qui grimpe à l'échelle<br />

d'où fusent, à <strong>la</strong> rescousse de toutes les détresses,<br />

le Fils-du-livre,- Moïse ? le Juif ? Chagall-<br />

et le Messie cloué sur une croix spatiale ;<br />

en avant, à <strong>la</strong> proue de tout cet équipage,<br />

une coquetterie cubiste agrémente le raid<br />

d'un sextant monté d'un astro<strong>la</strong>be .<br />

La route est tracée, elle mène sur terre<br />

dont l'orbe continue relie le sacrifice au songe :<br />

Isaac-épargné à Jacob-Israel,<br />

Marc-effondré à Chagall-qui-s'éveille !<br />

La nuit du songe, dès l'abord,<br />

dans une fantaisie maniériste, propose<br />

un Messie rouge aux outrages,<br />

assis, les mains liées, le visage penché<br />

-(où chacun qui connaît l'artiste<br />

peut contempler l'audace,- le nez, <strong>la</strong> bouche et le léger sourire<br />

d'un rare autoportrait) ;<br />

et deux anges vieil or,<br />

l'un voletant aux côtés de sa trompette,<br />

l'autre parachevant, tout renversé<br />

un saut acrobatique à <strong>la</strong> perche, à l'échelle plutôt,<br />

p<strong>la</strong>ntée dans un Vitebsk dormant dans <strong>la</strong> nuit mauve.<br />

En fait ils sont bien sept, les Anges-Ascenseurs :<br />

outre nos deux champions, un troisième embrasse l'échelle en sommeil,<br />

le quatrième s'est allongé tout éveillé et <strong>nous</strong> regarde ;<br />

entre les deux, entre les deux premiers barreaux,<br />

un cinquième s'efface dans une brume épaisse,<br />

le sixième, tête en bas, â gauche du trompette,<br />

contemple, tout congestionné,<br />

le septième et dernier, danseur bleu, pirouette,<br />

qui clôt, en saluant <strong>la</strong> noria onirique !<br />

Quasi au centre, entre deux oiseaux, une femme a plongé,<br />

de biais, vers <strong>la</strong> suite du conte,<br />

poitrine généreuse, crinière au vent, certaine.<br />

C'est sûrement Rachel qui précède Jacob,<br />

dépêchée par Yahvé au lieu de <strong>la</strong> rencontre.<br />

On ne peut que s'étonner, sans comprendre tout à fait,<br />

191


de voir Jacob-Chagall en Christ-Messie de sang.<br />

Et pourtant, le désespoir de Leningrad,<br />

<strong>la</strong> menace de mort qui pèse sur Jacob,<br />

les outrages du Christ avant le Golgotha ...<br />

l'artiste, qui rêve <strong>la</strong> Bible,<br />

ne peut que voir ici sa propre vie,- <strong>la</strong> nôtre !-<br />

dans l'archétype nécessaire de l'épreuve !<br />

Suivons Rachel ! volons à <strong>la</strong> fontaine où Jacob <strong>nous</strong> rejoint :<br />

en haut, à gauche, il en<strong>la</strong>ce de côté<br />

<strong>la</strong> gorge préférée qui nourrira Joseph !<br />

Mais reculons un peu, au fond de notre coeur :<br />

il <strong>nous</strong> faut <strong>nous</strong> tapir au chaud, dans <strong>la</strong> mé<strong>moi</strong>re,<br />

pour habiter, en frissonnant <strong>la</strong> nuit bleue de l'étreinte.<br />

C'est un lieu absolu de contemp<strong>la</strong>tion !<br />

Jamais Vitebsk dans l'histoire n'aura comme maintenant<br />

servi d'autel, compact comme une rédemption,<br />

à l'ultime combat de <strong>la</strong> reconnaissance.<br />

Vitebsk et le Yabbok dorment ;<br />

ici, l'espace et le temps se condensent<br />

dans <strong>la</strong> verte fulgurance d'un soleil nocturne<br />

au pied du lutteur, à <strong>la</strong> porte du vil<strong>la</strong>ge,<br />

écrasé par les quatre pyramides bleues<br />

que le réflexe cubiste inspire aux modes tenaces,<br />

le vieux Jacob-Israel pleure et veut quitter <strong>la</strong> scène :<br />

ses dix fils conjurés se sont débarrassés du cadet,<br />

de Joseph, dont ils ont maculé le vêtement d'un sang de bête,<br />

et qu'ils ont abandonné au fond d'une citerne.<br />

Jacob le croira mort, dévoré. Mais Joseph<br />

vendu, libéré puis promu,<br />

régnera en vizir sur toutes les Egyptes<br />

et comblera son père, ses frères, et Benjamin,<br />

de blé, d'argent, de gloire et de prospérité.<br />

Ce<strong>la</strong>, Jacob-qui-pleure ne le sait pas encore,<br />

et Jacob qui repasse le gué pour combattre,<br />

ignore encore qu'en cette nuit<br />

il va naître Israël, peuple élu,<br />

à l'instar d'une autre nuit à Bethléem,<br />

où naîtra le Roi-Prétre-Prophète,<br />

le Christ-Messie, le Fils de l'Homme,<br />

le Juif, excellemment nommé jésus-Sauveur,<br />

lui-aussi, comme Joseph vendu, libéré, puis promu Fils-de-Dieu<br />

Chagall a pris appui sur sa terre natale ;<br />

l'Ange préfère effleurer les toits,<br />

-normal pour un Ange,-<br />

nu, fort, et tendre comme une femme,<br />

caressant, avenant, magnanime et serein !<br />

Ses ailes, en buisson de f<strong>la</strong>mmes,<br />

peuplent l'obscurité d'une veilleuse maternelle :<br />

cette nuit, décidément est bien féminine.<br />

Jacob est décidé ; et pourtant il va fondre<br />

de douceur violette, virilement pudique<br />

dans son élégant et vaste sarouel !<br />

La Bible, elle, rapporte une étreinte violente<br />

192


dont l'issue incertaine provoque un dialogue .<br />

Jacob reconnaît Dieu qui se tait<br />

et devient, en boitant, son héros à jamais !<br />

Quel calme dans cette nuit de lutte,<br />

quelle paix dans ce grand ciel mythique des règlements de comptes.<br />

La vie est une saga de tous les dangers :<br />

rien ne <strong>nous</strong> fut promis de facile ou d'aisé.<br />

Risquer n'est pas perdre,<br />

souffrir n'est pas inutile,<br />

et mourir peut, si l'on croit,<br />

ouvrir des perspectives<br />

La grande pierre b<strong>la</strong>nche â l'ombre du soleil,<br />

dans <strong>la</strong> proue-cimetière de Saint-<strong>Paul</strong>-de-Vence,<br />

et son ange gravé comme une signature,<br />

<strong>raconte</strong>, à qui veut bien s'y recueillir,<br />

une vie â l'échelle de tous les patriarches !<br />

Et je soupçonne notre facétieux artiste<br />

d'entretenir avec ses pain s, ce même rêve issu d'un même Dieu.<br />

193


T R O I S H Y M N E S<br />

Sur les 3 vitraux de <strong>la</strong> salle de concert du musée<br />

LE MESSAGE BIBLIQUE MARC CHAGALL<br />

Cimiez, Nice<br />

le parfum d'une fleur<br />

allume les bougies<br />

en bleu se lève<br />

le jour de ma naissance<br />

mes rêves je les ai cachés<br />

sur les nuages<br />

mes soupirs<br />

volent avec les oiseaux<br />

1965<br />

Hymne : Chant, poème â <strong>la</strong> gloire de Dieu, d'un héros, d'un personnage puissant,<br />

d'une entité quelconque. liturgie . cantique, ode, poème d'invocation ou d'adoration).<br />

194


LA CRÉATION l<br />

H Y M N E 1<br />

les quatre premiers jours . GN l,!-19<br />

La lumière a grondé dans l'éternité bleue,<br />

inaugurant, dans sa trajectoire originaire ,<br />

l'espace insoupçonné mesuré par le temps.<br />

Quelque chose va naître au-delà du principe,<br />

une loi va s'inscrire dans <strong>la</strong> Genèse<br />

pour balbutier <strong>la</strong> patience des devenirs.<br />

Des routes jaillissent d'une gloire,<br />

engendrant des fulgurances régulières<br />

le long desquelles s'organise ce qui advient.<br />

Le vide obscur et froid qu'il faut imaginer<br />

-l'océan primitif d'où surgira le tertre,<br />

<strong>la</strong> masse d'eau noire irisée par le vent,<br />

le chaos aveugle, amorphe et muet,-<br />

s'illumine soudain de toutes les couleurs !<br />

En élipses, tout droit, en beaux cercles oblongs,<br />

en triangles, en biseau, en grappe, en tourbillon,<br />

s'ignorant, se choquant, se métamorphosant :<br />

l'orchestre des soleils, des lunes, des étoiles,<br />

des univers, des mondes, des comètes, des trous noirs,<br />

des nuées, des nébuleuses, des constel<strong>la</strong>tions, ...<br />

l'orchestre ruti<strong>la</strong>nt de ses variations<br />

donne chromatiquement souffle et rythme à l'azur.<br />

La voûte se confond encore avec les continents,<br />

<strong>la</strong> terre ignore encore son soleil et sa lune,<br />

les océans attendent leurs confessions d'étoiles !<br />

Quel centre pour quelles frontières ?<br />

Le chatoiement du mouvement est <strong>la</strong> seule réponse<br />

à l'expansion respiratoire dé l'indéfini.<br />

Les années de <strong>la</strong> lumière, les siècles, les millénaires<br />

répondent sans rien dire<br />

aux calculs macroscopiques comme aux méditations !<br />

L'Aventure en est toujours au vernissage<br />

qu'un big bang hypothétique célébrera sans cesse<br />

de générations en générations !<br />

0 dessein secret , plus insondable qu'un mystère !<br />

Magnificence répercutée de <strong>la</strong>titude en longitude !<br />

Caverne de joyaux inter<strong>dis</strong>ant <strong>la</strong> jauge !<br />

en <strong>moi</strong> fleurissent les jardins<br />

mes fleurs sont inventées<br />

voilà pourquoi je souris<br />

quand mon soleil brille à peine<br />

ou je pleure<br />

comme une légère pluie<br />

dans <strong>la</strong> nuit.<br />

1945-1950<br />

195


Quelle amoureuse et généreuse intelligence<br />

alluma<br />

ce fragile et merveilleux matin bleu<br />

comme image de sa gloire ?<br />

LA CRÉATION 2<br />

H Y M N E 2<br />

les cinquième et sixième jours . Gn 1,20-31<br />

L'origine a de nouveau vibré.<br />

L'inanimé a libéré sa chevelure sidérale<br />

pour des horizons qui reculent !<br />

Les torrides g<strong>la</strong>ciations électriques<br />

observent mécaniquement le programme !<br />

Mais l'origine encore a vibré d'autre chose :<br />

de lumineux, de coloré , bien sûr,<br />

mais de fragile, de complexe, de spécifique.<br />

L`origine a vibré de sa vie propre !<br />

Et dans une émission corpuscu<strong>la</strong>ire rouge,<br />

elle ensemence en tourbillons concentriques,<br />

<strong>la</strong> mer, le ciel, <strong>la</strong> terre,<br />

de tous les étonnants possibles, pour l'eau, pour l'air et pour le sol,<br />

et même aussi pour leurs combinaisons:<br />

espèces, genres, familles, croisements, descendances :<br />

cellules, molécules, gênes et caractères<br />

dans l'ordre impressionnant des inventions.<br />

Le cycle de <strong>la</strong> vie, carbone polychrome,<br />

arpente les artères des engendrements<br />

des poissons, des oiseaux, des animaux :<br />

écailles, plumes, poils, ovipares, vivipares,<br />

du plus petit infiniment au plus grand infiniment,<br />

précision d'aiguil<strong>la</strong>ge aux carrefours de l'Aventure.<br />

Mais il fal<strong>la</strong>it un partenaire,<br />

une vie que l'on puisse appeler d'un nom propre.<br />

L'invention buta contre <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce :<br />

l'origine ne méritant qu'elle-même !<br />

Réelle ou virtuelle, l'image advint enfin,<br />

comme un point d'orgue instrumental<br />

à <strong>la</strong> pérennité et du même et de l'autre.<br />

Le génie créateur, alors, <strong>la</strong>nça l'Histoire<br />

en cet être dernier conçu pour être deux,<br />

à <strong>la</strong> fois même et autre,<br />

et poursuivre à son tour, en sa condition,<br />

l'initiative inaugurée hors des étoiles.<br />

c'est d'après toi que je peins<br />

fleurs forêts gens et maisons<br />

comme un barbare je colore ta face<br />

nuit et jour je te bénis<br />

1930-1935<br />

196


Douce nécessité de <strong>la</strong> vie qui s'impose<br />

comme don propagé jusqu'aux extrémités !<br />

Abondance assour<strong>dis</strong>sante<br />

et spectacle inédit, inouï, incroyable<br />

des manifestations zoomorphiques !<br />

Mais le drame est p<strong>la</strong>nté au sommet primordial,<br />

où <strong>la</strong> double unité, naïve et célébrée,<br />

ignore encore<br />

que dans le temps tout est précaire.<br />

LA CRÉATION 3<br />

H Y M N E 3<br />

Le septième jour . Gn 2,1-4<br />

L'origine apaisée repose dans l'azur<br />

constellée des battements liturgiques<br />

des ailes multipliées, en prismes chromatiques,<br />

des légions d'anges et d'archanges,<br />

de <strong>la</strong> garde invincible des Chérubins<br />

et des choeurs célestes des Séraphins.<br />

La spirale mystique déroule une torsade,<br />

où Jacob en son temps découvrira l'échelle.<br />

Six jours ont précédé le Sabbat obligé,<br />

pause nécessaire, rupture instauratrice<br />

d'une <strong>dis</strong>tance écologique entre l'acte premier et <strong>la</strong> répétition.<br />

La tranquille et lente ascension angélique<br />

re<strong>dis</strong>tribue, à chaque degré, le kaléidoscope<br />

des formes, des couleurs, des volumes, des lignes,<br />

comme un digest d'allusions frémissantes<br />

à l'oeuvre originaire qui s'accomplit sans cesse<br />

dans le présent inépuise des commencements.<br />

0 azur d'ineffable sagesse,<br />

bril<strong>la</strong>nces colorées d'une mé<strong>moi</strong>re sans passé,<br />

avec du bleu du rouge du jaune<br />

pour vous j'ai peint le tabernacle<br />

jouez chantez bon<strong>dis</strong>sez<br />

vous jouiez te rôle du vieux roi<br />

avec <strong>moi</strong>. Vous m'engloutissiez<br />

on riait aux <strong>la</strong>rmes<br />

1930-1935<br />

197


présence incommensurablement sous-estimée,<br />

en dépit des calculs de toutes nos sciences !<br />

Que ce jour â vous consacré par le Livre des livres,<br />

instaure en <strong>la</strong> splendeur de <strong>la</strong> chose créée<br />

le <strong>la</strong>gon bleu de l'origine sans origine !<br />

198


Poèmes à partir de quelques versets du Cantique des Cantiques<br />

Inspirés des toiles du cabinet au musée du<br />

C I N Q S T A N C E S POUR V A V A<br />

Message Biblique Marc Chagall<br />

Cimiez, Nice<br />

avec toi je suis jeune<br />

quand là-bas les arbres menacent<br />

et le ciel se fait plus lointain<br />

tes yeux me touchent<br />

quand chaque pas se perd dans l'herbe<br />

quand chaque pas marche sur les eaux<br />

quand les vagues frémissent dans ma tête<br />

et quelqu'un des nuages m'appelle<br />

avec toi je suis jeune mes années tombent comme feuilles<br />

quelqu'un colore mes tableaux<br />

ils brillent près de toi<br />

le sourire sur ton visage plus c<strong>la</strong>ir que les nuées<br />

je cours où pensive tu m'attends.<br />

1965<br />

CANTIQUE DES CANTIQUES I<br />

je suis â mon bien-aimé et vers <strong>moi</strong> se porte son désir. 7,11<br />

le sourire sur ton visage plus c<strong>la</strong>ir que les nuées je cours où pensive tu m'attends 1965<br />

L'oiseau b<strong>la</strong>nc évalue, à deux bras de compas, l'angle aigu de l'amour.<br />

Les promis, les amants, les époux vivent <strong>la</strong> trajectoire de l'onirique étreinte<br />

jusqu'au dais couronné accomplissant,<br />

dans un grenat d'éc<strong>la</strong>boussures,<br />

<strong>la</strong> diagonale du désir.<br />

La b<strong>la</strong>nche et fantastique sirène marie sa toison Véronèse<br />

aux bleuets en bouquet que son bras impossible ébouriffe<br />

en plumes d'un oiseau chimérique et tendre<br />

à qui le bien-aimé, soudain, donne visage.<br />

A l'orée du jardin enchanté,<br />

elle va,<br />

<strong>la</strong> main cherchant déjà l'inévitable pomme,<br />

l'œil tendrement porté sur le couple royal.<br />

Ah, le grand cerf bleu !<br />

Ah, le grand cerf jaune !<br />

L'oiseau-lyre fabuleux accompagne le berger et sa flûte,<br />

et <strong>la</strong> biche qui brame au ciel.<br />

Au-dessus de <strong>la</strong> ville du soir,<br />

elle monte ou descend, offerte, déployée, visage de soleil,<br />

près d'un arbre doré, où s'est nichée, dans <strong>la</strong> ramure,<br />

<strong>la</strong> plus audacieuse de toutes les brebis.<br />

Tout baigne dans <strong>la</strong> paix des bénédictions.<br />

199


Les collines jumelles, mamelons vigoureux, saignées de deux cyprès accueillent l'Ange du soir sur<br />

Tirsa ;<br />

et sur Jérusalem,<br />

entre l'étoile jaune, doublement imp<strong>la</strong>ntée aux deux royaumes,<br />

et <strong>la</strong> tour de David, <strong>la</strong> main de Dieu s'impose â l'écran d'or du dernier croissant.<br />

Ma colombe s'enivre au sang de <strong>la</strong> grenade,<br />

elle revêt <strong>la</strong> nacre d'un mirage d'aurore<br />

et soupire à <strong>la</strong> danse des noces<br />

un Roi s'est pris à ses boucles et son désir a fait battre ses tempes<br />

ils courent où déjà ils s'attendent.<br />

200


CANTIQUE DES CANTIQUES 2<br />

<strong>dis</strong>-<strong>moi</strong> donc, toi que mon coeur aime, où mèneras-tu paître le troupeau, où le<br />

mettras-tu au repos à l'heure de midi ? 1,7<br />

nuit et jour je t'entends<br />

je t'entends dans le <strong>moi</strong>ndre bruit<br />

je t'entends quand on m'appelle<br />

je t'entends silencieuse 1968<br />

Les vagues de henné s'enroulent en bouquet,<br />

depuis l'arbre où <strong>la</strong> bergère a lové son dos rond,<br />

aux cumulus <strong>la</strong>ineux d'un ciel habité d'anges,<br />

d'un ânon ébahi dans son auréole<br />

et d'un David, musicien angélique et bleu lévitant,<br />

inspiré, au-dessus de son trône.<br />

La femme, épanouie parmi les fleurs,<br />

s'offre,<br />

les yeux clos, aux yeux de son amant<br />

désir inavoué d'un rêve de bergère<br />

Jérusalem est assoupie sur sa colline,<br />

<strong>la</strong> journée fut torride<br />

les premières lumières mordorent, dans <strong>la</strong> brise du soir,<br />

un mouton, un corsage, une coupole,<br />

le croissant, qu'un soleil épuisé abandonne à <strong>la</strong> main avide d'un amant.<br />

Embrasse-<strong>moi</strong>, embrasse-<strong>moi</strong><br />

je suis saoule de t'aimer !<br />

Mon roi, prends-<strong>moi</strong> <strong>la</strong> main<br />

emmène-<strong>moi</strong> !<br />

Je suis halée comme une tente de bédouin,<br />

je fais paître les troupeaux.<br />

Mais, mon bien-aimé,<br />

tu es pour <strong>moi</strong> comme une grappe de myrrhe entre mes seins !<br />

Sur un lit de verdure, <strong>nous</strong> cueillerons les anémones des vallées.<br />

Conduis-<strong>moi</strong> au pa<strong>la</strong>is de l'ivresse,<br />

je suis ma<strong>la</strong>de d'amour<br />

de ta main gauche, soutiens ma tête,<br />

de ton bras droit m'en<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> taille,<br />

je veux mourir entre tes bras.<br />

201


CANTIQUE DES CANTIQUES 3<br />

sois semb<strong>la</strong>ble/mon bien-aimé, à <strong>la</strong> gazelle et à un jeune faon, sur les montagnes de<br />

l'alliance. 2,<br />

ma mère sur le pas de <strong>la</strong> porte<br />

attendait<br />

près d'elle j'ai appris l'espoir<br />

de ses seins elle nourrissait mes rêves<br />

jour et nuit elle priait pour <strong>moi</strong> 1930-1935<br />

La matrice cosmique s'incarne corps de femme<br />

vaste ventre, opulente poitrine, hardi téton !<br />

Gestation renversante des antipodes<br />

où Vitebsk et Saint-<strong>Paul</strong> fondent en hémisphères<br />

comme on change un beau jour de trottoir !<br />

C'est Bel<strong>la</strong> et Vava enfin restituées<br />

dans ce ventre jumeau qui enfanta l'artiste<br />

le vagabond européen aux Amériques,<br />

et le jeune vieil<strong>la</strong>rd méditerranéen !<br />

Du couple bleu b<strong>la</strong>nc rouge, sous le dais rituel du Mazel Tov antique,<br />

crié par deux enfants,<br />

au couple b<strong>la</strong>nc couché, tout au bord du spectacle,<br />

c'est <strong>la</strong> femme qui délivre<br />

pour toutes les saisons,<br />

les mondes arpentés et les mondes rêvés du pèlerin de <strong>la</strong> couleur et de l'amour.<br />

Le sein gauche nourrit toujours le famélique professeur de Petersbourg.<br />

Le sein droit s'illumine encore de l'Ange Aimé,<br />

conso<strong>la</strong>teur surgi de Dieu dans <strong>la</strong> nuit sans retour.<br />

Et le téton sonne <strong>la</strong> victoire de l'aube b<strong>la</strong>nche et de l'amour.<br />

L'écuyer lui répond sur sa monture ailée.<br />

Une femme, délicieusement nue dans les bosquets bleus,<br />

attend d'autres assauts près du coursier royal.<br />

Et dans l'orange du croissant,<br />

le juif errant, précédé de son chien,<br />

rappelle aux vil<strong>la</strong>geois en fête, que nul oasis jamais n'a séduit le nomade !<br />

Mon bien-aimé franchit les monts et les collines.<br />

Ma belle ! Ah, va, va, ma tendre amie,<br />

c'est le temps où tout chante !<br />

Ma colombe nichée aux creux des roches,<br />

cachée dans les champs bleus,<br />

fais entendre ta voix !<br />

Mon bien-aimé est à <strong>moi</strong> et je suis à lui.<br />

A <strong>la</strong> fraîcheur du soir, quand s'allongeront les ombres,<br />

reviens, mon amour, leste comme un faon<br />

parmi les monts et les collines.<br />

202


CANTIQUE DES CANTIQUES 4<br />

j'ai trouvé celui que mon coeur aime je l'ai saisi et ne le lâcherai point. 3,4<br />

un cavalier d'en haut m'enlève dans ses bras ...<br />

regarde ma couronne aimée ...<br />

ma tête et mon âme où sont-elles 1950-1955<br />

Au son de <strong>la</strong> trompette<br />

les deux Anges ont levé le rideau de l'amour.<br />

Le miel et le safran et <strong>la</strong> cannelle striés de <strong>la</strong>urier rose, de myrrhe et d'aloès,<br />

ont tissé au fabuleux voyage le patchwork enchanté des mille et une nuits.<br />

C'est le tapis vo<strong>la</strong>nt du para<strong>dis</strong>,<br />

que le magicien, fou de vin parfumé, a jeté en cadeau au ciel transfiguré.<br />

Oh, <strong>la</strong> belle crinière et les fleurs d'indigo<br />

oh, les ailes bariolées !<br />

Le couple royal file en queue de comète b<strong>la</strong>nche,<br />

tout à inventorier les trésors de l'amour.<br />

Le peuple est à <strong>la</strong> liesse, on rit, on chante, on danse,<br />

on allume de joie les lumières du soir<br />

et sous les arbres bleus on embrasse à tue-tête<br />

sous l'oeil d'un oiseau fou qui vole sur lui-même !<br />

Et <strong>la</strong> Tour de David se hisse, solitaire, face â <strong>la</strong> colline ronde de l'encens.<br />

La ville entière est invitée aux gâteaux de raisins et aux rayons de miel,<br />

au vin, au <strong>la</strong>it, aux sorbets de grenade !<br />

Mon bien-aimé arrive du désert comme un nuage parfumé<br />

il porte <strong>la</strong> couronne des noces, il est tout à <strong>la</strong> joie.<br />

Que tu es belle, ma tendre amie, derrière ton voile !<br />

Tout en toi est beauté.<br />

Viens, ma promise, viens avec <strong>moi</strong> !<br />

tu me fais battre le coeur, petite soeur,<br />

je suis ton prisonnier, ton amour me ravit comme un enchantement.<br />

Tu m'enivres mieux que tous les vins,<br />

sur tes lèvres mon baiser recueille un suc de fleur,<br />

et ta <strong>la</strong>ngue cache un <strong>la</strong>it parfumé de miel.<br />

Tu es mon jardin privé, ma source personnelle, ma fontaine réservée.<br />

Mes amis venez !<br />

Venez du Nord et du Midi, répandez tous les parfums !<br />

Mangez, buvez, enivrez-vous d'amour !<br />

203


CANTIQUE DES CANTIQUES 5<br />

que tu es belle, que tu es charmante, ô amour, ô délices ! 7,7<br />

je me vois immobile et en marche<br />

je me défais devant le feu qui vient du monde<br />

mon amour est comme de l'eau <strong>dis</strong>persée aux quatre coins. 1965<br />

La confidence se murmure au thalweg maritime<br />

Les deux barques font <strong>la</strong> navette entre Jérusalem et Saint-<strong>Paul</strong><br />

près de l'étrange appontement aux appendices d'octopus.<br />

En ce jour, le soleil a pris forme d'étoiles bleues, mauves et vertes<br />

dans l'éc<strong>la</strong>tement d'or, le coeur chauffé à b<strong>la</strong>nc, pour célébrer les noces royales, entre l'homme<br />

et <strong>la</strong> femme,<br />

entre le temps qui passe et le temps qui revient,<br />

entre <strong>la</strong> Ville Sainte et <strong>la</strong> Maison sur <strong>la</strong> Colline.<br />

Tout s'émeut, tout se pare, et tout chante à <strong>la</strong> vie.<br />

Au-dessus de Saint-<strong>Paul</strong><br />

on offre des bouquets, on s'envole, on se souvient d'Adam et d'Ève,<br />

et de l'Eden.<br />

Au-dessous, près de l'arbre qui pépille,<br />

deux couples en<strong>la</strong>cés se murmurent des choses.<br />

Un rabbin, armé du schofar des grands jours, souffle en cadence<br />

avec les musiciens longeant <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge b<strong>la</strong>nche,<br />

salués par le bouquet de l'ange<br />

et le livre en couleurs surgit d'ailleurs !<br />

Mais sur <strong>la</strong> ville immense aux multiples coupoles,<br />

<strong>la</strong> saga davidique a déroulé ses fastes.<br />

Le Roi Prêtre Prophète,<br />

arborant <strong>la</strong> cithare comme une signature,<br />

à l'ombre des ailes rouges sacerdotales et du bel oiseau b<strong>la</strong>nc<br />

colombe de Yahvé,<br />

effleure d'un pied souple, les toits de l'amoureuse capitale<br />

qu'il va prendre à jamais comme trône éternel de l'élection divine.<br />

Le royal coursier bleu paisiblement contemple <strong>la</strong> matrice d'ivoire<br />

qui rattache cette belle histoire à l'arbre de Jessé<br />

car c'est le père et <strong>la</strong> mère du roi<br />

que l'artiste fantastique vêt de branches et de feuilles généalogiques !<br />

Ah, filles de <strong>la</strong> capitale,<br />

venez donc voir mon roi !<br />

Il va chanter pour <strong>moi</strong>, il va jouer pour <strong>moi</strong><br />

il porte <strong>la</strong> couronne de mariage que sa mère lui a remise pour <strong>moi</strong>.<br />

Dis-<strong>nous</strong>, <strong>la</strong> belle, qu'a-t-il de plus qu'un autre celui qui t'aime,<br />

oui, qu'a-t-il de plus qu'un autre ?<br />

Mon bien-aimé est reconnaissable entre dix mille.<br />

il a <strong>la</strong> <strong>dis</strong>tinction du cèdre, tout en lui appelle mon désir<br />

Ma tendre amie, que tu es belle, ravissante comme Jérusalem, <strong>la</strong> cité de ma joie.<br />

Tu me troubles comme un mirage, et il n'y a que toi au monde.<br />

204


ANNEXES<br />

Aux origines de ce livre<br />

Ce livre est né d’une grande joie. Une joie de <strong>la</strong> trouvaille ! Une joie de <strong>la</strong> rencontre !<br />

Depuis <strong>la</strong> fin de mes études de théologie, j’avais conservé de mes cours d’exégèse et des<br />

conclusions de mon diplôme 1<br />

le goût amer des insatisfactions ; j’avais eu beau essayer d’utiliser toutes<br />

les méthodes, jusqu’à <strong>la</strong> dernière née de l’époque, le structuralisme. Pourtant, les Écritures restaient<br />

pour <strong>moi</strong> autre chose précisément que des « écritures », sans que j’eusse trouvé le moyen de tenter de<br />

les dire autrement.<br />

En 1974, je fus chargé de <strong>la</strong> catéchèse dans une école technique tenue par notre ordre, à Nice.<br />

Dès que j’eus maîtrisé les problèmes d’organisation, <strong>la</strong> même insatisfaction me saisit à nouveau :<br />

j’étais en train d’é<strong>la</strong>borer avec notre équipe de travail un ouvrage-bi<strong>la</strong>n sur les quatre années de notre<br />

recherche et de notre expérimentation en matière catéchétique. C’était en juin 1977. Nous voulions<br />

que notre contribution serve au synode romain des évêques sur <strong>la</strong> catéchèse. Notre manuscrit était<br />

terminé ; certains <strong>nous</strong> firent des difficultés pour le publier. L’ouvrage sortit en polycopié, tiré à 600<br />

exemp<strong>la</strong>ires 22<br />

; chaque évêque de France ainsi que les responsables catéchétiques en reçurent un<br />

exemp<strong>la</strong>ire. Il n’en reste plus...<br />

C’est sur ces entrefaites que je tombais en même temps sur quatre auteurs dont les entreprises et<br />

les ouvrages devaient provoquer en <strong>moi</strong> le désir d’écrire ces pages. Je les connaissais déjà tous. Mais il<br />

s’est trouvé que je devais prendre connaissance simultanément de leurs écrits, qui devaient<br />

m’émouvoir au point de m’entraîner à commettre cette tentative.<br />

Je <strong>dis</strong> bien « tentative ». On trouvera à redire, à critiquer, à s’emporter. Je m’y attends !<br />

Comment pourrait-il en être autrement, quand on s’exerce à redire aujourd’hui <strong>la</strong> foi de toujours ?<br />

Quand on se risque à se couler de façon créatrice dans une tradition vivante ?<br />

Quand on veut annoncer le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, le Dieu de Jésus-Christ, aux enfants de<br />

Karl Marx, de Bill Gates et de Stephen Spielberg ?<br />

Je m’y attends. Mais j’attends aussi les autres alternatives, propositions, projets, recherches. J’attends<br />

qu’on se mette en marche (avec ou sans <strong>moi</strong>) vers les Canaans et les Galilées où Yahvé et le Nazaréen<br />

<strong>nous</strong> précèdent, <strong>nous</strong> demandant d’abandonner Chaldées et tombeaux vides par lesquels il fal<strong>la</strong>it<br />

passer, mais où il fal<strong>la</strong>it surtout ne pas rester ! Laissez-<strong>moi</strong> vous présenter ces quatre amis à qui je dois<br />

tout avec reconnaissance.<br />

Il s’agit de Martin Buber 3<br />

, d’André Chouraqui 4 , de Marcel Jousse 5 et de Bruno Bettelheim 6 . À<br />

des titres divers, mais de façon complémentaire, ils sont indirectement responsables de ce qui suit. Je<br />

souhaite les avoir compris. j’espère ne pas les avoir trahis. J’aime à croire qu’ils m’ont aidé à voir plus<br />

c<strong>la</strong>ir en <strong>moi</strong> et à intéresser des popu<strong>la</strong>tions d’élèves à voir dans <strong>la</strong> « bibliothèque biblique » plus que<br />

des archives ; des livres pour notre temps.<br />

1 Jonas ou le prophète en question, Zu<strong>la</strong>ssungsarbeit zum Diplomtheologen, Hochschule der Satesianer, D-8174-<br />

Benediktbeuern.<br />

2 G. PHILIBERT, J.-M. ROCHERON (+), J. SCHMUCK, V.-P. TOCCOLI, Aumônerie, théorie et praxis (Œuvres Don Bosco, 14, rue<br />

Ra<strong>dis</strong>son, 69322 Lyon Cedex)<br />

3 M. BUBER, Die Erzählungen der Chassidim, Manesse, Zürich, 1949 ; traduits en français par Armel Guerne : Les récits<br />

hassidiques, Plon 1963<br />

4 A. CHOURAQUI, La Bible, (traduite et présentée par), Desclée de Brouwer, Paris, 1974.<br />

5 M. JOUSSE, L’anthropologie du geste I. La manducation de <strong>la</strong> parole (Anthropologie II). La par<strong>la</strong>nt, <strong>la</strong> parole et le souffle<br />

(Anthropologie III) Gallimard, Paris, 1978.<br />

6 B. BETTELHEIM, La psychanalyse des contes de fées, R. Laffont, Paris, 1977.<br />

205


Martin Buber - Marcel Jousse - André Chouraqui<br />

Toutes les histoires des Hassidim sont passionnantes. Chacune d’elles me rappe<strong>la</strong>it les<br />

« mashal » du rabbi Jeshouah de Nazareth – comme aime à l’appeler Marcel Jousse. Dans le rapport<br />

qu’en fait M. Buber, le lecteur sent un style s’exprimer, le style oral que les rabbins polonais ont su<br />

conserver, un art de conter qui mourra si l’on n’y prend garde.<br />

« La parole qui <strong>raconte</strong> est plus qu’un <strong>dis</strong>cours, <strong>nous</strong> dit M. Buber 7 , elle fait pratiquement passer<br />

l’événement chez les générations qui suivent, c’est-à-dire que le fait de <strong>raconte</strong>r est déjà un<br />

événement, il a le pouvoir d’un acte sacré. Le conte est plus qu’un miroir : ce dont il té<strong>moi</strong>gne, vit<br />

toujours en lui. Le miracle qu’on rapporte agit à nouveau. La force qui une fois a agi, reprend vigueur<br />

dans <strong>la</strong> parole vivante et agit encore. »<br />

Pour prouver ce qu’il avance, le vieil<strong>la</strong>rd <strong>nous</strong> <strong>raconte</strong> une histoire : plus précisément une<br />

histoire qui <strong>raconte</strong> un événement (?) et qui retrouve, au moment où on <strong>la</strong> <strong>raconte</strong>, <strong>la</strong> force qu’elle<br />

exerçait alors 8 .<br />

On demanda à un rabbin, dont le grand-père avait été un élève du Baalschem 9 de bien vouloir<br />

<strong>raconte</strong>r une histoire. « Une histoire, dit-il, on doit <strong>la</strong> <strong>raconte</strong>r de façon qu’elle serve elle-même à<br />

quelque chose ! » Et il raconta : « Mon grand-père était paralysé. Un jour on lui demanda de <strong>raconte</strong>r<br />

une histoire de son maître. Alors il raconta comment le saint Baalschem avait coutume de sautiller et<br />

de danser en priant. Et mon grand-père se mit debout et continua de <strong>raconte</strong>r, et l’histoire le passionna<br />

tellement, qu’il fut obligé de montrer, en sautil<strong>la</strong>nt et en dansant, comment le maître l’avait fait luimême.<br />

Et, depuis ce moment-là, il fut guéri ! C’est comme ça qu’il faut <strong>raconte</strong>r les histoires »<br />

J’étais déjà enthousiasmé. Ce genre d’histoire correspond exactement à ce que l’on peut appeler<br />

<strong>la</strong> dimension « performative » ou « opérative » de <strong>la</strong> parole créatrice : une parole qui tout à <strong>la</strong> fois est<br />

« mot et acte ». Le fameux « dabar » de l’acte créateur de Dieu.<br />

Je ne puis m’empêcher de citer ici une autre histoire, prêtée au rabbin Baalschem lui-même et<br />

telle que M. Buber <strong>la</strong> rapporte en allemand 10 .<br />

Cette fois, c’est le mashal proprement dit, <strong>la</strong> parabole, par <strong>la</strong>quelle le rabbi Jeshouah de<br />

Nazareth s’exprimait lui-même, en prenant des comparaisons dont l’écho (catéchèse) devait éveiller<br />

l’auditeur à <strong>la</strong> compréhension d’un événement présent ou à venir. Écoutons le Baalschem :<br />

« Un jour, il se tenait dans <strong>la</strong> synagogue pour prier, et il y restait bien longtemps. Tous les siens<br />

en avaient terminé, mais lui continuait sans se préoccuper d’eux. Ils attendirent encore un bon<br />

moment, puis rentrèrent chez eux. Quand ils eurent vaqué des heures durant à leurs multiples affaires<br />

et qu’ils retournèrent à <strong>la</strong> synagogue, il était toujours là à prier. Plus tard, il leur dit : « En partant et en<br />

me <strong>la</strong>issant seul, vous avez provoqué une rupture fatale ! Je vais vous expliquer ça, en prenant une<br />

comparaison. Vous connaissez les oiseaux migrateurs qui volent en automne vers les pays chauds. Eh<br />

bien ! Les habitants d’un de ces pays aperçurent au sein de <strong>la</strong> troupe de ces hôtes du ciel un<br />

merveilleux oiseau bariolé, beau comme jamais l’œil humain jusqu’ici n’avait pu en contempler.<br />

L’oiseau se posa à <strong>la</strong> cime de l’arbre le plus haut et y fit son nid. Quand le roi de cette contrée l’apprit,<br />

il ordonna qu’on lui ramenât l’oiseau dans son nid et fit faire à plusieurs hommes <strong>la</strong> courte échelle au<br />

pied de l’arbre, de façon qu’ils s’esca<strong>la</strong>dent l’un l’autre jusqu’à ce que le plus haut perché arrive à<br />

s’emparer du nid. Il fallut du temps pour déployer cette échelle vivante. Ceux qui se trouvaient en bas<br />

perdirent patience, se dégagèrent et le tout s’écrou<strong>la</strong>. »<br />

Que dire de plus ! Sinon que Jeshouah de Nazareth aurait peut-être ajouté : Que celui qui a des<br />

oreilles pour entendre, qu’il entende !<br />

7 M. BUBER, op. cit., p. 5.<br />

8 M. BUBER, op. cit., p. 6.<br />

9 Israël BEN ELIESER, Baal-schem-tov, rabbin célèbre pour sa vie, sa piété et le souvenir qu’il <strong>la</strong>issa par ses histoires et celles<br />

qu’on lui prêta.<br />

10 M. BUBER, OC., p. 136 (c’est <strong>nous</strong> qui traduisons).<br />

*<br />

* *<br />

206


Les trois ouvrages de Marcel Jousse jonchaient depuis un certain temps ma table de travail,<br />

quand je me décidai à les ouvrir, poussé par (je sais bien lequel !) un instinct qui ne trompe pas.<br />

« Le premier volume analyse <strong>la</strong> technique d’expression des Palestiniens anciens, le Peuple de <strong>la</strong><br />

Bible. Il <strong>la</strong> montre en corré<strong>la</strong>tion étroite avec les structures physiologiques de l’humain et, du même<br />

coup, fait <strong>la</strong> preuve que psychologie et physiologie, esprit et corps, sont de nature in<strong>dis</strong>solublement<br />

intriqués. À partir des Palestiniens, Jousse mène son enquête chez les peuples spontanés : Africains,<br />

Malgaches, Amérindiens, etc., privés comme eux de l’usage courant de l’écriture et les découvre<br />

moulés à un type psychosociologique d’expression simi<strong>la</strong>ire qu’il nomme style oral. » C’est le résumé<br />

qu’en donne le Dr J. Mor<strong>la</strong>as, président de <strong>la</strong> Fondation Jousse 11 .<br />

Dans <strong>la</strong> même préface, présentant le second volume qui m’a le plus inspiré, le président Mor<strong>la</strong>as<br />

continue : (...) C’est en continuité avec l’Ancien que Jousse étudie le Nouveau Testament de Rabbi<br />

Jeshouah de Nazareth. Il démontre que, si l’on veut descendre jusqu’aux racines des thèmes<br />

fondamentaux de <strong>la</strong> dogmatique et si l’on veut saisir en son plein <strong>la</strong> symbolique de <strong>la</strong> liturgie, c’est en<br />

référence au mimodrame palestinien qu’on y parvient.<br />

Déployant <strong>la</strong> pédagogie d’Israël, il démontre que celle de Rabbi Jeshouah est <strong>la</strong> même. Il<br />

l’approprie avec une insistance et une ferveur singulières aux paroles et aux gestes de <strong>la</strong> Cène, faisant<br />

<strong>la</strong> preuve qu’il s’agit, non point de rappel symbolique, mais d’acte concret où se manipule une réalité<br />

transcendante 12 : <strong>la</strong> réalité concrète de l’enseignant se donnant, corps et doctrine, à l’enseigné.<br />

Il marque <strong>la</strong> stabilité et l’immutabilité des éléments fondamentaux de <strong>la</strong> civilisation<br />

palestinienne depuis ses commencements jusqu’à l’avènement messianique de Jeshouah de Nazareth.<br />

Tout au long de ce déroulement historique, « tant paroles que gestes ne perdent rien de leur sens ni de<br />

leur efficacité Première 13 . Ils constituent l’armature de <strong>la</strong> tradition. Édifier dans <strong>la</strong> soumission au<br />

réel, ne pas dévier de l’objet, c’est le fondement de <strong>la</strong> méthodologie joussienne. 14 (...)<br />

Je tiens à dire que ce n’est pas toute <strong>la</strong> démarche de Jousse que je fais mienne. D’une part, je ne<br />

<strong>la</strong> connais pas assez, même si je peux faire mienne, au <strong>moi</strong>ns théoriquement, <strong>la</strong> loi de Ribot : « Un état<br />

psycho-physiologique est d’autant plus facile à faire renaître qu’il importe avec lui un plus grand<br />

nombre d’éléments gestuels. » D’autre part, comme cette citation le précise, c’est <strong>moi</strong>ns le geste que <strong>la</strong><br />

parole qui constitue le point central de ma recherche, une parole, pour <strong>la</strong>quelle M. Jousse - et c’est par<br />

là qu’il me fascine -, a essayé de mettre au point une méthode vivante de mémorisation globale, en<br />

définissant le premier les lois et le genre du style oral à partir du grec des évangiles, pris à travers le<br />

formulisme araméen (Targum), « transposé » (?) en français !<br />

L’Évangile : une parole à dire, et non à lire, même à haute voix. Une parole de communication,<br />

une parole en écho (catéchèse).<br />

« Il va de soi que <strong>la</strong> jeune génération, formée à <strong>la</strong> civilisation audio-visuelle et aux méthodes<br />

expérimentales, aura d’autres exigences et entrera plus facilement dans les milieux de tradition globale<br />

- orale qu’un érudit livresque qui n’a jamais manié que des livres et des fiches de bibliothèque 15 » « À<br />

présent, ce que les jeunes cherchent, ce ne sont pas les phrases, ce ne sont pas des systèmes, mais des<br />

hommes qui les orienteront vers des faits et des faits qui leur donneront <strong>la</strong> possession du réel 16 »<br />

Ce n’est pas ici lieu de faire une quelconque publicité à l’œuvre de M. Jousse. Mais on l’a trop<br />

injustement suspecté pour qu’on ne lui rende pas hommage quand l’occasion se présente.<br />

Personnellement, mon adhésion à sa recherche fut totale quand, vers <strong>la</strong> fin de La Manducation de <strong>la</strong><br />

Parole il brosse le portrait de notre maître commun, le rabbi Jeshouah de Nazareth : un portrait qui,<br />

11<br />

M. Jousse, La Manducation de <strong>la</strong> parole (Gallimard, Paris) p. 9.<br />

12<br />

C’est <strong>nous</strong> qui soulignons.<br />

13<br />

Idem.<br />

14<br />

L.C., p. 17.<br />

15<br />

M. JOUSSE, Dernières dictées, 1957 (cité in Lc. p. 241, note 3).<br />

16<br />

M. JOUSSE, Hautes Études, 25-2-1942 (cité in Lc. p. 242 note).<br />

207


dans <strong>la</strong> force du trait, dresse <strong>la</strong> stature de parole et de geste que le Galiléen devait probablement<br />

posséder, pour susciter encore aujourd’hui, chez <strong>moi</strong> en tout cas, l’enthousiasme devant le risque que<br />

je prends ici.<br />

Un jeune paysan galiléen, pendant trois ans, avait passé, avait côtoyé et même coudoyé<br />

envahisseurs et libérateurs. Au milieu des débâcles et des rêves de victoire de son milieu ethnique, il<br />

avait mélodiquement rythmo-catéchisé, montrant de ses souples mains de paysan-artisan les gestes<br />

analogiques des oiseaux du ciel et des anémones des champs, de <strong>la</strong> brebis perdue et retrouvée, du<br />

semeur et du vendangeur. Du haut d’une montagne qui n’était guère plus qu’une colline champêtre, il<br />

avait fait entrevoir une libération absolument incompréhensible, tellement elle semb<strong>la</strong>it non seulement<br />

s’étendre à <strong>la</strong> Galilée, mais irradier à travers toute <strong>la</strong> Judée, gagner tout l’empire romain et, par-delà<br />

cet empire, libérer toutes les terres et tous les âges.<br />

Ce jeune rabbi galiléen, pendant trois années, avait partagé son temps entre ses outils d’artisancharron,<br />

ses brebis de berger-paysan et ses appreneurs paysans-pêcheurs qui le suivaient comme les<br />

plus dociles de ses brebis.<br />

En vérité, il était bien le bon Pasteur, dans le sens gestuel et analogique de <strong>la</strong> racine verbale<br />

palestinienne : Celui qui fait manger, celui qui fait apprendre de bouche à bouche.<br />

Quand il rentrait de ses rythmo-pédagogies itinérantes, il <strong>la</strong>bourait son petit champ où il semait<br />

ses poignées de grain. Il tail<strong>la</strong>it sa petite vigne et en ordonnait les sarments. Alors il attendait le jour de<br />

<strong>la</strong> <strong>moi</strong>sson où il cueil<strong>la</strong>it les épis et en faisait du pain. Il attendait le jour de <strong>la</strong> vendange où il cueil<strong>la</strong>it<br />

ses raisins et en faisait du vin.<br />

A-t-on jamais vu pareils gestes de futur libérateur, préparant <strong>la</strong> libération contre le joug de fer<br />

de Rome, en pétrissant du pain et en exprimant un peu de vin ?<br />

Et pourtant, c’est cette libération paysanne inattendue, et non <strong>la</strong> libération guerrière trop<br />

attendue, qui al<strong>la</strong>it réussir.<br />

Ses appreneurs galiléens prenaient le pain et le vin de l’aliment, prenaient le pain et le vin de<br />

l’enseignement, en même temps et avec les mêmes gestes rythmiques de <strong>la</strong> bouche et du gosier,<br />

comme avaient toujours fait les appreneurs palestiniens en face de leurs enseigneurs.<br />

Le geste analogique va se faire tragique parce qu’il va se faire objectif. C’est toute cette<br />

objectivité tragique que <strong>nous</strong> entrevoyons dans ce mimodrame du Pain et du Vin et que entendons<br />

rythmo-mélodiquement dans les paroles araméennes qui verbalisent le mimodrame :<br />

b<br />

TOUTES LES FOIS QUE VOUS<br />

LE REFEREZ<br />

a<br />

CELA<br />

c<br />

COMME AIDE-MÉMOIRE DE MOI<br />

VOUS LE REFEREZ<br />

Oui, il est vraiment tragique ce geste d’appel à <strong>la</strong> mé<strong>moi</strong>re fait par un tel enseigneur.<br />

(…) C’est le mimodrame aide-mé<strong>moi</strong>re d’une autre libération, le mimodrame de l’agneau<br />

pascal.<br />

b<br />

COMME UN AIDE-MÉMOIRE<br />

a<br />

ET CELA SERA POUR TOI<br />

c<br />

ET COMME UNE MARQUE-RAPPEL<br />

Nous sommes donc bien en pleine anthropologie mimismologique et pédagogique. Mais<br />

l’analogisme va maintenant se faire réalisme.<br />

L’enseigneur qui, cette fois, donne plus que son pain à manger et que son vin à boire, ce n’est<br />

pas seulement un paysan. C’est aussi et à <strong>la</strong> fois le paysan Tout-Puissant et Tout-Sachant, qui opère et<br />

récite ses rythmomélodiques récitatifs parallèles, en verbalisant ses gestes tout-puissants 17 ;<br />

17 17. M, JOUSSE, OC, pp 256-261.<br />

208


PRENEZ ET MANGEZ<br />

CECI EST MA CHAIR<br />

c<br />

PRENEZ ET BUVEZ<br />

CECI EST MON SANG<br />

Dans le même enseigneur, <strong>nous</strong> avons le Tout-Puissant et le Tout-Sachant. Et l’on comprend<br />

maintenant, dans toute sa stupéfiante profondeur pédagogique, le sens de cette formule<br />

traditionnellement tragique et libératrice que <strong>nous</strong> avons citée tout à l’heure :<br />

b<br />

TOUTES LES FOIS<br />

QUE VOUS LE REFEREZ<br />

a<br />

CELA<br />

c<br />

COMME AIDE-MÉMOIRE DE MOI<br />

VOUS LE REFEREZ<br />

L’entreprise d’André Chouraqui m’a donné le zeste de courage qui me manquait pour<br />

entreprendre à ma façon ma contribution à l’annonce de <strong>la</strong> Parole. On sait que l’ancien adjoint au<br />

maire de Jérusalem s’est astreint à traduire le texte grec des Évangiles en hébreu ; c’est de l’hébreu<br />

qu’il <strong>nous</strong> a offert cette traduction mot-à-mot, rocailleuse comme un torrent de l’Hermont, élémentaire<br />

comme le conte d’un paysan galiléen ! Outre l’envergure de l’entreprise, c’est sa saveur de fruit<br />

sauvage que j’ai appréciée.<br />

*<br />

* *<br />

209


Bruno Bettelheim<br />

L’impression que fit sur <strong>moi</strong> La Psychanalyse des Contes de fées de Bruno Bettelheim, dont<br />

j’avais apprécié les précédents ouvrages 18 , tient à <strong>la</strong> fois du sujet qu’il traitait (les contes de fées), de <strong>la</strong><br />

problématique qu’il développait (<strong>la</strong> psychanalyse) et de <strong>la</strong> façon qu’il avait choisie de lier sujet et<br />

problématique : une espèce de commentaire <strong>dis</strong>cursif, où allusions, remarques, intuitions,<br />

rapprochements et retours en arrière, défiant toute systématisation (a priori), promenaient le lecteur à<br />

travers les bosquets et les ruines les plus inattendus de ce jardin à l’ang<strong>la</strong>ise !<br />

Et toujours les mêmes fondamentales : <strong>la</strong> parole efficace, l’histoire (ici le conte à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce du<br />

mashal ou de <strong>la</strong> parabole) et le fameux style oral. Le complément essentiel chez B. Bettelheim, c’est<br />

l’auditeur à qui l’on <strong>raconte</strong> et sur qui l’effet du conte est escompté : l’enfant !<br />

On comprend que je me sois mis à une relecture raisonnée (et répétée) de cet ouvrage, le crayon<br />

à <strong>la</strong> main. Au fur et à mesure que je reprenais les cheminements des démonstrations de B. Bettelheim,<br />

des éléments s’assemb<strong>la</strong>ient, des fondamentales se profi<strong>la</strong>ient, une logique s’esquissait.<br />

Mes notes se superposant les unes aux autres, mes commentaires se confondirent bientôt avec<br />

les remarques de l’auteur qui me les avait inspirées. C’est ainsi qu’un commerce de plusieurs <strong>moi</strong>s<br />

s’établit entre mes réflexions et les siennes, dont je voudrais dans ce qui suit démêler l’écheveau : les<br />

chiffres entre parenthèses indiqueront les pages dans l’édition de référence, auxquelles mes propres<br />

réflexions renvoient et sur lesquelles elles reposent, pour formuler en mon nom propre <strong>la</strong> logique de<br />

mon cheminement personnel. (Références des pages entre parenthèses)<br />

Dans les Contes de fées, les phénomènes psychologiques internes sont matérialisés sous une<br />

forme symbolique. Les histoires évoquent symboliquement le besoin qu’a l’homme d’atteindre un<br />

stade supérieur d’intégration du <strong>moi</strong> (53). C’est en ce point que le conte de fée se <strong>dis</strong>tingue du mythe :<br />

le mythe forme le « sur<strong>moi</strong> », il s’agit d’imiter le héros, non de l’égaler (idéalisme pessimiste). Les<br />

contes de fées dépeignent à l’inverse une intégration du <strong>moi</strong> qui permette une satisfaction convenable<br />

des désirs du « ça »(réalisme optimiste) (58).<br />

Dans cette dynamique, tout est devenir : les faits extraordinaires sont racontés comme des<br />

événements banaux, quotidiens. Ainsi l’imagination de l’enfant est alimentée de façon à lui révéler<br />

symboliquement quels genres de batailles il devra affronter et que l’issue est garantie heureuse (56).<br />

D’autre part, le conte de fée <strong>la</strong>isse l’enfant libre devant <strong>la</strong> décision à prendre : il l’y incite à<br />

peine. À lui de réagir en fonction du p<strong>la</strong>isir qu’il en tire et du degré d’adéquation du conte au stade de<br />

développement où il se trouve (60). Car <strong>la</strong> dynamique du conte non seulement tend à ouvrir toujours<br />

plus grandes les avenues de l’espoir, mais fait découvrir qu’avec un peu d’intelligence, toujours à<br />

développer, l’enfant peut encore dépasser le protagoniste auquel il s’est identifié (61), l’essentiel<br />

demeurant l’accomplissement du plus haut degré de son identité propre (63).<br />

C’est <strong>la</strong> propre imagination de l’enfant qui va évaluer le degré d’adéquation des matériaux du<br />

conte à sa propre situation : <strong>la</strong> manière dont procède l’histoire convainquant plus que tout <strong>dis</strong>cours<br />

adulte. Le conte de fée fonctionne en effet comme fonctionnent les schémas de pensée de l’enfant<br />

(64). Les questions que se pose l’enfant ne sont jamais abstraites : il se les pose parce qu’elles le<br />

concernent (66) et il ne peut d’autre part comprendre que les affirmations qui s’expriment dans des<br />

termes et sous des formes que son degré de maturation intellectuelle et affective peut assimiler (67).<br />

Chaque individu en quelque sorte doit redécouvrir et reconstruire le monde, à <strong>la</strong> cadence<br />

historique de son propre devenir ontogénétique. Tant qu’il est incapable d’assimiler des concepts<br />

abstraits, l’enfant ne peut avoir du monde qu’une expérience subjective. Il est dangereux de<br />

contraindre prématurément un enfant à connaître <strong>la</strong> réalité de façon adulte : ce<strong>la</strong> l’empêche de se<br />

convaincre personnellement que <strong>la</strong> vie doit être maîtrisée de façon réaliste (71). Le moyen de<br />

persuasion du conte, ce n’est ni <strong>la</strong> démonstration ni <strong>la</strong> logique ! C’est <strong>la</strong> séduction : il ne s’agit pas de<br />

18 La forteresse vide et Les blessures symboliques entre autres (Gallimard, Paris, 1970 et 1971).<br />

210


chercher à comprendre, mais de « se <strong>la</strong>isser avoir » (75).<br />

Par certains de ses traits et sous une certaine forme de fonctionnement, le conte de fée<br />

s’apparente au rêve. De même que par l’analyse de ses rêves, l’individu peut arriver à une meilleure<br />

compréhension de soi et par là <strong>dis</strong>poser mieux de sa vie, de même, par le conte de fée, l’enfant vit dans<br />

un certain sens, par procuration d’abord une litanie de désirs, besoins, pressions et angoisses, même si<br />

ces derniers demeurent pour lui inconscients. Mais fort de s’être identifié à eux de façon mentale, il<br />

agira par <strong>la</strong> suite, peut-être aussi peu consciemment, transformé par cette identification : l’important<br />

n’étant pas de savoir qu’on fonctionne bien, mais de bien fonctionner ; d’autre part, l’intérêt n’étant<br />

pas d’avoir désiré être soumis à des pressions ou d’avoir été <strong>la</strong> proie d’angoisses, mais d’être satisfait,<br />

comblé, délivré et serein. Ce sont les buts qu’il faut faire siens, non les chemins (76).<br />

C’est ainsi que l’enfant sent de manière immédiate que ce qu’il entend, le concerne, lui,<br />

maintenant. Mais il ne le réalise pas automatiquement, car <strong>la</strong> prise de conscience est entravée par <strong>la</strong><br />

nouveauté trop brutale de certains éléments (81). Voilà pourquoi l’enfance est le moment privilégié où<br />

peut s’opérer l’intégration entre l’imagination et <strong>la</strong> réalité, entre l’illogisme (apparent) de l’inconscient<br />

et l’ordre rationnel. Le conte est le matériau adéquat qui en favorisera <strong>la</strong> (ré-) conciliation et<br />

entretiendra, au plus profond de l’adulte, l’enfant capable de lui révéler le sens primordial / ultime de<br />

<strong>la</strong> vie (92).<br />

Sans un « <strong>moi</strong> » solidement ancré au départ dans <strong>la</strong> positivité, l’enfant ne pourra que<br />

difficilement atteindre à sa re<strong>la</strong>tivisation au fur et à mesure de <strong>la</strong> croissance : il faut qu’il s’aime avant<br />

de pouvoir s’accepter (96). Autrement dit, si l’expérience qu’il fait de son « <strong>moi</strong> », n’est pas d’abord<br />

totalement positive, il ne sera jamais à même de pouvoir supporter ensuite <strong>la</strong> découverte, parfois à<br />

peine tolérable, de son « ça » et l’acceptation inévitable de son « sur<strong>moi</strong> » : <strong>la</strong> clef du bonheur<br />

(psychologique) passant par l’intégration harmonieuse de ces trois niveaux de <strong>la</strong> personnalité (108).<br />

Le conte de fée <strong>raconte</strong> toujours expressément un conflit. L’enfant saisit que ces conflits sont,<br />

ont été ou seront les siens, et qu’ils se présentent au moment où il s’agit de passer d’un état ou d’une<br />

étape du développement à un autre. Le conflit inaugure un processus de différenciation plus nuancé<br />

que ce qui précède : il faut se détacher pour s’attacher à neuf (126). Dans ce domaine, l’apprentissage<br />

de l’enfant n’est possible que dans l’autodétermination : c’est tout l’art du conte que de tout dire<br />

implicitement et sous une forme symbolique et de favoriser ce processus par le fait qu’il se contente de<br />

faire signe (154). D’où l’importance corré<strong>la</strong>tive de l’apprentissage de l’adulte à <strong>raconte</strong>r les contes<br />

(157) : un conte se <strong>raconte</strong>, il ne se lit pas. Il s’agit de créer un lieu interpersonnel où agissent et<br />

réagissent les participants (195), il s’agit d’exprimer toutes les images que contient le conte. C’est agir<br />

selon <strong>la</strong> parabole du semeur (Matthieu 13, 4-9 ; 18-23) (199) : les contes comme les paraboles<br />

décrivent les états internes de l’esprit au moyen d’images et d’actions ; dans les contes comme dans<br />

les paraboles, les processus intérieurs sont traduits par des images visuelles (200). On pourrait<br />

continuer à développer le parallèle de <strong>la</strong> façon suivante : le conte de fée (<strong>la</strong> parabole) est l’abécédaire<br />

où l’enfant (le croyant) apprend à son esprit à lire dans le <strong>la</strong>ngage des images, le seul qui permette de<br />

comprendre avant qu’on n’ait atteint <strong>la</strong> maturité intellectuelle (<strong>la</strong> foi). Pour devenir maître de son<br />

esprit, l’enfant (le croyant) doit être familiarisé avec ce <strong>la</strong>ngage et doit apprendre à lui répondre (207).<br />

La valeur et le succès d’une histoire résident dans <strong>la</strong> capacité qu’elle a de se continuer dans<br />

l’imagination de l’auditeur (273).<br />

Nous sommes déterminés significativement par notre monde intérieur, par <strong>la</strong> vie de notre esprit.<br />

Il n’existe rien dans l’extériorité qui puisse m’aider à réussir ma vie ; le seul moyen, c’est d’être franc<br />

avec <strong>moi</strong>-même : be true to thyself ! (321). L’inconscient est l’humus où croît notre personnalité et<br />

les fantasmes donnent à cet humus les formes appropriées. Sans fantasmes, notre vie reste limitée :<br />

l’enfance est l’époque où les fantasmes doivent être entretenus (161). II est sûr que le fantasme est<br />

irréel : mais le réconfort qu’il apporte est bien réel et <strong>nous</strong> soutient (166). Tout aussi irréelle est<br />

l’appréhension, par l’enfant de l’existence : périodes sereines, inexplicablement coupées parfois de<br />

moments déraisonnables et terrifiants. En constatant ce<strong>la</strong>, l’enfant conclut à un destin inexorable ;<br />

c’est <strong>la</strong> plus grande menace : être abandonné, rester seul au monde. « Angoisse de <strong>la</strong> séparation » !<br />

(189). Voilà pourquoi les contes de fées rendent comme plus grand service le réconfort de savoir que,<br />

211


malgré tout, tout finira bien.<br />

L’attachement œdipien est loin d’être, de façon absolue, une pente négativement régressive de<br />

notre structure. Il est le terrain où croît notre bonheur permanent, à condition d’évacuer, au cours de<br />

notre évolution, l’infantilité, elle, négative, de certains sentiments qui bloquent notre évolution (375).<br />

C’est d’autre part le caractère ambivalent du rêve narcissique qui conditionne ce qu’on peut appeler<br />

l’équilibre de <strong>la</strong> personnalité sa tendance est de (faire) supporter <strong>la</strong> vie, c’est-à-dire l’histoire ; elle est<br />

aussi de satisfaire suffisamment pour (faire) continuer l’histoire, c’est-à-dire <strong>la</strong> vie.<br />

On peut se demander si toute <strong>la</strong> dynamique du désir ne se joue pas dans <strong>la</strong> déchirure du « <strong>moi</strong> »,<br />

tiraillé, au cœur même du présent, entre l’image du « même » et l’image de l’« autre » (376).<br />

Le miroir que me tend le conte de fée est un miroir sans tain. Il me renvoie d’abord l’image de<br />

<strong>moi</strong>-même pour peu que je m’y plonge. Puis, au-delà de <strong>la</strong> surface, je me rends compte qu’un autre me<br />

regarde, qui n’est qu’un autre <strong>moi</strong>-même et qui m’appelle à le rejoindre. Un autre encore plus <strong>moi</strong>même<br />

que <strong>moi</strong>-même (378) 19 .<br />

Pour terminer, il n’est pas sans intérêt de considérer, <strong>la</strong> construction des « Mille et une Nuits ».<br />

Shéhérazade doit <strong>raconte</strong>r plus de mille contes, et ce pendant trois ans, pour que le Sultan puisse être<br />

libéré de sa dépression. Plus de mille contes pendant trois ans pour arriver à déclencher une telle<br />

catharsis, telle est <strong>la</strong> cure pour restaurer une personnalité désintégrée.<br />

On sait que <strong>la</strong> vie publique de Jésus de Nazareth a duré environ trois ans et qu’« il leur par<strong>la</strong>it en<br />

paraboles » On ne peut s’empêcher en pensant à <strong>la</strong> même origine orientale des « Mille et une Nuits »<br />

et du mashal (parabole), d’imaginer plus qu’une analogie dans l’art de traiter ces <strong>la</strong>ngueurs où l’être<br />

tout entier se meurt, dans ses composants psychologiques autant que religieux (119).<br />

19 Cf. L’analyse du tableau « Les Menines » de Vé<strong>la</strong>squez, par Michel FOUCAULT, dans Les Mots et tes Choses (Gallimard,<br />

Paris 1966) p. 19-31.<br />

212


Essai de théorisation<br />

Bruno Bettelheim n’a pas systématisé de théorie dans sa Psychanalyse des Contes de Fées (dont<br />

le titre original plus adéquat sert mieux notre propos : The Uses of Enchantment). Il s’est contenté de<br />

montrer comment on peut se servir du merveilleux pour exercer une fonction thérapeutique sur<br />

l’enfant, surtout ici le jeune enfant et l’adolescent pré-pubertaire. Les contes de fées décrivent des<br />

situations inconscientes que les enfants reconnaissent au passage, eux aussi, inconsciemment ; ils<br />

informent des épreuves à venir et des efforts à accomplir. Mais ils s’achèvent toujours par le succès et<br />

le réconfort. En s’identifiant au héros ou à l’héroïne, l’enfant finira par exiger dans son existence<br />

propre cette fin heureuse.<br />

On le voit bien il s’agit en tout état de cause d’un véritable mode d’utilisation (« the uses »,<br />

justement), mais on n’aurait que des exemples et pas de leçon magistrale.<br />

Dans l’essai précédent, <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> sommes livrés à un travail de recherche, consistant à<br />

retrouver suffisamment de points d’appui pour esquisser une théorie d’interprétation ou du <strong>moi</strong>ns pour<br />

en indiquer quelques principes fondamentaux : c’est pourquoi cette recherche s’est accompagnée de<br />

commentaires qui établissent une certaine continuité de <strong>la</strong> pensée, entre les citations, nécessairement<br />

erratiques.<br />

La démarche de Bruno Bettelheim semble suivre trois axes fondamentaux :<br />

• La poursuite des rapports entre <strong>la</strong> symbolique de l’imaginaire du conte et l’imagination<br />

créatrice de l’enfant ;<br />

• Les re<strong>la</strong>tions ontogénétiques entre le réel et l’irréel ;<br />

• Le conditionnement dialectique entre les catégories du Même et de l’Autre.<br />

Essayons de saisir, l’un après l’autre, les développements de ces trois axes.<br />

1. LA SYMBOLIQUE DE L’IMAGINAIRE DU CONTE ET L’IMAGINATION CRÉATRICE DE<br />

L’ENFANT<br />

La symbolique de l’imaginaire du conte<br />

Les phénomènes psychologiques internes sont matérialisés sous une forme symbolique : « Les<br />

contes de fées décrivent les états internés de l’esprit au moyen d’images et d’actions les processus<br />

intérieurs y sont traduits par des images visuelles » (200).<br />

Aussi les états psychologiques informels, non représentatifs, abstraits prennent forme, forme à<br />

interpréter, et constituent par là même une symbolique des images représentatives, une symbolique de<br />

l’imaginaire. Ce qui est livré dans le conte n’est plus du psychologique, mais une série d’images<br />

merveilleuses et/ou fantastiques, dont l’impact mettra en branle une pédagogie de l’inconscient et<br />

constituera une véritable encyclopédie des fantasmes.<br />

Cette symbolique de l’imaginaire fonctionne comme le rêve pour le jeune auditeur : d’une part<br />

elle tendra à provoquer chez lui une activité, mais par procuration, dans <strong>la</strong> mesure où il s’identifiera au<br />

héros ou à l’héroïne ; d’autre part, elle suivra <strong>la</strong> même logique interne de l’inconscient, en procédant<br />

par associations d’images dérivées des premiers impacts.<br />

L’imagination créatrice de l’enfant<br />

Que l’enfant ait une imagination créatrice n’est pas à prouver. C’est son comportement vis-à-vis<br />

de <strong>la</strong> symbolique imaginaire du conte, qui <strong>nous</strong> intéresse ici.<br />

Dans <strong>la</strong> mesure où l’enfant se trouve confronté à une situation, par l’intermédiaire du conte, se<br />

développe en lui ce que <strong>nous</strong> appellerons une dynamique conflictuelle, c’est-à-dire un mouvement<br />

tensionnel, po<strong>la</strong>risé par l’espoir et l’intelligence. L’espoir, c’est ce qui lui vient de cette confiance<br />

fondamentale <strong>dis</strong>tillée par <strong>la</strong> « bonne mère » et dont <strong>la</strong> force est puisée dans l’expérience de <strong>la</strong><br />

positivité absolue de son <strong>moi</strong> ; cet espoir fonctionne encore d’après <strong>la</strong> logique (c’est-à-dire un<br />

irréductible illogisme) de l’inconscient. C’est par là, que dans les situations les plus épouvantables<br />

213


(donc les plus désespérées) l’enfant croira envers et contre tout à une issue heureuse.<br />

L’intelligence, c’est ce qui lui permet de reconnaître comme le concernant certains<br />

comportements décrits et de s’y identifier, ce qui l’aidera peu à peu, au rythme de sa croissance, à<br />

accepter positivement <strong>la</strong> réalité pas toujours agréable de son « ça » et les inconvénients ou les<br />

nécessités inévitables du « sur<strong>moi</strong> » : l’intelligence, faut-il le dire, est de l’ordre du rationnel et elle est<br />

en prise directe avec <strong>la</strong> réalité objective du monde extérieur.<br />

Dans <strong>la</strong> mesure où cette confrontation avec l’univers du conte est par essence conflictuelle, elle<br />

obligera l’enfant à une décision dont elle lui <strong>la</strong>issera l’entière liberté.<br />

Cette liberté de décision est possible d’abord, parce que l’histoire – c’est <strong>la</strong> qualité par<br />

excellence d’une bonne histoire – continue de se dérouler chez l’auditeur une fois que le conteur<br />

s’arrête et cette histoire n’aura de sens pour l’auditeur que par sa propre autodétermination : le conte<br />

de fée n’agit pas par sens imposé.<br />

Cette liberté de décision est ensuite fonction du p<strong>la</strong>isir éprouvé à l’écoute de l’histoire et de son<br />

adéquation aux besoins immédiats de l’auditeur. L’intérêt d’un conte de fée n’est pas de se <strong>la</strong>isser<br />

comprendre, mais de séduire. Son esthétique n’a de vertu que séductrice, son univers n’a de valeur<br />

qu’englobante et totalisatrice. Quant à <strong>la</strong> congruence entre les situations décrites et <strong>la</strong> situation actuelle<br />

de l’auditeur, elle dépend de son développement ontogénétique, autant affectif qu’intellectuel.<br />

C’est dire que ce p<strong>la</strong>isir et cette adéquation entraînent toujours, dans <strong>la</strong> recherche des solutions,<br />

une certaine insatisfaction, positive dans <strong>la</strong> mesure où elle va motiver subjectivement l’auditeur à<br />

redécouvrir et à reconstruire sans cesse le monde qui l’entoure et qu’il entoure.<br />

On peut conclure que :<br />

D’une part, le conte de fée procède d’un réalisme optimiste, à <strong>la</strong> différence du mythe<br />

qui procède d’un idéalisme pessimiste, dans <strong>la</strong> mesure où il se donne pour but<br />

d’atteindre à une satisfaction convenable des désirs du ça, en faisant en sorte que<br />

l’auditeur soit toujours concerné ;<br />

D’autre part, le conte de fée ne fonctionne pas comme un <strong>dis</strong>cours adulte, abstrait et<br />

<strong>dis</strong>tancié, mais il s’efforce de <strong>raconte</strong>r l’extraordinaire d’une façon quotidienne, sans<br />

besoin de démonstration logique, se contentant de p<strong>la</strong>ire et de faire signe. D’où pour le<br />

conteur, <strong>la</strong> nécessité de <strong>la</strong> répétition, de l’intensité narratrice et de <strong>la</strong> création, par le fait<br />

de <strong>raconte</strong>r, d’un lieu d’action dialectique entre l’adulte et l’enfant.<br />

2. LE RÉEL ET L’IRRÉEL<br />

L’axe du réel et de l’irréel est fondamental dans <strong>la</strong> mesure où l’enfant est le lieu de rencontre<br />

entre les situations décrites dans le conte de fée, qui sont irréelles, et les conflits que ces situations<br />

suscitent chez lui qui sont réels. Pour que l’enfant puisse soutenir ces conflits réels, <strong>nous</strong> avons vu que<br />

l’imaginaire du conte de fée va engendrer dans l’imagination créatrice de l’enfant une activité<br />

fantasmatique : ce sont ces fantasmes irréels, qui, en imprégnant l’inconscient de l’enfant, vont lui<br />

permettre d’affronter ces conflits réels en lui apportant le réconfort réel nécessaire à cette action.<br />

Cette même dialectique se retrouve entre l’appréhension irréelle de l’existence par l’enfant et<br />

l’angoisse réelle que cette appréhension fait naître en lui. C’est l’activité mêlée de l’illogisme<br />

inconscient et de l’ordre rationnel qui crée chez l’enfant cette situation, que peut éc<strong>la</strong>irer le schéma<br />

suivant :<br />

Conflit RÉEL↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔ ↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔Fantasme IRRÉEL<br />

↕ ↕<br />

Appréhension IRRÉELLE de l’existence↔ ↔↔↔↔↔↔↔↔↔Angoisse RÉELLE<br />

Telle est <strong>la</strong> situation chez le jeune enfant. Ce qui tend à diminuer avec l’âge adulte, c’est le<br />

facteur IRRÉEL au profit du facteur RÉEL. L’angoisse réelle ne sera plus engendrée par une<br />

appréhension (inadéquate) irréelle de l’existence, mais par des conflits objectifs réels qu’aucun<br />

214


fantasme irréel n’aidera à soutenir. Mais plus l’angoisse réelle sera reconnue, assimilée, intégrée, plus<br />

le conflit réel sera supportable. Et ce, grâce à <strong>la</strong> force du <strong>moi</strong> que les fantasmes irréels de <strong>la</strong> petite<br />

enfance auront su accumuler et dont <strong>la</strong> prégnance indélébile réelle aura transformé et consolidé <strong>la</strong><br />

constel<strong>la</strong>tion structurelle. Ainsi l’âge adulte est celui où le monde est appréhendé différemment, de<br />

façon rationnelle et réelle, mais le réel de l’angoisse et des conflits qui l’engendrent reste le même.<br />

C’est <strong>la</strong> qualité et l’intensité réelles de nos fantasmes irréels qui <strong>nous</strong> rendent suffisamment forts pour<br />

les affronter. Soit le schéma suivant :<br />

Appréhension de <strong>la</strong> vie<br />

RÉEL RÉEL<br />

FANTASME<br />

(IRRÉEL)<br />

Conflits Angoisse<br />

RÉEL<br />

On voit que <strong>la</strong> vie de notre esprit <strong>nous</strong> détermine plus significativement que tout apport<br />

extérieur c’est-à-dire l’activation de nos fantasmes et leur prégnance en <strong>nous</strong>.<br />

Le fantasme est ce que le conte de fée active le plus dans l’économie de l’inconscient du petit<br />

enfant. Car le fantasme (irréel) procure un réconfort (réel) et c’est ce dont a le plus besoin l’enfant qui<br />

se met à vivre.<br />

3. LE MÊME ET L’AUTRE<br />

Ce troisième axe est d’ordre plus ontogénétique : il intéresse <strong>moi</strong>ns le petit enfant (pour qui <strong>la</strong><br />

prégnance du fantasme joue le plus grand rôle) que l’enfant pré-pubertaire dont le <strong>moi</strong> s’ouvre à <strong>la</strong><br />

différenciation.<br />

La recherche de l’identité propre ne peut se saisir de façon générale, mais ici plus qu’ailleurs,<br />

que comme un devenir. L’intégration du <strong>moi</strong> n’est pas un acquis définitif, ce n’est pas non plus une<br />

réalité statique : s’arrêter, c’est régresser.<br />

Or l’attachement œdipien pour l’enfant pré-pubertaire, terrain d’une certaine acclimatation<br />

permanente et habituelle du bonheur tranquille, entraîne avec lui le poids ambivalent du comportement<br />

narcissique, dont <strong>la</strong> fonction structurelle est de répéter et de cristalliser ce qui a déjà été et dont on est<br />

sûr : précisément ce bonheur que l’enfant pré-pubertaire éprouve à vouer son amour au parent du sexe<br />

opposé, duquel il attend tout et auquel il est prêt à tout sacrifier.<br />

Cette structure de <strong>la</strong> situation psychologique bloque <strong>la</strong> dynamique du désir entre <strong>la</strong> répétition<br />

névrotique du même et l’accès sans cesse différé à l’autre. Si l’équilibre de <strong>la</strong> personnalité est en fait et<br />

doit rester un équilibre instable, il n’empêche que l’arrêt trop prolongé du mouvement du devenir<br />

équivaut, dans ses effets en tout cas, à une régression, tant dans le domaine intellectuel qu’affectif.<br />

Cette situation demeure difficile pour l’enfant pré pubertaire, car pour lui <strong>la</strong> dynamique du désir<br />

n’est pas simple. S’il y a désir, il y a en effet à <strong>la</strong> fois désir de l’autre en tant que différent de <strong>moi</strong> et<br />

désir de l’autre que je voudrais devenir.<br />

Le processus psychologique de l’intégration du <strong>moi</strong>, c’est précisément cet ouvrage sans cesse à<br />

remettre sur le métier, où, pour être <strong>moi</strong>-même de façon toujours plus intégrée, il faut que je devienne<br />

<strong>moi</strong>-même toujours plus autre (que je me différencie toujours plus) de celui que je suis déjà devenu.<br />

215


PARENT PARTENAIRE<br />

A ↕ ↕<br />

MÊME←←←←←←← →→→→→→→→AUTRE<br />

____ _____________________ DÉSIR ______________________→ DEVENIR<br />

même↔↔↔↔↔↔↔↔ autre↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔<br />

B ↕ ↕<br />

<strong>moi</strong>↔↔↔↔↔↔↔↔↔ ↔↔↔ <strong>moi</strong>↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔<br />

Dans le p<strong>la</strong>n A du devenir, le désir du MÊME (parent = faux autre) doit faire p<strong>la</strong>ce au désir de<br />

l’AUTRE (partenaire = vrai autre) pour le garçon, du désir de <strong>la</strong> Mère au désir de <strong>la</strong> Femme pour <strong>la</strong><br />

fille, du désir du Père au désir de l’Homme.<br />

Dans le p<strong>la</strong>n B du devenir, le désir du <strong>moi</strong>-même (déjà atteint) doit se transformer en désir d’un<br />

<strong>moi</strong> autre (à atteindre), mais qui restent tous deux <strong>moi</strong>, sinon comment y aurait-il identité du <strong>moi</strong><br />

Le conte de fée montre comment il est possible de trouver un partenaire/autre : il faut que <strong>moi</strong>même<br />

je devienne un autre. Je ne peux toujours rester le petit enfant de mes parents.<br />

L’intégration du Moi, comme actualisation progressive et évolutive de l’identité propre, est<br />

fonction à <strong>la</strong> fois des p<strong>la</strong>ns A et B.<br />

Essayons de ressaisir en quelques propositions plus ramassées l’essentiel des trois axes<br />

théoriques que <strong>nous</strong> prêtons à B. Bettelheim :<br />

SYMBOLIQUE DE L’IMAGINAIRE ET IMAGINATION CRÉATRICE<br />

1. Les images et l’action sont les véhicules des phénomènes psychologiques internes.<br />

2. Au <strong>la</strong>ngage réaliste est substitué un <strong>la</strong>ngage symbolique.<br />

3. La structure et le fonctionnement du rêve sont exemp<strong>la</strong>ires.<br />

4. La résolution des conflits repose sur <strong>la</strong> force de l’espoir et l’investissement de l’intelligence.<br />

5. La liberté de <strong>la</strong> décision repose sur l’intensité du p<strong>la</strong>isir éprouvé et sur l’adéquation des<br />

comportements décrits à <strong>la</strong> situation actuelle.<br />

6. L’insatisfaction résiduelle est une motivation pour l’initiative suivante.<br />

7. Le tout procède d’un réalisme optimiste.<br />

8. L’extraordinaire est raconté de façon quotidienne.<br />

LE RÉEL ET L’IRRÉEL<br />

9. Les conflits et l’angoisse de l’enfant sont toujours réels, même si les causes ne le sont pas.<br />

10. C’est l’activité fantasmatique de l’enfant qui lui permet d’affronter ces conflits et de<br />

soutenir cette angoisse en lui apportant un réconfort.<br />

LE MÊME ET L’AUTRE<br />

11. La recherche de l’identité propre passe en fait par une série de différenciations successives.<br />

12. Ces différenciations concernent tout autant et à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> signification des re<strong>la</strong>tions extraindividuelles<br />

qu’intra-subjectives.<br />

13. La qualité de <strong>la</strong> différenciation est fonction de l’intensité du désir qui est toujours désir de<br />

l’autre.<br />

216


Le Propos<br />

Le <strong>la</strong>ngage biblique a une mission impossible : on ne peut pas dire Dieu. Il véhicule une Bonne<br />

Nouvelle dont on peut dire :<br />

- C’est un événement salutaire universel qui relève de l’initiative et de l’action de Dieu ;<br />

- Par ses « prophètes », c’est Dieu lui-même qui parle et agit ;<br />

- L’Histoire devient par là eschatologie : <strong>la</strong> vie et le sens ne sont plus au bout d’une entreprise<br />

humaine, c’est l’entreprise de Dieu.<br />

L’évangélisation, c’est-à-dire <strong>la</strong> propagation de cette Bonne Nouvelle, se joue d’une part dans le<br />

domaine des cœurs et des esprits d’autre part, elle ne sera réalisable et accessible qu’au contact du<br />

prophète par<strong>la</strong>nt au nom même de Dieu.<br />

Toute l’ethnologie religieuse <strong>nous</strong> apprend que l’homme naturel est le lieu existentiel d’un<br />

certain nombre de paradoxes :<br />

- Au p<strong>la</strong>n de sa conscience structurelle, l’homme se saisit comme un être pouvant représenter<br />

Dieu dans <strong>la</strong> création ;<br />

- Au p<strong>la</strong>n de ses capacités d’expression, il se saisit comme un être réduit à toutes sortes de<br />

médiations ;<br />

- Au p<strong>la</strong>n de son devenir, il se saisit comme un être de désir voué à une dérive intérieure et<br />

extérieure.<br />

Les livres bibliques ne font eux aussi que signifier en d’autres termes <strong>la</strong> même chose : l’homme<br />

religieux se situe au cœur de <strong>la</strong> tension :<br />

- Entre ce qu’il peut dire et ce qu’il peut faire ;<br />

- Entre l’Absolu qui l’anime et le Dérisoire qu’il vit ;<br />

- Entre <strong>la</strong> liberté qu’il recherche et l’inconnu qui le happe.<br />

Ainsi l’être-au-monde de l’homme se caractérise entre autres :<br />

- Par une conscience de soi qui dépasse le sujet de <strong>la</strong> conscience ;<br />

- Par une différenciation nécessaire de ses activités symboliques ;<br />

- Par une autonomie progressive de son « <strong>moi</strong> » dans le devenir.<br />

C’est au regard d’une telle anthropologie religieuse que dans le cadre de l’évangélisation <strong>la</strong><br />

démarche de Bruno Bettelheim peut devenir lumineuse. D’après lui, les contes de fées <strong>dis</strong>ent aux<br />

enfants ce que les parents ne savent pas dire eux-mêmes, un viatique pour <strong>la</strong> vie entière, <strong>la</strong> réponse aux<br />

questions éternelles des nouveaux venus sur <strong>la</strong> terre :<br />

- À quoi le monde ressemble-t-il vraiment ? Comment vais-je vivre ?<br />

- Comment faire pour être vraiment soi-même ?<br />

C’est tout petit en effet que l’angoisse est <strong>la</strong> plus forte et que l’on risque le plus de s’égarer. Or<br />

que <strong>dis</strong>ent les contes ? Ils rassurent, consolent, expliquent, donnent du courage, mais pas de façon<br />

idiote en cherchant à cacher et à a<strong>moi</strong>ndrir les difficultés. Au contraire. Ils ne tranquillisent pas, ne<br />

simulent pas, ne trompent pas, n’accablent pas, ils parlent à l’intelligence et au cœur, dévoilent et<br />

restituent <strong>la</strong> vérité.<br />

Ils <strong>dis</strong>ent : La vie est terrible, mais ne désespère pas ; non seulement tu t’en sortiras, mais tu<br />

dépasseras même tes parents ; tu n’y parviendras pas tout seul. N’aie pas peur, quelqu’un viendra qui<br />

t’aidera et si tu y crois, tu le trouveras. Tu auras des efforts à faire, mais rien n’est irréparable si tu<br />

prends conscience de tes erreurs. Ne va pas trop vite, respecte le temps.( La meilleure illustration en<br />

est l’histoire de Tobie et de Raphaël).<br />

Paradoxalement, c’est dans ce monde du rêve et du fantasme, dans ce monde de l’imaginaire,<br />

que l’enfant s’aguerrit pour affronter celui de <strong>la</strong> réalité.<br />

La Bible privilégie, elle aussi, un <strong>la</strong>ngage où <strong>la</strong> symbolique se noue à l’implication de soi. Il est<br />

évident que <strong>la</strong> question de l’évangélisation ne peut se réduire à une méthodologie ni à une<br />

217


instrumenta(lisa)tion, même pas à une théologie ou à une pastorale. Mais dans notre situation, il faut<br />

procéder à une méthodologie pratique de <strong>la</strong> symbolique de l’imaginaire. Le symbole, c’est <strong>la</strong> forme de<br />

<strong>la</strong> mise en question de <strong>la</strong> Bonne Nouvelle.<br />

Tous les mots sont piégés, même ceux qui ont servi à écrire <strong>la</strong> Bible. Mais s’il n’y a plus de<br />

mots neutres, c’est qu’il n’y en a jamais eu. Prenons les évangiles : ils ne sont pas le produit du hasard<br />

ni évidemment dans leur origine, ni non <strong>moi</strong>ns évidemment dans leur conception. Pendant deux ou<br />

trois générations, ils ont été racontés, mais chaque fois que certains éléments s’avéraient sans<br />

importance ni profondeur pour l’intelligence de <strong>la</strong> foi ou chaque lois qu’ils ne correspondaient à rien<br />

de structurant dans l’esprit des auditeurs, ces éléments <strong>dis</strong>paraissaient.<br />

« Quand une histoire n’existe que dans <strong>la</strong> tradition orale, c’est en grande partie l’inconscient du<br />

conteur qui détermine le fond du conte et ce qui en reste dans sa mé<strong>moi</strong>re. En agissant ainsi, il n’est<br />

pas seulement motivé par ses propres sentiments, conscients et inconscients, à propos de l’Histoire,<br />

mais aussi par les rapports affectifs qu’il entretient avec l’enfant qui l’écoute. À force d’être répétée<br />

oralement pendant des années par des personnes différentes, s’adressant à des auditeurs différents,<br />

l’Histoire aboutit à une version si convaincante pour le conscient et l’inconscient d’une infinité de<br />

personnes qu’on ne voit plus aucun changement utile à y apporter. L’histoire a alors atteint sa forme<br />

« c<strong>la</strong>ssique » 20 .<br />

On peut supposer que des dizaines d’« autres » évangiles ont été véhiculés oralement qui ne sont<br />

jamais parvenus jusqu’à <strong>nous</strong>. À force d’être dits et redits, ceux qui sont restés ont été modelés par les<br />

« prophètes » et se sont enrichis : c’est pourquoi, on retrouve en chacun les mêmes thèmes sous des<br />

formes diverses, avec des colorations différentes suivant l’inconscient prépondérant des prophètes et<br />

des destinataires successifs.<br />

On comprend notre SENTIMENT : c’est l’inconscient que ces textes évangélisent, c’est <strong>la</strong><br />

symbolique imaginaire des évangiles qui est prototypique et a une fonction archétypale pour le<br />

chrétien. Le chrétien, c’est effectivement celui pour qui les Évangiles servent d’abord de vérification à<br />

son psychisme religieux.<br />

On devine alors notre souci<br />

- Éviter que l’évangélisation ne se réduise à une archéologie du savoir chrétien, mais investir ses<br />

énergies dans l’investigation de l’inconnu de Dieu, seul lieu en définitive de <strong>la</strong> décision libre de <strong>la</strong> foi ;<br />

- Éviter que l’évangélisation ne devienne le refuge des certitudes, a priori, mais apprendre à<br />

vivre avec un Dieu qui vient de l’avenir de notre devenir ;<br />

- Éviter que l’évangélisation ne se résigne à rester l’otage de <strong>la</strong> culture, mais retourner à <strong>la</strong><br />

forme narratrice parabolique, choisie (pour rien ?) par Jésus lui-même.<br />

En prenant les Écritures du premier au dernier mot, ne pourrait-on recenser certaines péricopes,<br />

qui au-delà de leur enracinement spatio-temporel, au-delà de leur Sitz-im-Leben, seraient assez<br />

signifiantes dans leur narration pour offrir des développements du sens, aussi méthodologiquement<br />

structurant pour l’homme d’aujourd’hui qu’il l’a été de façon certaine pour l’homme biblique ?<br />

Cette intuition que <strong>nous</strong> avions depuis un certain temps, s’est trouvée éc<strong>la</strong>irée par <strong>la</strong> démarche<br />

de B. Bettelheim à propos des contes de fées. C’est pourquoi, <strong>nous</strong> voudrions retenir<br />

- tout texte qui pourrait être considéré<br />

> comme un « viatique » pour <strong>la</strong> vie de foi,<br />

> comme une réponse aux questions éternelles des nouveaux venus sur <strong>la</strong> terre des prises de<br />

conscience,<br />

> comme une force face à l’angoisse du risque de s’égarer ;<br />

- tout texte qui<br />

> permettant à l’enfant et au jeune de s’aguerrir dans l’imaginaire collectif du Peuple de Dieu,<br />

> le rendrait capable, au niveau de sa psyché religieuse,<br />

> d’affronter <strong>la</strong> réalité quotidienne de l’acte de foi.<br />

20 Bruno BETTELHEIM, op. cit., p. 271.<br />

218


Ainsi l’acte d’évangélisation par les Écritures pourrait consister à faire coïncider dans une<br />

existence humaine l’imaginaire collectif d’une tradition popu<strong>la</strong>ire inspirée et <strong>la</strong> réalité personnelle<br />

d’une vie confrontée à des questions éternelles : si <strong>la</strong> foi est une réalité informante, l’acte catéchétique<br />

biblique, compris comme un acte de <strong>la</strong>ngage structurant, pourrait consister, en racontant <strong>la</strong> vie par les<br />

Écritures, à <strong>raconte</strong>r en même temps <strong>la</strong> foi des écrivains. Le catéchète devrait se saisir alors comme<br />

conteur/catalyseur, unissant dans le même acte « prophétique » et <strong>la</strong> parole reçue et <strong>la</strong> parole donnée.<br />

C’est pourquoi, <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> sommes livrés à <strong>la</strong> systématisation de <strong>la</strong> démarche de B. Bettelheim<br />

et qu’ensuite <strong>nous</strong> avons essayé d’en tirer une série de propositions. Ce travail théorique <strong>nous</strong> a aidé à<br />

rechercher dans <strong>la</strong> « bibliothèque » des Écritures les « histoires » dont le contenu symbolique<br />

confronté à l’imagination créatrice de l’enfant est susceptible de mettre en branle chez lui les « jeux »<br />

du réel et de l’irréel, du même et de l’autre.<br />

Mais au-delà de <strong>la</strong> recherche de l’identité propre et de l’intégration du <strong>moi</strong>,<br />

il s’agit,<br />

> à travers <strong>la</strong> symbolique des images et des actions,<br />

> à travers <strong>la</strong> structure des récits,<br />

> à travers <strong>la</strong> description des conflits et de leurs solutions,<br />

d’établir<br />

> qu’au-delà du réel, il y a un autre réel dont le songe et ses fantasmes font deviner l’existence,<br />

> et à quelles conditions on peut y parvenir<br />

à travers<br />

> <strong>la</strong> maturation du désir,<br />

> <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion médiatisée de l’immédiateté de Dieu,<br />

> dans <strong>la</strong> métamorphose permanente du cœur de l’homme.<br />

219


Avec images et musiques<br />

L’entreprise de théorisation qui précède, le lecteur l’aura de suite compris, se base sur un texte,<br />

des mots, des paroles, une histoire, bien sûr ! Mais non sur un texte ou des mots en tant que texte ou<br />

mots, non sur des paroles ou une histoire en tant qu’histoire et paroles.<br />

Tout ce qui a été dit, puis écrit dans <strong>la</strong> Bible – l’ordre est important – a été dit puis écrit, parce<br />

que ce<strong>la</strong> a été vu ou entendu ou révélé soit historiquement, au moment où ce<strong>la</strong> a pu se passer, soit<br />

diachroniquement, au moment où ce<strong>la</strong> a été raconté. La seule différence, essentielle, entre ce mode<br />

historique et ce mode diachronique d’accès à l’événement, c’est l’usage de l’imagination dans <strong>la</strong><br />

seconde approche.<br />

Jésus de Nazareth, certains l’ont entendu, vu de leurs yeux, contemplé, palpé de leurs mains<br />

c’est « ça » qu’ils ont raconté (1 Jean 1). Ce « ça », <strong>dis</strong>ons-<strong>nous</strong>, est saisissable maintenant par <strong>la</strong> foi,<br />

dans <strong>la</strong> foi et pour <strong>la</strong> foi. Mais ce<strong>la</strong> n’en demeure pas <strong>moi</strong>ns perceptible, et sensiblement, par, dans et<br />

pour l’imagination pour peu que le récit lui-même s’en effectue en catégories préhensibles par<br />

l’imagination. La communauté chrétienne tout entière n’a vécu son enfance qu’autour d’une histoire,<br />

celle de <strong>la</strong> passion, de <strong>la</strong> mort et de <strong>la</strong> résurrection de Jésus de Nazareth, Messie, Fils de Dieu. Relisez<br />

cette histoire chez Matthieu, Marc, Luc et Jean c’est le rapport des faits et gestes des protagonistes, un<br />

procès-verbal, un scénario, une mise en scène, avec indications pour le script, les machinistes et les<br />

éc<strong>la</strong>iragistes. Ne voyez, dans ce que j’écris ici, ni insolence ni irrespect pour le cœur même de<br />

l’Évangile, considérez seulement que je m’exprime sur le mode contemporain de représentation. Tout<br />

le reste des évangiles relève d’un mode analogue de représentation : il s’agit de <strong>raconte</strong>r une histoire,<br />

des histoires. Il n’y a que <strong>Paul</strong>, puis Jean plus tard, qui après confrontation avec d’autres modes de<br />

représentation - celui des communautés nouvelles de l’Europe grecque pour <strong>Paul</strong>, celui de <strong>la</strong> diaspora<br />

judéo-chrétienne au milieu de l’Europe romaine pour Jean -, se sont essayés, pour <strong>la</strong> première fois et<br />

les premiers, aux modes de représentation de <strong>la</strong> logique démonstrative ou mystique : <strong>la</strong> logique<br />

apologétique.<br />

Il faudrait p<strong>la</strong>cer dans notre ouvrage des photos images de tous les jours. Si ce livre avait pu être<br />

accompagné d’un CD, voire d’un DVD, il l’aurait été. Pourquoi des images ? Pourquoi des sons ?<br />

Quel rapport avec notre propos ?<br />

Le passage aux catégories psycho-linguistiques de l’univers mental gréco-<strong>la</strong>tin ayant changé<br />

essentiellement le mode de représentation l’imagination ou mieux l’imaginaire, sémite puis judéochrétien,<br />

il faut y revenir, si <strong>nous</strong> voulons admettre, comprendre et maîtriser le ma<strong>la</strong>ise qui <strong>nous</strong> prend<br />

au fond de <strong>nous</strong>-mêmes au contact des « Écritures » d’une part et de leur utilisation d’autre part.<br />

Au cours de deux millénaires, <strong>nous</strong> avons « théologisé » en permanence <strong>la</strong> parole « narrative »<br />

de l’Évangile et <strong>nous</strong> avons fini par <strong>la</strong> cérébraliser. Elle est devenue « des mots » organisés en<br />

« idéologie », c’est-à-dire en système logique de combinaisons abstraites. Il fal<strong>la</strong>it que le <strong>dis</strong>cours tenu<br />

à son propos soit<br />

> analytique pour pouvoir <strong>la</strong> différencier ;<br />

> univoque pour pouvoir <strong>la</strong> nommer ;<br />

> réflexe pour pouvoir polémiquer ;<br />

> <strong>dis</strong>tancié pour pouvoir sécuriser,<br />

> « neutre » enfin pour prétendre à <strong>la</strong> catholicité.<br />

Or, cette parole narrative de l’Évangile, mise par écrit dans les récits de Matthieu, Marc, Luc et<br />

Jean, s’inscrivait dans l’épaisseur mentale de l’imagination, c’est-à-dire dans un monde concret,<br />

peuplé d’images et de sons quotidiens, univers où chaque auditeur recréait pour lui-même les<br />

significations inouïes de <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion. C’était une parole physique qui l’atteignait<br />

> totalement, puisqu’elle promettait même son corps à l’éternité ;<br />

> multiplement, puisqu’elle l’associait à l’activité créatrice de Dieu ;<br />

> immédiatement, puisqu’elle se passait d’intermédiaire ;<br />

220


émotionnellement, puisqu’elle activait en lui le rire et les <strong>la</strong>rmes ;<br />

> elle le séduisait enfin, puisqu’elle faisait écho à un cri qu’il n’avait jusqu’ici osé pousser.<br />

La parole physique de l’homme de Nazareth, mise par écrit dans les divers évangiles de l’Église<br />

avait, a et aura toujours pour mission de remettre continuellement en question<br />

> notre organisation du réel,<br />

> notre échelle des valeurs,<br />

> notre définition du sens<br />

> et notre consécration de l’absolu.<br />

C’est une chance pour notre siècle que d’avoir « technologisé » l’image et le son, c’est-à-dire<br />

d’en avoir développé <strong>la</strong> production jusqu’à l’exacerbation. Il fal<strong>la</strong>it un tremblement de terre culturel<br />

pour ébranler <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>xie Gutenberg, le mot écrit avait tué <strong>la</strong> parole physique, on ne voyait plus rien, on<br />

n’entendait plus rien<br />

Notre ère réactive l’œil et l’oreille Vers l’extérieur et vers l’intérieur. Nous redécouvrons les<br />

dimensions audio-visuelles des paroles physiques de l’homme de Nazareth et de sa forme préférée, <strong>la</strong><br />

parabole. Nous voyons et entendons à nouveau ce qu’il <strong>nous</strong> dit. Mais il faut pour ce<strong>la</strong> le <strong>la</strong>isser parler<br />

et <strong>nous</strong> <strong>la</strong>isser dessiller les yeux et déboucher les oreilles.<br />

Voilà pourquoi des photos, voilà pourquoi des musiques. Trouvez vos photos, contemplez-les et<br />

<strong>la</strong>issez remonter en vous les souvenirs sédimentaires de votre existence accumulée ; le flux et le reflux<br />

de votre mé<strong>moi</strong>re iconique raviveront en vous <strong>la</strong> tendresse pour ce que jamais vous n’avez vu deux<br />

fois Quant aux musiques, contentez-vous des contemporaines, quand vous vous mettrez à <strong>raconte</strong>r<br />

l’homme de Nazareth ou quand vous inviterez aux voyages vers l’intérieur. Ne prétendez jamais en<br />

imposer le goût à quiconque. Écoutez-les encore et encore : <strong>la</strong>issez-les enfanter en vous les émotions<br />

qui préludent aux sentiments élevés.<br />

Ces histoires, ces images et ces sons veulent, cher lecteur, délivrer en <strong>nous</strong>, et pour notre plus<br />

grand p<strong>la</strong>isir de croyants, l’imaginaire multiple et surprenant de notre désir.<br />

Et de notre foi !<br />

221


PUBLICATIONS<br />

vincentpaul@<strong>toccoli</strong>.org<br />

Du même auteur<br />

1. [1984 : Si <strong>la</strong> Bible m'était contée, (40 épisodes des deux testaments) Le Centurion, Paris 20€<br />

(quelques exemp<strong>la</strong>ires encore <strong>dis</strong>ponibles)] 20 €<br />

2. [1980 : Soll ich in den kirchlichen Dienst (Junge Menshen fragen nach Beruf oder Berufung)<br />

Kösel Ver<strong>la</strong>g, München (quelques exemp<strong>la</strong>ires encore <strong>dis</strong>ponibles)] 20 €<br />

3. 2002 : Marc Chagall La Bible Rêvée (Itinéraire de découverte de l'œuvre de Marc Chagall, au<br />

‘Musée du Message Biblique Marc Chagall, Nice).2002, NGM Publisher, Singapour ;<br />

<strong>dis</strong>tribution : Embrasure/Factuel, Paris 30 €,<br />

4. 2003 : Petit Traité de <strong>la</strong> Compassion (Essai sur l'accompagnement des personnes en fin de<br />

vie). 1 ère Édition, Éditions Dô, Cannes 2002 ; 2 e Édition, Éditions Factuel, Paris-Genève, 14 €<br />

5. 2004 : <strong>Vincent</strong> van Gogh Le Soleil Foudroyé, (L’auteur ‘répond’ aux lettres restées sans<br />

réponse de <strong>Vincent</strong> à son frère Théo, en présentant les œuvres des 3 dernières années de <strong>la</strong> vie<br />

du peintre à Arles, St Rémy et Auvers, avant son suicide dans les blés) NGM Publisher,<br />

<strong>dis</strong>tribution : Embrasure/Factuel, Paris 35 €<br />

6. 2004 : Relire le Testament, (Transposition du Nouveau Testament en français contemporain)<br />

Éditions Dô /Factuel, Nice-Paris, 35€ [Tome 1: Marc-Matthieu, Tome II: Luc, Tome III:<br />

Jean, Tome IV: <strong>Paul</strong>... & les autres.<br />

7. 2005 : Missionnaire pour des temps nouveaux, (Essai autobiographique : les 50 premières<br />

années à travers le monde) Éditions Factuel, Paris-Genève 25 €<br />

8. 2005 : Shin Momoyama (Essais sur l’esthétique zen japonaise : le corps, <strong>la</strong> nourriture,<br />

l’ombre, le cinéma, l’architecture, l’art, <strong>la</strong> danse, le sport et le théâtre) Éditions Amalthée,<br />

Nantes 12 €<br />

9. 2005 : A propos d'Adam, ou Présence d’Esprits, (roman : A <strong>la</strong> recherche d’un inconnu à<br />

travers l’Extrême Orient), Éditions Bénévent, Nice 15,50€<br />

10. 2005 : Le Bouddha Revisité (ou Genèse d'une fiction : Recherche et enquête sur les origines<br />

gréco-bouddhiques de <strong>la</strong> première statue du Bouddha du Gandhara). 1 ère Édition, Éditions Dô,<br />

Cannes, 2 e édition, L’Harmattan, Paris. 20 €.<br />

11. 2005 : Shintaï : Le corps des <strong>dieu</strong>x (études sur le traitement du corps japonais) Éditions<br />

Amalthée, Nantes 15,50 €<br />

12. 2005 : Clé(s) & Lien(s), (les 100 jours de Benoît XVI, chronique et observations critiques),<br />

Éditions Bénévent 22 €<br />

13. 2005 : Un monde para chrétien, (Essai sur les mentalités contemporaines et le message<br />

chrétien), Éditions Bénévent 21,50<br />

14. 2006 : Les peurs de l’avenir proche, in Les peurs de notre temps, Actes du colloque - 14<br />

octobre 2005 Académie européenne inter<strong>dis</strong>ciplinaire des Sciences Nice-Côte d'Azur, PUF<br />

15. 2006 : La Bible à nos amours, Tome I (21 histoires d’amour de l’Ancien testament) Éditions<br />

Factuel, Genève-Paris 18 €<br />

16. 2006 : Lettres en souffrance (Carnets de Chine 1993-1994) Éditions Bénévent, Nice 18 €<br />

17. 2006 : Fuzei, Le Miroir de l’Absence, (Essai sur le Jardin Zen) Editions Amalthée, Nantes 19<br />

€<br />

18. 2006 : L’Orphelin du Soleil et autres récits…, (7 nouvelles fantastiques), La Société des<br />

Ecrivains, Paris 15 €<br />

19. 2007 : L’échelle de perfection (expériences spirituelles 1990-1999) Éditions Factuel, Paris-<br />

Genève. : Tome I (Exercices de Saint Ignace de Loyo<strong>la</strong>) 2007, 22 € ;<br />

20. 2007 : Le Sourire Immobile, (expériences spirituelles 1990-1999) Éditions Factuel, Paris-<br />

Genève. : Tome II (Méditation Zen) 2007, 22 €<br />

21. 2007 : Yume, Cet incertain désir de rêve... (Essai sur <strong>la</strong> mort nippone dans <strong>la</strong> perspective du<br />

samouraï), Amalthée 17 €<br />

22. 2007: Miyzaki l’Enchanteur, Orphée au pays du Soleil Levant, (Essai sur le cinéma "animé"<br />

du cinéaste japonais), Amalthée<br />

23. [2008, Icare et les autruches, (Essai sur <strong>la</strong> peur d’avoir peur) à paraître]<br />

24. [2008, Cyberman, (Essai de théoconnectique) à paraître]<br />

25. [2008, L’administration du Sexe : Mariage et Célibat au Moyen-Âge (La Vierge &<br />

l’Eunuque versus <strong>la</strong> Dame & le Chevalier) à paraître]<br />

26. [2008, Chisana, ou L’Archipel de Enfants Perdus (Dérives contemporaines de <strong>la</strong> jeunesse<br />

japonaise) à paraître]<br />

27. [2008, Verbum Caro, ou Le G<strong>la</strong>ive et le Feu (Parler de Dieu aujourd’hui) à paraître]<br />

222


--------------------------------------------------<br />

DVD : Académie Clémentine e-mail : nicole.sabbagh@wanadoo.fr<br />

1. Marc Chagall La Bible Rêvée<br />

2. <strong>Vincent</strong> van Gogh Le Soleil Foudroyé<br />

3. Les chemins du Bouddha Du Gandhara à Nara<br />

4. La Palerme arabo-normande<br />

5. Caravaggio Chiaroscuro<br />

6. Nico<strong>la</strong>s de Staël Les couteaux de lumière<br />

7. Pablo Picasso Le Masque du Minotaure<br />

223


Table des matières<br />

Il était une fois, préface de Pierre Moitel (1ère édition, 1982) ..<br />

Invitation au voyage ..................................................................<br />

Première partie<br />

HISTOIRES RAISONNÉES<br />

Avec une harpe et une fronde (d’après 1 Samuel 16-18) ..........<br />

Fini, le « petit » Jésus (d’après Luc 2, 40-52) ...........................<br />

Jonas (d’après le livre de Jonas) ................................................<br />

Tobie et Sara (d’après le livre de Tobie) ...................................<br />

Moïse (d’après Exode chap. 2 à 20, 24, 32 à 35 Nombres<br />

chap. 10 à 14, 16 et 17,26 ; Deutéronome chap. 31) .................<br />

Suzanne et Daniel (d’après Daniel 13, 1-62) ............................<br />

Un temps pour............................................................................<br />

(d’après Ecclésiaste 3, 1-15) .....................................................<br />

En revenir (d’après Luc 15, 11-24) ...........................................<br />

En avant toute (d’après Genèse 12, 1-9) ...................................<br />

Essayez (d’après Matthieu 25, 14-30) .......................................<br />

Deuxième partie<br />

ENFANTS DES TESTAMENTS<br />

Les frères ennemis : Caïn et Abel (d’après Genèse 4, 1-16) .....<br />

L’enfant du désir, l’enfant de <strong>la</strong> promesse Ismaël et Isaac<br />

(d’après Genèse 16 ; 17 ; 18, 1-15 ; 21, 1-20 ; 22, 1-19) ...........<br />

L’enfant qui gouverna Joseph<br />

(d’après Genèse 37 ; 39 ; 40 ; 41, 1-50) ....................................<br />

L’enfant sauvé des eaux Moïse (d’après Exode 1 ; 2, 1-10) .....<br />

L’enfant qui par<strong>la</strong>it avec Dieu : Samuel<br />

(d’après 1 Samuel chap. 1 à 4) ..................................................<br />

Les enfants qui résistent : Daniel et ses trois compagnons<br />

(d’après Daniel chap. 1 13) .......................................................<br />

Les enfants devant <strong>la</strong> mort : Le martyre des sept frères<br />

(d’après 2e Livre des Maccabées, chap. 5 à 7) ..........................<br />

Jean le Baptiste (d’après Luc 1, 5-80 ; 3, 1-22 ;<br />

Jean 3, 27-29 ; Marc 6,17-28) ...................................................<br />

Les saints innocents (d’après Matthieu 2, 1-18) .......................<br />

Talitha Koum (d’après Marc 5, 21-43) .....................................<br />

L’épileptique possédé (d’après Marc 9, 14-29) ........................<br />

L’enfant de <strong>la</strong> multiplication des pains<br />

(d’après jean 6, 1-14) ................................................................<br />

Troisième partie<br />

SITUATIONS<br />

Confusion (d’après Genèse 11, 1-9) ..........................................<br />

L’épreuve d’Abraham (d’après Genèse 22, 1-19) .....................<br />

Le marché de Jacob (d’après Genèse 28, 10-21) ......................<br />

Le combat de Jacob (d’après Genèse 32, 23-32) ......................<br />

La vocation de Moïse (d’après Exode 3, 1-18) .........................<br />

Fascination (d’après Exode 32, 1-35) .......................................<br />

224


Désir (d’après 2 Samuel 11, 1 à 12, 24) ....................................<br />

Rien ne sert à rien (d’après Ecclésiaste 1, 1 12,26) ...................<br />

Tu n’as rien à craindre (d’après Isaïe 43, 1-7) ..........................<br />

Les cris de <strong>la</strong> tendresse (d’après Osée, 11, 1-9) ........................<br />

Écouter le silence (d’après Luc 2, 1-20) ...................................<br />

Les de<strong>moi</strong>selles d’honneur (d’après Matthieu 25, 1-13) ...........<br />

Personne n’est prophète en son pays (d’après Lue 4, 13-32) ....<br />

Ton prochain comme toi-même (d’après Luc 10, 25-37) .........<br />

Même si un mort ressuscitait (d’après Luc 16, 19-31) ..............<br />

Connaître et reconnaître (d’après Luc, 24, 13-39) ....................<br />

Appelle-Appelons-Appelez (d’après Jean 1,35-51) ..................<br />

Il faut renaître (d’après Jean 3, 1 -15) .......................................<br />

Il y a eau et eau ! (d’après Jean 4, 4-42) ...................................<br />

Selon l’apparence (d’après Jean 8, 1-11) ...............................<br />

Quatrième partie<br />

La Bible à nos amours<br />

Adam & Ève, L’initiative (Gn 1,26-31 ; 2,4b-25(+4,1-26)........<br />

Noé Madame Noé (Gn 6(5)-9-9(29) ; 10,1-32)... ... ... ... ... ... ...<br />

Abra(ha)m & Sara(ï), De commencement en commencement...<br />

(Gn 12,1-24,1----25,1-11)... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...<br />

Isaac & Rebecca, Retour aux sources... ... ... ... ... ... ... ... ... ... .<br />

(Gn 24,1-67 ; 25,19 ; 26,34-35 ; 28,6-9 ; 36,1-37,1)... ... ... ... ..<br />

Jacob & Rachel, Mon seul amour !... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...<br />

(Gn 27,46-33,20 ; 34,1-31 ; 35, 27-29, 35 ; 49,1-28 ; 49,29-26).<br />

Juda & Tamar, L’amour pervers (Gn 38,1-30)... ... ... ... ... ... ...<br />

Joseph & Mme Potiphar, L’esquive / L’échappée belle (Gn 39,1-23).<br />

Samson & Dali<strong>la</strong>, La séduction (Jg 13,1-16,31)... ... ... ... ... ... ... ..<br />

Le lévite d’Éphraïm & <strong>la</strong> concubine, Vendetta chez les Juges... ...<br />

(Jg 19,1-21,25)... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ..<br />

Booz & Ruth, Le conte de fée (Rt 1,1-4,22)... ... ... ... ... ... ... ... ... .<br />

Elkana & Anne, La foi (1S 1,1-2,11)... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...<br />

David & Mikal (fille de Saül), La raison (1S 18,17-30 ; 19,8-18)...<br />

David & Bethsabée (femme d’Uri), Le désir (2S 11,1- 12,25)... ... .<br />

Amon & Tamar (sa ½ sœur), L’inceste (2S 13,1-39)... ... ... ... ... ...<br />

Tobie & Sara, L’amour vainqueur (Tb 1,1-13,15)... ... ... ... ... ... ...<br />

Judith & Holopherne, La Matriote (Jdt 8,1-16,25)... ... ... ... ... ... ...<br />

Le Bien-Aimé & <strong>la</strong> Bien-Aimée, Le chant immortel (Ct 1-8)... ... .<br />

Osée & Gomer, Pour l’exemple (Os 1,1-3,5)... ... ... ... ... ... ... ... ..<br />

Joseph & Marie, L’inattendu (Mt 1,18-2,23//Lc1, 5-2,52)... ... ... ..<br />

La Samaritaine, L’amour qui cherche (Jn 4, 5-42)... ... ... ... ... ... ..<br />

La Magdaléenne, L’amour qui s’achète (Jn 8, 3-11 ; 12,1-9 ;<br />

Mt 26,6-13 ; Mc 14,3-9)... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...<br />

ANNEXES<br />

Aux origines de ce livre ............................................................<br />

Martin Buber, Marcel Jousse, André Chouraqui .......................<br />

Bruno Bettelheim ......................................................................<br />

Essai de théorisation ..................................................................<br />

Le propos... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ..<br />

Avec images et musiques ..........................................................<br />

225


Photo & Texte pour le 4 de couverture<br />

L’auteur : <strong>Vincent</strong>-<strong>Paul</strong> <strong>Toccoli</strong>, né à Alger en 1942, a poursuivi pendant plus de 17 ans des études<br />

multiples en sciences humaines et religieuses : missionnaire en Amérique Latine et en Chine, psychanalyste,<br />

conférencier, écrivain, consultant international, il est actuellement Délégué à <strong>la</strong> Culture pour le Diocèse de Nice.<br />

« Je dirais volontiers sous forme de paradoxe qu’à <strong>la</strong> limite, l’hommage rendu à ce livre serait qu’il ne<br />

soit pas lu. C’est-à-dire que les récits ici écrits ne soient ni lus, ni dits tels qu’ils sont écrits. Le mieux serait que<br />

l’esprit qui les a enfantés, serve de propédeutique à l’éducateur, catéchiste d’enfants ou animateur de jeunes,<br />

qui désirerait retrouver dans <strong>la</strong> Bible <strong>la</strong> dynamique d’une parole vivante et personnalisée. Le livre aurait<br />

répondu à l’objectif de son auteur, si, après sa lecture, chaque éducateur se mettait à son tour et avec ses mots à<br />

lui à conter <strong>la</strong> Bible.<br />

Au commencement était <strong>la</strong> parole. La Parole de Dieu, bien sûr. Mais peut-être aussi <strong>la</strong> parole de<br />

l’homme qui DIT <strong>la</strong> Parole de Dieu.<br />

« … Et <strong>la</strong> voix que j’avais entendue venant du ciel, me par<strong>la</strong> et me dit :<br />

Va,<br />

prends le livre ouvert dans <strong>la</strong> main de l’ange<br />

qui se tient debout<br />

sur <strong>la</strong> mer et sur <strong>la</strong> terre.<br />

« Je m’avançai vers l’ange et le priai de me donner le livre. Il me dit :<br />

Prends<br />

et mange-le.<br />

Il sera amer à tes entrailles mais dans ta bouche, il aura <strong>la</strong> douceur du miel.<br />

« Je pris le petit livre de <strong>la</strong> main de l’ange et le mangeai. (Apocalypse 10, 8-10) ». Pierre Moitel<br />

226

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