28.06.2013 Views

un recueil - Cochonfucius

un recueil - Cochonfucius

un recueil - Cochonfucius

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Sonnets de <strong>Cochonfucius</strong>, 2011<br />

Sans rêves<br />

Abel, ce n'est pas moi, c'est cette lourde pierre<br />

Qui t'a ôté la vie, et tu m'en vois surpris.<br />

De mon triste forfait, comment payer le prix,<br />

Même en me repentant pendant ma vie entière ?<br />

Abel, ton nom sera toujours dans mes prières,<br />

Chaque année je ferai l'offrande d'<strong>un</strong> cabri,<br />

Même quand mes cheveux seront devenus gris,<br />

Et la veille du jour où je serai poussière.<br />

Abel, si tu le peux, dans mes rêves surviens<br />

Pour guider mon esprit, chaque nuit, vers le bien,<br />

Comme <strong>un</strong>e étoile guide <strong>un</strong> marin vers son havre.<br />

Or, quelques jours plus tard, la voix d'<strong>un</strong> revenant<br />

Vint prédire à Caïn : « Ton sommeil maintenant<br />

Sans rêves coulera, tel celui d'<strong>un</strong> cadavre. »<br />

la fraternité<br />

Abel, mon compagnon, accepte <strong>un</strong> peu de bière !<br />

Car, depuis bien des jours, tu n'en as pas repris ;<br />

Pourtant c'est <strong>un</strong> plaisir qui toujours vaut son prix,<br />

L'homme qui a bien bu aime la terre entière.<br />

Abel, mon doux frangin, prends <strong>un</strong> peu de gruyère !<br />

Le mangeur de fromage est gai comme <strong>un</strong> cabri ;<br />

Il oublie la fatigue, il oublie le ciel gris,<br />

Et que l'homme est <strong>un</strong> corps qui retombe en poussière.<br />

Abel, tu ne bois pas, et tu ne manges rien,<br />

Mais tu devrais, pourtant, puisque c'est pour ton bien,<br />

Je fais tous mes efforts... ah, vraiment, ça me navre.<br />

Or, Caïn continue à être prévenant,<br />

Cela fait quelque temps qu'il parle, maintenant ;<br />

Abel ne répond rien, ce n'est que son cadavre.


Pierre Abélard à Saint­Denis<br />

Abélard, dont le peuple admirait les discours<br />

A pour amante pris la très sage Héloïse,<br />

Et l'histoire nous dit combien cette entreprise<br />

Les laissa tous les deux sans joie et sans secours.<br />

Bien que leur aventure eût ainsi tourné court,<br />

Héloïse resta sous cette étrange emprise.<br />

A leur sort inhumain ces deux âmes en prise<br />

Ne perdirent contact, au long de leur parcours.<br />

Et quand je pense à eux, je leur donne raison,<br />

Car, n'ayant plus de fruits dans leur froide saison,<br />

Ils cultivaient la fleur des amours impossibles.<br />

J'admire même <strong>un</strong> peu leur double célibat.<br />

Chac<strong>un</strong> de leurs deux coeurs, qui contre l'autre bat,<br />

A le droit de ne pas demeurer impassible.<br />

Pierre Abélard (toujours à Saint­Denis)<br />

Abélard, qui connaît à présent tes discours ?<br />

Plus parlant à nos coeurs est celui d'Héloïse,<br />

Te demandant pourquoi tu l'avais entreprise<br />

Pour <strong>un</strong> jour lui ôter ton marital secours.<br />

Mais bien que ta carrière ait ainsi tourné court,<br />

Tu gardes sur notre âme <strong>un</strong>e honorable emprise.<br />

A ce monde inhumain quand nous sommes en prise<br />

La nostalgie nous prend de ton simple parcours.<br />

Et quand je pense à toi, je te donne raison,<br />

Car je connais aussi <strong>un</strong>e froide saison<br />

Où ne vit que la fleur d'<strong>un</strong> amour impossible.<br />

Je n'ai pas fait retour, quand même, au célibat.<br />

Autant qu'il est <strong>un</strong> coeur qui contre le mien bat,<br />

Je ne vais certes pas devenir impassible.


Salomé (hommage à Oscar Wilde)<br />

Le fils du charpentier eut <strong>un</strong> cousin prophète ;<br />

Sa voix dans le désert clamait la loi de Dieu.<br />

Trouvant que ses propos étaient bien séditieux,<br />

Sa majesté le roi ordonna qu'on l'arrête.<br />

La belle­soeur du roi vint sur ces entrefaites<br />

Faire avec le monarque <strong>un</strong> couple incestueux.<br />

Le prophète en a fait reproche vertueux,<br />

La reine lui a dit : Un jour j'aurai ta tête.<br />

­ Reine, bien que ma vie soit au pouvoir du roi,<br />

Nous savons qu'il est noble et qu'il juge à bon droit,<br />

Au moins c'est ce qu'on voit dans la jurisprudence.<br />

La reine a répondu sur <strong>un</strong> ton méprisant :<br />

Donc je te surprendrai, peut­être, en te disant<br />

Qu'on me l'apportera pour le prix d'<strong>un</strong>e danse.<br />

Un épilogue<br />

Acceptant le plateau, Salomé, stupéfaite,<br />

Dans les yeux du déf<strong>un</strong>t plonge ses tristes yeux,<br />

N'ayant jamais pensé qu'on prendrait au sérieux<br />

La demande insensée qu'au monarque elle a faite.<br />

D'<strong>un</strong>e voix repentante, elle parle au prophète<br />

Et tâche de lui dire <strong>un</strong> mot affectueux,<br />

Sans employer, pourtant, d'accents voluptueux ;<br />

Autour d'elle on entend les échos de la fête.<br />

Entonnez <strong>un</strong> cantique, a demandé le roi,<br />

Et puisque le prophète a péri sans effroi,<br />

Prenez soin de son âme, auguste Providence.<br />

Les traits du vagabond qui allait baptisant<br />

Sont gravés, pour toujours, au marbre d'<strong>un</strong> gisant<br />

Qui du vieux souverain orne la résidence.


Le roi des arbres est <strong>un</strong> buisson<br />

Abimélek a fait exterminer ses frères,<br />

Sauf Yotam qui raconte <strong>un</strong>e histoire de rois.<br />

Les arbres ont voulu <strong>un</strong> monarque (à bon droit).<br />

L'olivier se récuse, offrir l'huile, il préfère ;<br />

Et le figuier poser des figues sur la terre,<br />

Et la vigne fournir du vin de bon aloi.<br />

Le buisson alors crie : « En moi, ayez donc foi,<br />

Si vous m'obéissez, je serai débonnaire.<br />

Si vous me méprisez, je répandrai les flammes<br />

Pour brûler des vivants le corps et même l'âme<br />

De Méditerranée aux sommets du Liban. »<br />

Yotam a raconté cette fable stupide<br />

Pour porter désaveu, de manière intrépide,<br />

Aux affabulations d'<strong>un</strong> vieux buisson ardent.<br />

<strong>un</strong>e vieille enveloppe<br />

A chaque nouveau pape est, paraît­il, offerte<br />

Par le rabbin de Rome, en son vieux Vatican,<br />

L'enveloppe qui est, depuis la nuit des temps,<br />

Refusée, ce qui fait qu'on l'offre en pure perte.<br />

Un pape et <strong>un</strong> rabbin, d'érudition experte,<br />

Afin d'élucider ce mystère obsédant,<br />

Ont décidé de voir ce qu'on trouve dedans.<br />

Quand, dans <strong>un</strong> lieu secret, l'enveloppe est ouverte,<br />

Un parchemin est là, devant leurs yeux surpris.<br />

Les deux vieillards, alors, scrutent le manuscrit,<br />

Craignant d'y découvrir des vérités obscènes.<br />

Le pape et le rabbin ont pu le constater :<br />

Ce parchemin, longtemps des regards abrité,<br />

N'était que l'addition de la dernière Cène.


Adam et Lilith<br />

Adam aimait l'amour sans avoir jamais vu<br />

De féminin minois... et puis, <strong>un</strong>e luronne<br />

Qui n'a pas froid aux yeux, à ce point l'impressionne<br />

Que son coeur de l'Eden ne se satisfait plus.<br />

Et lui qui se montrait tout innocent et nu<br />

Devient majestueux au milieu de l'automne,<br />

Les oiseaux du jardin, bien sûr ça les étonne,<br />

De le voir explorer ce parcours inconnu.<br />

Mais Adam n'est pas libre, et sa vie est inscrite<br />

Au plan du Créateur, en sa règle, en ses rites.<br />

Lilith partit <strong>un</strong> jour vers je ne sais quel sort.<br />

Adam n'a de cela gardé nulle souffrance,<br />

Ce bel amour était <strong>un</strong>e vaine plaisance ;<br />

Celui qu'il a pour Eve est fort comme la mort.<br />

Adam et Lilith au temps présent<br />

J'aimais la poésie sans avoir jamais vu<br />

De poète vivant... et puis, <strong>un</strong>e luronne<br />

Ecrivant sous mes yeux, à ce point m'impressionne<br />

Que mon âme aux miroirs ne se reconnaît plus.<br />

Et moi qui me prenais pour <strong>un</strong> vieillard chenu,<br />

Je me mets à flamber au milieu de l'automne,<br />

Et tous mes bons copains, bien sûr ça les étonne,<br />

De me voir explorer ce parcours inconnu.<br />

Mais mon coeur n'est pas libre, et ma vie est inscrite<br />

Dans <strong>un</strong> quotidien qui a sa règle et ses rites.<br />

Platoniques seront ces nouvelles amours.<br />

Impossibles plutôt, car c'est trop de souffrance<br />

De réduire l'amour à quelques apparences,<br />

Lui qui voudrait qu'on fît <strong>un</strong> grand feu, chaque jour.


Nolens Volens<br />

Adam aurait voulu rester singe docile,<br />

Mangeant sa nourriture au moment d'avoir faim,<br />

Ne perdant pas son temps à des discours sans fin,<br />

Ne cachant pas son sexe en <strong>un</strong> bout de textile.<br />

Mais il est surchargé d'<strong>un</strong> cerveau trop habile<br />

Qui de trop de détails veut le mettre au parfum.<br />

Dieu qui jamais n'admet que l'on soit son dauphin<br />

Le condamne aussitôt à des efforts stériles.<br />

Adam jette son dieu dans <strong>un</strong>e inexistence<br />

Dont il avait sans doute <strong>un</strong>e intime prescience,<br />

Car l'intéressé n'a pas beaucoup protesté;<br />

Le monde cependant, géré par le primate,<br />

Ne plaît plus désormais qu'à quelques psychopathes,<br />

Que nous sommes, serons, que nous avons été.<br />

Abel<br />

Adam dit à Caïn : « De Dieu tu es l'image. »<br />

Caïn eût mieux aimé qu'il n'y eût pas de Dieu.<br />

Pour ne pas disperser ce divin apanage,<br />

Il a tué son frère, <strong>un</strong> homme aimable et pieux,<br />

Après ce sacrilège, il ne vécut pas mieux,<br />

Mais il passait ses jours et ses nuits dans la rage.<br />

Quand il eut à subir la vengeance des cieux,<br />

Il jugea qu'envers lui ce n'était qu'<strong>un</strong> outrage.<br />

Descendants de Caïn, gardons­nous de nous­mêmes,<br />

Des sentiments pervers, des colères extrêmes,<br />

Noircissant notre coeur comme noircit <strong>un</strong> ciel<br />

Quand l'orage l'emplit d'éclairs et de tonnerre.<br />

Laissons passer l'orage, et soyons débonnaires :<br />

Caïn eût été noble en épargnant Abel.


Horloge<br />

Adam pour son jardin se bricole <strong>un</strong>e horloge.<br />

La l<strong>un</strong>e et le soleil lui semblent capricieux ;<br />

De nuages parfois se recouvrent les cieux<br />

Que vainement alors le regard interroge.<br />

Et dans cette machine où son génie se loge,<br />

Il voit <strong>un</strong> vrai triomphe, <strong>un</strong> instrument précieux,<br />

La belle solution qu'<strong>un</strong> esprit audacieux<br />

Trouve aux défis, s'il veut être digne d'éloges.<br />

Mais cela fait du monde <strong>un</strong>e foire d'empoigne,<br />

Et du jardin natal, chaque jour on s'éloigne,<br />

Par l'horloge abrutis du matin jusqu'au soir.<br />

Ce n'est pas pour toujours, poète, prends patience,<br />

De vivre sans horloge on trouvera la science :<br />

Et nos nouveaux jardins seront plaisants à voir.<br />

Une verticale, <strong>un</strong>e horizontale<br />

Adam, pieds dans le sol, orgueilleux paladin,<br />

Médite sur son corps, sur cet arbre qui danse.<br />

Levant les yeux au ciel, il voit cette arche immense<br />

Que parfois bouleverse <strong>un</strong> changement soudain.<br />

Puis il étend son bras, qui s'arme d'<strong>un</strong> gourdin,<br />

Vers les quatre horizons porteurs de forêts denses :<br />

Pôle, équateur, levant, couchant sous sa puissance,<br />

Forment les quatre murs de son petit jardin.<br />

Content de son pouvoir, il dresse <strong>un</strong>e colonne<br />

Au milieu du gazon. Les oiseaux s'en étonnent :<br />

Cet arbre ne vient pas du seigneur éternel.<br />

La colonne est ensuite ornée d'<strong>un</strong>e traverse,<br />

Mais Adam n'a pas eu la tentation perverse<br />

D'y accrocher le corps de Caïn ou d'Abel.


le coeur d'artichaut<br />

Adeline est charmante et Béatrice est belle,<br />

Caroline m'adore, ainsi que Djamila,<br />

S'il n'y avait dans mon coeur que ces quatre noms­là...<br />

Mais on y trouve encore Estelle, Flor, Gaëlle,<br />

Hélène, Isa, Justine, Odile et Raphaëlle,<br />

Une douzaine en tout. C'est bien trop, mais voilà,<br />

Mon coeur sans hésiter chaque fois s'emballa,<br />

Ignorant (honte à moi) le sens du mot "fidèle".<br />

En plus je suis distrait, je confonds leurs prénoms,<br />

Au moment du plaisir, ne sais si oui ou non<br />

J'ai dit celui qu'il faut en prononçant « je t'aime ».<br />

J'ai envie de leur faire à toutes mes adieux<br />

Et de vivre tout seul des instants délicieux.<br />

(On n'est jamais si bien aimé que par soi­même).<br />

les auxiliaires du temps<br />

Aion dit à Kairos : « Ecrivons <strong>un</strong> sonnet »,<br />

Chronos le leur permet, ils n'ont rien d'autre à faire.<br />

Aion se gonfle alors comme <strong>un</strong>e énorme sphère<br />

Et Kairos de grands coups de pinceau lui donnait.<br />

Chronos aux alentours, calme, se promenait,<br />

Qui pas toujours avec ses adjoints n'interfère,<br />

Jugeant qu'en certains cas ils savent leur affaire<br />

(Ça fait <strong>un</strong> certain temps, déjà, qu'il les connaît).<br />

Aion, sans prévenir, se réduit en <strong>un</strong> point,<br />

Les tracés de Kairos alors ne se voient point,<br />

C'est dommage, ils étaient d'<strong>un</strong>e belle écriture.<br />

Il faut se résigner. La surface du temps,<br />

C'est <strong>un</strong>e bulle, et non <strong>un</strong> papier résistant :<br />

Elle ne retient pas notre littérature.


<strong>un</strong> autobus<br />

A l'arrêt d'autobus, <strong>un</strong> homme a son regard<br />

Capté par la beauté d'<strong>un</strong>e femme en attente.<br />

« Vous êtes belle », a­t­il dit d'<strong>un</strong>e voix charmante.<br />

L'autobus arriva, même pas en retard.<br />

Et pendant le trajet, cette femme émue par<br />

La douceur de ces mots, avait l'âme tremblante,<br />

Et elle imaginait l'aventure excitante<br />

Qui pourrait se produire avec l'inconnu, car<br />

Lorsque deux coeurs soudain battent à l'<strong>un</strong>isson,<br />

Les corps peuvent bientôt partager leurs frissons,<br />

L'amour ne requiert pas de formalités lourdes.<br />

Le bus accomplit son parcours sans intérêt.<br />

Le monsieur descendit, car c'était son arrêt.<br />

A nos violents désirs, la vie, parfois, est sourde.<br />

Un inframonde<br />

A l'Est chaque matin apparaît le soleil<br />

Tout le jour il avance et donne sa lumière<br />

Et chaque jour il tombe à son heure dernière<br />

Derrière l'Ouest il semble abriter son sommeil<br />

Mais il est obligé de rester en éveil<br />

Car pour se lever à sa place coutumière<br />

D'Ouest en Est il lui faut franchir la Terre entière<br />

Avançant sous le sol d'<strong>un</strong> effort sans pareil<br />

A moi ma nuit aussi est dans <strong>un</strong> inframonde<br />

Un <strong>un</strong>ivers bizarre où la magie abonde<br />

Où le décor est sombre et les êtres tordus<br />

Et j'aime ce parcours dans <strong>un</strong> étroit t<strong>un</strong>nel<br />

Inframonde au pouvoir des dieux originels<br />

Et du plus grand d'entre eux <strong>un</strong> amour éperdu


Un primate, <strong>un</strong>e lionne, <strong>un</strong>e licorne, <strong>un</strong> chien<br />

Allons marcher, dit­il, au long de cette plage,<br />

Sans nos enfants, sans rien de notre quotidien,<br />

Sans rien que ces deux coeurs, moi le mien, toi le tien,<br />

Au ciel nous accompagne <strong>un</strong> très petit nuage.<br />

En rêve nous serons deux animaux sauvages,<br />

Un primate, <strong>un</strong>e lionne, <strong>un</strong>e licorne, <strong>un</strong> chien,<br />

Sans pouvoir distinguer ni le mal, ni le bien.<br />

Seulement le désir, le plaisir, le naufrage.<br />

Ah, mais je suis trop vieux, j'ai vécu dans le vague<br />

Pour la plupart du temps, ces jours, et je divague.<br />

Je ferais mieux d'aller dormir dans <strong>un</strong> grenier.<br />

Pourtant ta voix m'attire, elle m'éveille au monde,<br />

C'est la voix d'<strong>un</strong>e muse à nulle autre seconde,<br />

Je frémis à l'entendre, et je ne puis le nier.<br />

Suivre les arcs­en­ciel<br />

Allons marcher, dit­il, où sont les bouquinistes,<br />

Sur les bords de la Seine ils nous accueilleront,<br />

En me reconnaissant, bouteilles trouveront ;<br />

Prenons le verre en main, car, vraiment ils insistent.<br />

Suivre les arcs­en­ciel, c'est <strong>un</strong>e bonne piste,<br />

Vers de plus beaux jardins, derrière eux, nous irons,<br />

Et Paris a aussi de charmants environs<br />

Qui ont su autrefois inspirer les artistes.<br />

Ou bien nous flânerons comme des étourdis<br />

Sans que de nos soucis nos coeurs soient alourdis,<br />

Avançant tout au long d'<strong>un</strong> sentier invisible.<br />

Les villages discrets où vivent mes copains<br />

Ont des auberges qui proposent du bon pain,<br />

Dans des salles vibrant d'<strong>un</strong>e rumeur paisible.


Un héros de notre enfance<br />

Allons­y, dit le chat en enfilant ses bottes.<br />

Vers le château de l'ogre il marche d'<strong>un</strong> bon pas,<br />

Ayant fait le me<strong>un</strong>ier marquis de Carabas,<br />

Il garde cependant plus d'<strong>un</strong> tour dans sa hotte.<br />

A la ruse de l'ogre, <strong>un</strong> instant, il se frotte,<br />

L'ogre l'effraie <strong>un</strong> peu, mais ça ne dure pas,<br />

L'ogre devient souris dont il fait <strong>un</strong> repas.<br />

Or, le fils du me<strong>un</strong>ier avec le roi fricote :<br />

Le roi n'a pas de fils, donc il lui faut <strong>un</strong> gendre,<br />

Le félin y pourvoit, pas de quoi nous surprendre,<br />

Ce chat machiavélique a fait ce qu'il faut pour.<br />

A la mort du vieux roi, c'est le me<strong>un</strong>ier qui règne,<br />

Ça reste <strong>un</strong> brave gars, peu de sujets le craignent,<br />

Mais ils craignent les chats comploteurs de la cour.<br />

Synchronicité<br />

Apprenons chaque jour la force du silence.<br />

Il nous en a fallu, du temps, pour le choisir,<br />

Combien nous en avons débattu, à loisir,<br />

Mettant sincèrement nos coeurs dans la balance.<br />

Je n'écris pas ceci par jeu, par nonchalance,<br />

Ni pour faire de l'art, ou me faire plaisir,<br />

Mais pour exorciser l'intrusion du désir<br />

Bousculant de nos vies la tranquille ordonnance.<br />

Si nous l'apprivoisons, nous verrons survenir<br />

Chac<strong>un</strong> au fond de soi, les plus beaux souvenirs,<br />

Ni vraiment différents, ni tout à fait semblables :<br />

Comme s'ouvrent deux fleurs d'automne, au même instant,<br />

Dans deux jardins qui sont l'<strong>un</strong> de l'autre distants,<br />

Et semblent partager <strong>un</strong> désordre ineffable.


J'écris au bord de l'eau<br />

Assis au bord de l'eau, je compose <strong>un</strong> sonnet<br />

Directement au dos d'<strong>un</strong>e carte postale ;<br />

J'enverrai cette fleur à quatorze pétales<br />

A <strong>un</strong>e amie de coeur qu'au lointain je connais.<br />

Ce serait <strong>un</strong> haïku, si j'étais japonais ;<br />

Illettré, ce seraient trois fleurs sentimentales.<br />

Car, puisqu'ils n'avaient point même langue natale,<br />

Homère <strong>un</strong> autre chant que Virgile entonnait.<br />

Boîte aux lettres, quand tu détiendras ce courrier,<br />

Que vienne le postier, sans se faire prier,<br />

Le prendre et le porter où vit ma douce amie.<br />

Facteur, quand tu verras la belle en son château,<br />

Donne­lui mon écrit tracé au bord de l'eau,<br />

Puisqu'il contient mon coeur, mes soupirs et ma vie.<br />

<strong>un</strong> jardin<br />

Au­dessus du jardin dansent les hirondelles,<br />

Leurs enfants sont logés en haut de la maison.<br />

Au jardin la chaleur ternit les floraisons,<br />

Mais ces couleurs d'été, je les trouve assez belles.<br />

Fleur qui à son destin ne semble pas fidèle<br />

Transforme son aspect, non sans <strong>un</strong>e raison,<br />

Elle suit simplement le cours de la saison ;<br />

L'an prochain nous aurons beaucoup de fleurs nouvelles.<br />

Je reste sur <strong>un</strong> banc dans la fraîcheur du soir,<br />

D'avoir <strong>un</strong> peu de pluie je caresse l'espoir.<br />

L'hirondelle, en son vol, semble appeler l'orage.<br />

Très je<strong>un</strong>e, j'adorais ce jardin merveilleux<br />

Et je l'aime toujours, alors que je suis vieux<br />

Et que j'y ai laissé pousser l'herbe sauvage.


Croire ou ne pas croire<br />

Au métier de poète, il s'attache <strong>un</strong>e crainte :<br />

C'est (je l'entends souvent) que la vie soit ailleurs.<br />

Mais ceux qui de la sorte ont cru me faire peur<br />

N'ont sur nul de mes vers laissé la moindre empreinte.<br />

Le jour où de rimer sera ma force éteinte,<br />

Je laisserai faucher la faux du moissonneur.<br />

Chaque jour a besoin d'<strong>un</strong> geste créateur,<br />

Pour avoir quelque chose à fêter d'<strong>un</strong>e pinte.<br />

Qu'importe que le thème à chaque fois varie,<br />

C'est dans ces autres vers la même âme qui prie,<br />

Peu importe avec qui, peu importe en quel lieu.<br />

Et c'est pourquoi je vis heureux dans la nature<br />

Que le langage soit donné aux créatures,<br />

Celles qui ont la foi, celles qui sont sans Dieu.<br />

Quelques vieux bouquins au fond d'<strong>un</strong> grenier<br />

Au poussiéreux grenier, ce soir, je suis monté,<br />

Cela fait sursauter <strong>un</strong>e araignée rêveuse...<br />

Ah ! Tant de vieux cartons de lettres d'amoureuses,<br />

Je ne méritais pas tous ces flots de bonté.<br />

Au grenier silencieux, le temps s'est arrêté.<br />

J'ai ressenti en moi cette douleur charmeuse.<br />

Même si la torpeur du lieu est endormeuse,<br />

Il s'en exhale aussi comme <strong>un</strong> parfum d'été.<br />

Ainsi que l'eau sur moi glissent les ans qui passent,<br />

Je fais la même chose, et jamais ne m'en lasse :<br />

On aime reproduire <strong>un</strong> geste familier.<br />

L'harmonie, je n'y puis parvenir en ce monde,<br />

Car j'en suis détourné, seconde après seconde,<br />

Par mes livres offrant leurs pages, par milliers.


Aux antipodes du plaisir<br />

Aux antipodes du plaisir<br />

se forme <strong>un</strong> territoire sombre<br />

où l'esprit semble rétrécir<br />

où les dangers sont en grand nombre<br />

Ce lieu princesse il faut le fuir<br />

nul ne reste là sans encombre<br />

tout ce qu'on y ferait grandir<br />

au lendemain serait décombres<br />

Ton âme <strong>un</strong>e mouvante sphère<br />

aura toujours des tours à faire<br />

et s'agitera pour <strong>un</strong> rien<br />

Si de moi je n'étais otage<br />

vers toi je ferais ce voyage<br />

j'entends tes mots ça fait du bien<br />

Je me souviens des antipodes<br />

Aux confins s'en aller, loin, très loin du plaisir,<br />

S'endormir au milieu d'<strong>un</strong> territoire sombre,<br />

S'abriter, se tapir, se laisser rétrécir...<br />

Oublier les dangers qui rôdent en grand nombre ;<br />

Souvent, j'éprouve en moi la tentation de fuir<br />

Et d'aller vivre seul <strong>un</strong>e vie sans encombre,<br />

D'ignorer les tourments qui ne font que grandir<br />

Pour me blottir, serein, au milieu des décombres.<br />

Mais je continuerai, sur la mouvante sphère,<br />

De faire tout ce qu'il m'est demandé de faire,<br />

Même avec l'impression que je le fais pour rien.<br />

D'<strong>un</strong> monde routinier suis volontaire otage,<br />

Je le suis au repos, je le suis en voyage...<br />

Que peut­il en sortir ? Ma foi, on verra bien.


la méthode<br />

Avant toute recherche, il faut des expériences<br />

Bâtissant <strong>un</strong> réseau de résultats concrets ;<br />

Car si l'inspiration a de puissants attraits,<br />

Dans bien des cas, on doit la suivre avec méfiance.<br />

En ai­je vu, des fous, hallucinés de science,<br />

Faisant voeu de chercher jusqu'à trouver le vrai,<br />

Grands ascètes perdus dans <strong>un</strong> délire abstrait,<br />

Hantés par le démon de leur vive impatience...<br />

Il ne faut pas voir là des êtres supérieurs.<br />

Je ne suis pas surpris lorsque je vois plusieurs<br />

Kilogrammes de trop sur le corps d'<strong>un</strong> ermite.<br />

Le pouvoir de la transe et de l'inspiration<br />

Me semble <strong>un</strong>e chimère et <strong>un</strong>e aberration ;<br />

Nul n'en soit abusé, ce ne sont que des mythes.<br />

le temps<br />

Avec auc<strong>un</strong> organe on ne perçoit le temps.<br />

D'ailleurs il ne se tient pas dans les phénomènes,<br />

Il ne fait qu'émerger quand l'esprit se promène<br />

Auquel en auc<strong>un</strong> cas il n'est pré­existant.<br />

On ne le perçoit pas, on l'évalue, pourtant,<br />

Il joue <strong>un</strong> rôle­clé dans beaucoup de domaines.<br />

Est­il donc objectif, ou simple idée humaine ?<br />

Trancher entre les deux, ce n'est pas important.<br />

Il faut goûter le temps, ne pas le vivre en vain,<br />

Voir qu'il est différent pour le buveur de vin,<br />

Voir qu'il est transformé dans l'élan poétique.<br />

Il faut laisser le temps partir et revenir,<br />

Sourire à des projets et à des souvenirs ;<br />

Ne pas en avoir peur : le temps est amnésique.


improductif<br />

Avril a déployé sa force lumineuse,<br />

L'aile du noir corbeau se transforme en miroir<br />

Et les verts marronniers vibreront jusqu'au soir<br />

Du doux frémissement d'abeilles butineuses.<br />

Loin du travail pesant, loin des fêtes ruineuses,<br />

Je sors <strong>un</strong> papier blanc du fond de mes tiroirs<br />

Et trace quelques vers, ou brèves de comptoir,<br />

Evitant les notions par trop vertigineuses.<br />

Le chat dans mon jardin se <strong>recueil</strong>le, immobile :<br />

Je sais qu'il a pour ça <strong>un</strong> bien vilain mobile,<br />

Que plus d'<strong>un</strong> vieil oiseau également connaît.<br />

Aux murs de mon bureau somnolent mes vieux livres,<br />

Et pas <strong>un</strong> seul d'entre eux sa science ne délivre :<br />

Dimanche à ne rien faire, ou tout juste <strong>un</strong> sonnet.<br />

Sur Un Air De Verlaine<br />

Le gyrovague tentait de se remémorer <strong>un</strong> des sonnets de Verlaine,<br />

qui ne fut certes pas à mettre aux cabinets.<br />

Ayant chassé la biche <strong>un</strong>ique qui appelle,<br />

Je me suis promené mais j'avais <strong>un</strong> peu faim.<br />

La biche savourait le soleil du matin,<br />

Colorant chaque fleur d'<strong>un</strong>e utile aquarelle.<br />

Rien n'a changé. J'ai tout connu : l'humble gamelle<br />

De clématite avec les noms de mes cousins ;<br />

Le moineau fait toujours son murmure vilain<br />

Et le voiturier sa plainte traditionnelle.<br />

Les gloires comme avant palpitent ; comme avant,<br />

Les moineaux orgueilleux se consolent au vent,<br />

Chaque buvette qui va et vient m'est connue.<br />

Pire, j'ai retrouvé debout le Grand Bougnat<br />

Dont le cuivre verdit au bout de l'avenue,<br />

­­ Grêle, parmi l'odeur pauvre du jojoba.


deux cents éléphants<br />

Ayant sur son chemin trouvé <strong>un</strong>e oie magique,<br />

Le bonhomme en échange obtient <strong>un</strong> grand cheval<br />

Sur lequel il s'en va, loin du pays natal,<br />

Jusqu'en Inde où l'on voit des jardins magnifiques.<br />

Le cheval, s'amusant sur la place publique,<br />

Prend deux cents éléphants (il en veut, l'animal !)<br />

Et pratique avec eux <strong>un</strong> jeu original :<br />

Une balle, cinq murs, <strong>un</strong> vacarme horrifique.<br />

Le roi de ce pays survient à la mi­temps<br />

Pour parler avec eux, déguisé en marchand ;<br />

Ils disent que son règne est fort peu méritoire.<br />

Il leur donne raison. Le bonhomme devient<br />

Le nouveau roi de l'Inde, et s'en sort plutôt bien ;<br />

Ceux du pays natal avec lui viennent boire.<br />

Vocalisations<br />

Rat noir, (<strong>un</strong> blanc), Pli roux, Zut safran, Gros azur,<br />

Nous saurons au jour dit ta polarisation :<br />

Rat, noir galant trapu d'<strong>un</strong> fatigant patron<br />

Qui culminait autour d'<strong>un</strong> diagonal du mur,<br />

Culots d'os ; qui, ourdant du mitard ou du rang,<br />

Cartons aux staphylins, pions blancs, chocs d'avachis ;<br />

Pli, carmins, drap du lit, riant ainsi qu'<strong>un</strong>is<br />

Dans <strong>un</strong> jupon ou dans <strong>un</strong> lardoir abondant ;<br />

Zut, grammatisations, ronds alpins du satin,<br />

Pull du marlou qu'ornait son vautour, pull du fin<br />

Sillon qu'<strong>un</strong> Mishima au burin imprima ;<br />

Gros, finitif dindon aux sautoirs d'abattoir,<br />

Arçons ahurissant Dogons ou Nirvâna,<br />

Gros d'<strong>un</strong> vautour, rayon jaillissant dans Son Voir !­­


les débats<br />

Belle chose, <strong>un</strong> débat qui soudain prend son vol.<br />

Les mots s'articulant, les idées prenant vie,<br />

Phrases dont l'abondance a de quoi faire envie,<br />

Rhétorique évoquant les effets de l'alcool.<br />

Poètes sommes­nous, et non pas des guignols,<br />

Pure est notre pensée, et jamais travestie.<br />

Pas de complicité, auc<strong>un</strong>e antipathie,<br />

Juste à l'endroit qu'il faut, quelques petits bémols.<br />

Les vers ne sont pas faits pour les conciliabules,<br />

Ils vont aux conclusions sans trop de préambules ;<br />

Et quand il faut frapper, ne frappent qu'<strong>un</strong> seul coup.<br />

Mais sur certains sujets je parviens à me taire.<br />

Sans être réservé ainsi qu'<strong>un</strong> militaire,<br />

Sur quelques points précis, je n'en dis pas beaucoup.<br />

Une instruction silencieuse<br />

Bouddha ne parle pas. Chaque fois qu'<strong>un</strong> adepte<br />

Dit qu'il l'a entendu, sache qu'il a rêvé.<br />

Si ce disciple danse en disant « J'ai trouvé »,<br />

Il est dans les erreurs de notre monde inepte.<br />

Cette vie est errance, et ne suit nul précepte.<br />

Exode avec fardeau, et nos pieds entravés,<br />

Aussi, ne marche plus. Laisse­toi dériver<br />

Et n'entre qu'en maison qui ta visite accepte.<br />

Bouddha ne parle pas. C'est pourquoi l'excellence<br />

De la compréhension se voit dans le silence,<br />

Comme, au fort du combat, se taisent les lutteurs.<br />

Bouddha ne parle pas. Mais le vent, parfois, chante<br />

Pour rendre la froidure, au matin, moins méchante,<br />

Pour donner <strong>un</strong> sourire, aussi, à l'instructeur.


la galerie de portraits<br />

Çà et là deux ou trois photos,<br />

Puis des amis qui se racontent,<br />

Et dont s'agrandit le troupeau,<br />

Avec <strong>un</strong> outil qui le compte.<br />

Des neufs, des vieux, des rigolos,<br />

Des charcutiers et des vicomtes,<br />

Des qui surfent de leur boulot<br />

(Mais pas besoin d'en avoir honte).<br />

Des commentaires instructifs,<br />

Ou quelquefois trop allusifs,<br />

Toute <strong>un</strong>e vie qui se dévoile ;<br />

Ecriture de jour, de nuit,<br />

Propageant les différents bruits<br />

Que chac<strong>un</strong> glane sur la toile.<br />

<strong>un</strong>e traverse<br />

Ceci est <strong>un</strong> sonnet, mais ceci est <strong>un</strong> code ;<br />

Dans ces quatorze vers, <strong>un</strong> sens est contenu...<br />

Or, grâce à la couleur, <strong>un</strong> fil le montre nu.<br />

Je ne puis expliquer le moyen et le mode<br />

Dont votre esprit curieux de lire s'accommode,<br />

Et comment il salive à tenir le menu<br />

D'<strong>un</strong>e auberge au régime <strong>un</strong> peu plus soutenu ;<br />

Car j'admire toujours <strong>un</strong> lecteur qui décode.<br />

Cependant, j'étais trop occupé pour répondre<br />

A ce faiseur de mots pendant qu'il allait pondre<br />

Une énigme occupant au pire <strong>un</strong> bref instant<br />

Et faisant travailler au moins quatre neurones.<br />

Mais serait­ce <strong>un</strong> labeur pour quatorze amazones<br />

Dont au fier diapason secondes vont tintant ?


la fragilité<br />

Ce corps meurt par fragments et ne se voit mourir,<br />

C'est juste que la vie paraît plus difficile.<br />

Le ton de nos sonnets est toujours juvénile,<br />

Mais, au long des chemins, nous allons, sans courir...<br />

Or, nous le savons bien, qu'il nous faudra périr.<br />

Ce corps que nous avons n'est qu'<strong>un</strong> vase fragile<br />

Qui au fleuve du temps doit rendre son argile,<br />

Et l'esprit <strong>un</strong>e source en train de se tarir.<br />

Mais si la vie nous donne <strong>un</strong>e force illusoire,<br />

Faisons que cette vie soit <strong>un</strong>e belle histoire,<br />

Que viennent l'illustrer mille pages d'amour.<br />

Les morts ne draguent pas, ne boivent pas non plus<br />

Et ne relisent pas les livres souvent lus :<br />

Buvons donc aujourd'hui notre vin de ce jour.<br />

Art poétique<br />

Celui qui va lisant, écoutant <strong>un</strong> poème,<br />

Quelquefois, il met tout son être en vibration,<br />

De l'auteur il reprend les interrogations,<br />

Le coeur du lecteur bat plus fort quand l'auteur aime.<br />

Car l'auteur d'<strong>un</strong> écrit, ce n'est pas que lui­même,<br />

C'est son clan, son village ou sa génération,<br />

Ses ancêtres lointains, toute la création<br />

Ayant mis dans son coeur et ses mots et ses thèmes.<br />

Une culture écrit quand l'homme prend la plume.<br />

Le paysan breton écrit avec sa brume,<br />

Celui des oliviers avec le bel azur.<br />

J'écris d'abord pour toi, si lointaine et si proche,<br />

Ma muse, mon amour, ma joie et mon reproche ;<br />

Mais ce n'est pas secret, c'est écrit sur <strong>un</strong> mur.


Cupidon au Parnasse<br />

Ce n'est pas évident de construire des rimes<br />

Pour noter ce que dit cent fois mieux le regard.<br />

Prendre ses sentiments pour <strong>un</strong> point de départ<br />

Peut être ressenti comme atteinte à l'intime.<br />

Pourtant, offrir des vers qui telle chose expriment,<br />

Ça contient des échos de magie, quelque part,<br />

Même si ce ne sont que quelques mots hagards,<br />

On sent que néanmoins ils touchent au sublime.<br />

Les discours en écho, les gestes en accord,<br />

La preuve que l'amour est toujours le plus fort,<br />

Celui qui vous endort sur <strong>un</strong>e même couche.<br />

Seule <strong>un</strong>e chose peut faire taire ce chant,<br />

C'est l'instant où nos corps, enfin se rapprochant,<br />

Se voient coeur contre coeur et bouche contre bouche.<br />

ce qui nous fit vibrer<br />

Ce qui nous fit vibrer ce fut vivre hors la loi<br />

Plutôt dans <strong>un</strong>e loi qui n'était que la nôtre<br />

Indifférente aux voix des <strong>un</strong>es et des autres<br />

Déjà nous récitions nos articles de foi<br />

Et ce passé dès lors nous file entre les doigts<br />

De cette transgression ne serons plus apôtres<br />

Vous tous qui nous lirez cette histoire est la vôtre<br />

Si vos coeurs ont erré follement quelquefois<br />

La sauvage passion n'est pas pour <strong>un</strong> Cochon­<br />

fucius qui a les doigts rivés à sa galère<br />

Ses pauvres libertés de longtemps s'en allèrent<br />

Tu diras ce sonnet n'est pas trop folichon<br />

Je n'avais qu'<strong>un</strong> ciel gris ce jour devant mes yeux<br />

Et je ne prétends point aller vers d'autres cieux


Dans le fond des enfers<br />

Certaines nuits d'hiver, notre existence est rude ;<br />

Mais il faut toutefois relever ce défi.<br />

Je vais mobiliser ici mes aptitudes<br />

Pour décrire <strong>un</strong> curieux cauchemar que je fis.<br />

Je m'étais endormi, abruti par l'étude.<br />

Dans le fond des enfers la nuit me conduisit<br />

Où je fus enfermé en grande solitude ;<br />

Dans mon coeur <strong>un</strong> ennui profond s'introduisit.<br />

Pas de fleurs en ce lieu et, pas même, <strong>un</strong>e ronce.<br />

Pas l'ombre de question, pas même, <strong>un</strong>e réponse.<br />

Mon pauvre coeur était lourd comme <strong>un</strong> ciel d'hiver.<br />

Par chance il me restait <strong>un</strong> peu de ma mémoire<br />

Qui parmi mes écrits a puisé cent histoires ;<br />

Ma joie est revenue au rythme de ces vers.<br />

la visite<br />

César a dit adieu à la reine égyptienne,<br />

Car il veut respecter son vrai lien conjugal ;<br />

Cléopâtre, lâchant <strong>un</strong> combat inégal,<br />

Reprend la liberté qui fut toujours la sienne.<br />

César eut ses amours, sa femme avait les siennes ;<br />

La réconciliation leur fit <strong>un</strong> sort fatal.<br />

A Vercingétorix, cet empereur tribal,<br />

La femme de César dit : « Je ne suis plus tienne ».<br />

Cléopâtre le sut et obtint du gardien<br />

De la prison d'aller lui faire <strong>un</strong> peu de bien ;<br />

Ainsi, au fier Gaulois, elle montre <strong>un</strong>e épaule...<br />

Rien de plus n'est permis, en ce sombre mitard ;<br />

L'effet de la visite a duré bien plus tard :<br />

Car Vercingétorix en eut longtemps la gaule.


<strong>un</strong> dialogue<br />

César s'en expliqua <strong>un</strong> beau jour à sa femme :<br />

La reine Cléopâtre était si désirable<br />

(Et l'enjeu politique en plus, considérable)<br />

Bref, il n'avait pas pu modérer cette flamme<br />

Qui avait brusquement dévoré leurs deux âmes...<br />

Cela dit, en ayant <strong>un</strong> regard raisonnable,<br />

Le mariage officiel devrait bien rester stable<br />

Car sinon le public risquait d'en faire <strong>un</strong> drame.<br />

J'ai compris, dit l'épouse, ainsi tu n'as fauté<br />

Qu'à cause d'<strong>un</strong> grand charme et de tant de beauté<br />

Que toute résistance, à coup sûr, était vaine.<br />

Mais tu me permettras donc de m'aventurer<br />

Chez Vercingétorix que tu as capturé ?<br />

Le pauvre, il est bien seul depuis quelques semaines.<br />

ce sonnet est symbolique ici tout est symbolique seul l'anglais est symbolique<br />

il faudra qu'on te l'explique<br />

tu n'aimes pas quand<br />

j'explique<br />

<strong>un</strong> clin d'oeil toujours explique<br />

Ici tout est comme hier je vis à l'heure d'hier nous nous comprendrons hier<br />

travailler n'est pas amer ce poème est­il amer je suis gris sans être amer<br />

c'est comme <strong>un</strong>e mécanique ma pensée est mécanique sable dans la mécanique<br />

insensible à la panique et mon destin est panique aujourd'hui <strong>un</strong> jour panique<br />

tant de souffles sont dans<br />

l'air<br />

les murs sont peints en gris<br />

fer<br />

de quoi demain a­t­il l'air il ne faut rien foutre en l'air<br />

s'il est chaud battons le fer mon cheval pour <strong>un</strong> seul fer<br />

verse encore <strong>un</strong> verre d'eau j'ai perdu le niveau d'eau soleil sur le château d'eau<br />

papier encore <strong>un</strong>e rame barque vide point de rame<br />

des chercheurs cherchant leur<br />

âme<br />

la nuit n'est pas <strong>un</strong> cadeau la raison est <strong>un</strong> fardeau je suis toujours <strong>un</strong> badaud<br />

ici finit ma chanson<br />

rien n'est comme nous pensons ne me crois pas échanson<br />

allons ce n'est pas <strong>un</strong> drame mon texte n'a pas de trame on cherche en vain <strong>un</strong>e flamme<br />

sortons d'ici et dansons oublions et avançons c'est le plan des charançons


Ce sont...<br />

Ce sont les nièces des vampires<br />

Qui voulaient étudier Shakespeare<br />

A la lumière d'<strong>un</strong> lampyre<br />

Dans <strong>un</strong> coin perdu de l'empire.<br />

Au bout d'<strong>un</strong>e heure, elles soupirent :<br />

Comme étude on ne fait point pire ;<br />

Aux exploits sportifs on aspire,<br />

Aux gestes qui font qu'on respire.<br />

Ces nièces que le sport inspire<br />

Vont sur le terrain, et transpirent,<br />

Puis contre l'arbitre conspirent ;<br />

Nièces qui lecture rompirent<br />

Puis aux vestiaires se tapirent ;<br />

Enfin, qui sait pourquoi, glapirent.<br />

Mais aux genoux, point de hiboux<br />

Ce sont les oncles des crapauds<br />

Qui tricotèrent sans repos<br />

Pour leurs neveux, des oripeaux,<br />

Puis s'en allèrent au tripot.<br />

Voyant les couleurs du drapeau,<br />

Ils soulevèrent leur chapeau,<br />

Et même ils ont offert <strong>un</strong> pot<br />

Aux conseillers m<strong>un</strong>icipaux.<br />

Ensuite ils montent <strong>un</strong>e expo<br />

De grands portraits épiscopaux<br />

Tracés sur des feuilles d'impôts.<br />

Mais cette histoire est du pipeau !<br />

Nos lecteurs, fidèle troupeau,<br />

Ne gobent point de tels propos.


Marie­Madeleine<br />

C'est Marie­Madeleine, <strong>un</strong>e humble pécheresse,<br />

Qui sut apprivoiser le fils du charpentier.<br />

Il ne l'eut pour servante et n'en fit sa moitié,<br />

Mais marcher auprès d'elle était <strong>un</strong>e allégresse.<br />

Les apôtres bientôt la nommèrent prêtresse...<br />

Or cette troupe­là marchait sur les sentiers<br />

Pour parler à chac<strong>un</strong> d'amour et d'amitié,<br />

Guérir les maladies, soulager la détresse.<br />

Le fils du charpentier comprend qu'il doit mourir.<br />

A Madeleine il dit d'éviter de courir<br />

Auc<strong>un</strong> risque inutile. Elle dit : Tu ordonnes<br />

Ton propre sacrifice et ton immolation,<br />

Nous laissant dans la crainte et la désolation...<br />

Du fond de mon chagrin, Seigneur, je te pardonne.<br />

Grandeur et décadence d'<strong>un</strong> peu tout le monde<br />

C'est sur <strong>un</strong> tapis bleu qu'est le trône royal,<br />

Bleu comme les rideaux des vieux châteaux de France.<br />

Quand on est au pouvoir, on soigne l'apparence,<br />

C'est là, pour <strong>un</strong> monarque, <strong>un</strong> art immémorial.<br />

C'est sur <strong>un</strong> tapis blanc que le roi, triomphal,<br />

Honore sa maîtresse en gardant la cadence,<br />

Puis, après la dînette, et quelques confidences,<br />

Il prendra son repos dans le lit conjugal.<br />

Mais sur <strong>un</strong> tapis rouge on a jeté son corps.<br />

Quel drame a renversé le fabuleux décor ?<br />

C'est la révolution, victorieuse et tragique.<br />

Ils ne reviendront plus, ces règnes abolis<br />

Où l'homme, tel <strong>un</strong> marbre, était dur et poli.<br />

De moins en moins nombreux en sont les nostalgiques.


<strong>un</strong>e île<br />

C'est, proche de la Chine, <strong>un</strong> coin de paradis,<br />

Ça se passe au temps où peu de nous étaient chastes,<br />

Les amours d'occasion ne semblaient pas néfastes,<br />

Le monde, depuis lors, s'est <strong>un</strong> peu affadi.<br />

Un pays merveilleux, cent poètes l'ont dit.<br />

Des habitants très purs, ne formant nulle caste,<br />

Beaux corps et ventres plats comme autant de gymnastes,<br />

Ignorant tout à fait notre monde maudit.<br />

Nous étions là­bas deux voyageurs ordinaires,<br />

Vivant <strong>un</strong>e passion nullement littéraire...<br />

S'il y eut des amants fous, nous en avons été.<br />

Que reste­t­il du feu de ces jours dans nos âmes ?<br />

Ce qu'il reste d'<strong>un</strong> feu quand il n'a plus de flammes,<br />

Ce qu'il reste en hiver des souffles de l'été.<br />

les cavaliers<br />

C'est <strong>un</strong> cavalier ja<strong>un</strong>e,<br />

il veut que je lui dise<br />

Ce qu'est <strong>un</strong>e émotion. Je lui dis : « La notion<br />

N'est pas bien définie, oublie donc ta question,<br />

Elle conduirait à de vaines analyses. »<br />

C'est <strong>un</strong> cavalier mauve,<br />

il veut que je précise<br />

Ma dernière allusion. Je lui dis : « La pulsion<br />

Qui produit ta demande est le fruit d'illusions.<br />

Répondre, de ma part, serait <strong>un</strong>e sottise ».<br />

Au cavalier orange <strong>un</strong> mot de balistique,<br />

Puis au cavalier rose <strong>un</strong> cours de linguistique,<br />

Sur le même refrain, la réponse est « Zéro ».<br />

Pour le cavalier rouge,<br />

aimant les théorèmes,<br />

Je compose aujourd'hui ce modeste poème ;<br />

Jamais je n'eus de don pour les cours magistraux.


Inconnaissable<br />

C'est <strong>un</strong>e fleur et non, ça ne peut en être <strong>un</strong>e,<br />

C'est <strong>un</strong> léger brouillard et ce n'en est pas <strong>un</strong>.<br />

Ça vient sur la minuit, c'est parti le matin,<br />

De telle chose, au monde, il n'en existe auc<strong>un</strong>e.<br />

Le reflet de ses yeux renvoyé par la l<strong>un</strong>e,<br />

La chaleur de son corps imprégnant les embr<strong>un</strong>s ;<br />

Un poète chinois la découvrit soudain<br />

Après quinze godets d'<strong>un</strong> fort alcool de pr<strong>un</strong>e.<br />

Il chante <strong>un</strong> empereur et son noble veuvage,<br />

Sa muse le transforme en <strong>un</strong> barde sauvage ;<br />

Il compare les dieux à de grands animaux.<br />

Il parcourt Lao­Tseu mais, ce faisant, il pense<br />

Que si les grands parleurs le sont par ignorance,<br />

Pourquoi le maître a­t­il tracé cinq mille mots ?<br />

Cinq éléphants<br />

C'est <strong>un</strong> éléphant ja<strong>un</strong>e,<br />

il voudrait que j'achète<br />

Les trois mille bouquins qu'il a dans son bureau.<br />

Je lui ai répondu que je n'y tiens pas trop,<br />

Ce ne sont que sonnets par de maudits poètes.<br />

Alors l'éléphant mauve organise <strong>un</strong>e fête.<br />

Je lui dis qu'il me faut avant tout du repos,<br />

Afin d'être, demain, suffisamment dispos<br />

Pour que l'oeuvre du jour soit correctement faite.<br />

L'éléphant orange offre <strong>un</strong>e métaphysique,<br />

Le bel éléphant rose,<br />

<strong>un</strong> breuvage alcoolique,<br />

Je les ai donc laissés se débrouiller entre eux.<br />

Enfin, l'éléphant rouge enseigne le silence.<br />

C'est donc en sa faveur que penche la balance,<br />

Avec lui, sans parler, je suis <strong>un</strong> homme heureux.


La mouvance<br />

Mudam­se os tempos, mudam­se as vontades,<br />

Muda­se o ser, muda­se a confiança;<br />

Todo o m<strong>un</strong>do é composto de mudança,<br />

Tomando sempre novas qualidades.<br />

Changent les temps, changent les volontés,<br />

Et change l'être et change la confiance,<br />

Car l'<strong>un</strong>ivers n'est fait que de mouvance,<br />

Prenant toujours nouvelles qualités.<br />

Continuamente vemos novidades,<br />

Diferentes em tudo da esperança;<br />

Do mal ficam as mágoas na lembrança,<br />

E do bem, se algum houve, as saudades.<br />

Car toujours vont à nous des nouveautés<br />

Autres vraiment que dans nos espérances.<br />

Des maux se fixe en nos coeurs la semblance,<br />

Des biens n'avons que l'intranquillité.<br />

O tempo cobre o chão de verde manto,<br />

Que já coberto foi de neve fria,<br />

E em mim converte em choro o doce canto.<br />

Le temps couvrant d'<strong>un</strong> vert manteau le champ,<br />

Lui qui l'avait couvert de neige blanche...<br />

Il change en pleurs la douceur de mon chant.<br />

E, afora este mudar­se cada dia,<br />

Outra mudança faz de mor espanto:<br />

Que não se muda já como soía.<br />

Changeant sept fois du dimanche au dimanche,<br />

Il change aussi, et c'est plus dérangeant,<br />

Les changements qu'il nous sort de sa manche.


la sérénité<br />

C'est vrai qu'il est serein, le moral des bouddhistes,<br />

Dans leur grand Véhicule ou bien dans le petit,<br />

A porter leur fardeau leurs coeurs ont consenti,<br />

Ils ne sont pas pourtant devenus fatalistes.<br />

Ils restent souriants lorsque leur vie est triste,<br />

Ils voient de la couleur sur <strong>un</strong> mur qui est gris.<br />

Il peut leur arriver de se montrer épris,<br />

Mais aux attachements de la chair, ils résistent.<br />

Ils ont compris d'où vient l'éternelle souffrance,<br />

L'impression de non­sens, de peur, de déshérence,<br />

Tout ce qui nous retient de nos malheurs captifs.<br />

Ils savent qu'<strong>un</strong> aveugle, en sa grise misère,<br />

Peut sentir que sa peau est baignée de lumière ;<br />

Ses yeux ne la voient pas, ils ne sont pas fautifs.<br />

le métier de chercheur<br />

Chercher, c'est être explorateur<br />

Du possible et de l'impossible,<br />

Cela tout en étant la cible<br />

De sérieux évaluateurs.<br />

Chercher, c'est être traducteur,<br />

Déchiffrer l'incompréhensible,<br />

En faire <strong>un</strong>e prose lisible,<br />

Dialoguer avec ses lecteurs.<br />

Citoyen, tu me subventionnes,<br />

Je sais que parfois ça t'étonne,<br />

Le désordre sur mon chantier.<br />

Si tu prends ça pour du laxisme<br />

Ou pour du bel amateurisme,<br />

Détrompe­toi, c'est <strong>un</strong> métier.


Paisible vieillesse<br />

<strong>Cochonfucius</strong> a dit : <strong>un</strong> chien vivant vaut mieux<br />

Que deux grands guerriers morts qui ne peuvent plus boire.<br />

Quand il a dit cela, il était <strong>un</strong> peu vieux,<br />

Et la mort le guettait du fond d'<strong>un</strong>e urne noire.<br />

Il a creusé sa tombe, à la face des cieux,<br />

Dans <strong>un</strong> jardin alpin au bout d'<strong>un</strong> promontoire.<br />

Dans Leconte de Lisle il lit des mots radieux,<br />

Ouvrant les pages d'<strong>un</strong> coupe­papier d'ivoire.<br />

Parviendra­t­il <strong>un</strong> jour à versifier ainsi<br />

Pour chanter ses amours et ses regrets aussi,<br />

Le prince et le serpent, la rose et l'hirondelle ?<br />

Envers <strong>Cochonfucius</strong>, la vie n'est pas cruelle,<br />

Et chaque jour il rit, tout en buvant son thé,<br />

Disant des mots subtils ou des insanités.<br />

Le temps nous use et nous distille<br />

<strong>Cochonfucius</strong>, dans sa je<strong>un</strong>esse,<br />

Pouvait porter de grands fardeaux.<br />

Mais il était <strong>un</strong> peu lourdaud,<br />

Il a bien gagné en finesse.<br />

Son âme, maintenant plus pâle,<br />

Prend des traits <strong>un</strong> peu monacaux,<br />

Sa parole crée moins d'écho,<br />

Mais ce n'est pas pour ça qu'il râle.<br />

Car son esprit n'est pas roidi,<br />

Son talent n'est pas refroidi,<br />

Son chant est toujours bucolique.<br />

Il ne va plus, tel <strong>un</strong> fripon,<br />

Soulevant les chastes jupons,<br />

Mais il jette <strong>un</strong> regard oblique.<br />

Attention<br />

au miroir<br />

déformant !


se perdre en forêt<br />

Comme <strong>un</strong> homme égaré dans la forêt profonde,<br />

Le poète au jardin est traversé d'effroi.<br />

Tout n'est­il donc que leurre et tristesse en ce monde,<br />

Qu'<strong>un</strong> acheminement vers le sépulcre froid ?<br />

Vainement aux entours jetant des coups de sonde,<br />

L'égaré ne sait plus comment sortir du bois.<br />

Sur <strong>un</strong> même sentier sa trajectoire ronde<br />

Le ramène toujours dans les mêmes endroits.<br />

Mais <strong>un</strong>e goutte d'eau quelquefois sur sa lèvre,<br />

Le saut d'<strong>un</strong> écureuil, la gambade d'<strong>un</strong> lièvre,<br />

Lui font aimer pourtant la piste, au petit jour.<br />

Il est charmé surtout par l'apaisant silence<br />

Dont est souvent saisi notre <strong>un</strong>ivers immense ;<br />

Ce silence est prière au soleil des amours.<br />

Un bilan<br />

Composer <strong>un</strong> poème est <strong>un</strong> acte de foi.<br />

Ce n'est pas seulement parler de joie, de peine,<br />

De l'ennui remplissant les jours et les semaines...<br />

Ce n'est pas que pleurer sur <strong>un</strong> tort d'autrefois ;<br />

C'est dire le présent, sans passion et sans haine,<br />

Les bras ouverts prenant la forme d'<strong>un</strong>e croix,<br />

Le bonheur fugitif auquel, quand même, on croit,<br />

Et le vent de printemps qui fait l'âme sereine.<br />

Pour écrire <strong>un</strong> poème, il faut juste <strong>un</strong>e plume<br />

Et peut­être <strong>un</strong> semblant de désir qui s'allume<br />

Par <strong>un</strong> échauffement de l'imagination.<br />

Les mots sont à chac<strong>un</strong> dévolus en partage<br />

Ainsi que le pouvoir de lire les images ;<br />

Après... cela demande <strong>un</strong> peu d'application.


Heidegger devant la porte<br />

Connaissons­nous l'amour, au­delà des symptômes ?<br />

L'art qui se développe à l'étage inférieur<br />

Est dépourvu d'index aux niveaux supérieurs :<br />

Nul ne cite Heidegger au métaphysiodrome.<br />

Naviguant à la voile, attention à la bôme<br />

Qui traverse le pont et frappe les meilleurs.<br />

De là tu reconnais les bons navigateurs :<br />

Ceux qui restent sereins même quand ils se paument.<br />

La mer ne s'ouvre pas lorsque le crépuscule<br />

Engloutit le soleil, ce serait ridicule.<br />

Mais <strong>un</strong> poète voit parfois la chose ainsi.<br />

Forum n'est pas taverne où nous boirons ensemble.<br />

Nous n'en sommes pas loin, pourtant, à ce qu'il semble :<br />

C'est ce que je ne peux développer ici.<br />

dans le creux de la nuit<br />

Danse onirique et noire, et pure, et silencieuse,<br />

Cerveau <strong>un</strong>ique où deux esprits sont enlacés ;<br />

Un lien sans avenir, sans contact, sans passé,<br />

Gardé par quatre cents missives sentencieuses.<br />

Dans le creux de la nuit, interjections fiévreuses,<br />

Désespoir de dormir à soi­même embrassé ;<br />

Traversant en apnée, tel <strong>un</strong> grand cétacé,<br />

La longue nuit d'hiver et ses fosses ombreuses.<br />

Ermites vont plaidant <strong>un</strong>e saine abstinence<br />

Qui permettrait d'atteindre <strong>un</strong>e humble transcendance ;<br />

Le mérite survienne à qui survit ainsi.<br />

Je m'assieds dans le noir, j'allume <strong>un</strong>e lanterne,<br />

Et je laisse flotter mes sentiments en berne :<br />

La transcendance est là, dans cette voie aussi.


D'après George Meredith<br />

Dans la nuit étoilée s'éleva Lucifer,<br />

Las de son noir royaume il monta, l'Ennemi,<br />

Haut, loin du monde rond, nuageux à demi<br />

Où se croient à l'abri les promis à l'enfer.<br />

Menu fretin que nous pour lui, alors si fier ;<br />

Tantôt sur son aile Ouest il s'était affermi,<br />

Près du sable africain, puis son ombre parmi<br />

Les neiges de l'Arctique assombrissait les airs.<br />

Montant aux plus hauts cieux, la cuisante mémoire<br />

Lui revint de son cri contre le roi de gloire,<br />

A mi­parcours, il voit les étoiles au ciel<br />

Formant l'Esprit de Dieu. A leur vue, il s'écroule.<br />

Bien en rangs, et au pas, au vieux chemin s'écoulent<br />

Les sections de l'armée du pouvoir éternel.<br />

<strong>un</strong> canal<br />

Dans le monde d'Escher, <strong>un</strong>e roue reçoit l'eau<br />

Qui, sortant d'<strong>un</strong> canal, lui parvient en cascade.<br />

Par la suite, cette eau reprend sa promenade,<br />

Suivant sa pente ainsi que toujours font les flots.<br />

Le canal qui descend la porte vers le haut.<br />

Si vous prenez cela pour <strong>un</strong>e galéjade,<br />

Observez le canal avec ses colonnades<br />

Et suivez­le du doigt pour tester son niveau.<br />

Le cours de nos pensées, comme l'eau du canal,<br />

Peut fort bien s'élever en allant vers l'aval,<br />

Et la cascade ainsi peut s'écouler encore.<br />

En sera­t­il ainsi durant l'éternité ?<br />

Sur ce sujet précis, j'ai souvent médité.<br />

Voici ma conclusion : toute l'eau s'évapore.


Le violon<br />

Dans notre quotidien, les accords du violon<br />

Ne nous conduisent pas toujours où nous voulons.<br />

J'aime les musiciens, j'aime la poésie,<br />

Mais par d'autres valeurs on doit mener sa vie.<br />

Du violon, du calcul, l'<strong>un</strong>, l'autre, c'est selon<br />

Que libres nous dansons, ou tout droit nous allons.<br />

Et quand par la douleur <strong>un</strong>e âme est affaiblie,<br />

D'autant plus par <strong>un</strong> chant sera­t­elle ravie.<br />

Marchant avec patience, <strong>un</strong> pauvre oiseau blessé<br />

Ces durs alexandrins dans son coeur a tressés.<br />

Du jour au lendemain plus n'en aura mémoire.<br />

Les arbres du chemin déjà portent du vert,<br />

La tiédeur du printemps radoucira mes vers,<br />

Je crois à la lumière au fond de la nuit noire.<br />

Cinq maisons<br />

Dans <strong>un</strong>e maison mauve habite <strong>un</strong> Australien,<br />

Un buveur de café dans la maison de briques.<br />

Il ne boit que du thé, le voisin ibérique ;<br />

Le Néo­Zélandais possède <strong>un</strong> petit chien.<br />

Près de la maison bleue, au Un, le Norvégien.<br />

Le fumeur de D<strong>un</strong>hill élève des bourriques.<br />

Ceux du numéro trois ont du vin en barriques.<br />

Ce sont des Marlboro que fume le Malien.<br />

Dans <strong>un</strong>e maison ja<strong>un</strong>e, on fume des Gauloises.<br />

On note <strong>un</strong> voisinage entre brique et ardoise.<br />

Le fumeur de Camel boit de la bière à flots.<br />

Or, les Gauloises sont d'<strong>un</strong> éléphant voisines ;<br />

On trouve la Gitane auprès d'<strong>un</strong>e lapine.<br />

Qui possède le zèbre ? Et qui est buveur d'eau ?


Un clair­obscur<br />

Dans <strong>un</strong> monde envahi d'obscure transparence,<br />

Que peut­on discerner sous ces sombres éclats ?<br />

Ici n'est point le lieu d'<strong>un</strong>e remise à plat,<br />

Ni d'<strong>un</strong> essai savant sur l'être et l'apparence.<br />

Or, certains jours, ma vie n'est qu'<strong>un</strong>e déshérence,<br />

Mon métier me paraît <strong>un</strong> piètre apostolat,<br />

Et mes chefs ont <strong>un</strong> peu l'aspect de cancrelats<br />

(Si j'ose formuler pareille irrévérence).<br />

N'importe, il faut agir, les autorités veillent,<br />

Puis, il faut accueillir les projets qui s'éveillent<br />

Aux mains des ingénieurs surchargés de talent.<br />

Que ne suis­je <strong>un</strong> errant chanteur de villanelles,<br />

Ou bien, pour composer des oeuvres plus formelles,<br />

En <strong>un</strong>e cour royale, <strong>un</strong> poète galant !<br />

<strong>un</strong> pays de neige<br />

Dans <strong>un</strong> pays de neige, on voit des créatures<br />

A l'aspect biscornu, aux étranges maisons,<br />

Cultivant l'ironie, l'humour, la déraison,<br />

La versification et la caricature.<br />

Si encore ils avaient, dans leur littérature,<br />

Des textes pour bénir le cycle des saisons,<br />

Des hymnes à l'hiver, ou bien des oraisons<br />

Qu'on pourrait adresser à la douce Nature...<br />

Mais non, d'affreux sonnets, des haïkus ridicules,<br />

Déclamés par <strong>un</strong> grand flandrin qui gesticule,<br />

C'est nul à <strong>un</strong> tel point qu'on en serait touché.<br />

Je leur ai demandé s'ils ne pouvaient mieux faire,<br />

Ils m'ont dit que cela n'était pas mon affaire :<br />

Ce peuple de la neige est bien mal embouché.


Une expédition spatiale<br />

Dans <strong>un</strong> petit album au dos de percaline,<br />

Des photos d'<strong>un</strong>ivers multidimensionnels,<br />

Un vrai poème optique et gravitationnel :<br />

Si c'est d'<strong>un</strong> architecte, il est sous mescaline.<br />

Assis dans mon grenier qui sent la naphtaline,<br />

Je parcours, d'<strong>un</strong> regard omnidirectionnel,<br />

Ce <strong>recueil</strong> de clichés vraiment exceptionnels :<br />

Et bientôt, je franchis le mur de cornaline<br />

Qui tient lieu de frontière aux mondes transcendants.<br />

Et, dès lors, entouré des fiers astres chantants,<br />

Je me baigne au cristal qui vibre et me transporte.<br />

Soudain, ces clairs sentiers redeviennent obscurs :<br />

Me voici à nouveau de ce côté du mur,<br />

Car il faut que je signe <strong>un</strong> papier qu'on m'apporte.<br />

les paroles vagabondes<br />

De forum en forum, plusieurs voix se répondent.<br />

Sur ces pages sans fin, nous sommes des errants,<br />

Auteurs de textes flous, de phrases vagabondes,<br />

Dont les échos, longtemps, flottent sur nos écrans.<br />

Chaque forum fermé se veut <strong>un</strong> micro­monde.<br />

Qui passe d'<strong>un</strong> à l'autre, auteur itinérant,<br />

Se construit, de ce fait, l'identité seconde<br />

Ou tierce, où ses propos se vont réverbérant.<br />

C'est, quand même, <strong>un</strong> bonheur d'accueillir <strong>un</strong>e intruse<br />

Dont on a souvenance au temps qu'elle était muse,<br />

Même si vers l'antan, nul ne peut repartir.<br />

Or donc, dans la nature <strong>un</strong> ermite se terre,<br />

Car il prend cette vie comme <strong>un</strong> trop lourd mystère :<br />

Que faire, alors, pour lui... Ecouter, compatir.


La planète ignorée<br />

Derrière le soleil se cache <strong>un</strong>e planète<br />

Qui, par rapport à nous, tourne en opposition.<br />

Elle abrite <strong>un</strong> état de civilisation<br />

Marqué par la douceur et le sens de la fête.<br />

Comparés à ceux­là, nous sommes <strong>un</strong> peu bêtes.<br />

Ils rient facilement, à notre évocation ;<br />

S'ils débarquent chez nous pour <strong>un</strong>e exploration,<br />

C'est surtout l'occasion de se payer nos têtes.<br />

Quand ils rentrent chez eux, leur fusée fait escale<br />

Sur Vénus, <strong>un</strong>e étape humide et tropicale ;<br />

Des reptiles géants peuplent ce monde vert.<br />

Une fois qu'ils ont fait le tour de nos problèmes,<br />

Ces voisins ont choisi de laisser à eux­mêmes<br />

Les malheureux Terriens, honte de l'Univers.<br />

Le rêve du mulet bleu<br />

Dès l'aube <strong>un</strong> mulet bleu s'est figé comme <strong>un</strong> porc<br />

Dans le bar de Cl<strong>un</strong>y où Daniel fait la plonge.<br />

On le dirait surpris par le philtre d'<strong>un</strong> songe,<br />

Evadé du réel, béat sur ses pieds forts.<br />

Oh ! bien loin de rêver, ce mulet bien retors<br />

Fait dans notre taverne <strong>un</strong> geste de mensonge.<br />

Dans l'immobilité que sa ruse prolonge,<br />

Rien de nos mouvements n'échappe à son oeil d'or.<br />

Qu'<strong>un</strong>e mouche imprudente approche, l'air tranquille<br />

Et prompt à la saisir avec <strong>un</strong> geste agile,<br />

Il fera de sa vie errante, son festin.<br />

Qu'importe à ce guetteur ce noble paysage ?<br />

Seul <strong>un</strong> désir brutal remplit son coeur sauvage,<br />

Et, svelte dans l'aurore, il incarne la Faim.<br />

Attention<br />

au miroir<br />

déformant !


<strong>un</strong> discours silencieux<br />

Des paroles nous vient illusion de puissance,<br />

Complice en est souvent <strong>un</strong> patient auditeur.<br />

Mais si l'on veut <strong>un</strong> jour prendre de la hauteur,<br />

Rien n'est plus expressif qu'<strong>un</strong> modeste silence.<br />

Rodin nous donne à voir <strong>un</strong> homme nu qui pense,<br />

Plus éloquent ainsi que bien des orateurs.<br />

Cette antique leçon que transmet le sculpteur<br />

Possède la saveur des belles évidences.<br />

Le chat dans le jardin sait cela, j'en suis sûr,<br />

Allant sans auc<strong>un</strong> bruit dans le matin obscur<br />

A l'heure où d'<strong>un</strong> oiseau retentit le ramage.<br />

Même l'écrit, souvent, se montre superflu.<br />

Oublie ces quelques vers quand tu les auras lus :<br />

Tu vois bien qu'ils ne sont qu'<strong>un</strong> léger bavardage.<br />

la connivence<br />

Deux étions qui aimions nous tenir auprès d'elle,<br />

D'abord notre bon sens a dû s'en estourbir.<br />

Elle, muse, sirène, antilope, hirondelle,<br />

Ce qu'elle nous fit voir on aima le subir.<br />

Faisant trembler les corps dans <strong>un</strong> ardent désir,<br />

Distillant chaque jour <strong>un</strong>e phrase nouvelle,<br />

Elle nous mit au lieu où l'on ne sait choisir...<br />

Hélas, sur ses portraits, comme je la vois belle !<br />

C'est sur la poésie que mon explication<br />

A porté, même si tu as la tentation<br />

De penser que je fais le portrait d'<strong>un</strong>e muse.<br />

Muse sans poésie, ce ne serait qu'<strong>un</strong> jeu,<br />

Poésie sans la muse aurait bien faible enjeu.<br />

Il est des mythes dont jamais nul ne s'abuse.


le surmoi<br />

Dialogue entre raison et violente passion<br />

Au dedans d'<strong>un</strong>e tête induit la crispation :<br />

Aux désirs de fusion, aux amoureux mirages,<br />

La crainte du malheur oppose son barrage.<br />

Mon surmoi dans mon crâne est son propre maton,<br />

Il se tient tout rigide avec son gros bâton,<br />

Il est là tout le temps, moi qui aime l'orage,<br />

Il m'interdit l'abord des orageux parages.<br />

Mais mon coeur en fusion n'est pas moins amoureux,<br />

Et d'<strong>un</strong> pareil amour il n'est pas moins heureux<br />

Que s'il pouvait plonger comme <strong>un</strong> amant fidèle<br />

Dans la douce chaleur de ce lac de beauté<br />

Pour croquer des fragments de son éternité :<br />

Et, sans pouvoir voler, j'entends <strong>un</strong> grand bruit d'ailes.<br />

Un carburant fossile<br />

Dieu avait ré<strong>un</strong>i, dans <strong>un</strong> premier Jardin,<br />

Un Adam raisonnable avec <strong>un</strong>e Eve pure.<br />

Le serpent n'a pas pu tenter ces créatures,<br />

Ils ont donc prolongé leur bonheur anodin.<br />

Dieu, de cette vertu, <strong>un</strong> peu jaloux, soudain,<br />

Sous la pierre écrasa cette verte nature.<br />

Ils ont connu, vivants, la lourde sépulture,<br />

Ceux envers qui l'amour est devenu dédain.<br />

Passe <strong>un</strong>e éternité sous le couvercle gris ;<br />

Ne resta des enfants du premier Paradis<br />

Que chair décomposée en <strong>un</strong> jus noir qui colle.<br />

Au bout de l'audacieuse expérimentation,<br />

Humant le noir produit de la fermentation,<br />

Dieu vit qu'il était bon, et le nomma «pétrole».


le mouvement social<br />

Dieu sonnait pour avoir son café matinal.<br />

Mais Gabriel survint, mains vides, triste mine.<br />

« Seigneur, pardonnez­moi, je viens de la cuisine,<br />

Pas de café, suite à <strong>un</strong> mouvement social. »<br />

Dieu dit à Gabriel : « Espèce d'animal,<br />

Les mouvements sociaux, moi, je les élimine,<br />

Ne suis­je le seigneur qui crée, qui extermine ?<br />

Soit j'aurai mon café, soit c'est le trib<strong>un</strong>al. »<br />

Gabriel y retourne et n'obtient nul café.<br />

De la cuisine il fait <strong>un</strong> grand autodafé,<br />

Des anges marmitons <strong>un</strong> seul petit subsiste.<br />

Dieu, l'ayant convoqué, lui demande pourquoi<br />

Vainement s'opposer à lui et à sa loi.<br />

« Comme suicide ici, c'est tout ce qui existe. »<br />

Ornithologie barbare<br />

Dimanche, <strong>un</strong> oiseau bleu a demandé au roi<br />

De laisser le pouvoir à l'assemblée civique ;<br />

Il était temps d'aller vers <strong>un</strong>e république<br />

Où le gouvernement respecterait les lois.<br />

L<strong>un</strong>di, <strong>un</strong> oiseau blanc fait l'annonce, à mi­voix,<br />

Que le monde a changé de façon pacifique,<br />

Que le roi gardera <strong>un</strong> pouvoir symbolique...<br />

(Cela s'est déjà vu, au royaume, autrefois).<br />

Mardi, <strong>un</strong> oiseau rouge enivra les soudards<br />

Qui ont livré bataille au long des boulevards,<br />

Emplissant de terreur les derniers jours du règne.<br />

Le temps des beaux marquis, le voilà révolu,<br />

Il n'est donc plus question de pouvoir absolu,<br />

Sauf de bureaucratie, l'<strong>un</strong>iverselle araigne.


<strong>un</strong> lecteur distrait<br />

Dis, ma vie, ai­je su te construire en droiture ?<br />

Peut­être pas. Sachant que chac<strong>un</strong> est mortel,<br />

J'ai trop entretenu mon penchant naturel<br />

A prendre l'existence avec désinvolture.<br />

Parfois, je fus tenté de forcer ma nature<br />

Et de me lancer dans des trucs exceptionnels ;<br />

Mais <strong>un</strong>e âme rétive aux envols passionnels<br />

Préfèrera le calme aux folles aventures.<br />

C'est pourquoi tu me vois, assis paisiblement,<br />

Lisant <strong>un</strong> vieux bouquin, <strong>un</strong> traité, <strong>un</strong> roman ;<br />

Sur <strong>un</strong> coin de la table, <strong>un</strong>e boîte de bière.<br />

Et parfois, cependant, <strong>un</strong>e envie de penser<br />

Dans mon esprit dormant se surprend à danser...<br />

Je pose alors mon livre, et j'éteins la lumière.<br />

la sous­traitance<br />

Doumé voulait planter quelques pommes de terre.<br />

Mais il était trop vieux, et son corps maladif<br />

Pour <strong>un</strong> si grand labeur n'était point volontaire.<br />

Il écrit à son fils, <strong>un</strong> homme créatif<br />

Qui sûrement saurait comment il faudrait faire.<br />

Le gamin lui envoie <strong>un</strong> courriel préventif<br />

Lui disant d'éviter les actions potagères,<br />

Pour ne pas dévoiler la cache aux explosifs.<br />

Les forces de la loi surviennent au matin<br />

Et, méthodiquement, creusent dans le jardin ;<br />

L'opération leur prend deux tiers de la journée.<br />

Le fils adresse ensuite à son père <strong>un</strong> envoi :<br />

Les patates qui sont à planter, mais tu vois,<br />

Plante­les sans effort, la terre est retournée.


Dans le lointain<br />

D'<strong>un</strong> sonnet, certains jours, s'entrecoupe <strong>un</strong> silence,<br />

De mots que, toi ou moi, nous aimons à choisir.<br />

Le poids de quelques vers échangés à loisir,<br />

Qui dira de combien il charge les balances...<br />

Puisque ces jours d'été sont jours de nonchalance,<br />

Puisqu'ils sont consacrés à l'exil, aux plaisirs,<br />

A la satisfaction de modestes désirs,<br />

Accordons­leur d'<strong>un</strong> chant la subtile ordonnance.<br />

Des jours plus ou moins gris peuvent bien survenir :<br />

Nous irons nous cacher au creux d'<strong>un</strong> souvenir<br />

Comme au creux d'<strong>un</strong> rocher, deux escargots semblables.<br />

Comme deux papillons qui, d'instant en instant,<br />

Avancent au jardin, l'<strong>un</strong> de l'autre distants,<br />

N'ayant pour se parler que gestes ineffables.<br />

<strong>un</strong>e remembrance<br />

Du pays de mémoire <strong>un</strong> chant m'est parvenu<br />

Qui date de ce temps où je courais ma chance<br />

En allant t'admirer, à ta porte, en silence,<br />

Mon âme était limpide et mon coeur était nu.<br />

D'où vient que de ces soirs je me suis souvenu ?<br />

La mémoire a parfois d'étranges turbulences<br />

Et l'esprit au travers des temps anciens s'élance<br />

Dont il n'était, pour vrai, pas même revenu.<br />

Toi qui ne sais trancher entre veilles et songes<br />

Car chac<strong>un</strong> de ces deux dans l'autre se prolonge,<br />

Chac<strong>un</strong> des deux reprend de l'autre les tracas,<br />

Ma vie, ne te prends pas pour <strong>un</strong>e tragédie,<br />

Tu seras <strong>un</strong> pastiche ou <strong>un</strong>e parodie,<br />

Un paisible chemin vers <strong>un</strong> banal trépas.


<strong>un</strong> <strong>recueil</strong><br />

En ouvrant mon courrier le trois novembre au soir,<br />

Je découvre <strong>un</strong> ouvrage à couverture grise,<br />

Non que ce fût pour moi la totale surprise,<br />

Mais voilà qui me fit vraiment plaisir à voir.<br />

Dans l'antre calme où j'ai coutume de m'asseoir,<br />

Je bois paisiblement ma bière à la cerise,<br />

J'entame ma lecture et je me mets aux prises<br />

Avec les mille éclats de ce précieux miroir.<br />

Je reconnais ici mes compagnons de plume,<br />

Tantôt ils me font rire, et mon regard s'allume,<br />

Tantôt je suis troublé de sentiments divers.<br />

Pour notre anniversaire et pour tous ceux qui viennent,<br />

Que mes voeux de bonheur jusqu'ici vous parviennent,<br />

Merci pour ce soleil à l'entrée de l'hiver.<br />

la fin du parcours<br />

En rêve il se souvient de celui qu'il était,<br />

Son passé de corbeau, il le voit clairement,<br />

Ses noirs envols visant en vain le firmament,<br />

Son désir d'<strong>un</strong> plumage aussi blanc que le lait.<br />

Plus ne sera corbeau, même s'il le voulait.<br />

En primate il finit sa vie, bien sagement,<br />

Puis il ira dormir, petit tas d'ossements.<br />

Le cycle aura ainsi été rendu complet.<br />

C'est vrai qu'il est des jours où s'enivre l'esprit<br />

D'aimer, de versifier, ou simplement, il rit<br />

D'<strong>un</strong> pissenlit lançant au loin ses parachutes ;<br />

Mais tout cela se fait en attendant la mort<br />

Qui abolit le deuil, la peine et le remords.<br />

Dès l'envol on s'attend à finir par la chute.


<strong>un</strong>e formation<br />

En rêve, j'accomplis <strong>un</strong> stage pour être ange.<br />

Suivre la voie du bien, chaque heure, chaque instant,<br />

Surveiller les mortels, auprès d'eux voletant,<br />

Contrôler leur boisson, vérifier ce qu'ils mangent,<br />

Voir s'ils n'adoptent pas des positions étranges,<br />

Surtout, s'ils pensent bien à se brosser les dents,<br />

Eviter qu'ils ne soient d'<strong>un</strong> poison dépendants,<br />

Faire que leurs efforts soient dignes de louange...<br />

Je n'étais point taillé pour pareille aventure,<br />

Et ma mission finit dans la déconfiture ;<br />

D'ailleurs, je m'y étais quelque peu attendu.<br />

Braves mortels, pécheurs, que le serpent vous garde,<br />

Il comprend mieux que moi où vos coeurs se hasardent,<br />

Moi qui par vos façons fus toujours confondu.<br />

Une machine<br />

En rêve, j'ai construit <strong>un</strong>e étrange machine<br />

Qui ne reposait pas sur la numération.<br />

Mes chefs m'ont demandé par quelle aberration<br />

Elle fait, malgré tout, des trucs qui se terminent.<br />

J'ai dit : « Les composants sont fabriqués en Chine,<br />

Ils peuvent supporter des approximations ;<br />

Ce qui fait l'essentiel de leur animation,<br />

C'est de la sémantique assez subtile, et fine. »<br />

Ils ont dit : « Mais pourtant, ton truc ne sert à rien,<br />

Il crache des sonnets qui ne riment pas bien,<br />

Et même quelquefois, horreur, des villanelles ».<br />

J'ai répondu : « Messieurs, laissons du temps au temps,<br />

Ces mots que la machine ainsi va tricotant,<br />

Un jour, surpasseront nos chansons les plus belles. »


<strong>un</strong> hommage<br />

En rêve j'entendis <strong>un</strong>e chanson gitane<br />

Destinée au flâneur qui vers l'horizon fuit,<br />

Non pas loin du travail, non pas loin de l'ennui,<br />

Mais vers la d<strong>un</strong>e où meurt la lueur océane.<br />

Son surmoi le poursuit, disant, tu es <strong>un</strong> âne,<br />

Et nul des deux ne voit où la route conduit.<br />

Il n'importe. Aussitôt que tombera la nuit,<br />

Adviendra cet instant où leur conflit se fane.<br />

J'écris ces quelques mots, bien posé sur mes fesses,<br />

Mon corps en écrivant nullement ne s'affaisse ;<br />

Je ne sais si ces vers passeront à l'oral.<br />

Or, des mots d'<strong>un</strong>e amie, avoir été la cible,<br />

Voilà que monte en moi <strong>un</strong>e humeur indicible :<br />

Le pur ciel de midi en devient sidéral.<br />

Le commentaire du barde<br />

­­ Ermite et moine ont tort de s'affronter en rimes,<br />

Ça ne peut qu'affaiblir leur transcendant regard.<br />

Prenez le sans­issue comme point de départ,<br />

Contemplez­le de près, devenez son intime.<br />

Ne cherchez pas de vers qui telle chose expriment,<br />

Ils auraient des échos indécents, quelque part.<br />

Ne vous dévoilez pas en des dictons hagards,<br />

Allez vers l'intérieur, allez vers le sublime.<br />

Or, le moine et l'ermite ont dans <strong>un</strong> bel accord<br />

Reproché au rimeur d'agir en esprit fort.<br />

­­ Apprends­nous le métier ! Remets­en <strong>un</strong>e couche !<br />

A d'autres assemblées va proposer ton chant ;<br />

De ce lieu si <strong>un</strong> jour on te voit approchant,<br />

On te demandera de bien taire ta bouche.


Escargot sur <strong>un</strong>e vitre<br />

Escargot sur ma fenêtre,<br />

Tu traverses le ciel gris,<br />

Lent comme le sont les maîtres :<br />

Les jardins te l'ont appris.<br />

Quand je puis me le permettre,<br />

J'aime paresser ainsi,<br />

Tout au lendemain remettre,<br />

Et cette écriture aussi ;<br />

Or, que nul ne s'en offusque,<br />

Je ne suis pas ce mollusque,<br />

Mais <strong>un</strong> poète voulant<br />

Traverser avec aisance<br />

Un îlot de transparence,<br />

Comme <strong>un</strong> escargot volant.<br />

les reptiles<br />

Escher fut <strong>un</strong> démiurge à la vision fertile.<br />

Ses mondes infinis n'engendrent pas l'ennui,<br />

Traversés comme ils sont de prodigieux circuits ;<br />

Des monstres étonnants y trouvent domicile.<br />

L'art de la perspective, étrange et difficile,<br />

La juxtaposition du jour et de la nuit,<br />

Ces coups de maître sont <strong>un</strong> simple jeu pour lui.<br />

Il enlève et remet leur relief aux reptiles,<br />

Et l'on voit tournoyer ces amusantes bêtes,<br />

Soit plates, soit montrant d'innombrables facettes;<br />

Or, notre oeil ne sait pas quel monstre il a suivi.<br />

Tableau mille fois vu, on y revient encore ;<br />

L'esprit en y plongeant se perd et se dévore,<br />

Dans la contemplation toujours inassouvi.


Décennies<br />

Est­ce la même voix, est­ce la même peau ?<br />

De mon corps vieillissant, que puis­je encore attendre ?<br />

Même si à fort peu de charme il peut prétendre,<br />

Certains jours, il advient qu'il soit frais et dispos.<br />

Il a bien plus souvent besoin de son repos,<br />

Mais je vois qu'il a tant de plaisir à le prendre...<br />

Ce qui est bon pour lui, comment le lui défendre<br />

(Ou ce qui est mauvais, quand ça vient à propos).<br />

De sa je<strong>un</strong>esse, <strong>un</strong> corps a­t­il des souvenirs ?<br />

Ou des prémonitions, quant à son avenir ?<br />

Le corps se soucie peu de ces choses lointaines.<br />

Il laisse aller le sang et palpiter le coeur,<br />

Ni vaincu désolé, ni triomphant vainqueur,<br />

Les ans ne sait compter que par quelques dizaines.<br />

Occam en vacances<br />

Est­ce la perception qui nous permet de voir ?<br />

C'est chose plus complexe, <strong>un</strong>e interne écriture<br />

S'appuyant sur ce qui dans le cerveau perdure<br />

Et, petit à petit, constitue le savoir.<br />

Croire à l'inattendu serait presque <strong>un</strong> devoir,<br />

Si tu veux que ta vie demeure <strong>un</strong>e aventure.<br />

Tu ne la connais pas sous toutes les coutures,<br />

Occam ne prête pas tous les jours son rasoir.<br />

Je me regarde vivre et je me vois mourir,<br />

Je ne crains pas ma mort, et je sais en nourrir<br />

Les modestes accents de ce petit poème.<br />

Merci à l'<strong>un</strong>ivers de m'offrir ces instants<br />

Où je ne suis pas trop à moi­même distant ;<br />

Merci, cher compagnon, de proposer ce thème.


<strong>un</strong> filigrane<br />

Est­il <strong>un</strong> filigrane, ô Toile, pour tes pages ?<br />

Le silence en est <strong>un</strong>, ai­je lu aujourd'hui,<br />

Silence où le regret en douceur s'introduit<br />

Comme <strong>un</strong> bruit de cascade au profond des ombrages.<br />

Le temps, heure après heure, a tissé <strong>un</strong> voilage<br />

Pour occulter l'éclat dont mes jours et mes nuits<br />

Furent illuminés. Ce charme qui s'enfuit<br />

Laissera­t­il en moi <strong>un</strong> signe de passage ?<br />

Les cicatrices qui sur notre corps perdurent,<br />

Marquent le souvenir des anciennes blessures ;<br />

A force de les voir, on ne les perçoit plus.<br />

L'écrit le plus charmant n'est pas toujours lisible,<br />

L'essentiel a pour lot de rester invisible.<br />

Un filigrane est là, personne ne l'a lu.<br />

Et si...<br />

Et si des cauchemars surviennent au matin,<br />

Fais­leur <strong>un</strong> bon accueil, ils sont là pour t'instruire.<br />

Ils ne possèdent pas le pouvoir de te nuire.<br />

Rendors­toi calmement dans tes draps de satin.<br />

Des poètes savants l'ont écrit en latin :<br />

Dans <strong>un</strong> cerveau nocturne on peut voir s'introduire<br />

Des monstres fabuleux, menaçant de détruire<br />

L'esprit désemparé que leur fureur atteint ;<br />

Certes, ton âme tremble aux éclats de leur voix,<br />

Et leur brûlant regard t'éveilla mainte fois,<br />

La sueur inondant tes oreillers de plume.<br />

Mais l'esprit les absorbe, ainsi qu'<strong>un</strong> océan,<br />

Et dans sa profondeur dissout leur corps géant<br />

Dont il ne restera qu'imperceptible écume.


<strong>un</strong> camembert sans squelette<br />

Exercice de style, ou jaillissement pur ?<br />

Le fait d'avoir <strong>un</strong> peu apprivoisé la forme<br />

Permet­il d'éveiller les sentiments qui dorment,<br />

Ou n'est­ce que de l'encre étalée sur <strong>un</strong> mur ?<br />

Est­ce pour confirmer ce dont je ne suis sûr,<br />

Ce que je crois trop vain, trop idiot, trop énorme<br />

Que j'aligne mon texte en respectant la norme ?<br />

Envers mes illusions, ne soyez pas trop durs.<br />

Quant à noyer mes vers au jus de la bouteille,<br />

Je le fais certains jours, à l'ombre d'<strong>un</strong>e treille,<br />

Mais la sobriété me guide, au quotidien.<br />

Qu'on trouve peu de sens à mes oeuvres frivoles,<br />

C'est que facilement je fuis et je m'envole<br />

Vers <strong>un</strong> monde onirique où le sens ne m'est rien.<br />

Un instant<br />

Faire que chaque instant vibre, comme éternel ;<br />

Flotter au fil du vent comme au ciel <strong>un</strong> nuage,<br />

C'est de l'esprit humain le plus bel apanage<br />

Dont il fait profiter son compagnon charnel.<br />

Pas besoin pour cela de vieux calculs formels.<br />

Juste fixer les yeux sur <strong>un</strong>e belle image,<br />

N'importe le format, portrait ou paysage,<br />

Et suspendre le temps est <strong>un</strong> jeu naturel.<br />

J'entends, tu me diras que c'est <strong>un</strong>e illusion,<br />

L'homme dans l'éternel ne peut faire intrusion,<br />

Ce jeu n'arrête pas l'horloge meurtrière.<br />

Laissez­moi y plonger, malgré tout, mon esprit.<br />

Lorsqu'<strong>un</strong> homme médite, ou qu'il chante, ou qu'il rit,<br />

Son âme est hors du temps et de la fourmilière.


<strong>un</strong> flâneur<br />

Flâner, que faire d'autre en ce monde insipide ?<br />

Sur ce dernier plaisir, ne tirons pas <strong>un</strong> trait.<br />

Flâner plus que bosser a de charmants attraits,<br />

L'esprit, quand vient le soir, s'en trouve plus limpide.<br />

Ou si tu veux rester producteur intrépide<br />

D'excellents résultats, va donc, ne te soustrais<br />

Pas au sombre labeur, donne­nous le portrait<br />

D'<strong>un</strong> segment du réel, de ton pinceau rapide.<br />

D'<strong>un</strong>e part le sérieux bilan de l'existant,<br />

D'autre part <strong>un</strong> envol vers des mondes distants,<br />

Choisis ton élément, choisis ton paysage.<br />

Pour entreprendre il n'est pas besoin d'espérer,<br />

Ni de réussir pour vouloir persévérer,<br />

Avance, et ne sois pas déçu de ton voyage.<br />

Encore Meredith<br />

Flattant ma vanité, <strong>un</strong> trop brûlant désir<br />

S'est adressé à moi. Amie, je me contente<br />

De jouer avec toi, puisqu'<strong>un</strong> tel jeu nous tente ;<br />

D'aller sur cette voie nous fait tous deux frémir.<br />

Si sur ta poésie j'ai voulu renchérir,<br />

Ta réponse à ma voix est trois fois plus charmante.<br />

Ce qui était secret devient chose flagrante,<br />

Je ne permettrai pas qu'on vienne l'appauvrir.<br />

Puisque mon sort dépend de ce que je te dois,<br />

Sérieuse est ma prière, et je dis : pense à moi,<br />

Règne sur ton poète, amie de mes pensées.<br />

S'il existe <strong>un</strong> soleil n'éclairant qu'<strong>un</strong>e fleur,<br />

S'il existe <strong>un</strong> soleil qui sent battre son coeur,<br />

Fais de moi <strong>un</strong> soleil allant sur sa lancée.


<strong>un</strong> éternel retour<br />

Fleuve parfois tari qui dans l'Histoire plonge,<br />

Ayant la majesté, le calme d'<strong>un</strong> gisant,<br />

Comme <strong>un</strong> miroir obscur pour les jours du présent ;<br />

Et du sable au milieu, où l'avenir s'éponge.<br />

Au long de ton pays ton rivage s'allonge,<br />

Où viennent méditer les humbles paysans<br />

Et l'âme des seigneurs devenus vers luisants,<br />

Qu'<strong>un</strong> tourment d'autrefois toujours harcèle et ronge.<br />

Je vois l'eau qui avance en descendant des monts<br />

Et ne remonte point comme font les saumons,<br />

Mais quand elle est en mer, cette eau qui s'évapore<br />

Revient vers les sommets, à la force du vent<br />

Et se fait source pure, et ruisseau, comme avant,<br />

Et le fleuve en lui­même à nouveau s'incorpore.<br />

la sirène<br />

Heureux qui, comme Ulysse, entend, de la sirène,<br />

La voix ensorceleuse et les mots de velours :<br />

Dans ses nuits et ses jours, elle sera sa reine,<br />

Le joug de Pénélope en deviendra moins lourd.<br />

Une fois de retour à sa patrie sereine,<br />

La mémoire du roi évoque tour à tour<br />

La course du navire à la forte carène<br />

Et les femmes ailées lançant leur chant d'amour.<br />

Pour tiède que lui soit la douceur du foyer,<br />

Il est quand même heureux de n'être pas noyé<br />

Dans l'eau glacée, au pied d'<strong>un</strong>e falaise sombre.<br />

Pour navrante que soit la routine des soirs,<br />

Des rêves colorés dansent sur ce fond noir ;<br />

Ulysse est pour toujours amoureux de cette ombre.


Heureux qui comme <strong>un</strong>e huître...<br />

Heureux qui, comme <strong>un</strong>e huître, oncques ne fait voyage,<br />

Et n'a plume sur soi, pelage ni toison,<br />

Et n'ayant de cerveau est pleine de raison<br />

Qu'elle use oisivement tout au long de son âge.<br />

Car les huîtres n'ont pas de bourg ni de village,<br />

N'allument cheminée en auc<strong>un</strong>e saison,<br />

N'habitent auc<strong>un</strong> clos ni auc<strong>un</strong>e maison,<br />

Ni auc<strong>un</strong>e province ou fief, place ou baillage.<br />

Plus leur plaît leur séjour au couvercle ingénieux<br />

Que des logis humains le style prétentieux,<br />

Plus leur calcaire dur qu'architecture fine,<br />

Plus l'île d'Oléron que le Quartier Latin,<br />

Plus leur silence frais que tous nos baratins,<br />

Et plus leur lieu marin qu'<strong>un</strong>e boîte à sardines.<br />

troisième art poétique<br />

Heureux qui peut reprendre <strong>un</strong>e oeuvre très ancienne<br />

Et lui faire porter <strong>un</strong> contenu nouveau,<br />

Cherchant à faire mieux que ses nombreux rivaux<br />

Ou bien laisser chanter la voix qui est la sienne...<br />

La forme nous inspire et les contenus viennent<br />

(Et c'est surtout par eux que le poème vaut).<br />

On peut passer des nuits à ces plaisants travaux<br />

Qui nous font découvrir à quoi nos pensées tiennent.<br />

Un coup de nostalgie, la sagesse d'<strong>un</strong>e huître,<br />

Le bonheur sans argent, l'escargot sur la vitre...<br />

Innombrables pour nous foisonnent les motifs.<br />

Le sujet est présent, prenons garde à la forme,<br />

Mais cela ne va pas être <strong>un</strong> effort énorme :<br />

Quand le plaisir l'excite, <strong>un</strong> esprit est actif.


The Dark One<br />

I am Cromwell the Dark, and I control<br />

Aquitaine's old camel and the lost shrew.<br />

But my Memory is dead, my star­struck head<br />

Brings King Gontran somber Melancholy.<br />

By opening a barrel, the King saved me,<br />

It was in Paris, Avenue d'Italie,<br />

Plonk is what pleases my destroyed soul,<br />

While the camel with the shrew does dally.<br />

Am I <strong>Cochonfucius</strong> ? Am I quite dr<strong>un</strong>k ?<br />

My eyes are lost in the Queen's dark green ones,<br />

My head reso<strong>un</strong>ds with the howling of monsters.<br />

I see the camel­shrew waiting for food,<br />

And I can see the cook bringing a plate<br />

Of fried fish here, and a cup of coffee.<br />

Système solaire<br />

­­ Icare traversant les cercles planétaires<br />

Tantôt semble monter, tantôt se faire lourd.<br />

A la loi newtonienne il n'est pas vraiment sourd,<br />

Il ne sait pourtant pas s'en tenir à sa sphère.<br />

Mais ce corps qui nous semble infiniment précaire,<br />

Depuis déjà longtemps suit le même parcours ;<br />

Or, si nous le croisions, ce serait sans recours,<br />

Icare obscurcirait alors notre atmosphère.<br />

La vénérable horloge issue du fond des âges<br />

Fait fonctionner ainsi d'étranges engrenages,<br />

Voltaire a déliré, en parlant d'horloger.<br />

­­ Ne disons pas de mal des astres, des comètes,<br />

De ce brave soleil, ni, surtout, des planètes :<br />

Je me sens bien sur celle où nous sommes logés.


Les compagnons<br />

Ici je ne dis pas la passion exclusive<br />

Mais le plaisir d'avoir des compagnons marrants<br />

Des compagnes aussi embellissant les rangs<br />

D'<strong>un</strong> groupe rassemblé pour les heures oisives<br />

L'<strong>un</strong> produit <strong>un</strong>e idée amusante incisive<br />

L'autre la continue sur <strong>un</strong> mode hilarant<br />

Un troisième lui donne <strong>un</strong> éclat différent<br />

L'écriture en effet peut être collective<br />

Un forum certains jours est ainsi qu'<strong>un</strong>e auberge<br />

Ou d'<strong>un</strong> frais ruisselet la séduisante berge<br />

Qui voit plein de copains venir et s'en aller<br />

Mettre mes propres mots entre les mots d'<strong>un</strong>e autre<br />

Voir émerger le son d'<strong>un</strong> poème le nôtre<br />

Combien de fois mon âme à ce jeu a brûlé<br />

Les plans<br />

Il fallait mettre en croix le fils du charpentier<br />

Pour que fût accompli le mot des écritures<br />

Pilate a donc jugé la pauvre créature<br />

Non sans lui prodiguer <strong>un</strong>e vaine pitié<br />

Cependant de la croix l'inachevé chantier<br />

Trop inutilement offensait la nature<br />

Car même s'il avait encaissé sa facture<br />

L'artisan avait fait son dû moins qu'à moitié<br />

Seul était là <strong>un</strong> trou profond sombre béant<br />

Bien fait pour recevoir <strong>un</strong> pylône géant<br />

Mais vide défiant les foules stupéfaites<br />

Pilate interrogea les esclaves craintifs<br />

« De l'inachèvement qui donc est le fautif ? »<br />

« Maître, on attend les plans fournis par les prophètes »


La croix<br />

Il fit sa propre croix le fils du charpentier<br />

Lui qui était fait pour citer les écritures<br />

Parcourir les chemins guérir les créatures<br />

Mais de son propre corps il n'a pas eu pitié<br />

Il en eut pour longtemps sur ce sacré chantier<br />

Le bois des oliviers est <strong>un</strong>e essence dure<br />

Il ne savait à qui adresser la facture<br />

Au père et à l'esprit peut­être par moitiés<br />

Construisant le moyen d'entrer dans le néant<br />

Et aussi d'édifier même les mécréants<br />

Par sa résignation et sa douceur parfaites<br />

Pour faire de l'esclave <strong>un</strong> homme moins craintif<br />

Pour réparer le tort du vieil Adam fautif<br />

Il accepta la mort qu'annonçaient les prophètes<br />

L'insensé a dit en son coeur : point de Dieu !<br />

Il n'y a pas de Dieu, n'en ayez nulle crainte.<br />

Les hommes d'autrefois, guidés par leur frayeur,<br />

Ont inventé ce truc, exorcisant la peur.<br />

Tu peux voir sa statue et son image peinte<br />

Où jamais il ne fut, ni ne but <strong>un</strong>e pinte.<br />

Il n'est pas de démiurge, il n'est pas de sauveur,<br />

Encore moins de fils, et point de créateur.<br />

Bon, mais rassurons­nous par les images saintes :<br />

Nous sommes les enfants de la vierge Marie,<br />

Car c'est notre maman qui jamais ne varie,<br />

Certes, pour son amour, on peut devenir pieux.<br />

Enfin, depuis le temps, elle est morte, et bien morte.<br />

Et donc, sa sainteté ne peut servir de porte<br />

Pour qui veut aujourd'hui être proche de Dieu.


<strong>un</strong> hommage à la maternité<br />

Ils disent que Marie s'est envolée au ciel,<br />

Ils n'ont pas bien saisi sa condition de mère.<br />

Son fils a dit « Le grain doit mourir, dans la terre,<br />

Pour accomplir du fruit le sort providentiel ».<br />

Abeille qui produis le beau rayon de miel,<br />

C'est lui que nous mangeons, non ton corps éphémère.<br />

Marie ayant vécu, comme femme ordinaire,<br />

A disparu aussi, sur le plan matériel.<br />

Poètes nous serons, nourris de son sourire<br />

Qui nous apprend à voir le meilleur et le pire<br />

Dans ce monde soumis à d'arbitraires lois.<br />

Le fils du charpentier est le dieu des poètes,<br />

Et maintes qualités qu'aujourd'hui on lui prête,<br />

Notre Dame, Marie, c'est à toi qu'il les doit.<br />

Savoir­vouivre<br />

Ils perdirent la vouivre, <strong>un</strong> soir. Pourquoi perd­on<br />

La vouivre ? Quelqu'<strong>un</strong> l'a parfois trop regardée.<br />

Les loriots blancs, furieux de l'avoir hasardée,<br />

Tracèrent sur le sol des cercles au bâton.<br />

Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,<br />

Mais la vouivre avait fui, comme fuit <strong>un</strong>e idée.<br />

Et ces loriots voulant avoir l'âme guidée<br />

Pleurèrent, en dressant des tentes de coton.<br />

Mais le gros bison noir, méprisé des deux autres,<br />

Se dit Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,<br />

Il faut donner pourtant au peuple son pinard.<br />

Tandis qu'il en portait <strong>un</strong> plein seau par son anse,<br />

Alors qu'il y jetait <strong>un</strong> machinal regard,<br />

Il vit la vouivre d'or, qui nageait en silence.


La tour<br />

Ils se sont assemblés, tous frères, fils d'Adam,<br />

Pour bâtir <strong>un</strong>e tour s'élevant de la terre<br />

Jusqu'au plus haut des cieux, quittant notre atmosphère<br />

Et dépassant la l<strong>un</strong>e, et le soleil ardent.<br />

Le créateur du monde a jugé, cependant,<br />

Que cette initiative avait tout pour déplaire,<br />

Et que d'y mettre <strong>un</strong> terme il serait nécessaire :<br />

Projet mégalomane, abusif, imprudent.<br />

Il s'en va consulter Lucifer le subtil.<br />

« Que ferons­nous, voisin, le sollicite­t­il,<br />

Comment mettrons­nous fin à cette oeuvre perverse ? »<br />

Le démon dit alors : « Pour que, de ces gredins,<br />

Le prodigieux chantier tourne en eau de boudin,<br />

Tu les feras parler en des langues diverses. »<br />

<strong>un</strong> chevalier<br />

J'ai croisé le héros à la triste figure<br />

Auprès d'<strong>un</strong>e forêt où règne <strong>un</strong> enchanteur,<br />

Forêt où l'on n'entend auc<strong>un</strong> oiseau chanteur<br />

Mais seuls quelques corbeaux de ténébreux augure.<br />

Avec sa longue lance il eut de l'envergure,<br />

Mais son vieux canasson marchait avec lenteur<br />

Et son pauvre écuyer, paresseux et menteur,<br />

N'était de ceux par qui la gloire s'inaugure.<br />

Je lui dis : Comme toi, je rôde, je galère,<br />

Et à bien des égards toi et moi sommes frères ;<br />

Tu traînes ton courage au long du grand chemin,<br />

Et moi, entre les murs d'<strong>un</strong> grand laboratoire,<br />

Je peine à trouver la démarche exploratoire<br />

Pour aider à bâtir les outils de demain.


<strong>un</strong>e disparition<br />

J'aimais lire autrefois des récits incroyables,<br />

Et dans les temps présents, je ne m'en lasse pas ;<br />

Or je pense à celui qui jadis me frappa :<br />

Il expose à nos yeux le destin effroyable<br />

D'<strong>un</strong> homme qui, <strong>un</strong> soir, a rencontré le diable,<br />

Lequel en <strong>un</strong> échange inégal le trompa,<br />

Dont souffrit ce héros jusqu'au seuil du trépas,<br />

Tant la perte subie était irrémédiable.<br />

Tout seul, il doit aller vers cette triste fin ;<br />

Le voici déjà vieux, prochainement déf<strong>un</strong>t,<br />

Et c'est <strong>un</strong> crève­coeur pour l'auteur du poème.<br />

Celui que l'on a vu si vigoureux gaillard<br />

Ne saurait nullement être <strong>un</strong> digne vieillard :<br />

Peter Schlemihl n'est plus que l'ombre de lui­même.<br />

Perplexité<br />

J'ai parfois l'impression d'être <strong>un</strong> double élément :<br />

Humain et animal comme le Minotaure<br />

Qui reste au labyrinthe en son égarement,<br />

Ou comme en promenade <strong>un</strong> perplexe centaure<br />

Ne sait s'il aime Ariane ou alors sa jument.<br />

Je sais que le désir jamais ne doit enclore<br />

Le coeur pensant d'<strong>un</strong> homme en <strong>un</strong> vouloir qui ment ;<br />

Mais mon coeur au désir se laisse prendre encore,<br />

Puisqu'<strong>un</strong>e voix lointaine a sur moi tel pouvoir...<br />

Comment en ce vieux monde ai­je pu me mouvoir<br />

Jusqu'au déclin de l'âge en restant immature ?<br />

Agir avec raison, même au temps de l'amour,<br />

Mais rêver follement tout au long du parcours :<br />

Telle est la double loi de l'humaine nature.


Encore <strong>un</strong> rêve<br />

J'ai rêvé. Je ne sais ce qu'en rêve j'étais,<br />

Peut­être <strong>un</strong> animal, <strong>un</strong> végétal, <strong>un</strong> ange,<br />

Un nuage, <strong>un</strong> soleil, <strong>un</strong>e machine étrange.<br />

Quelque part dans l'espace, <strong>un</strong>e muse chantait.<br />

J'ai rêvé. L'<strong>un</strong>ivers, autour de moi, flottait.<br />

Un peuple de Gaulois buvait dans <strong>un</strong>e grange.<br />

Un Bouddha dignement marchait sur l'eau du Gange,<br />

Et la cigale avec la fourmi complotait.<br />

J'ai rêvé que, sévère, assis à mon bureau,<br />

Je pratiquais l'humour à son degré zéro,<br />

Et que ça résultait d'<strong>un</strong> long apprentissage.<br />

J'ai rêvé que mon coeur se perdait dans le ciel<br />

Grâce au souffle attiédi d'<strong>un</strong> vent providentiel,<br />

Puis se laissait tomber, inerte, sur la plage.<br />

Un ermitage onirique<br />

J'ai rêvé que j'étais dans <strong>un</strong> exil l<strong>un</strong>aire<br />

Sous la forme d'<strong>un</strong> chat, posé sur le croissant,<br />

Voyant au loin la Terre et son jour finissant,<br />

Et les mers reflétant les derniers feux solaires.<br />

Mon coeur était rempli de joie crépusculaire.<br />

Le ciel autour de moi, tout en s'assombrissant,<br />

Se peuplait de lueurs tour à tour surgissant<br />

Et se rangeant autour de l'étoile polaire.<br />

Dans ce monde où régnait <strong>un</strong> éternel silence,<br />

Je pus épanouir ma native indolence,<br />

Sans regretter de trop l'absence de rongeurs.<br />

Réveillé ce matin, je suis loin de la l<strong>un</strong>e,<br />

Mais j'y retournerai, si par bonne fort<strong>un</strong>e<br />

Le même rêve advient en mon esprit songeur.


<strong>un</strong> nuage<br />

J'ai rêvé que j'étais devenu <strong>un</strong> nuage,<br />

Et je me nourrissais de photons savoureux<br />

Tout en accompagnant les vents aventureux<br />

Qui m'avaient éloigné de la mer et des plages.<br />

Tout était nouveauté, en ce premier voyage,<br />

La ville minérale ou le bocage ombreux,<br />

L'aigle en sa solitude ou les humains nombreux,<br />

Et les mille détails de chaque paysage.<br />

Mais ma force a décru, soudain, l'autre matin.<br />

Il manquait la moitié de mon corps de satin<br />

Et, presque à chaque instant, je perdais quelques grammes.<br />

C'est notre sort à tous, prenons­le patiemment,<br />

Nuage pour toujours n'est pas au firmament,<br />

Aux jardins franciliens je déverse mon âme.<br />

Quatre pas sur le sable<br />

J'ai rêvé que j'étais étranger sur la Terre,<br />

Ne connaissant serpent, aviateur, ni renard.<br />

Je voulais m'éloigner avant qu'il soit trop tard<br />

Et refermer les yeux sur de trop noirs mystères.<br />

J'ai rêvé que j'étais, voyageur solitaire,<br />

Emporté dans l'espace aux mille astres blafards,<br />

J'ai rêvé que l'essaim de mes rêves épars<br />

Ne cessait de danser <strong>un</strong> ballet f<strong>un</strong>éraire.<br />

Il est mort, désormais, l'éclat de ma je<strong>un</strong>esse.<br />

J'ai vu aussi la mort de ma je<strong>un</strong>e sagesse ;<br />

Une voix m'avertit de celle du grand Pan.<br />

Le soir, de çà, de là, d'autres voix me parviennent.<br />

Cette vie que je vis, est­ce vraiment la mienne ?<br />

Parfois je dis que oui, ou bien non... Ça dépend...


Quatre océans de solitude<br />

J'ai rêvé que j'étais sur <strong>un</strong>e île déserte,<br />

Et que j'avais perdu, piètre navigateur,<br />

Mon navire aux récifs traîtres de l'Equateur.<br />

Sur l'île je faisais d'étranges découvertes.<br />

J'entendais discourir <strong>un</strong> arbre aux feuilles vertes<br />

Qui de toute pitance était distributeur,<br />

Et de livres aussi, faits par les bons auteurs ;<br />

Et pour dormir la nuit, il donnait des couvertes.<br />

Je vis <strong>un</strong> lac de rhum ambré aux belles plages.<br />

Il m'a suffi, d'ailleurs, d'errer sur son rivage,<br />

Respirant ses vapeurs, je fus ivre bientôt.<br />

Et dans ce double état de rêve et de délire,<br />

Mon cerveau mélangeait le meilleur et le pire,<br />

Jusqu'au brutal réveil ­­ sur le pont d'<strong>un</strong> bateau.<br />

<strong>un</strong> grand poisson rouge<br />

J'ai rêvé que j'étais <strong>un</strong> très grand poisson rouge<br />

Dans <strong>un</strong> bel aquarium, au restaurant chinois.<br />

Je regardais, tranquille, aller, autour de moi,<br />

La foule des dîneurs qui paisiblement bouge.<br />

L'endroit était correct, ce n'était pas <strong>un</strong> bouge,<br />

Les convives parlant <strong>un</strong> peu tous à la fois<br />

Produisaient dans l'ensemble <strong>un</strong> bruit de bon aloi,<br />

C'était à Gentilly, ou peut­être, à Montrouge.<br />

Soudain je me sentis quelque peu angoissé<br />

Et mes deux compagnons aussi étaient stressés,<br />

Et ce sentiment fut difficile à combattre.<br />

De la couleur d'<strong>un</strong> plat qu'on venait d'apporter,<br />

Notre esprit eut du mal à se réconforter ;<br />

Tous trois nous nous disions :<br />

« Mais quoi ? Nous étions quatre... »


Minuscule et discret<br />

J'ai rêvé que j'étais, voyageant dans l'espace,<br />

Une étrange entité aux saveurs de néant.<br />

Mille franchissements d'interstices géants<br />

Me faisaient dériver, allant de place en place.<br />

Et je rêvais ainsi, immortel ou fugace,<br />

Ne sachant si j'étais assemblage pesant<br />

Ou simple vibration, murmure évanescent<br />

N'exerçant nulle force et ne laissant de trace.<br />

La chaleur des soleils me tenait en alerte ;<br />

Je traversais aussi des matières inertes,<br />

Et je voyais parfois miroiter des anneaux.<br />

Pourquoi allais­je ainsi de façon subreptice,<br />

Comme sous <strong>un</strong>e porte <strong>un</strong> insecte se glisse ?<br />

Vous l'aviez deviné, j'étais <strong>un</strong> neutrino.<br />

<strong>un</strong> rêve de voyage<br />

J'ai rêvé que le vent emportait ma mansarde.<br />

Tant bien que mal, j'étais cramponné au plancher<br />

Devenu vertical à force de pencher,<br />

Et machinalement, j'ai dit « Que Dieu me garde ».<br />

A moitié rassuré, je me penche et regarde<br />

Un fleuve dans les prés en train de s'épancher ;<br />

« Petit abri volant, pas question de flancher,<br />

Vole droit devant toi, d'arriver il me tarde. »<br />

D'arriver, mais où donc ? Je n'en savais trop rien,<br />

Mais j'étais si heureux du parcours aérien<br />

Que d'ignorer mon but n'était pas <strong>un</strong> problème.<br />

Le vent n'a pas de but et les songes non plus.<br />

Ce n'est pas seulement ce long vol qui m'a plu,<br />

Mais surtout d'en parler avec quelqu'<strong>un</strong> que j'aime.


Deux bureaux même pas voisins<br />

J'ai rêvé que ma muse entrait dans mon bureau,<br />

Où je n'avais, ce jour, compagnon ni compagne.<br />

Par la grande fenêtre on voyait la campagne<br />

Traversée d'écureuils, de biches, de blaireaux.<br />

Ayant illuminé ma prison sans barreaux,<br />

Elle a su triompher de l'ennui qui me gagne<br />

Quand les tas de papier, comme autant de montagnes,<br />

Semblent intercepter les rayons vespéraux.<br />

Sans le bureau, ferais­je autant d'alexandrins<br />

Et trouverais­je autant de modestes refrains<br />

Pour transmettre aux amis mes rimes quotidiennes ?<br />

J'ai écrit ce sonnet sans savoir où j'allais,<br />

Comme je fais souvent. Qui a dit qu'il fallait,<br />

Pour composer des vers, que des idées nous viennent ?<br />

<strong>un</strong> apprentissage<br />

J'ai rêvé qu'on m'avait mis en apprentissage;<br />

C'était pour me former comme poisson bavard.<br />

Me voici apprenant l'algue du boulevard,<br />

Le crabe magnétique et l'huître entomophage,<br />

Les elfes du ressac, les monstres de la plage,<br />

L'hippocampe au sépulcre et son triple avatar,<br />

La baleine invisible et le poulpe tricard,<br />

Rédigeant sur chaque être <strong>un</strong> rapport de vingt pages.<br />

A l'oral, il fallut parler d'antipodistes,<br />

Du maître en fourberie, de la liste des listes,<br />

Et du stress du homard que l'on fait cardinal.<br />

Si j'ai pendant quatre ans des notes favorables,<br />

Mon statut permettra que, de façon durable,<br />

Je n'aie plus à être homme (ah, l'ignoble animal !)


L'Esprit se remémore<br />

J'ai vu ces douze enfants privés de leur grand frère<br />

Qui s'était envolé, transformé en corbeau,<br />

Quarante jours après sa sortie du tombeau.<br />

Ils sont restés neuf jours sans trop savoir quoi faire,<br />

Ne pouvant, quant à eux, monter dans l'atmosphère,<br />

Ou bien, il eût fallu <strong>un</strong> très grand escabeau.<br />

Ils sont allés en ville avec leurs gros sabots,<br />

Et se sont assemblés, proclamant cette affaire<br />

Devant des gens venus d'<strong>un</strong> peu partout sur Terre ;<br />

Lesquels n'ont rien compris aux étranges mystères<br />

Que les douze narraient dans <strong>un</strong> dialecte obscur.<br />

Alors, pour les sauver, j'ai touché de mes flammes<br />

Le sommet de leur crâne et le fond de leur âme :<br />

Voici qu'en toute langue ils parlent, d'<strong>un</strong> ton sûr.<br />

<strong>un</strong>e déploration (en hommage à Roger<br />

Lefebvre)<br />

J'aurais voulu chanter des mondes idylliques,<br />

Mais mon coeur se renferme ainsi qu'<strong>un</strong> escargot.<br />

J'aurais été athlète, aux athéniens portiques,<br />

Marin de haute mer ou cueilleur d'abricots...<br />

Mais voilà, je survis dans ce monde merdique,<br />

Comme en <strong>un</strong> tas de viande <strong>un</strong> modeste asticot,<br />

Je traite mes voisins de façon pacifique<br />

Et nous nous regardons en mangeant du gigot.<br />

J'aurais voulu graver des strophes impériales<br />

Ou célébrer ma joie ainsi qu'<strong>un</strong>e cigale,<br />

Honorer des héros par­delà leur trépas ;<br />

Mais je suis là, timide, et ma plume en déroute<br />

Glane des mots banals au long des tristes routes,<br />

Tels qu'en les relisant, je ne les comprends pas.


le grand Charles<br />

Jeanne affronta l'Anglais tout <strong>un</strong> jour de juillet,<br />

Qui à la fin du jour de partout s'enfuyait.<br />

Or, s'étant endormie, elle vit, sans armure,<br />

Un chevalier français à la haute stature<br />

Qui d'<strong>un</strong>e main sur elle, en douceur, s'appuyait,<br />

Tout en lui demandant si point ne l'ennuyait.<br />

Jeanne qui lui trouvait <strong>un</strong>e bien noble allure<br />

Le pria de narrer sa dernière aventure.<br />

Charles, précisa­t­il, est le nom que je porte.<br />

Avant que les Anglais du malheur ne la sortent,<br />

La patrie en mon temps bien des maux a souffert.<br />

Jeanne, <strong>un</strong> peu incrédule, écoute le grand Charles<br />

Et songe à ce qu'il dit. Puis d'autre chose ils parlent,<br />

C'est de guerre et de paix, du ciel et de l'enfer.<br />

les voix<br />

Jeanne allait au combat sur sa blanche cavale.<br />

Il fallut traverser <strong>un</strong>e noire forêt.<br />

Des guerriers <strong>un</strong> peu fous et des prêtres discrets<br />

Ont formé autour d'elle <strong>un</strong>e escorte loyale.<br />

On entendit au loin sonner la cathédrale.<br />

Aussitôt le vaillant seigneur Gilles de Rais<br />

A mis dans le sous­bois sa monture à l'arrêt.<br />

Il pose <strong>un</strong>e question d'<strong>un</strong>e voix sépulcrale :<br />

Jeanne, en ce même instant, <strong>un</strong> ange parle­t­il ?<br />

Il se moque, le preux, le plaisant, le subtil,<br />

Des transcendantes voix parlant à la bergère.<br />

Jeanne dit : Compagnon, ici c'est Dieu qui parle,<br />

Comme en <strong>un</strong> futur siècle à <strong>un</strong> autre grand Charles.<br />

Par anticipation je suis son héritière.


le catalogue<br />

Je chante des chansons avec Clément Marot,<br />

Dressé actif j'attends comme Jean de Boschère,<br />

Je contemple le fleuve ainsi qu'Apollinaire,<br />

J'écoute la leçon de Jacques Charpentreau.<br />

Je longe le ruisseau d'Hégésippe Moreau,<br />

J'aide à ses traductions Blaise de Vigenère,<br />

Je vois venir la nuit si douce à Baudelaire,<br />

Je suis Grabinoulor dans Pierre Albert­Birot.<br />

Je caresse le chat de Maurice Carême,<br />

Je peins <strong>un</strong>e tortue avec Tristan Derème,<br />

Je vois l'ombre d'<strong>un</strong> zèbre auprès de René Char.<br />

Je suis poisson soluble ainsi qu'André Breton,<br />

Je chante mes sanglots après Louis Aragon,<br />

Je ne sais pas rimer aussi bien que Ronsard.<br />

<strong>un</strong>e égratignure<br />

J'égratigne ma chair aux épines des roses<br />

En marchant, tout distrait, dans mon jardin, le soir.<br />

Jardin à l'abandon, seule la pluie l'arrose,<br />

Certains endroits pourtant sont toujours beaux à voir.<br />

L'herbe en se flétrissant n'est pas au désespoir,<br />

Blonde et inanimée au sol elle repose.<br />

Les vitres du salon deviennent des miroirs<br />

Où <strong>un</strong> autre jardin d'autres fleurs se compose.<br />

Le ciel de ce dimanche est <strong>un</strong> beau ciel d'été,<br />

Un ciel pour gens heureux (et nous l'avons été<br />

Au moins quelques instants, échangeant des paroles) ;<br />

Soyons heureux ce soir, demain il fera jour,<br />

L'hirondelle en allée ne revient pas toujours,<br />

Mais soyons fous <strong>un</strong> peu, car cette vie est folle.


le blog de Neige<br />

Je lis tes mots écrits dans la Chine lointaine,<br />

Racontant tes plaisirs, ton travail, tes ennuis.<br />

Je t'écris dans le jour, tu me lis dans la nuit.<br />

La parution suivante est toujours incertaine.<br />

Ces notes de chevet qui sont là par centaines,<br />

Ce sérieux témoignage où l'humour s'introduit,<br />

Le récit d'<strong>un</strong>e vie, l'émotion qu'il produit,<br />

Dans <strong>un</strong> français plus clair que l'eau d'<strong>un</strong>e fontaine...<br />

Cette eau ne coule plus, depuis pas mal de jours ;<br />

L'arbre le mieux fleuri ne fleurit pas toujours,<br />

Tu dois passer ton temps à des choses sérieuses.<br />

C'était juste <strong>un</strong> merci, au nom de tes lecteurs,<br />

Tes compagnons de plume et tes admirateurs :<br />

Jamais ne fut plus belle <strong>un</strong>e contrée neigeuse.<br />

<strong>un</strong>e exclaustration<br />

Je m'étais réfugié, encore adolescent,<br />

Dans la cellule tiède, au coeur du monastère.<br />

Peu sévère était l'Ordre et nullement austère,<br />

Ce que nous apprenions était intéressant.<br />

Puis, nous faisions partie du groupe des puissants,<br />

Pour nous les paysans faisaient vivre leur terre,<br />

Pour nous les commerçants ont armé leurs galères,<br />

Facile de payer, rien qu'en les bénissant.<br />

Maintenant je suis vieux, dévasté par le doute,<br />

La voie que j'ai suivie, est­ce <strong>un</strong>e fausse route ?<br />

J'inscris cette question sur mes longs parchemins.<br />

J'inscris cette question qui devient <strong>un</strong> poème,<br />

Si cette vie sur terre est faite pour qu'on aime,<br />

Aimer la poésie est aussi <strong>un</strong> chemin.


C<strong>un</strong>égonde<br />

Je me souviens de C<strong>un</strong>égonde<br />

qui avait délaissé ce monde<br />

dans lequel la luxure abonde<br />

et fut dans <strong>un</strong>e chambre ronde<br />

pour <strong>recueil</strong>lant les bonnes ondes<br />

avoir <strong>un</strong>e pensée féconde<br />

ainsi qu'<strong>un</strong>e vertu profonde<br />

et au mal ne lâcher la bonde<br />

mais le désir en elle gronde<br />

ce qui jadis lui fut immonde<br />

emplit son esprit et l'inonde<br />

dommage qu'ainsi se morfonde<br />

la fille autrefois vagabonde<br />

beauté à nulle autre seconde<br />

je me souviens<br />

Je me souviens d'<strong>un</strong> pont qui menait à l'école,<br />

D'<strong>un</strong>e vitrine ornée de cochons par milliers,<br />

De la magie qu'avaient les chemins familiers<br />

Et des fourmis courant au bas des herbes folles.<br />

Je me souviens d'<strong>un</strong> maître aimant les paraboles,<br />

Des leçons de latin d'<strong>un</strong> moine régulier<br />

(Capable d'expliquer <strong>un</strong> pluriel singulier),<br />

Et d'<strong>un</strong> grand­père usant d'<strong>un</strong> langage frivole.<br />

Je me souviens d'avoir aimé les animaux<br />

Et les arbres du soir agitant leurs rameaux,<br />

Et les petits gâteaux au parfum de cannelle.<br />

Je me souviens de vous, mes compagnons de jeux,<br />

Je me souviens du jour limpide ou orageux,<br />

Je me souviens... La vie me semblait éternelle.


Retrocurriculum<br />

Je mourus vers le soir, à la Sainte­Graisseuse ;<br />

J'en eus les sacrements pour Saint­Limonadier.<br />

Se termina mon règne à la Saint­Brigadier<br />

Qui avait commencé à Sainte­Paresseuse.<br />

Je fus fais chevalier à la Sainte­Poisseuse.<br />

J'eus mon habit de cour à la Saint­Charcutier,<br />

Car je savais danser depuis la Saint­Luthier,<br />

Et lire en <strong>un</strong> grand livre au jour de Sainte­Osseuse.<br />

J'ai reçu mon épée pour Saint­Apollinaire.<br />

On m'a versé du vin pour la Saint­Mercenaire.<br />

On m'offrit des chevaux à la Saint­Postillon.<br />

Je dis mes premiers mots à la Saint­Carnivore.<br />

J'eus ma première dent à la Saint­Ellébore.<br />

J'étais venu au monde <strong>un</strong> jour de Saint­Grillon.<br />

La liberté<br />

Je ne leur ferai plus la guerre<br />

Qu'ils crèvent de leur ambition<br />

Marchands de soupe et de galère<br />

Et marchands de révolution<br />

Mieux vaut la sagesse précaire<br />

D'<strong>un</strong> ermite en méditation<br />

Mieux vaut dormir mieux vaut se taire<br />

Qu'entrer dans leurs machinations<br />

Si je meurs dans les ans qui viennent<br />

Que de ma vie je me souvienne<br />

Sans tristesse ni sans fierté<br />

Je n'ai acquis nulle richesse<br />

Ni accompli nulle prouesse<br />

Mais j'ai gardé ma liberté


la science<br />

Je ne sais pas apprendre au fil des expériences<br />

Et je n'en ai jamais tiré rien de concret.<br />

Bien des choses pour moi ont <strong>un</strong> puissant attrait<br />

Qu'en même temps j'observe avec de la méfiance.<br />

Or, moi, qui suis censé produire de la science,<br />

Je ne sais pas très bien ce que c'est, pour de vrai.<br />

J'ai appris là­dessus des principes abstraits<br />

Dans des bouquins massifs, à lire avec patience.<br />

Compagne de la science, au niveau supérieur,<br />

L'épistémologie introduit les meilleurs<br />

Critères pour trouver ce qui la délimite.<br />

Rebelle à ces travaux est mon inspiration,<br />

Qui désormais renonce à ces opérations,<br />

Préférant versifier sur <strong>un</strong> rêve ou <strong>un</strong> mythe.<br />

Consolation précaire<br />

Je rêve chaque nuit de traverser le ciel<br />

Pour aller fréquenter les confins maritimes<br />

Où je vois ta maison. Mais je n'ai que ces rimes<br />

A t'offrir ce matin, qui n'ont point goût de miel.<br />

Ce qu'on nomme destin n'est pas providentiel,<br />

Nulle joie transcendante en nos moments ultimes.<br />

Mais j'aime cette vie, pourtant, et je l'estime,<br />

Ce qu'elle a de mauvais, je le dirai véniel.<br />

Puisque nos rêves sont des rêves de lumière,<br />

Puisque nous savons jouir de diverses manières,<br />

Notre vie quelquefois prend <strong>un</strong> sens, ici­bas.<br />

Et si tu me réponds que ce sens est tristesse,<br />

J'embrasse tes deux yeux, partageant ta détresse,<br />

Le malheur peut briser, mais il n'efface pas.


Prenant deux fois la tangente<br />

Je suis de bel acier, je suis <strong>un</strong> fier emblème,<br />

Epée de la noblesse, arme de la grandeur.<br />

Je fus jadis remise à <strong>un</strong> grand pourfendeur<br />

D'équations, de calculs, de courbes, de problèmes.<br />

Il portait <strong>un</strong> beau nom, et il eut son baptême<br />

De polytechnicien en sa je<strong>un</strong>e splendeur.<br />

Plus d'<strong>un</strong> grade en sa vie dont il fut demandeur<br />

Lui a été donné, même l'honneur suprême,<br />

Puisque notre patrie en fit son président.<br />

Il se croit écrivain, ça n'a rien d'évident,<br />

Je suis, sur ses vieux jours, épée académique.<br />

Plus qu'<strong>un</strong> pareil endroit me plairait <strong>un</strong> placard ;<br />

Maître, avant de quitter ces lieux sur <strong>un</strong> brancard,<br />

Rends­moi au prochain qui entre à Polytechnique.<br />

<strong>un</strong> prophète<br />

Je suis la voix qui crie à travers le désert,<br />

J'appelle les nations à se tenir en garde.<br />

Le fils du charpentier va devenir <strong>un</strong> barde<br />

Et va vous submerger d'aphorismes divers.<br />

Il ira promettant <strong>un</strong> monde sans hiver,<br />

Royaume pour les purs, tout en bois sans échardes.<br />

Si de ce beau royaume, hélas, la venue tarde,<br />

Il bénira quiconque y croit dur comme fer.<br />

Ne l'écoutez pas trop, car ce n'est qu'<strong>un</strong> poète,<br />

En voulant faire l'ange, il fait souvent la bête.<br />

Il ignore la science et le juste milieu.<br />

Imitez­moi plutôt, j'écoute la nature<br />

Qui chaque jour redit aux humbles créatures :<br />

N'ayez point de prophète, il n'existe auc<strong>un</strong> Dieu.


Je suis le Goupillon<br />

Je suis le Goupillon, et je peux contrôler<br />

Le lama d'Aquitaine et la sole abolie.<br />

Mais ma Mémoire est morte, et mon porc constellé<br />

Porte le roi Simon à la mélancolie.<br />

En ouvrant <strong>un</strong> tonneau, le roi m'a consolé,<br />

C'était dans <strong>un</strong> troquet, avenue d'Italie,<br />

Car le pinard plaît à mon esprit désolé,<br />

Tandis que le lama à la sole s'allie.<br />

Suis­je <strong>Cochonfucius</strong> ? Suis­je donc <strong>un</strong> peu rond ?<br />

Mes yeux se plongent dans les yeux verts de la reine,<br />

J'ai sous le crâne <strong>un</strong> son plus fort qu'<strong>un</strong>e sirène.<br />

Je vois le lama­sole appeler le patron,<br />

Car il a trop la dalle et il voudrait bouffer<br />

Une poire au comptoir avec <strong>un</strong> p'tit café.<br />

le troubadour<br />

Je suis loin de valoir mes aïeux troubadours,<br />

Ma langue est trop bavarde et fait trop de détours.<br />

Je ne sais au lecteur faire voir <strong>un</strong>e dame<br />

Ni faire partager <strong>un</strong>e mordante flamme.<br />

Un visage entrevu le soir à contre­jour,<br />

Silhouette apparue avec ou sans atours,<br />

Mais surtout le sourire et la voix d'<strong>un</strong>e femme...<br />

Or je n'avais le droit de saisir auc<strong>un</strong>e âme.<br />

Et ce commandement : distance préserver,<br />

Fait que pas <strong>un</strong> seul mot ne fut dit face à face,<br />

Malgré cent mille mots transmis et archivés.<br />

Mais ce fut sur la toile, <strong>un</strong> virtuel espace.<br />

Devons­nous te maudire ou te bénir, époque<br />

Qui permets l'éclosion de ces amours baroques...


<strong>un</strong> calendrier farfelu<br />

Je suis né <strong>un</strong> matin de Sainte­Blanchisseuse,<br />

J'ai reçu le baptême à la Saint­Compotier,<br />

Puis passé mon brevet au jour de Saint­Potier,<br />

Le bac trois ans plus tard pour la Sainte­Tisseuse.<br />

J'ai soutenu ma thèse à la Sainte­Emballeuse.<br />

J'ai obtenu <strong>un</strong> poste à la Saint­Cocotier<br />

Puis l'habilitation pour Saint­Abricotier,<br />

Et je fus chef d'équipe à la Sainte­Fileuse.<br />

Je prendrai ma retraite au jour de Saint­Voltaire.<br />

Mon livre sortira pour la Saint­Mousquetaire<br />

Et sera Prix Goncourt au jour de Saint­Melon.<br />

Pour le Nobel je dois attendre Saint­Centaure,<br />

Puis je trépasserai à la Saint­Dinosaure<br />

Et mon enterrement est pour la Saint­Frelon.<br />

<strong>un</strong> autoportrait de 2010<br />

Je suis <strong>un</strong> banlieusard de cinquante­six ans,<br />

De Seine­Saint­Denis je vais jusqu'en Essonne<br />

Rejoindre mon bureau dans lequel je m'adonne<br />

A deux ou trois projets, rien de bien reluisant.<br />

Le long temps du transport, je le passe en lisant<br />

Ou bien en bavardant avec quelques personnes,<br />

Ou en réfléchissant malgré les téléphones<br />

Auxquels les passagers leurs ennuis vont disant.<br />

Le soir, je fais <strong>un</strong> tour au long des boulevards,<br />

Mais juste <strong>un</strong>e incursion, je n'y reste pas tard,<br />

Juste le temps d'entrer chez quelques bouquinistes.<br />

Puis, debout au comptoir, je savoure <strong>un</strong> demi<br />

En feuilletant mon livre, en rêvassant parmi<br />

Les buveurs qui parfois ne sont vraiment pas tristes.


<strong>un</strong>e pieuse retraite<br />

Je traîne la savate aux environs d'Albi ;<br />

Au bord de mon chemin je vois <strong>un</strong> monastère.<br />

Trois moines en latin chantent les vieux mystères,<br />

Besoin d'<strong>un</strong> quatrième, ils m'offrent <strong>un</strong> habit.<br />

De nos quatre gosiers, le grégorien vrombit,<br />

Et son enchantement se répand sur la terre ;<br />

Bientôt surviendra l'heure où l'on se désaltère,<br />

Moines toujours pour boire ont de bons alibis.<br />

Quand nous aurons bien bu, au plus chaud du dortoir<br />

Dans quatre lits carrés, dormant comme des loirs,<br />

Tous quatre nous ferons des rêves de chanoines.<br />

Demain, aux premiers feux du grand soleil radieux,<br />

A mes trois compagnons je ferai mes adieux.<br />

Sinon, au bout d'<strong>un</strong> temps, l'habit ferait le moine.<br />

<strong>un</strong>e fourmi<br />

Jour et nuit sur la terre au même instant existent.<br />

Vie et mort en mon âme ont droit de s'exprimer ;<br />

Si je ne parviens pas à les faire rimer,<br />

La chose reste vraie, leur conjonction subsiste.<br />

Nul ne sait pour combien de nouveaux tours de piste<br />

Je peux courir encore et danser et trimer.<br />

Le couperet final n'est pas pour nous brimer,<br />

C'est à devoir mourir que notre vie consiste.<br />

Heureux ce bref répit s'il nous permet de rire,<br />

De boire et de chanter. Car tout ce qui respire<br />

A le même destin que feuilles en hiver.<br />

Heureuse la fourmi posée sur la brindille<br />

Naviguant au ruisseau, sur qui le soleil brille :<br />

Elle a foi dans son sort et dans notre <strong>un</strong>ivers.


les treize penseurs<br />

Jules Renard me dit : « Tu mets les mots en cage,<br />

De ton oisiveté veux­tu gloire tirer ? »<br />

Caton : « Tu dois découdre, et non point déchirer ».<br />

Blake : « Vois­tu le ciel dans <strong>un</strong>e fleur sauvage ? »<br />

Sylvain Tesson me prend pour l'idiot du bocage,<br />

Perrault est satisfait, qui me voit l'admirer ;<br />

Vigny est honoré de pouvoir m'inspirer,<br />

Lincoln m'offrirait bien son plus bel attelage.<br />

Le Clézio m'a offert <strong>un</strong> joli brin de laine ;<br />

Marcel Pagnol me donne <strong>un</strong>e bouteille pleine,<br />

Paul Déroulède joue du clairon dans le soir.<br />

Sacha Guitry m'apprend comment être fidèle ;<br />

Natsume Sôseki me montre <strong>un</strong>e hirondelle,<br />

Cioran m'aide à fleurir les murs de l'abattoir.<br />

sonnet des profondeurs<br />

Jules Verne a montré qu'on pouvait visiter<br />

Les sombres profondeurs de la planète Terre.<br />

Il en a dévoilé plus d'<strong>un</strong> obscur mystère<br />

Qu'il était le premier à pouvoir nous citer.<br />

Si le texte de Verne a dit la vérité,<br />

Il me plairait d'aller parcourir, solitaire,<br />

Ces gouffres égalant de nouvelles Cythères<br />

Où d'heureux sentiments trouvent à s'abriter.<br />

On me dit cependant que ce monde est fictif,<br />

Que seuls des minéraux sous le sol sont actifs,<br />

Au­delà du passage indiqué par les r<strong>un</strong>es.<br />

Si Jules dans son oeuvre a manié l'illusion,<br />

Au monde souterrain ne ferons intrusion<br />

Mais resterons ici avec Soleil et L<strong>un</strong>e.


Newton et Langevin<br />

Jumeaux de Langevin, par votre éloignement,<br />

Le temps d'<strong>un</strong> seul des deux s'altère et se dilate,<br />

A son retour il eut, la chose nous épate,<br />

Par rapport à son frère, <strong>un</strong> âge différent.<br />

L'écart est expliqué, bien sûr, par les savants,<br />

Posant les équations, calculant, ils débattent ;<br />

Donc, deux individus nés à la même date<br />

N'ont pas, dans ce cas­là, vécu le même temps.<br />

Ainsi en sera­t­il de deux auteurs qui glanent<br />

Dans les mêmes trésors, et aux mêmes cieux planent,<br />

Ils n'en tireront pas même moralité.<br />

Quand Newton de son prisme <strong>un</strong>e lumière brise,<br />

On voit plusieurs couleurs au rayon qui s'irise ;<br />

Mais le soleil, aux cieux, garde son <strong>un</strong>ité.<br />

<strong>un</strong>e soutenance<br />

La candidate a pris <strong>un</strong> long temps de parole,<br />

Les membres du jury ont posé leurs questions ;<br />

Ils ont mis en avant leur grande érudition,<br />

Faisant voir qu'ils sont tous de bons maîtres d'école.<br />

Auc<strong>un</strong> d'eux cependant ne lui posa de colle,<br />

Car c'est interdit par les bonnes traditions ;<br />

La soutenance a lieu, sans excès d'émotion,<br />

Dans <strong>un</strong> profond respect pour le vieux protocole.<br />

Ensuite ils sont allés délibérer <strong>un</strong> coup,<br />

Sur le rapport final ils ont porté beaucoup<br />

D'éloges bien flatteurs et de vibrants hommages.<br />

Puis ils ont proclamé l'excellent résultat<br />

De quatre ans de travail, et, sur ce beau constat,<br />

On va pouvoir manger des crackers au fromage.<br />

Attention<br />

au miroir<br />

déformant !


Noël<br />

La céleste harmonie va bientôt résonner,<br />

Les anges vont jouer leur divine musique<br />

Et le choeur des bergers se mettre à fredonner<br />

Les émouvants versets d'<strong>un</strong> très ancien cantique.<br />

Au moment de Noël, ce qui nous est donné,<br />

C'est la lumière dans la longue nuit magique<br />

Où notre créateur cherche à nous étonner<br />

D'<strong>un</strong> miracle subtil, joyeux et poétique.<br />

Il adopte en ce jour la forme d'<strong>un</strong> enfant,<br />

Lui qui pourrait paraître en guerrier triomphant,<br />

Et se blottit au fond d'<strong>un</strong>e petite étable.<br />

Et ce que nous faisons, pour le commémorer,<br />

C'est que nous passerons la nuit à dévorer<br />

Un solide festin disposé sur nos tables.<br />

Mallarmé<br />

La confiture vol d'<strong>un</strong>e flamme à la crème<br />

Le trident des loisirs pour la tout tartiner<br />

Se pose (je dirais nourrir <strong>un</strong> stratagème)<br />

Vers le torchon brûlé son ancien foyer<br />

Mais sans or soupeser que cette ligne lue<br />

La glaciation du feu toujours <strong>un</strong> peu rieur<br />

Originellement la soudaine berlue<br />

Dans le boyau d'<strong>un</strong> moine et de son supérieur<br />

Et la crudité d'<strong>un</strong> petit gendre diffame<br />

Celle qui ne trouvant plâtre cireux au poids<br />

Rien qu'à simplifier avec poivre la flamme<br />

Accomplit par son bec fustigeante <strong>un</strong> exploit<br />

En semant <strong>un</strong> radis sur le sol qu'elle écorche<br />

Pendant que dans <strong>un</strong> coin tout <strong>un</strong> chac<strong>un</strong> se torche.


les dames<br />

La dame ja<strong>un</strong>e craint les plumes érudites,<br />

Je lui dis : « L'érudit, on le prend comme il vient. »<br />

La dame mauve a des effrois lucifériens,<br />

Je dis : « Dormez en paix, le diable vous évite ».<br />

La dame orange craint les licornes maudites,<br />

Je dis que la licorne aux dames ne fait rien.<br />

La dame rose a peur du temps briseur de liens,<br />

Je dis : « Quand <strong>un</strong> lien meurt, souvent, il le mérite. »<br />

La dame rouge craint les vieux corbeaux tordus.<br />

J'ai réfléchi <strong>un</strong> peu, et puis j'ai répondu<br />

Que les corbeaux tordus sont surtout ridicules.<br />

Cinq dames grâce à moi ont cessé d'avoir peur,<br />

Demain j'irai parler à la dame de coeur,<br />

Car elle est angoissée, quand vient le crépuscule.<br />

les sept lumières<br />

La l<strong>un</strong>e a sa clarté, pour l'amant, pour l'amante,<br />

Lumière qui vaut bien celle d'<strong>un</strong> écran froid.<br />

La lueur d'Antarès me cause de l'effroi,<br />

Dont la source, pourtant, ne m'est pas apparente.<br />

Est­il <strong>un</strong>e planète aussi intelligente<br />

Que le fugace Hermès, <strong>un</strong> voyageur sournois ?<br />

Or, son gardien est là : c'est le nocturne roi<br />

Dont la lumière est dense, et modeste, et prudente.<br />

Vénus des lois des corps est <strong>un</strong> peu connaisseuse,<br />

Et rien ne se compare à sa blancheur neigeuse ;<br />

Saturne d'<strong>un</strong> chac<strong>un</strong> anticipe le sort<br />

Et s'il ne le croit pas, lui montre les images.<br />

Le soleil du matin, plus qu'<strong>un</strong>e étoile, est sage ;<br />

Le soleil de midi, plus que mon âme, est fort.


Une strate en cache <strong>un</strong>e autre<br />

L'amour est surtout vrai aux jours qu'il s'improvise.<br />

Et si, au fil des ans, il garde sa valeur,<br />

L'ennui du quotidien en ternit la couleur :<br />

Mais, sur ce que j'en dis, les avis se divisent.<br />

Nous devons affronter, que veux­tu que je dise,<br />

Notre amour tel qu'il est, ses ronces et ses fleurs.<br />

S'il est <strong>un</strong>e leçon au refrain du malheur,<br />

On peut lui préférer l'impromptue friandise.<br />

Sous l'atome, <strong>un</strong> noyau formé de particules...<br />

En les analysant, le physicien recule<br />

Les strates du réel, je ne sais pas jusqu'où.<br />

L'analyse a du sens, et je la crois utile,<br />

Mais avant de trancher cette question subtile,<br />

Je prends le temps de vivre, et de boire <strong>un</strong> bon coup.<br />

Les dernières paroles de Lao­Tseu<br />

Lao­Tseu, délaissant la condition humaine,<br />

Se métamorphosa en <strong>un</strong> grand singe roux.<br />

Il fut l'orang­outan, primate agile et doux,<br />

Menant <strong>un</strong>e existence on ne peut plus sereine.<br />

Mais son vieil ennemi, le grand vent de la plaine,<br />

S'envole à sa recherche en hurlant comme <strong>un</strong> fou ;<br />

Aussitôt que ce vent parvient à savoir où<br />

Le maître est réfugié, sa fureur l'y emmène.<br />

C'est ainsi que survint la tempête fatale,<br />

Et que fut dévastée la forêt tropicale<br />

Qui servait de tanière au vieil orang­outan.<br />

Vainement, le grand singe à l'arbre centenaire<br />

S'accroche, il est lancé au loin dans l'atmosphère,<br />

Disant : « Orang­outan en emporte le vent. »


Le printemps<br />

La poésie fleurit sur les douleurs tranquilles,<br />

Son tissage patient se veut consolateur.<br />

Nous n'irons plus nager au large de notre île,<br />

Nous avons renoncé à franchir l'Equateur.<br />

Ton travail, mon travail, nos jardins, nos deux villes...<br />

Car nous ne sommes pas des oiseaux migrateurs.<br />

Nous sommes à <strong>un</strong> âge où l'on devient stérile,<br />

Le désir amoindri d'<strong>un</strong> froid libérateur.<br />

Soyons heureux pourtant car le printemps s'approche.<br />

Quand les choses vont mal, on fait face, on s'accroche,<br />

Une épreuve pour nous n'est rien qu'<strong>un</strong>e leçon.<br />

J'écris à l'encre noire avec <strong>un</strong> coeur noirci.<br />

Obscur devient ce monde, et mon esprit aussi,<br />

Reviendra le printemps et sa douce chanson.<br />

<strong>un</strong> souvenir<br />

La poésie jamais ne peut servir de loi,<br />

Les mots que j'ai tressés pour toi, nouvelle amante,<br />

Ne pouvaient pas éteindre au plus profond de moi<br />

La passion de trente ans toujours vive et présente.<br />

Si tu lis mes aveux, d'abord écrits pour toi,<br />

Si tu lis mes aveux de faiblesse navrante,<br />

J'avoue que dans mon coeur je n'avais pas de quoi<br />

Transformer nos amours en des amours vivantes.<br />

J'ai vibré à ta voix et à tes écritures,<br />

J'ai souri de t'entendre et pleuré aux ruptures,<br />

Ma première passion, je ne peux la quitter.<br />

Oui, l'amour était là, pauvre amour impossible,<br />

Et sa douceur nous fut à tous les deux sensible,<br />

Tu m'as donné bien plus que je n'ai mérité.


la rose et l'hirondelle<br />

La rose au long du jour contemple l'hirondelle<br />

Et rêve de voler au soleil de l'été.<br />

L'oiseau envie la fleur qui au sol peut rester,<br />

Faisant l'objet des soins d'<strong>un</strong> jardinier fidèle.<br />

Chac<strong>un</strong>e croit que l'autre a <strong>un</strong>e vie plus belle<br />

Et sur son propre sort semble se lamenter,<br />

La fleur qui ne peut pas du sol se déplanter,<br />

L'oiseau car il lui faut voler à tire d'aile.<br />

Quiconque est solitaire aimerait des étreintes,<br />

Celui qui vit en couple en subit les contraintes,<br />

Et chac<strong>un</strong> d'envier d'<strong>un</strong> autre humain le sort.<br />

Mais il vient à la fin le moment où s'apaisent<br />

Ces désirs obsédants qui sur nos âmes pèsent :<br />

Auc<strong>un</strong>e fleur fanée n'envie <strong>un</strong> oiseau mort.<br />

Hommage au maître Angelus Silesius<br />

La rose est sans pourquoi, dit la métaphysique ;<br />

Sa raison pour fleurir est en sa floraison,<br />

Comme <strong>un</strong>e oeuvre, <strong>un</strong> sonnet, <strong>un</strong> air, <strong>un</strong>e chanson.<br />

C'est ainsi qu'<strong>un</strong>e vie à soi­même s'explique.<br />

Puis viennent au jardin des fronts académiques<br />

Sur lesquels est inscrit « Principe de raison ».<br />

Ils composent alors des airs de leur façon,<br />

Avec beaucoup de mots et très peu de musique.<br />

Ils creusent la notion de raison suffisante<br />

Et font délibérer leur raison raisonnante<br />

Pour savoir si la rose est quelque chose, ou rien.<br />

La rose cependant meurt au jardin d'automne,<br />

Et sa mort guère plus que sa vie ne l'étonne,<br />

Ni que le regard froid des métaphysiciens.


La torpeur qui s'installe aux premiers jours d'automne<br />

Endort les banlieusards au petit matin gris.<br />

J'ai vu ça très souvent, je n'en suis pas surpris,<br />

Et nul, autour de moi, d'ailleurs, ne s'en étonne.<br />

Le chat dans le jardin, frileux, se pelotonne<br />

Au creux de l'herbe morte. Il n'entend plus les cris<br />

Des oiseaux migrateurs qui, ce matin, ont pris<br />

Route vers les lointains. Il repose, il ronronne.<br />

Et je pense que c'est ce chat qui a raison,<br />

Immobile et paisible auprès de ma maison :<br />

A moi, l'agitation ne me dit rien qui vaille.<br />

Peut­être il fait marcher son imagination<br />

Et voit autour de lui des rats en perdition,<br />

Peut­être, il ne voit rien qu'<strong>un</strong>e obscure grisaille.<br />

Une apparence de problème<br />

La vie peut sembler <strong>un</strong> problème intéressant,<br />

Faut­il encore être <strong>un</strong> résolveur de problèmes...<br />

Vous, mes difficultés, formez­vous <strong>un</strong> système ?<br />

Vais­je vous surmonter, rien qu'en vous connaissant ?<br />

Puis l'on dit que, parfois, c'est en les délaissant<br />

Qu'on résout les questions, y compris les dilemmes.<br />

Autre qu'<strong>un</strong>e équation est la vie pour qui l'aime,<br />

Plutôt <strong>un</strong> tourbillon sans cesse renaissant.<br />

Plutôt <strong>un</strong> grand verger sans cesse en floraison,<br />

La douce voix d'<strong>un</strong> moine en rêveuse oraison,<br />

La fraîcheur du printemps qui dans nos coeurs s'imprime.<br />

Je m'en vais remiser la règle et le compas ;<br />

Armes ne me seront en ce vital combat,<br />

Mieux équipé serai avec quatre ou cinq rimes.


les cent sonnets<br />

La vie ressemble à ces sonnets que je fignole<br />

Comme produit ses fruits le patient pissenlit.<br />

Aussi peu s'en soucie le passant qui les lit<br />

Que des graines des fleurs au jardin, qui s'envolent.<br />

Le plus souvent, bien sûr, ces textes sont frivoles :<br />

Menus propos badins que la rime embellit,<br />

Rêves incohérents notés au saut du lit,<br />

Souvenir de leçons entendues à l'école.<br />

Mais certains jours je dois dire <strong>un</strong> mot plus sérieux,<br />

Examiner mon coeur et passer aux aveux ;<br />

A ce genre d'écrit, malhabile est ma plume.<br />

J'aime mieux débloquer, fabuler, plaisanter,<br />

Et mon rire aime mieux que mes larmes chanter,<br />

Puisque l'oeil de l'esprit dans le rire s'allume.<br />

les cochons<br />

La vie ressemble à ces sonnets que nous torchons<br />

En écrivant des mots parfois nous nous lâchons<br />

Mais en se répétant ces mots que nous mâchons<br />

Souffrons de les entendre et nous nous écorchons<br />

Mais ils sont admirés de nos chiens nos bichons<br />

Heureux de cet amour buvons à pleins cruchons<br />

Deux pieds sur le podium où fiers nous nous juchons<br />

Sans avoir bien saisi qu'en cela nous trichons<br />

Jamais la poésie ne fut pour les cochons<br />

Les mots que sans savoir vers vous nous décochons<br />

Même si sur l'idée autrement nous séchons<br />

Ne sont que nos défauts qu'envers vous nous cachons<br />

Et à faire cela nos instants nous gâchons<br />

Sur des textes idiots que vainement léchons


la vigne de mon grand­oncle<br />

Vigne de mon grand­oncle où je mangeais des figues,<br />

Cela fait cinquante ans et <strong>un</strong>e ou deux saisons.<br />

J'aimais ce lieu caché, <strong>un</strong> peu loin des maisons,<br />

Où la nature était chaleureuse et prodigue.<br />

Ce regret du passé qu'il faut que l'on endigue,<br />

Nous luttons contre lui avec notre raison,<br />

Et la plupart du temps, c'est vrai, nous l'apaisons,<br />

Mais combien j'aimerais marcher dans la garrigue...<br />

J'ai distendu mes liens d'avec ce cousinage,<br />

Fort peu de souvenirs de cet endroit surnagent,<br />

Et je ne saurais pas en être chroniqueur.<br />

Oncle, je ne sais pas qui cultive ta vigne,<br />

Ou si des constructions à sa place s'alignent ;<br />

Je sais que ton figuier me rafraîchit le coeur.<br />

Paroles de la vigne<br />

La vigne a répondu : « Petit, tu es vivant ?<br />

Ça me fait bien plaisir d'avoir de tes nouvelles.<br />

Ton cousin est en ville, et sa maison est belle,<br />

Mais il n'est plus très je<strong>un</strong>e, et n'en sort pas souvent.<br />

Le vin qu'autour de lui ses amis vont buvant<br />

Autrefois fut raisin sous mon humble tonnelle,<br />

Mais nul ne bouge plus ma terre à coups de pelle,<br />

Et le seul à tailler mes branches, c'est le vent.<br />

J'entends autour de moi l'ample respiration<br />

Des campagnes dormant, sans hommes, sans passion,<br />

Sauf parfois d'<strong>un</strong>e grive en pleine bacchanale. »<br />

Entendant ces propos tenus dans le lointain,<br />

Je demeure pensif, et ne suis pas certain<br />

De n'avoir pas rêvé, dans la brise automnale.


Lao­Tseu transmet la voie au douanier<br />

­­ La voie, tu dois la suivre, et non pas la comprendre.<br />

Fais donc bien attention à ce que tu perçois :<br />

C'est ce qui pour agir t'offrira les bons choix,<br />

Même si leurs effets ont de quoi te surprendre.<br />

­­ Ta parole, mon maître, est bien dure à entendre.<br />

Si la réalité n'a pas de sens pour toi,<br />

Je comprends, tu es vieux, tu es chercheur, tu crois<br />

Que l'<strong>un</strong>ivers ne peut rationnel se prétendre.<br />

Mais moi, je veux donner du sens à mon espoir,<br />

Je veux faire du feu lorsque le ciel est noir,<br />

Je ne puis accepter ton douteux équilibre.<br />

­­ Mon disciple, tu peux te donner cette loi.<br />

Je reçois ton refus qui est de bon aloi<br />

Et m'emplit de bonheur : il vient d'<strong>un</strong> homme libre.<br />

<strong>un</strong>e auto­parodie<br />

Le bord de l'<strong>un</strong>ivers n'offre auc<strong>un</strong>e ouverture,<br />

Il n'a, par conséquent, nul besoin de gardiens.<br />

L'écart entre le mal qu'on peut faire, et le bien,<br />

Est, de fait, ignoré par mainte créature.<br />

La plupart des vivants ignorent leur nature.<br />

Pas de perplexité au coeur des acariens,<br />

Nul sens de l'ironie aux cerveaux d'amphibiens<br />

Qui au fond des notions jamais ne s'aventurent.<br />

De têtard en crapaud, s'il se métamorphose,<br />

L'amphibien ne voit pas qu'il devient autre chose ;<br />

S'il le voyait, il n'en verrait point la raison.<br />

Point pour eux de mauvaise ou de bonne nouvelle,<br />

Ni de particulière, ou bien d'<strong>un</strong>iverselle,<br />

Ni le désir de voir plus loin que l'horizon.


<strong>un</strong>e pantoufle (en hommage à Roger Lefebvre)<br />

Le chant d'<strong>un</strong>e pantoufle aux accents idylliques<br />

Lui permet de séduire <strong>un</strong> timide escargot.<br />

Il cesse de courser les homards aux portiques<br />

Et sa nouvelle amie lui apprend le tricot.<br />

Ensuite ils vont tous deux visiter l'Amérique,<br />

Nourris d'amour, d'eau fraîche et de gros asticots.<br />

Rien ne peut arrêter leur marche pacifique,<br />

Sauf si on leur offrait des tranches de gigot.<br />

Ne porte nulle atteinte à leur gloire impériale,<br />

Tout l'été chanteront ainsi qu'<strong>un</strong>e cigale,<br />

Et la bise venue, adviendra leur trépas.<br />

Lecteur, si mon récit par endroits te déroute,<br />

C'est le pétrole assis sur le bord de la route<br />

Qu'il faut interroger, surtout, n'hésite pas.<br />

Cendres de chêne et cendres de roseau<br />

Le chêne et le roseau sont rarement d'accord.<br />

Ils n'ont pas le même art d'aborder les ruptures,<br />

Ni la même présence au sein de la nature,<br />

Aussi, chac<strong>un</strong> à l'autre a toujours donné tort.<br />

Le vagabond qui va, ramassant du bois mort,<br />

Sait que du chêne il peut tirer la flamme pure<br />

D'<strong>un</strong> feu qui le réchauffe et toute la nuit dure ;<br />

Il faut que le roseau soit enflammé d'abord.<br />

Voilà ces ennemis rendus complémentaires,<br />

Leurs cendres, cependant, n'en ont plus rien à faire,<br />

N'entendant déjà plus les propos des oiseaux.<br />

Toi, le plus vaillant arbre à la robuste tige,<br />

Et toi, brave pipeau de fort peu de prestige,<br />

La terre vous attend, chêne comme roseau.


la gravitation quantique<br />

Le concombre masqué vole à bord d'<strong>un</strong>e enclume<br />

Pour aller récolter la pomme d'arc­en­ciel.<br />

Fort de cette mission (qui n'a rien d'officiel)<br />

Il recrute <strong>un</strong> chou­rave et plein d'autres légumes.<br />

Noire comme l'enfer soit l'encre de ma plume<br />

Pour narrer du héros les exploits démentiels !<br />

L'arc­en­ciel, béni par <strong>un</strong> sort providentiel,<br />

Portait <strong>un</strong> fruit cent fois plus gros que de coutume.<br />

Lorsqu'il eut embarqué la pomme gigantesque,<br />

Le concombre sourit, car sa mission est presque<br />

Accomplie, le butin est presque acheminé.<br />

Mais dans <strong>un</strong> grand virage, il dérape, il capote,<br />

L'enclume en marmelade et la pomme en compote<br />

Sur Newton que Gotlib venait de dessiner.<br />

Autre monde nocturne<br />

Le conte ne dit pas quelle première phrase<br />

Murmure à son éveil la belle au bois dormant,<br />

Ni ce que lui répond son cher prince charmant.<br />

Pas grand­chose sans doute, <strong>un</strong> propos sans emphase.<br />

Le sommeil prolongé qui procure la base<br />

De ce curieux récit, presque <strong>un</strong> petit roman,<br />

A la vie de la belle apporte <strong>un</strong> ornement,<br />

Car il suspend le temps comme fait <strong>un</strong>e extase.<br />

Quels rêves faisais­tu au château endormi,<br />

Voyais­tu, dans le noir, les yeux de ton promis,<br />

Ou la mauvaise fée que son ire envenime ?<br />

Ainsi le quotidien fait de nous des dormeurs<br />

Dont l'esprit engourdi, comme du feu qui meurt,<br />

Rêve, confusément, qu'<strong>un</strong> prince le ranime.


le créateur du monde<br />

Le créateur du monde a montré trop de hâte.<br />

Il est trop impulsif, il fait partie de ceux<br />

Qui vont improviser le contenu des cieux :<br />

Comètes, galaxies, <strong>un</strong> foutoir disparate.<br />

Ayant bâclé ce monde, il le sonde, il le tâte,<br />

Il dit « Ça tient debout ? Je suis donc bien chanceux.<br />

Je l'aurais jamais cru, je vous en fais l'aveu. »<br />

Ensuite il crée des gens qui au jardin s'ébattent.<br />

Il boit <strong>un</strong> peu de vin pour fêter son talent<br />

Et lance <strong>un</strong> interdit à ses enfants agrestes<br />

Qui ne l'écoutent pas, car leurs jeux sont fort lestes.<br />

Il parle d'<strong>un</strong>e voix alourdie des relents<br />

Du godet de pinard. Il inflige <strong>un</strong>e atroce<br />

P<strong>un</strong>ition au délit de conscience précoce.<br />

Cinq crocodiles<br />

Le crocodile ja<strong>un</strong>e a dit : « Soyez fidèles<br />

A Dieu, à votre femme et à votre nation ».<br />

Je lui ai répondu : « C'est <strong>un</strong>e aberration,<br />

Car la fidélité, c'est pour les hirondelles. »<br />

Le crocodile mauve a dit : « La vie est belle,<br />

Faites­en chaque jour <strong>un</strong>e célébration. »<br />

Je lui ai répondu : « De ton affirmation,<br />

Je retiens, simplement, qu'elle n'est pas nouvelle ».<br />

Le crocodile orange apprécie l'abstinence,<br />

Le crocodile rose,<br />

<strong>un</strong>e humble transcendance.<br />

Alors, je leur ai dit : « Faites ça entre vous ».<br />

Le crocodile rouge aime les vers stupides,<br />

Je lui dis : « Grâce à Dieu, c'est <strong>un</strong> plaisir limpide<br />

Que partagent le sage et son cousin le fou. »


les sept dragons<br />

Le dragon vert me fit désirer la croissance,<br />

Le dragon rouge a mis du feu dans mon esprit ;<br />

Le dragon ja<strong>un</strong>e aidant, de l'honneur je m'épris,<br />

Le dragon bleu me fit préserver l'innocence.<br />

Le dragon rose offrit à mon coeur l'espérance,<br />

Et la mélancolie me vint du dragon gris.<br />

Ce que le dragon noir en dernier lieu m'apprit,<br />

C'est que la mort est là pour notre délivrance.<br />

D'<strong>un</strong> écrivain chinois qui fut vaillant et sage<br />

Me viennent ces dragons au vertueux langage,<br />

Chassant de l'<strong>un</strong>ivers la discorde et l'ennui.<br />

Et c'est cette vision d'<strong>un</strong> compagnon poète<br />

Qui m'a réconcilié avec notre planète<br />

Et avec le retour du jour et de la nuit.<br />

In Memoriam Nazareni<br />

Le fils du charpentier est le dieu des poètes.<br />

Il a vécu sa vie comme <strong>un</strong> songe étonnant<br />

Dans lequel il était Créateur et prophète,<br />

Père, Fils et Esprit sur le monde tonnant.<br />

Jean­Baptiste, qui fut <strong>un</strong> fier anachorète,<br />

Vit en lui <strong>un</strong> Seigneur, et, <strong>un</strong> jour lui donnant<br />

Un peu d'eau sur son front lors d'<strong>un</strong>e grande fête,<br />

Reçut la confession qu'il fit en fredonnant.<br />

Cloué par les soldats sur le bois de justice,<br />

Il dit de retenir la date du solstice<br />

Pour marquer sa naissance et le règne du Bien.<br />

Tous ses mots <strong>recueil</strong>lis par ses mille disciples<br />

Font <strong>un</strong> livre qui dit la gloire du dieu triple ;<br />

Ce livre est excellent, mais ce n'est pas le mien.


la révélation<br />

Le fils du charpentier ne vécut que deux plombes,<br />

Au berceau son cousin Jeannot le sacrifia.<br />

Ce ne fut donc pas lui qu'ensuite on crucifia,<br />

Mais c'est Magdalena, qui fut mise à la tombe.<br />

Alors le saint­esprit a débarqué en trombe ;<br />

Il brûla le grand Temple, ensuite il pacifia<br />

Tout l'Empire Romain et il le fortifia,<br />

Puis alla se planquer au fond des catacombes.<br />

Si vous ne croyez pas ce que je viens de dire,<br />

Vous en avez le droit, et vous pouvez écrire<br />

Sur ce fameux forum votre propre vision.<br />

Moi, c'est le créateur qui m'a dit cette histoire,<br />

Et il m'a supplié de bien vouloir la croire,<br />

Le créateur parfois a de ces illusions !<br />

<strong>un</strong> buveur raisonnable<br />

Le fils du charpentier, qui n'avait pas d'argent,<br />

Veut aller boire <strong>un</strong> soir, et s'en revient sur terre.<br />

Le patron de l'auberge, <strong>un</strong> homme <strong>un</strong> peu austère,<br />

Lui dit « Nul ne boira chez moi gratuitement ».<br />

En entendant cela, <strong>un</strong> buveur allemand<br />

Au fils du charpentier offre <strong>un</strong> verre de bière.<br />

Le Seigneur, ayant dit <strong>un</strong>e courte prière,<br />

Lui guérit son arthrose, <strong>un</strong> mal très déformant.<br />

Un vieil Anglais survient, et offre encore <strong>un</strong> coup ;<br />

Et pour récompenser ce geste de bon goût,<br />

Le fils du charpentier guérit sa lombalgie.<br />

D'<strong>un</strong> gars français il eut <strong>un</strong> grand verre de vin,<br />

Mais <strong>un</strong>e guérison, il proposa en vain ;<br />

Puisque notre homme était en arrêt­maladie.


le drapeau noir<br />

Le fils du charpentier s'est changé en corbeau<br />

A la noirceur duquel rend hommage <strong>un</strong> drapeau.<br />

C'est l'étendard de ceux qui le pouvoir conchient,<br />

Et c'est le noir fanion promettant l'anarchie.<br />

Révolte et anarchie, retenez bien ces mots,<br />

Nos armes ne seront pacifiques rameaux :<br />

La servile tribu ne peut être affranchie<br />

Qu'en secouant très fort sa structure avachie.<br />

Et vous qui espérez dans notre obéissance,<br />

Vous n'en trouverez plus, mais de la résistance :<br />

Vous ne garderez nulle illusion de pouvoir.<br />

Un jour, nul ne pourra son semblable soumettre,<br />

Un jour, nul n'aura plus ni de dieu ni de maître,<br />

C'est ce jour attendu qu'on nomme le grand soir.<br />

le dieu­corbeau et le démon­renard<br />

Le fils du charpentier, sur sa croix accroché,<br />

Tenait entre ses dents le salut de ce monde.<br />

Le prince Lucifer, par le sang alléché,<br />

Vint voir cette souffrance à nulle autre seconde.<br />

Le crucifié trembla en voyant s'approcher<br />

Le dragon ricanant aux manières immondes,<br />

Qui lui dit : « Mon cousin, Dieu est­il si fâché<br />

Que vous mouriez ici et que l'orage gronde ? »<br />

Oubliant qu'il fallait surtout serrer les dents,<br />

Le crucifié lui parle, et, de ce fait, perdant<br />

Les âmes dont il fut pour <strong>un</strong> temps le refuge,<br />

Les laisse dévorer par Maître Lucifer,<br />

Qui, le ventre bien plein, s'en retourne aux enfers,<br />

Souriant de lui­même, et de son subterfuge.


les fous<br />

Le fou ja<strong>un</strong>e me parle, et veut que je lui dise<br />

Comment valoriser ses quelques inventions.<br />

Je lui dis de passer par leur divulgation,<br />

Mais il semble douter d'<strong>un</strong>e telle analyse.<br />

Le fou mauve survient et veut que je précise<br />

Comment éliminer fantasmes et pulsions.<br />

Je lui dis de surtout relâcher la pression,<br />

Puisque « Tout va très bien, Madame la Marquise ».<br />

Au fou orange,<br />

<strong>un</strong> mot sur son métabolisme,<br />

Au fou rose <strong>un</strong> avis concernant les sophismes,<br />

Frappés, dans les deux cas, de la note « Zéro ».<br />

Concernant le fou rouge,<br />

il a <strong>un</strong> vrai problème,<br />

Alors, je lui dédie ce modeste poème ;<br />

Peut­être vais­je aussi lui offrir l'apéro.<br />

Quatre thèmes<br />

Le jardin et la croix, la plume et l'encrier,<br />

La salle et le comptoir, les grands auteurs de France :<br />

De ces quatre propos mon vers tire substance,<br />

Dans ces quatre sections, mes sonnets sont triés.<br />

Le jardin est celui qui vit Adam prier,<br />

La plume au fil des jours me conduit en errance,<br />

La salle est au conteur dans son exubérance,<br />

Les auteurs vont cherchant les mots appropriés.<br />

Tu dis que j'ai produit quelques vers déchirants<br />

Que l'on doit regrouper en <strong>un</strong> lieu différent,<br />

D'amour que refroidit le regard de Saturne ;<br />

Il est vrai que jadis ma plume a pu nourrir<br />

Cette étrange passion qui naquit pour mourir :<br />

Sur ce thème, aujourd'hui, je deviens taciturne.


<strong>un</strong>e légende<br />

Le lièvre, <strong>un</strong> beau matin, s'<strong>un</strong>it à la girafe.<br />

La presse a commenté ce cas particulier.<br />

Le serpent et la taupe à l'église ont prié,<br />

Et l'on a convoqué les meilleurs photographes.<br />

L'ibis et le crotale offrent <strong>un</strong>e carafe<br />

Pleine de bon vin rouge au prix de cent deniers<br />

Que généreusement avance <strong>un</strong> usurier ;<br />

Le cochon, <strong>un</strong> voyage à bord d'<strong>un</strong> bathyscaphe.<br />

La reine fit cadeau d'<strong>un</strong>e partie du monde,<br />

Le hibou d'<strong>un</strong>e chambre en la forêt profonde,<br />

Moi, poète, d'<strong>un</strong> chant que dit la voix du loup.<br />

La girafe et le lièvre à la sortie du temple<br />

Ont repris ce doux chant et leurs voix furent amples.<br />

Cependant ma chanson ne valait pas <strong>un</strong> clou.<br />

<strong>un</strong>e friche<br />

Le maître de ces lieux m'a confié son jardin,<br />

Je m'en suis occupé de façon nonchalante.<br />

La terre était fertile et fort belles les plantes,<br />

Mais mon goût du travail m'avait quitté, soudain.<br />

J'aimais voir la rosée briller dans le matin,<br />

Et glisser l'escargot dans l'oisiveté lente,<br />

Et dormir l'araignée dans les heures brûlantes.<br />

Je n'aimais pas creuser, ni me salir les mains.<br />

Ainsi ce beau jardin s'est transformé en friche.<br />

La mauvaise herbe y croît dans <strong>un</strong>e terre riche,<br />

Mainte graine oubliée sous <strong>un</strong>e pierre dort.<br />

Des flatteurs croiront voir <strong>un</strong>e grande sagesse<br />

Dans ce qui n'a été qu'<strong>un</strong>e simple paresse...<br />

Ah, je ne sais pas si je dois leur donner tort.


Trouble ronsardien<br />

Le miroir se regarde au feu de la chandelle.<br />

Il s'inquiète du jour finissant et filant<br />

Si précipitamment, en ayant l'air si lent.<br />

Il reconnaît pourtant que la journée fut belle.<br />

Ce qu'elle a de plus beau, c'est qu'elle est sans nouvelles,<br />

Nul n'aura le besoin d'en faire le bilan.<br />

D'où vient ce sentiment, tracas obnubilant,<br />

Fantôme du reflet d'<strong>un</strong>e angoisse éternelle ?<br />

Le grand salon l'ignore, et, tranquille et dispos,<br />

Dans le soir ténébreux se prépare au repos.<br />

Le miroir garde en lui cette crainte accroupie,<br />

Envers qui la chandelle a montré du dédain.<br />

Allons, faut vivre avec, ça ira mieux demain,<br />

Obscures sont parfois les choses de la vie.<br />

Nocturne<br />

Le monde étrange du sommeil<br />

où luisent de sombres éclats<br />

foisonne de monstres pareils<br />

aux fantômes de l'au­delà<br />

Mais j'aime ce monde incertain<br />

et la noirceur de son soleil<br />

car c'est là du soir au matin<br />

que je cueille les fruits vermeils<br />

de nos impossibles amours<br />

car en rêve ou en insomnie<br />

en discorde ou en harmonie<br />

le coeur léger ou le coeur lourd<br />

joie ou tristesse en ma mémoire<br />

à toi je pense en la nuit noire


les soupirants<br />

Le pape en son jardin veut recevoir la reine,<br />

Qui devenir papesse oncques ne souhaiterait.<br />

Plutôt avec l'ermite errer dans la forêt,<br />

Même au coeur de la nuit, puisque la l<strong>un</strong>e est pleine.<br />

L'ermite reste froid devant sa souveraine,<br />

Pour ce qui vient du monde il n'a plus d'intérêt.<br />

Une cruche de vin capiteux et bien frais<br />

Suffit pour lui garder sa bonne humeur sereine.<br />

Mais moi, dit le héros, cette reine, je l'aime,<br />

Et je l'ai affirmé souvent dans mes poèmes.<br />

La reine a peu de goût pour les alexandrins.<br />

Alors notre héros s'enfuit dans la montagne,<br />

Une envie de rester seul pour <strong>un</strong> temps le gagne.<br />

La reine fait sa vie avec le fier Mandrin.<br />

Les trois aéronautes<br />

Le pissenlit d'avril offrit trois parachutes,<br />

Faisant, sous le soleil, voler trois acariens.<br />

Le premier atteignit les sables sahariens,<br />

Et, dans <strong>un</strong>e oasis, devint joueur de flûte.<br />

Le deuxième acarien, que l'effort ne rebute,<br />

Fit des acrobaties dans le ciel sibérien.<br />

On l'a félicité, il a dit : « Ce n'est rien,<br />

Un puissant tourbillon m'a pris dans ses volutes ».<br />

Le dernier acarien a parcouru deux mètres<br />

Et s'est trouvé piégé au bord de ma fenêtre,<br />

Pris par <strong>un</strong>e araignée avec du fil collant.<br />

Ce troisième larron fit le plus fier poème,<br />

Disant : « Sur mon tombeau, n'offrez nul chrysanthème ;<br />

Je reste, pour toujours, <strong>un</strong> acarien volant ».


sur le plaisir<br />

Le plaisir se nourrit de l'imagination<br />

Et l'imagination se nourrit de jouissance.<br />

Chaque extase est au corps comme <strong>un</strong>e renaissance,<br />

Un lever de soleil, <strong>un</strong>e illumination.<br />

Tel <strong>un</strong> prêtre au matin de son ordination,<br />

Tel l'alchimiste ayant trouvé la quinte essence,<br />

Tel l'écrivain rempli de sa réminiscence,<br />

L'amant comblé se meurt dans la jubilation.<br />

A ce plaisir, bien peu se montrent comparables,<br />

Car même d'<strong>un</strong> gourmet l'ivresse mémorable<br />

N'est point à la hauteur, et je le reconnais.<br />

Or, si j'ose chercher, dans l'ordre du sublime,<br />

Ce qui peut approcher de ce triomphe ultime,<br />

Je trouve le bonheur d'avoir fait <strong>un</strong> sonnet.<br />

la joie et la tristesse<br />

Le poète se lève, il se sent fier et fort,<br />

Il trouve au paysage <strong>un</strong>e fraîcheur nouvelle.<br />

Des anges çà et là le saluent de leurs ailes,<br />

Qui donc sur cette terre irait lui porter tort ?<br />

Mais d'autres jours n'ont pas ce goût de réconfort ;<br />

Lui fait alors défaut la force ascensionnelle,<br />

L'écriture devient recherche obsessionnelle,<br />

L'inspiration faiblit, et se couche, et s'endort.<br />

Jour de joyeux éveil ou bien jour de souffrance,<br />

Parfois je perçois bien d'où vient la différence,<br />

Parfois je dis, pensif : « Ce n'est rien de précis ».<br />

Que la journée soit bonne ou qu'elle soit mauvaise,<br />

Survient la douce nuit qui les passions apaise,<br />

Et la l<strong>un</strong>e en mon coeur n'éclaire auc<strong>un</strong> souci.


Radiguet<br />

L'épouvantail s'est senti lourd,<br />

Et las de rester au soleil.<br />

Hélas, que de temps sans sommeil,<br />

Sans promenade et sans amour.<br />

Planté là dans le vent marin,<br />

Sans jamais parler à personne ;<br />

Sans qu'heure joyeuse ne sonne,<br />

Planté là comme <strong>un</strong> mandarin.<br />

Sans pouvoir manger <strong>un</strong> seul fruit.<br />

Enviant moineaux et moinelles<br />

Et plus encore <strong>un</strong>e hirondelle :<br />

Heureux qui dans les airs s'enfuit !<br />

Son rôle lui a tant pesé<br />

Que l'épouvantail en révolte<br />

Cessa de garder la récolte,<br />

En corbeau métamorphosé.<br />

La révolte<br />

Le pouvoir exercé par <strong>un</strong> vieux général<br />

Les milliers d'étudiants en pleine découverte<br />

D'<strong>un</strong>e nouvelle vie à tous plaisirs ouverte<br />

Et l'envie de casser l'antique ordre moral<br />

Et c'est la liberté qui passa son oral<br />

Obtenant brillamment son bac de langue verte<br />

Et plus d'<strong>un</strong>e façade alors fut recouverte<br />

D'admirables morceaux de jargon théâtral<br />

Les bourgeois prenant peur ont imploré leurs dieux<br />

Pour que les étudiants redeviennent studieux<br />

Décrochant leur licence et aussi leur maîtrise<br />

Le calme est revenu et même <strong>un</strong> peu d'ennui<br />

Les cris des révoltés n'ont plus charmé nos nuits<br />

Et l'Histoire a conclu « c'était <strong>un</strong>e méprise »


Amitié sur <strong>un</strong> forum<br />

Le prince apprivoisant son copain le renard<br />

Se sent de plus en plus chez lui sur cette terre ;<br />

Vague est le souvenir de la lointaine sphère<br />

Où <strong>un</strong>e fleur l'avait subjugué par son art.<br />

Ainsi, quand notre vie prend <strong>un</strong> nouveau départ,<br />

Ce qui venait avant, nous voudrions le taire ;<br />

Mais fort heureusement, cela ne peut se faire :<br />

Barbe­Bleue doit <strong>un</strong> jour ouvrir tous ses placards.<br />

Merci donc au forum qui m'a permis de dire<br />

En <strong>un</strong> sonnet par jour mon meilleur et mon pire,<br />

Et d'avoir eu patience, et d'avoir eu pitié.<br />

Le renard et le prince ont partagé leurs rêves,<br />

Ce qui à leur douleur a pu mettre <strong>un</strong>e trêve ;<br />

Merci à qui me lit avec cette amitié.<br />

<strong>un</strong> dimanche auprès d'<strong>un</strong>e église<br />

Le printemps nous invite à des amours nouvelles<br />

Je n'ai jamais voulu t'installer en prison<br />

Ni construire <strong>un</strong>e histoire ignorant la raison<br />

Hélas sur tes portraits comme je te vois belle<br />

Sous mon toit dans trois jours reviendra l'hirondelle<br />

Pour elle ce sera le temps de couvaison<br />

J'entendrai ses enfants égayer ma maison<br />

A toi j'aurais voulu pouvoir être fidèle<br />

Mais au bas d'<strong>un</strong>e église on s'est dit au revoir<br />

Puisque notre aventure est vraiment sans espoir<br />

Nous entendions la cloche annoncer <strong>un</strong> baptême<br />

S'il est permis d'écrire <strong>un</strong> aveu laborieux<br />

S'il est permis d'écrire ici ce mot sérieux<br />

Princesse, je t'aimais, je t'aimerai, je t'aime.


les douze animaux<br />

Le rat me garantit qu'il rongera la cage<br />

Où je suis prisonnier ; le boeuf veut bien tirer<br />

La charrue dans mon champ, le tigre déchirer<br />

Pour mon profit la peau d'<strong>un</strong> ruminant sauvage.<br />

Le lièvre me rapporte <strong>un</strong>e fleur du bocage,<br />

Le dragon, des trésors qu'on ne peut qu'admirer.<br />

Le serpent vient danser afin de m'inspirer,<br />

Le cheval me conduit dans <strong>un</strong> bel attelage.<br />

Le mouton me procure <strong>un</strong> vêtement de laine,<br />

Le singe a dégotté <strong>un</strong>e bouteille pleine<br />

Le coq fait retentir son clairon dans le soir ;<br />

Le chien pose sur moi son doux regard fidèle,<br />

Le cochon me fait rire en draguant l'hirondelle,<br />

Puis les douze animaux s'en vont à l'abattoir.<br />

le rimeur<br />

Le rimeur est heureux s'il croit avoir du style,<br />

S'il se sent souverain de la forme et du fond,<br />

S'il croit pêcher le sens à l'abîme profond ;<br />

Mais le sens, par nature, est chose plus subtile.<br />

Les mots ne savent prendre attitude servile,<br />

Assemblages entre eux par surprise se font,<br />

Se croire leur patron, c'est être leur bouffon,<br />

Peu leur chaut, en effet, de se savoir utiles.<br />

Ne les lance donc pas à coups de manivelle,<br />

Mais écoute leur voix toujours <strong>un</strong> peu nouvelle ;<br />

Avant que d'assembler, regarde les fragments.<br />

Ainsi qu'<strong>un</strong> échelon vers <strong>un</strong> beau théorème,<br />

Chaque vers contribue au bâti d'<strong>un</strong> poème,<br />

Comme, pierre après pierre, émerge <strong>un</strong> monument.


les rois<br />

Le roi ja<strong>un</strong>e a voulu obtenir la richesse,<br />

Je lui dis qu'il est bon pour <strong>un</strong> roi d'être nu.<br />

Le roi mauve a rêvé d'<strong>un</strong>e histoire de cul,<br />

Je lui dis qu'il se doit d'agir avec noblesse.<br />

Le roi orange veut s'enfoncer dans l'ivresse,<br />

Je l'avertis du sort de ceux qui ont trop bu.<br />

Le roi rose inventa des gadgets de son cru,<br />

Je dis que là n'est point la divine sagesse.<br />

Le roi rouge veut être <strong>un</strong> puissant souverain,<br />

Je lui dis : « Ne sois pas ce monstre que l'on craint,<br />

Nous préférons les rois qui sont ce que nous sommes ».<br />

Les cinq rois ont vaincu les cinq mauvais penchants,<br />

C'est ce que je proclame en écrivant ce chant :<br />

De rois qu'ils ont été, ils deviendront des hommes.<br />

Saint­Jean d'été<br />

Le roi qui trop aimait son savoir sans saveur<br />

Sourit en recevant cette carte lancée<br />

Dans son courrier par la dame de ses pensées.<br />

S'il ne croit mériter <strong>un</strong>e telle faveur,<br />

Il est réconforté d'<strong>un</strong>e telle ferveur<br />

Et que se continue l'histoire commencée.<br />

Si son âme parfois est décontenancée,<br />

Si son esprit soudain en est rendu rêveur,<br />

Il suivra malgré tout l'aventureux chemin<br />

Qui va de chaque jour à chaque lendemain,<br />

Il suivra le tracé d'<strong>un</strong>e absence de route,<br />

S'arrêtant pour dormir à l'ombre d'<strong>un</strong> buisson<br />

A l'heure où la forêt ne produit auc<strong>un</strong> son :<br />

Mais il entend celui de son coeur en déroute.


<strong>un</strong> campement rustique<br />

Les amoureux marchent pieds nus<br />

Au printemps dans <strong>un</strong>e herbe tendre,<br />

Entourés de sons inconnus<br />

Qu'ils ont seuls à pouvoir entendre.<br />

Avant que le soir fût venu<br />

Ils ont trouvé de quoi s'étendre ;<br />

Les gestes longtemps retenus<br />

Sont accomplis sans plus attendre.<br />

Au lointain dorment les villages,<br />

Nul paysan au pâturage,<br />

Nul promeneur sur le chemin.<br />

A l'horizon dort la montagne.<br />

Dorment compagnon et compagne<br />

Ici, sans penser à demain.<br />

le rire de la tortue<br />

Les animaux du monde étant désemparés<br />

Par <strong>un</strong> fléau mortel, usèrent d'artifice<br />

Pour savoir qui d'entre eux mourrait en sacrifice.<br />

Chac<strong>un</strong> devrait sur l'heure <strong>un</strong>e blague narrer<br />

A Madame Tortue, pour la faire marrer.<br />

Si la tortue riait, on aurait bénéfice<br />

De la vie ; de périr, sinon, par les offices<br />

D'<strong>un</strong> bourreau qui, dans l'ombre, était là, préparé.<br />

L'éléphant raconta. Point de rire. Il mourut.<br />

Or, plus d'<strong>un</strong> animal après lui disparut,<br />

Car la tortue, toujours, restait imperturbable.<br />

Quand vint le tour du singe, il tremblait de frayeur.<br />

L'écoutant, la tortue s'esclaffa de bon coeur :<br />

« Celle de l'éléphant! Elle était ! Impayable ! »


cosmologie barbare<br />

Les astres vagabonds sont aimés des poètes,<br />

Surtout ceux dont le cours va vers <strong>un</strong> but fatal.<br />

Je les vois parcourir les voûtes de cristal<br />

Qui servent de barrière et de route aux planètes,<br />

Je les vois s'envoler plus loin que des comètes,<br />

Se lever à nouveau dans le ciel oriental,<br />

S'approcher de Mercure aux fusions de métal<br />

Et parcourir enfin <strong>un</strong>e orbite complète.<br />

Et mon observatoire est au fond du jardin,<br />

Il a <strong>un</strong> sol de pierre et des murs de rondins,<br />

Et l'on ne voit plus rien quand passent les nuages.<br />

Mais j'aime être allongé au milieu de la nuit<br />

Pour voir l'astéroïde où la vie se poursuit<br />

De la plus belle fleur d'<strong>un</strong> lointain paysage.<br />

Le seigneur Picrochole a donné pour consigne<br />

Que l'on fasse la guerre au seigneur Grandgousier.<br />

Il a mobilisé treize mille obusiers,<br />

Cette imposante armée en bon ordre s'aligne.<br />

C'est le mauvais penchant de ce monarque indigne<br />

Qui de l'affrontement alluma le brasier ;<br />

Picrochole est pervers au point d'apostasier<br />

La foi qu'il faut avoir en le fruit de la vigne.<br />

A sauver le raisin Frère Jean se consacre ;<br />

Il pourfend les soldats, ces fauteurs de massacre,<br />

Pour défendre le sang du fils du charpentier.<br />

Puis <strong>un</strong> très grand cheval déverse son urine<br />

Dont la plaine est noyée, ainsi que les collines,<br />

Afin, guerriers maudits, que vous vous repentiez.


<strong>un</strong> art de lire<br />

Le sens d'<strong>un</strong>e écriture, il est dans le regard<br />

D'<strong>un</strong> lecteur appliqué à lire entre les lignes.<br />

Dans son esprit limpide, il assemble les signes,<br />

Et la révélation lui parvient, tôt ou tard.<br />

S'il croit trouver parfois les effets du hasard<br />

Dans <strong>un</strong>e prose, et dit, avec <strong>un</strong> oeil qui cligne :<br />

« Cet auteur nous soumet des jeux de mots indignes ! »,<br />

Qu'il voie d'<strong>un</strong> peu plus près ce surprenant bazar<br />

Où son application finira par trouver<br />

De quoi être d'accord, de quoi désapprouver ;<br />

Du sens, quoi qu'il en soit, appelant la réplique.<br />

Exception : si l'auteur raconte <strong>un</strong> cauchemar<br />

Venu le tourmenter au fond de son plumard ;<br />

Les rêves ne sont pas des mots que tu expliques.<br />

les fourmis<br />

Les fourmis parcourant le tronc du marronnier<br />

Suivent obstinément leur route verticale.<br />

C'est trop tôt dans l'année pour trouver des cigales,<br />

Pas trop tôt cependant pour remplir les greniers.<br />

Comme il les satisfait, leur labeur routinier,<br />

Comme leurs journées sont entre elles bien égales !<br />

C'est le meilleur aspect de la vie monacale :<br />

Manger, pour les fourmis, c'est toujours comm<strong>un</strong>ier.<br />

N'en est­il pas ainsi du peuple des bureaux ?<br />

Ruche peu bourdonnante, armée sans généraux,<br />

Moines au scriptorium dans la lumière grise.<br />

Combien j'aimerais mieux être nuage au vent,<br />

Ou <strong>un</strong> débris d'épave en la mer dérivant,<br />

Ou du vieux marronnier la feuille dans la brise.


Dieu est <strong>un</strong> je<strong>un</strong>e chat<br />

L'été meurt. Dieu est faible, et toujours ça m'étonne...<br />

Il vit dans son présent, il n'a donc rien appris ;<br />

Dieu est presque invisible à force d'être gris :<br />

Mais j'aime sa façon de rougir les automnes.<br />

Il fait frapper la mer aux falaises bretonnes,<br />

Il fait proliférer le peuple des souris,<br />

Il donne bonne odeur aux fruits qui sont pourris :<br />

Il dort, chaque dimanche, ou alors, il ronronne.<br />

Je ne le laisse pas entrer dans ma maison ;<br />

Il me l'a interdit, quand il fit ma raison.<br />

Et mélanger les deux ne serait rien qui vaille.<br />

Dieu est <strong>un</strong> je<strong>un</strong>e chat, plein d'imagination,<br />

Adorant contempler ce monde en perdition<br />

Dont il pense qu'il est la meilleure trouvaille.<br />

Borges<br />

Le temps c'est nous, et nous sommes la fable<br />

Que nous disait Héraclite l'Obscur.<br />

Nous sommes d'eau, et non de diamant dur,<br />

D'eau qui se perd et n'a de lieu durable.<br />

C'est nous le fleuve et c'est nous l'homme grec<br />

Se regardant dans l'eau, et son image<br />

Qui toujours danse au miroir si volage,<br />

Virevoltant comme <strong>un</strong> feu de bois sec.<br />

C'est nous, vain fleuve, astreint à son parcours<br />

Vers l'océan, et c'est l'ombre alentour.<br />

Tout dit adieu, tout va vers d'autres rives.<br />

Et plus ne bat monnaie notre mémoire.<br />

Reste pourtant <strong>un</strong>e chose, il faut croire,<br />

Reste pourtant <strong>un</strong>e chose plaintive.


David Humphreys<br />

Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard ;<br />

Le temps de penser ça, des secondes furtives :<br />

Si vite va le temps qui ne va nulle part<br />

Que les instants présents sont choses fugitives.<br />

Quand se perd la conscience, au moment de dormir,<br />

Ce fantôme de vie, à quoi ressemble­t­il?<br />

Réponds, toi qui trompé par <strong>un</strong> rêve subtil<br />

Sortis de ton sommeil pour te mettre à gémir,<br />

Toi qui t'en vas, dormant, vers l'ombre de la mort.<br />

C'est comme le reflet d'<strong>un</strong>e clarté l<strong>un</strong>aire,<br />

Une bulle flottant au fond de l'eau qui dort,<br />

Puis disparaissent bulle et vision éphémère<br />

Ne laissant dans le vent qu'insignifiante brume.<br />

Homme, plus que mortel, tu n'es que vie posthume.<br />

Le boulevard<br />

Le vent du boulevard évapore mes larmes.<br />

En suivant ses trottoirs, en assemblant des mots,<br />

Je songe à cette vie qui parfois me désarme,<br />

Je vais à petits pas, marmonnant comme <strong>un</strong> sot.<br />

Vaut­il mieux dans la foule errer en solitude<br />

Ou loin, se <strong>recueil</strong>lir ? Le boulevard répond :<br />

Suis­moi, je te conduis vers <strong>un</strong> lieu de quiétude.<br />

Au bout du boulevard l'eau passe sous <strong>un</strong> pont.<br />

Au bout du boulevard, c'est la rive de Seine,<br />

C'est le flot qui dissout en lui toutes les peines.<br />

L'eau du fleuve adoucit ma vie au goût de sel.<br />

Je flâne dans Paris comme font les touristes.<br />

Mon coeur ne parvient pas à rester longtemps triste<br />

Quand je passe la Seine au vieux pont Saint­Michel.


le cochon et l'hirondelle<br />

L'hirondelle appela le cochon au parloir,<br />

Pour qu'il eût l'occasion de déclarer sa flamme.<br />

Le cochon n'osait pas (timide était son âme,<br />

Il n'était pas du genre à se faire valoir).<br />

Enfin, il accepta, dans l'ivresse d'<strong>un</strong> soir<br />

Où le soleil couchant, dans des lueurs de drame,<br />

Empourprait les abords des bistrots de Paname,<br />

Faisant rougir la bière et saigner les miroirs.<br />

Le cochon s'avança pour prendre la parole,<br />

Et, devant ses amis (beaucoup de gens frivoles),<br />

Fit sa déclaration, qu'il grava sur <strong>un</strong> mur.<br />

Aux abords de son nid se tenait l'hirondelle.<br />

Une douce émotion faisait frémir ses ailes.<br />

Un silence survint, insondable, et très pur...<br />

Carpe diem<br />

L'homme à ses lendemains ne cesse de penser,<br />

Cette façon de faire est probablement vaine.<br />

L'avenir dosera les bonheurs et les peines,<br />

Mais respecter nos plans, il en est dispensé.<br />

Comme César disant que les dés sont lancés,<br />

Je poursuis mon chemin sans savoir où il mène.<br />

César a dit aussi que l'erreur est humaine<br />

Quand par ses bons amis son corps fut transpercé.<br />

Feuille qui sur sa branche à l'automne demeure,<br />

Est­ce pour quelques jours, est­ce pour quelques heures,<br />

Le vent venu du Nord n'en sait lui­même rien.<br />

J'écris mes mots du jour, selon que vient la brise.<br />

Ma plume est quelquefois la première surprise<br />

De voir ce que produit son parcours quotidien.


d'<strong>un</strong> ange et d'<strong>un</strong> démon<br />

L'on voit deux associés près de chaque animal :<br />

Son ange qui lui parle avec dévote mine,<br />

Et son démon pervers, <strong>un</strong>e rouge vermine<br />

Qui lui montre à plaisir comment on fait le mal.<br />

Or donc, chaque vivant abrite <strong>un</strong> trib<strong>un</strong>al<br />

Où le contre et le pour à loisir se ruminent,<br />

De sorte qu'à la fin, l'agir se détermine,<br />

Prenant dans le vouloir sa source et son canal.<br />

Ainsi, quand le renard dépouille le corbeau,<br />

Ou quand le procureur met le christ au tombeau,<br />

Un ange et <strong>un</strong> démon ont eu à en débattre.<br />

Quelques lecteurs curieux m'ont demandé pourquoi<br />

Ce débat, et non pas <strong>un</strong>e plus simple loi :<br />

C'est parce que la vie se joue sur <strong>un</strong> théâtre.<br />

Cinq ornithorynques<br />

L'ornithorynque ja<strong>un</strong>e a dit : « Pas de complaintes,<br />

La poésie c'est pour proclamer le bonheur ».<br />

J'ai répondu : « Si tu peux faire le donneur<br />

De leçons, ta sagesse est absolument feinte ».<br />

L'ornithorynque mauve a dit : « Vivre m'esquinte,<br />

La poésie c'est pour étaler mon malheur ».<br />

J'ai répondu : « Si tu donnes trop de valeur<br />

A tes ennuis du jour, tu vivras dans la crainte ».<br />

L'ornithorynque orange est désolé de vivre,<br />

L'ornithorynque rose aime être toujours ivre,<br />

Je leur ai dit de prendre <strong>un</strong> peu plus de recul.<br />

L'ornithorynque rouge a écrit <strong>un</strong> poème<br />

Dans lequel il résout plusieurs de mes problèmes,<br />

En me disant : « Vas­y, tout droit, et sans calcul ».


La vie est <strong>un</strong>e tartine<br />

Lorsque j'étais marmot, j'aimais la confiture ;<br />

J'aimais la quantité plus que la qualité,<br />

Je pensais que c'était très bon pour ma santé.<br />

Puis­je me pardonner cette désinvolture ?<br />

Or, le sucre et les fruits viennent de la nature,<br />

Et le fruit est ce dont Dieu a voulu tenter<br />

Le couple dont, je crois, vient notre parenté ;<br />

Par quoi l'on voit que Dieu commet des forfaitures.<br />

Car, s'il eût tenté Eve avec de la moutarde,<br />

Elle eût put réfuter la logique bâtarde<br />

Dont le méchant serpent farcissait son propos.<br />

Ainsi n'aurions besoin de nulle friandise<br />

Et pourrions subsister sans nulle gourmandise,<br />

Ayant notre désir, pour toujours, en repos.<br />

<strong>un</strong> trésor<br />

Lorsqu'<strong>un</strong> sage transporte <strong>un</strong> morceau de diamant,<br />

Il le tient enfermé dans <strong>un</strong>e toile grise.<br />

M<strong>un</strong>i de son trésor, il traverse à sa guise<br />

La ville et le désert, sous le grand firmament.<br />

Roi qui d'<strong>un</strong>e bergère est devenu l'amant<br />

Avec simplicité en berger se déguise<br />

Et sur les hauts plateaux monte affronter la bise,<br />

Gardant royale allure et fier tempérament.<br />

Roi ni sage ne suis, mais simple bateleur,<br />

En chemin n'ai trouvé nul objet de valeur<br />

Et ne fus séducteur de vive pastourelle.<br />

Dans la toile, je n'ai que de quoi grignoter<br />

Avec quelques copains marchant à mes côtés ;<br />

Et je souhaite à ma muse autant de bien pour elle.


<strong>un</strong>e cause non résolue<br />

L'<strong>un</strong>ivers décrit par nos saintes écritures<br />

Est, semble­t­il, régi par <strong>un</strong> noble gardien ;<br />

Un peu comme <strong>un</strong> dragon qui veille sur des biens,<br />

A lui­même s'étant donné l'investiture.<br />

Mais, chac<strong>un</strong> le constate, observant la nature :<br />

Dans le sous­sol ne sont ni dragons, ni sauriens.<br />

Or, d'autres vont répondre « Attends, ne changeons rien,<br />

Car, de Dieu, le cosmos porte la signature. »<br />

A trancher entre nous, ce n'est pas mince affaire,<br />

Qui peut­être n'est pas traitable en notre sphère ;<br />

Disons pour commencer que nul des deux n'a tort.<br />

En faveur du déiste a plaidé l'étincelle<br />

De la vie, fulgurante, inimitable et belle.<br />

En faveur de l'athée, la noirceur de la mort.<br />

Notre chair est d'argile<br />

Ma chair, a dit l'ermite, est <strong>un</strong>e faible argile,<br />

Mon esprit, la lueur d'<strong>un</strong> cierge dans le vent.<br />

Que l'eau tombe du ciel, que vienne l'ouragan,<br />

Et c'en est fait de moi, tant mon être est fragile.<br />

Le moine a répondu : « Sous des dehors graciles,<br />

Ton corps et ton esprit sont fermes, cependant.<br />

On a vu des mortels, même âgés de cent ans,<br />

Rester forts et vaillants dans des temps difficiles ».<br />

Puisque les moines sont <strong>un</strong>e troupe de frères<br />

Qui en toute occasion s'affirment solidaires,<br />

Ils ont de l'optimisme et savent l'exprimer.<br />

L'ermite affronte seul cent démons redoutables<br />

Qui lui font entrevoir tous ses penchants coupables,<br />

Il n'a donc pas le coeur à se surestimer.


la nostalgie<br />

Ma je<strong>un</strong>esse enthousiaste est maintenant lointaine,<br />

Ce sont neiges d'antan qui ne reviennent pas.<br />

Plus chargé de fardeaux à chaque nouveau pas,<br />

Bientôt j'aborderai la lourde soixantaine.<br />

Ainsi est agencée la condition humaine,<br />

Qu'au soir nous percevons l'approche du trépas ;<br />

L'esprit perd ses moyens, le corps perd ses appas...<br />

Mais parfois <strong>un</strong> sourire aux beaux jours nous ramène.<br />

Quiconque à son destin voudrait être impassible<br />

Peut au son d'<strong>un</strong>e voix redevenir sensible<br />

Et plonger <strong>un</strong> instant dans le lac des regrets.<br />

Si la réminiscence est le fait du hasard,<br />

Celui qui la cultive exerce <strong>un</strong> subtil art ;<br />

Heureux qui chaque jour y fera des progrès.<br />

Aubervilliers en janvier 2010<br />

Marchant de Saint­Denis jusqu'à Aubervilliers,<br />

Je suivais le canal où s'ébattaient les truites ;<br />

J'allais voir <strong>un</strong>e femme avec qui j'étais lié,<br />

Toute idée de morale étant en moi détruite.<br />

Elle m'attendait là, debout sur son palier ;<br />

Au soleil de midi vous preniez tous la fuite,<br />

Démons de la tristesse, et vous vous en alliez<br />

Chez d'autres gens semer des délires sans suite.<br />

Abrités par <strong>un</strong> seul trop grand peignoir de bain,<br />

Nous formions <strong>un</strong> seul corps, <strong>un</strong>ion sans lendemain,<br />

Des moineaux se battaient auprès de la fenêtre.<br />

Corps souples d'animaux, corps nobles des humains,<br />

Tendre douceur du ventre et fermeté des mains,<br />

Dans l'action n'ayant ni <strong>un</strong> "mais" ni <strong>un</strong> "peut­être".


<strong>un</strong>e paraphrase<br />

Marchant jusqu'au palais qui a sept ouvertures,<br />

J'ai demandé au roi de placer des gardiens,<br />

Auprès de chaque porte, et qu'ils regardent bien<br />

Ce qui entre et qui sort, en fait de créatures.<br />

Voici donc ces bestiaux, tous, selon leur nature :<br />

L'éléphant, le dragon, le loup, les acariens,<br />

Le coq, le paon, le porc et quelques amphibiens,<br />

Tels sont les animaux qui par là s'aventurent.<br />

Puis, le paon et le coq, on les métamorphose<br />

En aigles des sommets ; le loup, en autre chose<br />

Qui mieux sache écouter la voix de la raison.<br />

Le porc et l'éléphant, sous leur forme nouvelle,<br />

Deviendront vos chevaux. Mettez­leur <strong>un</strong>e selle,<br />

Et vous chevaucherez vers les quatre horizons.<br />

Pour <strong>un</strong>e chanson<br />

Merci pour ta parole amoureuse qui chante,<br />

Même si certains jours elle chante <strong>un</strong> tourment.<br />

Quand l'amour te transforme en <strong>un</strong> tel instrument,<br />

Tu nous fais éprouver des vibrations touchantes.<br />

Lorsque je continue ma promenade lente,<br />

Je vois <strong>un</strong>e inconnue qui sourit en dormant,<br />

Rêvant, sans auc<strong>un</strong> doute, à son prince charmant,<br />

Tandis que le métro la transporte, indolente.<br />

Merci pour ta chanson qui est joyeux présage,<br />

Merci pour la douceur du calme paysage<br />

Que par ces quelques vers, tu viens de dessiner ;<br />

Ainsi, dans ce fatras du meilleur et du pire,<br />

Quelqu'<strong>un</strong> trouve parfois des raisons de sourire,<br />

Et le jour monotone en est illuminé.


Vagabondages<br />

Mes souvenirs d'été : souvenirs de voyages,<br />

Lorsque j'étais bien je<strong>un</strong>e, étudiant et sportif.<br />

La route et le soleil, et mon vélo rétif<br />

Ont gravé dans mon coeur ces vieux vagabondages.<br />

Pédalant, essoufflé, sous le ciel sans nuages,<br />

Sans pouvoir espérer le moindre apéritif<br />

Sinon l'eau d'<strong>un</strong> ruisseau, sous les arbres, furtif<br />

Et apaisant, discret, assez loin des villages.<br />

Les courtes nuits d'été à dormir sous la toile<br />

Après avoir longtemps admiré les étoiles :<br />

Quel merveilleux sommeil, aux rêves miroitants...<br />

Du début de l'été à la fin, solitaire,<br />

Je n'étais amoureux que de toute la Terre,<br />

Des horizons lointains et puis de l'air du temps.<br />

Le miroir et la chandelle<br />

Mes textes composés aux lueurs des chandelles<br />

Sont démultipliés par d'étranges miroirs.<br />

Lectrices et lecteurs viennent alors les voir ;<br />

Parmi ces visiteurs, quelques­<strong>un</strong>s sont fidèles.<br />

Ils ne verront ici auc<strong>un</strong>e idée nouvelle,<br />

Ni leçon qui viendrait renforcer leur savoir,<br />

Ils trouvent de mon coeur les naïfs désespoirs<br />

Et, malgré ces derniers, que je vois la vie belle.<br />

Pourquoi l'alexandrin et pourquoi le sonnet ?<br />

Un auteur qui ni l'<strong>un</strong> ni l'autre ne connaît<br />

Ferait sans doute mieux d'écrire de la prose.<br />

Oui, mais c'est ma vision et c'est mon <strong>un</strong>ivers,<br />

Mes personnages qui veulent parler en vers,<br />

Le prince, le renard, le serpent et la rose.


Le primate humain<br />

Moi, le primate humain,<br />

le seigneur de ce monde,<br />

J'ai droit à votre estime, à votre admiration<br />

Et j'irai jusqu'à dire, à votre soumission.<br />

A genoux, animaux de la terre et de l'onde.<br />

Je vous ai tous conquis, les nobles, les immondes,<br />

Je vous ai conféré à chac<strong>un</strong> sa mission :<br />

Aux <strong>un</strong>s d'assouvir mes carnivores passions,<br />

Aux autres d'accepter gentiment qu'on les tonde.<br />

J'ai déboisé les sols pour d'utiles cultures,<br />

J'ai bien amélioré la brouillonne nature.<br />

Certains soirs il me vient comme <strong>un</strong> doute, pourtant.<br />

Je respire <strong>un</strong> air qui me fait mal à la tête,<br />

Le printemps ne met plus mon pauvre coeur en fête.<br />

J'ai <strong>un</strong> peu tout détruit, ah, c'est bien embêtant.<br />

Meredith, again<br />

Mon coeur me dit que sans dormir ton âme pleure<br />

Quand d'<strong>un</strong>e main ton beau visage en <strong>un</strong> sursaut<br />

Est effleuré (je sens qu'il mourut <strong>un</strong> sanglot<br />

Qui sombre murmurait dans le lit tout à l'heure),<br />

C'est <strong>un</strong> petit serpent qu'on étrangle. Oh, qu'il meure !<br />

Ce serpent est mortel pour l'auteur de ces mots.<br />

Dans l'immobilité tu écoutes le flot<br />

Dont les coeurs qui sont sourds à minuit savent l'heure<br />

Du milieu divisant la mémoire et les larmes,<br />

Buvant le gris et sourd et lent poison qui bat<br />

Une lourde mesure au sommeil sans ébats,<br />

Contemplateur des ans qui moururent sans charme.<br />

Un vain regret pourtant qui ces deux coeurs désarme<br />

Les fixe sur le mur, où ils semblent des bas­<br />

Reliefs, ou des gisants qui ne se touchent pas :<br />

Une épée gît entre eux, mais mourir de cette arme ?


le témoignage de Gabriel<br />

Moi qui suis Gabriel, archange du Seigneur,<br />

J'ai accepté d'aller en mission sur la Terre,<br />

Croyant que ce serait <strong>un</strong> programme ordinaire ;<br />

Mais c'était <strong>un</strong> projet <strong>un</strong> peu plus novateur,<br />

Un contrat que chac<strong>un</strong> doit porter dans son coeur,<br />

Et doit se rappeler à son heure dernière.<br />

Je devais rencontrer <strong>un</strong> être de lumière,<br />

La fille de David,<br />

plus douce que les fleurs.<br />

La rencontre se fit, en tout bien, tout honneur,<br />

C'est à ce moment­là que j'appris le bonheur<br />

Et, simultanément, <strong>un</strong> malheur inconnu.<br />

J'ai vu dans ses grands yeux se former <strong>un</strong>e larme.<br />

Mais contre son bourreau, je n'avais auc<strong>un</strong>e arme,<br />

Car c'était <strong>un</strong> enfant, humain, heureux et nu.<br />

Gabriel après l'amour<br />

Moi, pauvre Gabriel, archange du Seigneur,<br />

Je reçus l'autre jour l'ordre d'aller sur Terre,<br />

Croyant devoir remplir <strong>un</strong>e tâche ordinaire :<br />

Inondation, fléau, typhon dévastateur...<br />

Mais la dévastation s'en est prise à mon coeur,<br />

Et le voilà brisé en mille éclats de verre.<br />

Ma mission fut d'étreindre <strong>un</strong> être de lumière,<br />

La fille de David,<br />

plus douce qu'<strong>un</strong>e fleur.<br />

J'ai rempli mon contrat, ce fut à mon honneur,<br />

Mais je suis déchiré d'<strong>un</strong> terrible bonheur<br />

Qui est entremêlé d'<strong>un</strong> malheur inconnu.<br />

Et de retour au ciel, je baigne dans mes larmes,<br />

Elles trempent ma robe et oxydent mes armes,<br />

Et mon coeur a compris, soudain, qu'il était nu.


<strong>un</strong> art poétique improvisatoire<br />

Mon esprit est fragile, et n'est jamais très clair,<br />

S'il parvient à penser, c'est <strong>un</strong> peu par magie.<br />

Mais il est éclairé par Dame Poésie<br />

Et par la poésie de mes amis très chers.<br />

Il danse avec les mots ; ils lui sont <strong>un</strong>e chair<br />

Qui dans ses mouvements la pesanteur défie.<br />

S'il vibre certains jours d'<strong>un</strong>e émotion qui crie,<br />

Il la traduit en verbe au rythme des éclairs.<br />

Et puis il se repose en lisant les sonnets<br />

Produits, ici et là, par les gens qu'il connaît.<br />

Ils sont doux à son coeur comme des airs de flûte.<br />

Même, quand il parvient au deuxième tercet,<br />

Il s'étonne, il se dit : « Ma foi, je ne pensais<br />

Pas rencontrer ici ce vers­là comme chute ».<br />

<strong>un</strong>e comptine<br />

Mon pouce a décidé que j'irais en voyage,<br />

Comptant sur mon index pour montrer le chemin.<br />

Le majeur était seul pour porter les bagages ;<br />

L'annulaire lisait le guide Michelin.<br />

Quant à l'auriculaire, à la paresse enclin,<br />

Il se laissait porter dans ce vagabondage<br />

Ainsi que les cinq doigts que j'ai sur l'autre main.<br />

J'étais, on peut le dire, en léger équipage.<br />

La route est rectiligne et baignée de fraîcheur,<br />

D'immenses horizons attirent le marcheur<br />

Qui sait aller au loin sans que rien ne le presse.<br />

Un petit animal, soudain, vint à passer,<br />

Un chat qui demandait à être caressé :<br />

Ici, premier arrêt, <strong>un</strong> moment de tendresse.


marionnettes<br />

Mon voisin du dessus, <strong>un</strong> grand marionnettiste,<br />

Fabrique des milliers de poupées en papier.<br />

Dans <strong>un</strong> vaste décor <strong>un</strong> peu kitsch et pompier,<br />

Il fait vivre à chac<strong>un</strong>e <strong>un</strong>e vie drôle ou triste.<br />

Chaque poupée se croit libre protagoniste<br />

D'<strong>un</strong>e intrigue à plusieurs, donne des coups de pied,<br />

Tient de sages propos, jure comme <strong>un</strong> troupier.<br />

Ce n'est que le montreur l'agitant sur la piste.<br />

Et par <strong>un</strong> sombre soir il les rassemblera<br />

Pour porter jugement, et sa voix hurlera<br />

Pour condamner au feu les poupées malhonnêtes.<br />

Celles qui par sa main firent des gestes bons<br />

Au frigo d'or massif refuge trouveront.<br />

La justice s'adresse aussi aux marionnettes.<br />

muse<br />

Muse qui souffre et qui s'égare,<br />

Reste l'invitée du chemin...<br />

Sans doute je suis <strong>un</strong> barbare<br />

D'en parler sur ce parchemin.<br />

Bateau tenu par ses amarres,<br />

Libre ni ce jour ni demain ;<br />

Jamais la main qui tient la barre<br />

Ne la donne à <strong>un</strong>e autre main.<br />

Navire ne prenant la route<br />

Que vers le rivage du doute<br />

Dont il ne sait point retourner.<br />

Ce poème est écrit en marge<br />

D'<strong>un</strong> assez lourd cahier des charges<br />

Que je n'ai pas droit d'ajourner.


Pour la dame de mes pensées<br />

N'allons point nous livrer à la mélancolie,<br />

(Est­ce là le devoir d'<strong>un</strong>e âme envers <strong>un</strong>e âme ?)<br />

Celle qui aujourd'hui ces beaux vers me dédie<br />

N'évoque rien pour moi de triste ni d'infâme...<br />

Le monde d'<strong>un</strong> poète est jardin de folie,<br />

Les plus beaux nénuphars poussent où nul ne rame.<br />

Nos âmes vont cherchant <strong>un</strong>e rime jolie,<br />

Et d'amour de ses mots la rime nous enflamme.<br />

Car les plus beaux récits sont les inachevés,<br />

Les plus belles passions celles qu'on n'a pu vivre ;<br />

Cet esprit est usé, mais pas démotivé.<br />

Lorsque du jour dernier la trompette de cuivre<br />

Dira « Mourez, mortels, ce monde est lessivé. »,<br />

Alors c'est notre amour qui devra nous survivre.<br />

Le regard de Saturne<br />

N'attends pas de la l<strong>un</strong>e <strong>un</strong>e douce chaleur ;<br />

Tu la crois lumineuse, or grisâtre est la sphère<br />

Dont te semble, de loin, voir la blanche couleur,<br />

Qui de sa vraie nature absolument diffère.<br />

Ne crois pas ce poète <strong>un</strong> homme de valeur ;<br />

Tu le crois inspiré, mon dieu, la belle affaire :<br />

C'est <strong>un</strong>e convulsion qu'inspire <strong>un</strong>e douleur<br />

Qui n'est pas éternelle et n'est pas mortifère.<br />

Un sonnet ne contient auc<strong>un</strong> sérieux message ;<br />

Un poète n'est pas <strong>un</strong> savant ni <strong>un</strong> sage,<br />

Il n'a de sens en lui qu'il ne l'ait détourné.<br />

La l<strong>un</strong>e et la douleur parmi le ciel nocturne<br />

Dansent sous le regard verdâtre de Saturne<br />

Et sans atteindre <strong>un</strong> but ne cessent de tourner.


quelques recommandations<br />

N'ayez pas de souliers dont la semelle est lisse :<br />

Sur la neige et la glace, on constate qu'ils glissent.<br />

Surveillez la façon, surtout, dont vous marchez<br />

En sortant le matin pour aller au marché,<br />

Puis, gardez­vous aussi du givre subreptice ;<br />

Il faudrait que vos pas, dès lors, se rapetissent<br />

Et que de lourds paquets n'aillent vous empêcher<br />

De garder l'équilibre, en vous faisant pencher.<br />

D'ailleurs, en avançant, regardez devant vous,<br />

Posez vos pieds à plat, n'allez pas, comme <strong>un</strong> fou,<br />

Courir derrière <strong>un</strong> bus ou <strong>un</strong> taxi qui passe.<br />

Si la neige aux souliers fait <strong>un</strong> bel ornement,<br />

Il faut pourtant l'ôter assez rapidement,<br />

Avant que le grand froid ne la transforme en glace.<br />

Les transfuges<br />

N'ayons pour ce forum de passion exclusive<br />

Sur la toile il en est d'encore plus marrants<br />

Et si <strong>un</strong> déserteur ne rejoint pas nos rangs<br />

C'est qu'il a d'autres lieux pour ses heures oisives<br />

D'autres lieux pour lancer sa pensée incisive<br />

Et pour y composer des sonnets hilarants<br />

Les mêmes vers dans <strong>un</strong> contexte différent<br />

Contribuent à <strong>un</strong>e autre émotion collective<br />

Un buveur qui se lasse il peut changer d'auberge<br />

Ou boire à l'extérieur sur <strong>un</strong>e ombreuse berge<br />

Ou par les chemins creux ses songes trimballer<br />

Une auberge en ce monde en vaut toujours <strong>un</strong>e autre<br />

Ce forum il nous plaît parce que c'est le nôtre<br />

Mais plusieurs d'entre nous ailleurs s'en sont allés


Conseils d'<strong>un</strong> inconnu<br />

N'écris pas trop limpide, écris comme <strong>un</strong> vivant.<br />

Trouble soit ta chanson, puisque la vie est telle.<br />

Sache surtout que nulle amour n'est éternelle,<br />

Même si ton surmoi trouve ça décevant,<br />

La vie est <strong>un</strong> enfer. D'accord, c'est énervant.<br />

Elle n'est, pour autant, chaque jour si cruelle ;<br />

L'horreur de certains soirs est <strong>un</strong>e horreur partielle.<br />

Nous voyons le poète, en de tels cas, trouvant<br />

Dans ces sursauts d'espoir, matière à narration,<br />

Mais le malheur aussi est <strong>un</strong>e inspiration.<br />

N'écris pas que la vie est toujours infernale,<br />

Ce n'est pas ta mission. Montre, dans le lointain,<br />

Comment prend consistance <strong>un</strong> bonheur incertain<br />

Fait de douce lumière et de saveurs banales.<br />

Le maître répond à <strong>un</strong> poète<br />

Ne crois pas la sirène aux futiles passions.<br />

Admire la danseuse et ne va pas chez elle ;<br />

Ne suis pas le hibou que la l<strong>un</strong>e ensorcelle,<br />

Et défends­toi, surtout, par des imprécations.<br />

Si de rien n'ont servi, pourtant, ces précautions,<br />

Attends donc le retour chez toi des hirondelles :<br />

Tu sais qu'à ta maison elles seront fidèles,<br />

Te portant chaque fois cette douce émotion.<br />

Elle est encore loin, elle adviendra, pourtant,<br />

L'éclosion, au jardin, de ce nouveau printemps<br />

Qui te ranimera de sa tiède lumière.<br />

En attendant ce jour, compose des sonnets<br />

Sur ta lyre de fou, comme tu t'y connais,<br />

Pour que vienne plus tôt la clarté printanière.


La roue<br />

Nos chemins ici­bas ne sont jonchés de roses,<br />

Et tout ce que l'esprit trouve à ronger de choses<br />

Lui résiste au point qu'il doit les laisser en plan :<br />

Nos rêves bien souvent nous le vont rappelant.<br />

Sur le bord d'<strong>un</strong>e roue qui sur rien ne repose,<br />

Tu surmontes la peur dans ton esprit éclose.<br />

Tu sais distinguer l'être en observant l'étant,<br />

Tu sais que tu ne sais pas percevoir le temps,<br />

Rien que le mouvement de ce qui toujours meurt<br />

Sans sursaut, sans tristesse et surtout sans clameur :<br />

Qui n'est pas éternel, disons­le transitoire.<br />

De principal rayon la roue n'a pas, vraiment,<br />

Et sans cause et sans but sont tous ses mouvements :<br />

Sans auc<strong>un</strong> scénario se déroule l'Histoire.<br />

Hackeurs de bidonville<br />

Nos voix font <strong>un</strong> écho dans la vallée des morts,<br />

Plus qu'<strong>un</strong> rouge canyon, muraille polychrome.<br />

Hackeurs de bidonville et hackeurs du royaume,<br />

On survient, on repart, on entre et puis on sort.<br />

Si tu crois qu'on s'amuse ici, tu as bien tort.<br />

On explore, on apprend, on visite, on se paume,<br />

On écrit des sonnets ou bien des antipsaumes.<br />

Le citoyen lambda est content de son sort,<br />

Nous on voudrait stopper le temps qui nous balafre,<br />

Ce n'est pas de l'ennui, tu vois, ce sont les affres<br />

De la réalité, de ses interjections,<br />

Du sens surabondant qui induit la frayeur,<br />

De ces lendemains qui jamais ne sont meilleurs,<br />

Du virtuel trop réel avec ses projections.


Notre corps est <strong>un</strong> arbre<br />

Notre corps est <strong>un</strong> arbre, a déclaré l'ermite,<br />

Notre esprit <strong>un</strong> miroir, il faut l'épousseter.<br />

Ne se croyait­il pas porteur de vérité,<br />

Celui qui transcendait le réel et ses mythes...<br />

Ton arbre est dans <strong>un</strong> vase, a dit le cénobite,<br />

Et d'<strong>un</strong> endroit à l'autre il peut se transporter.<br />

Quant au miroir, tu peux tout <strong>un</strong> jour le frotter,<br />

Tu ne nettoieras pas les reflets qui l'habitent.<br />

Epoussetons bien l'arbre, arrosons le miroir,<br />

Car pour telle entreprise il n'est besoin d'espoir,<br />

Ni de succès non plus pour que l'on persévère.<br />

Les ayant accueillis dans ta méditation,<br />

Retiens de ces deux mots la signification :<br />

L'arbre, on en fait du bois, le miroir, c'est du verre.<br />

Immortel ou fugace<br />

Notre <strong>un</strong>ivers parfois nous force à l'admirer<br />

Tant il peut nous donner l'impression d'excellence<br />

Et l'illusion qu'<strong>un</strong> dieu y montre sa présence...<br />

...Que le rasoir d'Occam conduit à retirer.<br />

Je comprends que certains puissent la désirer<br />

Car ils ne sauraient quoi répondre au grand silence<br />

Dont vibre le cosmos sans nulle complaisance,<br />

Tel la nef immobile avant de chavirer.<br />

Une telle espérance, ils se la croient permise,<br />

Sur la bonté suprême ils parient leur chemise.<br />

Au moins ça peut en faire <strong>un</strong> tas de gens joyeux.<br />

Moi j'aime cette vie auc<strong>un</strong>ement pérenne,<br />

Court chapelet de jours qui trop vite s'égrènent :<br />

Et j'aimerais sourire à l'instant des adieux.


<strong>un</strong> retournement<br />

Notre vie est parfois en surprises fertile.<br />

L'autre jour <strong>un</strong> buveur, pour vaincre son ennui,<br />

Avait trinqué jusqu'à être absolument cuit.<br />

Il prit le chemin du retour au domicile.<br />

Son ivresse était grave et ses pas difficiles ;<br />

Alors qu'il titubait dans <strong>un</strong>e hostile nuit,<br />

Un crocodile rose a surgi devant lui.<br />

« Ivrogne ! Ivrogne ! Ivrogne ! » a crié le reptile.<br />

Or, le buveur furieux s'empara de la bête<br />

Et la retourna comme on fait d'<strong>un</strong>e chaussette.<br />

Un instant de silence aussitôt s'ensuivit.<br />

Mais l'animal vaincu se manifeste encore.<br />

De nouveau l'on entend son organe sonore,<br />

Et voilà qu'il criait : « Engorvi ! Engorvi ! »<br />

La bénédiction des langues<br />

Nous voici ré<strong>un</strong>is, ce jour de Pentecôte,<br />

Attendant que l'Esprit nous donne du talent.<br />

Matthieu veut être juste et Marc être galant,<br />

Luc aimerait savoir préparer l'entrecôte,<br />

Jeannot courir sans être essoufflé dans les côtes,<br />

Pierrot plus aisément convertir le chaland,<br />

Jacquot voir des Romains devant lui détalant,<br />

Venez, divin Esprit, venez, soyez notre hôte!<br />

L'obscurité se fait dans <strong>un</strong> souffle qui gronde.<br />

Soudain, des traits de feu, issus d'<strong>un</strong> autre monde,<br />

Viennent toucher chac<strong>un</strong> de nos fronts de pécheurs.<br />

Chac<strong>un</strong> gagne <strong>un</strong> lexique, <strong>un</strong> style, <strong>un</strong>e grammaire,<br />

S'ajoutant au parler qu'il tenait de sa mère :<br />

Douze apôtres, dès lors, seront douze prêcheurs.


Univers­bulle<br />

Nul ne peut le coincer dans les mots d'<strong>un</strong> sonnet,<br />

Chose que nul n'aurait, d'ailleurs, l'idée de faire,<br />

Mais l'<strong>un</strong>ivers, sans doute, est pris dans <strong>un</strong>e sphère,<br />

Comme si le cosmos à des jeux s'adonnait,<br />

Comme si <strong>un</strong>e bulle en l'air se promenait,<br />

Evitant qu'avec elle obstacle n'interfère,<br />

Allant sans intention, sans stress et sans affaire,<br />

Visiteur familier que nul ne reconnaît.<br />

La bulle éclate et meurt aussitôt qu'on la point,<br />

Elle vit dans l'instant, et ne perdure point,<br />

Cette fragilité provient de sa structure.<br />

Il nous faut l'accepter. La bulle n'a qu'<strong>un</strong> temps,<br />

Et le grand <strong>un</strong>ivers, <strong>un</strong> peu plus résistant,<br />

Doit disparaître aussi, et toute créature.<br />

<strong>un</strong> trou de matière<br />

Oiseau tranquille et fier, je parcourais l'espace<br />

Escorté de copains ; nous étions des milliers.<br />

Soudain, au lieu de l'air qui nous est familier,<br />

Le vide nous surprend. Ah, qu'est­ce qui se passe ?<br />

Tout l'air de nos poumons s'est transformé en glace.<br />

Plus moyen dans les airs, d'être de fiers voiliers :<br />

Tel celui du primate avec ses gros souliers,<br />

Notre corps tombe au sol, et plus ne se déplace.<br />

Quel tragique accident, pensent nos pauvres âmes,<br />

Quelle a été, Seigneur, la cause d'<strong>un</strong> tel drame ?<br />

Dans la nuit, fûtes­vous troublé par la boisson ?<br />

A quelques pas de là, dans <strong>un</strong>e banlieue verte,<br />

Les promeneurs ont fait <strong>un</strong>e autre découverte :<br />

En <strong>un</strong> fleuve ont péri des milliers de poissons.


Homme de cent vingt ans<br />

On n'est pas sérieux quand on a cent vingt ans,<br />

N'ayant plus auc<strong>un</strong> muscle et plus auc<strong>un</strong>e graisse,<br />

Le coeur presque immobile, à peine palpitant,<br />

Et plus auc<strong>un</strong> cheveu et ni ventre ni fesses.<br />

On ne sait plus du tout comment était le temps<br />

Des premiers pas du corps, de la première messe,<br />

On ne sait ce que c'est que d'être bien portant.<br />

On se sait <strong>un</strong> vivant, oui, mais de quelle espèce ?<br />

Ne reconnaissant plus ce vieux fils d'<strong>un</strong>e femme,<br />

Les médecins ont pris son encéphalogramme,<br />

Et le signal a dit : « Ça ne va pas très fort. »<br />

Ne pouvant plus manger, ayant <strong>un</strong> regard vide,<br />

L'homme de cent vingt ans est hélas trop timide<br />

Pour oser demander qu'on débranche son corps.<br />

<strong>un</strong>e amnésie<br />

­­ Si j'allais devenir <strong>un</strong> vieillard amnésique,<br />

Mes mains se souviendraient de certaines rondeurs ;<br />

Puis j'entendrais parfois le tonnerre grondeur<br />

Et je demanderais de qui est la musique.<br />

Amis, ne prenez pas ce symptôme au tragique,<br />

Même s'il dévastait ma vie en profondeur,<br />

Si ma voix devenait celle d'<strong>un</strong> répondeur<br />

N'ayant que rarement des accents poétiques.<br />

­­ Rimeur, comment sais­tu, vraiment, ce qu'il en est<br />

De ce que pour fléau, partout, on reconnaît ?<br />

De ce qui nous désole et qui nous désespère ?<br />

Je n'ai pas là­dessus <strong>un</strong> regard médical ;<br />

Ce que j'ai pu savoir, quant à moi, de ce mal,<br />

C'est l'autre soir à table, en observant mon père.


Homme de cent mille ans<br />

On n'est pas sérieux quand on a cent mille ans.<br />

Un Néanderthalien sans quartiers de noblesse<br />

Dans <strong>un</strong> glacier alpin a dormi tout ce temps,<br />

Grâce au réchauffement, il sort, il se redresse<br />

Et vient déambuler par les bois et les champs.<br />

Aux passants qu'il rencontre, il demande sans cesse<br />

S'il reste de son groupe <strong>un</strong> peu de survivants.<br />

Quand on lui dit que non, il n'est pas en détresse :<br />

« Mon peuple a disparu, mais ce n'est pas <strong>un</strong> drame ;<br />

Je vais chez les nouveaux me choisir <strong>un</strong>e dame<br />

Avec qui ce sera à la vie, à la mort. »<br />

Jetant son dévolu sur quelqu'<strong>un</strong> de timide,<br />

Le Néanderthalien ne fera pas d'hybrides :<br />

Un juge Cro­Magnon a tranché sur son sort.<br />

Homme de cinquante ans<br />

On n'est pas sérieux quand on a cinquante ans,<br />

N'étant plus agité des passions de je<strong>un</strong>esse,<br />

Ne brûlant presque plus, aimant l'amour, pourtant,<br />

N'ayant plus trop le goût de tenir des promesses.<br />

On se dit que bientôt arrivera le temps<br />

Des premiers petits chocs de déclin, de vieillesse,<br />

On dit « ne craignons rien, ce n'est pas important »,<br />

On s'enfonce <strong>un</strong> peu plus en ignoble paresse.<br />

Et puis on est scotché par <strong>un</strong>e voix de femme,<br />

Et sans l'avoir prévu voilà qu'on vit <strong>un</strong> drame,<br />

Et l'on se dit « pourquoi ne suis­je déjà mort ? »<br />

Ne pouvant plus parler, contemplant le ciel vide,<br />

L'homme de cinquante ans, dont le coeur est limpide,<br />

Bestiau pour l'abattoir, se résigne à son sort.


Homme de deux mille ans<br />

On n'est pas sérieux quand on a deux mille ans,<br />

Le fils du charpentier, dont la mère est princesse<br />

Des royaumes humains, les a fêtés, pourtant.<br />

Le pape en son honneur a fait dire <strong>un</strong>e messe.<br />

L'homme de deux mille ans, ce monde visitant,<br />

Le trouve sans amour, sans joie et sans noblesse.<br />

Ceux mêmes qui de lui se disent militants,<br />

Quand il voit comme ils sont, ça l'use et ça le blesse.<br />

Ne reconnaissant plus, dans ce primate infâme,<br />

Adam par lui sauvé, le sauveur perd sa flamme.<br />

Il se dit : « J'aurais dû laisser, coquin de sort,<br />

Ces humains sans aveu à leur monde putride ».<br />

L'homme de deux mille ans s'en retourne, placide,<br />

Vers son lointain royaume, et plus jamais n'en sort.<br />

Homme de huit mille ans<br />

On n'est pas sérieux quand on a huit mille ans.<br />

Adam a vu passer les sages de la Grèce,<br />

L'empire des Romains, les peuples combattants,<br />

Les enfants de Caïn qui plus que lui transgressent.<br />

Il croit que la nature allait mieux, de son temps,<br />

Que l'on pouvait bien vivre en logis de paresse,<br />

Que, sans nul médecin, on était bien portant ;<br />

Et que la paix régnait au sein de notre espèce.<br />

Regrette­t­il d'avoir apprivoisé la flamme<br />

Et d'avoir au péché accompagné sa femme ?<br />

Non, (dit­il), l'Ecriture avait fixé mon sort ;<br />

La condition humaine est <strong>un</strong> sursaut du vide.<br />

L'homme de huit mille ans, dont l'esprit est lucide,<br />

Contemple de ses fils le lamentable effort.


<strong>un</strong>e soirée parisienne<br />

On s'est pris l'apéro, bien contents de se voir,<br />

Parlant de poésie et de vie quotidienne.<br />

Puis on s'est déplacés, avant que la nuit vienne,<br />

Traversant le jardin du Luxembourg, le soir.<br />

Dans <strong>un</strong>e brasserie, on est allés s'asseoir<br />

Pour savourer des plats de cuisine à l'ancienne,<br />

Buvant de petits vins faits pour qu'on s'en souvienne.<br />

On en est repartis avant qu'il ne fît noir.<br />

Au retour, on longea le jardin endormi,<br />

Déjà le boulevard ne vivait qu'à demi ;<br />

On atteignit la gare à vingt­deux heures trente.<br />

J'ai voulu raconter ces modestes plaisirs :<br />

Je sais qu'en cette vie, nos meilleurs souvenirs<br />

Sont ainsi, fugitifs, telle <strong>un</strong>e brume errante.<br />

Une hibernation<br />

Or, certains jours sont beaux, au milieu de l'hiver,<br />

Déjà, chac<strong>un</strong> d'entre eux est plus long que la veille ;<br />

D'<strong>un</strong> petit souffle tiède, <strong>un</strong> chac<strong>un</strong> s'émerveille<br />

Et fait confiance au cycle animant l'<strong>un</strong>ivers.<br />

Silencieux et pensif devant <strong>un</strong> bourgeon vert,<br />

Ou quand l'oiseau chanteur en plein frimas s'éveille,<br />

Ou quand bourdonne <strong>un</strong> peu <strong>un</strong>e dormante abeille,<br />

Je ne sais pas montrer ces choses dans mes vers.<br />

Je ne sais pas montrer l'attente, la langueur,<br />

La tiédeur des instants qui traînent en longueur,<br />

Les mots de réconfort que murmure la brise.<br />

Je ne veux pas montrer l'ambiance de bureau,<br />

Où l'humour fait le tour de son degré zéro,<br />

Sur fond de résultats dignes de l'entreprise.


le noircissement des pages<br />

­­ Pages qu'ici et là j'ai voulu mettre en ligne,<br />

Qu'apportez­vous au monde ? ­­ Oh, rien de très nouveau,<br />

Nous ne présentons pas de superbes travaux,<br />

Nous sommes d'attention distraite, à peine dignes.<br />

Mais pourquoi ton papier à la blancheur de cygne<br />

Doit­il être marqué du noir de ton stylo ?<br />

Tes vers de chaque jour, tu les vends au kilo ?<br />

Dans <strong>un</strong>e librairie, au public tu les signes ?<br />

­­ Je ne vends pas de texte et je ne me vends pas ;<br />

Un air souvent me vient quand je fais quelques pas,<br />

Auquel, à l'occasion, j'assemble des paroles.<br />

J'écris comme <strong>un</strong> taulard qui ne dort pas la nuit,<br />

Comme <strong>un</strong> vieux boulanger pendant que son pain cuit,<br />

Comme <strong>un</strong> petit enfant qui s'ennuie à l'école.<br />

Charles Best<br />

Pâle reine des nuits où règne le silence,<br />

Tu fais de l'océan sourdre <strong>un</strong> flot colossal,<br />

Lui qui, aussi longtemps que dure ta présence,<br />

De ses plus hautes eaux se fait ton fier vassal.<br />

Quand le vaisseau l<strong>un</strong>aire a pris trop d'altitude,<br />

Quand il s'est enfui loin des grands flots écumants,<br />

L'océan à grands flots pleure sa solitude,<br />

Et de ses basses eaux il marque son tourment.<br />

Toi qui as dans mon coeur fait brûler la passion,<br />

De te chérir, j'avais douce réjouissance,<br />

Et dans les basses eaux de la séparation<br />

De précédents retours m'aide la souvenance.<br />

Retours, éloignements sont choses qui arrivent,<br />

Hautes et basses eaux en mon coeur s'entresuivent.


Pandore<br />

Pandore, ouvrant la boîte, a déchaîné les maux.<br />

Seule, ne sortant pas, nous resta l'Espérance ;<br />

Mais nous ne savons pas expliquer sa présence<br />

Au milieu des fléaux. On nous dit que ce mot,<br />

"Espérance", est mal dit, qu'il faut penser plutôt<br />

A <strong>un</strong>e vaine attente, à la folle puissance<br />

De l'imagination qui fait que lorsqu'on pense<br />

Au mal qui va venir, on en souffre trop tôt.<br />

Moi je sais que l'amour est surtout <strong>un</strong> espoir,<br />

Que loin dans l'avenir on ne peut jamais voir,<br />

Que dans le désespoir nous espérons encore.<br />

Et si nous revenions à ce temps d'autrefois<br />

Pour vivre cette histoire <strong>un</strong>e nouvelle fois,<br />

Alors je rouvrirais la boîte de Pandore.<br />

Le ciel<br />

Parce qu'il a parlé au meurtrier d'Abel,<br />

On croit que le ciel parle. Incertaine est la chose.<br />

Sur des récits anciens nos convictions reposent,<br />

Sans réponse, souvent, sont restés nos appels.<br />

Et l'épouse de Lot, changée en tas de sel,<br />

(L'histoire est racontée en excellente prose),<br />

Prodiges d'autrefois venant plaider la cause<br />

D'<strong>un</strong> tout­puissant Seigneur, parfois <strong>un</strong> peu cruel...<br />

Je comprends que toujours, des apprentis prophètes<br />

Abreuvant de sacré leur âme stupéfaite<br />

Veulent répercuter les divines rumeurs ;<br />

Mais je ne cherche pas, dans le temps qui me reste,<br />

A recevoir l'avis d'<strong>un</strong> messager céleste :<br />

Je me contenterai de mes mots de rimeur.


<strong>un</strong> terrain vague<br />

Parfois, <strong>un</strong> terrain vague est beau comme <strong>un</strong> jardin,<br />

C'est ce que veut penser mon âme nonchalante<br />

Qui n'a jamais rien su de terre ni de plantes,<br />

Et ne sait progresser que par des bonds soudains.<br />

Plaisir de ne rien faire au soleil du matin,<br />

Quand l'astre dans le ciel poursuit sa course lente<br />

Jusqu'à rendre à midi l'atmosphère brûlante,<br />

Et moi je suis à l'ombre, avec <strong>un</strong> verre en main.<br />

Laissez­moi végéter au coeur de cette friche,<br />

Je n'aime jamais rien de ce qu'aiment les riches.<br />

Je bois du vin, j'écris, je médite et je dors.<br />

Un soir je m'éteindrai, c'est la suprême ivresse.<br />

Nul ne m'accusera d'avoir trop de sagesse,<br />

J'en avais juste assez pour accueillir la mort.<br />

<strong>un</strong>e nuit de juillet<br />

Partager l'insomnie, partager <strong>un</strong> sourire,<br />

Même si ce n'est pas bien longtemps ni souvent,<br />

C'est comme naviguer, poussés d'<strong>un</strong> même vent,<br />

Trouver d'<strong>un</strong> même coeur le meilleur et le pire.<br />

C'est <strong>un</strong> accord qui semble impossible à construire ;<br />

Qui dira comme on tremble, <strong>un</strong> jour, en le trouvant ?<br />

Mais dans <strong>un</strong> <strong>un</strong>ivers chaotique et mouvant,<br />

On craint de ne pouvoir nulle part le conduire.<br />

Qu'il nous suffise alors d'<strong>un</strong> seul instant nocturne<br />

Chaque fois qu'au zénith on voit briller Saturne !<br />

Pour ce fatal instant, ce monde est advenu.<br />

J'entends sonner le glas, au clocher d'<strong>un</strong>e église,<br />

De ce timide amour qui n'était pas de mise,<br />

Mais je n'ai nul regret de m'y être perdu.


Merci pour ton sourire<br />

Pas de plus fort poison dans l'<strong>un</strong>ivers,<br />

J'en avais fait cependant mon breuvage.<br />

J'étais au point d'y perdre mon langage ;<br />

J'allais cherchant mes mots tout <strong>un</strong> hiver<br />

Et au printemps qu'arbres se refont verts,<br />

Et que d'Amour <strong>un</strong>e saison sauvage<br />

A propagé le feu dans ces parages,<br />

Amour que j'ai, alors, redécouvert.<br />

J'ai célébré chac<strong>un</strong> de tes retours.<br />

Plus fort que moi se montrait cet amour<br />

Sous le soleil et sous la l<strong>un</strong>e claire.<br />

Toujours tes mots faisaient chanter mes mots,<br />

Et c'est ta voix qui soulageait mes maux,<br />

Tendre princesse aux yeux crépusculaires.<br />

le serpent<br />

Petit prince, sur Terre, <strong>un</strong>e dernière fois,<br />

Tu puises de l'eau fraîche et, calmement, tu bois.<br />

Peu s'en faut désormais que le sable n'accueille<br />

La chute de ton corps léger comme <strong>un</strong>e feuille.<br />

Etait­ce <strong>un</strong> sage avis d'avoir recours à moi ?<br />

Même <strong>un</strong> coeur de reptile, imperturbable et froid,<br />

Ne peut que se serrer quand l'<strong>un</strong>ivers s'endeuille<br />

D'<strong>un</strong> enfant comme toi. Prince, je me <strong>recueil</strong>le.<br />

Si j'avais dû piquer <strong>un</strong> trop vieil aviateur<br />

Ayant perdu l'espoir et cassé son moteur,<br />

J'aurais dit « Cette mort n'est point la pire chose ».<br />

Mais je sais que tu es tout ce qu'il y a de vif<br />

Et que tu as voulu ce sort définitif<br />

Pour rien, pour moins que rien, pour l'amour d'<strong>un</strong>e rose.


mes mots dans tes mots<br />

Plus que toi, plus que moi, notre amour voudrait vivre.<br />

Si nous lui refusons nos textes et nos voix,<br />

Il parle à nos deux coeurs lorsque nul ne nous voit,<br />

Il va dans ta musique et au long de mes livres.<br />

Si pour <strong>un</strong> bref instant l'<strong>un</strong> de nous le délivre,<br />

Il garde le pouvoir et prend force de loi<br />

Et son commandement ne nous laisse auc<strong>un</strong> choix,<br />

Et cela jusqu'au point que nos deux coeurs sont ivres.<br />

Et puis il faut dormir, et vient le lendemain,<br />

On redevient sérieux, on se reprend en main,<br />

Aux violentes passions on accorde <strong>un</strong>e trêve.<br />

Mais quand revient le soir, et quand sonne minuit<br />

Et que le lourd sommeil a dissous les ennuis,<br />

Ta voix me dit des mots illuminant mes rêves.<br />

la grandeur du ciel<br />

Pour féconder le sol, il faut que le ciel pleure.<br />

Mais le ciel pleure, ou rit, en se moquant du sol,<br />

Que le vivant exulte, ou qu'il manque de bol,<br />

Ça ne dérange pas l'entité supérieure.<br />

Il n'a rien à cirer des vermines mineures.<br />

Quand <strong>un</strong>e envie lui prend, il n'y met nul bémol,<br />

Et chac<strong>un</strong> peut souffrir, je<strong>un</strong>e ou vieux, sage ou fol,<br />

Le ciel n'a nul souci que l'homme vive ou meure.<br />

Mais le primate humain aime tant voir le ciel<br />

Qu'il veut lui conserver cet air providentiel<br />

Dont l'avaient affublé nos religieux ancêtres.<br />

Et le voilà lançant au ciel des rogations,<br />

Des formules, des sorts et des imprécations...<br />

Le ciel, majestueux, persiste dans son être.


la lumière diurne et nocturne<br />

Pour observer <strong>un</strong> astre, il faut s'en tenir loin ;<br />

L'éclairer d'<strong>un</strong>e lampe est d'ailleurs impossible.<br />

Pour ta méditation, c'est <strong>un</strong>e bonne cible :<br />

Propice y est le jour, la nuit ne l'est pas moins.<br />

Ici, d'<strong>un</strong> sens logique, il n'est auc<strong>un</strong> besoin.<br />

Ce que tu dois savoir est pleinement visible,<br />

Du moins pour qui regarde avec <strong>un</strong> coeur sensible,<br />

Qu'<strong>un</strong> trait anecdotique, aussi, n'égare point.<br />

En restant concentré sur les causes premières,<br />

Tu finis par baigner dans leur blanche lumière.<br />

Dans chaque astre tu vois l'image de ton coeur ;<br />

Ce qui est essentiel se discerne sans peine.<br />

Même si sa planète est petite et lointaine,<br />

Le prince a dans ses yeux le reflet de la fleur.<br />

le déterminisme<br />

Pour qui n'a plus de voix, puisse rester le rire,<br />

Qui même aux jours obscurs se montre salvateur.<br />

Le fils du charpentier, en proie au tentateur,<br />

Usa de son humour pour échapper au pire.<br />

J'aime trop Cupidon pour vouloir le maudire,<br />

Il fit parfois de moi presque <strong>un</strong> bon orateur ;<br />

Devenir son esclave, ou son adorateur ?<br />

Il ne m'est pas permis d'être sous son empire.<br />

Mon esprit est tenu par ses engagements,<br />

Comme <strong>un</strong> astre accomplit sa course au firmament<br />

Sans jamais se donner l'illusion d'être libre.<br />

Ma vie, au quotidien, suit son tranquille cours,<br />

Un peu de poésie convient à mes discours,<br />

Mais sans aller jusqu'à troubler mon équilibre.


***<br />

Pourtant l'apôtre Paul prétend qu'au paradis,<br />

Les corps que nous aurons seront très purs et chastes ;<br />

Je ne peux m'empêcher de trouver ça néfaste,<br />

Préférant le néant à <strong>un</strong> corps affadi.<br />

Ah, mais peut­être Paul ne sait pas ce qu'il dit.<br />

Chastes seront surtout les prêtres de sa caste<br />

Qui se sont entraînés, comme font les gymnastes,<br />

A maîtriser leur corps, <strong>un</strong> animal maudit.<br />

Et nous, ayant vécu les plaisirs ordinaires,<br />

Nous les retrouverons en ces lieux f<strong>un</strong>éraires,<br />

Tels nous serons là­haut que nous avons été.<br />

Ou bien, nous serons morts, sans substance et sans âme :<br />

Sitôt le feu éteint, rien ne reste des flammes,<br />

L'hiver de notre vie ne va pas vers l'été.<br />

la fidélité<br />

Presque tous, nous savons comment dire « Je t'aime »,<br />

Ce n'est pas laborieux, ce n'est pas compliqué ;<br />

Il faut, pour que ce mot puisse nous impliquer,<br />

Le dire en étant libre et fidèle à soi­même.<br />

Ou alors, il est là pour orner <strong>un</strong> poème,<br />

Et cet usage­là n'est pas contre­indiqué.<br />

Souvent les vers sont faits pour nous comm<strong>un</strong>iquer<br />

La saveur du désir, c'est <strong>un</strong> excellent thème.<br />

Aimer, ce sont des voix qui de loin s'apprivoisent,<br />

Messages échangés, souffles qui s'entrecroisent,<br />

Quelques débordements aux essors incertains.<br />

Mais aimer dans la vie, c'est être responsable ;<br />

Et donc ne pas aller s'endormir sur le sable,<br />

Quand la rose languit sur son astre lointain.


Anonyme italien<br />

Par che l'angel, la stella, il sol, la l<strong>un</strong>a<br />

Col mondo, et chi con lui di viver brama,<br />

Odiano la beltà, che il cielo ad<strong>un</strong>a<br />

Nel viso altier de la signora Mama.<br />

Puisque l'ange et l'étoile et que soleil et l<strong>un</strong>e<br />

Et le monde et ceux qui là veulent exister<br />

Détestent le présent du ciel, que la beauté<br />

Noble de notre Dame autant les import<strong>un</strong>e,<br />

Forsi per esser tra le Dee queste <strong>un</strong>a<br />

Che lor spogli del ben, che 'l valor ama,<br />

O pur, per che ne morte, o ria fort<strong>un</strong>a<br />

Dal fermo suo voler maj la richiama:<br />

Soit qu'en étant déesse (autant qu'il en fut <strong>un</strong>e)<br />

Elle leur prend leur bien et leur chère fierté,<br />

Ou que ni par la mort ni l'incommodité<br />

A son ferme vouloir il n'est mis de lac<strong>un</strong>e:<br />

però dee creder fermamente ogn<strong>un</strong>o<br />

Ch'<strong>un</strong> spirtito malvagio habbia costej<br />

Supposta solamente al Bagattino<br />

Apparemment chac<strong>un</strong> ici s'en va croyant<br />

Que dedans cette dame est esprit malveillant<br />

Par le mauvais jongleur surpassé seulement;<br />

Per poter dire i buoni tarocchi mej<br />

Saran, s'avien ch'io giuochi, et questi <strong>un</strong>o<br />

Vo trare il Matto ch'è cervel divino.<br />

Pour me pouvoir tirer dès lors <strong>un</strong> bon tarot,<br />

En choisissant je veux me tenir à carreau:<br />

Je tirerai le Mat, divin entendement.


pique­nique des libellules.<br />

Prévert offre <strong>un</strong> festin à quelques libellules.<br />

Il leur sert <strong>un</strong>e esquisse, <strong>un</strong>e immobile fleur,<br />

La cendre d'<strong>un</strong> cigare, <strong>un</strong> crayon de couleur,<br />

L'os du moindre souci, la peau d'<strong>un</strong>e virgule,<br />

La sainte trinité coincée dans <strong>un</strong>e bulle,<br />

Le latin, le sanscrit et le grec sans douleur,<br />

Une âme de gendarme, <strong>un</strong> grand coeur de voleur,<br />

Deux entretiens publics et trois conciliabules,<br />

Bouddha au pied d'<strong>un</strong> arbre et son vaillant cochon,<br />

Les dix commandements brodés sur <strong>un</strong> torchon,<br />

Une licorne pure, <strong>un</strong> éléphant mystique,<br />

Un savoureux costume, <strong>un</strong> sonnet farfelu...<br />

Mais <strong>un</strong>e libellule a dit : « N'en jetez plus,<br />

Tout ce que nous voulions, c'est manger des moustiques ».<br />

La femme du charpentier<br />

Quand Gabriel a dit : « Marie, tu seras mère »,<br />

Tu compris que ton fils irait à triste mort,<br />

Et tout en acceptant l'inacceptable sort,<br />

Ton coeur versa sur lui des larmes très amères.<br />

Puis tu l'as fait grandir d'<strong>un</strong>e vie de lumière,<br />

Lui montrant qu'on ne doit à nul causer de tort,<br />

Que pour dire le vrai il faut parler bien fort,<br />

Sans trop se montrer tendre à ce corps de poussière.<br />

Puis tu l'as vu marcher sur les humbles sentiers,<br />

Et les prêtres doutaient qu'<strong>un</strong> fils de charpentier<br />

Ait droit de célébrer les divins sacrifices.<br />

Enfin, parmi la foule, à son exécution,<br />

L'effroi gagnant ton âme en noire perdition,<br />

Tu l'as vu, transpercé, sur les bois de justice.


les licornes<br />

Quand la licorne blanche a fait <strong>un</strong> camembert,<br />

Ce fut pour en offrir à <strong>un</strong> vieux roi barbare ;<br />

La reine, apprenant ça, sévèrement déclare<br />

L'exil de la licorne en <strong>un</strong> lointain désert.<br />

Puis la licorne rouge a composé des vers<br />

Qu'elle chante en grattant sa petite guitare.<br />

Et la reine a conduit la licorne à la gare,<br />

Lui faisant prendre <strong>un</strong> train pour le diable vauvert.<br />

Mais la licorne bleue s'en alla dans les d<strong>un</strong>es,<br />

La licorne arc­en­ciel s'envola vers la l<strong>un</strong>e,<br />

De licorne au royaume il ne va plus rester.<br />

Regardons de plus près le portrait de la reine :<br />

Ce n'est pas <strong>un</strong>e vouivre, et pas <strong>un</strong>e sirène,<br />

C'est la licorne rose en grande majesté.<br />

le chant du cygne<br />

Quand le fil de ma vie ne m'inspirera plus<br />

Le plaisir quotidien de tracer quelques lignes,<br />

Ou que d'y renoncer j'aurai reçu consigne,<br />

Je songerai encore aux instants révolus.<br />

Les tourments, les plaisirs, voulus et non voulus,<br />

Trace n'en restera que ces milliers de signes.<br />

Hélas, si d'<strong>un</strong> tel jeu mon chant s'est montré digne,<br />

A bien m'en souvenir me voici résolu.<br />

Puis, on n'est sûr de rien. Dans les mois qui vont suivre,<br />

Qui sait quelles passions nos coeurs nous feront vivre<br />

Et chanter dans nos vers, avec ou sans raison ?<br />

Donc, même lorsqu'il faut terminer <strong>un</strong>e page,<br />

C'est la fin d'<strong>un</strong>e étape, et non pas du voyage :<br />

Car les routes jamais n'atteignent l'horizon.


<strong>un</strong> apprivoisement<br />

Quand le prince a choisi de quitter sa planète,<br />

Il a dit à la fleur « Je pars avec amour ».<br />

Il ne pouvait savoir quand serait son retour,<br />

Son trajet n'était pas bien tracé dans sa tête.<br />

Il ne savait de quoi il s'en allait en quête.<br />

Du système solaire il n'a pas fait le tour,<br />

Et son corps sur la terre était beaucoup plus lourd<br />

Que sur son sol natal ou sur <strong>un</strong>e comète.<br />

Donc, lorsqu'il entendit le propos du renard,<br />

Il a compris le sens, avec bien du retard,<br />

De l'apprivoisement, <strong>un</strong> mutuel baptême.<br />

La deuxième leçon fut celle du serpent,<br />

Maître à la vraie grandeur, même s'il est rampant :<br />

Et son souffle dernier porta les mots « Je t'aime ».<br />

le prince<br />

Quand le serpent a cru à l'amour de la rose,<br />

Il a, envers le prince, usé de son pouvoir,<br />

Endormant cet enfant qui au désert repose<br />

Et que ne trouble plus la lumière du soir.<br />

D'<strong>un</strong> amour impossible à souffrir je m'expose,<br />

Mais il n'est nul serpent que je puisse aller voir<br />

Pour obtenir de lui la salutaire dose<br />

Par quoi je vous dirais à tous <strong>un</strong> au revoir.<br />

Je dois mener ainsi ma vie sur cette terre,<br />

Je veux te consoler, princesse solitaire,<br />

Mais plus je veux le faire et moins je sais comment.<br />

Si quelqu'<strong>un</strong> m'avait dit autrefois cette histoire,<br />

Je n'aurais pas été capable de la croire...<br />

Tant de douceur pourtant au coeur de ce tourment.


se rencontrer sans se rencontrer<br />

Quand Marie­Madeleine a vu l'homme au jardin,<br />

Inconnu, semble­t­il ; et le sépulcre vide,<br />

Dans ces temps qui avaient cessé d'être limpides,<br />

L'air lui parut plus froid dans le froid du matin.<br />

Puis elle a reconnu le doux visage humain<br />

Qu'avait défiguré le supplice homicide.<br />

Alors qu'elle esquissait <strong>un</strong> geste fort timide,<br />

Elle entendit ces mots : « N'approche pas ta main ».<br />

Que répondre à cela, rien, selon l'Ecriture,<br />

Le Christ avec douceur dit des paroles dures,<br />

Du Père il accomplit l'auguste volonté.<br />

Elle caresse alors, de son regard modeste,<br />

L'homme qui appartient au royaume céleste<br />

Où dans quarante jours il devra remonter.<br />

Elizabeth Barrett Browning<br />

Quand ton âme et la mienne, au maintien fier et fort,<br />

Se confrontent sans bruit, si peu d'espace entre elles<br />

Qu'<strong>un</strong>e flamme s'allume aux courbes de leurs ailes,<br />

Qui donc sur cette terre irait nous porter tort<br />

Et nous priverait d'<strong>un</strong> mutuel réconfort ?<br />

Comprends. Si nous partions en course ascensionnelle,<br />

Les anges avec leur louange obsessionnelle<br />

Imposeraient leur chant qui sonne en éclats d'or<br />

A notre cher silence. Attardons­nous ici,<br />

Amour, sur cette terre où les humeurs mauvaises<br />

Des humains n'osent pas infliger de souci<br />

Aux amoureux esprits qui s'isolent, s'apaisent<br />

Et s'aiment tout <strong>un</strong> jour dans le <strong>recueil</strong>lement,<br />

Quand l'ombre de la mort noircit leur firmament.


<strong>un</strong> zodiaque<br />

Qu'as­tu vu dans le ciel, camarade astrologue ?<br />

­ J'ai vu <strong>un</strong> gros mouton qui maudissait l'hiver,<br />

Puis j'ai vu <strong>un</strong> taureau qui écrivait en vers,<br />

J'ai surpris des jumeaux et capté leur dialogue,<br />

J'ai vu <strong>un</strong> crustacé disant des apologues,<br />

J'ai vu <strong>un</strong> lion prêchant au milieu du désert,<br />

J'ai vu la demoiselle usant de mots pervers,<br />

J'ai vu <strong>un</strong>e balance ornée d'<strong>un</strong> décalogue ;<br />

J'ai vu <strong>un</strong> noir scorpion dessiner sur le sable<br />

Et j'ai vu <strong>un</strong> centaure aux flèches redoutables,<br />

J'ai vu <strong>un</strong> capricorne au langage qui ment,<br />

J'ai vu <strong>un</strong> échanson qui dansait sous la l<strong>un</strong>e,<br />

Et j'ai vu des poissons qui déchiffraient des r<strong>un</strong>es.<br />

­ Il faudra nettoyer, <strong>un</strong> soir, ton instrument.<br />

Réponse à <strong>un</strong> appel<br />

Que jamais ces appels ne perdent leur élan,<br />

Que ceux qui vers le mur ont leur face dormante<br />

Et veulent t'ignorer quand la vie te tourmente<br />

Sursautent dans leur songe, et s'aillent réveillant !<br />

La poésie est là pour montrer le bilan<br />

D'<strong>un</strong>e vie adonnée aux craintes alarmantes,<br />

La poésie n'est pas <strong>un</strong> <strong>recueil</strong> de charmantes<br />

Fables pour amuser, dans le soir, nos enfants ;<br />

Vieux comme le langage est le curieux métier<br />

De travailler les mots comme sur <strong>un</strong> chantier,<br />

Dans le délire et dans les peines éternelles.<br />

Ton poème chargé de révolte et de cris,<br />

Il doit être entendu, pas seulement compris ;<br />

Que se porte vers toi <strong>un</strong>e main fraternelle...


Un conteur<br />

Que suis­je, <strong>un</strong> archiviste, <strong>un</strong> vieux conteur, <strong>un</strong> barde ?<br />

J'aime juste parler des choses que je vois,<br />

J'aime écouter le son que fait ma propre voix,<br />

Ou sourire aux amis qui mes textes regardent.<br />

C'est pourquoi dans le soir au bureau je m'attarde<br />

Qu'avant l'heure pourtant j'ai quitté maintes fois.<br />

Je pourrais composer des sonnets sous mon toit,<br />

Si j'habitais encore <strong>un</strong>e étroite mansarde.<br />

Mais je mène la vie d'<strong>un</strong> père de famille,<br />

Ainsi mon agenda de minuties fourmille<br />

Et chez moi j'aurais peine à tracer quelques mots.<br />

Donc à mon employeur ira ma gratitude<br />

Qui me laisse parfois <strong>un</strong> peu de latitude<br />

Pour évoquer les chats, et d'autres animaux.<br />

Que vienne cet automne<br />

Que vienne cet automne, et que nos amours mortes<br />

Dans le fond de nos coeurs deviennent souvenirs.<br />

Les jours seront plus courts, et moins forts nos désirs,<br />

Et sur notre chagrin nous fermerons nos portes.<br />

Et l'automne a ses fleurs, mais au fond, peu importe :<br />

Rien n'oblige à les voir, rien n'oblige à sortir,<br />

Ni à voir les oiseaux qui vont bientôt partir<br />

Où le grand vent du Nord vivement les emporte.<br />

Que dans nos deux jardins poussent les mêmes fleurs,<br />

Ou qu'il n'y en ait pas deux de la même couleur,<br />

L'automne très bientôt tuera leur corps qui tremble.<br />

Une fleur aplatie aux pages d'<strong>un</strong> roman,<br />

Au printemps revivrait ? Je ne vois pas comment.<br />

Pourtant, je sens sa vie dans mon coeur, il me semble.


La plume<br />

Qui dira les pouvoirs d'<strong>un</strong>e vibrante plume<br />

Quand la partie adverse est imprégnée d'écume<br />

Quand les corps sur le lit sont des bestiaux qui fument<br />

Coeur contre coeur battants deux silex qui s'allument<br />

Puis la plume devient la pénétrante lame<br />

Qui s'introduit au fond d'<strong>un</strong> volcan plein de flammes<br />

Dans l'écho des deux voix qui leur bonheur proclament<br />

Tandis que dans les airs des anges les acclament<br />

Oubliant cette vie oubliant nos problèmes<br />

Perdus dans cette danse en forme de poème<br />

Devenant de l'amour le composite emblème<br />

Soudain quand nos deux corps ne trouvent plus la rime<br />

Ils quittent à regret les rivages sublimes<br />

Tremblant à l'<strong>un</strong>isson dans <strong>un</strong> soupir ultime<br />

<strong>un</strong> coeur oisif<br />

Qu'il fait bon ne rien faire au long des jours d'été !<br />

Soit que le ciel s'attriste, ou bien qu'il s'ensoleille,<br />

Soit que l'esprit s'agite, ou bien qu'il s'ensommeille,<br />

Que le corps soit assis, ou sur ses pieds planté.<br />

Moins de dossiers à voir, d'affaires à traiter,<br />

Je peux dans mon jardin observer les abeilles<br />

Ou me désaltérer du nectar de la treille,<br />

Cultivant ma langueur et mon oisiveté.<br />

Oisif aussi sera ce qui me sert de coeur,<br />

Mais je n'y songe pas avec trop de rancoeur,<br />

Doux comme la passion en seront les vestiges.<br />

Restent trois mots écrits, rangés dans <strong>un</strong> tiroir,<br />

Reste <strong>un</strong> peu d'émotion dans la douceur du soir,<br />

Et parfois, dans la nuit, <strong>un</strong> semblant de vertige.


les caresses<br />

Qui sait où sont les racines du vent ?<br />

D'où vient sa vie ? Du ciel ou de la terre ?<br />

L'arbre cherchait la clef de ce mystère,<br />

Aimant ce corps invisible et vivant.<br />

Mais lui, le vent, se demandait souvent<br />

Comment peut vivre <strong>un</strong> arbre solitaire,<br />

Presque toujours occupé à se taire...<br />

Que contenait ce silence éprouvant ?<br />

L'arbre et le vent, de leurs mots poétiques,<br />

Ont tissé leur dialogue fantastique ;<br />

Et mon sonnet ne sait pas l'imiter.<br />

On dit qu'après le coucher du soleil<br />

Ils ont goûté <strong>un</strong> plaisir sans pareil...<br />

Mais dans <strong>un</strong> temps quelque peu limité.<br />

Ronsard<br />

Quand vous brûlez les parcs devant votre rondelle,<br />

Vous validez mes vers pour cause de gisant.<br />

Les dignes sentiers ont des bateaux de serment ;<br />

Le cran de leur lambris n'est qu'<strong>un</strong> soin de marelle.<br />

Or, ces taupins qui vont boiteux comme coupelles,<br />

Je les compare aux durs trouvant leur nutriment :<br />

Tel se croyait larron que nous savons savant ;<br />

Que vous fermez, mes pairs, et toi donc, flamme belle.<br />

Si vous les feintez trop, je dis : leur arrogance<br />

Hantera largement le sauveur de Coblence,<br />

Et, croyez­le ou non, le godet du bahut.<br />

Quand reviendra Krishna, noyant les dadaïstes,<br />

Rendez­moi, je vous prie, ma louche de droguiste ;<br />

Alors nous allons tous vous terrasser, perdu !


Chevillard<br />

Récit où le lecteur s'égare,<br />

Et le tailleur perd son chemin...<br />

Récit à la fureur barbare<br />

Enluminant le parchemin.<br />

Narrateur narrant sans amarres,<br />

Et qui se souvient de demain ;<br />

Dénouement dans <strong>un</strong> tintamarre<br />

Entièrement fait à la main.<br />

C'est de l'humour qui tient la route,<br />

C'est hilarant, sans auc<strong>un</strong> doute,<br />

C'est savoureux, mais compliqué.<br />

Et ça foisonne dans les marges<br />

De personnages qui déchargent<br />

Leurs fantasmes alambiqués.<br />

le matin de la résurrection<br />

« Résurrection », disait ce matin le soleil ;<br />

La l<strong>un</strong>e l'avait dit à nos âmes dormantes.<br />

Et pour nous confirmer cette chose étonnante,<br />

Tous les astres du ciel ont quitté leur sommeil.<br />

Mercure a fulguré d'<strong>un</strong> éclat sans pareil,<br />

Antarès a rougi de sa flamme géante ;<br />

Vénus a chuchoté de sa voix innocente<br />

Et Jupiter souri de son oeil de vermeil.<br />

Tout dit « résurrection », la danse des comètes,<br />

Celle d'<strong>un</strong> satellite autour d'<strong>un</strong>e planète,<br />

Et au profond des cieux, le trou noir qui mugit.<br />

Le seul qui n'a rien dit est mon oncle Saturne,<br />

Plus que les autres jours, je le sens taciturne ;<br />

Il sait bien que nul bois de cendres ne surgit.


<strong>un</strong>e révélation matinale<br />

Rêvant d'<strong>un</strong>e interprète en savoureux costume,<br />

Je la vois s'étourdir aux vapeurs de l'encens,<br />

Puis, dans l'obscur du temple à lents gestes dansant,<br />

Flotter dans l'infini comme vole <strong>un</strong>e plume.<br />

Le sens de l'<strong>un</strong>ivers dans mon esprit s'allume,<br />

J'entends battre le coeur de ce cosmos pensant,<br />

Je l'entends prononcer des mots évanescents<br />

Qui font sourire <strong>un</strong> peu les démons dans la brume.<br />

Trois anges vont chanter, pour me faire plaisir,<br />

La touchante saga des ailes du désir,<br />

Gravant dans ma mémoire <strong>un</strong> air impérissable.<br />

Serais­je devenu <strong>un</strong> pareil découvreur ?<br />

Regardant de plus près, je perçois mon erreur :<br />

Quelquefois, le matin, ma cervelle est de sable.<br />

Blue moon<br />

Rien n'est aussi bleu que la l<strong>un</strong>e<br />

Et mon coeur il est explosé<br />

Le jour est comme <strong>un</strong>e nuit br<strong>un</strong>e<br />

On y peut bien mal reposer<br />

Je n'ai pas vécu pour des pr<strong>un</strong>es<br />

A passion fus exposé<br />

Comme il ne peut y en avoir qu'<strong>un</strong>e<br />

La vivre je n'ai pas osé<br />

Dis que c'est <strong>un</strong>e enchanteresse<br />

Moi je la nomme ma princesse<br />

Moi son poisson elle mon eau<br />

Mais je me tais mes mots profanent<br />

Ce bel amour que déjà fane<br />

Le retour à des jours normaux


<strong>un</strong> exorcisme<br />

Sans ces mots, nous irions vers le côté obscur ;<br />

Avec eux, notre mal de vivre se déchaîne.<br />

Or, ne nous dites pas que la chose est obscène :<br />

Un poète a le droit d'écrire sur <strong>un</strong> mur.<br />

Ne dites pas, non plus, que le langage est dur.<br />

Il peut charmer le spleen, et adoucir la peine ;<br />

Il peut mettre <strong>un</strong> sourire aux lèvres d'<strong>un</strong>e reine,<br />

Il peut aider <strong>un</strong> coeur à se rendre plus pur.<br />

Comme <strong>un</strong> petit Poucet jonchant le sol de pierres,<br />

Ou comme <strong>un</strong> pèlerin qui sème des prières,<br />

En les marquant de mots j'ai parcouru ces lieux.<br />

Prends ton temps, toi qui lis, prends ton temps pour les lire,<br />

Il m'a fallu du temps pour savoir te les dire,<br />

Mots venus du profond de mon coeur déjà vieux.<br />

Un miroir obscur<br />

Seul le monde du rêve est toujours accueillant,<br />

Il donne à nos visions des nuances subtiles.<br />

On peut y converser avec de noirs reptiles<br />

Ou parcourir le ciel sur <strong>un</strong> cheval vaillant.<br />

L'esprit peut y mûrir, c'est en se dépouillant<br />

De tout ce qui le met dans des colères viles.<br />

Le corps peut y flâner dans d'éphémères villes<br />

Qui reçoivent le feu de mille astres brillants.<br />

Il faut en revenir, toujours, au bout du compte ;<br />

Le livre refermé sur ce merveilleux conte<br />

Doit s'en aller dormir au profond d'<strong>un</strong> tiroir.<br />

Le rêve avec l'éveil jouant à cache­cache<br />

Engendre des nuées qui deviennent des taches<br />

Sur les sombres écrans nous servant de miroirs.


presque <strong>un</strong>e consolation<br />

Si gris que soit <strong>un</strong> jour, on sait qu'il finira<br />

Et que le lendemain sera joyeux (peut­être).<br />

Ceux qui n'ont aujourd'hui personne dans leurs bras<br />

A l'amour cette année ont chance de renaître.<br />

Or, tant que sous nos pieds la terre durera,<br />

Cultivons l'illusion que nous en sommes maîtres.<br />

Rêvons­en chaque soir dans la douceur des draps,<br />

C'est chose qu'ici­bas chac<strong>un</strong> peut se permettre.<br />

Si d'année en année on y croit <strong>un</strong> peu moins,<br />

Notre espoir diminue et ne disparaît point ;<br />

L'homme est <strong>un</strong> animal abreuvé d'espérance.<br />

Mais quand nous en serons à nos derniers instants,<br />

Quand adieu nous dirons à ce monde inconstant,<br />

Ah, quel soulagement dans cette délivrance !


les cinq éléments<br />

­­ Si j'avais du métal, je ferais <strong>un</strong>e cage<br />

Et le démon aurait du mal à s'en tirer.<br />

­­ Le bois serait pointu pour mieux le déchirer,<br />

Et l'eau peut le noyer de son torrent sauvage.<br />

­­ Le feu fait détaler au loin ses attelages,<br />

Dans ses émanations, il ne peut respirer.<br />

­­ La terre pour nos yeux se couvre d'<strong>un</strong> bocage<br />

Où chante <strong>un</strong> bel oiseau qui se laisse admirer.<br />

­­ Terre qui portes l'herbe à la douceur de laine,<br />

De tes dons, chaque jour, nos assiettes sont pleines,<br />

Douce est ta compagnie dans la lueur du soir.<br />

­­ Aux autres éléments soyons pourtant fidèles ;<br />

Sur nos meubles de bois, le feu d'<strong>un</strong>e chandelle,<br />

Un peu d'eau pour la soif, et le fil du rasoir.<br />

Le point Oméga<br />

Si je me trouvais seul au sein de l'<strong>un</strong>ivers,<br />

Je m'en consolerais avec de forts breuvages.<br />

Je me dispenserais d'user de mon langage,<br />

Et je me permettrais d'aller tout nu, l'hiver.<br />

Ou je m'habillerais d'épais feuillages verts,<br />

Poussant de temps en temps <strong>un</strong> hurlement sauvage<br />

Qui ferait déguerpir les bestiaux des parages.<br />

J'exhiberais <strong>un</strong> ventre énorme et découvert.<br />

Vers le premier Adam mon coeur ferait retour,<br />

Ignorant l'amitié, la tendresse et l'amour,<br />

Confiant dans le soleil et dans la l<strong>un</strong>e claire.<br />

Chantonnant des chansons qui n'auraient pas de mots,<br />

Mâchonnant des poisons pour soulager mes maux,<br />

Je serais en ce monde <strong>un</strong> roi crépusculaire.


la peinture chinoise<br />

Si je navigue, c'est pour contempler les eaux.<br />

Je m'assieds sur la rive et renvoie mon bateau,<br />

Je vois sur le talus <strong>un</strong> canard qui somnole<br />

Sous <strong>un</strong> arbre très vieux, parmi les herbes folles.<br />

Quel jardinier nocturne a taillé les roseaux ?<br />

Un poisson étonné le demande aux oiseaux.<br />

Si j'avais mieux appris quand j'étais aux écoles,<br />

Je dirais tout cela en charmantes paroles.<br />

C'est <strong>un</strong> plaisir issu du plus lointain passé<br />

Quand, formant de sa plume <strong>un</strong> vigoureux tracé,<br />

Un poète offre au monde <strong>un</strong>e peinture neuve ;<br />

Mais poète ne suis, rien qu'<strong>un</strong> flâneur oisif,<br />

Et ne peux qu'évoquer, d'<strong>un</strong> passage cursif,<br />

Ces ravissants abords d'<strong>un</strong> vénérable fleuve.<br />

Tartuffe au couvent<br />

Si j'étais confesseur des nonnes carmélites,<br />

J'aurais belle chambrette et ne serais stylite.<br />

La loi m'éviterait les travaux affligeants,<br />

L'ascèse difficile et l'effort dérangeant.<br />

Pour que les filles soient sauvées de la géhenne,<br />

Je disséquerais leur conscience arachnéenne.<br />

J'aurais place en leur coeur, sans moi inhabité,<br />

J'adoucirais de pleurs leur cérébralité.<br />

Je placerais ici ou là quelques caresses<br />

Que l'on excuserait comme des maladresses :<br />

L'eau calme d'<strong>un</strong> couvent n'est jamais sans récifs.<br />

Un confesseur absout même son propre mal,<br />

L'ange ne fait, car il ne veut être animal...<br />

Plaisir que Dieu permet peut­il être nocif ?


Si j'étais <strong>un</strong> oiseau, je serais <strong>un</strong> pluvian<br />

Si j'étais <strong>un</strong> Gaulois, je serais <strong>un</strong> vieux druide ;<br />

Si j'étais quelques vers, je serais <strong>un</strong> sonnet<br />

Si j'étais <strong>un</strong> chapeau, je serais <strong>un</strong> bonnet,<br />

Si j'étais l'Univers, je serais <strong>un</strong> grand vide,<br />

Si j'étais <strong>un</strong> combat, je serais fratricide;<br />

Si j'étais <strong>un</strong> slogan, je serais « je connais »,<br />

Si j'étais <strong>un</strong> cheval, je serais <strong>un</strong> poney,<br />

Si j'étais <strong>un</strong> pays, je serais l'Atlantide.<br />

Si j'étais <strong>un</strong> oiseau, je serais <strong>un</strong> pluvian ;<br />

Si j'étais <strong>un</strong> auteur, je serais Boris Vian,<br />

Si je n'étais de l'eau, je serais de la bière.<br />

Si je n'étais marié, je serais amoureux ;<br />

Si j'étais à manger, je serais savoureux,<br />

Si j'étais <strong>un</strong> trésor, je serais de la terre.<br />

Regardant vers Saturne<br />

Si l'enfer me cuisait d'<strong>un</strong>e ardente chaleur,<br />

J'aurais la nostalgie de ma natale sphère,<br />

Des sentiers forestiers, d'arbres dont la couleur<br />

D'<strong>un</strong> arbre à l'autre, même, en automne diffère.<br />

J'aurais regret d'avoit été fol, sans valeur,<br />

De n'avoir jamais su conduire mes affaires,<br />

Et même de l'enfer la cuisante douleur<br />

Ne pourrait égaler ce regret mortifère.<br />

Ou si, au paradis, j'entendais le message<br />

Des anges chaque jour, faisant de moi <strong>un</strong> sage,<br />

Par ce même regret j'en serais détourné.<br />

Mais je n'ai pas regret que mes pensées nocturnes<br />

Fussent pour <strong>un</strong> amour plus lointain que Saturne,<br />

Telles pensées qu'en vers je ne sais pas tourner.


encore <strong>un</strong> peu de silence<br />

Si nous avons choisi, enfin, de nous déprendre,<br />

Ce n'est pas <strong>un</strong> effet de culpabilité ;<br />

Nous avons pesé nos responsabilités,<br />

Même s'il est besoin pour nous d'encore apprendre.<br />

A <strong>un</strong> bonheur comm<strong>un</strong> nous ne pouvions prétendre,<br />

Aussi proches que soient nos sensibilités,<br />

De l'incendie éteint par la réalité<br />

Ne sont point refroidies les braises ni les cendres.<br />

Et si je ne vois plus danser la moindre flamme,<br />

Les reflets n'en sont pas assombris dans mon âme ;<br />

Trop loin du brasier mort ne saurais m'en aller.<br />

Quand le serpent revient de sa mission cruelle,<br />

Ses enfants demandant si la journée fut belle<br />

Le voient sourire <strong>un</strong> peu, il n'ose leur parler.<br />

la rose<br />

Si responsable fut le prince de sa rose,<br />

Pourquoi la plongea­t­il dans <strong>un</strong> tel désespoir ?<br />

Il ne lui écrivit, ni en vers, ni en prose,<br />

Et sans <strong>un</strong> mot pour elle, il mourut, <strong>un</strong> beau soir.<br />

Qui la voit maintenant, qui la sent, qui l'arrose ?<br />

Seule et vaine elle pousse et fleurit dans le noir,<br />

Au coucher du soleil sa splendeur qui s'expose<br />

S'augmente de ceci, que nul ne peut la voir.<br />

Le cadavre du prince appartient à la Terre<br />

Et son astéroïde à la fleur solitaire<br />

Ecoutant tristement les soupirs des volcans.<br />

Et certains jours encore elle voudrait bien croire<br />

A <strong>un</strong>e autre façon de raconter l'histoire<br />

Et pense « Il reviendra, il reviendra... mais quand ? »


<strong>un</strong> solide platonicien<br />

Sitôt qu'<strong>un</strong>e équation pour le chercheur est belle,<br />

Il peut la transformer, conservant sa beauté.<br />

Les termes rajoutés, transposés ou ôtés<br />

La feront scintiller d'<strong>un</strong>e lueur nouvelle.<br />

Si, au lieu d'équations, ce sont des demoiselles<br />

Dont tu vas admirant les nobles qualités,<br />

Tu ne peux rien changer, donc, tu dois respecter<br />

Toutes celles à qui tu veux être fidèle.<br />

Comme tu as raison de le trouver subtil,<br />

Le parcours de Thésée, même m<strong>un</strong>i du fil<br />

Qu'Ariane a déroulé pour lui avec tendresse ;<br />

Et quant à recevoir d'<strong>un</strong> ami les conseils...<br />

Ah, je te remercie pour <strong>un</strong> honneur pareil,<br />

Mais dans mes propres choix, j'ai bien faible sagesse.<br />

Les cyclopes et les navigateurs<br />

Si vaincre l'on pouvait toute perversité<br />

Rien qu'en laissant pisser <strong>un</strong> cheval dans les ondes,<br />

Comme <strong>un</strong> éden serait notre portion du monde,<br />

Et seraient les nations, empires et cités.<br />

Mais Picrochole est faible en son atrocité,<br />

Comparé aux tyrans de notre époque immonde.<br />

Ils entendent contre eux la révolte qui gronde,<br />

Ils disent que c'est bon pour leur publicité.<br />

Pour quelques temps encore ayons de la patience,<br />

Consolons­nous avec la beauté de la science,<br />

Sachons entretenir la flamme de l'espoir.<br />

Pour chaque Polyphème, il survient <strong>un</strong> Ulysse<br />

Qui sur lui portera sa main dévastatrice,<br />

Et lui retirera son semblant de pouvoir.


<strong>un</strong>e hirondelle<br />

Sous mon toit autrefois revenait l'hirondelle,<br />

J'entendais ses enfants égayer ma maison.<br />

Elle est absente, il faut se faire <strong>un</strong>e raison ;<br />

En ce monde incertain, qui peut être fidèle ?<br />

Sur de vieilles photos, femmes je<strong>un</strong>es et belles,<br />

Qu'en est­il aujourd'hui de votre floraison ?<br />

S'il faut se séparer au bout d'<strong>un</strong>e saison,<br />

C'est que l'été invite à des amours nouvelles.<br />

Tu as mis ta tendresse en ce bel au revoir,<br />

Que tu te portes bien, c'est mon plus grand espoir,<br />

Qu'il y ait près de chez toi <strong>un</strong> chevalier qui t'aime.<br />

Tu as mis dans ma vie des instants merveilleux<br />

Pour lesquels j'aurais cru être déjà trop vieux,<br />

Pour les vers que j'écris, tu es le plus beau thème.<br />

<strong>un</strong>e danseuse<br />

Sous <strong>un</strong>e l<strong>un</strong>e bleue dansait <strong>un</strong>e inconnue,<br />

Elle était je<strong>un</strong>e et pâle, énigmatique et nue,<br />

Le fleuve lui baignait à peine les mollets ;<br />

Tout en la contemplant, mon esprit s'envolait.<br />

On ne m'a jamais dit ce qu'elle est devenue,<br />

Et je ne savais pas d'où elle était venue,<br />

Comment elle vivait, ni ce qu'elle voulait.<br />

Le fleuve sur ses pieds doucement s'écoulait.<br />

Hélas, de ce grand livre il faut tourner les pages<br />

En survolant de loin les plus charmants passages,<br />

Et peu de temps après, il faut le refermer.<br />

La l<strong>un</strong>e reviendra sur ce fleuve paisible,<br />

Et la danseuse aussi, mais plus imprévisible,<br />

Notre esprit, de nouveau, en sera désarmé.


Exercice d'infernologie<br />

Supposons qu'<strong>un</strong> enfer abrite des vivants...<br />

Ils s'y habitueront, puisque la vie est telle<br />

Qu'on s'habitue à tout. Donc, la peine éternelle,<br />

Même si des censeurs trouvent ça décevant,<br />

Se banaliserait. D'accord, c'est énervant.<br />

On peut la rendre aussi chaque jour plus cruelle.<br />

Mais <strong>un</strong> simple calcul sur les différentielles<br />

Nous montre les damnés, méme en ce cas, trouvant<br />

Comme du réconfort à cette augmentation,<br />

Sachant que chaque jour est leur lamentation<br />

Moindre qu'au lendemain. Cette vie infernale,<br />

Où donc la trouve­t­on ? En <strong>un</strong> astre lointain,<br />

En <strong>un</strong> espace­temps au statut incertain ?<br />

Ou, tout simplement, sur notre terre natale ?<br />

Sobriété<br />

Sur le jardin et sur la cour,<br />

Un triste vent d'automne court.<br />

Ayant renoncé à l'ivresse,<br />

Au morne labeur je m'empresse.<br />

Comme <strong>un</strong> fantôme aveugle et sourd<br />

Qui hanterait de vieilles tours,<br />

Je vais au hasard et je tresse<br />

Ce chant de profonde tristesse.<br />

Certes, je tremble dans la brume,<br />

Cependant j'avance et j'assume.<br />

J'avance sans avoir la foi,<br />

J'assume sans trop savoir quoi,<br />

Je sens, que nul ne s'en étonne,<br />

Un peu de douceur dans l'automne.


<strong>un</strong>e bénédiction<br />

Tel, poursuivant son ombre au décours des saisons<br />

En gagna le renom de fou par excellence.<br />

Un jour de Grand Midi, et donc de nonchalance,<br />

A <strong>un</strong> passant quelconque il donna ses raisons.<br />

L'autre lui demanda : « N'as­tu point de maison<br />

Où tu pourrais t'asseoir, dans l'ombre et le silence,<br />

Nous épargnant ainsi ta folle turbulence ? »<br />

Mais lui, sans avertir, se mit en oraison.<br />

« Seigneur, soyez béni pour ce fantôme obscur<br />

Qui allonge son corps sur les pavés bien durs,<br />

Devant vous, tout le jour, il glisse et se prosterne. »<br />

Le passant retourne à son labeur de manant.<br />

Il voit qu'il ne pourra fouler le continent<br />

Que hante le rêveur, et cela le consterne.<br />

Of Gollum and the Moon, who once were lovers<br />

The moon is very blue, at evening,<br />

I hear her spin beside the s<strong>un</strong>, and say,<br />

Humming this song, "Ah well, ah well­a­day.<br />

When I was green, of me did Gollum sing."<br />

None of her duckbills that does hear the thing,<br />

Albeit with their weary task foredone,<br />

But wakens at this name, and calls her one<br />

Blest, to be held in long remembering.<br />

Gollum is low beneath the earth, and laid<br />

On sleep, like Byron in the myrtle shade,<br />

The moon beside the s<strong>un</strong>, a dull rock gray,<br />

His love she does remember and regret;<br />

Ah, lovers, lovers, we may be happy yet,<br />

And gather duckbills, while 'tis called to­day.


this poem is symbolic everything is symbolic only French is symbolic shall I explain it to you<br />

explanations don't suit you I was just blinking at you things are just like yesterday where I<br />

live it's yesterday we'll get along yesterday working is not so bitter is this poem so bitter I<br />

feel blue I'm not bitter<br />

this is going like clockwork<br />

my thought r<strong>un</strong>ning like clockwork<br />

grain of sand in my clockwork insensitive to panic my destiny means panic today is day of<br />

panic so many breathes aro<strong>un</strong>d will tomorrow turn aro<strong>un</strong>d things should quietly go ro<strong>un</strong>d iron<br />

color of the walls why does a dog ... 'cos he can my kingdom for a horseshoe<br />

pour some water in my glass<br />

I lost my water level<br />

s<strong>un</strong>shine on the water tank paper yet another ream empty boat as in a dream soul searching is<br />

it research night on earth is not a gift reason is just a burden yes my name is "rubberneck"<br />

well my song does finish here<br />

well my thoughts are wrong I guess<br />

well my wine is not for guests never mind it's not tragic never mind it never rhymes never<br />

mind it's not burning let's just find a place to dance let us forget<br />

and go on in this world of snout beetles<br />

Dans le juste milieu<br />

Toi, le poète qui es reçu en tous lieux,<br />

Malgré la tentation d'allumer des esclandres,<br />

Ne force pas le trait pour mieux te faire entendre :<br />

Ton texte serait moins, alors, pris au sérieux.<br />

Ton art est de vibrer dans le juste milieu,<br />

Souligner <strong>un</strong> travers est mieux que le pourfendre.<br />

C'est <strong>un</strong> art que tu peux facilement apprendre ;<br />

Car je sais que tu es bien assez astucieux.<br />

Mais j'applaudis aussi ton sentiment féroce,<br />

Il pourrait arriver que parfois je l'endosse,<br />

Aussi, tout bien pesé, je ne peux t'en vouloir.<br />

La poésie, <strong>un</strong> feu qui trop clair se découvre,<br />

Une fleur qui périt aussitôt qu'elle s'ouvre,<br />

Le portrait d'<strong>un</strong> portrait dans <strong>un</strong> double miroir.


Un charme<br />

Toi qui es mon nouveau printemps,<br />

Que la vie te soit printanière.<br />

Je suis amoureux pour longtemps,<br />

Je combattrai sous ta bannière.<br />

Et tu aimerais mieux, pourtant,<br />

Dans <strong>un</strong>e rencontre ordinaire,<br />

Evaluer ton prince charmant<br />

Tel qu'il se meut sur cette terre...<br />

<strong>Cochonfucius</strong> est <strong>un</strong> vieil homme<br />

Assez a­t­il vécu, en somme,<br />

Et à ce monde il dit merci.<br />

Merci à toi, ma saturnienne<br />

Dont tant de tendresses proviennent ;<br />

Que n'aurions­nous pas vécu, ­­si...<br />

la vérité<br />

Toujours l'homme a voulu savoir la vérité,<br />

Jamais il ne fut sûr qu'il s'agissait bien d'elle.<br />

Certes, c'est décevant, des vérités partielles,<br />

Mais du savoir total, nul n'en a hérité.<br />

Ceux qui ont religion pensent le mériter<br />

En servant tous les jours la puissance éternelle.<br />

Je ne le dénie pas, la conjecture est belle,<br />

Même les conduisant à des austérités.<br />

Mais sur <strong>un</strong> tel chemin je ne suivrai personne,<br />

Car à la dévotion ma vertu n'est pas bonne.<br />

Chercheur de vérité, non de révélation,<br />

J'apprends par les chansons, non par les théorèmes,<br />

Je lis les mots qu'écrit celle que de loin j'aime,<br />

La vérité pour moi est fille de passion.


l'Europe<br />

Tous aujourd'hui <strong>un</strong>is dans <strong>un</strong>e belle Europe,<br />

Britanniques, Germains et Francs en amitié<br />

D'<strong>un</strong> monde de progrès ont bâti le chantier,<br />

Qui est pourtant <strong>un</strong> peu chantier de Pénélope.<br />

Autrefois on craignait les assauts du cyclope,<br />

Maintenant c'est la crise aidée par les banquiers.<br />

Ils narguent leurs clients : « Cigales, vous chantiez,<br />

Vous n'aviez donc pas lu la morale d'Esope ? »<br />

Britanniques, Germains et Francs dans la misère<br />

N'ont certes plus l'idée de faire entre eux la guerre.<br />

Ils la portent plus loin, au nom des droits humains.<br />

Y a­t­il <strong>un</strong> bon vieux temps, est­ce la décadence<br />

En Albion, Germanie et dans la douce France ?<br />

En tous cas, ne donnons pas lourd des lendemains.<br />

la transcription<br />

Tout ce qui devient texte est parole qui meurt.<br />

Le premier qui apprit à geler <strong>un</strong> message<br />

Fut comme ceux qui tuent les oiseaux de passage,<br />

Il avait <strong>un</strong> penchant mortel dans son humeur.<br />

Peut­on écrire <strong>un</strong> rire, orthographier <strong>un</strong> pleur,<br />

Transcrire le jargon d'<strong>un</strong> idiot de village ?<br />

La langue en résistant nos plumes décourage<br />

Comme notre pinceau se décourage aux fleurs.<br />

Un mot qui dans le coeur mit trois jours à mûrir,<br />

Fixe­le au papier, tu le feras mourir,<br />

Comme du papillon l'aile devient poussière.<br />

Des sages d'autrefois retiens le sobre avis :<br />

Ecrire c'est vouloir arrêter les rivières ;<br />

La langue est hors la loi, comme tout ce qui vit.


<strong>un</strong> village<br />

Tout est calme, aujourd'hui, au coeur de Saint­Denis.<br />

Ici on fait la queue pour la demi­baguette,<br />

Et là, quatre vendeurs, en pause­cigarette ;<br />

A l'arrêt d'autobus, <strong>un</strong> pépère qui lit.<br />

La foule fait sa vie, nonchalante à­demi,<br />

Plus vive <strong>un</strong> petit peu quand l'autobus s'arrête.<br />

Au comptoir d'<strong>un</strong> café, <strong>un</strong> vieillard en goguette<br />

Partage <strong>un</strong>e tournée avec quelques amis.<br />

On traîne au centre­ville, on fait passer le temps,<br />

Attendant sans savoir quelle chose on attend,<br />

Suivant les longs trottoirs comme on suit <strong>un</strong> rivage.<br />

On sort malgré la pluie, ou parce qu'il fait beau ;<br />

Revoir la basilique, admirer les tombeaux,<br />

Voir comment va chac<strong>un</strong> dans ce petit village.<br />

Anne de Marquets à la Sorbonne<br />

Triple aussi est Satan, monstrueuse <strong>un</strong>ité.<br />

Or, parmi les humains, le mal tire puissance<br />

Du prince Lucifer ; le serpent a la science.<br />

L'adversaire n'a rien que nos perversités.<br />

Le serpent joue des tours à notre volonté.<br />

Lucifer dans l'alcool noie notre intelligence.<br />

Le trompeur asservit notre paresse immense<br />

A la soif de pouvoir de quelques effrontés.<br />

Et ces trois monstres sont les premiers fils du père.<br />

Tout leur talent de nuire au verbe se réfère,<br />

Par leurs exploits passés nous sommes édifiés.<br />

Ces trois petits cochons ont <strong>un</strong> charme ineffable...<br />

(D'avoir lu jusque­là vous êtes bien aimables,<br />

Ne croyez pas qu'ici j'allais les sanctifier !)


Trois petits constructeurs ont <strong>un</strong> jour inventé<br />

Trois machines par quoi ils montrent leur puissance.<br />

C'est Sauvignonfucius, le plus rempli de science,<br />

Qui a fait la première, on ne peut l'imiter,<br />

Mais j'ai soufflé dessus, et elle a éclaté.<br />

Puis Gai­Luronfucius, avec intelligence,<br />

A construit à son tour <strong>un</strong> appareil immense.<br />

J'ai soufflé de nouveau, il n'en est rien resté.<br />

Alors, Rognonfucius a fait <strong>un</strong> truc en pierre,<br />

Et de souffler dessus ne le détruisait guère ;<br />

Donc, par la cheminée, j'entre comme je peux.<br />

Ah, mais, je ne sais plus comment finit la fable ;<br />

Et ce trou de mémoire est vraiment regrettable,<br />

La chute nous aurait, je crois, fait rire <strong>un</strong> peu.<br />

Les trois arbres<br />

Trois arbres se dressaient en haut d'<strong>un</strong>e colline.<br />

L'<strong>un</strong> voulait être <strong>un</strong> coffre abritant des trésors,<br />

L'autre <strong>un</strong> vaisseau portant <strong>un</strong> monarque à son bord,<br />

Le troisième, approcher de la grandeur divine.<br />

Du premier on a fait, dans <strong>un</strong>e humble chaumine,<br />

La mangeoire à bestiaux. Le deuxième est dehors,<br />

Barque pour les pêcheurs, <strong>un</strong> bien modeste sort.<br />

Du troisième, on tira des pièces anodines.<br />

Mais où donc a dormi le fils du charpentier,<br />

Sinon dans la mangeoire, offerte par pitié ?<br />

N'a­t­il pas navigué dans la barque ordinaire ?<br />

La colonne et la planche, <strong>un</strong> sombre vendredi,<br />

Ont accompli les mots qui aux psaumes sont dits,<br />

Et ont porté le corps du sauveur de la terre.


<strong>un</strong>e anomalie<br />

Trop d'espace au grand Nord, et ça nous étonnait.<br />

On eut beau calculer, mesurer, rien à faire,<br />

On eut beau repenser le rayon de la sphère,<br />

Au calcul, le réel jamais ne pardonnait.<br />

Lorsque Néandertal là­bas se promenait,<br />

Il se disait, pensif : « Quelque chose interfère<br />

Sans doute avec l'espace, <strong>un</strong>e curieuse affaire<br />

Cosmologique ici, pour moi qui m'y connais ».<br />

Là où les méridiens se croisent en <strong>un</strong> point,<br />

Un axe les pourfend, mais on ne le voit point,<br />

Il est juste tracé aux rouleaux d'écriture.<br />

Et cette anomalie est là depuis longtemps.<br />

Le cosmos est <strong>un</strong> être obstiné, résistant<br />

Et peu sensible au goût de la littérature.<br />

<strong>un</strong>e indulgence<br />

« Trouble à l'ordre public, a jugé le Romain,<br />

Mais l'affaire pour moi n'a rien d'irrémédiable.<br />

Ce fils de charpentier, ce n'est qu'<strong>un</strong> pauvre diable,<br />

Il parle, on l'applaudit, ce n'est rien, c'est humain ».<br />

« Tu dois le crucifier, aujourd'hui ou demain,<br />

Ont répondu alors les principaux notables.<br />

Ton apprenti prophète est <strong>un</strong> irresponsable<br />

Qui sème la révolte au long de son chemin. »<br />

Alors le magistrat consulta les oracles,<br />

Qui, n'aimant pas beaucoup les faiseurs de miracles,<br />

Ont demandé la mort pour de pareils forfaits.<br />

Mais ils ont accordé aussi <strong>un</strong>e indulgence :<br />

Libérer par ailleurs <strong>un</strong> gibier de potence.<br />

Et, foi de Bar­Abbas, je dis qu'ils ont bien fait.


Roue<br />

Tu ne vois de ta vie la période initiale ;<br />

Si tu l'apercevais, confus serait le trait<br />

Qui, provenant d'<strong>un</strong> point, aurait été extrait<br />

D'<strong>un</strong> brouillard qu'agitaient les forces primordiales.<br />

Tu trouves la structure assez paradoxale ;<br />

Or, ainsi en va­t­il dans le monde concret,<br />

Si la vie était simple, alors, ça se saurait,<br />

Nul corps pouvant bouger n'est <strong>un</strong>e cathédrale.<br />

Tu vois que la pulsion oscille en amplitude,<br />

En effet, pourquoi pas, c'est, même, <strong>un</strong>e habitude ;<br />

Le coeur peut s'affoler sous <strong>un</strong> coup d'aiguillon.<br />

A long terme il se peut que l'effet s'amortisse,<br />

Tel le souffle du ver qui toujours sa mort tisse,<br />

Sa mort, ou le cocon d'où sort <strong>un</strong> papillon.<br />

Pater Noster<br />

Tu nous as demandé de sanctifier <strong>un</strong> nom<br />

Qui pour nous, cependant, n'est qu'<strong>un</strong> obscur mystère.<br />

Nous devons te prier de régner sur la terre,<br />

Ne sachant si aux cieux tu gouvernes ou non.<br />

Sur terre comme au ciel, nous te le demandons,<br />

Ta volonté soit faite. Or, tu es notre père,<br />

Et cette volonté s'accomplit, je l'espère,<br />

Même quand, par malheur, nous nous en défendons.<br />

Tu es aussi chargé de procurer du pain<br />

A qui n'a pas encore <strong>un</strong> costume en sapin ;<br />

A ceux qui font du mal, il faut que tu pardonnes,<br />

Comme nous pardonnons aussi aux malfaiteurs.<br />

Et s'il vient près de nous, le démon tentateur,<br />

Point ne faut qu'en ses mains tu ne nous abandonnes.


Sagesse des astronomes<br />

Tu voudrais décrocher les astres de la nuit<br />

Pour en illuminer les profondeurs du vide.<br />

Mais si tu leur prenais tous leurs rayons limpides,<br />

Ils tomberaient en vain aux tréfonds de ce puits.<br />

Tu voudrais voir surgir la fin de tes ennuis,<br />

Portée par les beaux yeux d'<strong>un</strong> chevalier candide.<br />

Mais il ne peut franchir les espaces arides<br />

Que son triste regard discerne autour de lui.<br />

Tenons compte, à présent, de la réalité.<br />

Puisque cela n'est pas dans nos capacités,<br />

Renonçons, pour ce soir, à toucher aux étoiles,<br />

Laissons­les scintiller, là­bas, dans le lointain ;<br />

Ne leur demandons pas de vivre en nos jardins,<br />

Posons­les, si tu veux, sur <strong>un</strong>e simple toile.<br />

extinction<br />

Quand <strong>un</strong>e étoile explose, et rend son âme à Dieu,<br />

Elle fait à l'espace <strong>un</strong> cadeau de matière.<br />

Quelque part, les vivants, grâce à elle, iront mieux,<br />

Sur <strong>un</strong>e exoplanète ou bien sur notre terre.<br />

La matière stellaire occupe chaque lieu,<br />

L'eau, le métal, le bois, l'azote, le calcaire,<br />

La cendre de volcan qui occulte les cieux,<br />

Et nos milliards de vies modestes et précaires.<br />

Une extinction, soudain observée dans la nuit,<br />

Plonge en méditation le chercheur qui la suit :<br />

Il voit comment se tourne <strong>un</strong>e page du livre<br />

Où sont enluminés, en brillantes couleurs,<br />

Les plaisirs de la vie et ses petits malheurs,<br />

Et tout ce qui nous fait continuer de vivre.


la reine Pénélope<br />

Ulysse a regagné le lit de Pénélope ;<br />

Et, bien que son voyage ait épuisé son corps,<br />

Il voudrait rejouer leurs intimes accords...<br />

L'épouse caressante avec sa main le dope,<br />

Lui procure <strong>un</strong> épieu qui pourrait d'<strong>un</strong> cyclope<br />

Avoir raison. Mais quand il parvient aux abords<br />

De l'endroit convoité, il se trouve moins fort.<br />

La reine de nouveau entre ses doigts le chope,<br />

Il revit, il retombe, elle le retravaille,<br />

Elle reprend espoir et pourtant, rien qui vaille,<br />

Son espoir a pris fin sous ses yeux stupéfaits.<br />

Reine, rappelle­toi tes grands travaux de toile<br />

Progressant au soleil, régressant aux étoiles :<br />

Ainsi, ce que tu fais, toujours tu le défais.<br />

<strong>un</strong> ermitage<br />

Un abri délabré dans le soleil levant :<br />

Sur la fin de ma vie, j'en ai fait ma demeure ;<br />

Il frémit doucement quand la brise l'effleure,<br />

Nul n'est seul s'il entend sur lui passer le vent.<br />

Ce jardin qu'autrefois nous allions cultivant<br />

S'est transformé en friche où la rocaille affleure ;<br />

Les insectes variés qui là vivent et meurent<br />

Sont <strong>un</strong>e compagnie pour l'ermite écrivant.<br />

Frères me sont aussi les nuages qui passent<br />

Et les vents hivernaux devant qui tout se glace,<br />

Et puis le crépuscule à la rouge couleur.<br />

Automne, hiver, printemps, mes saisons familières,<br />

Vous visitez ce tas d'herbe folle et de pierres ;<br />

L'été viendra sécher ce qu'il reste de fleurs.


l'aigle et le cochon<br />

Un aigle à <strong>un</strong> cochon inculquait sa morale.<br />

« Compagnon, quand le jour m'accorde du loisir,<br />

Je chevauche le vent, je m'élève à plaisir,<br />

J'admire la lumière australe et boréale ;<br />

Mais toi, vautré toujours dans l'humide et le sale,<br />

Ainsi qu'<strong>un</strong> fruit trop mûr tu te laisses croupir...<br />

Quand je pense à cela, il me vient <strong>un</strong> soupir. »<br />

« Allons, dit le cochon, ma personne est vassale<br />

Et vers le firmament ne prend pas son essor ;<br />

Mais tu ne devrais pas t'inquiéter de mon sort,<br />

Ni pleurer mes malheurs aux accents de ta lyre.<br />

L'homme est mon protecteur. Paisible est mon esprit,<br />

L'homme abrite mon corps, me lave, me nourrit,<br />

Et, pour mon dernier jour, m'accorde le martyre ! »<br />

La forme d'<strong>un</strong> ange<br />

Un ange, c'est vraiment <strong>un</strong> étrange animal.<br />

Autant, par son visage, il nous fait bonne mine,<br />

Autant il nous surprend, sitôt qu'on examine<br />

Le reste de son corps, qu'il a phénoménal.<br />

En plus, on dit qu'il peut siéger au trib<strong>un</strong>al,<br />

Que la gloire de Dieu par sa voix s'illumine,<br />

Qu'il est plus fort que Zeus quand son glaive fulmine,<br />

Que des divins décrets il se fait le canal.<br />

Moi, je le vois plutôt comme <strong>un</strong> sombre corbeau,<br />

Ou comme les vautours qui sont près des tombeaux,<br />

Attendant que le mort cesse de se débattre.<br />

Même s'il est puissant, il ne sait pas pourquoi,<br />

Il est sans libre arbitre, esclave de la loi,<br />

Comme <strong>un</strong>e marionnette en son petit théâtre.


<strong>un</strong> an après<br />

Un an vient de passer, bref comme <strong>un</strong>e semaine.<br />

Le temps n'est qu'illusion, disent les physiciens,<br />

Moquant le « temps réel » des informaticiens ;<br />

Année après année les mêmes jours ramène.<br />

Sur les bords de ce lac où nul ne se promène,<br />

Tu n'entendras chanter nul oiseau musicien :<br />

Les a chassés de là <strong>un</strong> mauvais magicien<br />

Qui décourage aussi toute présence humaine.<br />

Ni ondine dans l'eau, ni licorne au bocage ;<br />

Pas <strong>un</strong> centaure en marche au frais, sous les ombrages,<br />

Pas de troll sous la feuille et pas même, <strong>un</strong> lutin.<br />

Paysage embelli de ces mêmes absences,<br />

Comme est noble l'hiver, comme est grand le silence,<br />

Comme l'indiscernable est beau, dans le lointain.<br />

L'amour et rien d'autre<br />

Un apéro dans <strong>un</strong> décor champêtre<br />

Au jardin qui ne subit nul hiver,<br />

En écoutant des chants d'oiseaux divers<br />

Sous le soleil en train de disparaître ;<br />

Au coin du feu, les paroles d'<strong>un</strong> maître<br />

Narrant la vie, ses bonheurs, ses revers,<br />

Prenant souvent la forme d'<strong>un</strong> beau vers<br />

Dont la sagesse aussitôt me pénètre ;<br />

Ces deux plaisirs, qui sont de bon aloi,<br />

Ne valent pas le chaleureux émoi<br />

Que je ressens en ta douce présence.<br />

Seul, notre amour peut agrandir mon coeur,<br />

Sur toute chose il se montre vainqueur :<br />

Heureux le jour où il a pris naissance.


le cochon et le dictionnaire<br />

Un cochon, par hasard, trouvant <strong>un</strong> dictionnaire,<br />

Lut, pour se divertir, le sens de chaque mot.<br />

Ce n'était point, dit­il, au pouvoir d'<strong>un</strong> chameau !<br />

Mon potentiel, vraiment, est révolutionnaire.<br />

Si je passe <strong>un</strong> concours, je serai fonctionnaire,<br />

Pas question que l'on morde à mes deux jambonneaux,<br />

Ainsi que fut Gollum au Seigneur des anneaux,<br />

De bestiau je deviens <strong>un</strong> humain débonnaire.<br />

Le paysan survient, et son couteau pointu,<br />

Et dit à son cochon : il est temps, le sais­tu,<br />

Que ta chair soit pour nous de bonne nourriture.<br />

Le cochon lui répond, d'<strong>un</strong> ton plein de douceur,<br />

Qu'il est fier de nourrir ses frères et ses soeurs,<br />

Partageant avec eux sa si vaste culture.<br />

l'âge du fils du charpentier<br />

Une année serait­elle <strong>un</strong> tour de l'engrenage<br />

Ou <strong>un</strong> fragment de tour infinitésimal ?<br />

Mais pourquoi porte­t­elle <strong>un</strong> repère ordinal ?<br />

Quel sens peut­on donner à <strong>un</strong> tel encodage ?<br />

Le fils du charpentier nous répond : C'est mon âge<br />

Que l'on mesure ainsi ; et plus d'<strong>un</strong> cardinal<br />

A calculé l'instant où, d'<strong>un</strong> corps virginal,<br />

J'ai surgi, bel enfant, déjà subtil et sage.<br />

Partant de ma naissance, on compte <strong>un</strong>e semaine<br />

Pour mon entrée dans la comm<strong>un</strong>auté humaine ;<br />

C'est le calendrier que vous avez élu.<br />

Or, chaque année ainsi par <strong>un</strong> nombre s'ordonne ;<br />

Vous ne l'appelez pas du nom que je lui donne,<br />

Que vous ne savez pas, et le serpent non plus.


Une majorité de sénateurs gauchistes !<br />

Le monde est aux aguets, la France va changer,<br />

Car nos grands électeurs, au mépris du danger,<br />

Ont commis, à eux tous, ce vote masochiste.<br />

Notre prochain Sénat sera­t­il anarchiste,<br />

Ou sous <strong>un</strong> drapeau vert, vont­ils tous se ranger ?<br />

Ressusciterez­vous, général Boulanger ?<br />

Va­t­il s'inaugurer <strong>un</strong> parti fétichiste ?<br />

Or, la Haute Assemblée a toute ma confiance,<br />

Je ne saurais, du haut de mon insignifiance,<br />

Analyser sa marche et son évolution.<br />

Ils peuvent devenir <strong>un</strong> club de centre gauche,<br />

Cela ne va point les plonger dans la débauche,<br />

Ni les faire avancer vers la révolution.<br />

Une stèle<br />

Une pierre qui parle enseigne <strong>un</strong> monde, en vers ;<br />

Explique­t­elle aussi nos coeurs inconsolables,<br />

Nos minutes formant chac<strong>un</strong>e <strong>un</strong> grain de sable<br />

Dont plusieurs contenaient, peut­être, <strong>un</strong> <strong>un</strong>ivers...<br />

La pierre ni les mots n'ont de penchant pervers.<br />

Le scribe qui orna de ces signes la table<br />

Suivait, à tous égards, des codes respectables<br />

(Sauf à ce qu'il traça, peut­être, à son revers).<br />

Or, ce scribe n'a pas <strong>un</strong> immense mérite<br />

Pour avoir simplement observé les bons rites ;<br />

D'<strong>un</strong>e antique sagesse il était le vecteur.<br />

Puissions­nous imiter ce propos salutaire,<br />

Même si ce forum n'est pas <strong>un</strong> sanctuaire :<br />

Et si nous y manquons, indignez­vous, lecteurs.


Sonnet du trou noir<br />

Un érudit rêva qu'il était <strong>un</strong> trou noir.<br />

Ce jour­là, on fêtait la sainte Madeleine,<br />

Et le trou noir était plus gros qu'<strong>un</strong>e baleine,<br />

Aspirant le réel ainsi qu'<strong>un</strong> entonnoir.<br />

Le lendemain matin, notre homme de savoir<br />

Alla se promener sur les quais de la Seine,<br />

Espérant vaguement y croiser <strong>un</strong> mécène<br />

Ou bien, à la rigueur, <strong>un</strong> valet du pouvoir.<br />

Sur les quais de la Seine abondent les touristes,<br />

Mais les mécènes, non. Bien sûr, c'est <strong>un</strong> peu triste<br />

Qu'<strong>un</strong> rêve aussi joli ne soit pas financé.<br />

Pourtant les érudits, qui sont infatigables,<br />

Poursuivent nuit et jour leurs travaux formidables,<br />

Se changeant en trous noirs, à force de penser.<br />

Au fil des routes<br />

Un ermite écoutait le babil des princesses<br />

Et cela lui donnait <strong>un</strong>e envie de chanter.<br />

Son labeur quotidien l'agrippe avec rudesse ;<br />

Il parcourt <strong>un</strong> chemin rarement fréquenté.<br />

Parfois, il ralentit (lorsque rien ne le presse)<br />

Pour laisser son savoir <strong>un</strong> peu se décanter,<br />

Pour entendre les sons auxquels il s'intéresse,<br />

Pour transcrire <strong>un</strong> message en son coeur enfanté.<br />

Il contemple le ciel, quand le silence est grand,<br />

Ou le reflet du ciel dans le gris de l'écran.<br />

Son sommeil est tranquille et sa veille sereine.<br />

Il marche lentement, paisible randonneur,<br />

Ne rêvant ni de joie, ni même de bonheur :<br />

Nous aimons l'<strong>un</strong>ivers, car notre vie est vaine.


le loup et le frère de l'agneau<br />

Un gros agneau buvait à <strong>un</strong> tonneau de bière<br />

Dans la cour d'<strong>un</strong>e ferme. Un maigre loup survint<br />

Qui le réprimanda de n'avoir pris du vin,<br />

Disant, petit mouton, c'est ton heure dernière.<br />

L'agneau se défendit. Mangez plutôt mon frère,<br />

A vous nourrir de moi vous mâcheriez en vain,<br />

Mon corps est plus chétif que n'est d'<strong>un</strong> alevin<br />

La frêle silhouette errant dans la rivière.<br />

Ton frère, dit le loup, pourtant, tu n'en as point,<br />

Et je te trouve gras, et d'<strong>un</strong> bel embonpoint,<br />

Digne de m'assurer, en ce jour, subsistance.<br />

L'agneau, pour compagnons, avait chiens de berger<br />

Qui n'ont accoutumé de laisser loups manger :<br />

L'animal s'en alla sans la moindre pitance.<br />

La lutte<br />

Un jour deux judokas ont décidé de prendre<br />

Des leçons d'aïkido, dans le but d'enrichir<br />

Leur science du combat, et puis de l'assouplir,<br />

Et les voici <strong>un</strong> soir, fort empressés d'apprendre...<br />

Ils étaient en avance, il leur fallait attendre.<br />

Ils se vautrent au sol, et, pour se divertir,<br />

Luttent, roulant, poussant et jouant sans faiblir,<br />

Car dans leur tradition on n'est pas toujours tendre.<br />

Ils prennent du plaisir au familier combat ;<br />

Mais le prof d'aïkido, dans son fier hakama<br />

Trouve qu'en son dojo c'est <strong>un</strong>e salissure.<br />

Il pose la question, sur <strong>un</strong> ton dépité :<br />

« Messieurs, où avez­vous mis votre dignité ? »<br />

« Maître, dans le vestiaire, ainsi que nos chaussures. »


Un jour je suis allé loin d'ici, chez Lilith<br />

Qui habitait, auprès d'<strong>un</strong> lumineux rivage,<br />

Dans <strong>un</strong> vaste palais de marbre et de granit<br />

Et j'étais tout ému d'aller lui rendre hommage.<br />

La compagne d'Adam, heureuse de dîner<br />

Avec <strong>un</strong> être humain, demanda qu'on lui narre<br />

Le monde que jadis elle avait dominé :<br />

Comment vont les mortels ? Toujours aussi bizarres ?<br />

Et moi, je ne savais quel exemple choisir,<br />

Le génie sarkozyen, les ardeurs villepines ?<br />

Les fils du père Adam déconnent à loisir,<br />

Ils sont loin de valoir leurs soeurs ou leurs copines.<br />

Le serpent a choisi plutôt de tenter Eve<br />

Que Lilith, pourquoi donc ? Sans doute, il supposait<br />

Que Lilith n'aurait pas ruiné d'Adam le rêve<br />

En acceptant le noir péché qu'il proposait.<br />

Requiem<br />

Un jour viendra la mort, et mon temps prendra fin,<br />

Je serai attentif à comment je respire,<br />

Dirai mon dernier vers si la muse m'inspire,<br />

Un dernier jeu de mots, peut­être pas bien fin.<br />

Ne plus sentir la soif ni éprouver la faim,<br />

Ni craindre que mon sort évolue vers le pire,<br />

Et savoir que le mal n'a plus sur moi d'empire,<br />

Tout ça donne à la mort <strong>un</strong> céleste parfum.<br />

A chaque instant ce sont foules de gens qui meurent.<br />

D'eux ni de leur action, souvent, rien ne demeure,<br />

Même si leur départ est noble et solennel.<br />

Que sommes­nous, sinon <strong>un</strong> remous transitoire,<br />

Goutte d'eau dans la mer, virgule dans l'Histoire,<br />

Auc<strong>un</strong> de nous ne peut se prétendre éternel.


Une infinité de mathématiciens assoiffés<br />

Un mathématicien, s'adressant au serveur :<br />

« Il me faut <strong>un</strong>e pinte ». « OK, pas de problème ».<br />

La seconde d'après, il en vient <strong>un</strong> deuxième.<br />

« Demi­pinte pour moi », dit cet autre penseur,<br />

Puis <strong>un</strong>e infinité de matheux, fiers suiveurs :<br />

Pour l'<strong>un</strong>, <strong>un</strong> quart de pinte, et pour l'autre, <strong>un</strong> huitième,<br />

Les suivants, <strong>un</strong> seizième et <strong>un</strong> trente­deuxième,<br />

Un sur deux puissance « n » pour chac<strong>un</strong> des buveurs.<br />

Lecteur, si tu devais servir, <strong>un</strong> de ces soirs<br />

Pareille infinité de clients trop rasoirs,<br />

Saurais­tu bien gérer cette étrange contrainte ?<br />

Le serveur, en tous cas, ne s'est pas démonté.<br />

« Messieurs, leur a­t­il dit, vous pouvez recompter »,<br />

Et sur le long comptoir, il a posé deux pintes.<br />

<strong>un</strong>e anecdote apocryphe<br />

Un moine résidant loin de son monastère<br />

N'avait trouvé pour lui le moindre logement.<br />

Une servante, alors, l'avait obligeamment<br />

Abrité dans son lit, étant célibataire.<br />

Le supérieur a dit : « Est­ce réglementaire ? »<br />

Le moine a répondu : « Toujours, soigneusement,<br />

Nous installons le chien entre nous deux dormant. »<br />

­­ « En cas de tentation, le rempart est précaire ! »<br />

­­ « Contre la tentation, voici notre parade.<br />

Si le désir me prend, je pars en promenade ;<br />

Et si c'est elle que Satan vient malmener,<br />

Celle qui se promène est alors la servante. »<br />

­­ « Oui, mais si le désir tous les deux vous tourmente ? »<br />

­­ « Dans ce cas, c'est le chien qui va se promener. »


<strong>un</strong> art stylistique<br />

Un mot n'est pas toujours issu d'<strong>un</strong>e pensée,<br />

Parfois le mot voisin le fait venir au jour,<br />

Il ne pense pas plus que n'entendent les sourds ;<br />

Parlent les grands parleurs bien loin sur leur lancée.<br />

Or, certains vont cherchant la forme condensée ;<br />

Au travers des notions, ils veulent couper court.<br />

Au fil des raccourcis par où leur esprit court,<br />

Admirons leur démarche aisément balancée...<br />

D'autres, développant leur magistrale prose<br />

Comme <strong>un</strong> vaste jardin que souvent l'on arrose,<br />

Nourrissent leurs écrits du noble effort humain.<br />

Ma plume a le mot bref, car elle est paresseuse,<br />

Et puis, mon intellect jamais bien loin ne creuse,<br />

Quand les plus beaux trésors sont à portée de main.<br />

<strong>un</strong> papillon<br />

Un papillon de mai vole auprès du canal,<br />

L'eau en est noire et froide, immobile et profonde.<br />

Cet azur printanier vient­il de l'inframonde ?<br />

Porte­t­il avec lui <strong>un</strong> message infernal,<br />

Ou sort­il seulement du sommeil hivernal ?<br />

A de telles questions, je doute qu'il réponde,<br />

D'ailleurs, il n'est plus là, depuis quelques secondes ;<br />

Ce n'était qu'<strong>un</strong> azur fugitif et banal.<br />

Le temps que je l'observe, il a quitté la scène ;<br />

Préférant au canal les berges de la Seine,<br />

Il est parti d'ici pour ne plus revenir.<br />

Ainsi à notre esprit des idées apparaissent,<br />

Puis meurent dans l'instant où l'on s'y intéresse,<br />

Sans que nous en gardions le moindre souvenir.


Mallarmé, encore<br />

Un pauvre doctorant regardait tristement<br />

Deux mandarins pervers. De son regard lucide,<br />

L'étudiant voit celui qui à son sort préside<br />

Soutenir <strong>un</strong> propos qui semble <strong>un</strong> bâillement.<br />

Des crépuscules blancs tiédissent sous son crâne<br />

Qu'<strong>un</strong> cercle de fer serre ainsi qu'<strong>un</strong> vieux tombeau,<br />

Et, triste, il erre après <strong>un</strong> rêve vague et beau<br />

Quand les deux vieux savants ineptes se pavanent.<br />

Il est fort énervé de ces foutaises, las,<br />

Et creusant de sa face <strong>un</strong>e fosse à son rêve,<br />

Voudrait s'en aller par la Porte des Lilas.<br />

Mandarins, pourquoi donc ennuyer vos élèves ?<br />

Faites­vous naître en eux le sourire et l'éveil ?<br />

Vous offrez <strong>un</strong> couvercle à qui veut <strong>un</strong> Soleil.<br />

Un peu de jeu dans l'axe et cette roue immense<br />

Prenant <strong>un</strong> angle ayant toujours moins de rigueur<br />

Envers nos humbles souhaits montrerait sa clémence<br />

Nos désirs seraient moins soumis aux élagueurs<br />

Si des branches sur l'axe étaient arborescence<br />

Amie du rossignol et du merle moqueur<br />

La loi se tiédirait en sa déliquescence<br />

Un battement de trop serait permis aux coeurs<br />

Mais la roue tourne sobre et stricte dans le vide<br />

Narguant les amoureux de transgresser avides<br />

Réduits pour le moment à des péchés virtuels<br />

Peut­être seulement qu'<strong>un</strong> petit cochon rêve<br />

De cette lourde roue qui nos destins achève<br />

Et que la liberté règne dans le réel


Un rêve de janvier 2010<br />

Un rêve partagé n'a rien de virtuel.<br />

Il instruit le réel bien plus qu'il ne l'imite,<br />

Dans ce parcours obscur, prends garde aux stalagmites :<br />

Elles ne sont guerriers qu'on peut battre en duel.<br />

Sans doute, <strong>un</strong> rêve, c'est le brouillon d'<strong>un</strong> poème.<br />

Si je savais jouer sur le fardeau des mots,<br />

J'en composerais <strong>un</strong>, car quand j'étais marmot<br />

J'en construisais parfois, entre deux théorèmes.<br />

Ce que t'offre la nuit n'a rien d'<strong>un</strong>e illusion,<br />

Même s'il n'est pas bon que fassent intrusion<br />

Mes rêves dans les tiens, par Dieu sait quel prodige.<br />

Par le songe ne peut cette âme être assouvie,<br />

Mais lorsque nous rêvons, nul surmoi ne fustige<br />

Ceux qui, pour <strong>un</strong>e nuit, vivent <strong>un</strong>e autre vie.<br />

les rois philosophes<br />

Un roi en manteau bleu offrit la liberté<br />

A ceux de ses soldats qui aimaient leur village ;<br />

Ils ont eu des ennuis avec leur voisinage,<br />

On chuchotait partout qu'ils avaient déserté.<br />

Un roi en manteau blanc voulut l'égalité<br />

Entre les gens de haut et de plus bas lignage ;<br />

Avec les grands seigneurs ça causa du tirage,<br />

Ils grognaient « Quel mépris pour notre qualité ».<br />

Un roi en manteau rouge a dit « Soyons tous frères,<br />

Dieu nous l'a demandé, tant le fils que le père » ;<br />

On l'accusa d'avoir par trop de dévotion.<br />

A ces rois novateurs on a tranché la tête<br />

Et fait de leurs manteaux <strong>un</strong> drapeau pour la fête.<br />

Je lève donc mon verre à la révolution.


la tartine et le chat<br />

Un savant, chaque soir, testait <strong>un</strong>e tartine<br />

Qui, selon les décrets d'<strong>un</strong> sort qui s'obstinait,<br />

Tombait sur le côté que l'homme tartinait.<br />

Or, cette observation n'était que de routine.<br />

Soudain, dans son esprit, deux notions s'agglutinent.<br />

Du coup, il décida : s'il se déterminait<br />

A fixer sur le dos de son petit minet<br />

Ce fameux bout de pain, la nature mutine<br />

Ferait­elle tomber le félin à l'endroit<br />

(Ainsi déjouée par notre montage adroit)<br />

Ou, le chat pieds en l'air, au sol la confiture ?<br />

Depuis longtemps, ce chat est en lévitation,<br />

Car il ne sert à rien, par des provocations<br />

Dans l'expérimental, de forcer la nature.<br />

<strong>un</strong> air de propriétaire<br />

Un seigneur d'autrefois aimait les enclosures.<br />

Nul château que le sien n'eut plus forte paroi,<br />

Pas même les donjons que construisit le roi ;<br />

C'est ma propriété, dit­il, je la veux sûre.<br />

Pour découvrir toujours des substances plus dures,<br />

Auprès d'<strong>un</strong> alchimiste il engagea sa foi,<br />

Lequel passait son temps à rechercher les lois<br />

Par quoi l'on peut contraindre et forcer la nature.<br />

Un beau jour, le savant inventa <strong>un</strong> cristal<br />

Où le château fut mis comme dans <strong>un</strong> bocal ;<br />

De son air, le seigneur devint propriétaire.<br />

C'est mon air, c'est mon air, rugit­il d'<strong>un</strong> ton sourd ;<br />

Mais il ne parvint pas ainsi au bout d'<strong>un</strong> jour,<br />

En fin d'après­midi, on le vit mort, par terre.


Un voisinage avec <strong>un</strong>e dame de coeur<br />

Ne fait pas d'<strong>un</strong> valet <strong>un</strong> futur roi de pique.<br />

Les rêves ne sont pas des propos symboliques,<br />

Ils sont des excursions dans <strong>un</strong> monde sans peur.<br />

Mais le contexte aussi peut changer la couleur.<br />

Prestidigitateurs ont ce pouvoir magique<br />

D'avoir la bonne carte à l'instant fatidique<br />

(Et l'on peut se douter que ce sont des trompeurs).<br />

Ni rêve ni magie au programme aujourd'hui,<br />

Sur mon parcours banal je suis comme je suis.<br />

Peu grandiose, ma main ne contient qu'<strong>un</strong>e paire.<br />

Alice en fin de jeu voit des cartes l'envol<br />

Qui feuilles deviendront en retombant au sol,<br />

Ne pouvant servir même à <strong>un</strong> jeu solitaire.<br />

Va­t­il pleuvoir ?<br />

Va­t­il pleuvoir, ciel de château d'Espagne ?<br />

Beau ciel, s'il pleut, tu auras des radis,<br />

S'il ne pleut pas, du colin refroidi.<br />

Va­t­il pleuvoir, ciel du grand Charlemagne,<br />

Beau ciel, s'il pleut, tu auras des montagnes,<br />

S'il ne pleut pas, la mort, sans paradis.<br />

Va­t­il pleuvoir, ciel de Roland roidi,<br />

Beau ciel, s'il pleut, tu auras la Bretagne,<br />

S'il ne pleut pas, flèche du Sarrazin.<br />

Va­t­il pleuvoir, ciel de frère et cousin,<br />

S'il ne pleut pas, nous serons en détresse ;<br />

Va­t­il pleuvoir, ciel de sombre miroir,<br />

Beau ciel, s'il pleut, nous irons au lavoir,<br />

Beau ciel, s'il pleut, prend fin la sécheresse.


Agonie du roi<br />

Venez, renards, mes tristes frères,<br />

Chez Nelligan où Richard meurt.<br />

Jugurtha lance des clameurs<br />

Avec ses chèvres f<strong>un</strong>éraires.<br />

Porcus dit le mot « viatique »,<br />

Jugurtha veut aider sa mort<br />

Et lui verse <strong>un</strong> café bien fort<br />

Au milieu des chèvres antiques.<br />

C'est bien de finir dans ton pieu,<br />

<strong>Cochonfucius</strong> te dit adieu.<br />

Porcus met <strong>un</strong> genou à terre.<br />

Richard, gardes­tu ton espoir ?<br />

Tous les renards du monastère<br />

Iront boire à Cl<strong>un</strong>y ce soir.<br />

Sans <strong>un</strong>e pierre blanche, ni noire<br />

Vers le nord du palais, tout au fond du grenier,<br />

Se trouve <strong>un</strong> jeu de go aux pouvoirs chamaniques.<br />

L'empereur, si l'empire entrait dans la panique,<br />

Jouerait <strong>un</strong>e partie contre le chancelier.<br />

Des centaines d'années, peut­être des milliers,<br />

Sans que nul ne touchât cet échiquier magique.<br />

Nombre de fois l'empire eut des heures tragiques,<br />

Mais les pierres du jeu restent dans leurs paniers.<br />

Non pas que l'empereur ignore l'existence<br />

Du grenier dont le trône est à peu de distance,<br />

Ni que le jeu de go n'ait sa place en son coeur ;<br />

Mais comment jouerait­il pour défendre l'empire ?<br />

Il craint d'y penser, même. Il ne saurait que dire<br />

Si le ministre allait du trône être vainqueur.<br />

Attention<br />

au miroir<br />

déformant !


la trinité introuvable<br />

Victor voulait <strong>un</strong> dieu purement paternel<br />

Dont il aurait été l'humble progéniture<br />

Il entendit alors la voix de la nature :<br />

Point de paternité pour <strong>un</strong> être éternel<br />

Victor rêve à <strong>un</strong> christ <strong>un</strong> homme fraternel<br />

Qui serait comme lui <strong>un</strong>e humble créature<br />

Il entendit alors cette parole dure :<br />

Le fils du charpentier n'était pas immortel<br />

Victor au saint esprit demande alors refuge<br />

Esprit, prends sous ton aile <strong>un</strong> malheureux transfuge...<br />

L'esprit dit : Je ne suis pas le bureau des pleurs<br />

Victor donc se retrouve au fin fond des ténèbres<br />

Au­dehors il fait sombre et son coeur est f<strong>un</strong>èbre<br />

Vainement du printemps le contemplent les fleurs<br />

le dimanche des rameaux<br />

Vient le jour des rameaux, je me change en rimeur,<br />

Ma muse, cependant, n'en fout pas <strong>un</strong>e rame.<br />

Elle dort, à l'écart des succès et des drames,<br />

Et du monde agité n'entend pas les clameurs.<br />

Je serais prêt, bien sûr, pour sauver mon honneur,<br />

A prêter <strong>un</strong>e main ou l'autre à vos programmes ;<br />

Mais ce, du bout des doigts, et sans la moindre flamme,<br />

Comme en ma vieille église <strong>un</strong> paresseux sonneur.<br />

Car ce jour des rameaux est fait pour les ramiers,<br />

Je l'ai toujours pensé ; et si vous m'en blâmiez,<br />

Je resterais perché, tranquille, sur ma branche.<br />

Demain je bosserai, c'est moi qui vous le dis,<br />

Avec le bel entrain qui sied à <strong>un</strong> l<strong>un</strong>di ;<br />

Aujourd'hui laissez­moi somnoler, c'est dimanche.


la pure insignifiance<br />

Voici quatorze grains de pure insignifiance<br />

Dont tu peux, si tu veux, te faire <strong>un</strong> chapelet.<br />

Ça n'eût pas convenu au moine Rabelais<br />

Qui sa science voulait assortie de conscience.<br />

La cause est que je n'ai pas assez de patience<br />

Pour fignoler le vers, la strophe ou le couplet,<br />

Et je m'arrête vite à la forme qui plaît<br />

A mon esprit futile et à mon insouciance.<br />

Peu importe après tout, c'est écrit sur du vide,<br />

Cela ne sonne pas plus que la voix timide<br />

D'<strong>un</strong>e grenouille verte installée dans <strong>un</strong> puits.<br />

Dans des temps très anciens j'aurais été <strong>un</strong> barde,<br />

Mais ici­bas je suis <strong>un</strong>e plume bavarde<br />

Espérant la lumière en plein coeur de la nuit.<br />

Arthur (encore)<br />

Poèmes qu'autrefois nous avons entendus,<br />

Sans même qu'à l'instant notre esprit les questionne...<br />

Or, depuis ce temps­là, dans nos coeurs ils résonnent<br />

De leur sens chaque jour <strong>un</strong> peu plus étendu.<br />

Poète coutumier du mot inattendu,<br />

Toi que tes propres vers plus d'<strong>un</strong>e fois étonnent<br />

Tu as construit <strong>un</strong> temple aux immenses colonnes<br />

Sans qu'<strong>un</strong> pareil travail ne te fût trop ardu.<br />

Tu n'y habites plus, la terre a pris ton corps,<br />

Tu savais que la gloire est plutôt pour les morts...<br />

Et nous te connaissons par <strong>un</strong> modeste livre.<br />

Qui viendra nous offrir <strong>un</strong> trésor aussi pur,<br />

Qui chantera demain comme <strong>un</strong> nouvel Arthur,<br />

Qui lancera sur l'onde <strong>un</strong> nouveau bateau ivre ?


Arthur (toujours)<br />

Ta chanson dont jadis <strong>un</strong> jardin murmura<br />

Sans voir surgir, pourtant, soupçon ni discussion...<br />

A partir d'antan, donc, vivons la vibration<br />

D'<strong>un</strong> son toujours plus pur qui nous affranchira.<br />

Troubadour qu'<strong>un</strong> trois­mâts vagabond consacra,<br />

Toi dont plus d'<strong>un</strong> quatrain a nos admirations,<br />

Tu bâtis <strong>un</strong> palais, lui donnant fondation,<br />

Sans, d'<strong>un</strong> si grand travail, trop affaiblir ton bras.<br />

Tu n'y dormiras plus, l'humus a pris ton corps,<br />

La glorification fut à toi dans la mort ;<br />

On imprima partout ton album manuscrit.<br />

Qui pourra nous offrir <strong>un</strong> cristal aussi pur,<br />

Qui dira l'ouragan à la façon d'Arthur,<br />

Dans <strong>un</strong> cosmos banal, qui mugira son cri ?<br />

Arthur (again)<br />

Au profond du profond, j'ai ton portrait inscrit,<br />

Pour mon incarnation j'aurais choisi Arthur,<br />

Un troubadour maudit, <strong>un</strong> amant au front pur<br />

Dont l'amour discordant n'a pas fait <strong>un</strong> proscrit.<br />

Dans ta chanson rugit <strong>un</strong> sanglot ou <strong>un</strong> cri,<br />

Un abracadabra, <strong>un</strong> talisman obscur<br />

Qui nous conduit à toi, au nirvâna futur<br />

Dans la divagation, plaisir du manuscrit.<br />

Dix ans auparavant, oraison sur ta mort,<br />

Disparu si brillant, si palpitant, si fort.<br />

Qui vous lit sans faux pas, ô Illuminations ?<br />

Toi plus moi, vivrons­nous dans <strong>un</strong> confus brouillard,<br />

Soupirant sur la mort, <strong>un</strong> vil, <strong>un</strong> noir grognard,<br />

Sur nos trois tons plus <strong>un</strong>, nos vocalisations ?

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!