Les mots - Cochonfucius
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Sonnets de <strong>Cochonfucius</strong>, 2012<br />
Hommage à Daniil Harms<br />
<strong>Les</strong> tables de la loi (du moins, je le suppose)<br />
Imperceptiblement vinrent dans mon studio.<br />
J'ai mentionné cela dans ma chronique en prose,<br />
Je vais en reparler, même si c'est idiot.<br />
J'ai tenté de capter les lois sur ma radio,<br />
Ou dans un recueil qui de sonnets se compose,<br />
Ou encore, au moyen d'un logiciel audio,<br />
Mais j'ai peur que cela, peutêtre, n'indispose<br />
Le grand législateur qui jadis les a faites.<br />
Puis le rhinocéros, une bien sale bête,<br />
A surgi de l'armoire en m'écrasant sous lui.<br />
Je n'ai pas pris cela pour signe de déroute ;<br />
J'ai simplement gravé d'autres lois pour la route,<br />
Celles d'avant étant périmées à minuit.<br />
Grasse matinée<br />
Quand je suis dans mon lit, sur le point d'en sortir,<br />
(D'y rester si longtemps ma conscience me blâme),<br />
Contre un restant de rêve on me voit me blottir<br />
Comme un naufragé dans une barque sans rames.<br />
Ah, du temps, j'en ai eu bien assez pour dormir,<br />
Mais c'est au fond du lit que se complaît mon âme;<br />
La raison de cela, puisje la définir ?<br />
En dehors de mes draps, peu de choses m'enflamment.<br />
Soyez donc indulgents pour cet aveu sincère,<br />
Plus qu'arbre de plein air, je suis un fruit de serre;<br />
D'un monde en vase clos j'apprécie les parfums.<br />
Mais la chambre à présent s'anime et s'ensoleille,<br />
Il n'est plus temps qu'un corps làdedans s'ensommeille,<br />
Le chat, par la fenêtre, annonce qu'il a faim.
Parmi les sépulcres<br />
Mes compagnons défunts, qu'en estil de vos ombres ?<br />
Dormentelles vraiment au fond de vos tombeaux,<br />
Pendant qu'au ciel, portant des costumes plus beaux,<br />
Vous mangez du pain frais en buvant du vin sombre ?<br />
Estil vrai que nos morts, que ce peuple sans nombre,<br />
Vers un monde meilleur, inépuisable flot,<br />
S'éloigne à tout instant, sans cris, sans un sanglot,<br />
Quittant avec plaisir ce pays de décombres ?<br />
Ou bien, fautil penser que tout se décompose,<br />
Qu'au cercueil ne survient nulle métamorphose,<br />
Qu'en ces lieux, rien ne vit, sinon deux ou trois fleurs ?<br />
Que ces fleurs soient témoins : nous vous sommes fidèles ;<br />
Et si, compagnons morts, vous ne voyez rien d'elles,<br />
C'est sur nous, non sur vous, que s'écoulent nos pleurs.<br />
Une vision locale<br />
Mes yeux ne savent voir plus loin que l'horizon.<br />
Mon labeur quotidien, mes simples habitudes,<br />
Tout en moi, comme aux temps lointains de solitude,<br />
Par coutume est réglé, plutôt que par raison.<br />
La routine en ce monde a bâti sa maison<br />
Sur la bonne surface, à la bonne altitude,<br />
Appliquant à cela des lois de finitude,<br />
Comme, devenant vieux, souvent, nous les prisons.<br />
Même pendant le temps dévolu au transport,<br />
Franchissant, sans montrer le moindre passeport,<br />
Maintes démarcations, limites ou frontières,<br />
Je n'ai pas l'impression de quitter le couloir<br />
Où se trouve rangé ce que je peux vouloir :<br />
Une horloge régit mon existence entière.
Un arbre sans la plaine<br />
Disciples, ne soyez pris dans les apparences :<br />
Ne distinguez pas trop le bon du mauvais sort,<br />
Et sachez que le faible use toujours le fort.<br />
N'ayez peur du bâton, n'exigez récompense.<br />
La chose et son contraire ont peu de différence;<br />
L'installation plus dure est source de confort,<br />
S'occuper de sa vie est aller vers la mort,<br />
Trop de douceur égale un surcroît de violence.<br />
Un sage sous son toit, un arbre dans la plaine,<br />
Aucun des deux ne va parler à perdre haleine,<br />
Tous deux se satisfont de la clarté du jour.<br />
Or, quand, le soir venu, cette clarté décline,<br />
Quand, sous le vent d'hiver, le vieil arbre s'incline,<br />
Il dit: "La vie n'est pas avec moi pour toujours".<br />
Sur la méduse d'un sureau<br />
Méduse d'un sureau, toi qui es introuvable,<br />
Reste dans ton corpus de chants périgourdins,<br />
Et moi, je resterai assis dans mon jardin<br />
À contempler en moi ton sourire ineffable.<br />
Un nuageméduse, esquif ingouvernable,<br />
Traversera le ciel, obscurcissant soudain<br />
Ce petit terrain vague aux entours citadins.<br />
J'enfilerai un pull pour être raisonnable.<br />
Puis, le sureau viendra me chanter, de mémoire,<br />
Au moins les trois premiers vers de sa belle histoire,<br />
Ne sachant, lui non plus, d'où cela fut extrait.<br />
Je ferai, quant à moi, mon travail de copiste,<br />
Sans, pour trouver la source, avoir la moindre piste.<br />
C'est écrit, c'est fini, je tire juste un trait.
Dame de brume<br />
J'ai rêvé que j'errais sur une mer d'azur<br />
Qui s'étendait auprès d'un lumineux rivage.<br />
La douceur du feuillage et la blancheur des murs<br />
Donnaient un charme immense aux paisibles villages.<br />
Je ne me lassais pas de ce vagabondage,<br />
Car mon esprit, autant que le ciel, était pur ;<br />
Le monde me semblait une charmante image<br />
Où ne se montrait rien de sombre, ni de dur.<br />
Mais je n'eus pas le temps de flotter à loisir<br />
Dans la douceur du bleu, du bienveillant zéphyr :<br />
Au bout de peu d'instants, mon rêve se termine.<br />
Il est là cependant, grâce à ces quelques vers.<br />
Dame de Brume, ayant terni mon univers,<br />
Tu n'as pas obscurci ce dont il s'illumine.<br />
Chanson du sansvoix<br />
Ah, j'aimerais chanter des chansons dans le vent,<br />
Des phrases de folie, à mivoix déclamées,<br />
Que porterait au loin une note enflammée<br />
Par la rouge clarté du grand soleil levant.<br />
Ah, j'aimerais danser comme le survivant<br />
D'une horde perdue, égarée, affamée.<br />
De gestes délirants cette danse tramée<br />
S'épuiserait soudain dans les sables mouvants.<br />
Mais j'écris calmement, dans la tiédeur du jour.<br />
<strong>Les</strong> <strong>mots</strong>, loin de danser, traînent et se font lourds,<br />
Tels de tristes oiseaux à la vigueur défunte.<br />
Nul ne sait si demain ils reprendront leur vol.<br />
Il leur plaît de languir, et d'arpenter le sol<br />
Où je vois se former leurs légères empreintes.
Nunc dimittis<br />
Un vieux maître se tient au bord d'un grand cours d'eau,<br />
Disant : «Ecoutez voir, j'en ai une bien bonne :<br />
Toute chose qui passe est pareille à ce flot.»<br />
Cette dure leçon que le vieux maître donne<br />
N'est pas inattendue, et ne surprend personne.<br />
Il n'est refuge aucun, dans le ciel, pour l'oiseau,<br />
Et l'univers n'est pas une horloge qui sonne.<br />
Mais pour un arrivant, comme il paraît nouveau !<br />
Un enfant découvrant son premier champ de neige,<br />
Puis, tout ce qui effraie, et tout ce qui protège,<br />
Et le vent qui s'amuse à coiffer ses cheveux...<br />
De ces cent mille instants que l'on ne sait décrire,<br />
Tenter l'évocation, vous la donner à lire :<br />
C'est, comme humble vieillard, tout le bien que je veux.<br />
Si Dieu n'existe pas, sembletil, c'est pareil<br />
Si Dieu n'existe pas, sembletil, c'est pareil.<br />
Charles Darwin, jadis, ouvrit la controverse ;<br />
Dans les fiers arguments qu'un forum y déverse,<br />
Existetil de quoi nous tenir en éveil ?<br />
Constatant que rien n'est nouveau sous le soleil,<br />
Certains, sans intérêt pour la partie adverse,<br />
Figent leurs positions. Mais d'autres tergiversent,<br />
Construisent des avis, prodiguent des conseils,<br />
Des exemples, des <strong>mots</strong>, et tout un arsenal<br />
Visant à surmonter ce problème infernal.<br />
J'observe le débat, même quand il s'enlise,<br />
Admirant au passage un développement...<br />
Puis je rentre chez moi, j'y pense calmement ;<br />
Je me dis : «Peu importe», en dernière analyse.
Trois disciples<br />
Trois disciples, voulant à leur tour être Maîtres,<br />
Cherchèrent la réponse à la même question,<br />
Qui était : «En faisant par jour trois plantations,<br />
Combien neuf jours voientils de jeunes plantes naître ?»<br />
Le premier répondit «Un ruban de deux mètres» ;<br />
Et le deuxième a dit «Un flacon de potion».<br />
On les a recalés, malgré leur dévotion :<br />
Une réponse fausse, on ne peut la permettre.<br />
«Vingtsept», dit le troisième, et Maître on l'intronise.<br />
Je m'en vais demander (car la chose est permise)<br />
Au Maître d'où lui vient ce résultat probant.<br />
«Ma démarche, ditil, était des plus logiques,<br />
J'ai compté ce flacon plein de potion magique<br />
Et j'ai compté, en plus, deux mètres de ruban.»<br />
L'Unique<br />
L'Ëtrelà dans un bar a rencontré l'Unique.<br />
C'était il y a longtemps, du côté de Fribourg.<br />
Sur la soif d'être ils ont exposé, tour à tour,<br />
Leur propre perception et leur problématique.<br />
Ce bar ne résonnait que de métaphysique,<br />
C'est pourquoi le climat en était un peu lourd,<br />
Surtout quand prospérait un dialogue de sourds.<br />
«Rien ne doit, dit l'Unique, être systématique,<br />
Sinon tes propres <strong>mots</strong> pourraient se mettre à fondre».<br />
«J'ai compris, répond l'Être, un point où tout s'effondre<br />
N'aura ni haut ni bas, étant comme un trou noir.»<br />
Quelle conversation ils auront pu conduire,<br />
C'est ce que ce sonnet ne peut pas reproduire :<br />
La fin est obscurcie par les vapeurs du soir.
Hommage à deux chats poètes<br />
Félin songeur, quand tu écris à ta voisine,<br />
Tu ne dois afficher d'excessive rigueur.<br />
De ta plume chacun devine la vigueur,<br />
Montrela nous plutôt douce, et gentille, et fine.<br />
Si tu bois l'apéro dans sa belle cuisine,<br />
Affirmetoi poète, et même un peu blagueur.<br />
Que tu ne sois point pris pour un vilain dragueur,<br />
L'amour n'est ce qu'on dit, mais ce que l'on devine.<br />
Conflit, plus que bouteille, est ce qu'on doit vider.<br />
L'esprit en séduction ne faut dilapider :<br />
Car sagesse, autrement, deviendrait vil tapage.<br />
Ne tiens compte, jamais, de ce poème fol ;<br />
Il vaut moins que le dièse, et moins que le bémol<br />
Dont j'orne partitions qui nous sont en partage.<br />
Saint Nicolas<br />
Lorsque Saint Nicolas était dans son berceau,<br />
Il était fort, déjà, comme sont les taureaux ;<br />
Héroïque, vraiment, fut sa chère nourrice,<br />
Subissant de l'enfant les incessants caprices.<br />
Lorsque Saint Nicolas montait sur un bateau,<br />
Grenouilles et poissons, qui le voyaient si beau,<br />
Ainsi que les hérons et que les écrevisses,<br />
Accompagnaient l'esquif en cortège complice.<br />
Saint Nicolas, plutôt que les plaisirs mondains,<br />
Aimait la compagnie des oiseaux du jardin,<br />
Leur offrant un perchoir solide, en arc de cercle.<br />
Le grand Saint Nicolas, couché dans son cercueil,<br />
Conservait cependant la grâce d'un chevreuil,<br />
Quel regret nous avions de fermer le couvercle.
La conscience d'une huître<br />
Au long du jour, mon esprit se repose,<br />
Rêvant qu'il dort, sur du sable vermeil,<br />
Mais d'un sommeil qui dépasse l'éveil :<br />
Je suis heureux de ma métamorphose.<br />
Larve nageuse un beau matin se pose<br />
Sur un rocher, assez loin du soleil,<br />
Sans plus marcher, n'ayant pied ni orteil.<br />
Cet animal devient comme une chose.<br />
Or, j'aime avoir la sagesse d'une huître :<br />
Car l'escargot, progressant sur la vitre<br />
Et qui se croit explorateur du ciel<br />
N'atteindra pas cette inertie divine.<br />
Vivre immobile, au gré des eaux marines,<br />
C'est préserver ce qui est essentiel.<br />
Suivre les liens<br />
Un mot écrit en bleu sur ces étranges pages<br />
Sert à vous renvoyer vers d'autres horizons,<br />
Vers des textes écrits dans une autre saison,<br />
Vers des idées issues d'un autre découpage.<br />
La méthode n'est pas sans quelques dérapages,<br />
Mais le lecteur, toujours guidé par sa raison,<br />
S'oriente dans les liens surgissant à foison,<br />
Abordant à bon port et sur la bonne plage.<br />
Autrefois, on pouvait, sur les pages d'un livre<br />
Indiquer au public plusieurs pistes à suivre :<br />
Un lecteur paresseux, souvent, n'en faisait rien.<br />
Plus forts sont, maintenant, les liens entre les textes ;<br />
Plus difficile aussi de trouver un prétexte<br />
Pour ne pas aller voir, d'un clic, le bout du lien.
Lapin vert<br />
Je suis un lapin vert, et les herbes fanées<br />
M'inspirent la pitié, bien audelà des <strong>mots</strong>,<br />
Et au jardin les fleurs, et au bois les rameaux.<br />
Si ma façon d'écrire est un peu surannée,<br />
Je ne veux, pour autant, qu'elle soit condamnée.<br />
Pour oublier (sinon pour apaiser) mes maux,<br />
Je prise les sonnets, les chansons, les chromos<br />
Et, dessous le sapin, l'offrande enrubannée.<br />
Car jamais je n'ai su me montrer incisif :<br />
Mon esprit de lapin est resté trop naïf<br />
Pour cueillir de mes dents le végétal qui tremble.<br />
Mon coeur n'a point appris à feindre, ou à ruser,<br />
Avec ces belles fleurs, j'aimerais m'amuser.<br />
On nous verra danser peutêtre, un jour, ensemble.<br />
Rêvant d'accoster<br />
L'archange de l'automne a vu son temps s'éteindre ;<br />
Il passe la consigne à l'hiver nouveauné.<br />
L'humain va de l'avant. Ce primate obstiné<br />
Se risque encore un peu à souffrir sans se plaindre.<br />
Ayant perdu le cap, sa voile n'est pas moindre,<br />
Et ses calculs, pour être aux trois quarts erronés,<br />
Ne sont pas moins savants. Le soir, il est vanné,<br />
Titubant d'une allure impossible à dépeindre,<br />
Mais il parle toujours avec grande assurance,<br />
Car il sait qu'il sera jugé sur sa vaillance,<br />
Qu'importe si c'est par un tribunal pervers.<br />
Audessus de la mer planent des oiseaux tristes<br />
Et le vieux capitaine en son chemin persiste,<br />
Puisqu'une fois de plus, on entre dans l'hiver.
Saveurs hivernales<br />
Village au soleil d'hiver<br />
(Un soleil presque invisible) ;<br />
<strong>Les</strong> gens arpentent, paisibles,<br />
Ce minuscule univers.<br />
Aux jardins, plus rien de vert,<br />
Mais une vie intangible<br />
Sous le miroir infrangible<br />
Du ciel, à présent désert.<br />
Quand reviendront les oiseaux ?<br />
Quand verdiront les roseaux<br />
Alentour des pierres plates ?<br />
Mais l'hiver a ses chansons ;<br />
Même, le soir, nous dansons :<br />
Ça réchauffe nos pénates.<br />
Changement d'année<br />
L'année qui va venir m'apparut, onirique,<br />
Sous la forme alanguie d'une fée de minuit.<br />
Moi, je me cramponnais à celle qui s'enfuit,<br />
Sachant la chose vaine, et pas du tout pratique.<br />
J'entends dès aujourd'hui l'horloge fatidique<br />
Engloutir les instants comme au fond d'un grand puits.<br />
Encore un soir qui tombe et un matin qui luit,<br />
Et nous devrons franchir ce portail symbolique.<br />
Année deux mille douze, apportestu la joie ?<br />
Tout au moins le foie gras d'une plantureuse oie,<br />
Que peut accompagner un brave Entre Deux Mers.<br />
Je ne sais que penser de l'an qui va s'éteindre,<br />
Ni de quelles couleurs il convient de le peindre :<br />
D'un ton qui serait gris, mais pourtant pas amer ?
Consolation politique<br />
«La période qui vient est dite électorale,<br />
Pourtant, j'aimerais mieux un monde sans seigneurs.<br />
Si de les désigner nous recevons l'honneur,<br />
(Merci à eux pour la satisfaction morale),<br />
Nous pourrions mieux servir la cause générale<br />
En n'ayant point recours à ces dominateurs<br />
Ni à leurs compagnons, profiteurs, exploiteurs,<br />
Destructeurs de nature australe et boréale.»<br />
Ainsi se lamentait un poète anarchiste<br />
Que l'abus des pouvoirs chaque année rendait triste,<br />
Et qui attendait peu (ou rien) des élections.<br />
Un buveur plein d'espoir lui a dit : «Camarade,<br />
L'élection que tu prends pour une mascarade<br />
N'est que le premier pas vers la révolution!»<br />
Crocodile et pluvian<br />
Le crocodile, un jour, disait à un pluvian :<br />
Estu sûr de pouvoir exercer, toi, dentiste,<br />
Qui, selon les meilleurs de nos zoologistes,<br />
Comme tous les oiseaux, es dépourvu de dents ?<br />
Le pluvian, bien peinard, sourit en répondant :<br />
Toi qui n'as pas de coeur, méchant reptile triste,<br />
Pour montrer tes émois, fréquemment, tu insistes,<br />
Et sur les bords du Nil, tu vas, larmes versant...<br />
Le boulanger n'est pas un bonhomme en farine,<br />
La boussole n'est pas une bête marine,<br />
Un grand livre n'est pas un animal lecteur.<br />
Le feu n'est point dans l'âtre une chose frileuse,<br />
Ni le papier, non plus, une entité liseuse ;<br />
De poèmes n'est point le poète amateur.
Avec l'écharpe rouge<br />
L'écharpe rouge a fait appel à mon esprit<br />
Afin de compléter un Habit de Nuage;<br />
L'écharpe verte a fait plaisir au voisinage,<br />
L'écharpe jaune aidant, de l'honneur je m'épris.<br />
L'écharpe bleue permet d'oublier le ciel gris,<br />
L'écharpe rose abrite un charmant badinage.<br />
L'écharpe grise évite un surcroît de langage;<br />
L'écharpe noire à voir de près la mort m'apprit.<br />
Une écharpe lavée, posela sur un cintre :<br />
L'état de sa surface intéresse les peintres.<br />
En un temps opportun, il peut charmer l'humeur.<br />
Mais parfois, sans écharpe, on peut voir un poète<br />
Rêvant au petit prince et à l'exoplanète<br />
Où le soleil couchant quarantetrois fois meurt.<br />
Noir sur blanc<br />
Au pâturage blanc, la noirceur des corbeaux<br />
Semble une illustration pour un recueil de fables.<br />
Ils cherchent à manger dans le froid redoutable;<br />
Sous le soleil naissant, les voilà presque beaux.<br />
Ils parviennent souvent à tirer du tombeau<br />
Un insecte bien gras, pitance délectable.<br />
Si je voulais montrer leur démarche ineffable,<br />
Je devrais emprunter de son encre à Rimbaud,<br />
Mais plus modestement, j'use de mon clavier<br />
Pour peindre les frimas de ce mois de janvier,<br />
Dont le ciel cependant est d'humeur rayonnante.<br />
Bientôt le pâturage à nouveau sera vert,<br />
Alors j'emprunterai une plume à Prévert<br />
Pour montrer des corbeaux les manières charmantes.
Navigations<br />
Le primate humain voit qu'il n'a pas de nageoires,<br />
Alors il s'investit dans la navigation.<br />
Il apprend les secrets de la propagation,<br />
Et, par le vaste monde, il se couvre de gloire.<br />
Pas d'ailes sur ce corps, estce rédhibitoire ?<br />
A peine atil posé cette interrogation<br />
Que le voilà parti en investigations<br />
Jusqu'à trouver la clef du vol libératoire.<br />
Il veut ensuite aller jusqu'aux exoplanètes<br />
Afin d'y contempler des plantes et des bêtes<br />
D'un genre et d'un aspect nouveaux pour les humains.<br />
Un continent, pourtant, lui reste inconnaissable,<br />
Celui du coeur de l'Autre, aux désirs ineffables :<br />
Il ne sait toujours pas en prendre le chemin.<br />
Lumière ancienne<br />
Adam parle aux oiseaux et se confie aux plantes ;<br />
Ses interlocuteurs n'écoutent pas toujours.<br />
La vie dans le jardin n'est pas trop exigeante,<br />
Il faut dormir la nuit, veiller pendant le jour.<br />
Adam voudrait avoir une correspondante<br />
Qui serait son salut, son bonheur, son recours.<br />
La chose, cependant, est loin d'être évidente.<br />
Adam berce son rêve et la vie suit son cours.<br />
Puis il trace des <strong>mots</strong>, quand survient la pénombre,<br />
Des <strong>mots</strong> ni lumineux, ni totalement sombres,<br />
Et fugitifs, ainsi que les reflets du soir.<br />
Il ne sait pas comment décrire une espérance,<br />
Mais il peut évoquer de tendres souvenances<br />
S'accrochant à son coeur, comme à un vieux miroir.
Serpent dans l'herbe<br />
Le serpent au jardin fait sa digestion lente.<br />
Il n'a pu s'empêcher d'avaler le fruit lourd<br />
Qui devient dans son corps une liqueur brûlante ;<br />
Il a presque oublié ce qu'il fit, l'autre jour.<br />
Il revoit vaguement les deux bêtes parlantes<br />
Qui ont pris le chemin de l'exil, sans recours.<br />
Il voit qu'on a mis fin à leur vie indolente<br />
Pour les lancer dans un aventureux parcours.<br />
Il digère le fruit dans la verte pénombre.<br />
Adam, fort loin de là, contemple un reflet sombre<br />
Et bien plus menaçant que les lueurs du soir.<br />
Ève, en dormant, sourit, car elle a connaissance<br />
Que d'elle un enfant va bientôt prendre naissance :<br />
Que lui importe alors la question du savoir ?<br />
Le poids d'un jour d'hiver<br />
Calcul du poids d'un jour à la froidure enclin :<br />
Je lui mets déjà neuf à l'heure où il commence;<br />
Peutêtre encore deux pour l'apaisant silence<br />
Parmi les voyageurs d'un bus un peu trop plein.<br />
Rien pour le ciel d'hiver au charme sibyllin,<br />
Cinq pour un bon café brisant la somnolence,<br />
Cinq pour ces quelques vers tracés dans l'indolence<br />
Et dans un grand bureau, sur un bout de vélin.<br />
Jour d'hiver, je ne peux t'en donner davantage,<br />
Comptons ce que tu as reçu en apanage :<br />
Neuf et deux, cinq et cinq, vingt et un pour total.<br />
Que ces vingt et un points te donnent belle allure !<br />
Mais cette estimation est spéculation pure,<br />
Je ne fus jamais fort pour le calcul mental.
Nuage de neige<br />
Vatil neiger demain, ciel de corbeau tordu ?<br />
Ciel de corbeau, s'il neige, on boira du champagne,<br />
Et s'il ne neige pas, du cidre de Bretagne.<br />
Vatil enfin neiger, ciel de cochon pendu,<br />
Ciel de cochon, s'il neige, on verra des montagnes,<br />
Et s'il ne neige pas, des continents perdus.<br />
Vatil neiger ce soir, ciel de pluvian fondu,<br />
Ciel de pluvian, s'il neige, on aura des lasagnes,<br />
Et s'il ne neige pas, du pain de sarrasin.<br />
Vatil bientôt neiger, ciel de jus de raisin,<br />
Ou, s'il ne neige pas, ciel de jus de carotte ;<br />
Vatil neiger un jour, ciel de sombre arrosoir,<br />
Ciel d'arrosoir, s'il neige, il ne va point pleuvoir,<br />
Ciel d'arrosoir, s'il pleut, nous porterons des bottes.<br />
En songe<br />
J'ai rêvé que j'étais, dans le fond d'une grotte,<br />
Posé dans un coin sombre, un gros oeuf de dragon ;<br />
<strong>Les</strong> gnomes marmonnant en leurs obscurs jargons<br />
Ont mené, dans le noir, un débat polyglotte.<br />
En de nombreux endroits, on trouvait des marmottes,<br />
Tantôt ronflant, tantôt rêvant en patagon,<br />
Tantôt cuisant du riz avec de l'estragon.<br />
Au lointain s'élevait le cri de la hulotte.<br />
Vivre en cette coquille était chose facile,<br />
Le réel à mon coeur se montrait fort docile ;<br />
Je n'avais nul désir d'être au Quartier Latin,<br />
Ni dans le paradis des amours angéliques.<br />
Je dormais dans mon oeuf, dragon fort aboulique,<br />
Ne sachant quand viendrait la lueur du matin.
Cochon, PiafTonnerre et Neigeux<br />
Neigeux et PiafTonnerre, allant à la brocante,<br />
Comparent les recueils de plusieurs écrivains.<br />
Survient Maître Cochon, lourd comme un échevin,<br />
Qui dit « Sur ces questions, ma démarche est prudente ;<br />
Celui qui de juger l'écriture se vante,<br />
Sa parole et sa plume il mobilise en vain.<br />
Lire un texte, c'est comme absorber du bon vin,<br />
Une ingurgitation qui n'est jamais trop lente. »<br />
Neigeux dit « J'ai toujours envie de corriger... » ;<br />
PiafTonnerre « Ou plutôt, il faut s'interroger... ».<br />
Le maître dit « C'est bon, messieurs, je vous écoute ;<br />
Corriger, questionner, que de bons sentiments...<br />
Mais cette stratégie ne va pas loin, vraiment.<br />
Produire un vers par jour, ça tient bien mieux la route. »<br />
Rémus et Romulus<br />
Le capitaine, en tenue d'astronaute,<br />
S'aperçoit qu'il doit trop à ce Tintin.<br />
Platonique était leur double destin,<br />
Car autrement, les deux seraient en faute.<br />
Malheur de l'un fait le bonheur de l'hôte ;<br />
Fautil veiller, dans un lit, au matin,<br />
Ou couper son manteau, comme Martin ?<br />
Adam n'a regret de perdre sa côte.<br />
Muse, tu sais, nous formons un binôme.<br />
Qui porte voile a besoin d'une bôme.<br />
Hélas, pour ton temps, je suis en amont ;<br />
Haddock, Tournesol, Cauchon et pucelle,<br />
Quel binôme aurait rendu la vie belle<br />
Au vrai connaisseur de Lautréamont ?
Ni dieu ni muse<br />
Je vais dans la forêt pour choisir un mentor.<br />
Aucun mentor n'est là. Tous sont à la taverne.<br />
Leurs voix n'animent plus cette forêt arverne,<br />
Mais celle des oiseaux, qui ont rarement tort.<br />
L'oiseau atil un maître en prenant son essor ?<br />
Je sais qu'il n'en a point. Seul, le ciel le gouverne.<br />
Le phoque estil perdu quand le vieil ours hiverne ?<br />
L'absence du grand ours ne le rend pas moins fort.<br />
Je rencontre une errante au hasard des chemins...<br />
Or, je n'ai nul trésor à placer dans sa main,<br />
Rien de ce qui plairait à cette pastourelle.<br />
Mais la rencontre, en moi, produit un changement.<br />
Cette luronne, ainsi, devient, étrangement,<br />
Ma muse... et je lui souhaite autant de bien pour elle.<br />
PiafTonnerre au grenier<br />
Je suis content, car j'ai reconnu l'escalier.<br />
Or, je dois le gravir. Mais, jusqu'à quel étage ?<br />
Ce n'est pas un cadeau d'atteindre un si grand âge;<br />
L'escalier, d'après moi, conduit jusqu'au grenier.<br />
Que font tous ces cochons dormant sur le palier ?<br />
Je ne sais où ils ont déposé leurs bagages.<br />
Parlant dans leur sommeil (en quel curieux langage)<br />
Ils invoquent le nom de JeanEdern Hallier.<br />
D'où vient que l'escalier s'est empli de brouillard ?<br />
Cochons, répondezmoi, si vous n'êtes trouillards !<br />
Indiquez son logis au pauvre PiafTonnerre.<br />
Parvenu au grenier, dont le sol est bien dur,<br />
J'en viens à constater qu'il finit par un mur<br />
Dont la surface abrite un rêve débonnaire.
Itinéraire francilien<br />
Frépillon | Goussainville | IssylesMoulineaux<br />
Chatou | GournaysurMarne | Arcueil | VigneuxsurSeine<br />
Clamart | ClichysousBois | Rocquencourt | BourglaReine<br />
Garches | Gennevilliers | Guermantes | Longjumeau<br />
Malakoff | Marcoussis | Stains | MagnylesHameaux<br />
Massy | ForgeslesBains | Buc | BrousurChantereine<br />
Montesson | Montgeron | Ville d'Avray | Suresnes<br />
Draveil | Meudon | Janvry | Le MesnilAmelot<br />
Alfortville | Andrésy | le Vésinet | le Pecq<br />
Nozay | NeuillysurSeine | Orly | NoisyleSec<br />
SaintDenis | SaintMandé | SaintOuen | Villetaneuse<br />
Châtillon | Gentilly | le Raincy | Antony<br />
Vauhallan | Carnetin | Viroflay | Taverny<br />
Palaiseau | Villebon | SaintRémylèsChevreuse<br />
PiafTonnerre et l'inframonde<br />
J'avance, tout pensif, en ces lieux de pénombre<br />
Creusés par les anciens sous un désert brûlant.<br />
Au hasard des couloirs, mon pas se fait plus lent,<br />
Car je prête attention aux embûches sans nombre.<br />
Bien plus haut, en surface, est une forêt sombre<br />
Où se taisent, le soir, des oiseaux somnolents<br />
Que nul n'a de longtemps vus chantant ni volant,<br />
Trop occupés qu'ils sont à contempler des ombres.<br />
La forêt, le tunnel, quelle place est plus noire ?<br />
Le noir ne va pas mal à cette triste histoire<br />
Qu'un scribe défaillant grave sur un vieux mur.<br />
Cette noirceur, princesse, il faut la fuir, sans doute,<br />
L'inframonde et le ciel sont traversés de routes ;<br />
Et je sais qu'à présent, tu marches d'un pas sûr.
PiafTonnerre et les fleurs<br />
Fleurs du fond du jardin, reflets impermanents<br />
De ce vaste univers sombre et multicolore,<br />
Merci de vos clins d'oeil en tous temps insonores,<br />
Et d'entendre avec moi les paroles du vent.<br />
Un carré de terreau vous est un continent.<br />
Le soleil inclément, l'insecte qui dévore,<br />
Ce qu'au fil des saisons le jardinier déplore,<br />
Vous le laissez venir à vous, tranquillement.<br />
Sans doute, elle est ainsi, la condition de fleur,<br />
De voir passer le temps, sans joie et sans douleur,<br />
Je me tiens près de vous, dans la sérénité.<br />
<strong>Les</strong> fleurs, de PiafTonnerre éloignant leur regard,<br />
Ont l'air de l'écouter avec fort peu d'égards :<br />
Le mutisme des fleurs vient de leur surdité.<br />
PiafTonnerre et le monde<br />
PiafTonnerre est ici, sous le soleil qui monte,<br />
Ses plumes respirant la force et la santé ;<br />
Or, l'on s'attendrait presque à l'entendre chanter,<br />
Mais sa voix est trop sourde, et lui fait un peu honte.<br />
Ça chante dans son coeur, et c'est bien ce qui compte,<br />
Il sourit en chantant, dans les lieux fréquentés<br />
Qu'il peut, les yeux fermés, atteindre et arpenter,<br />
Connaissant la plupart des écueils qu'il affronte.<br />
Mais que dit sa chanson, quelqu'un peutil l'entendre ?<br />
Décritelle ce monde avec des phrases tendres,<br />
De plaisantes notions, des <strong>mots</strong> pleins de douceur ?<br />
Je crois plutôt qu'il dit l'ombrage qui perdure<br />
Aux jours de grand beau temps, combien la vie est dure<br />
Et que nous pardonnons, malgré tout, sa noirceur.
Travellers<br />
Guillaume a rencontré les Irlandais nomades ;<br />
Son petit livre rouge en donne le récit.<br />
J'écris ces quelques vers pour lui dire merci<br />
De m'avoir entraîné dans cette promenade.<br />
Que de choses j'apprends sur la rude peuplade<br />
Que forment ces humains tendres et endurcis !<br />
Si leur pain quotidien de misère est noirci,<br />
Nul mieux qu'eux n'apprécie un temps de rigolade.<br />
Eux pour qui le séjour n'est jamais marchandise,<br />
Eux qui goûtent la vie comme une friandise,<br />
Ils fondent leur sagesse en leur précarité ;<br />
Négligeant du progrès les vertus dérisoires,<br />
Sur la terre d'Irlande ils vivent leur histoire,<br />
Merci encore à toi de nous la raconter.<br />
Le lévrier et le tatou<br />
Compère lévrier, camarade tatou,<br />
De quelle vérité portezvous témoignage ?<br />
L'un de vous est fort vif, tel est son apanage,<br />
Mais l'autre a sûrement d'aussi puissants atouts.<br />
Vous étiez l'autre jour, du côté de Chatou,<br />
Sur un bel hippodrome aux élégants virages.<br />
Lévrier, je t'ai vu explorer les parages,<br />
Allant jusqu'à flairer la piste d'un matou.<br />
Jacques PerrySalkow, tout en vous observant,<br />
<strong>Les</strong> lettres de vos noms s'en allait permutant ;<br />
C'est un hobby auquel, souvent, il s'évertue.<br />
«Le lévrier», ditil, et «le tatou», ces <strong>mots</strong><br />
Vont pouvoir engendrer deux autres animaux<br />
Que nous connaissons bien : le lièvre et la tortue.
Sans morale<br />
Un poète voudrait savoir pourquoi mes fables<br />
Sans morale ont paru chez de bons éditeurs.<br />
Princesse, me voistu en moralisateur ?<br />
Ça ne m'arrive point, ni quand je suis à table,<br />
Ni dans mon lit douillet ; morales redoutables,<br />
Je suis depuis toujours votre humble débiteur,<br />
Je connais ce domaine, en tant que visiteur,<br />
Je n'y puis séjourner de façon sûre et stable.<br />
La fable, sous ma plume, est tout juste une histoire.<br />
J'en propose à ce jour un faible répertoire,<br />
Moins que d'arbres au clos d'un pauvre jardinier.<br />
Lecteurs, si vous voulez que mes animaux vivent<br />
Des récits où le mal reçoit punition vive,<br />
Rien n'empêche qu'ainsi vous les imaginiez.<br />
Le lièvre au pays des limaces<br />
Alice parcourant le Pays des Merveilles<br />
En subtilise un M et Malice devient ;<br />
« Erveilles » perd son S et Malice l'obtient,<br />
Malices par milliers, comme un essaim d'abeilles<br />
Emplissent le pays de rumeur nonpareille ;<br />
Dans le feu de l'action, un incident survient,<br />
De Malices le nom a changé son maintien,<br />
Limaces maintenant avec le jour s'éveillent.<br />
Jacques PerrySalkow parle au reste des lettres,<br />
Leur posant la question : "Et vous, qu'allezvous être ?<br />
Dans « erveille », quel mot, quel nom seratil lu ?"<br />
« Le lièvre » sont les <strong>mots</strong> qu'avec « erveille » on trace ;<br />
On obtient donc « Le lièvre au pays des limaces »,<br />
La morale en est que... ma foi, je ne sais plus.
Résurrection quotidienne<br />
« Chaque jour est le jour de ma résurrection »,<br />
Disait un vieil ermite auprès d'une fontaine.<br />
Dans cet âge où la vie peut sembler une peine,<br />
Il conservait pour elle un semblant de passion.<br />
Il en explorait la lyrique dimension,<br />
Il en voyait venir la conclusion sereine.<br />
Jeune, la poésie lui servant de marraine,<br />
Il avait accompli de belles excursions ;<br />
Vieux, il les retraçait au fil d'un parchemin,<br />
Croyant ainsi revoir les avenants chemins<br />
Qui avaient accueilli son printemps sans nuages.<br />
Le ciel à l'horizon peut nous sembler obscur :<br />
Point ne sert de poser dessus un regard dur,<br />
Marchons sans nous presser, poursuivons ce voyage.<br />
Jardinage<br />
Que savent nos jardins de l'éclosion des roses ?<br />
Le printemps les atteint sans qu'ils soient plus savants.<br />
Ils n'ont rien retenu des beaux printemps d'avant,<br />
Et même s'ils en ont gardé deux ou trois choses,<br />
Ils ne les gèrent pas, le hasard les dispose,<br />
L'herbe invasive obtient le point, le plus souvent,<br />
Mais peu m'importe, à moi qui jardine en rêvant :<br />
Je veux deux ou trois fleurs, pas une apothéose.<br />
C'est donc sereinement que je donne à la terre<br />
Mes efforts maladroits, mon labeur éphémère :<br />
L'ombrage que j'obtiens en est le juste prix.<br />
D'autres vont parvenir à vendre leurs légumes,<br />
Et les plus ambitieux produiront des agrumes ;<br />
Moi, la fleur non voulue qui parfois me sourit.
Scrutin<br />
Nicolas, qui de France es le plus fier emblème,<br />
Il convient de chanter, en ce jour, ta grandeur.<br />
Ces nombreux ennemis dont tu es pourfendeur<br />
Ont vu que le futur va leur poser problème.<br />
Le nom que tu reçus au jour de ton baptême<br />
A pour lui l'équité, la joie et la splendeur.<br />
Si d'un honneur, demain, tu étais demandeur,<br />
Pour sûr, on t'offrirait cette gloire suprême.<br />
Et qui d'autre que toi fut un bon président?<br />
Rien ne remplacera ton charisme évident;<br />
D'ailleurs, c'est confirmé aux lieux académiques:<br />
A nul moment n'est vu que tu vas au placard,<br />
Ni qu'on t'emportera, couché sur un brancard;<br />
Tout au plus diraton «C'est un K.O. technique».<br />
Poésie quotidienne<br />
<strong>Les</strong> forums offrent plus qu'une sollicitude,<br />
J'appellerai cela de la fraternité :<br />
Nos vers ne sont point pour la longue éternité,<br />
Mais pour qui vient flâner ici, par habitude<br />
Ou pour agrémenter un temps de solitude.<br />
Ce que nous écrivons, sans l'avoir médité<br />
Ni l'avoir censuré avec sévérité,<br />
N'est point fait pour planer aux grandes altitudes ;<br />
Au rythme des saisons, dans nos modestes rimes,<br />
Nous déversons nos joies et nos tourments intimes,<br />
L'ennui de nos bureaux, la paix des potagers...<br />
J'admets que ce trésor est fait d'objets modestes,<br />
Tel, à ma pauvre table, un repas fait de restes ;<br />
Tout est dans la façon dont il est partagé.
Deuxième tour<br />
Nicolas voit fumer la fin de sa chandelle.<br />
Il voit ses électeurs, au loin, se défilant.<br />
Ceux qui, de sa grandeur, allaient s'émerveillant<br />
Ont eu le temps, déjà, de se faire la belle.<br />
Lorqu'un observateur transmet cette nouvelle,<br />
Apostrophant le peuple àdemi sommeillant,<br />
Soudain tu peux les voir, partout, se réveillant;<br />
Perdition, disentils, n'est donc pas éternelle !<br />
Et la nouvelle va, tout au long des réseaux,<br />
Rompre le dur labeur ou le pesant repos<br />
De ceux qui ont parié des dollars, des roupies<br />
Ainsi que des euros sur ce qui vient soudain!<br />
Nous te célèbrerons, à partir de demain,<br />
Toi qu'en ce beau printemps le peuple remercie.<br />
Hommage à Robert le Diable<br />
C'est la rose de marbre, en haut d'un piédestal,<br />
Qui ruisselait d'un flot de lumière funeste.<br />
C'est la rose de verre, en un prisme céleste,<br />
Qui déployait son coeur plus froid que le cristal.<br />
La rose de charbon, comme un oiseau fatal,<br />
Devenait fleur de braise à la lueur modeste.<br />
La rose de papier, ornée d'un palimpseste,<br />
Souffrait sans désespoir l'assaut du vent brutal.<br />
La rose nuageuse, en planant sur la ville,<br />
Parlait, dans le malheur et la guerre civile,<br />
À la rose de bois portant les condamnés.<br />
Or, la rose de fer, battue pendant des lustres,<br />
Rendait admiratifs les nobles et les rustres ;<br />
Fleurs qu'un joli talon s'amuse à piétiner.
Derniers instants<br />
Le soleil, sur sa fin, ne peut qu'être fugace,<br />
Sa lumière pâlit, rougit et s'obscurcit.<br />
Sous le ciel qui déjà se rapproche et noircit,<br />
Il écoute, rêveur, le bruit du temps qui passe.<br />
La grêle abat les fleurs et la brise les chasse,<br />
Et, de notre existence, il doit en être ainsi :<br />
<strong>Les</strong> <strong>mots</strong>, sous le clavier, deviennent indécis<br />
Et forment d'autres <strong>mots</strong> sous les doigts qui se glacent.<br />
Quel être que le nôtre, illusion du néant,<br />
Et faible d'autant plus qu'il se pense géant;<br />
Ne soyons point surpris que douleur lui advienne.<br />
Le soleil, sur sa fin, pourtant, reste un soleil,<br />
Gardant le souvenir, dans sa nuit sans éveil,<br />
D'un semblant de douceur du passé, qui fut sienne.<br />
Le château de PiafTonnerre<br />
PiafTonnerre a construit un château en Espagne,<br />
Suspendu dans les airs comme un nuage gris.<br />
Il n'a pas précisé comment il s'y est pris ;<br />
Estil allé quérir en Grande Garabagne<br />
De la pierre volante, ou peutêtre, en Bretagne ?<br />
De l'ombre du château, le sol est assombri.<br />
<strong>Les</strong> seigneurs espagnols, modérément surpris,<br />
Disent qu'il ne faut point en faire une montagne.<br />
Or, quand le roi l'apprend, ça devient autre chose,<br />
L'auguste souverain voudrait savoir qui ose<br />
Arborer dans les cieux un pavillon vantard.<br />
Sa majesté s'apprête à tancer PiafTonnerre,<br />
Mais le château, poussé par un vent débonnaire,<br />
Est allé s'amarrer au roc de Gibraltar.
Le pain, le vin et le pardon<br />
Le fils du charpentier, qui partageait son pain,<br />
N'a entrepris aucune opération magique<br />
En disant «C'est mon corps». Par cette rhétorique,<br />
Il a juste voulu consoler ses copains.<br />
En disant «C'est mon sang» sur la coupe de vin,<br />
Il n'a fait qu'exalter la boisson bénéfique,<br />
Capable d'adoucir sa condition tragique.<br />
D'autre sens làdedans, tu chercherais en vain.<br />
Qu'en estil de sa voix qui veut que l'on pardonne<br />
À tous les offenseurs ? Estce qu'il nous ordonne<br />
De faire comme si s'éteignait la douleur ?<br />
Avant tout, le Sauveur nous préfère hommes libres.<br />
De notre sentiment, éprouvons chaque fibre :<br />
Puis, pardonnons, ou non, mais selon notre coeur.