un recueil - Cochonfucius
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Sonnets de <strong>Cochonfucius</strong>, 2011<br />
Sans rêves<br />
Abel, ce n'est pas moi, c'est cette lourde pierre<br />
Qui t'a ôté la vie, et tu m'en vois surpris.<br />
De mon triste forfait, comment payer le prix,<br />
Même en me repentant pendant ma vie entière ?<br />
Abel, ton nom sera toujours dans mes prières,<br />
Chaque année je ferai l'offrande d'<strong>un</strong> cabri,<br />
Même quand mes cheveux seront devenus gris,<br />
Et la veille du jour où je serai poussière.<br />
Abel, si tu le peux, dans mes rêves surviens<br />
Pour guider mon esprit, chaque nuit, vers le bien,<br />
Comme <strong>un</strong>e étoile guide <strong>un</strong> marin vers son havre.<br />
Or, quelques jours plus tard, la voix d'<strong>un</strong> revenant<br />
Vint prédire à Caïn : « Ton sommeil maintenant<br />
Sans rêves coulera, tel celui d'<strong>un</strong> cadavre. »<br />
la fraternité<br />
Abel, mon compagnon, accepte <strong>un</strong> peu de bière !<br />
Car, depuis bien des jours, tu n'en as pas repris ;<br />
Pourtant c'est <strong>un</strong> plaisir qui toujours vaut son prix,<br />
L'homme qui a bien bu aime la terre entière.<br />
Abel, mon doux frangin, prends <strong>un</strong> peu de gruyère !<br />
Le mangeur de fromage est gai comme <strong>un</strong> cabri ;<br />
Il oublie la fatigue, il oublie le ciel gris,<br />
Et que l'homme est <strong>un</strong> corps qui retombe en poussière.<br />
Abel, tu ne bois pas, et tu ne manges rien,<br />
Mais tu devrais, pourtant, puisque c'est pour ton bien,<br />
Je fais tous mes efforts... ah, vraiment, ça me navre.<br />
Or, Caïn continue à être prévenant,<br />
Cela fait quelque temps qu'il parle, maintenant ;<br />
Abel ne répond rien, ce n'est que son cadavre.
Pierre Abélard à SaintDenis<br />
Abélard, dont le peuple admirait les discours<br />
A pour amante pris la très sage Héloïse,<br />
Et l'histoire nous dit combien cette entreprise<br />
Les laissa tous les deux sans joie et sans secours.<br />
Bien que leur aventure eût ainsi tourné court,<br />
Héloïse resta sous cette étrange emprise.<br />
A leur sort inhumain ces deux âmes en prise<br />
Ne perdirent contact, au long de leur parcours.<br />
Et quand je pense à eux, je leur donne raison,<br />
Car, n'ayant plus de fruits dans leur froide saison,<br />
Ils cultivaient la fleur des amours impossibles.<br />
J'admire même <strong>un</strong> peu leur double célibat.<br />
Chac<strong>un</strong> de leurs deux coeurs, qui contre l'autre bat,<br />
A le droit de ne pas demeurer impassible.<br />
Pierre Abélard (toujours à SaintDenis)<br />
Abélard, qui connaît à présent tes discours ?<br />
Plus parlant à nos coeurs est celui d'Héloïse,<br />
Te demandant pourquoi tu l'avais entreprise<br />
Pour <strong>un</strong> jour lui ôter ton marital secours.<br />
Mais bien que ta carrière ait ainsi tourné court,<br />
Tu gardes sur notre âme <strong>un</strong>e honorable emprise.<br />
A ce monde inhumain quand nous sommes en prise<br />
La nostalgie nous prend de ton simple parcours.<br />
Et quand je pense à toi, je te donne raison,<br />
Car je connais aussi <strong>un</strong>e froide saison<br />
Où ne vit que la fleur d'<strong>un</strong> amour impossible.<br />
Je n'ai pas fait retour, quand même, au célibat.<br />
Autant qu'il est <strong>un</strong> coeur qui contre le mien bat,<br />
Je ne vais certes pas devenir impassible.
Salomé (hommage à Oscar Wilde)<br />
Le fils du charpentier eut <strong>un</strong> cousin prophète ;<br />
Sa voix dans le désert clamait la loi de Dieu.<br />
Trouvant que ses propos étaient bien séditieux,<br />
Sa majesté le roi ordonna qu'on l'arrête.<br />
La bellesoeur du roi vint sur ces entrefaites<br />
Faire avec le monarque <strong>un</strong> couple incestueux.<br />
Le prophète en a fait reproche vertueux,<br />
La reine lui a dit : Un jour j'aurai ta tête.<br />
Reine, bien que ma vie soit au pouvoir du roi,<br />
Nous savons qu'il est noble et qu'il juge à bon droit,<br />
Au moins c'est ce qu'on voit dans la jurisprudence.<br />
La reine a répondu sur <strong>un</strong> ton méprisant :<br />
Donc je te surprendrai, peutêtre, en te disant<br />
Qu'on me l'apportera pour le prix d'<strong>un</strong>e danse.<br />
Un épilogue<br />
Acceptant le plateau, Salomé, stupéfaite,<br />
Dans les yeux du déf<strong>un</strong>t plonge ses tristes yeux,<br />
N'ayant jamais pensé qu'on prendrait au sérieux<br />
La demande insensée qu'au monarque elle a faite.<br />
D'<strong>un</strong>e voix repentante, elle parle au prophète<br />
Et tâche de lui dire <strong>un</strong> mot affectueux,<br />
Sans employer, pourtant, d'accents voluptueux ;<br />
Autour d'elle on entend les échos de la fête.<br />
Entonnez <strong>un</strong> cantique, a demandé le roi,<br />
Et puisque le prophète a péri sans effroi,<br />
Prenez soin de son âme, auguste Providence.<br />
Les traits du vagabond qui allait baptisant<br />
Sont gravés, pour toujours, au marbre d'<strong>un</strong> gisant<br />
Qui du vieux souverain orne la résidence.
Le roi des arbres est <strong>un</strong> buisson<br />
Abimélek a fait exterminer ses frères,<br />
Sauf Yotam qui raconte <strong>un</strong>e histoire de rois.<br />
Les arbres ont voulu <strong>un</strong> monarque (à bon droit).<br />
L'olivier se récuse, offrir l'huile, il préfère ;<br />
Et le figuier poser des figues sur la terre,<br />
Et la vigne fournir du vin de bon aloi.<br />
Le buisson alors crie : « En moi, ayez donc foi,<br />
Si vous m'obéissez, je serai débonnaire.<br />
Si vous me méprisez, je répandrai les flammes<br />
Pour brûler des vivants le corps et même l'âme<br />
De Méditerranée aux sommets du Liban. »<br />
Yotam a raconté cette fable stupide<br />
Pour porter désaveu, de manière intrépide,<br />
Aux affabulations d'<strong>un</strong> vieux buisson ardent.<br />
<strong>un</strong>e vieille enveloppe<br />
A chaque nouveau pape est, paraîtil, offerte<br />
Par le rabbin de Rome, en son vieux Vatican,<br />
L'enveloppe qui est, depuis la nuit des temps,<br />
Refusée, ce qui fait qu'on l'offre en pure perte.<br />
Un pape et <strong>un</strong> rabbin, d'érudition experte,<br />
Afin d'élucider ce mystère obsédant,<br />
Ont décidé de voir ce qu'on trouve dedans.<br />
Quand, dans <strong>un</strong> lieu secret, l'enveloppe est ouverte,<br />
Un parchemin est là, devant leurs yeux surpris.<br />
Les deux vieillards, alors, scrutent le manuscrit,<br />
Craignant d'y découvrir des vérités obscènes.<br />
Le pape et le rabbin ont pu le constater :<br />
Ce parchemin, longtemps des regards abrité,<br />
N'était que l'addition de la dernière Cène.
Adam et Lilith<br />
Adam aimait l'amour sans avoir jamais vu<br />
De féminin minois... et puis, <strong>un</strong>e luronne<br />
Qui n'a pas froid aux yeux, à ce point l'impressionne<br />
Que son coeur de l'Eden ne se satisfait plus.<br />
Et lui qui se montrait tout innocent et nu<br />
Devient majestueux au milieu de l'automne,<br />
Les oiseaux du jardin, bien sûr ça les étonne,<br />
De le voir explorer ce parcours inconnu.<br />
Mais Adam n'est pas libre, et sa vie est inscrite<br />
Au plan du Créateur, en sa règle, en ses rites.<br />
Lilith partit <strong>un</strong> jour vers je ne sais quel sort.<br />
Adam n'a de cela gardé nulle souffrance,<br />
Ce bel amour était <strong>un</strong>e vaine plaisance ;<br />
Celui qu'il a pour Eve est fort comme la mort.<br />
Adam et Lilith au temps présent<br />
J'aimais la poésie sans avoir jamais vu<br />
De poète vivant... et puis, <strong>un</strong>e luronne<br />
Ecrivant sous mes yeux, à ce point m'impressionne<br />
Que mon âme aux miroirs ne se reconnaît plus.<br />
Et moi qui me prenais pour <strong>un</strong> vieillard chenu,<br />
Je me mets à flamber au milieu de l'automne,<br />
Et tous mes bons copains, bien sûr ça les étonne,<br />
De me voir explorer ce parcours inconnu.<br />
Mais mon coeur n'est pas libre, et ma vie est inscrite<br />
Dans <strong>un</strong> quotidien qui a sa règle et ses rites.<br />
Platoniques seront ces nouvelles amours.<br />
Impossibles plutôt, car c'est trop de souffrance<br />
De réduire l'amour à quelques apparences,<br />
Lui qui voudrait qu'on fît <strong>un</strong> grand feu, chaque jour.
Nolens Volens<br />
Adam aurait voulu rester singe docile,<br />
Mangeant sa nourriture au moment d'avoir faim,<br />
Ne perdant pas son temps à des discours sans fin,<br />
Ne cachant pas son sexe en <strong>un</strong> bout de textile.<br />
Mais il est surchargé d'<strong>un</strong> cerveau trop habile<br />
Qui de trop de détails veut le mettre au parfum.<br />
Dieu qui jamais n'admet que l'on soit son dauphin<br />
Le condamne aussitôt à des efforts stériles.<br />
Adam jette son dieu dans <strong>un</strong>e inexistence<br />
Dont il avait sans doute <strong>un</strong>e intime prescience,<br />
Car l'intéressé n'a pas beaucoup protesté;<br />
Le monde cependant, géré par le primate,<br />
Ne plaît plus désormais qu'à quelques psychopathes,<br />
Que nous sommes, serons, que nous avons été.<br />
Abel<br />
Adam dit à Caïn : « De Dieu tu es l'image. »<br />
Caïn eût mieux aimé qu'il n'y eût pas de Dieu.<br />
Pour ne pas disperser ce divin apanage,<br />
Il a tué son frère, <strong>un</strong> homme aimable et pieux,<br />
Après ce sacrilège, il ne vécut pas mieux,<br />
Mais il passait ses jours et ses nuits dans la rage.<br />
Quand il eut à subir la vengeance des cieux,<br />
Il jugea qu'envers lui ce n'était qu'<strong>un</strong> outrage.<br />
Descendants de Caïn, gardonsnous de nousmêmes,<br />
Des sentiments pervers, des colères extrêmes,<br />
Noircissant notre coeur comme noircit <strong>un</strong> ciel<br />
Quand l'orage l'emplit d'éclairs et de tonnerre.<br />
Laissons passer l'orage, et soyons débonnaires :<br />
Caïn eût été noble en épargnant Abel.
Horloge<br />
Adam pour son jardin se bricole <strong>un</strong>e horloge.<br />
La l<strong>un</strong>e et le soleil lui semblent capricieux ;<br />
De nuages parfois se recouvrent les cieux<br />
Que vainement alors le regard interroge.<br />
Et dans cette machine où son génie se loge,<br />
Il voit <strong>un</strong> vrai triomphe, <strong>un</strong> instrument précieux,<br />
La belle solution qu'<strong>un</strong> esprit audacieux<br />
Trouve aux défis, s'il veut être digne d'éloges.<br />
Mais cela fait du monde <strong>un</strong>e foire d'empoigne,<br />
Et du jardin natal, chaque jour on s'éloigne,<br />
Par l'horloge abrutis du matin jusqu'au soir.<br />
Ce n'est pas pour toujours, poète, prends patience,<br />
De vivre sans horloge on trouvera la science :<br />
Et nos nouveaux jardins seront plaisants à voir.<br />
Une verticale, <strong>un</strong>e horizontale<br />
Adam, pieds dans le sol, orgueilleux paladin,<br />
Médite sur son corps, sur cet arbre qui danse.<br />
Levant les yeux au ciel, il voit cette arche immense<br />
Que parfois bouleverse <strong>un</strong> changement soudain.<br />
Puis il étend son bras, qui s'arme d'<strong>un</strong> gourdin,<br />
Vers les quatre horizons porteurs de forêts denses :<br />
Pôle, équateur, levant, couchant sous sa puissance,<br />
Forment les quatre murs de son petit jardin.<br />
Content de son pouvoir, il dresse <strong>un</strong>e colonne<br />
Au milieu du gazon. Les oiseaux s'en étonnent :<br />
Cet arbre ne vient pas du seigneur éternel.<br />
La colonne est ensuite ornée d'<strong>un</strong>e traverse,<br />
Mais Adam n'a pas eu la tentation perverse<br />
D'y accrocher le corps de Caïn ou d'Abel.
le coeur d'artichaut<br />
Adeline est charmante et Béatrice est belle,<br />
Caroline m'adore, ainsi que Djamila,<br />
S'il n'y avait dans mon coeur que ces quatre nomslà...<br />
Mais on y trouve encore Estelle, Flor, Gaëlle,<br />
Hélène, Isa, Justine, Odile et Raphaëlle,<br />
Une douzaine en tout. C'est bien trop, mais voilà,<br />
Mon coeur sans hésiter chaque fois s'emballa,<br />
Ignorant (honte à moi) le sens du mot "fidèle".<br />
En plus je suis distrait, je confonds leurs prénoms,<br />
Au moment du plaisir, ne sais si oui ou non<br />
J'ai dit celui qu'il faut en prononçant « je t'aime ».<br />
J'ai envie de leur faire à toutes mes adieux<br />
Et de vivre tout seul des instants délicieux.<br />
(On n'est jamais si bien aimé que par soimême).<br />
les auxiliaires du temps<br />
Aion dit à Kairos : « Ecrivons <strong>un</strong> sonnet »,<br />
Chronos le leur permet, ils n'ont rien d'autre à faire.<br />
Aion se gonfle alors comme <strong>un</strong>e énorme sphère<br />
Et Kairos de grands coups de pinceau lui donnait.<br />
Chronos aux alentours, calme, se promenait,<br />
Qui pas toujours avec ses adjoints n'interfère,<br />
Jugeant qu'en certains cas ils savent leur affaire<br />
(Ça fait <strong>un</strong> certain temps, déjà, qu'il les connaît).<br />
Aion, sans prévenir, se réduit en <strong>un</strong> point,<br />
Les tracés de Kairos alors ne se voient point,<br />
C'est dommage, ils étaient d'<strong>un</strong>e belle écriture.<br />
Il faut se résigner. La surface du temps,<br />
C'est <strong>un</strong>e bulle, et non <strong>un</strong> papier résistant :<br />
Elle ne retient pas notre littérature.
<strong>un</strong> autobus<br />
A l'arrêt d'autobus, <strong>un</strong> homme a son regard<br />
Capté par la beauté d'<strong>un</strong>e femme en attente.<br />
« Vous êtes belle », atil dit d'<strong>un</strong>e voix charmante.<br />
L'autobus arriva, même pas en retard.<br />
Et pendant le trajet, cette femme émue par<br />
La douceur de ces mots, avait l'âme tremblante,<br />
Et elle imaginait l'aventure excitante<br />
Qui pourrait se produire avec l'inconnu, car<br />
Lorsque deux coeurs soudain battent à l'<strong>un</strong>isson,<br />
Les corps peuvent bientôt partager leurs frissons,<br />
L'amour ne requiert pas de formalités lourdes.<br />
Le bus accomplit son parcours sans intérêt.<br />
Le monsieur descendit, car c'était son arrêt.<br />
A nos violents désirs, la vie, parfois, est sourde.<br />
Un inframonde<br />
A l'Est chaque matin apparaît le soleil<br />
Tout le jour il avance et donne sa lumière<br />
Et chaque jour il tombe à son heure dernière<br />
Derrière l'Ouest il semble abriter son sommeil<br />
Mais il est obligé de rester en éveil<br />
Car pour se lever à sa place coutumière<br />
D'Ouest en Est il lui faut franchir la Terre entière<br />
Avançant sous le sol d'<strong>un</strong> effort sans pareil<br />
A moi ma nuit aussi est dans <strong>un</strong> inframonde<br />
Un <strong>un</strong>ivers bizarre où la magie abonde<br />
Où le décor est sombre et les êtres tordus<br />
Et j'aime ce parcours dans <strong>un</strong> étroit t<strong>un</strong>nel<br />
Inframonde au pouvoir des dieux originels<br />
Et du plus grand d'entre eux <strong>un</strong> amour éperdu
Un primate, <strong>un</strong>e lionne, <strong>un</strong>e licorne, <strong>un</strong> chien<br />
Allons marcher, ditil, au long de cette plage,<br />
Sans nos enfants, sans rien de notre quotidien,<br />
Sans rien que ces deux coeurs, moi le mien, toi le tien,<br />
Au ciel nous accompagne <strong>un</strong> très petit nuage.<br />
En rêve nous serons deux animaux sauvages,<br />
Un primate, <strong>un</strong>e lionne, <strong>un</strong>e licorne, <strong>un</strong> chien,<br />
Sans pouvoir distinguer ni le mal, ni le bien.<br />
Seulement le désir, le plaisir, le naufrage.<br />
Ah, mais je suis trop vieux, j'ai vécu dans le vague<br />
Pour la plupart du temps, ces jours, et je divague.<br />
Je ferais mieux d'aller dormir dans <strong>un</strong> grenier.<br />
Pourtant ta voix m'attire, elle m'éveille au monde,<br />
C'est la voix d'<strong>un</strong>e muse à nulle autre seconde,<br />
Je frémis à l'entendre, et je ne puis le nier.<br />
Suivre les arcsenciel<br />
Allons marcher, ditil, où sont les bouquinistes,<br />
Sur les bords de la Seine ils nous accueilleront,<br />
En me reconnaissant, bouteilles trouveront ;<br />
Prenons le verre en main, car, vraiment ils insistent.<br />
Suivre les arcsenciel, c'est <strong>un</strong>e bonne piste,<br />
Vers de plus beaux jardins, derrière eux, nous irons,<br />
Et Paris a aussi de charmants environs<br />
Qui ont su autrefois inspirer les artistes.<br />
Ou bien nous flânerons comme des étourdis<br />
Sans que de nos soucis nos coeurs soient alourdis,<br />
Avançant tout au long d'<strong>un</strong> sentier invisible.<br />
Les villages discrets où vivent mes copains<br />
Ont des auberges qui proposent du bon pain,<br />
Dans des salles vibrant d'<strong>un</strong>e rumeur paisible.
Un héros de notre enfance<br />
Allonsy, dit le chat en enfilant ses bottes.<br />
Vers le château de l'ogre il marche d'<strong>un</strong> bon pas,<br />
Ayant fait le me<strong>un</strong>ier marquis de Carabas,<br />
Il garde cependant plus d'<strong>un</strong> tour dans sa hotte.<br />
A la ruse de l'ogre, <strong>un</strong> instant, il se frotte,<br />
L'ogre l'effraie <strong>un</strong> peu, mais ça ne dure pas,<br />
L'ogre devient souris dont il fait <strong>un</strong> repas.<br />
Or, le fils du me<strong>un</strong>ier avec le roi fricote :<br />
Le roi n'a pas de fils, donc il lui faut <strong>un</strong> gendre,<br />
Le félin y pourvoit, pas de quoi nous surprendre,<br />
Ce chat machiavélique a fait ce qu'il faut pour.<br />
A la mort du vieux roi, c'est le me<strong>un</strong>ier qui règne,<br />
Ça reste <strong>un</strong> brave gars, peu de sujets le craignent,<br />
Mais ils craignent les chats comploteurs de la cour.<br />
Synchronicité<br />
Apprenons chaque jour la force du silence.<br />
Il nous en a fallu, du temps, pour le choisir,<br />
Combien nous en avons débattu, à loisir,<br />
Mettant sincèrement nos coeurs dans la balance.<br />
Je n'écris pas ceci par jeu, par nonchalance,<br />
Ni pour faire de l'art, ou me faire plaisir,<br />
Mais pour exorciser l'intrusion du désir<br />
Bousculant de nos vies la tranquille ordonnance.<br />
Si nous l'apprivoisons, nous verrons survenir<br />
Chac<strong>un</strong> au fond de soi, les plus beaux souvenirs,<br />
Ni vraiment différents, ni tout à fait semblables :<br />
Comme s'ouvrent deux fleurs d'automne, au même instant,<br />
Dans deux jardins qui sont l'<strong>un</strong> de l'autre distants,<br />
Et semblent partager <strong>un</strong> désordre ineffable.
J'écris au bord de l'eau<br />
Assis au bord de l'eau, je compose <strong>un</strong> sonnet<br />
Directement au dos d'<strong>un</strong>e carte postale ;<br />
J'enverrai cette fleur à quatorze pétales<br />
A <strong>un</strong>e amie de coeur qu'au lointain je connais.<br />
Ce serait <strong>un</strong> haïku, si j'étais japonais ;<br />
Illettré, ce seraient trois fleurs sentimentales.<br />
Car, puisqu'ils n'avaient point même langue natale,<br />
Homère <strong>un</strong> autre chant que Virgile entonnait.<br />
Boîte aux lettres, quand tu détiendras ce courrier,<br />
Que vienne le postier, sans se faire prier,<br />
Le prendre et le porter où vit ma douce amie.<br />
Facteur, quand tu verras la belle en son château,<br />
Donnelui mon écrit tracé au bord de l'eau,<br />
Puisqu'il contient mon coeur, mes soupirs et ma vie.<br />
<strong>un</strong> jardin<br />
Audessus du jardin dansent les hirondelles,<br />
Leurs enfants sont logés en haut de la maison.<br />
Au jardin la chaleur ternit les floraisons,<br />
Mais ces couleurs d'été, je les trouve assez belles.<br />
Fleur qui à son destin ne semble pas fidèle<br />
Transforme son aspect, non sans <strong>un</strong>e raison,<br />
Elle suit simplement le cours de la saison ;<br />
L'an prochain nous aurons beaucoup de fleurs nouvelles.<br />
Je reste sur <strong>un</strong> banc dans la fraîcheur du soir,<br />
D'avoir <strong>un</strong> peu de pluie je caresse l'espoir.<br />
L'hirondelle, en son vol, semble appeler l'orage.<br />
Très je<strong>un</strong>e, j'adorais ce jardin merveilleux<br />
Et je l'aime toujours, alors que je suis vieux<br />
Et que j'y ai laissé pousser l'herbe sauvage.
Croire ou ne pas croire<br />
Au métier de poète, il s'attache <strong>un</strong>e crainte :<br />
C'est (je l'entends souvent) que la vie soit ailleurs.<br />
Mais ceux qui de la sorte ont cru me faire peur<br />
N'ont sur nul de mes vers laissé la moindre empreinte.<br />
Le jour où de rimer sera ma force éteinte,<br />
Je laisserai faucher la faux du moissonneur.<br />
Chaque jour a besoin d'<strong>un</strong> geste créateur,<br />
Pour avoir quelque chose à fêter d'<strong>un</strong>e pinte.<br />
Qu'importe que le thème à chaque fois varie,<br />
C'est dans ces autres vers la même âme qui prie,<br />
Peu importe avec qui, peu importe en quel lieu.<br />
Et c'est pourquoi je vis heureux dans la nature<br />
Que le langage soit donné aux créatures,<br />
Celles qui ont la foi, celles qui sont sans Dieu.<br />
Quelques vieux bouquins au fond d'<strong>un</strong> grenier<br />
Au poussiéreux grenier, ce soir, je suis monté,<br />
Cela fait sursauter <strong>un</strong>e araignée rêveuse...<br />
Ah ! Tant de vieux cartons de lettres d'amoureuses,<br />
Je ne méritais pas tous ces flots de bonté.<br />
Au grenier silencieux, le temps s'est arrêté.<br />
J'ai ressenti en moi cette douleur charmeuse.<br />
Même si la torpeur du lieu est endormeuse,<br />
Il s'en exhale aussi comme <strong>un</strong> parfum d'été.<br />
Ainsi que l'eau sur moi glissent les ans qui passent,<br />
Je fais la même chose, et jamais ne m'en lasse :<br />
On aime reproduire <strong>un</strong> geste familier.<br />
L'harmonie, je n'y puis parvenir en ce monde,<br />
Car j'en suis détourné, seconde après seconde,<br />
Par mes livres offrant leurs pages, par milliers.
Aux antipodes du plaisir<br />
Aux antipodes du plaisir<br />
se forme <strong>un</strong> territoire sombre<br />
où l'esprit semble rétrécir<br />
où les dangers sont en grand nombre<br />
Ce lieu princesse il faut le fuir<br />
nul ne reste là sans encombre<br />
tout ce qu'on y ferait grandir<br />
au lendemain serait décombres<br />
Ton âme <strong>un</strong>e mouvante sphère<br />
aura toujours des tours à faire<br />
et s'agitera pour <strong>un</strong> rien<br />
Si de moi je n'étais otage<br />
vers toi je ferais ce voyage<br />
j'entends tes mots ça fait du bien<br />
Je me souviens des antipodes<br />
Aux confins s'en aller, loin, très loin du plaisir,<br />
S'endormir au milieu d'<strong>un</strong> territoire sombre,<br />
S'abriter, se tapir, se laisser rétrécir...<br />
Oublier les dangers qui rôdent en grand nombre ;<br />
Souvent, j'éprouve en moi la tentation de fuir<br />
Et d'aller vivre seul <strong>un</strong>e vie sans encombre,<br />
D'ignorer les tourments qui ne font que grandir<br />
Pour me blottir, serein, au milieu des décombres.<br />
Mais je continuerai, sur la mouvante sphère,<br />
De faire tout ce qu'il m'est demandé de faire,<br />
Même avec l'impression que je le fais pour rien.<br />
D'<strong>un</strong> monde routinier suis volontaire otage,<br />
Je le suis au repos, je le suis en voyage...<br />
Que peutil en sortir ? Ma foi, on verra bien.
la méthode<br />
Avant toute recherche, il faut des expériences<br />
Bâtissant <strong>un</strong> réseau de résultats concrets ;<br />
Car si l'inspiration a de puissants attraits,<br />
Dans bien des cas, on doit la suivre avec méfiance.<br />
En aije vu, des fous, hallucinés de science,<br />
Faisant voeu de chercher jusqu'à trouver le vrai,<br />
Grands ascètes perdus dans <strong>un</strong> délire abstrait,<br />
Hantés par le démon de leur vive impatience...<br />
Il ne faut pas voir là des êtres supérieurs.<br />
Je ne suis pas surpris lorsque je vois plusieurs<br />
Kilogrammes de trop sur le corps d'<strong>un</strong> ermite.<br />
Le pouvoir de la transe et de l'inspiration<br />
Me semble <strong>un</strong>e chimère et <strong>un</strong>e aberration ;<br />
Nul n'en soit abusé, ce ne sont que des mythes.<br />
le temps<br />
Avec auc<strong>un</strong> organe on ne perçoit le temps.<br />
D'ailleurs il ne se tient pas dans les phénomènes,<br />
Il ne fait qu'émerger quand l'esprit se promène<br />
Auquel en auc<strong>un</strong> cas il n'est préexistant.<br />
On ne le perçoit pas, on l'évalue, pourtant,<br />
Il joue <strong>un</strong> rôleclé dans beaucoup de domaines.<br />
Estil donc objectif, ou simple idée humaine ?<br />
Trancher entre les deux, ce n'est pas important.<br />
Il faut goûter le temps, ne pas le vivre en vain,<br />
Voir qu'il est différent pour le buveur de vin,<br />
Voir qu'il est transformé dans l'élan poétique.<br />
Il faut laisser le temps partir et revenir,<br />
Sourire à des projets et à des souvenirs ;<br />
Ne pas en avoir peur : le temps est amnésique.
improductif<br />
Avril a déployé sa force lumineuse,<br />
L'aile du noir corbeau se transforme en miroir<br />
Et les verts marronniers vibreront jusqu'au soir<br />
Du doux frémissement d'abeilles butineuses.<br />
Loin du travail pesant, loin des fêtes ruineuses,<br />
Je sors <strong>un</strong> papier blanc du fond de mes tiroirs<br />
Et trace quelques vers, ou brèves de comptoir,<br />
Evitant les notions par trop vertigineuses.<br />
Le chat dans mon jardin se <strong>recueil</strong>le, immobile :<br />
Je sais qu'il a pour ça <strong>un</strong> bien vilain mobile,<br />
Que plus d'<strong>un</strong> vieil oiseau également connaît.<br />
Aux murs de mon bureau somnolent mes vieux livres,<br />
Et pas <strong>un</strong> seul d'entre eux sa science ne délivre :<br />
Dimanche à ne rien faire, ou tout juste <strong>un</strong> sonnet.<br />
Sur Un Air De Verlaine<br />
Le gyrovague tentait de se remémorer <strong>un</strong> des sonnets de Verlaine,<br />
qui ne fut certes pas à mettre aux cabinets.<br />
Ayant chassé la biche <strong>un</strong>ique qui appelle,<br />
Je me suis promené mais j'avais <strong>un</strong> peu faim.<br />
La biche savourait le soleil du matin,<br />
Colorant chaque fleur d'<strong>un</strong>e utile aquarelle.<br />
Rien n'a changé. J'ai tout connu : l'humble gamelle<br />
De clématite avec les noms de mes cousins ;<br />
Le moineau fait toujours son murmure vilain<br />
Et le voiturier sa plainte traditionnelle.<br />
Les gloires comme avant palpitent ; comme avant,<br />
Les moineaux orgueilleux se consolent au vent,<br />
Chaque buvette qui va et vient m'est connue.<br />
Pire, j'ai retrouvé debout le Grand Bougnat<br />
Dont le cuivre verdit au bout de l'avenue,<br />
Grêle, parmi l'odeur pauvre du jojoba.
deux cents éléphants<br />
Ayant sur son chemin trouvé <strong>un</strong>e oie magique,<br />
Le bonhomme en échange obtient <strong>un</strong> grand cheval<br />
Sur lequel il s'en va, loin du pays natal,<br />
Jusqu'en Inde où l'on voit des jardins magnifiques.<br />
Le cheval, s'amusant sur la place publique,<br />
Prend deux cents éléphants (il en veut, l'animal !)<br />
Et pratique avec eux <strong>un</strong> jeu original :<br />
Une balle, cinq murs, <strong>un</strong> vacarme horrifique.<br />
Le roi de ce pays survient à la mitemps<br />
Pour parler avec eux, déguisé en marchand ;<br />
Ils disent que son règne est fort peu méritoire.<br />
Il leur donne raison. Le bonhomme devient<br />
Le nouveau roi de l'Inde, et s'en sort plutôt bien ;<br />
Ceux du pays natal avec lui viennent boire.<br />
Vocalisations<br />
Rat noir, (<strong>un</strong> blanc), Pli roux, Zut safran, Gros azur,<br />
Nous saurons au jour dit ta polarisation :<br />
Rat, noir galant trapu d'<strong>un</strong> fatigant patron<br />
Qui culminait autour d'<strong>un</strong> diagonal du mur,<br />
Culots d'os ; qui, ourdant du mitard ou du rang,<br />
Cartons aux staphylins, pions blancs, chocs d'avachis ;<br />
Pli, carmins, drap du lit, riant ainsi qu'<strong>un</strong>is<br />
Dans <strong>un</strong> jupon ou dans <strong>un</strong> lardoir abondant ;<br />
Zut, grammatisations, ronds alpins du satin,<br />
Pull du marlou qu'ornait son vautour, pull du fin<br />
Sillon qu'<strong>un</strong> Mishima au burin imprima ;<br />
Gros, finitif dindon aux sautoirs d'abattoir,<br />
Arçons ahurissant Dogons ou Nirvâna,<br />
Gros d'<strong>un</strong> vautour, rayon jaillissant dans Son Voir !
les débats<br />
Belle chose, <strong>un</strong> débat qui soudain prend son vol.<br />
Les mots s'articulant, les idées prenant vie,<br />
Phrases dont l'abondance a de quoi faire envie,<br />
Rhétorique évoquant les effets de l'alcool.<br />
Poètes sommesnous, et non pas des guignols,<br />
Pure est notre pensée, et jamais travestie.<br />
Pas de complicité, auc<strong>un</strong>e antipathie,<br />
Juste à l'endroit qu'il faut, quelques petits bémols.<br />
Les vers ne sont pas faits pour les conciliabules,<br />
Ils vont aux conclusions sans trop de préambules ;<br />
Et quand il faut frapper, ne frappent qu'<strong>un</strong> seul coup.<br />
Mais sur certains sujets je parviens à me taire.<br />
Sans être réservé ainsi qu'<strong>un</strong> militaire,<br />
Sur quelques points précis, je n'en dis pas beaucoup.<br />
Une instruction silencieuse<br />
Bouddha ne parle pas. Chaque fois qu'<strong>un</strong> adepte<br />
Dit qu'il l'a entendu, sache qu'il a rêvé.<br />
Si ce disciple danse en disant « J'ai trouvé »,<br />
Il est dans les erreurs de notre monde inepte.<br />
Cette vie est errance, et ne suit nul précepte.<br />
Exode avec fardeau, et nos pieds entravés,<br />
Aussi, ne marche plus. Laissetoi dériver<br />
Et n'entre qu'en maison qui ta visite accepte.<br />
Bouddha ne parle pas. C'est pourquoi l'excellence<br />
De la compréhension se voit dans le silence,<br />
Comme, au fort du combat, se taisent les lutteurs.<br />
Bouddha ne parle pas. Mais le vent, parfois, chante<br />
Pour rendre la froidure, au matin, moins méchante,<br />
Pour donner <strong>un</strong> sourire, aussi, à l'instructeur.
la galerie de portraits<br />
Çà et là deux ou trois photos,<br />
Puis des amis qui se racontent,<br />
Et dont s'agrandit le troupeau,<br />
Avec <strong>un</strong> outil qui le compte.<br />
Des neufs, des vieux, des rigolos,<br />
Des charcutiers et des vicomtes,<br />
Des qui surfent de leur boulot<br />
(Mais pas besoin d'en avoir honte).<br />
Des commentaires instructifs,<br />
Ou quelquefois trop allusifs,<br />
Toute <strong>un</strong>e vie qui se dévoile ;<br />
Ecriture de jour, de nuit,<br />
Propageant les différents bruits<br />
Que chac<strong>un</strong> glane sur la toile.<br />
<strong>un</strong>e traverse<br />
Ceci est <strong>un</strong> sonnet, mais ceci est <strong>un</strong> code ;<br />
Dans ces quatorze vers, <strong>un</strong> sens est contenu...<br />
Or, grâce à la couleur, <strong>un</strong> fil le montre nu.<br />
Je ne puis expliquer le moyen et le mode<br />
Dont votre esprit curieux de lire s'accommode,<br />
Et comment il salive à tenir le menu<br />
D'<strong>un</strong>e auberge au régime <strong>un</strong> peu plus soutenu ;<br />
Car j'admire toujours <strong>un</strong> lecteur qui décode.<br />
Cependant, j'étais trop occupé pour répondre<br />
A ce faiseur de mots pendant qu'il allait pondre<br />
Une énigme occupant au pire <strong>un</strong> bref instant<br />
Et faisant travailler au moins quatre neurones.<br />
Mais seraitce <strong>un</strong> labeur pour quatorze amazones<br />
Dont au fier diapason secondes vont tintant ?
la fragilité<br />
Ce corps meurt par fragments et ne se voit mourir,<br />
C'est juste que la vie paraît plus difficile.<br />
Le ton de nos sonnets est toujours juvénile,<br />
Mais, au long des chemins, nous allons, sans courir...<br />
Or, nous le savons bien, qu'il nous faudra périr.<br />
Ce corps que nous avons n'est qu'<strong>un</strong> vase fragile<br />
Qui au fleuve du temps doit rendre son argile,<br />
Et l'esprit <strong>un</strong>e source en train de se tarir.<br />
Mais si la vie nous donne <strong>un</strong>e force illusoire,<br />
Faisons que cette vie soit <strong>un</strong>e belle histoire,<br />
Que viennent l'illustrer mille pages d'amour.<br />
Les morts ne draguent pas, ne boivent pas non plus<br />
Et ne relisent pas les livres souvent lus :<br />
Buvons donc aujourd'hui notre vin de ce jour.<br />
Art poétique<br />
Celui qui va lisant, écoutant <strong>un</strong> poème,<br />
Quelquefois, il met tout son être en vibration,<br />
De l'auteur il reprend les interrogations,<br />
Le coeur du lecteur bat plus fort quand l'auteur aime.<br />
Car l'auteur d'<strong>un</strong> écrit, ce n'est pas que luimême,<br />
C'est son clan, son village ou sa génération,<br />
Ses ancêtres lointains, toute la création<br />
Ayant mis dans son coeur et ses mots et ses thèmes.<br />
Une culture écrit quand l'homme prend la plume.<br />
Le paysan breton écrit avec sa brume,<br />
Celui des oliviers avec le bel azur.<br />
J'écris d'abord pour toi, si lointaine et si proche,<br />
Ma muse, mon amour, ma joie et mon reproche ;<br />
Mais ce n'est pas secret, c'est écrit sur <strong>un</strong> mur.
Cupidon au Parnasse<br />
Ce n'est pas évident de construire des rimes<br />
Pour noter ce que dit cent fois mieux le regard.<br />
Prendre ses sentiments pour <strong>un</strong> point de départ<br />
Peut être ressenti comme atteinte à l'intime.<br />
Pourtant, offrir des vers qui telle chose expriment,<br />
Ça contient des échos de magie, quelque part,<br />
Même si ce ne sont que quelques mots hagards,<br />
On sent que néanmoins ils touchent au sublime.<br />
Les discours en écho, les gestes en accord,<br />
La preuve que l'amour est toujours le plus fort,<br />
Celui qui vous endort sur <strong>un</strong>e même couche.<br />
Seule <strong>un</strong>e chose peut faire taire ce chant,<br />
C'est l'instant où nos corps, enfin se rapprochant,<br />
Se voient coeur contre coeur et bouche contre bouche.<br />
ce qui nous fit vibrer<br />
Ce qui nous fit vibrer ce fut vivre hors la loi<br />
Plutôt dans <strong>un</strong>e loi qui n'était que la nôtre<br />
Indifférente aux voix des <strong>un</strong>es et des autres<br />
Déjà nous récitions nos articles de foi<br />
Et ce passé dès lors nous file entre les doigts<br />
De cette transgression ne serons plus apôtres<br />
Vous tous qui nous lirez cette histoire est la vôtre<br />
Si vos coeurs ont erré follement quelquefois<br />
La sauvage passion n'est pas pour <strong>un</strong> Cochon<br />
fucius qui a les doigts rivés à sa galère<br />
Ses pauvres libertés de longtemps s'en allèrent<br />
Tu diras ce sonnet n'est pas trop folichon<br />
Je n'avais qu'<strong>un</strong> ciel gris ce jour devant mes yeux<br />
Et je ne prétends point aller vers d'autres cieux
Dans le fond des enfers<br />
Certaines nuits d'hiver, notre existence est rude ;<br />
Mais il faut toutefois relever ce défi.<br />
Je vais mobiliser ici mes aptitudes<br />
Pour décrire <strong>un</strong> curieux cauchemar que je fis.<br />
Je m'étais endormi, abruti par l'étude.<br />
Dans le fond des enfers la nuit me conduisit<br />
Où je fus enfermé en grande solitude ;<br />
Dans mon coeur <strong>un</strong> ennui profond s'introduisit.<br />
Pas de fleurs en ce lieu et, pas même, <strong>un</strong>e ronce.<br />
Pas l'ombre de question, pas même, <strong>un</strong>e réponse.<br />
Mon pauvre coeur était lourd comme <strong>un</strong> ciel d'hiver.<br />
Par chance il me restait <strong>un</strong> peu de ma mémoire<br />
Qui parmi mes écrits a puisé cent histoires ;<br />
Ma joie est revenue au rythme de ces vers.<br />
la visite<br />
César a dit adieu à la reine égyptienne,<br />
Car il veut respecter son vrai lien conjugal ;<br />
Cléopâtre, lâchant <strong>un</strong> combat inégal,<br />
Reprend la liberté qui fut toujours la sienne.<br />
César eut ses amours, sa femme avait les siennes ;<br />
La réconciliation leur fit <strong>un</strong> sort fatal.<br />
A Vercingétorix, cet empereur tribal,<br />
La femme de César dit : « Je ne suis plus tienne ».<br />
Cléopâtre le sut et obtint du gardien<br />
De la prison d'aller lui faire <strong>un</strong> peu de bien ;<br />
Ainsi, au fier Gaulois, elle montre <strong>un</strong>e épaule...<br />
Rien de plus n'est permis, en ce sombre mitard ;<br />
L'effet de la visite a duré bien plus tard :<br />
Car Vercingétorix en eut longtemps la gaule.
<strong>un</strong> dialogue<br />
César s'en expliqua <strong>un</strong> beau jour à sa femme :<br />
La reine Cléopâtre était si désirable<br />
(Et l'enjeu politique en plus, considérable)<br />
Bref, il n'avait pas pu modérer cette flamme<br />
Qui avait brusquement dévoré leurs deux âmes...<br />
Cela dit, en ayant <strong>un</strong> regard raisonnable,<br />
Le mariage officiel devrait bien rester stable<br />
Car sinon le public risquait d'en faire <strong>un</strong> drame.<br />
J'ai compris, dit l'épouse, ainsi tu n'as fauté<br />
Qu'à cause d'<strong>un</strong> grand charme et de tant de beauté<br />
Que toute résistance, à coup sûr, était vaine.<br />
Mais tu me permettras donc de m'aventurer<br />
Chez Vercingétorix que tu as capturé ?<br />
Le pauvre, il est bien seul depuis quelques semaines.<br />
ce sonnet est symbolique ici tout est symbolique seul l'anglais est symbolique<br />
il faudra qu'on te l'explique<br />
tu n'aimes pas quand<br />
j'explique<br />
<strong>un</strong> clin d'oeil toujours explique<br />
Ici tout est comme hier je vis à l'heure d'hier nous nous comprendrons hier<br />
travailler n'est pas amer ce poème estil amer je suis gris sans être amer<br />
c'est comme <strong>un</strong>e mécanique ma pensée est mécanique sable dans la mécanique<br />
insensible à la panique et mon destin est panique aujourd'hui <strong>un</strong> jour panique<br />
tant de souffles sont dans<br />
l'air<br />
les murs sont peints en gris<br />
fer<br />
de quoi demain atil l'air il ne faut rien foutre en l'air<br />
s'il est chaud battons le fer mon cheval pour <strong>un</strong> seul fer<br />
verse encore <strong>un</strong> verre d'eau j'ai perdu le niveau d'eau soleil sur le château d'eau<br />
papier encore <strong>un</strong>e rame barque vide point de rame<br />
des chercheurs cherchant leur<br />
âme<br />
la nuit n'est pas <strong>un</strong> cadeau la raison est <strong>un</strong> fardeau je suis toujours <strong>un</strong> badaud<br />
ici finit ma chanson<br />
rien n'est comme nous pensons ne me crois pas échanson<br />
allons ce n'est pas <strong>un</strong> drame mon texte n'a pas de trame on cherche en vain <strong>un</strong>e flamme<br />
sortons d'ici et dansons oublions et avançons c'est le plan des charançons
Ce sont...<br />
Ce sont les nièces des vampires<br />
Qui voulaient étudier Shakespeare<br />
A la lumière d'<strong>un</strong> lampyre<br />
Dans <strong>un</strong> coin perdu de l'empire.<br />
Au bout d'<strong>un</strong>e heure, elles soupirent :<br />
Comme étude on ne fait point pire ;<br />
Aux exploits sportifs on aspire,<br />
Aux gestes qui font qu'on respire.<br />
Ces nièces que le sport inspire<br />
Vont sur le terrain, et transpirent,<br />
Puis contre l'arbitre conspirent ;<br />
Nièces qui lecture rompirent<br />
Puis aux vestiaires se tapirent ;<br />
Enfin, qui sait pourquoi, glapirent.<br />
Mais aux genoux, point de hiboux<br />
Ce sont les oncles des crapauds<br />
Qui tricotèrent sans repos<br />
Pour leurs neveux, des oripeaux,<br />
Puis s'en allèrent au tripot.<br />
Voyant les couleurs du drapeau,<br />
Ils soulevèrent leur chapeau,<br />
Et même ils ont offert <strong>un</strong> pot<br />
Aux conseillers m<strong>un</strong>icipaux.<br />
Ensuite ils montent <strong>un</strong>e expo<br />
De grands portraits épiscopaux<br />
Tracés sur des feuilles d'impôts.<br />
Mais cette histoire est du pipeau !<br />
Nos lecteurs, fidèle troupeau,<br />
Ne gobent point de tels propos.
MarieMadeleine<br />
C'est MarieMadeleine, <strong>un</strong>e humble pécheresse,<br />
Qui sut apprivoiser le fils du charpentier.<br />
Il ne l'eut pour servante et n'en fit sa moitié,<br />
Mais marcher auprès d'elle était <strong>un</strong>e allégresse.<br />
Les apôtres bientôt la nommèrent prêtresse...<br />
Or cette troupelà marchait sur les sentiers<br />
Pour parler à chac<strong>un</strong> d'amour et d'amitié,<br />
Guérir les maladies, soulager la détresse.<br />
Le fils du charpentier comprend qu'il doit mourir.<br />
A Madeleine il dit d'éviter de courir<br />
Auc<strong>un</strong> risque inutile. Elle dit : Tu ordonnes<br />
Ton propre sacrifice et ton immolation,<br />
Nous laissant dans la crainte et la désolation...<br />
Du fond de mon chagrin, Seigneur, je te pardonne.<br />
Grandeur et décadence d'<strong>un</strong> peu tout le monde<br />
C'est sur <strong>un</strong> tapis bleu qu'est le trône royal,<br />
Bleu comme les rideaux des vieux châteaux de France.<br />
Quand on est au pouvoir, on soigne l'apparence,<br />
C'est là, pour <strong>un</strong> monarque, <strong>un</strong> art immémorial.<br />
C'est sur <strong>un</strong> tapis blanc que le roi, triomphal,<br />
Honore sa maîtresse en gardant la cadence,<br />
Puis, après la dînette, et quelques confidences,<br />
Il prendra son repos dans le lit conjugal.<br />
Mais sur <strong>un</strong> tapis rouge on a jeté son corps.<br />
Quel drame a renversé le fabuleux décor ?<br />
C'est la révolution, victorieuse et tragique.<br />
Ils ne reviendront plus, ces règnes abolis<br />
Où l'homme, tel <strong>un</strong> marbre, était dur et poli.<br />
De moins en moins nombreux en sont les nostalgiques.
<strong>un</strong>e île<br />
C'est, proche de la Chine, <strong>un</strong> coin de paradis,<br />
Ça se passe au temps où peu de nous étaient chastes,<br />
Les amours d'occasion ne semblaient pas néfastes,<br />
Le monde, depuis lors, s'est <strong>un</strong> peu affadi.<br />
Un pays merveilleux, cent poètes l'ont dit.<br />
Des habitants très purs, ne formant nulle caste,<br />
Beaux corps et ventres plats comme autant de gymnastes,<br />
Ignorant tout à fait notre monde maudit.<br />
Nous étions làbas deux voyageurs ordinaires,<br />
Vivant <strong>un</strong>e passion nullement littéraire...<br />
S'il y eut des amants fous, nous en avons été.<br />
Que restetil du feu de ces jours dans nos âmes ?<br />
Ce qu'il reste d'<strong>un</strong> feu quand il n'a plus de flammes,<br />
Ce qu'il reste en hiver des souffles de l'été.<br />
les cavaliers<br />
C'est <strong>un</strong> cavalier ja<strong>un</strong>e,<br />
il veut que je lui dise<br />
Ce qu'est <strong>un</strong>e émotion. Je lui dis : « La notion<br />
N'est pas bien définie, oublie donc ta question,<br />
Elle conduirait à de vaines analyses. »<br />
C'est <strong>un</strong> cavalier mauve,<br />
il veut que je précise<br />
Ma dernière allusion. Je lui dis : « La pulsion<br />
Qui produit ta demande est le fruit d'illusions.<br />
Répondre, de ma part, serait <strong>un</strong>e sottise ».<br />
Au cavalier orange <strong>un</strong> mot de balistique,<br />
Puis au cavalier rose <strong>un</strong> cours de linguistique,<br />
Sur le même refrain, la réponse est « Zéro ».<br />
Pour le cavalier rouge,<br />
aimant les théorèmes,<br />
Je compose aujourd'hui ce modeste poème ;<br />
Jamais je n'eus de don pour les cours magistraux.
Inconnaissable<br />
C'est <strong>un</strong>e fleur et non, ça ne peut en être <strong>un</strong>e,<br />
C'est <strong>un</strong> léger brouillard et ce n'en est pas <strong>un</strong>.<br />
Ça vient sur la minuit, c'est parti le matin,<br />
De telle chose, au monde, il n'en existe auc<strong>un</strong>e.<br />
Le reflet de ses yeux renvoyé par la l<strong>un</strong>e,<br />
La chaleur de son corps imprégnant les embr<strong>un</strong>s ;<br />
Un poète chinois la découvrit soudain<br />
Après quinze godets d'<strong>un</strong> fort alcool de pr<strong>un</strong>e.<br />
Il chante <strong>un</strong> empereur et son noble veuvage,<br />
Sa muse le transforme en <strong>un</strong> barde sauvage ;<br />
Il compare les dieux à de grands animaux.<br />
Il parcourt LaoTseu mais, ce faisant, il pense<br />
Que si les grands parleurs le sont par ignorance,<br />
Pourquoi le maître atil tracé cinq mille mots ?<br />
Cinq éléphants<br />
C'est <strong>un</strong> éléphant ja<strong>un</strong>e,<br />
il voudrait que j'achète<br />
Les trois mille bouquins qu'il a dans son bureau.<br />
Je lui ai répondu que je n'y tiens pas trop,<br />
Ce ne sont que sonnets par de maudits poètes.<br />
Alors l'éléphant mauve organise <strong>un</strong>e fête.<br />
Je lui dis qu'il me faut avant tout du repos,<br />
Afin d'être, demain, suffisamment dispos<br />
Pour que l'oeuvre du jour soit correctement faite.<br />
L'éléphant orange offre <strong>un</strong>e métaphysique,<br />
Le bel éléphant rose,<br />
<strong>un</strong> breuvage alcoolique,<br />
Je les ai donc laissés se débrouiller entre eux.<br />
Enfin, l'éléphant rouge enseigne le silence.<br />
C'est donc en sa faveur que penche la balance,<br />
Avec lui, sans parler, je suis <strong>un</strong> homme heureux.
La mouvance<br />
Mudamse os tempos, mudamse as vontades,<br />
Mudase o ser, mudase a confiança;<br />
Todo o m<strong>un</strong>do é composto de mudança,<br />
Tomando sempre novas qualidades.<br />
Changent les temps, changent les volontés,<br />
Et change l'être et change la confiance,<br />
Car l'<strong>un</strong>ivers n'est fait que de mouvance,<br />
Prenant toujours nouvelles qualités.<br />
Continuamente vemos novidades,<br />
Diferentes em tudo da esperança;<br />
Do mal ficam as mágoas na lembrança,<br />
E do bem, se algum houve, as saudades.<br />
Car toujours vont à nous des nouveautés<br />
Autres vraiment que dans nos espérances.<br />
Des maux se fixe en nos coeurs la semblance,<br />
Des biens n'avons que l'intranquillité.<br />
O tempo cobre o chão de verde manto,<br />
Que já coberto foi de neve fria,<br />
E em mim converte em choro o doce canto.<br />
Le temps couvrant d'<strong>un</strong> vert manteau le champ,<br />
Lui qui l'avait couvert de neige blanche...<br />
Il change en pleurs la douceur de mon chant.<br />
E, afora este mudarse cada dia,<br />
Outra mudança faz de mor espanto:<br />
Que não se muda já como soía.<br />
Changeant sept fois du dimanche au dimanche,<br />
Il change aussi, et c'est plus dérangeant,<br />
Les changements qu'il nous sort de sa manche.
la sérénité<br />
C'est vrai qu'il est serein, le moral des bouddhistes,<br />
Dans leur grand Véhicule ou bien dans le petit,<br />
A porter leur fardeau leurs coeurs ont consenti,<br />
Ils ne sont pas pourtant devenus fatalistes.<br />
Ils restent souriants lorsque leur vie est triste,<br />
Ils voient de la couleur sur <strong>un</strong> mur qui est gris.<br />
Il peut leur arriver de se montrer épris,<br />
Mais aux attachements de la chair, ils résistent.<br />
Ils ont compris d'où vient l'éternelle souffrance,<br />
L'impression de nonsens, de peur, de déshérence,<br />
Tout ce qui nous retient de nos malheurs captifs.<br />
Ils savent qu'<strong>un</strong> aveugle, en sa grise misère,<br />
Peut sentir que sa peau est baignée de lumière ;<br />
Ses yeux ne la voient pas, ils ne sont pas fautifs.<br />
le métier de chercheur<br />
Chercher, c'est être explorateur<br />
Du possible et de l'impossible,<br />
Cela tout en étant la cible<br />
De sérieux évaluateurs.<br />
Chercher, c'est être traducteur,<br />
Déchiffrer l'incompréhensible,<br />
En faire <strong>un</strong>e prose lisible,<br />
Dialoguer avec ses lecteurs.<br />
Citoyen, tu me subventionnes,<br />
Je sais que parfois ça t'étonne,<br />
Le désordre sur mon chantier.<br />
Si tu prends ça pour du laxisme<br />
Ou pour du bel amateurisme,<br />
Détrompetoi, c'est <strong>un</strong> métier.
Paisible vieillesse<br />
<strong>Cochonfucius</strong> a dit : <strong>un</strong> chien vivant vaut mieux<br />
Que deux grands guerriers morts qui ne peuvent plus boire.<br />
Quand il a dit cela, il était <strong>un</strong> peu vieux,<br />
Et la mort le guettait du fond d'<strong>un</strong>e urne noire.<br />
Il a creusé sa tombe, à la face des cieux,<br />
Dans <strong>un</strong> jardin alpin au bout d'<strong>un</strong> promontoire.<br />
Dans Leconte de Lisle il lit des mots radieux,<br />
Ouvrant les pages d'<strong>un</strong> coupepapier d'ivoire.<br />
Parviendratil <strong>un</strong> jour à versifier ainsi<br />
Pour chanter ses amours et ses regrets aussi,<br />
Le prince et le serpent, la rose et l'hirondelle ?<br />
Envers <strong>Cochonfucius</strong>, la vie n'est pas cruelle,<br />
Et chaque jour il rit, tout en buvant son thé,<br />
Disant des mots subtils ou des insanités.<br />
Le temps nous use et nous distille<br />
<strong>Cochonfucius</strong>, dans sa je<strong>un</strong>esse,<br />
Pouvait porter de grands fardeaux.<br />
Mais il était <strong>un</strong> peu lourdaud,<br />
Il a bien gagné en finesse.<br />
Son âme, maintenant plus pâle,<br />
Prend des traits <strong>un</strong> peu monacaux,<br />
Sa parole crée moins d'écho,<br />
Mais ce n'est pas pour ça qu'il râle.<br />
Car son esprit n'est pas roidi,<br />
Son talent n'est pas refroidi,<br />
Son chant est toujours bucolique.<br />
Il ne va plus, tel <strong>un</strong> fripon,<br />
Soulevant les chastes jupons,<br />
Mais il jette <strong>un</strong> regard oblique.<br />
Attention<br />
au miroir<br />
déformant !
se perdre en forêt<br />
Comme <strong>un</strong> homme égaré dans la forêt profonde,<br />
Le poète au jardin est traversé d'effroi.<br />
Tout n'estil donc que leurre et tristesse en ce monde,<br />
Qu'<strong>un</strong> acheminement vers le sépulcre froid ?<br />
Vainement aux entours jetant des coups de sonde,<br />
L'égaré ne sait plus comment sortir du bois.<br />
Sur <strong>un</strong> même sentier sa trajectoire ronde<br />
Le ramène toujours dans les mêmes endroits.<br />
Mais <strong>un</strong>e goutte d'eau quelquefois sur sa lèvre,<br />
Le saut d'<strong>un</strong> écureuil, la gambade d'<strong>un</strong> lièvre,<br />
Lui font aimer pourtant la piste, au petit jour.<br />
Il est charmé surtout par l'apaisant silence<br />
Dont est souvent saisi notre <strong>un</strong>ivers immense ;<br />
Ce silence est prière au soleil des amours.<br />
Un bilan<br />
Composer <strong>un</strong> poème est <strong>un</strong> acte de foi.<br />
Ce n'est pas seulement parler de joie, de peine,<br />
De l'ennui remplissant les jours et les semaines...<br />
Ce n'est pas que pleurer sur <strong>un</strong> tort d'autrefois ;<br />
C'est dire le présent, sans passion et sans haine,<br />
Les bras ouverts prenant la forme d'<strong>un</strong>e croix,<br />
Le bonheur fugitif auquel, quand même, on croit,<br />
Et le vent de printemps qui fait l'âme sereine.<br />
Pour écrire <strong>un</strong> poème, il faut juste <strong>un</strong>e plume<br />
Et peutêtre <strong>un</strong> semblant de désir qui s'allume<br />
Par <strong>un</strong> échauffement de l'imagination.<br />
Les mots sont à chac<strong>un</strong> dévolus en partage<br />
Ainsi que le pouvoir de lire les images ;<br />
Après... cela demande <strong>un</strong> peu d'application.
Heidegger devant la porte<br />
Connaissonsnous l'amour, audelà des symptômes ?<br />
L'art qui se développe à l'étage inférieur<br />
Est dépourvu d'index aux niveaux supérieurs :<br />
Nul ne cite Heidegger au métaphysiodrome.<br />
Naviguant à la voile, attention à la bôme<br />
Qui traverse le pont et frappe les meilleurs.<br />
De là tu reconnais les bons navigateurs :<br />
Ceux qui restent sereins même quand ils se paument.<br />
La mer ne s'ouvre pas lorsque le crépuscule<br />
Engloutit le soleil, ce serait ridicule.<br />
Mais <strong>un</strong> poète voit parfois la chose ainsi.<br />
Forum n'est pas taverne où nous boirons ensemble.<br />
Nous n'en sommes pas loin, pourtant, à ce qu'il semble :<br />
C'est ce que je ne peux développer ici.<br />
dans le creux de la nuit<br />
Danse onirique et noire, et pure, et silencieuse,<br />
Cerveau <strong>un</strong>ique où deux esprits sont enlacés ;<br />
Un lien sans avenir, sans contact, sans passé,<br />
Gardé par quatre cents missives sentencieuses.<br />
Dans le creux de la nuit, interjections fiévreuses,<br />
Désespoir de dormir à soimême embrassé ;<br />
Traversant en apnée, tel <strong>un</strong> grand cétacé,<br />
La longue nuit d'hiver et ses fosses ombreuses.<br />
Ermites vont plaidant <strong>un</strong>e saine abstinence<br />
Qui permettrait d'atteindre <strong>un</strong>e humble transcendance ;<br />
Le mérite survienne à qui survit ainsi.<br />
Je m'assieds dans le noir, j'allume <strong>un</strong>e lanterne,<br />
Et je laisse flotter mes sentiments en berne :<br />
La transcendance est là, dans cette voie aussi.
D'après George Meredith<br />
Dans la nuit étoilée s'éleva Lucifer,<br />
Las de son noir royaume il monta, l'Ennemi,<br />
Haut, loin du monde rond, nuageux à demi<br />
Où se croient à l'abri les promis à l'enfer.<br />
Menu fretin que nous pour lui, alors si fier ;<br />
Tantôt sur son aile Ouest il s'était affermi,<br />
Près du sable africain, puis son ombre parmi<br />
Les neiges de l'Arctique assombrissait les airs.<br />
Montant aux plus hauts cieux, la cuisante mémoire<br />
Lui revint de son cri contre le roi de gloire,<br />
A miparcours, il voit les étoiles au ciel<br />
Formant l'Esprit de Dieu. A leur vue, il s'écroule.<br />
Bien en rangs, et au pas, au vieux chemin s'écoulent<br />
Les sections de l'armée du pouvoir éternel.<br />
<strong>un</strong> canal<br />
Dans le monde d'Escher, <strong>un</strong>e roue reçoit l'eau<br />
Qui, sortant d'<strong>un</strong> canal, lui parvient en cascade.<br />
Par la suite, cette eau reprend sa promenade,<br />
Suivant sa pente ainsi que toujours font les flots.<br />
Le canal qui descend la porte vers le haut.<br />
Si vous prenez cela pour <strong>un</strong>e galéjade,<br />
Observez le canal avec ses colonnades<br />
Et suivezle du doigt pour tester son niveau.<br />
Le cours de nos pensées, comme l'eau du canal,<br />
Peut fort bien s'élever en allant vers l'aval,<br />
Et la cascade ainsi peut s'écouler encore.<br />
En seratil ainsi durant l'éternité ?<br />
Sur ce sujet précis, j'ai souvent médité.<br />
Voici ma conclusion : toute l'eau s'évapore.
Le violon<br />
Dans notre quotidien, les accords du violon<br />
Ne nous conduisent pas toujours où nous voulons.<br />
J'aime les musiciens, j'aime la poésie,<br />
Mais par d'autres valeurs on doit mener sa vie.<br />
Du violon, du calcul, l'<strong>un</strong>, l'autre, c'est selon<br />
Que libres nous dansons, ou tout droit nous allons.<br />
Et quand par la douleur <strong>un</strong>e âme est affaiblie,<br />
D'autant plus par <strong>un</strong> chant seratelle ravie.<br />
Marchant avec patience, <strong>un</strong> pauvre oiseau blessé<br />
Ces durs alexandrins dans son coeur a tressés.<br />
Du jour au lendemain plus n'en aura mémoire.<br />
Les arbres du chemin déjà portent du vert,<br />
La tiédeur du printemps radoucira mes vers,<br />
Je crois à la lumière au fond de la nuit noire.<br />
Cinq maisons<br />
Dans <strong>un</strong>e maison mauve habite <strong>un</strong> Australien,<br />
Un buveur de café dans la maison de briques.<br />
Il ne boit que du thé, le voisin ibérique ;<br />
Le NéoZélandais possède <strong>un</strong> petit chien.<br />
Près de la maison bleue, au Un, le Norvégien.<br />
Le fumeur de D<strong>un</strong>hill élève des bourriques.<br />
Ceux du numéro trois ont du vin en barriques.<br />
Ce sont des Marlboro que fume le Malien.<br />
Dans <strong>un</strong>e maison ja<strong>un</strong>e, on fume des Gauloises.<br />
On note <strong>un</strong> voisinage entre brique et ardoise.<br />
Le fumeur de Camel boit de la bière à flots.<br />
Or, les Gauloises sont d'<strong>un</strong> éléphant voisines ;<br />
On trouve la Gitane auprès d'<strong>un</strong>e lapine.<br />
Qui possède le zèbre ? Et qui est buveur d'eau ?
Un clairobscur<br />
Dans <strong>un</strong> monde envahi d'obscure transparence,<br />
Que peuton discerner sous ces sombres éclats ?<br />
Ici n'est point le lieu d'<strong>un</strong>e remise à plat,<br />
Ni d'<strong>un</strong> essai savant sur l'être et l'apparence.<br />
Or, certains jours, ma vie n'est qu'<strong>un</strong>e déshérence,<br />
Mon métier me paraît <strong>un</strong> piètre apostolat,<br />
Et mes chefs ont <strong>un</strong> peu l'aspect de cancrelats<br />
(Si j'ose formuler pareille irrévérence).<br />
N'importe, il faut agir, les autorités veillent,<br />
Puis, il faut accueillir les projets qui s'éveillent<br />
Aux mains des ingénieurs surchargés de talent.<br />
Que ne suisje <strong>un</strong> errant chanteur de villanelles,<br />
Ou bien, pour composer des oeuvres plus formelles,<br />
En <strong>un</strong>e cour royale, <strong>un</strong> poète galant !<br />
<strong>un</strong> pays de neige<br />
Dans <strong>un</strong> pays de neige, on voit des créatures<br />
A l'aspect biscornu, aux étranges maisons,<br />
Cultivant l'ironie, l'humour, la déraison,<br />
La versification et la caricature.<br />
Si encore ils avaient, dans leur littérature,<br />
Des textes pour bénir le cycle des saisons,<br />
Des hymnes à l'hiver, ou bien des oraisons<br />
Qu'on pourrait adresser à la douce Nature...<br />
Mais non, d'affreux sonnets, des haïkus ridicules,<br />
Déclamés par <strong>un</strong> grand flandrin qui gesticule,<br />
C'est nul à <strong>un</strong> tel point qu'on en serait touché.<br />
Je leur ai demandé s'ils ne pouvaient mieux faire,<br />
Ils m'ont dit que cela n'était pas mon affaire :<br />
Ce peuple de la neige est bien mal embouché.
Une expédition spatiale<br />
Dans <strong>un</strong> petit album au dos de percaline,<br />
Des photos d'<strong>un</strong>ivers multidimensionnels,<br />
Un vrai poème optique et gravitationnel :<br />
Si c'est d'<strong>un</strong> architecte, il est sous mescaline.<br />
Assis dans mon grenier qui sent la naphtaline,<br />
Je parcours, d'<strong>un</strong> regard omnidirectionnel,<br />
Ce <strong>recueil</strong> de clichés vraiment exceptionnels :<br />
Et bientôt, je franchis le mur de cornaline<br />
Qui tient lieu de frontière aux mondes transcendants.<br />
Et, dès lors, entouré des fiers astres chantants,<br />
Je me baigne au cristal qui vibre et me transporte.<br />
Soudain, ces clairs sentiers redeviennent obscurs :<br />
Me voici à nouveau de ce côté du mur,<br />
Car il faut que je signe <strong>un</strong> papier qu'on m'apporte.<br />
les paroles vagabondes<br />
De forum en forum, plusieurs voix se répondent.<br />
Sur ces pages sans fin, nous sommes des errants,<br />
Auteurs de textes flous, de phrases vagabondes,<br />
Dont les échos, longtemps, flottent sur nos écrans.<br />
Chaque forum fermé se veut <strong>un</strong> micromonde.<br />
Qui passe d'<strong>un</strong> à l'autre, auteur itinérant,<br />
Se construit, de ce fait, l'identité seconde<br />
Ou tierce, où ses propos se vont réverbérant.<br />
C'est, quand même, <strong>un</strong> bonheur d'accueillir <strong>un</strong>e intruse<br />
Dont on a souvenance au temps qu'elle était muse,<br />
Même si vers l'antan, nul ne peut repartir.<br />
Or donc, dans la nature <strong>un</strong> ermite se terre,<br />
Car il prend cette vie comme <strong>un</strong> trop lourd mystère :<br />
Que faire, alors, pour lui... Ecouter, compatir.
La planète ignorée<br />
Derrière le soleil se cache <strong>un</strong>e planète<br />
Qui, par rapport à nous, tourne en opposition.<br />
Elle abrite <strong>un</strong> état de civilisation<br />
Marqué par la douceur et le sens de la fête.<br />
Comparés à ceuxlà, nous sommes <strong>un</strong> peu bêtes.<br />
Ils rient facilement, à notre évocation ;<br />
S'ils débarquent chez nous pour <strong>un</strong>e exploration,<br />
C'est surtout l'occasion de se payer nos têtes.<br />
Quand ils rentrent chez eux, leur fusée fait escale<br />
Sur Vénus, <strong>un</strong>e étape humide et tropicale ;<br />
Des reptiles géants peuplent ce monde vert.<br />
Une fois qu'ils ont fait le tour de nos problèmes,<br />
Ces voisins ont choisi de laisser à euxmêmes<br />
Les malheureux Terriens, honte de l'Univers.<br />
Le rêve du mulet bleu<br />
Dès l'aube <strong>un</strong> mulet bleu s'est figé comme <strong>un</strong> porc<br />
Dans le bar de Cl<strong>un</strong>y où Daniel fait la plonge.<br />
On le dirait surpris par le philtre d'<strong>un</strong> songe,<br />
Evadé du réel, béat sur ses pieds forts.<br />
Oh ! bien loin de rêver, ce mulet bien retors<br />
Fait dans notre taverne <strong>un</strong> geste de mensonge.<br />
Dans l'immobilité que sa ruse prolonge,<br />
Rien de nos mouvements n'échappe à son oeil d'or.<br />
Qu'<strong>un</strong>e mouche imprudente approche, l'air tranquille<br />
Et prompt à la saisir avec <strong>un</strong> geste agile,<br />
Il fera de sa vie errante, son festin.<br />
Qu'importe à ce guetteur ce noble paysage ?<br />
Seul <strong>un</strong> désir brutal remplit son coeur sauvage,<br />
Et, svelte dans l'aurore, il incarne la Faim.<br />
Attention<br />
au miroir<br />
déformant !
<strong>un</strong> discours silencieux<br />
Des paroles nous vient illusion de puissance,<br />
Complice en est souvent <strong>un</strong> patient auditeur.<br />
Mais si l'on veut <strong>un</strong> jour prendre de la hauteur,<br />
Rien n'est plus expressif qu'<strong>un</strong> modeste silence.<br />
Rodin nous donne à voir <strong>un</strong> homme nu qui pense,<br />
Plus éloquent ainsi que bien des orateurs.<br />
Cette antique leçon que transmet le sculpteur<br />
Possède la saveur des belles évidences.<br />
Le chat dans le jardin sait cela, j'en suis sûr,<br />
Allant sans auc<strong>un</strong> bruit dans le matin obscur<br />
A l'heure où d'<strong>un</strong> oiseau retentit le ramage.<br />
Même l'écrit, souvent, se montre superflu.<br />
Oublie ces quelques vers quand tu les auras lus :<br />
Tu vois bien qu'ils ne sont qu'<strong>un</strong> léger bavardage.<br />
la connivence<br />
Deux étions qui aimions nous tenir auprès d'elle,<br />
D'abord notre bon sens a dû s'en estourbir.<br />
Elle, muse, sirène, antilope, hirondelle,<br />
Ce qu'elle nous fit voir on aima le subir.<br />
Faisant trembler les corps dans <strong>un</strong> ardent désir,<br />
Distillant chaque jour <strong>un</strong>e phrase nouvelle,<br />
Elle nous mit au lieu où l'on ne sait choisir...<br />
Hélas, sur ses portraits, comme je la vois belle !<br />
C'est sur la poésie que mon explication<br />
A porté, même si tu as la tentation<br />
De penser que je fais le portrait d'<strong>un</strong>e muse.<br />
Muse sans poésie, ce ne serait qu'<strong>un</strong> jeu,<br />
Poésie sans la muse aurait bien faible enjeu.<br />
Il est des mythes dont jamais nul ne s'abuse.
le surmoi<br />
Dialogue entre raison et violente passion<br />
Au dedans d'<strong>un</strong>e tête induit la crispation :<br />
Aux désirs de fusion, aux amoureux mirages,<br />
La crainte du malheur oppose son barrage.<br />
Mon surmoi dans mon crâne est son propre maton,<br />
Il se tient tout rigide avec son gros bâton,<br />
Il est là tout le temps, moi qui aime l'orage,<br />
Il m'interdit l'abord des orageux parages.<br />
Mais mon coeur en fusion n'est pas moins amoureux,<br />
Et d'<strong>un</strong> pareil amour il n'est pas moins heureux<br />
Que s'il pouvait plonger comme <strong>un</strong> amant fidèle<br />
Dans la douce chaleur de ce lac de beauté<br />
Pour croquer des fragments de son éternité :<br />
Et, sans pouvoir voler, j'entends <strong>un</strong> grand bruit d'ailes.<br />
Un carburant fossile<br />
Dieu avait ré<strong>un</strong>i, dans <strong>un</strong> premier Jardin,<br />
Un Adam raisonnable avec <strong>un</strong>e Eve pure.<br />
Le serpent n'a pas pu tenter ces créatures,<br />
Ils ont donc prolongé leur bonheur anodin.<br />
Dieu, de cette vertu, <strong>un</strong> peu jaloux, soudain,<br />
Sous la pierre écrasa cette verte nature.<br />
Ils ont connu, vivants, la lourde sépulture,<br />
Ceux envers qui l'amour est devenu dédain.<br />
Passe <strong>un</strong>e éternité sous le couvercle gris ;<br />
Ne resta des enfants du premier Paradis<br />
Que chair décomposée en <strong>un</strong> jus noir qui colle.<br />
Au bout de l'audacieuse expérimentation,<br />
Humant le noir produit de la fermentation,<br />
Dieu vit qu'il était bon, et le nomma «pétrole».
le mouvement social<br />
Dieu sonnait pour avoir son café matinal.<br />
Mais Gabriel survint, mains vides, triste mine.<br />
« Seigneur, pardonnezmoi, je viens de la cuisine,<br />
Pas de café, suite à <strong>un</strong> mouvement social. »<br />
Dieu dit à Gabriel : « Espèce d'animal,<br />
Les mouvements sociaux, moi, je les élimine,<br />
Ne suisje le seigneur qui crée, qui extermine ?<br />
Soit j'aurai mon café, soit c'est le trib<strong>un</strong>al. »<br />
Gabriel y retourne et n'obtient nul café.<br />
De la cuisine il fait <strong>un</strong> grand autodafé,<br />
Des anges marmitons <strong>un</strong> seul petit subsiste.<br />
Dieu, l'ayant convoqué, lui demande pourquoi<br />
Vainement s'opposer à lui et à sa loi.<br />
« Comme suicide ici, c'est tout ce qui existe. »<br />
Ornithologie barbare<br />
Dimanche, <strong>un</strong> oiseau bleu a demandé au roi<br />
De laisser le pouvoir à l'assemblée civique ;<br />
Il était temps d'aller vers <strong>un</strong>e république<br />
Où le gouvernement respecterait les lois.<br />
L<strong>un</strong>di, <strong>un</strong> oiseau blanc fait l'annonce, à mivoix,<br />
Que le monde a changé de façon pacifique,<br />
Que le roi gardera <strong>un</strong> pouvoir symbolique...<br />
(Cela s'est déjà vu, au royaume, autrefois).<br />
Mardi, <strong>un</strong> oiseau rouge enivra les soudards<br />
Qui ont livré bataille au long des boulevards,<br />
Emplissant de terreur les derniers jours du règne.<br />
Le temps des beaux marquis, le voilà révolu,<br />
Il n'est donc plus question de pouvoir absolu,<br />
Sauf de bureaucratie, l'<strong>un</strong>iverselle araigne.
<strong>un</strong> lecteur distrait<br />
Dis, ma vie, aije su te construire en droiture ?<br />
Peutêtre pas. Sachant que chac<strong>un</strong> est mortel,<br />
J'ai trop entretenu mon penchant naturel<br />
A prendre l'existence avec désinvolture.<br />
Parfois, je fus tenté de forcer ma nature<br />
Et de me lancer dans des trucs exceptionnels ;<br />
Mais <strong>un</strong>e âme rétive aux envols passionnels<br />
Préfèrera le calme aux folles aventures.<br />
C'est pourquoi tu me vois, assis paisiblement,<br />
Lisant <strong>un</strong> vieux bouquin, <strong>un</strong> traité, <strong>un</strong> roman ;<br />
Sur <strong>un</strong> coin de la table, <strong>un</strong>e boîte de bière.<br />
Et parfois, cependant, <strong>un</strong>e envie de penser<br />
Dans mon esprit dormant se surprend à danser...<br />
Je pose alors mon livre, et j'éteins la lumière.<br />
la soustraitance<br />
Doumé voulait planter quelques pommes de terre.<br />
Mais il était trop vieux, et son corps maladif<br />
Pour <strong>un</strong> si grand labeur n'était point volontaire.<br />
Il écrit à son fils, <strong>un</strong> homme créatif<br />
Qui sûrement saurait comment il faudrait faire.<br />
Le gamin lui envoie <strong>un</strong> courriel préventif<br />
Lui disant d'éviter les actions potagères,<br />
Pour ne pas dévoiler la cache aux explosifs.<br />
Les forces de la loi surviennent au matin<br />
Et, méthodiquement, creusent dans le jardin ;<br />
L'opération leur prend deux tiers de la journée.<br />
Le fils adresse ensuite à son père <strong>un</strong> envoi :<br />
Les patates qui sont à planter, mais tu vois,<br />
Planteles sans effort, la terre est retournée.
Dans le lointain<br />
D'<strong>un</strong> sonnet, certains jours, s'entrecoupe <strong>un</strong> silence,<br />
De mots que, toi ou moi, nous aimons à choisir.<br />
Le poids de quelques vers échangés à loisir,<br />
Qui dira de combien il charge les balances...<br />
Puisque ces jours d'été sont jours de nonchalance,<br />
Puisqu'ils sont consacrés à l'exil, aux plaisirs,<br />
A la satisfaction de modestes désirs,<br />
Accordonsleur d'<strong>un</strong> chant la subtile ordonnance.<br />
Des jours plus ou moins gris peuvent bien survenir :<br />
Nous irons nous cacher au creux d'<strong>un</strong> souvenir<br />
Comme au creux d'<strong>un</strong> rocher, deux escargots semblables.<br />
Comme deux papillons qui, d'instant en instant,<br />
Avancent au jardin, l'<strong>un</strong> de l'autre distants,<br />
N'ayant pour se parler que gestes ineffables.<br />
<strong>un</strong>e remembrance<br />
Du pays de mémoire <strong>un</strong> chant m'est parvenu<br />
Qui date de ce temps où je courais ma chance<br />
En allant t'admirer, à ta porte, en silence,<br />
Mon âme était limpide et mon coeur était nu.<br />
D'où vient que de ces soirs je me suis souvenu ?<br />
La mémoire a parfois d'étranges turbulences<br />
Et l'esprit au travers des temps anciens s'élance<br />
Dont il n'était, pour vrai, pas même revenu.<br />
Toi qui ne sais trancher entre veilles et songes<br />
Car chac<strong>un</strong> de ces deux dans l'autre se prolonge,<br />
Chac<strong>un</strong> des deux reprend de l'autre les tracas,<br />
Ma vie, ne te prends pas pour <strong>un</strong>e tragédie,<br />
Tu seras <strong>un</strong> pastiche ou <strong>un</strong>e parodie,<br />
Un paisible chemin vers <strong>un</strong> banal trépas.
<strong>un</strong> <strong>recueil</strong><br />
En ouvrant mon courrier le trois novembre au soir,<br />
Je découvre <strong>un</strong> ouvrage à couverture grise,<br />
Non que ce fût pour moi la totale surprise,<br />
Mais voilà qui me fit vraiment plaisir à voir.<br />
Dans l'antre calme où j'ai coutume de m'asseoir,<br />
Je bois paisiblement ma bière à la cerise,<br />
J'entame ma lecture et je me mets aux prises<br />
Avec les mille éclats de ce précieux miroir.<br />
Je reconnais ici mes compagnons de plume,<br />
Tantôt ils me font rire, et mon regard s'allume,<br />
Tantôt je suis troublé de sentiments divers.<br />
Pour notre anniversaire et pour tous ceux qui viennent,<br />
Que mes voeux de bonheur jusqu'ici vous parviennent,<br />
Merci pour ce soleil à l'entrée de l'hiver.<br />
la fin du parcours<br />
En rêve il se souvient de celui qu'il était,<br />
Son passé de corbeau, il le voit clairement,<br />
Ses noirs envols visant en vain le firmament,<br />
Son désir d'<strong>un</strong> plumage aussi blanc que le lait.<br />
Plus ne sera corbeau, même s'il le voulait.<br />
En primate il finit sa vie, bien sagement,<br />
Puis il ira dormir, petit tas d'ossements.<br />
Le cycle aura ainsi été rendu complet.<br />
C'est vrai qu'il est des jours où s'enivre l'esprit<br />
D'aimer, de versifier, ou simplement, il rit<br />
D'<strong>un</strong> pissenlit lançant au loin ses parachutes ;<br />
Mais tout cela se fait en attendant la mort<br />
Qui abolit le deuil, la peine et le remords.<br />
Dès l'envol on s'attend à finir par la chute.
<strong>un</strong>e formation<br />
En rêve, j'accomplis <strong>un</strong> stage pour être ange.<br />
Suivre la voie du bien, chaque heure, chaque instant,<br />
Surveiller les mortels, auprès d'eux voletant,<br />
Contrôler leur boisson, vérifier ce qu'ils mangent,<br />
Voir s'ils n'adoptent pas des positions étranges,<br />
Surtout, s'ils pensent bien à se brosser les dents,<br />
Eviter qu'ils ne soient d'<strong>un</strong> poison dépendants,<br />
Faire que leurs efforts soient dignes de louange...<br />
Je n'étais point taillé pour pareille aventure,<br />
Et ma mission finit dans la déconfiture ;<br />
D'ailleurs, je m'y étais quelque peu attendu.<br />
Braves mortels, pécheurs, que le serpent vous garde,<br />
Il comprend mieux que moi où vos coeurs se hasardent,<br />
Moi qui par vos façons fus toujours confondu.<br />
Une machine<br />
En rêve, j'ai construit <strong>un</strong>e étrange machine<br />
Qui ne reposait pas sur la numération.<br />
Mes chefs m'ont demandé par quelle aberration<br />
Elle fait, malgré tout, des trucs qui se terminent.<br />
J'ai dit : « Les composants sont fabriqués en Chine,<br />
Ils peuvent supporter des approximations ;<br />
Ce qui fait l'essentiel de leur animation,<br />
C'est de la sémantique assez subtile, et fine. »<br />
Ils ont dit : « Mais pourtant, ton truc ne sert à rien,<br />
Il crache des sonnets qui ne riment pas bien,<br />
Et même quelquefois, horreur, des villanelles ».<br />
J'ai répondu : « Messieurs, laissons du temps au temps,<br />
Ces mots que la machine ainsi va tricotant,<br />
Un jour, surpasseront nos chansons les plus belles. »
<strong>un</strong> hommage<br />
En rêve j'entendis <strong>un</strong>e chanson gitane<br />
Destinée au flâneur qui vers l'horizon fuit,<br />
Non pas loin du travail, non pas loin de l'ennui,<br />
Mais vers la d<strong>un</strong>e où meurt la lueur océane.<br />
Son surmoi le poursuit, disant, tu es <strong>un</strong> âne,<br />
Et nul des deux ne voit où la route conduit.<br />
Il n'importe. Aussitôt que tombera la nuit,<br />
Adviendra cet instant où leur conflit se fane.<br />
J'écris ces quelques mots, bien posé sur mes fesses,<br />
Mon corps en écrivant nullement ne s'affaisse ;<br />
Je ne sais si ces vers passeront à l'oral.<br />
Or, des mots d'<strong>un</strong>e amie, avoir été la cible,<br />
Voilà que monte en moi <strong>un</strong>e humeur indicible :<br />
Le pur ciel de midi en devient sidéral.<br />
Le commentaire du barde<br />
Ermite et moine ont tort de s'affronter en rimes,<br />
Ça ne peut qu'affaiblir leur transcendant regard.<br />
Prenez le sansissue comme point de départ,<br />
Contemplezle de près, devenez son intime.<br />
Ne cherchez pas de vers qui telle chose expriment,<br />
Ils auraient des échos indécents, quelque part.<br />
Ne vous dévoilez pas en des dictons hagards,<br />
Allez vers l'intérieur, allez vers le sublime.<br />
Or, le moine et l'ermite ont dans <strong>un</strong> bel accord<br />
Reproché au rimeur d'agir en esprit fort.<br />
Apprendsnous le métier ! Remetsen <strong>un</strong>e couche !<br />
A d'autres assemblées va proposer ton chant ;<br />
De ce lieu si <strong>un</strong> jour on te voit approchant,<br />
On te demandera de bien taire ta bouche.
Escargot sur <strong>un</strong>e vitre<br />
Escargot sur ma fenêtre,<br />
Tu traverses le ciel gris,<br />
Lent comme le sont les maîtres :<br />
Les jardins te l'ont appris.<br />
Quand je puis me le permettre,<br />
J'aime paresser ainsi,<br />
Tout au lendemain remettre,<br />
Et cette écriture aussi ;<br />
Or, que nul ne s'en offusque,<br />
Je ne suis pas ce mollusque,<br />
Mais <strong>un</strong> poète voulant<br />
Traverser avec aisance<br />
Un îlot de transparence,<br />
Comme <strong>un</strong> escargot volant.<br />
les reptiles<br />
Escher fut <strong>un</strong> démiurge à la vision fertile.<br />
Ses mondes infinis n'engendrent pas l'ennui,<br />
Traversés comme ils sont de prodigieux circuits ;<br />
Des monstres étonnants y trouvent domicile.<br />
L'art de la perspective, étrange et difficile,<br />
La juxtaposition du jour et de la nuit,<br />
Ces coups de maître sont <strong>un</strong> simple jeu pour lui.<br />
Il enlève et remet leur relief aux reptiles,<br />
Et l'on voit tournoyer ces amusantes bêtes,<br />
Soit plates, soit montrant d'innombrables facettes;<br />
Or, notre oeil ne sait pas quel monstre il a suivi.<br />
Tableau mille fois vu, on y revient encore ;<br />
L'esprit en y plongeant se perd et se dévore,<br />
Dans la contemplation toujours inassouvi.
Décennies<br />
Estce la même voix, estce la même peau ?<br />
De mon corps vieillissant, que puisje encore attendre ?<br />
Même si à fort peu de charme il peut prétendre,<br />
Certains jours, il advient qu'il soit frais et dispos.<br />
Il a bien plus souvent besoin de son repos,<br />
Mais je vois qu'il a tant de plaisir à le prendre...<br />
Ce qui est bon pour lui, comment le lui défendre<br />
(Ou ce qui est mauvais, quand ça vient à propos).<br />
De sa je<strong>un</strong>esse, <strong>un</strong> corps atil des souvenirs ?<br />
Ou des prémonitions, quant à son avenir ?<br />
Le corps se soucie peu de ces choses lointaines.<br />
Il laisse aller le sang et palpiter le coeur,<br />
Ni vaincu désolé, ni triomphant vainqueur,<br />
Les ans ne sait compter que par quelques dizaines.<br />
Occam en vacances<br />
Estce la perception qui nous permet de voir ?<br />
C'est chose plus complexe, <strong>un</strong>e interne écriture<br />
S'appuyant sur ce qui dans le cerveau perdure<br />
Et, petit à petit, constitue le savoir.<br />
Croire à l'inattendu serait presque <strong>un</strong> devoir,<br />
Si tu veux que ta vie demeure <strong>un</strong>e aventure.<br />
Tu ne la connais pas sous toutes les coutures,<br />
Occam ne prête pas tous les jours son rasoir.<br />
Je me regarde vivre et je me vois mourir,<br />
Je ne crains pas ma mort, et je sais en nourrir<br />
Les modestes accents de ce petit poème.<br />
Merci à l'<strong>un</strong>ivers de m'offrir ces instants<br />
Où je ne suis pas trop à moimême distant ;<br />
Merci, cher compagnon, de proposer ce thème.
<strong>un</strong> filigrane<br />
Estil <strong>un</strong> filigrane, ô Toile, pour tes pages ?<br />
Le silence en est <strong>un</strong>, aije lu aujourd'hui,<br />
Silence où le regret en douceur s'introduit<br />
Comme <strong>un</strong> bruit de cascade au profond des ombrages.<br />
Le temps, heure après heure, a tissé <strong>un</strong> voilage<br />
Pour occulter l'éclat dont mes jours et mes nuits<br />
Furent illuminés. Ce charme qui s'enfuit<br />
Laisseratil en moi <strong>un</strong> signe de passage ?<br />
Les cicatrices qui sur notre corps perdurent,<br />
Marquent le souvenir des anciennes blessures ;<br />
A force de les voir, on ne les perçoit plus.<br />
L'écrit le plus charmant n'est pas toujours lisible,<br />
L'essentiel a pour lot de rester invisible.<br />
Un filigrane est là, personne ne l'a lu.<br />
Et si...<br />
Et si des cauchemars surviennent au matin,<br />
Faisleur <strong>un</strong> bon accueil, ils sont là pour t'instruire.<br />
Ils ne possèdent pas le pouvoir de te nuire.<br />
Rendorstoi calmement dans tes draps de satin.<br />
Des poètes savants l'ont écrit en latin :<br />
Dans <strong>un</strong> cerveau nocturne on peut voir s'introduire<br />
Des monstres fabuleux, menaçant de détruire<br />
L'esprit désemparé que leur fureur atteint ;<br />
Certes, ton âme tremble aux éclats de leur voix,<br />
Et leur brûlant regard t'éveilla mainte fois,<br />
La sueur inondant tes oreillers de plume.<br />
Mais l'esprit les absorbe, ainsi qu'<strong>un</strong> océan,<br />
Et dans sa profondeur dissout leur corps géant<br />
Dont il ne restera qu'imperceptible écume.
<strong>un</strong> camembert sans squelette<br />
Exercice de style, ou jaillissement pur ?<br />
Le fait d'avoir <strong>un</strong> peu apprivoisé la forme<br />
Permetil d'éveiller les sentiments qui dorment,<br />
Ou n'estce que de l'encre étalée sur <strong>un</strong> mur ?<br />
Estce pour confirmer ce dont je ne suis sûr,<br />
Ce que je crois trop vain, trop idiot, trop énorme<br />
Que j'aligne mon texte en respectant la norme ?<br />
Envers mes illusions, ne soyez pas trop durs.<br />
Quant à noyer mes vers au jus de la bouteille,<br />
Je le fais certains jours, à l'ombre d'<strong>un</strong>e treille,<br />
Mais la sobriété me guide, au quotidien.<br />
Qu'on trouve peu de sens à mes oeuvres frivoles,<br />
C'est que facilement je fuis et je m'envole<br />
Vers <strong>un</strong> monde onirique où le sens ne m'est rien.<br />
Un instant<br />
Faire que chaque instant vibre, comme éternel ;<br />
Flotter au fil du vent comme au ciel <strong>un</strong> nuage,<br />
C'est de l'esprit humain le plus bel apanage<br />
Dont il fait profiter son compagnon charnel.<br />
Pas besoin pour cela de vieux calculs formels.<br />
Juste fixer les yeux sur <strong>un</strong>e belle image,<br />
N'importe le format, portrait ou paysage,<br />
Et suspendre le temps est <strong>un</strong> jeu naturel.<br />
J'entends, tu me diras que c'est <strong>un</strong>e illusion,<br />
L'homme dans l'éternel ne peut faire intrusion,<br />
Ce jeu n'arrête pas l'horloge meurtrière.<br />
Laissezmoi y plonger, malgré tout, mon esprit.<br />
Lorsqu'<strong>un</strong> homme médite, ou qu'il chante, ou qu'il rit,<br />
Son âme est hors du temps et de la fourmilière.
<strong>un</strong> flâneur<br />
Flâner, que faire d'autre en ce monde insipide ?<br />
Sur ce dernier plaisir, ne tirons pas <strong>un</strong> trait.<br />
Flâner plus que bosser a de charmants attraits,<br />
L'esprit, quand vient le soir, s'en trouve plus limpide.<br />
Ou si tu veux rester producteur intrépide<br />
D'excellents résultats, va donc, ne te soustrais<br />
Pas au sombre labeur, donnenous le portrait<br />
D'<strong>un</strong> segment du réel, de ton pinceau rapide.<br />
D'<strong>un</strong>e part le sérieux bilan de l'existant,<br />
D'autre part <strong>un</strong> envol vers des mondes distants,<br />
Choisis ton élément, choisis ton paysage.<br />
Pour entreprendre il n'est pas besoin d'espérer,<br />
Ni de réussir pour vouloir persévérer,<br />
Avance, et ne sois pas déçu de ton voyage.<br />
Encore Meredith<br />
Flattant ma vanité, <strong>un</strong> trop brûlant désir<br />
S'est adressé à moi. Amie, je me contente<br />
De jouer avec toi, puisqu'<strong>un</strong> tel jeu nous tente ;<br />
D'aller sur cette voie nous fait tous deux frémir.<br />
Si sur ta poésie j'ai voulu renchérir,<br />
Ta réponse à ma voix est trois fois plus charmante.<br />
Ce qui était secret devient chose flagrante,<br />
Je ne permettrai pas qu'on vienne l'appauvrir.<br />
Puisque mon sort dépend de ce que je te dois,<br />
Sérieuse est ma prière, et je dis : pense à moi,<br />
Règne sur ton poète, amie de mes pensées.<br />
S'il existe <strong>un</strong> soleil n'éclairant qu'<strong>un</strong>e fleur,<br />
S'il existe <strong>un</strong> soleil qui sent battre son coeur,<br />
Fais de moi <strong>un</strong> soleil allant sur sa lancée.
<strong>un</strong> éternel retour<br />
Fleuve parfois tari qui dans l'Histoire plonge,<br />
Ayant la majesté, le calme d'<strong>un</strong> gisant,<br />
Comme <strong>un</strong> miroir obscur pour les jours du présent ;<br />
Et du sable au milieu, où l'avenir s'éponge.<br />
Au long de ton pays ton rivage s'allonge,<br />
Où viennent méditer les humbles paysans<br />
Et l'âme des seigneurs devenus vers luisants,<br />
Qu'<strong>un</strong> tourment d'autrefois toujours harcèle et ronge.<br />
Je vois l'eau qui avance en descendant des monts<br />
Et ne remonte point comme font les saumons,<br />
Mais quand elle est en mer, cette eau qui s'évapore<br />
Revient vers les sommets, à la force du vent<br />
Et se fait source pure, et ruisseau, comme avant,<br />
Et le fleuve en luimême à nouveau s'incorpore.<br />
la sirène<br />
Heureux qui, comme Ulysse, entend, de la sirène,<br />
La voix ensorceleuse et les mots de velours :<br />
Dans ses nuits et ses jours, elle sera sa reine,<br />
Le joug de Pénélope en deviendra moins lourd.<br />
Une fois de retour à sa patrie sereine,<br />
La mémoire du roi évoque tour à tour<br />
La course du navire à la forte carène<br />
Et les femmes ailées lançant leur chant d'amour.<br />
Pour tiède que lui soit la douceur du foyer,<br />
Il est quand même heureux de n'être pas noyé<br />
Dans l'eau glacée, au pied d'<strong>un</strong>e falaise sombre.<br />
Pour navrante que soit la routine des soirs,<br />
Des rêves colorés dansent sur ce fond noir ;<br />
Ulysse est pour toujours amoureux de cette ombre.
Heureux qui comme <strong>un</strong>e huître...<br />
Heureux qui, comme <strong>un</strong>e huître, oncques ne fait voyage,<br />
Et n'a plume sur soi, pelage ni toison,<br />
Et n'ayant de cerveau est pleine de raison<br />
Qu'elle use oisivement tout au long de son âge.<br />
Car les huîtres n'ont pas de bourg ni de village,<br />
N'allument cheminée en auc<strong>un</strong>e saison,<br />
N'habitent auc<strong>un</strong> clos ni auc<strong>un</strong>e maison,<br />
Ni auc<strong>un</strong>e province ou fief, place ou baillage.<br />
Plus leur plaît leur séjour au couvercle ingénieux<br />
Que des logis humains le style prétentieux,<br />
Plus leur calcaire dur qu'architecture fine,<br />
Plus l'île d'Oléron que le Quartier Latin,<br />
Plus leur silence frais que tous nos baratins,<br />
Et plus leur lieu marin qu'<strong>un</strong>e boîte à sardines.<br />
troisième art poétique<br />
Heureux qui peut reprendre <strong>un</strong>e oeuvre très ancienne<br />
Et lui faire porter <strong>un</strong> contenu nouveau,<br />
Cherchant à faire mieux que ses nombreux rivaux<br />
Ou bien laisser chanter la voix qui est la sienne...<br />
La forme nous inspire et les contenus viennent<br />
(Et c'est surtout par eux que le poème vaut).<br />
On peut passer des nuits à ces plaisants travaux<br />
Qui nous font découvrir à quoi nos pensées tiennent.<br />
Un coup de nostalgie, la sagesse d'<strong>un</strong>e huître,<br />
Le bonheur sans argent, l'escargot sur la vitre...<br />
Innombrables pour nous foisonnent les motifs.<br />
Le sujet est présent, prenons garde à la forme,<br />
Mais cela ne va pas être <strong>un</strong> effort énorme :<br />
Quand le plaisir l'excite, <strong>un</strong> esprit est actif.
The Dark One<br />
I am Cromwell the Dark, and I control<br />
Aquitaine's old camel and the lost shrew.<br />
But my Memory is dead, my starstruck head<br />
Brings King Gontran somber Melancholy.<br />
By opening a barrel, the King saved me,<br />
It was in Paris, Avenue d'Italie,<br />
Plonk is what pleases my destroyed soul,<br />
While the camel with the shrew does dally.<br />
Am I <strong>Cochonfucius</strong> ? Am I quite dr<strong>un</strong>k ?<br />
My eyes are lost in the Queen's dark green ones,<br />
My head reso<strong>un</strong>ds with the howling of monsters.<br />
I see the camelshrew waiting for food,<br />
And I can see the cook bringing a plate<br />
Of fried fish here, and a cup of coffee.<br />
Système solaire<br />
Icare traversant les cercles planétaires<br />
Tantôt semble monter, tantôt se faire lourd.<br />
A la loi newtonienne il n'est pas vraiment sourd,<br />
Il ne sait pourtant pas s'en tenir à sa sphère.<br />
Mais ce corps qui nous semble infiniment précaire,<br />
Depuis déjà longtemps suit le même parcours ;<br />
Or, si nous le croisions, ce serait sans recours,<br />
Icare obscurcirait alors notre atmosphère.<br />
La vénérable horloge issue du fond des âges<br />
Fait fonctionner ainsi d'étranges engrenages,<br />
Voltaire a déliré, en parlant d'horloger.<br />
Ne disons pas de mal des astres, des comètes,<br />
De ce brave soleil, ni, surtout, des planètes :<br />
Je me sens bien sur celle où nous sommes logés.
Les compagnons<br />
Ici je ne dis pas la passion exclusive<br />
Mais le plaisir d'avoir des compagnons marrants<br />
Des compagnes aussi embellissant les rangs<br />
D'<strong>un</strong> groupe rassemblé pour les heures oisives<br />
L'<strong>un</strong> produit <strong>un</strong>e idée amusante incisive<br />
L'autre la continue sur <strong>un</strong> mode hilarant<br />
Un troisième lui donne <strong>un</strong> éclat différent<br />
L'écriture en effet peut être collective<br />
Un forum certains jours est ainsi qu'<strong>un</strong>e auberge<br />
Ou d'<strong>un</strong> frais ruisselet la séduisante berge<br />
Qui voit plein de copains venir et s'en aller<br />
Mettre mes propres mots entre les mots d'<strong>un</strong>e autre<br />
Voir émerger le son d'<strong>un</strong> poème le nôtre<br />
Combien de fois mon âme à ce jeu a brûlé<br />
Les plans<br />
Il fallait mettre en croix le fils du charpentier<br />
Pour que fût accompli le mot des écritures<br />
Pilate a donc jugé la pauvre créature<br />
Non sans lui prodiguer <strong>un</strong>e vaine pitié<br />
Cependant de la croix l'inachevé chantier<br />
Trop inutilement offensait la nature<br />
Car même s'il avait encaissé sa facture<br />
L'artisan avait fait son dû moins qu'à moitié<br />
Seul était là <strong>un</strong> trou profond sombre béant<br />
Bien fait pour recevoir <strong>un</strong> pylône géant<br />
Mais vide défiant les foules stupéfaites<br />
Pilate interrogea les esclaves craintifs<br />
« De l'inachèvement qui donc est le fautif ? »<br />
« Maître, on attend les plans fournis par les prophètes »
La croix<br />
Il fit sa propre croix le fils du charpentier<br />
Lui qui était fait pour citer les écritures<br />
Parcourir les chemins guérir les créatures<br />
Mais de son propre corps il n'a pas eu pitié<br />
Il en eut pour longtemps sur ce sacré chantier<br />
Le bois des oliviers est <strong>un</strong>e essence dure<br />
Il ne savait à qui adresser la facture<br />
Au père et à l'esprit peutêtre par moitiés<br />
Construisant le moyen d'entrer dans le néant<br />
Et aussi d'édifier même les mécréants<br />
Par sa résignation et sa douceur parfaites<br />
Pour faire de l'esclave <strong>un</strong> homme moins craintif<br />
Pour réparer le tort du vieil Adam fautif<br />
Il accepta la mort qu'annonçaient les prophètes<br />
L'insensé a dit en son coeur : point de Dieu !<br />
Il n'y a pas de Dieu, n'en ayez nulle crainte.<br />
Les hommes d'autrefois, guidés par leur frayeur,<br />
Ont inventé ce truc, exorcisant la peur.<br />
Tu peux voir sa statue et son image peinte<br />
Où jamais il ne fut, ni ne but <strong>un</strong>e pinte.<br />
Il n'est pas de démiurge, il n'est pas de sauveur,<br />
Encore moins de fils, et point de créateur.<br />
Bon, mais rassuronsnous par les images saintes :<br />
Nous sommes les enfants de la vierge Marie,<br />
Car c'est notre maman qui jamais ne varie,<br />
Certes, pour son amour, on peut devenir pieux.<br />
Enfin, depuis le temps, elle est morte, et bien morte.<br />
Et donc, sa sainteté ne peut servir de porte<br />
Pour qui veut aujourd'hui être proche de Dieu.
<strong>un</strong> hommage à la maternité<br />
Ils disent que Marie s'est envolée au ciel,<br />
Ils n'ont pas bien saisi sa condition de mère.<br />
Son fils a dit « Le grain doit mourir, dans la terre,<br />
Pour accomplir du fruit le sort providentiel ».<br />
Abeille qui produis le beau rayon de miel,<br />
C'est lui que nous mangeons, non ton corps éphémère.<br />
Marie ayant vécu, comme femme ordinaire,<br />
A disparu aussi, sur le plan matériel.<br />
Poètes nous serons, nourris de son sourire<br />
Qui nous apprend à voir le meilleur et le pire<br />
Dans ce monde soumis à d'arbitraires lois.<br />
Le fils du charpentier est le dieu des poètes,<br />
Et maintes qualités qu'aujourd'hui on lui prête,<br />
Notre Dame, Marie, c'est à toi qu'il les doit.<br />
Savoirvouivre<br />
Ils perdirent la vouivre, <strong>un</strong> soir. Pourquoi perdon<br />
La vouivre ? Quelqu'<strong>un</strong> l'a parfois trop regardée.<br />
Les loriots blancs, furieux de l'avoir hasardée,<br />
Tracèrent sur le sol des cercles au bâton.<br />
Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,<br />
Mais la vouivre avait fui, comme fuit <strong>un</strong>e idée.<br />
Et ces loriots voulant avoir l'âme guidée<br />
Pleurèrent, en dressant des tentes de coton.<br />
Mais le gros bison noir, méprisé des deux autres,<br />
Se dit Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,<br />
Il faut donner pourtant au peuple son pinard.<br />
Tandis qu'il en portait <strong>un</strong> plein seau par son anse,<br />
Alors qu'il y jetait <strong>un</strong> machinal regard,<br />
Il vit la vouivre d'or, qui nageait en silence.
La tour<br />
Ils se sont assemblés, tous frères, fils d'Adam,<br />
Pour bâtir <strong>un</strong>e tour s'élevant de la terre<br />
Jusqu'au plus haut des cieux, quittant notre atmosphère<br />
Et dépassant la l<strong>un</strong>e, et le soleil ardent.<br />
Le créateur du monde a jugé, cependant,<br />
Que cette initiative avait tout pour déplaire,<br />
Et que d'y mettre <strong>un</strong> terme il serait nécessaire :<br />
Projet mégalomane, abusif, imprudent.<br />
Il s'en va consulter Lucifer le subtil.<br />
« Que feronsnous, voisin, le sollicitetil,<br />
Comment mettronsnous fin à cette oeuvre perverse ? »<br />
Le démon dit alors : « Pour que, de ces gredins,<br />
Le prodigieux chantier tourne en eau de boudin,<br />
Tu les feras parler en des langues diverses. »<br />
<strong>un</strong> chevalier<br />
J'ai croisé le héros à la triste figure<br />
Auprès d'<strong>un</strong>e forêt où règne <strong>un</strong> enchanteur,<br />
Forêt où l'on n'entend auc<strong>un</strong> oiseau chanteur<br />
Mais seuls quelques corbeaux de ténébreux augure.<br />
Avec sa longue lance il eut de l'envergure,<br />
Mais son vieux canasson marchait avec lenteur<br />
Et son pauvre écuyer, paresseux et menteur,<br />
N'était de ceux par qui la gloire s'inaugure.<br />
Je lui dis : Comme toi, je rôde, je galère,<br />
Et à bien des égards toi et moi sommes frères ;<br />
Tu traînes ton courage au long du grand chemin,<br />
Et moi, entre les murs d'<strong>un</strong> grand laboratoire,<br />
Je peine à trouver la démarche exploratoire<br />
Pour aider à bâtir les outils de demain.
<strong>un</strong>e disparition<br />
J'aimais lire autrefois des récits incroyables,<br />
Et dans les temps présents, je ne m'en lasse pas ;<br />
Or je pense à celui qui jadis me frappa :<br />
Il expose à nos yeux le destin effroyable<br />
D'<strong>un</strong> homme qui, <strong>un</strong> soir, a rencontré le diable,<br />
Lequel en <strong>un</strong> échange inégal le trompa,<br />
Dont souffrit ce héros jusqu'au seuil du trépas,<br />
Tant la perte subie était irrémédiable.<br />
Tout seul, il doit aller vers cette triste fin ;<br />
Le voici déjà vieux, prochainement déf<strong>un</strong>t,<br />
Et c'est <strong>un</strong> crèvecoeur pour l'auteur du poème.<br />
Celui que l'on a vu si vigoureux gaillard<br />
Ne saurait nullement être <strong>un</strong> digne vieillard :<br />
Peter Schlemihl n'est plus que l'ombre de luimême.<br />
Perplexité<br />
J'ai parfois l'impression d'être <strong>un</strong> double élément :<br />
Humain et animal comme le Minotaure<br />
Qui reste au labyrinthe en son égarement,<br />
Ou comme en promenade <strong>un</strong> perplexe centaure<br />
Ne sait s'il aime Ariane ou alors sa jument.<br />
Je sais que le désir jamais ne doit enclore<br />
Le coeur pensant d'<strong>un</strong> homme en <strong>un</strong> vouloir qui ment ;<br />
Mais mon coeur au désir se laisse prendre encore,<br />
Puisqu'<strong>un</strong>e voix lointaine a sur moi tel pouvoir...<br />
Comment en ce vieux monde aije pu me mouvoir<br />
Jusqu'au déclin de l'âge en restant immature ?<br />
Agir avec raison, même au temps de l'amour,<br />
Mais rêver follement tout au long du parcours :<br />
Telle est la double loi de l'humaine nature.
Encore <strong>un</strong> rêve<br />
J'ai rêvé. Je ne sais ce qu'en rêve j'étais,<br />
Peutêtre <strong>un</strong> animal, <strong>un</strong> végétal, <strong>un</strong> ange,<br />
Un nuage, <strong>un</strong> soleil, <strong>un</strong>e machine étrange.<br />
Quelque part dans l'espace, <strong>un</strong>e muse chantait.<br />
J'ai rêvé. L'<strong>un</strong>ivers, autour de moi, flottait.<br />
Un peuple de Gaulois buvait dans <strong>un</strong>e grange.<br />
Un Bouddha dignement marchait sur l'eau du Gange,<br />
Et la cigale avec la fourmi complotait.<br />
J'ai rêvé que, sévère, assis à mon bureau,<br />
Je pratiquais l'humour à son degré zéro,<br />
Et que ça résultait d'<strong>un</strong> long apprentissage.<br />
J'ai rêvé que mon coeur se perdait dans le ciel<br />
Grâce au souffle attiédi d'<strong>un</strong> vent providentiel,<br />
Puis se laissait tomber, inerte, sur la plage.<br />
Un ermitage onirique<br />
J'ai rêvé que j'étais dans <strong>un</strong> exil l<strong>un</strong>aire<br />
Sous la forme d'<strong>un</strong> chat, posé sur le croissant,<br />
Voyant au loin la Terre et son jour finissant,<br />
Et les mers reflétant les derniers feux solaires.<br />
Mon coeur était rempli de joie crépusculaire.<br />
Le ciel autour de moi, tout en s'assombrissant,<br />
Se peuplait de lueurs tour à tour surgissant<br />
Et se rangeant autour de l'étoile polaire.<br />
Dans ce monde où régnait <strong>un</strong> éternel silence,<br />
Je pus épanouir ma native indolence,<br />
Sans regretter de trop l'absence de rongeurs.<br />
Réveillé ce matin, je suis loin de la l<strong>un</strong>e,<br />
Mais j'y retournerai, si par bonne fort<strong>un</strong>e<br />
Le même rêve advient en mon esprit songeur.
<strong>un</strong> nuage<br />
J'ai rêvé que j'étais devenu <strong>un</strong> nuage,<br />
Et je me nourrissais de photons savoureux<br />
Tout en accompagnant les vents aventureux<br />
Qui m'avaient éloigné de la mer et des plages.<br />
Tout était nouveauté, en ce premier voyage,<br />
La ville minérale ou le bocage ombreux,<br />
L'aigle en sa solitude ou les humains nombreux,<br />
Et les mille détails de chaque paysage.<br />
Mais ma force a décru, soudain, l'autre matin.<br />
Il manquait la moitié de mon corps de satin<br />
Et, presque à chaque instant, je perdais quelques grammes.<br />
C'est notre sort à tous, prenonsle patiemment,<br />
Nuage pour toujours n'est pas au firmament,<br />
Aux jardins franciliens je déverse mon âme.<br />
Quatre pas sur le sable<br />
J'ai rêvé que j'étais étranger sur la Terre,<br />
Ne connaissant serpent, aviateur, ni renard.<br />
Je voulais m'éloigner avant qu'il soit trop tard<br />
Et refermer les yeux sur de trop noirs mystères.<br />
J'ai rêvé que j'étais, voyageur solitaire,<br />
Emporté dans l'espace aux mille astres blafards,<br />
J'ai rêvé que l'essaim de mes rêves épars<br />
Ne cessait de danser <strong>un</strong> ballet f<strong>un</strong>éraire.<br />
Il est mort, désormais, l'éclat de ma je<strong>un</strong>esse.<br />
J'ai vu aussi la mort de ma je<strong>un</strong>e sagesse ;<br />
Une voix m'avertit de celle du grand Pan.<br />
Le soir, de çà, de là, d'autres voix me parviennent.<br />
Cette vie que je vis, estce vraiment la mienne ?<br />
Parfois je dis que oui, ou bien non... Ça dépend...
Quatre océans de solitude<br />
J'ai rêvé que j'étais sur <strong>un</strong>e île déserte,<br />
Et que j'avais perdu, piètre navigateur,<br />
Mon navire aux récifs traîtres de l'Equateur.<br />
Sur l'île je faisais d'étranges découvertes.<br />
J'entendais discourir <strong>un</strong> arbre aux feuilles vertes<br />
Qui de toute pitance était distributeur,<br />
Et de livres aussi, faits par les bons auteurs ;<br />
Et pour dormir la nuit, il donnait des couvertes.<br />
Je vis <strong>un</strong> lac de rhum ambré aux belles plages.<br />
Il m'a suffi, d'ailleurs, d'errer sur son rivage,<br />
Respirant ses vapeurs, je fus ivre bientôt.<br />
Et dans ce double état de rêve et de délire,<br />
Mon cerveau mélangeait le meilleur et le pire,<br />
Jusqu'au brutal réveil sur le pont d'<strong>un</strong> bateau.<br />
<strong>un</strong> grand poisson rouge<br />
J'ai rêvé que j'étais <strong>un</strong> très grand poisson rouge<br />
Dans <strong>un</strong> bel aquarium, au restaurant chinois.<br />
Je regardais, tranquille, aller, autour de moi,<br />
La foule des dîneurs qui paisiblement bouge.<br />
L'endroit était correct, ce n'était pas <strong>un</strong> bouge,<br />
Les convives parlant <strong>un</strong> peu tous à la fois<br />
Produisaient dans l'ensemble <strong>un</strong> bruit de bon aloi,<br />
C'était à Gentilly, ou peutêtre, à Montrouge.<br />
Soudain je me sentis quelque peu angoissé<br />
Et mes deux compagnons aussi étaient stressés,<br />
Et ce sentiment fut difficile à combattre.<br />
De la couleur d'<strong>un</strong> plat qu'on venait d'apporter,<br />
Notre esprit eut du mal à se réconforter ;<br />
Tous trois nous nous disions :<br />
« Mais quoi ? Nous étions quatre... »
Minuscule et discret<br />
J'ai rêvé que j'étais, voyageant dans l'espace,<br />
Une étrange entité aux saveurs de néant.<br />
Mille franchissements d'interstices géants<br />
Me faisaient dériver, allant de place en place.<br />
Et je rêvais ainsi, immortel ou fugace,<br />
Ne sachant si j'étais assemblage pesant<br />
Ou simple vibration, murmure évanescent<br />
N'exerçant nulle force et ne laissant de trace.<br />
La chaleur des soleils me tenait en alerte ;<br />
Je traversais aussi des matières inertes,<br />
Et je voyais parfois miroiter des anneaux.<br />
Pourquoi allaisje ainsi de façon subreptice,<br />
Comme sous <strong>un</strong>e porte <strong>un</strong> insecte se glisse ?<br />
Vous l'aviez deviné, j'étais <strong>un</strong> neutrino.<br />
<strong>un</strong> rêve de voyage<br />
J'ai rêvé que le vent emportait ma mansarde.<br />
Tant bien que mal, j'étais cramponné au plancher<br />
Devenu vertical à force de pencher,<br />
Et machinalement, j'ai dit « Que Dieu me garde ».<br />
A moitié rassuré, je me penche et regarde<br />
Un fleuve dans les prés en train de s'épancher ;<br />
« Petit abri volant, pas question de flancher,<br />
Vole droit devant toi, d'arriver il me tarde. »<br />
D'arriver, mais où donc ? Je n'en savais trop rien,<br />
Mais j'étais si heureux du parcours aérien<br />
Que d'ignorer mon but n'était pas <strong>un</strong> problème.<br />
Le vent n'a pas de but et les songes non plus.<br />
Ce n'est pas seulement ce long vol qui m'a plu,<br />
Mais surtout d'en parler avec quelqu'<strong>un</strong> que j'aime.
Deux bureaux même pas voisins<br />
J'ai rêvé que ma muse entrait dans mon bureau,<br />
Où je n'avais, ce jour, compagnon ni compagne.<br />
Par la grande fenêtre on voyait la campagne<br />
Traversée d'écureuils, de biches, de blaireaux.<br />
Ayant illuminé ma prison sans barreaux,<br />
Elle a su triompher de l'ennui qui me gagne<br />
Quand les tas de papier, comme autant de montagnes,<br />
Semblent intercepter les rayons vespéraux.<br />
Sans le bureau, feraisje autant d'alexandrins<br />
Et trouveraisje autant de modestes refrains<br />
Pour transmettre aux amis mes rimes quotidiennes ?<br />
J'ai écrit ce sonnet sans savoir où j'allais,<br />
Comme je fais souvent. Qui a dit qu'il fallait,<br />
Pour composer des vers, que des idées nous viennent ?<br />
<strong>un</strong> apprentissage<br />
J'ai rêvé qu'on m'avait mis en apprentissage;<br />
C'était pour me former comme poisson bavard.<br />
Me voici apprenant l'algue du boulevard,<br />
Le crabe magnétique et l'huître entomophage,<br />
Les elfes du ressac, les monstres de la plage,<br />
L'hippocampe au sépulcre et son triple avatar,<br />
La baleine invisible et le poulpe tricard,<br />
Rédigeant sur chaque être <strong>un</strong> rapport de vingt pages.<br />
A l'oral, il fallut parler d'antipodistes,<br />
Du maître en fourberie, de la liste des listes,<br />
Et du stress du homard que l'on fait cardinal.<br />
Si j'ai pendant quatre ans des notes favorables,<br />
Mon statut permettra que, de façon durable,<br />
Je n'aie plus à être homme (ah, l'ignoble animal !)
L'Esprit se remémore<br />
J'ai vu ces douze enfants privés de leur grand frère<br />
Qui s'était envolé, transformé en corbeau,<br />
Quarante jours après sa sortie du tombeau.<br />
Ils sont restés neuf jours sans trop savoir quoi faire,<br />
Ne pouvant, quant à eux, monter dans l'atmosphère,<br />
Ou bien, il eût fallu <strong>un</strong> très grand escabeau.<br />
Ils sont allés en ville avec leurs gros sabots,<br />
Et se sont assemblés, proclamant cette affaire<br />
Devant des gens venus d'<strong>un</strong> peu partout sur Terre ;<br />
Lesquels n'ont rien compris aux étranges mystères<br />
Que les douze narraient dans <strong>un</strong> dialecte obscur.<br />
Alors, pour les sauver, j'ai touché de mes flammes<br />
Le sommet de leur crâne et le fond de leur âme :<br />
Voici qu'en toute langue ils parlent, d'<strong>un</strong> ton sûr.<br />
<strong>un</strong>e déploration (en hommage à Roger<br />
Lefebvre)<br />
J'aurais voulu chanter des mondes idylliques,<br />
Mais mon coeur se renferme ainsi qu'<strong>un</strong> escargot.<br />
J'aurais été athlète, aux athéniens portiques,<br />
Marin de haute mer ou cueilleur d'abricots...<br />
Mais voilà, je survis dans ce monde merdique,<br />
Comme en <strong>un</strong> tas de viande <strong>un</strong> modeste asticot,<br />
Je traite mes voisins de façon pacifique<br />
Et nous nous regardons en mangeant du gigot.<br />
J'aurais voulu graver des strophes impériales<br />
Ou célébrer ma joie ainsi qu'<strong>un</strong>e cigale,<br />
Honorer des héros pardelà leur trépas ;<br />
Mais je suis là, timide, et ma plume en déroute<br />
Glane des mots banals au long des tristes routes,<br />
Tels qu'en les relisant, je ne les comprends pas.
le grand Charles<br />
Jeanne affronta l'Anglais tout <strong>un</strong> jour de juillet,<br />
Qui à la fin du jour de partout s'enfuyait.<br />
Or, s'étant endormie, elle vit, sans armure,<br />
Un chevalier français à la haute stature<br />
Qui d'<strong>un</strong>e main sur elle, en douceur, s'appuyait,<br />
Tout en lui demandant si point ne l'ennuyait.<br />
Jeanne qui lui trouvait <strong>un</strong>e bien noble allure<br />
Le pria de narrer sa dernière aventure.<br />
Charles, précisatil, est le nom que je porte.<br />
Avant que les Anglais du malheur ne la sortent,<br />
La patrie en mon temps bien des maux a souffert.<br />
Jeanne, <strong>un</strong> peu incrédule, écoute le grand Charles<br />
Et songe à ce qu'il dit. Puis d'autre chose ils parlent,<br />
C'est de guerre et de paix, du ciel et de l'enfer.<br />
les voix<br />
Jeanne allait au combat sur sa blanche cavale.<br />
Il fallut traverser <strong>un</strong>e noire forêt.<br />
Des guerriers <strong>un</strong> peu fous et des prêtres discrets<br />
Ont formé autour d'elle <strong>un</strong>e escorte loyale.<br />
On entendit au loin sonner la cathédrale.<br />
Aussitôt le vaillant seigneur Gilles de Rais<br />
A mis dans le sousbois sa monture à l'arrêt.<br />
Il pose <strong>un</strong>e question d'<strong>un</strong>e voix sépulcrale :<br />
Jeanne, en ce même instant, <strong>un</strong> ange parletil ?<br />
Il se moque, le preux, le plaisant, le subtil,<br />
Des transcendantes voix parlant à la bergère.<br />
Jeanne dit : Compagnon, ici c'est Dieu qui parle,<br />
Comme en <strong>un</strong> futur siècle à <strong>un</strong> autre grand Charles.<br />
Par anticipation je suis son héritière.
le catalogue<br />
Je chante des chansons avec Clément Marot,<br />
Dressé actif j'attends comme Jean de Boschère,<br />
Je contemple le fleuve ainsi qu'Apollinaire,<br />
J'écoute la leçon de Jacques Charpentreau.<br />
Je longe le ruisseau d'Hégésippe Moreau,<br />
J'aide à ses traductions Blaise de Vigenère,<br />
Je vois venir la nuit si douce à Baudelaire,<br />
Je suis Grabinoulor dans Pierre AlbertBirot.<br />
Je caresse le chat de Maurice Carême,<br />
Je peins <strong>un</strong>e tortue avec Tristan Derème,<br />
Je vois l'ombre d'<strong>un</strong> zèbre auprès de René Char.<br />
Je suis poisson soluble ainsi qu'André Breton,<br />
Je chante mes sanglots après Louis Aragon,<br />
Je ne sais pas rimer aussi bien que Ronsard.<br />
<strong>un</strong>e égratignure<br />
J'égratigne ma chair aux épines des roses<br />
En marchant, tout distrait, dans mon jardin, le soir.<br />
Jardin à l'abandon, seule la pluie l'arrose,<br />
Certains endroits pourtant sont toujours beaux à voir.<br />
L'herbe en se flétrissant n'est pas au désespoir,<br />
Blonde et inanimée au sol elle repose.<br />
Les vitres du salon deviennent des miroirs<br />
Où <strong>un</strong> autre jardin d'autres fleurs se compose.<br />
Le ciel de ce dimanche est <strong>un</strong> beau ciel d'été,<br />
Un ciel pour gens heureux (et nous l'avons été<br />
Au moins quelques instants, échangeant des paroles) ;<br />
Soyons heureux ce soir, demain il fera jour,<br />
L'hirondelle en allée ne revient pas toujours,<br />
Mais soyons fous <strong>un</strong> peu, car cette vie est folle.
le blog de Neige<br />
Je lis tes mots écrits dans la Chine lointaine,<br />
Racontant tes plaisirs, ton travail, tes ennuis.<br />
Je t'écris dans le jour, tu me lis dans la nuit.<br />
La parution suivante est toujours incertaine.<br />
Ces notes de chevet qui sont là par centaines,<br />
Ce sérieux témoignage où l'humour s'introduit,<br />
Le récit d'<strong>un</strong>e vie, l'émotion qu'il produit,<br />
Dans <strong>un</strong> français plus clair que l'eau d'<strong>un</strong>e fontaine...<br />
Cette eau ne coule plus, depuis pas mal de jours ;<br />
L'arbre le mieux fleuri ne fleurit pas toujours,<br />
Tu dois passer ton temps à des choses sérieuses.<br />
C'était juste <strong>un</strong> merci, au nom de tes lecteurs,<br />
Tes compagnons de plume et tes admirateurs :<br />
Jamais ne fut plus belle <strong>un</strong>e contrée neigeuse.<br />
<strong>un</strong>e exclaustration<br />
Je m'étais réfugié, encore adolescent,<br />
Dans la cellule tiède, au coeur du monastère.<br />
Peu sévère était l'Ordre et nullement austère,<br />
Ce que nous apprenions était intéressant.<br />
Puis, nous faisions partie du groupe des puissants,<br />
Pour nous les paysans faisaient vivre leur terre,<br />
Pour nous les commerçants ont armé leurs galères,<br />
Facile de payer, rien qu'en les bénissant.<br />
Maintenant je suis vieux, dévasté par le doute,<br />
La voie que j'ai suivie, estce <strong>un</strong>e fausse route ?<br />
J'inscris cette question sur mes longs parchemins.<br />
J'inscris cette question qui devient <strong>un</strong> poème,<br />
Si cette vie sur terre est faite pour qu'on aime,<br />
Aimer la poésie est aussi <strong>un</strong> chemin.
C<strong>un</strong>égonde<br />
Je me souviens de C<strong>un</strong>égonde<br />
qui avait délaissé ce monde<br />
dans lequel la luxure abonde<br />
et fut dans <strong>un</strong>e chambre ronde<br />
pour <strong>recueil</strong>lant les bonnes ondes<br />
avoir <strong>un</strong>e pensée féconde<br />
ainsi qu'<strong>un</strong>e vertu profonde<br />
et au mal ne lâcher la bonde<br />
mais le désir en elle gronde<br />
ce qui jadis lui fut immonde<br />
emplit son esprit et l'inonde<br />
dommage qu'ainsi se morfonde<br />
la fille autrefois vagabonde<br />
beauté à nulle autre seconde<br />
je me souviens<br />
Je me souviens d'<strong>un</strong> pont qui menait à l'école,<br />
D'<strong>un</strong>e vitrine ornée de cochons par milliers,<br />
De la magie qu'avaient les chemins familiers<br />
Et des fourmis courant au bas des herbes folles.<br />
Je me souviens d'<strong>un</strong> maître aimant les paraboles,<br />
Des leçons de latin d'<strong>un</strong> moine régulier<br />
(Capable d'expliquer <strong>un</strong> pluriel singulier),<br />
Et d'<strong>un</strong> grandpère usant d'<strong>un</strong> langage frivole.<br />
Je me souviens d'avoir aimé les animaux<br />
Et les arbres du soir agitant leurs rameaux,<br />
Et les petits gâteaux au parfum de cannelle.<br />
Je me souviens de vous, mes compagnons de jeux,<br />
Je me souviens du jour limpide ou orageux,<br />
Je me souviens... La vie me semblait éternelle.
Retrocurriculum<br />
Je mourus vers le soir, à la SainteGraisseuse ;<br />
J'en eus les sacrements pour SaintLimonadier.<br />
Se termina mon règne à la SaintBrigadier<br />
Qui avait commencé à SainteParesseuse.<br />
Je fus fais chevalier à la SaintePoisseuse.<br />
J'eus mon habit de cour à la SaintCharcutier,<br />
Car je savais danser depuis la SaintLuthier,<br />
Et lire en <strong>un</strong> grand livre au jour de SainteOsseuse.<br />
J'ai reçu mon épée pour SaintApollinaire.<br />
On m'a versé du vin pour la SaintMercenaire.<br />
On m'offrit des chevaux à la SaintPostillon.<br />
Je dis mes premiers mots à la SaintCarnivore.<br />
J'eus ma première dent à la SaintEllébore.<br />
J'étais venu au monde <strong>un</strong> jour de SaintGrillon.<br />
La liberté<br />
Je ne leur ferai plus la guerre<br />
Qu'ils crèvent de leur ambition<br />
Marchands de soupe et de galère<br />
Et marchands de révolution<br />
Mieux vaut la sagesse précaire<br />
D'<strong>un</strong> ermite en méditation<br />
Mieux vaut dormir mieux vaut se taire<br />
Qu'entrer dans leurs machinations<br />
Si je meurs dans les ans qui viennent<br />
Que de ma vie je me souvienne<br />
Sans tristesse ni sans fierté<br />
Je n'ai acquis nulle richesse<br />
Ni accompli nulle prouesse<br />
Mais j'ai gardé ma liberté
la science<br />
Je ne sais pas apprendre au fil des expériences<br />
Et je n'en ai jamais tiré rien de concret.<br />
Bien des choses pour moi ont <strong>un</strong> puissant attrait<br />
Qu'en même temps j'observe avec de la méfiance.<br />
Or, moi, qui suis censé produire de la science,<br />
Je ne sais pas très bien ce que c'est, pour de vrai.<br />
J'ai appris làdessus des principes abstraits<br />
Dans des bouquins massifs, à lire avec patience.<br />
Compagne de la science, au niveau supérieur,<br />
L'épistémologie introduit les meilleurs<br />
Critères pour trouver ce qui la délimite.<br />
Rebelle à ces travaux est mon inspiration,<br />
Qui désormais renonce à ces opérations,<br />
Préférant versifier sur <strong>un</strong> rêve ou <strong>un</strong> mythe.<br />
Consolation précaire<br />
Je rêve chaque nuit de traverser le ciel<br />
Pour aller fréquenter les confins maritimes<br />
Où je vois ta maison. Mais je n'ai que ces rimes<br />
A t'offrir ce matin, qui n'ont point goût de miel.<br />
Ce qu'on nomme destin n'est pas providentiel,<br />
Nulle joie transcendante en nos moments ultimes.<br />
Mais j'aime cette vie, pourtant, et je l'estime,<br />
Ce qu'elle a de mauvais, je le dirai véniel.<br />
Puisque nos rêves sont des rêves de lumière,<br />
Puisque nous savons jouir de diverses manières,<br />
Notre vie quelquefois prend <strong>un</strong> sens, icibas.<br />
Et si tu me réponds que ce sens est tristesse,<br />
J'embrasse tes deux yeux, partageant ta détresse,<br />
Le malheur peut briser, mais il n'efface pas.
Prenant deux fois la tangente<br />
Je suis de bel acier, je suis <strong>un</strong> fier emblème,<br />
Epée de la noblesse, arme de la grandeur.<br />
Je fus jadis remise à <strong>un</strong> grand pourfendeur<br />
D'équations, de calculs, de courbes, de problèmes.<br />
Il portait <strong>un</strong> beau nom, et il eut son baptême<br />
De polytechnicien en sa je<strong>un</strong>e splendeur.<br />
Plus d'<strong>un</strong> grade en sa vie dont il fut demandeur<br />
Lui a été donné, même l'honneur suprême,<br />
Puisque notre patrie en fit son président.<br />
Il se croit écrivain, ça n'a rien d'évident,<br />
Je suis, sur ses vieux jours, épée académique.<br />
Plus qu'<strong>un</strong> pareil endroit me plairait <strong>un</strong> placard ;<br />
Maître, avant de quitter ces lieux sur <strong>un</strong> brancard,<br />
Rendsmoi au prochain qui entre à Polytechnique.<br />
<strong>un</strong> prophète<br />
Je suis la voix qui crie à travers le désert,<br />
J'appelle les nations à se tenir en garde.<br />
Le fils du charpentier va devenir <strong>un</strong> barde<br />
Et va vous submerger d'aphorismes divers.<br />
Il ira promettant <strong>un</strong> monde sans hiver,<br />
Royaume pour les purs, tout en bois sans échardes.<br />
Si de ce beau royaume, hélas, la venue tarde,<br />
Il bénira quiconque y croit dur comme fer.<br />
Ne l'écoutez pas trop, car ce n'est qu'<strong>un</strong> poète,<br />
En voulant faire l'ange, il fait souvent la bête.<br />
Il ignore la science et le juste milieu.<br />
Imitezmoi plutôt, j'écoute la nature<br />
Qui chaque jour redit aux humbles créatures :<br />
N'ayez point de prophète, il n'existe auc<strong>un</strong> Dieu.
Je suis le Goupillon<br />
Je suis le Goupillon, et je peux contrôler<br />
Le lama d'Aquitaine et la sole abolie.<br />
Mais ma Mémoire est morte, et mon porc constellé<br />
Porte le roi Simon à la mélancolie.<br />
En ouvrant <strong>un</strong> tonneau, le roi m'a consolé,<br />
C'était dans <strong>un</strong> troquet, avenue d'Italie,<br />
Car le pinard plaît à mon esprit désolé,<br />
Tandis que le lama à la sole s'allie.<br />
Suisje <strong>Cochonfucius</strong> ? Suisje donc <strong>un</strong> peu rond ?<br />
Mes yeux se plongent dans les yeux verts de la reine,<br />
J'ai sous le crâne <strong>un</strong> son plus fort qu'<strong>un</strong>e sirène.<br />
Je vois le lamasole appeler le patron,<br />
Car il a trop la dalle et il voudrait bouffer<br />
Une poire au comptoir avec <strong>un</strong> p'tit café.<br />
le troubadour<br />
Je suis loin de valoir mes aïeux troubadours,<br />
Ma langue est trop bavarde et fait trop de détours.<br />
Je ne sais au lecteur faire voir <strong>un</strong>e dame<br />
Ni faire partager <strong>un</strong>e mordante flamme.<br />
Un visage entrevu le soir à contrejour,<br />
Silhouette apparue avec ou sans atours,<br />
Mais surtout le sourire et la voix d'<strong>un</strong>e femme...<br />
Or je n'avais le droit de saisir auc<strong>un</strong>e âme.<br />
Et ce commandement : distance préserver,<br />
Fait que pas <strong>un</strong> seul mot ne fut dit face à face,<br />
Malgré cent mille mots transmis et archivés.<br />
Mais ce fut sur la toile, <strong>un</strong> virtuel espace.<br />
Devonsnous te maudire ou te bénir, époque<br />
Qui permets l'éclosion de ces amours baroques...
<strong>un</strong> calendrier farfelu<br />
Je suis né <strong>un</strong> matin de SainteBlanchisseuse,<br />
J'ai reçu le baptême à la SaintCompotier,<br />
Puis passé mon brevet au jour de SaintPotier,<br />
Le bac trois ans plus tard pour la SainteTisseuse.<br />
J'ai soutenu ma thèse à la SainteEmballeuse.<br />
J'ai obtenu <strong>un</strong> poste à la SaintCocotier<br />
Puis l'habilitation pour SaintAbricotier,<br />
Et je fus chef d'équipe à la SainteFileuse.<br />
Je prendrai ma retraite au jour de SaintVoltaire.<br />
Mon livre sortira pour la SaintMousquetaire<br />
Et sera Prix Goncourt au jour de SaintMelon.<br />
Pour le Nobel je dois attendre SaintCentaure,<br />
Puis je trépasserai à la SaintDinosaure<br />
Et mon enterrement est pour la SaintFrelon.<br />
<strong>un</strong> autoportrait de 2010<br />
Je suis <strong>un</strong> banlieusard de cinquantesix ans,<br />
De SeineSaintDenis je vais jusqu'en Essonne<br />
Rejoindre mon bureau dans lequel je m'adonne<br />
A deux ou trois projets, rien de bien reluisant.<br />
Le long temps du transport, je le passe en lisant<br />
Ou bien en bavardant avec quelques personnes,<br />
Ou en réfléchissant malgré les téléphones<br />
Auxquels les passagers leurs ennuis vont disant.<br />
Le soir, je fais <strong>un</strong> tour au long des boulevards,<br />
Mais juste <strong>un</strong>e incursion, je n'y reste pas tard,<br />
Juste le temps d'entrer chez quelques bouquinistes.<br />
Puis, debout au comptoir, je savoure <strong>un</strong> demi<br />
En feuilletant mon livre, en rêvassant parmi<br />
Les buveurs qui parfois ne sont vraiment pas tristes.
<strong>un</strong>e pieuse retraite<br />
Je traîne la savate aux environs d'Albi ;<br />
Au bord de mon chemin je vois <strong>un</strong> monastère.<br />
Trois moines en latin chantent les vieux mystères,<br />
Besoin d'<strong>un</strong> quatrième, ils m'offrent <strong>un</strong> habit.<br />
De nos quatre gosiers, le grégorien vrombit,<br />
Et son enchantement se répand sur la terre ;<br />
Bientôt surviendra l'heure où l'on se désaltère,<br />
Moines toujours pour boire ont de bons alibis.<br />
Quand nous aurons bien bu, au plus chaud du dortoir<br />
Dans quatre lits carrés, dormant comme des loirs,<br />
Tous quatre nous ferons des rêves de chanoines.<br />
Demain, aux premiers feux du grand soleil radieux,<br />
A mes trois compagnons je ferai mes adieux.<br />
Sinon, au bout d'<strong>un</strong> temps, l'habit ferait le moine.<br />
<strong>un</strong>e fourmi<br />
Jour et nuit sur la terre au même instant existent.<br />
Vie et mort en mon âme ont droit de s'exprimer ;<br />
Si je ne parviens pas à les faire rimer,<br />
La chose reste vraie, leur conjonction subsiste.<br />
Nul ne sait pour combien de nouveaux tours de piste<br />
Je peux courir encore et danser et trimer.<br />
Le couperet final n'est pas pour nous brimer,<br />
C'est à devoir mourir que notre vie consiste.<br />
Heureux ce bref répit s'il nous permet de rire,<br />
De boire et de chanter. Car tout ce qui respire<br />
A le même destin que feuilles en hiver.<br />
Heureuse la fourmi posée sur la brindille<br />
Naviguant au ruisseau, sur qui le soleil brille :<br />
Elle a foi dans son sort et dans notre <strong>un</strong>ivers.
les treize penseurs<br />
Jules Renard me dit : « Tu mets les mots en cage,<br />
De ton oisiveté veuxtu gloire tirer ? »<br />
Caton : « Tu dois découdre, et non point déchirer ».<br />
Blake : « Voistu le ciel dans <strong>un</strong>e fleur sauvage ? »<br />
Sylvain Tesson me prend pour l'idiot du bocage,<br />
Perrault est satisfait, qui me voit l'admirer ;<br />
Vigny est honoré de pouvoir m'inspirer,<br />
Lincoln m'offrirait bien son plus bel attelage.<br />
Le Clézio m'a offert <strong>un</strong> joli brin de laine ;<br />
Marcel Pagnol me donne <strong>un</strong>e bouteille pleine,<br />
Paul Déroulède joue du clairon dans le soir.<br />
Sacha Guitry m'apprend comment être fidèle ;<br />
Natsume Sôseki me montre <strong>un</strong>e hirondelle,<br />
Cioran m'aide à fleurir les murs de l'abattoir.<br />
sonnet des profondeurs<br />
Jules Verne a montré qu'on pouvait visiter<br />
Les sombres profondeurs de la planète Terre.<br />
Il en a dévoilé plus d'<strong>un</strong> obscur mystère<br />
Qu'il était le premier à pouvoir nous citer.<br />
Si le texte de Verne a dit la vérité,<br />
Il me plairait d'aller parcourir, solitaire,<br />
Ces gouffres égalant de nouvelles Cythères<br />
Où d'heureux sentiments trouvent à s'abriter.<br />
On me dit cependant que ce monde est fictif,<br />
Que seuls des minéraux sous le sol sont actifs,<br />
Audelà du passage indiqué par les r<strong>un</strong>es.<br />
Si Jules dans son oeuvre a manié l'illusion,<br />
Au monde souterrain ne ferons intrusion<br />
Mais resterons ici avec Soleil et L<strong>un</strong>e.
Newton et Langevin<br />
Jumeaux de Langevin, par votre éloignement,<br />
Le temps d'<strong>un</strong> seul des deux s'altère et se dilate,<br />
A son retour il eut, la chose nous épate,<br />
Par rapport à son frère, <strong>un</strong> âge différent.<br />
L'écart est expliqué, bien sûr, par les savants,<br />
Posant les équations, calculant, ils débattent ;<br />
Donc, deux individus nés à la même date<br />
N'ont pas, dans ce caslà, vécu le même temps.<br />
Ainsi en seratil de deux auteurs qui glanent<br />
Dans les mêmes trésors, et aux mêmes cieux planent,<br />
Ils n'en tireront pas même moralité.<br />
Quand Newton de son prisme <strong>un</strong>e lumière brise,<br />
On voit plusieurs couleurs au rayon qui s'irise ;<br />
Mais le soleil, aux cieux, garde son <strong>un</strong>ité.<br />
<strong>un</strong>e soutenance<br />
La candidate a pris <strong>un</strong> long temps de parole,<br />
Les membres du jury ont posé leurs questions ;<br />
Ils ont mis en avant leur grande érudition,<br />
Faisant voir qu'ils sont tous de bons maîtres d'école.<br />
Auc<strong>un</strong> d'eux cependant ne lui posa de colle,<br />
Car c'est interdit par les bonnes traditions ;<br />
La soutenance a lieu, sans excès d'émotion,<br />
Dans <strong>un</strong> profond respect pour le vieux protocole.<br />
Ensuite ils sont allés délibérer <strong>un</strong> coup,<br />
Sur le rapport final ils ont porté beaucoup<br />
D'éloges bien flatteurs et de vibrants hommages.<br />
Puis ils ont proclamé l'excellent résultat<br />
De quatre ans de travail, et, sur ce beau constat,<br />
On va pouvoir manger des crackers au fromage.<br />
Attention<br />
au miroir<br />
déformant !
Noël<br />
La céleste harmonie va bientôt résonner,<br />
Les anges vont jouer leur divine musique<br />
Et le choeur des bergers se mettre à fredonner<br />
Les émouvants versets d'<strong>un</strong> très ancien cantique.<br />
Au moment de Noël, ce qui nous est donné,<br />
C'est la lumière dans la longue nuit magique<br />
Où notre créateur cherche à nous étonner<br />
D'<strong>un</strong> miracle subtil, joyeux et poétique.<br />
Il adopte en ce jour la forme d'<strong>un</strong> enfant,<br />
Lui qui pourrait paraître en guerrier triomphant,<br />
Et se blottit au fond d'<strong>un</strong>e petite étable.<br />
Et ce que nous faisons, pour le commémorer,<br />
C'est que nous passerons la nuit à dévorer<br />
Un solide festin disposé sur nos tables.<br />
Mallarmé<br />
La confiture vol d'<strong>un</strong>e flamme à la crème<br />
Le trident des loisirs pour la tout tartiner<br />
Se pose (je dirais nourrir <strong>un</strong> stratagème)<br />
Vers le torchon brûlé son ancien foyer<br />
Mais sans or soupeser que cette ligne lue<br />
La glaciation du feu toujours <strong>un</strong> peu rieur<br />
Originellement la soudaine berlue<br />
Dans le boyau d'<strong>un</strong> moine et de son supérieur<br />
Et la crudité d'<strong>un</strong> petit gendre diffame<br />
Celle qui ne trouvant plâtre cireux au poids<br />
Rien qu'à simplifier avec poivre la flamme<br />
Accomplit par son bec fustigeante <strong>un</strong> exploit<br />
En semant <strong>un</strong> radis sur le sol qu'elle écorche<br />
Pendant que dans <strong>un</strong> coin tout <strong>un</strong> chac<strong>un</strong> se torche.
les dames<br />
La dame ja<strong>un</strong>e craint les plumes érudites,<br />
Je lui dis : « L'érudit, on le prend comme il vient. »<br />
La dame mauve a des effrois lucifériens,<br />
Je dis : « Dormez en paix, le diable vous évite ».<br />
La dame orange craint les licornes maudites,<br />
Je dis que la licorne aux dames ne fait rien.<br />
La dame rose a peur du temps briseur de liens,<br />
Je dis : « Quand <strong>un</strong> lien meurt, souvent, il le mérite. »<br />
La dame rouge craint les vieux corbeaux tordus.<br />
J'ai réfléchi <strong>un</strong> peu, et puis j'ai répondu<br />
Que les corbeaux tordus sont surtout ridicules.<br />
Cinq dames grâce à moi ont cessé d'avoir peur,<br />
Demain j'irai parler à la dame de coeur,<br />
Car elle est angoissée, quand vient le crépuscule.<br />
les sept lumières<br />
La l<strong>un</strong>e a sa clarté, pour l'amant, pour l'amante,<br />
Lumière qui vaut bien celle d'<strong>un</strong> écran froid.<br />
La lueur d'Antarès me cause de l'effroi,<br />
Dont la source, pourtant, ne m'est pas apparente.<br />
Estil <strong>un</strong>e planète aussi intelligente<br />
Que le fugace Hermès, <strong>un</strong> voyageur sournois ?<br />
Or, son gardien est là : c'est le nocturne roi<br />
Dont la lumière est dense, et modeste, et prudente.<br />
Vénus des lois des corps est <strong>un</strong> peu connaisseuse,<br />
Et rien ne se compare à sa blancheur neigeuse ;<br />
Saturne d'<strong>un</strong> chac<strong>un</strong> anticipe le sort<br />
Et s'il ne le croit pas, lui montre les images.<br />
Le soleil du matin, plus qu'<strong>un</strong>e étoile, est sage ;<br />
Le soleil de midi, plus que mon âme, est fort.
Une strate en cache <strong>un</strong>e autre<br />
L'amour est surtout vrai aux jours qu'il s'improvise.<br />
Et si, au fil des ans, il garde sa valeur,<br />
L'ennui du quotidien en ternit la couleur :<br />
Mais, sur ce que j'en dis, les avis se divisent.<br />
Nous devons affronter, que veuxtu que je dise,<br />
Notre amour tel qu'il est, ses ronces et ses fleurs.<br />
S'il est <strong>un</strong>e leçon au refrain du malheur,<br />
On peut lui préférer l'impromptue friandise.<br />
Sous l'atome, <strong>un</strong> noyau formé de particules...<br />
En les analysant, le physicien recule<br />
Les strates du réel, je ne sais pas jusqu'où.<br />
L'analyse a du sens, et je la crois utile,<br />
Mais avant de trancher cette question subtile,<br />
Je prends le temps de vivre, et de boire <strong>un</strong> bon coup.<br />
Les dernières paroles de LaoTseu<br />
LaoTseu, délaissant la condition humaine,<br />
Se métamorphosa en <strong>un</strong> grand singe roux.<br />
Il fut l'orangoutan, primate agile et doux,<br />
Menant <strong>un</strong>e existence on ne peut plus sereine.<br />
Mais son vieil ennemi, le grand vent de la plaine,<br />
S'envole à sa recherche en hurlant comme <strong>un</strong> fou ;<br />
Aussitôt que ce vent parvient à savoir où<br />
Le maître est réfugié, sa fureur l'y emmène.<br />
C'est ainsi que survint la tempête fatale,<br />
Et que fut dévastée la forêt tropicale<br />
Qui servait de tanière au vieil orangoutan.<br />
Vainement, le grand singe à l'arbre centenaire<br />
S'accroche, il est lancé au loin dans l'atmosphère,<br />
Disant : « Orangoutan en emporte le vent. »
Le printemps<br />
La poésie fleurit sur les douleurs tranquilles,<br />
Son tissage patient se veut consolateur.<br />
Nous n'irons plus nager au large de notre île,<br />
Nous avons renoncé à franchir l'Equateur.<br />
Ton travail, mon travail, nos jardins, nos deux villes...<br />
Car nous ne sommes pas des oiseaux migrateurs.<br />
Nous sommes à <strong>un</strong> âge où l'on devient stérile,<br />
Le désir amoindri d'<strong>un</strong> froid libérateur.<br />
Soyons heureux pourtant car le printemps s'approche.<br />
Quand les choses vont mal, on fait face, on s'accroche,<br />
Une épreuve pour nous n'est rien qu'<strong>un</strong>e leçon.<br />
J'écris à l'encre noire avec <strong>un</strong> coeur noirci.<br />
Obscur devient ce monde, et mon esprit aussi,<br />
Reviendra le printemps et sa douce chanson.<br />
<strong>un</strong> souvenir<br />
La poésie jamais ne peut servir de loi,<br />
Les mots que j'ai tressés pour toi, nouvelle amante,<br />
Ne pouvaient pas éteindre au plus profond de moi<br />
La passion de trente ans toujours vive et présente.<br />
Si tu lis mes aveux, d'abord écrits pour toi,<br />
Si tu lis mes aveux de faiblesse navrante,<br />
J'avoue que dans mon coeur je n'avais pas de quoi<br />
Transformer nos amours en des amours vivantes.<br />
J'ai vibré à ta voix et à tes écritures,<br />
J'ai souri de t'entendre et pleuré aux ruptures,<br />
Ma première passion, je ne peux la quitter.<br />
Oui, l'amour était là, pauvre amour impossible,<br />
Et sa douceur nous fut à tous les deux sensible,<br />
Tu m'as donné bien plus que je n'ai mérité.
la rose et l'hirondelle<br />
La rose au long du jour contemple l'hirondelle<br />
Et rêve de voler au soleil de l'été.<br />
L'oiseau envie la fleur qui au sol peut rester,<br />
Faisant l'objet des soins d'<strong>un</strong> jardinier fidèle.<br />
Chac<strong>un</strong>e croit que l'autre a <strong>un</strong>e vie plus belle<br />
Et sur son propre sort semble se lamenter,<br />
La fleur qui ne peut pas du sol se déplanter,<br />
L'oiseau car il lui faut voler à tire d'aile.<br />
Quiconque est solitaire aimerait des étreintes,<br />
Celui qui vit en couple en subit les contraintes,<br />
Et chac<strong>un</strong> d'envier d'<strong>un</strong> autre humain le sort.<br />
Mais il vient à la fin le moment où s'apaisent<br />
Ces désirs obsédants qui sur nos âmes pèsent :<br />
Auc<strong>un</strong>e fleur fanée n'envie <strong>un</strong> oiseau mort.<br />
Hommage au maître Angelus Silesius<br />
La rose est sans pourquoi, dit la métaphysique ;<br />
Sa raison pour fleurir est en sa floraison,<br />
Comme <strong>un</strong>e oeuvre, <strong>un</strong> sonnet, <strong>un</strong> air, <strong>un</strong>e chanson.<br />
C'est ainsi qu'<strong>un</strong>e vie à soimême s'explique.<br />
Puis viennent au jardin des fronts académiques<br />
Sur lesquels est inscrit « Principe de raison ».<br />
Ils composent alors des airs de leur façon,<br />
Avec beaucoup de mots et très peu de musique.<br />
Ils creusent la notion de raison suffisante<br />
Et font délibérer leur raison raisonnante<br />
Pour savoir si la rose est quelque chose, ou rien.<br />
La rose cependant meurt au jardin d'automne,<br />
Et sa mort guère plus que sa vie ne l'étonne,<br />
Ni que le regard froid des métaphysiciens.
La torpeur qui s'installe aux premiers jours d'automne<br />
Endort les banlieusards au petit matin gris.<br />
J'ai vu ça très souvent, je n'en suis pas surpris,<br />
Et nul, autour de moi, d'ailleurs, ne s'en étonne.<br />
Le chat dans le jardin, frileux, se pelotonne<br />
Au creux de l'herbe morte. Il n'entend plus les cris<br />
Des oiseaux migrateurs qui, ce matin, ont pris<br />
Route vers les lointains. Il repose, il ronronne.<br />
Et je pense que c'est ce chat qui a raison,<br />
Immobile et paisible auprès de ma maison :<br />
A moi, l'agitation ne me dit rien qui vaille.<br />
Peutêtre il fait marcher son imagination<br />
Et voit autour de lui des rats en perdition,<br />
Peutêtre, il ne voit rien qu'<strong>un</strong>e obscure grisaille.<br />
Une apparence de problème<br />
La vie peut sembler <strong>un</strong> problème intéressant,<br />
Fautil encore être <strong>un</strong> résolveur de problèmes...<br />
Vous, mes difficultés, formezvous <strong>un</strong> système ?<br />
Vaisje vous surmonter, rien qu'en vous connaissant ?<br />
Puis l'on dit que, parfois, c'est en les délaissant<br />
Qu'on résout les questions, y compris les dilemmes.<br />
Autre qu'<strong>un</strong>e équation est la vie pour qui l'aime,<br />
Plutôt <strong>un</strong> tourbillon sans cesse renaissant.<br />
Plutôt <strong>un</strong> grand verger sans cesse en floraison,<br />
La douce voix d'<strong>un</strong> moine en rêveuse oraison,<br />
La fraîcheur du printemps qui dans nos coeurs s'imprime.<br />
Je m'en vais remiser la règle et le compas ;<br />
Armes ne me seront en ce vital combat,<br />
Mieux équipé serai avec quatre ou cinq rimes.
les cent sonnets<br />
La vie ressemble à ces sonnets que je fignole<br />
Comme produit ses fruits le patient pissenlit.<br />
Aussi peu s'en soucie le passant qui les lit<br />
Que des graines des fleurs au jardin, qui s'envolent.<br />
Le plus souvent, bien sûr, ces textes sont frivoles :<br />
Menus propos badins que la rime embellit,<br />
Rêves incohérents notés au saut du lit,<br />
Souvenir de leçons entendues à l'école.<br />
Mais certains jours je dois dire <strong>un</strong> mot plus sérieux,<br />
Examiner mon coeur et passer aux aveux ;<br />
A ce genre d'écrit, malhabile est ma plume.<br />
J'aime mieux débloquer, fabuler, plaisanter,<br />
Et mon rire aime mieux que mes larmes chanter,<br />
Puisque l'oeil de l'esprit dans le rire s'allume.<br />
les cochons<br />
La vie ressemble à ces sonnets que nous torchons<br />
En écrivant des mots parfois nous nous lâchons<br />
Mais en se répétant ces mots que nous mâchons<br />
Souffrons de les entendre et nous nous écorchons<br />
Mais ils sont admirés de nos chiens nos bichons<br />
Heureux de cet amour buvons à pleins cruchons<br />
Deux pieds sur le podium où fiers nous nous juchons<br />
Sans avoir bien saisi qu'en cela nous trichons<br />
Jamais la poésie ne fut pour les cochons<br />
Les mots que sans savoir vers vous nous décochons<br />
Même si sur l'idée autrement nous séchons<br />
Ne sont que nos défauts qu'envers vous nous cachons<br />
Et à faire cela nos instants nous gâchons<br />
Sur des textes idiots que vainement léchons
la vigne de mon grandoncle<br />
Vigne de mon grandoncle où je mangeais des figues,<br />
Cela fait cinquante ans et <strong>un</strong>e ou deux saisons.<br />
J'aimais ce lieu caché, <strong>un</strong> peu loin des maisons,<br />
Où la nature était chaleureuse et prodigue.<br />
Ce regret du passé qu'il faut que l'on endigue,<br />
Nous luttons contre lui avec notre raison,<br />
Et la plupart du temps, c'est vrai, nous l'apaisons,<br />
Mais combien j'aimerais marcher dans la garrigue...<br />
J'ai distendu mes liens d'avec ce cousinage,<br />
Fort peu de souvenirs de cet endroit surnagent,<br />
Et je ne saurais pas en être chroniqueur.<br />
Oncle, je ne sais pas qui cultive ta vigne,<br />
Ou si des constructions à sa place s'alignent ;<br />
Je sais que ton figuier me rafraîchit le coeur.<br />
Paroles de la vigne<br />
La vigne a répondu : « Petit, tu es vivant ?<br />
Ça me fait bien plaisir d'avoir de tes nouvelles.<br />
Ton cousin est en ville, et sa maison est belle,<br />
Mais il n'est plus très je<strong>un</strong>e, et n'en sort pas souvent.<br />
Le vin qu'autour de lui ses amis vont buvant<br />
Autrefois fut raisin sous mon humble tonnelle,<br />
Mais nul ne bouge plus ma terre à coups de pelle,<br />
Et le seul à tailler mes branches, c'est le vent.<br />
J'entends autour de moi l'ample respiration<br />
Des campagnes dormant, sans hommes, sans passion,<br />
Sauf parfois d'<strong>un</strong>e grive en pleine bacchanale. »<br />
Entendant ces propos tenus dans le lointain,<br />
Je demeure pensif, et ne suis pas certain<br />
De n'avoir pas rêvé, dans la brise automnale.
LaoTseu transmet la voie au douanier<br />
La voie, tu dois la suivre, et non pas la comprendre.<br />
Fais donc bien attention à ce que tu perçois :<br />
C'est ce qui pour agir t'offrira les bons choix,<br />
Même si leurs effets ont de quoi te surprendre.<br />
Ta parole, mon maître, est bien dure à entendre.<br />
Si la réalité n'a pas de sens pour toi,<br />
Je comprends, tu es vieux, tu es chercheur, tu crois<br />
Que l'<strong>un</strong>ivers ne peut rationnel se prétendre.<br />
Mais moi, je veux donner du sens à mon espoir,<br />
Je veux faire du feu lorsque le ciel est noir,<br />
Je ne puis accepter ton douteux équilibre.<br />
Mon disciple, tu peux te donner cette loi.<br />
Je reçois ton refus qui est de bon aloi<br />
Et m'emplit de bonheur : il vient d'<strong>un</strong> homme libre.<br />
<strong>un</strong>e autoparodie<br />
Le bord de l'<strong>un</strong>ivers n'offre auc<strong>un</strong>e ouverture,<br />
Il n'a, par conséquent, nul besoin de gardiens.<br />
L'écart entre le mal qu'on peut faire, et le bien,<br />
Est, de fait, ignoré par mainte créature.<br />
La plupart des vivants ignorent leur nature.<br />
Pas de perplexité au coeur des acariens,<br />
Nul sens de l'ironie aux cerveaux d'amphibiens<br />
Qui au fond des notions jamais ne s'aventurent.<br />
De têtard en crapaud, s'il se métamorphose,<br />
L'amphibien ne voit pas qu'il devient autre chose ;<br />
S'il le voyait, il n'en verrait point la raison.<br />
Point pour eux de mauvaise ou de bonne nouvelle,<br />
Ni de particulière, ou bien d'<strong>un</strong>iverselle,<br />
Ni le désir de voir plus loin que l'horizon.
<strong>un</strong>e pantoufle (en hommage à Roger Lefebvre)<br />
Le chant d'<strong>un</strong>e pantoufle aux accents idylliques<br />
Lui permet de séduire <strong>un</strong> timide escargot.<br />
Il cesse de courser les homards aux portiques<br />
Et sa nouvelle amie lui apprend le tricot.<br />
Ensuite ils vont tous deux visiter l'Amérique,<br />
Nourris d'amour, d'eau fraîche et de gros asticots.<br />
Rien ne peut arrêter leur marche pacifique,<br />
Sauf si on leur offrait des tranches de gigot.<br />
Ne porte nulle atteinte à leur gloire impériale,<br />
Tout l'été chanteront ainsi qu'<strong>un</strong>e cigale,<br />
Et la bise venue, adviendra leur trépas.<br />
Lecteur, si mon récit par endroits te déroute,<br />
C'est le pétrole assis sur le bord de la route<br />
Qu'il faut interroger, surtout, n'hésite pas.<br />
Cendres de chêne et cendres de roseau<br />
Le chêne et le roseau sont rarement d'accord.<br />
Ils n'ont pas le même art d'aborder les ruptures,<br />
Ni la même présence au sein de la nature,<br />
Aussi, chac<strong>un</strong> à l'autre a toujours donné tort.<br />
Le vagabond qui va, ramassant du bois mort,<br />
Sait que du chêne il peut tirer la flamme pure<br />
D'<strong>un</strong> feu qui le réchauffe et toute la nuit dure ;<br />
Il faut que le roseau soit enflammé d'abord.<br />
Voilà ces ennemis rendus complémentaires,<br />
Leurs cendres, cependant, n'en ont plus rien à faire,<br />
N'entendant déjà plus les propos des oiseaux.<br />
Toi, le plus vaillant arbre à la robuste tige,<br />
Et toi, brave pipeau de fort peu de prestige,<br />
La terre vous attend, chêne comme roseau.
la gravitation quantique<br />
Le concombre masqué vole à bord d'<strong>un</strong>e enclume<br />
Pour aller récolter la pomme d'arcenciel.<br />
Fort de cette mission (qui n'a rien d'officiel)<br />
Il recrute <strong>un</strong> chourave et plein d'autres légumes.<br />
Noire comme l'enfer soit l'encre de ma plume<br />
Pour narrer du héros les exploits démentiels !<br />
L'arcenciel, béni par <strong>un</strong> sort providentiel,<br />
Portait <strong>un</strong> fruit cent fois plus gros que de coutume.<br />
Lorsqu'il eut embarqué la pomme gigantesque,<br />
Le concombre sourit, car sa mission est presque<br />
Accomplie, le butin est presque acheminé.<br />
Mais dans <strong>un</strong> grand virage, il dérape, il capote,<br />
L'enclume en marmelade et la pomme en compote<br />
Sur Newton que Gotlib venait de dessiner.<br />
Autre monde nocturne<br />
Le conte ne dit pas quelle première phrase<br />
Murmure à son éveil la belle au bois dormant,<br />
Ni ce que lui répond son cher prince charmant.<br />
Pas grandchose sans doute, <strong>un</strong> propos sans emphase.<br />
Le sommeil prolongé qui procure la base<br />
De ce curieux récit, presque <strong>un</strong> petit roman,<br />
A la vie de la belle apporte <strong>un</strong> ornement,<br />
Car il suspend le temps comme fait <strong>un</strong>e extase.<br />
Quels rêves faisaistu au château endormi,<br />
Voyaistu, dans le noir, les yeux de ton promis,<br />
Ou la mauvaise fée que son ire envenime ?<br />
Ainsi le quotidien fait de nous des dormeurs<br />
Dont l'esprit engourdi, comme du feu qui meurt,<br />
Rêve, confusément, qu'<strong>un</strong> prince le ranime.
le créateur du monde<br />
Le créateur du monde a montré trop de hâte.<br />
Il est trop impulsif, il fait partie de ceux<br />
Qui vont improviser le contenu des cieux :<br />
Comètes, galaxies, <strong>un</strong> foutoir disparate.<br />
Ayant bâclé ce monde, il le sonde, il le tâte,<br />
Il dit « Ça tient debout ? Je suis donc bien chanceux.<br />
Je l'aurais jamais cru, je vous en fais l'aveu. »<br />
Ensuite il crée des gens qui au jardin s'ébattent.<br />
Il boit <strong>un</strong> peu de vin pour fêter son talent<br />
Et lance <strong>un</strong> interdit à ses enfants agrestes<br />
Qui ne l'écoutent pas, car leurs jeux sont fort lestes.<br />
Il parle d'<strong>un</strong>e voix alourdie des relents<br />
Du godet de pinard. Il inflige <strong>un</strong>e atroce<br />
P<strong>un</strong>ition au délit de conscience précoce.<br />
Cinq crocodiles<br />
Le crocodile ja<strong>un</strong>e a dit : « Soyez fidèles<br />
A Dieu, à votre femme et à votre nation ».<br />
Je lui ai répondu : « C'est <strong>un</strong>e aberration,<br />
Car la fidélité, c'est pour les hirondelles. »<br />
Le crocodile mauve a dit : « La vie est belle,<br />
Faitesen chaque jour <strong>un</strong>e célébration. »<br />
Je lui ai répondu : « De ton affirmation,<br />
Je retiens, simplement, qu'elle n'est pas nouvelle ».<br />
Le crocodile orange apprécie l'abstinence,<br />
Le crocodile rose,<br />
<strong>un</strong>e humble transcendance.<br />
Alors, je leur ai dit : « Faites ça entre vous ».<br />
Le crocodile rouge aime les vers stupides,<br />
Je lui dis : « Grâce à Dieu, c'est <strong>un</strong> plaisir limpide<br />
Que partagent le sage et son cousin le fou. »
les sept dragons<br />
Le dragon vert me fit désirer la croissance,<br />
Le dragon rouge a mis du feu dans mon esprit ;<br />
Le dragon ja<strong>un</strong>e aidant, de l'honneur je m'épris,<br />
Le dragon bleu me fit préserver l'innocence.<br />
Le dragon rose offrit à mon coeur l'espérance,<br />
Et la mélancolie me vint du dragon gris.<br />
Ce que le dragon noir en dernier lieu m'apprit,<br />
C'est que la mort est là pour notre délivrance.<br />
D'<strong>un</strong> écrivain chinois qui fut vaillant et sage<br />
Me viennent ces dragons au vertueux langage,<br />
Chassant de l'<strong>un</strong>ivers la discorde et l'ennui.<br />
Et c'est cette vision d'<strong>un</strong> compagnon poète<br />
Qui m'a réconcilié avec notre planète<br />
Et avec le retour du jour et de la nuit.<br />
In Memoriam Nazareni<br />
Le fils du charpentier est le dieu des poètes.<br />
Il a vécu sa vie comme <strong>un</strong> songe étonnant<br />
Dans lequel il était Créateur et prophète,<br />
Père, Fils et Esprit sur le monde tonnant.<br />
JeanBaptiste, qui fut <strong>un</strong> fier anachorète,<br />
Vit en lui <strong>un</strong> Seigneur, et, <strong>un</strong> jour lui donnant<br />
Un peu d'eau sur son front lors d'<strong>un</strong>e grande fête,<br />
Reçut la confession qu'il fit en fredonnant.<br />
Cloué par les soldats sur le bois de justice,<br />
Il dit de retenir la date du solstice<br />
Pour marquer sa naissance et le règne du Bien.<br />
Tous ses mots <strong>recueil</strong>lis par ses mille disciples<br />
Font <strong>un</strong> livre qui dit la gloire du dieu triple ;<br />
Ce livre est excellent, mais ce n'est pas le mien.
la révélation<br />
Le fils du charpentier ne vécut que deux plombes,<br />
Au berceau son cousin Jeannot le sacrifia.<br />
Ce ne fut donc pas lui qu'ensuite on crucifia,<br />
Mais c'est Magdalena, qui fut mise à la tombe.<br />
Alors le saintesprit a débarqué en trombe ;<br />
Il brûla le grand Temple, ensuite il pacifia<br />
Tout l'Empire Romain et il le fortifia,<br />
Puis alla se planquer au fond des catacombes.<br />
Si vous ne croyez pas ce que je viens de dire,<br />
Vous en avez le droit, et vous pouvez écrire<br />
Sur ce fameux forum votre propre vision.<br />
Moi, c'est le créateur qui m'a dit cette histoire,<br />
Et il m'a supplié de bien vouloir la croire,<br />
Le créateur parfois a de ces illusions !<br />
<strong>un</strong> buveur raisonnable<br />
Le fils du charpentier, qui n'avait pas d'argent,<br />
Veut aller boire <strong>un</strong> soir, et s'en revient sur terre.<br />
Le patron de l'auberge, <strong>un</strong> homme <strong>un</strong> peu austère,<br />
Lui dit « Nul ne boira chez moi gratuitement ».<br />
En entendant cela, <strong>un</strong> buveur allemand<br />
Au fils du charpentier offre <strong>un</strong> verre de bière.<br />
Le Seigneur, ayant dit <strong>un</strong>e courte prière,<br />
Lui guérit son arthrose, <strong>un</strong> mal très déformant.<br />
Un vieil Anglais survient, et offre encore <strong>un</strong> coup ;<br />
Et pour récompenser ce geste de bon goût,<br />
Le fils du charpentier guérit sa lombalgie.<br />
D'<strong>un</strong> gars français il eut <strong>un</strong> grand verre de vin,<br />
Mais <strong>un</strong>e guérison, il proposa en vain ;<br />
Puisque notre homme était en arrêtmaladie.
le drapeau noir<br />
Le fils du charpentier s'est changé en corbeau<br />
A la noirceur duquel rend hommage <strong>un</strong> drapeau.<br />
C'est l'étendard de ceux qui le pouvoir conchient,<br />
Et c'est le noir fanion promettant l'anarchie.<br />
Révolte et anarchie, retenez bien ces mots,<br />
Nos armes ne seront pacifiques rameaux :<br />
La servile tribu ne peut être affranchie<br />
Qu'en secouant très fort sa structure avachie.<br />
Et vous qui espérez dans notre obéissance,<br />
Vous n'en trouverez plus, mais de la résistance :<br />
Vous ne garderez nulle illusion de pouvoir.<br />
Un jour, nul ne pourra son semblable soumettre,<br />
Un jour, nul n'aura plus ni de dieu ni de maître,<br />
C'est ce jour attendu qu'on nomme le grand soir.<br />
le dieucorbeau et le démonrenard<br />
Le fils du charpentier, sur sa croix accroché,<br />
Tenait entre ses dents le salut de ce monde.<br />
Le prince Lucifer, par le sang alléché,<br />
Vint voir cette souffrance à nulle autre seconde.<br />
Le crucifié trembla en voyant s'approcher<br />
Le dragon ricanant aux manières immondes,<br />
Qui lui dit : « Mon cousin, Dieu estil si fâché<br />
Que vous mouriez ici et que l'orage gronde ? »<br />
Oubliant qu'il fallait surtout serrer les dents,<br />
Le crucifié lui parle, et, de ce fait, perdant<br />
Les âmes dont il fut pour <strong>un</strong> temps le refuge,<br />
Les laisse dévorer par Maître Lucifer,<br />
Qui, le ventre bien plein, s'en retourne aux enfers,<br />
Souriant de luimême, et de son subterfuge.
les fous<br />
Le fou ja<strong>un</strong>e me parle, et veut que je lui dise<br />
Comment valoriser ses quelques inventions.<br />
Je lui dis de passer par leur divulgation,<br />
Mais il semble douter d'<strong>un</strong>e telle analyse.<br />
Le fou mauve survient et veut que je précise<br />
Comment éliminer fantasmes et pulsions.<br />
Je lui dis de surtout relâcher la pression,<br />
Puisque « Tout va très bien, Madame la Marquise ».<br />
Au fou orange,<br />
<strong>un</strong> mot sur son métabolisme,<br />
Au fou rose <strong>un</strong> avis concernant les sophismes,<br />
Frappés, dans les deux cas, de la note « Zéro ».<br />
Concernant le fou rouge,<br />
il a <strong>un</strong> vrai problème,<br />
Alors, je lui dédie ce modeste poème ;<br />
Peutêtre vaisje aussi lui offrir l'apéro.<br />
Quatre thèmes<br />
Le jardin et la croix, la plume et l'encrier,<br />
La salle et le comptoir, les grands auteurs de France :<br />
De ces quatre propos mon vers tire substance,<br />
Dans ces quatre sections, mes sonnets sont triés.<br />
Le jardin est celui qui vit Adam prier,<br />
La plume au fil des jours me conduit en errance,<br />
La salle est au conteur dans son exubérance,<br />
Les auteurs vont cherchant les mots appropriés.<br />
Tu dis que j'ai produit quelques vers déchirants<br />
Que l'on doit regrouper en <strong>un</strong> lieu différent,<br />
D'amour que refroidit le regard de Saturne ;<br />
Il est vrai que jadis ma plume a pu nourrir<br />
Cette étrange passion qui naquit pour mourir :<br />
Sur ce thème, aujourd'hui, je deviens taciturne.
<strong>un</strong>e légende<br />
Le lièvre, <strong>un</strong> beau matin, s'<strong>un</strong>it à la girafe.<br />
La presse a commenté ce cas particulier.<br />
Le serpent et la taupe à l'église ont prié,<br />
Et l'on a convoqué les meilleurs photographes.<br />
L'ibis et le crotale offrent <strong>un</strong>e carafe<br />
Pleine de bon vin rouge au prix de cent deniers<br />
Que généreusement avance <strong>un</strong> usurier ;<br />
Le cochon, <strong>un</strong> voyage à bord d'<strong>un</strong> bathyscaphe.<br />
La reine fit cadeau d'<strong>un</strong>e partie du monde,<br />
Le hibou d'<strong>un</strong>e chambre en la forêt profonde,<br />
Moi, poète, d'<strong>un</strong> chant que dit la voix du loup.<br />
La girafe et le lièvre à la sortie du temple<br />
Ont repris ce doux chant et leurs voix furent amples.<br />
Cependant ma chanson ne valait pas <strong>un</strong> clou.<br />
<strong>un</strong>e friche<br />
Le maître de ces lieux m'a confié son jardin,<br />
Je m'en suis occupé de façon nonchalante.<br />
La terre était fertile et fort belles les plantes,<br />
Mais mon goût du travail m'avait quitté, soudain.<br />
J'aimais voir la rosée briller dans le matin,<br />
Et glisser l'escargot dans l'oisiveté lente,<br />
Et dormir l'araignée dans les heures brûlantes.<br />
Je n'aimais pas creuser, ni me salir les mains.<br />
Ainsi ce beau jardin s'est transformé en friche.<br />
La mauvaise herbe y croît dans <strong>un</strong>e terre riche,<br />
Mainte graine oubliée sous <strong>un</strong>e pierre dort.<br />
Des flatteurs croiront voir <strong>un</strong>e grande sagesse<br />
Dans ce qui n'a été qu'<strong>un</strong>e simple paresse...<br />
Ah, je ne sais pas si je dois leur donner tort.
Trouble ronsardien<br />
Le miroir se regarde au feu de la chandelle.<br />
Il s'inquiète du jour finissant et filant<br />
Si précipitamment, en ayant l'air si lent.<br />
Il reconnaît pourtant que la journée fut belle.<br />
Ce qu'elle a de plus beau, c'est qu'elle est sans nouvelles,<br />
Nul n'aura le besoin d'en faire le bilan.<br />
D'où vient ce sentiment, tracas obnubilant,<br />
Fantôme du reflet d'<strong>un</strong>e angoisse éternelle ?<br />
Le grand salon l'ignore, et, tranquille et dispos,<br />
Dans le soir ténébreux se prépare au repos.<br />
Le miroir garde en lui cette crainte accroupie,<br />
Envers qui la chandelle a montré du dédain.<br />
Allons, faut vivre avec, ça ira mieux demain,<br />
Obscures sont parfois les choses de la vie.<br />
Nocturne<br />
Le monde étrange du sommeil<br />
où luisent de sombres éclats<br />
foisonne de monstres pareils<br />
aux fantômes de l'audelà<br />
Mais j'aime ce monde incertain<br />
et la noirceur de son soleil<br />
car c'est là du soir au matin<br />
que je cueille les fruits vermeils<br />
de nos impossibles amours<br />
car en rêve ou en insomnie<br />
en discorde ou en harmonie<br />
le coeur léger ou le coeur lourd<br />
joie ou tristesse en ma mémoire<br />
à toi je pense en la nuit noire
les soupirants<br />
Le pape en son jardin veut recevoir la reine,<br />
Qui devenir papesse oncques ne souhaiterait.<br />
Plutôt avec l'ermite errer dans la forêt,<br />
Même au coeur de la nuit, puisque la l<strong>un</strong>e est pleine.<br />
L'ermite reste froid devant sa souveraine,<br />
Pour ce qui vient du monde il n'a plus d'intérêt.<br />
Une cruche de vin capiteux et bien frais<br />
Suffit pour lui garder sa bonne humeur sereine.<br />
Mais moi, dit le héros, cette reine, je l'aime,<br />
Et je l'ai affirmé souvent dans mes poèmes.<br />
La reine a peu de goût pour les alexandrins.<br />
Alors notre héros s'enfuit dans la montagne,<br />
Une envie de rester seul pour <strong>un</strong> temps le gagne.<br />
La reine fait sa vie avec le fier Mandrin.<br />
Les trois aéronautes<br />
Le pissenlit d'avril offrit trois parachutes,<br />
Faisant, sous le soleil, voler trois acariens.<br />
Le premier atteignit les sables sahariens,<br />
Et, dans <strong>un</strong>e oasis, devint joueur de flûte.<br />
Le deuxième acarien, que l'effort ne rebute,<br />
Fit des acrobaties dans le ciel sibérien.<br />
On l'a félicité, il a dit : « Ce n'est rien,<br />
Un puissant tourbillon m'a pris dans ses volutes ».<br />
Le dernier acarien a parcouru deux mètres<br />
Et s'est trouvé piégé au bord de ma fenêtre,<br />
Pris par <strong>un</strong>e araignée avec du fil collant.<br />
Ce troisième larron fit le plus fier poème,<br />
Disant : « Sur mon tombeau, n'offrez nul chrysanthème ;<br />
Je reste, pour toujours, <strong>un</strong> acarien volant ».
sur le plaisir<br />
Le plaisir se nourrit de l'imagination<br />
Et l'imagination se nourrit de jouissance.<br />
Chaque extase est au corps comme <strong>un</strong>e renaissance,<br />
Un lever de soleil, <strong>un</strong>e illumination.<br />
Tel <strong>un</strong> prêtre au matin de son ordination,<br />
Tel l'alchimiste ayant trouvé la quinte essence,<br />
Tel l'écrivain rempli de sa réminiscence,<br />
L'amant comblé se meurt dans la jubilation.<br />
A ce plaisir, bien peu se montrent comparables,<br />
Car même d'<strong>un</strong> gourmet l'ivresse mémorable<br />
N'est point à la hauteur, et je le reconnais.<br />
Or, si j'ose chercher, dans l'ordre du sublime,<br />
Ce qui peut approcher de ce triomphe ultime,<br />
Je trouve le bonheur d'avoir fait <strong>un</strong> sonnet.<br />
la joie et la tristesse<br />
Le poète se lève, il se sent fier et fort,<br />
Il trouve au paysage <strong>un</strong>e fraîcheur nouvelle.<br />
Des anges çà et là le saluent de leurs ailes,<br />
Qui donc sur cette terre irait lui porter tort ?<br />
Mais d'autres jours n'ont pas ce goût de réconfort ;<br />
Lui fait alors défaut la force ascensionnelle,<br />
L'écriture devient recherche obsessionnelle,<br />
L'inspiration faiblit, et se couche, et s'endort.<br />
Jour de joyeux éveil ou bien jour de souffrance,<br />
Parfois je perçois bien d'où vient la différence,<br />
Parfois je dis, pensif : « Ce n'est rien de précis ».<br />
Que la journée soit bonne ou qu'elle soit mauvaise,<br />
Survient la douce nuit qui les passions apaise,<br />
Et la l<strong>un</strong>e en mon coeur n'éclaire auc<strong>un</strong> souci.
Radiguet<br />
L'épouvantail s'est senti lourd,<br />
Et las de rester au soleil.<br />
Hélas, que de temps sans sommeil,<br />
Sans promenade et sans amour.<br />
Planté là dans le vent marin,<br />
Sans jamais parler à personne ;<br />
Sans qu'heure joyeuse ne sonne,<br />
Planté là comme <strong>un</strong> mandarin.<br />
Sans pouvoir manger <strong>un</strong> seul fruit.<br />
Enviant moineaux et moinelles<br />
Et plus encore <strong>un</strong>e hirondelle :<br />
Heureux qui dans les airs s'enfuit !<br />
Son rôle lui a tant pesé<br />
Que l'épouvantail en révolte<br />
Cessa de garder la récolte,<br />
En corbeau métamorphosé.<br />
La révolte<br />
Le pouvoir exercé par <strong>un</strong> vieux général<br />
Les milliers d'étudiants en pleine découverte<br />
D'<strong>un</strong>e nouvelle vie à tous plaisirs ouverte<br />
Et l'envie de casser l'antique ordre moral<br />
Et c'est la liberté qui passa son oral<br />
Obtenant brillamment son bac de langue verte<br />
Et plus d'<strong>un</strong>e façade alors fut recouverte<br />
D'admirables morceaux de jargon théâtral<br />
Les bourgeois prenant peur ont imploré leurs dieux<br />
Pour que les étudiants redeviennent studieux<br />
Décrochant leur licence et aussi leur maîtrise<br />
Le calme est revenu et même <strong>un</strong> peu d'ennui<br />
Les cris des révoltés n'ont plus charmé nos nuits<br />
Et l'Histoire a conclu « c'était <strong>un</strong>e méprise »
Amitié sur <strong>un</strong> forum<br />
Le prince apprivoisant son copain le renard<br />
Se sent de plus en plus chez lui sur cette terre ;<br />
Vague est le souvenir de la lointaine sphère<br />
Où <strong>un</strong>e fleur l'avait subjugué par son art.<br />
Ainsi, quand notre vie prend <strong>un</strong> nouveau départ,<br />
Ce qui venait avant, nous voudrions le taire ;<br />
Mais fort heureusement, cela ne peut se faire :<br />
BarbeBleue doit <strong>un</strong> jour ouvrir tous ses placards.<br />
Merci donc au forum qui m'a permis de dire<br />
En <strong>un</strong> sonnet par jour mon meilleur et mon pire,<br />
Et d'avoir eu patience, et d'avoir eu pitié.<br />
Le renard et le prince ont partagé leurs rêves,<br />
Ce qui à leur douleur a pu mettre <strong>un</strong>e trêve ;<br />
Merci à qui me lit avec cette amitié.<br />
<strong>un</strong> dimanche auprès d'<strong>un</strong>e église<br />
Le printemps nous invite à des amours nouvelles<br />
Je n'ai jamais voulu t'installer en prison<br />
Ni construire <strong>un</strong>e histoire ignorant la raison<br />
Hélas sur tes portraits comme je te vois belle<br />
Sous mon toit dans trois jours reviendra l'hirondelle<br />
Pour elle ce sera le temps de couvaison<br />
J'entendrai ses enfants égayer ma maison<br />
A toi j'aurais voulu pouvoir être fidèle<br />
Mais au bas d'<strong>un</strong>e église on s'est dit au revoir<br />
Puisque notre aventure est vraiment sans espoir<br />
Nous entendions la cloche annoncer <strong>un</strong> baptême<br />
S'il est permis d'écrire <strong>un</strong> aveu laborieux<br />
S'il est permis d'écrire ici ce mot sérieux<br />
Princesse, je t'aimais, je t'aimerai, je t'aime.
les douze animaux<br />
Le rat me garantit qu'il rongera la cage<br />
Où je suis prisonnier ; le boeuf veut bien tirer<br />
La charrue dans mon champ, le tigre déchirer<br />
Pour mon profit la peau d'<strong>un</strong> ruminant sauvage.<br />
Le lièvre me rapporte <strong>un</strong>e fleur du bocage,<br />
Le dragon, des trésors qu'on ne peut qu'admirer.<br />
Le serpent vient danser afin de m'inspirer,<br />
Le cheval me conduit dans <strong>un</strong> bel attelage.<br />
Le mouton me procure <strong>un</strong> vêtement de laine,<br />
Le singe a dégotté <strong>un</strong>e bouteille pleine<br />
Le coq fait retentir son clairon dans le soir ;<br />
Le chien pose sur moi son doux regard fidèle,<br />
Le cochon me fait rire en draguant l'hirondelle,<br />
Puis les douze animaux s'en vont à l'abattoir.<br />
le rimeur<br />
Le rimeur est heureux s'il croit avoir du style,<br />
S'il se sent souverain de la forme et du fond,<br />
S'il croit pêcher le sens à l'abîme profond ;<br />
Mais le sens, par nature, est chose plus subtile.<br />
Les mots ne savent prendre attitude servile,<br />
Assemblages entre eux par surprise se font,<br />
Se croire leur patron, c'est être leur bouffon,<br />
Peu leur chaut, en effet, de se savoir utiles.<br />
Ne les lance donc pas à coups de manivelle,<br />
Mais écoute leur voix toujours <strong>un</strong> peu nouvelle ;<br />
Avant que d'assembler, regarde les fragments.<br />
Ainsi qu'<strong>un</strong> échelon vers <strong>un</strong> beau théorème,<br />
Chaque vers contribue au bâti d'<strong>un</strong> poème,<br />
Comme, pierre après pierre, émerge <strong>un</strong> monument.
les rois<br />
Le roi ja<strong>un</strong>e a voulu obtenir la richesse,<br />
Je lui dis qu'il est bon pour <strong>un</strong> roi d'être nu.<br />
Le roi mauve a rêvé d'<strong>un</strong>e histoire de cul,<br />
Je lui dis qu'il se doit d'agir avec noblesse.<br />
Le roi orange veut s'enfoncer dans l'ivresse,<br />
Je l'avertis du sort de ceux qui ont trop bu.<br />
Le roi rose inventa des gadgets de son cru,<br />
Je dis que là n'est point la divine sagesse.<br />
Le roi rouge veut être <strong>un</strong> puissant souverain,<br />
Je lui dis : « Ne sois pas ce monstre que l'on craint,<br />
Nous préférons les rois qui sont ce que nous sommes ».<br />
Les cinq rois ont vaincu les cinq mauvais penchants,<br />
C'est ce que je proclame en écrivant ce chant :<br />
De rois qu'ils ont été, ils deviendront des hommes.<br />
SaintJean d'été<br />
Le roi qui trop aimait son savoir sans saveur<br />
Sourit en recevant cette carte lancée<br />
Dans son courrier par la dame de ses pensées.<br />
S'il ne croit mériter <strong>un</strong>e telle faveur,<br />
Il est réconforté d'<strong>un</strong>e telle ferveur<br />
Et que se continue l'histoire commencée.<br />
Si son âme parfois est décontenancée,<br />
Si son esprit soudain en est rendu rêveur,<br />
Il suivra malgré tout l'aventureux chemin<br />
Qui va de chaque jour à chaque lendemain,<br />
Il suivra le tracé d'<strong>un</strong>e absence de route,<br />
S'arrêtant pour dormir à l'ombre d'<strong>un</strong> buisson<br />
A l'heure où la forêt ne produit auc<strong>un</strong> son :<br />
Mais il entend celui de son coeur en déroute.
<strong>un</strong> campement rustique<br />
Les amoureux marchent pieds nus<br />
Au printemps dans <strong>un</strong>e herbe tendre,<br />
Entourés de sons inconnus<br />
Qu'ils ont seuls à pouvoir entendre.<br />
Avant que le soir fût venu<br />
Ils ont trouvé de quoi s'étendre ;<br />
Les gestes longtemps retenus<br />
Sont accomplis sans plus attendre.<br />
Au lointain dorment les villages,<br />
Nul paysan au pâturage,<br />
Nul promeneur sur le chemin.<br />
A l'horizon dort la montagne.<br />
Dorment compagnon et compagne<br />
Ici, sans penser à demain.<br />
le rire de la tortue<br />
Les animaux du monde étant désemparés<br />
Par <strong>un</strong> fléau mortel, usèrent d'artifice<br />
Pour savoir qui d'entre eux mourrait en sacrifice.<br />
Chac<strong>un</strong> devrait sur l'heure <strong>un</strong>e blague narrer<br />
A Madame Tortue, pour la faire marrer.<br />
Si la tortue riait, on aurait bénéfice<br />
De la vie ; de périr, sinon, par les offices<br />
D'<strong>un</strong> bourreau qui, dans l'ombre, était là, préparé.<br />
L'éléphant raconta. Point de rire. Il mourut.<br />
Or, plus d'<strong>un</strong> animal après lui disparut,<br />
Car la tortue, toujours, restait imperturbable.<br />
Quand vint le tour du singe, il tremblait de frayeur.<br />
L'écoutant, la tortue s'esclaffa de bon coeur :<br />
« Celle de l'éléphant! Elle était ! Impayable ! »
cosmologie barbare<br />
Les astres vagabonds sont aimés des poètes,<br />
Surtout ceux dont le cours va vers <strong>un</strong> but fatal.<br />
Je les vois parcourir les voûtes de cristal<br />
Qui servent de barrière et de route aux planètes,<br />
Je les vois s'envoler plus loin que des comètes,<br />
Se lever à nouveau dans le ciel oriental,<br />
S'approcher de Mercure aux fusions de métal<br />
Et parcourir enfin <strong>un</strong>e orbite complète.<br />
Et mon observatoire est au fond du jardin,<br />
Il a <strong>un</strong> sol de pierre et des murs de rondins,<br />
Et l'on ne voit plus rien quand passent les nuages.<br />
Mais j'aime être allongé au milieu de la nuit<br />
Pour voir l'astéroïde où la vie se poursuit<br />
De la plus belle fleur d'<strong>un</strong> lointain paysage.<br />
Le seigneur Picrochole a donné pour consigne<br />
Que l'on fasse la guerre au seigneur Grandgousier.<br />
Il a mobilisé treize mille obusiers,<br />
Cette imposante armée en bon ordre s'aligne.<br />
C'est le mauvais penchant de ce monarque indigne<br />
Qui de l'affrontement alluma le brasier ;<br />
Picrochole est pervers au point d'apostasier<br />
La foi qu'il faut avoir en le fruit de la vigne.<br />
A sauver le raisin Frère Jean se consacre ;<br />
Il pourfend les soldats, ces fauteurs de massacre,<br />
Pour défendre le sang du fils du charpentier.<br />
Puis <strong>un</strong> très grand cheval déverse son urine<br />
Dont la plaine est noyée, ainsi que les collines,<br />
Afin, guerriers maudits, que vous vous repentiez.
<strong>un</strong> art de lire<br />
Le sens d'<strong>un</strong>e écriture, il est dans le regard<br />
D'<strong>un</strong> lecteur appliqué à lire entre les lignes.<br />
Dans son esprit limpide, il assemble les signes,<br />
Et la révélation lui parvient, tôt ou tard.<br />
S'il croit trouver parfois les effets du hasard<br />
Dans <strong>un</strong>e prose, et dit, avec <strong>un</strong> oeil qui cligne :<br />
« Cet auteur nous soumet des jeux de mots indignes ! »,<br />
Qu'il voie d'<strong>un</strong> peu plus près ce surprenant bazar<br />
Où son application finira par trouver<br />
De quoi être d'accord, de quoi désapprouver ;<br />
Du sens, quoi qu'il en soit, appelant la réplique.<br />
Exception : si l'auteur raconte <strong>un</strong> cauchemar<br />
Venu le tourmenter au fond de son plumard ;<br />
Les rêves ne sont pas des mots que tu expliques.<br />
les fourmis<br />
Les fourmis parcourant le tronc du marronnier<br />
Suivent obstinément leur route verticale.<br />
C'est trop tôt dans l'année pour trouver des cigales,<br />
Pas trop tôt cependant pour remplir les greniers.<br />
Comme il les satisfait, leur labeur routinier,<br />
Comme leurs journées sont entre elles bien égales !<br />
C'est le meilleur aspect de la vie monacale :<br />
Manger, pour les fourmis, c'est toujours comm<strong>un</strong>ier.<br />
N'en estil pas ainsi du peuple des bureaux ?<br />
Ruche peu bourdonnante, armée sans généraux,<br />
Moines au scriptorium dans la lumière grise.<br />
Combien j'aimerais mieux être nuage au vent,<br />
Ou <strong>un</strong> débris d'épave en la mer dérivant,<br />
Ou du vieux marronnier la feuille dans la brise.
Dieu est <strong>un</strong> je<strong>un</strong>e chat<br />
L'été meurt. Dieu est faible, et toujours ça m'étonne...<br />
Il vit dans son présent, il n'a donc rien appris ;<br />
Dieu est presque invisible à force d'être gris :<br />
Mais j'aime sa façon de rougir les automnes.<br />
Il fait frapper la mer aux falaises bretonnes,<br />
Il fait proliférer le peuple des souris,<br />
Il donne bonne odeur aux fruits qui sont pourris :<br />
Il dort, chaque dimanche, ou alors, il ronronne.<br />
Je ne le laisse pas entrer dans ma maison ;<br />
Il me l'a interdit, quand il fit ma raison.<br />
Et mélanger les deux ne serait rien qui vaille.<br />
Dieu est <strong>un</strong> je<strong>un</strong>e chat, plein d'imagination,<br />
Adorant contempler ce monde en perdition<br />
Dont il pense qu'il est la meilleure trouvaille.<br />
Borges<br />
Le temps c'est nous, et nous sommes la fable<br />
Que nous disait Héraclite l'Obscur.<br />
Nous sommes d'eau, et non de diamant dur,<br />
D'eau qui se perd et n'a de lieu durable.<br />
C'est nous le fleuve et c'est nous l'homme grec<br />
Se regardant dans l'eau, et son image<br />
Qui toujours danse au miroir si volage,<br />
Virevoltant comme <strong>un</strong> feu de bois sec.<br />
C'est nous, vain fleuve, astreint à son parcours<br />
Vers l'océan, et c'est l'ombre alentour.<br />
Tout dit adieu, tout va vers d'autres rives.<br />
Et plus ne bat monnaie notre mémoire.<br />
Reste pourtant <strong>un</strong>e chose, il faut croire,<br />
Reste pourtant <strong>un</strong>e chose plaintive.
David Humphreys<br />
Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard ;<br />
Le temps de penser ça, des secondes furtives :<br />
Si vite va le temps qui ne va nulle part<br />
Que les instants présents sont choses fugitives.<br />
Quand se perd la conscience, au moment de dormir,<br />
Ce fantôme de vie, à quoi ressembletil?<br />
Réponds, toi qui trompé par <strong>un</strong> rêve subtil<br />
Sortis de ton sommeil pour te mettre à gémir,<br />
Toi qui t'en vas, dormant, vers l'ombre de la mort.<br />
C'est comme le reflet d'<strong>un</strong>e clarté l<strong>un</strong>aire,<br />
Une bulle flottant au fond de l'eau qui dort,<br />
Puis disparaissent bulle et vision éphémère<br />
Ne laissant dans le vent qu'insignifiante brume.<br />
Homme, plus que mortel, tu n'es que vie posthume.<br />
Le boulevard<br />
Le vent du boulevard évapore mes larmes.<br />
En suivant ses trottoirs, en assemblant des mots,<br />
Je songe à cette vie qui parfois me désarme,<br />
Je vais à petits pas, marmonnant comme <strong>un</strong> sot.<br />
Vautil mieux dans la foule errer en solitude<br />
Ou loin, se <strong>recueil</strong>lir ? Le boulevard répond :<br />
Suismoi, je te conduis vers <strong>un</strong> lieu de quiétude.<br />
Au bout du boulevard l'eau passe sous <strong>un</strong> pont.<br />
Au bout du boulevard, c'est la rive de Seine,<br />
C'est le flot qui dissout en lui toutes les peines.<br />
L'eau du fleuve adoucit ma vie au goût de sel.<br />
Je flâne dans Paris comme font les touristes.<br />
Mon coeur ne parvient pas à rester longtemps triste<br />
Quand je passe la Seine au vieux pont SaintMichel.
le cochon et l'hirondelle<br />
L'hirondelle appela le cochon au parloir,<br />
Pour qu'il eût l'occasion de déclarer sa flamme.<br />
Le cochon n'osait pas (timide était son âme,<br />
Il n'était pas du genre à se faire valoir).<br />
Enfin, il accepta, dans l'ivresse d'<strong>un</strong> soir<br />
Où le soleil couchant, dans des lueurs de drame,<br />
Empourprait les abords des bistrots de Paname,<br />
Faisant rougir la bière et saigner les miroirs.<br />
Le cochon s'avança pour prendre la parole,<br />
Et, devant ses amis (beaucoup de gens frivoles),<br />
Fit sa déclaration, qu'il grava sur <strong>un</strong> mur.<br />
Aux abords de son nid se tenait l'hirondelle.<br />
Une douce émotion faisait frémir ses ailes.<br />
Un silence survint, insondable, et très pur...<br />
Carpe diem<br />
L'homme à ses lendemains ne cesse de penser,<br />
Cette façon de faire est probablement vaine.<br />
L'avenir dosera les bonheurs et les peines,<br />
Mais respecter nos plans, il en est dispensé.<br />
Comme César disant que les dés sont lancés,<br />
Je poursuis mon chemin sans savoir où il mène.<br />
César a dit aussi que l'erreur est humaine<br />
Quand par ses bons amis son corps fut transpercé.<br />
Feuille qui sur sa branche à l'automne demeure,<br />
Estce pour quelques jours, estce pour quelques heures,<br />
Le vent venu du Nord n'en sait luimême rien.<br />
J'écris mes mots du jour, selon que vient la brise.<br />
Ma plume est quelquefois la première surprise<br />
De voir ce que produit son parcours quotidien.
d'<strong>un</strong> ange et d'<strong>un</strong> démon<br />
L'on voit deux associés près de chaque animal :<br />
Son ange qui lui parle avec dévote mine,<br />
Et son démon pervers, <strong>un</strong>e rouge vermine<br />
Qui lui montre à plaisir comment on fait le mal.<br />
Or donc, chaque vivant abrite <strong>un</strong> trib<strong>un</strong>al<br />
Où le contre et le pour à loisir se ruminent,<br />
De sorte qu'à la fin, l'agir se détermine,<br />
Prenant dans le vouloir sa source et son canal.<br />
Ainsi, quand le renard dépouille le corbeau,<br />
Ou quand le procureur met le christ au tombeau,<br />
Un ange et <strong>un</strong> démon ont eu à en débattre.<br />
Quelques lecteurs curieux m'ont demandé pourquoi<br />
Ce débat, et non pas <strong>un</strong>e plus simple loi :<br />
C'est parce que la vie se joue sur <strong>un</strong> théâtre.<br />
Cinq ornithorynques<br />
L'ornithorynque ja<strong>un</strong>e a dit : « Pas de complaintes,<br />
La poésie c'est pour proclamer le bonheur ».<br />
J'ai répondu : « Si tu peux faire le donneur<br />
De leçons, ta sagesse est absolument feinte ».<br />
L'ornithorynque mauve a dit : « Vivre m'esquinte,<br />
La poésie c'est pour étaler mon malheur ».<br />
J'ai répondu : « Si tu donnes trop de valeur<br />
A tes ennuis du jour, tu vivras dans la crainte ».<br />
L'ornithorynque orange est désolé de vivre,<br />
L'ornithorynque rose aime être toujours ivre,<br />
Je leur ai dit de prendre <strong>un</strong> peu plus de recul.<br />
L'ornithorynque rouge a écrit <strong>un</strong> poème<br />
Dans lequel il résout plusieurs de mes problèmes,<br />
En me disant : « Vasy, tout droit, et sans calcul ».
La vie est <strong>un</strong>e tartine<br />
Lorsque j'étais marmot, j'aimais la confiture ;<br />
J'aimais la quantité plus que la qualité,<br />
Je pensais que c'était très bon pour ma santé.<br />
Puisje me pardonner cette désinvolture ?<br />
Or, le sucre et les fruits viennent de la nature,<br />
Et le fruit est ce dont Dieu a voulu tenter<br />
Le couple dont, je crois, vient notre parenté ;<br />
Par quoi l'on voit que Dieu commet des forfaitures.<br />
Car, s'il eût tenté Eve avec de la moutarde,<br />
Elle eût put réfuter la logique bâtarde<br />
Dont le méchant serpent farcissait son propos.<br />
Ainsi n'aurions besoin de nulle friandise<br />
Et pourrions subsister sans nulle gourmandise,<br />
Ayant notre désir, pour toujours, en repos.<br />
<strong>un</strong> trésor<br />
Lorsqu'<strong>un</strong> sage transporte <strong>un</strong> morceau de diamant,<br />
Il le tient enfermé dans <strong>un</strong>e toile grise.<br />
M<strong>un</strong>i de son trésor, il traverse à sa guise<br />
La ville et le désert, sous le grand firmament.<br />
Roi qui d'<strong>un</strong>e bergère est devenu l'amant<br />
Avec simplicité en berger se déguise<br />
Et sur les hauts plateaux monte affronter la bise,<br />
Gardant royale allure et fier tempérament.<br />
Roi ni sage ne suis, mais simple bateleur,<br />
En chemin n'ai trouvé nul objet de valeur<br />
Et ne fus séducteur de vive pastourelle.<br />
Dans la toile, je n'ai que de quoi grignoter<br />
Avec quelques copains marchant à mes côtés ;<br />
Et je souhaite à ma muse autant de bien pour elle.
<strong>un</strong>e cause non résolue<br />
L'<strong>un</strong>ivers décrit par nos saintes écritures<br />
Est, sembletil, régi par <strong>un</strong> noble gardien ;<br />
Un peu comme <strong>un</strong> dragon qui veille sur des biens,<br />
A luimême s'étant donné l'investiture.<br />
Mais, chac<strong>un</strong> le constate, observant la nature :<br />
Dans le soussol ne sont ni dragons, ni sauriens.<br />
Or, d'autres vont répondre « Attends, ne changeons rien,<br />
Car, de Dieu, le cosmos porte la signature. »<br />
A trancher entre nous, ce n'est pas mince affaire,<br />
Qui peutêtre n'est pas traitable en notre sphère ;<br />
Disons pour commencer que nul des deux n'a tort.<br />
En faveur du déiste a plaidé l'étincelle<br />
De la vie, fulgurante, inimitable et belle.<br />
En faveur de l'athée, la noirceur de la mort.<br />
Notre chair est d'argile<br />
Ma chair, a dit l'ermite, est <strong>un</strong>e faible argile,<br />
Mon esprit, la lueur d'<strong>un</strong> cierge dans le vent.<br />
Que l'eau tombe du ciel, que vienne l'ouragan,<br />
Et c'en est fait de moi, tant mon être est fragile.<br />
Le moine a répondu : « Sous des dehors graciles,<br />
Ton corps et ton esprit sont fermes, cependant.<br />
On a vu des mortels, même âgés de cent ans,<br />
Rester forts et vaillants dans des temps difficiles ».<br />
Puisque les moines sont <strong>un</strong>e troupe de frères<br />
Qui en toute occasion s'affirment solidaires,<br />
Ils ont de l'optimisme et savent l'exprimer.<br />
L'ermite affronte seul cent démons redoutables<br />
Qui lui font entrevoir tous ses penchants coupables,<br />
Il n'a donc pas le coeur à se surestimer.
la nostalgie<br />
Ma je<strong>un</strong>esse enthousiaste est maintenant lointaine,<br />
Ce sont neiges d'antan qui ne reviennent pas.<br />
Plus chargé de fardeaux à chaque nouveau pas,<br />
Bientôt j'aborderai la lourde soixantaine.<br />
Ainsi est agencée la condition humaine,<br />
Qu'au soir nous percevons l'approche du trépas ;<br />
L'esprit perd ses moyens, le corps perd ses appas...<br />
Mais parfois <strong>un</strong> sourire aux beaux jours nous ramène.<br />
Quiconque à son destin voudrait être impassible<br />
Peut au son d'<strong>un</strong>e voix redevenir sensible<br />
Et plonger <strong>un</strong> instant dans le lac des regrets.<br />
Si la réminiscence est le fait du hasard,<br />
Celui qui la cultive exerce <strong>un</strong> subtil art ;<br />
Heureux qui chaque jour y fera des progrès.<br />
Aubervilliers en janvier 2010<br />
Marchant de SaintDenis jusqu'à Aubervilliers,<br />
Je suivais le canal où s'ébattaient les truites ;<br />
J'allais voir <strong>un</strong>e femme avec qui j'étais lié,<br />
Toute idée de morale étant en moi détruite.<br />
Elle m'attendait là, debout sur son palier ;<br />
Au soleil de midi vous preniez tous la fuite,<br />
Démons de la tristesse, et vous vous en alliez<br />
Chez d'autres gens semer des délires sans suite.<br />
Abrités par <strong>un</strong> seul trop grand peignoir de bain,<br />
Nous formions <strong>un</strong> seul corps, <strong>un</strong>ion sans lendemain,<br />
Des moineaux se battaient auprès de la fenêtre.<br />
Corps souples d'animaux, corps nobles des humains,<br />
Tendre douceur du ventre et fermeté des mains,<br />
Dans l'action n'ayant ni <strong>un</strong> "mais" ni <strong>un</strong> "peutêtre".
<strong>un</strong>e paraphrase<br />
Marchant jusqu'au palais qui a sept ouvertures,<br />
J'ai demandé au roi de placer des gardiens,<br />
Auprès de chaque porte, et qu'ils regardent bien<br />
Ce qui entre et qui sort, en fait de créatures.<br />
Voici donc ces bestiaux, tous, selon leur nature :<br />
L'éléphant, le dragon, le loup, les acariens,<br />
Le coq, le paon, le porc et quelques amphibiens,<br />
Tels sont les animaux qui par là s'aventurent.<br />
Puis, le paon et le coq, on les métamorphose<br />
En aigles des sommets ; le loup, en autre chose<br />
Qui mieux sache écouter la voix de la raison.<br />
Le porc et l'éléphant, sous leur forme nouvelle,<br />
Deviendront vos chevaux. Mettezleur <strong>un</strong>e selle,<br />
Et vous chevaucherez vers les quatre horizons.<br />
Pour <strong>un</strong>e chanson<br />
Merci pour ta parole amoureuse qui chante,<br />
Même si certains jours elle chante <strong>un</strong> tourment.<br />
Quand l'amour te transforme en <strong>un</strong> tel instrument,<br />
Tu nous fais éprouver des vibrations touchantes.<br />
Lorsque je continue ma promenade lente,<br />
Je vois <strong>un</strong>e inconnue qui sourit en dormant,<br />
Rêvant, sans auc<strong>un</strong> doute, à son prince charmant,<br />
Tandis que le métro la transporte, indolente.<br />
Merci pour ta chanson qui est joyeux présage,<br />
Merci pour la douceur du calme paysage<br />
Que par ces quelques vers, tu viens de dessiner ;<br />
Ainsi, dans ce fatras du meilleur et du pire,<br />
Quelqu'<strong>un</strong> trouve parfois des raisons de sourire,<br />
Et le jour monotone en est illuminé.
Vagabondages<br />
Mes souvenirs d'été : souvenirs de voyages,<br />
Lorsque j'étais bien je<strong>un</strong>e, étudiant et sportif.<br />
La route et le soleil, et mon vélo rétif<br />
Ont gravé dans mon coeur ces vieux vagabondages.<br />
Pédalant, essoufflé, sous le ciel sans nuages,<br />
Sans pouvoir espérer le moindre apéritif<br />
Sinon l'eau d'<strong>un</strong> ruisseau, sous les arbres, furtif<br />
Et apaisant, discret, assez loin des villages.<br />
Les courtes nuits d'été à dormir sous la toile<br />
Après avoir longtemps admiré les étoiles :<br />
Quel merveilleux sommeil, aux rêves miroitants...<br />
Du début de l'été à la fin, solitaire,<br />
Je n'étais amoureux que de toute la Terre,<br />
Des horizons lointains et puis de l'air du temps.<br />
Le miroir et la chandelle<br />
Mes textes composés aux lueurs des chandelles<br />
Sont démultipliés par d'étranges miroirs.<br />
Lectrices et lecteurs viennent alors les voir ;<br />
Parmi ces visiteurs, quelques<strong>un</strong>s sont fidèles.<br />
Ils ne verront ici auc<strong>un</strong>e idée nouvelle,<br />
Ni leçon qui viendrait renforcer leur savoir,<br />
Ils trouvent de mon coeur les naïfs désespoirs<br />
Et, malgré ces derniers, que je vois la vie belle.<br />
Pourquoi l'alexandrin et pourquoi le sonnet ?<br />
Un auteur qui ni l'<strong>un</strong> ni l'autre ne connaît<br />
Ferait sans doute mieux d'écrire de la prose.<br />
Oui, mais c'est ma vision et c'est mon <strong>un</strong>ivers,<br />
Mes personnages qui veulent parler en vers,<br />
Le prince, le renard, le serpent et la rose.
Le primate humain<br />
Moi, le primate humain,<br />
le seigneur de ce monde,<br />
J'ai droit à votre estime, à votre admiration<br />
Et j'irai jusqu'à dire, à votre soumission.<br />
A genoux, animaux de la terre et de l'onde.<br />
Je vous ai tous conquis, les nobles, les immondes,<br />
Je vous ai conféré à chac<strong>un</strong> sa mission :<br />
Aux <strong>un</strong>s d'assouvir mes carnivores passions,<br />
Aux autres d'accepter gentiment qu'on les tonde.<br />
J'ai déboisé les sols pour d'utiles cultures,<br />
J'ai bien amélioré la brouillonne nature.<br />
Certains soirs il me vient comme <strong>un</strong> doute, pourtant.<br />
Je respire <strong>un</strong> air qui me fait mal à la tête,<br />
Le printemps ne met plus mon pauvre coeur en fête.<br />
J'ai <strong>un</strong> peu tout détruit, ah, c'est bien embêtant.<br />
Meredith, again<br />
Mon coeur me dit que sans dormir ton âme pleure<br />
Quand d'<strong>un</strong>e main ton beau visage en <strong>un</strong> sursaut<br />
Est effleuré (je sens qu'il mourut <strong>un</strong> sanglot<br />
Qui sombre murmurait dans le lit tout à l'heure),<br />
C'est <strong>un</strong> petit serpent qu'on étrangle. Oh, qu'il meure !<br />
Ce serpent est mortel pour l'auteur de ces mots.<br />
Dans l'immobilité tu écoutes le flot<br />
Dont les coeurs qui sont sourds à minuit savent l'heure<br />
Du milieu divisant la mémoire et les larmes,<br />
Buvant le gris et sourd et lent poison qui bat<br />
Une lourde mesure au sommeil sans ébats,<br />
Contemplateur des ans qui moururent sans charme.<br />
Un vain regret pourtant qui ces deux coeurs désarme<br />
Les fixe sur le mur, où ils semblent des bas<br />
Reliefs, ou des gisants qui ne se touchent pas :<br />
Une épée gît entre eux, mais mourir de cette arme ?
le témoignage de Gabriel<br />
Moi qui suis Gabriel, archange du Seigneur,<br />
J'ai accepté d'aller en mission sur la Terre,<br />
Croyant que ce serait <strong>un</strong> programme ordinaire ;<br />
Mais c'était <strong>un</strong> projet <strong>un</strong> peu plus novateur,<br />
Un contrat que chac<strong>un</strong> doit porter dans son coeur,<br />
Et doit se rappeler à son heure dernière.<br />
Je devais rencontrer <strong>un</strong> être de lumière,<br />
La fille de David,<br />
plus douce que les fleurs.<br />
La rencontre se fit, en tout bien, tout honneur,<br />
C'est à ce momentlà que j'appris le bonheur<br />
Et, simultanément, <strong>un</strong> malheur inconnu.<br />
J'ai vu dans ses grands yeux se former <strong>un</strong>e larme.<br />
Mais contre son bourreau, je n'avais auc<strong>un</strong>e arme,<br />
Car c'était <strong>un</strong> enfant, humain, heureux et nu.<br />
Gabriel après l'amour<br />
Moi, pauvre Gabriel, archange du Seigneur,<br />
Je reçus l'autre jour l'ordre d'aller sur Terre,<br />
Croyant devoir remplir <strong>un</strong>e tâche ordinaire :<br />
Inondation, fléau, typhon dévastateur...<br />
Mais la dévastation s'en est prise à mon coeur,<br />
Et le voilà brisé en mille éclats de verre.<br />
Ma mission fut d'étreindre <strong>un</strong> être de lumière,<br />
La fille de David,<br />
plus douce qu'<strong>un</strong>e fleur.<br />
J'ai rempli mon contrat, ce fut à mon honneur,<br />
Mais je suis déchiré d'<strong>un</strong> terrible bonheur<br />
Qui est entremêlé d'<strong>un</strong> malheur inconnu.<br />
Et de retour au ciel, je baigne dans mes larmes,<br />
Elles trempent ma robe et oxydent mes armes,<br />
Et mon coeur a compris, soudain, qu'il était nu.
<strong>un</strong> art poétique improvisatoire<br />
Mon esprit est fragile, et n'est jamais très clair,<br />
S'il parvient à penser, c'est <strong>un</strong> peu par magie.<br />
Mais il est éclairé par Dame Poésie<br />
Et par la poésie de mes amis très chers.<br />
Il danse avec les mots ; ils lui sont <strong>un</strong>e chair<br />
Qui dans ses mouvements la pesanteur défie.<br />
S'il vibre certains jours d'<strong>un</strong>e émotion qui crie,<br />
Il la traduit en verbe au rythme des éclairs.<br />
Et puis il se repose en lisant les sonnets<br />
Produits, ici et là, par les gens qu'il connaît.<br />
Ils sont doux à son coeur comme des airs de flûte.<br />
Même, quand il parvient au deuxième tercet,<br />
Il s'étonne, il se dit : « Ma foi, je ne pensais<br />
Pas rencontrer ici ce verslà comme chute ».<br />
<strong>un</strong>e comptine<br />
Mon pouce a décidé que j'irais en voyage,<br />
Comptant sur mon index pour montrer le chemin.<br />
Le majeur était seul pour porter les bagages ;<br />
L'annulaire lisait le guide Michelin.<br />
Quant à l'auriculaire, à la paresse enclin,<br />
Il se laissait porter dans ce vagabondage<br />
Ainsi que les cinq doigts que j'ai sur l'autre main.<br />
J'étais, on peut le dire, en léger équipage.<br />
La route est rectiligne et baignée de fraîcheur,<br />
D'immenses horizons attirent le marcheur<br />
Qui sait aller au loin sans que rien ne le presse.<br />
Un petit animal, soudain, vint à passer,<br />
Un chat qui demandait à être caressé :<br />
Ici, premier arrêt, <strong>un</strong> moment de tendresse.
marionnettes<br />
Mon voisin du dessus, <strong>un</strong> grand marionnettiste,<br />
Fabrique des milliers de poupées en papier.<br />
Dans <strong>un</strong> vaste décor <strong>un</strong> peu kitsch et pompier,<br />
Il fait vivre à chac<strong>un</strong>e <strong>un</strong>e vie drôle ou triste.<br />
Chaque poupée se croit libre protagoniste<br />
D'<strong>un</strong>e intrigue à plusieurs, donne des coups de pied,<br />
Tient de sages propos, jure comme <strong>un</strong> troupier.<br />
Ce n'est que le montreur l'agitant sur la piste.<br />
Et par <strong>un</strong> sombre soir il les rassemblera<br />
Pour porter jugement, et sa voix hurlera<br />
Pour condamner au feu les poupées malhonnêtes.<br />
Celles qui par sa main firent des gestes bons<br />
Au frigo d'or massif refuge trouveront.<br />
La justice s'adresse aussi aux marionnettes.<br />
muse<br />
Muse qui souffre et qui s'égare,<br />
Reste l'invitée du chemin...<br />
Sans doute je suis <strong>un</strong> barbare<br />
D'en parler sur ce parchemin.<br />
Bateau tenu par ses amarres,<br />
Libre ni ce jour ni demain ;<br />
Jamais la main qui tient la barre<br />
Ne la donne à <strong>un</strong>e autre main.<br />
Navire ne prenant la route<br />
Que vers le rivage du doute<br />
Dont il ne sait point retourner.<br />
Ce poème est écrit en marge<br />
D'<strong>un</strong> assez lourd cahier des charges<br />
Que je n'ai pas droit d'ajourner.
Pour la dame de mes pensées<br />
N'allons point nous livrer à la mélancolie,<br />
(Estce là le devoir d'<strong>un</strong>e âme envers <strong>un</strong>e âme ?)<br />
Celle qui aujourd'hui ces beaux vers me dédie<br />
N'évoque rien pour moi de triste ni d'infâme...<br />
Le monde d'<strong>un</strong> poète est jardin de folie,<br />
Les plus beaux nénuphars poussent où nul ne rame.<br />
Nos âmes vont cherchant <strong>un</strong>e rime jolie,<br />
Et d'amour de ses mots la rime nous enflamme.<br />
Car les plus beaux récits sont les inachevés,<br />
Les plus belles passions celles qu'on n'a pu vivre ;<br />
Cet esprit est usé, mais pas démotivé.<br />
Lorsque du jour dernier la trompette de cuivre<br />
Dira « Mourez, mortels, ce monde est lessivé. »,<br />
Alors c'est notre amour qui devra nous survivre.<br />
Le regard de Saturne<br />
N'attends pas de la l<strong>un</strong>e <strong>un</strong>e douce chaleur ;<br />
Tu la crois lumineuse, or grisâtre est la sphère<br />
Dont te semble, de loin, voir la blanche couleur,<br />
Qui de sa vraie nature absolument diffère.<br />
Ne crois pas ce poète <strong>un</strong> homme de valeur ;<br />
Tu le crois inspiré, mon dieu, la belle affaire :<br />
C'est <strong>un</strong>e convulsion qu'inspire <strong>un</strong>e douleur<br />
Qui n'est pas éternelle et n'est pas mortifère.<br />
Un sonnet ne contient auc<strong>un</strong> sérieux message ;<br />
Un poète n'est pas <strong>un</strong> savant ni <strong>un</strong> sage,<br />
Il n'a de sens en lui qu'il ne l'ait détourné.<br />
La l<strong>un</strong>e et la douleur parmi le ciel nocturne<br />
Dansent sous le regard verdâtre de Saturne<br />
Et sans atteindre <strong>un</strong> but ne cessent de tourner.
quelques recommandations<br />
N'ayez pas de souliers dont la semelle est lisse :<br />
Sur la neige et la glace, on constate qu'ils glissent.<br />
Surveillez la façon, surtout, dont vous marchez<br />
En sortant le matin pour aller au marché,<br />
Puis, gardezvous aussi du givre subreptice ;<br />
Il faudrait que vos pas, dès lors, se rapetissent<br />
Et que de lourds paquets n'aillent vous empêcher<br />
De garder l'équilibre, en vous faisant pencher.<br />
D'ailleurs, en avançant, regardez devant vous,<br />
Posez vos pieds à plat, n'allez pas, comme <strong>un</strong> fou,<br />
Courir derrière <strong>un</strong> bus ou <strong>un</strong> taxi qui passe.<br />
Si la neige aux souliers fait <strong>un</strong> bel ornement,<br />
Il faut pourtant l'ôter assez rapidement,<br />
Avant que le grand froid ne la transforme en glace.<br />
Les transfuges<br />
N'ayons pour ce forum de passion exclusive<br />
Sur la toile il en est d'encore plus marrants<br />
Et si <strong>un</strong> déserteur ne rejoint pas nos rangs<br />
C'est qu'il a d'autres lieux pour ses heures oisives<br />
D'autres lieux pour lancer sa pensée incisive<br />
Et pour y composer des sonnets hilarants<br />
Les mêmes vers dans <strong>un</strong> contexte différent<br />
Contribuent à <strong>un</strong>e autre émotion collective<br />
Un buveur qui se lasse il peut changer d'auberge<br />
Ou boire à l'extérieur sur <strong>un</strong>e ombreuse berge<br />
Ou par les chemins creux ses songes trimballer<br />
Une auberge en ce monde en vaut toujours <strong>un</strong>e autre<br />
Ce forum il nous plaît parce que c'est le nôtre<br />
Mais plusieurs d'entre nous ailleurs s'en sont allés
Conseils d'<strong>un</strong> inconnu<br />
N'écris pas trop limpide, écris comme <strong>un</strong> vivant.<br />
Trouble soit ta chanson, puisque la vie est telle.<br />
Sache surtout que nulle amour n'est éternelle,<br />
Même si ton surmoi trouve ça décevant,<br />
La vie est <strong>un</strong> enfer. D'accord, c'est énervant.<br />
Elle n'est, pour autant, chaque jour si cruelle ;<br />
L'horreur de certains soirs est <strong>un</strong>e horreur partielle.<br />
Nous voyons le poète, en de tels cas, trouvant<br />
Dans ces sursauts d'espoir, matière à narration,<br />
Mais le malheur aussi est <strong>un</strong>e inspiration.<br />
N'écris pas que la vie est toujours infernale,<br />
Ce n'est pas ta mission. Montre, dans le lointain,<br />
Comment prend consistance <strong>un</strong> bonheur incertain<br />
Fait de douce lumière et de saveurs banales.<br />
Le maître répond à <strong>un</strong> poète<br />
Ne crois pas la sirène aux futiles passions.<br />
Admire la danseuse et ne va pas chez elle ;<br />
Ne suis pas le hibou que la l<strong>un</strong>e ensorcelle,<br />
Et défendstoi, surtout, par des imprécations.<br />
Si de rien n'ont servi, pourtant, ces précautions,<br />
Attends donc le retour chez toi des hirondelles :<br />
Tu sais qu'à ta maison elles seront fidèles,<br />
Te portant chaque fois cette douce émotion.<br />
Elle est encore loin, elle adviendra, pourtant,<br />
L'éclosion, au jardin, de ce nouveau printemps<br />
Qui te ranimera de sa tiède lumière.<br />
En attendant ce jour, compose des sonnets<br />
Sur ta lyre de fou, comme tu t'y connais,<br />
Pour que vienne plus tôt la clarté printanière.
La roue<br />
Nos chemins icibas ne sont jonchés de roses,<br />
Et tout ce que l'esprit trouve à ronger de choses<br />
Lui résiste au point qu'il doit les laisser en plan :<br />
Nos rêves bien souvent nous le vont rappelant.<br />
Sur le bord d'<strong>un</strong>e roue qui sur rien ne repose,<br />
Tu surmontes la peur dans ton esprit éclose.<br />
Tu sais distinguer l'être en observant l'étant,<br />
Tu sais que tu ne sais pas percevoir le temps,<br />
Rien que le mouvement de ce qui toujours meurt<br />
Sans sursaut, sans tristesse et surtout sans clameur :<br />
Qui n'est pas éternel, disonsle transitoire.<br />
De principal rayon la roue n'a pas, vraiment,<br />
Et sans cause et sans but sont tous ses mouvements :<br />
Sans auc<strong>un</strong> scénario se déroule l'Histoire.<br />
Hackeurs de bidonville<br />
Nos voix font <strong>un</strong> écho dans la vallée des morts,<br />
Plus qu'<strong>un</strong> rouge canyon, muraille polychrome.<br />
Hackeurs de bidonville et hackeurs du royaume,<br />
On survient, on repart, on entre et puis on sort.<br />
Si tu crois qu'on s'amuse ici, tu as bien tort.<br />
On explore, on apprend, on visite, on se paume,<br />
On écrit des sonnets ou bien des antipsaumes.<br />
Le citoyen lambda est content de son sort,<br />
Nous on voudrait stopper le temps qui nous balafre,<br />
Ce n'est pas de l'ennui, tu vois, ce sont les affres<br />
De la réalité, de ses interjections,<br />
Du sens surabondant qui induit la frayeur,<br />
De ces lendemains qui jamais ne sont meilleurs,<br />
Du virtuel trop réel avec ses projections.
Notre corps est <strong>un</strong> arbre<br />
Notre corps est <strong>un</strong> arbre, a déclaré l'ermite,<br />
Notre esprit <strong>un</strong> miroir, il faut l'épousseter.<br />
Ne se croyaitil pas porteur de vérité,<br />
Celui qui transcendait le réel et ses mythes...<br />
Ton arbre est dans <strong>un</strong> vase, a dit le cénobite,<br />
Et d'<strong>un</strong> endroit à l'autre il peut se transporter.<br />
Quant au miroir, tu peux tout <strong>un</strong> jour le frotter,<br />
Tu ne nettoieras pas les reflets qui l'habitent.<br />
Epoussetons bien l'arbre, arrosons le miroir,<br />
Car pour telle entreprise il n'est besoin d'espoir,<br />
Ni de succès non plus pour que l'on persévère.<br />
Les ayant accueillis dans ta méditation,<br />
Retiens de ces deux mots la signification :<br />
L'arbre, on en fait du bois, le miroir, c'est du verre.<br />
Immortel ou fugace<br />
Notre <strong>un</strong>ivers parfois nous force à l'admirer<br />
Tant il peut nous donner l'impression d'excellence<br />
Et l'illusion qu'<strong>un</strong> dieu y montre sa présence...<br />
...Que le rasoir d'Occam conduit à retirer.<br />
Je comprends que certains puissent la désirer<br />
Car ils ne sauraient quoi répondre au grand silence<br />
Dont vibre le cosmos sans nulle complaisance,<br />
Tel la nef immobile avant de chavirer.<br />
Une telle espérance, ils se la croient permise,<br />
Sur la bonté suprême ils parient leur chemise.<br />
Au moins ça peut en faire <strong>un</strong> tas de gens joyeux.<br />
Moi j'aime cette vie auc<strong>un</strong>ement pérenne,<br />
Court chapelet de jours qui trop vite s'égrènent :<br />
Et j'aimerais sourire à l'instant des adieux.
<strong>un</strong> retournement<br />
Notre vie est parfois en surprises fertile.<br />
L'autre jour <strong>un</strong> buveur, pour vaincre son ennui,<br />
Avait trinqué jusqu'à être absolument cuit.<br />
Il prit le chemin du retour au domicile.<br />
Son ivresse était grave et ses pas difficiles ;<br />
Alors qu'il titubait dans <strong>un</strong>e hostile nuit,<br />
Un crocodile rose a surgi devant lui.<br />
« Ivrogne ! Ivrogne ! Ivrogne ! » a crié le reptile.<br />
Or, le buveur furieux s'empara de la bête<br />
Et la retourna comme on fait d'<strong>un</strong>e chaussette.<br />
Un instant de silence aussitôt s'ensuivit.<br />
Mais l'animal vaincu se manifeste encore.<br />
De nouveau l'on entend son organe sonore,<br />
Et voilà qu'il criait : « Engorvi ! Engorvi ! »<br />
La bénédiction des langues<br />
Nous voici ré<strong>un</strong>is, ce jour de Pentecôte,<br />
Attendant que l'Esprit nous donne du talent.<br />
Matthieu veut être juste et Marc être galant,<br />
Luc aimerait savoir préparer l'entrecôte,<br />
Jeannot courir sans être essoufflé dans les côtes,<br />
Pierrot plus aisément convertir le chaland,<br />
Jacquot voir des Romains devant lui détalant,<br />
Venez, divin Esprit, venez, soyez notre hôte!<br />
L'obscurité se fait dans <strong>un</strong> souffle qui gronde.<br />
Soudain, des traits de feu, issus d'<strong>un</strong> autre monde,<br />
Viennent toucher chac<strong>un</strong> de nos fronts de pécheurs.<br />
Chac<strong>un</strong> gagne <strong>un</strong> lexique, <strong>un</strong> style, <strong>un</strong>e grammaire,<br />
S'ajoutant au parler qu'il tenait de sa mère :<br />
Douze apôtres, dès lors, seront douze prêcheurs.
Universbulle<br />
Nul ne peut le coincer dans les mots d'<strong>un</strong> sonnet,<br />
Chose que nul n'aurait, d'ailleurs, l'idée de faire,<br />
Mais l'<strong>un</strong>ivers, sans doute, est pris dans <strong>un</strong>e sphère,<br />
Comme si le cosmos à des jeux s'adonnait,<br />
Comme si <strong>un</strong>e bulle en l'air se promenait,<br />
Evitant qu'avec elle obstacle n'interfère,<br />
Allant sans intention, sans stress et sans affaire,<br />
Visiteur familier que nul ne reconnaît.<br />
La bulle éclate et meurt aussitôt qu'on la point,<br />
Elle vit dans l'instant, et ne perdure point,<br />
Cette fragilité provient de sa structure.<br />
Il nous faut l'accepter. La bulle n'a qu'<strong>un</strong> temps,<br />
Et le grand <strong>un</strong>ivers, <strong>un</strong> peu plus résistant,<br />
Doit disparaître aussi, et toute créature.<br />
<strong>un</strong> trou de matière<br />
Oiseau tranquille et fier, je parcourais l'espace<br />
Escorté de copains ; nous étions des milliers.<br />
Soudain, au lieu de l'air qui nous est familier,<br />
Le vide nous surprend. Ah, qu'estce qui se passe ?<br />
Tout l'air de nos poumons s'est transformé en glace.<br />
Plus moyen dans les airs, d'être de fiers voiliers :<br />
Tel celui du primate avec ses gros souliers,<br />
Notre corps tombe au sol, et plus ne se déplace.<br />
Quel tragique accident, pensent nos pauvres âmes,<br />
Quelle a été, Seigneur, la cause d'<strong>un</strong> tel drame ?<br />
Dans la nuit, fûtesvous troublé par la boisson ?<br />
A quelques pas de là, dans <strong>un</strong>e banlieue verte,<br />
Les promeneurs ont fait <strong>un</strong>e autre découverte :<br />
En <strong>un</strong> fleuve ont péri des milliers de poissons.
Homme de cent vingt ans<br />
On n'est pas sérieux quand on a cent vingt ans,<br />
N'ayant plus auc<strong>un</strong> muscle et plus auc<strong>un</strong>e graisse,<br />
Le coeur presque immobile, à peine palpitant,<br />
Et plus auc<strong>un</strong> cheveu et ni ventre ni fesses.<br />
On ne sait plus du tout comment était le temps<br />
Des premiers pas du corps, de la première messe,<br />
On ne sait ce que c'est que d'être bien portant.<br />
On se sait <strong>un</strong> vivant, oui, mais de quelle espèce ?<br />
Ne reconnaissant plus ce vieux fils d'<strong>un</strong>e femme,<br />
Les médecins ont pris son encéphalogramme,<br />
Et le signal a dit : « Ça ne va pas très fort. »<br />
Ne pouvant plus manger, ayant <strong>un</strong> regard vide,<br />
L'homme de cent vingt ans est hélas trop timide<br />
Pour oser demander qu'on débranche son corps.<br />
<strong>un</strong>e amnésie<br />
Si j'allais devenir <strong>un</strong> vieillard amnésique,<br />
Mes mains se souviendraient de certaines rondeurs ;<br />
Puis j'entendrais parfois le tonnerre grondeur<br />
Et je demanderais de qui est la musique.<br />
Amis, ne prenez pas ce symptôme au tragique,<br />
Même s'il dévastait ma vie en profondeur,<br />
Si ma voix devenait celle d'<strong>un</strong> répondeur<br />
N'ayant que rarement des accents poétiques.<br />
Rimeur, comment saistu, vraiment, ce qu'il en est<br />
De ce que pour fléau, partout, on reconnaît ?<br />
De ce qui nous désole et qui nous désespère ?<br />
Je n'ai pas làdessus <strong>un</strong> regard médical ;<br />
Ce que j'ai pu savoir, quant à moi, de ce mal,<br />
C'est l'autre soir à table, en observant mon père.
Homme de cent mille ans<br />
On n'est pas sérieux quand on a cent mille ans.<br />
Un Néanderthalien sans quartiers de noblesse<br />
Dans <strong>un</strong> glacier alpin a dormi tout ce temps,<br />
Grâce au réchauffement, il sort, il se redresse<br />
Et vient déambuler par les bois et les champs.<br />
Aux passants qu'il rencontre, il demande sans cesse<br />
S'il reste de son groupe <strong>un</strong> peu de survivants.<br />
Quand on lui dit que non, il n'est pas en détresse :<br />
« Mon peuple a disparu, mais ce n'est pas <strong>un</strong> drame ;<br />
Je vais chez les nouveaux me choisir <strong>un</strong>e dame<br />
Avec qui ce sera à la vie, à la mort. »<br />
Jetant son dévolu sur quelqu'<strong>un</strong> de timide,<br />
Le Néanderthalien ne fera pas d'hybrides :<br />
Un juge CroMagnon a tranché sur son sort.<br />
Homme de cinquante ans<br />
On n'est pas sérieux quand on a cinquante ans,<br />
N'étant plus agité des passions de je<strong>un</strong>esse,<br />
Ne brûlant presque plus, aimant l'amour, pourtant,<br />
N'ayant plus trop le goût de tenir des promesses.<br />
On se dit que bientôt arrivera le temps<br />
Des premiers petits chocs de déclin, de vieillesse,<br />
On dit « ne craignons rien, ce n'est pas important »,<br />
On s'enfonce <strong>un</strong> peu plus en ignoble paresse.<br />
Et puis on est scotché par <strong>un</strong>e voix de femme,<br />
Et sans l'avoir prévu voilà qu'on vit <strong>un</strong> drame,<br />
Et l'on se dit « pourquoi ne suisje déjà mort ? »<br />
Ne pouvant plus parler, contemplant le ciel vide,<br />
L'homme de cinquante ans, dont le coeur est limpide,<br />
Bestiau pour l'abattoir, se résigne à son sort.
Homme de deux mille ans<br />
On n'est pas sérieux quand on a deux mille ans,<br />
Le fils du charpentier, dont la mère est princesse<br />
Des royaumes humains, les a fêtés, pourtant.<br />
Le pape en son honneur a fait dire <strong>un</strong>e messe.<br />
L'homme de deux mille ans, ce monde visitant,<br />
Le trouve sans amour, sans joie et sans noblesse.<br />
Ceux mêmes qui de lui se disent militants,<br />
Quand il voit comme ils sont, ça l'use et ça le blesse.<br />
Ne reconnaissant plus, dans ce primate infâme,<br />
Adam par lui sauvé, le sauveur perd sa flamme.<br />
Il se dit : « J'aurais dû laisser, coquin de sort,<br />
Ces humains sans aveu à leur monde putride ».<br />
L'homme de deux mille ans s'en retourne, placide,<br />
Vers son lointain royaume, et plus jamais n'en sort.<br />
Homme de huit mille ans<br />
On n'est pas sérieux quand on a huit mille ans.<br />
Adam a vu passer les sages de la Grèce,<br />
L'empire des Romains, les peuples combattants,<br />
Les enfants de Caïn qui plus que lui transgressent.<br />
Il croit que la nature allait mieux, de son temps,<br />
Que l'on pouvait bien vivre en logis de paresse,<br />
Que, sans nul médecin, on était bien portant ;<br />
Et que la paix régnait au sein de notre espèce.<br />
Regrettetil d'avoir apprivoisé la flamme<br />
Et d'avoir au péché accompagné sa femme ?<br />
Non, (ditil), l'Ecriture avait fixé mon sort ;<br />
La condition humaine est <strong>un</strong> sursaut du vide.<br />
L'homme de huit mille ans, dont l'esprit est lucide,<br />
Contemple de ses fils le lamentable effort.
<strong>un</strong>e soirée parisienne<br />
On s'est pris l'apéro, bien contents de se voir,<br />
Parlant de poésie et de vie quotidienne.<br />
Puis on s'est déplacés, avant que la nuit vienne,<br />
Traversant le jardin du Luxembourg, le soir.<br />
Dans <strong>un</strong>e brasserie, on est allés s'asseoir<br />
Pour savourer des plats de cuisine à l'ancienne,<br />
Buvant de petits vins faits pour qu'on s'en souvienne.<br />
On en est repartis avant qu'il ne fît noir.<br />
Au retour, on longea le jardin endormi,<br />
Déjà le boulevard ne vivait qu'à demi ;<br />
On atteignit la gare à vingtdeux heures trente.<br />
J'ai voulu raconter ces modestes plaisirs :<br />
Je sais qu'en cette vie, nos meilleurs souvenirs<br />
Sont ainsi, fugitifs, telle <strong>un</strong>e brume errante.<br />
Une hibernation<br />
Or, certains jours sont beaux, au milieu de l'hiver,<br />
Déjà, chac<strong>un</strong> d'entre eux est plus long que la veille ;<br />
D'<strong>un</strong> petit souffle tiède, <strong>un</strong> chac<strong>un</strong> s'émerveille<br />
Et fait confiance au cycle animant l'<strong>un</strong>ivers.<br />
Silencieux et pensif devant <strong>un</strong> bourgeon vert,<br />
Ou quand l'oiseau chanteur en plein frimas s'éveille,<br />
Ou quand bourdonne <strong>un</strong> peu <strong>un</strong>e dormante abeille,<br />
Je ne sais pas montrer ces choses dans mes vers.<br />
Je ne sais pas montrer l'attente, la langueur,<br />
La tiédeur des instants qui traînent en longueur,<br />
Les mots de réconfort que murmure la brise.<br />
Je ne veux pas montrer l'ambiance de bureau,<br />
Où l'humour fait le tour de son degré zéro,<br />
Sur fond de résultats dignes de l'entreprise.
le noircissement des pages<br />
Pages qu'ici et là j'ai voulu mettre en ligne,<br />
Qu'apportezvous au monde ? Oh, rien de très nouveau,<br />
Nous ne présentons pas de superbes travaux,<br />
Nous sommes d'attention distraite, à peine dignes.<br />
Mais pourquoi ton papier à la blancheur de cygne<br />
Doitil être marqué du noir de ton stylo ?<br />
Tes vers de chaque jour, tu les vends au kilo ?<br />
Dans <strong>un</strong>e librairie, au public tu les signes ?<br />
Je ne vends pas de texte et je ne me vends pas ;<br />
Un air souvent me vient quand je fais quelques pas,<br />
Auquel, à l'occasion, j'assemble des paroles.<br />
J'écris comme <strong>un</strong> taulard qui ne dort pas la nuit,<br />
Comme <strong>un</strong> vieux boulanger pendant que son pain cuit,<br />
Comme <strong>un</strong> petit enfant qui s'ennuie à l'école.<br />
Charles Best<br />
Pâle reine des nuits où règne le silence,<br />
Tu fais de l'océan sourdre <strong>un</strong> flot colossal,<br />
Lui qui, aussi longtemps que dure ta présence,<br />
De ses plus hautes eaux se fait ton fier vassal.<br />
Quand le vaisseau l<strong>un</strong>aire a pris trop d'altitude,<br />
Quand il s'est enfui loin des grands flots écumants,<br />
L'océan à grands flots pleure sa solitude,<br />
Et de ses basses eaux il marque son tourment.<br />
Toi qui as dans mon coeur fait brûler la passion,<br />
De te chérir, j'avais douce réjouissance,<br />
Et dans les basses eaux de la séparation<br />
De précédents retours m'aide la souvenance.<br />
Retours, éloignements sont choses qui arrivent,<br />
Hautes et basses eaux en mon coeur s'entresuivent.
Pandore<br />
Pandore, ouvrant la boîte, a déchaîné les maux.<br />
Seule, ne sortant pas, nous resta l'Espérance ;<br />
Mais nous ne savons pas expliquer sa présence<br />
Au milieu des fléaux. On nous dit que ce mot,<br />
"Espérance", est mal dit, qu'il faut penser plutôt<br />
A <strong>un</strong>e vaine attente, à la folle puissance<br />
De l'imagination qui fait que lorsqu'on pense<br />
Au mal qui va venir, on en souffre trop tôt.<br />
Moi je sais que l'amour est surtout <strong>un</strong> espoir,<br />
Que loin dans l'avenir on ne peut jamais voir,<br />
Que dans le désespoir nous espérons encore.<br />
Et si nous revenions à ce temps d'autrefois<br />
Pour vivre cette histoire <strong>un</strong>e nouvelle fois,<br />
Alors je rouvrirais la boîte de Pandore.<br />
Le ciel<br />
Parce qu'il a parlé au meurtrier d'Abel,<br />
On croit que le ciel parle. Incertaine est la chose.<br />
Sur des récits anciens nos convictions reposent,<br />
Sans réponse, souvent, sont restés nos appels.<br />
Et l'épouse de Lot, changée en tas de sel,<br />
(L'histoire est racontée en excellente prose),<br />
Prodiges d'autrefois venant plaider la cause<br />
D'<strong>un</strong> toutpuissant Seigneur, parfois <strong>un</strong> peu cruel...<br />
Je comprends que toujours, des apprentis prophètes<br />
Abreuvant de sacré leur âme stupéfaite<br />
Veulent répercuter les divines rumeurs ;<br />
Mais je ne cherche pas, dans le temps qui me reste,<br />
A recevoir l'avis d'<strong>un</strong> messager céleste :<br />
Je me contenterai de mes mots de rimeur.
<strong>un</strong> terrain vague<br />
Parfois, <strong>un</strong> terrain vague est beau comme <strong>un</strong> jardin,<br />
C'est ce que veut penser mon âme nonchalante<br />
Qui n'a jamais rien su de terre ni de plantes,<br />
Et ne sait progresser que par des bonds soudains.<br />
Plaisir de ne rien faire au soleil du matin,<br />
Quand l'astre dans le ciel poursuit sa course lente<br />
Jusqu'à rendre à midi l'atmosphère brûlante,<br />
Et moi je suis à l'ombre, avec <strong>un</strong> verre en main.<br />
Laissezmoi végéter au coeur de cette friche,<br />
Je n'aime jamais rien de ce qu'aiment les riches.<br />
Je bois du vin, j'écris, je médite et je dors.<br />
Un soir je m'éteindrai, c'est la suprême ivresse.<br />
Nul ne m'accusera d'avoir trop de sagesse,<br />
J'en avais juste assez pour accueillir la mort.<br />
<strong>un</strong>e nuit de juillet<br />
Partager l'insomnie, partager <strong>un</strong> sourire,<br />
Même si ce n'est pas bien longtemps ni souvent,<br />
C'est comme naviguer, poussés d'<strong>un</strong> même vent,<br />
Trouver d'<strong>un</strong> même coeur le meilleur et le pire.<br />
C'est <strong>un</strong> accord qui semble impossible à construire ;<br />
Qui dira comme on tremble, <strong>un</strong> jour, en le trouvant ?<br />
Mais dans <strong>un</strong> <strong>un</strong>ivers chaotique et mouvant,<br />
On craint de ne pouvoir nulle part le conduire.<br />
Qu'il nous suffise alors d'<strong>un</strong> seul instant nocturne<br />
Chaque fois qu'au zénith on voit briller Saturne !<br />
Pour ce fatal instant, ce monde est advenu.<br />
J'entends sonner le glas, au clocher d'<strong>un</strong>e église,<br />
De ce timide amour qui n'était pas de mise,<br />
Mais je n'ai nul regret de m'y être perdu.
Merci pour ton sourire<br />
Pas de plus fort poison dans l'<strong>un</strong>ivers,<br />
J'en avais fait cependant mon breuvage.<br />
J'étais au point d'y perdre mon langage ;<br />
J'allais cherchant mes mots tout <strong>un</strong> hiver<br />
Et au printemps qu'arbres se refont verts,<br />
Et que d'Amour <strong>un</strong>e saison sauvage<br />
A propagé le feu dans ces parages,<br />
Amour que j'ai, alors, redécouvert.<br />
J'ai célébré chac<strong>un</strong> de tes retours.<br />
Plus fort que moi se montrait cet amour<br />
Sous le soleil et sous la l<strong>un</strong>e claire.<br />
Toujours tes mots faisaient chanter mes mots,<br />
Et c'est ta voix qui soulageait mes maux,<br />
Tendre princesse aux yeux crépusculaires.<br />
le serpent<br />
Petit prince, sur Terre, <strong>un</strong>e dernière fois,<br />
Tu puises de l'eau fraîche et, calmement, tu bois.<br />
Peu s'en faut désormais que le sable n'accueille<br />
La chute de ton corps léger comme <strong>un</strong>e feuille.<br />
Etaitce <strong>un</strong> sage avis d'avoir recours à moi ?<br />
Même <strong>un</strong> coeur de reptile, imperturbable et froid,<br />
Ne peut que se serrer quand l'<strong>un</strong>ivers s'endeuille<br />
D'<strong>un</strong> enfant comme toi. Prince, je me <strong>recueil</strong>le.<br />
Si j'avais dû piquer <strong>un</strong> trop vieil aviateur<br />
Ayant perdu l'espoir et cassé son moteur,<br />
J'aurais dit « Cette mort n'est point la pire chose ».<br />
Mais je sais que tu es tout ce qu'il y a de vif<br />
Et que tu as voulu ce sort définitif<br />
Pour rien, pour moins que rien, pour l'amour d'<strong>un</strong>e rose.
mes mots dans tes mots<br />
Plus que toi, plus que moi, notre amour voudrait vivre.<br />
Si nous lui refusons nos textes et nos voix,<br />
Il parle à nos deux coeurs lorsque nul ne nous voit,<br />
Il va dans ta musique et au long de mes livres.<br />
Si pour <strong>un</strong> bref instant l'<strong>un</strong> de nous le délivre,<br />
Il garde le pouvoir et prend force de loi<br />
Et son commandement ne nous laisse auc<strong>un</strong> choix,<br />
Et cela jusqu'au point que nos deux coeurs sont ivres.<br />
Et puis il faut dormir, et vient le lendemain,<br />
On redevient sérieux, on se reprend en main,<br />
Aux violentes passions on accorde <strong>un</strong>e trêve.<br />
Mais quand revient le soir, et quand sonne minuit<br />
Et que le lourd sommeil a dissous les ennuis,<br />
Ta voix me dit des mots illuminant mes rêves.<br />
la grandeur du ciel<br />
Pour féconder le sol, il faut que le ciel pleure.<br />
Mais le ciel pleure, ou rit, en se moquant du sol,<br />
Que le vivant exulte, ou qu'il manque de bol,<br />
Ça ne dérange pas l'entité supérieure.<br />
Il n'a rien à cirer des vermines mineures.<br />
Quand <strong>un</strong>e envie lui prend, il n'y met nul bémol,<br />
Et chac<strong>un</strong> peut souffrir, je<strong>un</strong>e ou vieux, sage ou fol,<br />
Le ciel n'a nul souci que l'homme vive ou meure.<br />
Mais le primate humain aime tant voir le ciel<br />
Qu'il veut lui conserver cet air providentiel<br />
Dont l'avaient affublé nos religieux ancêtres.<br />
Et le voilà lançant au ciel des rogations,<br />
Des formules, des sorts et des imprécations...<br />
Le ciel, majestueux, persiste dans son être.
la lumière diurne et nocturne<br />
Pour observer <strong>un</strong> astre, il faut s'en tenir loin ;<br />
L'éclairer d'<strong>un</strong>e lampe est d'ailleurs impossible.<br />
Pour ta méditation, c'est <strong>un</strong>e bonne cible :<br />
Propice y est le jour, la nuit ne l'est pas moins.<br />
Ici, d'<strong>un</strong> sens logique, il n'est auc<strong>un</strong> besoin.<br />
Ce que tu dois savoir est pleinement visible,<br />
Du moins pour qui regarde avec <strong>un</strong> coeur sensible,<br />
Qu'<strong>un</strong> trait anecdotique, aussi, n'égare point.<br />
En restant concentré sur les causes premières,<br />
Tu finis par baigner dans leur blanche lumière.<br />
Dans chaque astre tu vois l'image de ton coeur ;<br />
Ce qui est essentiel se discerne sans peine.<br />
Même si sa planète est petite et lointaine,<br />
Le prince a dans ses yeux le reflet de la fleur.<br />
le déterminisme<br />
Pour qui n'a plus de voix, puisse rester le rire,<br />
Qui même aux jours obscurs se montre salvateur.<br />
Le fils du charpentier, en proie au tentateur,<br />
Usa de son humour pour échapper au pire.<br />
J'aime trop Cupidon pour vouloir le maudire,<br />
Il fit parfois de moi presque <strong>un</strong> bon orateur ;<br />
Devenir son esclave, ou son adorateur ?<br />
Il ne m'est pas permis d'être sous son empire.<br />
Mon esprit est tenu par ses engagements,<br />
Comme <strong>un</strong> astre accomplit sa course au firmament<br />
Sans jamais se donner l'illusion d'être libre.<br />
Ma vie, au quotidien, suit son tranquille cours,<br />
Un peu de poésie convient à mes discours,<br />
Mais sans aller jusqu'à troubler mon équilibre.
***<br />
Pourtant l'apôtre Paul prétend qu'au paradis,<br />
Les corps que nous aurons seront très purs et chastes ;<br />
Je ne peux m'empêcher de trouver ça néfaste,<br />
Préférant le néant à <strong>un</strong> corps affadi.<br />
Ah, mais peutêtre Paul ne sait pas ce qu'il dit.<br />
Chastes seront surtout les prêtres de sa caste<br />
Qui se sont entraînés, comme font les gymnastes,<br />
A maîtriser leur corps, <strong>un</strong> animal maudit.<br />
Et nous, ayant vécu les plaisirs ordinaires,<br />
Nous les retrouverons en ces lieux f<strong>un</strong>éraires,<br />
Tels nous serons làhaut que nous avons été.<br />
Ou bien, nous serons morts, sans substance et sans âme :<br />
Sitôt le feu éteint, rien ne reste des flammes,<br />
L'hiver de notre vie ne va pas vers l'été.<br />
la fidélité<br />
Presque tous, nous savons comment dire « Je t'aime »,<br />
Ce n'est pas laborieux, ce n'est pas compliqué ;<br />
Il faut, pour que ce mot puisse nous impliquer,<br />
Le dire en étant libre et fidèle à soimême.<br />
Ou alors, il est là pour orner <strong>un</strong> poème,<br />
Et cet usagelà n'est pas contreindiqué.<br />
Souvent les vers sont faits pour nous comm<strong>un</strong>iquer<br />
La saveur du désir, c'est <strong>un</strong> excellent thème.<br />
Aimer, ce sont des voix qui de loin s'apprivoisent,<br />
Messages échangés, souffles qui s'entrecroisent,<br />
Quelques débordements aux essors incertains.<br />
Mais aimer dans la vie, c'est être responsable ;<br />
Et donc ne pas aller s'endormir sur le sable,<br />
Quand la rose languit sur son astre lointain.
Anonyme italien<br />
Par che l'angel, la stella, il sol, la l<strong>un</strong>a<br />
Col mondo, et chi con lui di viver brama,<br />
Odiano la beltà, che il cielo ad<strong>un</strong>a<br />
Nel viso altier de la signora Mama.<br />
Puisque l'ange et l'étoile et que soleil et l<strong>un</strong>e<br />
Et le monde et ceux qui là veulent exister<br />
Détestent le présent du ciel, que la beauté<br />
Noble de notre Dame autant les import<strong>un</strong>e,<br />
Forsi per esser tra le Dee queste <strong>un</strong>a<br />
Che lor spogli del ben, che 'l valor ama,<br />
O pur, per che ne morte, o ria fort<strong>un</strong>a<br />
Dal fermo suo voler maj la richiama:<br />
Soit qu'en étant déesse (autant qu'il en fut <strong>un</strong>e)<br />
Elle leur prend leur bien et leur chère fierté,<br />
Ou que ni par la mort ni l'incommodité<br />
A son ferme vouloir il n'est mis de lac<strong>un</strong>e:<br />
però dee creder fermamente ogn<strong>un</strong>o<br />
Ch'<strong>un</strong> spirtito malvagio habbia costej<br />
Supposta solamente al Bagattino<br />
Apparemment chac<strong>un</strong> ici s'en va croyant<br />
Que dedans cette dame est esprit malveillant<br />
Par le mauvais jongleur surpassé seulement;<br />
Per poter dire i buoni tarocchi mej<br />
Saran, s'avien ch'io giuochi, et questi <strong>un</strong>o<br />
Vo trare il Matto ch'è cervel divino.<br />
Pour me pouvoir tirer dès lors <strong>un</strong> bon tarot,<br />
En choisissant je veux me tenir à carreau:<br />
Je tirerai le Mat, divin entendement.
piquenique des libellules.<br />
Prévert offre <strong>un</strong> festin à quelques libellules.<br />
Il leur sert <strong>un</strong>e esquisse, <strong>un</strong>e immobile fleur,<br />
La cendre d'<strong>un</strong> cigare, <strong>un</strong> crayon de couleur,<br />
L'os du moindre souci, la peau d'<strong>un</strong>e virgule,<br />
La sainte trinité coincée dans <strong>un</strong>e bulle,<br />
Le latin, le sanscrit et le grec sans douleur,<br />
Une âme de gendarme, <strong>un</strong> grand coeur de voleur,<br />
Deux entretiens publics et trois conciliabules,<br />
Bouddha au pied d'<strong>un</strong> arbre et son vaillant cochon,<br />
Les dix commandements brodés sur <strong>un</strong> torchon,<br />
Une licorne pure, <strong>un</strong> éléphant mystique,<br />
Un savoureux costume, <strong>un</strong> sonnet farfelu...<br />
Mais <strong>un</strong>e libellule a dit : « N'en jetez plus,<br />
Tout ce que nous voulions, c'est manger des moustiques ».<br />
La femme du charpentier<br />
Quand Gabriel a dit : « Marie, tu seras mère »,<br />
Tu compris que ton fils irait à triste mort,<br />
Et tout en acceptant l'inacceptable sort,<br />
Ton coeur versa sur lui des larmes très amères.<br />
Puis tu l'as fait grandir d'<strong>un</strong>e vie de lumière,<br />
Lui montrant qu'on ne doit à nul causer de tort,<br />
Que pour dire le vrai il faut parler bien fort,<br />
Sans trop se montrer tendre à ce corps de poussière.<br />
Puis tu l'as vu marcher sur les humbles sentiers,<br />
Et les prêtres doutaient qu'<strong>un</strong> fils de charpentier<br />
Ait droit de célébrer les divins sacrifices.<br />
Enfin, parmi la foule, à son exécution,<br />
L'effroi gagnant ton âme en noire perdition,<br />
Tu l'as vu, transpercé, sur les bois de justice.
les licornes<br />
Quand la licorne blanche a fait <strong>un</strong> camembert,<br />
Ce fut pour en offrir à <strong>un</strong> vieux roi barbare ;<br />
La reine, apprenant ça, sévèrement déclare<br />
L'exil de la licorne en <strong>un</strong> lointain désert.<br />
Puis la licorne rouge a composé des vers<br />
Qu'elle chante en grattant sa petite guitare.<br />
Et la reine a conduit la licorne à la gare,<br />
Lui faisant prendre <strong>un</strong> train pour le diable vauvert.<br />
Mais la licorne bleue s'en alla dans les d<strong>un</strong>es,<br />
La licorne arcenciel s'envola vers la l<strong>un</strong>e,<br />
De licorne au royaume il ne va plus rester.<br />
Regardons de plus près le portrait de la reine :<br />
Ce n'est pas <strong>un</strong>e vouivre, et pas <strong>un</strong>e sirène,<br />
C'est la licorne rose en grande majesté.<br />
le chant du cygne<br />
Quand le fil de ma vie ne m'inspirera plus<br />
Le plaisir quotidien de tracer quelques lignes,<br />
Ou que d'y renoncer j'aurai reçu consigne,<br />
Je songerai encore aux instants révolus.<br />
Les tourments, les plaisirs, voulus et non voulus,<br />
Trace n'en restera que ces milliers de signes.<br />
Hélas, si d'<strong>un</strong> tel jeu mon chant s'est montré digne,<br />
A bien m'en souvenir me voici résolu.<br />
Puis, on n'est sûr de rien. Dans les mois qui vont suivre,<br />
Qui sait quelles passions nos coeurs nous feront vivre<br />
Et chanter dans nos vers, avec ou sans raison ?<br />
Donc, même lorsqu'il faut terminer <strong>un</strong>e page,<br />
C'est la fin d'<strong>un</strong>e étape, et non pas du voyage :<br />
Car les routes jamais n'atteignent l'horizon.
<strong>un</strong> apprivoisement<br />
Quand le prince a choisi de quitter sa planète,<br />
Il a dit à la fleur « Je pars avec amour ».<br />
Il ne pouvait savoir quand serait son retour,<br />
Son trajet n'était pas bien tracé dans sa tête.<br />
Il ne savait de quoi il s'en allait en quête.<br />
Du système solaire il n'a pas fait le tour,<br />
Et son corps sur la terre était beaucoup plus lourd<br />
Que sur son sol natal ou sur <strong>un</strong>e comète.<br />
Donc, lorsqu'il entendit le propos du renard,<br />
Il a compris le sens, avec bien du retard,<br />
De l'apprivoisement, <strong>un</strong> mutuel baptême.<br />
La deuxième leçon fut celle du serpent,<br />
Maître à la vraie grandeur, même s'il est rampant :<br />
Et son souffle dernier porta les mots « Je t'aime ».<br />
le prince<br />
Quand le serpent a cru à l'amour de la rose,<br />
Il a, envers le prince, usé de son pouvoir,<br />
Endormant cet enfant qui au désert repose<br />
Et que ne trouble plus la lumière du soir.<br />
D'<strong>un</strong> amour impossible à souffrir je m'expose,<br />
Mais il n'est nul serpent que je puisse aller voir<br />
Pour obtenir de lui la salutaire dose<br />
Par quoi je vous dirais à tous <strong>un</strong> au revoir.<br />
Je dois mener ainsi ma vie sur cette terre,<br />
Je veux te consoler, princesse solitaire,<br />
Mais plus je veux le faire et moins je sais comment.<br />
Si quelqu'<strong>un</strong> m'avait dit autrefois cette histoire,<br />
Je n'aurais pas été capable de la croire...<br />
Tant de douceur pourtant au coeur de ce tourment.
se rencontrer sans se rencontrer<br />
Quand MarieMadeleine a vu l'homme au jardin,<br />
Inconnu, sembletil ; et le sépulcre vide,<br />
Dans ces temps qui avaient cessé d'être limpides,<br />
L'air lui parut plus froid dans le froid du matin.<br />
Puis elle a reconnu le doux visage humain<br />
Qu'avait défiguré le supplice homicide.<br />
Alors qu'elle esquissait <strong>un</strong> geste fort timide,<br />
Elle entendit ces mots : « N'approche pas ta main ».<br />
Que répondre à cela, rien, selon l'Ecriture,<br />
Le Christ avec douceur dit des paroles dures,<br />
Du Père il accomplit l'auguste volonté.<br />
Elle caresse alors, de son regard modeste,<br />
L'homme qui appartient au royaume céleste<br />
Où dans quarante jours il devra remonter.<br />
Elizabeth Barrett Browning<br />
Quand ton âme et la mienne, au maintien fier et fort,<br />
Se confrontent sans bruit, si peu d'espace entre elles<br />
Qu'<strong>un</strong>e flamme s'allume aux courbes de leurs ailes,<br />
Qui donc sur cette terre irait nous porter tort<br />
Et nous priverait d'<strong>un</strong> mutuel réconfort ?<br />
Comprends. Si nous partions en course ascensionnelle,<br />
Les anges avec leur louange obsessionnelle<br />
Imposeraient leur chant qui sonne en éclats d'or<br />
A notre cher silence. Attardonsnous ici,<br />
Amour, sur cette terre où les humeurs mauvaises<br />
Des humains n'osent pas infliger de souci<br />
Aux amoureux esprits qui s'isolent, s'apaisent<br />
Et s'aiment tout <strong>un</strong> jour dans le <strong>recueil</strong>lement,<br />
Quand l'ombre de la mort noircit leur firmament.
<strong>un</strong> zodiaque<br />
Qu'astu vu dans le ciel, camarade astrologue ?<br />
J'ai vu <strong>un</strong> gros mouton qui maudissait l'hiver,<br />
Puis j'ai vu <strong>un</strong> taureau qui écrivait en vers,<br />
J'ai surpris des jumeaux et capté leur dialogue,<br />
J'ai vu <strong>un</strong> crustacé disant des apologues,<br />
J'ai vu <strong>un</strong> lion prêchant au milieu du désert,<br />
J'ai vu la demoiselle usant de mots pervers,<br />
J'ai vu <strong>un</strong>e balance ornée d'<strong>un</strong> décalogue ;<br />
J'ai vu <strong>un</strong> noir scorpion dessiner sur le sable<br />
Et j'ai vu <strong>un</strong> centaure aux flèches redoutables,<br />
J'ai vu <strong>un</strong> capricorne au langage qui ment,<br />
J'ai vu <strong>un</strong> échanson qui dansait sous la l<strong>un</strong>e,<br />
Et j'ai vu des poissons qui déchiffraient des r<strong>un</strong>es.<br />
Il faudra nettoyer, <strong>un</strong> soir, ton instrument.<br />
Réponse à <strong>un</strong> appel<br />
Que jamais ces appels ne perdent leur élan,<br />
Que ceux qui vers le mur ont leur face dormante<br />
Et veulent t'ignorer quand la vie te tourmente<br />
Sursautent dans leur songe, et s'aillent réveillant !<br />
La poésie est là pour montrer le bilan<br />
D'<strong>un</strong>e vie adonnée aux craintes alarmantes,<br />
La poésie n'est pas <strong>un</strong> <strong>recueil</strong> de charmantes<br />
Fables pour amuser, dans le soir, nos enfants ;<br />
Vieux comme le langage est le curieux métier<br />
De travailler les mots comme sur <strong>un</strong> chantier,<br />
Dans le délire et dans les peines éternelles.<br />
Ton poème chargé de révolte et de cris,<br />
Il doit être entendu, pas seulement compris ;<br />
Que se porte vers toi <strong>un</strong>e main fraternelle...
Un conteur<br />
Que suisje, <strong>un</strong> archiviste, <strong>un</strong> vieux conteur, <strong>un</strong> barde ?<br />
J'aime juste parler des choses que je vois,<br />
J'aime écouter le son que fait ma propre voix,<br />
Ou sourire aux amis qui mes textes regardent.<br />
C'est pourquoi dans le soir au bureau je m'attarde<br />
Qu'avant l'heure pourtant j'ai quitté maintes fois.<br />
Je pourrais composer des sonnets sous mon toit,<br />
Si j'habitais encore <strong>un</strong>e étroite mansarde.<br />
Mais je mène la vie d'<strong>un</strong> père de famille,<br />
Ainsi mon agenda de minuties fourmille<br />
Et chez moi j'aurais peine à tracer quelques mots.<br />
Donc à mon employeur ira ma gratitude<br />
Qui me laisse parfois <strong>un</strong> peu de latitude<br />
Pour évoquer les chats, et d'autres animaux.<br />
Que vienne cet automne<br />
Que vienne cet automne, et que nos amours mortes<br />
Dans le fond de nos coeurs deviennent souvenirs.<br />
Les jours seront plus courts, et moins forts nos désirs,<br />
Et sur notre chagrin nous fermerons nos portes.<br />
Et l'automne a ses fleurs, mais au fond, peu importe :<br />
Rien n'oblige à les voir, rien n'oblige à sortir,<br />
Ni à voir les oiseaux qui vont bientôt partir<br />
Où le grand vent du Nord vivement les emporte.<br />
Que dans nos deux jardins poussent les mêmes fleurs,<br />
Ou qu'il n'y en ait pas deux de la même couleur,<br />
L'automne très bientôt tuera leur corps qui tremble.<br />
Une fleur aplatie aux pages d'<strong>un</strong> roman,<br />
Au printemps revivrait ? Je ne vois pas comment.<br />
Pourtant, je sens sa vie dans mon coeur, il me semble.
La plume<br />
Qui dira les pouvoirs d'<strong>un</strong>e vibrante plume<br />
Quand la partie adverse est imprégnée d'écume<br />
Quand les corps sur le lit sont des bestiaux qui fument<br />
Coeur contre coeur battants deux silex qui s'allument<br />
Puis la plume devient la pénétrante lame<br />
Qui s'introduit au fond d'<strong>un</strong> volcan plein de flammes<br />
Dans l'écho des deux voix qui leur bonheur proclament<br />
Tandis que dans les airs des anges les acclament<br />
Oubliant cette vie oubliant nos problèmes<br />
Perdus dans cette danse en forme de poème<br />
Devenant de l'amour le composite emblème<br />
Soudain quand nos deux corps ne trouvent plus la rime<br />
Ils quittent à regret les rivages sublimes<br />
Tremblant à l'<strong>un</strong>isson dans <strong>un</strong> soupir ultime<br />
<strong>un</strong> coeur oisif<br />
Qu'il fait bon ne rien faire au long des jours d'été !<br />
Soit que le ciel s'attriste, ou bien qu'il s'ensoleille,<br />
Soit que l'esprit s'agite, ou bien qu'il s'ensommeille,<br />
Que le corps soit assis, ou sur ses pieds planté.<br />
Moins de dossiers à voir, d'affaires à traiter,<br />
Je peux dans mon jardin observer les abeilles<br />
Ou me désaltérer du nectar de la treille,<br />
Cultivant ma langueur et mon oisiveté.<br />
Oisif aussi sera ce qui me sert de coeur,<br />
Mais je n'y songe pas avec trop de rancoeur,<br />
Doux comme la passion en seront les vestiges.<br />
Restent trois mots écrits, rangés dans <strong>un</strong> tiroir,<br />
Reste <strong>un</strong> peu d'émotion dans la douceur du soir,<br />
Et parfois, dans la nuit, <strong>un</strong> semblant de vertige.
les caresses<br />
Qui sait où sont les racines du vent ?<br />
D'où vient sa vie ? Du ciel ou de la terre ?<br />
L'arbre cherchait la clef de ce mystère,<br />
Aimant ce corps invisible et vivant.<br />
Mais lui, le vent, se demandait souvent<br />
Comment peut vivre <strong>un</strong> arbre solitaire,<br />
Presque toujours occupé à se taire...<br />
Que contenait ce silence éprouvant ?<br />
L'arbre et le vent, de leurs mots poétiques,<br />
Ont tissé leur dialogue fantastique ;<br />
Et mon sonnet ne sait pas l'imiter.<br />
On dit qu'après le coucher du soleil<br />
Ils ont goûté <strong>un</strong> plaisir sans pareil...<br />
Mais dans <strong>un</strong> temps quelque peu limité.<br />
Ronsard<br />
Quand vous brûlez les parcs devant votre rondelle,<br />
Vous validez mes vers pour cause de gisant.<br />
Les dignes sentiers ont des bateaux de serment ;<br />
Le cran de leur lambris n'est qu'<strong>un</strong> soin de marelle.<br />
Or, ces taupins qui vont boiteux comme coupelles,<br />
Je les compare aux durs trouvant leur nutriment :<br />
Tel se croyait larron que nous savons savant ;<br />
Que vous fermez, mes pairs, et toi donc, flamme belle.<br />
Si vous les feintez trop, je dis : leur arrogance<br />
Hantera largement le sauveur de Coblence,<br />
Et, croyezle ou non, le godet du bahut.<br />
Quand reviendra Krishna, noyant les dadaïstes,<br />
Rendezmoi, je vous prie, ma louche de droguiste ;<br />
Alors nous allons tous vous terrasser, perdu !
Chevillard<br />
Récit où le lecteur s'égare,<br />
Et le tailleur perd son chemin...<br />
Récit à la fureur barbare<br />
Enluminant le parchemin.<br />
Narrateur narrant sans amarres,<br />
Et qui se souvient de demain ;<br />
Dénouement dans <strong>un</strong> tintamarre<br />
Entièrement fait à la main.<br />
C'est de l'humour qui tient la route,<br />
C'est hilarant, sans auc<strong>un</strong> doute,<br />
C'est savoureux, mais compliqué.<br />
Et ça foisonne dans les marges<br />
De personnages qui déchargent<br />
Leurs fantasmes alambiqués.<br />
le matin de la résurrection<br />
« Résurrection », disait ce matin le soleil ;<br />
La l<strong>un</strong>e l'avait dit à nos âmes dormantes.<br />
Et pour nous confirmer cette chose étonnante,<br />
Tous les astres du ciel ont quitté leur sommeil.<br />
Mercure a fulguré d'<strong>un</strong> éclat sans pareil,<br />
Antarès a rougi de sa flamme géante ;<br />
Vénus a chuchoté de sa voix innocente<br />
Et Jupiter souri de son oeil de vermeil.<br />
Tout dit « résurrection », la danse des comètes,<br />
Celle d'<strong>un</strong> satellite autour d'<strong>un</strong>e planète,<br />
Et au profond des cieux, le trou noir qui mugit.<br />
Le seul qui n'a rien dit est mon oncle Saturne,<br />
Plus que les autres jours, je le sens taciturne ;<br />
Il sait bien que nul bois de cendres ne surgit.
<strong>un</strong>e révélation matinale<br />
Rêvant d'<strong>un</strong>e interprète en savoureux costume,<br />
Je la vois s'étourdir aux vapeurs de l'encens,<br />
Puis, dans l'obscur du temple à lents gestes dansant,<br />
Flotter dans l'infini comme vole <strong>un</strong>e plume.<br />
Le sens de l'<strong>un</strong>ivers dans mon esprit s'allume,<br />
J'entends battre le coeur de ce cosmos pensant,<br />
Je l'entends prononcer des mots évanescents<br />
Qui font sourire <strong>un</strong> peu les démons dans la brume.<br />
Trois anges vont chanter, pour me faire plaisir,<br />
La touchante saga des ailes du désir,<br />
Gravant dans ma mémoire <strong>un</strong> air impérissable.<br />
Seraisje devenu <strong>un</strong> pareil découvreur ?<br />
Regardant de plus près, je perçois mon erreur :<br />
Quelquefois, le matin, ma cervelle est de sable.<br />
Blue moon<br />
Rien n'est aussi bleu que la l<strong>un</strong>e<br />
Et mon coeur il est explosé<br />
Le jour est comme <strong>un</strong>e nuit br<strong>un</strong>e<br />
On y peut bien mal reposer<br />
Je n'ai pas vécu pour des pr<strong>un</strong>es<br />
A passion fus exposé<br />
Comme il ne peut y en avoir qu'<strong>un</strong>e<br />
La vivre je n'ai pas osé<br />
Dis que c'est <strong>un</strong>e enchanteresse<br />
Moi je la nomme ma princesse<br />
Moi son poisson elle mon eau<br />
Mais je me tais mes mots profanent<br />
Ce bel amour que déjà fane<br />
Le retour à des jours normaux
<strong>un</strong> exorcisme<br />
Sans ces mots, nous irions vers le côté obscur ;<br />
Avec eux, notre mal de vivre se déchaîne.<br />
Or, ne nous dites pas que la chose est obscène :<br />
Un poète a le droit d'écrire sur <strong>un</strong> mur.<br />
Ne dites pas, non plus, que le langage est dur.<br />
Il peut charmer le spleen, et adoucir la peine ;<br />
Il peut mettre <strong>un</strong> sourire aux lèvres d'<strong>un</strong>e reine,<br />
Il peut aider <strong>un</strong> coeur à se rendre plus pur.<br />
Comme <strong>un</strong> petit Poucet jonchant le sol de pierres,<br />
Ou comme <strong>un</strong> pèlerin qui sème des prières,<br />
En les marquant de mots j'ai parcouru ces lieux.<br />
Prends ton temps, toi qui lis, prends ton temps pour les lire,<br />
Il m'a fallu du temps pour savoir te les dire,<br />
Mots venus du profond de mon coeur déjà vieux.<br />
Un miroir obscur<br />
Seul le monde du rêve est toujours accueillant,<br />
Il donne à nos visions des nuances subtiles.<br />
On peut y converser avec de noirs reptiles<br />
Ou parcourir le ciel sur <strong>un</strong> cheval vaillant.<br />
L'esprit peut y mûrir, c'est en se dépouillant<br />
De tout ce qui le met dans des colères viles.<br />
Le corps peut y flâner dans d'éphémères villes<br />
Qui reçoivent le feu de mille astres brillants.<br />
Il faut en revenir, toujours, au bout du compte ;<br />
Le livre refermé sur ce merveilleux conte<br />
Doit s'en aller dormir au profond d'<strong>un</strong> tiroir.<br />
Le rêve avec l'éveil jouant à cachecache<br />
Engendre des nuées qui deviennent des taches<br />
Sur les sombres écrans nous servant de miroirs.
presque <strong>un</strong>e consolation<br />
Si gris que soit <strong>un</strong> jour, on sait qu'il finira<br />
Et que le lendemain sera joyeux (peutêtre).<br />
Ceux qui n'ont aujourd'hui personne dans leurs bras<br />
A l'amour cette année ont chance de renaître.<br />
Or, tant que sous nos pieds la terre durera,<br />
Cultivons l'illusion que nous en sommes maîtres.<br />
Rêvonsen chaque soir dans la douceur des draps,<br />
C'est chose qu'icibas chac<strong>un</strong> peut se permettre.<br />
Si d'année en année on y croit <strong>un</strong> peu moins,<br />
Notre espoir diminue et ne disparaît point ;<br />
L'homme est <strong>un</strong> animal abreuvé d'espérance.<br />
Mais quand nous en serons à nos derniers instants,<br />
Quand adieu nous dirons à ce monde inconstant,<br />
Ah, quel soulagement dans cette délivrance !
les cinq éléments<br />
Si j'avais du métal, je ferais <strong>un</strong>e cage<br />
Et le démon aurait du mal à s'en tirer.<br />
Le bois serait pointu pour mieux le déchirer,<br />
Et l'eau peut le noyer de son torrent sauvage.<br />
Le feu fait détaler au loin ses attelages,<br />
Dans ses émanations, il ne peut respirer.<br />
La terre pour nos yeux se couvre d'<strong>un</strong> bocage<br />
Où chante <strong>un</strong> bel oiseau qui se laisse admirer.<br />
Terre qui portes l'herbe à la douceur de laine,<br />
De tes dons, chaque jour, nos assiettes sont pleines,<br />
Douce est ta compagnie dans la lueur du soir.<br />
Aux autres éléments soyons pourtant fidèles ;<br />
Sur nos meubles de bois, le feu d'<strong>un</strong>e chandelle,<br />
Un peu d'eau pour la soif, et le fil du rasoir.<br />
Le point Oméga<br />
Si je me trouvais seul au sein de l'<strong>un</strong>ivers,<br />
Je m'en consolerais avec de forts breuvages.<br />
Je me dispenserais d'user de mon langage,<br />
Et je me permettrais d'aller tout nu, l'hiver.<br />
Ou je m'habillerais d'épais feuillages verts,<br />
Poussant de temps en temps <strong>un</strong> hurlement sauvage<br />
Qui ferait déguerpir les bestiaux des parages.<br />
J'exhiberais <strong>un</strong> ventre énorme et découvert.<br />
Vers le premier Adam mon coeur ferait retour,<br />
Ignorant l'amitié, la tendresse et l'amour,<br />
Confiant dans le soleil et dans la l<strong>un</strong>e claire.<br />
Chantonnant des chansons qui n'auraient pas de mots,<br />
Mâchonnant des poisons pour soulager mes maux,<br />
Je serais en ce monde <strong>un</strong> roi crépusculaire.
la peinture chinoise<br />
Si je navigue, c'est pour contempler les eaux.<br />
Je m'assieds sur la rive et renvoie mon bateau,<br />
Je vois sur le talus <strong>un</strong> canard qui somnole<br />
Sous <strong>un</strong> arbre très vieux, parmi les herbes folles.<br />
Quel jardinier nocturne a taillé les roseaux ?<br />
Un poisson étonné le demande aux oiseaux.<br />
Si j'avais mieux appris quand j'étais aux écoles,<br />
Je dirais tout cela en charmantes paroles.<br />
C'est <strong>un</strong> plaisir issu du plus lointain passé<br />
Quand, formant de sa plume <strong>un</strong> vigoureux tracé,<br />
Un poète offre au monde <strong>un</strong>e peinture neuve ;<br />
Mais poète ne suis, rien qu'<strong>un</strong> flâneur oisif,<br />
Et ne peux qu'évoquer, d'<strong>un</strong> passage cursif,<br />
Ces ravissants abords d'<strong>un</strong> vénérable fleuve.<br />
Tartuffe au couvent<br />
Si j'étais confesseur des nonnes carmélites,<br />
J'aurais belle chambrette et ne serais stylite.<br />
La loi m'éviterait les travaux affligeants,<br />
L'ascèse difficile et l'effort dérangeant.<br />
Pour que les filles soient sauvées de la géhenne,<br />
Je disséquerais leur conscience arachnéenne.<br />
J'aurais place en leur coeur, sans moi inhabité,<br />
J'adoucirais de pleurs leur cérébralité.<br />
Je placerais ici ou là quelques caresses<br />
Que l'on excuserait comme des maladresses :<br />
L'eau calme d'<strong>un</strong> couvent n'est jamais sans récifs.<br />
Un confesseur absout même son propre mal,<br />
L'ange ne fait, car il ne veut être animal...<br />
Plaisir que Dieu permet peutil être nocif ?
Si j'étais <strong>un</strong> oiseau, je serais <strong>un</strong> pluvian<br />
Si j'étais <strong>un</strong> Gaulois, je serais <strong>un</strong> vieux druide ;<br />
Si j'étais quelques vers, je serais <strong>un</strong> sonnet<br />
Si j'étais <strong>un</strong> chapeau, je serais <strong>un</strong> bonnet,<br />
Si j'étais l'Univers, je serais <strong>un</strong> grand vide,<br />
Si j'étais <strong>un</strong> combat, je serais fratricide;<br />
Si j'étais <strong>un</strong> slogan, je serais « je connais »,<br />
Si j'étais <strong>un</strong> cheval, je serais <strong>un</strong> poney,<br />
Si j'étais <strong>un</strong> pays, je serais l'Atlantide.<br />
Si j'étais <strong>un</strong> oiseau, je serais <strong>un</strong> pluvian ;<br />
Si j'étais <strong>un</strong> auteur, je serais Boris Vian,<br />
Si je n'étais de l'eau, je serais de la bière.<br />
Si je n'étais marié, je serais amoureux ;<br />
Si j'étais à manger, je serais savoureux,<br />
Si j'étais <strong>un</strong> trésor, je serais de la terre.<br />
Regardant vers Saturne<br />
Si l'enfer me cuisait d'<strong>un</strong>e ardente chaleur,<br />
J'aurais la nostalgie de ma natale sphère,<br />
Des sentiers forestiers, d'arbres dont la couleur<br />
D'<strong>un</strong> arbre à l'autre, même, en automne diffère.<br />
J'aurais regret d'avoit été fol, sans valeur,<br />
De n'avoir jamais su conduire mes affaires,<br />
Et même de l'enfer la cuisante douleur<br />
Ne pourrait égaler ce regret mortifère.<br />
Ou si, au paradis, j'entendais le message<br />
Des anges chaque jour, faisant de moi <strong>un</strong> sage,<br />
Par ce même regret j'en serais détourné.<br />
Mais je n'ai pas regret que mes pensées nocturnes<br />
Fussent pour <strong>un</strong> amour plus lointain que Saturne,<br />
Telles pensées qu'en vers je ne sais pas tourner.
encore <strong>un</strong> peu de silence<br />
Si nous avons choisi, enfin, de nous déprendre,<br />
Ce n'est pas <strong>un</strong> effet de culpabilité ;<br />
Nous avons pesé nos responsabilités,<br />
Même s'il est besoin pour nous d'encore apprendre.<br />
A <strong>un</strong> bonheur comm<strong>un</strong> nous ne pouvions prétendre,<br />
Aussi proches que soient nos sensibilités,<br />
De l'incendie éteint par la réalité<br />
Ne sont point refroidies les braises ni les cendres.<br />
Et si je ne vois plus danser la moindre flamme,<br />
Les reflets n'en sont pas assombris dans mon âme ;<br />
Trop loin du brasier mort ne saurais m'en aller.<br />
Quand le serpent revient de sa mission cruelle,<br />
Ses enfants demandant si la journée fut belle<br />
Le voient sourire <strong>un</strong> peu, il n'ose leur parler.<br />
la rose<br />
Si responsable fut le prince de sa rose,<br />
Pourquoi la plongeatil dans <strong>un</strong> tel désespoir ?<br />
Il ne lui écrivit, ni en vers, ni en prose,<br />
Et sans <strong>un</strong> mot pour elle, il mourut, <strong>un</strong> beau soir.<br />
Qui la voit maintenant, qui la sent, qui l'arrose ?<br />
Seule et vaine elle pousse et fleurit dans le noir,<br />
Au coucher du soleil sa splendeur qui s'expose<br />
S'augmente de ceci, que nul ne peut la voir.<br />
Le cadavre du prince appartient à la Terre<br />
Et son astéroïde à la fleur solitaire<br />
Ecoutant tristement les soupirs des volcans.<br />
Et certains jours encore elle voudrait bien croire<br />
A <strong>un</strong>e autre façon de raconter l'histoire<br />
Et pense « Il reviendra, il reviendra... mais quand ? »
<strong>un</strong> solide platonicien<br />
Sitôt qu'<strong>un</strong>e équation pour le chercheur est belle,<br />
Il peut la transformer, conservant sa beauté.<br />
Les termes rajoutés, transposés ou ôtés<br />
La feront scintiller d'<strong>un</strong>e lueur nouvelle.<br />
Si, au lieu d'équations, ce sont des demoiselles<br />
Dont tu vas admirant les nobles qualités,<br />
Tu ne peux rien changer, donc, tu dois respecter<br />
Toutes celles à qui tu veux être fidèle.<br />
Comme tu as raison de le trouver subtil,<br />
Le parcours de Thésée, même m<strong>un</strong>i du fil<br />
Qu'Ariane a déroulé pour lui avec tendresse ;<br />
Et quant à recevoir d'<strong>un</strong> ami les conseils...<br />
Ah, je te remercie pour <strong>un</strong> honneur pareil,<br />
Mais dans mes propres choix, j'ai bien faible sagesse.<br />
Les cyclopes et les navigateurs<br />
Si vaincre l'on pouvait toute perversité<br />
Rien qu'en laissant pisser <strong>un</strong> cheval dans les ondes,<br />
Comme <strong>un</strong> éden serait notre portion du monde,<br />
Et seraient les nations, empires et cités.<br />
Mais Picrochole est faible en son atrocité,<br />
Comparé aux tyrans de notre époque immonde.<br />
Ils entendent contre eux la révolte qui gronde,<br />
Ils disent que c'est bon pour leur publicité.<br />
Pour quelques temps encore ayons de la patience,<br />
Consolonsnous avec la beauté de la science,<br />
Sachons entretenir la flamme de l'espoir.<br />
Pour chaque Polyphème, il survient <strong>un</strong> Ulysse<br />
Qui sur lui portera sa main dévastatrice,<br />
Et lui retirera son semblant de pouvoir.
<strong>un</strong>e hirondelle<br />
Sous mon toit autrefois revenait l'hirondelle,<br />
J'entendais ses enfants égayer ma maison.<br />
Elle est absente, il faut se faire <strong>un</strong>e raison ;<br />
En ce monde incertain, qui peut être fidèle ?<br />
Sur de vieilles photos, femmes je<strong>un</strong>es et belles,<br />
Qu'en estil aujourd'hui de votre floraison ?<br />
S'il faut se séparer au bout d'<strong>un</strong>e saison,<br />
C'est que l'été invite à des amours nouvelles.<br />
Tu as mis ta tendresse en ce bel au revoir,<br />
Que tu te portes bien, c'est mon plus grand espoir,<br />
Qu'il y ait près de chez toi <strong>un</strong> chevalier qui t'aime.<br />
Tu as mis dans ma vie des instants merveilleux<br />
Pour lesquels j'aurais cru être déjà trop vieux,<br />
Pour les vers que j'écris, tu es le plus beau thème.<br />
<strong>un</strong>e danseuse<br />
Sous <strong>un</strong>e l<strong>un</strong>e bleue dansait <strong>un</strong>e inconnue,<br />
Elle était je<strong>un</strong>e et pâle, énigmatique et nue,<br />
Le fleuve lui baignait à peine les mollets ;<br />
Tout en la contemplant, mon esprit s'envolait.<br />
On ne m'a jamais dit ce qu'elle est devenue,<br />
Et je ne savais pas d'où elle était venue,<br />
Comment elle vivait, ni ce qu'elle voulait.<br />
Le fleuve sur ses pieds doucement s'écoulait.<br />
Hélas, de ce grand livre il faut tourner les pages<br />
En survolant de loin les plus charmants passages,<br />
Et peu de temps après, il faut le refermer.<br />
La l<strong>un</strong>e reviendra sur ce fleuve paisible,<br />
Et la danseuse aussi, mais plus imprévisible,<br />
Notre esprit, de nouveau, en sera désarmé.
Exercice d'infernologie<br />
Supposons qu'<strong>un</strong> enfer abrite des vivants...<br />
Ils s'y habitueront, puisque la vie est telle<br />
Qu'on s'habitue à tout. Donc, la peine éternelle,<br />
Même si des censeurs trouvent ça décevant,<br />
Se banaliserait. D'accord, c'est énervant.<br />
On peut la rendre aussi chaque jour plus cruelle.<br />
Mais <strong>un</strong> simple calcul sur les différentielles<br />
Nous montre les damnés, méme en ce cas, trouvant<br />
Comme du réconfort à cette augmentation,<br />
Sachant que chaque jour est leur lamentation<br />
Moindre qu'au lendemain. Cette vie infernale,<br />
Où donc la trouveton ? En <strong>un</strong> astre lointain,<br />
En <strong>un</strong> espacetemps au statut incertain ?<br />
Ou, tout simplement, sur notre terre natale ?<br />
Sobriété<br />
Sur le jardin et sur la cour,<br />
Un triste vent d'automne court.<br />
Ayant renoncé à l'ivresse,<br />
Au morne labeur je m'empresse.<br />
Comme <strong>un</strong> fantôme aveugle et sourd<br />
Qui hanterait de vieilles tours,<br />
Je vais au hasard et je tresse<br />
Ce chant de profonde tristesse.<br />
Certes, je tremble dans la brume,<br />
Cependant j'avance et j'assume.<br />
J'avance sans avoir la foi,<br />
J'assume sans trop savoir quoi,<br />
Je sens, que nul ne s'en étonne,<br />
Un peu de douceur dans l'automne.
<strong>un</strong>e bénédiction<br />
Tel, poursuivant son ombre au décours des saisons<br />
En gagna le renom de fou par excellence.<br />
Un jour de Grand Midi, et donc de nonchalance,<br />
A <strong>un</strong> passant quelconque il donna ses raisons.<br />
L'autre lui demanda : « N'astu point de maison<br />
Où tu pourrais t'asseoir, dans l'ombre et le silence,<br />
Nous épargnant ainsi ta folle turbulence ? »<br />
Mais lui, sans avertir, se mit en oraison.<br />
« Seigneur, soyez béni pour ce fantôme obscur<br />
Qui allonge son corps sur les pavés bien durs,<br />
Devant vous, tout le jour, il glisse et se prosterne. »<br />
Le passant retourne à son labeur de manant.<br />
Il voit qu'il ne pourra fouler le continent<br />
Que hante le rêveur, et cela le consterne.<br />
Of Gollum and the Moon, who once were lovers<br />
The moon is very blue, at evening,<br />
I hear her spin beside the s<strong>un</strong>, and say,<br />
Humming this song, "Ah well, ah welladay.<br />
When I was green, of me did Gollum sing."<br />
None of her duckbills that does hear the thing,<br />
Albeit with their weary task foredone,<br />
But wakens at this name, and calls her one<br />
Blest, to be held in long remembering.<br />
Gollum is low beneath the earth, and laid<br />
On sleep, like Byron in the myrtle shade,<br />
The moon beside the s<strong>un</strong>, a dull rock gray,<br />
His love she does remember and regret;<br />
Ah, lovers, lovers, we may be happy yet,<br />
And gather duckbills, while 'tis called today.
this poem is symbolic everything is symbolic only French is symbolic shall I explain it to you<br />
explanations don't suit you I was just blinking at you things are just like yesterday where I<br />
live it's yesterday we'll get along yesterday working is not so bitter is this poem so bitter I<br />
feel blue I'm not bitter<br />
this is going like clockwork<br />
my thought r<strong>un</strong>ning like clockwork<br />
grain of sand in my clockwork insensitive to panic my destiny means panic today is day of<br />
panic so many breathes aro<strong>un</strong>d will tomorrow turn aro<strong>un</strong>d things should quietly go ro<strong>un</strong>d iron<br />
color of the walls why does a dog ... 'cos he can my kingdom for a horseshoe<br />
pour some water in my glass<br />
I lost my water level<br />
s<strong>un</strong>shine on the water tank paper yet another ream empty boat as in a dream soul searching is<br />
it research night on earth is not a gift reason is just a burden yes my name is "rubberneck"<br />
well my song does finish here<br />
well my thoughts are wrong I guess<br />
well my wine is not for guests never mind it's not tragic never mind it never rhymes never<br />
mind it's not burning let's just find a place to dance let us forget<br />
and go on in this world of snout beetles<br />
Dans le juste milieu<br />
Toi, le poète qui es reçu en tous lieux,<br />
Malgré la tentation d'allumer des esclandres,<br />
Ne force pas le trait pour mieux te faire entendre :<br />
Ton texte serait moins, alors, pris au sérieux.<br />
Ton art est de vibrer dans le juste milieu,<br />
Souligner <strong>un</strong> travers est mieux que le pourfendre.<br />
C'est <strong>un</strong> art que tu peux facilement apprendre ;<br />
Car je sais que tu es bien assez astucieux.<br />
Mais j'applaudis aussi ton sentiment féroce,<br />
Il pourrait arriver que parfois je l'endosse,<br />
Aussi, tout bien pesé, je ne peux t'en vouloir.<br />
La poésie, <strong>un</strong> feu qui trop clair se découvre,<br />
Une fleur qui périt aussitôt qu'elle s'ouvre,<br />
Le portrait d'<strong>un</strong> portrait dans <strong>un</strong> double miroir.
Un charme<br />
Toi qui es mon nouveau printemps,<br />
Que la vie te soit printanière.<br />
Je suis amoureux pour longtemps,<br />
Je combattrai sous ta bannière.<br />
Et tu aimerais mieux, pourtant,<br />
Dans <strong>un</strong>e rencontre ordinaire,<br />
Evaluer ton prince charmant<br />
Tel qu'il se meut sur cette terre...<br />
<strong>Cochonfucius</strong> est <strong>un</strong> vieil homme<br />
Assez atil vécu, en somme,<br />
Et à ce monde il dit merci.<br />
Merci à toi, ma saturnienne<br />
Dont tant de tendresses proviennent ;<br />
Que n'aurionsnous pas vécu, si...<br />
la vérité<br />
Toujours l'homme a voulu savoir la vérité,<br />
Jamais il ne fut sûr qu'il s'agissait bien d'elle.<br />
Certes, c'est décevant, des vérités partielles,<br />
Mais du savoir total, nul n'en a hérité.<br />
Ceux qui ont religion pensent le mériter<br />
En servant tous les jours la puissance éternelle.<br />
Je ne le dénie pas, la conjecture est belle,<br />
Même les conduisant à des austérités.<br />
Mais sur <strong>un</strong> tel chemin je ne suivrai personne,<br />
Car à la dévotion ma vertu n'est pas bonne.<br />
Chercheur de vérité, non de révélation,<br />
J'apprends par les chansons, non par les théorèmes,<br />
Je lis les mots qu'écrit celle que de loin j'aime,<br />
La vérité pour moi est fille de passion.
l'Europe<br />
Tous aujourd'hui <strong>un</strong>is dans <strong>un</strong>e belle Europe,<br />
Britanniques, Germains et Francs en amitié<br />
D'<strong>un</strong> monde de progrès ont bâti le chantier,<br />
Qui est pourtant <strong>un</strong> peu chantier de Pénélope.<br />
Autrefois on craignait les assauts du cyclope,<br />
Maintenant c'est la crise aidée par les banquiers.<br />
Ils narguent leurs clients : « Cigales, vous chantiez,<br />
Vous n'aviez donc pas lu la morale d'Esope ? »<br />
Britanniques, Germains et Francs dans la misère<br />
N'ont certes plus l'idée de faire entre eux la guerre.<br />
Ils la portent plus loin, au nom des droits humains.<br />
Y atil <strong>un</strong> bon vieux temps, estce la décadence<br />
En Albion, Germanie et dans la douce France ?<br />
En tous cas, ne donnons pas lourd des lendemains.<br />
la transcription<br />
Tout ce qui devient texte est parole qui meurt.<br />
Le premier qui apprit à geler <strong>un</strong> message<br />
Fut comme ceux qui tuent les oiseaux de passage,<br />
Il avait <strong>un</strong> penchant mortel dans son humeur.<br />
Peuton écrire <strong>un</strong> rire, orthographier <strong>un</strong> pleur,<br />
Transcrire le jargon d'<strong>un</strong> idiot de village ?<br />
La langue en résistant nos plumes décourage<br />
Comme notre pinceau se décourage aux fleurs.<br />
Un mot qui dans le coeur mit trois jours à mûrir,<br />
Fixele au papier, tu le feras mourir,<br />
Comme du papillon l'aile devient poussière.<br />
Des sages d'autrefois retiens le sobre avis :<br />
Ecrire c'est vouloir arrêter les rivières ;<br />
La langue est hors la loi, comme tout ce qui vit.
<strong>un</strong> village<br />
Tout est calme, aujourd'hui, au coeur de SaintDenis.<br />
Ici on fait la queue pour la demibaguette,<br />
Et là, quatre vendeurs, en pausecigarette ;<br />
A l'arrêt d'autobus, <strong>un</strong> pépère qui lit.<br />
La foule fait sa vie, nonchalante àdemi,<br />
Plus vive <strong>un</strong> petit peu quand l'autobus s'arrête.<br />
Au comptoir d'<strong>un</strong> café, <strong>un</strong> vieillard en goguette<br />
Partage <strong>un</strong>e tournée avec quelques amis.<br />
On traîne au centreville, on fait passer le temps,<br />
Attendant sans savoir quelle chose on attend,<br />
Suivant les longs trottoirs comme on suit <strong>un</strong> rivage.<br />
On sort malgré la pluie, ou parce qu'il fait beau ;<br />
Revoir la basilique, admirer les tombeaux,<br />
Voir comment va chac<strong>un</strong> dans ce petit village.<br />
Anne de Marquets à la Sorbonne<br />
Triple aussi est Satan, monstrueuse <strong>un</strong>ité.<br />
Or, parmi les humains, le mal tire puissance<br />
Du prince Lucifer ; le serpent a la science.<br />
L'adversaire n'a rien que nos perversités.<br />
Le serpent joue des tours à notre volonté.<br />
Lucifer dans l'alcool noie notre intelligence.<br />
Le trompeur asservit notre paresse immense<br />
A la soif de pouvoir de quelques effrontés.<br />
Et ces trois monstres sont les premiers fils du père.<br />
Tout leur talent de nuire au verbe se réfère,<br />
Par leurs exploits passés nous sommes édifiés.<br />
Ces trois petits cochons ont <strong>un</strong> charme ineffable...<br />
(D'avoir lu jusquelà vous êtes bien aimables,<br />
Ne croyez pas qu'ici j'allais les sanctifier !)
Trois petits constructeurs ont <strong>un</strong> jour inventé<br />
Trois machines par quoi ils montrent leur puissance.<br />
C'est Sauvignonfucius, le plus rempli de science,<br />
Qui a fait la première, on ne peut l'imiter,<br />
Mais j'ai soufflé dessus, et elle a éclaté.<br />
Puis GaiLuronfucius, avec intelligence,<br />
A construit à son tour <strong>un</strong> appareil immense.<br />
J'ai soufflé de nouveau, il n'en est rien resté.<br />
Alors, Rognonfucius a fait <strong>un</strong> truc en pierre,<br />
Et de souffler dessus ne le détruisait guère ;<br />
Donc, par la cheminée, j'entre comme je peux.<br />
Ah, mais, je ne sais plus comment finit la fable ;<br />
Et ce trou de mémoire est vraiment regrettable,<br />
La chute nous aurait, je crois, fait rire <strong>un</strong> peu.<br />
Les trois arbres<br />
Trois arbres se dressaient en haut d'<strong>un</strong>e colline.<br />
L'<strong>un</strong> voulait être <strong>un</strong> coffre abritant des trésors,<br />
L'autre <strong>un</strong> vaisseau portant <strong>un</strong> monarque à son bord,<br />
Le troisième, approcher de la grandeur divine.<br />
Du premier on a fait, dans <strong>un</strong>e humble chaumine,<br />
La mangeoire à bestiaux. Le deuxième est dehors,<br />
Barque pour les pêcheurs, <strong>un</strong> bien modeste sort.<br />
Du troisième, on tira des pièces anodines.<br />
Mais où donc a dormi le fils du charpentier,<br />
Sinon dans la mangeoire, offerte par pitié ?<br />
N'atil pas navigué dans la barque ordinaire ?<br />
La colonne et la planche, <strong>un</strong> sombre vendredi,<br />
Ont accompli les mots qui aux psaumes sont dits,<br />
Et ont porté le corps du sauveur de la terre.
<strong>un</strong>e anomalie<br />
Trop d'espace au grand Nord, et ça nous étonnait.<br />
On eut beau calculer, mesurer, rien à faire,<br />
On eut beau repenser le rayon de la sphère,<br />
Au calcul, le réel jamais ne pardonnait.<br />
Lorsque Néandertal làbas se promenait,<br />
Il se disait, pensif : « Quelque chose interfère<br />
Sans doute avec l'espace, <strong>un</strong>e curieuse affaire<br />
Cosmologique ici, pour moi qui m'y connais ».<br />
Là où les méridiens se croisent en <strong>un</strong> point,<br />
Un axe les pourfend, mais on ne le voit point,<br />
Il est juste tracé aux rouleaux d'écriture.<br />
Et cette anomalie est là depuis longtemps.<br />
Le cosmos est <strong>un</strong> être obstiné, résistant<br />
Et peu sensible au goût de la littérature.<br />
<strong>un</strong>e indulgence<br />
« Trouble à l'ordre public, a jugé le Romain,<br />
Mais l'affaire pour moi n'a rien d'irrémédiable.<br />
Ce fils de charpentier, ce n'est qu'<strong>un</strong> pauvre diable,<br />
Il parle, on l'applaudit, ce n'est rien, c'est humain ».<br />
« Tu dois le crucifier, aujourd'hui ou demain,<br />
Ont répondu alors les principaux notables.<br />
Ton apprenti prophète est <strong>un</strong> irresponsable<br />
Qui sème la révolte au long de son chemin. »<br />
Alors le magistrat consulta les oracles,<br />
Qui, n'aimant pas beaucoup les faiseurs de miracles,<br />
Ont demandé la mort pour de pareils forfaits.<br />
Mais ils ont accordé aussi <strong>un</strong>e indulgence :<br />
Libérer par ailleurs <strong>un</strong> gibier de potence.<br />
Et, foi de BarAbbas, je dis qu'ils ont bien fait.
Roue<br />
Tu ne vois de ta vie la période initiale ;<br />
Si tu l'apercevais, confus serait le trait<br />
Qui, provenant d'<strong>un</strong> point, aurait été extrait<br />
D'<strong>un</strong> brouillard qu'agitaient les forces primordiales.<br />
Tu trouves la structure assez paradoxale ;<br />
Or, ainsi en vatil dans le monde concret,<br />
Si la vie était simple, alors, ça se saurait,<br />
Nul corps pouvant bouger n'est <strong>un</strong>e cathédrale.<br />
Tu vois que la pulsion oscille en amplitude,<br />
En effet, pourquoi pas, c'est, même, <strong>un</strong>e habitude ;<br />
Le coeur peut s'affoler sous <strong>un</strong> coup d'aiguillon.<br />
A long terme il se peut que l'effet s'amortisse,<br />
Tel le souffle du ver qui toujours sa mort tisse,<br />
Sa mort, ou le cocon d'où sort <strong>un</strong> papillon.<br />
Pater Noster<br />
Tu nous as demandé de sanctifier <strong>un</strong> nom<br />
Qui pour nous, cependant, n'est qu'<strong>un</strong> obscur mystère.<br />
Nous devons te prier de régner sur la terre,<br />
Ne sachant si aux cieux tu gouvernes ou non.<br />
Sur terre comme au ciel, nous te le demandons,<br />
Ta volonté soit faite. Or, tu es notre père,<br />
Et cette volonté s'accomplit, je l'espère,<br />
Même quand, par malheur, nous nous en défendons.<br />
Tu es aussi chargé de procurer du pain<br />
A qui n'a pas encore <strong>un</strong> costume en sapin ;<br />
A ceux qui font du mal, il faut que tu pardonnes,<br />
Comme nous pardonnons aussi aux malfaiteurs.<br />
Et s'il vient près de nous, le démon tentateur,<br />
Point ne faut qu'en ses mains tu ne nous abandonnes.
Sagesse des astronomes<br />
Tu voudrais décrocher les astres de la nuit<br />
Pour en illuminer les profondeurs du vide.<br />
Mais si tu leur prenais tous leurs rayons limpides,<br />
Ils tomberaient en vain aux tréfonds de ce puits.<br />
Tu voudrais voir surgir la fin de tes ennuis,<br />
Portée par les beaux yeux d'<strong>un</strong> chevalier candide.<br />
Mais il ne peut franchir les espaces arides<br />
Que son triste regard discerne autour de lui.<br />
Tenons compte, à présent, de la réalité.<br />
Puisque cela n'est pas dans nos capacités,<br />
Renonçons, pour ce soir, à toucher aux étoiles,<br />
Laissonsles scintiller, làbas, dans le lointain ;<br />
Ne leur demandons pas de vivre en nos jardins,<br />
Posonsles, si tu veux, sur <strong>un</strong>e simple toile.<br />
extinction<br />
Quand <strong>un</strong>e étoile explose, et rend son âme à Dieu,<br />
Elle fait à l'espace <strong>un</strong> cadeau de matière.<br />
Quelque part, les vivants, grâce à elle, iront mieux,<br />
Sur <strong>un</strong>e exoplanète ou bien sur notre terre.<br />
La matière stellaire occupe chaque lieu,<br />
L'eau, le métal, le bois, l'azote, le calcaire,<br />
La cendre de volcan qui occulte les cieux,<br />
Et nos milliards de vies modestes et précaires.<br />
Une extinction, soudain observée dans la nuit,<br />
Plonge en méditation le chercheur qui la suit :<br />
Il voit comment se tourne <strong>un</strong>e page du livre<br />
Où sont enluminés, en brillantes couleurs,<br />
Les plaisirs de la vie et ses petits malheurs,<br />
Et tout ce qui nous fait continuer de vivre.
la reine Pénélope<br />
Ulysse a regagné le lit de Pénélope ;<br />
Et, bien que son voyage ait épuisé son corps,<br />
Il voudrait rejouer leurs intimes accords...<br />
L'épouse caressante avec sa main le dope,<br />
Lui procure <strong>un</strong> épieu qui pourrait d'<strong>un</strong> cyclope<br />
Avoir raison. Mais quand il parvient aux abords<br />
De l'endroit convoité, il se trouve moins fort.<br />
La reine de nouveau entre ses doigts le chope,<br />
Il revit, il retombe, elle le retravaille,<br />
Elle reprend espoir et pourtant, rien qui vaille,<br />
Son espoir a pris fin sous ses yeux stupéfaits.<br />
Reine, rappelletoi tes grands travaux de toile<br />
Progressant au soleil, régressant aux étoiles :<br />
Ainsi, ce que tu fais, toujours tu le défais.<br />
<strong>un</strong> ermitage<br />
Un abri délabré dans le soleil levant :<br />
Sur la fin de ma vie, j'en ai fait ma demeure ;<br />
Il frémit doucement quand la brise l'effleure,<br />
Nul n'est seul s'il entend sur lui passer le vent.<br />
Ce jardin qu'autrefois nous allions cultivant<br />
S'est transformé en friche où la rocaille affleure ;<br />
Les insectes variés qui là vivent et meurent<br />
Sont <strong>un</strong>e compagnie pour l'ermite écrivant.<br />
Frères me sont aussi les nuages qui passent<br />
Et les vents hivernaux devant qui tout se glace,<br />
Et puis le crépuscule à la rouge couleur.<br />
Automne, hiver, printemps, mes saisons familières,<br />
Vous visitez ce tas d'herbe folle et de pierres ;<br />
L'été viendra sécher ce qu'il reste de fleurs.
l'aigle et le cochon<br />
Un aigle à <strong>un</strong> cochon inculquait sa morale.<br />
« Compagnon, quand le jour m'accorde du loisir,<br />
Je chevauche le vent, je m'élève à plaisir,<br />
J'admire la lumière australe et boréale ;<br />
Mais toi, vautré toujours dans l'humide et le sale,<br />
Ainsi qu'<strong>un</strong> fruit trop mûr tu te laisses croupir...<br />
Quand je pense à cela, il me vient <strong>un</strong> soupir. »<br />
« Allons, dit le cochon, ma personne est vassale<br />
Et vers le firmament ne prend pas son essor ;<br />
Mais tu ne devrais pas t'inquiéter de mon sort,<br />
Ni pleurer mes malheurs aux accents de ta lyre.<br />
L'homme est mon protecteur. Paisible est mon esprit,<br />
L'homme abrite mon corps, me lave, me nourrit,<br />
Et, pour mon dernier jour, m'accorde le martyre ! »<br />
La forme d'<strong>un</strong> ange<br />
Un ange, c'est vraiment <strong>un</strong> étrange animal.<br />
Autant, par son visage, il nous fait bonne mine,<br />
Autant il nous surprend, sitôt qu'on examine<br />
Le reste de son corps, qu'il a phénoménal.<br />
En plus, on dit qu'il peut siéger au trib<strong>un</strong>al,<br />
Que la gloire de Dieu par sa voix s'illumine,<br />
Qu'il est plus fort que Zeus quand son glaive fulmine,<br />
Que des divins décrets il se fait le canal.<br />
Moi, je le vois plutôt comme <strong>un</strong> sombre corbeau,<br />
Ou comme les vautours qui sont près des tombeaux,<br />
Attendant que le mort cesse de se débattre.<br />
Même s'il est puissant, il ne sait pas pourquoi,<br />
Il est sans libre arbitre, esclave de la loi,<br />
Comme <strong>un</strong>e marionnette en son petit théâtre.
<strong>un</strong> an après<br />
Un an vient de passer, bref comme <strong>un</strong>e semaine.<br />
Le temps n'est qu'illusion, disent les physiciens,<br />
Moquant le « temps réel » des informaticiens ;<br />
Année après année les mêmes jours ramène.<br />
Sur les bords de ce lac où nul ne se promène,<br />
Tu n'entendras chanter nul oiseau musicien :<br />
Les a chassés de là <strong>un</strong> mauvais magicien<br />
Qui décourage aussi toute présence humaine.<br />
Ni ondine dans l'eau, ni licorne au bocage ;<br />
Pas <strong>un</strong> centaure en marche au frais, sous les ombrages,<br />
Pas de troll sous la feuille et pas même, <strong>un</strong> lutin.<br />
Paysage embelli de ces mêmes absences,<br />
Comme est noble l'hiver, comme est grand le silence,<br />
Comme l'indiscernable est beau, dans le lointain.<br />
L'amour et rien d'autre<br />
Un apéro dans <strong>un</strong> décor champêtre<br />
Au jardin qui ne subit nul hiver,<br />
En écoutant des chants d'oiseaux divers<br />
Sous le soleil en train de disparaître ;<br />
Au coin du feu, les paroles d'<strong>un</strong> maître<br />
Narrant la vie, ses bonheurs, ses revers,<br />
Prenant souvent la forme d'<strong>un</strong> beau vers<br />
Dont la sagesse aussitôt me pénètre ;<br />
Ces deux plaisirs, qui sont de bon aloi,<br />
Ne valent pas le chaleureux émoi<br />
Que je ressens en ta douce présence.<br />
Seul, notre amour peut agrandir mon coeur,<br />
Sur toute chose il se montre vainqueur :<br />
Heureux le jour où il a pris naissance.
le cochon et le dictionnaire<br />
Un cochon, par hasard, trouvant <strong>un</strong> dictionnaire,<br />
Lut, pour se divertir, le sens de chaque mot.<br />
Ce n'était point, ditil, au pouvoir d'<strong>un</strong> chameau !<br />
Mon potentiel, vraiment, est révolutionnaire.<br />
Si je passe <strong>un</strong> concours, je serai fonctionnaire,<br />
Pas question que l'on morde à mes deux jambonneaux,<br />
Ainsi que fut Gollum au Seigneur des anneaux,<br />
De bestiau je deviens <strong>un</strong> humain débonnaire.<br />
Le paysan survient, et son couteau pointu,<br />
Et dit à son cochon : il est temps, le saistu,<br />
Que ta chair soit pour nous de bonne nourriture.<br />
Le cochon lui répond, d'<strong>un</strong> ton plein de douceur,<br />
Qu'il est fier de nourrir ses frères et ses soeurs,<br />
Partageant avec eux sa si vaste culture.<br />
l'âge du fils du charpentier<br />
Une année seraitelle <strong>un</strong> tour de l'engrenage<br />
Ou <strong>un</strong> fragment de tour infinitésimal ?<br />
Mais pourquoi portetelle <strong>un</strong> repère ordinal ?<br />
Quel sens peuton donner à <strong>un</strong> tel encodage ?<br />
Le fils du charpentier nous répond : C'est mon âge<br />
Que l'on mesure ainsi ; et plus d'<strong>un</strong> cardinal<br />
A calculé l'instant où, d'<strong>un</strong> corps virginal,<br />
J'ai surgi, bel enfant, déjà subtil et sage.<br />
Partant de ma naissance, on compte <strong>un</strong>e semaine<br />
Pour mon entrée dans la comm<strong>un</strong>auté humaine ;<br />
C'est le calendrier que vous avez élu.<br />
Or, chaque année ainsi par <strong>un</strong> nombre s'ordonne ;<br />
Vous ne l'appelez pas du nom que je lui donne,<br />
Que vous ne savez pas, et le serpent non plus.
Une majorité de sénateurs gauchistes !<br />
Le monde est aux aguets, la France va changer,<br />
Car nos grands électeurs, au mépris du danger,<br />
Ont commis, à eux tous, ce vote masochiste.<br />
Notre prochain Sénat seratil anarchiste,<br />
Ou sous <strong>un</strong> drapeau vert, vontils tous se ranger ?<br />
Ressusciterezvous, général Boulanger ?<br />
Vatil s'inaugurer <strong>un</strong> parti fétichiste ?<br />
Or, la Haute Assemblée a toute ma confiance,<br />
Je ne saurais, du haut de mon insignifiance,<br />
Analyser sa marche et son évolution.<br />
Ils peuvent devenir <strong>un</strong> club de centre gauche,<br />
Cela ne va point les plonger dans la débauche,<br />
Ni les faire avancer vers la révolution.<br />
Une stèle<br />
Une pierre qui parle enseigne <strong>un</strong> monde, en vers ;<br />
Expliquetelle aussi nos coeurs inconsolables,<br />
Nos minutes formant chac<strong>un</strong>e <strong>un</strong> grain de sable<br />
Dont plusieurs contenaient, peutêtre, <strong>un</strong> <strong>un</strong>ivers...<br />
La pierre ni les mots n'ont de penchant pervers.<br />
Le scribe qui orna de ces signes la table<br />
Suivait, à tous égards, des codes respectables<br />
(Sauf à ce qu'il traça, peutêtre, à son revers).<br />
Or, ce scribe n'a pas <strong>un</strong> immense mérite<br />
Pour avoir simplement observé les bons rites ;<br />
D'<strong>un</strong>e antique sagesse il était le vecteur.<br />
Puissionsnous imiter ce propos salutaire,<br />
Même si ce forum n'est pas <strong>un</strong> sanctuaire :<br />
Et si nous y manquons, indignezvous, lecteurs.
Sonnet du trou noir<br />
Un érudit rêva qu'il était <strong>un</strong> trou noir.<br />
Ce jourlà, on fêtait la sainte Madeleine,<br />
Et le trou noir était plus gros qu'<strong>un</strong>e baleine,<br />
Aspirant le réel ainsi qu'<strong>un</strong> entonnoir.<br />
Le lendemain matin, notre homme de savoir<br />
Alla se promener sur les quais de la Seine,<br />
Espérant vaguement y croiser <strong>un</strong> mécène<br />
Ou bien, à la rigueur, <strong>un</strong> valet du pouvoir.<br />
Sur les quais de la Seine abondent les touristes,<br />
Mais les mécènes, non. Bien sûr, c'est <strong>un</strong> peu triste<br />
Qu'<strong>un</strong> rêve aussi joli ne soit pas financé.<br />
Pourtant les érudits, qui sont infatigables,<br />
Poursuivent nuit et jour leurs travaux formidables,<br />
Se changeant en trous noirs, à force de penser.<br />
Au fil des routes<br />
Un ermite écoutait le babil des princesses<br />
Et cela lui donnait <strong>un</strong>e envie de chanter.<br />
Son labeur quotidien l'agrippe avec rudesse ;<br />
Il parcourt <strong>un</strong> chemin rarement fréquenté.<br />
Parfois, il ralentit (lorsque rien ne le presse)<br />
Pour laisser son savoir <strong>un</strong> peu se décanter,<br />
Pour entendre les sons auxquels il s'intéresse,<br />
Pour transcrire <strong>un</strong> message en son coeur enfanté.<br />
Il contemple le ciel, quand le silence est grand,<br />
Ou le reflet du ciel dans le gris de l'écran.<br />
Son sommeil est tranquille et sa veille sereine.<br />
Il marche lentement, paisible randonneur,<br />
Ne rêvant ni de joie, ni même de bonheur :<br />
Nous aimons l'<strong>un</strong>ivers, car notre vie est vaine.
le loup et le frère de l'agneau<br />
Un gros agneau buvait à <strong>un</strong> tonneau de bière<br />
Dans la cour d'<strong>un</strong>e ferme. Un maigre loup survint<br />
Qui le réprimanda de n'avoir pris du vin,<br />
Disant, petit mouton, c'est ton heure dernière.<br />
L'agneau se défendit. Mangez plutôt mon frère,<br />
A vous nourrir de moi vous mâcheriez en vain,<br />
Mon corps est plus chétif que n'est d'<strong>un</strong> alevin<br />
La frêle silhouette errant dans la rivière.<br />
Ton frère, dit le loup, pourtant, tu n'en as point,<br />
Et je te trouve gras, et d'<strong>un</strong> bel embonpoint,<br />
Digne de m'assurer, en ce jour, subsistance.<br />
L'agneau, pour compagnons, avait chiens de berger<br />
Qui n'ont accoutumé de laisser loups manger :<br />
L'animal s'en alla sans la moindre pitance.<br />
La lutte<br />
Un jour deux judokas ont décidé de prendre<br />
Des leçons d'aïkido, dans le but d'enrichir<br />
Leur science du combat, et puis de l'assouplir,<br />
Et les voici <strong>un</strong> soir, fort empressés d'apprendre...<br />
Ils étaient en avance, il leur fallait attendre.<br />
Ils se vautrent au sol, et, pour se divertir,<br />
Luttent, roulant, poussant et jouant sans faiblir,<br />
Car dans leur tradition on n'est pas toujours tendre.<br />
Ils prennent du plaisir au familier combat ;<br />
Mais le prof d'aïkido, dans son fier hakama<br />
Trouve qu'en son dojo c'est <strong>un</strong>e salissure.<br />
Il pose la question, sur <strong>un</strong> ton dépité :<br />
« Messieurs, où avezvous mis votre dignité ? »<br />
« Maître, dans le vestiaire, ainsi que nos chaussures. »
Un jour je suis allé loin d'ici, chez Lilith<br />
Qui habitait, auprès d'<strong>un</strong> lumineux rivage,<br />
Dans <strong>un</strong> vaste palais de marbre et de granit<br />
Et j'étais tout ému d'aller lui rendre hommage.<br />
La compagne d'Adam, heureuse de dîner<br />
Avec <strong>un</strong> être humain, demanda qu'on lui narre<br />
Le monde que jadis elle avait dominé :<br />
Comment vont les mortels ? Toujours aussi bizarres ?<br />
Et moi, je ne savais quel exemple choisir,<br />
Le génie sarkozyen, les ardeurs villepines ?<br />
Les fils du père Adam déconnent à loisir,<br />
Ils sont loin de valoir leurs soeurs ou leurs copines.<br />
Le serpent a choisi plutôt de tenter Eve<br />
Que Lilith, pourquoi donc ? Sans doute, il supposait<br />
Que Lilith n'aurait pas ruiné d'Adam le rêve<br />
En acceptant le noir péché qu'il proposait.<br />
Requiem<br />
Un jour viendra la mort, et mon temps prendra fin,<br />
Je serai attentif à comment je respire,<br />
Dirai mon dernier vers si la muse m'inspire,<br />
Un dernier jeu de mots, peutêtre pas bien fin.<br />
Ne plus sentir la soif ni éprouver la faim,<br />
Ni craindre que mon sort évolue vers le pire,<br />
Et savoir que le mal n'a plus sur moi d'empire,<br />
Tout ça donne à la mort <strong>un</strong> céleste parfum.<br />
A chaque instant ce sont foules de gens qui meurent.<br />
D'eux ni de leur action, souvent, rien ne demeure,<br />
Même si leur départ est noble et solennel.<br />
Que sommesnous, sinon <strong>un</strong> remous transitoire,<br />
Goutte d'eau dans la mer, virgule dans l'Histoire,<br />
Auc<strong>un</strong> de nous ne peut se prétendre éternel.
Une infinité de mathématiciens assoiffés<br />
Un mathématicien, s'adressant au serveur :<br />
« Il me faut <strong>un</strong>e pinte ». « OK, pas de problème ».<br />
La seconde d'après, il en vient <strong>un</strong> deuxième.<br />
« Demipinte pour moi », dit cet autre penseur,<br />
Puis <strong>un</strong>e infinité de matheux, fiers suiveurs :<br />
Pour l'<strong>un</strong>, <strong>un</strong> quart de pinte, et pour l'autre, <strong>un</strong> huitième,<br />
Les suivants, <strong>un</strong> seizième et <strong>un</strong> trentedeuxième,<br />
Un sur deux puissance « n » pour chac<strong>un</strong> des buveurs.<br />
Lecteur, si tu devais servir, <strong>un</strong> de ces soirs<br />
Pareille infinité de clients trop rasoirs,<br />
Sauraistu bien gérer cette étrange contrainte ?<br />
Le serveur, en tous cas, ne s'est pas démonté.<br />
« Messieurs, leur atil dit, vous pouvez recompter »,<br />
Et sur le long comptoir, il a posé deux pintes.<br />
<strong>un</strong>e anecdote apocryphe<br />
Un moine résidant loin de son monastère<br />
N'avait trouvé pour lui le moindre logement.<br />
Une servante, alors, l'avait obligeamment<br />
Abrité dans son lit, étant célibataire.<br />
Le supérieur a dit : « Estce réglementaire ? »<br />
Le moine a répondu : « Toujours, soigneusement,<br />
Nous installons le chien entre nous deux dormant. »<br />
« En cas de tentation, le rempart est précaire ! »<br />
« Contre la tentation, voici notre parade.<br />
Si le désir me prend, je pars en promenade ;<br />
Et si c'est elle que Satan vient malmener,<br />
Celle qui se promène est alors la servante. »<br />
« Oui, mais si le désir tous les deux vous tourmente ? »<br />
« Dans ce cas, c'est le chien qui va se promener. »
<strong>un</strong> art stylistique<br />
Un mot n'est pas toujours issu d'<strong>un</strong>e pensée,<br />
Parfois le mot voisin le fait venir au jour,<br />
Il ne pense pas plus que n'entendent les sourds ;<br />
Parlent les grands parleurs bien loin sur leur lancée.<br />
Or, certains vont cherchant la forme condensée ;<br />
Au travers des notions, ils veulent couper court.<br />
Au fil des raccourcis par où leur esprit court,<br />
Admirons leur démarche aisément balancée...<br />
D'autres, développant leur magistrale prose<br />
Comme <strong>un</strong> vaste jardin que souvent l'on arrose,<br />
Nourrissent leurs écrits du noble effort humain.<br />
Ma plume a le mot bref, car elle est paresseuse,<br />
Et puis, mon intellect jamais bien loin ne creuse,<br />
Quand les plus beaux trésors sont à portée de main.<br />
<strong>un</strong> papillon<br />
Un papillon de mai vole auprès du canal,<br />
L'eau en est noire et froide, immobile et profonde.<br />
Cet azur printanier vientil de l'inframonde ?<br />
Portetil avec lui <strong>un</strong> message infernal,<br />
Ou sortil seulement du sommeil hivernal ?<br />
A de telles questions, je doute qu'il réponde,<br />
D'ailleurs, il n'est plus là, depuis quelques secondes ;<br />
Ce n'était qu'<strong>un</strong> azur fugitif et banal.<br />
Le temps que je l'observe, il a quitté la scène ;<br />
Préférant au canal les berges de la Seine,<br />
Il est parti d'ici pour ne plus revenir.<br />
Ainsi à notre esprit des idées apparaissent,<br />
Puis meurent dans l'instant où l'on s'y intéresse,<br />
Sans que nous en gardions le moindre souvenir.
Mallarmé, encore<br />
Un pauvre doctorant regardait tristement<br />
Deux mandarins pervers. De son regard lucide,<br />
L'étudiant voit celui qui à son sort préside<br />
Soutenir <strong>un</strong> propos qui semble <strong>un</strong> bâillement.<br />
Des crépuscules blancs tiédissent sous son crâne<br />
Qu'<strong>un</strong> cercle de fer serre ainsi qu'<strong>un</strong> vieux tombeau,<br />
Et, triste, il erre après <strong>un</strong> rêve vague et beau<br />
Quand les deux vieux savants ineptes se pavanent.<br />
Il est fort énervé de ces foutaises, las,<br />
Et creusant de sa face <strong>un</strong>e fosse à son rêve,<br />
Voudrait s'en aller par la Porte des Lilas.<br />
Mandarins, pourquoi donc ennuyer vos élèves ?<br />
Faitesvous naître en eux le sourire et l'éveil ?<br />
Vous offrez <strong>un</strong> couvercle à qui veut <strong>un</strong> Soleil.<br />
Un peu de jeu dans l'axe et cette roue immense<br />
Prenant <strong>un</strong> angle ayant toujours moins de rigueur<br />
Envers nos humbles souhaits montrerait sa clémence<br />
Nos désirs seraient moins soumis aux élagueurs<br />
Si des branches sur l'axe étaient arborescence<br />
Amie du rossignol et du merle moqueur<br />
La loi se tiédirait en sa déliquescence<br />
Un battement de trop serait permis aux coeurs<br />
Mais la roue tourne sobre et stricte dans le vide<br />
Narguant les amoureux de transgresser avides<br />
Réduits pour le moment à des péchés virtuels<br />
Peutêtre seulement qu'<strong>un</strong> petit cochon rêve<br />
De cette lourde roue qui nos destins achève<br />
Et que la liberté règne dans le réel
Un rêve de janvier 2010<br />
Un rêve partagé n'a rien de virtuel.<br />
Il instruit le réel bien plus qu'il ne l'imite,<br />
Dans ce parcours obscur, prends garde aux stalagmites :<br />
Elles ne sont guerriers qu'on peut battre en duel.<br />
Sans doute, <strong>un</strong> rêve, c'est le brouillon d'<strong>un</strong> poème.<br />
Si je savais jouer sur le fardeau des mots,<br />
J'en composerais <strong>un</strong>, car quand j'étais marmot<br />
J'en construisais parfois, entre deux théorèmes.<br />
Ce que t'offre la nuit n'a rien d'<strong>un</strong>e illusion,<br />
Même s'il n'est pas bon que fassent intrusion<br />
Mes rêves dans les tiens, par Dieu sait quel prodige.<br />
Par le songe ne peut cette âme être assouvie,<br />
Mais lorsque nous rêvons, nul surmoi ne fustige<br />
Ceux qui, pour <strong>un</strong>e nuit, vivent <strong>un</strong>e autre vie.<br />
les rois philosophes<br />
Un roi en manteau bleu offrit la liberté<br />
A ceux de ses soldats qui aimaient leur village ;<br />
Ils ont eu des ennuis avec leur voisinage,<br />
On chuchotait partout qu'ils avaient déserté.<br />
Un roi en manteau blanc voulut l'égalité<br />
Entre les gens de haut et de plus bas lignage ;<br />
Avec les grands seigneurs ça causa du tirage,<br />
Ils grognaient « Quel mépris pour notre qualité ».<br />
Un roi en manteau rouge a dit « Soyons tous frères,<br />
Dieu nous l'a demandé, tant le fils que le père » ;<br />
On l'accusa d'avoir par trop de dévotion.<br />
A ces rois novateurs on a tranché la tête<br />
Et fait de leurs manteaux <strong>un</strong> drapeau pour la fête.<br />
Je lève donc mon verre à la révolution.
la tartine et le chat<br />
Un savant, chaque soir, testait <strong>un</strong>e tartine<br />
Qui, selon les décrets d'<strong>un</strong> sort qui s'obstinait,<br />
Tombait sur le côté que l'homme tartinait.<br />
Or, cette observation n'était que de routine.<br />
Soudain, dans son esprit, deux notions s'agglutinent.<br />
Du coup, il décida : s'il se déterminait<br />
A fixer sur le dos de son petit minet<br />
Ce fameux bout de pain, la nature mutine<br />
Feraitelle tomber le félin à l'endroit<br />
(Ainsi déjouée par notre montage adroit)<br />
Ou, le chat pieds en l'air, au sol la confiture ?<br />
Depuis longtemps, ce chat est en lévitation,<br />
Car il ne sert à rien, par des provocations<br />
Dans l'expérimental, de forcer la nature.<br />
<strong>un</strong> air de propriétaire<br />
Un seigneur d'autrefois aimait les enclosures.<br />
Nul château que le sien n'eut plus forte paroi,<br />
Pas même les donjons que construisit le roi ;<br />
C'est ma propriété, ditil, je la veux sûre.<br />
Pour découvrir toujours des substances plus dures,<br />
Auprès d'<strong>un</strong> alchimiste il engagea sa foi,<br />
Lequel passait son temps à rechercher les lois<br />
Par quoi l'on peut contraindre et forcer la nature.<br />
Un beau jour, le savant inventa <strong>un</strong> cristal<br />
Où le château fut mis comme dans <strong>un</strong> bocal ;<br />
De son air, le seigneur devint propriétaire.<br />
C'est mon air, c'est mon air, rugitil d'<strong>un</strong> ton sourd ;<br />
Mais il ne parvint pas ainsi au bout d'<strong>un</strong> jour,<br />
En fin d'aprèsmidi, on le vit mort, par terre.
Un voisinage avec <strong>un</strong>e dame de coeur<br />
Ne fait pas d'<strong>un</strong> valet <strong>un</strong> futur roi de pique.<br />
Les rêves ne sont pas des propos symboliques,<br />
Ils sont des excursions dans <strong>un</strong> monde sans peur.<br />
Mais le contexte aussi peut changer la couleur.<br />
Prestidigitateurs ont ce pouvoir magique<br />
D'avoir la bonne carte à l'instant fatidique<br />
(Et l'on peut se douter que ce sont des trompeurs).<br />
Ni rêve ni magie au programme aujourd'hui,<br />
Sur mon parcours banal je suis comme je suis.<br />
Peu grandiose, ma main ne contient qu'<strong>un</strong>e paire.<br />
Alice en fin de jeu voit des cartes l'envol<br />
Qui feuilles deviendront en retombant au sol,<br />
Ne pouvant servir même à <strong>un</strong> jeu solitaire.<br />
Vatil pleuvoir ?<br />
Vatil pleuvoir, ciel de château d'Espagne ?<br />
Beau ciel, s'il pleut, tu auras des radis,<br />
S'il ne pleut pas, du colin refroidi.<br />
Vatil pleuvoir, ciel du grand Charlemagne,<br />
Beau ciel, s'il pleut, tu auras des montagnes,<br />
S'il ne pleut pas, la mort, sans paradis.<br />
Vatil pleuvoir, ciel de Roland roidi,<br />
Beau ciel, s'il pleut, tu auras la Bretagne,<br />
S'il ne pleut pas, flèche du Sarrazin.<br />
Vatil pleuvoir, ciel de frère et cousin,<br />
S'il ne pleut pas, nous serons en détresse ;<br />
Vatil pleuvoir, ciel de sombre miroir,<br />
Beau ciel, s'il pleut, nous irons au lavoir,<br />
Beau ciel, s'il pleut, prend fin la sécheresse.
Agonie du roi<br />
Venez, renards, mes tristes frères,<br />
Chez Nelligan où Richard meurt.<br />
Jugurtha lance des clameurs<br />
Avec ses chèvres f<strong>un</strong>éraires.<br />
Porcus dit le mot « viatique »,<br />
Jugurtha veut aider sa mort<br />
Et lui verse <strong>un</strong> café bien fort<br />
Au milieu des chèvres antiques.<br />
C'est bien de finir dans ton pieu,<br />
<strong>Cochonfucius</strong> te dit adieu.<br />
Porcus met <strong>un</strong> genou à terre.<br />
Richard, gardestu ton espoir ?<br />
Tous les renards du monastère<br />
Iront boire à Cl<strong>un</strong>y ce soir.<br />
Sans <strong>un</strong>e pierre blanche, ni noire<br />
Vers le nord du palais, tout au fond du grenier,<br />
Se trouve <strong>un</strong> jeu de go aux pouvoirs chamaniques.<br />
L'empereur, si l'empire entrait dans la panique,<br />
Jouerait <strong>un</strong>e partie contre le chancelier.<br />
Des centaines d'années, peutêtre des milliers,<br />
Sans que nul ne touchât cet échiquier magique.<br />
Nombre de fois l'empire eut des heures tragiques,<br />
Mais les pierres du jeu restent dans leurs paniers.<br />
Non pas que l'empereur ignore l'existence<br />
Du grenier dont le trône est à peu de distance,<br />
Ni que le jeu de go n'ait sa place en son coeur ;<br />
Mais comment joueraitil pour défendre l'empire ?<br />
Il craint d'y penser, même. Il ne saurait que dire<br />
Si le ministre allait du trône être vainqueur.<br />
Attention<br />
au miroir<br />
déformant !
la trinité introuvable<br />
Victor voulait <strong>un</strong> dieu purement paternel<br />
Dont il aurait été l'humble progéniture<br />
Il entendit alors la voix de la nature :<br />
Point de paternité pour <strong>un</strong> être éternel<br />
Victor rêve à <strong>un</strong> christ <strong>un</strong> homme fraternel<br />
Qui serait comme lui <strong>un</strong>e humble créature<br />
Il entendit alors cette parole dure :<br />
Le fils du charpentier n'était pas immortel<br />
Victor au saint esprit demande alors refuge<br />
Esprit, prends sous ton aile <strong>un</strong> malheureux transfuge...<br />
L'esprit dit : Je ne suis pas le bureau des pleurs<br />
Victor donc se retrouve au fin fond des ténèbres<br />
Audehors il fait sombre et son coeur est f<strong>un</strong>èbre<br />
Vainement du printemps le contemplent les fleurs<br />
le dimanche des rameaux<br />
Vient le jour des rameaux, je me change en rimeur,<br />
Ma muse, cependant, n'en fout pas <strong>un</strong>e rame.<br />
Elle dort, à l'écart des succès et des drames,<br />
Et du monde agité n'entend pas les clameurs.<br />
Je serais prêt, bien sûr, pour sauver mon honneur,<br />
A prêter <strong>un</strong>e main ou l'autre à vos programmes ;<br />
Mais ce, du bout des doigts, et sans la moindre flamme,<br />
Comme en ma vieille église <strong>un</strong> paresseux sonneur.<br />
Car ce jour des rameaux est fait pour les ramiers,<br />
Je l'ai toujours pensé ; et si vous m'en blâmiez,<br />
Je resterais perché, tranquille, sur ma branche.<br />
Demain je bosserai, c'est moi qui vous le dis,<br />
Avec le bel entrain qui sied à <strong>un</strong> l<strong>un</strong>di ;<br />
Aujourd'hui laissezmoi somnoler, c'est dimanche.
la pure insignifiance<br />
Voici quatorze grains de pure insignifiance<br />
Dont tu peux, si tu veux, te faire <strong>un</strong> chapelet.<br />
Ça n'eût pas convenu au moine Rabelais<br />
Qui sa science voulait assortie de conscience.<br />
La cause est que je n'ai pas assez de patience<br />
Pour fignoler le vers, la strophe ou le couplet,<br />
Et je m'arrête vite à la forme qui plaît<br />
A mon esprit futile et à mon insouciance.<br />
Peu importe après tout, c'est écrit sur du vide,<br />
Cela ne sonne pas plus que la voix timide<br />
D'<strong>un</strong>e grenouille verte installée dans <strong>un</strong> puits.<br />
Dans des temps très anciens j'aurais été <strong>un</strong> barde,<br />
Mais icibas je suis <strong>un</strong>e plume bavarde<br />
Espérant la lumière en plein coeur de la nuit.<br />
Arthur (encore)<br />
Poèmes qu'autrefois nous avons entendus,<br />
Sans même qu'à l'instant notre esprit les questionne...<br />
Or, depuis ce tempslà, dans nos coeurs ils résonnent<br />
De leur sens chaque jour <strong>un</strong> peu plus étendu.<br />
Poète coutumier du mot inattendu,<br />
Toi que tes propres vers plus d'<strong>un</strong>e fois étonnent<br />
Tu as construit <strong>un</strong> temple aux immenses colonnes<br />
Sans qu'<strong>un</strong> pareil travail ne te fût trop ardu.<br />
Tu n'y habites plus, la terre a pris ton corps,<br />
Tu savais que la gloire est plutôt pour les morts...<br />
Et nous te connaissons par <strong>un</strong> modeste livre.<br />
Qui viendra nous offrir <strong>un</strong> trésor aussi pur,<br />
Qui chantera demain comme <strong>un</strong> nouvel Arthur,<br />
Qui lancera sur l'onde <strong>un</strong> nouveau bateau ivre ?
Arthur (toujours)<br />
Ta chanson dont jadis <strong>un</strong> jardin murmura<br />
Sans voir surgir, pourtant, soupçon ni discussion...<br />
A partir d'antan, donc, vivons la vibration<br />
D'<strong>un</strong> son toujours plus pur qui nous affranchira.<br />
Troubadour qu'<strong>un</strong> troismâts vagabond consacra,<br />
Toi dont plus d'<strong>un</strong> quatrain a nos admirations,<br />
Tu bâtis <strong>un</strong> palais, lui donnant fondation,<br />
Sans, d'<strong>un</strong> si grand travail, trop affaiblir ton bras.<br />
Tu n'y dormiras plus, l'humus a pris ton corps,<br />
La glorification fut à toi dans la mort ;<br />
On imprima partout ton album manuscrit.<br />
Qui pourra nous offrir <strong>un</strong> cristal aussi pur,<br />
Qui dira l'ouragan à la façon d'Arthur,<br />
Dans <strong>un</strong> cosmos banal, qui mugira son cri ?<br />
Arthur (again)<br />
Au profond du profond, j'ai ton portrait inscrit,<br />
Pour mon incarnation j'aurais choisi Arthur,<br />
Un troubadour maudit, <strong>un</strong> amant au front pur<br />
Dont l'amour discordant n'a pas fait <strong>un</strong> proscrit.<br />
Dans ta chanson rugit <strong>un</strong> sanglot ou <strong>un</strong> cri,<br />
Un abracadabra, <strong>un</strong> talisman obscur<br />
Qui nous conduit à toi, au nirvâna futur<br />
Dans la divagation, plaisir du manuscrit.<br />
Dix ans auparavant, oraison sur ta mort,<br />
Disparu si brillant, si palpitant, si fort.<br />
Qui vous lit sans faux pas, ô Illuminations ?<br />
Toi plus moi, vivronsnous dans <strong>un</strong> confus brouillard,<br />
Soupirant sur la mort, <strong>un</strong> vil, <strong>un</strong> noir grognard,<br />
Sur nos trois tons plus <strong>un</strong>, nos vocalisations ?