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LES MISSIONS D'ADRIEN D'EPINAY

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SOCIETE DE L'HISTOIRE DE L'ILE MAURICE<br />

Auguste Toussaint, B.A.,<br />

Lauréat de l'institut<br />

<strong>LES</strong> <strong>MISSIONS</strong> <strong>D'ADRIEN</strong> <strong>D'EPINAY</strong><br />

(1830-1834)<br />

Port-Louis, Ile Maurice<br />

The General Printing & Stationery CY. Ltd<br />

T. Esclapon, Administrateur<br />

1946


connue.<br />

PREFACE<br />

L'histoire des événements qui précédèrent l'abolition de l'esclavage à l'île Maurice est assez mal<br />

Les trois principaux ouvrages qui y ont trait, les Ephémérides Mauriciennes de Barthèlemy<br />

Huet de Froberville, les Souvenirs d'un vieux colon d'André Maure et les Esquisses Historiques<br />

d'Albert Pitot, n'en donnent qu'une idée très imparfaite.<br />

Le premier de ces ouvrages est un journal tenu de 1827 à 1834 par un vieux gentilhomme<br />

établi à l'île Maurice depuis 1778. Comme il ne fut pas mêlé directement aux événements qu'il<br />

raconte, son témoignage est assez objectif, mais ses notes, quoique rédigées avec beaucoup de finesse<br />

et de concision, ne donnent qu'un aperçu très fragmentaire de ces événements.<br />

Le second ouvrage, celui de Maure, est une autobiographie rédigée par un homme qui joua<br />

un des principaux rôles durant la période en question. Son témoignage ne peut, par conséquent, être<br />

accepté d'emblée. Il s'est, en outre, laissé trop souvent égarer, au cours de son récit, par des motifs<br />

personnels.<br />

Le troisième, qui est une histoire circonstanciée de l'île Maurice de 1810 à 1833, est loin de<br />

posséder les qualités qu'on doit attendre d'une œuvre historique. Pitot avait un faible pour l'anecdote<br />

qui nuit à la clarté de son récit. Son exposé de la question de l'esclavage porte également la marque<br />

d'un certain parti-pris et, de plus, manque d'humanité. Notons encore que son ouvrage s'arrête en<br />

1833, à la fin de l'administration de Sir Charles Colville.<br />

Quant aux missions d'Adrien d'Epinay à Londres, qui furent le grand événement de cette<br />

période, elles n'ont été étudiées jusqu'ici que très imparfaitement dans les Souvenirs d'Adrien<br />

d'Epinay, publiés en 1901 par son fils, le sculpteur Prosper d'Epinay 1 .<br />

Seuls les faits qui ont trait à la seconde mission y sont relatés, et encore pour les deux<br />

premiers mois seulement. L'auteur s'est, en outre, surtout attaché à montrer que, sans les efforts de son<br />

père, les colons de l'île Maurice eussent été frustrés de leur part d'indemnité, qui se monta à deux<br />

millions de livres sterling.<br />

1<br />

En 1909 Prosper d'Epinay publia également dans une revue mauricienne une courte étude sur les missions de<br />

son père sous le titre de Notes et documents relatifs aux deux missions d'Adrien d'Epinay à Londres. (Mauritiana. II, Nos<br />

26, 33 et 39).<br />

II


Si le rôle d'Adrien d'Epinay s'était borné à cela, il ne mériterait guère qu'on s'intéresse encore<br />

à lui aujourd'hui, d'autant moins que cette fameuse indemnité, alors tant désirée, ne fut peut-être pas,<br />

après tout, pour l'île Maurice un si grand bienfait.<br />

Mais ce n'est point là en quoi consista principalement son rôle, et ce serait presque faire<br />

injure, à sa mémoire que de ne voir en lui que l'homme aux deux millions de livres.<br />

Ce à quoi il visait était quelque chose de beaucoup plus noble et de beaucoup plus grand:<br />

c'était de rendre à son pays une âme, une âme qu'il avait possédée jadis, qui n'était pas encore tout à<br />

fait morte et sans laquelle ce pays ne pourrait jamais plus accomplir rien de grand.<br />

Il est fâcheux que son propre fils, qui, pourtant, l'aima comme jamais fils aima son père, ait<br />

méconnu, ou, plus exactement, n'ait pas su mettre en valeur cet aspect essentiel de son œuvre que nul<br />

ne pouvait connaître mieux que lui qui passa toute sa vie à recueillir sur cette période de l'histoire de<br />

l'île Maurice une documentation de premier ordre.<br />

Son métier de sculpteur ne lui laissa pas le temps de tirer de cette documentation le livre qu'il<br />

fallait écrire. D'autre part, ayant perdu contact avec son île natale, qu'il avait quittée tout jeune, il<br />

semble avoir craint qu'un tel ouvrage n'intéressât que bien peu de Mauriciens. « Publier la seule<br />

correspondance politique de mon père avec le Comité « Colonial, écrit-il dans la préface des<br />

Souvenirs, me parut une lecture «bien sévère, même pour des fils d'anciens colons. »<br />

C'était, croyons-nous, se méprendre grandement sur le compte de ses compatriotes. Au<br />

moment où parurent les Souvenirs, en effet, l'île Maurice était en proie à une véritable fièvre politique<br />

et les questions constitutionnelles y étaient à l'ordre du jour. Jamais, depuis le temps où son père en<br />

avait fait le thème principal de ses revendications, ces questions n'avaient connu à Maurice une telle<br />

actualité. Loin, donc, d'accueillir avec indifférence la publication de la correspondance politique<br />

d'Adrien d'Epinay, les habitants de cette île y eussent probablement pris, au contraire, un grand intérêt.<br />

Aujourd'hui qu'ils voient se préparer de nouveaux changements dans leur constitution nous<br />

ne doutons pas qu'ils fassent à cette publication l'accueil qu'elle mérite.<br />

Nous devons, toutefois, faire ressortir que ces changements n'ont pas été l'occasion du présent<br />

recueil, lequel était prêt pour l'impression depuis longtemps déjà et aurait paru dès 1939, à l'occasion<br />

du centenaire de la mort d'Adrien d'Epinay, si les difficultés causées par la guerre n'étaient venues y<br />

mettre obstacle.<br />

Pour ceux qui pourraient être tentés de chercher dans ce travail, qui n'a d'autre but que de<br />

faire la lumière sur des événements vieux d'un siècle et mal connus jusqu'ici, un aliment pour les<br />

controverses du temps présent nous devons également rappeler cette remarque de l'historien anglais<br />

Pollard : « Nous devons utiliser l'histoire pour éclairer notre politique, mais nous ne devons pas laisser<br />

notre politique contaminer l'histoire. »<br />

III


Il nous reste, maintenant, quelques mots à dire au sujet des sources du présent recueil. Les<br />

documents qu'on va lire proviennent de la collection réunie par Prosper d'Epinay, qui fut acquise,<br />

après sa mort, par la Bibliothèque Carnegie de la ville de Curepipe.<br />

Les lettres originales échangées par Adrien d'Epinay avec le Comité Colonial de Maurice et le<br />

Bureau Colonial de Londres n'y figurent pas, malheureusement, et nous ne savons ce qu'elles sont<br />

devenues. Ce que nous publions n'en sont que des copies contenues dans deux volumes de la collection<br />

portant les cotes 8.6.10 et 8.6.11.<br />

L'état de ces copies semble indiquer que Prosper d'Epinay les destinait à la publication. Elles<br />

portent également de nombreuses annotations au crayon de sa main, ce qui indique qu'il avait aussi<br />

l'intention de les commenter. Comme ces annotations ne sont qu'un premier jet, nous n'avons pas cru<br />

devoir les publier. Nous ne les avons pas utilisées non plus pour nos propres commentaires.<br />

Les copies elles-mêmes ne sont pas de la main de Prosper d'Epinay. Elles furent faites, sans<br />

doute, par un secrétaire qui, malheureusement, ne semble pas avoir pris la peine de les collationner<br />

convenablement aux originaux. Elles contiennent quelques petites défectuosités, de ponctuation surtout,<br />

que nous avons corrigées de notre mieux.<br />

Elles ont aussi une particularité que, délibérément, nous n'avons pas respectée. Un grand<br />

nombre de phrases et de mots y sont soulignés afin de frapper le lecteur d'une manière toute particulière.<br />

Nous doutons fort que les originaux présentent la même particularité qui nous parait plutôt être un<br />

artifice de Prosper d'Epinay. On notera qu'il l'a également employé pour les extraits qu'il a publiés dans<br />

les Souvenirs. Comme cet artifice constitue un apport étranger, nous n'en avons pas tenu compte. Le<br />

lecteur notera bien lui-même les passages importants sans qu'on ait besoin de les lui indiquer.<br />

La correspondance ayant trait à la première mission est entièrement inédite, à l'exception du<br />

numéro 15 qui a été déjà publié par Prosper d'Epinay dans une revue mauricienne 2 . Pour la seconde<br />

mission les numéros 10, 13, 14, 15 et 17 ont été publiés en partie par Prosper d'Epinay dans les<br />

Souvenirs et les numéros 1, 2, 3, 4, 5, 8,9,14, 15, 21, 22, 27, 35, 37, 40, 45, 46 et 47, soit 18 pièces sur<br />

49, ont été publiés par Adrien d'Epinay lui-même dans les appendices qui accompagnent sa Réponse à<br />

un avis du gouvernement dont il fait mention dans notre Introduction; le reste est inédit.<br />

Les appendices, établis d'après des copies que Prosper d'Epinay fit faire au Record Office, sont<br />

tous inédits. Les références aux pièces du fonds d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie sont indiquées<br />

dans chaque cas.<br />

2 Mauritiana, II, No.39.<br />

A. TOUSSAINT.<br />

IV


INTRODUCTION<br />

________<br />

La bonne cause en politique n'est pas toujours la meilleure.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Adrien d'Epinay était le rejeton d'une vieille famille bretonne dont le nom fut mêlé à la vie<br />

coloniale dès le XVIIe siècle. En 1666 un Jean d'Epinay fut nommé Procureur-Général des Indes et<br />

adjoint au Marquis de Montdevergue, amiral et gouverneur général de la France Orientale, que Louis<br />

XIV envoya en mission dans l'Océan Indien à cette date. Son fils, Nicolas Jean, après s'être distingué à<br />

Madagascar sous les ordres du capitaine Kercadiou, le suivit aux Indes avec l'amiral de la Haye, en<br />

1671, et s'y maria avec une demoiselle de Castro. II devint plus tard conseiller à Surate.<br />

L'un des petits-fils de ce dernier nommé Antoine Jean, né en 1747 et marié en premières noces<br />

à Mlle de la Croix (1778), se rendit en 1786 à l'Ile de France où il décida de se fixer après la mort de sa<br />

femme, survenue deux ans après à Paris, où il l'avait laissée. En 1789 il épousa dans cette colonie Mlle<br />

Marthe Blanc, née à St Jean d'Acre, en Syrie, du mariage de M. Blanc, consul français dans cette ville,<br />

avec une Grecque de l'Ile de Chypre. M Blanc était venu lui-même se fixer à l'Ile de France peu de<br />

temps auparavant.<br />

De son premier mariage Antoine Jean d'Epinay eut deux enfants: un fils, Prosper, qui devint<br />

plus tard Procureur Général à Maurice, et une fille, Flore, qui épousa M. Junot Desfontaines. De son<br />

second mariage il eut six enfants: cinq filles et un garçon, Adrien.<br />

Avocat de talent, Antoine Jean d'Epinay ne tarda pas à occuper une place en vue à l'Ile de<br />

France. Dès 1788 il se fit remarquer dans une assemblée de colons réunis pour réclamer à la métropole<br />

la liberté de commerce. Sous la Révolution il fut nommé membre de l'Assemblée Coloniale et prit une<br />

part active à ses délibérations. Pendant le gouvernement du général Decaen (1803-1810) il semble s'être<br />

retiré de la vie publique pour se consacrer à l'exploitation de sa belle propriété de Bagatelle, située dans<br />

le quartier de Moka.<br />

C'est là que naquit Adrien, le 6 janvier 1794. Son enfance fut partagée entre les excursions<br />

champêtres aux environs riants de Bagatelle et les leçons de son grand père maternel qui fut son<br />

premier précepteur. Lorsqu’il fut en âge de commencer sérieusement ses études il dut quitter Bagatelle<br />

pour aller, avec d'autres enfants de famille riches, apprendre les éléments de la grammaire et de<br />

l'histoire au Grand Port, chez l'abbé Charlot, car il n'existait encore, à ce moment, dans la colonie que<br />

des maisons d'éducation privées.<br />

V


En 1799 fut créée une école centrale qui prit, en 1803, le nom de Lycée de l'Ile de France et de<br />

la Réunion, mais le Collège Colonial, qui devait, sous l’administration anglaise, devenir le Collège<br />

Royal, ne fut construit qu'en 1806. C'est vers cette époque qu'Adrien d'Epinay y fut envoyé pour y<br />

suivre des cours d'enseignement supérieur. Il y terminait ses études lorsque les Anglais attaquèrent la<br />

colonie, le 2 décembre 1810.<br />

Après la conquête il fut retiré du Collège Colonial et alla continuer ses études chez son frère<br />

aîné Prosper, qui, plus heureux que lui, avait pu faire son droit en France. L'état de guerre constant qui<br />

régnait entre la France et l'Angleterre à la fin du XVIII siècle et au début du XIXe faisait craindre alors<br />

aux colons d'envoyer leurs enfants en Europe. C'est sans doute pour cette raison que les parents<br />

d'Adrien d'Epinay hésitèrent à l'expédier. Ils avaient d'ailleurs de bonnes raisons de s'inquiéter des<br />

dangers qu'il aurait pu courir. Prosper, en effet, lorsqu'il se rendit à l'Ile de France, après avoir terminé<br />

ses études en France, tomba en route, avec sa sœur qui l'accompagnait, aux mains des Anglais. Les<br />

deux jeunes gens furent emmenés sur les pontons de Portsmouth et ce n'est qu'après une assez longue<br />

captivité qu'ils furent remis en liberté par l'entremise du général Galloway, qui avait connu leur père.<br />

Cependant, quoiqu'il n'eût pas joui des bienfaits d'une formation universitaire. Adrien d'Epinay<br />

sut mettre à profit les leçons de son demi-frère. Ce dernier, plus âgé que lui de quatorze ans, eut sur le<br />

futur grand homme une bonne et durable influence. Avocat par excellence, il inculqua à Adrien<br />

d'Epinay les minuties de la science juridique et les formes de l'art oratoire qui devaient faire de lui un<br />

des maîtres du barreau mauricien, et cette haute conception qu'il avait lui-même de la profession<br />

d'avocat.<br />

D'autre part, appelé par la mort de leur père, survenue en 1811, à remplir le rôle de chef de<br />

famille, Prosper d'Epinay eut également charge de la formation du caractère de son cadet. Calme, froid<br />

et réservé- le seul homme raisonnable de la colonie disait de lui Sir Lowry Cole 3 en 1832 - le « grand<br />

frère » offrait un contraste frappant avec la nature exubérante qu'Adrien tenait de sa mère. Au contact de<br />

cette maîtrise de soi le jeune créole perdit beaucoup de sa fougue. Mais s'il devait plus tard faire preuve,<br />

en maintes occasions, de plus de pondération que la plupart de ses compatriotes, il n'en conserva pas<br />

moins toute sa vie durant un tempérament généreux et ardent.<br />

Après plusieurs années de travail il fut nommé aux fonctions d'avoué près les tribunaux de l'île<br />

Maurice, le 28 décembre 1816. Autorisé, en cette qualité, à plaider devant les tribunaux de première<br />

instance, il avait, en somme, les attributs de l'avocat sans en posséder le titre, qu'il ne parvint à obtenir<br />

qu'en août 1833, lorsque les circonstances lui permirent de mettre à profit un court séjour à Paris pour<br />

prendre sa licence en droit. Mais il n'avait pas attendu jusque là pour faire preuve de ses talents. Dès<br />

1821, en effet, il se faisait remarquer dans le procès important de l'Industrie où il défendit le capitaine et<br />

un passager de ce vaisseau inculpés de s'être livrés à la traite en contravention des lois et parvint à les<br />

3 Memoirs of Sir Lowry Cole, ed. by Maud. Lowry Cole and Stephen Gwynn, London, 1934 p. 226<br />

VI


tirer des mains du Président de la Cour de Vice-Amirauté, M. George Smith 4 . Ce succès, toutefois, le fit<br />

du même coup mal noter en haut lieu car Smith, récusé par d'Epinay et se voyant en mauvaise posture,<br />

s'était vengé de son adversaire en faisant parvenir contre lui au Secrétaire d'Etat pour les colonies les<br />

plus odieuses calomnies. Il n'en fut pas moins cassé de ses fonctions mais eut la satisfaction de voir le<br />

jeune avoué suspendu, le 26 décembre 1822. Cette suspension devait durer deux ans, mais elle prit fin<br />

bien avant, le 14 novembre 1823, la mort du Président de la Cour de Vice-Amirauté, survenue dans<br />

l'intervalle, ayant contribué à faire étouffer à Londres cette affaire assez compromettante pour la dignité<br />

de la justice anglaise 5 .<br />

L'ancienne Ile de France vivait alors une des périodes les plus pénibles de son histoire. Les<br />

vainqueurs, après avoir solennellement promis que la colonie serait traitée comme les colonies les plus<br />

favorisées de 1'empire britannique, firent bon marché de leurs promesses et soumirent les colons à un<br />

régime de bon plaisir, leur interdirent l'accès aux hauts emplois publics et les privèrent de toute<br />

participation à l'administration de leurs affaires.<br />

Une série de désastres qui affligèrent l'île pendant les dix premières années de l'occupation<br />

anglaise et dont le gouvernement ne sut pas toujours atténuer les conséquences ajouta au<br />

mécontentement et contribua à aigrir les colons contre la nouvelle administration. Quelques<br />

bonapartistes exaltés, qui conservèrent longtemps l'illusion d'un retour de l'Empereur et d'une revanche<br />

sur l'Angleterre, exploitèrent ce mécontentement et s'ingénièrent à creuser le fossé entre l'autorité et la<br />

population. Le gouverneur Farquhar, qui, bien qu'il fût loin d'être un incapable, n'avait pas toutes les<br />

qualités administratives, avait parfois bien du mal à maintenir l'ordre.<br />

Les colons se plaignaient aussi beaucoup à cette époque des droits élevés qui grevaient leurs<br />

sucres à leur entrée en Angleterre alors que ceux de leurs concurrents, les planteurs des West Indies, y<br />

jouissaient d'un tarif préférentiel. D'Epinay, gros propriétaire sucrier qui avait fait beaucoup pour le<br />

développement de l'industrie sucrière dans la colonie, était au nombre de ceux que cette mesure<br />

atteignait le plus. Aussi ne cessa-t-il de protester contre ce tarif. Après bien des difficultés les planteurs<br />

mauriciens parvinrent à intéresser le Parlement britannique à leur cause et le bill pour l'admission des<br />

sucres mauriciens en Angleterre au même taux que ceux des West Indies allait passer lorsque les<br />

représentants de ces colonies s'y opposèrent en faisant ressortir que les Mauriciens jouissaient déjà du<br />

privilège de la liberté de commerce et qu'il serait injuste de les faire bénéficier en même temps d'un tarif<br />

préférentiel. Il fallut opter. A Maurice, dès qu'on sut la nouvelle, les camps se formèrent. Une bonne<br />

partie de la population tenait pour le commerce libre, encore que les avantages en fussent bien précaires.<br />

De vives polémiques s'engagèrent. D'Epinay se lança dans la mêlée et, après une lutte serrée, finit par<br />

4 Voir à son sujet la note 49.<br />

5 Sur cette affaire voir A, Pitot: L'Ile Maurice : Esquisses historiques, 1810-1823, Maurice, 1910, pp. 399- 420.<br />

VII


faire prévaloir son point de vue qui était, d'ailleurs, le plus raisonnable. L'intérêt de la colonie était, en<br />

effet, celui de la classe qui produisait le plus et qui exportait le plus et non celui de la classe qui faisait<br />

les échanges et qui consommait 6 .<br />

Mais le bonheur des planteurs devait être de courte durée. Leurs rivaux des West Indies, jaloux<br />

de la prospérité de l'Ile Maurice où, à la suite du dégrèvement des sucres, l’industrie sucrière fit bientôt<br />

des progrès considérables, mirent: tout en œuvre pour nuire à la colonie. La question de l'esclavage était<br />

alors à l’ordre du jour en Angleterre. Ils s’en servirent 7 .<br />

*<br />

* *<br />

Il convient ici de dire quelques mots sur cette question qui passionna tant jadis l'Angleterre. Au<br />

fait, pourquoi passionna-t-elle l'Angleterre particulièrement? Les historiens anglais eux-mêmes se le<br />

demandent encore. Tout récemment le célèbre Bertrand Russell écrivait à ce propos ceci qui vaut la<br />

peine d'être cité tout au long: « L'attitude anglaise au sujet de l'esclavage est une curiosité<br />

psychologique, puisque ceux-là mêmes qui firent le plus pour son abolition combattirent toute tentative<br />

pour adoucir les horreurs de l'industrialisme anglais. La seule concession que des hommes comme<br />

Wilberforce étaient prêts à accorder au sujet du travail infantile était qu'il fut laissé aux enfants le temps<br />

d'apprendre les vérités de la religion chrétienne les dimanches. Envers les enfants anglais ils se<br />

montraient sans pitié; pour les nègres ils étaient pleins de compassion. Je n'oserai tenter une explication,<br />

car les seules qui me viennent à l'esprit sont intolérablement cyniques. Mais le fait mérite d’être noté<br />

comme un exemple frappant de la complexité du sentiment humain.» 8 .<br />

C'est, en effet, une question bien complexe. Sur le moment, d'ailleurs, il ne manqua pas<br />

d'écrivains pour souligner en termes amers et vibrants l'anomalie qui choque si justement Bertrand<br />

Russeil. Mais, pour étonnante, pour monstrueuse même qu'elle soit, cette anomalie ne doit point faire<br />

méconnaître le très grand mérite de ceux qui luttèrent pour l'abolition de l'esclavage. Certes, on ne<br />

saurait tenir qu'en médiocre estime tel philanthrope qui va prêchant la morale à autrui, alors que<br />

l’injustice règne dans sa propre maison, ou tel philosophe qui « aime » les Tartares pour être dispensé<br />

6 Voir à ce sujet les articles publiés, par A. d'Epinay dans la Gazette de Maurice les 9, 23 et 30 octobre 1824.<br />

7 Ce n'est point là une supposition gratuite, Voir à ce sujet Charles : Some account of the state of slavery in Mauritius since<br />

the British occupation in 1810, Port-Louis, 1830.<br />

8 Bertrand Russell: Freedom and organization, London, 1934, p, 42.<br />

VIII


d'aimer ses voisins.» Mais qu'importent les hommes! Seules les œuvres comptent et l'abolition de<br />

l'esclavage fut une des plus belles dont s'honore l'humanité.<br />

On a encore reproché aux abolitionnistes d'avoir voulu faire trop vite, de n'avoir pas tenu<br />

compte que la liberté, suivant l'expression de Wilberforce lui- même, « est une plante céleste dont il faut<br />

préparer le terrain avant de la cultiver », on leur a reproché de n'avoir pas tenu compte non plus des<br />

intérêts des propriétaires d'esclaves; on les a même accusés d'avoir voulu les ruiner de propos délibéré.<br />

Il y a du vrai dans tout cela, mais, d'autre part, il importe de ne point perdre de vue qu'il était impossible<br />

d'obtenir la libération des esclaves par la douceur et la persuasion 9 . Trop d'intérêts s'y opposaient.<br />

Aucun argument n'eût amené les propriétaires d'esclaves à se dessaissir de plein gré de leurs esclaves ; il<br />

fallait les y contraindre. Si les abolitionnistes avaient employé des moyens moins radicaux l'esclavage<br />

existerait encore aujourd'hui. Voilà ce dont il faut bien se pénétrer avant d'aborder l'étude de cette<br />

question.<br />

Il n'y a, d'ailleurs, qu'à se remémorer les principales étapes de son évolution pour constater<br />

combien la lutte pour l'abolition de l'esclavage fut âpre et longue et quels formidables obstacles les<br />

abolitionnistes eurent à surmonter 10 . Les premiers efforts pour l'abolition de la traite seulement furent<br />

tentés par Granville Sharp en 1772. Le 17 mars 1791 Wilberforce présenta sa première motion contre la<br />

traite. Elle fut rejetée. Le 3 avril 1798 il présenta une nouvelle motion qui fut encore rejetée. Le 27 mai<br />

1802, Canning essaya, à son tour, sans succès de prohiber la traite à la Trinité. Ce ne fut que le 22 mars<br />

1807, c'est à dire trente-cinq ans seulement après la première tentative de Granville Sharp, que le<br />

gouvernement anglais consentit à interdire la traite.<br />

La résistance contre l'émancipation fut encore plus acharnée. En 1789 Wilberforce et Pitt<br />

demandent l'abolition de l'esclavage. En mai 1790 la Chambre des Communes renvoie à plus tard<br />

l'examen de la question. En mai 1791 la motion est rejetée par 163 voix contre 88. En avril 1792 la<br />

Chambre des Communes vote l'abolition graduelle par 238 voix contre 85, mais la Chambre des Lords<br />

rejette le bill. Cependant Wilberforce et ses amis ne perdent pas courage. Aussitôt la traite abolie, ce qui<br />

est un grand point de gagné, ils créent la société l'African Institution pour veiller à ce que la loi soit<br />

strictement observée et à ce que le commerce des esclaves ne se fasse pas clandestinement.<br />

9 Adrien d'Epinay n'était pas de cet avis, comme on le verra par sa lettre à Buxton reproduite dans le présent recueil<br />

(Première mission, No, 39). Il se trompait. La persuasion n’eût réussi que dans très peu de cas.<br />

10 Pour un historique simple et clair de l'abolition de l'esclavage voir le petit ouvrage du Professeur R Coupland : The British<br />

anti-slavery mouvement, London, 1933 (Home University Library). L'auteur, toutefois, semble faire la part trop belle aux antiesclavagistes.<br />

IX


Cette société, tout en étant très active, ne fit pas, cependant, beaucoup parler d'elle jusqu'au<br />

jour où y entra l'homme qui devait réaliser le rêve de Wilberforce et mettre fin à l'esclavage, Thomas<br />

Fowell Buxton. L'année qui suivit son entrée dans la société le vieux leader, alors sur la fin de sa<br />

carrière, le choisit pour continuer son œuvre. En 1823 l'African Institution disparut pour faire place à un<br />

nouveau groupement, l'Anti-Slavery Society ou Société Anti-esclavagiste dont le nom définissait<br />

clairement le programme. Il ne s'agissait plus de contrôler l'observance de la loi sur la traite et de veiller<br />

à ce que les esclaves fussent bien traités, mais de combattre l'esclavage lui-même et de le faire<br />

disparaître 11 .<br />

Prévoyant une vigoureuse résistance et craignant de susciter des révoltes dans les colonies à<br />

esclaves, Buxton hésita longtemps d'abord à réclamer l'émancipation immédiate. Le 15 mai 1823 il se<br />

contenta de demander, non une terminaison rapide de l'esclavage, mais des mesures graduelles en vue<br />

d'arriver à l'abolition. Ce fut une belle et historique séance. Mais la motion de Buxton ne fut pas<br />

acceptée telle quelle, car elle ne tenait pas suffisamment compte des intérêts des propriétaires. Canning<br />

y fit un amendement célèbre que le Parlement ratifia. Cela n'en rendit pas d'ailleurs les dispositions plus<br />

populaires aux propriétaires d'esclaves qui y opposèrent les plus vives protestations. Aux Antilles la<br />

réaction fut si violente qu'on alla jusqu'à parler de secouer le joug de l'Angleterre et de rechercher la<br />

tutelle des Etats-Unis.<br />

Mais Buxton n'abandonna pas la partie. Au contraire, il rédigea aussitôt un nouveau projet qui<br />

consistait à faire émanciper les enfants des esclaves âgés de moins de sept ans, avec indemnité aux<br />

propriétaires. Ces enfants devaient être à la charge du gouvernement qui les ferait élever. A sept ans ils<br />

entreraient en apprentissage chez leurs anciens maîtres et seraient libérés à la fin de leur apprentissage.<br />

Cette proposition fut combattue par Canning, qui se détachait de Buxton, et rejetée par le Parlement en<br />

mai 1824.<br />

Dès 1823 Buxton avait créé également un périodique mensuel, l'Anti-Slavery Reporter, pour<br />

maintenir l'intérêt du public anglais pour la croisade contre l'esclavage.<br />

Avec la création de cet organe l'activité des anti-esclavagistes entra dans sa phase la plus<br />

discutée. Comme il s'agissait, avant tout, d'émouvoir l'Angleterre sur le sort des esclaves afin de créer<br />

un courant d'opinion irrésistible en faveur de l'abolition, ceux qui étaient chargés de la propagande de la<br />

société n'hésitèrent pas à dépeindre les propriétaires d'esclaves sous les plus sombres couleurs. On en fit<br />

de véritables monstres s'ingéniant à plaisir à infliger à leurs esclaves les pires tortures, on proclama que,<br />

leur intérêt étant de faire la traite, ils devaient la faire au mépris de l'interdiction prononcée par le<br />

Parlement.<br />

11 Sur les activités de l'Anti-Slavery Society voir l'ouvrage du Professeur William Law Mathieson : British slavery and its<br />

abolition (1823.-38), London, 1926.<br />

X


Il s'agissait aussi pour les anti-esclavagistes de trouver un terrain d'expérience où ils pussent<br />

tenter un essai d'abolition sans indemnité, car ils n'avaient pas seulement à vaincre l'opposition des<br />

coloniaux, mais aussi celle des contribuables anglais qui ne voulaient pas avoir à indemniser de leur<br />

poche les propriétaires d'esclaves. Or quel meilleur terrain d'expérience pouvaient-ils rêver que l'île<br />

Maurice? 12 Colonie conquise, peuplée d'étrangers, hier encore ennemis de la nation anglaise, c'était, de<br />

toutes les colonies britanniques, celle qui comptait le moins de sympathies en Angleterre. Par ailleurs,<br />

alors que dans les autres colonies britanniques il leur fallait compter avec l'existence d'assemblées<br />

coloniales bien organisées, ici aucune institution de ce genre à redouter Enfin, en s'attaquant aux<br />

Mauriciens ils pouvaient même espérer l'appui des colons des West Indies, trop heureux de détourner<br />

l'attention du public anglais de ce qui se passait chez eux et de contribuer à la perte de rivaux dont la<br />

concurrence sur le marché sucrier devenait de plus en plus inquiétante depuis la décision du Parlement<br />

d'admettre les sucres mauriciens en Angleterre aux mêmes conditions que leurs.<br />

*****<br />

Buxton ouvrit le feu en 1826. Après avoir réuni contre l'île Maurice pendant toute l'année 1825<br />

des témoignages qu'il croyait écrasants, il fit au Parlement, le 9 mai 1826, une violente sortie contre<br />

cette colonie et conclut en déclarant: « Depuis la prise de l'île jusqu'au temps présent l'importation des<br />

esclaves dans cette île a été régulière, systématique et non interrompue.» Cela revenait à dire que tous<br />

les gouverneurs qui s'étaient succédés dans l'île depuis 1810 avaient toléré cette importation. Avant de<br />

terminer Buxton s'en prit d'ailleurs directement au premier d'entre eux, Sir Robert Farquhar, qui siégeait<br />

alors au Parlement depuis le 18 février 1825.<br />

Farquhar répliqua immédiatement. Bien que pris au dépourvu, il n’eut pas de difficulté à faire<br />

crouler l'échafaudage de preuves élevé à grand peine par Buxton et à démontrer que la plupart de ces<br />

preuves émanaient de subalternes et de soldats mécontents qu'il avait eu à punir jadis pendant son<br />

administration. De plus, il produisit une lettre de Sir Robert Barclay adressée à Buxton, avant qu’il ne<br />

prononçât son discours, pour l'avertir qu'il avait été trompé et que depuis longtemps la traite avait cessé<br />

à l'île Maurice lettre dont Buxton n'avait pas voulu tenir compte, son travail étant fait. C'était pourtant<br />

là un témoignage bien puissant. Sir Robert Barclay avait été, en effet, nommé par une commission<br />

spéciale du Roi juge de la cour instituée à Maurice précisement pour juger les délits commis contre la<br />

loi d'abolition. Membre du Parlement à une époque antérieure à son arrivée dans la colonie, il avait<br />

contribué à faire passer cette loi. Il était, en outre, membre de l'Anti- Slavery Society. Enfin il n'avait<br />

aucun intérêt personnel dans la question et, ayant exercé longtemps une sorte de surveillance sur l'état<br />

numérique de la population esclave, il était mieux renseigné que personne quant aux faits de<br />

12 Il est indéniable que les anti-esclavagistes attachaient une importance considérable à ce qu'ils appelaient le "cas Maurice" et<br />

que ce cas fournit un aliment de premier ordre à ce sujet R. Coupland, op.cit ; p.134.<br />

XI


l'accusation qui portaient sur cette base. Les éclaircissements contenus dans sa lettre auraient donc du<br />

suffire pour ramener Buxton à des sentiments plus modérés 13 .<br />

La réplique de Farquhar et la lettre de Sir Robert Barclay firent sensation. Mais le célèbre<br />

Brougham, qui exercait au Parlement une influence prépondérante, vint au secours de Buxton et sauva la<br />

situation par un de ces discours dont il avait le secret. Après un vif débat, qui faillit un moment<br />

dégénérer en bagarre, s'il faut en croire les rapports du temps, le Parlement consentit à voter la<br />

nomination d'un comité parlementaire pour examiner si la traite s'était faite à Maurice 14 .<br />

Dans le courant de la même année 1826 les attaques contre l'île Maurice commencèrent dans la<br />

presse dévouée à l'Anti-Slavery Society. Au début de cette année parut un volumineux pamphlet dont<br />

l'auteur prenait vivement à partie les Mauriciens M. Jacques Mallac répondit aussitôt dans deux articles<br />

parus dans la Gazette de Maurice les 2 et 9 septembre 1826. Quelque temps après le New Times, de<br />

Londres, annonçait qu'un navire de guerre anglais, l'Owen Glendower, commandé par le commodore<br />

Christian, avait capturé plusieurs navires négriers dans les parages de Maurice. Le 14 juillet 1827<br />

Adrien d'Epinay, qui en avait eu connaissance, adressa les deux extraits du New Times au rédacteur de la<br />

Gazette de Maurice et pria en même temps le commodore Christian, qui se trouvait alors heureusement<br />

au Port-Louis, de réfuter lui-même l'allégation qu'ils contenaient. La réponse du commodore, qui parut<br />

le 21 juillet, fut un démenti formel. D'Epinay ne s'en tint pas là. Le 13 octobre suivant il publiait dans la<br />

Gazette de Maurice un important article intitulé De la colonie et destiné à « détruire dans l'esprit « de<br />

tout loyal Breton les fausses impressions qu'on pourrait lui donner sur l'ensemble du caractère de<br />

Maurice.»<br />

Mais ces réfutations, publiées en français dans un journal local, n'étaient guère répandues en<br />

Angleterre et ne suffisaient pas pour confondre les accusations de l'Anti-Slavery Society devant le public<br />

anglais. Il fallait trouver en Angleterre même un homme en vue capable de défendre énergiquement la<br />

colonie. Farquhar, qui se trouvait lui-même en butte aux attaques de la Société Anti-esclavagiste, était<br />

tout indiqué sans qu'on puisse dire exactement qui des deux la sollicita le premier, il se forma donc entre<br />

l'ex-gouverneur et le leader mauricien une étroite alliance contre l'ennemi commun.<br />

Il était également indispensable d'organiser solidement l'opposition aux menées des antiesclavagistes.<br />

Ne pouvant se manifester dans une assemblée publique ni par voie de journaux, la liberté<br />

de la presse n'existant pas encore et la colonie ne possédant qu'une seule feuille officielle, soumise à une<br />

censure sévère, cette opposition se constitua tout naturellement en petit comité. La loge maçonnique de<br />

la Triple Espérance, créée depuis 1778 et qui comptait alors l'élite de la colonie, était et resta pendant<br />

13 Voir à ce sujet les documents contenus dans le dossier 8.6.6 du fonds d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe.<br />

14<br />

Ce comité, présidé par Buxton lui-même, siégea du 13 au 23 mai 1826 et interrogea six témoins, dont, Farquhar, mais ne<br />

semble pas avoir publié de rapport. Le 31 mai les dépositions seulement furent soumises au Parlement qui les fit, imprimer<br />

en 1827 sous le titre de: Minutes of evidence taken before the select committee on the Mauritius slave trade.<br />

XII


longtemps un centre d'activité politique. Il existait aussi depuis 1803 une société littéraire, la Table<br />

Ovale, qui, depuis la conquête, s'occupait beaucoup plus de politique que de littérature. Sur l'instigation<br />

d'Adrien d'Epinay, elle fut dissoute et remplacée par un groupement d'où la muse était cette fois<br />

complètement exclue. Ce groupement, formé avec l'assentiment du gouverneur, à qui toutes ses<br />

délibérations devaient être soumises, avait pour objet de travailler « à concilier les vues du<br />

Gouvernement de Sa Majesté avec les intérêts de la colonie. » En fait, c'était un véritable parlement au<br />

petit pied qui exerça une influence prépondérante lors des événements qui s'ensuivirent. Il prit le nom<br />

de Comité Colonial et siégea pour la première fois le 25 janvier 1827.<br />

Le 16 mai 1827 Farquhar, dûment renseigné par d'Epinay sur tout ce qui se passait à Maurice, prit<br />

à son tour l'offensive et, après avoir anéanti les soi-disant preuves de Buxton, il le défia en plein<br />

Parlement de· prouver qu'il y avait eu des cas de traite à Maurice depuis 1820, à l'exception de celui du<br />

Courrier survenu en 1821. La réponse de Buxton fut faible. Il maintint ses accusations, se borna à faire<br />

ressortir qu'aucun individu inculpé de commerce des esclaves n'avait été condamné pendant le<br />

gouvernement de Farquhar et annonça qu'il reviendra, sur la question 15 . En mai il tomba assez<br />

gravement malade 16 . Jusqu'en février 1830 il ne se sentit pas en assez bonne santé pour relever le défi de<br />

Farquhar. Vers la fin de la session de 1829 ce dernier l'ayant de nouveau relancé il se fit excuser par un<br />

certificat de médecin. Au début de l'année 1830 Farquhar tomba malade, à son tour, et, le 10 mars, il<br />

expirait. Débarrassé d'un adversaire redoutable, Buxton pouvait, dès lors, reprendre en toute sécurité ses<br />

attaques contre l'île Maurice.<br />

Entretemps de nouveaux développements s'étaient produits. En octobre 1826 était arrivée à<br />

Maurice une commission chargée d'enquêter sur les colonies. Après une investigation qui dura près de<br />

deux ans mais fut menée avec la plus grande partialité, la commission conclut que, sur les 56,000<br />

esclaves environ que comptait alors la colonie il en avait été importé une très forte proportion et<br />

recommanda d'en libérer 20,000 ou 30,000 17 . C'était pour Buxton une magnifique aubaine. Aussi<br />

s'empressa-t-il de réclamer du Secrétaire d'Etat pour les colonies que tous les esclaves illégalement<br />

introduits, selon les commissaires enquêteurs, fussent immédiatement libérés. Mais il s'élevait une<br />

difficulté. Comme le nombre des esclaves nouveaux était très considérable, il était presque impossible<br />

de les distinguer de ceux qui avaient été introduits illégalement dans l'île avant 1810, sous le<br />

gouvernement français, et de 1810 à 1814. Le Secrétaire d'Etat, Sir George Murray, anti-esclavagiste<br />

15 Voir dossier: 8.6 6, déjà cité, dans le fonds, d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe.<br />

16 D'après Coupland (Op. cit, p 134) cette maladie était due au labeur épuisant qu'il avait fourni pour exposer au Parlement<br />

les horreurs du " cas Maurice. " Cela montre assez l'importance qu'il attachait à ce cas.<br />

17 Report of the Commissioners of Inquiry upon the slave trade of Mauritius, dated 12th. March 1828. Ce rapport, qui<br />

comprend 45 pages, fut imprimé en 1829.<br />

XIII


lui-même, ne s'arrêta pas à cette difficulté. Inspiré par Buxton, il déclara qu'il préférait que tous les<br />

esclaves de Maurice fussent libérés, qu'ils eussent été légalement ou illégalement importés, plutôt que de<br />

savoir des hommes libres retenus en esclavage. Le maître ne pourrait garder son esclave que s'il pouvait<br />

prouver qu'il était sa propriété légitime, comme ayant été légalement introduit. Or il suffisait du<br />

témoignage de deux autres esclaves pour qu'un esclave fût déclaré illégalement introduit.<br />

Le hasard fit que Prosper d'Epinay, parti de Maurice en congé, le 29 mars 1829, se trouvait à ce<br />

moment à Londres. Le 4 mai 1830 il adressa à Sir George Murray un mémoire pour protester contre le<br />

rapport de la commission d'enquête et contre la décision que le Secrétaire d'Etat se préparait à<br />

communiquer au gouverneur de Maurice 18 .<br />

Le 7 mai il écrivit également à M. Stanley, le futur Secrétaire d'Etat pour les colonies et le futur<br />

et célèbre Lord Derby, pour lui demander de défendre l'île Maurice au Parlement Stanley se récusa pour<br />

des raisons particulières, mais conseilla à d'Epinay de s'adresser à M. John Irving, membre du Parlement<br />

et gros négociant de la Cité. Le 14 mai Sir George Murray, qui n'avait pas pris connaissance du mémoire<br />

de d'Epinay, renouvelait au Parlement les accusations portées naguère contre l'île Maurice par Buxton et<br />

avançait que l'augmentation de l'exportation du sucre, dans cette colonie, provenait de l'introduction<br />

illégale des esclaves. Le lendemain Prosper d'Epinay courait chez Irving, qui avait accepté de défendre<br />

l'île Maurice, et le pressait d'aller trouver le Secrétaire d'Etat et, au besoin, de l'interpeller afin de lui<br />

prouver qu'il n'avait pas connaissance des nombreuses dépêches des gouverneurs de la colonie 19 et du<br />

récent mémoire qui lui avait été adressé sur la question. Irving se rendit au Ministère et, le 17 mai, Sir<br />

George Murray, éclairé par ses déclarations, se rétracta au Parlement, reconnaissant que depuis 1821 il<br />

n'y avait pas eu un seul esclave introduit à Maurice et que le développement de l'industrie sucrière y<br />

était uniquement la conséquence de l'encouragement accordé à la culture de la canne par la loi de<br />

1825 20 . Le plan de Buxton était déjoué.<br />

*****<br />

18<br />

P. d'Epinay’s remarks with reference to proposed disposal of slaves by the Commissioners of inquiry to Sir Gilbert<br />

Murray. Ce document se trouve au Record Office (Mauritius 1830, vol. 152). Voir aussi dossier 8.6.7 dans le fonds d'Epinay<br />

de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe.<br />

19<br />

Notamment celle de Sir Lowry Cole en date du 4 septembre 1826 où ce gouverneur écrivait: « Chaque jour augmente ma<br />

conviction que non seulement la traite a pris fin ici mais que les habitants sont de plus en plus disposés à rencontrer les vues<br />

du gouvernement, tant en ce qui concerne la traite « elle -même qu’en ce qui a trait au traitement de la population esclave:"<br />

(Correspondence respecting the slave trade received from the governor of the Mauritius, 1827, p. 27, No 9.)<br />

20 Extrait du Times du 18 mai 1830, sous la rubrique Parliamentary Intelligence. Voir aussi dossier 8.6.7 dans le fonds<br />

d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe.<br />

XIV


Le rapport des commissaires lui-même parvint à Maurice en octobre 1829 et causa une vive<br />

indignation. Le Comité Colonial en prit lecture le 10 novembre et Adrien d'Epinay proposa de<br />

convoquer une assemblée générale des habitants pour protester contre ce rapport. Cette assemblée se<br />

réunit le 26 du même mois. On en trouvera le procès-verbal dans ce volume. Dès le lendemain de la<br />

réception du rapport, Adrien d'Epinay s'était mis en devoir d'en préparer une réfutation en règle et de<br />

rédiger également une lettre à Lord Brougham sur l’ensemble des accusations qu'il contenait. Le 21<br />

octobre il l'annonçait à son frère Prosper, à Londres, comme on le verra par la lettre reproduite au début<br />

de ce recueil.<br />

C'est également à la fin de l'année 1829 que les attaques de l'Anti-Slavery Reporter contre 1'île<br />

Maurice atteignirent leur plus haut degré de violence. Cette fois les Mauriciens n’étaient pas les seuls<br />

visés; un des principaux colons anglais de l'île, M Charles Telfair y était également pris à partie. Il<br />

répondit dans un mémoire de 250 pages intitulé On the state of slavery in Mauritius qui fut imprimé à<br />

Maurice en 1830 et réédité à Londres en 1832. Ce travail, qui démasquait les véritables motifs de la<br />

Société Anti-esclavagiste, eut un grand retentissement en Angleterre. En même temps un autre Anglais<br />

établi à Maurice, le capitaine Richard Vicars, rédigeait, de son côté, sous le titre de Calumny exposed,<br />

une réfutation des calomnies de l'Anti-Slavery Society qu'il offrit au Comité Colonial en août 1830. Cet<br />

important document, encore plus écrasant pour les anti-esclavagistes que le travail de Telfair, fut<br />

emporté à Londres par Adrien d'Epinay qui le fit imprimer et distribuer aux défenseurs des colonies au<br />

Parlement lors de sa première mission.<br />

Le 15 septembre 1830 arrivèrent à Maurice les nouvelles de ce qui s'était passé à Londres<br />

pendant le mois de mai précédent. Il était clair que, sans l'intervention de Prosper d'Epinay, la dépêche<br />

de Sir George Murray partait et que s'en était fait de la colonie. L'exaspération fut à son comble. De tous<br />

les quartiers les habitants accoururent au Port-Louis et tinrent le 17, sur la Place d'Armes, une assemblée<br />

tumultueuse où une adresse, rédigée en termes violents, fut lue et signée de presque tous les assistants.<br />

Une députation alla ensuite la porter sur le champ au gouverneur Sir Charles Colville qui essaya de son<br />

mieux de rassurer les esprits en disant qu'il n'avait encore reçu aucune instruction du Secrétaire d'Etat au<br />

sujet des esclaves 21 . Mais le calme ne se rétablit pas. Un grand bal à l'Hôtel du Gouvernement en<br />

l'honneur du Roi était fixé pour le soir du 17. On s'attendait à une assistance d'environ 1,000 personnes à<br />

ce bal. Il y en eut à peine 200. Trois familles françaises seulement s'y montrèrent. Elles furent huées par<br />

la foule qui s'était massée devant l'Hôtel du Gouvernement et qui se conduisit fort mal. L'une des<br />

21 Voir lettre de Sir Charles Colville au Secrétaire d'Etat, en date du 20 août 1831 (Record Office, Mauritius, 1831, vol. 154)<br />

et dossier 8.6.7 dans le fonds d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe. L'adresse elle-même est reproduite dans A,<br />

Pitot: L'île Maurice : Esquisses historiques 1828-1833, Maurice. 1914, p 125. note 2.<br />

XV


voitures fut lapidée et le cocher fut blessé. La garde dut rétablir l'ordre à coups de crosse et de<br />

baïonnette.<br />

Le 18 septembre le Comité Colonial tint une réunion d'urgence. Adrien d'Epinay y donna<br />

lecture de la réfutation du rapport de la commission d'enquête de 1826 qu'il venait de terminer er le<br />

Comité décida qu’il serait sur le champ adressé au gouverneur pour être transmis au Secrétaire d'Etat 22 .<br />

Un membre proposa ensuite que, dans la crise où se trouvait la colonie, Adrien d'Epinay fut prié, au<br />

nom de tous les habitants, de porter leurs griefs et représentations en Angleterre. D'Epinay ayant<br />

accepté, il fut arrêté que les membres feraient chacun dans leurs quartiers respectifs rédiger des adresses<br />

à cet effet et que le Comité remettrait ensuite tous les pouvoirs et documents nécessaires au député 23 .<br />

Le 30 septembre le Comité se réunit de nouveau pour prendre connaissance de ces adresses et<br />

pour rédiger les pouvoirs à remettre à d'Epinay 24 . Sur ce point des divergences d'opinions se<br />

produisirent. Deux membres, MM Maure et Gaillardon, opinèrent qu'il ne fallait pas accorder trop<br />

d'initiative au député. On leur objecta qu'à cette distance il convenait, au contraire, qu'il eût les coudées<br />

franches et que c'était là une question de confiance. Mais ils maintinrent leur point de vue et après une<br />

vive discussion, se retirèrent en claquant les portes. Des pouvoirs donnant toute liberté d'action à<br />

d'Epinay n'en furent pas moins rédigés et, le 5 octobre, le Comité se réunit encore une fois pour les<br />

signer. Les deux membres dissidents ne s'étant pas rendus à la séance et ayant refusé de signer les<br />

pouvoirs, ils furent rayés du Comité sur la proposition de d'Epinay lui-même, qui fit preuve, en<br />

l'occurrence, il faut le dire, de bien peu de largeur d'esprit et se créa, en la personne de Maure<br />

particulièrement, un ennemi terrible 25 .<br />

Le 10 octobre d'Epinay, suivi d'une foule énorme, s'embarqua sur le Candian qui fit voile à 8<br />

heures du matin. Il emmenait comme secrétaire le jeune Hermann Geffroy qui parlait et écrivait<br />

admirablement bien l'anglais. Il avait été un moment question que M. Auguste Icery, membre de la<br />

population de couleur, accompagnerait également le député pour représenter les intérêts de sa<br />

population mais, au dernier moment, il avait été retenu par ses affaires 26 .<br />

22 Memoire presented by a body of notables protesting against the proposed measure of emancipating all illegally imported<br />

slaves (Record Office, Mauritius, 1830, vol. 150). Voir aussi dossier 8.6.7 dans le fonds d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie<br />

de Curepipe. Ce mémoire était signé de Lucas président du Comité Colonial, mais avait été, en fait, rédigé par Adrien d'Epinay.<br />

Il fut adressé à Sir Charles Colville avec une lettre d'envoi reproduite in A Pitot: op, cit., p. 127, note 2.<br />

23 Ces adresses sont reproduites dans A. Pitot, op. cit., pp. 127-128, notes 3 et 4.<br />

24 Voir présent recueil, Première Mission, nos 5 et 6.<br />

25 Jusqu'à la mort d'Adrien d'Epinay : Manre mena contre lui une guerre acharnée et, après sa mort, poursuivit ses mânes de<br />

sa haine inflexible dans ses Souvenirs d'un vieux colon, publiés à la Rochelle en 1840.<br />

26 B.H. de Froberville, Ephémérides Mauriciennes, Maurice, 1906, p. 61.<br />

XVI


Au Cap de Bonne Espérance d'Epinay reçut le plus aimable accueil du gouverneur Sir Lowry<br />

Cole, qui avait administré l'île Maurice de 1823 à 1828, et en obtint des lettres de recommandation qui<br />

lui furent très utiles à Londres. Les habitants du Cap, menacés eux aussi par les menées de l'Anti-<br />

Slavery Society, lui demandèrent de se charger de la défense de leurs intérêts en Angleterre, mais il<br />

déclina cet honneur en leur faisant ressortir que, s'il réussissait pour Maurice, le gouvernement anglais<br />

ne pourrait leur refuser ce qu'il aurait accordé à une colonie placée dans la même situation que la leur.<br />

Le 26 janvier 1831 il arriva à Londres. Dès le lendemain il se présenta au Bureau Colonial, où<br />

Lord Goderich venait de succéder à Sir George Murray comme Secrétaire d'Etat pour les colonies<br />

depuis le 22 novembre 1830, et sollicita une entrevue qu'il obtint pour le 29 janvier. Mais, au jour fixé, il<br />

fut reçu par Lord Howick, sous-secrétaire d'Etat, qui lui dit qu'il ne pourrait rencontrer Lord Goderich<br />

avant d'avoir fourni des explications sur certains passages de son examen du rapport de la commission<br />

de 1826 qu'il venait de lire et où il avait remarqué un air de menace envers le gouvernement 27 . Cela<br />

commençait mal. D'Epinay se rendit bien vite compte que les anti-esclavagistes avaient prévenu le<br />

ministère contre lui. Il se tira cependant fort bien de ce mauvais pas et, le 9 février, Lord Goderich<br />

consentit enfin à le recevoir.<br />

L'entrevue fut très cordiale et très rassurante. Le Secrétaire d'Etat écouta attentivement ce que<br />

lui dit d'Epinay sur la traite, lui demanda un mémoire sur les griefs des habitants de Maurice et lui<br />

promit de faire tout ce qu'il pourrait pour la colonie. Au sortir de cette première entrevue d'Epinay<br />

écrivait au Comité Colonial: « J'ai vu dans Lord Goderich un homme plein de franchise et animé du<br />

désir de faire le bien. » Le 16 février il adressa au Bureau Colonial le mémoire demandé qu'il avait déjà<br />

rédigé pendant la traversée de Maurice en Angleterre et que son secrétaire avait traduit en anglais 28 .<br />

C'était un examen fort détaillé de la situation de la colonie depuis la conquête jusqu'en 1830.<br />

D'Epinay y démontrait que le gouvernement britannique n'avait pas tenu sa promesse de traiter l'île<br />

Maurice comme les colonies les plus favorisées de l'Empire et s'élevait avec énergie contre les abus<br />

criants qui n'avaient cessé de régner, depuis 1810, dans divers départements, ceux de la justice et de la<br />

police particulièrement. Il y réclamait égaiement le rétablissement de la constitution coloniale dont la<br />

colonie avait joui pendant la Révolution et qui avait été suspendue pour dix ans par Napoléon en 1802 29 .<br />

Le 16 février d'Epinay, avisé que Buxton serait heureux de le rencontrer, alla le voir chez lui<br />

accompagné de son secrétaire et du jeune Robert Barclay, chargé de le présenter. Cette entrevue ne<br />

27 Voir Première Mission, No 12, p. 15.<br />

28 On trouvera le texte de ce Mémoire, jusqu'ici inédit, à la fin du présent recueil (Appendice VII).<br />

29 Cette constitution, en date du 21 avril 1791, avait été élaborée par l'Assemblée Coloniale de l'Ile de France en vertu du<br />

célèbre décret de l'Assemblée Nationale du 8 mars 1790. On en trouvera le texte dans St Elme Le Duc: Ile de France, Maurice.<br />

1925, pp. 419-450. Elle fut suspendue pour dix ans par une loi consulaire du 30 Floréal An X (20 mai 1802), mais cette période<br />

n'était pas écoulée que l'île tombait aux mains des Anglais.<br />

XVII


devait pas servir à grand chose. Un abîme séparaît les deux hommes. D'Epinay ne voyait en Buxton<br />

qu'un utopiste et un sectaire acharné contre les habitants des colonies; Buxton ne voyait en d'Epinay<br />

qu'un « capitaliste » comme on dirait aujourd'hui, venu à Londres uniquement pour défendre son coffrefort<br />

et ceux de ses semblables. Au surplus, ils appartenaient tous deux à des races, à des classes et à des<br />

religions différentes, voire hostiles. Comment pouvaient-ils se comprendre? La présence du « mauvais<br />

génie» Stephen, qui, durant tout l'entretien, ne cessa de chuchoter à l'oreille de Buxton, ne contribua<br />

guère au succès de cette conférence dont d'Epinay, pour sa part, emporta la conviction injuste que<br />

Buxton était l'instrument d'un parti et, au demeurant, « un sot de bonne foi » 30 Il en résulta cependant,<br />

s'il faut en croire d'Epinay, que Buxton, qui devait présenter une motion au Parlement contre les colonies<br />

le 7 mars la renvoya au 29. Lors de la discussion de cette motion, il y fit une « honorable exception »<br />

pour ce qui concernait l'île Maurice, soit qu'il eût été ébranlé par les arguments de d'Epinay, soit qu’il<br />

eût simplement décidé de suspendre ses attaques contre la colonie tant que son représentant serait à<br />

Londres, ce qui paraît plus probable.<br />

Le 16 mars d'Epinay eut avec le Secrétaire d'Etat une seconde entrevue qui le confirma dans les<br />

bonnes dispositions de Lord Goderich. La question de la prétendue traite était entièrement gagnée. Seule<br />

celle d'une représentation coloniale faisait encore difficulté. Entretemps, il avait fait imprimer le<br />

mémoire du capitaine Vicars et s'était mis en rapport avec le fameux polémiste Mac Queen afin qu'il en<br />

parlât dans le Blackwood's Magazine. Il s'était aussi sérieusement occupé de la création d'une banque<br />

mauricienne, que l'on désirait depuis longtemps dans la colonie et dont Prosper s'était déjà occupé à<br />

Londres l'année précédente 31 .<br />

Vers la fin de mars, troisième entrevue avec Lord Goderich, mais cette fois d'Epinay trouve le<br />

Secrétaire d'Etat changé. Dès le début, ce dernier lui met sous les yeux deux phrases équivoques<br />

contenues dans le mémoire qu'il lui a adressé. D'Epinay s'explique et les supprime. Lord Goderich lui dit<br />

alors qu'il ne peut prendre aucune décision sur les demandes qui font l'objet de son mémoire avant d'en<br />

avoir référé au gouverneur de la colonie, seul intermédiaire officiel entre les colons et le Bureau<br />

Colonial, et qu'il ne peut correspondre officiellement avec lui, sa mission n'ayant pas un caractère légal;<br />

ce qui est assez surprenant puisque cette mission avait reçu l'approbation du gouverneur de la colonie.<br />

D'Epinay rétorque qu'il ne s'attend pas à ce qu'une décision soit prise immédiatement sur toutes ses<br />

demandes, mais il insiste sur certains points et dit qu'on ne peut dénier aux colons un droit aussi naturel<br />

que celui de s'adresser directement au Secrétaire d'Etat.<br />

30 Voir Première Mission, No 15, p. 21.<br />

31<br />

Le premier établissement bancaire créé par Farquhar en 1813 ferma ses portes en 1824.<br />

Après l'admission des sucres mauriciens en Angleterre au même taux que ceux des West Indies le besoin de capitaux: pour<br />

développer l'industrie sucrière se fit sentir et donna lieu, dès la fin de l'année 1826, à un mouvement pour la création d'une<br />

nouvelle banque.<br />

XVIII


Lord Goderich répond que, en ce qui concerne les points principaux, l'affaire de la traite est<br />

réglée; quant au rétablissement d'une assemblée coloniale il ne peut être accordé, « quelque droit que les<br />

colons puissent y avoir.» Il lit ensuite à d'Epinay un mémoire où il est dit, en substance, que le<br />

gouvernement britannique a pris en considération les demandes des colons et qu'ils seront bientôt<br />

avisés, par l'entremise du gouverneur, de ce qui aura été décidé. D'Epinay, qui tient, comme nous<br />

l'avons dit, de sa mère un tempérament émotif, s'excite alors et reproche au Secrétaire d'Etat de ne<br />

répondre aux colons que par de vagues promesses au lieu de les assurer de quelque protection contre les<br />

dangers qu'ils redoutent. Avec toute la chaleur dont il est capable il plaide et son long plaidoyer se<br />

termine par une vibrante supplique au Secrétaire d'Etat de prouver par des faits aux habitants de l'île<br />

Maurice qu'ils doivent mettre leur confiance en lui. D'abord un peu surpris par cette véhémence latine,<br />

Lord Goderich finit par se laisser ébranler; il retire son mémoire et dit qu'il ya tout examiner de nouveau<br />

et lui écrire une lettre dans laquelle il essaiera de lui donner satisfaction 32 .<br />

Le 17 avril quatrième entrevue avec Lord Goderich. Enfin sur plusieurs points la partie est<br />

gagnée. Le Secrétaire d'Etat lui déclare, en effet, qu'il consent à accorder les points suivants:<br />

1o. - L'admission des colons au conseil du gouvernement.<br />

2o. - L'abolition de la censure, soit la liberté de la presse.<br />

3o. - L'admission des colons aux emplois publics sans autre préférence que celle due au mérite.<br />

4o. - L'abolition de tout monopole.<br />

5o. - L'abrogation de l'article 29 de l'arrêté du 13 pluviose an XI qui énonçait que les fonctionnaires ne<br />

pouvaient être poursuivis pour des délits commis dans leurs fonctions sans l'autorisation préalable du<br />

commissaire de justice, article derrière lequel les fonctionnaires anglais s'abritaient pour faire leurs<br />

coups.<br />

6o. - La création d'une bonne police, surtout dans les campagnes.<br />

7o - Une loi pour la répression des abus résultant du débit des liqueurs spiritueuses funestes à la<br />

population esclave.<br />

Le résultat politique de sa mission étant atteint, d'Epinay ne songea plus, dès ce moment, qu'à<br />

conclure l'emprunt pour la banque qu'il voulait créer. Cela fait, il s'accorda un voyage d'agrément en<br />

Ecosse où il passa six semaines. A son retour, il fit ses préparatifs pour rentrer à Maurice, mais<br />

auparavant il tint a adresser à Lord Goderich, le 8 juin, une lettre pour lui faire ressortir que la cause de<br />

l'irritation des colons contre les mesures pour l'amélioration du sort des esclaves venait de ce qu'elles<br />

tendaient toutes à abaisser le maître et à l'humilier. Il s'y élevait surtout contre le fait que la magistrature<br />

était interdite aux propriétaires d'esclaves et terminait ainsi sa lettre: « J'atteste, Mylord, qu'à l'île<br />

32 Voir le récit de cette entrevue fait par Adrien d'Epinay au Comité Colonial (Première Mission, No.21)<br />

XIX


Maurice en montrant de la modération, de la confiance, et en encourageant les bons exemples, on<br />

obtiendra beaucoup plus, en moins de temps, que par les lois qui blessent encore plus le cœur des colons<br />

que leurs intérêts ou leur préjugés » 33 .<br />

Le 20 juin Lord Howick lui répondit, au nom du Secrétaire d'Etat, que le gouvernement<br />

n'entendait en aucune façon blesser les colons et qu'il avait mal compris son idée en ce qui concernait<br />

l'exclusion des propriétaires d'esclaves de la magistrature. Il terminait en lui disant que Lord Goderich<br />

serait heureux de recevoir toutes suggestions qu'il pourrait avoir à faire.<br />

Le 11 juillet d'Epinay eut avec le Secrétaire d'Etat une dernière conférence à la suite de laquelle<br />

il lui adressa une longue lettre concernant plusieurs points qui n'avaient pas encore été réglés et sur<br />

lesquels il considérait n'en avoir pas assez dit pour l'éclairer. Le 20 juillet il remit à M. John Irving, qui<br />

l'avait puissamment secondé pendant sa mission, ses pouvoirs comme agent de la colonie et divers<br />

documents. Le 22 juillet il s'embarqua sur l'Atlas pour l'île Maurice où il arriva le 25 octobre 1831. On<br />

lira dans ce recueil le compte-rendu des manifestations enthousiastes qui accueillirent son retour et les<br />

lettres qu'il adressa, peu après son retour, au Bureau Colonial et à diverses personnalités anglaises, à<br />

Stephen et Buxton notamment qu'il ne désespérait pas, sinon de convaincre entièrement, du moins de<br />

ramener à des opinions plus modérées 34 .<br />

L'annonce des concessions accordées par le Secrétaire d'Etat fut accueillie à Maurice avec joie.<br />

Ayant eu jusque là beaucoup plus à se plaindre qu'à se louer du gouvernement britannique, les colons y<br />

attachèrent d'autant plus de prix que d'Epinay leur assurait que Lord Goderich était bien disposé à leur<br />

égard et qu'il fallait lui faire confiance pour l'avenir. Ce n'étaient là pourtant que de bien modestes<br />

concessions. Le nouveau conseil du gouvernement, s'il constituait un progrès sur celui de 1825 35 ,<br />

n'assurait aux habitants qu'une bien faible participation à l'administration intérieure. Il ne comportait<br />

pas, en effet, d'élément élu, mais se composait de sept fonctionnaires et d'autant d'habitants notables,<br />

choisis par le gouverneur parmi les principaux planteurs et négociants. Aussi n'entraîna-t-il pas la<br />

disparition du Comité Colonial qui continua de subsister et joua par la suite le rôle d'un véritable comité<br />

de salut public pendant les événements qui bouleversèrent la colonie en 1832. C'est alors qu'apparut<br />

combien le gouvernement britannique avait été mal inspiré en refusant de rendre aux colons les libertés<br />

politiques dont ils avaient joui avant 1803.<br />

33 Voir Première Mission, No. 24, p. 34.<br />

34 Voir Première Mission, Nos, 38 et 39.<br />

35<br />

Créé par un Ordre en Conseil du 9 février 1825, il se composait du Gouverneur, du Chef-Juge, du Secrétaire du<br />

Gouvernement, de l'Officier commandant en second les troupes et du Collecteur des Douanes. Sur les critiques que souleva<br />

cette institution voir Baron d'Unienville: Statistiques de l'Ile Maurice, Maurice, 1883-86, II, 37-38 et III, 109-110.<br />

XX


Si de bonnes raisons s'opposaient avant 1815 au rétablissement de la constitution de 1791, il eut<br />

été parfaitement possible, après cette date, de remettre graduellement les colons en possession<br />

d'institutions qui eussent donné à tous les habitants les moyens de faire entendre leur voix, eussent<br />

empêché la formation d'organisations privées qui devaient forcément s'écarter des règles du jeu<br />

parlementaire et eussent évité bien des conflits entre les colons et l'administration.<br />

Ni l'exemple de ce qui se passait alors au Canada, ni les difficultés créées au Bureau Colonial<br />

par les assemblées des Antilles, ni la crainte de favoriser un parti au détriment du reste de la population<br />

ne justifiait la politique peu libérale suivie par le gouvernement britannique à l'égard de Maurice 36 . Si les<br />

colons français du Canada s'adaptaient mal au système représentatif, c'est qu'ils n'en avaient jamais eu<br />

l'expérience et que fermiers ignorants pour la plupart leur développement intellectuel laissait beaucoup à<br />

désirer. Il n'en était pas de même à l'île Maurice qui comptait alors une classe de commerçants éclairés et<br />

qui possédait une expérience récente et remarquable du système représentatif. Les difficultés créées au<br />

Bureau Colonial par les assemblées des Antilles provenaient, non d'un excès de liberté de ces<br />

assemblées, mais de la politique absurde de tergiversations et de demi-mesures que suivait le parti tory 37<br />

au sujet de l'abolition de l'esclavage, question qui fut vite réglée lorsque les whigs arrivèrent au pouvoir.<br />

Quant à la crainte de favoriser, en rétablissant à Maurice une assemblée coloniale, la domination d'un<br />

parti, les événements démontrèrent par la suite que n'importe quel parti bien organisé pouvait, à<br />

n'importe quel moment, dominer à sa guise dans la colonie sans assemblée coloniale et bien plus<br />

souverainement qu'avec une assemblée coloniale.<br />

******<br />

Venons en maintenant à ces événements. Aussitôt après le départ de d'Epinay de Londres.<br />

Stephen avait repris son ascendant sur Lord Howick, homme de confiance de Lord Goderich et avait<br />

préparé un Ordre en Conseil encore plus drastique que tous ceux qui l'avaient précédé. Par une cruelle<br />

ironie du sort cet Ordre en Conseil fut promulgué le 2 novembre 1831 38 , le jour même où Adrien<br />

36 Il importe de faire ressortir que cette politique ne s'appliquait pas à l'île Maurice seulement mais à toutes les autres colonies<br />

britanniques. Voir à ce sujet J. A Williamson: A short history of British expansion, London, 1941, II, 46 & sq.<br />

37 Voir à ce sujet William Law Mathieson: op. cit p. 199<br />

38<br />

Cet Ordre en Conseil ne fut jamais mis en vigueur. Le 9 avril 1832 il fit l'objet d'une consultation du barreau de Maurice<br />

qui en contesta la légalité en vertu des termes de la capitulation de 1810. Le 29 octobre suivant Lord Goderich adressa au<br />

gouverneur une réfutation de ce document qui fut publié dans le Cernéen du 19 février 1833 et à laquelle les auteurs de la<br />

dite consultation répliquèrent dans le Cernéen du 22 février. Ces pièces sont reproduites à l'Appendice III des Souvenirs<br />

d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay. Dans toutes les autres colonies britanniques cet Ordre en Conseil du 2<br />

novembre 1831 fut accueilli par une véritable explosion de fureur. Voir à ce sujet William Law Mathieson : op. cit., pp. 201<br />

& sq.<br />

XXI


d'Epinay rendait compte, à Maurice, de sa mission et exhortait ses compatriotes à faire confiance au<br />

Secrétaire d'Etat. Sans tarder Irving, l'agent de la colonie à Londres, en avertit le Comité Colonial. Sa<br />

lettre fut lue à une séance du 6 février 1832 et causa une indicible stupeur. Les colons, toutefois ne<br />

furent pas pris précisément au dépourvu. Depuis longtemps ils avaient préparé un projet de rachat de<br />

tous les esclaves de la colonie au moyen d'avances faites par une compagnie de capitalistes et<br />

remboursables par un loyer mensuel pour chaque esclave racheté. M. Antoine Couve avait fait tous les<br />

calculs nécessaires pour démontrer la praticabilité de ce projet. Séance tenante, le Comité, considérant<br />

ce projet comme le seul moyen de salut qui restait à la colonie, nomma une commission pour l'examiner<br />

et le mettre définitivement au point 39 . Le 27 février le Comité Colonial se réunit et sur le rapport de la<br />

dite commission, prit l'arrêté suivant: « Vu le rapport de sa commission, le Comité est d'avis qu'il serait<br />

avantageux à la colonie de vendre, sous la garantie du gouvernement britannique, à une compagnie<br />

d'actionnaires tous les esclaves de la colonie à 350 piastres comptant ( par tête, pourvu que ces esclaves<br />

demeurent attachés à la culture des habitations auxquelles ils appartiennent jusqu'au remboursement de<br />

la compagnie, lequel sera effectué au moyen d'un salaire mensuel de 2 piastres par esclave et pourvu<br />

encore que le gouvernement rende à notre île son Assemblée Coloniale pour faire ses lois intérieures. »<br />

Aussitôt adopté, le projet de rachat fut adressé au gouverneur qui l'expédia au Secrétaire d'Etat le 30<br />

mars suivant 40 .<br />

Entretemps, le 23 mars, un bâtiment parti de Londres le 24 décembre précédent apportait le<br />

texte du fameux Ordre en Conseil et la nouvelle de l'arrivée prochaine d'un fonctionnaire nommé M.<br />

John Jeremie pour le mettre en vigueur. Cette nouvelle était bien faite pour alarmer et mécontenter les<br />

habitants. Tout d'abord ,M Jeremie venait remplacer comme Procureur Général Prosper d'Epinay qui<br />

venait d'être nommé à ce poste en août 1831: ensuite, il était connu pour être un des membres les plus<br />

zélés de l'Anti-Slavery Society et l'on savait qu'il s'était signalé par son zèle à Sainte Lucie d'où il avait<br />

été rappelé sur les plaintes des habitants : enfin il ,avait à son acquis un pamphlet intitulé Four essays on<br />

colonial slavery qui n'était rien moins que l'apologie de la fameuse apostrophe lancée à la Convention<br />

par Robespierre lors de la discussion de la question de l'esclavage: « Périssent les colonies plutôt qu'un<br />

principe. »<br />

Au fond ce Jeremie n'était pas le monstre sous les traits duquel la plupart des écrivains locaux<br />

qui se sont occupés de lui l'ont représenté. Comme Buxton, comme Stephen, comme tous les dirigeants<br />

de l'Anti-Slavery Society, ce n'était ni plus ni moins qu'un mystique, c'est à dire un homme d'une espèce<br />

éminemment dangereuse mais, à beaucoup d'égards, nécessaire. Cependant, il faut convenir qu'il fit tout<br />

39 Le rapport de cette commission a été publié dans la Planters Gazette du 28 août 1866 et reproduit en partie dans les<br />

Souvenirs d'Adrien d'Epinay édités par Prosper d'Epinay, pp. 110-114.<br />

40<br />

Suivant d'Epinay, le Secrétaire d'Etat s'inspira de ce projet de rachat lorsqu'il prépara le bill pour l'abolition de l'esclavage<br />

en 1833. Voir à ce sujet Seconde Mission, No. 13, p. 70.<br />

XXII


ce qu'il fallait pour rendre suprêmement odieuse aux colons de Maurice une mesure qui était déjà très<br />

impopulaire non seulement à Maurice, mais dans tout l'empire britannique.<br />

Nous ne relaterons pas ici en détail les événements qui se produisirent depuis le 23 mars 1832<br />

jusqu'au jour du départ d'Adrien d'Epinay pour sa seconde mission. On en trouvera le récit dans le<br />

troisième volume des Esquisses Historique d'Albert Pitot 41 et dans les Ephémérides de Frobeville 42 qui a<br />

noté, au jour le jour, tout ce qui se passa de saillant dans la colonie de 1827 à 1834. Nous insisterons<br />

seulement sur quelques faits dont l'éclaircissement est nécessaire à la compréhension des documents qui<br />

concernent la seconde mission de d'Epinay.<br />

Dès que l'on apprit l'arrivée prochaine de Jeremie les colons décidèrent de s'opposer<br />

énergiquement à son débarquement. II faut rappeler ici qu'en 1796, pendant l'occupation française, les<br />

agents du Directoire, Baco et Burnel, envoyés à l'Ile de France pour faire exécuter l'abolition de<br />

l'esclavage, décrétée en 1794 par la Convention, avaient été expulsés par la force. La colonie s'était,<br />

ensuite, séparée de sa métropole et seuls l'état de guerre et la désorganisation complète de la marine sous<br />

la Révolution avaient empêché la France d'exercer les représailles qui s'imposaient. Bon nombre de<br />

colons se souvenaient de l'événement et parlaient d'en agir de même à l'égard de Jeremie. Toutefois,<br />

l'idée de s'opposer par la force des armes aux desseins du gouvernement britannique ne germa que dans<br />

la cervelle de quelques exaltés, et si d'aucuns allèrent jusqu'à le déclarer ouvertement ce fut beaucoup<br />

plus l'effet de cet esprit de fanfaronnade inhérent à la race française, à laquelle appartenaient les colons,<br />

que d'une détermination bien arrêtée. Il est probable que s'ils avaient alors disposé de corsaires capables<br />

de soutenir victorieusement la lutte contre une flotte métropolitaine, comme en 1796, et de l'appui d'une<br />

puissance étrangère, ils auraient eu recours à la résistance armée. Mais en 1832 toute tentative de ce<br />

genre eût été de la pure folie. Aucun des dirigeants de la colonie n'y songea, D'Epinay, pour sa part,<br />

préconisa un système de résistance tout à fait opposé mais encore plus efficace peut-être la résistance<br />

passive. Sur ses avis, il fut convenu que, dès le moment où Jeremie débarquerait, tout travail cesserait<br />

jusqu'à ce que le gouverneur se trouvât obligé de l'inviter à s'en aller.<br />

C'est ce qui se passa, en effet. Arrivé le 3 juin 1832, Jeremie dut repartir le 28 juillet, sur les<br />

instances pressantes du gouverneur, après une grève générale qui dura quarante jours.<br />

Diverses apparences purent, cependant, faire croire que les colons avaient en vue une rébellion<br />

et, comme on pense bien, Jeremie, furieux d'avoir échoué ne manqua pas de les exploiter et d'en grossir<br />

considérablement les proportions aux yeux du Secrétaire d'Etat. Tout d'abord, il crut trouver dans le<br />

41 A. Pitot: op, cit pp. 301-380. Le récit de Pitot est moins objectif vu celui de Froberville.<br />

42 B. H, de Froberville op. cit., PP, 96·112. Pour le point de vue de Jeremie voir Recent events at Mauritius: a pamphlet by<br />

John Jeremie, attested also by John Reddie, Esq., London, Hatchard, 1835.<br />

XXIII


nouveau Code Pénal 43 , promulgué à Maurice le 15 février 1832, et qui était presque exclusivement<br />

l'œuvre de Prosper d'Epinay, certaines dispositions propres à assurer l'impunité de personnes coupables<br />

d'actes de rébellion. Calomnie à laquelle Lord Goderich, trompé en la circonstance, ajouta foi, mais dont<br />

son successeur, Stanley, fit justice plus tard dans une dépêche du 18 mars 1834 où il exonérait<br />

complètement les auteurs du Code Pénal et désavouait son prédécesseur dans les termes suivants: « J'ai<br />

examiné soigneusement les allégations et les défenses sans oublier de tenir compte de la situation dans<br />

laquelle la colonie semblait être lorsque mon prédécesseur transmit la dépêche en question et réprouve<br />

autant de satisfaction a pouvoir acquitter ces messieurs de la grave accusation d'avoir agi avec une<br />

mauvaise intention qu'il éprouva de regret à se prononcer dans le sens contraire. » 44 Ajoutons que<br />

Prosper d'Epinay fut réintégré en 1835 au Poste de Procureur Général que Jeremie avait usurpé pendant<br />

quelque temps mais d'où sa bizarre conduite ne tarda pas à le faire chasser.<br />

Un autre fait dont se servit Jeremie pour noircir les colons au Bureau Colonial fut l'organisation<br />

du corps des volontaires. Dans les premiers jours d'avril 1832 avait été formée, avec l'assentiment du<br />

gouverneur 45 - ce qu'il importe de souligner, - une sorte de garde nationale destinée à maintenir l'ordre<br />

dans le cas d'une révolte des esclaves que la garnison anglaise n'eût point suffi, à elle seule, à réprimer<br />

sur ce point les peurs des colons étaient certainement exagérées, mais comment blâmer les habitants de<br />

Maurice, inquiets comme ils l'étaient du brusque changement d'attitude du Secrétaire d'Etat, de s'être<br />

attendus au pire?<br />

Il est vrai que le corps des volontaires, loin de contribuer au maintien de la tranquilité publique,<br />

ne servit qu'à occasionner des conflits avec la garnison et à accroître le malaise qui existait entre la<br />

population et le gouvernement. Le chef de ce corps n'était pas un sujet britannique 46 ; la plupart de ses<br />

membres étaient de jeunes espiègles qui s'amusèrent follement à faire la nique aux Anglais et à alerter<br />

la police qui voyait partout des complots; mais on se représente mal cette poignée de soldats-amateurs<br />

dont la moitié à peine possédait un bon fusil et qui n'avaient ni artillerie, ni munitions, engageant la<br />

lutte contre la toute puissante Angleterre.<br />

D'autant moins qu'ils ne pouvaient attendre aucun secours de la France qui fit bien comprendre à<br />

ce moment qu'elle ne s'intéressait aucunement au sort de ses anciens nationaux. Un petit groupe<br />

d'anciens colons de l'Ile de France domiciliés à Nantes ayant réclamé l'intervention du gouvernement<br />

43 Le Code Pénal j'usqu'alors en vigueur dans la colonie était celui du 6 octobre 1791, que 1'Assemblée Coloniale de l'Ile de<br />

France avait adopté le 7 août 1793.<br />

44 Voir la dépêche de Goderich et celle de Stanley aux Appendices II et III du présent recueil.<br />

45 Voir cette autorisation à l'Appendice I du présent recuei1.<br />

46 M. Henri Adam, né à Rouen, venu s'établir à Maurice en 1817. Pour de plus amples détails à son sujet voir Note 93.<br />

XXIV


français pour assurer le maintien de l'esclavage à Maurice, en vertu des termes de la capitulation de<br />

1810, cette démarche fournit, en effet, à la Chambre l'occasion de déclarer fort clairement, le 2 mars<br />

1833, que le traité de Paris avait mis au néant la dite capitulation et ses stipulations 47 .<br />

Il est encore vrai que le 5 avril 1832 un groupe de colons adressa au gouverneur Sir Charles<br />

Colville une lettre dans laquelle ils déclaraient: « Oui, nous sommes tous munis d'armes nécessaires à<br />

notre défense ; oui, nous convenons des lieux où nous devons nous réunir à l'heure du danger» 48 . Mais,<br />

comme devait le faire ressortir plus tard Adrien d'Epinay au Secrétaire d’Etat, qui ne voulait y voir<br />

qu'une menace contre le gouvernement, ce n'était là qu'une bravade destinée à inspirer une certaine<br />

crainte non aux Anglais, mais aux esclaves à qui l'on voulait s'efforcer de cacher ce qui n'était que la<br />

stricte vérité, à savoir que les colons n'avaient pas suffisamment d'armes pour se défendre contre une<br />

insurrection.<br />

Durant tout le séjour de Jeremie dans la colonie le Comité Colonial, porté à 35 membres par<br />

l'adjonction de 10 membres élus par les 16 sections du Port-Louis, prit le nom de Comité de Sûreté<br />

Publique, se déclara en permanence et siégea tous les jours du 4 juin au 28 juillet. Toutefois, les procèsverbaux<br />

ne furent pas publiés. Les arrêtés seulement furent copiés sur des feuilles volantes et distribués<br />

tant aux membres qu'aux capitaines et officiers supérieurs des volontaires. Lorsque Jeremie eut quitté la<br />

colonie et que tout fut rentré dans l'ordre le Comité se réunit pour considérer s'il fallait réduire le<br />

nombre des membres à 15, comme le prévoyait le nouveau Code Pénal. Cela ayant été décidé, le<br />

Comité de Sûreté Publique se déclara dissous et les habitants furent invités à élire le plus promptement<br />

possible les membres qui devaient constituer le nouveau Comité Colonial qui tint sa première séance le<br />

11 octobre 1832 49 .<br />

Une des premières questions dont s'occupa le nouveau Comité fut celle de la représentation de la<br />

colonie en Angleterre. Pendant le séjour de Jeremie les colons avaient été invités à se prononcer sur la<br />

question de savoir s'il fallait envoyer un député en Angleterre ou s'il fallait continuer l'agence laissée à<br />

M. John Irving par d'Epinay à son départ de Londres, en juillet 1831. La majorité s'étant prononcée<br />

pour ce dernier parti, le Comité Colonial s'y arrêta le 20 octobre. Mais au début de février 1833 le<br />

Comité reçut une lettre d'Irving l'avisant que le Secrétaire d'Etat avait décidé de prendre à l'égard de la<br />

colonie des mesures très sévères. En même temps arrivait un nouveau gouverneur, Sir William Nicolay,<br />

qui venait relever Sir Charles Colville, trouvé trop mou, et mettre à exécution les mesures signalées par<br />

Irving : mise à pied de tous les fonctionnaires et des membres du nouveau conseil du gouvernement qui<br />

avaient témoigné, en juillet 1832, de l'opposition à Jeremie ; dissolution, sous peine de mort, du corps<br />

47 Voir à ce sujet Souvenirs d’Adrien, d’Epinay, édités par Prosper d'Epinay, p. 30.<br />

48 Voir Seconde Mission, No. 29, p. 97.<br />

49 A. Pitot: op. cit. • pp. 397-400.<br />

XXV


des volontaires; proclamation de la loi martiale à la moindre incartade; construction à grands frais d'un<br />

fort sur la Petite Montagne, au centre de la capitale. Jeremie suivait de près avec une force armée.<br />

La situation était grave. Dès le 7 février le Comité Colonial rédigea deux pétitions au Roi et aux<br />

Chambres 50 et demanda à Adrien d'Epinay de se rendre de nouveau en Angleterre pour les présenter et<br />

pour soutenir les réclamations de la colonie. D'Epinay accepta mais à condition: 1o d'être justifié par les<br />

pouvoirs écrits de la grande majorité des habitants que tel était le vœu de la colonie; 2o d'être fixé sur la<br />

ligne de conduite qui serait suivie en son absence par les colons. Le 21 février une demande fut<br />

adressée au gouverneur pour obtenir la permission de tenir une assemblée pour délibérer sur les<br />

pouvoirs et instructions à donner au député. Sir William Nicolay y ayant consenti, la réunion eut lieu le<br />

surlendemain en la demeure de M. Alfred Chevreau. Les pouvoirs du député furent signés devant<br />

notaire et enregistrés ensuite le 25 février 51 . Le 27, d'Epinay s'embarquait sur le Royal George sur<br />

lequel prit également passage Sir Charles Colville.<br />

*******<br />

Après une escale d'une semaine au Cap où les Bœrs lui firent une ovation magnifique et voulurent<br />

lui offrir un banquet, qu'il eut grande peine à esquiver, d'Epinay arriva à Londres le 29 mai. Il y apprit<br />

que Lord Goderich et Lord Howick avaient été remplacés au Bureau Colonial depuis le 28 mars par M.<br />

Stanley (le futur Lord Derby) et M. Lefevre. Selon lui, l'éloignement de Lord Goderich et de Lord<br />

Howick des affaires des colonies était dû à une pensée conservatrice que l'état alarmant des colonies<br />

avait enfin inspiré » 52 . Il pensait donc être bien reçu, mais il fut bien vite détrompé.<br />

S'étant adressé, le jour même de son arrivée à Londres, au Bureau Colonial pour demander une<br />

entrevue, il se vit répondre, le 31 mai, par le Sous-secrétaire d'Etat, M. Lefevre, dans une lettre fort<br />

sèche que le Secrétaire d'Etat ne pouvait le reconnaître comme député de l'île Maurice ni le recevoir 53 . Il<br />

devait bien un peu s'y attendre. On se souvient, en effet que, lors de sa première mission, Lord Goderich<br />

lui avait déclaré que ses démarches n'avaient pas un caractère légal. D'autre part, dès le début de l'année<br />

précédente, Irving avait avisé le Comité Colonial, par une lettre lue à une séance du 4 mai, que le<br />

Bureau Colonial se refusait à lui reconnaître officiellement le titre d'agent de l'île Maurice. D'Epinay ne<br />

50 Nous n'avons pas retrouvé le texte de ces pétitions. En même temps qu'elles le Comité Colonial adressa au Secrétaire d'Etat<br />

un mémoire intitulé: Mémoire présenté par les habitants de l'île Maurice à l'appui de leur pétition au Roi au sujet des maux<br />

qu'ils ont éprouvés, des dangers auxquels ils sont exposés et des droits qu'ils réclament, expliquant aussi les événements qui se<br />

sont passés dans la colonie pendant les mois de juin et juillet 1832. Ce mémoire est reproduit à l'Appendice IV des Souvenirs<br />

d'Adrien d’Epinay, édités par Prosper d'Epinay.<br />

51 Voir Seconde Mission, No. 6.<br />

52 Souvenirs d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay, p. 2.<br />

53 Voir Seconde Mission, No. 9.<br />

XXVI


se découragea donc pas et surtout s'abstint soigneusement de toute démarche qui aurait pu donner lieu de<br />

penser qu'il ne comptait pas sur la justice du Secrétaire d'Etat.<br />

Le 14 mai, quinze jours avant l'arrivée de d'Epinay, Stanley, chargé par le nouveau Premier<br />

Ministre, Lord Grey 54 , d'en finir avec la question de l'esclavage, avait présenté au Parlement, en<br />

première lecture, un bill prévoyant une indemnité de 75 millions de piastres pour les propriétaires et un<br />

apprentissage de quatorze ans pour les esclaves avant la liberté définitive. Ce bill, toutefois, ne satisfit ni<br />

les colons, qui espéraient mieux ni les fanatiques de l'Anti-Slavery society qui voulaient l'abolition<br />

immédiate sans indemnité. L'abolition immédiate on le comprend encore, mais que penser de cette<br />

insistance à vouloir frustrer les propriétaires d'esclaves d'une indemnité qui leur était due? Sans doute,<br />

cette indemnité constituait un gros débours pour le contribuable anglais, mais l'Angleterre n'avait-elle<br />

pas pendant des siècles tirés d'immenses revenus de la traite des nègres? Il importe, cependant, de faire<br />

remarquer que les abolitionnistes ne pensaient pas tous là-dessus de la même façon. Buxton, lui-même,<br />

et les principaux dirigeants du mouvement n'étaient pas opposés à l'apprentissage et à l'indemnité, mais,<br />

comme il arrive souvent en pareil cas, le mouvement débordait ses chefs, Il se forma dans le parti une<br />

scission; les plus modérés étaient prêts à faire toutes les concessions raisonnables afin d'atteindre le but<br />

si ardemment désiré; les extrémistes, de leur côté, s'opposaient énergiquement à tout compromis, et<br />

n'entendaient point déroger aux principes. Ce dernier parti, mécontent du comité exécutif établi à<br />

l'origine, en constitua un de son propre choix qui blâma sévèrement Buxton pour sa modération.<br />

Cependant, le gouvernement, plus sage, maintint son point de vue, Le 7 août 1833 le bill passa en<br />

troisième lecture; la seule concession qu'obtinrent les abolitionnistes fut la réduction de la période<br />

d'apprentissage de douze à sept ans, Quelques jours auparavant le vieux Wilberforce était mort en<br />

remerciant Dieu d'avoir pu vivre assez longtemps pour voir le peuple anglais accepter de payer vingt<br />

millions de livres pour la liberté des nègres.<br />

Lorsqu'Adrien d'Epinay arriva en Angleterre la question de l'abolition était donc pratiquement<br />

réglée. Il en profita pour revenir avec insistance sur celle du rétablissement d'une assemblée coloniale. «<br />

C'est, écrivait-il au Comité Colonial, ce que je désire emporter avant tout, bien convaincu que le sort de<br />

la colonie en dépend» 55 .<br />

Ce ne fut que le 20 juillet, c'est à dire près de deux mois après son arrivée à Londres, que le<br />

Secrétaire d'Etat consentit à le recevoir. L'entretien roula surtout sur le bill d'émancipation alors sur le<br />

point d'être présenté au Parlement en seconde lecture. Trois jours après d'Epinay était de nouveau<br />

mandé en hâte au Bureau Colonial pour donner des éclaircissements afin de permettre au Secrétaire<br />

54 Les whigs venaient d'arriver au pouvoir après 70 années d'ascendance du parti tory. Ils devaient en grande partie leur<br />

succès aux anti-esclavagistes qui avaient mené campagne pour eux. Le jour même de l'ouverture du nouveau Parlement, le 7<br />

février 1833, Buxton annonça qu'il présenterait bientôt une motion pour l'abolition de l'esclavage, mais le gouvernement, qui<br />

voulait se réserver le mérite de cette mesure, le devança. Voir à ce sujet William Law Mathieson, Op. cit. pp.226 & sq.<br />

55 Voir Seconde Mission, No. 17<br />

XXVII


d'Etat de répondre à une motion que l'un des dirigeants de l'Anti-slavery Society, le Dr Lushington, se<br />

proposait de présenter, le 25, à l'effet qu'il ne fût accordé d'indemnité aux propriétaires mauriciens que<br />

pour les esclaves qu'ils justifieraient n'avoir pas été introduits depuis 1810. D'Epinay en fut<br />

profondément indigné. « N'est-il pas infâme, écrivait-il à ce sujet au Comité Colonial, qu'au moment où<br />

l'on l'émancipe les esclaves, on nous recherche encore au sujet de la traite des noirs? Quels biens<br />

peuvent résulter pour eux que leurs maîtres « reçoivent ou ne reçoivent pas une indemnité? N'est-ce pas<br />

prouver clairement que ce n'est pas dans l'intérêt des noirs que l'on agit de la sorte? » 56 Fort<br />

heureusement, avec tous les renseignements qu'il possédait il n'eut pas de peine à mettre Stanley à<br />

même de combattre victorieusement la motion de Lushington.<br />

Le 30 juillet d'Epinay devait encore rencontrer le Secrétaire d'Etat pour discuter la question<br />

d'assemblée coloniale, mais au jour fixé Stanley ne put le recevoir, ayant été retenu au Parlement. Le<br />

lendemain il fut avisé par M. Lefevre que le Secrétaire d'Etat ne pourrait s'occuper des affaires de<br />

Maurice avant trois semaines, n'ayant reçu aucune nouvelle dépêche du gouverneur de la colonie.<br />

D'Epinay se rendit alors à Paris où il passa tout le mois d'août. C'est pendant ce court séjour qu'il passa<br />

avec succès sa licence en droit, au grand étonnement des professeurs de la Faculté.<br />

Aussitôt revenu à Londres, il se rendit au Bureau Colonial où il apprit que le Secrétaire d’Etat était<br />

absent et qu'il le ferait appeler aussitôt qu'on s'occuperait des affaires de Maurice. A partir du 13<br />

septembre 1833 il fut en relations suivies avec le Sous-Secrétaire d'Etat, M. Lefevre, qui se montra très<br />

aimable. D'Epinay ne lâchait pas son idée d'assemblée coloniale. Le 28 il adressait à Lefevre à ce sujet<br />

une importante lettre qu'on lira dans ce recueil 57 .Cependant, le temps passait et il n'obtenait toujours<br />

rien. Ayant hâte de rentrer à Maurice où sa femme lui demandait de revenir, il se fit plus pressant. Le 11<br />

octobre il lui fut répondu que la question d'assemblée coloniale demandait à être longuement étudiée et<br />

que, s'il voulait avoir une réponse, il lui faudrait attendre jusqu'à la fin de décembre, époque vers<br />

laquelle l'examen des affaires de Maurice serait terminé. Résolu à ne point rentrer à Maurice avant<br />

d'avoir obtenu une réponse à ses demandes, il alla donc, en attendant la décision du Secrétaire d'Etat,<br />

faire un second voyage à Paris.<br />

Il y était à peine qu'une lettre le rappela à Londres où il arriva le 11 novembre. Il y apprit une<br />

affreuse nouvelle: la mort d'un de ses enfants survenue à Maurice. Vers le même temps plusieurs lettres<br />

reçues de Maurice lui faisaient savoir que Jeremie, de retour dans la colonie depuis le 29 avril 1833,<br />

n'en faisait qu'à sa guise et soumettait les colons aux pires vexations. S'ingéniant à découvrir partout des<br />

complots contre le gouvernement, il faisait procéder presque tous les jours à des perquisitions et à des<br />

arrestations. Il en voulait surtout aux ex-volontaires. Quelques jours après son retour il avait fait<br />

56 Voir Seconde Mission, No. 17.<br />

57 Voir Seconde Mission, No. 21 ; voir aussi No. 35.<br />

XXVIII


déporter un habitant nommé Pierretti 58 ; en juillet ce fut le tour de l'ancien chef des volontaires, M.<br />

Adam 59 ; enfin il venait de faire arrêter, le 24 août, cinq habitants du Grand Port sur l'inculpation d'avoir<br />

formé l'année précédente un complot pour attaquer la garnison de Mahébourg.<br />

Quoique plus pressé que jamais de rentrer à Maurice, d'Epinay ne put, cependant, se résigner à<br />

quitter l'Angleterre à un moment où sa présence devenait si nécessaire à ses compatriotes.<br />

Immédiatement il adressa une protestation au Bureau Colonial contre les agissements de Jeremie et la<br />

fit suivre de tous les éclaircissements nécessaires sur les événements qui s'étaient produits à Maurice<br />

durant la première moitié de l'année 1832. Ne recevant aucune réponse à ses lettres, il prépara alors une<br />

note contenant des griefs très graves contre plusieurs fonctionnaires anglais et se disposait à l'envoyer<br />

lorsqu'il reçut, le 7 anvier 1834, une lettre de Lefevre l'informant que, en attendant de plus amples<br />

détails de Maurice sur l'affaire des cinq colons du Grand Port, le Secrétaire d'Etat se voyait obligé de<br />

suspendre toute communication avec lui. Il était clair que cette affaire avait sérieusement troublé le<br />

Bureau Colonial et qu'on y attachait une grande importance.<br />

Au début de janvier 1834 d'Epinay apprenait que le Comité Colonial venait d'être dissous par<br />

ordre du gouverneur. Il fut d'autant plus sensible à cette nouvelle que le Comité Colonial était celle de<br />

ses œuvres dont il était le plus fier. A ce sujet nous le voyons pour la première fois se départir de la<br />

modération dont il n'avait cessé de faire preuve dans ses lettres précédentes et écrire à ses collègues du<br />

Comité; « J'espère que vous n'aurez pas donné à nos compatriotes le mauvais exemple d'obéir à un acte<br />

illégal et insolite» 60 . En même temps il leur annonçait qu'il continuerait à correspondre avec eux comme<br />

par le passé, car c'était d'eux qu'il tenait sa mission.<br />

Cependant, Jeremie faisait traîner en longueur l'affaire des colons dans Grand Port. L'information<br />

dura jusqu'au 13 septembre 1833. Les pièces furent alors transmises à Jeremie qui devait, d'après la loi,<br />

faire le dépôt de ses conclusions dans les trois jours. Il ne le fit que cinquante-six jours après, le 10<br />

novembre. Toutefois, ce ne fut que le 16 décembre suivant, après les formalités voulues par les accusés<br />

pour établir le déni de justice, qu'une ordonnance de renvoi devant la cour d'assises fut rendue contre<br />

eux, On sut bientôt pourquoi cette procédure avait tant traîné. Jeremie, n'ayant pu trouver aucune<br />

preuve sérieuse contre les accusés et sachant bien qu'ils seraient acquittés par la Cour Suprême, voulait<br />

tout simplement faire destituer les trois magistrats respectables qui composaient cette cour et les<br />

remplacer par des hommes à lui. N'y ayant pas réussi, il commit alors la sottise qui devait le perdre: le 6<br />

janvier 1834 il déposa contre eux un acte de récusation dans lequel il les accusait de forfaiture, de faux<br />

et même de collusion et de participation directe à plusieurs des chefs reprochés aux détenus. Cet acte<br />

58 Pour tous détails sur cette affaire voir .Note 94.<br />

59 Voir Note 93.<br />

60 Voir Seconde Mission, No. 30.<br />

XXIX


souleva une indignation générale, Sir William Nicolay, tout dispose qu'il fût à appuyer Jeremie, ne<br />

pouvait le suivre dans cette voie sans compromettre à tout jamais sa propre carrière. Aux termes d'une<br />

ordonnance spéciale, assisté du Conseil Exécutif du Gouvernement, il prit connaissance des faits<br />

dénoncés et, après une longue et mûre investigation, il rejeta la récusation, le 17 février, en blâmant<br />

sévèrement Jeremie Le 10 mars commença en cour d'assises le fameux « procès du Grand Port» qui se<br />

termina, le 29 du même mois, par l'acquittement des accuses 61 .<br />

Le Secrétaire d'Etat n'attendit pas l'issue du procès pour prendre des sanctions contre Jeremie. Dès<br />

qu'il fut avisé de ses démarches pour obtenir la destitution de la Cour Suprême il décida de le destituer<br />

lui-même. Le 12 avril il le déclarait à une députation de commerçants anglais ayant des intérêts à<br />

Maurice que d'Epinay, incapable lui-même d'approcher le Secrétaire d'Etat, avait persuadé Irving de<br />

conduire au Bureau Colonial. En même temps il leur apprenait qu'il s'occupait d'un travail qui devait<br />

donner aux habitants de Maurice une participation plus grande à l'administration de leur colonie.<br />

L'issue du procès du Grand Port ayant montré qu'il n'y avait rien à reprocher aux habitants de<br />

Maurice, on pouvait espérer que le Secrétaire d'Etat s'empresserait de leur rendre enfin justice et de<br />

faire droit à leurs réclamations. Mais il n'en fut rien. On se montrait, il est vrai, plus aimable envers<br />

d'Epinay au Bureau Colonial où Lefevre le reçut plusieurs fois dans le courant d'avril, mais il n'obtenait<br />

toujours rien. Le 24 avril il adressa à Lefevre un mémoire où, une fois de plus, il exposait nettement les<br />

griefs et les demandes des habitants de Maurice. Toujours rien. Enfin, le 7 mai il se hasarda à demander<br />

une entrevue au Secrétaire d'Etat qui la lui accorda pour le 10. Ce jour-là Stanley lui répéta en<br />

substance ce qu'il avait déclaré le 12 avril à la députation conduite par Irving. Il ajouta que, dans quinze<br />

jours au plus tard, toutes les questions concernant l'île Maurice seraient réglées. Mais les quinze jours<br />

n'étaient pas expirés que Stanley se retirait du Bureau Colonial où il eut pour successeur M. Spring<br />

Rice. C'était jouer de malheur.<br />

Reçu au début de juillet, après bien des difficultés, par le nouveau Secrétaire d'Etat, d'Epinay<br />

fut surpris de s'entendre dire que les habitants de Maurice, satisfaits du rappel de Jeremie, ne<br />

demanderaient pas autre chose. Or ce rappel n'avait jamais été demandé à aucun moment ; ce que les<br />

Mauriciens n'avaient cessé de demander et ce qu'ils demandaient encore c'étaient des garanties contre<br />

les Jeremie et leurs pareils. Dès lors, d'Epinay, comprenant qu'il n'avait rien à espérer du Bureau<br />

Colonial, s'occupa de mettre en œuvre le seul moyen qui lui restait d'obtenir justice: une intervention au<br />

Parlement. Trop tard, malheureusement. M. Lloyd voulut bien s'en charger, mais Spring Rice parvint<br />

par des promesses à le faire différer de jour en jour sa motion jusqu'au moment de la clôture du<br />

Parlement. La partie était perdue.<br />

61<br />

Pour tons détails concernant ce procès voir Procès de cinq colons de Maurice accusés d'attentat ou complot tendant à<br />

renverser le gouvernement de la colonie, Maurice, Imprimerie du Mauricien, 1834.<br />

XXX


Le 23 juillet d'Epinay exhale son mécontentement à Lefevre dans une lettre où il lui retrace<br />

toutes ses démarches depuis son arrivée à Londres et lui laisse entendre qu'il a été, en somme, roulé par<br />

le Bureau Colonial 62 . Le 26 il écrit au Secrétaire d'Etat dans le même sens; et réclame instamment une<br />

autre entrevue. Le 29 il reçoit une réponse de Lefevre lui demandant une conférence au sujet de sa lettre<br />

du 23 et promettant qu'on le satisfera. Cette conférence a lieu le 6 août. Lefevre lui apprend qu'il va<br />

quitter le Bureau Colonial et lui promet de terminer auparavant les affaires de Maurice. Le 7 Irving part<br />

pour l'Irlande et écrit à Lefevre pour lui rappeler sa promesse de tout finir cette semaine. Le 8 d'Epinay<br />

retourne au Bureau Colonial; Lefevre est très occupé et ne peut le recevoir. D'Epinay ayant, sur<br />

l'assurance qui lui a été donnée que tout sera terminé sous peu, arrêté son départ, écrit le même jour à<br />

Lefevre pour le supplier de lui faire savoir, au moins, quel est le sort réservé aux habitants de Maurice.<br />

Les 9, 11 et 12 août il se rend encore au Bureau Colonial et n'est point reçu. Le 12, comprenant qu'il n'y<br />

a plus rien à attendre, même de Lefevre, il demande qu'on lui renvoie au moins ses papiers. Le 13<br />

Lefevre lui écrit pour lui promettre de les lui renvoyer le 15 au p1us tard et lui donne rendez-vous pour<br />

le 14. Le 14 il se rend encore au Bureau Colonial et n'est encore pas reçu; il va alors trouver Sir John<br />

Reid et se plaint amèrement. Sur l’intervention de Sir John Reid, le Secrétaire d'Etat consent à le<br />

recevoir le 16 août, mais c'est uniquement pour lui demander...des renseignements sur la nourriture et<br />

l'habillement des esclaves.<br />

Le 28 septembre, désespéré et aigri, Adrien d'Epinay quitte Londres sur le Bencoolen qui arrive<br />

à Maurice le 17 janvier 1835. Le chaleureux accueil de ses compatriotes lui fait un moment oublier les<br />

avanies qu'il a subies à Londres, mais Nicolay se charge bientôt de les lui rappeler. Le 28 janvier un<br />

groupe d'habitants, ayant demandé l'autorisation de convoquer une assemblée publique pour entendre le<br />

député rendre compte de sa mission, se voit refuser cette autorisation par le gouverneur, sous prétexte<br />

que la colonie est « en étal de crise» 63 . La vérité c'est que Nicolay a reçu par le Bencoolen une dépêche<br />

confidentielle du Secrétaire d'Etat l'informant qu'il est essentiel que les décisions du Bureau Colonial au<br />

sujet de Maurice « ne soient pas représentées comme ayant été extorquées par l’importunité de<br />

quiconque » 64 .<br />

II était peut-être naturel que le Secrétaire d'Etat désirât que les colons vissent dans le rappel de<br />

Jeremie un acte spontané du gouvernement et non l'effet d'une intervention de leur député. Mais sur<br />

quoi se basait Nicolay pour assumer que d'Epinay aurait essayé de faire croire à ses compatriotes que<br />

c'était uniquement à lui qu'ils devaient d'être débarrassés de Jeremie? 65 Il n'en avait jamais demandé le<br />

62 Voir Seconde Mission, No. 40.<br />

63 Voir Seconde Mission, No. 47.<br />

64 Voir Seconde Mission, No. 48.<br />

65<br />

Voir à ce sujet les trois dépêches de Nicolay au Secrétaire d'Etats en date des 18 janvier, 24 et 28 février 1835 reproduite<br />

aux Appendices IV, V et VI du présent recueil.<br />

XXXI


appel.D'autre part, comment Nicolay pouvait-il refuser à d'Epinay le droit de rendre compte de sa<br />

mission alors que cette mission avait eu lieu avec son entière approbation? N'avait-il pas autorisé la<br />

réunion de l'assemblée qui avait remis au député ses pouvoirs?<br />

Mais Nicolay ne s'en tint pas là. Soit qu'en fonctionnaire trop zélé il se crût justifié par la<br />

dépêche du Secrétaire d'Etat à considérer d'Epinay comme un chef de parti inconciliable et dangereux 66 ,<br />

soit qu'il éprouvât pour le leader mauricien, qu'il ne connaissait pourtant que très peu, quelque<br />

inexplicable aversion, soit encore qu'il se laissât mener par le petit groupe de fonctionnaires qui<br />

s'étaient compromis avec Jeremie, le fait est qu'il fit tout son possible pour dépopulariser d'Epinay et lui<br />

rendre la vie intenable dans la colonie. Nous passerons sur maintes tracasseries et ne nous en tiendrons<br />

qu'au fameux Avis du Gouvernement du 9 décembre 1835 reproduit dans ce recueil 67 . Pour en saisir<br />

toute la perfidie il faut lire la réplique qu'y fit d'Epinay et qui parut sous forme de brochure au début de<br />

l'année 1836 sous le titre de Réponse à un avis du gouvernement 68 . Nous ne saurions la résumer ici sans<br />

faire perdre de sa force à l'argumentation de d'Epinay. Elle demande à être lue tout au long et nous nous<br />

contenterons d'y référer tous ceux qui veulent faire une étude sérieuse de sa carrière. Elle constitue<br />

d'ailleurs la suite naturelle du présent exposé.<br />

Nicolay ne réussit point, toutefois, à « déboulonner» d'Epinay. Il ne réussit qu'à retrancher de<br />

l'empire britannique un homme de valeur dont les vues, au fond, s'apparentaient à celles de plus d'une<br />

grande figure de cet empire et à priver l'île Maurice des services d'un des meilleurs de ses fils au<br />

moment même où ils allaient lui devenir plus utiles que jamais.<br />

Dégoûté de cette méchante guerre sournoise menée contre lui, d'Epinay se décida, en effet, à<br />

quitter la colonie avec sa famille pour aller se fixer en France. Ce départ eut lieu le 10 février 1839, soit<br />

quatre ans après son retour de Londres. La traversée fut des plus pénibles. La rougeole se déclara à bord<br />

et il n'y avait pas de médecin sur le navire. Atteint par le mal, d'Epinay ne reçut pas les soins<br />

66 Il semblerait même que Nicolay avait pris parti contre d'Epinay dès avant le départ de ce dernier pour sa seconde mission,<br />

ainsi qu'en témoigne une dépêche du 16 février 1833 au Bureau Colonial dans laquelle il écrivait: "M. d'Epinay part pour<br />

Londres. Il est très irrité d'avoir été destitué "et déclare qu'il l'a été sur des motifs erronés et faux... Je crains qu'il ne doive être<br />

désormais considéré "que comme un ennemi violent et décidé du gouvernement britannique"', (Souvenirs d'Adrien d'Epinay,<br />

édités par Prosper d'Epinay, p. 19).<br />

67 Voir Seconde Mission, N. 49.<br />

68 Réponse d ’ Adrien d’Epinay à un écrit intitulé: «Avis du Gouvernement», signé Geo. F.Dick, Secrétaire Colonial, daté du 9<br />

décembre 1835, et publié dans la Gazette Officielle du 12 du même mois, Maurice, Imprimerie du Cernéen, 1835. C'est une<br />

brochure in-8 de 120 pages. La réponse elle-même ; s'étend sur 47 papes; le reste comprend 28 pièces justificatives. Cet<br />

opuscule à été reproduit dans Mauritiana, III, Nos 64 à 69.<br />

XXXII


nécessaires et arriva en France dans un état de faiblesse que l'hiver européen ne fit qu'aggraver.<br />

Quelques mois plus tard il expirait, à l'âge de 46 ans, après une longue et cruelle agonie.<br />

Cette fin douloureuse et prématurée, sur la terre d'exil en quelque sorte, bien que ce fût celle de<br />

ses ancêtres, lui conféra aux yeux de ses compatriotes un prestige de plus. Elle leur rendit sa mémoire<br />

plus chère et sa physionomie plus attachante. Son corps, ramené à Maurice en 1840, fut inhumé au<br />

cimetière historique des Pamplemousses dans un magnifique tombeau payé par les colons. Vingt-six<br />

ans après, l'île Maurice reconnaissante honorait encore la mémoire de celui qui avait été son défenseur à<br />

une des heures les plus critiques de son histoire en lui élevant à Port-Louis une statue, œuvre de son<br />

propre fils, Prosper d’Epinay, grand prix de Rome de sculpture, qui fut lui-même une des gloires<br />

Mauriciennes 69 .<br />

* * *<br />

L'année de la mort de d'Epinay se produisit un événement qui marque un moment décisif dans<br />

l'histoire de la politique coloniale anglaise: la publication du célèbre rapport de Lord Durham sur le<br />

Canada, rapport qui souleva sur le champ bien des critiques, mais qui est aujourd'hui considéré comme<br />

une œuvre de génie. Or les principes que préconisaient cet audacieux document étaient à peu près les<br />

mêmes que ceux qui animaient d'Epinay: abolition du système de tutelle et d'autoritarisme, dit «<br />

gouvernement paternel », considéré jusqu'alors comme la condition même de la puissance coloniale;<br />

pleine liberté pour les colons de faire leurs propres lois; minimum d'intervention de la métropole dans<br />

la législation intérieure des colonies. Sur ce dernier point Durham allait même beaucoup plus loin que<br />

d'Epinay.<br />

Pour opérer une telle révolution dans la politique coloniale anglaise et ébranler complètement<br />

le « vieux système colonial », que la sécession des colonies américaines, à la fin du XVIIIème siècle,<br />

n'avait pas réussi à battre en brèche, il avait fallu deux sanglantes rébellions au Canada. Et encore, s'il<br />

ne s'était pas trouvé un homme comme Durham pour prendre le taureau par les cornes il est probable<br />

que ce système aurait duré plus longtemps.<br />

Les Mauriciens, eux, qui ne s'étaient pas révoltés ou, si l'on veut, qui n'avaient fait qu'un<br />

simulacre de rébellion, ne bénéficièrent pas de ces principes. Au lieu de prêcher la modération à ses<br />

compatriotes, d'Epinay n'eût il pas été, donc, plus avisé de les exciter, au contraire, à la révolte?<br />

L'histoire ne s'écrit pas avec des hypothèses.<br />

Ce qui est certain c'est que son échec eut, pour l'histoire de cette île, des conséquences dont<br />

l'importance n'apparut, malheureusement, que beaucoup trop tard.<br />

69 Prosper d'Epinay, né à Port-Louis le 14 avril 1830, mort à Paris le 23 septembre 1914, consacra les loisirs qui lui laissait<br />

son métier de sculpteur à recueillir une documentation considérable sur l'histoire de son père. La Bibliothèque Carnegie de la<br />

ville de Curepipe, créée en 1920, acquit cette précieuse collection après sa mort.<br />

XXXIII


L'abolition de l'esclavage devait opérer une véritable révolution dans la vie des colonies à<br />

esclaves et leur ouvrir une ère nouvelle. Quelle était la portée de cet acte pour l'île Maurice c'est ce que<br />

nous apprennent ces paroles prononcées par Prosper d'Epinay dans un discours public 70 , lors de sa<br />

réinstallation comme Procureur-Général, le 5 février 1835 :<br />

« L'île Maurice, comme toutes les autres colonies britanniques, est appelée « à voir changer<br />

toute son organisation sociale. Des événements de la nature de « ceux qui se préparent ne s'opèrent pas<br />

seulement par la force des choses. De « graves difficultés, même de grands dangers, sont à surmonter ou<br />

à éviter. « Il s'agit pour la colonie d'être ou de n'être pas. »<br />

Nous avons intentionnellement souligné cette dernière phrase. On se tromperait fort en n'y<br />

voyant qu'une phrase à effet. En fait, elle dépeignait on ne peut mieux une situation que bien peu de<br />

Mauriciens, malheureusement, étaient alors à même de comprendre, et où, seul, un homme vraiment<br />

supérieur pouvait réussir.<br />

Adrien d'Epinay mort, cet homme ne se trouva pas. Prosper n'était qu'un philosophe. Comme<br />

Hamlet, il savait poser le problème, mais il ne pouvait pas le résoudre. Pour une fois la fortune, déesse<br />

aveugle, se détourna de cette île à laquelle elle avait suscité dans le passé plus d'un sauveur et le<br />

malheur voulut que ce fut précisément au moment où elle en avait plus besoin que jamais.<br />

Ce qui manqua encore à l'île Maurice à cette phase critique de son histoire ce fut une<br />

organisation politique qui seule, pouvait assurer à l'ordre nouveau qui se préparait quelque chance de<br />

succès. Prosper d'Epinay l'avait souligné dans son discours en ces termes: « Je dois convenir que nous<br />

atteindrons difficilement ce « but désirable tant que le pays sera privé d'institutions qui donnent à<br />

l'esprit « public une force et une direction sans lesquelles les grandes choses ne s'accomplissent pas » 71 .<br />

Mais c'était là précisément ce que le gouvernement britannique ne voulait pas donner aux<br />

Mauriciens.<br />

Deux raisons principales motivaient cette attitude 72 . Premièrement la crainte de donner trop de<br />

puissance à un parti ou à une section de la population. Raison assez futile, ainsi que nous l'avons montré<br />

plus haut. La façon dont s'y prit le gouvernement local pour vaincre l'opposition fut, d'ailleurs, si<br />

70<br />

Ce discours est reproduit, intégralement à l'Appendice VIII des Souvenirs d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay.<br />

C'est un vrai chef-d'œuvre, tant au point de vue du fonds qu'à celui de la forme.<br />

71 Voir Souvenirs d'Adrien d'Epinay, p 182.<br />

72<br />

Les raisons qui déterminèrent le Bureau Colonial à refuser à Adrien d'Epinay une assemblée législative pour l'île Maurice<br />

ne lui furent jamais donnée d'une manière explicite. (Voir à ce sujet Seconde Mission, No, 21, p. 79), mais, sur ce point, le<br />

livre de Lord Howick (The Colonial Policy of Lord John Russell's administration, London, 1853) et les déclarations de<br />

plusieurs gouverneurs de la colonie nous renseignent suffisamment.<br />

XXXIV


maladroite qu'elle aboutit finalement à un résultat exactement opposé à celui qu'on se proposait<br />

d'obtenir.<br />

En même temps qu'il déclarait une guerre sans merci à Adrien d'Epinay, qui était un vrai<br />

patriote, il faisait, en effet, des avances et prodiguait places et honneurs aux anti-jeremistes et aux<br />

agitateurs de 1832, dont les intentions étaient beaucoup moins pures. Maure, qui s'était toujours montré<br />

« gouvernemental », parfois même jusqu'à la complaisance, note le fait avec une amertume et une<br />

indignation bien compréhensibles dans ses Souvenirs d'un vieux colon. « L'intrigue « domine à<br />

Maurice, écrivait-il en 1840, tandis que la population restée fidèle à ses « devoirs est en disgrâce » 73 .<br />

La seconde raison n'était guère meilleure. Les Mauriciens n'étaient pas encore, pensait-on au<br />

Bureau Colonial, assez britanniques pour qu'on pût les doter d'institutions dont seuls de vrais<br />

britanniques étaient capables de faire un usage judicieux 74 . Notons ici, à ce propos, que Durham pensait<br />

de même des Canadiens français, mais que ses vues sur ce point ne prévalurent pas finalement. Les<br />

Mauriciens n'eurent pas la même chance.<br />

Mais la grande erreur, l'erreur fondamentale que commit le Bureau Colonial en rejetant les<br />

demandes d'Adrien d'Epinay fut de ne voir qu'une question d'intérêt là où les habitants de l'île Maurice<br />

ou, du moins, les plus lucides d'entre eux, tel d'Epinay, voyaient bien autre chose. On était convaincu à<br />

Downing Street que toute cette effervescence, toute cette agitation qui régnait à Maurice avant<br />

l'abolition de l'esclavage prendrait bien vite fin après la distribution de l'indemnité et que leur bourse<br />

une fois remplie, les colons de cette île cesseraient d'assommer le Bureau Colonial de leurs<br />

revendications et de leurs plaintes.<br />

Erreur, grave erreur, trop commune, cependant, dans l'histoire coloniale, non seulement de<br />

l'Angleterre mais de tous les peuples colonisateurs, pour qu'on puisse en blâmer d'une manière toute<br />

particulière les hommes qui avaient alors la direction du Bureau Colonial.<br />

Mais, après tout, dira-t-on, ce raisonnement n'est pas si mauvais puisque, en fait, c'est ainsi que<br />

la chose se passe, dans la plupart des cas. Erreur quand même, car si, à première vue, maints exemples<br />

empruntés à l'histoire coloniale semblent justifier cette thèse, une étude plus approfondie de cette<br />

histoire montre, au contraire, qu'une politique qui ne tient compte que de l'intérêt matériel est, tôt ou<br />

tard, vouée à l'échec.<br />

Leroy-Beaulieu, ce philosophe de la colonisation, a écrit à ce sujet des lignes sublimes: « C'est<br />

une bien superficielle connaissance de l'homme que celle qui suppose que les jouissances matérielles et<br />

73 André Maure; Souvenirs d'un vieux colon de l'Ile Maurice, La Rochelle, 1849, Ch. IV p.336.<br />

74 Ce point de vue subsista longtemps. Même lorsque, vers 1850, le Bureau Colonial se montra enfin disposé à accorder à l'île<br />

Maurice des conseils régionaux élus, ce plan fut combattu vigoureusement par le Secrétaire Colonial Bayley qui donna comme<br />

raison que l'île Maurice n'était pas encore devenue suffisamment britannique. Voir à ce sujet Dictionnaire de Biographie<br />

Mauricienne, No.18, p. 537.<br />

XXXV


le bonheur passif peuvent lui suffire: cela peut être pendant l'état d'enfance, ou pendant l'épuisement qui<br />

suit un état de crise, mais cette situation passagère ne saurait passer pour normale et permanente; un jour<br />

vient où, ayant conscience de sa force et de sa libre activité, l'homme aime mieux se confier à son étoile<br />

et s'engager, à ses risques et périls, dans les hasards d'une destinée obscure, que de se laisser mollement<br />

ailer, sous la direction d'autrui, par une route facile vers un bonheur calme et sûr» 75 .<br />

En ce qui concerne l'ile Maurice, s'il est vrai qu'elle connut, après l'abolition de l'esclavage, au<br />

lieu des malheurs que redoutait d'Epinay, une période de prospérité sans précédent et que cette<br />

prospérité détourna pour un temps l'énergie de ses habitants vers la course à la fortune, il est également<br />

vrai que cet état de choses ne dura pas et qu'on ne doit y voir qu'un phénomène caractéristique de «<br />

l'épuisement qui suit un état de crise. »<br />

Nous avons d'ailleurs là-dessus le témoignage d'un spécialiste de l'histoire coloniale anglaise: «<br />

C'est un fait singulier, écrit William Law Mathieson, que l'abolition de l'esclavage, qui fut un coup dur<br />

pour la production sucrière des West Indies, eut exactement l'effet contraire à Maurice, mais ce oui est<br />

encore plus singulier c'est que la prospérité dans le second cas fut accompagnée d'autant de<br />

mécontentement que l'adversité dans le premier» 76 .<br />

recueil.<br />

L'explication de ce « fait singulier » se trouve dans les documents réunis dans le présent<br />

75 Leroy-Beaulieu: De la colonisation chez les peuples moderne, Paris s, d. p. 745.<br />

76 William Law Mathieson: The Sugar colonies and, governor Eyre, London, 1936, p. 34.<br />

XXXVI


BIBLIOGRAPHIE<br />

DES ÉCRITS LAISSÉS PAR ADRIEN <strong>D'EPINAY</strong><br />

1. Réfutation du rapport de la Commission d'Enquête de 1826-28, dont il existe une traduction; anglaise au Record<br />

Office (Mauritius, 1830, vol. 150) sous le titre de Memoire presented by a body of notables protesting against the<br />

proposed mesure of emancipating all illegally imported slaves. (Ce mémoire n'a jamais été publié.)<br />

2. Mémoire des colons de l'île Maurice, présenté à Lord Goderich le 16 février 1831. (Reproduit à, l'Appendice VII du<br />

présent recueil.)<br />

3. Rapport fait au Conseil sur les moyens les plus propres à obtenir la plus grande amélioration possible de la<br />

condition des Esclaves à l'Ile Maurice et les préparer à jouir de l'état de liberté sans compromettre le sort de la<br />

Colonie. 1832 (Reproduit à l'Appendice VIII du présent recueil.)<br />

4. Catéchisme du Mauricien (in Cernéen du 8 juin 1832, reproduit à l'Appendice V des Souvenirs d'Adrien<br />

d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay.)<br />

5. Mémoire présenté par les habitants de l'Ile Maurice, à l'appui de leur pétition au Roi, au sujet des maux qu’-ils ont<br />

éprouvés, des dangers auxquels, sils sont exposés, et des droits qu’ils réclament; expliquant aussi les, événements qui<br />

se sont passés dans la Colonie, pendant les mois de juin et juillet mil huit cent trente-deux. (Reproduit à<br />

l'Appendice IV des Souvenirs d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay.)<br />

6. Réponse de M. Adrien d'Epinay à un écrit intitulé Avis du Gouvernement, signé G. F. Dick, Secrétaire Colonial, daté<br />

du 9 décembre 1835 et publié dans la Gazette Officielle au 12 du même mois. Port-Louis, Imprimerie du Cernéen,<br />

1835, in-8, 120 pp.<br />

7. Mémoire pour les habitants de l'Ile Maurice en réponse aux accusations portées contre eux dans le but de les priver<br />

de la portion qu’il leur est attribuée pour la Commission aux fonds de compensation, sur les £ 20,000,000 votés par<br />

l'acte des 3e et 4e années de William IV, chap.73, comme indemnité aux propriétaires des esclaves affranchis par le<br />

dit acte. Port-Louis, Imprimerie du Cernéen, 1836, in-8, 211 pp.<br />

8. Réflexions sur la mesure administrative qui autorise la création d'une nouvelle banque et l'émission d'un nouveau<br />

papier à Maurice et sur les motifs qui l'ont déterminée, Port-Louis, Imprimerie Deglos, 1838, in.4, 30 pp.<br />

Adrien d'Epinay publia également un grand nombre d'articles, sous ses propres initiales on sous le pseudonyme Philo-<br />

Mauritius, dans la Gazette de Maurice avant 1832, puis dans le Cernéen qu'il fonda le 14 février 1832 et auquel il ne<br />

cessa de col1aborer jusqu'à son départ définitif de Maurice en 1839. Durant ses deux séjours en Angleterre il publia<br />

aussi plusieurs articles dans le Times et le Glasgow Courrier.<br />

XXXVII


PREMIERE MISSION<br />

Extrait du JOURNAL GÉNÉRAL DE MAURICE du lundi 23 no<br />

1<br />

Adrien d'Epinay à son frère Prosper d'Epinay.<br />

21 octobre 1829.<br />

Voici aujourd'hui sept mois bien révolus, mon cher Prosper, que vous nous avait quittés, et je<br />

devrais avoir de vos nouvelles de France.........<br />

……… Nous venons de recevoir le rapport des Commissaires au sujet de la traite. Les scélérats les<br />

infâmes, les f... bêtes! On n'a jamais vu un mélange aussi inepte de mauvaise foi et de sottise. Entre les<br />

Ministres et les « Saints» (1) ils n’ont pas en le courage de se décider pour la vérité; advienne que<br />

pourra. Ils ont ménagé les deux partis, et nous ont bassement, lâchement sacrifiés à leur vil intérêt. Je<br />

vais leur répondre et, s'ils ont de la conscience, j'y ferais descendre le remords…… Nous allons faire une<br />

pétition au Ministre afin qu'il suspende la discussion au Parlement jusqu'à ce qu'on ait reçu nos<br />

réfutations. Je m'occupe de deux travaux: une lettre à Lord Brougham sur l'ensemble des accusations, un<br />

examen du rapport des Commissaires. Il est probable que je vous enverrai cela - le faire publier, etc. .....<br />

Il est arrivé beaucoup de paquets par le dernier navire et nos juges en concluent que l'organisation (2) s'y<br />

trouve. Je n'en crois rien. On a du attendre le rapport des Commissaires sur l'administration de la justice<br />

et ce rapport n'est pas encore présenté, du moins, nous n'en avons pas la nouvelle. Avant qu'il soit lu,<br />

discuté, approuvé et que les travaux de l'organisation soient préparés, il se passera du temps. Je suis<br />

bien sûr qu'il n'y aura rien de fait de votre voyage en Angleterre. J'attends avec bien de l'impatience vos<br />

lettres de Londres où votre présence nous sera bien utile. Vous saurez, dans la haute société, beaucoup de<br />

choses qui ne se disent pas partout, et vous pourrez, mieux que personne, nous dire ce que nous avons à<br />

craindre où à espérer ……….<br />

Les Français ne sont emparés de Tamatave de force (3) ; il y a eu de la résistance. On dit que le<br />

Commandant (Goubeyre) est un homme de résolution. Il est question qu'il prenne aussi possession de<br />

Zanzibar. C'est bien ce que les Français pourraient faire de mieux. Le port est magnifique: il est sûr et<br />

recevrait une flotte nombreuse; la terre fertile ; le climat sain: la population souple. Si on y établissait<br />

une colonie, elle serait bientôt grossie par des émigrants de la nôtre……<br />

... Le Gouverneur (4) m’écrase de ses comités ; il en créé pour la moindre chose, et la besogne<br />

me retombe me retombe toujours sur le dos ; c'est un bon homme, ayant bonne volonté, etc. ........<br />

ADRIEN <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

38


L DE MAURICE du lundi 23 novembre 1829.<br />

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES HABITANTS<br />

« La demande faite le 15 novembre par plusieurs habitants de convoquer une assemblée générale, à<br />

l'effet d'adresser une pétition au Secrétaire d'Etat, Ministre des Colonies, ayant été accordée par le<br />

Gouvernement, les Colons sont prévenus que la réunion aura lieu jeudi, 26 du courant, chez MM.<br />

Antelme et Mars, rue du Gouvernement, à onze heures précises. Il s'agit de répondre aux attaques<br />

dirigées contre la Colonie et de détruire l'effet qu'elles pourraient produire dans le public et dans le<br />

Parlement, si elles restaient sans réfutation. »<br />

3.<br />

Compte-rendu de l'assemblée générale du 26 novembre 1829.<br />

Le 15 novembre 1819, une demande fut adressée au Commissaire général de Police à l'effet<br />

d'obtenir l'autorisation nécessaire pour une réunion générale des habitants. Son Excellence le<br />

Gouverneur ayant bien voulu y donner son consentement, la gazette officielle du 21 annonça que<br />

l'Assemblée aurait lieu le 26, dans la maison Antelme et Mars, rue du Gouvernement, et que l’on y<br />

aviserait au moyen de répondre aux accusations calomnieuses portées contre la Colonie, et de détruire<br />

l'effet qu'elles pourraient produire dans le public ou au Parlement si elles restaient sans réfutation.<br />

En conséquence, jeudi, 26, un grand nombre d'habitants se réunirent vers les onze heures du matin, M.<br />

Wiehe (5) étant élu président par acclamation, l'assemblée se constitua et choisit pour secrétaire M. A.<br />

d'Epinay. Celui-ci prit alors la parole à peu près en ces termes:<br />

« Messieurs, chaque jour de nouveaux ennemis se déclarent contre nous. Les premières<br />

accusations dont nous avons été l'objet datent de l'époque heureuse (où nous vîmes cesser, par<br />

l'admission de nos sucres en Angleterre, au droit de 27 Schellings, (6) une distinction fatale à nos<br />

intérêts et humiliante pour notre caractère, puisqu'elle nous plaçait au dessous des Colonies<br />

Occidentales, qui semblaient avoir ainsi plus de droits que nous à la protection de la métropole.<br />

Cette époque suivit de près celle non moins heureuse pour la Colonie où l'on vit finir chez elle le<br />

Commerce des esclaves, qui la compromettait et la déshonorait. (7)<br />

Il est remarquable que l'on ait commencé à nous accuser précisément dans le temps où tout motif,<br />

tout prétexte même de le faire, venait de disparaître. Ce rapprochement donne une idée de la bonne foi<br />

de ceux qui nous poursuivent avec tant d'acharnement. De ce nombre est l'Association des Aborigènes<br />

(8) qui depuis quelque temps publie, à Londres, un journal mensuel intitulé Anti-Slavery Reporter. C'est<br />

lui qu'elle a fait l'organe de sa haine contre nous. On nous y peint sous des couleurs les plus atroces.<br />

39


Selon cet ouvrage, nous brûlons tous de voir recommencer la traite des esclaves, et la seule sévérité<br />

des lois nous retient. Tous nous commettons chaque jour et comme à plaisir, les plus horribles<br />

cruautés. Et les tribunaux, loin de punir des crimes de ce genre, les encouragent par<br />

l’impunité. Pour soutenir d’aussi calomnieuses assertions, les auteurs de cet infâme<br />

libelle achètent partout des accusations contre la Colonie. Aidés dans leurs recherches<br />

par d’anciens fonctionnaires coloniaux qui nous haïssent parce que ils nous ont fait du<br />

mal ; instruits aussi, nous avons lieu de le croire, par de perfides correspondances, ils<br />

s’emparent des faits, des documents authentiques, et ne craignent pas de les mutiler, de<br />

les falsifier, pur s’en faire des armes contre nous, et donner quelque couleur à leurs<br />

mensongères accusations.<br />

(L'orateur lit quelques passages de ce journal)<br />

Vous voyez, messieurs, de quel fiel ces pages sont empreintes. Vous reconnaissez que chaque<br />

mot est un mensonge; vous êtes indignés des actes criminels que l'on vous attribue faussement.<br />

Occupons-nous des moyens d'y répondre et de démasquer de pareils imposteurs. Ne laissons pas<br />

croire plus longtemps à nos compatriotes de la métropole que nous sommes indignes de leur estime et<br />

de la protection du Gouvernement qui nous régit de même qu'eux.<br />

Quelques-uns de nos honorables amis ici présents se sont entendus avec nous à ce sujet. Après<br />

en avoir délibéré, nous sommes tombés d'accord qu'un procès en calomnie doit être intenté aux<br />

auteurs de l'Anti-Slavery Reporter devant les tribunaux de Londres. Une procuration convenable<br />

serait, d'après ce projet, rédigée et signée ici, puis adressée à un agent sûr et capable pour remplir<br />

notre intention. L'Assemblée devra prendre une résolution à cet égard.<br />

Un autre sujet devra fixer votre attention. Vous savez que le rapport de Messieurs les<br />

Commissaires d'Enquête, imprimé par ordre du Parlement, est arrivé dans la Colonie, non tout entier,<br />

mais seulement la partie qui traite du commerce des esclaves. Cet écrit propose certaines mesures<br />

dont l'exécution entraînerait les plus grands dangers; et de plus, en ce qui touche le passé, nous n'y<br />

sommes point épargnés. Des opinions désavantageuses, des mesures défavorables pour nous,<br />

pourraient être le résultat de cet ouvrage. Il importe que nous y ajoutions d'amples éclaircissements, et<br />

que nous fournissions au Ministre des Colonies des renseignements que Messieurs les Commissaires<br />

d'Enquête n'ont pas voulu recevoir de notre main. Il conviendra que l'assemblée choisisse dans son<br />

sein quelques habitants qu'elle chargera spécialement de ce travail qui sera officiellement envoyé au<br />

Bureau Colonial.<br />

Il est toujours important pour la Colonie de se justifier aux yeux de la métropole. Mais, dans les<br />

circonstances actuelles, cette nécessité devient encore plus pressante. En effet, à la rentrée du<br />

Parlement, qui aura lieu vers les fêtes de Pâques, la Chambre des Communes s'occupera d'une<br />

réduction proposée sur les sucres des possessions britanniques. L'Association des Aborigènes d'un<br />

côté, « les colons des Antilles (9) de l'autre, également avides de nous nuire, s'armeront, sanavides de<br />

40


ute, de toutes les accusations publiées contre l’île Maurice, lesquelles, si nous ne les réfutions pas dès<br />

à présent et en toute hâte, pourraient produire au Parlement un effet désavantageux pour la Colonie,<br />

Mais le temps qui doit s'écouler d'ici Pâques est si court que nous ne pourrons préparer nos<br />

documents, rassembler nos preuves, les mettre sous les yeux du Ministre et de la Chambre. Il convient<br />

donc que notre première démarche soit d'adresser au Très Honorable Sir George Murray une humble<br />

supplique tendant à obtenir que toute discussion de nos intérêts, à la Chambre des Communes, soit<br />

ajournée jusqu'à ce que nous ayons produit la réfutation des accusations portées contre nous, et<br />

clairement démontré notre innocence. Lorsqu'on nous connaîtra bien que l'on saura la vérité, nous ne<br />

pouvons manquer d'obtenir justice. »<br />

L'orateur lit alors la pétition et appelle l'assemblée à discuter. La discussion porte<br />

principalement sur la manière de recueillir les fonds nécessaires pour les frais de poursuites et la<br />

procédure, etc.<br />

Les diverses propositions faites dans cette discussion, étant alors mises aux voix par le<br />

Président, sont adoptées à l’unanimité.<br />

Tous les Membres sont ensuite venus, l'un après l'autre, au Bureau, et ont signé la pétition<br />

adressée au Ministre des Colonies, laquelle sera nécessairement transmise à Son Excellence le<br />

Gouverneur.<br />

Monsieur,<br />

4.<br />

Adrien d'Epinay au Capitaine Richard Vicars (10).<br />

Port-Louis, Ile Maurice,<br />

7 août 1830,<br />

Le Comité Colonial a reçu avec reconnaissance voire manuscrit intitulé « Calumny Exposed ».<br />

Les malheureux Colons de Maurice, qui ont trouvé jusqu'ici tant d'ennemis et si peu de défenseurs,<br />

n'ont pu, sans un vif sentiment de joie, vous voir, avec une générosité et un sentiment dignes<br />

d'admiration, élever la voix pour les défendre.<br />

Déjà l'amour de la vérité et de la justice avait fait sortir de votre plume la représentation publiée<br />

l'année dernière à Londres, mais cet opuscule, sans nom d'auteur, n'a pas, à cause de cette circonstance<br />

même, créé une sensation aussi grande que l'on devait attendre. Je suis chargé de vous transmettre, au<br />

nom du Comité Colonial, le désir qu'éprouvent tous ses membres de voir publier à Londres, avec<br />

votre nom, ce dernier manuscrit. L'anonyme pourrait laisser à nos lâches ennemis la ressource de dire<br />

qu'un planteur, ou un écrivain salarié par les colons, a composé cet ouvrage et que son témoignage ne<br />

41


saura que vous en êtes l'auteur, on ne pourra élever le moindre doute sur la véracité de vos assertions<br />

désintéressées; et la noble chaleur d'un vrai philanthrope triomphera de nos calomniateurs.<br />

Le Comité me charge de vous offrir l'assurance de sa haute considération.<br />

Croyez que je suis sincèrement, Monsieur,<br />

Votre très humble et très dévoué serviteur,<br />

5.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>,<br />

Secrétaire du Comité Colonial.<br />

Extrait du Registre des délibérations et arrêtés<br />

du Comité Colonial de l'Ile Maurice.<br />

SÉANCE DU 30 SEPTEMBRE 1830.<br />

Lecture a été faite du procès-verbal du 20 courant et il a été adopté à l'unanimité.<br />

Les lettres adressées par les divers quartiers de la Colonie au Président du Comité Colonial,<br />

autorisant le Comité à donner les pouvoirs qu'il jugera convenables à M. A. d'Epinay, sont déposées<br />

sur le Bureau.<br />

Sur le vu de ces pièces, et après délibération, le Comité Colonial, en vertu des pouvoirs envoyés<br />

de tous les quartiers de l'île, ci-annexés, arrête et donné pouvoir à M A. d'Epinay:<br />

1o. de représenter en Angleterre la Colonie de l'Ile Maurice.<br />

2o. de porter aux pieds du Trône les doléances de la Colonie, et, spécialement sur la<br />

proposition de Messieurs les Commissaires d'Enquête de rechercher les esclaves prétendus<br />

introduits depuis 1814.<br />

3o. de répondre aux calomnies dirigées contre les habitants de la Colonie.<br />

4o. de démontrer l'injustice et la fausseté du rapport des Commissaires d'Enquête.<br />

5o. de nommer et constituer un agent à l'effet de représenter la Colonie en Angleterre, et<br />

de lui adjoindre un suppléant qui le remplacerait le cas échéant (11).<br />

6o. de régler les émoluments et frais de l'Agence Coloniale, conformément aux bases<br />

précédemment arrêtées par le Comité Colonial.<br />

7o. de présenter à qui de droit toutes pétitions et mémoires utiles à la Colonie et relatifs à<br />

l'agriculture, au commerce et au droit de propriété.<br />

42


es Communes les deux pétitions relatives au rétablissement du système représentatif dans la<br />

Colonie et à la réduction des droits sur les sucres mauriciens.<br />

(signé au registre)<br />

6.<br />

-<br />

LUCAS, Président.<br />

A.<strong>D'EPINAY</strong>, Secrétaire<br />

LUCAS, Président<br />

Pour copie conforme.<br />

(signé) E. DUPONT, Secrétaire.<br />

Instructions du Comité Colonial à M. A. d'Epinay,<br />

député de Maurice<br />

Autorisés par les pouvoirs signés dans les divers quartiers de la Colonie de remettre des<br />

instructions à notre député, nous partageons avec l'unanimité des Colons la confiance la plus entière<br />

dans les talents de M. d'Epinay et dans son dévouement à son pays. Quoique sa mission soit aussi<br />

difficile qu'elle est honorable, nous avons l'intime conviction qu'il justifiera le choix de ses<br />

concitoyens. Mais, ne pouvant préciser la conduite qu'il aura à tenir dans des circonstances hors de<br />

notre prévision, nous nous bornerons à tracer les points principaux dont il ne pourra dévier, sauf à y<br />

coordonner tout le reste.<br />

D'abord convaincus de la nécessité urgente d'avoir des défenseurs dans le sein du Parlement,<br />

nous donnons à M. d'Epinay une nouvelle preuve de notre confiance en l'autorisant à choisir un ou<br />

plusieurs agents parmi les membres du Parlement, et nous nous engageons à approuver ses<br />

dispositions, lui observant seulement que, d'après l'épuisement de la Colonie et la difficulté de faire<br />

payer l'arriéré dû aux précédents agents, il est indispensable de se borner aux dépenses strictement<br />

nécessaires.<br />

M. d'Epinay se chargera de représenter et faire valoir notre précédente pétition, tendant à<br />

demander une représentation (12). Il est à craindre que cette demande n’éprouve la même difficulté<br />

que celle du Cap (13), quoique les objections fondées sur la trop grande étendue de terrain,<br />

43


la diversité d'extraction, ne puissent nous être appliqués. Il devra toujours rappeler que nous ne nous<br />

sommes soumis que sous la capitulation la plus avantageuse, qui nous garantissait nos propriétés, lois<br />

et coutumes; que, si nos anciens droits nous sont enlevés, il est de toute justice, et sous-entendu, que<br />

nous devons être traités comme la colonie la plus favorisée. L'objection tirée du rejet des mesures<br />

d'amélioration dans les colonies représentées doit tomber à notre égard par l'admission déjà effectuée<br />

de ces mêmes mesures (14).<br />

M. d'Epinay aura aussi à s'occuper de l'adresse qui nous est commune avec les autres colonies,<br />

en dégrèvement des droits d'importation en Angleterre. Ils sont d’autant plus excessifs pour nous,<br />

qu'en raison de l’éloignement, le fret et assurances sont plus onéreux. Le prix commun net des ventes,<br />

en 1830, (quoiqu'une partie des basses qualités ait été dirigée sur d'autres marchés), n'a guère été<br />

que de 11 schellings le quintal. Sur ce faible produit, il faut déduire maintenant les divers frais<br />

généraux d’emballage, de transport à un seul entrepôt pour toute la Colonie, d'embarquement, etc. que<br />

l'on peut estimer au dessous de 3 schellings. Il ne reste donc au propriétaire que 8 schellings, somme<br />

bien peu relative aux frais d'exploitation. C'est là-dessus cependant que le Gouvernement local exige<br />

1 schelling; ce qui représente 12½ pour cent de droit colonial, et 350 pour cent de droit d'importation.<br />

Un des principaux objets que doit avoir en vue M. d'Epinay est de reproduire de la manière la<br />

plus vive les griefs et les doléances de la Colonie, en partant toujours du principe de la capitulation<br />

(15), ou d’un traitement égal à celui de la colonie la plus favorisée.<br />

Et cependant on a établi impôts sur impôts; celui sur les immeubles du port a été quadruplé.<br />

La capitation sur les noirs et le marronnage était de 3 schellings, elle excède maintenant 7 schellings.<br />

Il n'existait pas de droit de patentes. Il en a été établi. Les boissons ont été frappées d'un<br />

privilège qui rend au Gouvernement 50.000 livres sterling en mettant les propriétaires à la discrétion<br />

du fermier.<br />

Les chevaux, voitures, et jusqu'aux charrettes servant à l'exploitation ont été soumis à des droits<br />

onéreux.<br />

Le droit d'un schelling sur la sortie des sucres, quelle que soit leur qualité, a produit, (la coupe<br />

dernière), 40 ,000 livres sterlings, totalement à la charge des manufactures<br />

Rien de ce qui était imposable n'a échappé au fisc. En définitive, nous payons environ 200,000<br />

livres sterlings, c'est-à-dire, plus de cinquante pour cent du revenu brut de la Colonie, car elle n'a<br />

produit dans la meilleure année qu'environ 70, 000,000 de sucre à 11 schellings ou au total, 385,000<br />

livres sterlings.<br />

Des taxes excessives, hors de proportion avec la fortune publique, établies et augmentées<br />

journellement par une simple ordonnance. Sans contrôle, sans participation des contribuables, ne<br />

constituent-elles pas l'arbitraire le plus complet, le plus oriental, tandis que le pavillon anglais flotte<br />

sur nos rives sans nous protéger!<br />

44


celles des droits de quai, créées pour un but spécial, atteint depuis longtemps, ne s'en perçoivent pas<br />

moins. La taxe dite du marronnage a donné, depuis la prise de l'île plus de 250,000 piastres de<br />

bénéfice au Gouvernement, et cependant, au lieu d'obtenir les dégrèvements que sollicitaient tous les<br />

malheurs qu'a soufferts la Colonie l'incendie, les ouragans, la peste (6), chaque année voit naître de<br />

nouveaux impôts.<br />

Si, du moins, il existait quelque compensation de cet état de choses qui suffira pour nous<br />

détruire, (même sans l'intervention de la Secte Négrophile). Bien loin de là! Toute garantie nous a été<br />

enlevée; la presse, à défaut de moyens légaux, nous offrait seule la possibilité de faire connaître ; au<br />

dehors nos infortunes, et de faire pénétrer jusqu'à la métropole nos justes plaintes; on nous l'a refusée<br />

en la soumettant à la plus avilissante censure.<br />

Nous n’avons aucune institution municipale, car on n'affectera pas de prendre pour telle la<br />

réunion dérisoire des Commandants de quartier (17) avec des notables muets nommés par le<br />

Gouvernement, révocables par lui, et dont la première règle est de ne s'occuper de rien. Aussi les<br />

impôts municipaux sont ils détournés de leur but, pour centraliser dans la caisse du Gouvernement<br />

tout le numéraire en circulation. Que l'on juge de notre situation, puisque nous devons au Gouverneur<br />

une sincère reconnaissance pour avoir fait sortir du Trésor une partie de ces fonds appartenant<br />

réellement à la Communauté, en les prêtant à l'intérêt de 9 pour cent à des propriétaires. Son but, très<br />

louable, était d'obvier à une crise financière qui ne pouvait être outrepassée que par celle où nous<br />

entrons, sans en apercevoir l'issue.<br />

Nous n'avons ni administration légale, ni police (18), au milieu des désordes que font naître<br />

journellement et qu'engendrent les réglements désorganisateurs qui nous sont successivement<br />

imposés.<br />

Aucune mesure préventive n'a été prise, quoique l'on ait fait le simulacre de prendre l'avis et<br />

consulter le vœu des administrés. Ils ont adopté franchement tous les moyens possibles<br />

d'amélioration, et cependant leur tranquilité et leur fortune sont dues jusqu’ici non aux lois, mais à la<br />

sagesse des chefs. A quoi tient leur précaire existence au milieu d'une population qu'on excite à tous<br />

les excès, et dont le sort est pourtant bien préférable à celui du manœuvre en Europe? Là le véritable<br />

malheur du pauvre est de ne pas trouver d'ouvrage; sous les tropiques le malheur de la basse classe est<br />

d'être obligée de travailler pour vivre. Aussi les vices les plus dégradants signalent généralement ceux<br />

qui ont la liberté de ne rien faire. C'est une vérité incontestable, consacrée par tous ceux qui ont vu les<br />

colonies ailleurs que dans ces réunions cannibales de l'Anti·Slavery.<br />

Nous remettons aux talents de M. d'Epinay le soin de développer ce que nous n'avons tracé<br />

qu'à grands traits, afin de tâcher à d’obtenir d'un Gouvernement mieux instruit les garanties qui nous<br />

manquent, et dont la nécessité n'est que trop prouvée par les mesures dont l'annonce actuelle a<br />

imprimé à toutes les classes de la Colonie un mouvement de terreur. Elles ont motivé comme dernière<br />

ressource l'envoi d'un député en Europe.<br />

45


par les Commissaires d'Enquête paraît devoir être incessamment adoptée par le Ministère.<br />

M. d'Epinay est chargé de présenter la réfutation du libelle de ces agents prévaricateurs, et<br />

spécialement de combattre cette mesure qui attaque toutes les propriétés dans leur essence, et qui, de<br />

garantie en garantie, armerait les propriétaires légitimes contre leurs vendeurs et leur ayant-cause en<br />

remontant jusqu'en 1814 (19). C’est l'idée la plus désorganisatrice qui ait pu surgir de la tête d'agents<br />

vendus à la Secte.<br />

Nous laissons à M. d'Epinay à faire usage de tous les moyens que peuvent lui offrir les lois et la<br />

jurisprudence; mais, comme il s'agit ici d'un acte d'économie politique, nous lui recommandons de la<br />

manière la plus expresse de considérer la question sous le point de vue administratif et de bonne foi<br />

publique.<br />

Une population entière, dont la presque totalité n'a reçu que des connaissances les plus<br />

nécessaires à la vies, ne peut diriger ses transactions que sur les actes, les lois, les promesses de son<br />

Gouvernement, qu'il ne lui est pas donné de commenter. On lui a prescrit en 1826 de représenter au<br />

greffier tous les esclaves qu'elle possédait à quelque titre que ce soit. Plusieurs actes successifs du<br />

Gouvernement, ou de ses officiers, ont corroboré ces dispositions et dans les mêmes termes. On<br />

possédait ou par héritage, ou par acquisition privée, d'après un recensement authentique de 1815 (20),<br />

ou pour avoir acquis aux ventes faîtes au tribunal, au nom de Sa Majesté, ou pour avoir acheté des noirs<br />

introduits aux Seychelles par autorisation du Gouvernement, après la vérification et la visite des<br />

officiers de la douane: le Gouvernement, sur la représentation de ces esclaves, a donné postérieurement<br />

aux propriétaires un titre imprescriptible, au moyen de coupons transmissibles avec des formalités. Ces<br />

coupons dispensaient dans les transactions de titres antérieurs qui ont été négligés et regardés comme<br />

inutiles. Tous les arguments possibles ne pourront, aux yeux de la bonne foi publique, de l'équité, de<br />

tout ce qu'il y a de sacré parmi les hommes, entacher de nullité de pareils titres, plonger toute une<br />

colonie dans le dédale de procès interminables, mettre toutes les propriétés en problèmes, arracher le<br />

gage des créanciers, et opérer leur ruine en même temps que celle du débiteur.<br />

Tels sont, en partie, les fruits de la mesure proposée; mais il en est encore d'autres bien<br />

importants aux yeux de nos ennemis et qui les mènent directement au but qu'ils se proposent<br />

hautement. L'esclave, à quelque époque qu'il ait été introduit, présentera, en vertu du dernier Ordre en<br />

Conseil, un certain nombre de ses camarades esclaves, comme témoins irrécusables de son introduction<br />

vraie ou fausse. Ce sera un service à charge de revanche, Si sa prétention est repoussée par les<br />

tribunaux, l'affaire sera portée en Angleterre au Conseil de Sa Majesté! Les frais de poursuites obligent,<br />

dès lors, le propriétaire à se désister et alors l'esclave parvient nécessairement d'une ou d'autre manière<br />

au but qui lui a été suggéré: son exemple ne sera-t-il pas immédiatement suivi? D'un autre côté, les<br />

créoles (21), (plus civilisés et se croyant une grande supériorité sur les autres esclaves), supporteront-ils<br />

tranquillement un jour destiné à eux seuls? Qui peut douter que les incendies et les massacres ne soient<br />

46


une suite nécessaire de tels antécédents, et cela au milieu de 70,000 demi-sauvages? Il en a fallu dix fois<br />

moins pour couvrir de sang et la Jamaïque et la Barbade et Demerara (22) .....<br />

Après avoir considére la Colonie sous ses rapports de politique, d'administration, d'existence<br />

enfin ou de ruine absolue, si M. d'Epinay parvient à conjurer l'orage, et à nous préserver<br />

momentanément du sort auquel nous semblons ne pouvoir échapper, en ayant beaucoup fait, il n'aura<br />

encore obtenu qu'un résultat insuffisant. Le crédit public, anéanti dans toutes ses sources, ne peut<br />

renaître que par la sécurité et cette sécurité ne put être due qu'à des institutions fixes et positives. Il<br />

faudra en avoir les plus fortes assurances pour oublier les circonstances actuelles. N'a-t-on pas vu, au<br />

milieu de Londres, le 16 mai 1830, se renouveler ces scènes dégoûtantes des Clubs Révolutionnaires<br />

(23)? Les vociférations des modernes Jacobins ne se sont-elles pas renouvelées sous les yeux d'un<br />

Gouvernement qui n'est fort qu'au dehors? N'a-t-il pas pu entendre de<br />

dehors ? N’a-t-il pas pu entendre de Downing Street, les cris provocateurs de la violation des propriétés<br />

et des massacres? L'écho de ces saturnales n'a-t-il pas pénétré dans le sanctuaire de l'autorité?<br />

Nous ne nous dissimulons pas le peu de chances de succès. Notre député aura-t-il le pouvoir<br />

d'éclairer le Gouvernement? Peut-on espérer que l'intrigue, les préjugés, le fanatisme, la mode se<br />

taisent dans le Parlement, devant la voix de l'équité, de l'honneur et des principes qui seuls peuvent<br />

maintenir l'Angleterre au rang de puissance prépondérante?<br />

S'il réussit, il n'aura pas encore tout fait. Nous portons en nous le germe de notre destruction.<br />

Nous nous sommes livrés à des entreprises que le succès seul pouvait légitimer, succès qui tenait à une<br />

longue tranquillité sur laquelle il ne faut plus compter. La ruine des sucreries et conséquemment de la<br />

Colonie est instante d'après l'état des impôts, et le prix élevé de l'intérêt. Le calcul en est bien facile à<br />

établir.<br />

Pour nous maintenir comme colonie productive, il faut donc que nos droits et notre propriété<br />

soient maintenus par une reconnaissance et des garanties inattaquables; que les impôts soient fixés<br />

d'une manière équitable, et en proportion avec les dépenses nécessaires; enfin, que l'intérêt soit réduit à<br />

un taux qui puisse donner aux débiteurs la faculté de s'acquitter, mesure à laquelle les créanciers euxmêmes<br />

sont peut-être plus intéressés qu'ils ne le pensent.<br />

Nous sentons très bien que les raisonnements les plus concluant ne sont rien pour les hommes<br />

à parti qui font le mal sciemment et volontairement. Sous un masque trompeur quelques intriguants<br />

traînent à leur suite une foule fanatique, en égarant l'opinion. C'est donc là le champ où M. d'Epinay<br />

doit s'entourer de tous les auxiliaires qu'il pourra trouver. C'est au tribunal de cette opinion, de la bonne<br />

foi publique existant encore dans le cœur des hommes non vendus, ou prévenus, c'est là qu'il doit<br />

traîner nos ennemis. Là seulement il pourra combattre à armes égales. Il fera ressortir la vérité des<br />

nuages dont on l'entoure. Il fera connaître quel est chez nous l'état de ces esclaves sur lesquels on<br />

s'apitoie si ridiculement. Il montrera que les anti-colonistes veulent livrer le monopole du sucre à<br />

47


l'Amérique et aux Etats-Unis, qui comptent une immense population esclave, à la propriété de laquelle<br />

on ne touche pas dans le pays le plus libre du monde !......<br />

M. d’Epinay pourra voir toutes nos instructions ne sont basées que sur les deux grands principes<br />

qui ont fait la force et l'esprit national de l'Angleterre: le respect aux propriétés et à l'inviolabilité des<br />

personnes. Ces instructions, au reste, ne sont en quelque sorte que des jalons placés sur la route<br />

épineuse qu'il aura à parcourir. L'honneur, l'amour de son pays, un noble orgueil soutiendront ses<br />

efforts. Puissent-ils ne pas être infructueux !<br />

Port-Louis, Ile Maurice, le 6 octobre 1830.<br />

Les Membres composant le Comité Colonial :<br />

LUCAS<br />

A. DESYAUX<br />

A. POUGET DE ST ANDRÉ<br />

CAR<strong>LES</strong><br />

F BARBÉ<br />

P. PILLIET<br />

E PITOT<br />

R. PITOT<br />

B. LABUTTE<br />

H.Y. KOENIG<br />

J. M. COUVE<br />

P A. RIVIÈRE<br />

PERROT<br />

ROUGIER-<br />

LAGANE<br />

HERCHENRO<br />

DER<br />

HENRY ADAM<br />

GAUD JNE<br />

P, D LABAUVE<br />

D'ARIFAT<br />

A. HUGNIN<br />

EVENOR DUPONT<br />

Parti de Maurice, le 10 octobre 1830, Adrien d'Epinay arrive à Londres le 26 janvier 1831.<br />

Il demande immédiatement une audience à Lord Goderich (24), Ministre des Colonies, en lui adressant le<br />

"Mémoire des Colons de l'Ile Maurice. " (25)<br />

48


Monsieur,<br />

7.<br />

M. Smith (26) à Adrien d'Epinay.<br />

Downing Street,<br />

27 janvier 1831.<br />

Lord Goderich me charge de vous dire qu'il serait bien aise de vous voir, et qu'il sera prêt à<br />

vous recevoir ici, samedi prochain.<br />

Monsieur,<br />

8.<br />

M.Smith à Adrien d’Epinay.<br />

J'ai J'honneur, etc.,<br />

Downing Street<br />

P. SMITH.<br />

28 janvier 1831.<br />

Lord Goderich vous prie de passer demain au Ministère, à deux heures au lieu de midi.<br />

Je suis, etc.,<br />

P. SMITH.<br />

49


Sir,<br />

9<br />

Lord Howick (27) à Adrien d’Epinay<br />

Colonial Office,<br />

29 January, 1831.<br />

Since Lord Goderich signified to you his willingness to afford you the interview you requested I<br />

have purused the « Examen du travail intitulé: Report of the Commissioners of Enquiry upon the<br />

Slave Trade at Mauritius» which has been recently received in this country from the Government of<br />

Mauritius. As you were one of the committee by whom this « Examen » was drawn up, I think it<br />

right, before you are received by Lord Goderich, to request [from] you an explanation of the passages<br />

extracted from it, which I now enclose. I am induced to do so because it appears to me that the<br />

expressions made use of bear the construction of being a direct menace held out with a view of<br />

preventing the adoption by His Majesty's Government of certain measures supposed to be in<br />

contemplation. It would obviously be impossible for Lord Goderich to receive anyone who had so far<br />

forgotten the respect due to the Royal authority, and I should therefore feel it my duty to call his<br />

attention to these objectionable passages, unless you should deem it proper to withdraw them, or<br />

distinctly to disavow the constructions they seem to bear, and all intentional disrespect.<br />

Annexe à la lettre ci-dessus.<br />

Passages cités par Lord Howick dans la lettre précédente.<br />

« Parceque la mesure est impraticable et ne sera pas exécutée………….»<br />

I have the honour to be, etc.,<br />

HOWICK.<br />

« Cette mesure sera la ruine de la Colonie, et ne produira d'autre effet, si l'on ose tenter de la<br />

mettre à exécution, que de rayer Maurice du nombre des « possessions britanniques. Nous pouvons le<br />

déclarer, sans y porter la moindre exagération, non, l'on ne trouvera pas dans le pays un officier de<br />

justice, un avocat, un juge, pas un seul homme qui osât servir d'instrument à l'accomplissement d'une<br />

mesure dont l'admission serait le signal de la ruine et de la destruction de la Colonie. Le<br />

Gouvernement lui-même ne voudra pas pousser les habitants à prendre conseil du désespoir, et à se<br />

souvenir que, déjà deux fois, ils se sont sauvés eux-mêmes des tentatives du parti qui, sous une autre<br />

bannière, veut encore aujourd'hui la ruine des colonies et le massacre des colons! »<br />

50


Mylord,<br />

10.<br />

Adrien d'Epinay à Lord Howick.<br />

1er février 1831.<br />

Je pourrais me borner, pour toute réponse à la lettre que Votre Seigneurie m'a fait l'honneur de<br />

m'adresser, à la date du 29 janvier 1831, à transcrire ici le premier paragraphe des instructions qui<br />

m'ont été données par les habitants de l'Ile Maurice que j'ai l'honneur de représenter. Voici en quels<br />

termes il est conçu: « Il n'est pas besoin de vous dire que l'attitude que vous devez prendre en vous<br />

présentant aux Ministres de Sa Majesté est celle d'un sujet respectueux et soumis, qui vient faire un<br />

appel à Sa Majesté mieux éclairée des actes de son Gouvernement.»<br />

Les devoirs qui me sont imposés par ces instructions, par ma position personnelle, enfin, par les<br />

intérêts de mon pays, me commandent de vous donner, et, par votre entremise, au Gouvernement de<br />

Sa Majesté, la satisfaction que je lui dois. Les extraits que vous m'avez transmis du travail fait en<br />

réfutation du rapport de Messieurs les Commissaires d'Enquête sont effectivement l'ouvrage du<br />

comité nommé par les Colons pour cet objet spécial.<br />

Des phrases prises isolément, et détachées des raisonnements dont elles sont le corollaire,<br />

peuvent être facilement incriminées, et j’avoue que celles-ci sont dans le cas Mais, si Votre<br />

Seigneurie daigne observer dans quelles circonstances elles ont été écrites, l'intérêt vital auquel elles<br />

se rattachent, elle ne tardera pas à les juger avec cette indulgence que le Ministre de Sa<br />

Majesté recommandait au Gouverneur de Maurice dans la dépêche du 24 septembre 1829, No. 19.<br />

Elle rejettera l'idée que les Colons de Maurice ont pu avoir l'intention coupable, extravagante même,<br />

d'employer la menace vis-à-vis de la puissance la plus forte, la plus digne de leur respect, et qui, j'ose<br />

le dire, ne cessera pas de l'être aussi de leur affection. Les expressions qui ont frappé Votre<br />

Seigneurie et dont elle me rend le service de me demander une explication sont l'effet de la douleur<br />

et du désespoir et n'expriment que cette idée qui est commune à tous: que les campagnes offrent<br />

aujourd'hui si peu de sécurité que, si un pareil état de choses devait durer encore, le colon n'aurait<br />

bientôt d'autre parti à prendre que d'abandonner ses propriétés et de se refugier en ville pour sauver,<br />

au moins, sa vie et celle de sa famille. Votre Seigneurie verra que cette idée, cette seule idée, est<br />

clairement exprimée dans les adresses que les divers quartiers de l'île ont faites, avec peut-être trop<br />

de précipitation, à Son Excellence le Gouverneur. Je prie Votre Seigneurie de considérer que les<br />

expressions qui ont attiré son attention ne paraissent qu'à la fin d'un travail volumineux, et, en<br />

quelque sorte, dans un supplément qui a été la conséquence des funestes nouvelles, qui ont porté<br />

toutes les classes de la population coloniale au plus haut degré d'agitation. Elles sont l'effet du<br />

51


de la réflexion, puisqu'elles peuvent laisser quelque doute sur la loyauté des sentiments d'une<br />

population qui, plus qu'aucune autre, a donné, comme je suis prêt à le prouver, des gages de la<br />

soumission la plus absolue à son Gouvernement. Que Votre Seigneurie reçoive donc ici la<br />

déclaration que je fais, au nom des Colons de l'île Maurice, qu'ils désavouent toute interprétation qui<br />

donnerait aux expressions contenues en l'écrit par eux transmis à Son Excellence le Gouverneur un<br />

sens qui ferait douter du respect et de la soumission que des sujets britanniques doivent à leur<br />

Gouvernement.<br />

Je suis, etc.,<br />

Monsieur,<br />

11.<br />

M. Smith à Adrien d’Epinay.<br />

Downing Street,<br />

4 février 1831.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Si vous voulez prendre la peine de passer au Ministère demain, entre 2 et 3 heures, M. Hay (28)<br />

sera bien aise de vous voir.<br />

12.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

A Monsieur Lucas (29), Président du Comité Colonial.<br />

Monsieur,<br />

Londres,<br />

Je suis, etc.,<br />

12 février 1831.<br />

P. SMITH.<br />

52


Le Comité m'excusera si j'ai un peu tardé à l'entretenir des démarches que j'ai faites,<br />

comme mandataire de la Colonie, depuis que je l'ai quittée. Mais j'ai cru devoir attendre que<br />

j’eusse eu l’occasion de converser au moins une fois avec le Ministre.<br />

Pendant le séjour que j'ai fait au Cap de Bonne Espérance, il m'a été facile de voir la<br />

probabilité d'un changement de Ministère avant mon arrivée en Angleterre. Je me suis, en<br />

conséquence, muni de nouvelles recommandations que m'ont données Sir Lowry et Lady Frances<br />

Cole (30), et dont j'éprouve chaque jour davantage les bons effets. Vous savez que le changement<br />

qui a eu lieu a placé les Whigs à la tête du Gouvernement, mais Lord Goderich, qui est chargé du<br />

Département des Colonies, est Tory, et moins disposé que ne l'était son prédécesseur à faire des<br />

concessions à nos ennemis, qui sont loins de ralentir leurs efforts, comme vous devez le voir par les<br />

journaux qui rendent compte des pétitions présentées au Parlement. Si le Ministère actuel, dans son<br />

ensemble, est plus favorable aux doctrines anti-coloniales, il en résulte, d'un autre côté, ce bon<br />

effet, que, tenant les rênes du Gouvernement, et ne pouvant se dissimuler que la question<br />

d'abolition est une question de vie ou de mort pour les colonies, nos intérêts seront défendus par les<br />

chefs mêmes du parti qui nous a toujours été opposé. Ainsi, dans un débat qui avait déjà eu lieu<br />

avant mon arrivée, il a été concédé au Parlement que l'abolition ne pouvait avoir lieu sans<br />

l'indemnité (31). Aussitôt après mon arrivée à Londres, je me suis occupé de me mettre au courant<br />

des affaires publiques, et de conférer avec toutes les personnes qui ont des rapports avec notre<br />

colonie, et lui portent intérêt· MM. Saunders, Irving, Dick, Barclay, Blane, Faislick, Barham,<br />

Guthrie, Robinson, etc ... J'ai vu aussi, beaucoup de personnes pour lesquelles j'avais des<br />

recommandations particulières: et, à travers beaucoup de rapports, quelquefois contradictoires, j'ai<br />

aperçu que la question qui nous a le plus occupés, celle relative à l'affranchissement des esclaves<br />

introduits depuis 1814, n'était pas bien entendue. Il est certain, (et je le sais de la manière la plus<br />

positive), que la mesure proposée par les Commissaires devait être mise à exécution, et confiée à<br />

une personne qui en aurait été spécialement chargée. Il y a eu à ce sujet une intrigue que la<br />

réfutation du Mémoire des Commissaires a déjouée, en rappelant un fait peu honorable pour cette<br />

personne (32). Toujours est-il que le changement de Ministère est arrivé à propos pour arrêter la<br />

fatale mesure qui se trouvait mêlée à une nouvelle organisation judiciaire, à laquelle il ne manquait<br />

plus que la forme d'un Ordre en Conseil. Sir George Murray, M. Twiss et M. Stephen pensaient<br />

unanimement que les esclaves en question étaient libres ipso facto, et ne différaient un peu que sur<br />

la manière de les rendre à la liberté. Il m'a été impossible de savoir comment devait agir l'homme<br />

spécialement chargé d'y procéder. Mais je vous laisse à réfléchir sur l'effet de l’arrivée de ce<br />

libérateur, comme si ce n'était pas assez d’un protecteur ! ...<br />

Après m'être instruit autant que je l'ai pu, je me suis présenté au Bureau Colonial à M<br />

Smith, pour lequel j'avais une lettre de Sir Charles Colville, et je l'ai chargé de demander une<br />

audience pour moi à Lord Goderich. M Irving l'avait prévenu, et, le jour même (c'était le 27<br />

53


janvier), je fus averti que Sa Seigneurie me recevrait le lendemain à midi. Un second billet reculé<br />

l'heure de l'audience à 2 heures. Rendu au Bureau Colonial, je fus reçu par Lord Howick, fils de<br />

Lord Grey, et sous-secrétaire d'Etat au Département des Colonies, Ce jeune Seigneur avait levant<br />

lui notre réfutation du Mémoire des Commissaires Il me dit « qu'il venait de le lire; qu'il avait<br />

remarqué des passages qui avaient un a de menace envers le Gouvernement » Je lui en donnais<br />

l'explication qui parut le satisfaire. Il me dit que Lord Goderich l'avait chargé de l'excuser auprès de<br />

moi, qu'il ne pouvait me recevoir, était à ce moment à un Conseil extraordinaire; que le lendemain,<br />

il serait à Brighton à 80 milles de Londres) et que je ne pourrais avoir audience que le mardi, 1er<br />

février.» Après dette conférence, qui me donna beaucoup à penser, car ce n'était pas sans<br />

étonnement que je voyais un travail auquel nous devions faire quelques changements, comme vous<br />

le savez, je reçus une lettre de Lord Howick qui me demandait une explication officielle des<br />

passages en question. Je vous envoie copie de sa lettre des passages et de ma réponse qui, j'espère,<br />

aura votre approbation. Je conserve l'original des extraits qui me semblent avoir été écrits à<br />

Maurice. Il va là-dessous quelque chose que nous éclaircirons, Je sus, le lendemain, par M.<br />

Smith, que ma lettre avait pleinement satisfait. Le jour de l'audience arrivé, je ne pus encore voir le<br />

ministre. Il était auprès d'un neveu qu'il a perdu lendemain.<br />

Enfin, mercredi, 9 février, à 3 heures, Lord Goderich m'a reçu. Il s'est excusé de m'avoir fait<br />

attendre, comme s'il eut été un simple particulier, et me mit bientôt plus à mon aise que ne l'avaient<br />

fait ses inférieurs. Je lui exposai le but de ma mission, qu'il connaissait déjà, et dont il m'a dit être<br />

très aise. Il me protesta « qu'il n'avait rien de plus à cœur que de me satisfaire sous tous les points, »<br />

Il me parlait anglais, et je lui répondais en français (33). C'était convenu d'avance, Comme je<br />

connaissais sa manière de voir sur la question principale dont j'avais à l'entretenir, (d'après ce que<br />

m'en avaient dit MM. Irving et Dundas), je m'attendais à ce qu'il me dirait. Il me demanda s'il n'y<br />

avait pas eu des exemples de noirs libérés à Maurice comme ayant été introduits illégalement. Je<br />

répondis affirmativement. « Eh ! bien, me dit-il, tout noir qui peut prouver son introduction illégale<br />

« est donc libre? Il y a donc des tribunaux compétents pour prononcer sur la question? Il est donc<br />

inutile de faire une loi à ce sujet?» «Oui, repris-je, mais ce « n'est pas là ce que voulaient les<br />

Commissaires, ni ce que recommandaient Messieurs Twiss et Stephen, ni enfin ce que Sir George<br />

Murray consentait à concéder. Il s'agissait de faire sur la matière un nouveau réglement, et ce régle-<br />

ment, quel qu'il fut, devant favoriser un droit particulier, en ferait, en quelque sorte, un cas<br />

privilégié, et conduirait à un bouleversement général. »<br />

Le Ministre en convint. Il me dit donc qu'il était décidé à ne faire aucune loi nouvelle, et à<br />

laisser les choses dans l'état où elles avaient toujours été. Alors je lui parlai de la manière dont les<br />

actions de même nature avaient été conduites jusque là, et du genre de preuves que 1'on avait<br />

admises. Je lui dis que les frais étaient souvent plus élevés que la valeur du litige, et qu'il suffisait<br />

qu'il s'agit de liberté pour que le Gouvernement se crut oblige d'appeler en Angleterre des<br />

54


jugements défavorables aux esclaves; qu'il n'était pas possible au propriétaire de suivre des<br />

procédures aussi dispendieuses; que, pendant le litige, le propriétaire était privé de son esclave qui<br />

menait une vie de vagabond ou était détenu, etc., etc. « Voilà, me dit·il, de graves inconvénients. Il<br />

faut y remédier: faites-moi un « rapport particulier à ce sujet; dites moi ce que vous<br />

recommanderiez de faire, et « je crois, qu'au moyen d'instructions données au Gouvernement local,<br />

il sera possible d'éviter ces abus. »<br />

Vous voyez, Messieurs, que tout dépendra de la manière dont l'avocat chargé d'introduire<br />

l'action s'y prendra, du genre de preuves qu'il croira devoir employer, et de celles que le juge<br />

exigera sous ces trois rapports, je ne crois pas que nous ayons quelque chose à craindre, surtout si<br />

des instructions particulières arrêtent l'abus des appels.<br />

Je vais m'occuper du travail qui m'a été demandé, et je vous en dirai les résultats. J'ai encore<br />

entretenu le Ministre de la nécessité de nous donner une représentation coloniale (34) ; puis, au<br />

sujet des impôts, de la censure, de la police, etc. Il m'a dit que rien ne lui semblait plus difficile que<br />

de nous accorder cette représentation. 1o parceque le Gouvernement avait à se plaindre des<br />

Assemblées législatives de ses colonies, 2o parceque, si l'on nous en accordait une, il faudrait en<br />

faire autant à celles oui n'en avaient pas.<br />

A cela j'ai répondu que les sujets de plaintes que le Gouvernement avait contre les<br />

Assemblées Coloniales ne provenaient que du refus qu'elles avaient fait d'accepter les lois pour<br />

l'amélioration du sort des esclaves; que ces lois étaient publiées à Maurice et que l'inconvénient<br />

n'existait conséquemment plus tant qu'à elle; que Maurice avait toujours eu un Gouvernement<br />

modelé sur celui de la métropole. Ainsi, avant la Révolution, elle avait un Conseil Supérieur qui<br />

était le gardien de ses droits, (comme en France les Parlements l'étaient de ceux de la Nation), et<br />

qui pouvait faire des réglements; que, pendant la Révolution, elle avait eu une Assemblée<br />

Coloniale; qu'elle en fut privée, lorsque la France elle même fut privée de la représentation; que,<br />

cependant, le Général Decaen avait fini par reconnaître la nécessité de consulter les Colons (35).<br />

Depuis lui, M. Farquhar, Sir Lowry Cole, Sir Charles Colville, nous ont consultés (36). Un autre<br />

motif qui ferait accorder à Maurice une Assemblée Coloniale, sans que les autres colonies puissent<br />

s'en plaindre, c'est que, pour celles occidentales, (qui, toutes, ont, à peu près, la même<br />

organisation), on peut appliquer à une ce qui a été jugé bon pour l'autre. Ainsi, les réglements de la<br />

Jamaïque, qui a une Assemblée, peuvent être appliquées à Ste Lucie, qui n'en a pas. Mais Maurice,<br />

éloignée comme elle l'est, régie par les lois du Royaume, de la République, de l'Empire, a besoin de<br />

lois qui seraient faites spécialement pour elle, et qui soient en rapport avec celles existant déjà, etc,<br />

etc. « Voilà, me dit Lord Goderich, de bonnes raisons. Ecrivez-moi cela » Je lui dis alors que j'avais<br />

des mémoires un peu volumineux, mais qui contenaient de bonnes choses. « Envoyez-les moi, me<br />

dit-il, je vous jure que je les « lirai moi-même, et très attentivement. Je veux profiter de votre séjour<br />

ici pour décider tout ce qui concerne votre Colonie. »<br />

55


Notre conférence dura plus d'une heure J'ai vu dans Lord Goderich un homme plein de<br />

franchise et animé du désir de faire le bien.<br />

Je suis revenu de ma visite très satisfait et plein d'espérance. Mais, je n'en ai dit les détails à<br />

personne. Si donc quelqu'un a écrit à Maurice au sujet de mes démarches, vous pouvez être assurés<br />

qu’il ne tient rien de moi. Je vous dis cela parce qu'il y a ici des personnes dont ma mission fait le<br />

désespoir, et qui sont capables de tout faire pour m'empêcher de réussir.<br />

J'ai été prévenu par des lettres de Paris que de prétendus Colons y avaient formé un Comité et<br />

n'avaient rien trouvé de plus convenable que d'écrire officiellement au Général Decaen pour le prier<br />

d'obtenir l'intervention du Gouvernement Français dans ce qu'ils appellent nos différends avec notre<br />

Gouvernement. Vous pensez que lorsque l'on m'en parle je m'empresse de désavouer toutes ces<br />

sottises et tout rapport avec ceux qui les commettent (37).<br />

Les négociants en rapport avec Maurice attendent avec impatience le résultat de ma mission<br />

; si comme j'ai tout lieu de l'espérer, j'obtiens pour notre Colonie les garanties dont elle a besoin, je<br />

considère comme certain qu'il s'y établira une Banque et j'ai le plus grand espoir d'obtenir un fort<br />

emprunt hypothécaire à l'intérêt de 6 pour cent. La seule chose qui pourrait s'opposer à cette affaire<br />

est la guerre, si, comme je le crains, elle éclate entre la France et l'Angleterre (38).<br />

Vous verrez, par la dernière lettre de Macqueen (39), qu'il a reçu des lettres de notre Colonie,<br />

et qu'il en prend la défense. Je lui ferai passer tous nos mémoires et nos documents.<br />

Je vous envoie un volume qui contient nos dernières observations sur l'ordonnance pour<br />

l'amélioration du sort des esclaves, et deux dépêches de Sir George Murray (40) sur cette matière. En<br />

les lisant, vous y verrez des choses intéressantes pour vous.<br />

Je dois vous dire qu'un mot et un geste très expressif de Lord Goderich m'ont fait penser qu'il<br />

n'avait pas approuvé l'importance qu'on avait attachée à quelques phrases de notre réfutation. En y<br />

réflechissant bien, on voit que c'était une gaucherie de le faire (41).<br />

Le 5 ou le 8 mars, (ce n'est pas bien décidé), M. Buxton fait une motion au sujet des colonies.<br />

Le pamphlet de M. Vicars sera imprimé et dans la poche de plusieurs membres pour lui être opposé<br />

après qu'il aura bien menti. Il est question qu'un avocat fameux se charge de nous défendre, et qu'il<br />

soit mis en rapport avec moi auparavant. C'est une négociation dont je m'occupe activement, et dont<br />

je vous rendrai compte.<br />

Je vous préviens que, sur les fonds de la souscription, je paierai la pièce d'argenterie donnée à<br />

Sir Lowry Cole par la Colonie (42).<br />

Je n'ai point présenté les deux pétitions au Parlement parce que tous mes amis m'ont<br />

recommandé de ne pas le faire, et que je sais moi-même qu’il faut s'en garder. Nous ne pouvons rien<br />

obtenir que du Ministère, voilà ce dont il faut bien se pénétrer, et ce n'est que dans le cas où il ne<br />

voudrait rien faire qu'il faudrait s'adresser au Parlement. La prévention contre les colons est si forte,<br />

56


si générale, que personne n'ose entreprendre leur défense dans les Chambres et leurs pétitions ne<br />

produisent souvent d'autre effet que de faire déclamer contre eux.<br />

Nous avons eu quelque espoir d'une nouvelle réduction sur les sucres; mais il n'en a pas été<br />

question dans le discours du Chancelier de l'Echiquier en présentant le budget. J'ai assisté à la<br />

séance, et il me semblait qu'il se mettait sur les bras une forte opposition. Je serais étonné que le<br />

Ministère tient longtemps encore. Je me hâte donc, autant que je puis, d'obtenir de Lord Goderich ce<br />

que la Colonie en attend. M. Geoffroy travaille jour et nuit à la traduction de nos mémoires. Il est<br />

aidé de deux autres secrétaires.<br />

La nouvelle que j'ai reçue de Maurice, au sujet du soldat du 99e regiment, a produit le<br />

meilleur effet (43). Je n'en ai parlé à personne qui n'en ait paru extrêmement effrayé. Lord Colville,<br />

entre autres, m'a écrit pour me prier de lui transmettre tous les détails que je recevrais sur cette<br />

affaire. Les journaux en parleront, j'espère.<br />

J'ai remarqué que, généralement; les fonctionnaires, les négociants et la noblesse avaient en<br />

horreur les doctrines des Anti-Colonistes, et en avaient aussi une frayeur extrême. Ce parti est plus<br />

fort que jamais. Notre politique, à nous autres Colons, est donc de faire cause commune avec le<br />

Gouvernement. Pour tout ce qui tient aux droits des propriétaires, son intérêt et le nôtre sont les<br />

mêmes.<br />

Mylord,<br />

13.<br />

Adrien d’Epinay à Lord Goderich.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc,<br />

Londres.<br />

16 février 1831.<br />

J'ai l'honneur de transmettre à Votre Seigneurie le Mémoire qu'elle m'a permis de lui<br />

présenter de la part de habitants de Maurice (44). La connaissance que j'ai eue depuis mon arrivée en<br />

Angleterre de la détermination du Gouvernement de Sa Majesté au sujet de l'administration<br />

judiciaire lui rend inapplicable la partie du travail qui traite de cette matière. Cependant, il donne, tel<br />

qu'il est, une juste idée de ce qui s'est passé à Maurice.<br />

57


Il se peut que Votre Seigneurie remarque dans le Mémoire que j'ai l'honneur de lui soumettre quelques<br />

expressions ou quelques tours qui ne réunissent pas toutes les convenances que des sujets doivent observer<br />

lorsqu'ils s'adressent à leur Gouvernement. Cependant, vous pourrez être convaincu, Mylord, que j'ai tout fait<br />

pour m'y conformer, et que le seul reproche que je pourrais avoir mérité serait celui de l'inexpérience.<br />

Votre Seigneurie reconnaîtra, j'ose l'espérer, la nécessité d'accorder aux habitants de l'Ile<br />

Maurice la faculté de concourir à leur administration intérieure, unique condition de leur sécurité,<br />

récompense nécessaire de leur soumission aux lois du Gouvernement et gage assuré de leur<br />

dévouement à leur métropole.<br />

Cette mesure, qui ne ferait que rendre à Maurice un droit dont elle avait toujours joui, et<br />

l'assurance que la propriété resterait inviolable, que la justice ne serait pas sacrifiée à des exigences<br />

de parti, rétablirait la confiance nécessaire à la prospérité du pays, acquerrait au Gouvernement de Sa<br />

Majesté des droits éternels à la reconnaissance des Colons et rendrait indissolubles les liens qui<br />

attachent l'Ile Maurice à la métropole.<br />

Monsieur,<br />

14.<br />

Je suis, etc.,<br />

M. Smith à. Adrien d'Epinay.<br />

A. d'Epinay.<br />

Downing Street,<br />

21 février 1831.<br />

Lord Goderich ne pourra guère vous recevoir au Ministère avant vendredi prochain, à une<br />

heure. Cependant, Mr. Balfour (45), son secrétaire particulier, que vous verrez demain chez Mr.<br />

Maguisi (46), vous dira s'il ne serait pas possible à Sa Seigneurie de fixer un jour plus rapproché<br />

pour s'entretenir avec vous.<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

P. SMITH,<br />

58


A Monsieur Lucas,<br />

Monsieur,<br />

Président du Comité Colonial<br />

15.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

25 février, 1831<br />

Je vous ai rendu compte par une lettre du 12 février, dont je vous transmets le duplicata, des<br />

démarches que j'avais faites jusque-là.<br />

Depuis, j'ai transmis au Ministre le Mémoire que j'avais préparé sur l'ensemble de<br />

l'administration coloniale, et un supplément qu'il m'avait demandé sur la question relative à l'affaire de<br />

1814.<br />

Un ami de Mr, Buxton m'a demandé, il y a environ quinze jours, si j'aurais quelque répugnance à<br />

me rencontrer avec lui. J'ai répondu que non seulement je n'en avais aucune, mais que je serais même<br />

bien aise d'avoir une conférence avec cet ennemi des colonies. Elle devait avoir lieu chez moi. Mais,<br />

comme j'avais dit par politesse que j'irais chez Mr. Buxton, pour lui éviter la peine de se déranger, j'ai<br />

été pris au mot, et prévenu qu'il m'attendait le samedi 16 février,<br />

Je me rendis donc à sa demeure, accompagné de M. Hermann Geoffroy, et du jeune Robert<br />

Barclay qui était chargé de nous introduire, Mr Buxton nous reçut avec beaucoup de politesse, et me<br />

présenta un Mr. Stephen (47), homme faux, de mauvaise foi et même assez grossier. Mr. Buxton ouvrit<br />

la séance avec une sorte de solennité, en me demandant de fixer d’abord la nature et le but de la<br />

conférence. Je lui dis que, bien que je représentasse en Angleterre les Colons de Maurice, je<br />

n'entendais conférer avec lui que dans mon caractère privé, et que je serais prêt à l’entretenir de tout<br />

ce qui concernait la colonie. Il me demanda alors «si je n'étais pas venu en Angleterre pour m'opposer<br />

à ce qu'on rendît à la liberté les noirs qui avaient été introduits depuis 1814. Je lui répondis que non;<br />

que l'objet de ma mission était d'exposer au Gouvernement l'état malheureux de la colonie, et de<br />

demander des garanties, non seulement pour nos propriétés, mais pour notre existence même,<br />

maintenant compromise, et que nous n'entendions pas fermer l'accès des tribunaux aux personnes qui<br />

auraient des droits à réclamer, de quelque nature qu'ils fussent; mais que nous réclamerions contre<br />

toute mesure qui aurait pour but une investigation afin de s'assurer du nombre d'individus prétendus<br />

illégalement introduits. Mr Stephen, qui avait gardé le silence jusque là, prit alors la parole pour me<br />

59


demander s'il y avait beaucoup de noirs dans ce cas. S'il y en a, lui dis-je, le nombre en est bien petit.<br />

«Pourquoi donc reprit-il, tant vous effrayer de l'affranchissement d'un si petit nombre d'hommes? ».<br />

Ce n'est pas ce qui nous effraie, lui répondis-je, mais bien la manière de procéder que recommandent<br />

les Commissaires Enquête. Vous la connaissez Monsieur, et tout homme de bonne foi reconnaîtra que, si<br />

elle est admise, il n'est pas un esclave, même un créole, qui ne puisse se faire affranchir, en<br />

corrompant deux ou trois témoins. Nous n'entendons pas empêcher que la justice ait son cours, mais<br />

nous ne voulons pas l'introduction d'un droit nouveau en faveur d'une classe de la société. Mr. Buxton<br />

me dit alors qu'il fallait cependant bien qu'il en fut ainsi. Je lui fis voir le ridicule de cette prétention,<br />

en lui demandant ce qui arriverait si le Parlement nommait un Comité pour examiner la légitimité des<br />

fortunes, des propriétés, des droits, des titres, que chacun possède en Angleterre, enfin, d'une enquête,<br />

ex officio, de cette nature, « Ah! c'est bien différent dit Mr. Stephen la liberté est plus précieuse que la<br />

fortune et les titres. » Je lui répondis que j'admettrais cette distinction quand il me serait démontré que<br />

ce qui est juste ou vrai peut l'être plus ou moins et qu'un droit, quel qu'il soit, si on le rend privilégié,<br />

ne devient pas odieux. La conférence continua sur ce ton. J'en vins à parler des calomnies dont nous<br />

étions l'objet de l'Anti-Slavery et je dis à ces Messieurs que j’étais prêt à prouver que tout ce qui avait<br />

été avancé contre Maurice au sujet de la traite et du traitement des esclaves était faux; que je défiais<br />

même qu'on nous citât un seul témoin; que je savais bien qui avait donné des documents à nos<br />

ennemis, mais que c'étaient des hommes couverts d'infâmies et de crimes, et qui ne voudraient jamais<br />

être nommés. Je parlais à Mr Buxton de son fameux discours contre Maurice (48), et je lui fis voir de<br />

suite l'absurdité de ce, qu’il avait rapporté sur le dire de quelques délateurs anonymes. Mr Buxton me<br />

paraissait déconcerté. Mais Mr. Stephen, qui m'a paru être son mauvais génie et la main qui le fait<br />

mouvoir, lui parla à l'oreille, et lui dit que j'étais l'avocat des Colons. Mr Buxton eut la bonhomie de<br />

me demander si c'était vrai. Je suis, avant tout, lui dis-je, l'avocat de la vérité. Je ne dirais rien que je<br />

ne puisse prouver. Mr Buxton me demanda alors quelles étaient mes preuves et quels étaient mes<br />

témoins. Oui, lui dis-je, je vous présenterai des documents officiels, et pour témoins, les Gouverneurs,<br />

les Magistrats, les chefs de département, les officiers de la garnison, les négociants de Maurice,<br />

hommes qui valent bien des soldats payés pour nos ennemis. Alors je pris des papiers et les soumis à<br />

Mr. Buxton, en lui faisant voir leur importance. Mais, Mr. Stephen lui parlait sans cesse à l'oreille et,<br />

après un a parte des plus indécents, Mr. Buxton me dit que je pouvais être convaincu de ce que je<br />

disais, mais que, de son côté, il était également convaincu qu'il avait raison; que, cependant, il serait<br />

bien aise d'avoir mes documents. Je lui remis alors ce que j'avais, et, surtout, les extraits de la<br />

correspondance de Mr. George Smith (49) avec Mr. Stephen, secrétaire de l'Institution Africaine........<br />

Il faudrait avoir la plume de Milton pour vous dépeindre la grimace satanique de ce suppôt du<br />

diable à la vue de ces pièces qui attestaient à la fois sa mauvaise foi et sa bassesse. Mr. Buxton prit<br />

congé de moi avec des démonstrations de politesse. J'emportai de cette conférence la conviction que<br />

Mr. Buxton était l'instrument du parti, et que les uns et les autres redoutaient par dessus tout de savoir<br />

60


la vérité. L'un me paraît un sot de bonne foi, et les autres des misérables qui spéculent sur le<br />

mensonge et la calomnie.<br />

Il est cependant résulté de cette entrevue que Mr. Buxton, qui devait faire sa motion contre les<br />

colonies, le 7, a demandé qu'elle fut renvoyée au 29. II ne m'a pas encore donné de ses nouvelles, bien<br />

qu'il m'ait promis de me l'envoyer de suite les papiers que je lui ai laissés. Une chose très importante à<br />

savoir est que ces Messieurs m'ont dit d'un air satisfait que le Ministre, avait pris une mesure au sujet de<br />

la proposition des Commissaires et que sa dépêche était expédiée. Comme cela me semble fort opposé à<br />

ce que m'a dit Lord Goderich, je me suis hâté de demander une audience à Sa Seigneurie, qui me l'a<br />

accordée pour aujourd'hui, à une heure. Mais, par une inconcevable fatalité, j'ai été retenu jusqu'à deux<br />

heures à la Cour de King's Bench, où j'avais été assigné commé témoin dans l'affaire de Messieurs Pitot<br />

et de Madame Becquet contre M. Mac-Carthy (50). L'audience est renvoyée à lundi.<br />

Vous verrez, dans les journaux que je vous envoie, la précipitation avec laquelle une frégate et<br />

des troupes ont été expédiées à Maurice. Ici, on parle plus librement que chez nous des affaires<br />

publiques; on ne doute pas que le motif réel de cette expédition ne soit la crainte d'une déclaration de<br />

guerre, dans un moment où les Colons, mécontents, pourraient appeler les forces ennemies. J'en veux<br />

tirer parti pour déclarer au Ministre que de bonnes garanties accordées aux Colons valent beaucoup<br />

mieux que des frégates et des régiments; que Maurice, avec de bonnes institutions, et l'assurance que<br />

ses propriétés seront respectées, j'aura rien à envier aux autres colonies. Ne serait-ce pas, en effet, le<br />

comble de l'extravagance pour nous, qui ne sommes rien dans la balance politique, que de vouloir<br />

sacrifier notre repos et nos intérêts pour un changement de gouvernement auquel nous ne pouvons que<br />

perdre maintenant surtout que la fureur contre les colonies est plus grande encore en France qu'en<br />

Angleterre (51) ? C'est avec l'accent de la rage que plusieurs journaux français ont parlé de la mission<br />

que vous m'avez confiée ......<br />

Si, comme je le crains, le parti républicain parvient à l'emporter, soyez sûr que le premier acte qui<br />

sera fait sera la proclamation de l'affranchissement des esclaves dans les colonies françaises. Les gens<br />

du parti ne s'en cachent pas, et ils disent même qu'il y a pour cela des motifs politiques très forts. C'est<br />

qu'en sacrifiant deux ou trois colonies inutiles à la France, on consacre un principe qui détruit celles de<br />

l'Angleterre, et, conséquemment, l'Angleterre elle-même, car elle ne sera plus rien sans colonies, ainsi<br />

que vient de le déclarer Mr. Peel au Parlement.<br />

Nous devons donc agir avec la plus grande circonspection, et profiter de ce que notre<br />

Gouvernement a des raisons politiques de nous ménager, pour obtenir les garanties dont nous avons<br />

besoin. C'est dans ce sens que j'agis, et je crois que vous m'approuverez. Agissez de votre côté de la<br />

même manière.<br />

Mon frère était parvenu à faire exécuter un projet de Banque, qu'il avait conçu avec Mr. Irving.<br />

Les événements politiques et le changement de Ministère en ont arrêté l'exécution. On le reprendrait<br />

certainement si l'on ne craignait pas la guerre. Les banquiers, ici, la considèrent comme imminente et<br />

61


tous m'ont déclaré que, s'ils avaient l'assurance que la paix put se maintenir entre la France et<br />

l'Angleterre, ils n'hésiteraient pas à faire le prêt hypothécaire que je sollicite. Je ne désespère pourtant<br />

pas de réussir. Cette affaire dépendra de la composition de la nouvelle Chambre en France. J'ai espoir<br />

que le parti attaché à la nouvelle Charte, sans autre changement, y dominera. Le Gouvernement pourra<br />

alors prendre une attitude plus ferme et les cabinets pourront enfin savoir à quoi s'en tenir sur la<br />

politique.<br />

16.<br />

M. Smith à Adrien d'Epinay.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Downing Street,<br />

26 février 1831.<br />

Monsieur,<br />

Lord Goderich consent avec plaisir à vous autoriser à aller à la Cour mercredi prochain. Vous êtes<br />

sans doute instruit des formalités à remplir pour régulariser votre présentation.<br />

Mylord,<br />

17.<br />

Adrien d'Epinay à Lord Goderich.<br />

Londres,<br />

14 mars1831.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.,<br />

P. SMITH.<br />

62


Je supplie Votre Seigneurie de m'accorder une audience au sujet des affaires de Maurice. Depuis<br />

mon arrivée en Angleterre, il m'a été impossible de dire aux Colons ni ce qu'ils doivent craindre, ni ce<br />

qu'ils doivent espérer. Cet état d'inquiétude peut avoir des conséquences fatales pour une colonie si<br />

longtemps malheureuse, et dont il est si facile à Votre Seigneurie de faire le bonheur.<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Adrien d'Epinay ayant écrit le jeudi, 10 mars précédent, à Mr Balfour, secrétaire particulier de Lord<br />

Goderich pour obtenir une audience de Sa Seugneurie et cette lettre étant restée sans réponse, adresse la lettre<br />

ci-dessus reproduite à Lord Goderich, dont il reçoit le même jour la réponse suivante :<br />

Lord Goderich will have the honour of seeing Mr. Adrien d'Epinay on Saturday, the 16th<br />

instant, at half past twelve.<br />

Colonial Office,<br />

March 14, 1831.<br />

A Monsieur Lucas,<br />

Président du Comité Colonial.<br />

Monsieur,<br />

18.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

16 mars 1831.<br />

Depuis ma lettre du 25 février dernier, j'ai eu avec le Ministre une conférence très longue et très<br />

intéressante qui n'a fait que confirmer les bonnes espérances dont je vous ai fait part. Je considère la<br />

63


question de 1814 (la prétendue traite) comme entièrement gagnée, et, si je n'entre, à ce sujet, dans<br />

aucun détail, c'est que je crains de ne pouvoir m'expliquer de manière à être parfaitement compris.<br />

La seule question, celle d'une représentation coloniale, fait encore difficulté. Cependant, le<br />

Ministre reconnaît que notre demande est juste, et n'est arrêté que par la crainte d'être obligé d'en<br />

accorder à d'autres colonies. Il m'a demandé un nouveau travail que je me suis empressé de faire. Nous<br />

devions nous reprendre le lundi 7 mars, mais la conférence n'a pu avoir lieu parce que Lord Goderich<br />

était près de son fils malade. J'écrivis à son secrétaire pour demander une autre audience, et, comme je<br />

n'en recevais pas de réponse, j'écrivis au Ministre la lettre du 14 mars 1831. Cette lettre fut<br />

immédiatement suivie d'une réponse qui fixe notre conférence à samedi, à midi et demie. Le travail de<br />

Mr Vicars est imprimé, et je lui en envoie 40 exemplaires, et à Vous autant. Je ne l'ai pas encore rendu<br />

public. Il est convenu avec Mr. Macqueen (défenseur de la colonie) qu'il en parlera d'abord dans<br />

Blackwood's Magazine. Vous saurez que je me suis mis en rapport avec ce zèlé et habile défenseur des<br />

colonies. Nous avons plusieurs fois conféré ensemble, et il est entièrement décidé à s'emparer de la<br />

défense de notre cause. Par lui, je me suis fait présenter à des personnes influentes des Indes<br />

Occidentables. Mon but est de lier définitivement nos intérêts aux leurs, de faire admettre dans leur<br />

comité un membre pour Maurice, et de détruire à jamais un sentiment de jalousie qui nous a fait<br />

beaucoup de tort. J'espère réussir, secondé par M. Macqueen et le Colonel Moody (52).<br />

Vous apprendrez avec plaisir que la charte de la Banque est expédiée et que Mr. Irving s'est<br />

décidé à exécuter le projet qu'il avait suspendu. Cette affaire est fort belle pour la colonie. J'ai la plus<br />

grande espérance d'obtenir l'emprunt hypothécaire dont je vous ai parlé. Je suis, pour cette affaire, en<br />

conférence avec un puissant banquier qui parle de nous prêter sur hypothèque deux cent mille livres<br />

sterlings à l'intérêt de 8 pour cent. Je tâche d'obtenir mieux. Cette affaire a contre elle la chance de la<br />

guerre. Cependant je pense que, si le Ministre me satisfait pleinement, elle réussira quand même.<br />

Puissé-je bientôt vous apprendre que mes espérances se sont réalisées.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.,<br />

A <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

64


Sir,<br />

19.<br />

M. Douglas (53) à Adrien d'Epinay<br />

Colonial Office,<br />

March 20, 1831.<br />

I have the honour to inform you that Lord Goderich will be happy to see you at this office on<br />

Monday next at twelve o'clock.<br />

Mylord,<br />

20.<br />

-<br />

I am sir, etc.,<br />

Adrien d'Epinay à Lord Goderich.<br />

CHAR<strong>LES</strong> DOUGLAS.<br />

Londres,<br />

28 mars 1831.<br />

Depuis la conférence que Votre Seigneurie a bien voulu m'accorder samedi dernier, j'ai pu me<br />

convaincre qu'il était effectivement très difficile que le Gouvernement prit incessamment une<br />

détermination sur tous les différents points qui lui ont été soumis dans le Mémoire que j'ai présenté au<br />

nom des habitants de l'Ile Maurice. J'ai conçu également tout ce qu'il y avait de difficile à décider<br />

actuellement la question d'une représentation coloniale, malgré les droits qu'y a l'Ile Maurice, lorsque<br />

les colonies qui n'en possèdent pas y pourraient voir une concession qui, pour ne pas être injuste,<br />

devrait être générale. Ces réflexions, et votre détermination bien prise, Mylord, de ne vous décider à ce<br />

sujet qu'après avoir entendu le Gouverneur de Maurice, ne me permettent pas d'insister auprès de Votre<br />

Seigneurie comme je l'ai fait jusqu'à présent. Mais il est des choses sur lesquelles, Mylord, vous pouvez<br />

vous décider, actuellement, et qui, malgré leur peu d'importance apparente, prouveront que le<br />

Gouvernement veut être juste envers les colons. Je désire les soumettre à Votre Seigneurie, si elle<br />

65


daigne m'accorder encore une entrevue. Les assurances formelles que vous m'avez données, Mylord, ne<br />

me permettent pas de douter des vues bienveillantes et paternelles du Gouvernement envers les<br />

habitants de Maurice. Mais, cette conviction que j'ai, je dois la leur faire partager, et la justifier par des<br />

faits qui sont au pouvoir de Votre Seigneurie et sur lesquelles elle est suffisamment éclairée. Ce que je<br />

demande, Mylord, est dicté, sans doute, par mon amour pour mon pays, j'ajouterai pour la justice. Mais<br />

que Votre Seigneurie demeure convaincue qu'en l'observant j'aurai servi les intérêts de la Grande<br />

Bretagne, à laquelle nos serments, nos devoirs, nous commandent, à nous, habitants de l'Ile Maurice, de<br />

rester fidèles. Faites Mylord, que nous y trouvions nous aussi nos intérêts. Après vingt ans de<br />

souffrances il nous est permis d'adresser cette humble prière aux Ministres de Guillaume IV.<br />

A Monsieur Lucas,<br />

Monsieur,<br />

Président du Comité Colonial<br />

21.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong><br />

Londres,<br />

3, avril 1831.<br />

Depuis ma dernière lettre du 16 mars, j'ai eu avec Lord Goderich une conférence qui m'a<br />

démontré combien j'aurai encore de difficultés à éprouver pour obtenir quelque chose en faveur de la<br />

Colonie.<br />

En voici les détails, Sa Seigneurie a commencé par me dire: « qu'elle avait lu le Mémoire que je lui<br />

avais présenté dans l'intérêt de la Colonie; qu'elle l'avait « trouvé fort intéressant, et de nature à<br />

répandre beaucoup de lumière sur l'administration du pays; qu'elle n'aurait qu'à s'en féliciter si elle<br />

n'avait remarqué deux « phrases qui avaient l'air de menace. »<br />

J'en ai été d'autant plus surpris qu'avant de l'envoyer je l'avais soumis aux personnes qui nous<br />

portent intérêt; et je les avais priées de marquer tous les passages qui leur auraient paru trop forts, afin<br />

66


de les supprimer, ce que j'ai fait. Je me suis même assuré que la traduction anglaise ne contenait rien<br />

qui pût blesser l'esprit le plus susceptible. J'ai donc demandé à voir ces deux phrases, qui, dans leur<br />

sens littéral, ne contenaient rien d'offensif (sic), mais qui pouvaient peut-être prêter à une mauvaise<br />

interprétation. Je les ai, de suite, expliquées, en ajoutant que, puisqu'elles pouvaient laisser dans l’esprit<br />

du Gouvernement quelques doutes sur nos sentiments, j'allais les effacer; qu'elles étaient mon ouvrage;<br />

et que, si elles devaient être reprochées à quelqu'un, c'était à moi seul. J'ai donc fait la suppression.<br />

Ceci, je le voyais bien, n'était qu'un prétexte pour en venir il ce que je vais rapporter.<br />

Le Ministre me dit alors que, plus il y avait réfléchi, plus il s'était convaincu de l'impossibilité où il<br />

était de prendre une décision sur toutes les demandes contenues dans le Mémoire avant d'en avoir<br />

référé au Gouverneur; que ce n'était que par lui que les Colons pouvaient s'adresser à la métropole, et<br />

que par lui que les Ministres pouvaient leur répondre; qu'il ne pouvait correspondre officiellement avec<br />

moi, attendu que ma mission n'avait pas un caractère légal. A cela, j'ai répondu: qu'en remettant à Sa<br />

Seigneurie un mémoire contenant tous les griefs des habitants de l'Ile Maurice, je n'avais pas attendu<br />

que le Ministre prit immédiatement une décision sur tous les points que j'avais traités; que j'étais venu<br />

en Angleterre pour deux objets spéciaux dans lesquels je me renfermerais pour le moment, et que<br />

j'avais profité de l'occasion pour parler de tous nos maux, des abus qui existent, des charges qui nous<br />

accablent et des dangers dont nous sommes menacés; que les Colons, n'ayant cessé pendant 20 ans de<br />

se plaindre au Gouvernement, n'en avaient reçu aucune assistance; que rien ne leur paraîtrait plus<br />

injuste que de leur dénier un droit aussi naturel que celui de s'adresser directement à son<br />

Gouvernement, et de les forcer il ne faire parvenir leurs doléances que par l'entremise du Gouverneur<br />

qui, comme on en a eu des exemples, pouvait être leur ennemi. Le ministre me dit alors que, quant aux<br />

points spéciaux sur lesquels j'insistais, l'un, celui des esclaves, prétendus introduits depuis 1814, était<br />

déjà réglé; que l'autre, celui d'une assemblée coloniale, ne pouvait être, accordé, malgré tous les droits<br />

que nous pouvions y avoir. Il me parla encore: des embarras que donnaient les colonies qui possèdent<br />

des assemblées, des prétentions que toutes ne manqueraient pas d'élever si l'on en accordait une à<br />

Maurice, et finit par me dire: que la chose était impossible; qu'après un mûr examen, il avait pris à<br />

notre égard, une décision qu'il allait me lire. C'était un mémorandum dont voici, à peu près, la<br />

substance:<br />

Le Gouvernement de sa Majesté avait pris dans la plus sérieuse considération les mémoires des<br />

habitants de l'Ile Maurice, et n'avait rien de plus à cœur que de leur accorder la plus ample justice. Il<br />

espérait que, de leur part, ils auraient la plus grande confiance en lui. Bientôt on leur ferait savoir, par<br />

l'entremise de S. E. Le Gouverneur, ce que, dans sa sagesse, le grâcieux Souverain aurait décidé, etc,<br />

etc, etc.<br />

Je ne vous en rapporte pas les termes propres, mais seulement le sens, autant que j'ai pu le saisir<br />

dans une lecture rapide que le Ministre m en a faite en anglais, et dans la situation d'esprit où j'étais ....<br />

67


J'avais de la peine à me contenir, et il me fallut quelques moments pour cacher toute l'émotion que<br />

j'éprouvais. Je laissai parler mon désespoir:<br />

Voilà donc ce que vous nous donnez. Mylord, c'est par des promesses que vous nous répondez,<br />

lorsque nous vous demandons non seulement l'exécution de mille promesses, plus positives et plus<br />

officielles qui nous ont été faites, mais quelque protection contre les dangers qui menacent nos<br />

propriétés et notre existence! Que voulez-vous que je fasse de ce mémorandum? Quel effet croyezvous<br />

qu'il produise à Maurice? Je n'en vois qu'un seul: c'est de porter le désespoir à son comble, de<br />

convaincre les Colons que le Gouvernement veut leur perte. Je le déclare à Votre Seigneurie, une<br />

pareille réponse aura les effets les plus désastreux. Je connais la disposition des esprits. Je me suis<br />

convaincu qu'elle produira les plus grands malheurs, et, dans cette conviction, je serais un malhonnête<br />

homme si je continuais à encourager, comme je le fais, les négociants et les banquiers de, Londres qui<br />

ont des capitaux à Maurice, et qui sont disposés à en envoyer d'autres, si je leur réponds de la<br />

tranquilité du pays. »<br />

Je ne vous rapporte pas tout ce que j'ai dit; ému et désespéré, comme je l'étais, mon corps se<br />

souleva instinctivement. Le Ministre m'en a paru frappé. Il s'approcha de moi, me dit d'examiner la<br />

chose plus froidement. Je [la] lui fis voir en lui répétant avec calme tout ce que je venais de lui dire, et<br />

en y ajoutant de nouveaux raisonnements.<br />

Je finis par celui-ci: « Vous ne pouvez pas, Mylord, traiter officiellement avec moi, comme<br />

représentant de Maurice, j'y consens. Je consens même il ce que vous ne m'écoutiez pas comme colon.<br />

Mais vous m'entendrez comme un sujet britannique qui vient vous donner un avis qu'il vous doit<br />

comme un sujet loyal. Je quitte une colonie dont les habitants sont dans le désespoir. L'effervescence y<br />

est à son comble. On accuse le Gouvernement de tous les maux que l'on éprouve et on lui attribue<br />

l'intention d'anéantir le pays. J'ai dît à ces habitants: "Restez en paix; calmez-vous; ayez confiance en<br />

notre Gouvernement; il est mal instruit, sans doute, je vais l'éclairer et vous porter des témoignages de<br />

sa justice envers vous. Maintenant Mylord, je vais retourner dans cette colonie, et je dirai à ces<br />

habitants, Reprenez en paix vos travaux : ne vous plaignez plus, le Gouvernement est décidé à vous<br />

rendre justice et à vous protèger. »<br />

Mais les habitants me demanderont des preuves de ces assertions: que leur répondrais-je, alors?<br />

D'attendre! Mais ils attendent depuis vingt ans, et ils ne m'écouteront pas plus qu'ils ne croient à cent<br />

proclamations qui leur promettent davantage. Il est donc nécessaire que je leur prouve par des faits<br />

qu'ils doivent mettre leur confiance en vous; qu'enfin, ils la voient partagée par des négociants de la<br />

métropole. Après vous avoir donné un pareil avis. Mylord, et m'être mis à votre disposition, comme je<br />

le fais, j'ai le droit de rejeter sur le Ministère la responsabilité des malheurs qui vont arriver.<br />

Le Ministre se décida alors à retirer le mémorandum, et me dit qu'il allait de nouveau tout<br />

examiner, et m'écrire une lettre dans laquelle il me dirait tout ce qu'il pourrait, sans s'écarter des formes<br />

établies dans le Gouvernement de Sa Majesté, et que je serais content de lui.<br />

68


Je lui ai répété qu'il y avait plusieurs points sur lesquels il n'avait pas besoin de l'opinion du<br />

Gouverneur, et qui étaient suffisamment éclaircis; qu'il pouvait les décider actuellement, à la grande<br />

satisfaction des Colons. Il m'a encore dit de les mettre par écrit, ce que je me suis empressé de faire.<br />

En rentrant chez moi, j'ai écrit au Ministre pour lui demander une nouvelle audience avant qu'il eut<br />

pris une détermination et il me l'a accordée pour lundi, 4 avril, à midi. Je me suis rendu au Bureau où<br />

Lord Howick est venu me dire que Lord Goderich était fort occupé pour le moment, qu'il le serait<br />

pendant toute la semaine et me recevrait mardi à midi.<br />

J'ai vu les personnes intéressées aux affaires de Maurice, et je les ai engagées à se réunir pour lui<br />

demander une audience, et lui dire tous les motifs que le Gouvernement a de ménager une colonie<br />

située comme l'est la nôtre. Ils m'ont promis de le faire; M. Irving lui a déjà parlé fortement dans ce<br />

sens.<br />

Je m'occupe, par l'entremise de M. Macqueen de faire admettre un membre pour Maurice au<br />

Comité des Indes Occidentales. Le Comité est très puissant et soutenu au Parlement par 60 membres.<br />

Vous sentez toute l'importance qu'il y a pour vous à y être représentés! Mais je crains de rencontrer<br />

beaucoup de difficultés.<br />

J'ai fait voir à Lord Goderich votre pétition pour obtenir une assemblée coloniale, (54) et je lui ai<br />

dit que notre intention était de la faire présenter au Parlement. Je ne le ferai, cependant, qu'après la<br />

notion de M. Buxton. Vous verrez par les journaux qu'elle est renvoyée au 15 de ce mois. Les<br />

Colonistes ne sont pas sans inquiétude, et attribuent à plusieurs membres du Ministère une coopération<br />

directe à la mesure que nos ennemis vont proposer. J'ai remis à M. Bruge (55), agent de la Jamaïque,<br />

des notes dont il m'a dit être très satisfait. Je ne néglige aucune occasion de concourir, selon mes faibles<br />

moyens, à la défense générale des Colons.<br />

Vous, verrez. Monsieur, par les extraits que j'ai fait faire des journaux de la Trinité, de la Grenade,<br />

de Demerara, que ces colonies établissent des comités pour correspondre avec leurs agents en<br />

Angleterre, et décident d'en maintenir un pour les réprésenter toujours, mesure sage, reconnue<br />

nécessaire, et dont ils ont pris l'exemple chez nous (56), C'est, en effet, notre Comité Colonial qui leur a<br />

donné cette idée, et, tandis que chez nous des intrigants ont l'impudence de le décrier, vous voyez les<br />

autres colonies anglaises l'imiter. Nous aurons donc la gloire d'avoir eu l'initiative dans une institution<br />

qui donne aux Colons une force d'ensemble qu'ils n'avaient jamais eue et qui, sans doute, est leur plus<br />

sûr moyen de salut. Il ne nous reste plus qu'à avoir un membre dans le Comité des Indes Occidentales.<br />

J'espère ne pas quitter l'Angleterre sans avoir acquis cet avantage à notre Colonie.<br />

J'ai l'honneur, etc.<br />

22.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong><br />

69


Monsieur,<br />

Adrien d'Epinay à l'Honorable Arthur Cole (57).<br />

Londres,<br />

4 avril 1831.<br />

J'ai l'honneur de vous adresser une autorisation à Messieurs Randel et Bridge de vous remettre la<br />

pièce d'argenterie que la Colonie à votée à Sir Lowry Cole, en reconnaissance des services qu'il lui a<br />

rendus.<br />

Je regrette de vous dire que j'ai peu d'espoir, depuis quelques jours, de réussir, comme j'avais tant<br />

de raisons d'y compter, dans ma mission auprès du Gouvernement. Cette idée me désespère et il faut la<br />

conviction que j'ai des malheurs qui vont arriver pour vous prier, Monsieur, d'intercéder, si cela vous<br />

est possible, auprès de Lord Goderich, afin qu'il se montre plus favorable à une Colonie qui a mérité<br />

l'estime et l'affection de votre frère, et qu'il a promis de ne jamais oublier. Si Sir Lowry était à Londres,<br />

il irait au devant de ma prière; en son absence, permettez-moi de vous la faire.<br />

A Monsieur Lucas,<br />

Monsieur,<br />

Président du Comité Colonial,<br />

23.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

17 avril l831.<br />

Le navire qui vous porte mes lettres retardant son départ de quelques jours, je puis vous faire<br />

connaître le résultat de la conférence que j'ai eue ce matin, 17 avril, avec Lord Goderich, qui m'a<br />

accordé formellement les points suivants;<br />

70


1o. L'admission des Coloris au Conseil.<br />

2o. L'abolition de la censure.<br />

3o. L'admission des Colons aux emplois publics sans autre préférence que celle due au mérite.<br />

4o. L'abolition de tout monopole.<br />

5o. L'abolition de l'Article 29 de l'arrêté du 13 Pluviose an 11 (58).<br />

6o. La création d'une bonne police, surtout dans les campagnes.<br />

7o. Une loi pour la répression des abus résultant du débit des liqueurs spiritueuses.<br />

Sa Seigneurie a bien voulu me dire qu'elle avait lu, deux fois, le Mémoire que je lui ai présénté ;<br />

qu'elle l'avait trouvé du plus grand intérêt, et qu'elle ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour<br />

redresser tous les griefs qui y sont dénoncés, notamment le mantien abusif d'impôts spéciaux dont la<br />

cause a cessé. Une députation des négociants de la Cité, composée de MM. Saunders, Barclay, Webb,<br />

etc., a été admise après moi; Lord Goderich leur a répété les mêmes choses, et fait aussi formellement<br />

les mêmes promesses. Il leur a dit, comme à moi, qu'il ne pourrait leur donner ces assurances par écrit,<br />

parce que les formes officielles ne le permettaient pas; mais que ces différents points étaient arrêtés et<br />

seraient exécutés; qu'il s'occupait d'en faire expédier l'ordre; que seulement Lord Howick m'écrivait<br />

une lettre qui me ferait connaître, sans entrer dans aucun détail, les vues et les intentions du<br />

Gouvernement de Sa Majesté au sujet de notre Colonie.<br />

Vous sentez qu'auprès des assurances aussi positives et une déclaration aussi pleine de franchise,<br />

il eut été plus que déplacé de ma part d'insister pour les avoir par écrit.<br />

Nos amis m'ont dit que j'avais bien fait, et qu'ils considéraient comme sacrées, officielles,<br />

publiques, les paroles qui leur avaient été adressées par Lord Goderich.<br />

J'ai à vous parler maintenant de l'affaire à prétexte de 1814, et je crois devoir me borner à vous dire<br />

qu'il n'y a plus la moindre crainte à conserver à ce sujet. Les raisons, que vous approuverez, me portent<br />

à n'entrer dans aucun détail sur ce point. Je le ferai verbalement quand j'aurai le bonheur d'être au<br />

milieu de vous.<br />

Le résultat politique de ma mission étant de nature à me rassurer sur le sort de la Colonie, je vais<br />

me livrer avec ardeur aux démarches qui pourront me faire obtenir pour les Colons un emprunt<br />

hypothécaire. à un intérêt médiocre; je puis, en sûreté de conscience, donner maintenant aux prêteurs<br />

les plus fortes assurances de tranquilité.<br />

La banque que mon frère avait déjà obtenu de faire établir, et dont les mauvaises nouvelles<br />

(bruits de guerre) avaient fait suspendre l'exécution, va être définitivement établie.<br />

P. S. - Vous verrez dans les journaux la discussion sur la motion de M. Buxton (député anti:-coloniste<br />

au Parlement) et l'honorable exception dont notre Colonie est l'objet. Nos amis sont très rassurés, La<br />

propriété est à jamais reconnue.<br />

71


L'émancipation ne peut donc être admise sans indemnité. Le principe admis, nous ne devons plus<br />

avoir d'inquiétude.<br />

23 avril.<br />

L'on m'a assuré, au Bureau Colonial, que la dépêche pour la composition du nouveau Conseil<br />

porté à quinze membres par l'accession des Colons, est faite et expédiée; que, de plus, le Ministre<br />

admet le principe, que nous n'avons cessé de soutenir, que c'est à la Colonie de faire ses lois, sauf la<br />

sanction royale. On m'a demandé un nouveau travail sur les impôts, les améliorations et les<br />

changements dont ils sont susceptibles, et les économies qui peuvent être faites. Je m'en occupe.<br />

L'affaire de l'emprunt prend une bonne tournure, quoique il n'y ait rien encore de fait.<br />

Mylord,<br />

24.<br />

Adrien d'Epinay à Lord Goderich.<br />

Londres,<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

6 juin 1831.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

La grande cause de l'irritation que montrent généralement les Colons contre les mesures faites pour<br />

l'amélioration du sort des esclaves, vient de ce qu'elles sont toutes empreintes, involontairement sans<br />

doute, d'une apparence d'esprit de parti, et que tout ce qui tend à élever l'esclave abaisse en même<br />

temps le maître, et l'humilie. L'un pourrait se faire sans l'autre, et déjà, ce serait éviter la moitié des<br />

inconvénients. Cette entreprise est digne d'un homme d'Etat placé dans la situation où se trouve Votre<br />

Seigneurie.<br />

Les lois sur l'amélioration ne demandent pas assez au maître, et lui commandent avec trop de<br />

dureté et de méfiance. Lorsqu'on les parcourt, on se sent humilié d'être colon. Dans le même moment<br />

où l'on croit son intérêt attaqué, on sent encore son amour-propre, je dirai même son honneur,<br />

fortement blessé. En effet, toutes les mesures ordonnées semblent être la conséquence de cette idée<br />

mère, qu'il est impossible que l'on puisse être en même temps colon et humain, colon et juste, colon et<br />

honnête homme! C'est cependant le cas le plus général (je me borne à parler de Maurice, seule colonie<br />

72


anglaise que je connaisse). Si l'on montrait aux colons plus de confiance, si on leur demandait avec<br />

douceur, au lieu d'arracher avec dureté, si l'on ménageait mieux leur amour-propre, si, en élevant<br />

l'esclave, on les élevait aussi, (et tout cela est bien facile), on serait étonné des immenses concessions<br />

que l'on obtiendrait en peu de temps.<br />

Votre Seigneurie me permettra de citer un exemple de ces dispositions humiliantes qui sont audessous<br />

du caractère modérateur que doit avoir un Gouvernement sage et fort. J'ai vu que Votre<br />

Seigneurie recommande que les Magistrats de l'île Maurice ne soient pas propriétaires d'esclaves. Je<br />

supplie Votre Seigneurie d'examiner toutes les conséquences de cette recommandation. Elle frappe<br />

d'anathème tous les propriétaires d'esclaves, car, elle déclare que celui qui l'est est indigne de juger. Et<br />

cette injure gratuite, c'est le Gouvernement qui la fait! Elle implique contradiction avec ce que Votre<br />

Seigneurie a bien voulu promettre: que dorénavant le Colon ne serait pas repoussé des emplois publics.<br />

Il n'en est pas un qui ne soit propriétaire d'esclaves· Ne pas admettre ceux-ci aux places de juges, c'est<br />

en exclure les Colons, et, de plus, « les seuls qui soient capables de les exercer ». Mais ceci n'est rien<br />

encore; vous placez, Mylord, un homme dans la situation la plus périlleuse ou il puisse se trouver; vous<br />

élevez dans la conscience une collision entre le devoir et l'intérêt, entre l'honneur et le besoin; vous en<br />

avez la triste expérience, Mylord, l'intérêt l'emporte trop souvent. Il faudra que le Colon refuse l'emploi<br />

qui lui est offert ou l'accepte; s'il refuse, il se plaindra avec juste raison d'une restriction qui est une<br />

véritable exclusion, un brevet d'incapacité, j'oserai dire d'indignité. S'il accepte, il devra se défaire de<br />

ses esclaves, et souscrire à une condition humiliante puisqu'elle condamne sa vie passée, et qu'il ne<br />

peut s'y soumettre sans reconnaître qu'il est, en effet, impossible d'être en même temps, propriétaire<br />

d'esclaves et honnête homme. Mais s'en défera-t-il? Ici vous allez voir, Mylord, que la mesure ouvre la<br />

porte à la mauvaise foi, et portera le parjure sur le siège où doit s'asseoir l'homme chargé de punir la<br />

corruption et le parjure; elle en sera la prime d'encouragement. Vous trouverez des hommes, oui, vous<br />

en trouverez infailliblement, et ce n'est pas les connaître que d'en douter, qui, possesseurs de quelques<br />

domestiques utiles; et affectionnés, ne voudront pas s'en défaire, et auront, cependant, besoin d'une<br />

bonne place. Ils les mettront sous le nom d'un ami, et déclareront, puisqu'on le veut, qu'ils ne sont plus<br />

propriétaires d'esclaves. Ainsi l'homme appelé à rendre la justice débutera par un mensonge et aura été<br />

parjure à son premier serment.<br />

La condition dont je parle est imposée aux Colons (on le voit bien) dans le but d'obtenir des juges<br />

sans partialité pour les maîtres. Mais, cette partialité que l'on craint peut naître de mille autres causes.<br />

Si le juge n'est pas propriétaire d'esclaves, sa femme, ses enfants, ses parents, ses amis, tous ceux<br />

auquels il porte intérêt peuvent l'être. L'intérêt de ceux qui nous sont attachés est tout aussi fort que le<br />

nôtre, et peut, aussi bien que celui-ci, nous faire manquer à nos devoirs et à nos serments, si nous avons<br />

la faiblesse de les oublier. La mesure sera donc sans effet tant que cet autre intérêt existera. Il faut donc<br />

le détruire, c'est à dire, porter la méfiance à son comble, rendre la présomption générale et l'injustice<br />

complète.<br />

73


Dans un bon gouvernement, ce sont les hommes les plus vertueux que l'on investit du droit de<br />

juger. Ces hommes doivent être nécessairement de bons maîtres; ils doivent même l'exemple sous ce<br />

rapport, car ce sera le meilleur moyen de faire respecter les jugements qu'ils rendront entre le maître et<br />

l'esclave. Eh bien, Mylord, Votre Seigneurie, en imposant la condition d'éligibilité privera l'esclave d'un<br />

bon maître, et empêchera que les Colons, revêtus de fonctions judiciaires et propriétaires d'esclave, ne<br />

soient forcés par leur propre intérêt, moins portés par nature à donner le bon exemple. En voulant éviter<br />

un inconvénient, vous en ferez naître de plus graves. Je conçois, Mylord, que les abolitionistes absolus<br />

aient réclamé une mesure pareille. L'esprit de parti ne raisonne pas. C'est aux plus sages, c'est aux<br />

hommes placés dans votre éminente position, à examiner si elle est raisonnable et dans l'intérêt de tous.<br />

N'est-ce pas assez d'imposer aux Colons des lois qui sont contraires il leurs préjugés; et qui, dans<br />

leur conviction, le sont également à leurs intérêts et à leur sécurité? Faut-il imprimer, en outre, à ces<br />

lois un caractère injurieux qui fait qu'elles blessent, qu'elles humilient, qu'elles désespèrent enfin ? Car,<br />

c'est le mot, permettez-moi de le dire, Mylord. Si le propriétaire d'esclaves ne peut être juge de la cour,<br />

il ne peut, non plus, remplir aucune fonction qui exige une conscience pure. Il faudra donc que, depuis<br />

le Gouverneur jusqu'au dernier employé, personne dans l'administration ne possède un esclave; et,<br />

comme il serait inconséquent que ceux qui font les lois ne fussent pas aussi purs que ceux qui les<br />

appliquent, les membres du Conseil devront subir la même condition. Cependant Votre Seigneurie a<br />

daigné promettre que désormais les Colons seraient appelés à concourir à la création des lois de leur<br />

pays, et ne seraient plus exclus des emplois publics.<br />

J'atteste, Mylord, qu'à l'île Maurice, en montrant de la modération, de la confiance, et en<br />

encourageant les bons exemples, on obtiendra beaucoup plus, et en moins de temps, que par des lois<br />

qui blessent encore plus le cœur des Colons que leurs intérêts ou leurs préjugés.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

74


25.<br />

Lord Howick à Adrien d'Epinay.<br />

Downing Street,<br />

20th June 1831.<br />

I am directed by Viscount Goderich to acknowledge the receipt of your letter of the 6th instant,<br />

and, at the same time, to express his regret that it should have been supposed by yourself, or any of the<br />

inhabitants of Mauritius, that the regulations recently adopted for the improvement of the conditions of<br />

the slaves have been drawn up under the influence of a feeling unfriendiy and disrespectful to their<br />

masters. This is so far from being the case, that it has been the most anxious wish of His Majesty's<br />

Government to treat the inhabitants of the colonies into which these regulations have been introduced,<br />

with the utmost deference and consideration.<br />

What seems chiefly to have created in your mind a contrary impression, and, indeed, the only<br />

specific subject of complaint to which you advert, is the restrictions imposed upon persons holding<br />

judicial situations, as to the possession of slaves.<br />

The object of this restriction you do not appear correctly to have understood. It was not intended to<br />

cast any reflexion on the character of the owner of slaves generally, but simply to carry into effect the<br />

universally recognised principle of justice that no man should be a judge in a case where he is himself<br />

united by any tie of common interest or feeling with one of the parties concerned.<br />

Upon precisely the same ground that is considered inexpedient that a judge in the Mauritius<br />

should not be a proprietor of slaves, it is not thought right, in those parts of this country in which<br />

disputes between manufacturers and their workmen are of frequent occurrence, that one of the former<br />

class should act as a magistrate. Yet, if certainly will not be asserted that any discredit attaches to the<br />

character of a British manufacturer.<br />

This is only part of the measures adopted for the benefit of the slaves to which you particularly<br />

object. If, however, as you assert, there is anything in the provisions of the Order in Council calculated<br />

to wound the feelings of the planters, or lower them in public estimation, and, if this can be corrected,<br />

and their hearty cooperation in the views of His Majesty's Government can be secured by modifications<br />

which would not impair the general efficiency of the law, Lord Goderich will be happy to learn how so<br />

desirable an object may be accomplished, and will be glad to receive and to consider any suggestion<br />

which you may be able to offer, as to the means of doing so.<br />

I have, etc.,<br />

HOWICK.<br />

75


Monsieur,<br />

26.<br />

Adrien d'Epinay à M. Balfour, Secrétaire privé de Lord Goderich.<br />

6 juillet 1831.<br />

Depuis plusieurs jours j'avais l'intention d'aller vous voir pour vous prier de demander à Lord<br />

Goderich une dernière audience de congé que je désire avoir avec lui. Mais, comme je suis malade et<br />

que je ne puis même pas écrire (ce qui me force à recourir à la plume de mon secrétaire), je prends ce<br />

moyen de vous prier de vouloir bien solliciter pour moi cette faveur de la part de Sa Seigneurie. Je dois<br />

quitter Londres, décidément, vers la fin de la semaine prochaine, et, à compter de demain, je crois que<br />

je serais en état de pouvoir me rendre au Bureau Colonial.<br />

Monsieur,<br />

27.<br />

M. Balfour à Adrien d'Epinay.<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Bureau Colonial,<br />

8 juillet 1831.<br />

Lord Goderich sera charmé de vous voir au Ministère lundi prochain, à une heure de l'après midi.<br />

Mais, si cette heure ne vous convenait pas, ou si votre santé ne se trouvait pas bien rétablie, donnezm'en<br />

avis et nous fixerons un autre jour.<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

B. F. BALFOUR.<br />

76


28.<br />

Note d'Adrien d'Epinay sur Mahébourg.<br />

Voici une note qui a été remise par Adrien d'Epinay, en 1831, à M. Ivring, Membre du Parlernent, défenseur délégué<br />

de Maurice, au sujet des avantages que retirerait la colonie de l'accroissement et de la prospérité de la ville de Mahébourg :<br />

Indépendamment du Port-Louis, situé au Nord-Ouest de l'Ile Maurice, notre Colonie possède au<br />

Sud-Est un autre port, communément appelé le Grand Port. Lorsque les Hollandais étaient possesseurs<br />

de l'île, c'est là qu'ils en avaient établi le chef-lieu. Le port offre de très grands avantages. L'accès en est<br />

facile par tous les vents.<br />

Il peut contenir trente fois plus de navires que le Port-Louis. Deux rivières et un grand nombre de<br />

petits ruisseaux s'y jettent. Un ilot, facile à fortifier, et que l'on pourrait rendre imprenable, en défend<br />

l'entrée ou la protège. Si les Français ont donné la préférence au Port-Louis, qui n'a pas les mêmes<br />

avantages. C'est que, de ce dernier port, les navires peuvent sortir, pour ainsi dire, par tous les vents,<br />

ordinairement régnants, et que, dans le Grand Port, ils se trouvent retenus, le plus souvent, par les vents<br />

généraux qui soufflent précisement dans la direction de la passe.<br />

Or, un établissement purement militaire était mieux situé au Port-Louis. Si les Français avaient<br />

connu la force de la vapeur et son application à la marine, ils n'eussent pas hésité à donner la préférence<br />

au Grand Port, d'où, à l'aide d'un bateau à vapeur, un navire peut sortir, quel que soit le vent qui règne.<br />

Ils existe aujourd'hui, au fond de ce dernier Port, et sur l'une des rivières qui s'y jettent, une petite ville<br />

appelée Mahébourg (59). Elle prend, chaque jour, plus d'accroissement. Le Gouvernement y a fait<br />

construire de fort belles casernes. Un régiment est presque toujours en garnison. Le sol environnant le<br />

Grand Port est riche et neuf. On ne sait par quelle bizarrerie, par quel goût exclusif de centralisation,<br />

les habitants du Grand Port ne peuvent pas expédier leurs denrées pour l'extérieur autre part que du<br />

Port-Louis. Ils sont donc obligés de les y transporter par eau (60), transport qui coûte souvent jusqu'à<br />

12 pour cent de la valeur des denrées. Ce ne sont pas seulement les habitants du Grand Port qui<br />

souffrent de cet état de choses, mais ceux de la Savanne, quartier neuf et fertile, ceux de Flacq, l'un des<br />

plus peuplés et le plus productif de l'île. C'est conséquemment la grande moitié des habitants qui<br />

auraient plus d'avantages à envoyer leurs denrées au Grand Port, dont ils sont très rapprochés, qu'au<br />

Port-Louis où l'on ne parvient que par un long circuit, parfois dangereux. Si le Gouvernement<br />

permettait aux navires de charger et de décharger leurs marchandises au Grand Port, il en résulterait un<br />

grand bien.<br />

77


1o. pour les habitants du quartier qui n'auraient plus à payer de frais de transport sur leurs propres<br />

denrées, qui n'en auraient pas à payer sur celles de consommation qu'ils sont obligés de recevoir du<br />

Port-Louis;<br />

2o. pour la ville de Mahébourg, les habitants, sa garnison auxquels les objets de consommation<br />

coûteraient beaucoup moins cher;<br />

3o. pour le Gouvernement qui tirerait nécessairement avantage du commerce qui se ferait à<br />

Mahébourg, où il gagnerait, et au delà, la différence qu'il pourrait éprouver au Port-Louis;<br />

4o. enfin pour toute la Colonie qui ne pourrait que ressentir les bons effets de l'extension que<br />

prendrait son commerce, par l'ouverture d'un nouveau port, la prospérité de la nouvelle ville, et les<br />

nouveaux établissements qui en seraient la conséquence dans la partie la plus fertile de l'île.<br />

Mylord,<br />

29<br />

Adrien d'Epinay à. Lord Goderich.<br />

Londres,<br />

16 juillet 1831.<br />

Votre Seigneurie me trouvera peut-être indiscret de lui parler encore des affaires de Maurice. Mais<br />

elle m’excusera en considérant l'importance du sujet pour cette intéressante colonie. Il y a plusieurs<br />

points qui ne sont pas encore réglés, et sur lesquels je n'en ai pas dit encore assez pour éclairer<br />

parfaitement Votre Seigneurie. Je vais les rappeler, et ajouter ce que je puis avoir omis.<br />

IMPOT SUR <strong>LES</strong> SUCRES A LEUR SORTIE<br />

Votre Seigneurie a promis que l'on aviserait aux moyens de le rendre moins lourd et moins gênant.<br />

Cependant, j'ai entendu, avec douleur, un membre du Bureau Colonial dire qu'il serait maintenu, et<br />

donner pour motif que, s'il était réduit, le prix des noirs augmenterait en proportion.<br />

Mylord, quand cet impôt a été créé, les noirs valaient £40. Depuis, il ont baissé de prix; ensuite, ce<br />

prix s'est élevé jusqu'à £100. Il était retombé à £40 en 1830; et je ne crois pas que maintenant il passe<br />

jamais à £40. Votre Seigneurie aperçoit donc une variation de 40 à 100 et de 100 à 40 pendant que<br />

l'impôt restait invariable. Il n'a donc aucune influence sur le prix des noirs.<br />

78


Une grave erreur est de supposer qu'à l'Ile Maurice tous les esclaves sont attachés aux sucreries.<br />

J'en ai fait le relevé. Les propriétaires de ces manufactures possèdent en tout 25,000 esclaves sur<br />

65,000 que l'on compte. Si l'on excepte de ces 25,000 les enfants, les vieillards et les infirmes, il reste à<br />

peine 15,000 activement et effectivement employés aux travaux de sucreries. Votre Seigneurie voit<br />

donc que la grande majorité des esclaves est occupée aux travaux domestiques, à la culture des<br />

végétaux et des grains pour la consommation intérieure, aux ateliers et dans les forêts, à l'exploitation<br />

des bois, travail plus dur, sans comparaison, que celui des sucreries. Si le prix des noirs augmente, les<br />

propriétaires des sucreries n'en profitent que dans la proportion d'un tiers, et cependant c'est eux seuls<br />

qui en portent la punition. Car, d'après ce qui m'a été dit, c'est ainsi qu'il faut considérer l'impôt. Une<br />

autre personne m'a dit que les droits payés à la sortie étaient supportés par le consommateur. Votre<br />

Seigneurie est trop profondément versée dans ces matières pour que je me crois permis de combattre ici<br />

cette objection. Elle s'applique avec justesse aux droits d'entrée. Notre marché n'est pas chez nous mais<br />

à Londres, et il ne dépend pas de nous de le régler. Cette seule réflexion indique la différence qui existe<br />

entre les deux droits. Si la politique du Gouvernement est de faire tomber le prix des noirs, en vue de<br />

l'émancipation prochaine et du prix de base de l'indemnité, et si l'augmentation de la taxe est un moyen<br />

d'y parvenir, il faut taxer plus fortement tous les noirs en général ou taxer tous les produits de leur<br />

travail, chose impossible, puisqu'il en est qui ne sont même pas matériels. Mais il y a une injustice très<br />

grande et une fausse application de principes à taxer le produit de 15,000 esclaves pour faire baisser le<br />

prix de 65,000! Si le Gouvernement veut que les esclaves aient moins de valeur, il y a un moyen<br />

simple. C'est d'encourager le travail libre. De bons réglements locaux, de bonnes lois sur le<br />

vagabondage, conduiront à ce but. Si le Gouvernement croit que la taxe est un moyen de parvenir au<br />

même but (opinion que non seulement je ne partage pas, mais même que je ne puis concevoir) il me<br />

semble que pour être conséquent il faut taxer non le produit d'un certain nombre d'esclaves, non deux<br />

cents propriétaires, mais tous.<br />

Je propose donc à Votre Seigneurie de recommander au Gouverneur et au Conseil d'aviser au<br />

moyen de changer la taxe qui frappe les sucres à leur sortie, de manière à ce que le Trésor n'en souffre<br />

aucune perte, et à ce qu'elle soit perçue sur les esclaves en général. Comme il m'a été assuré au<br />

Ministère que les autres colonies payaient un droit de sortie, je réponds à cela qu'elles paient non un<br />

droit fixe, mais un droit proportionnel; que la taxe est d'un pour cent sur la valeur des sucres, tandis que<br />

celle de Maurice n'est jamais moindre de six pour cent et va quelque fois à vingt pour cent; que, si il y<br />

avait un dégrèvement à accorder, c'est à celle des colonies qui, étant la plus éloignée, reçoit moins de<br />

secours, paie plus cher le fret et l'assurance, et supporte un intérêt de 12 pour cent.<br />

PRESSE<br />

79


En demandant à Votre Seigneurie la liberté de la presse pour Maurice, j'ai entendu que nous<br />

obtiendrions l'abolition de la censure, institution tyrannique, dégradante même pour ceux qui l'exercent.<br />

J'ai ajouté que nous tenions en même temps à avoir de bonnes lois répressives des abus qui peuvent<br />

naître de l'exercice d'un droit quelquefois dangereux. Sous ce rapport, je peux assurer à Votre<br />

Seigneurie que les Colons eux-mêmes sont disposés à proposer des réglements de nature à calmer<br />

toutes les inquiétudes que le Gouvernement pourrait concevoir. Je propose d'astreindre l'imprimeur à<br />

un fort cautionnement, d'exiger que chaque feuille soit signée de l'éditeur responsable, et de laisser au<br />

ministère public le pouvoir qu'il a déjà de poursuivre ex-officio, dans tous les cas où il y aura libelle, et<br />

où il paraîtra que l'on aura passé les bornes d'une censure décente de la conduite des hommes publics<br />

ou des actes du Gouvernement. Il n'y aura aucun danger à faire l'essai de ces moyens nouveaux. Il<br />

serait toujours temps, s'ils ne réussissaient pas, de prendre des mesures plus fortes. Les Colons seront<br />

toujours les premiers à les provoquer. Au surplus, je m'en rapporte aux promesses que Votre Seigneurie<br />

a daigné me faire à ce sujet.<br />

RELIGION<br />

Je supplie Votre Seigneurie d'exiger que l'on élève des églises dans tous les quartiers, et que la<br />

Colonie ait assez de prêtres pour que les esclaves puissent recevoir des instructions religieuses. J'ai dit<br />

à Votre Seigneurie que la présence du Vicaire Apostolique actuel était un sujet de trouble et de scandale<br />

dans l'église, et dans la société en général (61) ; qu'il était, et avait toujours été en guerre ouverte avec<br />

les gouverneurs, les tribunaux, le clergé et les fabriques; qu'un évêque coûtait autant que quatre curés et<br />

n'était pas aussi utile; que le Gouvernement de Sa Majesté avait le pouvoir de rappeler le Vicaire<br />

Apostolique comme tout autre fonctionnaire public. J'ai enfin cité ce que dit à ce sujet, un des meilleurs<br />

auteurs qui ait écrit sur les « Constitutions françaises », Il s'exprime en ces termes: Il n'y a point<br />

d'Evêques aux Colonies françaises. Des ecclésiastiques du second ordre, titrés Vicaires Apostoliques, et<br />

munis de l'agrément du Roi, gouvernent le clergé, et les laïques de la communion catholique. Ils sont<br />

révocables à volonté par l'une ou l'autre des deux puissances d'où émanent leurs pouvoirs (Mahul:<br />

Tableau de la Constitution Politique de la Monarchie française. - Paris, 1830.) Il me reste donc à<br />

supplier humblement Votre Seigneurie, au nom de la religion chrétienne et au nom de la Colonie, de<br />

rappeler le Vicaire Apostolique et d'envoyer de bons missionnaires à Maurice (62).<br />

CONSEIL<br />

Votre Seigneurie admet les Colons à participer à la confection de leurs lois locales, droit ancien<br />

pour eux, droit dont ils ont joui, et dont la restauration resserre les liens oui attachent Maurice à<br />

l'Angleterre.<br />

80


Il eut été à désirer, pour nous, que la composition du nouveau Conseil législatif fût l'effet d'une<br />

élection libre, mais Votre Seigneurie ne croit pas le temps venu de nous faire jouir d'un pareil avantage<br />

et, jusqu'à nouvel ordre, c'est le Gouverneur qui nommera les membres de ce Conseil (63).<br />

Les dispositions bienveillantes et la sagesse du Gouverneur actuel (Sir Charles Colville) sont de<br />

sûrs garants qu'il fera tous ses efforts pour réunir autour de lui les hommes les plus capables. Je ne sais<br />

s'il les connaît assez, s'il a assez l'expérience du pays pour réussir parfaitement. J'en doute. Cependant,<br />

je dois le supposer. Mais, qui nous garantira que nous aurons deux bons Gouverneurs de suite? C'est<br />

chose peu commune, Mylord ! Nous en avons eu plus de mauvais que de bons. Voilà donc une fois<br />

encore le sort de la Colonie entre les mains d'un seul homme, peut-être d'un méchant homme! Ce que je<br />

redoute surtout, c'est la manière dont on pourvoira au remplacement d'un membre absent. Il pourra<br />

arriver qu'un gouverneur mal intentionné, voulant humilier le Conseil, y introduira un de ces hommes<br />

avec lesquels des gens de bonne compagnie ne peuvent aimer à se rencontrer.<br />

Les devoirs des Conseillers seront assujettissants, quelquefois pénibles. Il faut donc les stimuler<br />

par l'idée honorable qu'ils ont été appelés à un poste pareil, non parla faveur, non comme l'instrument<br />

du pouvoir, mais par le suffrage libre de leurs concitoyens. J'ose suggérer à Votre Seigneurie, une idée<br />

qui me paraît assez raisonable, et dont l'adoption, sans être une grande concession de la part du<br />

Gouvernement, serait considérée par les Colons comme une bonne garantie. C'est de laisser, comme<br />

cela est d'ailleurs arrêté, le Gouverneur faire le premier choix, mais lorsqu'il y aura lieu de remplacer<br />

les membres sortants, démissionnaires ou décédés, de les faire nommer par le Conseil lui-même.<br />

Comme le Gouverneur en fait partie, et que l'on y admettra plusieurs fonctionnaires publics, il est<br />

certain que le Pouvoir exercera la plus grande influence sur ces sortes d'élections. Mais, on obtiendra,<br />

au moins, ce bon effet de provoquer dans le Conseil même, entre les Colons et le Gouverneur, une<br />

délibèration qui éclairera le choix que l'on doit faire.<br />

Monsieur,<br />

30.<br />

Adrien d'Epinay à M. Irving.<br />

Londres,<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong><br />

du 16 au 20 juillet 1831.<br />

81


Je vous laisse les pouvoirs que la Colonie m'a donnés de la représenter en Angleterre, et une<br />

déclaration par laquelle, en vertu de ces mêmes pouvoirs, je suis institué agent des habitants de l'Ile<br />

Maurice. Lorsque les Colons connaîtront l'utile assistance que vous m'avez donnée, les liens nouveaux<br />

d'intérêt, et, j'ose le dire, d'affection qui vous attachent à la Colonie, l'influence que vous avez ici par<br />

votre position sociale, aussi bien que par votre propre mérite, ils s'empresseront d'approuver le choix<br />

que j'ai fait. Comme vous êtes peu au fait de l'organisation de notre administration coloniale, de nos<br />

lois et de nos besoins, je vous laisse une copie du mémoire que j'ai présenté à Lord Goderich. Vous y<br />

verrez la série de nos griefs et une petite histoire abrégée de l'administration. J'y joins un état de<br />

revenus depuis la conquête, le tableau des importations et des exportations, et divers autres documents<br />

que vous consulterez dans l'occasion, et qui vous seront d'une grande utilité.<br />

Comme il se peut que vous ayez besoin de conférer avec quelque personne qui soit au fait des<br />

affaires de notre pays, je vous recommande M. Blanc (64) qui m'a promis de vous donner toute<br />

l'assistance dont pourriez avoir besoin, et qui est très capable de vous éclairer sur tous les points. Vous<br />

connaissez ceux principaux qui m'ont été concédés par Lord Goderich. Cependant, je ne crois pas<br />

inutile de les rappeler ici:<br />

Le Ministre m'a promis formellement:<br />

1o. L'établissement d'un Conseil Législatif, composé de Colons, de négociants et de fonctionnaires<br />

publics.<br />

2o. La liberté de la Presse, moyennant de bons réglements pour en empêcher l'abus qu'on en peut<br />

faire.<br />

3o. La création de Justices de Paix.<br />

4o. Une réorganisation de la Police.<br />

5o. L'abolition de tout monopole.<br />

6o. L'admission de tout sujet de Sa Majesté aux emplois sans distinction d'origine.<br />

7o. Des mesures contre l'abus qui résulte du débit des liqueurs spiritueuses.<br />

Il y a d'autres points que Sa Seigneurie m'a promis de prendre en sérieuse considération: - 1o.<br />

L'état de la religion compromise par la conduite du Vicaire Apostolique. 2o. L'abolition ou le<br />

changement de la taxe d'un schelling imposée par cent livres de sucre à leur sortie. Je viens de traiter<br />

ces derniers points plus particulièrement dans une lettre que j'ai adressée à Lord Goderich et dont je<br />

vous laisse une copie.<br />

Je vous laisse une pétition des habitants de Maurice pour une représentation coloniale. Prenez-en<br />

lecture. Lord Goderich l'a vue, et je lui a dit que je la ferais présenter au Parlement. Je laisse à votre<br />

sagesse de juger du moment opportun de le faire. Je n'ai pas besoin de vous répéter que la chose que les<br />

habitants ambitionnent avant tout et qu'ils considèrent comme la garantie d'une éternelle sécurité est<br />

une législation comme celle dont jouissent la plupart des Colonies Occidentales. Tous nos efforts<br />

doivent tendre à ce but.<br />

82


Je vous préviens que j'ai retenu comme notre conseil légal, Mr Henry, avocat à Temple Bar. Il<br />

connaît parfaitement les points de difficulté au sujet de la question des esclaves prétendus importés<br />

depuis 1814. Le sujet est traité dans un mémorandum que je vous laisse. C'est la copie de celui que<br />

nous avons adressé au Gouverneur.<br />

Nous tenons beaucoup à être représentés spécialement et nommément dans le Comité des West<br />

Indies dont vous faites partie. Il est important pour nous d'être rassurés contre les conséquences d'une<br />

rivalité qui peut renaître lorsque le danger commun ne suffira plus pour nous unir franchement et<br />

intimement.<br />

Je vous recommande de faire tous vos efforts pour que le Gouvernement n'envoie plus de sujets<br />

nouveaux dans l'administration de Maurice. Qu'il remplisse les places vacantes par des fonctionnaires<br />

coloniaux, et emploie ainsi de préférence nos amis, nos parents, les enfants de nos familles.<br />

N'oubliez pas, je vous prie, de nous tenir au courant de vos démarches et de tous les événements<br />

qui nous concernent. Si l'on publiait de nouveaux libelles contre nous, ayez soin de nous les transmettre<br />

afin que nous y répondions.<br />

Jusqu'à nouvel avis, vous pouvez adresser vos lettres officielles, comme agent, à Monsieur Lucas,<br />

père, Président du Comité Colonial, ou à moi, Secrétaire du même Comité. Adressez-moi les<br />

communications qui doivent être tenues secrètes.<br />

J'ai payé une année d'abonnement au Miroir du Parlement. Je vous prie d'en recevoir les<br />

livraisons et de me les faire parvenir. Comme c'est pour le Comité, je vous prie de continuer<br />

l'abonnement pour les autres années. Il en est de même pour le journal East Indian Magazine.<br />

Sir,<br />

31.<br />

M. Irving à Adrien d'Epinay.<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

London,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

20th July 1831.<br />

I beg to acknowledge the letter which you have done me the honour to address to me, accompanied<br />

by the full powers granted by the inhabitants of Mauritius to you to represent them in England.<br />

Those powers you have, as you are authorized to do, delegated to me, and I am thereby constituted<br />

the agent of the inhabitants of the Colony, to watch over and promote their general interests, and more<br />

83


especially to become their representative to His Majesty's Government. I am afraid I shall fall short of<br />

the qualities which you have obligingly assigned to me, but I shall endeavour, by zeal and assiduity, to<br />

compensate for the deficiency, and thereby to manifest the sense which I entertain of the high honour<br />

which this important trust confers upon me.<br />

I request you will do me the obligation to make these my sentiments known upon your arrival at<br />

Mauritius.<br />

I pay every attention to the ample documents and instructions which you leave with me, and I shall<br />

take an early opportunity of addressing you upon the various subjects to which you call my attention.<br />

I have the honour to be, etc.,<br />

JOHN IRVING.<br />

Adrien d'Epinay a dû quitter l'Angleterre peu après la réception de cette lettre, car il est arrivé à<br />

Maurice le 20 octobre 1831.<br />

Extrait de la GAZETTE DE MAURICE, 12 novembre 1831.<br />

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU MERCREDI 2 NOVEMBRE 1831.<br />

Dès avant dix heures (matin) une foule nombreuse remplit la grande salle du cercle de l' « Union»<br />

(65).<br />

Le Comité Colonial prend place sur des sièges réservés autour d'une table placée au milieu de la<br />

salle. Bientôt les portes, le vestibule, les escaliers mêmes sont encombrés.<br />

Un membre du Comité se lève et propose à l'Assemblée de se constituer, en choisissant M. Lucas<br />

pour présider la séance. M. Lucas est appelé en fauteuil par acclamation. Il invite M. A. d'Epinay à<br />

rendre compte de la mission que la Colonie lui a confiée l'année dernière et des résultats qu'il a<br />

obtenus.<br />

M. A. d'Epinay prend la parole au milieu du plus profond silence.<br />

Muni des pouvoirs signés par tous les propriétaires de notre île, des adresses que lui avaient<br />

transmises la ville et les quartiers, il est parti, en octobre 1830, pour se rendre en Angleterre. Le Comité<br />

Colonial lui avait donné des instructions détaillées, lui recommandant de présenter un tableau fidèle de<br />

la situation de la Colonie; de passer en revue toutes les branches de l'administration; de signaler tous<br />

les abus qui existent, et d'indiquer les améliorations nécessaires; de faire ressortir cette vérité, mille fois<br />

reproduite et jamais écoutée, que, dans une Colonie placée à cinq mille lieues de la métropole, où les<br />

lois, les mœurs, le climat, le langage, la culture, le commerce ne sont pas les mêmes, il est<br />

32.<br />

84


souverainement injuste que personne de ceux qui ont des connaissances locales et fondées sur<br />

l'expérience, ne soit appelé à la rédaction des lois, etc.<br />

Outre les pouvoirs des Colons et du Comité, M. A. d'Epinay était muni de lettres de<br />

recommandation des principaux fonctionnaires de l'administration, de Son Excellence le Gouverneur,<br />

de Son Honneur le Grand Juge (66) du Général Lestrange (67), du Colonel Draper (68), du Colonel<br />

Staveley (69), et de beaucoup de négociants notables.<br />

En s'embarquant sur le Candian, il avait imposé au capitaine la condition d'une relâche au Cap de<br />

Bonne Espérance.<br />

Notre ancien Gouverneur, Sir Lowry Cole, l'y a parfaitement accueilli et lui a donné, pour les<br />

personnages les plus influents de la métropole des recommandations qui n'ont pas peu contribué au<br />

succès de la mission.<br />

Le Candian est arrivé à Plymouth le 23 janvier 1831. Le 26 notre Député était à Londres. Le 27<br />

Lord Goderich, Ministre des Colonies, le fit prévenir qu'il serait bien aise de le voir, et qu'il le recevrait<br />

le surlendemain.<br />

Ce fut, cependant le 9 février seulement qu'il eut sa première conférence avec le Ministre. Déjà, il<br />

avait envoyé à Sa Seigneurie un mémoire très étendu, qu'il avait rédigé dans la traversée conformément<br />

aux instructions du Comité Colonial et avec l'assistance toujours zélée, toujours utile, de son<br />

compagnon de voyage, M. Hermann Geoffroy. Dans ce mémoire tous les sujets sont traités; les<br />

administrations, les impôts passés en revue; les abus dénoncés. Il parle successivement des droits de<br />

l'île Maurice à une représentation coloniale; de l'éloignement des emplois publics, où les Colons ont<br />

toujours été tenus; de la réforme nécessaire en ce qui touche le culte; de la caisse de bienfaisance, des<br />

tribunaux, de la police, des privilèges, des monopoles, des taxes spéciales, et notamment de celles qui<br />

frappent les sucres à la sortie.<br />

Bien que parfaitement accueilli par le Ministre, M. A d'Epinay crut s'apercevoir, dès le premier<br />

abord, que sa mission avait été calomniée au Bureau Colonial. A la conférence suivante, il s'empressa<br />

de produire les pétitions, les adresses, les pouvoirs dont il était porteur, et qui constataient de la<br />

manière la plus forte l'authenticité de sa nomination comme député de la Colonie toute entière.<br />

La confiance la plus grande parut lui être accordée par le Ministre lui-même et par tous les<br />

employés du Bureau Colonial. Néanmoins, il multiplia les démarches pour obtenir une prompte<br />

décision, s'adressant à tous les amis de la Colonie, intéressant le plus de gens possible à la cause de<br />

Maurice; invitant les négociants liés d'affaire avec notre île, à se réunir pour demander une audience au<br />

Ministre. Trois d'entre eux, MM. Barclay, Saunders et Webb l'obtinrent pour le 17 avril.<br />

M. A. d'Epinay en eut une le même jour et avant ces Messieurs. Lord Goderich lui déclara qu'après<br />

avoir lu son mémoire et avoir mûrement réfléchi sur tout son contenu, il jugeait convenable de<br />

concéder les points suivants:<br />

1o. L'établissement d'un Conseil législatif dans la Colonie.<br />

85


2o. L'abolition de la censure.<br />

3o. L'admission des Colons aux emplois publics, sans autre préférence que celle due au mérite.<br />

4o. L'abolition de tout monopole.<br />

5o. L'abrogation de l'article 29 de l'arrêté du 13 pluviôse An XI.<br />

6o. La création d'une bonne police, surtout dans les campagnes.<br />

7o. Une loi pour la répression du débit des liqueurs spiritueuses.<br />

Sa Seigneurie ajouta qu'elle ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour redresser les griefs<br />

exposes dans le mémoire, et notamment le maintien exclusif d'impôts spéciaux dont la cause a cessé.<br />

Les trois négociants nommés plus haut furent introduits après M. d'Epinay.<br />

Le Ministre leur répéta de la manière la plus formelle les mêmes assurances.<br />

Depuis lors, notre Député eut des rapports fréquents avec M.M. Stephen et Taylor, tous deux<br />

appartenant au Bureau Colonial. Ces Messieurs lui demandèrent fréquemment des notes et des<br />

documents qu'il s'empressa de leur donner. Entre autres renseignements essentiels, il fournit un budget<br />

de la Colonie, comme il croyait convenable de l'établir; donna les noms des personnes qu'il regardait<br />

comme les plus propres à faire partie du Conseil Législatif, et rédigea des représentations sur un<br />

rapport dans lequel la Commission des enquêtes coloniales proposait d'augmenter encore les impôts<br />

accablants de l'Ile Maurice. Il se prononça fortement contre la dureté et la maladresse des lois nouvelles<br />

qui concernaient les esclaves, et cita, entre autres, la clause qui défend aux Magistrats d'en posséder,<br />

c'est à dire à ceux qui seraient par devoir, s'ils ne l'étaient pas par nature, les plus portés à donner le bon<br />

exemple.<br />

Lord Howick Sous-Secrétaire d'Etat au Bureau Colonial, répondit officiellement à ce dernier grief,<br />

dans sa lettre du 20 juin (1831) et déclara que l'intention du Gouvernement n'avait nullement été de<br />

blesser par là les intérêts des Colons pour lesquels il aurait toujours la plus grande considération.<br />

Au moment de quitter l'Angleterre notre Député sollicita de Lord Goderich une dernière audience.<br />

Le Ministre lui confirma les promesses qu'il lui avait déjà faites, ajoutant que, quant à la liberté de la<br />

Presse, il jugeait convenable de ne l'accorder qu'avec des lois répressives dont il s'occupait; que, pour le<br />

Conseil Législatif, il ne croyait pas possible de le composer par voie d'élection libre, mais que ses<br />

instructions recommanderaient fortement à Son Excellence le Gouverneur d'en choisir les membres<br />

parmi les personnes les plus éclairées, les plus recommandables par leur cœur et leur caractère, et les<br />

plus influentes par leur position sociale.<br />

En définitive, M. d'Epinay ne crut pas devoir partir sans adresser au Ministre une dernière lettre<br />

(en date du 16 juillet (1831), dans laquelle il revint avec les plus forts arguments sur plusieurs<br />

questions capitales, le droit de sortie sur les sucres, la liberté de la Presse, la Collège Colonial, la<br />

religion gravement compromise et le Conseil Législatif. Relativement au Collège, il proposait un plan<br />

nouveau, qui a l'approbation de Sa Seigneurie, et suggérait que le Conseil Législatif, d'abord composé,<br />

86


suivant la décision du Ministre, par le choix du Gouvernement, fût, du moins, renouvelé ensuite par<br />

voie d'élection.<br />

Non content d'avoir ainsi traité toutes les questions politiques de sa mission, notre Député a<br />

travaillé à rétablir le crédit financier de la Colonie, qui était absolument ruiné lors de son arrivée à<br />

Londres. Son succès en ce genre a été si complet que beaucoup de capitalistes n'ont pas hésité à placer<br />

leur fonds à Maurice, soit dans des spéculations particulières, soit dans la Banque Coloniale. Cette<br />

institution, précédemment fondée par M. Irving, lorsque M. Prosper d'Epinay se trouvait à Londres et y<br />

employait son influence personnelle, avait été presque abandonnée depuis; grâce aux efforts de notre<br />

Député, elle a été reprise avec une nouvelle activité, et Je livre des actions a été ouvert par lui-même, le<br />

lendemain de son arrivée au Port-Louis (70).<br />

En outre, il s'est occupé de confier nos intérêts à des mains sûres et capables de les soutenir à<br />

Londres après son départ. M. Irving, membre du Parlement, a voulu bien accepter le titre et les<br />

fonctions d'agent de Maurice.<br />

M. Henry, jurisconsulte distingué, a reçu celui d'avocat de la Colonie, et nous aidera de ses<br />

profondes connaissances dans toutes les questions constitutionnelles et légales.<br />

Trois journaux influents doivent recevoir toutes les réclamations qui leur viendraient de Maurice<br />

et défendre notre cause auprès du public des Trois Royaumes, qui n'a jusqu'aujourd'hui entendu que nos<br />

calomniateurs. Déjà les moyens que nous avons employés dans l'intérêt de notre Colonie sont connus<br />

des Colonies Occidentales. A l'instar de Maurice, plusieurs d'entre elles, parmi lesquelles on remarque<br />

Demerara et la Trinité, ont élu des Comités Coloniaux qui envoient leurs agents à Londres et<br />

correspondent régulièrement avec eux. M A. d'Epinay s'est mis en rapport avec ces divers agents et<br />

avec le Comité Colonial qui siège à Londres, et où il a pris soin que nos intérêts soient défendus à<br />

l'avenir.<br />

En terminant notre orateur s'est écrié avec une chaleur toute patriotique: « Je vous conjure,<br />

Messieurs, de comparer notre situation actuelle à notre situation de l'année dernière; le crédit de la<br />

Colonie s'est relevé; le Ministre va vous rendre des droits politiques dont nous sommes depuis<br />

longtemps privés. Nous touchons au moment qui va les remettre entre nos mains. Songez combien<br />

notre position est délicate. Calmez le mécontentement et l'indignation que vous n'étiez naguère plus<br />

maîtres de contenir. Une démarche hasardée pourrait tout perdre. Le crédit perdu pour la seconde fois<br />

ne se retrouverait jamais Nos perfides ennemis, prompts à s'emparer d'une imprudence refermeraient la<br />

main du Monarque qui s'ouvre pour nous donner tout ce que son Ministre nous a promis. Prouvons par<br />

notre obéissance aux lois que nous méritons des institutions libres et constitutionelles, et que nous n'en<br />

abuserons jamais, Attendez l'effet des promesses solennelles que je vous apporte et jetez sur moi toute<br />

la responsabilité de cette attente. J'ai confiance dans la parole du Ministre auquel notre sort est<br />

spécialement remis. Si, le temps passait sans que cette parole eût l'effet que j'en attends, si nulle mesure<br />

87


n'était prise pour améliorer votre situation aujourd'hui si déplorable alors vous pourriez, avec plus de<br />

force que jamais, faire valoir vos droits méconnus et outragés, par les moyens les plus énergiques.<br />

Je propose que l'assemblée arrête; Qu'il sera présenté une adresse à Sa Majesté pour la remercier<br />

de l'accueil favorable qu'elle a daigné faire aux justes réclamations de ses bons et loyaux sujets de l'Ile<br />

Maurice et supplier humblement qu'elle veuille achever son ouvrage et faire jouir les habitants de la<br />

Colonie de tous les droits, privilèges et garanties qui appartiennent aux sujets britanniques et font la<br />

gloire et la force de l'Empire.<br />

Que cette adresse sera transmise au Très Honorable Lord Goderich, en lui témoignant la<br />

reconnaissance de la Colonie du bon accueil qu'il a fait à son député et aux réclamations de ses<br />

habitants, et de l'acte de justice dont il a été le conseiller et l'organe.<br />

M. A. d'Epinay s'est retiré ensuite au milieu des applaudissements unanimes de l'assemblée.<br />

La motion est adoptée à l'unanimité, et le Comité Colonial chargé de rédiger l'adresse.<br />

M. Felix Barbé propose qu'une adresse signée de tous les Colons soit presentée à M. A. d'Epinay<br />

pour lui exprimer la reconnaissance générale, tant pour l'habileté et le patriotisme dont il a fait preuve,<br />

que pour les heureux résultats de sa mission. La motion est adoptée à l'unanimité.<br />

M. Genève, père, propose qu'une souscription soit ouverte pour offrir à M. A. d'Epinay un service<br />

d'argenterie avec une inscription convenable au nom de l'Ile Maurice.<br />

M. Sampson appuie la motion qui est adoptée à l'unanimité.<br />

M. Dupont propose que M. Lucas, Président de l'assemblée, soit autorisé à s'adjoindre cinq<br />

personnes notables pour aller, avec lui, en députation chez M. A. d'Epinay et lui faire connaître les<br />

arrêtés que vient de prendre l'assemblée.<br />

Une autre personne propose que l'assemblée se rende en masse chez le Député de la Colonie pour<br />

le féliciter. Cette dernière proposition est rejetée. M. le Président nomme la députation.<br />

M. Adam propose que la souscription pour le service d'argenterie soit ouverte à l'instant sur le<br />

Bureau. La proposition est adoptée.<br />

La séance est levée à deux heures.<br />

Aussitôt les souscripteurs entourent le Bureau et y déposent de nombreuses signatures.<br />

La députation, composée de MM. Lucas, de Coriolis père, Pouget de St André père, Le Comte de<br />

St Aulaire, Brodelet, J. B. Rivière, Hardy, Sampson, s'est rendue, à trois heures, chez M A. d'Epinay.<br />

M. Lucas, Président, a communiqué à notre Député les résolutions de l'assemblée générale, et a fait<br />

connaître également à M. Hermann Geoffroy combien la part zélée qu'il a prise aux travaux de M.<br />

d'Epinay est appréciée des Colons.<br />

33.<br />

88


Adresse au Roi.<br />

Vos fidèles sujets de l'Ile Maurice ont mêlé leurs voix aux acclamations de tous les peuples qui<br />

composent votre grand empire, lorsque Votre Majesté fut appelée par la Providence au Trône de ses<br />

ancêtres ... Comme les autres ils se fussent livrés aux plus éclatantes démonstrations de joie, si l'excès<br />

de misère, d'accablement et d'esclavage auxquels ils étaient réduits le leur avait permis.<br />

L'avènement du roi patriote leur rendit l'espèrance qu'après vingt ans de malheur ils avaient enfin<br />

perdue. Ils chargent un des enfants de leur pays de déposer vos pieds l'expression de leur amour et de<br />

leur fidélité, de dire aux Ministres de Votre Majesté tous les maux qu'ils éprouvaient et de demander<br />

qu'on leur rendit la justice de les faire participer à tous les droits qui garantissent la liberté et la sécurité<br />

des sujets britanniques. Leur prière a été entendue et, si tous leurs voeux n'ont pas été exaucés, du<br />

moins en ont-ils appris qu'eux aussi étaient membres de la grande famille, que désormais ils auraient<br />

les mêmes droits à la justice et à la faveur du Monarque; que leur voix ne serait plus étouffée; qu'ils, ne<br />

resteraient plus étrangers à la discussion des lois qui les concernent, que leur sécurité serait garantie et<br />

leurs droits respectés.<br />

Daigne Votre Majesté accueillir les actions de grâce que lui adressent ses fidèles et loyaux sujets<br />

de Maurice, l'expression de leur attachement et les vœux qu'ils forment pour son bonheur et la longue<br />

durée de son Empire de justice. Daigne Votre Majesté ne pas détourner ses regards bienveillants d'une<br />

population dont les malheurs passés peuvent seuls égaler la reconnaissance qu'ils doivent au gracieux<br />

Souverain qui leur a rendu justice.<br />

Mylord,<br />

34.<br />

Adresse à Lord Goderich.<br />

Les habitants de Maurice prient Votre Seigneurie de remettre à leur gracieux Souverain l'adresse<br />

respectueuse par laquelle ils lui expriment leur reconnaissance pour l'acte de justice qu'ils ont obtenu et<br />

dont vous avez été le conseiller. Il appartenait à Votre Seigneurie, Mylord, d'appliquer à notre Colonie<br />

ces principes fixés depuis tant de siècles dans la Grande Bretagne, qui ont fait sa force et sa gloire, que<br />

chaque citoyen considère comme plus précieux que son existence et dont notre Colonie, par une<br />

injustice extrême, semblait être déshéritée. Ces principes ne nous sont pas encore appliqués dans toute<br />

leur étendue, sans doute, Mylord, parceque vous avez craint qu'après un long esclavage, nous en<br />

fissions un dangeureux usage. Mais nous pourrons bientôt vous convaincre que nous avons assez de<br />

maturité, d'expérience et de loyauté pour être dignes de toute la confiance que nous réclamons. Grâce à<br />

89


vous, Mylord, nous ne sommes plus, comme nous l'avons été pendant tant d'années, exclus des emplois<br />

publics qui seront accordés au mérite et à l'ancienneté. Notre voix ne sera plus étouffée par une censure<br />

tyrannique, nous serons consultés sur les lois et l'administration de notre pays qui ne seront plus confiés<br />

à des personnes qui y étaient absolument étrangères. Nul n'aura le pouvoir d'arrêter ses plaintes contre<br />

l'homme puissant qui aura abusé de ses pouvoirs envers nous. Nos campagnes auront enfin des<br />

magistrats, notre existence ne sera pins à la merci des malfaiteurs. Nos impôts seront répartis avec<br />

sagesse et nos charges diminuées. Tels sont les bienfaits que vous avez promis à Maurice et dont elle<br />

vous devra bientôt la jouissance. Ce n'est sans doute, Mylord, qu'un acte de justice, mais, régis comme<br />

nous l'avons été jusqu'à présent par le caprice et la force, nous devons au Gouvernement de Sa Majesté<br />

autant de reconnaissance que s'il nous avait généreusement accordé des faveurs inattendues.<br />

Puisse Votre Seigneurie conserver la confiance du Roi et de la nation aussi longtemps que<br />

dureront les droits à notre gratitude.<br />

Monsieur,<br />

35.<br />

Le Comité M Colonial à M. Mac Queen.<br />

Nous sommes avec un profond respect,<br />

Mylord,<br />

de Votre Seigneurie, etc.<br />

15 octobre 1831.<br />

Monsieur J. Irving, agent de la Colonie de l'Ile Maurice, est chargé de vous transmettre l'arrêté du<br />

Comité Colonial qui contient un témoignage faible, mais sincère, de la reconnaissance que vous<br />

doivent les Colons pour le courage, la persévérance et l'habileté rare que vous portez à les défendre<br />

contre leurs méchants ennemis.<br />

Nous ne savons pas encore comment le Ministre tiendra aux promesses formelles qu'il a faites à<br />

notre Député, M. A d'Epinay; ses dépêches à ce sujet ne sont pas encore parvenues au Gouverneur.<br />

Nous aurons soin de vous prévenir de tout ce qui sera fait afin de vous mettre à même d'en parler,<br />

lorsque vous aurez l'occasion de le faire.<br />

En attendant, il faut vous dire que le Protecteur des esclaves (71), étant la seule personne dont les<br />

dépêches soient lues au Bureau Colonial et dont les rapports soient crus, est devenu plus puissant que le<br />

90


Gouverneur, les Cours de Justice, la loi elle-même. Tous les fonctionaires tremblent devant lui, et,<br />

comme c'est un homme très passionné et d'un jugement très faux, il cause les plus grands désordres.<br />

Toutes les plaintes, même les plus frivoles, sont accueillies par lui et les moindres faits considérés<br />

comme crimes capitaux. Nous avons mille fois plus d'autorité sur nos domestiques que sur nos<br />

esclaves, aussi l'exaspération est-elle à son comble, et craignons-nous qu'on ne se porte à quelque<br />

extrémité contre un homme considéré comme notre plus cruel ennemi et qui fait tout pour justifier cette<br />

opinion.<br />

Mon Cher Monsieur,<br />

36.<br />

Adrien d'Epinay à M. Irving.<br />

15 novembre 1831.<br />

Vous savez déjà mon arrivée il Maurice, la réception flatteuse qui m'a été faite et les témoignages<br />

de satisfaction que mes compatriotes ont jugé convenable de me donner maintenant. J'ai le plaisir de<br />

vous transmettre une lettre du Comité Colonial contenant l'expression unanime de la Colonie à l'égard<br />

du choix que j'ai fait de vous pour leur agent.<br />

A mon arrivée j'ai tout trouvé dans un état pitoyable, les finances bien dérangées, mais les têtes<br />

plus encore. Je crois vraiment qu'il y a par le temps qui court un typhus moral dont toutes les<br />

populations sont attteintes. Mon premier soin a été d'assembler les Colons pour leur rendre compte de<br />

ma mission et leur faire entendre en même temps qu'il fallait rentrer dans le devoir, payer les impôts,<br />

exécuter les lois. Sous ce rapport, j'ai parfaitement réussi, la paix est faite avec le Gouvernement, mais<br />

pas avec le Protecteur. Vous voyez par notre lettre officielle ce qui en est. J'ai bien peur que cet<br />

homme, qui a la tête plus dure que méchante, ne paye chèrement ses sottises. J'en serais fâché pour lui<br />

parceque nous avons toujours été et nous sommes encore dans les meilleurs termes. Je suis la seule<br />

personne qu'il écoute, et j'ai bien de la peine à l'empêcher de courir à sa perte. Le tableau que nous vous<br />

en faisons est vrai pour qui ne voit pas, comme je les vois, les causes cachées, mais mon frère étant<br />

Procureur Général, c'est pour la Colonie une précieuse garantie contre les folies du Protecteur.<br />

Le compte que j'ai rendu de ma mission, en rétablissant le calme, rétablit aussi la confiance, les<br />

affaires reprennent et je suis convaincu que bientôt elles se feront avec facilité et sécurité.<br />

Il y a beaucoup de faillites et de déconfitures, mais les valeurs n'en existent pas moins, la<br />

production n'en sera pas moindre. la consommation sera la même; seulement les biens et l'argent<br />

changent de mains, mutation qui ne se fait jamais sans une secousse qui ébranle le crédit, mais qui, une<br />

fois opérée, permet aux sages de reprendre leurs opérations.<br />

Je me suis empressé d'annoncer l'établissement de la Banque. Je pensais avec juste raison qu'il ne<br />

fallait pas perdre de temps et profiter de la première impression. Plusieurs maisons de commerce, qui<br />

91


ont par hasard un crédit sur lequel elles ne comptaient pas et qui s'imaginent qu'elles le doivent à un<br />

mérite qu'elles n'ont pas, voient l'opération d'un mauvais œil et s'efforcent de l'entraver: cependant,<br />

elles sont décidées à souscrire au dernier instant afin de n'être pas sans influence dans la Banque. Mais<br />

vous sentez bien que si nous devons faire des réductions elles porteront sur les derniers venus. Le<br />

temps que nous avons fixé pour souscrire est expiré et les souscriptions s'élevaient hier à 240,000.<br />

Cependant, nous convoquerons pour un temps un peu éloigné l'assemblée générale des actionnaires en<br />

agissant comme si tout était rempli; c'est le plus sûr moyen de faire accourir des gens qui avaient l'air<br />

de faire les difficiles.<br />

Notre ami Gaillardon (72), qui a plus que personne besoin de la Banque, a eu l'air de se faire prier<br />

pour souscrire. Il a eu soin de s'assurer d'avance de ce que je ne mettrais aucune opposition à sa<br />

nomination comme Directeur. Il nous sera effectivement très utile. Mais vous ne sauriez trop<br />

recommander à M. Lerny, qui n'a pas encore une grande expérience, de bien tenir les yeux ouverts sur<br />

sa conduite comme Directeur, car, s'il faut sacrifier la Banque à sa liquidation, il le fera.<br />

Monsieur,<br />

37.<br />

Le Comité Colonial à M. Irving.<br />

novembre 1831,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>,<br />

Monsieur d'Epinay nous a rendu compte de la mission que la Colonie lui avait confiée, nous en<br />

avons accueilli tous les résultats avec satisfaction et nous avons applaudi au choix judicieux qu'il a fait<br />

de vous pour nous représenter dans la métropole en qualité d'agent de Maurice.<br />

Nous ne saurions trop insister auprès de vous sur tous les points qu'il vous a recommandés par sa<br />

lettre du 16 juillet dernier. Une représentation libre nous devient chaque jour plus essentielle. Les colons<br />

en sentent tellement la nécessité que nos voisins de Bourbon ne craignent pas de la demander en ce<br />

moment, les armes à la main, exemple que nous sommes loin de vouloir imiter, depuis surtout que le<br />

Ministre a annoncé que nous ne serions plus traités comme des vaincus, mais qui doit lui prouver<br />

combien des colonies qui ont déjà connu le bienfait d'une Assemblée tiennent à la reconquérir.<br />

Nous vous tiendrons au courant de tout ce qui se passe dans la Colonie et vous prions de ne pas<br />

négliger, à votre tour, de nous entretenir de ce qui nous concerne en particulier et la Colonie en général.<br />

92


Lord Goderich a, comme vous le savez, fait à M. d'Epinay des promesses très positives et<br />

cependant rien encore n'est mis à exécution; le même système existe et c'est avec beaucoup de peine que<br />

nous pouvons faire comprendre aux Colons impatients que ces promesses ne sont pas trompeuses.<br />

Lors de l'arrivée de notre représentant, le mécontement était tel que, par un accord unanime, pas un<br />

Colon ne voulait payer l'impôt. On était convaincu que le Gouvernement bornerait sa justice ou sa<br />

munificence à des promesses, comme il n'a cessé de le faire depuis vingt ans. Cependant, nous avons<br />

considéré qu'un Ministre du caractère dont on dépeint Lord Goderich ne pouvait avoir eu recours à une<br />

tactique où il y aurait eu autant de maladresse que de perfidie, qu'il serait sage de notre part de<br />

considérer comme concédé tout ce qui n'est encore que promis, de cesser toute espèce de mécontement,<br />

d'oublier le passé, même les blessures récentes que le Gouvernement venait de nous faire, de montrer en<br />

tout la plus grande soumission, afin de mettre le bon droit de notre côté dans le cas où l'on violerait les<br />

nouvelles promesses qui nous ont été faites.<br />

Notre soumission, Monsieur, nous coûte beaucoup, car il est impossible d'être plus maltraités que<br />

nous le sommes, et nous vous prions instamment de transmettre au Ministre tout ce que nous allons<br />

vous dire.<br />

Le Protecteur des esclaves qui, dans le principe, avait annoncé quelques dispositions à être juste,<br />

est devenu d'une rigueur, d'une sévérité, d'une jactance qui finiront par porter les principaux mécontents<br />

à la dernière extrémité.<br />

Autrefois, il prenait conseil des hommes sages et instruits, aujourd'hui, il se croit plus sage et plus<br />

instruit que personne; ses deux conseillers sont la colère et l'orgueil. Tout ce qu'un noir lui rapporte est<br />

considéré comme vrai, et doit être réputé vrai par tout le monde. Quiconque en doute commet le plus<br />

grand de tous les crimes, celui de déplaire au plus puissant des hommes de la Colonie, c'est à dire au<br />

Protecteur. Nous allons vous donner une idée de sa puissance qui cause cette jactance dont nous avons<br />

parlé.<br />

Depuis longtemps la Colonie se plaignait de l'abus que faisaient les basses classes des liqueurs<br />

spiritueuses, elle n'était pas écoutée; tout le monde, le Gouvernement même, sentait la nécessité d'y<br />

mettre un frein, mais cela était impossible parceque le Trésor y eût perdu quelque chose; le Protecteur en<br />

parle dans son rapport et de suite l'intérêt du Trésor disparaît.<br />

Plusieurs hommes excitaient des mécontentements, on s'en plaignait vainement: le Protecteur parle et ils<br />

tombent.<br />

Les choses en sont au point que tout le monde sans exception tremble devant le tyran nouveau<br />

parce que chacun voit clairement que sa place dépend de lui.<br />

Le seul moyen d'avancer est de plaire à Mr Thomas, le plus sûr de se perdre est de lui déplaire.<br />

93


Vous sentez que cet état de choses ne peut durer et que, si le Ministre n'y met pas ordre, il en<br />

résultera de graves malheurs Cet homme finira par être victime d'un acte de désespoir et il aura tout fait<br />

pour le provoquer.<br />

Vous ne saurez trop insister. Monsieur, sur le danger de donner tant de puissance à un homme<br />

passionné. Tout autre à sa place aurait réussi à faire exécuter la loi. Il n'y parviendra jamais parce que la<br />

haine qu'il cause se reporte sur elle; si le Gouvernement fait bien il rappellera le Protecteur actuel trop<br />

colère, trop emporté, trop injuste, trop dur pour remplir une place qui exige du calme, de la souplesse,<br />

de la justice, enfin la plus grande sagesse.<br />

Nous pouvons vous affirmer qu'il n'est pas une personne dans la Colonie qui pense différemment à<br />

ce sujet, mais vous sentez que les officiers de l'administration ne seront pas les premiers à dire une vérité<br />

qui peut causer leur perte.<br />

Au Bureau Colonial on ne lit qu'une chose, c'est le rapport de Mr Thomas, et c'est aussi le seul<br />

document auquel on attache de l'importance. Tout ce que nous voyons le prouve d'une manière trop vraie<br />

et trop effrayante. Nous vous le répétons, Monsieur, mettez tout ce paragraphe sous les yeux du Ministre,<br />

faites le imprimer, transmettez-le à Mr Mac Queen, il contient la plus exacte vérité. Les noirs sont<br />

tellement assurés de l'impunité, qu'ils ne veulent plus travailler, et commettent tous les excès<br />

imaginables.<br />

Nous espérons que le Capt. Dick nous portera les dépêches qui ordonnent l’exécution des<br />

promesses faites à la Colonie. Il est temps qu'elles arrivent car le désordre et les abus règnent partout.<br />

Notre situation financière paraît s'améliorer, la confiance se rétablit et nous espérons que le crédit<br />

ne tardera pas à renaître.<br />

Nous vous prions, Monsieur, de porter tous vos soins à nous faire obtenir le droit d'avoir un agent<br />

en Angleterre et de voter les fonds nécessaires à couvrir les frais de l'agence. Jusqu'à présent nos<br />

dépenses ne sont couvertes que par des souscriptions volontaires et il serait bien important que nous<br />

puissions y subvenir par une contribution légale. Nous payons tant de gens qui travaillent contre nous<br />

que l'on devrait bien nous permettre de payer au moins un défenseur de nos droits. Lorsque l'on donne<br />

aux noirs tant de protecteurs on pourrait bien souffrir que les blancs en aient un. Nous n'obtiendrons rien<br />

de cette nature qu'à force de demander en fatiguant les Ministres par des pétitions et les faisant stimuler<br />

par les journaux.<br />

Nous vous transmettons la délibération du Comité qui arrête qu'une somme de : £1,000 sera<br />

envoyée à Mr. Mac Queen comme une marque de notre reconnaissance pour le zèle, le dévouement et le<br />

talent avec lequel il défend la cause des colonies; qu'une somme de £100 sera remise à Mr Henry à titre<br />

de retaining fee comme à la personne choisie pour être le conseil légal et l'avocat des habitants de l'Ile<br />

Maurice.<br />

94


Nous n'avons pas encore réuni les fonds qui devront faire face à ces deux engagements, mais nous<br />

allons nous occuper de les recueillir et de vous les faire parvenir.<br />

Nous ne saurions trop insister sur les recommandations que vous a faites : M. d'Epinay au sujet du<br />

Conseil et de la censure. Tous les membres du Conseil Exécutif sont des ignorants, à l'exception peutêtre<br />

du Chef-Juge; quant au Conseil Législatif ce sera une caricature si, comme on l'annonce, il doit être<br />

formé par le Gouverneur sans même que le vœu des habitants soit consulté.<br />

(73).<br />

Nous vous envoyons une adresse faite par les habitants au Gouverneur qui n’a pas osé y répondre<br />

Monsieur,<br />

38.<br />

Adrien d'Epinay à M. Stephen.<br />

novembre 1831.<br />

Vous serez peut-être bien aise de savoir comment les choses se passent dans notre Colonie et je<br />

serais heureux que, par votre entremise, la vérité puisse parvenir à Sa Seigneurie, le Ministre des<br />

Colonies. J'ai trouvé à mon retour les esprits plus exaspérés qu'ils ne l'étaient à mon départ, une scission<br />

presque complète entre le Gouverneur et les habitants et le système d'amélioration du sort des esclaves<br />

beaucoup moins avancé. Je voudrais pouvoir vous convaincre de mes sentiments sur un sujet où vous<br />

pourriez soupçonner que mon intérêt influe sur mes principes. En les mettant également de côté, je<br />

retrouve encore des vérités, qui, à mon sens, devraient servir de règles aux deux partis et qui les<br />

amèneraient à des concessions réciproques heureuses pour la cause de l'humanité à laquelle on peut<br />

appliquer ce que disait Salluste de la République, que, placée entre les partis qui s'efforçaient chacun de<br />

la tirer à soi, elle était déchirée par ceux- là mêmes qui prétendaient la conserver. Ces vérités les voici: la<br />

lumière l'emporterait sur l'ignorance, la justice sur l'assertion, la liberté sur l'esclavage. Ce résultat de la<br />

lutte qui existe partout sera infaillible, parceque le seul moyen de l'éviter serait de détruire tous les<br />

éléments de la civilisation. Convaincu comme je le suis à ce sujet, je ne vois d'autre moyen pour sauver<br />

mon pays d'une destruction qui serait la conséquence immédiate d'un changement soudain que de porter<br />

les Colons à se soumettre franchement aux lois d'amélioration, à les devancer même, si cela est possible.<br />

Mais vous savez l'empire des préjugés la force de l'intérêt; pour vaincre l'un et l'autre il n'y a que deux<br />

moyens: le premier, celui qu'employa Pierre le Grand envers le Strelitz et Mahmoud envers les<br />

Janissaires (74) ; le second, celui qu'employèrent les Apôtres et auquel la religion chrétienne dut son<br />

triomphe, la persuasion. Je vous l'ai dit, je vous le répète et je le répèterais jusqu'à ce qu'enfin on soit<br />

pénétré: tous les moyens employés jusqu'à présent sont mauvais; ils sont plus nuisibles qu'utiles à la<br />

95


cause de l'humanité: ils échoueront tous la persuasion seule réussira ou bien la force si 1'on considère<br />

comme une œuvre: d'humanité l'extermination des Colons. Ce que j'avais prévu est arrivé; pendant mail<br />

absence il a éclaté entre le Protecteur et les Colons une haine que rien ne pourra calmer. Je n'aurais<br />

jamais pu me faire une idée du point où l'exaspération est portée. Je ne cherche pas de quel côté sont les<br />

torts, je les crois communs, comme c'est presque toujours le cas. D'un côté, il y a eu trop d'exigence; de<br />

l'autre, trop de résistance; l'animosité devait s'ensuivre, elle est au plus haut degré. Comment sera-t-il<br />

possible maintenant de s'entendre? Tous les actes du Protecteur, même les plus légaux, seront attribués à<br />

la malveillance, lui-même ne sera pas plus juste envers des hommes qui sont ses ennemis et qui le<br />

considèrent à leur tour comme leur plus cruel ennemi. Il m'a été facile de ramener les Colons à des<br />

sentiments de confiance envers le Gouvernement, ils ont accueilli avec reconnaissance, comme vous le<br />

verrez, les concessions que m'a promises Lord Goderich et que nous attendons avec impatience. Mais il<br />

m'a été impossible de rien obtenir quant au Protecteur. Toutes les bonnes dispositions qui existaient dans<br />

le principe sont détruites. Il faut aussi tout dire, c'est que les lois d'amélioration sont généralement<br />

maladroites, sentent l'esprit de parti et ne sont pas confiées aux mains habiles. Si j'avais l'honneur<br />

d'exercer quelque influence dans les affaires de cette importance, voici un plan fort simple que je<br />

proposerais: ce serait de faire connaître d'une manière générale à un Gouverneur habile les principes<br />

généraux que l'on entend appliquer, de le laisser s'entendre avec les Colons les plus influents et les plus<br />

sages sur la manière de les convertir en lois, de le laisser maître des moyens d'exécution qui doivent<br />

varier selon les localités et de lui assurer à lui, aux magistrats et aux Colons qui l'auront assisté de hautes<br />

récompenses en cas de réussite.<br />

Si, au contraire, vous persistez à faire dans Downing Street des lois de détail pour un pays que vous<br />

ne connaissez pas, dussiez vous employer plus de protecteurs qu'il n'y a d'esclaves vous ne réussirez pas.<br />

Rien ne saurait vous donner une idée de ce qui se passe dans une affaire entre un maître et son<br />

esclave, Les plus forts perdent la tête, toutes les raisons s'égarent, on semble être en présence de la tête<br />

de Méduse, on oublie toutes les lois, toutes les règles de justice, et il faut que l'esclave ait mille fois tort<br />

pour ne pas avoir raison. Ajoutez à cela que l'on croît généralement au Protecteur une influence sans<br />

pareille au Bureau Colonial, que l'on est persuadé qu'un mot de lui peut renverser n'importe quel<br />

fonctionnaire public, et vous verrez s'il est possible que l'on agisse avec quelque peu de sagesse. Pour<br />

moi, Monsieur, j'en désespère, et me vois réduit à l'impossibilité de reprendre un système d'amélioration<br />

graduelle qui commençait assez bien.<br />

Vous méritez, permettez-moi de le dire, un grand reproche, c'est celui d'aller trop vite, de trop<br />

demander à là fois. Les Colons n'ont pas encore été amenés à faire une concession que vous en<br />

demandez une autre. Une loi est à peine publiée, qu'une seconde loi plus sévère lui succède. Qu'arrive-til<br />

qu'on s'irrite et que l'on ne veut rien exécuter.<br />

Une grande faute que l'on a commise a été de publier de nouvelles ordonnances après les troubles<br />

du mois de septembre de 1830, pendant la détresse affreuse qui dure depuis cette époque, surtout avant<br />

96


que le résultat de ma mission fut connu. Ce n'est pas lorsque les gens sont malheureux que l'on doit leur<br />

demander, il faut attendre qu'ils soient en bonne humeur, et cela est vrai surtout pour le caractère français.<br />

J'ai été bien surpris, à mon arrivée, de voir une chose dont vous ne m'aviez rien dit et qui est en<br />

opposition manifeste avec ce que Lord Goderich a daigné me promettre. C'est la place inutile que l'on a<br />

créée pour Mr Cooper (75) Je ne résisterai pas au besoin que j'éprouve d'en écrire à Sa Seigneurie et de<br />

dénoncer un emploi aussi extravagant des derniers publics. On a nommé Mr Cooper avocat général et<br />

l'on lui donne des appointements fixés à………, des appointements à un avocat !... Mais ce n'est encore<br />

rien. Comme cet avocat ne sait pas un mot de nos lois, est incapable de donner un conseil ou de plaider<br />

une affaire, on nomme un autre avocat pour faire son devoir et cet autre avocat est payé en proportion de<br />

ses travaux, non par l'avocat incapable, mais par le Trésor. Là ... a-t-on jamais rien vu de plus révoltant?<br />

N'est-ce pas insultant pour le Barreau et la Colonie en général? Est-ce là ce que Lord Goderich a daigné<br />

me promettre? Je crois qu'il suffit de dénoncer un abus pareil pour qu'il soit redressé. Il serait trop<br />

pénible de penser que les protections dussent l'emporter sur le bon droit, la raison et l'intérêt public.<br />

Tout ce que je vous dis ici, Monsieur, m'est dicté par le désir sincère que j'ai de voir mon pays<br />

arriver sans trouble et sans secousse au but où doivent arriver toutes les colonies, malgré leur résistance.<br />

Ce n'est pas en son nom que je m'adresse à vous, mais comme un simple particulier, plus décidé que<br />

jamais à conserver cette position indépendante, la seule où il puisse dire toute la vérité et faire quelque<br />

bien en dénonçant fortement le mal.<br />

Je vais profiter de mes loisirs pour suggérer mon idée à Mr Buxton qui m'a autorisé à lui écrire et<br />

établir un plan d'économie que je ferais parvenir à Mr Hume (76).<br />

Les dépêches ministérielles pour le Conseil, la presse et les autres points qui m'ont été concédés ne<br />

sont pas encore parvenus, on espère que Mr Dick les apportera.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

97


Monsieur,<br />

39.<br />

Adrien d’Epinay à M. Buxton.<br />

17 novembre1831.<br />

L'idée que j'ai rapportée des conversations que j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous est que vous<br />

agissez avec conviction et bonne foi, que vous aimez la vérité, et que vous pouvez examiner sans passion<br />

ce que l’on vous soumettra de contraire à votre opinion. Je voudrais vous avoir laissé la même<br />

impression et vous convaincre que, dans ce que je vais vous dire de notre Colonie, je ne vous parle que<br />

dans le désir sincère d'allier les intérêts de mon pays à la cause de l'humanité que j'ai toujours servie, que<br />

je servirai toujours et qui eût déjà triomphé si le sacrifice n'avait dû porter que sur moi seul.<br />

Vous ne vous attendez sans doute pas à ce que je veuille vous faire revenir sur une opinion. Ce<br />

serait se faire injure à soi-même que d'en concevoir la pensée, Mon but est de vous dire ce que j'ai<br />

observé, le vice des moyens que 1'on a employés et ce que je conseillerais pour obtenir la meilleure<br />

amélioration possible dans le sort des esclaves et les préparer, eux et leurs maîtres, à une transition qui<br />

serait fatale à tous si elle était subite.<br />

Le principe des lois d'amélioration est bon, l'application en est vicieuse, souvent plus nuisible<br />

qu'utile, souvent ridicule. Je dois vous dire d'une manière bien positive et comme une vérité qui a acquis<br />

à mes yeux un caractère infaillible que le plan actuel ne réussira pas, je l'ai dit au Ministre, je l’ai affirmé<br />

à M. Stephen, je ne veux pas vous le laisser ignorer ; il est probable que je ne serai pas écouté, il est<br />

possible même que l'on me suppose d'autres intentions que celles: que j'annonce, mais le jour viendra où<br />

l'on reconnaîtra que j'avais raison; je l'attends sans faire plus d'efforts pour être cru.<br />

Le vice capital des lois sur l'amélioration est de sentir l'esprit de parti, d'être empreintes de<br />

préventions, de manquer de franchise. Cependant, ce sont des lois qui attaquent des intérêts, des<br />

préjugés, des habitudes et un sentiment bien fort chez des hommes: la vanité. Elles doivent donc avoir<br />

les caractères qui inspirent a confiance, elles doivent donc avancer avec précaution et toujours être<br />

devancées: par la persuasion. Vous êtes législateur, Monsieur, et vous savez par mille faits historiques<br />

que lorsqu'il s'est agi de changer un ordre de choses établi et perpétué par les privilèges et les préjugés, il<br />

n'y a jamais eu que deux moyens: la violence ou la persuasion. Le premier manque souvent le but, le<br />

second l'atteint toujours. Le premier est condamné par la morale, le second est honnête, le choix ne doit<br />

donc pas être douteux.<br />

Considérez, Monsieur, l'origine de la législation nouvelle ; elle n'est pas commandée par un besoin<br />

nouveau, par un intérêt matériel comme le sont presque toutes les innovations. C’est une réforme morale,<br />

c'est une conquête au profit de doctrines libérales, conquête qui nécessairement déplaît au pouvoir et<br />

98


n'aura jamais franchement son appui. Ce pouvoir est néanmoins obligé à des concessions, qu'il ne peut<br />

refuser, et je ne sais pas si en le faisant il n'est pas convaincu lui-même qu'elles ne mèneront pas au but<br />

que l'on se propose.<br />

Toutes les dispositions des lois sur l'amélioration respirent l'esprit de parti et les préventions, elles<br />

sont injurieuses pour le Colon, excitent sa colère, son indignation, sa haine. En les lisant on se sent<br />

humilié d'être Colon, parce que la loi semble partout proclamer qu'il est impossible d'être Colon et<br />

honnête homme, parce que l'on soumet à chaque instant la conduite du plus galant homme à l'examen<br />

d'un malotru; parce que la personne la plus respectable par sa naissance, son éducation, son mérite et ses<br />

mœurs est rabaissée au niveau du sujet le plus abject, parce qu'enfin on s'aperçoit que la loi a moins<br />

voulu élever les esclaves qu'avilir les propriétaires.<br />

Je ne sais comment sont composées les autres colonies britanniques, mais ce que je sais bien c'est<br />

que Maurice a été peuplée non par des aventuriers ou des déportés, mais par des officiers de distinction<br />

de la marine et de l'armée, par des cadets de famille et que la grande majorité des Colons appartient aux<br />

familles les plus anciennes de France. C'est ce qui explique le fond de fierté que l'on remarque chez<br />

nous. Ajoutez à cela que nous résidons tous sur nos propriétés et vous comprendrez pourquoi nos<br />

esclaves sont plus heureux que dans aucune autre Colonie, pourquoi nous avons un aussi grand nombre<br />

d'affranchis.<br />

Vous sentez, Monsieur, combien des hommes pareils seront éloignés de se soumettre à des lois qui<br />

ont un caractère qui répugne encore plus que l'injustice. Si la loi n'était qu'injuste, je crois que l'on<br />

l'exécuterait, mais elle est insultante et l'on aimera mieux succomber que de s'y soumettre.<br />

Admirez quel esprit de méfiance règne partout dans ces lois. Les membres du Conseil Exécutif, les<br />

protecteurs, tous les magistrats, même les plus petits, ne peuvent être propriétaires d'esclaves.<br />

On voit bien le motif qui a dicté cette mesure. L'on n'a pas voulu que le sort des esclaves dépendît<br />

de personnes intéressées à soutenir le maître contre eux. Rien n'est plus irréfléchi et ne prouve mieux que<br />

l'on a plus écouté en cela l'esprit de parti que la raison et l'intérêt de l'esclave. Lorsque j'ai dit cela à M.<br />

Stephen, il a eu l'air de croire que j'avais quelque intérêt personnel à lui parler de la sorte. Je le plains<br />

d'avoir conçu un tel soupçon et persisterai à soumettre mes raisons aux personnes qui voudront les<br />

examiner sans esprit de parti.<br />

Cette mesure est absurde et injurieuse, absurde parce que: 1o. celui qui possède ici une propriété,<br />

qui place des fonds, qui devient créancier a, en tout, les mêmes intérêts que les propriétaires d'esclaves; il<br />

fallait donc défendre aux mêmes personnes d'amasser et d'augmenter leur fortune; 2o. si ces personnes<br />

ne possèdent pas d'esclaves, elles ont des parents et des amis qui en possèdent et dont l'intérêt, et<br />

l'influence peuvent les entraîner; il fallait donc leur défendre d'avoir des amis ou des parents, ou plutôt<br />

défendre aux amis et aux parents de ces personnes de posséder des esclaves; 3o. rien n'est plus facile que<br />

de posséder des esclaves sans paraître en nom: un homme qui voudra avoir une bonne place et conserver<br />

99


ses esclaves les mettra sous le nom d'un autre, et il sera impossible de le lui prouver. Voilà tous les<br />

caractères de l'absurdité. Vous allez voir ceux de l'injure: 1o. si une disposition pareille veut dire qu'un<br />

propriétaire d'esclaves ne peut être ni législateur, ni juge, c'est à dire qu'il ne mérite aucune confiance,<br />

que c'est conséquemment un homme sans honneur, ce n'est pas en injuriant les gens qu'on leur fait<br />

entendre raison; 2o. c'est annonçer à ceux qui vendent leurs esclaves pour devenir législateurs ou<br />

magistrats que jusque là ils ont vécu dans l'indignité, comme si un changement de place opérait un<br />

changement de principes, de mœurs ou de préjugés.<br />

Allez un peu plus loin, et vous verrez que cette mesure absurde et insultante est aussi très nuisible<br />

aux esclaves parceque: 1o. un juge qui en aurait possédé aurait été obligé de donner le bon exemple,<br />

première chose à obtenir en pareil cas, et que personne ne donnant l'exemple, aucun ne le suivra; 2o. les<br />

jugements d'un propriétaire d'esclaves auraient inspiré de la confiance tandis que ceux d'un homme qui<br />

ne l'est pas ou qui est censé ne pas l'être n'en inspireront pas du tout; 3o. on force un homme qui aurait<br />

plus tard affranchi ses esclaves à les vendre; 4o. on prive ceux-ci d'appartenir aux hommes les plus<br />

éclairés, les plus sages, les plus intéressés à donner le bon exemple, c’est-à-dire aux meilleurs maitres ;<br />

5o. le juge qui aura mis ses esclaves sous le nom d'un autre, ou bien celui qui, après les avoir vendus,<br />

aura conservé ses principes ou ses préjugés, ou qui sera créancier d'un propriétaire d'esclaves, ou dont les<br />

parents et les amis seront propriétaires eux-mêmes ou créanciers des propriétaires, sera beaucoup plus à<br />

son aise qu'auparavant pour rendre des jugements qui seront favorables à ce dernier.<br />

Réfléchissez, je vous prie, à tout ceci, supposez pour un moment que ces raisons vous soient<br />

données par un homme tout à fait désinteressé dans la question, et vous verrez, Monsieur si ces<br />

raisonnements ne sont pas pleins de justesse.<br />

On nous envoie ici pour législateurs, pour juges, pour protecteurs des hommes étrangers à nos lois,<br />

à nos mœurs et souvent à notre langue et qui ne peuvent inspirer la moindre confiance. Ce n'est pas ainsi<br />

qu'il fallait s'y prendre. Du moment où l'on renonce à employer la force pour se faire écouter, il faut<br />

éviter d'insulter ou de parler avec mépris. Il fallait s'adresser au cœur des Colons, les porter à faire euxmêmes<br />

les concessions, leur en laisser tout le mérite, flatter leur amitié, cela était chose très aisée.<br />

Si j'étais écouté, je me ferais fort d'amener les Colons à faire volontairement ce que l'on n'obtiendra<br />

jamais d'eux par les moyens que l'on a employés.<br />

Il y a dans ces lois d'amélioration un autre grand vice capital, c'est qu'elles ne sont pas en harmonie<br />

avec nos institutions et que l'on ne veut rien faire pour leur ôter le caractère dangereux qu'elles ont.<br />

Dans toute l'île il n'y a qu'un seul magistrat qui puisse juger les délits, qu'une seule cour qui puisse<br />

prononcer des peines. Sur les propriétés les esclaves commettent des fautes, des délits et des crimes.<br />

Quand ce ne sont que des fautes de discipline, le maître a autant de pouvoir qu’i1 en faut pour sévir ;<br />

quand ce sont de petits délits, il le peut encore, mais si le délit est grave ou si c’est un crime, le maître<br />

est sans pouvoir. Il a donc besoin de s'adresser au magistrat; au moment de le faire il réfléchit que, qu’il<br />

100


dénonce son esclave, il en sera privé pendant tout le temps de l'instruction du jugement et de la peine.<br />

Son intérêt l'emporte, et au lieu de faire punir le délit selon la loi, il le punit selon ses pouvoirs, c'est à<br />

dire comme une simple faute. C'est de là que viennent tous les désordres; c'est une des grandes causes de<br />

l'irritation qui va toujours croissant, parceque le propriétaire d'esclaves suppose que la loi est calculée de<br />

manière à exciter l'esclave au crime, à l'encourager à mal faire. Certes, ce n'est pas là son esprit, mais il<br />

mène à ce résultat. Elle est donc vicieuse. Il faudrait établir des magistrats dans chaque district, autoriser<br />

le maître à garder l'accusé chez lui jusqu'au jour du jugement, ordonner que le condamné subira la peine<br />

chez son maître. Avec cela vous pouvez abolir les châtiments corporels qui deviennent inutiles.<br />

Il faut laisser aux hommes de parti à supposer que les Colons aiment à infliger des punitions. Rien<br />

ne répugne davantage. Ils ne le font que lorsqu'ils y sont forcés; assurez-les que les délits, une fois<br />

prouvés, seront punis par un magistrat sans que la peine retombe sur eux, et vous verrez qu'ils ne<br />

puniront jamais eux-mêmes.<br />

Il faut établir une différence extrême entre le grand et le petit propriétaire, celui des campagnes et<br />

celui des villes, l'esclave des ateliers et l'esclave domestique. La loi confond tout et il fallait tout<br />

distinguer. Je dirai comment je comprends que les choses se pourraient faire, si l'on croit devoir me<br />

consulter. Pour le moment je m'abstiens de longs détails qui seraient nécessaires à ce sujet.<br />

Si l'on veut parvenir franchement à l'amélioration du sort des esclaves et préparer tout le monde à<br />

une transition qui doit avoir lieu, voici ce qu'il faut éviter et ce qu'il faut faire. Il faut éviter: 1o. de faire<br />

en Angleterre des lois de détail pour un pays dont on ne connaît ni les lois, ni les mœurs, ni les habitudes,<br />

ni les localités; 2o. d y confier l'autorité à des personnes qui inspirent de la méfiance; 3o. de créer des<br />

magistrats ou des protecteurs étrangers aux lois et même à la langue du pays; 4o. de blesser et d’humilier<br />

des hommes chez qui le point d'honneur est plus fort que l'intérêt et l'amour de 1’existence. Un homme<br />

qui aime mieux se faire tuer que de souffrir la plus légère offense ne s'habituera jamais à un état<br />

d'humiliation perpétuel.<br />

Voici maintenant ce qu'il faut faire: donner les premières places non à la faveur mais à l'habileté;<br />

appeler les Colons à la confection de toutes les lois de détail; les amener à donner eux-mêmes ce qu'on<br />

ne pourra jamais leur arracher; encourager les bons exemples; assurer des récompences et de<br />

l'avancement aux Gouverneurs, aux Magistrats et aux Colons qui auront obtenu la plus grande<br />

amélioration; payer chaque concession d'une faveur; flatter au lieu d'injurier; dire aux Colons que, le jour<br />

où ils auront fait la dernière concession, ils jouiront sans restriction de tous les droits et de toutes les<br />

garanties qu'ils ne cessent de demander; faire disparaître tous les dangers qu'ils redoutent; leur rendre en<br />

considération ce qu'ils perdent en pouvoir, et tout cela se peut faire sans que le Gouvernement y perde la<br />

moindre chose, au contraire en augmentant tous les jours sa confiance. Je vous le répète, Monsieur, tout<br />

ce que je propose est très aisé à exécuter et mènera infailliblement au résultat que vous désirez. Par le<br />

système actuel on ne réussira jamais, non jamais, et, si l'on y persiste, j'aurais le droit de proclamer qu'on<br />

ne veut pas réussir.<br />

101


Je n'ai pas besoin de vous dire, Monsieur, que c'est d'une manière privée que je vous écris de la<br />

sorte, que je le fais en homme disposé par ses principes à marcher franchement vers un état de choses qui<br />

doit exister, mais forcé par l'intérêt de ses enfants de résister de toutes ses forces à tout ce qui<br />

compromettra leur fortune et leur existence.<br />

Je serai charmé de correspondre avec vous; je recevrai avec un plaisir extrême tout ce que vous<br />

croirez devoir me dire pour relever mes erreurs si j'en ai commises. Je le ferai comme un disciple car je<br />

partage vos principes et ne diffère que par leur application. S'il est un moyen de proclamer<br />

l'affranchissement des esclaves sans sacrifier les maîtres qui ne sont pas coupables d'un état de choses<br />

qu'ils ont trouvé formé et protégé par les lois (et je crois sincèrement que ce moyen existe), je serais<br />

glorieux d'avoir contribué à son succès.<br />

A. D’Epinay<br />

102


SECONDE MISSION<br />

Pétition des colons à Sir William Nicolay<br />

pour obtenir la permission d'envoyer un député à Londres<br />

A Son Excellence Sir William Nicolay, Gouverneur de l'Ile Maurice, les soussignés, domiciliés et<br />

propriétaires à l'Ile Maurice, exposent respectueusement:<br />

Que les habitants de la Colonie ont pris la résolution d'envoyer un Député à Londres pour<br />

présenter leurs réclamations à Sa Majesté et aux deux Chambres du Parlement, en vertu du droit inhérent<br />

à tous sujets britanniques;<br />

Qu'il est urgent d'arrêter les pouvoirs et instructions qui seront confiés à ce Député par les Colons.<br />

Pourquoi les soussignés supplient qu'il plaise à Votre Excellence autoriser les habitants<br />

propriétaires à se réunir, à tel jour qui sera ultérieurement fixé, pour délibérer sur les dits pouvoirs et<br />

instructions; et ferez justice.<br />

Port-Louis, 21 février 1833.<br />

A. POUGET DE ST ANDRÉ - H. T. PERROT - J. B. C. NAYNA - F. BARBÉ-<br />

- HERCHENRODER aîné - J. CANTIN - HENRY ADAM - H. KOENIG - M. BAUDOT - THÉODORE<br />

SAUZIER - G. ROUGIER-LAGANE - DUPONT aîné.<br />

Gentlemen,<br />

2.<br />

Réponse de Sir William Nicolay.<br />

Colonial Secretary's Office,<br />

Port-Louis, 21st February 1833;<br />

His Excellency the Governor has directed me to acknowledge the receipt of your Address of this<br />

morning and to acquaint you that His Excellency has acceded to the proposed meeting.<br />

The necessary communication has been made to the Chief Commissary of Police, and you will be<br />

pleased to arrange with him the time and place of the meeting.<br />

I have the honour to be, etc.<br />

103


3.<br />

Avis aux habitants.<br />

GEO. F. DICK,<br />

Colonial Secretary,<br />

Plusieurs habitants propriétaires de la ville et des campagnes ayant demandé à Son Excellence le<br />

Gouverneur l'autorisation de se réunir pour délibé-<br />

rer sur les pouvoirs et instructions à donner au Deputé chargé de presenter leurs réclamations au<br />

Roi et aux deux Chambres du Parlement, et Son Excellence le Gouverneur avant autorisé la réunion<br />

demandée, par sa lettre du 21 courant, les habitants propriétaires de la ville du Port-Louis sont prévenus<br />

que la réunion de la ville aura lieu demain samedi, 23, à 11 heures précises, en la maison occupée par<br />

M.A. Chevreau.<br />

Port-Louis, 22 février 1833.<br />

Monsieur,<br />

4.<br />

Vu : pour autorisation,<br />

Demande de congé d'Adrien d'Epinay au Chef-Juge.<br />

A Son Honneur le Chef-Juge de Maurice,<br />

G. W. LAY.<br />

Deputé-Commissaire de Police.<br />

Port-Louis, 21 février 1833.<br />

Député en Angleterre par mes concitoyens pour porter au Parlement les justes sujets de plaintes<br />

des habitants de l'Ile Maurice et réclamer les droits qui leur appartiennent, je prie Votre Honneur de<br />

m'accorder un congé, comme avoué, pour tout le temps que doit durer la mission qui m'est confiée.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>,<br />

104


Monsieur,<br />

5.<br />

Réponse du Chef-Juge.<br />

Bureau du Chef-Juge,<br />

Port-Louis, le 22 février 1833<br />

J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre requête d'hier, et m'empresse de vous informer<br />

que le congé que vous avez sollicité vous est accordé avec la pleine approbation de Son Excellence le<br />

Gouverneur.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.,<br />

EDWARD B. BLACKBURN,<br />

Chef-Juge et premier Président de la Cour Suprême<br />

Pouvoirs donnés à Adrien d'Epinay, le 25 février 1833,<br />

par les colons de l'île Maurice.<br />

6.<br />

Par devant Me Charles Marie Aristide Arnaud et son collègue, notaires publics à l'Ile Maurice,<br />

soussignés, furent présents:<br />

MM. HENRY PERROT, avoué.<br />

GEORGE ROUGIER-LAGANE, négociant<br />

ALEXANDRE BRODELET, planteur.<br />

JEAN-JACQUES CAR<strong>LES</strong>, do.<br />

FRÉDÉRIC CHERMONT, planteur.<br />

JANVIER HEKCHENRODER, do.<br />

JEAN CANTlN, négociant.<br />

FÉLIX BARBÉ, do.<br />

MATHIEU BAUDOT, planteur.<br />

ADRIEN POUGET, propriétaire.<br />

105


HENRY KOENIG, avoué.<br />

HENRY ADAM, négociant.<br />

CHAR<strong>LES</strong> NAYNA, propriétaire<br />

EVENOR DUPONT, avocat.<br />

Demeurant tous séparément en cette île et étant, ce jour, en cette ville de Port-Louis, lesquels, en<br />

vertu des pouvoirs à eux donnés par les habitants de l'Ile Maurice, réunis en assemblées générales, en<br />

vertu d'autorisation de Son Excellence le Gouverneur, en date du 21 du courant, lesquels pouvoirs sont<br />

ici annexés, après avoir été, par eux, certifiés véritables, ont déclaré nommer M. Adrien d'Epinay agent et<br />

représentant des habitants de l'Ile Maurice en Angleterre; l'autoriser à agir en cette qualité; à présenter au<br />

Roi, à la Chambre des Lords et à la Chambre des Communes leurs respectueuses pétitions; à exposer<br />

tous les griefs de la Colonie; à en demander le redressement ; à réclamer les droits constitutionnels dont<br />

elle est privée; à proposer l'adoption du projet de rachat transmis au gouvernement de Sa Majesté par<br />

l'intermédiaire de l'Honorable Sir Charles Colville.; à insister particulièrement sur les points énumérés<br />

aux instructions qui lui sont données; et généralement faire tout ce que la Colonie a le droit d'attendre du<br />

zèle et du dévouement d'un mandataire fidèle et loyal.<br />

Dont acte. Fait et passé en simple brevet en l'étude au Port-Louis, Ile Maurice, l'an mil huit cent<br />

trente-trois, le vingt-cinq février, et ont signé avec les notaires, après lecture:<br />

Signé: - A. BRODELET - ROUGIER-LAGANE - H. PERROT - CHERMONT -<br />

CAR<strong>LES</strong> - HERCHENRODER - BAUDOT - BARBÉ - CANTIN - POUGET DE ST. ANDRÉ -<br />

NAYNA - HENRY ADAM - HENRY KOENIG - DUPONT aîné -JOLLIVET - ARNAUD (ces deux<br />

derniers notaires.)<br />

Nous, Barthèlemy Colin, Président du Tribunal de Première Instance de l'Ile Maurice, certifions<br />

véritables à tous qu'il appartiendra, les qualités et signatures de MM. Arnaud et Jollivet, notaires, qui ont<br />

signé, tant à la procuration qu'aux actes ci-annexés.<br />

Donné au Port-Louis, Ile Maurice, sous le sceau du Tribunal, le 25 février 1833.<br />

B. COLIN.<br />

Enregistré à l'Ile Maurice, le 25 février 1833. Reg. 40, No. 1105. Reçu neuf pence 3/4.<br />

CALLOT.<br />

106


7.<br />

Pouvoirs émanant de chaque quartier de l'île.<br />

Nous soussignés, habitants de la ville de Port-Louis, à l'Ile Maurice, reconnaissant l'impérieuse<br />

nécessité de détruire les calomnies dirigées contre nous auprès du Gouvernement de Sa Majesté, et les<br />

faux rapports qui attaquent notre honneur et notre loyauté, ainsi que de réclamer nos droits<br />

constitutionnels, et de soutenir le projet de rachat précédemment adressé au Ministre, nous avons résolu<br />

d'envoyer dans la Métropole un Député chargé de nos pouvoirs et de nos pétitions au Roi et aux<br />

Chambres du Parlement, et avons fait choix, en conséquence, de Monsieur Adrien d'Epinay, qui est invité<br />

à se charger de cette mission. Pour lui donner tous les pouvoirs et instructions nécessaires, nous avons<br />

commis et commettons Messieurs Henry Perrot, George Lagane, Alexandre Brodelet, CarIes, Frédéric<br />

Chermont, Janvier Herchenroder, Jean Cantin, Félix Barbé, Mathieu Baudot, Adrien Pouget, Henry<br />

Kœnig. Henry Adam, Charles Nayna et Evenor Dupont, auxquels nous donnons, nous-mêmes, par ces<br />

présentes, les pouvoirs les plus étendus à cet effet.<br />

Port-Louis, 23 février 1833.<br />

Suivent les signatures se décomposant comme suit :<br />

Port-Louis 393<br />

Rivière-Noire 83<br />

Savane 91<br />

Plaines Wilhems 100<br />

Grand Port 154<br />

Flacq 276<br />

Rivière du Rempart 247<br />

Pamplemousses 189<br />

---------<br />

Total - 1,533<br />

107


Monsieur,<br />

8.<br />

Adrien d'Epinay à M. Stanley (77),<br />

Secrétaire d'Etat pour les Colonies.<br />

Londres,<br />

29 mai 1833.<br />

Envoyé par les habitants de l'Ile Maurice auprès du Gouvernement de sa Majesté pour détruire les<br />

impressions défavorables que des rapports inexacts ont créées contre eux, je m'empresse de vous donner<br />

avis de mon arrivée à Londres et de vous supplier de m'accorder une audience. La mission qui m'a été<br />

confiée a, je dois vous le dire, reçu la pleine approbation du Gouvernement local.<br />

Sir,<br />

9.<br />

M. Lefevre, sous-secrétaire d'Etat, à Adrien d'Epinay.<br />

Je suis, avec respect, etc.,<br />

Colonial Office,<br />

A. D’EPINAY.<br />

Downing Street,<br />

31st May 1833.<br />

I am directed by Mr. Secretary Stanley to acquaint you, in answer to your letter of the 29th instant,<br />

that he is unable to recognize you in any official capacity as charged with a mission from the inhabitants<br />

of Mauritius, and that he is not aware that there is any subject on which he need give you the trouble to<br />

place yourself in communication with this Department.<br />

I have the honour to be, etc.,<br />

J. LEFEVRE.<br />

108


Messieurs,<br />

10.<br />

Adrien d'Epinay an Comité Colonial<br />

Londres,<br />

2 juin 1833,<br />

Je suis à Londres depuis le 29 du mois dernier, m'étant haté autant que je l'ai pu pour arriver avant<br />

la discussion, fixée au 30 mai, sur le projet d'émancipation proposé par les Ministres.<br />

Vous verrez par les papiers que je vous envoie que Lord Goderich avait proposé un autre plan: que,<br />

par conséquent l'émancipation était, depuis longtemps, une chose convenue. Elle est, en effet, la<br />

récompense de l'appui que le parti opposé aux colonies a donné au Bill de Réforme (78).<br />

La discussion, commencée le 30 mai, a été ajournée au 31 et continuera le 3 de ce mois. On avait<br />

eu quelque espoir que le projet aurait échoué, parceque le parti des Saints, auquel il paraissait ne pas<br />

convenir, ne l'aurait pas appuyé. Mais, comme vous le verrez par le discours de Mr Buxton, il s'est réuni<br />

au Ministère, et lui assure la majorité. Il n'y aurait donc de chance pour nous qu'à la Chambre des Pairs.<br />

Mais, on donne comme certain que les chefs de l'opposition n'en veulent pas faire une affaire de parti,<br />

parceque, si le Ministère actuel était renversé, celui qui lui succéderait devrait présenter un autre plan, ou<br />

se trouver en butte avec une opposition invincible.<br />

Nos amis n'ont presque aucun espoir de ce côté et leur but est de profiter des moyens d'opposition<br />

qui leur restent pour amener les Ministres à accorder une plus grande indemnité. L'opinion dans la Cité<br />

est que l'on transigerait à vingt millions de livres. Si les Ministres allaient jusque là, leur plan serait<br />

adopté sans difficulté. Les créanciers des colons ne s'occupent que de la question pécuniaire. Quant à<br />

nous, Messieurs, sans négliger l'indemnité pécuniaire, nous devons, surtout, insister sur les garanties sans<br />

lesquelles l'existence même des familles ne serait pas assurée.<br />

Je ferai tous mes efforts pour faire ajouter à l'indemnité pécuniaire des avantages commerciaux<br />

tels, par exemple, que la franchise de notre port, qui serait pour nous la source de grandes richesses, dès<br />

que la Compagnie n'aura plus le monopole du commerce des Indes.<br />

Quant aux garanties, elles devront consister en une législature locale semblable à celle dont<br />

jouissent les autres colonies; en une milice sagement organisée. Je ne vois pas comment on pourrait<br />

aujourd'hui nous la refuser.<br />

109


Sir Charles Colville n'a pas encore eu audience du Ministre, qui doit lui poser quelques questions<br />

auxquelles il veut avoir préalablement vos réponses, après quoi, je serai entendu.<br />

M. Stanley a pris communication de mes pouvoirs. S'il est encore temps de le faire, et si je peux<br />

me permettre de vous donner un conseil, ce serait celui de vous abstenir de toute démonstration,<br />

d'envisager froidement notre situation, de montrer du calme et de l'assurance, de conserver enfin<br />

l'attitude que vous avez déjà prise, jusqu'à ce que vous sachiez définitivement ce que le Gouvernement<br />

vous réserve en compensation du sacrifice qu'il vous impose. La position particulière de notre pays le<br />

mettra à l'abri de beaucoup d'inconvénients et de maux qui seront pour les autres Colonies les<br />

conséquences d'une mesure qui sera plutôt l'œuvre d'un parti enthousiaste et irrité que celui de<br />

Législateurs prudents et sages. Les choses ne sont pas désespérées; le salut du pays est entre vos mains.<br />

Notre avenir dépend du premier pas que nous allons faire dans la nouvelle carrière où nous entrons.<br />

L'énergie de ses habitants a plusieurs fois sauvé notre pays. Maintenant c'est de leur prudence et de leur<br />

habileté qu'il attend son salut.<br />

Messieurs,<br />

11.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres.<br />

J'ai l'honneur, etc..,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

le 10 juin 1833.<br />

Vous verrez par les journaux que les deux premières propositions de M. Stanley ont été adoptées<br />

par la Chambre des Communes. Les voici:<br />

1o. La Chambre est d'avis que des mesures immédiates et efficaces seront prises pour l'entière<br />

abolition de l'esclavage dans les Colonies, en réglant la condition des noirs de manière à concilier leur<br />

bien-être avec les intérêts des propriétaires.<br />

2o. Qu'il est convenable que tous les enfants qui naîtront après la publication de la loi qui sera faite<br />

à ce sujet, ou qui, à cette époque, seront âgés de moins de six ans, seront déclarés libres, mais assujettis<br />

néanmoins à telles restrictions temporaires qui seront jugées nécessaires pour leur existence.<br />

La troisième résolution, qui sera discutée ce soir, sera combattue par M. Buxton, ce qui prouve, de<br />

sa part, peu de bonne foi, ou beaucoup d'inconséquence, puisqu'il a commencé par assurer la Chambre<br />

110


qu'il soutiendrait le plan du Ministère. Les gens qui se disent bien instruits assurent que les meneurs du<br />

parti Anti-Slavery sont fort déconcertés de voir le Ministère présenter le plan d'abolition, attendu que son<br />

adoption détruit absolument toute leur influence, et que leur parti, n'ayant plus le prétexte de l'esclavage,<br />

et n'étant pas préparé à s'en faire un autre, ne serait pas fâché que la chose trainât en longueur. Je n'en<br />

serais pas du tout étonné, car, si j'ai cru un instant que M. Buxton était un véritable philanthrope, je puis<br />

dire qu'il a pris soin de me détromper. La question qui sera discutée ce soir nous est vitale ; c'est d'elle<br />

que dépend notre sort.<br />

J'ai préparé une série de questions que je remettrai à M. Stanley sur des cas qu'il n'a pas prévus et<br />

qui, cependant, se présentent en foule au premier moment. Mon but n'est pas de les voir tranchées ici ;<br />

non seulement le Ministère ne le pourrait pas; mais, moi-même, avec tout l'avantage que me donne la<br />

connaissance de nos lois, de nos mœurs et de nos localités, je ne voudrais pas être chaargé de les<br />

résoudre définitivement. Ce que je veux obtenir c'est de convaincre M. Stanley de la nécessité de nous<br />

donner une législature locale. En attendant, voici ce que je me propose de lui demander comme gages de<br />

notre coopération franche et entière au Bill qui sera passé:<br />

1o. Une assemblée coloniale.<br />

2o. Le rétablissement de nos Cours de Justice et du Ministère Public.<br />

3o. La remise de toutes les peines, condamnations, amendes encourues pour contravention aux lois<br />

(pour l'abolition de la traite, et l'amélioration du sort des esclaves).<br />

4o. La remise des impositions sur les esclaves, les immeubles et les charrettes.<br />

5o. La réintégration de MM. Virieux et Draper (79).<br />

6o. Une milice coloniale.<br />

7o. Des prêtres gallicans en nombre suffisant pour répandre l'instruction religieuse dans toutes les<br />

classes de la société.<br />

8o. La liberté ou, du moins, l'extension du commerce.<br />

9o. Une remise totale ou partielle de la créance du Gouvernement sur les habitants.<br />

Le reste sera la conséquence du rétablissement d'une législature locale et dépendra de nous.<br />

Il faut vous entretenir d'une question d'une grande importance, c'est celle de savoir comment<br />

l'indemnité sera répartie entre les colonies. Est-ce selon le nombre des noirs ou selon leur valeur<br />

déterminée d'après le montant des produits? Car c'est la seule base équitable que l'on puisse prendre.<br />

Dans le premier cas, nous recevrions à peu près £ 19 par esclave; dans le second cas, nous en recevrions<br />

£ 35. Indépendamment de ce que ce mode de répartition serait le plus avantageux: à notre Colonie, il est<br />

le plus juste, puisque les noirs ont une valeur relative au produit de leur travail, et que, chez nous, ils ont<br />

été, en conséquence, payés beaucoup plus cher qu'ailleurs. Vous pensez bien que les propriétaires des Iles<br />

Occidentales, sans pouvoir détruire la force de notre argument, s'efforceront néanmoins d'obtenir un<br />

111


autre mode de répartition. Ils sont ici les plus influents, et la bonne cause en politique n'est pas toujours<br />

la meilleure.<br />

Je n'ai pas encore vu M. Stanley. Il a répété avant-hier à M. Irving qu'il me recevrait après en avoir<br />

fini avec Sir Charles Colville (80).<br />

Messieurs,<br />

12.<br />

Adrien d'Epinay an Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

11 juin 1833.<br />

J'ai l'honneur, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong><br />

La séance d'hier a été extrêmement intéressante. M. Buxton a été obligé de retirer l'amendement<br />

que son parti se croyait sûr de faire passer, et qui détruisait la plus forte garantie contre l'émancipation.<br />

Elle est ainsi conçue:<br />

Que toutes personnes maintenant esclaves seront enregistrées comme apprentis-laboureurs, et,<br />

pour acquérir ainsi tous les droits et privilèges d'hommes libres, assujettis néanmoins à travailler pour<br />

leurs maîtres actuels, sous les conditions et pour le temps fixés par le Parlement.<br />

Vous voyez que le terme de l'apprentissage n'est pas fixé comme on l'avait annoncé ! C'est<br />

probablement par suite d'une négociation qui se rattache à l'augmentation de l'indemnité.<br />

La quatrième résolution sera discutée ce soir, et vous voyez que l'indemnité, proposée est<br />

maintenant de vingt millions de livres sterling (81). Elle sera adoptée par la Chambre où la majorité<br />

ministérielle est immense. Ainsi, c'est un tiers en sus de ce que l'on proposait d'abord. Reste toujours à<br />

savoir comment sera faite la répartition.<br />

M. Irving, que j'ai vu ce matin, et qui a de grands intérêts dans les West Indies, a trouvé mes<br />

raisons fort justes, et serait d'avis que l'on fît un tableau de la valeur des esclaves dans chaque colonie, et<br />

que, par une règle de société, l'indemnité fût répartie en conséquence. C'est ma proposition sous une<br />

autre forme. Reste à savoir comment on fera l'estimation. Je m'opposerai à ce que l'on prenne pour base<br />

le prix fixé dans le projet de rachat, parce qu'il est présenté par nous comme excessivement réduit, ce qui<br />

est la vérité.<br />

112


Hier soir, les deux résolutions suivantes ont été prises par la Chambre des Communes:<br />

12 juin 1833.<br />

Qu'à titre de compensation pour les propriétaires des West Indies (cette locution comprend<br />

Maurice, ainsi que l'a déclaré Mr Stanley) Sa Majesté est autorisée à leur accorder une somme qui<br />

n'excèdera pas 20 millions de livres sterling pour être appropriées ainsi que le Parlement le déclarera ciaprès.<br />

Que Sa Majesté sera autorisée à faire les dépenses qu'elle jugera convenables pour établir des<br />

magistratures salariées dans les colonies, et pour aider les législatures locales à pourvoir à l'éducation<br />

morale et religieuse de la population noire qui sera émancipée sur des principes libéraux étendus.<br />

Ces derniers mots ont été ajoutés sur la proposition de Mr Buxton.<br />

Vous verrez par les journaux que je vous envoie qu'un individu d'Oxford, signant Oequitas, nous a<br />

jeté le gant que j'ai relevé dans le Morning Chronicle et dans le Guardian. Nos amis sont très contents du<br />

ton des deux articles.<br />

Sir Charles Colville a répondu hier aux questions de Mr Stanley et attend sa décision. J'espère,<br />

comme tout le monde ici, qu'elle lui sera favorable. Ainsi je ne tarderai pas à être appelé.<br />

18 juin 1833.<br />

Il est fortement question d'un changement de Ministère. Le Cabinet se réunit aujourd'hui pour<br />

délibérer, dit-on, sur la convenance d'une retraite des Ministres. Il est certain que M. Stanley n'a pas<br />

encore préparé le Bill annoncé. Voici ce qui en serait cause: d'abord la difficulté de faire un travail qui ne<br />

peut s'appliquer à toutes les colonies; ensuite la proposition faite de laisser ce travail aux législatures<br />

locales. Si les Ministres y consentent, les Tories promettent de ne pas s'opposer aux cinq résolutions dans<br />

la Chambre des Pairs. Cela devait être décidé hier, dans une conférence entre les Lords Ranwood, St.<br />

Vincent, Sandon et M. Stanley. Mais la conférence a été renvoyée à ce jour, et ne pourra pas encore avoir<br />

lieu à cause de la convocation du Cabinet. Vous voyez que toute affaire reste suspendue jusqu'à ce que le<br />

Ministère soit fixé sur les intentions du Roi, et sur le parti qu'il doit prendre.<br />

23 juin 1833.<br />

Les cinq résolutions ont été portées à la Chambre des Pairs, et leur discussion aura lieu mardi. Il<br />

avait été question que le parti tory eut attaqué et fait tomber celle relative à l'indemnité; mais il est<br />

convenu, m'assure-t-on, qu'il n'en fera pas une affaire de parti, attendu qu'il trouve, lui-même, que c'est la<br />

moindre chose que l'on puisse accorder aux colons. Néanmoins, beaucoup de nos amis attendent avec<br />

inquiétude le résultat de la discussion. La réponse de Sir Charles est soumise au Cabinet, dont on attend<br />

la réponse d'un moment à l'autre. M. Stanley a été très occupé du Bill relatif aux églises d'Irlande, qu'il<br />

113


avait préparé et qu'il a défendu au Parlement. Les clauses qui pouvaient présenter la plus grande<br />

difficulté ont passé, de façon que c'est pour lui une chose à peu près terminée. II faut espérer que, dans la<br />

semaine où nous entrons, il pourra s'occuper des colonies. On reproche avec quelque raison à beaucoup<br />

de créanciers des colonies d'avoir montré une grande satisfaction lorsque le Parlement a voté les 20<br />

millions de livres sterling. Ces messieurs n'ont vu qu'une question d'argent là où nous devons voir bien<br />

autre chose encore. Je m'en suis aperçu aussitôt mon arrivée.<br />

M. Irving me donne une assistance précieuse. Je lui devrais beaucoup si j'obtiens quelque chose.<br />

Mr Macqueen vient d'arriver des colonies; il m'a fait annoncer sa visite. Mr Henry écrit beaucoup pour<br />

nous, mais il est au lit par suite d'une chute q ui a faite. Il s'était fracturé la rotule. Il ne pourra sortir que<br />

dans une quinzaine de jours.<br />

Monsieur,<br />

13.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

11 juillet 1833.<br />

Le 1er de ce mois Mr Irving m'a communiqué le projet du Bill annoncé par Mr Stanley pour<br />

l'exécution des cinq résolutions prises par le Parlement et adopté en entier par la Chambre des Lords. Ce<br />

projet lui avait été envoyé par le Ministre, avec prière de considérer la communication comme secrète.<br />

Comme celui-ci ne donnait que deux jours pour les observations que les Agents des Colonies jugeraient<br />

convenable de lui adresser, je me suis de suite mis à l'œuvre, et j'ai rédigé les miennes dans la forme<br />

d'une lettre à Mr Irving. Il l'a communiquée à Mr Stanley; les autres agents paraissent avoir perdu leur<br />

temps dans des conférences où ils ont fini par ne convenir de rien, paraissant toujours plus occupés de<br />

l'indemnité que de toute autre chose. Je me suis vu même obligé de combattre leurs prétentions au sujet<br />

de la répartition des fonds, dans une lettre signée M, publiée dans le Morning Chronicle. Ils ne se sont<br />

pas souciés d'engager une discussion publique sur la question qui, au surplus, est tranchée à notre<br />

avantage dans le second projet que les journaux viennent de publier et que je vous envoie. Du reste, ce<br />

dernier projet, plus long que le premier, ne contient de modifications qu'au désavantage des colons. Il<br />

faut convenir aussi que personne ici ne semble songer aux résidents propriétaires. Jusqu'à présent ce Bill,<br />

tout monstrueux qu'il est, n'a encore été attaqué que par le Guardian, qui en fait ressortir les vices et la<br />

perfidie. Il faut que le Ministère ait juré, la perte des colonies, ou qu'il ait proposé un projet aussi<br />

114


monstrueux dans l'espoir de le voir repoussé par les Chambres. On paraît généralement croire qu'elles ne<br />

voudront pas le sanctionner.<br />

Sir Charles Colville n'a encore obtenu aucune décision, bien qu'elle lui soit annoncée de jour en<br />

jour. Mr Stanley ne cesse de dire qu'immédiatement après je serai reçu. Jusque là je m'abstiens de toute<br />

démarche ostensible qui tiendrait à faire penser que je ne compte pas sur la justice du Ministre. Ce n'est<br />

qu'après avoir épuisé auprès de lui tous les moyens de conciliation, après l'avoir éclairé de mon mieux<br />

sur l'état de la Colonie et les conséquences du système adopté à son égard, si l'on y persiste, que je<br />

m'adresserai aux Chambres. En attendant, je me mets en mesure de recourir à cette voie en m'assurant<br />

des membres qui présenteront nos pétitions. En cela, je suis parfaitement secondé par Mr Irving.<br />

Mr Hunter a été reçu ces jours derniers au Bureau Colonial, et n'a pu voir que le sous-secrétaire M.<br />

Lefevre (82). II lui a déclaré, en propres termes, que jamais l'ordre ne sera rétabli à Maurice si l'on y<br />

laisse MM. Jérémie et Thomas. On lui a parlé d'une autre personne dont on trouve la nomination<br />

scandaleuse (83). Mr Lefevre lui a dit aussi que le Ministre avait pris plusieurs de ses idées dans notre<br />

projet de rédemption. C'est vrai, mais Dieu sait comment il les arrangées. Mr Hunter s'étant plaint<br />

amèrement de ce que je n'avais pas encore été reçu, on lui a répété que c'était une affaire de forme, et que<br />

je le serai immédiatement après Sir Charles. En attendant, on s'occupe toujours de nous; comme si l'on<br />

ne voulait me voir [que] pour m'apprendre que tout est fini, qu'on n'y peut rien changer. Je tâcherai qu'il<br />

n'en soit pas ainsi, et je suis décidé à écrire à Mr Stanley, si cette semaine se passe sans que l'on ait fini<br />

avec Sir Charles; il est pour le moins indécent qu'après avoir entendu tous nos ennemis il ne nous<br />

entende pas à notre tour.<br />

Monsieur,<br />

14.<br />

Adrien d'Epinay à M. Stanley.<br />

Londres.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

le 15 juillet 1833.<br />

Je désire ne pas vous paraître importun. Si je l'étais, vous me le pardonneriez sans doute, en<br />

songeant que, depuis un mois et demi que je suis à Londres, je ne puis savoir ce que mon malheureux<br />

pays peut espérer encore ou ce qu'il ne doit pas craindre. Son sort va être fixé bientôt. Chaque jour des<br />

mesures irrévocables sont prises, et, seul de toutes les colonies, il n'est pas admis à vous faire quelques<br />

115


observations dans ses intérêts. Ne voyez pas un reproche, Monsieur, dans ce que je me hasarde à vous<br />

dire. Si je connaissais un moyen de vous pénétrer de mon but, de l'état de mon âme, de ma confiance<br />

indestructible en la bonté de la cause de mon pays et en votre justice, je m'empresserais de l'employer.<br />

Mais que puis-je faire lorsqu'en traçant ces lignes je tremble d'avoir déjà fatigué votre attention? Des<br />

préventions m'ont précédé au Bureau Colonial; j'y ai été sévèrement inculpé, jugé et condamné sans<br />

même avoir été entendu; je ne suis pas venu m'en plaindre. Puissent tous les orages qui menacent mon<br />

pays s'amonceler sur moi seul et n'éclater que sur ma tête! Victime volontaire, je viendrais plutôt m'offrir<br />

en expiation des torts qui lui sont reprochés. Frappez-moi si, vous aussi, Monsieur, vous me croyez<br />

coupable, mais, de grâce, écoutez l'envoyé d'une population livrée aux plus cruelles angoisses et à<br />

laquelle il a été solennellement promis, au nom de la Grande Bretagne, quelle serait traitée comme ses<br />

sujets les plus favorisés. Si les usages ne permettent pas que vous me receviez avant le dernier<br />

Gouverneur de la Colonie, je les dois respecter tout en déplorant la fatalité qui poursuit les habitants de<br />

l'Ile Maurice. Mais j'en appelle à vous-même, Monsieur, ne serais-je pas coupable si, dans des<br />

circonstances aussi graves, je ne revenais à la charge auprès de vous, et ne renouvelais la supplication<br />

que je vous ai faite de m'entendre, ne fut-ce qu'en considération de mon titre de sujet britannique? Que<br />

sera-ce donc si j'ajoute que je suis chargé du mandat des Colons de Maurice, que je dois faire tous mes<br />

efforts pour répondre dignement à la confiance qu'ils m'ont témoignée, et que je suis ici la seule personne<br />

qui connaisse bien la législation de cette Colonie, et capable, conséquemment, d'indiquer comment il<br />

serait possible d'y adapter, dans l'intérêt de tous, les résolutions prises par le Parlement? Voilà, Monsieur,<br />

les motifs de ma démarche; mes pouvoirs sont sous vos yeux. Je dois vous remettre une pétition à Sa<br />

Majesté, vous parler de nos malheurs et de nos besoins, vous faire connaître surtout nos vues au sujet de<br />

l'émancipation des esclaves, vous offrir une coopération franche et loyale à tout ce que le Gouvernement<br />

de Sa Majesté demandera de juste et de praticable.<br />

J'attends votre réponse avec une entière confiance, et suis avec respect, etc,<br />

15.<br />

M. Lefevre à Adrien d'Epinay.<br />

Colonial Office,<br />

Downing Street, London,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

16th july 1833.<br />

116


Sir,<br />

I am desired by Mr. Secretary Stanley to inform you, with reference to your letter of yesterday's<br />

date, that he will be happy to see you on Saturday next, at one o'clock, at the Colonial Office.<br />

16.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres.<br />

I am. Etc<br />

LEFEVRE.<br />

19 juillet 1833.<br />

Le 13, Sir Charles Colville a enfin reçu une réponse de M. Stanley qui, sans l'excuser, ne le<br />

condamne pas. On trouve qu'il a bien fait, mais on n'ose le dire. Il est toujours fort heureux que notre<br />

digne bienfaiteur soit à l'abri des persécutions que nos ennemis se sont efforcés à susciter contre lui. Le<br />

15, j'ai adressé à M. Stanley une lettre dont je vous envoie copie. Vous verrez, par la réponse que m'a<br />

faite le sous-secrétaire, que je serai reçu demain -<br />

à une heure. Comme il faut que mes paquets soient expédiés de bonne heure, attendu que le<br />

Gilbert Murray met à la voile demain. je suis obligé de fermer ma lettre actuellement, mais, si je suis<br />

encore à temps en revenant de Downing Street, je me hâterai de vous faire connaître le résultat de la<br />

conférence.<br />

J'ai envoyé, mercredi, à M. Stanley, un projet de loi présentant les bases sur lesquelles il serait<br />

possible d'adapter à Maurice les cinq résolutions du Parle-<br />

ment. Il devait présenter son Bill le même jour, et l'a remis à vendredi, puis à lundi. Ainsi, je l'aurai<br />

vu avant la seconde lecture. Puissé-je obtenir qu'il renonce à ses fatales idées.<br />

17.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

117


Messieurs,<br />

Londres,<br />

23 juillet 1833.<br />

Le 20, à une heure, j'ai été reçu par Mr Stanley, avec lequel je suis resté en conférence jusqu'à 3<br />

heures. Il avait devant lui le projet dont je vous ai parlé dans ma lettre du 19 et le Bill. Après un quart<br />

d'heure, employé de ma part à un exposé général de nos griefs, j'ai abordé la question d'émancipation<br />

qui, pour le moment, est la plus importante, car le Bill allait être présenté à la seconde lecture. Je l'ai<br />

traitée avec bonne foi, et je crois, que le Ministre n'en a pas douté. J'en suis toujours revenu à lui dire que<br />

son Bill, tel qu'il est, était inexécutable, que les bases proposées par moi pourraient être exécutées, mais<br />

seulement par une assemblée coloniale, et c'est ma ferme conviction. La discussion a été fort longue sur<br />

la distinction entre proediaux et non-proediaux (83); mes explications ont paru le satisfaire, et mes<br />

arguments sont restés sans réplique. Je suis même revenu à la charge sur ce point, dans une lettre que j'ai<br />

envoyée avant hier. Le second point avait trait aux heures de travail, et était une dépendance du premier.<br />

Je crois que l'un et l'autre seront modifiés. J'ai particulièrement insisté sur la clause qui ne permet pas de<br />

disposer des apprentis, et Mr Stanley m'a paru convaincu par mes arguments. Il a paru me concéder aussi<br />

que les Commissaires ne pourraient être juges dans les questions qui s'élèveront sur la répartition de<br />

l'indemnité entre les ayant-droit. Quant à la répartition entre les colonies, il paraît déterminé à la<br />

maintenir. Mais nous avons à faire à ceux de la Jamaïque qui sont bien forts et qu'on tient le plus à<br />

ménager. Ils ont déjà fait scission avec les autres intéressés aux colonies, ce qui, je le crains, sera bien<br />

préjudiciable à la question coloniale en général. Mes représentations ont aussi porté fortement sur les<br />

magistrats, mais seulement en ce qu'on leur accorderait le droit de juger les maîtres, ce qui est trop fort.<br />

Au moment ou je vous écrivais, j'ai été appelé au Bureau Colonial, où je me suis rendu de suite,<br />

pour donner des renseignements au Ministre au sujet d'une nouvelle motion du Dr Lushington (84), qui,<br />

dans un redoublement de rage et de mauvaise foi, et voulant toujours poursuivre les colons, plus par<br />

haine contre eux que par amour pour les noirs, propose qu'il ne soit accordé d'indemnité que pour les<br />

noirs que l'on justifiera n'avoir pas été introduits depuis 1810, mettant toujours la preuve à la charge des<br />

propriétaires.<br />

J'étais muni de tous les renseignements que je possède sur ces matières, et je n'ai pas eu de peine à<br />

mettre Mr Stanley à même de repousser victorieusement la déclamation de ce méchant hypocrite, car il<br />

n'est pas possible de qualifier différemment le Dr Lushington. N'est-il pas infâme qu'au moment où l'on<br />

émancipe les esclaves on nous recherche encore au sujet de la traite des noirs? Quels biens peuvent<br />

résulter pour eux que leurs maîtres reçoivent ou ne reçoivent pas une indemnité? N'est-ce pas prouver<br />

clairement que ce n'est pas dans l'intérêt des noirs que l'on agit de la sorte? Nous verrons ce qui en va<br />

résulter. Je serais sans inquiétude si je ne craignais que ceux des autres colonies ne se joignent au Dr<br />

dans l'espoir d'augmenter leur part d'indemnité.<br />

118


Mardi, à deux heures, j'aurai encore une conférence avec le Ministre sur les affaires générales de la<br />

Colonie. Jusqu'à présent il me paraît fort bien disposé. La question d'une assemblée coloniale, déjà<br />

discutée entre nous, sera reprise plus vivement. C'est ce que je désire emporter avant tout, bien<br />

convaincu que le sort de la Colonie en dépend. Il m'a parlé du Conseil, mais je lui en ai fait bientôt sentir<br />

le ridicule; il n'a même pas insisté. Discredité, vilipendé, comme il l'a été, on ne peut le maintenir sans en<br />

faire un objet de risée et de mépris.<br />

Le 25 Juillet 1833.<br />

Sir Charles Colville sort de chez moi. Son affaire est arrangée. Il a été présenté au Roi par Lord<br />

Hill, avec l'approbation de Lord Grey et de Mr Stanley. Il fut bien reçu. Ainsi, on ne le blâme pas de<br />

n'avoir pas détruit la Colonie ou massacré les habitants. .<br />

On parle de mettre à sa charge les frais de renvoi de Jérémie et les pensions payées à diverses<br />

personnes. Je n'ai pas cru trop m'avançer en disant que la Colonie ne le souffrirait pas.<br />

Il n'y a plus d'objection à ce que Sir Charles reçoive la pièce d'argenterie que nous lui avons votée.<br />

Elle ne peut être de moindre prix que celle votée à Sir Lowry Cole, et que j'ai payée cinq cents guinées.<br />

Il m'est impossible de faire une semblable dépense cette fois-ci, à autant plus que la souscription ne<br />

couvrira pas les autres dépenses de la mission. Je compte, donc, sur vous, Messieurs, et sur la Colonie<br />

pour faire que cette somme ne reste pas à ma charge; car j'ai dû, comme votre représentant, me porter<br />

garant du paiement qui sera fait aux orfèvres.<br />

La motion de Mr Buxton tendante à empêcher que les noirs ne restent en apprentissage a été rejetée<br />

à une majorité de sept voix! Vous voyez à quoi a tenu une mesure de cette importance.<br />

La discussion du Bill continue, comme vous le verrez par les journaux qui vous en apprendront<br />

plus que je vous en dirai. Hier, Mr Stanley, qui m'avait donné rendez-vous pour deux heures, n'a pu me<br />

recevoir, n'étant revenu qu'à trois heures de la Chambre des Communes, où il est retourné une heure<br />

après. Je saurai aujourd'hui à quel jour l'audience est remise.<br />

18.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

2 septembre 1833.<br />

119


Messieurs,<br />

Le voyage que j'ai fait à Paris est cause que, depuis le 31 juillet, je ne vous ai point entretenu des<br />

affaires de la Colonie. Je n'aurais pas fait cette absence si le sous-secrétaire d'Etat ne m'avait assuré que<br />

M. Stanley ne s'occuperait des affaires de Maurice avant trois semaines. Je J'ai revu ce matin. Il m'a dit<br />

que le Ministre était à sa campagne et qu'il l'attendait tous les jours. Il m'a remis un exemplaire du Bill,<br />

en me priant de le lire avec attention afin de m'en bien pénétrer, parceque nous aurions à nous en<br />

occuper, comme aussi des Codes pénal et d'instruction criminelle. Aussitôt que l'on en sera aux affaires<br />

de Maurice, on me fera appeler; c'est une chose convenue. En attendant, le Gouverneur recevra le Bill et<br />

une proclamation qui est commune à toutes les colonies.<br />

Il est impossible de vous dire ce que décidera M. Stanley au sujet de notre législature coloniale. Il<br />

lui est bien démontré maintenant que le Conseil n'est qu'une chose ridicule dont nous ne voulons plus et<br />

qu'il nous faut mieux que cela. Nous donnera-t-il une assemblée coloniale? On ne me le fait pas espérer<br />

... Cependant, il ne l'a pas refusée. Peut-être voudra-t-il faire quelque chose (de) semblable à ce qui<br />

existe à Bourbon; il me l'a donné à entendre. A mon voyage à Paris, j'ai examiné la loi qui constitue<br />

l'assemblée de cette colonie. J'y trouve les chemins qui nous conduiraient certainement à une véritable<br />

assemblée; mais c'est le chemin qui resterait à faire que je veux éviter. Il résulte des renseignements que<br />

j'ai pris, et qui viennent du Ministre de la Marine, que l'on s'occupe d'une nouvelle constitution pour les<br />

colonies, et que les assemblées y auront, en petit, les mêmes pouvoirs que la Chambre des Députés de<br />

France. Il m'a été impossible de me procurer la preuve officielle de cette disposition du Gouvernement<br />

français. C'est un document qui m'eut fortement servi. A son défaut, je tâcherai que le fait arrive de<br />

bonne source à la connaissance de M. Stanley.<br />

J'ai reçu, à mon retour, votre lettre du 4 mai, qui a servi de texte à un article que j'ai de suite<br />

envoyé aux journaux. Votre protestation a été publiée dans toutes les feuilles, moins le Times, dont la<br />

rage contre nous est alimentée par les rapports d'un méchant homme soupçonné depuis longtemps<br />

d'écrire contre la Colonie, et que chacun de vous devine sans que j'aie besoin de le nommer. Vous verrez,<br />

dans le No. du 27 août, une diatribe contre nous et une lettre de ce misérable.<br />

Je m'occupe d'avoir la preuve de son infamie. Mon premier mouvement avait été de mener<br />

sévèrement l'éditeur du Times. Mes amis m'en ont empêché. Ils sont quinze rédacteurs, ne donnent<br />

jamais leurs noms, refusent toutes satisfactions et se vengent par de nouvelles et cruelles injures. C'est la<br />

lâcheté organisée au suprême degré.<br />

La ligne de conduite que j'ai adoptée, trouvant le Ministère changé et la question de l'émancipation<br />

tranchée, me commande la plus grande circonspection. Je ne dois point m'en départir avant de connaître<br />

la décision du Ministre, dont jusqu'à présent les dispositions me paraissent fort bonnes.<br />

Mr Hunter, qui s'en retourne sur le Bencoolen, m'a beaucoup aidé dans mes démarches, et<br />

comprend parfaitement que les intérêts des négociants et des propriétaires sont trop identifiés pour que<br />

les divisions que les malveillants ont excitées ne leur soient pas fatales. La conduite et les rapports de<br />

120


ceux qui s'intitulent exclusivement les British Merchants (85) nous ont plus fait de mal que tout autre<br />

chose. Ils ont de grands reproches à se faire, et, si le remords peut entrer dans leurs âmes, ils devront<br />

bien gémir de leur conduite. Ils auraient dû s'apercevoir qu'ils n'étaient que les instruments de quelques<br />

fonctionnaires qui voulaient diviser pour régner plus à leur aise. Cette désertion (pour ne pas qualifier le<br />

fait plus fortement) aura au moins le bon effet de nous faire connaître nos amis et nos ennemis. On<br />

m'assure ici que ces messieurs y ont aussi leur Agent, pour lequel Ils ont fait une souscription de deux<br />

mille livres, et qui, vous devez le penser, n'agit pas dans le même sens que moi. Si nous obtenons<br />

quelque chose, vous pouvez être assurés que ce ne sera pas de leur faute.<br />

Je n'ai pas besoin de vous dire, Messieurs, combien il est important que chacun de vous se pénètre<br />

bien des dispositions du Bill, qui peut nous être fatal, s'il est confié à des hommes méchants. S'il est<br />

confié à de bonnes mains, je vois bien des choses dont nous pouvons bien tirer un grand parti.<br />

Ce dont je m'occupe en ce moment, c'est de [démontrer] au Ministre l'impossibilité de faire, d'ici,<br />

des réglements particuliers pour l'application du Bill, et d'obtenir qu'il se borne à quelques instructions<br />

générales, nous laissant à nous mêmes le soin de préparer le reste. Rien ne sera plus facile que de<br />

prouver cette impossibilité ; mais sera-ce une raison assez forte pour que l'on nous rende les droits que<br />

nous réclamons? Je trouve la chose trop juste pour ne pas l'attendre, même d'un Gouvernement dont nous<br />

n'avons encore connu que les rigueurs.<br />

14 septembre 1833.<br />

Je reçois à l'instant des nouvelles de Maurice jusqu'au 6 juin. Je suis indigné mais je ne m'étonne point<br />

de ce qui se passe. Je savais bien que même un Jeremie trouverait jusque chez nous des hommes assez<br />

vils et assez laches pour le servir. Ne vous laissez pas abattre, Messieurs, Courage, notre cause ne tardera<br />

pas à triompher. Les journaux vont rendre compte de ce qui se passe; toutes les provocations partent du<br />

Gouvernement. Faites qu'on ne puisse vous en reprocher aucune.<br />

19.<br />

M. Lefevre à Adrien d'Epinay.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Colonial Office,<br />

6th September 1833.<br />

121


Mr Lefevre presents his compliments to Mr D'Epinay and begs to acquaint him, in reply to his note<br />

of yesterday, that Mr Secretary Stanley has left town for a few days, but that he will return on<br />

Wednesday, when Mr Lefevre will endeavour to appoint a day for the interview which Mr D'Epinay<br />

solicits.<br />

Sir,<br />

20.<br />

M. Lefevre à Adrien d'Epinay,<br />

Colonial Office,<br />

16th September 1833.<br />

In Mr Stanley's absence I shall be glad to see you at any time to-morrow between twelve and 3.<br />

I am, etc.,<br />

21.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre,<br />

Londres,<br />

J. LEFEVRE;<br />

28 septembre 1833.<br />

Je m'empresse de satisfaire au désir que vous m'avez témoigné d'avoir, par écrit, les motifs que je<br />

vous ai donnés pour amener le Gouvernement de Sa Majesté à accorder à l'Ile Maurice une assemblée<br />

coloniale.<br />

Il en est de généraux qui sont contenus dans la pétition adressée par les habitants à Sa Majesté et<br />

que j'ai remise au Très Honorable Secrétaire d'Etat pour les Colonies. Ils sont répétés dans deux autres<br />

pétitions aux Chambres Legislatives. Ces motifs sont à peu près communs à toutes les possessions qui<br />

demandent la même institution.<br />

Mais il est, en outre, pour Maurice des motifs tout particuliers. Ma tâche est de vous les indiquer<br />

ici, et de répondre aux objections auxquelles ils paraissent avoir donné lieu.<br />

Ce qui, pour les autres colonies, serait peut-être une faveur, Maurice le réclame comme un droit<br />

acquis. Elle le fait dans les formes légales et en conservant une attitude soumise et respectueuse. Son<br />

122


droit est demontré dans une consultation demandée au Barreau Colonial et signée de tous les membres<br />

qui le composent sans exception (86). Cette consultation, transmise officiellement au Gouvernement de<br />

Sa Majesté, a attiré l'attention de Mylord Goderich, alors Secrétaire d'Etat pour les Colonies, qui a cru<br />

devoir y répondre par un Memorandum que le Gouverneur Sir William Nicolay a communiqué aux<br />

signataires (87). Comme les objections du Très Honorable Secrétaire d'Etat reposaient toutes sur des<br />

erreurs de fait, il a été facile de les lever; une réponse satisfaisante y a été faite immédiatement et<br />

adressée à Son Excellence le Gouverneur, dès le mois de février dernier (88). Ce document extrêmement<br />

important a dû être transmis par lui au Bureau Colonial. Vous ne vous attendez sans doute pas à ce que je<br />

répète ici des arguments que vous connaissez déjà, II en résulte, pour les Colons, une conviction<br />

inaltérable et plus forte que jamais qu'ils ont droit à la Constitution dont ils ont joui pendant douze ans, et<br />

qui n'a été détruite par aucune loi. Il n'est pas possible d'espérer que les signataires de la consultation<br />

reviennent sur une opinion qu'ils ont émise d'u.ne manière aussi positive à deux différentes fois. On ne le<br />

peut même pas attendre de ceux qui, depuis cette époque, ont accepté des fonctions publiques.<br />

Vous voyez donc l'opinion générale sanctionnée par tous les hommes de loi et partagée par des<br />

fonctionnaires publics. Refuser la justice que l'on demande serait laisser subsister un sujet de plainte<br />

fondé.<br />

Voilà déjà une réponse bien forte à cette objection que le Gouvernement de Sa Majesté ne peut<br />

accorder à l'Ile Maurice une assemblée coloniale, sans faire la même concession aux autres Colonies de<br />

la Couronne. Mais remarquez, Monsieur, que l'objection fournirait elle-même un nouvel argument. En<br />

effet, s'il y a injustice à accorder à l'une ce que l'on refusera à d'autres, il y a donc eu injustice jusqu'à<br />

présent à placer quelques colonies en dehors du droit commun. Et pourquoi ne pas la réparer? II en est<br />

bien temps, sans doute, à une époque où tant de réformes salutaires sont faites de toutes parts.<br />

Comme je ne connais pas toutes les raisons qui pourraient porter le Gouvernement de Sa Majesté à<br />

ne pas adhérer à la demande des Colons, je ne puis que les supposer, et vais répondre à celles qui, j'ai<br />

quelque raison de le penser, auraient été suggérées.<br />

Craindrait-on, par exemple, que, si une charte coloniale était accordée aux habitants de l'lIe<br />

Maurice, ils se servissent du pouvoir qui leur serait confié pour contrarier les vues du Gouvernement au<br />

sujet de l'émancipation des esclaves?<br />

Un peu de réflexion ferait disparaître cette appréhension. Pourquoi l'assemblée de Maurice se<br />

montrerait-elle plus difficile que les autres? Le Parlement ne s'est-il pas donné une forte garantie contre<br />

leurs intentions ultérieures par la clause 44e de l'Acte d'Abolition? Ne faudra-t-il pas pour Maurice,<br />

comme pour les autres colonies, que les réglements particuliers proposés par son assemblée aient la<br />

sanction du Gouvernement de Sa Majesté, avant que l'indemnité pécuniaire ne soit versée? Vous voyez<br />

donc que ses membres, indépendamment de leurs obligations comme législateurs, auront encore un<br />

intérêt particulier à entrer dans les vues du Gouvernement. L'objection ne peut donc être sérieuse.<br />

123


Cependant, voici ce qui peut encore vous rassurer. Pendant que l'Ile Maurice avait une Assemblée<br />

Coloniale, elle n'a fait que des lois humaines. Elle fut la première de toutes à abolir les mutilations<br />

autorisées par les ordonnances royales formant le Code Noir (89). Elle abolit la traite des esclaves (90).<br />

Elle fit cesser toutes les incapacités dont les mulâtres étaient frappés (91). Tout nouvellement<br />

encore, Maurice a la première, proposé le rachat et l'émancipation des esclaves. Elle l'a fait<br />

ouvertement, officiellement et dans des termes qui font assez voir comment chez elle on envisage la<br />

liberté. On vous a sans doute transmis un projet de loi proposé au Gouverneur par les membres<br />

inofficiels, projet dont la sévérité contre les maîtres inhumains n'a été approchée par aucun des<br />

réglements faits jusqu'à présent. Malgré tous les rapports intéressés et passionnés faits contre cette<br />

Colonie, je dirai toujours et je prouverai que jamais, dans aucune autre, on n'a montré des sentiments<br />

plus généreux et plus humains.<br />

J'ai entendu parler d'une objection tirée de la situation particulière où se trouve Maurice en ce<br />

moment; et c'est précisément, où je trouve, de mon côté, une raison déterminante d'accéder à la demande<br />

des Colons.<br />

Il y a, dit-on, une grande excitation dans les esprits. Les habitants sont en opposition au<br />

Gouvernement local, leur accorder un pouvoir qu'ils réclament, c'est leur donner une sorte de triomphe<br />

sur le pouvoir et peut-être un moyen de vengeance.<br />

Il y a dans ce raisonnement une objection qui pourrait avoir quelque fondement en d'autres temps<br />

et d'autres circonstances, et une supposition qui n'est certainement pas méritée.<br />

Si, à la suite d'une lutte violente entre les Colons et le pouvoir, le Gouvernement local s'empressait<br />

de leur accorder une satisfaction éclatante, sans doute ce serait pour eux un triomphe qui pourrait les<br />

rendre par la suite plus exigeants. Mais ce n'est pas ici le cas. La lutte a été terminée par le<br />

Gouvernement de la Métropole. Il a prononcé contre les habitants sans même les avoir admis à se<br />

justifier. Il a assuré le triomphe à ses agents. Il n'a même pas tenu compte de leurs torts. Le triomphe est<br />

complet pour eux. Leur pouvoir a été renforcé. Le blâme, les châtiments n'ont pas été épargnés aux<br />

Colons. Leurs dernières garanties ont été détruites. Ceux qui avaient leur confiance au Conseil en ont été<br />

renvoyés. Leurs magistrats ont été chassés de leurs postes qu'ils honoraient. Ils ont bu jusqu'à la lie tout<br />

ce que l'humiliation a de plus amer. Dans ce moment encore, ils vivent dans les angoisses. Quel<br />

châtiment plus cruel pouvait-on leur infliger?<br />

Cependant, qu'opposent-ils à tant de sévérité? La résignation. Ils n'ont de consolation que dans le<br />

témoignage de leur conscience, d'espoir qu'en la justice de leur cause et en celle de leur Souverain. Ils ne<br />

demandent pas de vengeance; Ils ne demandent pas à être mieux traités que les autres; ils ne demandent<br />

pas de faveurs particulières; ils ne demandent pas le pouvoir d'opprimer. Ils demandent une part égale à<br />

celle des autres Anglais; ils demandent à être traités comme les autres membres de la grande famille, et<br />

124


voilà précisément pourquoi ils ont des ennemis, pourquoi tant de rapports calomnieux sont faits contre<br />

eux.<br />

Vous voyez bien. Monsieur, qu'après la lutte le triomphe n'a pas été pour les Colons. Que serait<br />

donc la concession d'une assemblée coloniale? Un peu de baume sur une plaie profonde, une indemnité<br />

au nouveau sacrifice qui nous est imposé, une garantie pour l'avenir, un gage de réconciliation, un acte<br />

de justice; ce n'est enfin que l'exécution d'une promesse récemment faite encore; car, dans sa<br />

proclamation du 4 février dernier, le Roi dit: « Sa Majesté n'est influencée par aucun autre sentiment que<br />

celui du désir d'accorder le maintien de son autorité » avec les vrais intérêts de ses sujets de Maurice; la<br />

suprématie du Gouvernement une foi rétablie, Sa Majesté sera aussi prête que par le passé à consulter<br />

leur des desirs et à servir leurs intérêts. "<br />

Si le Gouvernement de Sa Majesté a pu croire un instant, sur des rapports mensongers, son autorité<br />

méconnue, j'espère que maintenant il doit être assure du contraire. Pourquoi donc ne pas consulter les<br />

desirs des Colons, consignés dans leur pétitions?<br />

Pourquoi ne pas servir leurs intérêts?<br />

Mais, ai-je aussi entendu dire, comment accorder pareille chose à une colonie qui la demande les<br />

armes à la main.<br />

Il me faut, Monsieur, faire les plus grands efforts pour contenir mon indignation. Non, il n'y a<br />

jamais eu de calomnie plus forte, de perfidie plus atroce que l'accusation faite contre les habitants de<br />

Maurice d'avoir des dépôts d'armes et de munitions. C'est faux, absolument faux. Je le jure. Je défie que<br />

l'on [en] donne la plus légère preuve. S'il y a des dépôts d'armes et de munitions. si le Gouvernement le<br />

sait, pourquoi ne les saisit-il pas? Il ne fait pas son devoir, ou bien il ne dit pas vrai. Dans l'un et l'autre<br />

cas, il a tort. J'espère, Monsieur, que l'on aura envoyé au Très Honorable Secrétaire d'Etat les réponses<br />

que les habitants de Maurice ont faites à l'accusation du Gouverneur et sa réponse. Ces pièces suffisent<br />

pour éclairér un homme impartial.<br />

J'ai dit plus haut que l'on aurait paru craindre que les Colons n'abussasent du pouvoir qui leur serait<br />

accordé pour satisfaire quelque vengeance. Mais contre qui et comment? Les places sont données par le<br />

Roi, une assemblée ne peut pas les ôter. Tout ce qu'elle peut faire est de surveiller la conduite des<br />

fonctionnaires, et, sous ce rapport, elle servira le Gouvernement de la Métropole, qui sera éclairé sur les<br />

actes de ses agents. Il est vrai qu'elle vote des dépenses, qu'elle peut faire des retranchements, mais est-ce<br />

un mal? Ne convient-il pas au Gouvernement de Sa Majesté qu'il soit fait des réductions dans les<br />

dépenses de l'administration de ses Colonies ? Ce que l'on prend pour un inconvénient, n'est-il pas plutôt<br />

un remède nécessaire? Le mal ne serait que dans l'abus, et cet abus ne peut exister quand les places sont<br />

données avec discernement. Mais à quoi bon une assemblée, pourquoi un système représentatif si les<br />

représentants n'ont, pas le contrôle des dépenses? Ce serait un corps sans âme une machine inutile. Je ne<br />

vois pas quelle raison on aurait d'y attacher quelque) importance. Otez à la Chambre des Communes le<br />

droit de voter des subsides, elle ne sera plus rien.<br />

125


Je vais bientôt vous dire ce qui peut et doit vous rassurer sur les dispositions que l'on prête aux<br />

habitants de Maurice. Il faut auparavant que je vous parle des effets infaillibles de la concession ou du<br />

refus d'une assemblée coloniale.<br />

Dans le premier cas, les habitants voient enfin réaliser la promesse solennelle qui leur a été faite, il<br />

ya 22 ans, d'être traités comme les colonies anglaises les plus favorisées, et qui, depuis, a été si souvent<br />

répétée. Ils voient réaliser leur vœu le plus ardent; ils entrent en possession des droits de citoyens<br />

anglais, droits qu'ils ont toujours ambitionnés. Par une semblable mesure le Gouvernement consent à un<br />

Bill d'indemnité sur tout le passé, qui sera effacé pour tous. Une charte coloniale ouvre l'entrée à la<br />

nouvelle carrière marquée par l'émancipation. Les Colons verront que le Gouvernement ne s'est pas<br />

montré plus libéral pour leurs esclaves que pour eux. Ils n'auront plus de sujets de plainte. Le jour où<br />

leur demande sera accueillie sera un jour de bonheur, et dans le bonheur on ne garde aucun ressentiment<br />

du passé. On les verra s'empresser d'entrer dans les vues du Gouvernement, pourvoir aux dépenses<br />

publiques. La confiance renaîtra dans leurs âmes, les affaires reprendront, et le Gouvernement sera<br />

d'autant plus fort que ce ne sera plus à lui que les malheurs seront imputés, comme il arrive toujours aux<br />

gouvernements absolus.<br />

Ce que je vous dis là, Monsieur, il m'est difficile de vous en convaincre, mais j'en suis tellement<br />

pénétré que je n'hésite pas à vous dire que, si ma coopération aux vues du Gouvernement de Sa Majesté<br />

pouvait être utile, je la lui engagerais, pleine, entière, sans restriction, du moment où Maurice aurait une<br />

assemblée coloniale. Ma confiance dans le caractère de Mr Stanley est telle, je suis si fermement<br />

convaincu qu'il ne pourrait rien désirer de moi que d'honorable que je prendrais l'engagement de suivre<br />

les instructions qu'il me donnerait pour la confection des lois particulières qui devront être appropriées à<br />

l'Acte d'Abolition, à supposer toutefois que je fusse appelé à l'assemblée par le suffrage de mes<br />

concitoyens. C'est offrir peu de chose, sans doute, mais aussi c'est vous dire combien je suis convaincu<br />

que mes amis, que les habitants en général accueilleront avec reconnaissance la justice qu'ils implorent.<br />

Je les juge d'après moi et crois ne pas me tromper; dans tous les cas je resterai esclave de ma parole.<br />

Voilà les seuls gages que je puisse donner de notre bonne foi dans nos déclarations.<br />

Supposez, au contraire, Monsieur que la pétition des habitants ne soit pas accueillie, voici ce qu'ils<br />

diront: On nous a promis de nous traiter comme les colonies les plus favorisées, et, depuis 22 ans, on<br />

nous traite comme les colonies les moins favorisées. Autrefois, il y avait trois classes d'individus chez<br />

nous: les blancs, les mulâtres et les noirs. On a tout promis aux premiers et on ne leur a rien donné. On<br />

n'a rien promis aux autres et on les a élevés au même rang que les blancs. Ceci n'exprime ni un blâme ni<br />

un regret; on peut s'en convaincre en relisant tout ce que jai écrit dans tous les temps, sur le même sujet,<br />

et notamment dans ce que j'ai dit dans les documents contenus dans mon Appendice. En face de gens<br />

toujours prêts à calomnier mes paroles et mes intentions, je dois donner cette explication. Nos impôts ont<br />

été décuplés par le Gouvernement anglais; notre religion a été avilie: nos lois ont été foulées aux pieds.<br />

(Toutes nos institutions ont été abolies. Nos cours de Justice sont livrées au «mépris et à la risée. Nous<br />

126


sommes exclus de tous les emplois publics; nos «plaintes sont considérées comme des actes de rébellion.<br />

Nos larmes sont calomniées; notre silence même est appelé conspiration: chaque jour on nous impose un<br />

nouveau sacrifice: on nous dit d'obéir parceque nous sommes Anglais, puis on nous refuse toutes<br />

garanties parceque nous sommes Français; on nous repousse et on nous fait un crime de nous tenir à<br />

l'écart. Nos voisins de Bourbon «ont une administration à laquelle ils sont admis et qui ne coûte que £<br />

50000. Nous avons, nous, une administration de laquelle nous sommes exclus et qui nous coûte £ 200<br />

000. Nos voisins de Bourbon ont une Assemblée Coloniale et nous n'en avons pas. Nous sommes plus<br />

éloignés de la Métropole que les autres colonies,... nous supportons en conséquence plus de frais<br />

d'importation et d'exportation; cependant, nous sommes plus maltraités que les autres. On nous dit:<br />

soumettez-VOUS et VOUS serez écoutez. Nous nous soumettons et on ne nous écoute pas. On excite la<br />

division chez nous, on lâche des agents provocateurs pour nous contraindre à la rébellion. Deux fois<br />

nous avons envoyé un des nôtres porter nos respectueuses doléances aux pieds du Trône. La première<br />

fois on lui a fait des promesses que l'on a violées bientôt après. La seconde fois on le renvoie sans avoir<br />

égard à nos malheurs ».<br />

Voilà ce que l'on dira, Monsieur, et l'on aura raison.<br />

Cependant, il faudra adapter aux lois de la Colonie l'Acte d'Emancipation; il faudra créer un<br />

nouveau système d’impôts ; il faudra calmer les craintes, les inquiétudes, et quel moyen aurez-vous de le<br />

faire? Il n'est pas au Conseil un seul homme en état de proposer les lois et les réglements nécessaires. A<br />

supposer, néanmoins, que le Conseil entreprenne un pareil travail, personne n'y aura confiance, car le<br />

Conseil est vu avec mépris. Ses lois ne seront pas exécutées, le mécontentement ira croissant le désespoir<br />

s'emparera de toutes les âmes, les Colons prendront le parti d'abandonner leurs propriétés, heureux peutêtre<br />

de conserver la vie sauve dans le bouleversement qui se prépare. Ce que je vous dis là n'a rien<br />

d'exagéré: ce sera la conséquence infaillible du refus que vous m'avez fait entrevoir.<br />

Que ne ferais-je donc pas pour éviter à mon pays de semblables malheurs?<br />

Quels sacrifices vouiez-vous de moi? Quels gages puis-je vous donner? Vous craignez nos<br />

ressentiments! D'un mot vous pouvez les calmer. Un rapprochement est la chose la plus facile; nous le<br />

désirons, nous ferons tout pour l'opérer. Ce rapprochement, cette fusion si nécessaire à tous a existé<br />

longtemps; ce fut l'ouvrage de Sir Lowry Cole (92). Ce n'est pas nous qui l'avons détruit. Pourquoi Sir<br />

William Nicolay ne le rétablirait-il pas? Je ne viens pas vous demander des vengeances; je ne me suis<br />

pas chargé de m'occuper des personnes. Si l'on m'en demande mon opinion, je la dirai librement. Si l'on<br />

ne me la demande pas, je me tairai, ne voulant pas imiter ces hommes dont les calomnies sont venues en<br />

masse jusque dans vos bureaux.<br />

Tout ce que je supplie le Très Honorable Secrétaire d'Etat de me faire connaître, ce sont les chefs<br />

d'accusation portés contre nous, sans désirer savoir d'où elles partent. Je me fais fort de prouver leur<br />

fausseté.<br />

127


Vous voyez, Monsieur, qu'en faisant connaître les vœux de l'Ile Maurice je n'hésite pas à offrir, en<br />

son nom et au mien, tout ce qui est en mon pouvoir d'offrir de gages et d'assurances au Gouvernement de<br />

Sa Majesté. Dites ce que je puis faire de plus, je le ferai. Quel que soit maintenant le sort qui nous est<br />

réservé, nous pourrons dire au moins que nous n'avons rien à nous reprocher.<br />

Sir,<br />

22.<br />

M. Lefevre à Adrien d'Epinay.<br />

Je suis, etc.,<br />

Colonial Office,<br />

I have laid before Mr. Secretary Stanley your note to me, of the 28th ultimo.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

11th October 1833.<br />

The subject to which it relates is of so much importance that Mr Stanley feels that he ought not to<br />

give you a definitive answer until he shall have brought it under the consideration of the Cabinet.<br />

I fear therefore that, if you desire to receive that answer whilst you are in England, you must differ<br />

your departure till the end of November or the beginning of December.<br />

Messieurs,<br />

23.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

I have the honour to be, etc,<br />

Londres,<br />

JOHN LEFEVRE.<br />

22 novembre 1833.<br />

Comme vous l'avez.vu par les journaux, j'ai eu plusieurs conférences au Bureau Colonial. Les deux<br />

dernières ont eu lieu les 11 et 21 de ce mois. Celle-ci était en présence de Mr Irving, et a duré trois<br />

heures. Nous avions affaire au sous-secrétaire d'Etat. Un des points qui y ont été traités était l'affaire de<br />

128


M. Adam (93) qui est si grave que le Gouvernement en paraît inquiet. M. Adam m'ayant dit que, dans<br />

cette circonstance il s'en remettait absolument à ce que je croirai devoir faire dans l'intérêt de notre pays,<br />

j'ai dit à M. Lefevre que j'offrais une médiation pour terminer cette affaire à l'amiable, le prévenant,<br />

toutefois, que M. Adam avait demandé l'opinion des juristesconsultes. Le cas est, en effet, soumis, a<br />

MM. Scarlet et Lloyd, membres du Parlement, et Mr Henry. Mr Lloyd a bondi d'indignation en<br />

apprenant ce qui s'était fait, et il ne sait encore rien. Le fait est qu'il n'est personne qui ne soit frappé de la<br />

perfidie, de la méchanceté, de la bassesse, de l'ignorance, de la lâcheté qui ont présidé à cette affaire. Ce<br />

qui y met le comble, c'est que le Gouvernement n'a pas rougi d'écrire au Ministre que cette enquête, que<br />

l'on pourrait mieux qualifier de guet-apens, a été faite dans l'intérêt de M. Adam, et pour mieux faire<br />

ressortir son caractère: : : M. Lefevre me l'a dit, et vous vous doutez de ma réponse. Je lui ai dit ce que je<br />

viens d'exprimer quelques lignes plus haut. Cela m'a donné l'occasion de lui parler du Gouverneur,<br />

gouverné par Jérémie, de cet homme Vieux, faible, infirme, égoïste, sans volonté, s'éloignant des Colons,<br />

refusant de les recevoir, les insultant dans ses proclamations, les insultant à son lever (levee), les<br />

insultant à cette caricature de Drawing Room où son impertinente femme a voulu jouer à la Reine! ! J'ai<br />

parlé de Mr Dick, de cet artisan de discorde qui souffle la division entre Anglais et Français, qui a caché<br />

à Sir Charles (Colville), des faits importants, qui n'envoie pas ici certains papiers qui sont en notre<br />

faveur, qui fait fabriquer contre nous des libelles anonymes, donnés à ce monstre de Jérémie. J'ai parlé de<br />

ce dernier avec la même force et la même liberté que si je vous entretenais, et j'ai fini par lui demander<br />

si, après ce qui s'était passé entre M. Adam et le Colonel Staveley, celui-ci ne tremblait pas pour sa<br />

famille lorsqu'il s'est dégradé au point de voter la déportation! Un mouvement approbatif m'a fait voir<br />

qu'on pensait comme moi.<br />

M. Lefevre m'a dit, et je le crois, que Mr Stanley et lui ne voulaient qu'être instruits; que les<br />

dernières dépêches reçues de Maurice étaient beaucoup plus défavorables à la Colonie que toutes les<br />

précédentes !... Il m'a rendu service. Je lui ai dit en propres termes: « Ce sont des calomnies, d'atroces<br />

calomnies des gens qui veulent faire des Colons des esclaves, et les desservent pour perpétuer leur<br />

«tyrannie». Je lui ai alors nommé ceux qui ont écrit contre nous, ces véritables ennemis: le Gouverneur,<br />

Dick, Jérémie, Reddie, Thomas, le Colonel Hunter, F .... , Mylius, Bell et autres, tous rivalisant d'infamie<br />

et de perversité. J'ai fait, de verve, leur biographie.<br />

Il est étonnant, m'a dit M, Lefevre, que toute l'administration écrive contre la Colonie. Pas toute,<br />

repris-je, que dit Mr Blackburn, le plus vertueux de ceux qui sont venus d'Angleterre?" «C'est vrai, a-t·il<br />

répondu; c'est un fort honnête homme. » « Que dit Sir Charles? Que disent son secrétaire et ses aides -<br />

de-camp qui sont ici? Que dit l'amiral -Gore ? Que dit le colonel Simpson? Cela vaut bien des hommes<br />

perdus de vices, et plusieurs entâchés de crimes? Au surplus, ai-je ajouté, voici ce que je demande à Mr<br />

Stanley; Qu'il me dise les chefs d'accusation portés contre nous. Je prouverai, d'abord, qu'ils sont faux et<br />

calomnieux. Ensuite je présenterai nos griefs appuyés de preuves. C'est de quoi nous sommes bien<br />

convenus, et j'en suis heureux.<br />

129


Il m'a parlé d'un système politique adopté au sujet de Maurice en 1832, et de ce qu'il y avait de<br />

délicat à le changer, me disant, toutefois, qu'on le ferait si ce système était faux, ou ne semblait pas<br />

justifié. Je lui ai proposé de lui en faire voir les fruits. Il accepté, et alors j'ai parcouru toute la nouvelle<br />

organisation Judiciaire, les nominations, puis les destitutions. Il en a paru honteux, et comment voulezvous<br />

qu'un galant homme ne le soit pas?<br />

J'ai porté la conférence alors sur un point délicat, l'accusation faite contre nous de rester Français,<br />

et j'ai prouvé que, si l'on voulait faire de nous une Colonie absolument anglaise, il fallait nous donner les<br />

institutions anglaises et nous traiter en Anglais. Cette partie de mes observations a paru le frapper.<br />

Il m'est difficile de vous dire tout ce qui s'est passé dans une conférence qui a duré trois heures,<br />

mais il a été bien entendu que Mr Stanley m'appellerait la semaine prochaine, et que nous aurions une<br />

conférence comme celle dont je vous ai parlé plus haut. Je suis trop fort pour ne pas compter sur un bon<br />

résultat.<br />

En attendant, je vais envoyer au Bureau toutes les personnes qui ont reçu de Maurice des lettres<br />

favorables à notre cause. On m'a promis d'en prendre connaissance.<br />

Messieurs,<br />

24.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

15 décembre 1833,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

J'espère que ma lettre du 22 novembre vous sera parvenue; à tout hasard, en voici le sommaire: le<br />

Ministre paraît mécontent de la mesure prise au sujet de M. Adam. M. Lefevre m'a témoigné le désir de<br />

le voir et de régler cette affaire entre nous, à l'amiable. Les avocats et généralement tous ceux à qui<br />

l'affaire est racontée témoignent la plus profonde indignation. On ne conçoit pas tant de bassesse alliée à<br />

tant de méchanceté. Le Gouverneur paraît le sentir lui-même puisqu'il dit que c'est pour servir la cause<br />

de M. Adam que l'enquête a été faite ! ... Les dépêches et tous les rapports venus de Maurice sont plus<br />

accusateurs que jamais. De mon côté, j'ai accusé le Gouverneur et ceux qui le gouvernent. Le résultat de<br />

ma conférence, qui a duré trois heures, a été qu'on me fournirait un état des griefs contre la Colonie afin<br />

130


que j'y réponde. M. Lefevre m'a dit qu'en 1832 on avait arrêté, en Cabinet, un système politique au sujet<br />

de Maurice, qu'il serait difficile de changer, que cependant on le ferait si l'on avait été induit en erreur.<br />

Le 2 décembre, ne voyant pas arriver la note convenue, je suis allé au Bureau Colonial, M. Lefevre<br />

m'a dit que je l'aurai à la fin de la semaine. Ne la recevant pas j'ai écrit pour me plaindre, et l'on m'a<br />

promis une conférence pour le 13 de 2 à 5 heures. Mais cette conférence n'a pu avoir lieu pour cause<br />

d'indisposition de M. Lefevre. Enfin elle est encore fixée pour le 17 de 2 à 5 heures. Cette conférence a<br />

eu lieu et a duré 4 heures. M. Lefevre m'a demandé une note de nos griefs. Le fait est que, dans le<br />

moment, et jusqu'après le premier de l'an on ne s'occupe guère d'affaires publiques. Mr Stanley vient de<br />

faire une absence de trois semaines. Ce n'est peut-être pas la dernière. Je ne compte donc sur une<br />

décision que pour le mois de janvier. Une chose que je peux vous donner pour certaine, c'est que, si l'on<br />

ne nous donne pas une assemblée coloniale, les membres indépendants du Conseil seront électifs.<br />

L'assemblée suivra de près cette mesure, qui au surplus, n'est elle-même, in contemplation, comme on dit<br />

ici, que comme mesure transitoire. Ce sera déjà assez pour faire partir nos tyrans. Comme ils ne nous ont<br />

calomniés que pour conserver leurs places, ils nous flatteront pour les conserver encore.<br />

J'ai vu Mr Scarlet. Rien ne lui semble plus monstrueux que la conduite du Conseil Exécutif et du<br />

Gouverneur; il ne sait qui l'emporte de la cruauté, de l'impudence, de la sottise et de la bassesse de leurs<br />

actes au sujet de M. Adam. Il s'occupe, en ce moment, de rédiger son opinion, et pense qu'il faudrait<br />

attaquer Lord Goderich qui ne peut se disculper qu'en sacrifiant les autres, plus coupables que lui.<br />

Rien de nouveau au sujet de l'affaire de M. Pierretti (94). La pétition est encore sans réponse. Ce<br />

qui me fait penser que l'on veut terminer son affaire en même temps que celle de M. Adam.<br />

Un fait auquel Mr Stanley attache une grande importance est celui attribué à M. Jérémie d'avoir<br />

fait promener par les rues sa victoire et ses chevaux couverts de lauriers le jour de l'anniversaire de sa<br />

première arrivée à Maurice !...<br />

Monsieur,<br />

25.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre.<br />

Londres,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

20 décembre 1833.<br />

131


Je vois, dans la Gazette du Gouvernement de Maurice, une dépêche de Lord Goderich, en date du<br />

16 mars 1833, qui contient contre les anciens Membres du Conseil Législatif et contre la population en<br />

général des accusations d'une nature tellement grave et tellement extraordinaire que je serais coupable de<br />

les passer sous silence.<br />

Loin de m'en plaindre, cependant, je rends grâce à Dieu de permettre que Je voie enfin exprimer en<br />

termes clairs et formels un grief d'accusation contre les habitants de Maurice. Jusqu'à présent ils n'en<br />

connaissaient aucun, ils savaient seulement, par les actes de rigueur exercés contre eux, qu'ils avaient été<br />

jugés et condamnés, mais ils ignoraient l'accusation, et n'avaient pas été appelés à se défendre.<br />

Ce que je vais vous dire vous portera, sans doute, à regretter que vis-à-vis d'une population entière<br />

dont l'existence est, en ce moment, compromise on ait cru pouvoir se dispenser de ces formes humaines<br />

et protectrices que la loi ordonne d'observer envers tout individu, de quelque délit qu'il soit accusé, et<br />

dans quelque rang qu'il soit placé.<br />

Je prends la dépêche de Sa Seigneurie à ce paragraphe:<br />

« The time in which these changes were made is highly worthy of remark. The law bears date of<br />

15th February 1832, a period at which the armed associations, the seditious public notices and the selfconstituted<br />

society to which I have already adverted were attaining to their full maturity; yet, such was<br />

the occasion when it was thought right silently to introduce changes in criminal law, the effect of which it<br />

was to render the Government helpless, and to secure impunity to persons engaged in proceedings little<br />

short of traitorous. »<br />

C'est là que commence l'accusation et c'est aussi là qu'en est l'âme.<br />

Sa Seigneurie croyait, sans doute, fermement à ce qu'elle disait. Mais elle l'a cru sur des documents<br />

exparte enfantés par l'erreur ou le désir de la vengeance.<br />

Toutes les assertions contenues dans ce paragraphe, et il y en a beaucoup en peu de mots, sont<br />

matériellement fausses. Vous allez en juger.<br />

Voyez d'abord en quelle intention on fait ressortir la date du Code Pénal: «15 février 1832.» On en<br />

avait besoin pour donner quelque apparence de fondement aux rapports accusateurs faits au<br />

Gouvernement de Sa Majesté; l'auteur ou les auteurs de ce rapport connaissaient cependant la vraie date<br />

de la loi et les circonstances dans lesquelles elle a été faite. Il faut les rappeler. Vous avez au Bureau<br />

Colonial tous les documents qui prouvent ce que je vais rapporter.<br />

Une dépêche de Lord Goderich, datée du 16 avril 1831, a ordonné la formation d'un nouveau Code<br />

Pénal sur la base de celui adopté en France.<br />

Cette dépêche a été publiée le 16 août 1831, et, immédiatement après, le Gouverneur nomma une<br />

commission pour la rédaction du travail. Cette commission était composée de MM. Blackburn, Chefjuge;<br />

Virieux, Vice-président de la Cour; Rémono, Juge de la Cour; P. D Epinay, Procureur-Général;<br />

Colin, Président du Tribunal de Première Instance et Cooper, King's Advocate.<br />

132


Le travail était déjà terminé en octobre 1831, époque à laquelle je suis revenu à Maurice après ma<br />

première mission en Angleterre.<br />

Ce fut alors que le Gouverneur reçut les instructions de Sa Majesté, datées du 20 juillet 1831, pour<br />

la formation du Conseil Législatif à Maurice.<br />

Le Conseil fut installé le 18 janvier 1832. MM. Blackburn, P. d'Epinay et Cooper en firent partie,<br />

et le premier soin du Gouverneur fut de présenter le nouveau Code déjà préparé et achevé. Sa<br />

présentation fut, en quelque sorte, une chose de forme. Le Conseil sanctionna, sans nouvelle discussion,<br />

un travail qui déjà convenait au Gouvernement.<br />

Comment serait-il possible de concevoir que, du 18 janvier au 16 février, on aurait eu le temps de<br />

discuter une loi de cette importance? Elle contient 387 articles. Vous trouverez peut-être que le Conseil<br />

agit avec précipitation. En voici la raison: le Chef-Juge et le Procureur-Général avaient exposé que les<br />

prisons étaient encombrées d'accusés qui attendaient leur jugement, quelques uns même depuis plus d'un<br />

an ! Et, de plus, il fut assuré que le Conseil Exécutif avait déjà approuvé le travail. Le caractère des<br />

rédacteurs, l'approbation du Gouverneur, le sort des accusés voilà ce qui décida l'adoption immédiate du<br />

Code Pénal.<br />

Ces circonstances pouvaient être ignorées de Lord Goderich ; mais elles ne l'étaient pas de ceux<br />

qui lui ont donné les informations qu'il a adoptées. Ainsi donc, il est tout à fait inexact de dire que c'est le<br />

15 fénier 1832 que le Code a été fait; mais il est bien plus inexact encore de prétendre qu'il existait des<br />

associations armées, que l'on avait publié des écrits seditieux, lorsque le Code Pénal a été fait.<br />

« Des écrits séditieux »....,<br />

Remarquez que, même à la date du 15 février 1832, la censure de la presse existait encore. La loi<br />

qui proclama la liberté de la presse est du 29 février 1832 ; et l'Ordre en Conseil du 29 novembre 1831<br />

n'a été connu à Maurice que le 27 mars 1832.<br />

Faites faire des recherches dans tous les journaux de Maurice jusqu'à cette époque, et voyez s'il y<br />

existe non des écrits séditieux (je défie qu'on en indique un seul de n'importe quel temps), mais même<br />

aucun article qui indique une opposition déterminée aux vues du Gouverneur.<br />

Vous voyez que ce n'est point par des assertions que je réponds aux accusations de la dépêche,<br />

mais par des faits que rien ne peut détruire.<br />

Je vais examiner le fonds des accusations; Association armée non autorisée ... Ecrits séditieux ...<br />

Sociétés illégales ...<br />

Rien de tout cela n'a existé. On le dit. Nous le nions. Nous pourrions nous borner à cela, et défier<br />

que l'on nous oppose une preuve, mais la prévention est si forte contre nous, nos ennemis ont si bien<br />

accrédité l'accusation que nous sommes réduits à entreprendre la preuve d'une négative.<br />

Sa Seigneurie, lorsqu'elle a écrit sa dépêche, était dominée par l'idée que les habitants de Maurice<br />

avaient formé une association année sans l'autorisation du Gouverneur. Cette idée se trouve fortement<br />

133


exprimée dans l'Ordre en Conseil du 6 novembre 1832 auquel elle sert de motif. Voici comme l'exprime<br />

cet acte emané du Souverain:<br />

« Whereas divers persons within the island of Mauritius have, without any commissions from His<br />

Majesty, or from the Governor for the time being of the said Island authorising them in that behalf,<br />

associated together as an armed force, and in open defiance of the laws, have appeared in Military<br />

arms, etc ... ».<br />

Elle est reproduite dans la dépêche qui a servi de base à la déportation de M. Adam et dans celle<br />

qui nous occupe.<br />

Les documents que j'ai déjà eu l'honneur de mettre sous vos yeux vous prouvent que Sa Majesté et<br />

son Conseil ont été entrainés dans une erreur qui nous est fatale. J'ai néanmoins, besoin de les rappeler<br />

ici pour montrer encore une fois que, si les habitants ont pris les armes, s'ils se sont organisés en milice,<br />

c'est avec l'autorisation du Gouverneur.<br />

Le 5 avril 1832, les habitants notables ont écrit au Chef de la Police pour lui demander à se réunir<br />

pour élire les chefs des volontaires, dont le Gouverneur leur avait dit qu'il autorisait la formation.<br />

Le même jour, cette autorisation a été donnée. Je vous l'ai fait voir en original.<br />

Le 13, le Colonel Staveley, Commandant de la garnison, a publié un ordre du jour qui commence<br />

en ces termes ;<br />

« His Excellency having authorised the organisation of an armed, volunteer force ... ». Cet ordre a été<br />

suivi d'un très grand nombre d'autres que j'ai mis sous vos yeux. Vous avez aussi vu la correspondance<br />

entre les chefs des volontaires et le Commandant de la garnison, le Secrétaire Colonial, le Commissaireen-chef<br />

de la Police, correspondance qui annonce entre eux le plus parfait accord. Enfin, vous avez, au<br />

Bureau Colonial, toutes les dépêches du Gouverneur qui annonçent qu'il a autorisé l'organisation des<br />

volontaires.<br />

L'uniforme, la liste des officiers, tout a été soumis au Gouverneur et approuvé par lui. Ses ordres<br />

ont toujours été exécutés. En aucune circonstance les volontaires n'ont défié les forces de Sa Majesté; au<br />

contraire, le service s'est fait de concert avec les troupes, sans même qu'il se soit levé la plus légère<br />

dispute.<br />

Il faut donc que toutes ces circonstances soient restées inconnues à Sa Seigneurie, et n'aient pas été<br />

mises sous les yeux de sa Majesté et de son Conseil Privé.<br />

Voilà la seule association armée qui ait jamais existé à Maurice depuis 23 ans qu'elle est anglaise<br />

....<br />

Je déclare qu'avant1e 7 avri1 1832 il n'y a jamais eu d'armement à Maurice ou d'association dans le<br />

dessein de s'armer. Je déclare que, même après cette époque, il n'y a jamais eu de dépôts d'armes et de<br />

munitions de guerre chez les habitants. Toute allégation de ce genre est fausse et méchamment<br />

controuvée. Je défie qu'on s'appuie d'aucune preuve, même d'aucune présomption raisonnable.<br />

134


Il m'a été dit, quelque part, que le Gouverneur, voyant les habitants s'armer, avait jugé prudent de<br />

leur donner l'autorisation de le faire afin que son autorité ne fût pas méconnue. C'est encore une<br />

allégation fausse, et, à cet égard, je demande la déclaration expresse de Sir Charles Colville lui-même.<br />

Remarquez, Monsieur, qu'il s'agit ici de la plus terrible accusation; qu'il y va de l'honneur de toute<br />

une population accusée de conspiration et de révolte; qu'il y va de son avenir, de sa fortune, de<br />

l'existence même des familles. Tout cela est compromis. Que dis-je ? Tout cela est déjà sacrifié sur une<br />

accusation sans preuve et dont je prouve même la fausseté.<br />

Mais je vais plus loin, je prétends vous démontrer que l'intention de former une association armée<br />

opposée au Gouvernement ne pouvait même pas exister en février 1832.<br />

Je vous ai dit que j'étais arrivé à Maurice en octobre 1831. J'apportais aux habitants les promesses<br />

que m'avait faites Lord Goderich. Vous verrez, dans les gazettes du mois de novembre, le récit d'une<br />

assemblée publique tenue par les habitants, assemblée dans laquelle je rendais compte de ma mission en<br />

Angleterre.<br />

Il y fut résolu que deux adresses respectueuses seraient faites, l'une à Sa Majesté, l'autre à Lord<br />

Goderich; pour les remercier de ce qu'ils avaient daigné accueillir les doléances des habitants.<br />

Les Colons étaient donc satisfaits. Ils n'avaient, en effet, aucun sujet de plaintes. Ce n'est que<br />

lorsqu'ils ont connu l'Ordre en Conseil du 2 novembre 1831 ; ce n'est que lorsqu'ils ont su l'arrivée de M.<br />

Jeremie, connu son pamphlet et ses nouveaux pouvoirs, que l'effroi s'est emparé d'eux.<br />

La même chose est arrivée à la même époque dans toutes les colonies. Eh bien! Cette connaissance<br />

a été portée à Maurice par le brick Mary, parti des Dunes le 23 décembre 1831, et arrivé à Maurice le 23<br />

mars 1832.<br />

Mais revenons aux rédacteurs du Code Pénal, et voyons quel motif ils pourraient avoir de<br />

conspirer contre le Gouvernement ou d'assister les conspirateurs à venir.<br />

M. Blackburn, Chef-juge, homme probe, vertueux, dévoué à son Gouvernement, venait d'en<br />

recevoir une nouvelle marque de confiance et d'estime; M. Virieux venait d'être confirmé Vice-Président<br />

de la Cour; M Rémono venait d'être nommé Juge; M. Prosper d'Epinay, Avocat et Conseil du<br />

Gouvernement depuis longtemps, et qui fut toujours honoré de la considération publique, de l'estime et<br />

de la confiance de tous les Gouverneurs et Chefs-juges, venait d'être élevé aux fonctions de Procureur-<br />

Général; Mr Cooper, Anglais de naissance, venait d'être nommé, par le Ministre lui-même, Avocat du<br />

Gouvernement: enfin M. Colin, jusque là simple Juge du tribunal, venait d'être élevé à la dignité de<br />

Président. Les salaires de toutes les places venaient d'être augmentés.<br />

Est-ce dans de telles circonstances que l'on devient traître et conspirateur ?<br />

Si le caractère personnel de ces Messieurs, si leur conduite passée ne pouvait les garantir d'un soupçon<br />

odieux, il aurait fallu, au moins, qu'il pût être fondé sur des motifs d'intérêt ou de mécontentement<br />

personnels, Au contraire, leur ambition à tous était satisfaite.<br />

135


J'en viens au second chef d'accusation fondé sur les écrits séditieux. Quels sont-ils? Un écrit séditieux<br />

doit être public, sans doute. Que l'on en montre donc un seul, que l'on poursuive donc ceux qui les ont<br />

faits, imprimés, publiés! Jusque-là, l'existence de tels actes n'est que fabuleuse.<br />

Le 15 février 1832, la presse n'était pas encore libre à Maurice. Elle ne l'est devenue que le 29, jour<br />

où la nouvelle loi a été publiée; et, chose singulière, le premier numéro du Cernéen, signalé comme le<br />

journal d'opposition, a paru le 14 février 1832.<br />

Comment le Ministre a-t-il donc pu dire qu'avant le 15 les écrits séditieux avaient paru? C'est qu'il<br />

a été trompé!<br />

Maintenant il faut parler des associations illégales. Il n'en a jamais existé à Maurice.<br />

Dans l'année 1824, les personnes les plus notables de Port-Louis se réunirent au nombre de sept et<br />

formèrent un Comité Colonial dont jamais le Gouverneur n'a pu prohiber les réunions parceque la loi ne<br />

s'opposait pas à sa formation. Voici ce qu'elle porte à ce sujet:<br />

« Ceux qui voudront former des Sociétés ou Clubs seront tenus, à peine de 250 livres d'amende, de<br />

faire préalablement au Greffe de la Municipalité la déclaration des lieux et jours de réunions, et, en cas<br />

de récidive, ils seront condamnés à 500 livres d'amende. »<br />

Comme le nombre des membres de ces sociétés n'était pas limité, le Comité Colonial fut porté plus<br />

tard à 25 membres.<br />

Lors de la rédaction du Code Pénal, on adopta, sur la proposition de M. Prosper d'Epinay (chose à<br />

remarquer), l'article que voici :<br />

« Nulle association de plus de 15 personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours où à certains<br />

jours pour s'occuper d'objets religieux ou politiques, ne pourra se former qu'avec l'agrément du<br />

Gouverneur et sous les conditions que l'autorité publique jugera nécessaire d'imposer à la Société. »<br />

Cet article, peu libéral, n'annonce certainement par le désir de favoriser la conspiration.<br />

Le Comité Colonial se réduisit donc à 15 membres pour se conformer à la loi Les campagnes<br />

avaient des sociétés d'agricultures qui suivirent le même exemple.<br />

Les journaux contiennent de nombreux avis pour la convocation des membres de ces sociétés, ce<br />

qui prouve que, si elles conspiraient, elles ne le faisaient pas en secret.<br />

Mais voici une chose curieuse qui arrive aujourd'hui. La suppression du Code Pénal remet en<br />

vigueur l'ancienne loi. Or, cette ancienne loi, que j'ai citée plus hautes, est plus favorable aux<br />

associations.<br />

Ce qui il y a de plus curieux encore, c'est de voir aujourd'hui le Gouverneur Sir William Nicolay<br />

défendre par une proclamation ce qui est autorisé par une loi. N'est-ce pas une usurpation du Pouvoir<br />

Législatif?<br />

Maintenant, Monsieur, que j'ai prouvé que ces trois chefs d'accusation sont plus mal fondés les uns<br />

que les autres, j'en reviens à l'objet spécial de la dépêche.<br />

136


Je ne veux pas me charger de la défense des personnes inculpées. Elles le feront mieux que moi, et<br />

de manière à satisfaire pleinement le Gouvernement de Sa Majesté (95).<br />

Je me permettrai seulement de vous faire remarquer deux choses: la première, que l'article 217 du<br />

Code français, que Sa Seigneurie accuse les rédacteurs du Code Pénal d'avoir omis à dessein, n'a pas été<br />

omis et existe à Maurice en termes plus formels encore.<br />

Voici l'article de la loi française:<br />

« Sera puni comme coupable de rébellion quiconque y aura provoqué, soit par des discours tenus<br />

dans les lieux et réunions publics, soit pal' des placards affichés, soit par des discours imprimés.<br />

Dans tous les cas où la rébellion n'aurait pas eu lieu, le provocateur sera puni d'un emprisonnement<br />

de six jours au moins et d'un an au plus. »<br />

Voici les dispositions de la loi coloniale:<br />

«Quiconque, soit par des discours proférés dans les lieux ou réunions « publics, soit par des écrits<br />

ou des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit<br />

par des placards ou affiches exposés au regard du public, aura excité ou provoqué directement l'auteur ou<br />

les « auteurs de toute action qualifiée crime ou délit à le commettre, sera réputé complice, et puni comme<br />

tel.<br />

Quiconque aura, par le même moyen énoncé en l'article précédent, provoqué à commettre un ou<br />

plusieurs crimes sans que la dite provocation ait été suivie d'aucun effet, sera puni d'un emprisonnement<br />

qui ne pourra excéder deux années et d'une amende qui ne pourra excéder trois cents livres.<br />

Quiconque aura, par l'un des mêmes moyens, provoqué il commettre un ou plusieurs délits, sans<br />

que la dite provocation ait été suivie d'aucun effet, sera puni, etc.<br />

La provocation, par l'un des mêmes moyens, à la désobéissance aux lois sera également punie des<br />

peines portées en l'article 14.<br />

Quiconque, par l'un des mêmes moyens, aurait excité à la haine et au mépris du Gouvernement de<br />

Sa Majesté ou de la Colonie, sera puni d'un emprisonnement qui n'excèdera pas un an, et d'une amende<br />

qui pourra être portée à 100 livres, ou de l'une de ces deux peines seulement, selon la gravité du cas. »<br />

Ce sont les articles 12, 13,14, 15, et 18 de la loi sur la presse, proposés par M. P. d'Epinay et<br />

adoptés au Conseil le 29 février 1832, 14 jours après le Code Pénal, c'est l'ordonnance No. 2 qui a été<br />

envoyée à Sa Seigneurie, longtemps avant qu'elle n'eût écrit sa dépêche.<br />

Vous trouverez, Monsieur, que ces dispositions sont assez sévères et qu'elles ne peuvent être<br />

l'ouvrage de gens qui veulent favoriser la rébellion contre l'autorité royale.<br />

Si vous voulez bien jeter les yeux sur le Code Pénal, vous verrez qu'il n'y a rien de ce qui est<br />

reproché si injustement aux habitants de l'Ile Maurice; rien qui n'y soit prévu et sévèrement puni. Vous<br />

êtes jurisconsulte, et vous reconnaîtrez facilement la justesse de mon assertion.<br />

137


La seconde chose que je voulais vous faire observer mérite bien votre attention, c'est que, si les<br />

crimes que l'on accuse les rédacteurs du Code Pénal d'avoir voulu favoriser se commettaient<br />

actuellement à Maurice, on trouverait dans l'ancienne loi, remise en vigueur, moins de moyens de<br />

répression qu'il yen avait dans le Code Pénal.<br />

Les crimes contre la personne du Roi et les membres de la Famille Royale, contre l'ordre de<br />

successibilité au Trône, contre l'autorité royale, les empiètements sur sa prérogative n'y sont pas prévus.<br />

Voyez le Recueil des Lois Coloniales, No. 218, loi criminelle du 7 août 1793.<br />

Vous apercevrez à quel point Sa Seigneurie a été trompée puisqu'elle ordonne la remise en vigueur<br />

d'une loi qui ne contient rien des dispositions qu'Elle se plaint de ne pas trouver toutes dans la nouvelle.<br />

Une dernière réflexion générale terminera cette lettre. Dans un Code de lois, composé de 387<br />

articles, cinq seulement ont mérité le blâme de Sa Seigneurie. Il me semble qu'il aurait suffi d'ordonner<br />

leur réformation qui aurait eu lieu immédiatement ; au lieu de cela le Très Honorable Secrétaire d'Etat<br />

non seulement accuse les intentions des rédacteurs, qu'il n'a même pas encore entendus, mais il rejette<br />

toute la loi et replonge le pays dans une législation que lui- même a qualifiée de barbare !...<br />

Encore un mot et j'ai fini:<br />

Les mesures rigoureuses prises contre Maurice l'ont été sur les rapports de M. Jeremie, contredits,<br />

cependant, par ceux du Gouverneur. En quelques jours, toutes les plaintes ont été accueillies, sans<br />

enquête préalable, sans vérification, sans entendre les accusés!<br />

Il y a bientôt sept mois que je suis en Angleterre, implorant la justice du Gouvernement de Sa<br />

Majesté. Les habitants de Maurice sont en proie aux vengeances de leurs ennemis; chaque jour ils<br />

n'entendent que des paroles menaçantes; chaque jour est marqué chez eux par des arrestations, des<br />

emprisonnements, des déportations, des destitutions, des visites domiciliaires, sans que l'on ait rien à leur<br />

reprocher. M. Jeremie fait des victimes pour donner à penser qu'il y a des coupables. Voilà dix mois<br />

bientôt que la terreur règne dans la Colonie; et elle ne sait pas encore combien de temps elle doit gémir<br />

encore.<br />

Cependant, ce sont ses habitants qui, les premiers, ont demandé l'émancipation des esclaves, et qui,<br />

aujourd'hui (j'ai mis leurs lettres sous vos yeux) se réjouissent à la nouvelle de cette émancipation des<br />

noirs qui leur présage celle des blancs.<br />

Il me reste une prière à vous faire, c'est de me dire si vous trouveriez bon que je fisse publier cette<br />

lettre comme la justification d'une accusation que tous les journaux ont rejetée et que plusieurs ont<br />

accueillie.<br />

A <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

138


26.<br />

Adrien d’Epinay au Comité Colonial.<br />

21 décembre 1833.<br />

Vu M. Lefevre qui m'a dit que Mr Stanley sera à Londres dans la quinzaine; que, lui, M. Lefevre,<br />

était particulièrement occupé des affaires de Maurice; qu'il n'avait pas eu le temps de tout lire et qu'à la<br />

fin de la semaine il m'enverrait une note des griefs contre la Colonie.<br />

Je lui ai demandé une copie du canevas envoyé aux colonies pour les réglements particuliers<br />

servant à l'application du Bill ; il m'a répondu qu'il me le donnerait lorsque nous en serions à nous en<br />

occuper ensemble.<br />

Monsieur,<br />

-<br />

27.<br />

Adrien d'Epinay à M. Stanley.<br />

Londres,<br />

24 décembre 1833.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

De toutes les accusations portées contre les habitants de Maurice il n'en est pas une qu'ils n'aient<br />

plus d'intérêt à détruire que celle d'entretenir contre le Gouvernement de Sa Majesté des sentiments de<br />

haine, dérivant de préjugés nationaux. Comme leur origine française suffit pour donner à cette<br />

accusation, au premier abord, une apparence de fondement, c'est aussi celle qui est la plus facilement<br />

accueillie.<br />

Vous me permettrez donc, Monsieur, de consacrer cette lettre à combattre toute impression<br />

défavorable que vous auriez pu recevoir vous-même à ce sujet.<br />

Une protestation de fidélité et de dévouement, une profession de foi bien franche et bien formelle<br />

ne suffirait pas ici. Je sens qu'il vous faut quelque chose de plus dans un moment où vous allez decider<br />

du sort de notre Colonie.<br />

Je ne sais, Monsieur, si vous avez été instruit des circonstances dans les quelles l'Ile de France a<br />

été conquise par les armes de Sa Majesté Britannique. Un fait qui ne saurait être contesté, c'est qu'il y<br />

existait un parti qui désirait le changement de domination, et qui l'a vu avec plaisir: c'est qu'il n'était pas<br />

139


possible d'être plus malheureux qu'on le fut pendant la dernière guerre, sans communication presque<br />

avec l'Europe, sans commerce, sans ressource d'aucune nature.<br />

Aussi, rien ne fut plus facile au Gouvernement anglais [que] d'établir sa domination ; quels que<br />

fussent ses empiètements sur les droits des Colons, ils ne s'en plaignirent pas, les considérant comme une<br />

conséquence de l'état de conquête.<br />

Vous auriez difficilement une idée de l'arbitraire qui a régné à Maurice; il ne peut être comparé<br />

qu'à celui qui y règne en ce moment; les formes étaient seulement moins violentes. Il n'y avait, à<br />

proprement parler de règles administratives et de lois que la volonté du Gouverneur. Un mémoire, que<br />

j'ai présenté en 1830 au Très Honorable Secrétaire d'Etat, votre prédécesseur, faisait connaître le<br />

véritable état des choses.<br />

Les faits qui y sont rapportés indiquent le système adopté; les Colons qualifiés de Français étaient<br />

exclus de toutes les places, de tous les emplois publics où ils n'étaient pas absolument indispensables.<br />

Une ligne de démarcation était établie par le Gouvernement lui-même entre les sujets anglais et les sujets<br />

dits français. La préférence était, dans tous les cas de concurrence et de compétition, donnée aux<br />

premiers, lors même qu'ils étaient le moins dignes de la faveur accordée.<br />

Tant que nous avons été sujets conquis, nous avons pu non pas approuver, mais, du moins,<br />

concevoir ces motifs de préférence.<br />

Mais lorsque, par la cession de l'Ile de France à l'Angleterre, nous sommes devenus Anglais, nous<br />

avons du espérer qu'un semblable système serait changé. Loin de là, il a été maintenu et n'a fait que des<br />

progrès jusqu'au temps actuel.<br />

Encore aujourd'hui, toutes les places sont données aux sujets d'origine anglaise. Tous les chefs de<br />

départements, tous les assistants sont pris dans cette classe.<br />

A la Douane, au Secrétariat, au Trésor, au Bureau du Receveur Général, dans tous les départements<br />

sont des employés natifs du pays, pères de famille, servant depuis 23 ans dans le même office, sans<br />

avancement, sans espoir d'avancement. Ils ont vu vingt fois les places du chef et de l'assistant vacantes,<br />

puis remplies par des jeunes gens auxquels ils avaient eux-mêmes enseigné le travail. C'est que ceux-ci<br />

venaient d'Angleterre.<br />

J'ai vu, à Maurice, des hommes venus d'Angleterre recevoir des appointements de £50 par mois<br />

sans remplir aucun emploi; d'anciens serviteurs, des hommes qui avaient vieilli dans les fonctions<br />

publiques finissaient leur carrière dans la misère, lorsque leurs places étaient occupées par de tout jeunes<br />

gens,<br />

J'ai vu un vieillard vénérable, ancien magistrat au Conseil Supérieur, un homme dont le nom est<br />

attaché au recueil de nos anciennes lois, recueillies et mises en ordre par lui. M. Delaleu (96) enfin,<br />

obligé, pour vivre, de travailler, à l'âge de 80 ans, comme simple commis dans les bureaux dont il avait<br />

été le chef et dont le nouveau chef était, de son propre aveu, incapable d'exercer les fonctions.<br />

140


Il n'y a pas un seul département où l'on ne trouve des traits de cette nature. Il en résulte que la classe<br />

privilégiée veut maintenir sa position, que la classe opprimée veut sortir de la sienne,<br />

Vous concevez qu'il est assez naturel que les fonctionnaires voyent avec mécontentement les<br />

efforts que nous faisons pour sortir de la situation où nous sommes; mais leur intérêt les rend injustes; ils<br />

accusent nos intentions, nous lancent à la tête l'épithète de Français et nous font un crime d'une<br />

démarcation créée par eux et à leur profit. De notre côté, pouvons-nous voir avec plaisir des hommes<br />

favorisés à notre détriment? S'il arrive qu'à l'épithète de Français on réponde par celle d'Anglais, on est<br />

accusé de haine nationale. Voilà toute l'affaire.<br />

Connaissez-vous, Monsieur, rien de plus insupportable que la position d'un homme qui a le<br />

sentiment de son mérite et qui se voit condamné à ne jamais avancer? C'est dans les professions nobles<br />

surtout qu'il en faut prendre des exemples, et dans celles où l'avancement est de règle dans tous les pays<br />

civilisés.<br />

Ainsi la Magistrature et le Barreau. Ici, par toute l'Europe, un avocat considère la magistrature<br />

comme le but de son ambition; puissante émulation pour les talents et les vertus. Le jeune magistrat<br />

aspire aux rangs plus élévés. La magistrature n'est confiée qu'aux hommes qui joignent aux<br />

connaissances spéciales de la profession celles des mœurs et des coutumes des pays, Mais à Maurice<br />

quel bouleversement de toutes les règles et de tous les principes!<br />

Notre premier Chef-juge, Mr Shaw (97), qui reçut pendant trois [ans] les hauts salaires attachés à<br />

sa charge, ne s'occupa jamais des affaires judiciaires, n'entra même jamais dans les Cours de Justice.<br />

Notre second Chef-juge commença à Maurice les études de nos lois et il était sourd (98) !<br />

Je n'ai que des éloges à faire du troisième (99).<br />

Nous avons vu siéger à la Cour Suprême des hommes d'origine ; anglaise, qui n'avaient même<br />

jamais étudié les lois de l'Angleterre!<br />

L'ancienneté, les mérites, les vertus ne sont point de bonnes recommandations, si l'on a pour<br />

compétiteur un Anglais d'origine, quelqu'incapable d'ailleurs qu'il puisse être.<br />

Voilà le système dont je me suis surtout plaint au Très Honorable Lord Goderich, qui me promit de<br />

le faire cesser.<br />

Cependant. Monsieur, depuis cette époque nous avons vu nommer M. Reddie aux fonctions de<br />

Président du Tribunal de Première Instance, M, Jeremie aux fonctions cumulées de Procureur Général,<br />

d'Avocat-Général, de King's Advocate, Mr Williams à celles de Substitut du Procureur-Général, M. Bury,<br />

employé de la douane, à celles de Greffier-en-chef de la Cour Suprême. Et après cela on trouve étonnant<br />

que des hommes privés du noble objet de leur ambition, que le Barreau surtout soit mécontent! Est-ce<br />

chose juste? Prononcez, Monsieur.<br />

Voilà donc un sujet de plainte grave pour les habitants de Maurice. Celui-là n'existait pas dans les<br />

autres colonies. Cependant ces colonies, qui n'avaient même pas à se plaindre qu'on les eût privées de<br />

141


leurs Assemblées Coloniales, n'ont-elles pas montré de l'opposition et souvent une violente opposition<br />

aux vues du Gouvernement de Sa Majesté? Ont-elles pour cela été accusées d'entretenir des sentiments<br />

de haine nationale?<br />

Si la Jamaïque, par exemple, était peuplée d'habitants d'origine française, serait-elle à l'abri de<br />

l'accusation portée contre nous? Ne la trouverait-on pas d'autant plus coupable qu'elle a une Assemblée<br />

Coloniale, lorsque nous sommes privés de la nôtre, et que les natifs du pays n'y sont pas exclus des<br />

charges et des emploi publics, comme ils le sont chez nous?<br />

Il est donc vrai de dire que l'on puise, dans le hasard de notre origine, un prétexte de grave<br />

accusation contre nous. N'est-il pas plus naturel d'attribuer l'opposition que le Gouvernement a<br />

rencontrée à Maurice au motif qui a créé la même opposition dans dix-huit autres colonies,<br />

Si encore elle avait toujours existé, on pourrait soupçonner le motif de haine nationale; mais non,<br />

Sir Robert Farquhar, Sir Lowry Cole n'ont jamais rencontré d'opposition. Elle a commencé le jour où le<br />

premier Ordre en Conseil pour l'amélioration du sort des esclaves nous a été envoyé. Voilà donc le vrai<br />

motif. Pourquoi le chercher ailleurs?<br />

Mais allons plus loin. Quel intérêt aurions-nous à nous détacher de l'Angleterre? Quand en avonsnous<br />

exprimé le désir? Nos habitudes sont anglaises, nos goûts sont anglais (100), C'est avec l'Angleterre<br />

que nous avons toutes nos relations commerciales. Nous y trouvons des capitaux que nous chercherions<br />

vainement en France. Elle donne à notre commerce une protection que celui des colonies françaises n'a<br />

certainement pas. Son gouvernement a une marche plus régulière. Sa politique coloniale repose sur des<br />

principes fixes et ne varie pas selon le caprice du jour, comme on le voit en France. Sous le<br />

gouvernement anglais l'agriculture a fait des progrès immenses. Le sacrifice que la nation vient de faire<br />

pour indemniser les colons annonce qu'elle veut conserver ses colonies, tandis que la France semble<br />

fatiguée des siennes.<br />

En temps de guerre nous n'éprouverons pas, sous la protection de la Grande Bretagne, la misère et<br />

les privations que nous avons éprouvées dans la dernière guerre. Il y aurait donc folie à désirer un<br />

changement de domination.<br />

Que resterait-il alors? Le préjuge national… Quoi? Après vingt-trois ans que, Anglais et Français,<br />

nous vivons ensemble, que tant de mariages et d'associations se sont formés entre nous? Des préjugés<br />

aujourd'hui qu'on en voit à peine quelques traces en Europe (101) !<br />

Des préjugés chez nous, qui avons applaudi à la loi qui relève les mulâtres des incapacités civiles,<br />

à celle qui abolit l'esclavage! Et pour un préjugé nous sacrifierions nos intérêts, notre avenir! Non, ce<br />

n'est pas supposable.<br />

Maintenant, Monsieur, si, au lieu de nous disculper respectueusement comme je fais ici, nous<br />

rendions reproche pour reproche, ne pourrions-nous pas dire que c'est le Gouvernement qui ne cesse de<br />

nous rappeler que nous sommes Français en divisant les sujets Mauriciens en deux catégories, l'une<br />

jouissant de toutes les faveurs, l'autre supportant toutes les charges? Ne pourrions-nous pas, à notre tour,<br />

142


demander ce qu'il a fait pour nous rendre Anglais? C'est line question à laquelle on ne répondrait<br />

certainement pas par des faits. Le Gouvernement nous a-t-il donné ces institutions libérales que toute la<br />

terre envie aux Trois Royaumes, le droit de représentation et le jury? Ne nous a-t-il pas tenu 21 ans sous<br />

le régime de la censure? N'a-t-il pas chargé les sucres de Maurice pendant l5 ans d’un droit de 10<br />

shillings plus fort que celui de 17 autres Colonies Britanniques? Nous a-t-il ouvert la carrière des armes,<br />

celle de l'administration ? Ne nous a-t-il pas, au contraire, trouvés indignes de porter les couleurs<br />

nationales en nous refusant une milice comme il en existe dans toutes les autres colonies? Ne sommesnous<br />

pas encore aujourd'hui privés du droit d'avoir un agent en Angleterre? Qu'a fait le Gouvernement<br />

pour la religion qui est chaque jour de plus en plus négligée, pour l'instruction de la classe pauvre? N'a-til<br />

pas détruit la dernière garantie que nous trouvions dans l'inamovibilité des Juges? Cette inamovibilité<br />

existe encore en droit, elle est encore une loi et, cependant, des magistrats, des juges sont destitués tous<br />

les jours quand leurs jugements déplaisent au pouvoir!<br />

Supposez, Monsieur, que nous soyons d'origine anglaise, trouveriez-vous que nous avons sujet<br />

d'être satisfaits? Supposez que la France traite ainsi une de ses colonies, trouveriez-vous les habitants<br />

coupables de se plaindre?<br />

Nous sommes plus maltraités qu'aucune colonie anglaise ou française.<br />

Voilà ce qui cause nos réclamations.<br />

Dites un mot, Monsieur, un seul mot, l'union, la paix, le bonheur, peut-être, reparaîtront chez nous<br />

et vous verrez que notre Souverain n'a pas de sujets plus loyaux et plus affectionnés que ses sujets de<br />

Maurice, Anglais, ils demandent à être traités comme des Anglais.<br />

Sir,<br />

28.<br />

M. Lefevre à Adrien d'Epinay.<br />

Je suis, etc.,<br />

Downing Street,<br />

A.D’EPINAY<br />

7th January 1834.<br />

I am directed by Mr. Secretary Stanley to acknowledge the receipt of your letter of the 24th<br />

December last and to inform you that, as he is in expectation of receiving very soon from the Mauritius a<br />

detailed account of the proceedings which have been instituted against MM. Brodelet, de Keating and<br />

others (102), which will probably afford much additional information on the subject of the illegal arming<br />

in the Mauritius, Mr. Stanley does not think it advisable to communicate with you on that subject at<br />

143


present. I am to observe to you, however, that the impression which the government has entertained of<br />

the existence of such illegal arming and which you consider as not only erroneous, but as unjust towards<br />

the inhabitants of the Mauritius, was necessarily corroborated by the address of the inhabitants<br />

themselves to the governor, on the 5th April 1832, in which they state as follows: "Oui, nous sommes<br />

tous munis d’armes nécessaires à notre défense; oui, nous convenons des lieux où nous devons nous<br />

réunir à l'heure du danger ",<br />

Monsieur,<br />

29.<br />

Adrien d'Epinay à. M. Lefevre,<br />

I have the honour to be, etc.<br />

Londres,<br />

9 janvier 1834.<br />

J. LEVEVRE.<br />

Je suis heureux d'apprendre que Mr Stanley attend le résultat de la poursuite dirigée, par ordre du<br />

Gouverneur de Maurice, contre Messieurs Brodelet et autres. La connaissance personnelle que j'ai de<br />

tout ce qui s'est passé à Maurice, les lettres que j'ai reçues, notamment des avocats chargés de la défense<br />

de ces Messieurs, me font considérer cette circonstance comme très favorable à la cause des Colons, et<br />

j'attendais moi-même des nouvelles de la Colonie pour m'adresser de nouveau au Très Honorable<br />

Secrétaire d'Etat.<br />

Vous me parlez, Monsieur, des suspicions qui pourraient ressortir de deux phrases d'une adresse<br />

faite à Son Excellence le Gouverneur, le 5 avril 1832. Leur explication est dans l'adresse elle-même qui<br />

fait connaître que l'on a les plus grandes craintes d'une insurrection de la part des esclaves. Voici toute<br />

l'adresse:<br />

Général,<br />

«A Son Excellence Sir Charles Colville, Gouverneur de l'Ile Maurice, etc., etc.,<br />

Votre Excellence a trop l'expérience des choses humaines pour ne pas être convaincue que la<br />

plupart des troubles publics et des dissensions politiques sont le résultat d'un sentiment de méfiance que,<br />

de part et d'autre, on a négligé ou dédaigné de détruire. Notre devoir est d'éviter ce reproche.<br />

Nous venons donc déclarer franchement et ouvertement à Votre Excellence que des malveillants,<br />

des ennemis de la Colonie, des traîtres seuls ont pu répandre «le bruit que les Colons avaient l'intention<br />

144


de résister par la force des armes au Gouvernement de Sa Majesté. Ils sont menacés de trois grands<br />

dangers, Votre Excellence les connaît.<br />

D'un côté, les erreurs fatales que partagent les Ministres de Sa Majesté; de l’autre, une population<br />

inquiète, à demi-sauvage, nombreuse, disposée à la révolte et qui menace de porter en tous lieux le fer et<br />

la flamme. Contre elle les forces dont Votre Excellence dispose seraient insuffisantes. Elles peuvent<br />

réprimer le mal, l'arrêter dans son cours; elles ne sauraient le prévenir. Bien des familles auraient été<br />

massacrées, avant que vos troupes fussent même prévenues.<br />

Rien ne contribuerait mieux à rétablir la confiance, à calmer toutes les inquiétudes, que l'assurance<br />

d'un accord parfait entre Votre Excellence et les Colons, entre la garnison et les citoyens.<br />

Nous sommes disposés à donner à Votre Excellence les gages qu'elle peut désirer de la loyauté de<br />

nos sentiments. Oui, nous sommes tous munis d'armes nécessaires à notre défense; oui, nous convenons<br />

des lieux où nous devons nous réunir à l'heure du danger; mais, en même temps, nous repoussons toute<br />

idée d'insurrection. Armés contre la conspiration, ce n'est pas nous qui voudrons conspirer.<br />

Nous protestons contre tout acte qui serait contraire à nos devoirs. Comme sujets britanniques,<br />

nous repoussons avec indignation les odieux soupçons que des infâmes auraient fait naître contre la<br />

loyauté de nos sentiments<br />

C'est elle qui nous commande de déclarer à Votre Excellence que nous voyons avec effroi<br />

s'avancer vers nos rivages un homme qui s'annonce comme l'apôtre de nos ennemis forcenés, l'exécuteur<br />

de leurs desseins contre les «Colonies; sa présence portera le désespoir à son comble. Elle peut causer<br />

des malheurs affreux; notre devoir est de le dire à Votre Excellence dont la sagesse saura les prévenir»,<br />

(Suivent les signatures)<br />

Remarquez, Monsieur, que, dans cette pièce, il n'est parlé que d'armes nécessaires à notre<br />

défense, et nous en avons, en effet. Nous en avons toujours eu. Quand on est obligé de vivre au milieu de<br />

plusieurs centaines de travailleurs à demi-sauvages et loin de toute force militaire, comme c'est le cas sur<br />

toutes les habitations, il faut être armé. Vous ne savez peut-être pas qu'à Maurice il n'y a de postes<br />

militaires que sur le rivage et que, dans l'intérieur, il n'y a pas un seul homme, de police même, armé<br />

pour porter secours en cas de besoin. Si le Gouvernement local avait demandé une déclaration de toutes<br />

les armes existant dans l'île, on l'eût donnée immédiatement avec une scrupuleuse exactitude. Il aurait<br />

vu, alors, qu'effectivement nous sommes armés.<br />

Nous avons ajouté: assez pour notre défense parce qu'il eût été bien impolitique de dire dans un<br />

acte public, et dont les travailleurs devaient avoir connaissance, que nous n'avions pas assez d'armes<br />

pour notre défense.<br />

L'adresse dit aussi: « Nous convenons des lieux où nous devons nous réunir à l'heure du danger.»<br />

Ceci, Monsieur, s'est toujours fait quand il y a un danger à Maurice et n'a jamais pu être considéré<br />

145


comme une mauvaise action. Il faut bien que les familles sachent où se retirer en cas d'insurrection. Il y a<br />

même à Maurice d'anciens ordres du Gouverneur qui indiquent les lieux de réunion. Ainsi, pour le<br />

quartier de Moka, le lieu convenu a toujours été le Château du Réduit, demeure du Gouverneur.<br />

Mais une semblable déclaration dans une pièce officielle, signée des plus anciens Colons, prouve<br />

bien qu'il n'y avait pas de complot.<br />

Il faut prendre l'adresse dans son ensemble ou la rejeter dans son ensemble.<br />

Il n'y aurait pas de justice à n'y prendre que deux phrases qui, isolées, peuvent être mal interprétées, mais<br />

qui, unies au reste, ne prouvent que notre loyauté et notre franchise.<br />

Je vous envoie la réponse qu'y a faite le Gouverneur, réponse qui porte bien textuellement qu'il a<br />

autorisé la formation des volontaires (103).<br />

J'avais préparé, pour être mise sous les yeux du Très Honorable Secrétaire d'État, une note de nos<br />

griefs; comme elle contient des allusions personnelles et que j'ai toujours eu à cœur de les éviter, j'ai<br />

hésité à vous l'envoyer, et je vous déclare même que j'aimerais autant ne pas être dans la nécessité de le<br />

faire, Dans un moment où je désire et je demande, au nom des Colons, l'oubli du passé et des mesures<br />

conciliatrices je voudrais pouvoir être dispensé de porter, de mon côté, des accusations qui retarderaient<br />

cette parfaite union qu'il est si désirable, dans l'intérêt de tous, de rétablir, pour durer toujours, entre les<br />

sujets de Sa Majesté à Maurice.<br />

Je suis, etc,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

P.S. Lorsque je dis que nous avons des armes, j'entends celles de chasse, de luxe et de curiosité,<br />

Car les mousquetons, dont on s'était procuré quelques uns, sont rentrés dans le commerce aussitôt après<br />

la dissolution du corps des volontaires. C'est le meilleur article pour trafiquer avec Madagascar. Quant<br />

aux munitions de guerre, il n'en a jamais existé.<br />

Messieurs,<br />

30.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial.<br />

Londres,<br />

9 janvier 1834.<br />

Bien que vous m'annonciez qu'une proclamation du Gouverneur ordonne la dissolution du Comité<br />

Colonial, je continuerai à correspondre avec vous 1o. parce que vous avez eu les pouvoirs des habitants<br />

146


pour me conférer la mission dont j'ai l'honneur d'être chargé ; 2o. parce que j'espère que vous n'aurez pas<br />

donné à nos compatriotes le mauvais exemple d'obéir à un acte illégal et insolite. Le Gouverneur, qui<br />

vous reproche de désobéir aux lois, devrait au moins donner l'exemple du respect et de l'obéissance à<br />

celles qui restent encore écrites.<br />

Depuis ma dernière lettre, j'ai eu encore, le 13 décembre, une entrevue avec M. Lefevre. Elle a eu<br />

lieu en présence de Mr Irving, et a duré quatre heures.<br />

Toutes les accusations portées contre nous et continuées jusqu'à présent se résument à celles de<br />

conspirer contre le Gouvernement de Sa Majesté. C'est aussi celle que je me suis le plus particulièrement<br />

occupé de combattre.<br />

Le 7 de ce mois, j'ai reçu une lettre de M. Lefevre qui me dit que M. Stanley se réserve de répondre<br />

à mes mémoires et à mes réclamations à ce sujet, lorsqu'il aura eu connaissance du résultat de la<br />

poursuite dirigée contre MM. Brodelet et autres habitants du Grand-Port. En même temps, il me<br />

demande une explication sur les termes de notre adresse du 5 avril 1832 à Sir Charles Colville. Elle n'a<br />

pas été difficile à donner. L'explication se trouve dans l'adresse elle-même que l'on a eu, je crois, la<br />

loyauté de ne pas transmettre au Ministre. C'est, à mon avis, le meilleur document en notre faveur; j'y ai<br />

joint la réponse de Sir Charles Maintenant, j'attends, avec plus d'impatience que d'anxiété, le résultat de<br />

la poursuite dirigée contre ces Messieurs. Elle aura, je n'en doute pas, tourné à la honte de leurs<br />

persécuteurs.<br />

M. Stanley a été plus d'un mois absent. Le Parlement reprend ses séances le 4 février. Je pense<br />

donc qu'avant cette époque le Ministre aura décidé de toutes les affaires de Maurice.<br />

Vous verrez dans les journaux le canevas sur lequel seront faits les réglements particuliers pour<br />

l'exécution du Bill (d'émancipation). Ces instructions me paraissent assez sages.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

31.<br />

Monsieur,<br />

Adrien d'Epinay à Monsieur Lefevre.<br />

Londres,<br />

J'ai l'honneur de vous transmettre une lettre de Sir Charles Colville en réponse à deux questions<br />

que je lui ai adressées au sujet des armements à Maurice. Je n'y ai fait qu'une seule observation que vous<br />

verrez en marge. La date peut être facilement vérifiée.<br />

Je suis, etc,<br />

A <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

147


Monsieur,<br />

32.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre,<br />

J'ai l'honneur de vous communiquer un document qui m'est transmis par MM. Brodelet, de<br />

Keating, Fenouillot, de Robillard et Grandmange ; vous y verrez combien la loi est violée à leur égard<br />

par le Procureur Général et le Procureur du Roi dont le but est de prolonger autant qu'ils le pourront la<br />

détention des prisonniers dont l'innocence n'est plus une chose douteuse pour qui que ce soit.<br />

Je supplie encore M. Stanley de m'accorder une audience et d'être touché de l'état malheureux de la<br />

population de l’Ile Maurice.<br />

Monsieur,<br />

33.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre.<br />

Londres,<br />

Je suis, etc.,<br />

17 février 1834.<br />

A, <strong>D'EPINAY</strong><br />

Les dernières lettres de Maurice me donnent des détails que je ne connaissais pas et que je serais<br />

bien coupable de laisser ignorer au Très Honorable Secrétaire d'Etat. Je n'ose me flatter qu'il prendra une<br />

détermination sur les affaires de Maurice avant de connaître le résultat de la poursuite dirigée contre<br />

Messieurs Brodelet et autres. Mais je dois, pour l'acquit de ma conscience, dire ce qui se passe:<br />

Tandis qu'en Angleterre le Très Honorable Secrétaire d'Etat remet sa décision à l'époque de celle<br />

où l'accusation portée contre la prétendue conspiration sera connue, le Gouverneur et les Magistrats de la<br />

Colonie emploient les moyens les plus extraordinaires pour éloigner cette décision. Ce que je vais vous<br />

rapporter serait qualifié de crime en France et en Angleterre.<br />

148


Le Code d'instruction criminelle exige, article 168, que les assises soient tenues tous les trois mois;<br />

il n'y a eu à Maurice, jusqu'au 15 novembre 1833, époque des dernières nouvelles, que deux termes<br />

d'assises. Cependant, les prisons contiennent un grand nombre d'accusés et les instructions sont faites.<br />

Le même Code exige, article 105, que, dans les trois jours du dépôt de l'instruction au Greffe, le<br />

Procureur du Roi présente son réquisitoire. Ce Magistrat n'en a rien fait, bien qu'on l'ait mis en demeure<br />

d'exécuter la loi.<br />

Ces deux violations manifestes des lois criminelles ont causé les plaintes des accusés auxquels on<br />

a fait, en réponse, trois objections que je m'abstiens de qualifier.<br />

La première, qu'autrefois des hommes d'un autre parti étaient restés longtemps en prison sans que<br />

leur sort eût mérité les plaintes des accusés actuels.<br />

La seconde, que l'article 107 du Code d'instruction n'est pas exécutable; il l'est depuis 40 ans en<br />

France; il l'est à Bourbon; il l'a été à Maurice, pendant que M. d'Epinay était Procureur Général.<br />

La troisième, que ces articles, ne contenant aucune disposition pénale, on pouvait se dispenser de<br />

les exécuter !!<br />

Je n'ajoute à cela aucune réflexion; voulant me borner à des faits.<br />

Les lettres que je reçois de personnes d'un esprit froid, et dignes de foi, me représentent le pays<br />

gémissant sous-une oppression telle que l'on ne peut l'obtenir qu'au moyen de la terreur. Le désespoir est<br />

d'autant plus grand que les actes législatifs, administratifs et judiciaires sont tous dictés par un sentiment<br />

de haine et de vengeance, et semblent calculés de manière à exciter les Colons à une résistance qui serait<br />

le signal du massacre des familles; on ne doute pas que ce ne soit ce but où tend M. Jeremie.<br />

Le Gouverneur évite toute communication avec les Colons, et n'a que des préventions contre eux.<br />

Je peux citer beaucoup de faits qui le prouvent.<br />

M. Jeremie, M. Reddie et le Procureur du Roi, qui composent un triumvirat qui gouverne tout, ne<br />

s'occupent que d'exercer des vengeances personnelles; ils font publier toutes les lois au gré de leurs<br />

passions.<br />

Des lois plus monstrueuses les unes que les autres sont tous les jours publiées, L'une d'elles<br />

déshonore le Barreau; elle donne au Gouverneur le droit de créer des avocats, droit qui ne peut<br />

appartenir qu'à une Université, et fait dépendre la nomination des avoués, non du corps auquel ils<br />

appartiendront, non du Gouverneur ou du Chef Juge, mais de M. Jeremie, de M. Reddie, et du Procureur<br />

du Roi!<br />

Une autre loi impose une amende au malheureux qui sera en retard de payer ses impositions.<br />

Le droit de pétition est dénié aux Colons, et, en même temps, M. Jeremie en fait courir une en sa<br />

faveur. Il est défendu au Barreau de s'assembler sans l'autorisation de M. Jeremie, afin qu'il ne se plaigne<br />

pas de ses actes. Les hommes les plus vils et les plus déshonorés sont appelés aux fonctions publiques.<br />

Le Gouvernement a organisé un système d'espionnage semblable à ceux dont on a vu des exemples sur le<br />

continent.<br />

149


Voilà le sommaire de ce qui se passe, Je vous en donnerai les détails si vous avez la bonté de<br />

m'accorder une audience (104).<br />

Je n'ai jamais eu la prétention que le Très Honorable Secrétaire d'Etat eut prononcé avant d'être<br />

instruit de tous les faits, mais ce que j'espérais c'est qu'au moins le supplice auquel les habitants de<br />

Maurice sont livrés, depuis dix mois bientôt, soit suspendu jusqu'à ce que l'on se soit assuré s'ils sont<br />

coupables ou non. Voilà ce que je demande s'il en est temps encore. La peine ne doit pas précéder le<br />

jugement.<br />

Pendant que Maurice est ainsi traitée, l'île Bourbon est appelée, par une nouvelle Charte, à jouir<br />

des institutions libérales de la métropole.<br />

J'ai hésité longtemps à vous le dire, mais c'est une vérité que je serais coupable de taire plus longtemps.<br />

Avec les hommes et les institutions qui régissent aujourd'hui Maurice, il n'est plus de bonheur, de repos<br />

et d'ordre à espérer pour elle. Ce pays est, sans contredit, le plus malheureux de la terre et celui qui a le<br />

moins mérité le traitement qu'il éprouve.<br />

Ne croyez pas, Monsieur, que ce langage soit l'effet d'une impression récente ou passagère. Il est<br />

réfléchi. Vous en pouvez juger à la constance avec laquelle j'attends, depuis neuf mois, la justice qui nous<br />

est due sans même me plaindre de ce que notre ennemi a été moins de jours à faire admettre toutes ses<br />

accusations contre nous que nous de mois à faire entendre notre justification.<br />

Je n'en persiste pas moins dans toutes les assurances que je n'ai cessé de vous donner de ma<br />

confiance entière en la justice du Très Honorable Secrétaire d'Etat et de la disposition des Colons à<br />

donner au Gouvernement de Sa Majesté tous les gages qui lui seront demandés de leur fidélité et de leur<br />

loyauté.<br />

Monsieur,<br />

34.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Londres, 3 mars 1834.<br />

J'ai l'honneur de vous adresser des documents qui me sont transmis de la prison où ils gémissent<br />

depuis six mois, privés de la protection des lois, par MM. Brodelet, de Keating, de Robillard, de<br />

Fenouillot et Grandmange, victimes des fureurs de MM. Jeremie, Reddie, et Laborde. J'y joins une lettre<br />

150


privée de M. Brodelet à moi. L'on m'a dit que les dernières dépêches du Gouverneur étaient du 16<br />

janvier; la lettre de M. Brodelet va jusqu'au 19. Comme, jusqu'à présent, toutes mes prévisions se sont<br />

réalisées, j'ose espérer que vous ajouterez quelque crédit à ce que je vais vous dire: si le Très Honorable<br />

Secrétaire d'Etat attend le jugement de l'affaire du Grand Port pour prendre une décision finale, nous<br />

devons désespérer de sa justice, et je n'ai d'autre parti à prendre que d'annoncer aux habitants de Maurice<br />

qu'ils n'en doivent attendre aucune. Car M. Jeremie ne fera pas juger les habitants du Grand-Port.<br />

Convaincu, aussi bien que moi, qu'ils ne sont pas coupables plus que vous et sachant que leur<br />

acquittement est sa condamnation, il agira de manière à éviter le jugement.<br />

C’est dans ce but, n'en doutez pas, qu'il a obtenu du Conseil (Législatif), à raide d'une fausse<br />

interprétation d'une loi étrangère à la matière, la suspension provisoire de la Cour. Par cet acte le Conseil<br />

traite la Cour comme si elle était en état d'accusation, tandis qu'elle n'est que récusée. Le Conseil,<br />

composé, outre M. Jeremie, d'hommes étrangers aux lois, est tombé dans le piège qui lui est tendu. M.<br />

Jeremie ne manquera pas de lui dire que, pour être conséquent avec lui-même, il doit ouvrir une enquête.<br />

Cette proposition admise, M. Jeremie, maître de la procédure, prolongera l'enquête autant qu'il lui plaira,<br />

et d'autant plus qu'il prolongera en même temps la suspension de la Cour et la détention des accusés, ce<br />

qui est aussi son but. Si le Conseil s'oppose à ses vues, il se retirera ou attribuera l'acquittement des<br />

accusés à une intrigue. Quelque chose qui arrive, il se réserve une porte de sortie. Il est donc clair que le<br />

Très Honorable Secrétaire d'Etat ne sera pas plus avancé après le jugement qu'il ne l'est maintenant; et,<br />

pendant qu'il attend, le mal va croissant, le supplice d'une population devient plus horrible. Je ne sais<br />

comment il sera possible de faire oublier tant de souffrances. J'avais une dernière lueur d'espoir; mais<br />

votre silence, après la promesse que vous m'aviez faite de me faire appeler aux réceptions des dépêches<br />

du Gouverneur, la fait disparaître. Ce que j'en fais maintenant n'est donc plus que pour l'acquit de ma<br />

conscience.<br />

35.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.<br />

A <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Note envoyée par Adrien d'Epinay au Bureau Colonial.<br />

Le 4 mars 1834.<br />

RAISONS POUR UNE ASSEMBLÉE COLONIALE.<br />

151


Elle est considérée, à Maurice comme un droit dont on a joui pendant 12 ans, qui a été suspendu,<br />

mais Jamais révoqué.<br />

Elle place Maurice sur le même pied que les autres colonies anglaises, et est l'exécution de la<br />

promesse qui lui a été faite d'être traitée comme les colonies anglaises les plus favorisées.<br />

Maurice étant sous une législation particulière qui n'est commune à aucune autre possession de S.<br />

M., ses lois locales ne peuvent être bien faites que par les hommes du pays.<br />

L'expérience de 12 années prouve que les Colons, en Assemblée Coloniale, sont disposés à<br />

supporter le Gouvernement. C'est que des propriétaires ont plus d'intérêt à fortifier le pouvoir qu'à<br />

l'affaiblir.<br />

Dans les autres colonies, si les Assemblées ne sont pas bien composées. c'est que, les propriétaires<br />

ne résidant pas, l'élection porte sur des agents qui n'ont pas un intérêt direct et personnel sur la chose.<br />

Le Gouvernement ayant toujours le droit de rejeter une loi, si elle ne lui convient pas, qu'importe<br />

qu'elle émane d'une Assemblée ou d'un Conseil?<br />

Quelle sera la langue dans un Conseil, si les membres inofficiels n'entendent pas l'anglais, et si les<br />

autres n'entendent pas le français? Cet inconvénient ne peut se rencontrer dans une Assemblée.<br />

Au Conseil actuel, six membres n'entendent ni ne lisent l'anglais, deux n'entendent pas le français.<br />

Un des premiers soutenait dernièrement la non-existence d'une loi publiée depuis quinze jours et votée à<br />

l'unanimité.<br />

Une Assemblée est une mesure complète et après laquelle il n'y a plus rien à demander. Un Conseil<br />

est une demi-mesure qui laisse un prétexte à l'opposition.<br />

Dans une Assemblée tous sont égaux; dans un Conseil, il y a des préséances qui choquent toujours.<br />

Là, les discussions vives sont sans conséquence ; ici, elles peuvent en avoir de graves en présence du<br />

représentant du Roi; il ne faut pas qu'on puisse lui manquer de respect.<br />

A Maurice on sera toujours humilié et mécontent d'avoir des institutions moins libérales qu'à<br />

Bourbon: la comparaison a toujours été un argument sans réplique contre le Gouvernement.<br />

Dans le Conseil, il y aura une démarcation naturelle ou plutôt légale entre les élus et<br />

fonctionnaires. Les premiers seront obligés de voter toujours ensemble pour n'être pas accusés par leurs<br />

constituants.<br />

Si le Conseil est électif, pour moitié des membres, il est clair que les électeurs pourront, si cela leur<br />

plaît, nommer un fonctionnaire. Ainsi, le côté du pouvoir peut être renforcé, l'autre jamais.<br />

Si un élu ne vote pas comme le veulent ses constituants, ceux-ci ne peuvent le destituer, tandis que<br />

le Gouvernement peut destituer ses fonctionnaires, De plus, il a le droit de dissoudre le Conseil si les<br />

élections ne lui plaisent pas.<br />

Le pouvoir est assuré d'avoir toujours la majorité, les électeurs jamais.<br />

152


Un Conseil laissera-t-il toujours au Roi la faculté de régir par des Ordres en Conseil? Voilà ce<br />

qu'on craint le plus.<br />

Les discussions d'un Conseil où tous ne parlent pas la même langue peuvent-elles être publiques?<br />

Si le Gouvernement nomme la moitié des membres, n'est-il pas à craindre qu'il ne veuille pas appeler les<br />

Colons aux fonctions qui donnent l'entrée au Conseil ?<br />

Si un Conseil peut être formé et ses attributions réglées de manière à éviter ces inconvénients ou à<br />

donner aux Colons autant de garanties qu'ils trouveraient dans une Assemblée Coloniale, ils n'auront<br />

aucune raison de se plaindre.<br />

INAMOVIBILITÉ DES JUGES.<br />

Sous l'ancienne monarchie française tous les Juges étaient inamovibles, On a vu sous les Rois les<br />

plus absolus des exils, mais jamais de destitutions; elles ne peuvent être prononcées que par les<br />

tribunaux,<br />

Le principe d'inamovibilité a été consacré par les Constitutions de l’Assemblée Nationale, de la<br />

République, de l'Empire et l'on peut voir, d'après ce qui s'est passé en France, en 1830, combien il y est<br />

respecté.<br />

Aucune loi ne l'a détruit à Maurice, Au contraire, le Gouverneur Farquhar ayant pris sur lui de<br />

destituer deux Juges, le Roi les a rétabli dans leurs fonctions.<br />

Il est vrai que les commissions des Juges actuels portent une restriction qui conserverait au Roi la<br />

faculté de révoquer leur nomination. Mais une loi fondamentale et constitutionnelle peut-elle être<br />

détruite par une restriction insérée dans une commission qui n'est, en quelque sorte, qu'un acte privé<br />

entre le Roi et le Juge?<br />

La garantie de l'inamovibilité n'est pas donnée au profit du Juge, mais de la société. Le Juge ne<br />

peut y renoncer.<br />

Le Roi ne peut pas plus créer un Juge, sous condition, qu'il ne peut, de la même manière, créer un<br />

Pair. Sa prérogative consiste à nommer qui bon lui semble, le reste est réglé par le pouvoir impérial du<br />

Parlement.<br />

Si le Roi mettait aujourd'hui une restriction dans la commission d'un des douze Juges, elle serait<br />

réputée non écrite, quand même celui-ci y aurait consenti, parcequ'il ne dépend ni de l'un ni de l'autre de<br />

revenir sur une concession qui, de sa nature, est irrévocable. Il en est de même à Maurice.<br />

La garantie de l'inamovibilité des Juges pourrait peut-être paraître superflue dans un pays qui<br />

possède une représentation élective, parceque les représentants ont, sur les Cours de Justice, un contrôle<br />

sans limite, et, en quelque sorte, le droit de destitution, en refusant le budget. Voilà pourquoi, dans les<br />

états libres, le pouvoir n'attache aucune importance à la concéder. C'est trop de la refuser à une Colonie<br />

qui n'a pas d'Assemblée élective. Qu'est-ce donc lorsqu'on l'en dépouille après plus de cent ans<br />

d'existence?<br />

153


Messieurs.<br />

36.<br />

Adrien d'Epinay au Comité Colonial<br />

Londres, 3 avril 1834,<br />

Depuis ces notes écrites, j'ai eu plusieurs conférences avec M. Lefevre, toutes assez satisfaisantes.<br />

Mais, lorsque nous apprîmes par le Samuel Brown, parti de Maurice le 17 décembre 1833, la récusation<br />

de M. Blackburn et celle de la Cour par MM. Jeremie et Reddie, M. Lefevre me dit d'attendre les<br />

dépêches du Gouverneur au sujet de cette affaire. J'attendis. Le 26 mars, le Courrier annonça les<br />

dépêches reçues au Ministère, du Gouverneur de Maurice. Le 27 était Vendredi -Saint. Je fus au Bureau<br />

le 28. M. Lefevre me dit qu'il n'avait pas de dépêches, mais que, s'il arrivait un navire parti depuis le 15,<br />

sans nouvelles du Gouverneur, il serait dans son tort et M. Stanley en finirait. Le 28, je reçus un Cernéen<br />

du 20 décembre 1833, qui annonçait que l'ordonnance de M. Reddie (Procureur du Roi) était rendue. Je<br />

le portai le 30, attendu que le 29 était un dimanche, à M. Lefevre qui me pria de le lui laisser pour être<br />

montré à M Stanley. Il me fit très bon accueil, s'excusa de ne m'avoir pas fait de politesse, et m'invita à<br />

aller à sa campagne.<br />

Depuis, sont arrivés plusieurs navires, et, le matin, apprenant par une lettre de B ..., les intrigues<br />

nouve1les fondées sur la constitution des assesseurs, je me rendis au Bureau. M. Lefevre se fit excuser<br />

sur ses occupations et ne me reçut pas. Je lui écrivis la lettre suivante :<br />

Monsieur,<br />

L'avant-dernière fois que j'eus l'honneur de vous voir, vous me fîtes espérer que M. Stanley<br />

prendrait une détermination sur les affaires de Maurice s'il arrivait de nouveaux navires partis depuis le<br />

15 décembre sans dépêches du Gouverneur. Nous avons maintenant des nouvelles du 20 par un journal<br />

que je vous ai remis hier. J'ai reçu une lettre plus ancienne d'une personne bien informée qui me fait<br />

connaître une nouvelle intrigue pour retarder le jugement de l'affaire de MM. Brodelet et autres, et pour<br />

la terminer d'une manière que je ne pourrai appeler qu'un assassinat juridique. Voici ce que c'est: les<br />

retards extraordinaires apportés jusqu'à présent, au mépris de toutes les lois, avaient pour but d'arriver au<br />

mois de janvier, époque à laquelle les assesseurs sont ré-élus. L'élection se fait par les notables nommés<br />

par le Gouverneur. Depuis quelque temps on a refait, sans en dire le motif, cette liste de notables. On y a<br />

laissé les noms de quelques honnêtes gens, mais on y a ajouté, en très grande majorité, les noms de gens<br />

entièrement déconsidérés. Cette majorité de notables nommera des assesseurs comme le voudra M.<br />

154


Jeremie. La tentative faite pour éloigner MM. Blackburn, Rémono et Colin n'ayant pas réussi, on doit<br />

retarder la convocation des notables autant qu'on le pourra, attendu que l'on espère voir arriver de<br />

nouveaux juges d'Angleterre. Il paraît même que le motif a été donné à M. Blackburn pour l'engager à ne<br />

pas convoquer les assises en décembre, et qu'il y aurait consenti.<br />

Vous voyez, Monsieur, que cette affaire ne sera pas terminée de sitôt.<br />

Quelle que soit la composition des assesseurs, je suis sûr que l'innocence des accusés sera proclamée.<br />

Mais à supposer, ce qui n'est pas, qu'ils soient coupables, à supposer même qu'ils soient condamnés,<br />

quelle raison aurait le Gouvernement de ne pas répondre à la pétition des habitants de Maurice?<br />

Pourquoi ne pas décider de leur sort? Voilà, Monsieur, ce dont je vous aurais entretenu, ce matin, si vous<br />

m'aviez fait l'honneur de me recevoir.<br />

Je vous fatigue, je le vois, mais j'y suis contraint. J'aurais renoncé à tout espoir sans la manière<br />

bienveillante avec laquelle vous m'avez accueilli et écouté jusqu'à présent. Aussi, est-ce la seule chose<br />

qui me détermine à faire auprès de vous une dernière tentative, et à vous demander si le Très Honorable<br />

Secrétaire d'Etat persiste à attendre encore des nouvelles de Maurice avant de décider de notre sort. Ma<br />

position est si affreuse que je préfère tout au supplice que j'endure depuis dix mois. Il me tarde d'aller<br />

partager celui de mes compatriotes.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

10 avril 1834.<br />

Aujourd'hui une députation, composée de Messieurs Irving, Sir J. R, Reid, Barclay, Guthrie,<br />

Robinson, Reynold, Smale, Lloyd, Bell, Elftaid, Wiehe, s'est présentée au Bureau Colonial pour<br />

s'entretenir avec Mr Stanley, qui n'a pas pu les recevoir, étant d'un conseil de Cabinet. Il les a renvoyés à<br />

après-demain, 12, à 1 heure. M. Lefevre les a entretenus pendant une heure et demie, leur montrant les<br />

meilleures dispositions et leur faisant pressentir le rappel de Jeremie et de Reddie.<br />

12 avril 1834.<br />

La députation a été reçue par Mr Stanley qui annonce que l'ordre de la, destitution de Mr Reddie est<br />

parti, que la conduite de Jeremie a été blâmée, qu'il va être rappelé, et que, selon la prochaine dépêche, il<br />

sera probablement chassé. Il annonce aussi un travail qui donnera aux Colons un contrôle général sur<br />

leurs affaires domestiques.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

155


Monsieur,<br />

37.<br />

Adrien d'Epinay à. M. Lefevre.<br />

Londres,<br />

21 avril 1834.<br />

Je vous ai promis deux choses : l'une, de vous dire toute la vérité, sans rien taire; l'autre, de vous<br />

parler avec confiance. Je vous tiendrai parole, et c'est pour cela que je dois vous déclarer que je ne crois<br />

pas qu'il me soit permis de vous donner encore aucun travail sur les différents points dont vous désirez<br />

vous entretenir avec moi jeudi prochain, c'est-à-dire, le jury, le Code Pénal la loi concernant les apprentis<br />

et le Code de Commerce. Malgré toute leur importance, ces points ne sont encore que très secondaires,<br />

comparativement à ce que réclame la Colonie. Car ce n'est pas là quelle trouvera des garanties contre<br />

l'arbitraire, la dilapidation des fonds publics et le monopole des places, des emplois, des faveurs, au profit<br />

d'une classe priviligiée. Si j'en crois les personnes qui ont eu l’honneur d'être admises en la présence du<br />

Très Honorable Secrétaire d'Etat, il leur avait annoncé une mesure générale qui contiendrait précisément<br />

ces garanties. Il ne m'appartient pas de chercher à les connaître tant qu'il n'aura pas convenu au<br />

Gouvernement de Sa Majesté de les communiquer. Mais vous concevrez facilement combien il me serait<br />

difficile, combien même il serait inconséquent de ma part, de proposer des mesures qui doivent se<br />

rattacher à un système dont je ne connais même pas la base. Avant de faire des lois, il faut savoir comment<br />

et par qui elles seront exécutées. Autrement, on s'expose à ce qu'elles ne le soient pas du tout. D'après ce<br />

que vous m'avez dit et ce que la députation tient du Très Honorable Secrétaire d'Etat, il serait question de<br />

reconstituer les pouvoirs législatif et judiciaire dans la Colonie. C'est de là que dépend son sort, et, si elle<br />

n'y trouve pas les premières garanties dont elle a besoin, peu lui importe de savoir quelles seront les<br />

autres lois, puisqu'elles pourront toujours être violées, comme elles l'ont été depuis vingt-quatre ans, et<br />

comme elles le sont encore.<br />

Si la Colonie doit être réglée par un Conseil où quelques Colons seront appelés en minorité pour<br />

sanctionner les volontés du Gouverneur; si le principe de l'inamovibilité des juges, consacré à Maurice<br />

pendant un siècle, respecté par les Rois les plus arbitraires et encore écrit dans les lois, est violé, sans<br />

même que l'on ait fait une loi contraire; si comme vous me l'avez fait entrevoir, le principe fondamental<br />

des degrés de juridiction est détruit; si l'institution du ministère public reste comme l'a faite l'Ordre en<br />

Conseil du 6 novembre 1832; si des citoyens peuvent être déportés sans espoir d'obtenir justice en<br />

Angleterre, sans pouvoir en appeler aux lois de leurs pays, sans même que l'on veuille les entendre,<br />

comme il arrive en ce moment au malheureux Pierretti, qui, victime de la haine personnelle d'un officier<br />

156


public, meurt de faim et de misère sur les pavés de Londres, il n'y aura rien de changé et je me serai<br />

exposé au reproche d'avoir sanctionné un pareil état de choses.<br />

Rien n'est plus aisé au Gouvernement de Sa Majesté que de satisfaire les habitants de Maurice, et de<br />

s'assurer à jamais leur attachement. C'est la population la plus paisible de la terre, la plus fidèle il ses<br />

devoirs ; elles les a respectés lors même que des mesures imprudentes suivies avec rigueur l'ont portée au<br />

dernier degré de désespoir. Si le Gouvernement de Sa Majesté veut la rendre heureuse (et je ne doute pas<br />

qu'il le veuille), il doit éviter de tenter pour les lois ce qu'il a tenté pour ce qu'on appelait l'amélioration du<br />

sort des esclaves. Il fera plus de mal en voulant les améliorer qu'en les détruisant absolument; de même<br />

qu'il a fait plus de bien en détruisant l'esclavage qu'en persistant à vouloir l'améliorer (105).<br />

Les Colons sont attachés à leurs lois civiles et à leur système judiciaire.<br />

L'expérience de 30 années, le suffrage de plus de 60 millions d'Européens attestent leur bonté. Quelle<br />

raison aurait donc le Gouvernement de Sa Majesté de les changer ? Malgré tout le respect qu'on peut<br />

avoir pour l'opinion légale du Major Colebrooke et pour l'expérience de M. Blair, on ne peut s'empêcher<br />

de reconnaître que la moitié de l'Europe doit avoir raison sur eux. Prétendre améliorer le système<br />

judiciaire c'est y porter la confusion, c'est disloquer la machine, c'est ajouter aux causes de<br />

mécontentement, aux éléments de malheur.<br />

Mieux vaudrait le détruire entièrement et, avec lui, les lois dont il est le moteur. Alors, il faut lui<br />

substituer un autre système également complet, mais, si on ne peut le faire, il convient de laisser les<br />

choses dans l'état actuel, de proposer et de faire, d'accord avec les Colons, les améliorations graduelles<br />

que les circonstances exigeront.<br />

Malgré les bonnes dispositions du Très Honorable Secrétaire d'Etat, je tremble que cette fois encore<br />

ma voix ne soit pas écoutée, et qu'en voulant faire le bien, l'on n'ajoute au mal déjà insupportable qui<br />

existe. Comme j'en vois toutes les conséquences, mon devoir est, avant tout, d'en prévenir le<br />

Gouvernement, de tout faire pour les éviter, enfin de n'en point partager la responsabilité.<br />

Mais il est un autre reproche que je dois écarter, c'est celui de n'avoir rien proposé. Voilà pourquoi<br />

je vais prendre la liberté de vous dire ce qui, dans mon opinion, serait de nature à satisfaire entièrement.<br />

POUVOIR LÉGISLATIF<br />

La pétition que j'ai eu l'honneur de remettre, dans les premiers jours du mois de juin 1833, au Très<br />

Honorable Secrétaire d'Etat, et qui est signée par l'immense majorité des propriétaires et par des<br />

personnes les plus éclairées et les plus influentes, insiste surtout sur la nécessité d'une Assemblée<br />

Coloniale, comme un droit acquis à Maurice, dont elle a joui pendant douze ans, qui a été suspendu, mais<br />

non détruit par une loi.<br />

157


Je vous ai dit, à ce sujet, que, bien que ce fut l'opinion et le désir de la majorité, quelques uns, et<br />

parmi eux de bons esprits, pensaient qu'un retour subit à une Assemblée Coloniale aurait des<br />

inconvénients et que, pour le moment, il suffirait d'un Conseil composé, en partie, de membres électifs.<br />

Je pense que la majorité serait satisfaite d'une institution transitoire de cette nature, si elle était<br />

combinée de manière à y laisser aux Colons l'influence qu'ils y doivent et qu'ils y peuvent avoir sans<br />

affaiblir le pouvoir. Sous ce rapport, il serait aisé de s'entendre. Mais vous sentez que je dois me borner ici<br />

à parler du principe, sans entrer dans aucuns détails, ce que je ne pourrai faire que quand je connaîtrai le<br />

projet du Gouvernement de Sa Majesté.<br />

POUVOIR JUDICIAIRE.<br />

De mauvaises lois et de bons juges valent mieux que de bonnes lois et de mauvais juges.<br />

A Maurice nous avons de bonnes lois, et, si nous avions eu de bons juges, personne ne se serait<br />

plaint. Depuis 40 ans, il semble que l'on se soit fait une règle d'éloigner de la Magistrature les hommes qui<br />

en étaient les plus dignes. Je ne sais si c'était un système, mais toujours est-il que c'est un fait. C'est là<br />

qu'est le mal; il ne faut pas le chercher ailleurs. Le Gouvernement peut le réparer, s'il le veut. Il serait plus<br />

qu'injuste de priver les habitants de leurs lois, parceque des juges qu'ils n'ont pas appelés n'ont pas su les<br />

appliquer. Ce que je dis des lois doit s'entendre aussi du système judiciaire. On pourrait y porter des<br />

économies et quelques légères améliorations, mais il faut laisser à la législature locale le soin de les<br />

proposer. Elle seule saura bien ce qu'il est convenable de faire. Pour le moment, je propose, je demande<br />

même que l'on laisse les choses comme elles ont été arrangées en vertu de la dépêche de Lord Goderich,<br />

en date du 16 avril 1831.<br />

Je propose et je demande encore que l'Ordre en Conseil, en date du 6 novembre 1832, reconnu<br />

impraticable par celui-là même par qui il a été fait, soit rapporté.<br />

Je propose et je demande que le Gouvernement de Sa Majesté reconnaisse le principe de<br />

l'inamovibilité des juges.<br />

Il n'y avait donc pour le moment qu'à s'occuper du personnel, sur quoi je me tairai. Je dirai<br />

seulement qu'il serait peut-être bon qu'avant de nommer un juge le Gouvernement consultât l'opinion<br />

publique; elle se trompe moins que ne le fait un fonctionnaire nouvellement arrivé, et entouré de<br />

courtisans ou d'intrigants.<br />

LOIS CIVI<strong>LES</strong>.<br />

Il est convenable peut-être d'y apporter quelques changements, mais ils ne peuvent être bien<br />

appréciés que par les hommes qui connaissent ces lois: ici encore, le Gouvernement devrait laisser<br />

l'initiative à la législature locale.<br />

158


LOIS COMMERCIA<strong>LES</strong>.<br />

Elles sont défectueuses presque sur tous les points, mais surtout en matière de faillites et de<br />

banqueroutes. On l'a reconnu même en France, où l'on s'occupe d'une nouvelle loi, imitée de celle de<br />

j'Angleterre. Ce travail, qui paraîtra bientôt et qui sera co-ordonné aux lois françaises existant à Maurice,<br />

servira de règle à la législature locale qui proposera les modifications convenables.<br />

Quant aux lois maritimes, à celles relatives aux lettres de change, il est convenable que le système<br />

anglais soit adopté. Sous ce rapport, c'est au Gouvernement à prendre l'initiative et à proposer à la<br />

législature locale un Code de lois. Son adoption ne ferait pas de difficultés.<br />

Mais, avant tout, il faut fixer la limite des attributions de la Cour de Vice-Amirauté (106), qui ne<br />

doit connaître que des matières qui lui sont propres, surtout réduire son tarif qui est une chose réellement<br />

odieuse. Un tarif n'est pas nécessaire pour faire la fortune des proctors et des autres officiels d'une cour,<br />

mais pour que la justice ne coûte pas si cher aux sujets de Sa Majesté qu'ils en soient réduits à la redouter<br />

autant que l'injustice. C'est à quoi l'on n'a pas pris garde à Maurice.<br />

LOIS CRIMINEL<strong>LES</strong>.<br />

CODE PÉNAL.<br />

Lord Goderich, dans la dépêche du 15 mars 1833, se plaint avec amertume de ce Code. Les<br />

mémoires de ceux qui ont concouru à sa formation et ma lettre du 20 décembre 1833 prouvent clairement<br />

que ses reproches sont mal fondés et injustes.<br />

Au lieu de le rejeter en entier, de priver de ses dispositions humaines plus de cent prisonniers, il<br />

aurait suffi d'y ajouter ce que Sa Seigneurie croyait avoir été omis, travail très aisé à faire. C'est la marche<br />

que le Gouvernement ferait bien d'adopter.<br />

CODE D'INSTRUCTION CRIMINELLE.<br />

Il serait bon, pour le moment, de n'y pas toucher. Le Gouvernement de Sa Majesté suggèrerait à la<br />

législature locale les principes sur lesquels il entendrait baser l'institution du Jury, et cette législature ferait<br />

un travail complet, adopté aux lois, aux mœurs et aux localités, qu'elle présenterait à la sanction.<br />

De cette manière les lois seront faites en connaissance de cause, avantage que n'ont eu aucune de<br />

celles envoyées toutes faites de la métropole, lois qui ont souvent fait du mal et jamais de bien.<br />

MESURES PERSONNEL<strong>LES</strong>.<br />

Il est impossible aujourd'hui de ne pas reconnaître que les événements qui se sont passés à Maurice<br />

en juin et juillet 1832 ont été grandement exagérés et que les habitants étaient bien loin d'avoir mérité le<br />

reproche de rébellion qu'on leur a fait et le traitement rigoureux qui leur a été infligé. Quel qu'ait été le<br />

159


mécontentement du Gouvernement de Sa Majesté, la conduite actuelle des Colons, leur résignation à<br />

toutes les vengeances de M. Jeremie, à toutes les humiliations dont ils sont abreuvés, à toutes les<br />

persécutions qu'ils éprouvent, a dû et doit le désarmer· Le moment est venu d'être juste et clément; et,<br />

bien qu'une justice tardive soit déjà quelquefois une injustice, elle sera reçue avec reconnaissance, si elle<br />

est complète. Bien des familles souffrent, cruellement pour des torts qu'elles n'ont pas eus. Elles ont<br />

toujours pensé que le Gouvernement, mieux informé, reviendrait de ses rigueurs et de ses préventions.<br />

Auraient-elles espéré en vain?<br />

L'acte de justice en leur faveur, que le pays accueillera comme une armistice générale, scellant<br />

l'oubli du passé pour tous, est ce que le Gouvernement peut faire de plus convenable, de plus généreux, de<br />

plus politique pour le faire entrer avec confiance dans le nouveau système.<br />

EMPLOIS PUBLICS.<br />

Vous voyez, par tout ce que vous avez sous les yeux, qu'il est rien de plus injuste et rien que les<br />

habitants de Maurice ne souffrent plus impatiemment que leur exclusion des emplois publics. Ils les<br />

rempliraient aussi bien, souvent mieux et toujours à meilleur marché que les sujets venus d'Angleterre. Ils<br />

n'ont pas, comme les autres sujets de Sa Majesté, l'avantage de pouvoir être employés dans les au très<br />

possessions de la Couronne; c'est donc les condamner à la misère et à la dégradation que de continuer à les<br />

exclure des emplois publics.<br />

Je propose et je demande qu'il soit admis comme règle générale que, dans tous les cas, ils soient<br />

admis indistinctement à tons les emplois, mais que les natifs le seront de préférence à tous les autres.<br />

C'était autrefois leur droit.<br />

RELIGION ET INSTRUCTION PUBLIQUE.<br />

La religion et l'instruction publique sont, à Maurice, dans un état d'abandon et de dégradation sur<br />

lequel je n'ai cessé d'appeler l'attention du Gouvernement de S. M. Tandis que l'on dépense des sommes<br />

énormes pour entretenir un évêque et le clergé du chef-lieu où il réside, on laisse la moitié de l'île privée<br />

de prêtres, d'églises, même de cimetières, et puis on envoie des Anglais et des Italiens prêcher la morale<br />

évangélique à un peuple qui n'entend que le français.<br />

L'instruction publique est si négligée que les parents sont obligés, quand ils en ont les moyens,<br />

d'envoyer leurs enfants étudier en France, ce qui n'est pas le moyen d'en faire des Anglais.<br />

Je demande que le Gouvernement donne des ordres pour que la religion du pays soit plus<br />

encouragée, surtout plus respectée qu'elle ne l'est.<br />

Je propose, en outre, qu'il soit établi à Maurice une Université (107) où les jeunes gens qui se<br />

destinent au Barreau pourront prendre leurs degrés.<br />

MILICE.<br />

160


J'ai entendu dire que la raison qui avait prévalu dans le temps, lorsque Sir Robert Farquhar voulut<br />

établir à Maurice une milice coloniale et qu'il renonça à le faire, fut que des Français n'étaient pas faits<br />

pour porter les couleurs britanniques. Le fait est que ce propos n'a été démenti ni par des paroles ni par des<br />

faits.<br />

Je pense que le Gouvernement ne saurait faire rien de plus politique et de plus convenable que de<br />

créer une milice dont le Gouverneur élirait les chefs, et qui ne pourrait se réunir sans son autorisation. Il<br />

serait possible de la composer de manière à éviter les inconvénients que l'on pourrait craindre. Quand elle<br />

n'existerait pour le moment que sur le papier, ce serait déjà fort bien. Je vous en ai dit les raisons que je ne<br />

répéterai pas ici.<br />

ACTE D'ABOLITIONDE L'ESCLAVAGE.<br />

Rien ne sera plus facile que de faire des lois pour l'application de l'Acte d'Abolition. Le difficile sera<br />

de les faire exécuter. Elles ne le seront pas tant que la méfiance et le découragement continueront à règner<br />

dans le pays. La méfiance règnera jusqu'à ce qu'enfin on se sache à l'abri de la violence et de l'arbitraire.<br />

Le désespoir durera tant que la justice n'aura pas été rendue.<br />

Vous voyez, Monsieur, qu'il n'y a rien que de raisonnable, de juste et de modéré dans ce que nous<br />

demandons au Gouvernement de Sa Majesté. Moyennant ces concessions, nous serons heureux; sans<br />

elles, nous resterons malheureux. Alors, il nous est indifférent de nous occuper des lois du pays,<br />

puisqu'elles pourront toujours être violées. J'ai cru nécessaire de vous donner toutes ces explications afin<br />

que vous ne preniez pas en mauvaise part ce que je vous ai dit au commencement de cette lettre. Je vous<br />

proteste que je crois aux bonnes intentions du Gouvernement de Sa Majesté, que j'ai la plus grande<br />

confiance dans la justice du Très Honorable Secrétaire d'Etat; mais, avec les meilleures dispositions, on<br />

peut se méprendre sur l'état et sur les besoins d'un pays que l'on ne connaît pas, et voilà ce que je crains.<br />

Dieu veuille que je me trompe et que je sois dans le cas de vous prier d'excuser mon erreur.<br />

Monsieur,<br />

38.<br />

Adrien d'Epinay à M. Stanley.<br />

Je suis, etc.,<br />

A.D’EPINAY<br />

Londres, 7 mai 1834.<br />

161


Cette lettre n'a d'autre but que de renouveler la demande que je vous ai faite plusieurs fois, sans<br />

succès, de m'accorder une audience. Je puis vous paraître importum, mais j'y suis contraint par les<br />

malheurs de mon pays, aujourd'hui ruiné et tombé pour toujours,<br />

Je suis etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Note: L'audience demandée a eu lieu le 10 mai. Mr Stanley m'a dit d'attendre encore 15 jours ou<br />

trois semaines.<br />

Monsieur,<br />

J'ai vu M. Lefevre qui m'a donné rendez-vous pour jeudi 29.<br />

39.<br />

Adrien d'Epinay à M. Spring Rice (108).<br />

23 mai.<br />

6 juin 1834.<br />

J'étais au moment de voir terminer les affaires concernant Maurice, pour lesquelles je suis en<br />

Angleterre depuis déjà un an, lorsqu'ont eu lieu les événements qui vous ont appelé au Ministère des<br />

Colonies. Leur importance et l'état malheureux de cette Colonie excuseront à vos yeux l'empressement<br />

que je mets à vous prier de m'accorder une conférence.<br />

J'ai vu Mr Rice le……..juillet avec MM. Lloyd et Irving.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

23 juillet<br />

J'ai écrit à M. Lefevre une longue lettre pour rapporter tout ce qui s'était passé.<br />

162


Monsieur,<br />

40.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre.<br />

23 juillet 1834.<br />

C'est à Mr Spring Rice que j'aurais adressé cette lettre si Je l'avais cru aussi instruit que vous de<br />

toutes les circonstances qu'il est de mon devoir de vous rappeler avant de quitter l'Angleterre pour aller<br />

rendre compte aux habitants de Maurice des efforts infructueux que j'ai faits auprès du Gouvernement de<br />

Sa Majesté pour obtenir la justice que nous réclamons, et même l'exécution des promesses solennelles<br />

qui nous ont été faites en son nom.<br />

Vous ne serez pas étonné, Monsieur, que je renonce à tout espoir, vous qui savez que je suis ici<br />

depuis 14 mois, abreuvé d'amertume, et qui avez entendu Mr Stanley me dire, à la dernière conférence<br />

qu'il me fil l'honneur de m'accorder, qu'il sentait parfaitement que je devais souffrir et que personne<br />

mieux que lui ne pouvait concevoir et pardonner mon impatience. Il me promettait, à cette époque, que<br />

dans quinze jours tout serait terminé. C'était le 10 mai! et je suis aujourd'hui moins avancé que je ne<br />

l'étais alors.<br />

Permettez-moi donc de vous rappeler ce qui s'est passé et de le consigner dans cette lettre, qui,<br />

pour ma responsabilité personnelle, devra être rendue publique, en même temps que toute ma<br />

correspondance avec le Bureau Colonial.<br />

Lorsque j'arrivai ici, le 29 mai 1833, je m'empressai de solliciter une audience du Très Honorable<br />

Secrétaire d'Etat; elle me fut refusée.<br />

Le 15 juillet, je revins à la charge et, assumant tous les torts imputés aux habitants de l'Ile Maurice,<br />

j'entrepris de démontrer à Mr Stanley l'injustice qu'il y aurait à ne pas, au moins, entendre leur défense;<br />

je fus plus heureux et le 20, j'eus l'honneur d'entretenir le Très Honorable Secrétaire d'Etat Une seconde<br />

entrevue me fut promise pour le 29, mais elle n'eut pas lieu, et ce n'est que 10 mois après que j'ai pu<br />

obtenir d'être admis encore une fois auprès de Mr Stanley.<br />

Le même jour, 15 juillet, je déposai dans ses mains l'humble pétition des habitants de Maurice à<br />

leur Grâcieux Souverain. J'ignore encore si la pétition a été mise sous les yeux de Sa Majesté et si elle a<br />

daigné y répondre.<br />

Depuis cette époque vous avez eu très souvent, et presque toutes les fois que je l'ai désiré, la bonté<br />

de me recevoir, et je vous dois mille remerciements pour la manière obligeante, encourageante même<br />

avec laquelle vous m'avez accueilli. Les lettres que vous m'avez quelquefois adressées étant toutes<br />

marquées «privées,» je n'en dois point parler dans un document qui doit être rendu public. Vous me<br />

163


permettrez, cependant, de vous faire observer, à ce sujet, que ma position n'en devient que plus gênante;<br />

car, si je suis réduis à me justifier aux yeux de mes compatriotes, et à prouver que j'ai agi avec<br />

prévoyance et maturité, je serai privé d'un de mes avantages. Quant à vos paroles, je ne les rapporterai<br />

pas non plus, les considérant comme confidentielles, et me bornerai à dire les impressions que j'ai<br />

rapportées de nos conférences.<br />

C'est dans le mois de septembre, et pendant une absence de Mr Stanley, que j'eus l'avantage de<br />

m'entretenir avec vous, d'une manière plus libre et plus étendue, sur les affaires de Maurice. Je devais à<br />

la confiance et à la bienveillance que vous me temoignâtes de vous parler avec la plus entière franchise<br />

de tout ce qui s'était passé au sujet de M. Jeremie, et Dieu m'est témoin que je ne vous ai laissé rien<br />

ignorer, que, loin de là, j'ai toujours sollicité comme une faveur de connaître les dénonciations faites<br />

contre nous, promettant de répondre non pas comme ferait un accusé qui veut se défendre, mais comme<br />

un témoin appelé et déposant dans l'intérêt de la vérité.<br />

Ce que je vous dis alors me parut vous avoir satisfait, et, sur le désir que vous me témoignâtes de<br />

l'avoir par écrit, je vous adressai, le 28 septembre 1833, une lettre où, après avoir répondu aux objections<br />

qui pourraient encore être faites à la création d'une assemblée coloniale, avoir protesté de notre loyauté<br />

envers le Souverain, exprimé notre désir ardent de nous unir de plus en plus à la métropole et d'entrer<br />

dans les vues du Gouvernement, je vous suppliai de me faire connaître les chefs d'accusation portés<br />

contre nous.<br />

Cette lettre est restée sans réponse.<br />

N'ayant encore rien obtenu dans les premiers jours d'octobre, je me disposais à retourner à<br />

Maurice, où de puissants motifs me rappelaient, lorsque je fus invité à retarder mon voyage jusqu'à la fin<br />

de novembre ou au commencement de décembre, époque à laquelle les affaires de Maurice seraient enfin<br />

terminées.<br />

Je fis alors un voyage sur le continent; mais j'y étais à peine qu'une lettre de Mr Irving me rappela<br />

à Londres, où j'arrivai le 11 novembre. J'y appris une affreuse nouvelle qui rendait plus pressant encore<br />

mon retour dans ma famille.<br />

Le même jour, je fus reçu par vous, et, le 21, vous m'accordâtes une conférence à laquelle Mr<br />

Irving fut présent. Je vous vis encore le 2 et le 17 décembre.<br />

Enfin, le 7 janvier, vous m'écrivites officiellement que Mr Stanley ne pourrait prendre une décision<br />

sur les affaires de Maurice que lorsqu'il connaîtrait le résultat de l'accusation portée par M. Jeremie<br />

contre plusieurs habitants du Grand Port.<br />

Ce n'est pas à moi de vous dire l'impression que mes écrits et mes discours ont pu faire sur votre<br />

esprit; mais celle que j'emportais de vos communications a toujours été que le Gouvernement de Sa<br />

Majesté était porté à nous rendre justice, et, si ce n'est à nous satisfaire entièrement, au moins à nous<br />

accorder des institutions plus libérales que celles qui existent en ce moment, à nous traiter enfin comme<br />

sujets anglais, sans partialité, sans distinction d'origine. Enfin tout ce qui se passa alors, tout ce qui s'est<br />

164


passé depuis, jusqu'au 10 mai, a porté dans mon esprit la conviction que, si M. Jeremie, armé d'un<br />

pouvoir tout puissant à Maurice, ne prouvait pas que les habitants avaient été en état de rébellion contre<br />

le Gouvernement de Sa Majesté. Ceux-ci obtiendraient une justice pleine et entière, et trouveraient dans<br />

des concessions libérales, qui leur seraient faites, une sorte de réparation aux persécutions affreuses<br />

qu'ils ont souffertes pendant 18 mois sans les avoir méritées. Cela me semblait d'ailleurs et me semble<br />

encore de toute justice.<br />

Le 20 décembre, je vous adressai une note en réponse à l'accusation portée par Lord Goderich<br />

contre la magistrature de Maurice et le Conseil Législatif. C'était une défense que j'avais bien le droit de<br />

présenter, ne fut-ce que dans l'intérêt de mon frère et dans le mien, puisque nous étions tous deux<br />

inculpés; et, comme l'accusation avait été répétée par tous les journaux, je vous demandai si vous<br />

trouveriez mauvais que je rendisse la défense aussi publique. Ma lettre est encore restée sans réponse.<br />

Le 24, j'adressai à Mr. Stanley une nouvelle lettre dont le but principal est de faire connaître la<br />

véritable cause du mécontentement qui a régné à Maurice et qui y règnera tant qu'elle ne sera pas<br />

détruite. Cette lettre est restée sans réponse.<br />

A cette époque, j'avais préparé une note contenant des griefs très graves contre plusieurs membres<br />

de l'administration de Maurice. J'allais l'envoyer malgré la répugnance que j'ai toujours eue à m'occuper<br />

des personnes (car vous remarquerez que dans tous mes écrits je m'en suis toujours scrupuleusement<br />

abstenu), lorsque je vis, par votre lettre du 7 janvier, que je pouvais m'en dispenser. Je vous en dis la<br />

raison dans ma lettre du 9, qui est restée sans réponse.<br />

Le 28 janvier, je reçus de M. Brodelet et des autres prisonniers des documents très intéressants sur<br />

la manière dont ils étaient traités, au mépris et en violation des lois. Je vous les transmis, avec prière à Mr.<br />

Stanley de m'accorder une audience. Cette demande est restée sans réponse.<br />

Le 17 février, je vais adressai de nouveaux documents sur celte affaire et n'en fut pas plus avancé.<br />

Enfin, quelques jours après, je vis briller une lueur d'espérance. Mr Irving m'apprit que vous alliez<br />

vous mettre en communication plus intime avec moi, que Mr Stanley était assez éclairé sur la conduite<br />

de MM Jeremie et Reddie, qu'il s'agissait maintenant de voir ce que le Gouvernement de Sa Majesté<br />

pourrait accorder aux habitants de Maurice, que vous écouteriez mes raisons, me feriez vos objections,<br />

afin d'en venir, d'un commun accord, à un résultat également satisfaisant pour le Gouvernement et pour<br />

la Colonie.<br />

Le 28 février j'eus, en conséquence, une conférence avec vous; elle porta sur le pouvoir législatif et<br />

l'organisation judiciaire. J'en emportai l'idée que le Gouvernement de Sa Majesté songeait à nous donner<br />

un Conseil électif modelé sur celui de Demerara. J'ose espérer que vous me rendrez la justice de<br />

reconnaître que je fus très modéré sur ce que je demandais, et me montrai très désireux d'entrer, autant<br />

qu'il se pourrait, dans les vues du Gouvernement.<br />

165


Le 4 mars, je vous adressai deux notes qui contenaient, en substance, ce que je vous avais dit sur<br />

ces deux points.<br />

Nos conférences continuèrent encore quelques jours sans aucun résultat et cessèrent, du 20 au 25<br />

mars, sans que j'en ai pu connaître le motif. On venait d'apprendre alors la récusation de la Cour par M.<br />

Jeremie.<br />

Comme j'insistais pour obtenir une décision, vous me dites que le Très Honorable Secrétaire d'Etat<br />

n'avait pas reçu de dépêches du Gouvernement de Maurice, et que, si le 15 décembre l'affaire Brodelet<br />

n'était pas terminée, on n'en attendrait pas la fin.<br />

Le 3 avril, je vous écrivis pour vous en faire souvenir, et ce fut sans succès, Nous avions des<br />

nouvelles du 20 décembre.<br />

Le 12 avril, Mr Stanley reçut une députation des personnes intéressées aux affaires de Maurice,<br />

leur annonça sa décision au sujet de MM. Jeremie et Reddie, et leur parla de son intention d'accorder aux<br />

habitants de Maurice des institutions libérales.<br />

Nous eûmes encore quelques conférences où je ne crus plus apercevoir en vous les mêmes<br />

dispositions et, comme vous me demandiez des notes et des renseignements sur beaucoup de points<br />

extrêmement délicats, je crus nécessaire de vous adresser, le 24 avril, une note contenant sommairement<br />

nos griefs et nos demandes.<br />

Cette note est restée sans réponse.<br />

Cependant, sur une nouvelle demande de votre part, je vous fournis les notes que vous désiriez, et<br />

travaillai avec vous sur le Code Pénal.<br />

Le 3 mai, je vous adressai de nouveaux documents au sujet des habitants du Grand-Port, et vous<br />

exposai, sans succès, l'état de désespoir où me jetait le silence du Ministre, après tout ce qui m'avait été<br />

dit. Je ne reçus point de réponse.<br />

Le 7, je me hasardai encore une fois à demander une entrevue à Mr Stanley.<br />

Elle me fut accordée pour le 10. C'est alors que Mr Stanley me parla de sa détermination au sujet de<br />

MM. Jeremie et Reddie, et me fit lecture d'une de ses dépêches, dans laquelle il me parla de l'intention<br />

où serait le Gouvernement de Sa Majesté d'accorder aux habitants de Maurice un contrôle plus étendu<br />

sur l'administration de leur pays.<br />

Il ajouta que, dans quinze jours au plus tard, tout serait terminé. Les quinze jours étaient expirés<br />

lorsque M. Stanley se retira du Ministère.<br />

Dans tous nos rapports, Monsieur, vous n'avez rien vu de ma part qui put vous faire douter de ma<br />

confiance pleine et entière en la justice du Gouvernement; et vous avez tout fait pour l'entretenir. Aussi,<br />

sacrifiant tous mes intérêts, ai-je attendu 14 mois cette justice toujours promise et n’arrivant jamais.<br />

Le changement du Ministère a porté dans les affaires de Maurice de nouveaux retards, dont nous<br />

ne pouvons accuser que la fatalité qui nous poursuit.<br />

166


Le .... juillet, M. Spring Rice a bien voulu me recevoir en même temps que MM. Lloyd et Irving.<br />

J’avouerai que rien ne m'a plus surpris que d'entendre le Très Honorable Secrétaire d'Etat<br />

m'exprimer l'opinion que les habitants de Maurice, satisfaits du rappel de M. Jeremie, ne demanderaient<br />

pas autre chose.<br />

Mais ce rappel n'a jamais été demandé ni par eux, ni par moi; je m'en suis clairement expliqué avec<br />

vous. Je vous ai toujours dit que ce que nous demandions avant tout c'était des garanties contre des<br />

Jeremie, des Reddie, et autres gens de la même espèce, qu'il nous importait peu qu'ils fussent rappelés si<br />

le lendemain leurs pareils nous étaient imposés et voulaient comme eux nous persécuter. Il n'était pas<br />

question de M. Jeremie lorsque les habitants de Maurice m'envoyèrent ici en 1830; il n'en est pas<br />

question dans leur pétition au Roi, ni dans mes pouvoirs, ni dans mes instructions. Il n'est pas question<br />

de son rappel dans les notes et les écrits que je vous ai adressés. Si Mr Rice avait daigné les lire, il en<br />

aurait été convaincu.<br />

Lorsque j'ai vu que la session du Parlement tirait à sa fin et que la pétition des habitants de<br />

Maurice au Roi n'avait pas obtenu la faveur d'une réponse, je me décidai à en présenter une à la Chambre<br />

des Communes. Mr Lloyd voulut bien s'en charger. A chaque fois qu'il a du proposer sa motion, il a été<br />

prié par le Secrétaire d'Etat de la remettre, attendu que les affaires de Maurice allaient être réglées à la<br />

satisfaction de ses habitants. Cependant, elles ne le sont pas encore et voilà que le temps est passé où l'on<br />

aurait pu espérer de mettre sous les yeux du présent Parlement le résultat de l'enquête demandee.<br />

D'ailleurs Mr Lloyd est parti pour le « Circuit» et nous n'avons plus de défenseur au Parlement.<br />

Ainsi, voilà 14 mois d'attente infructueuse, voilà une session bientôt terminée, me voilà privé<br />

encore de ma dernière ressource et cela parceque j'ai eu une confiance entière aux bonnes dispositions<br />

qui m'ont été témoignées; parce que j'ai cru, comme vous me l'aviez écrit officiellement, que le<br />

Gouvernement prendrait une décision aussitôt que l'accusation contre M. Brodelet et autres serait jugée.<br />

La voilà terminée à la honte des accusateurs et j'attends encore! Non, Monsieur, je ne dois plus<br />

espérer; non, je ne puis plus attendre; il faut m'en retourner, et me disposer à rendre compte de la mission<br />

dont j'ai été chargé. Avant de le faire, j'ai dû vous écrire cette lettre afin de vous mettre à même de me<br />

dire si j'y ai rapporté quelque chose qui ne soit pas exact; car je veux, à Maurice comme ici, ne dire que<br />

les choses que je peux prouver; et puisque j’aurai la triste mission de détruire toute espérance dans l'âme<br />

des Colons; puisqu'il faut leur apprendre qu'ils ne seront point dédommagés des persécutions qu'ils ont<br />

éprouvées pendant dix-huit mois; puisque je dois leur dire que, comme par le passé, ils seront traites en<br />

ennemis et en esclaves; puisque je dois leur apprendre que l'on ne veut même pas entendre leur voix, je<br />

dois ôter à leurs ennemis et aux miens le prétexte de dire que je ne leur ai pas fait un exposé fidèle de<br />

tout ce qui s'est passé ici.<br />

M. Rice, comme M, Stanley, m'a protesté de son désir de nous rendre justice, des bonnes<br />

dispositions, des intentions paternelles du Gouvernement de Sa Majesté. Mais Lord Goderich en avait dit<br />

autant, et avant lui tous ses prédécesseurs. Voilà précisément ce qui rend notre sort plus cruel, car un<br />

167


efus exprimé nettement vaut mieux que mille promesses non exécutées. C'est ce refus que je<br />

demanderai au Très Honorable Secrétaire d'Etat, dans le cas où, comme ses prédécesseurs, il ne croirait<br />

avoir que des promesses à nous faire. La première de toutes, faite officiellement au nom du Roi, fut de<br />

traiter Maurice comme les colonies anglaises les plus favorisées. Il y a de cela 24 ans; elle fut violée dès<br />

le lendemain et l'est encore!<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Monsieur,<br />

41.<br />

Adrien d'Epinay à M. Spring Rice.<br />

Londres,<br />

26 juillet 1834.<br />

Excusez-moi de vous troubler encore pour vous demander un entretien sur les affaires de Maurice.<br />

J'ai eu l'honneur d'adresser à M. Lefevre, le 23 du courant, une lettre dont je vous prie de prendre<br />

connaissance, de même que de celles que j'ai écrites à lui et à M. Stanley depuis mon arrivée en<br />

Angleterre. Elles contiennent les dispositions et les sentiments des habitants de Maurice. Tout ce qui y<br />

est rapporté est vrai. Tout ce qui y est prévu s'est réalisé. Ce que nous avons demandé, nous le<br />

demandons encore. Ce que nous avons promis, nous le promettons encore. Nous supplions le<br />

Gouvernement de ne pas persister à nous repousser lorsque nous venons' à lui. N'ayant plus que très peu<br />

de jours à passer en Angleterre, où je suis depuis quatorze mois, sans avoir rien obtenu pour les<br />

malheureux habitants de Maurice, je ne demande plus qu'une chose, c'est de savoir le sort qui leur est<br />

destiné, afin de leur ôter au moins le supplice de l'incertitude.<br />

Je suis, etc.,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

29 juillet 1834.<br />

Note : Reçu une lettre de M. Lefevre qui me demande une conférence au sujet de ma lettre du 23. Il<br />

promet qu'on me satisfera. Je promets de retirer ma lettre si je suis satisfait. Cette conférence a eu lieu le<br />

30. Il me demande mes vues. Je les lui renouvelle. Il paraît frappé de ce que je lui dis. Il me remercie et<br />

me fait mille protestations.<br />

168


4 août 1834,<br />

M. Lefevre me prie de venir le 6.<br />

Le 6, il m'apprend qu'il va quitter le Bureau et me jure qu'il finira auparavant les affaires de Maurice.<br />

Il me dit, en autre, qu'il va voir M. Rice et que dans l'après-midi il m'écrira un mot.<br />

Le 7, Irving part pour l'Irlande et écrit à M. Lefevre pour lui rappeler la promesse qu'il lui a répétée de<br />

tout finir sûrement cette semaine.<br />

Le 8; je retourne au Bureau; M. Lefevre est très occupé et ne peut me recevoir. Je lui écris le même<br />

jour.<br />

Monsieur,<br />

42.<br />

Adrien d'Epinay â M. Lefevre.<br />

8 août 1834.<br />

Je me suis présenté ce matin à votre Bureau, et je n'ai pu avoir l'honneur de vous voir. Si j'ai pris cette<br />

liberté, c'est que vous m'aviez promis, avant-hier, de voir M. Rice et de m'écrire un mot dans l'après-midi.<br />

N'ayant rien reçu, ni même hier, j'ai cru pouvoir me présenter encore aujourd'hui, d'autant plus que, mon<br />

départ étant arrêté, il est du plus grand intérêt pour moi de savoir, au moins quelques jours auparavant, quel<br />

est le sort qui est destiné à mon malheureux pays afin d'agir en conséquence.<br />

J'ai l'honneur d'être, etc.<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

Le 9, je suis allé au Bureau et n'ai point été reçu. Le 11, la même chose. J'écris à M. Lefevre.<br />

Monsieur,<br />

43.<br />

Adrien d'Epinay à M. Lefevre,<br />

11 août 1834.<br />

Lorsque M. Irving a quitté Londres, il m'a dit tenir de Mr Rice que les affaires de Maurice seraient<br />

terminées la semaine dernière. C'est ce qui fait que je me suis présenté à votre Bureau vendredi. N'ayant<br />

pas eu l'honneur d'être reçu par vous, je vous ai écrit le même jour pour vous prier de me dire quand il<br />

169


vous plairait de vous occuper de nous. Je suis revenu à votre Bureau samedi. Après avoir attendu près de<br />

deux heures, j'ai appris que vous ne pourriez me recevoir. Enfin, aujourd'hui, j'ai fait une autre tentative<br />

aussi infructueuse. Mon but maintenant n'est plus de vous parler de Maurice. Il y aurait trop de<br />

présomption de ma part à entretenir désormais le moindre espoir que ma voix soit écoutée. La seule<br />

prière qui me reste à vous faire est celle de me renvoyer les papiers concernant ma mission que M. Irving<br />

a remis à M. Stanley, lors de mon arrivée en Angleterre, les notes que je vous ai données sur le projet de<br />

loi relatif aux affranchis, le Code Pénal, et la loi sur la presse. Ces papiers vous sont inutiles et me sont<br />

nécessaires pour le compte que j'ai à rendre de ma conduite.<br />

J'ai l'honneur d'être,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong>.<br />

12 août<br />

P.S.- Avant de vous expédier cette lettre, j'ai cru pouvoir encore m'exposer encore une fois aux<br />

cruelles épreuves que j'ai faites depuis si longtemps. Je suis donc allé encore une fois à votre Bureau<br />

pour en être renvoyé comme j’étais venu! J'ose espérer, Monsieur, que vous me ferez la grâce de me<br />

renvoyer ce que j'ai l'honneur de vous demander humblement.<br />

13 août<br />

Reçu une lettre de M. Lefevre qui me promet de me renvoyer ce que je lui demande, le 15, au<br />

plus tard, et me donne rendez-vous pour le 14.<br />

Le 14, je suis allé au Bureau et n'ai point encore été reçu, mais avec mille excuses.<br />

J'écris à Sir John Reid qui voit le soir M. Rice au Parlement et se plaint amèrement.<br />

15 août.<br />

J'ai vu Sir John Reid qui m'apprend sa conférence de la veille; M. Rice promet qu'on sera satisfait et<br />

m'invite à aller le voir quand je voudrai.<br />

16 août.<br />

J'ai vu M. Rice, M. Lefevre présent. M. Rice me paraît très prévenu contre la colonie et conserve<br />

tous les préjugés d'un membre de l'Anti-Slavery Society.<br />

170


Je lui dis pleinement tout le contenu de mes lettres. Il me promet une réponse avant le départ de la<br />

Victoria, mais il ne s'engage à rien. M. Lefevre même n'ose espérer.<br />

Monsieur,<br />

44.<br />

Adrien d'Epinay à. M. Spring Rice.<br />

Londres, 30 août 1834.<br />

Vous me demandez une note qui vous explique l'état des esclaves à l'Ile Maurice, en ce qui<br />

concerne leur nourriture et leur habillement. Je vais tâcher de vous satisfaire. Une chose qui vous<br />

surprendra, c'est que l'habillement et la nourriture des esclaves ne sont réglés d'une manière absolue par<br />

aucune loi, aucun réglement, et que, cependant, les lettres patentes de septembre 1723 et d'autres lois<br />

postérieures autorisent les esclaves à se plaindre s'ils ne sont pas nourris et habillés, et ordonne même au<br />

Procureur Général de poursuivre d'office les maîtres qui manqueraient à leur devoirs sur ces deux points.<br />

Voici les dispositions de la loi:<br />

Art. 17.- Voulons que les officiers des dits conseils supérieurs, chacun en ce qui le concerne, ou<br />

les directeurs pour la dite Compagnie, nous envoient leur avis sur la quantité des vivres et la qualité de<br />

l'habillement qu'il convient que les maîtres fournissent à leur esclaves, lesquels vivres doivent leur être<br />

fournis par chacune semaine et l'habillement par chaque année, pour y être statué par nous; et, cependant,<br />

permettons aux dits officiers ou directeurs de régler par provision les dits vivres et les dits habillements;<br />

défendons aux maîtres des dits esclaves de donner aucune sorte d'eau-de-vie ou guildive, pour tenir lieu<br />

de la dite subsistance -<br />

ou de l'habillement.<br />

Art. 18. - Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs<br />

esclaves, en leur permettant de travailler certains jours de la semaine pour leur compte particulier.<br />

Art. 19.- Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus, entretenus par leurs maîtres, pourront en<br />

donner avis au Procureur Général des dits conseils, procureurs pour nous, et mettre leurs mémoires entre<br />

ses mains, sur lesquels, et même d'office, si les avis lui viennent d'ailleurs, les maîtres seront poursuivis à<br />

sa requête et sans frais; ce que nous voulons être observé pour les crimes et les traitements barbares et<br />

inhumains des maîtres envers leurs esclaves (Lettres patentes de septembre 1723.)<br />

171


C'est en exécution de cette loi que, dans l'année 1767, le gouvernement de Maurice fit un<br />

règlement où l'on voit:<br />

Art. 14.- L'expérience ayant appris qu'un esclave ne peut être nourri à moins de deux livres de<br />

mais par jour, il est ordonné aux maîtres de leur fournir cette quantité de subsistance, soit en même<br />

nature de grains, soit en autres denrées équivalentes, tant pour la qualité que pour la quantité, tels que le<br />

riz, le manioc, les haricots et les patates……… il est également ordonné aux maîtres de fournir par année<br />

l'habillement nécessaire à leurs esclaves, autant que les circonstances pourront le permettre.<br />

Je ne connais pas d'autre règlement sur la matière, et vous dirai bientôt pourquoi il n’en existe pas.<br />

Dans le cours de ma carrière professionelle j'ai vu de nombreux cas de plaintes contre les maîtres,<br />

de la part des esclaves, ou du Procureur Général ou du Protecteur des esclaves; j'ai souvent plaidé pour le<br />

plaignant ou pour le défendeur et j'ai observé que les cas les plus fréquents avaient trait aux heures de<br />

travail, aux violences et aux emportements des maitres, aux châtiments en assises, mais rien de plus rare<br />

que les plaintes pour défaut de nourriture et d'habillement. Cela tient à plusieurs causes que je vais vous<br />

faire connaître.<br />

La première de toutes est l'intérêt personnel du propriétaire à la conservation de sa chose. Un<br />

homme brutal, violent, emporté n'est pas maître de lui-même dans un moment de colère et maltraite son<br />

esclave. Un autre veut obtenir de son esclave le plus de profit possible, de là les travaux excessifs, mais<br />

tous voient dans leurs esclaves une propriété qu'ils perdront, s'ils ne l'entretiennent. Il v a donc nécessité<br />

pour eux de la nourrir et de l'habiller. .<br />

Dans les climats chauds, le vêtement n'est pas un besoin, comme il l'est en Europe. Ainsi, les<br />

Africains vont presque nus; l'Indien se couvre d'une voile légère; le Malgache n'a de vêtement dans son<br />

île que le simbou qui n'est autre chose qu'une toile de deux ou trois aunes qu'il jette sur l'une de ses<br />

épaules et qui le couvre depuis la poitrine jusqu'aux genoux. Les esclaves élevés dans la maison du<br />

maître, les domestiques, ceux qui exercent quelques métiers lucratifs, tiennent à leurs vêtements. Mais le<br />

Mozambique, par exemple, n'y tient aucunement; on peut même dire qu'il ne l'aime pas.<br />

Ainsi lorsque l'on distribue les vêtements aux esclaves, on peut être assuré que tous les<br />

Mozambiques et beaucoup de Malgaches auront dès le même jour, vendu les leurs. C'est un fait trop<br />

connu de tous ceux qui ont été à Maurice pour être révoqué en doute.<br />

Beaucoup de propriétaires ont essayé vainement de les forcer à conserver leurs vêtements. On a<br />

imaginé de les marquer en caractères apparents afin qu'ils ne fussent pas achetés par les petits marchands<br />

du pays. Celte précaution a été inutile.<br />

Quant à la nourriture, elle est la condition du travail. Il faudrait être fou pour prétendre se dispenser<br />

de l'une et obtenir l'autre.<br />

172


Indépendamment de la ration donnée par le maître, le pays abonde tout l'année en légumes qui<br />

croissent naturellement dans les champs et dans les forêts. La mer produit en abondance du poisson. La<br />

pêche, la chasse même est permise aux esclaves. Tous ont la faculté d'avoir un jardin et d'élever des<br />

animaux.<br />

Voilà ce qui explique un fait qui paraîtrait incroyable, c'est que l'on ne voit jamais un esclave<br />

demander l'aumône. Je n'ai vu de mendiants qu'en Europe. La fantaisie me prit jour d'avoir le<br />

dénombrement de tous les animaux vivants sur la propriété de ma famille et, chose dont je ne me fusse<br />

jamais douté, je trouvai dans le camp des esclaves 72 chiens et 1,300 porcs qui étaient leur propriété. Je<br />

ne me souviens plus de ce qu'ils possédaient en volaille et oiseaux de basse-cour.<br />

Il est vrai qu'il ne faut pas juger de toutes les propriétés par une seule et que dans l'intérieur de<br />

l'île il y a moins de ressources et plus de besoins.<br />

La nourriture des esclaves varie infiniment et dépend tantôt du lieu, tantôt de la saison, tantôt de<br />

leur genre d'occupations. Dans la plupart des sucreries, ils sont nourris au riz. Les uns désirent l'avoir<br />

cuit, les autres non. Dans les propriétés où l'on fait cuire le riz on fait cuire aussi les légumes et le bœuf<br />

salé qu'ils mangent avec. Dans les habitations où l'on se borne à la culture du manioc ou du maïs, ces<br />

provisions font la base de la nourriture des esclaves; selon que la saison est plus ou moins abondante et<br />

une provision plus ou moins chère, la nourriture varie. Ainsi l'on ne voit pas deux propriétés où j'on suive<br />

le même système.<br />

Il résulte de cet état de choses que rien n'est plus difficile que de faire sur cette matière un<br />

règlement positif, et tous ceux qui l'ont alors entrepris ont senti l'impossibilité de le statuer.<br />

Je vais vous dire comment les choses se passent sur la propriété dans laquelle je suis intéressé,<br />

propriété où j'ai fait abolir, depuis plusieurs années, les châtiments corporels et d'où il n'est jamais venu<br />

une seule plainte aux Protecteurs des esclaves.<br />

HABILLEMENT.<br />

Les domestiques reçoivent deux fois l’an de la toile en quantité suffisante pour se faire un<br />

vêtement à leur guise. Cette toile est blanche ou bleue à leur volonté. Cela est indépendant des étrennes<br />

du premier de l'an qui consistent toujours en quelque objet de fantaisie. Je ne puis vous dire exactement<br />

la quantité de toile, mais je puis assurer que les domestiques sont toujours très proprement mis.<br />

Les commandeurs sont traités de la même manière et sont, en outre, pourvus d'une redingote qui<br />

les garantit de la pluie dans leur tournée de la nuit.<br />

Les noirs de l'habitation reçoivent deux vêtements complets par an et une couverture. On leur<br />

donne des nattes, des marmites, des plats, des balles, quand les leurs sont usés, ou qu'ils justifient les<br />

avoir perdus. Les femmes sont toutes traitées comme les domestiques.<br />

173


TRAITEMENT<br />

Les malades sont portés à l'hôpital où le médecin vient trois fois par semaine.<br />

Les hommes sont séparés des femmes. Le régime est celui prescrit par le médecin. Chaque malade a un<br />

lit pourvu de matelas, oreiller, couverture, etc., le tout tenu en état de grande propreté.<br />

Chaque nouveau-né est pourvu d'un trousseau complet.<br />

NOURRITURE.<br />

Selon la saison, les noirs de l'habitation reçoivent ou une livre et demie de riz du Bengale, ou deux<br />

livres de maïs, ou deux livres de manioc cuit, ou six livres de manioc en racines. Souvent le genre de<br />

nourriture est laissé à leur option.<br />

Les domestiques demandent toujours le riz de préférence.<br />

L'enfant, en naissant, reçoit même ration qu'une grande personne.<br />

Pendant la coupe, on fait cuire la nourriture des hommes employés dans la sucrerie. C'est du riz et<br />

un ragout de végétaux cuits avec du bœuf salé ou du porc ou même du poisson salé.<br />

Le sel, le sucre, le sirop sont donnés à discrétion· Les hommes ont leur verre de rhum quand ils le<br />

demandent.<br />

Il paraîtra singulier en Europe que l'on ne fasse pas de distribution de viande aux esclaves ; en<br />

voici la raison: le pays ne produit pas sa consommation de viande. Le bœuf est tiré de Madagascar, le<br />

mouton vient du Cap ou du Bengale. Les familles créoles mangent très peu de viande et ont la sobriété<br />

des Indiens. Du riz, des brèdes bouillies avec un petit morceau de porc forment toute la nourriture des<br />

3/4 des familles créoles. Il est très rare que l'on mange du bœuf frais dans les campagnes. Dans une<br />

heure de basse marée un seul homme prend souvent 50 livres de poisson qu'il vend ou qu'il fait saler<br />

pour sa provision. Presque tous les esclaves élèvent des porcs et de la volaille que nous leur achetons<br />

toujours au prix qu'ils en auraient en ville. Ils ont tous la faculté d'avoir un jardin. Quand ils ont de<br />

l'argent ils nous le remettent, nous leur tenons compte d'un intérêt de 12 pour cent l'an. L'un d'eux a eu à<br />

la fois £200 placées sur nous. Les baptêmes, mariages et inhumations sont faits aux frais des maîtres.<br />

Je vous le répète, il n'en est pas ainsi partout, mais généralement dans les grandes propriétés.<br />

Tout ce que je viens de vous dire explique pourquoi il n'existe pas de règlement formel sur cette<br />

matière et pourquoi, cependant, les esclaves se sont le moins plaints du manque d'habillement et de<br />

nourriture.<br />

Si l'esclavage existait encore, je vous avoue que, sous ce rapport, il faudrait encore compter sur<br />

intérêt des maîtres et la conservation de la propriété.<br />

Mais cet intérêt disparaît aujourd'hui et un règlement devient indispensable.<br />

174


Pourrez-vous le faire ici? Non. Je n'hésite pas à vous le dire.<br />

Voici ce qu'il me semble convenable de faire. C'est que, dans le premier moment, il soit fait sur<br />

chaque propriété, en présence et avec la sanction du magistrat spécial, un accord pour l'entretien,<br />

l'habillement, la nourriture, les fournitures et les secours religieux, lequel accord fera loi pour les parties.<br />

Beaucoup d'habitants fourniront en nature; d'autres préfèreront donner une somme d'argent. Ce dernier<br />

mode me semble préférable pour les non-prœdiaux qui, étant plus civilisés que les autres, sont plus aptes<br />

à recevoir des gages. Quant aux prœdiaux attachés, si on leur donne de l'argent, ils le dépenseront en<br />

liqueurs fortes.<br />

En comparant tous les accords ainsi faits avec les magistrats spéciaux, on pourra établir une loi des<br />

dispositions qui auront été le plus généralement adoptées et on connaîtra toutes les exceptions qu'il y<br />

faudra porter. De cette manière on pourra faire un bon règlement qui sera soumis à la sanction de Sa<br />

Majesté.<br />

Vous pouvez être assuré que les habitants mettront de l'amour propre à agir de la manière la plus<br />

humaine et la plus libérale. Je connais bien la disposition des esprits sous ce rapport. C'est l'affaire du<br />

Gouvernement local de savoir en profiter. Ce sera pour lui la chose la plus aisée, s'il le veut bien. Je lui<br />

engage à l'avance ma coopération la plus franche et la plus zélée, en homme porté par nature, par<br />

conviction et par intérêt à l'amélioration de toutes les classes de la population de Maurice.<br />

My dear Sir,<br />

45.<br />

M. Earle (109) à. Adrien d'Epinay,<br />

A. <strong>D'EPINAY</strong><br />

Colonial Office, 22nd September 1834.<br />

I send you a copy of the Mauritius' Order in Council (110), in pursuance of Mr. Spring Rice's<br />

promise to you.<br />

You will perhaps be able to tell me, by the bearer of this, when you expect the Bencoolen to sail,<br />

as we may send further despatches by her.<br />

Believe me, etc,<br />

RICHARD EARLE.<br />

Adrien d'Epinay quitte Londres le 28 septembre et arrive, à Maurice le 17 janvier 1835.<br />

175


46.<br />

Requête des colons à Sir William Nicolay pour obtenir l'autorisation de réunir une<br />

assemblée-générale.<br />

A Son Excellence le Major-Général Sir William Nicolay,<br />

Chevalier, C.B., K.C.H., Gouverneur et Commandant en chef de l'Ile Maurice et Dépendances.<br />

Les soussignés prient Votre Excellence de vouloir bien autoriser une assemblée générale des<br />

habitants de Maurice pour entendre le rapport que M. Adrien d'Epinay, leur mandataire, doit leur rendre<br />

sur le résultat de sa mission.<br />

Ils ont l'honneur d'être, etc,<br />

HOLLIER GRIFFITHS - LUCAS - VICTOR LAHAUSSE - BRODELET - L. GOUGES -<br />

TRISTAN MALLAC - VICTOR DE ROBILLARD - DUVERGÉ - BESTEL jeune - HENRY GACHET.<br />

Port-Louis, Maurice, le 23 janvier 1835,<br />

Gentlemen,<br />

47.<br />

Réponse de Sir William Nicolay.<br />

Colonial Secretary's Office,<br />

31st January 1835<br />

For a considerable time past, His Excellency the Governor has felt himself obliged most reluctantly<br />

to withold his assent to public meetings, on account of the general state of excitement that unhappily for a<br />

long time existed in the Colony. And, altho' the tranquility -<br />

which now prevails affords him the highest gratification, His Excellency still does not think that he<br />

should be justified, at this most critical moment, in authorizing a general meeting of the inhabitants for<br />

any purpose having reference to the political affairs of the colony; and, therefore, he declines acceding to<br />

the request in your letter of the 23rd instant.<br />

His Excellency will sanction a meeting of any twenty or thirty gentlemen at any time and place you<br />

may please to appoint, to hear Mr Adrien d'Epinay, and thus give circulation to the information he may<br />

176


wish to have conveyed to the public; the Governor's object being not to interfere with the full and free<br />

communication of what Mr Adrien d'Epinay has to report, but only to prevent the inconvenience and<br />

injury that might possibly result from a general meeting at this crisis.<br />

CONFIDENTIAL.<br />

Sir,<br />

48.<br />

M. Spring Rice à Sir William Nicolay.<br />

I have the honor to be, etc.,<br />

GEO F. DICK,<br />

Colonial Secretary,<br />

Downing Street, 19th September1834<br />

I think it necessary to accompany the despatches which will be transmitted to you by the Bencoolen<br />

with this confidential communication in order to put you in possession of some circumstances which<br />

cannot regularly be made the matter of a strictly official communication.<br />

You are aware that Mr Adrien d'Epinay has been for some time resident in London and charged<br />

with the advocacy of the petitions of the inhabitants of the Island of Mauritius. Until my determination<br />

was come to and my despatches actually proposed, I cautiously abstained from holding intercourse with<br />

Mr A. d'Epinay and I even extended my reserve to Messrs Irving, Barclay and the members of the House<br />

of Commons who had undertaken to advocate the same cause.<br />

My motive for so doing was that the acts on which I had determined and which will have been<br />

entrusted to you for their execution ought to be considered as having proceeded free1y from His Majesty's<br />

Government, and that they should not be misrepresented as having been extorted by the importunity of<br />

any individuals whatever. On this subject I wrote two letters to Mr Barclay of which copies are enclosed<br />

for your information, and I trust that the explanation will protect both you and this office from the<br />

supposition of being the organs of carrying into effect the wishes of a party in the colony or of having<br />

taken any steps which may lead to irritation or complaint. I agree with you that at present it would be<br />

unwise to make any constitutional alteration at the Mauritius. We are as yet too near these disasters and<br />

unjustifiable events which led to the expulsion of Mr Jeremie. And it can only be when the inhabitants of<br />

the island by a steady perseverance in quiet and orderly conduct and in due submission to the laws have<br />

177


proved their fitness for more extended privileges that I can revert to their prayers for freer institutions and<br />

for a more full participation in the colonial Government (111).<br />

I have reason to imagine that Chief Justice Blackburn will short1y seek his retirement, and it shall<br />

be my anxious desire to provide such a substitute for him and for Mr Reddie as shall give you due<br />

assistance and satisfy the expectations of the public. But until the emancipation of the negroes is carried<br />

into full effect, I do not think it expedient that the Chief Justice should retire from the bench, as his<br />

abilities and experience will be at that period of the most indispensable utility.<br />

Will you be so obliging as to make this communication to him on my part.<br />

49.<br />

Government Notice.<br />

I have, etc.,<br />

T. SPRING RICE.<br />

In consequence of a cornmunication which the Governor has received from the Right Honorable the<br />

Secretary of State, His Excellency directs the following information to be made public.<br />

An alien named Pierretti, who was removed from this Colony in 1833, returned in January last, and<br />

stated that he had received permission for so doing from the Secretary of State through Mr Adrien<br />

d'Epinay by whom the allegation was attested, with an intimation that the Governor would receive a<br />

communication to the effect from the Secretary of State.<br />

The Governor, in consequence (altho' greatly surprised at this information), consented to Mr<br />

Pierretti remaining in the Colony for a reasonable period, to allow of His Excellency's receiving the<br />

Despatch, which was announced as being to be sent to him.<br />

No such Despatch having reached him, this delay was subsequently extended until the Governor<br />

should receive an answer to a reference he had made upon the subject to the Secretary of State,<br />

accompanied by the whole of the correspondence that had taken place here.<br />

That answer has now been received, and the Secretary of State, in a Despatch dated 18th July last,<br />

acquaints the Governor that His Lordship's predecessor in office, so far from having given Mr Pierretti<br />

permission to return and reside at Mauritius, had expressly excluded such permission from consideration,<br />

applications to that effect having been repeatedly refused, and that the only concession was that Mr<br />

Pierretti might go out to Bourbon in a ship bound to Mauritius, but that he would not be allowed to<br />

remain longer there than would be necessary for his transit to a vessel going to Bourbon.<br />

In consequence of this information the Governor has given orders for the immediate removal of Mr<br />

Pierretti from the Colony.<br />

178


Allusion having been made, in the correspondence that took place here to the interviews said to<br />

have been had with the Secretary of State by Mr Adrien d'Epinay in his capacity of Deputy of this Colony,<br />

Lord Glenelg (112) takes occasion to observe that the allegation that Mr Adrien d'Epinay was recognised<br />

by His Majesty's Government in the character of a Deputy from Mauritius, or in any other official<br />

capacity, is without foundation.<br />

With reference to that circumstance, His Lordship has transmitted to the Governor copies of three<br />

letters; one written by Mr Adrien d'Epinay on 31st May 1833, by direction of Mr Secretary Stanley; and<br />

two addressed to Mr Irving, one by Lord Howick under date of the 30th December 1831, and the other by<br />

Viscount Goderich, on the 19th January 1832.<br />

And His Lordship adds: the purport of these letters cannot too clearly be made known to the<br />

inhabitants of the Colony, or those of them who have been led to believe that Mr Adrien d'Epinay was<br />

accredited here as their Representative, or that he had any authentic communication to make to them.<br />

In one of the letters adverted to the Secretary of State declares that no person has ever been received<br />

or can constitutionally he received by His Majesty's Government as an Agent or Representative from the<br />

Colony, but that the Secretary of State will always be ready to attend to those Gentlemen having an<br />

interest in Mauritius, who may have communications to make to him with regard to it. In the instance of<br />

Mr Adrien d'Epinay, it is observed by Lord Goderich, in his letter to Mr Irving, that the refusal to receive<br />

that Gentleman in the character of an accredited and official Agent or Representative for the inhabitants of<br />

Mauritius, did not preclude me from having much personal communication with him, and certainly did<br />

not diminish my anxiety to consider fairly all that he had to state, and to apply, as expeditiously as<br />

possible, such practical remedies to grievances in the administration of affairs of Mauritius, as the<br />

circumstances of the case « seemed to require.<br />

His Excellency the Governor, on his part, desires to assure the Inhabitants at large that, whenever<br />

they may wish to make representations to His Majesty, they will find him always prepared to forward<br />

them, and fully disposed cordially to support every proposition having for abject the real benefit and well<br />

being of the Colony.<br />

In connection with this matter, the Governor directs it to be notified that His Excellency's refusal to<br />

allow a public meeting to be held in the month of January last has received the King's approval, the<br />

Secretary of State observing that he is not aware that any communication which could be made by Mr<br />

Adrien d'Epinay to the Inhabitants of Mauritius, respecting his proceedings in England, would be<br />

sufficiently matter of public interest to require the sanction of a public meeting.<br />

179


His Majesty has also been pleased to cause his Royal Approbation of the Governor's Proclamation<br />

of the 20th February 1835 (113) to be signified to His Excellency.<br />

Colonial Secretary's Office,<br />

9th December 1835.<br />

GEO. F. DICK,<br />

Colonial Secretary<br />

180


NOTES<br />

1. p. 1. On appelait les « saints» les membres de l'Anti-Salvery Society où l'élément puritain<br />

dominait. Depuis le temps de Cromwell les puritains anglais étaient connus sous cette appellation.<br />

2. p. 1. Depuis longtemps l'organisation judiciaire de la colonie laissait à désirer et dès 1820 le<br />

gouverneur Farquhar avait essayé de la faire remanier. En 1828 le Secrétaire d Etat avait annoncé une<br />

réorganisation comme imminente, mais elle ne fut opérée que trois ans plus tard, par un Ordre en Conseil<br />

du 13 avril 1831 qui devint exécutoire à l'île Maurice le 3î août suivant. Pour tous détails sur cette<br />

réorganisation voir A. Pitot: L'Ile Maurice; Esquisses Historiques, 1, 356-57; II, 187; Ill, 190-193.<br />

3. p, 1. Le bombardement de Tamatave eut lieu le 11 octobre 1829 et fut motivé par le refus de la<br />

reine Ranavalona 1ère d'accorder certaines facilités aux marchands français sur la côte est de Madagascar.<br />

Il devait être suivi d'une attaque en force qui eût donné à la France la possession définitive de la Grande<br />

Ile, mais la révolution de 1830 mit fin à ce projet qui ne fut repris et mené à bien qu'en 1895. Pour de plus<br />

amples détails voir S, Pasfield Oliver: Madagascar, London, 1886, 1, 48-52.<br />

4. p. 2. Le gouverneur de l'île Maurice était alors Sir Charles Colville (1770-1843), qui administra<br />

la colonie du 17 juin 1828 au 31 janvier 1833. C'était, comme le dit d'Epinay, un bon homme, mais il fut<br />

loin d'être un parfait administrateur. Son gouvernement fut marqué, notamment, par l'agitation antijérémiste<br />

de 1832 qui motiva la deuxième mission de d'Epinay en Angleterre. Impuissant à ramener<br />

l'ordre dans la colonie, il demanda son rappel et eut, à son arrivée en Angleterre, à rendre des comptes sur<br />

son administration. Voir à ce sujet Seconde Mission, Nos 10, 11,12, 13. 16 et 17.<br />

5 p. 2. Johann Jacob Wiehe (1772-1832), commerçant danois établi à Maurice depuis l'occupation<br />

française, se dévoua beaucoup aux affaires du pays, au Conseil de Commune d'abord, où il fit excellente<br />

figure, au Comité Colonial ensuite, à la Chambre de Commerce el dans la plupart des assemblées de<br />

notables qu'il fut souvent appelé à présider.<br />

6. p. 2. Jusqu'en 1826 les sucres mauriciens payèrent sur le marché anglais 38 shillings de droits<br />

d'entrée alors que ceux des West Indies ne payaient que 27 shillings. Ce dernier tarif ne fut appliqué à l'île<br />

Maurice qu’à partir du 1er janvier 1826, après une lutte prolongée à laquelle Adrien d'Epinay prit une part<br />

importante, C'est de cette année que date vraiment l'essor de l'industrie sucrière mauricienne. C'est<br />

également à partir de cette année que les attaques de l'Anti-Slavery Society contre l'île Maurice se firent de<br />

plus en plus violentes.<br />

181


7. p 2. De l'aveu de Sir George Murray, Secrétaire d'Etat pour les Colonies, dans une déclaration<br />

faite au Parlement, le 17 mai 1830, la traite avait complètement cessé à Maurice en 1821 soit huit ans<br />

après qu'elle y eut été officiellement abolie. (Voir le Times du 18 mai 1830, sous la rubrique<br />

Parliamentary Intelligente). Les rapports des deux premiers gouverneurs anglais de la colonie, Sir Robert<br />

Farquhar et Sir Lowry Cole, confirment également ce fait.<br />

8. p. 3. L'Association des Aborigènes désigne ici l'Anti-Slavery Society. L'Aborigines Protection<br />

Society ne fut fondée qu'en 1838, à la suite d'une enquête sur le traitement des indigènes dans les colonies<br />

britanniques effectuée par une Commission Royale nommée à la demande de Buxton. Elle n'était, en fait,<br />

que l'Anti-Slavery Society sous un autre nom.<br />

9. p 4. Les colons des Antilles n'avaient pas vu d'un bon œil l'admission des sucres mauriciens au<br />

même taux que les leurs sur le marché anglais en 1826. Voir à ce sujet Charles Telfair: Some account of<br />

the state of slavery at Mauritius, London, 1830.<br />

10. p. 4. Le capitaine Richard Vicars était un officier du génie en garnison à Mahébourg depuis<br />

1822. Son histoire personnelle est moins connue que celle de son fils, Hedley Shafto Johnstone Vicars, né<br />

à Maurice en 1826, mort à Sébastopol en 1855, qui fut un des héros de la guerre de Crimée et, à ce titre,<br />

figure dans le Dictionary of National Biography. Richard Vicars est l'auteur de deux opuscules très<br />

importants sur l'esclavage à Maurice intitulés, le premier: Representation of the state of government<br />

slaves and apprentices in the Mauritius, with observations by a resident who has never possessed either<br />

land or slaves in the colony, London, Ridgway, 1830, in-8. 78 pp ., et le second: Calumny exposed, or<br />

observations on No. XLIV of the Anti-Slavery Monthly Reporter, London, Ridgway, 1831, in-8, xx-98 pp.<br />

11. p. 5. Le premier agent de la colonie en Angleterre fut Sir Robert Townsend Farquhar, qui en<br />

avait été le gouverneur de 1810 à 1823. En 1825 il fut élu au Parlement où il se trouva bientôt en butte<br />

aux attaques de Buxton qui l'accusa d'avoir favorisé la traite à Maurice pendant son administration. Il en<br />

fut tout naturellement conduit à se mettre en rapport avec Adrien d'Epinay et le Comité Colonial et devint<br />

ainsi le champion de l'île Maurice au Parlement. Après sa mort, survenue le 16 mars 1830, c'est M. John<br />

Irving qui s'occupa des intérêts de l'île Maurice.<br />

12. p. 6. Une première pétition fut remise au gouverneur le 17 septembre 1830, deux jours après la<br />

réception à Maurice des nouvelles de la tentative faite en mai, à Londres, par l'Anti-Slavery Society pour<br />

obtenir la libération immédiate des esclaves illégalement introduits depuis 1813. Les circonstances dans<br />

lesquelles elle fut rédigée sont relatées par B. H. de Froberville dans ses Ephémérides Mauriciennes,<br />

1827-1834, Port-Louis, 1906, p.59 et le texte en est reproduit dans A. Pitot: Esquisses historiques, 1828-<br />

1833, Maurice, 1914, p. 125, note 2. Le 18 septembre Sir Charles Colville fit savoir au Comité Colonial<br />

que cette pétition était impropre à être transmise au Secrétaire d'Etat. Le même jour, le Comité Colonial<br />

se réunit et adressa au gouverneur une deuxième pétition rédigée en termes plus convenables que la<br />

182


première et intitulée: Memorial presented by the body of notables protesting against the proposed measure<br />

of emancipating all illegally imported slaves. (Voir A. Pitot: op. cit, pp, 127-128) C'est à cette deuxième<br />

pétition qu'il est fait ici allusion.<br />

13. p. 6. En 1834 un Conseil du Gouvernement (composé de cinq officiels et de cinq colons<br />

nommés), assez semblable à celui dont l'île Maurice fut dotée en 1832, fut accordé à la colonie du Cap<br />

mais ce n'est qu'en 1853 que cette colonie obtint une assemblée législative élue.<br />

14, p. 7, Par mesures d'amélioration il faut entendre les tentatives faites par le gouvernement tory de<br />

Lord Wellington, à partir de 1823, pour amener les habitants des colonies britanniques à améliorer<br />

graduellement le sort de leurs esclaves. Les principales de ces tentatives sont: (1) une circulaire de Lord<br />

Bathurst, en date du 28 mai 1823, qui provoqua une révolte d'esclaves à Demerara (voir Note 22) ; (2)<br />

une seconde circulaire, en date du 9 juillet 1823, qui provoqua des troubles à la Barbade et à la Jamaïque;<br />

(3) un Ordre en Conseil de 1824 pour l'amélioration de l'esclavage à Trinidad ; (4) line tentative faite sur<br />

l'initiative de Canning, en 1826, pour étendre les dispositions du précédent Ordre en Conseil à toutes les<br />

colonies des Antilles. Toutes ces tentatives échouèrent dans les colonies occidentales, à l'exception de<br />

Trinidad, (Voir à ce sujet William Law Mathieson :<br />

British Slavery and its abolition, 1823-38, London, 1926, pp. 115-182) A l'île Maurice, par contre, ces<br />

mesures avaient été acceptées d'assez mauvaise grâce, il est vrai, mais sans provoquer non plus la même<br />

opposition que dans les West Indies.<br />

15. p. 7. La capitulation du 3 décembre 1810 par laquelle le général Decaen rendit l'Ile de France<br />

aux Anglais, Le texte en est reproduit dans St Elme le Duc: Ile de France, Maurice, 1925, pp. 390-392,<br />

Les conditions de cette capitulation étaient-elles encore valables après le Traité de Paris qui céda l'Ile de<br />

France à l'Angleterre en toute propriété et souveraineté? En 1832 les membres du barreau de Maurice<br />

répondaient par l'affirmative à cette question dans une consultation reproduite dans les Souvenirs d'Adrien<br />

d'Epinay, édités par P. d'Epinay, Appendice III, pp, 120-t23, Mais en 1833 la Chambre des Députés se<br />

prononça à ce sujet dans un sens contraire et déclara que le Traité de Paris avait mis au néant la dite<br />

capitulation et ses conditions (Voir Souvenirs d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay, pp. 30-31),<br />

16. p. 7 Dans la nuit du 25 septembre 1816 un cinquième de la ville de Port-Louis fut détruit par un<br />

terrible incendie. Les pertes se montèrent à plus de sept millions de piastres En 1818, 1819 et 1824 l'île fut<br />

devastée par trois violents cyclones. La «peste» désigne sans doute l'épidémie de choléra qui sévit du<br />

début de novembre à la fin de décembre 1819. Elle avait été précédée d'une épidémie de variole, en 1811,<br />

et d'une épidémie de rage en 1813. Sur tous ces fléaux voir A, Toussaint; Port-Louis, deux siècles<br />

d'histoire, Maurice, 1936, pp. 239-248.<br />

183


17. p. 7. L'institution des commandants de quartier date de 1762, sous la régie de la Compagnie des<br />

Indes. Le général Decaen leur adjoignit des commissaires civils et définit leurs attributions respectives par<br />

un arrêté du 21 pluviôse An XII (11 février 1804). Cet arrêté fut abrogé par l'Ordonnance 6 de 1866 mais,<br />

dès avant cette date, les commandants de quartier avaient été remplacés par les magistrats stipendiaires.<br />

En 1850 la ville de Port-Louis fut dotée d'une municipalité, mais ce privilège ne fut pas étendu aux<br />

districts ruraux. Aujourd'hui l'administration des districts ruraux est assurée par des Branch Road Boards<br />

établis par les Ordonnances 9 de 1900 et 25 de 1902 et celle de quelques groupements urbains importants<br />

du district des Plaines Wilhems par des Town Boards dont le premier fut établi par l'Ordonnance 12 de<br />

1889.<br />

18. p. 8. Jusqu'en 1840 l'organisation policière de l'île Maurice resta des plus défectueuses et il<br />

semble qu'elle n'ait jamais été plus mauvaise que pendant la période troublée qui précéda l'abolition de<br />

l'esclavage. Voir à ce sujet A, Toussaint; Port-Louis, deux siècles d'histoire, Maurice, 1936, PP, 281-293.<br />

L'organisation judiciaire, également fort défectueuse, fut remaniée en 1831 (voir Note 2).<br />

19. p. 8. Avant 1814 les recensements d'esclaves, bien qu'ordonnés par plusieurs lois datant de<br />

l'occupation française, se faisaient assez irrégulièrement à l'île Maurice. Ce n'est qu'à partir de cette année<br />

qu'un département spécial ( Registry of Slaves) fut établi, en vertu de l'Ordre en Conseil du 24 septembre<br />

1814, pour exercer un contrôle numérique sur la population esclave. Ce n'est guère qu'à partir de 1814<br />

également que les actes du Parlement anglais abolissant la traite (actes de 1807 et 1811) devinrent<br />

exécutoires à Maurice.<br />

20. p 8. Le premier recensement de la population servile entrepris parle nouveau Bureau<br />

d'Enregistrement des Esclaves, etabli par l'Ordre en Conseil du 24 septembre 1814, fut effectué en 1815.<br />

D'après les Commissaires chargés d'enquêter sur l'esclavage à Maurice en 1826 ce recensement fut très<br />

mal fait. « Les « habitants montrèrent une grande répugnance à fournir des listes de leurs « esclaves et<br />

lorsque ces listes furent enfin obtenues il se trouva qu'elles étaient « si défectueuses que l'enregistrement<br />

des esclaves, prévu par l'ordonnance, fut « rendu impraticable. Le Gouverneur, cependant, considéra qu'il<br />

fallait, non pas « rejeter les listes fournies, mais les accepter et les enregistrer, en depit de leurs<br />

défectuosités.» (Report of the Commissioners of Inquiry upon the slave trade at Mauritius, p 13.)<br />

21. p. 9· Le terme « créoles » désigne ici les esclaves nés dans la colonie.<br />

Notons que ce terme est employé aujourd'hui à Maurice, en français comme en anglais, pour désigner<br />

surtout les habitants d'origine africaine. Au 1er janvier 1830, d'après le baron d'Unienville (Statistique de<br />

l'Ile Maurice, ed. 1885, 1, 255-258), la population esclave comptait 67,619 individus et se composait de<br />

quatre classes bien distinctes: les créoles, représentant plus du tiers de ce chiffre; les indiens et les malais,<br />

un dix-septième; les malgaches, un cinquième; et les mozambiques, deux cinquièmes environ.<br />

184


22. p. 9. Les troubles à Demerara furent causés par la circulaire de Lord Bathurst en date du 28 mai<br />

1823 (voir Note 14) dans laquelle les esclaves virent l'annonce de leur prochaine libération, Un<br />

missionnaire protestant, John Smith, trouvé coupable d'avoir incité les esclaves à la révolte dans cette<br />

colonie, fut condamné à mort par un tribunal colonial et mourut en prison, peu après sa condamnation.<br />

Sur cette affaire, qui fit grand bruit en Angleterre, voir William Law Mathieson : British slavery and its<br />

abolition, 1823-38, London, 1926, pp. 140-146 . Les troubles à la Jamaïque et à la Barbade suivirent la<br />

réception de la deuxième circulaire de Lord Bathurst, en date du 9 juillet 1823 (voir Note 14), Ils furent<br />

moins graves qu'à Demerara.<br />

23. p 9. Toute l'année 1830 fut une année d'effervescence et d'agitation populaire en Angleterre où<br />

la question de la réforme du Parlement passionnait alors les esprits, Nous avons consulté divers mémoires<br />

du temps au sujet des troubles du 16 mai 1830 mentionnés par d'Epinay mais nous n'y avons trouvé<br />

aucune allusion. Greville, le principal chroniqueur de cette époque, se trouvait à cette date en Italie et n'a<br />

pas noté, par conséquent, les événements qui se produisirent en Angleterre pendant son absence.<br />

24 p. 10. Frederick John Robinson, vicomte Goderich et plus tard comte de Ripon (1782-1859), Il<br />

fut Secrétaire d'Etat pour la guerre et les colonies de 1830 à 1833, date à laquelle il démissionna et fut fait<br />

Lord du Sceau Privé. Pendant son séjour au Bureau Colonial il semble s'être laissé constamment<br />

influencer par Lord Howick, le sous-secrétaire d'Etat, l'un des membres les plus zélés de l'Anti~ Slavery<br />

Society (voir Note 27). William Law Mathieson a jugé en ces termes son administration: « Lord Goderich<br />

au Bureau Colonial avait fait bien meilleure « figure que Sir George Murray; mais son mérite avait<br />

consisté à approuver les « vigoureuses et très remarquables dépêches rédigées en son nom.» (British<br />

Slavery and its abolition, 1823-1838, London, 1926, p. 227)<br />

25. p, 10. Cette note de Prosper d'Epinay n'est pas exacte. Le 26 janvier 1831 Adrien d'Epinay avisa<br />

simplement le Secrétaire d'Etat de son intention de lui adresser le Mémoire des colons de Maurice, mais il<br />

ne le lui envoya que le 16 février suivant. (Voir Première Mission, No 13, p.18) Ce mémoire est reproduit<br />

à l'Appendice VII du présent recueil.<br />

26. p. 11. Son nom ne figure pas dans le Dictionary of National Biography.<br />

27, p. 12. Henry George Howick (1802-1894), fils de Lord Grey, auteur du célèbre Reform Bill de<br />

1832. Il fut sous-secrétaire d'Etat pour les colonies de 1830 à 1833 et Secrétaire d'Etat de 1846 à 1852. A<br />

la mort de son père, en 1845, il prit le titre de Lord Grey et publia sous ce nom, en 1853, ses souvenirs du<br />

Bureau Colonial dans un ouvrage intitulé -The Colonial policy of Lord John Russell's administration, où<br />

il est question de l'île Maurice, William Law Mathieson parle de son premier séjour au Bureau Colonial<br />

en ces termes: « Lord Howick, le sous « secrétaire d'Etat politique, était plein de zèle et d'activité, mais<br />

manquait « d'expérience, » (British Slavery and its abolition, 1823-1838, London, 1926, p. 227)<br />

29. P. 14. Son nom ne figure pas dans le Dictionary of National Biography.<br />

185


29.P. 14. Pierre Lucas (1769-1845) né à l'Ile de France de parents originaires de Bretagne, Il alla<br />

faire ses études en France et revint dans la colonie au début de la Révolution Française. Elu à l'Assemblée<br />

Coloniale, il y joua un rôle prépondérant jusqu'en 1803. En 1810 il fut appelé par Decaen à faire partie<br />

d'un conseil colonial créé en septembre de cette année pour donner son avis sur des projets de finance et<br />

divers autres objets. Sous le gouvernement britannique il siègea successivement au Conseil de Commune<br />

établi par Farquhar en 1817, puis au Comité Colonial qui, sous sa présidence, joua un rôle important dans<br />

la vie politique de la colonie de 1827 à 1834. Il fut également un des premiers notables choisis par Sir<br />

Charles Colville pour faire partie du Conseil Législatif créé en1832. Il fut probablement l'homme<br />

politique le plus complet et le plus remarquable que l'île Maurice ait produit avant Adrien d'Epinay.<br />

30. p. 14. Sir Galbraith Lowry Cole (1772-1842) avait épousé Lady Frances Harris, fille du Comte<br />

de Malmesbury. Il fut gouverneur de l'île Maurice du 12 juin 1823 au 17 juin 1828. Comme son<br />

prédécesseur Farquhar, il sut gagner la sympathie des Mauriciens et, après qu'il eut quitté Maurice pour<br />

aller prendre le gouvernement du Cap de Bonne Espérance, il continua à s'intéresser à cette colonie.<br />

Lorsque Jeremie fut envoyé à Maurice Cole écrivit, du Cap, à Lord Goderich, le 25 juillet 1832, une lettre<br />

très franche dans laquelle il désapprouvait hautement cette décision. « On n'aurait pu choisir, disait-il, un<br />

être plus « malfaisant », et il terminait ainsi sa lettre: « Je ne vous cacherai pas que, malgré les fautes et<br />

absurdités très inexcusables des habitants (de Maurice), je conserve une vive estime pour beaucoup<br />

d'entre eux et que je prendrai toujours beaucoup d'intérêt aux affaires de la colonie. J'y ai passé cinq<br />

années très heureuses et je voudrais, si possible, en empêcher la destruction totale et conserver à l'Empire<br />

« Britannique cette place pour nous d'une importance considérable aussi longtemps que nous possèderons<br />

l'Inde » (Memoirs of Mr Lowry Cole, Londres, 1934, pp. 225-228)<br />

31. p. 15. Le dernier débat important au Parlement sur la question de l'esclavage avant l'arrivée de<br />

d'Epinay à Londres eut lieu le 1er juillet 1830. Brougham y fit une tentative énergique pour obtenir du<br />

Parlement, à la veille des élections générales, une « promesse solennelle» d'abolition qui eût influencé le<br />

nouveau Parlement. Il employa en cette occasion un argument juridique: à savoir qu'en droit un être<br />

humain ne pouvait posséder d'autres êtres humains. Ce point de vue, s'il eut prévalu, eût écarté<br />

complètement la question d'indemnité. Murray et Peel repliquèrent que « l'assertion qu'on ne pouvait<br />

posséder des esclaves n'enlevait pas nécessairement aux propriétaires d'esclaves le droit à une indemnité,<br />

car, si le Parlement s'était trompé sur ce point, il se devait d'autant plus « d'indemniser ses victimes.»<br />

(William Law Mathieson, British slavery and its abolition, 1823-1838, London, 1926, pp. 196-197).<br />

32. p. 15. Nous n'avons pu identifier le personnage en question, la réfutation du rapport des<br />

Commissaires Enquêteurs redigée par Adrien d'Epinay ne figurant pas dans le fonds d'Epinay de la<br />

Bibliothèque Carnegie. Les notes au crayon de Prosper d'Epinay ne contiennent pas non plus le moindre<br />

éclaircissement à ce sujet. Il s'agit probablement d'un haut fonctionnaire anglais.<br />

186


33. p. 16. Adrien d'Epinay comprenait l'anglais mais ne le parlait pas ou, du moins, le parlait fort<br />

mal La connaissance approfondie de l'anglais pour les hommes de loi mauriciens ne devint nécessaire<br />

qu'à partir de 1847, lorsque l'emploi de l'anglais fut rendu obligatoire à la Cour Suprême de cette colonie.<br />

34. p. 16. Cette question de représentation coloniale était, aux yeux de d'Epinay, d'une importance<br />

capitale. Voici la liste complète des pièces de ce recueil qui y ont trait directement: Première mission, nos<br />

12, 13, 18,20, 21, 29,30, 34 et 37 ; Seconde Mission, nos 10, 11, 17, 18, 21 24, 35 et 37.<br />

35. p. 16. Le lendemain même de son arrivée à l'Ile de France. Decaen abolit, sur les instructions du<br />

Premier Consul, tout système de représentation coloniale, mais, vers la fin de son administration, les<br />

circonstances le contraignirent de con- voquer, le 29 septembre 1810, un conseil colonial composé de<br />

onze membres: trois pour la capitale, un pour chaque quartier; ces membres étaient nommés par le<br />

capitaine général sur la présentation du préfet colonial et du commissaire de justice, sur une liste de neuf<br />

candidats élus pour le chef-lieu et de trois pour chaque quartier. Voir aussi Code Decaen, No. 212 et H.<br />

Prentout: L'Ile de France sous Decaen, Paris, 1906, pp. 596-598.<br />

36. p. 17. Farquhar établit, le 8 septembre 1817, un Conseil de Commune de douze et, plus tard, de<br />

quinze membres choisis par Je gouverneur sur une liste de notables. Pendant son absence de la colonie, de<br />

1817 à 1820, il se produisit, malheureusement, entre ce conseil et le général Hall, gouverneur intérimaire,<br />

des frottements qui ne tardèrent pas à provoquer d'abord la suspension, puis la suppression définitive de<br />

cette institution, en janvier 1821. Sous Cole fut établi un Conseil du Gouvernement, créé par un Ordre en<br />

Conseil du 9 février 1825, qui ne donna guère satisfaction parce qu'il se composait exclusivement de<br />

fonctionnaires. C'est d'ailleurs ce qui détermina d'Epinay à créer, en 1827, le Comité Colonial auquel Cole<br />

et Colville se montrèrent tous deux sympathiques.<br />

37. p: 17. Cette démarche d'anciens habitants de l'île Maurice domiciliés en France auprès de Decaen<br />

n'eut aucun succès. En 1833 une nouvelle intervention du même genre n'eut d'autre résultat que d'amener<br />

la Chambre des Députés à déclarer que la cession de l’île Maurice à l'Angleterre avait anéanti la<br />

capitulation de 1810 et que, par conséquent, la France était dépouillée de tout droit et de tout contrôle sur<br />

ce qui touchait à cette colonie (voir Souvenirs d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay, pp. 30-31).<br />

38. p. 17. L'Angleterre avait vu d'un mauvais œil la révolution de juillet 1830 qui avait chassé<br />

Charles X et placé Louis-Philippe sur le trône de France. La guerre entre les deux pays fut évitée grâces à<br />

Palmerston et à Talleyrand.<br />

39. p. 17. James Mac Queen (1778-1870), rédacteur en chef du Glasgow Courrier, où il mena<br />

campagne; contre l'Anti-Slavery Society. Il avait dirigé un établissement sucrier aux West Indies en 1796<br />

et connaissait bien la question de l'esclavage.<br />

187


40. p. 17. Sir George Murray (1772-1846), général et homme d'Etat. Fut Secrétaire d'Etat pour la<br />

guerre et les colonies de 1828 à 1830.<br />

41. p, 17. C'était, en effet, donner aux colons de Maurice lieu de croire que le gouvernement<br />

britannique avait peur d'eux.<br />

42. p. 17. Le 22 juillet 1828, quelques jours avant le départ de Sir Lowry Cole de la colonie, une<br />

souscription avait été lancée pour lui offrir une pièce d'argenterie en témoignage de reconnaissance pour<br />

sa courageuse défense des colons contre les calomnies de l'Anti-Slavery Society; mais il semble que la<br />

somme recueillie ne fut pas suffisante pour couvrir le coût de ce présent qui se monta à 500 guinées et<br />

que d'Epinay dut parfaire la différence de sa poche. Voir à ce sujet sa lettre du 25 juillet 1833 au Comité<br />

Colonial. (Seconde Mission, N° 17, p. 75).<br />

43. p. 18. Voici ce que rapporte B. H. de Froberville au sujet de cette affaire, qui se produisit le 30<br />

octobre 1830, quelques semaines après le départ de d'Epinay: « Un soldat condamné à recevoir 300 coups<br />

de rotin a été cause d'un«mouvement aux casernes. Le bruit se répand qu'un vieux sergent s'est avancé,<br />

«suivi de plusieurs autres, et a demandé qu'ils soient traités à l'égal des noirs « esclaves à qui on ne saurait<br />

administrer plus de 30 coups, Ils sont sûrs d'être « punis pour cette revendication, celui qui a porté la<br />

parole et a été cause du « mouvement à mort probablement ». (Ephémérides Mauriciennes, 1906, p. 62).<br />

44. p. 18. Ce mémoire est reproduit intégralement dans le présent recueil à l'Appendice VII. Il avait<br />

été rédigé en français par d'Epinay et traduit en anglais par son secrétaire, Hermann Geffroy, pendant la<br />

traversée de Maurice en Angleterre sur le Candian. Le texte français reproduit à l'Appendice VII n'est pas<br />

le texte original de d'Epinay mais une traduction française du texte anglais de Geffroy, faite au Record<br />

Office par M. Renaud, à la demande de Prosper d'Epinay, et conservée dans le fonds d'Epinay de la<br />

Bibliothèque Carnegie de Curepipe. [No 8. 6. 8 D'après une note de Prosper d'Epinay, le texte anglais du<br />

Record Office porte des annotations de Lord Howick dont les autorités du Record Office ne permirent pas<br />

à M. Renaud de tirer copie, l'accès aux documents d'archives en Angleterre étant alors soumis à des<br />

restrictions qui n'existent plus aujourd'hui.<br />

45. p. 19. Son nom ne figure pas dans le Dictionary of National Biography.<br />

46. p. 19. Ce nom semble avoir été mal transcrit. Il faut peut-être lire Maguire, mais nous n'avons<br />

rien trouvé qui pût nous permettre de fixer l'identité de ce personnage. Plusieurs Maguire figurent dans le<br />

Dictionary of National Biogrqphy, mais il ne s'agit apparemment d'aucun d'eux.<br />

47. p. 20. Sir James Stephen (1789-1859), qui fut conseiller permanent du Colonial Office et du<br />

Board of Trade depuis 1825, et sous-secrétaire d'Etat pour les colonies de 1836 à 1847. Son influence à<br />

Downing Street était si grande qu'on l'avait surnommé « Mr Over-secretary Stephen ». (Voir à ce sujet<br />

188


William Law Mathieson ,British Slavery and its abolition, 1823-1838, London, 1926, p. 227). Il fut une<br />

des figures des plus marquantes du mouvement anti-esclavagiste dont son père, James Stephen (1758-<br />

1832), membre du Parlement de 1808 à 1815, avait été également un des pionniers.<br />

48, p. 2.1. Prononcé le 9 mai 1826 et auquel Farquhar répliqua immédiatement. Voir à ce sujet<br />

Introduction, pp. x & sq.<br />

49. p. 21. George Smith, né en Angleterre vers 1767, mort à l'île Maurice en 1823. Il fut nommé<br />

Chef-Juge en 1814 et exerça jusqu'à sa mort. Il avait des instructions de veiller à l'exécution de la loi<br />

interdisant la traite des noirs et, s'il faut en croire Albert Pitot, il s'en acquitta souvent avec beaucoup de<br />

partialité. Dans le procès de l'Industrie, notamment, il se montra très injuste envers Adrien d'Epinay,<br />

avoué de la défense (voir Introduction, p. VII). Mais les papiers du général Hall, qui fut gouverneur<br />

intérimaire de la colonie du 19 novembre 1817- au 10 décembre 1818, le montrent sous un tout autre jour.<br />

D'après Hall, il était lourdement endetté envers des commerçants de la colonie qui favorisaient la traite et,<br />

dans plusieurs cas, il prit part pour eux si bien que Hall dut même le suspendre de ses fonctions pendant<br />

quelque temps. Considérée dans son ensemble, sa carrière ne fut pas celle d'un Chef-Juge modèle.<br />

50. p. 22 Nous n'avons rien trouvé au sujet de ce procès dans les Archives de Port-Louis. Pitot et<br />

Froberville n'en font pas non plus mention.<br />

51. p. 22. Le gouvernement de juillet adopta, en effet, à l'égard de l'esclavage dans les colonies<br />

françaises, une attitude semblable à celle du gouvernement anglais. Rappelons, à ce sujet, que Napoléon<br />

avait rétabli l'esclavage aboli en 1794 par la Convention. Sur les instances de Wellington, le<br />

gouvernement de la Restoration interdit la traite sans l'assimiler, cependant, à un crime. Après la<br />

révolution de 1830 la législation sur la traite devint plus sévère. En même temps furent prises diverses<br />

mesures destinées à adoucir le sort des esclaves. Toutes ces mesures trouvèrent aux colonies françaises,<br />

comme leurs pareilles aux colonies anglaises, un accueil résolument hostile. L'esclavage lui-même fut<br />

finalement aboli dans tout l'empire français en 1848.<br />

52. p. 25. Nous n'avons pu établir l'identité de ce personnage. Il ne s'agit pas, en tout cas, du colonel<br />

Richard Clement Moody mentionné dans le Dictionary of National Biography qui avait 28 ans en 1831 et<br />

ne parvint au grade de colonel qu'en 1863. Serait-ce le même Moody qui avait fait partie d'une<br />

Commission Royale envoyée aux Antilles vers 1825 pour enquêter sur la situation des esclaves et qui,<br />

d'après A. Pitot (L'Ile Maurice ; Esquisses Historiques, II, 187), perdit la place qu'il occupait depuis<br />

quatre ans au Bureau Colonial pour s'être montré favorable aux colons?<br />

53. p. 25. Son nom ne figure pas dans le Dictionary of National Biography.<br />

54. p. 29. Le texte de cette pétition ne se trouve pas dans le fonds d'Epinay conservé à la Bibliothèque<br />

Carnegie de Curepipe.<br />

189


55. p. 29. Son nom ne figure pas dans le Dictionary of National Biography.<br />

56. p. 29. Il ne nous a pas été possible de vérifier ce fait; il semblerait, pourtant, que les West lndies<br />

aient eu des agents officieux, sinon officiels, en Angleterre avant que l'île Maurice ne songeât à en avoir.<br />

57. p. 30. Arthur Cole, frère cadet de Sir Lowry Cole. Il entra très jeune au service de l'East India<br />

Company et fournit une belle carrière dans l'Inde. En 1826 il fit un séjour à Maurice où son frère était<br />

alors gouverneur, et, comme lui, s'éprit de cette île et de ses habitants. Voir à son sujet Memoirs of Sir<br />

Lowry Oole, edited by Stephen Gwynn & Maud Lowry Cole, London, 1934, passim.<br />

58. p. 31. L'article 29 de l'arrêté du 13 pluviôse An XI (2 février 1803) énonçait que les<br />

fonctionnaires ne pouvaient êtres poursuivis pour des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions<br />

sans l'autorisation préalable du commissaire de justice. L'arrêté en question, qui fut promulgué à l'Ile de<br />

France le 28 septembre 1803, le lendemain de l'arrivée du général Decaen, constituait la nouvelle charte<br />

coloniale qui devait remplacer la constitution du 21 avril 1791. Voir le texte de cet arrêté dans St Elme le<br />

Duc; Ile de France, Maurice, 1925, pp. 450-454.<br />

59. p. 37. La ville de Mahébourg fut créée en 1806 par le général Decael1 et fut ainsi appellée en<br />

l'honneur de Mahé de Labourdonnais. Des magasins, un hôpital, un marché, deux églises, une cour de<br />

justice, une école vinrent s'ajouter entre 1810 et 1860 au nombre des bâtiments que Decaen y avait élevés.<br />

Jusqu'à l'installation des voies ferrées Mahébourg fut certainement, après le Port-Louis, le centre le plus<br />

animé de l'île. Après d'Epinay le juge Telfair, les gouverneurs Gomm et Stevenson s'intéressèrent aussi à<br />

Mahébourg et essayèrent de faire de cette ville une rivale du Port-Louis. Il fut même un moment question<br />

d'y construire un second Hôtel du Gouvernement où le chef de la colonie séjournerait trois mois de<br />

l'année et de transformer sa superbe rade en porto militaire. Ce dernier projet fut repris récemment<br />

pendant la dernière guerre et des travaux de grande envergure y furent entrepris. En même temps, un<br />

vaste aérodrome fut créé à proximité de la ville.<br />

60. p. 37. Jusqu'à l'introduction des chemins en fer, en 1862, les communications entre Mahébourg<br />

et Port-Louis se faisaient par mer. De nombreux côtiers partaient tous les jours de Mahébourg, chargés de<br />

poisson frais, de bois et de diverses denrées destinées au marché de la capitale.<br />

61. p 39. Ce Vicaire Apostolique était le Dr Edward (Bede) Slater (1774-1832), evêque de Ruspa in<br />

partibus, qui fut le premier prélat catholique de l'île Maurice. Il séjourna dans la colonie de septembre<br />

1819 à juin 1832 et s'y rendit vite très impopulaire par ses extravagances et ses prétentions. L'influence du<br />

clergé catholique était alors pratiquement nulle et les efforts de Slater pour assurer cette influence<br />

rencontrèrent une vive opposition. De l'avis du gouverneur Cole, avec qui il fut constamment en conflit,<br />

ses actes contribuèrent à retarder plutôt qu'à accélérer le progrès de la religion dans la colonie (Memoirs<br />

of Sir Lowry Cole, edited by Stephen Gywnn & Maud Lowry Cole. London, 1934, p 216). Le Bureau<br />

190


Colonial ne voulut pas intervenir contre Slater. mais ses supérieurs ecclésiastiques jugèrent sa conduite<br />

sévèrement et le rappelèrent finalement en 1832. En quittant l'île Maurice il laissa des dettes se montant à<br />

£ 8,000.<br />

62. p. 39 La nécessité de bons missionnaires se faisait sentir depuis longtemps à l'île Maurice. Sous<br />

le gouvernement français l'instruction religieuse des esclaves, bien que prescrite par le Code Noir, avait<br />

été fort négligée. Le premier qui s'en occupa sérieusement fut un pasteur protestant, le Révérend Jean<br />

Lebrun, arrivé à Maurice en 1814. L'action du clergé catholique dans ce sens fut pratiquement négligeable<br />

jusqu'à l'arrivée, en 1841, du Père Jacques Desiré Laval qui, jusqu'à sa mort, en 1864, travailla avec un<br />

zèle admirable à l'évangélisation de la population africaine. Mais ce qu'il fallait c'était non pas des<br />

tentatives isolées mais des efforts soutenus, surtout après l'abolition de l'esclavage, lorsque vint s'ajouter à<br />

la masse des Africains une masse encore plus considérable de coolies indiens dont l'évangélisation ne<br />

s'imposait pas moins que celle des Africains Aujourd'hui, sur une population de 419,185 âmes on ne<br />

compte à l'île Maurice que 147,724 chrétiens.<br />

63. p. 39. Cet état de choses devait durer jusqu'en 1886. Le nouveau Conseil fut organisé par une<br />

Commission Royale du 20 juillet 1831 et tint sa première séance le 15 février 1832. Il se composait de<br />

sept membres inofficiels nommés par le gouverneur et de sept membres officiels. Les inofficiels étaient<br />

MM. Pierre Lucas, Adrien d'Epinay, Laurent Barbé, Jacques Gaillardon, F.douard Pitot, Charles Millien,<br />

Antoine Bestel; les officiels étaient son Honneur E. B. Blackburn, Chef-juge, Lieut-colonel W Staveley,<br />

Commandant en second, Capt. Geo. F. Dick, Secrétaire Colonial, Col. E. A. Draper, Collecteur des<br />

Douanes, J. Cooper, Avocat Général, P. d'Epinay. Procureur Général, R. M. Thomas. Protecteur des<br />

Esclaves. Cette institution, qui ne comportait pas d'élément élu, ne donna pas satisfaction (voir à ce sujet<br />

Première Mission, N° 37, p. 52 et Seconde Mission, N° 17. p. 74 et N° 35, p. 105).<br />

64 p. 41. Nous n'avons pu trouver aucun renseignement sur ce M. Blanc, il s'agit, peut-être d’un<br />

fils ou d'un petit-fils du grand-père maternel d'Adrien d'Epinay.<br />

65. p. 43. Nous n'avons trouvé aucun renseignement au sujet de cercle.<br />

66. p.43. Edward Berens Blackburn (c.1786-1839) succéda à George Smith comme Chef-Juge en<br />

1824 et remplit ce poste jusqu'en 1835. Il laissa à Maurice le Souvenir d'un légiste éminent et d'un savant<br />

botaniste. Jeremie porta contre lui ; au Bureau Colonial de très graves accusations auxquelles Lord<br />

Goderich ajouta foi mais dont son successeur Stanley fit plus tard justice. (Voir Appendices II & III du<br />

présent recueil). Lefevre tenait Blackburn en haute estime. « C'est un fort «honnête homme », disait-il de<br />

lui, à Adrien d'Epinay le 22 novembre 1833 (voir, Seconde Mission, No. 23, p. 84). Spring Rice avait<br />

également une haute opinion de lui, ainsi qu'en témoigne sa dépêche du 19 septembre 1834 à Sir William<br />

Nicolay (voir Seconde Mission, No. 48, p 128).<br />

191


67. p. 43. George Guy Carleton Lestrange (1780-1848) fut deputé-adjudant général à l'île Maurice<br />

d'octobre 1822 à février 1831. Il sut gagner la sympathie des habitants et devint vite très populaire.<br />

68. p. 43. Edward Allured Draper (1776-1841) arriva à l'île Maurice en 1812 et y remplit divers<br />

emplois administratifs jusqu'en 1832, Il fit partie, en qualité, de Collecteur des Douanes, du Conseil du<br />

Gouvernement créé au début de cette année et se joignit aux membres inofficiels de ce Conseil pour<br />

demander le renvoi de Jeremie en juillet 1832. Cette attitude lui valut d'être mis à pied par le gouverneur<br />

Nicolay. Rappelé en Angleterre, il parvint à se justifier et en 1836 revint à Maurice prendre le poste de<br />

Receveur Général qu'il occupa jusqu'à sa mort. C'était un ami des Mauriciens.<br />

69. p. 43. William Stavelev (1784-1854) servit à l'île Maurice de 1821 à 1847 et y remplit divers<br />

emplois militaires et civils. En 1831 il était commandant des troupes et, en cette qualité, siégea au<br />

nouveau Conseil créé en 1832. Il était très populaire et lorsqu'il quitta la colonie un groupe de notables lui<br />

remit une adresse qui le décrivait comme un homme « juste, impartial, affable, bienveillant envers chacun<br />

et à qui ces distinctions d'origine qui blessent les sentiments « étaient inconnues. »<br />

70. p. 45. Le livre des actions fut ouvert le 26 octobre 1831 et, le 21 décembre suivant, le capital de<br />

500.000 piastres avait été souscrit. La Banque ouvrit ses portes le 18 ianvier 1832 dans un immeuble situé<br />

à la rue du Rempart. Le 1er septembre 1838, sur l'initiative d'un groupe de commerçants anglais, ayant à<br />

leur tête MM. Blyth et Griffiths, fut créée une nouvelle banque sous le nom de Mauritius Commercial<br />

Bank. Adrien d'Epinay combattit vigoureusement, mais sans succès, cette nouvelle banque dans une<br />

brochure intitulée: Réflexions sur la mesure administrative qui autorise la création d'une nouvelle banque<br />

et l,émission d'un nouveau papier à Maurice et sur les motifs qui l'ont déterminée.<br />

71. p, 48. Le Protecteur des esclaves était M. Richard Morris Thomas qui arriva à l'île Maurice le 24<br />

octobre 1828 et entra en fonctions le 19 mars 1829. Il y avait pour assistant M. William Danford; il y<br />

avait aussi un assistant-protecteur pour chaque quartier de la colonie.<br />

72. p. 49. Jacques Gaillardon, né en France en 1777, mort à Maurice en 1835. Membre du Comité<br />

Colonial, il se sépara, le 21 octobre 1830, avec André Maure, de ses collègues, lors de la discussion des<br />

pouvoirs à donner à d'Epinay pendant sa première mission, ce qui le fit rayer de la liste des membres de<br />

ce Comité, à la demande de d'Epinay (voir Introduction, pp. XIV-XV). Plus tard il se réconcilia avec<br />

d'Epinay et fut un des fondateurs et des directeurs de la Banque de Maurice. Il fut aussi membre du<br />

nouveau Conseil du Gouvernement créé en 1832.<br />

73. p. 52. Cette adresse ne figure pas dans le fonds d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie et n'est pas<br />

mentionnée non plus dans les Esquisses Historiques de Pitot.<br />

74. p. 53. Le Strelitz ou Streltzi était une légion spéciale créée par Ivan le Terrible en 1650 et<br />

recrutrée d'abord parmi la noblesse russe, puis parmi les bandits de toutes les Russies. En 1698 ce corps<br />

192


se révolta contre Pierre le Grand qui étouffa cette rébellion dans le sang et fit massacrer les légionnaires<br />

rebelles jusqu'au dernier sur la Place Rouge de Moscou (Historians' History of the World, 1908, XVII,<br />

202, 203, 250, & 265). Les Janissaires étaient un corps militaire turc organisé par l'Emir Orkhan (1326-<br />

1359). Durant plusieurs siècles ce corps redoutable joua un rôle important dans l'histoire de l'empire<br />

ottoman et imposa sa volonté à plusieurs sultans. En 1826 le sultan Mahmoud II mit fin à la puissance des<br />

Janissaires par un massacre non moins mémorable que celui du Strelitz par Pierre le Grand (Historians'<br />

History of the World, 1908, XXIV, 315-317, 366, 372, 392, 394, 407, 424-425). Adrien d'Epinay cite ces<br />

deux exemples parceque la destruction du Strelitz et des Janissaires fut le prélude en Russie et en Turquie<br />

d'un ordre nouveau comparable à celui que les anti·esclavagistes se proposaient d'établir dans l'empire<br />

britannique en abolissant l'esclavage.<br />

75. p. 54. John Justin Cooper, né en Angleterre en 1790, mort à l'île Maurice le 31 août 1832,<br />

quinze jours après avoir été nommé juge de la Cour Suprême. Il exerçait les fonctions d'avocat du<br />

gouvernement depuis 1831.<br />

76. p. 54. Joseph Hume (1777-1855), membre du Parlement en 1812 et de 1818 à 1847, après avoir<br />

servi aux Indes dans sa jeunesse comme médecin militaire. Le « plan d'économie » qu'Adrien d'Epinay se<br />

proposait de lui adresser ne figure pas dans le fonds d'Epinay de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe.<br />

77. p. 64. Edward George Geoffrey Smith Stanley, plus tard Comte de Derby (1799-1869), fut un<br />

des hommes d'Etat anglais les plus remarquables du XIXe siècle. Il fut Secrétaire d'Etat pour les colonies<br />

en 1833-34, dans le ministère de Lord Grey, et de 1841 à 1844, dans le ministère de Sir Robert Peel. Sa<br />

nomination au Bureau Colonial en 1833 n'était pas due, comme le croyait d'Epinay, « à une pensée<br />

conservatrice que l'état alarmant des colonies avait enfin inspirée » (voir Introduction. p, XXIII), mais à<br />

une combinaison de cabinet que William Law Mathieson décrit ainsi: « Lord Durham avait démissionné<br />

comme Lord du Sceau Privé à « cause de la répugnance qu'il avait pour l'Irish Cœrcion Bill et Stanley, le<br />

Secrétaire principal pour l'Irlande, qui était un partisan un peu trop zélé de la « cœrcition, avait reçu la<br />

promesse d'un portefeuille. Il fut conséquemment « convenu que Goderich deviendrait Lord du Sceau<br />

Privé à la place de Durham « et que Stanley lui succéderait comme Secrétaire d'Etat pour la guerre et les «<br />

colonies, » (British Slavery and its abolition, 1823-1838, London, 1926, p. 229).<br />

78. p. 65. En 1830 le ministère tory du Duc de Wellington fut remplacé par un ministère whig, ayant<br />

à sa tête Lord Grey. Un des principaux points du programme des whigs était la réforme du Parlement à<br />

laquelle les tories s'étaient toujours opposés. En avril 1831 Grey présenta un premier Bill de Réforme qui<br />

fut rejeté après un long débat par une faible majorité. Grey fit appel à l'électorat qui maintint les whigs au<br />

pouvoir. Présenté de nouveau au Parlement, le Bill fut accepté par la Chambre des Communes mais rejeté<br />

par la Chambre des Lords. Grey démissionna et Wellington redevint Premier Ministre, mais cela causa<br />

193


dans le pays un tel mécontentement que Grey fut bien vite rappelé et que la Chambre des Lords dut céder.<br />

Le Bill fut voté le 4 juin 1832 et, aux élections suivantes, les whigs obtinrent une écrasante majorité,<br />

grâces surtout aux efforts de James Stephen et du pasteur Knibb, anti-esclavagistes militants.<br />

79. p. 67. Jean Marie Virieux (1766-1845), vice-président de la Cour d'Appel, fut destitué, le 2<br />

février 1833, pour avoir refusé de se rendre à la Cour pour y installer Jeremie comme Procureur-General,<br />

le 22 juin 1832. Plus tard le gouvernement revint en partie sur cette mesure en lui accordant une pension<br />

qui lui fut payée jusqu'à sa mort. Draper avait été destitué pour avoir voté au Conseil du Gouvernement le<br />

renvoi de Jeremie. Il fut réintégré en 1836 (voir note 68).<br />

80 p. 67. Jeremie avait accusé Sir Charles Colville d'avoir été, par sa faiblesse, le complice d'Adrien<br />

d'Epinay. Il était naturel que le gouverneur de la colonie fut entendu le premier. La rigoureuse<br />

investigation à laquelle sa conduite fut soumise se termina par un non-lieu. Le 13 juillet il reçut une<br />

réponse qui, sans l'excuser, ne le condamnait pas (Seconde Mission, No 16, p. 73). 11 fut également<br />

autorisé à accepter un vase d'argent que les habitants de Maurice avaient décidé de lui offrir et qui portait<br />

cette inscription: Dans les mois de juin et de juillet 1882, Sir Charles Colville, gouverneur de Maurice, a<br />

sauvé le pays des horreurs de la guerre civile. Les habitants reconnaissans lui ont donné ce vase en<br />

témoignage de leur attachement et de leur vénération.<br />

81. p. 68. De ce chiffre les habitants de Maurice reçurent exactement : £ 2, 112, 632-10s- 11¼d, soit<br />

environ Rs 31, 659, 495. Une Commission spéciale fut nommée pour veiller à la répartition équitable de<br />

cette somme entre les propriétaires d'esclaves. Les membres de l'Anti-Slavery Society s'efforcèrent de<br />

leur mieux de frustrer les propriétaires mauriciens de leur part d'indemnité et Adrien d'Epinay, bien qu'il<br />

se fut presque complètement retiré de la vie publique après son retour de sa seconde mission, dut<br />

intervenir de nouveau pour déjouer ces manœuvres: Voir à ce sujet son Mémoire pour les habitants de<br />

l'Ile Maurice en réponse aux accusations portées Contre eux dans le but de les priver de la portion qui<br />

leur est attribuée par la Commission aux fonds de compensation, sur les :£ 20,000,000 votés par l'acte<br />

des 3e et 4e années de William IV, chap. 73, comme indemnité aux propriétaires des esclaves affranchis<br />

par le dit acte, Port-Louis, Imprimerie du Cernéen, 1836.<br />

82. p. 70. Sir John George Shaw Lefevre (1797-1879), avocat et homme politique. Sa fille, Rachel,<br />

épousa Sir Arthur Hamilton Gordon, qui fut gouverneur de l'île Maurice de 1871 à 1874 et qui écrivit sur<br />

cette colonie deux volumes de souvenirs du plus haut intérêt intitulés: Mauritius : Records of private and<br />

of public life, 1871-74, Edinburgh, R. & R. Clark, 1894. Après Farquhar et Cole Gordon fut probablement<br />

l'homme le plus remarquable que l'île Maurice ait eu pour gouverneur.<br />

194


83. p. 74. On appelait prœdiaux les esclaves affectés aux travaux agricoles, et non-prœdiaux ceux<br />

qui étaient employés à d'autres travaux. Aux termes de l'Acte d'Emancipation (28 août 1833) les premiers<br />

devaient être définitivement affranchis le 1er février 1841 et les autres le 1er février 1839. Mais un Ordre<br />

en Conseil du 5 novembre 1838 fixa finalement le terme de l'apprentissage pour les esclaves dits<br />

prœdiaux à la même date que pour les non-prœdiaux. Toutefois, comme cet Ordre en Conseil ne fut<br />

enregistré à l'île Maurice que le 11 mars 1839, les intéressés ne furent libérés que le 31 mars 1839; au lieu<br />

du 1er février.<br />

84. p. 74. Stephen Lushington 1782-1873), membre du Parlement de 1806 à 1808 et de 1810 à<br />

1841. C'était un des membres les plus zélés et les plus actifs de l'Anti-S!avery Society. C'est également lui<br />

qui intervint, le premier, au Parlement, le 12 juin 1827, pour obtenir l'abolition des distinctions et<br />

restrictions qui frappaient les gens de couleur dans l'empire britannique et dont ceux de la Jamaïque se<br />

plaignaient alors très vivement (voir à ce sujet William Law Mathieson : British Slavery and its abolition,<br />

1823-1838, pp.188-190). Ces distinctions furent finalement abolies officiellement le 22 juin 1829. En se<br />

faisant ainsi les champions de la population de couleur dans les colonies les anti-esclavagistes espéraient<br />

se faire des alliés de cette population, mais ils furent vite déçus, car les gens de couleur propriétaires<br />

d'esclaves ne se montrèrent guère mieux disposés que les blancs à se dessaisir de leurs esclaves.<br />

85. p. 76. Ce groupe avait pour chef James Blyth (1800-1893), qui fonda une importante maison de<br />

commerce à l'île Maurice en 1835, Il fut en opposition constante avec d'Epinay et le groupe des planteurs<br />

et avait pour organe le Mauricien, fondé en 1833 par Eugène Leclézio pour faire échec au Cernéen, fondé<br />

par d'Epinay le 14 février 1832. James Blyth a laissé des mémoires inédits aujourd'hui conservés à la<br />

maison Blyth de Londres.<br />

86. p. 78. Consultation du Barreau de l'île Maurice sur la question de savoir si l'Ordre en Conseil<br />

du 2 novembre 1831, destiné aux colonies de la Couronne, y peut avoir force de loi, en date du 9 avril<br />

1831 et reproduite à l'Appendice III (pp.115-134) des Souvenirs d'Adrien d'Epinay, edités par Prosper<br />

d'Epinay, Fontainebleau, 1901. Les auteurs de cette consultation y examinaient les question suivantes:<br />

1° L'île Maurice a-t-elle une constitution?<br />

2°' A-t-elle perdu, par le fait de la conquête, les droits qu'elle tenait de sa constitution?<br />

3° Les conditions de la capitulation et les promesses solennelles faites au nom du Roi de la Grande<br />

Bretagne ont-elles cessé d'être d'être obligatoires pour le gouvernement?<br />

4° Qu'est-ce qu'une colonie dite de la Couronne?<br />

5° Le Souverain peut-il détruire ou alléger les propriétés de ses sujets?<br />

6° Les sujets peuvent-ils être liés par un acte qui excède les pouvoirs de la Couronne?<br />

195


87. p. 78. Réfutation de la consultation du Barreau de l'île Maurice par Lord Goderich, ministre<br />

des Colonies, publiée dans le Cernéen du 19 février 1833 et reproduite à l'Appendice III (p. 135-138) des<br />

Souvenirs d'Adrien, d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay, Fontainebleau, 1901.<br />

88. p. 78. Réponse des membres composant le Barreau de l'Ile Maurice à la réfutation faite par Sa<br />

Seigneurie le Secrétaire d'Etat pour les colonies de la Consultation qu'ils ont publiée sous la date du 9<br />

avril 1832, publiée dans le Cernéen du 22 février 1833 et reproduite à l'Appendice III (pp. 139-149) des<br />

Souvenirs d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay, Fontainebleau, 1901.<br />

89. p. 79. Le Code Noir ou ensemble des dispositions règlementant l'esc1avage est l'œuvre de<br />

Colbert et fut publié en France en 1685. Il fut promulgué aux Iles de France et de Bourbon par des lettrespatentes<br />

du mois de décembre 1723, enregistrées au Conseil Supérieur de l'Ile Bourbon, qui était alors le<br />

chef lieu des Mascareignes françaises, le 18 septembre 1724. Les mutilations prévues par le Code Noir à<br />

l'égard des esclaves condamnés pour cause de marronnage furent supprimées par l'Assemblée Coloniale<br />

de l'Ile de France par un arrêté en date du 4 décembre 1790.<br />

90. p. 79. La traite fut prohibée par l'Assemblée Coloniale de l'Ile de France par un arrêté en date du<br />

3 e jour complémentaire de l'An II (19 septembre 1794). D'autres dispositions à ce sujet sont contenues<br />

dans les arrêtés des 7 brumaire An III (28 octobre 1794), 28 pluviose An VI (16 février 1798), édictant les<br />

précautions à prendre pour s'assurer si les bâtiments sortant du port ne se destinaient pas à la traite. et 4<br />

ventose An VI (22 février 1798). Ce n'est qu'après que l'esclavage (aboli par la Convention le 16 pluviose<br />

An II) eut été retabli dans l'empire français par un arrêté consulaire du 30 floréal An X (20 mai 1802) que<br />

l'Assemblée Coloniale de l'Ile de France autorisa de nouveau la traite par un arrêté du 1er messidor An X<br />

(20 juin 1802). Ainsi, tout en se refusant à adopter l'abolition complète de l'esclavage décrétée par la<br />

Convention, mesure impraticable et qui n'eut d'autre résultat que de mettre à feu et à sang les Antilles<br />

françaises, l'Assemblée Coloniale de l'Ile de France se montra disposée à rencontrer les vues du<br />

gouvernement républicain au sujet de l'esclavage dans ce qu'elles avaient de sage et de modéré.<br />

91. p. 79. Dès le 8 septembre 1791 l'Assemblée Coloniale de l'Ile de France arrêta que les gens de<br />

couleur nés de père et mère libres seraient admis à toutes les assemblées paroissiales et coloniales. Le 24<br />

pluviose An V (12 février 1797) elle ordonna encore l'abrogation de l'article 51 du Code Noir qui<br />

prohibait toutes libéralités et donations entrevifs et à cause de mort en faveur des gens de couleur. Cet<br />

article ne fut remis en vigueur que le 3 pluviose An XII (24 janvier 1804), sous l'administration du<br />

général Decaen, qui marqua, à l'Ile de France, le début de la politique d'ostracisme envers la population de<br />

couleur, politique dont les actes de l'Assemblée Coloniale sont exempts.<br />

92. p. 82. Sir Lowry Cole fut un des meilleurs gouverneurs anglais de l'île Maurice. Albert Piiot lui<br />

a consacré tout un volume de ses Esquisses Historiques, mais en a tracé un portrait qui n'est guère<br />

196


essemblant. Les activités de Sir Lowry Cole à Maurice ont été encore étudiées récemment, mais d'une<br />

manière très succinte, dans les Memoirs of Sir Lowry Cole, edités en 1934 par sa petite-fille, Miss Maud<br />

Lowry Cole et par le publiciste Stephen Gwynn.<br />

93. p. 83. Joachim Henri Adam, né à Rouen en 1793, vint s'établir, en 1817, à l'île Maurice où, à la<br />

suite de son mariage avec Melle Pipon, fille du directeur d'une des plus importantes maisons de<br />

commerce de la colonie, il acquit une situation en vue dans le monde des affaires. Il dirigea le corps des<br />

volontaires organisé en avril 1832. Le 4 juillet 1833 il reçut de Sir William Nicolay l'ordre de quitter la<br />

colonie. Il se rendit en Angleterre où il présenta une pétition au Conseil Privé demandant l'annulation de<br />

l'ordre d'expulsion el une compensation pour le préjudice causé. Le Conseil Privé, écartant la question<br />

d'expulsion pour motif politique et jugeant uniquement sur la nationalité du plaignant, qui était étranger,<br />

n'ayant jamais été naturalisé britannique, estima que le gouvernement local avait le droit de renvoyer tout<br />

étranger, sans en même donner la raison. M. Adam fut, cependant, autorisé à retourner à Maurice et, le 21<br />

décembre 1840, il y reçut, à sa demande, la naturalisation britannique. Il mourut à Port-Louis; du choléra,<br />

en 1856.<br />

94. p. 86. Né en Corse en 1807, Pierretti était venu rejoindre en 1819 son frère ainé qui s'était établi<br />

depuis longtemps à l'île Maurice. En 1831 il eut le malheur de tuer en duel M. Richaud. Sir Charles<br />

Colville ordonna immédiatement son expulsion mais, dans la suite, ayant été jugé et acquitté par le<br />

Tribunal de première instance, il obtint de rester dans la colonie à la condition de fournir à la police un<br />

cautionnement. En janvier 1833 il reçut de nouveau l'ordre de partir et fut arrêté. Le 7 mai 1833 il<br />

comparut devant la Cour Suprême où la poursuite était représentée par Jeremie qui faisait, en cette<br />

circonstance, ses débuts comme Procureur-Général. Sous prétexte que Pierretti avait été arrêté par ordre<br />

supérieur, Jeremie déclina la juridiction de la Cour, mais le Chef-Juge Blackburn rejeta cette prétention et<br />

fit élargir le prévenu. Au sortir de l'audience, Pierretti fut arrêté de nouveau par un ordre de Reddie, juge<br />

de la Cour de première instance, que Blackburn annula le lendemain même. Le 11 mai il fut mandé à la<br />

police où on lui présenta une liste de 6 navires en partance en lui demandant de choisir celui qu'il<br />

voudrait. Il demanda à être renvoyé en Corse, son pays natal, mais, comme aucun de ces navires n'y allait,<br />

on décida de l'incarcérer sur-le-champ. Le 11 août il fut embarqué de force sur le .Jupiter, à destination de<br />

l'Angleterre. Arrivé à Londres, il alla demander appui à Adrien d'Epinay qui obtint de Stanley qu'il fût<br />

autorisé à retourner à Maurice, mais ne lui donna jamais l'assurance qu'il pourrait c0ntinuer à résider dans<br />

cette colonie. Il revint à Maurice le 17 janvier 1835, sur le même navire que d'Epinay, qui se porta garant<br />

de ses actes pendant tout le temps qu'il séjournerait dans la colonie. En mars, il partit pour Bourbon avec<br />

l'intention de s'y établir. Quelque temps après, il revint à Maurice et ne fut pas inquiété. Dans l'intervalle<br />

Nicolay avait écrit, le 28 février, au Secrétaire d'Etat (voir Appendice VI du présent recueil) une longue<br />

lettre à ce sujet dans laquelle il lui exprimait les plus grandes craintes au sujet du séjour de Pierretti dans<br />

197


la colonie, fondées, apparemment, bien moins sur des motifs politiques que des motifs de sécurité<br />

personnelle. Rien de plus vindicatif, en effet, qu'un Corse maltraité. Le Secrétaire d'Etat répondit, dans<br />

une dépêche du 18 juillet. que Pierretti avait été seulement autorisé à séjourner à Maurice le temps<br />

nécessaire pour y trouver un vaisseau pour passer à Bourbon. Aussitôt après la réception de cette dépêche<br />

Nicolay s'empressa de publier l'Avis du Gouvernement reproduit dans le présent l'écueil (Seconde<br />

Mission, N° 49) dans lequel il accusait Adrien d'Epinay d'avoir menti au sujet de Pierretti, accusation non<br />

seulement fausse et malicieuse mais encore parfaitement absurde, car il est inadmissible qu'un homme<br />

aussi intelligent et aussi habile que d'Epinay ait pu essayer d'escamoter la résidence à Maurice d'une<br />

personne dont l'expulsion avait fait tant de bruit. Loin de tourner à la confusion de d'Epinay, cette<br />

méchante attaque lui fournit, au contraire, une excellente occasion de faire le récit détaillé de ses actes à<br />

Londres durant sa seconde mission, récit que Nicolay lui avait refusé la permission de faire de vive voix<br />

dans une assemblée publique, mais qui parut alors sous forme d'une réplique cinglante à l'avis officiel de<br />

Nicolay. Pour de plus amples détails sur l'affaire Pierretti voir cette réplique et voir aussi L'affaire<br />

Pierretti in Mauritiana, III, Nos 49, 50 et 51.<br />

95. p. 90. On verra par la dépêche de Stanley, en date du 18 mars 1834, désavouant celle de Lord<br />

Goderich et reproduite à l'Appendice III du présent recueil que les auteurs du Code Pénal n'eurent pas de<br />

peine à se disculper de la monstrueuse accusation portée contre eux.<br />

96. p. 94. Jean Baptiste Etienne Delaleu (1738-1817), né à Paris, vint tout jeune à l'île Maurice dont<br />

il fit sa patrie d'adoption et qu'il ne quitta jamais. Nommé assesseur au Conseil Supérieur en 1769, il en<br />

devint plus tard le doyen et le président. De 1772 à 1788 il exerça les fonctions de Procureur du Roi<br />

auprès du Tribunal Terrier. De 1777 à 1788 il pubiia un recueil complet des lois de la colonie sous<br />

l'Ancien Régime. Primitivement connu sous le nom de Code Jaune pour le distinguer du Code Noir, ce<br />

recueil reçut plus tard le nom de Code Delaleu, en mémoire de celui qui l'avait édité. La première édition,<br />

sortie des presses de l'Imprimerie Royale de l'Ile de France, est rarissimme. En 1826 M. Mallac en donna<br />

une seconde édition sous le titre de Code des Isles de France et de Bourbon, Une troisième édition<br />

abrégée a été donnée par M. John Rouillard dans le Vol l de sa Collection of the laws of Mauritius and its<br />

dependencies, publiée en 1866.<br />

97 p. 94. John Shaw, né en 1763, mort en 1814 à l'île Maurice où il exerçait comme Chef-Juge<br />

depuis le début de la conquête britannique. D'après A. Pitot. c'était un « homme instruit et d'une réelle<br />

capacité, mais terriblement têtu «et borné.» (Esquisses Historiques, I, 60).<br />

98. p. 94. Ce Chef-Juge sourd était George Smith qui remplaça Shaw en 1814. Pour de plus amples<br />

détails sur ce personnage voir Note 49.<br />

198


99. p. 94. Edward Berens Blackburn. Voir à son sujet la Note 66.<br />

100 p. 95. Cette assertion paraîtra peut-être exagérée. Au temps de d'Epinay les habitants de l'île<br />

Maurice étaient probablement moins anglicisés qu'aujourd'hui, mais il est certain qu'il y avait alors<br />

beaucoup plus de contact entre Anglais et Mauriciens qu'il n'y en a aujourd'hui. Cela tenait premièrement<br />

au fait que les «outremériens» (le mot n'avait pas encore été inventé à cette époque) co-habitaient à Port-<br />

Louis et à Mahébourg, les deux seules villes de la colonie, avec la société créole et ne s'étaient pas encore<br />

tous groupés autour du Camp de Vacoas ; deuxièmement à la présence d"une garnison anglaise beaucoup<br />

plus nombreuse qu'aujourd'hui dont les officiers organisaient de fréquentes réunions mondaines où<br />

Anglais et Mauriciens fraternisaient. Les mariages entre Anglais et Mauriciennes étaient alors très<br />

fréquents. D'autre part, le « franco-mauricianisme» était alors un phénomène complètement inconnu et<br />

pour cause: les Mauriciens de ce temps se souvenaient trop bien de la façon dont la France les avait traités<br />

sous la Révolution et sous l'Empire et, tout en ne reniant pas leurs origines, n'étaient guère enclins à vouer<br />

à leur ancienne mère-patrie un culte sans réserves.<br />

101. p. 95. Adrien d'Epinay fait ici allusion à l'esprit d'entente et de mutuelle compréhension qui<br />

régnait alors depuis peu entre la France et l'Angleterre, grâces aux efforts de Palmerston et de Talleyrand,<br />

et qui venait d'avoir les plus heureuses conséquences au point de vue politique. Ce n'était point encore,<br />

cependant, « l'entente cordiale» que devaient réaliser bien plus tard Edouard VII et Delcassé.<br />

102. p. 96. MM. Brodelei, de Keating, Fenouillot, de Robillard et Grand mange furent arrêtés en<br />

août 1833 par ordre de Jeremie sous l'accusation d'avoir formé un complot pour attaquer, le 8 juin 1832,<br />

le 87ème régiment stationné à Mahébourg, comme prélude à un soulèvement général destiné à chasser les<br />

Anglais de la colonie Le 29 mars 1834 ils furent acquittés après un procès sensationnel. Pour de plus<br />

amples détails sur ce procès voir l'Introduction au présent recueil, pp. XXV-XXVI, et le récit qui en fut<br />

publié en 1834 sous le titre de Procès de cinq colons de Maurice accusés d'attentat ou complot tendant à<br />

renverser le gouvernement de la colonie.<br />

103. p. 99. Voir le texte de cette réponse à l'Appendice l du présent recueil.<br />

104. p. 102. La Charte de Bourbon à laquelle d'Epinay fait allusion est la loi du 24 avril 1833<br />

concernant le régime législatif non seulement de Bourbon mais aussi de la Martinique, de la Guadeloupe<br />

et de la Guyane. Aux termes de cette loi, la puissance législative qui, le 1804 à 1833, avait appartenu au<br />

chef de l'Etat et au gouverneur, son représentant, se trouvait partagée entre le pouvoir législatif du<br />

royaume, le Roi et le conseil colonial; le gouverneur n'exerçait plus que le pouvoir exécutif; son concours<br />

était, néanmoins, nécessaire à la confection des décrets coloniaux et à l'exécution des lois, des<br />

ordonnances royales et des décrets coloniaux. Pour le texte de la loi en question et de plus amples détails<br />

199


sur le régime législatif de Bourbon voir Delabarre de Nanteuil; Législation de l'île Bourbon, Paris, 1844,<br />

III, 179-207.<br />

105. p. 109. C'est aussi l'opinion de Leroy-Beaulieu qui écrivait, à ce sujet, en 1886: « L'abolition<br />

de la traite, précédant de 21 ans l'abolition de l'esclavage, fut pour les colonies anglaises une blessure<br />

d'autant plus funeste que les planteurs ne firent rien pour lui porter remède. Mieux aurait valu, selon nous,<br />

supprimer d'un même coup la traite et l'esclavage, les colonies elles-mêmes s'en seraient mieux trouvées:<br />

l'on ne gagne rien à de pareils atermoiements; l'histoire des îles anglaises fournit la preuve de la<br />

différence entre les demi-mesures et les mesures définitives. Quand la traite fut abolie, les colons se<br />

plaignirent et souffrirent; quand la liberté des noirs fut prononcée, les colons, après de courtes plaintes, se<br />

mirent courageusement à l'œuvre et firent de mâles et intelligents efforts pour remédier à leur position.<br />

L'esprit humain est ainsi fait qu'il ne recourt aux grandes résolutions que quand une situation est nette et<br />

définitive, il ne se dégage de la matière et ne prend possession de toutes ses ressources que quand il voit<br />

s'échapper tout autre espoir de salut» (Leroy-Beaulieu: De la colonisation chez les peuples modernes, s.d.,<br />

p. 196).<br />

106. p. 111. La Cour de Vice-Amirauté fut établie à l'île Maurice le 6 mai 1815, pour connaître des<br />

délits commis en mer et plus spécialement des infractions aux actes du Parlement anglais abolissant la<br />

traite.<br />

107. p. 112. Ce projet d'Université à Maurice en 1833 paraîtra peut-être très ambitieux. S'il avait pu<br />

être réalisé, il eût, pourtant, ouvert l'accès aux carrières libérales à un grand nombre de jeunes gens qui<br />

n'avaient pas les moyens d'aller faire des études en Europe, ce qui, à cette époque, était non seulement très<br />

coûteux mais encore prenait beaucoup plus de temps qu'aujourd'hui. Une Université où des professeurs<br />

bien choisis auraient initié l'élite mauricienne à la culture anglaise n'était-ce pas encore là un bien meilleur<br />

moyen d'anglicisation que tant d'autres beaucoup plus malhabiles auxquels devait avoir recours, dans la<br />

suite, le gouvernement?<br />

108. p. 114. Thomas Spring-Rice, baron Monteagle (1790-1866). Membre du Parlement depuis<br />

1820, il faisait partie du cabinet depuis 1830 lorsqu'il succéda à Stanley comme Secrétaire d'Etat pour les<br />

colonies. Son séjour au Bureau Colonial fut très court et ne fut marqué par aucun acte important. Voici,<br />

d'après William Law Mathieson, dans quelles circonstances il succèda à Stanley: « Stanley resta assez<br />

longtemps au Bureau Colonial pour établir mais non pour surveiller le système qu'il avait créé. Grand<br />

partisan de la Haute Eglise et sur le point de devenir un tory, il quitta son poste comme il avait quitté celui<br />

qu'il occupait précédemment pour des raisons qui avaient trait à l'Irlande. » (British. Slavery and its<br />

abolition, 1823-1838, London, 1926, p. 243)<br />

200


109. p. 126. Son nom ne figure pas dans le Dictionary of National Biography.<br />

110 p. 126. L'Ordre en Conseil dont il s'agit était daté du 17 septembre 1834 et contenait divers<br />

règlements et dispositions à l'effet de déterminer et d'assurer l'exécution à l'île Maurice de l'Acte<br />

d'Abolition de l'Esclavage. Il fut expédié à Maurice par le Bencoolen et proclamé dans cette colonie le 21<br />

mars 1835 (Ordonnance 8 de 1835).<br />

111. p. 128. Ce n'était là qu'un mauvais prétexte. La meilleure preuve en est que ce n'est que quinze<br />

ans plus tard, en 1850, qu'une première expérience assez timide fut faite dans ce sens en accordant une<br />

charte municipale à la ville de Port-Louis., capitale de l'île Maurice. Cette mesure, que Lord Howick,<br />

alors Secrétaire d'Etat pour les Colonies, déclarait être la meilleure préparation pour la future concession<br />

aux habitants d'une participation plus large au gouvernement de l'île (The colonial policy of Lord John<br />

Russell's administration, l, p. 110), ne fut d'ailleurs pas étendue aux districts ruraux dont trois au moins, le<br />

Grand Port, Flacq et Pamplemousses, étaient alors suffisamment importants pour être dotés également<br />

d'une municipalité. Quant à la réorganisation du Conseil Législatif de 1832 sur une base élective, elle ne<br />

fut effectuée qu'en 1886.<br />

112. p. 129. Charles Grant, baron Glenelg (1778-1866), fut Secrétaire d'Etat pour les colonies de<br />

1835 à 1839. Sa politique irrésolue à l'égard du Canada lui aliéna en même temps les tories et les whigs et<br />

il dut démissionner et se retirer de la vie publique en 1839.<br />

113. p. 130. Voir cette proclamation (textes anglais et français) dans la Mauritius Government<br />

Gazette, No 9 du 28 février 1835. Elle avait pour objet principal de faire connaître aux habitants de<br />

Maurice que le Secrétaire d'Etat avait décidé de réintégrer Prosper d'Epinay au poste de Procureur-<br />

Général. Elle était rédigée en termes assez ambigus qui pouvaient donner à entendre que Nicolay avait eu<br />

quelque part à cette nomination alors qu'en fait cette décision émanait uniquement du Secrétaire d'Etat.<br />

Nicolay y assurait également les habitants de Maurice en termes mielleux de l'intérêt qu'il prenait à leur<br />

bonheur et à leur prospérité et terminait en les exhortant à se reposer avec patience et confiance sur les<br />

dispositions sincères et bienveillantes qui animent le Gouvernement de ( Sa Majesté à leur égard et à<br />

attendre, comme une récompense de leur loyauté, de leur attachement et de leur conduite paisible, une<br />

participation à de plus libérales institutions qu'il est dans l'intention du Gouvernement de Sa Majesté<br />

d'étendre jusqu'à eux, lorsque le moment convenable sera arrivé, mais qui ne lui seront jamais arrachées;<br />

tandis qu'au contraire ces bienfaits ne pourraient qu'être retardés par les clameurs et l'exigence des partis.<br />

Cette dernière phrase était une allusion à la seconde mission dAdrien d'Epinay, allusion inutile et même<br />

assez déplacée dans une proclamation qui avait principalement trait à son propre frère. Quant à la<br />

participation à de plus libérales institutions) que ce document laissait entrevoir aux habitants de Maurice<br />

dans un avenir assez prochain, elle ne fut accordée qu'en 1886, soit plus d'un demi-siècle plus tard.<br />

201


NOTES ADDITIONNEL<strong>LES</strong><br />

1. Sir Robert Townsend Farquhar (1776-1830) était un employé de la Compagnie des Indes<br />

anglaise lorsqu'il fut nommé gouverneur de l'île Maurice, au moment de la conquête de cette île par<br />

l'Angleterre en 1810. Bien qu'il dut, en grande partie, sa nomination à l'influence de son père, qui était le<br />

médecin privé du Prince Régent, il montra, dans la suite, qu'il avait d'autres ressources pour faire son<br />

chemin que l'influence paternelle. Sans avoir toutes les qualités administratives, il était loin d'être un<br />

incapable. Il adopta, à l'île Maurice, une politique de rapprochement entre Français et Anglais et réussit,<br />

dans une certaine mesure, à se concilier les sympathies des habitants. A l'égard de la traite il adopta une<br />

attitude que les anti-esclavagistes anglais réprouvèrent alors hautement, mais qu'un historien de<br />

l'esclavage a jugée récemment en ces termes: « Farquhar n'avait pas tout à fait tort de croire que le moyen<br />

le plus efficace et « le plus durable d'abolir la traite était de l'arrêter au point de départ plutôt « qu'au point<br />

darrivée ». (R. Coupland : The British Anti-Slavery movement, London, 1933. p. 192), Dans ce but il<br />

s'efforça d'amener le « roi » de Madagascar, d'où provenaient la plupart des cargaisons d'esclaves<br />

destinées à Maurice, à abolir ce commerce dans son pays. En même temps, il essaya d'entreprendre la<br />

conquête pacifique de la Grande Ile. S'il avait réussi, il serait aujourd'hui probablement aussi célèbre que<br />

Stamford Raffles ou Cecil Rhodes. Mais le Bureau Colonial ne comprit pas ce projet et ne le seconda pas<br />

comme il fallait.<br />

2. Sir William Nicolay (1771-1842) était d'origine allemande, bien que né en Angleterre. Après<br />

avoir servi aux Indes, en Amérique et en Europe, il commença sa carrière de gouverneur colonial en 1824<br />

dans les West indies d'où il passa à l'île Maurice, qu'il administra du 30 janvier 1833 au 20 février 1840.<br />

Ses manières, qui rappelaient celles du général Hall, n'étaient guère faites pour lui conquérir la sympathie<br />

des habitants. Les manières de sa femme, une petite bourgeoise, fille d'un clergyman de Northumberland,<br />

contrastaient aussi singulièrement avec celles de Lady Cole et de Lady Colville (voir à ce sujet Seconde<br />

Mission, N° 23, p. 84). Envoyé à lîle Maurice, après les événements de 1832, pour rétablir l'ordre dans la<br />

colonie que Jeremie avait décrite au Bureau Colonial comme une colonie rebelle, il put constater, dès son<br />

arrivée, « que tout ce qui avait été « raconté à Londres était fort exagéré et que la force insurrectionnelle<br />

armée « n'existait pas » (voir sa dépêche au Secrétaire d'Etat en date du 16 février 1833 in Souvenirs<br />

d'Adrien d'Epinay, édités par Prosper d'Epinay, p. 4). Il ne s'en montra pas moins, durant tout son<br />

gouvernement, nettement hostile à ses administrés, à Adrien d'Epinay particulièrement pour qui il semble<br />

avoir éprouvé une véritable haine. A l'exclusion des jugements de source mauricienne sur Nicolay,<br />

l'opinion suivante exprimée par son collègue Sir Lowry Cole, qui fut une belle figure de soldat et<br />

d'administrateur, montre assez que ce gouverneur n'appartenait ni à l'élite militaire ni à l'élite coloniale de<br />

202


ce temps: « Le journal annonce la nomination du général Nicolay pour succéder à Sir Charles Colville<br />

qui, dit-on, est rappelé. J'espère sincèrement, mon cher Lord, que cette nouvelle est sans fondement. Le<br />

général Nicolay n'a aucune réputation d'homme public, sauf peut-être dans vos bureaux ou ce qui est plus<br />

à propos à l'Anti-Slavery Society qui a lieu d'être satisfaite de son administration des West Indies (Lettre<br />

de Sir Lowry Cole à Lord Goderich en date du 25 juillet 1832 reproduite in Memoirs of Sir Lowry Cole,<br />

edited by Stephen Gwynn & Maud Lowry Cole, London, 1934, p. 227).<br />

3. Sir John Jeremie (1795-1841) fut un des membres les plus zélés et les plus décriés de l'Anti-<br />

Slavery Society. Nommé Chef-juge à Ste Lucie (West Indies) en 1824, il dut démissionner en 1830, en<br />

raison de ses vues sur l'esclavage qui étaient peu faites pour le rendre sympathique aux habitants de celte<br />

colonie. Les circonstances dans lesquelles il fut envoyé à Maurice sont décrites comme suit dans la Vie de<br />

Buxton, traduite par Melle Rillet de Constant, Paris, Cherbuliez, 1853, p. 104: En 1831 Buxton, frappé de<br />

l'énergie de M. Jeremie, qui avait été juge à Ste Lucie, de la hardiesse avec laquelle il manifestait ses<br />

principes, pensait que c'était précisément l'homme qu'il fallait envoyer à l'Ile Maurice et il lui dit avec sa<br />

franchise habituelle: Il importe peu que vous soyez ou ne soyez pas tué, mais il importe qu'un homme<br />

comme vous aille dans ce moment à l'Ile Maurice, M. Jeremie sourit, le quitta; mais il revint le lendemain:<br />

J'ai pensé, dit-il à Buxton, à ce que vous m'avez dit hier, et je suis convaincu maintenant qu'en effet il vaut<br />

mieux courir la chance d'être sacrifié pour faire réussir cette affaire; je suis prêt à partir. L'affaire en<br />

question c'était l'expérience d'abolition sans indemnité pour laquelle l'île Maurice devait servir de cobaye.<br />

203


APPENDICES<br />

204


APPENDICE I<br />

Réponse de Sir Charles Colville à l'adresse présentée par les habitants, le 5 avril 1832.<br />

To Pouget de St André père, Esq.<br />

Sir,<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe, fonds d'Epinay, dossier 8.6.3)<br />

Chief Secretary's Office,<br />

Port-Louis, 10th April 1832.<br />

In answer to the Address presented to His Excellency the Governor on Thursday last by a<br />

deputation, or which you were a member, on behalf of the Inhabitants of the Colony, I have the honour to<br />

transmit to you a Memorandum of His Excellency the Governor dated yesterday, which His Excellency<br />

the Governor wishes to be communicated to the Gentlemen of the Deputation and those who signed the<br />

Address.<br />

I have the honour to be, etc.<br />

GEO. F. DICK,<br />

Chief Secretary to Government.<br />

MEMORANDUM<br />

Without entering into the causes which may have spread the alarm which, unfortunately, is at the<br />

present moment generally felt in the Colony, or assenting in any way to the justness of such conclusion,<br />

as may have been drawn by the timid or the disaffected from opinions too publicly avowed, or principles<br />

too indiscretly disseminated. His Excellency cannot hesitate, in answer to the address presented to him, to<br />

assure the Inhabitants of this Colony that every measure, which a rigid and uncompromising sense of duty<br />

can command for the protection and security of their persons and their property, will be on every occasion<br />

resorted to by His Excellency, for the purpose of restoring the public confidence and tranquility.<br />

His Excellency, therefore, relying confidently upon the loyalty and attachment of His Majesty's<br />

subjects in this Colony, and fully impressed with the truth that no real ground of distrust does exist<br />

between the Inhabitants and the Garrison, (however much it is to be regretted that the ill-judged<br />

publications and language of some of the former may have given rise to such a suspicion), readily accedes<br />

to the wish that has been expressed to him, by authorising the organisation of an armed volunteer force,<br />

on a moderate scale of numbers under proper selection, and liable to His Excellency's approbation, or<br />

205


otherwise, of the officers, points of rendez-vous, etc., - a measure, indeed, which the Governor had<br />

himself recommended as far back as the years 1829 and 1830.<br />

His Excellency expects, as a return for the confidence which he thus rnanifests in the loyal and<br />

proper feeling of the Inhabitants, that they, on their parts, will henceforth abstain from all secret or<br />

unauthorised associations and armings, the effect of which must necessarily be to encrease apprehension,<br />

to destroy mutual confidence, and to give rise to that very distrust, which it is the prominent object of the<br />

address to remove.<br />

With respect to the latter part of the address, wherein reference is made to some individual, whose<br />

principles and views are supposed to be hostile to the interests of the Colony, His Excellency will not<br />

pretend to be ignorant of the allusion, which has already been most unwisely prornulgated, at the expense<br />

of the public tranquility, and which has been the source of unneccessary irritation. Although His<br />

Excellency cannot officially notice the appointment of any person, of whose intended arrival he is only<br />

informed by public rumour, yet it rnay not be iIl-timed to observe, in answer to the case supposed in the<br />

address, that if any opportunity, so often sollicited, should be afforded to the Inhabitants of this Colony to<br />

expose their real situation to their enemies, if, as His Excellency is persuaded, they have nothing to fear<br />

from an honest, though even a prejudiced, examination of their internal state and conduct, nothing could<br />

be more detrimental to their interests, or fatal to the cause which they have to defend against their<br />

adversaries, than to shut the door against enquiry, and give those, who may be opposed to their welfare,<br />

reason to affirm the insincerity of their professions hitherto.<br />

His Excellency cannot too strongly impress upon the minds of the Inhabitants the impolicy and the<br />

injustice of confounding the person of an individual with any measures of which he may be the bearerfor<br />

while, with respect to the latter, His Excellency, as a loyal subject and a true friend to the Colony,<br />

would feel it his duty to adopt such resolutions as in his conscience, he might consider it most conducive<br />

to His Majesty's Honor, and consistent with the solemn trust reposed in him, to agree to, he would, with<br />

respect to the individual, employ the strongest means which his situation could command to enfarce<br />

obedience to His Majesty's authority, and to protect the person of any one of His Officers from the<br />

slightest attack or insult.<br />

His Excellency, therefore, appeals to the loyalty, the generosity and the honor of His Majesty's<br />

subjects of Mauritius. He calls upon them to give proof of the sincerity of their declarations, and to<br />

convince their opponents that in conformity with their avowed sentiments they are incapable of any act<br />

which would be contrary to their duties as British subjects.<br />

Government House,<br />

Port-Louis, 9th April 1832.<br />

CHAR<strong>LES</strong> COLVILLE.<br />

206


APPENDICE II<br />

Dépêche de Lord Goderich blâmant les auteurs du Code Pénal de 1832.<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe fonds d'Epinay, dossier 8.6.14)<br />

March 15th, 1833.<br />

At the conquest of Mauritius, the ancient French criminal law was found in force; the civil codes<br />

having been previously introduced. The old penal code was ill-digested, and in truth wholly inapplicable<br />

to the existing circumstances of society, and at variance with the feelings and opinions of the present age.<br />

The Commissioners of Eastern Inquiry recommended a change in this law which would have brought it<br />

into a much closer resemblance to the law of England. But in the same spirit of respect for the wishes of<br />

the inhabitants of French origin by which the policy of His Majesty's Government had been guided in<br />

other particulars, I advised His Majesty to authorize the compilation and provisional enactment, within<br />

the Colony itself, of a new penal code. To this work I directed that the particular attention of the judges<br />

and other legal functionaries should be called, in the full persuasion that the confidence so liberally<br />

reposed in them would be met in a similar spirit. I did not, indeed, doubt that the criminal code of France<br />

would be adopted as the basis of the proposed law; nor was I unwilling that the colonists should be<br />

gratified, even at the sacrifice of the opportunity thus afforded me of assimilating the laws of the Colony<br />

to those of England, an object of great importance and of permanent interest. I now proceed shortly to<br />

state what has been the result.<br />

The new penal code was compiled with the utmost promptitude, and immediately promulgated as a<br />

law by the Governor and Council Sir Charles Colville transmitted me a copy of it, for His Majesty's<br />

approbation, in the French language. In my Despatch of the 5th July last, no. 47, I directed him to forward<br />

another transcript in English, pointing out the inconvenience and even impropriety of calling for His<br />

Majesty's assent to a law written throughout in a foreign tongue: I, however, examined the French copy<br />

sufficiently to perceive that it was little else than a transcript of the penal code of France, with which,<br />

however, I did not then collate it; thinking that such a task would be more usefully performed whenever I<br />

should receive the English original. Recent events have, however, led me to make this collation; and I<br />

discover to my extreme surprise that the French code was studiously altered at Mauritius precisely in<br />

those enacments which, if they had been retained, would have subjected the seditious in that colony to<br />

severe and well-merited penalties; of this fact Sir Charles Colville never gave me the slightest intimation<br />

when he transmitted the French version of the new law, and in justice to that officer I must express my<br />

207


firm belief that he was himself left in total ignorance of the important interpolations introduced in the new<br />

Code. If so, it will remain with the chief judge and the other public officers employed in preparing it to<br />

explain how it happened that they failed to apprise the Governor of the colony of alterations, which,<br />

momentous though they were, might well escape his observation in the midst of a voluminous body of<br />

laws relating to a subject foreign to his ordinary pursuits and studies.<br />

The time in which these changes were made is highly worthy of remark. The law bears date of the<br />

15th of February 1832, a period at which the armed associations, the seditious public notices, and the<br />

self-constituted society to which I have already adverted, were attaining to their full maturity. Yet such<br />

was the occasion when it was thought right silently to introduce changes in the criminal law, the effect of<br />

which was to render the Government helpless, and to secure impunity to persons engaged in proceedings<br />

little short of traitorous.<br />

I will now state shortly what are the changes and departures from the model in which the criminal<br />

code of Mauritius are framed, to which I have thus referred. The 87th section of the criminal code of<br />

France corresponds to 7th of the Colonial code. They both denounce death and confiscation as the<br />

penalties of an attempt or plot against the life or person of any member of the Royal family, or having for<br />

its abject to destroy or change the government, or the order of succession to the throne. The code of<br />

France, however, in the same section contains, while that of Mauritius omits, the following additional<br />

definition of attempts or plots punishable by death: « any attempt or plot to excite the citizens or «<br />

inhabitants to arm themselves against the Royal authority ». These significant words would have precisely<br />

reached the case of the armed associations then in progress; and the omission of them must have been<br />

designed for the express purpose of sheltering the offenders from justice.<br />

Again, the 93rd clause of the French code provides that any person taking the command of an<br />

armed force without a legal sanction or motive shall suffer death. But, in Mauritius, the words in the<br />

corresponding article numbered 82 « sans droit, ou sans motif légitime » are changed for the expression «<br />

sans droit légitime ou motif excusable.» Thus, the persons embodying themselves in arms against the<br />

Government were provided with a legal protection if they could induce a public prosecutor closely<br />

connected with them and judges amongst whom some of their own partisans were to be found to regard<br />

the motives of their proceedings excusable. A plea so comprehensive would embrace every imaginable<br />

apology; and convert the court from a tribunal administering a definite law into a body authorised to<br />

decide upon questions properly belonging only to the King, in the exercise of His Majesty's prerogative of<br />

mercy.<br />

208


Further, the 102d section of the French code was altogether omitted, obviously because it would<br />

have reached the case of persons of great note in the colony, by including, in the definition of treason, any<br />

direct provocation to the commission of that offence by public speeches or printed writings.<br />

Again, the 124th and 125th clauses of the Code Pénal of France were rejected at Mauritius,<br />

obviously because they denounced banishment against those who should concert measures to prevent the<br />

execution of laws or of the orders of Government; and because in cases where the combination had for its<br />

object a design injurious to the internal safety of the State, the offenders were to be punished with death<br />

or confiscation of their goods.<br />

Even still more remarkable is the omission of the 127th clause of the French code, which declared<br />

liable to forfeiture of office every judge or judicial officer who shall presume to interfere with the<br />

authority of legislature, by making laws or by entertaining the question whether laws should be published<br />

or executed.<br />

The obvious design of this change was to en able the judges with impunity to cooperate in those<br />

measures so soon afterwards taken for defeating, by judicial decisions and refusal to register Royal acts,<br />

such changes in the law as His Majesty in Council might see fit to introduce.<br />

In the same spirit the framers of the Colonial code rejected the 217th section of the code of France,<br />

because it declared all provocations to tumult by speeches, placards, or printed writings punishable in the<br />

same manner as tumult itself. Thus the leaders in the agitation were to be safe, whatever punishment<br />

might await the deluded followers.<br />

I might mention other deviations from the French code dictated by similar motives, and all tending<br />

to the same result, of securing to the seditious impunity at least, if they should fail in their resistance to<br />

the Government and the laws. Enough, however, has been said to justify the conclusion which I most<br />

reluctantly admit, that the task confided to the local authority has not been performed in a spirit of good<br />

faith. The result is inevitable. His Majesty will not confirm a law passed in such a manner and for such<br />

purposes; and I am to signify to you his disallowance of it ; which you will cause to be published in the<br />

most authentic manner, explaining at the same time the grounds of that decision, as I have already stated<br />

them.<br />

It results, therefore, that the Colony must revert to that ancient criminal code which I have already<br />

admitted to be barbarous in its provisions and inapplicable to the present times. In this admission all the<br />

judges and public functionaries of the Colony unanimously concur. A remedy, therefore, is indisputably<br />

necessary; and I shall address you in a separate despatch upon that important subject.<br />

I have, etc, etc.,<br />

GODERICH.<br />

209


APPENDICE III<br />

Extrait d'une dépêche de M. Stanley exonérant les auteurs du Code Pénal de 1832.<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe, fonds d'Epinay, dossier 8.6.14)<br />

March 18th, 1834.<br />

The first of these topics in importance, as bearing more immediately upon the due administration of<br />

justice, is the personal justification of two gentlemen: one the chief-justice of the colony, the other the<br />

lately the Procureur General, from the censures passed upon them by my predecessor in his despatch of<br />

the 15th of March, 1833, for a violation of their duty in one of the most important functions which could<br />

be entrusted to a man, the preparation of a Code to regulate the penalties by which the criminal law was to<br />

be enforced. The censure, in point of fact, involved the following accusation; That those high legal<br />

functionaries in the colony, to whom His Majesty had entrusted the important charge of compiling a penal<br />

code for the Island, had not performed their task in a spirit of good faith ; that, professing to follow in<br />

general the model of the French code, they had studiously deviated from that model, precisely in those<br />

points in which it would have borne most directly upon the actual state of the Mauritius; that these<br />

alterations were made at a moment when, upon those very points, the closest vigilance was necessary;<br />

that, by these a1terations, which could hardly be deemed unintentional, they had given encouragement<br />

and impunity to the disaffected, whom it was their duty to restrain, and that, in making these important<br />

changes in the law, they had unaccountably abstained from calling the attention of His Majesty's<br />

Government to, their extent and character. Against these serious charges the two gentlemen principally<br />

concerned have transmitted their separate defences. I have carefully examined the allegations and the<br />

defences, not forgetting to bear in mind the condition in which the colony appeared to be, when my<br />

predecessor transmitted the despatch in question; and it affords me a gratification, commensurate with the<br />

regret with which he came to an opposite conclusion, to be enable to acquit those gentlemen of the heavy<br />

charge of corrupt intention. Yet, in doing so, I must not conceal my opinion that the disaffection and the<br />

opposition to legal authority which had for sorne time prevailed, and was ripening to maturity, the precise<br />

time at which the new law was promulgated, the nature of the alterations and omissions, but, most of all,<br />

the absence of any explanations accompanying the transmission of the code, as to the fact or the grounds<br />

of any deviation of the model proposed, induced naturally, and even necessarily, suspicions so strong as to<br />

amount almost to a conviction of bad faith upon the part of the compilers.<br />

210


The explanations now furnished by the chief judge and Mr d'Epinay considerably weaken, though<br />

they do not altogether remove, the presumption arising from the dates. They state, and I have no doubt<br />

correctly, that, although the new code was not promulgated till the 15th of February, yet the labours of the<br />

commission charged in compiling it had terminated, and the work was delivered to the Governor early in<br />

January; that at the time the excitement which afterwards prevailed upon the subject of the Order in<br />

Council of November 1831, and the appointment of Mr Jeremie, neither of which had reached the colony,<br />

could not be foreseen. Thus far the defence is valid; yet, I fear it must be admitted that, long before either<br />

of these events, the excitement in the colony, on the subject of legislation of the mother country with<br />

reference to slavery, was great and general; that the Order in Council of 1830 had been practically<br />

disregarded; that general opposition was offered to the protectors of slaves; that the colonists were both<br />

openly and secretly combining, under the pretext of mutual protection from apprehended insurrections<br />

among the slaves; and that the temper and tone of the society generally was such as to require the greatest<br />

circumspection in framing any new regulations on subjects connected with the preservation of internal<br />

tranquility.<br />

Of the changes effected in the penal code, and transmitted without observation, one of those which<br />

naturally attracted the attention of Lord Ripon was the entire omission of the 102d and 217th clauses of<br />

the French code. On this subject the vindication of the legal authorities is full, entire and satisfactory. The<br />

clauses, though omitted in this code, are transferred to the law upon the press; and, according to Mr<br />

d'Epinay, appeared in the first draft of the penal code, and were subsequently transferred upon the<br />

promulgation of the law respecting the freedom of the press. The « prima facie » evidence of bad faith,<br />

not unnaturally raised by the entire silence as to the grounds of the omission, is thus completely refuted;<br />

and I doubt not that, had Lord Ripon been made aware of this circumstance, it would naturally have<br />

altered the view which he was led to take of the spirit which dictated the other alterations.<br />

I am inclined to think also that the reasons which are alleged for the omission of the 127th clause,<br />

considering the different circumstances of the judges in France and in Mauritius, and the remedy which<br />

the executive in the latter has in its own hands, sufficiently explain the course which has been adopted.<br />

I am not disposed to enlarge upon some of the other points adverted to by Lord Ripon, because,<br />

although I doubt the propriety of some other alterations, more especially that of the 87th clause (which<br />

indeed the chief judge and M. d'Epinay explain in different senses; the one stating that it was intended to<br />

insert a corresponding provision in article 91; the other contending that that article as it stands, in<br />

conjunction with some others, covered every possible case), I cannot see in them, taken alone, any<br />

sufficient ground for imputing discreditable motives to men who have hitherto borne, in public and in<br />

private life, a high character for honour and integrity. While I repeat, therefore, my expression of deep<br />

regret that, in transmitting a document of such importance, no explanatory notes were added, with respect<br />

211


to those points in which the French law was deviated from, nor the reasons of such deviation stated, it is<br />

with unfeigned satisfaction I feel myself justified in recalling the heavy censure cast upon the motives of<br />

the compilers of the code by my precedessor's despatch of the 15th March last.<br />

STANLEY.<br />

212


CONFlDENTIAL,<br />

Sir,<br />

APPENDICE IV<br />

Lettre de Sir William Nicolay au Secrétaire d'Etat.<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe, fonds d'Epinay, dossier 8.6.15)<br />

Mauritius,<br />

18th January 1835.<br />

I had, yesterday, the honour to receive, by the ship «Bencoolen », your confidential despatch of the<br />

19th September last 77 , enclosing copies of two private letters (dated 25th July and 18th September) which<br />

you had addressed to Mr Barclay, on the subject of the state of the affairs of this Island.<br />

I am highly gratified at hearing that you have clearly intimated to that gentleman that the recent<br />

changes among the law officers of this Colony and other demonstrations in favour of the inhabitants,<br />

generally, are to be considered as the free acts of His Majesty's Government.<br />

It is hardly to be doubted that Mr Adrien d'Epinay will endeavour to persuade the colonists that<br />

whatever benefits may be conferred upon them are to be attributed to his influence, and, as it is highly<br />

desirable, with a view to the entire extinction of all party spirit, that no such impression should prevail, I<br />

shall use my utmost endeavours to undeceive the inhabitants upon that head: of course, without making<br />

known the contents of your confidential despatch of the 19th September.<br />

I am extremely glad to find, from that despatch, that you consider it would not be expedient for<br />

Chief Judge Blackburn to retire from his office, at this moment. I am most decidedly of that opinion, into<br />

which Mr Blackburn also fully enters. This arrangement will afford you the opportunity of taking into<br />

mature consideration some points of importance, with respect to judicial administration; and to which I<br />

entreat your earnest attention.<br />

In my despatch of the 2nd November last (No. 77), I dwelt upon the inconvenience, with regard<br />

both to legislative and judicial proceedings, experienced from the circumstance of the prevailing language<br />

being French. Judge Blackburn, indeed, is as thoroughly acquainted with that language even to all the<br />

formalities and technicalities of law as with his own. I fear, however, that it may be very difficult to find a<br />

successor to him, professing these advantages: and yet, they are absolutely requisite, as long as the<br />

77 Voir Seconde Mission, No, 48, p. 128.<br />

213


proceedings in the courts are to be carried on in the French language. This observation likewise applies in<br />

great measure to the President of the Court of First Instance.<br />

Upon this subject, I will take the liberty to suggest whether it might not be expedient to ordain that,<br />

in future, after a certain given period, the language of the Courts shall be English.<br />

A reasonable time for effecting this change would undoubtedly be required; but I am inclined to<br />

think that it is a measure which would be productive of great public good even in a political sense.<br />

Allow me now to advert to another circumstance of high import:<br />

It is nearly two years since the penal Code, enacted in this Colony in the year 1832, was disallowed<br />

by the King; and Lord Ripon, in his despatch of the 15th March 1833, signifying that disallowance,<br />

intimated that a remedy would shortly be provided; but which has not yet taken place; and the law at<br />

present in force is the ancient criminal code which is, emphatically, and most justly, termed by his<br />

Lordship, as barbarous in its provisions. I am convinced that this will appear to you to be a subject worthy<br />

of immediate consideration.<br />

I have, etc.,<br />

WILLIAM NICOLAY<br />

P.S.: - Since writing the above, I find that verbatim copies of your two private letters to Mr. Barclay<br />

are in general circulation here.<br />

W. NICOLAY<br />

214


CONFIDENTIAL.<br />

Sir,<br />

APPENDICE V<br />

Lettre de Sir William Nicolay au Secrétaire d'Etat.<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe, fonds d'Epinay, dossier 8.6.15)<br />

Mauritius,<br />

24th February 1835.<br />

Having in my confidential despatches of the 18th and 30th ultimo alluded to the course which I<br />

expected Mr Adrien d'Epinay would pursue, on his return from England; and to the necessity of using<br />

every precaution to prevent his regaining the great ascendency which he formerly held in this Colony; I<br />

think it proper to make you acquainted with some circumstances which confirrn me in the opinion I<br />

expressed in those despatches.<br />

Shortly after Mr d'Epinay's return to the Mauritius, I received an application, signed by a few<br />

gentlemen, to sanction a general meeting of the inhabitants, for the purpose of hearing the report which<br />

Mr d'Epinay, then delegate, had to make to them, respecting the result of his mission. To this request I<br />

declined to accede ; conceiving it highly probable that, in so mixed and unlimited an assembly, there<br />

would arise discussions upon subjects which ought not to be revived; and which it was specially<br />

desirable to avoid at the moment when the Abolition Act was about to come into force; besides that to<br />

have complied with that request would have been, in some degree, to have acknowledged Mr. d'Epinay<br />

in a public character between His Majesty's Government and the inhabitants of Mauritius. There were<br />

many other means of communicating the result of his mission to all concerned.<br />

My personal knowledge of Mr. d'Epinay is very slight, as he left the island immediately after I<br />

arrived here; but, from all I understand, he is a person of considerable abilities, with excessive vanity and<br />

ambition; and I am inclined to think that a large proportion of the inhabitants have been led to believe<br />

that, through his influence, they are immediately to obtain from His Majesty's Government the fulfilment<br />

of all their wishes. Perhaps, therefore, he was, in reality, not sorry at being deprived of the opportunity of<br />

rendering, to a general Assembly, an account of his proceedings in England; though the circumstance, of<br />

course, called forth expressions of surprise, disappointment, and regret. However that may be, my refusal<br />

was founded on motives of regard for the public good. A copy of the application and of my reply is<br />

enclosed.<br />

215


I should be truly sorry to form any injust impressions, with regard to Mr A. d'Epinay; but this is<br />

certain: that from the moment of his return to the Mauritius, the « Cernéen » newspaper, with which he is<br />

well known to be concerned, and which had lately observed a tone of (comparatively) moderation,<br />

resumed its former virulence, holding forth, in strong language, that the colonists have gained a complete<br />

triumph; that orders have been sent by His Majesty's Government for an immediate, and a total change in<br />

the public establishments and Departments ; intimating, as a consequence, that no individual who may, in<br />

any way, have been in the interest of Mr Jeremie ought to be continued in office: insinuating that the local<br />

Government has witheld the execution of the orders for making such alterations ; with other declarations<br />

of an injurious tendency; and which are directly calculated to prejudice the cause of the Colonists.<br />

While I consider it incumbent on me to make this unreserved communication, it is proper to add my<br />

full persuasion that the inhabitants, with perhaps a few exceptions, are now impressed with too just a<br />

sense of their own interests, to be led astray by such publications, whoever may be the authors.<br />

Conceiving it, however, highly desirable that the inhabitants, at large, should clearly comprehend<br />

the true position in which they stand, and the grounds upon which they may expect to receive further<br />

marks of the favourable disposition of His Majesty's Government towards them, I have addressed them in<br />

a public proclamation 78 , of which a copy is enclosed; and I have every reason to believe that it will<br />

produce a good effect.<br />

I have, etc,.<br />

WILLIAM NICOLAY<br />

78 Cette proclamation était datée du 20 février 1835 et parut dans la gazette officielle le 28 février. Voir Note 113.<br />

216


Sir,<br />

APPENDICE VI<br />

Lettre de Sir William Nicolay au Secrétaire d'Etat 79 .<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe, fonds d'Epinay, dossier 8.6.15)<br />

Mauritius,<br />

28th February 1835.<br />

In a despatch, dated 8th August 1833, No. 57, I reported to His Majesty's Government that I had<br />

caused an alien, named Pierretti, to be removed from this Island. .<br />

The circumstances of this case are most fully detailed in the correspondence which accompanied<br />

my report; and Mr Stanley, in a despatch, dated 18th March 1834 (No. 16), signified his approbation of<br />

the steps I had taken on this occasion. I was therefore greatly astonished at finding that Mr Pierretti had<br />

returned to Mauritius, with Mr Adrien d'Epinay; and under his immediate auspices.<br />

In a memorial for permission of residence, which I received from Mr Pierretti, four days after his<br />

arrival here, he states that he embarked, on the assurance he received from Mr d'Epinay, that, as his<br />

removal had not proceeded from objections, against him, of a political nature; you had consented to his<br />

return, intimating your intention to write to me upon this subject. He adds that he offered Mr A. d'Epinay,<br />

as a security for his conduct, but that you did not consider it necessary. This memorial was referred to the<br />

Procureur General, whose name is mentioned in it.<br />

Mr Adrien d'Epinay, in a letter to the Procureur General, fully admits that the statement contained in<br />

Mr Pierretti's memorial are true ; and he intimates that he was aware of the necessity of obtaining a<br />

formal assurance from you before he would acquaint Mr Pierretti that he had permission to return to<br />

Mauritius.<br />

These are the leading points in the correspondence that has lately passed here upon this subject; and<br />

of which a copy is enclosed.<br />

This case presents sorne very extraordinary circumstances to which I beg your serious attention. If<br />

it really be your intention that Mr Pierretti shall be allowed to reside here, it must, of course, be obeyed;<br />

but I entertain strong doubts as to that being the fact.<br />

In the first place I feel convinced that you would have taken the earliest opportunity of<br />

communicating to me your pleasure to that effect ; but not a word, with regard to Mr Pierretti, has yet<br />

79 Voir aussi Note 94.<br />

217


eached me, although I have received numerous despatches from you long since his arrival. It is, however,<br />

possible that directions respecting him may be contained in one of the two numbered despatches which,<br />

on the 23rd instant, I reported to be missing.<br />

But my doubts, as to your having sanctioned the return of this person, rest on still stronger grounds:<br />

I mean the very nature of the case.<br />

If he had been sent out of this Island merely on account of political conduct, his being permitted to<br />

return would not indeed have surprised me; from the general wish manifested by His Majesty's<br />

Government to bury in oblivion all past errors of that nature: but the case is far otherwise.<br />

Long before my arrival here, Pierretti had been looked upon as a person of a most violent and<br />

dangerous character; and, as such, he had been, more than once, directed by my predecessor to quit the<br />

colony. All the particulars on that head; as well as his subsequent behaviour; and his repeated attempts to<br />

set at defiance the order of the local authorities, are contained in my despatch of the 8th August 1833.<br />

With these facts upon record, it is difficult to conceive that you can have discovered any sufficient<br />

reason for dissenting from the opinion which Mr Stanley expressed upon this case, in the following terms:<br />

« It is only necessary for me to say that I entirely approve of the course » which you pursued: that I<br />

see no reason to doubt the propriety of the steps « taken by the Supreme Court » in reference to the purely<br />

legal points submitted « to their consideration: and that I do not consider Pierretti to be a person in «<br />

whose favour it is incumbent upon His Majesty's advisers to recommend any « deviation from the strict<br />

execution of the law ».<br />

Upon the whole, I cannot bring myself to believe that you gave any unconditional authority to Mr<br />

Pierretti's return to the Island; but as, on the other hand, I cannot suppose Mr A. d'Epinay's statement to be<br />

entirely void of foundation; and as I may possibly still receive sorne instructions from you with respect to<br />

Mr Pierretti; I consider it proper to allow a reasonable time for that purpose. It has accordingly been<br />

intimated to him that he is permitted to reside here, under the security of Mr A. d'Epinay, for the space of<br />

three months from this date; but that, if, by the expiration of this period, I shall not have received any<br />

directions from you to permit his longer residence, he must be prepared to depart.<br />

It is proper, here, to observe that the guarantee offered by Mr d'Epinay is only that Mr Pierretti shall<br />

not meddle in politics ; but, in the event of his obtaining your permission for permanent residence, he<br />

must be required to find adequate security that he will not disturb the public peace.<br />

The return of this individual, however, brought about what is already regarded by many as a<br />

triumph over legitimate authority: and I will frankly add that, if he should obtain his final object, I shall<br />

be placed in a most perplexing situation, if, unhappily, on any future occasion, a due regard for the public<br />

peace and safety should call for a similar exercise of the executive authority.<br />

Adverting to the accompanying correspondence, I beg leave just to call your attention to a<br />

paragraph (which I have marked with a pen) in the Procureur General's letter of the 12th instant; it implies<br />

218


that it was in the character of « Deputy from the Mauritius » that Mr Adrien d'Epinay conferred with you<br />

upon many subjects of interest to the Colony; a notion which I apprehend is erroneous.<br />

I have, etc,<br />

W. NICOLAY<br />

219


APPENDICE VII<br />

Mémoire des colons de l'île Maurice rédigé par Adrien<br />

d'Epinay et présenté par lui à Lord Goderich,<br />

le 16 février 1831 80 .<br />

(Bibliothèque Carnegie de Curepipe, fonds d'Epinay, dossier 8,6.8)<br />

Dans le courant du mois qui précéda la conquête de l'Ile de France par les armées britanniques, les<br />

Anglais firent circuler avec continuité une proclamation adressée aux habitants dont voici les passages<br />

les plus importants:<br />

« Habitants de l'Ile de France, les Anglais sont au moment d'apparaître devant vos ports au nom de<br />

leur Roi, non pas comme des ennemis mais comme de sincères amis; votre commerce, les riches produits<br />

de votre île, le fruit de votre industrie, ont été détruits depuis plusieurs années déjà, ou enfermés dans vos<br />

magasins.<br />

« Cet insatiable désir d'agrandissement de territoires, qui augmente de jour en jour en France, fait<br />

que les Anglais sont forcés de s'approprier et de conserver l'empire des mers, et aussi d'occuper toutes les<br />

colonies françaises, non pas afin de monopoliser leurs produits, mais bien pour leur ouvrir ainsi qu'à<br />

leurs bons «amis et alliés un marché plus favorable.<br />

« Nous apprenons que certains intrigants ont essayé d'abaisser les Anglais dans votre estime; ils<br />

ont même mensongèrement affirmé que le prix du café à la Martinique avait baissé d'une manière<br />

considérable.<br />

«Croyez à notre bonne foi, nous vous assurons, au contraire, que, depuis «la prise de cette île, le<br />

prix du café n'a fait qu'augmenter, - comment aurait-il pu en être autrement?<br />

« Nos vaisseaux venant de toutes parts pénètreront dans vos ports chargés de marchandises de<br />

d'Europe et de l'Inde afin de les échanger contre vos produits.<br />

« Ce que les Anglais désirent surtout c'est: de la justice, le commerce et l'abondance. - Notre<br />

Gouvernement est généreux; il donne au laboureur, à l'ouvrier, au soldat, et aux marins sans différence<br />

les plus hautes récompenses en échange de leurs services, les Français, eux, paient avec du papier et des<br />

lettres de «change, nous, nous payons avec des piastres d'Espagne.<br />

« Habitants, sous peu, nous nous assemblerons sur vos côtes avec des forces formidables de mer et<br />

de débarquement; pourquoi vous sacrifiez-vous (inutilement en vous opposant aux troupes de Sa Majesté<br />

qui veut simplement vous prendre sous sa royale et gracieuse protection?<br />

80 Voir aussi Note 44.<br />

220


« Qu'a fait votre Gouvernement pour votre avantage? Il a ruiné votre commerce et forcé vos<br />

proches et vos enfants à entrer dans le service sans leur procurer le moindre moyen d'existence.<br />

« Nous avons ordre de cultiver l'amitié de tous les Colons, et, afin de vous convaincre que Sa<br />

Majesté Britannique est disposée à vous accorder toute la protection et sécurité dont jouissent tous ses<br />

sujets, nous vous promettons ceci : Votre propriété privée, de toute sorte, sera respectée.<br />

« Vous aurez le libre exercice de votre Religion. Vos institutions religieuses seront respectées avec<br />

tous leurs privilèges.<br />

«Vos institutions de charité seront protégées. Vos lois et vos mœurs seront conservées et<br />

respectées.<br />

« Non seulement votre commerce intercolonial sera parfaitement libre, mais, de plus, vous pourrez<br />

naviguer et commercer partout avec les mêmes avantages et les mêmes règlements dont jouissent les<br />

sujets de Sa Majesté Britannique.<br />

« Les habitants seront des plus favorablement traités, on leur permettra de jouir de tous les<br />

avantages que la situation commerciale de l'île peut fournir. » La proclamation ci-dessus était signée<br />

comme suit:<br />

FARQUHAR,<br />

Les passages precédents en ont été fidèlement et littéralement extraits.<br />

par ordre:<br />

BARRY.<br />

Le 28 novembre 1810 la flotte anglaise arrivait en vue de l'Ile de France.<br />

Le 29 le débarquement des troupes fut effectué; le général Decaen résista simplement pour<br />

l'honneur des armées françaises. Une poignée d'hommes épuisés, comme du reste des soldats<br />

européens le sont infailliblement, après un séjour de plusieurs années dans un climat où l'intérêt du<br />

fisc maintient parmi la basse classe la consommation excessive des liqueurs fortes, ne pouvait<br />

certes pas tenir contre une armée de 20,000 hommes valides.<br />

Le 3 décembre la Colonie capitula devant les forces britanniques, en vertu d'une convention dont<br />

les points suivants sont les plus saillants:<br />

« La propriété des habitants de toute nature sera respectée. Ils conserveront «leur religion, leurs<br />

lois et leurs mœurs. »<br />

Le 5 décembre le Gouverneur Farquhar publia Une proclamation ayant pour but d'informer les<br />

personnes résidant dans la Colonie, Européens, créoles, planteurs, marchands, hommes libres, etc., etc.,<br />

«que les règlements ci-devant, en usage pour l'administration civile de la justice et de la police seront<br />

préservés; que les mêmes lois et les mêmes mœurs qui avaient existé jusqu'ici seront « maintenues.» Il<br />

221


est aussi ajouté que la propriété privée des habitants sera spécialement protégée. Les Anglais sont venus<br />

pour établir une amitié forte et durable avec les habitants de l'Ile de France qui pourront vendre leurs<br />

produits à un meilleur taux et qui jouiront de tous les avantages commerciaux dont tous les sujets de Sa<br />

Majesté jouissent. »<br />

« Le souverain qui ne peut ou ne veut protéger ses sujets, ou ses colonies (dit une proclamation du<br />

31 décembre 1810) perd le droit de leur imposer des sacrifices ou des preuves d'attachement.<br />

« La nation anglaise, après avoir conquis, fait consister sa gloire en offrant protection, bonheur et<br />

abondance à la place de tyrannie, d'injustice et toute espèce d'oppression, choses dont les Colons ont été<br />

jusqu'alors accablés.<br />

« Le souverain, sous la domination duquel cette Colonie doit rester, usera du droit de conquête en<br />

n'ayant autre chose en vue que le bonheur du pays. » Afin que les Colons fussent bien convaincus que<br />

dans toutes ces déclarations le nouveau Gouverneur était réellement l'organe de son Gouvernement et<br />

qu'on ne put suspecter que ses promesses fussent vaines et trompeuses Farquhar, fit publier, en date du ...<br />

février- 1811 81 , les ordres qu'il avait à suivre après la conquête de l'île:<br />

« Le gouverneur avait à observer, comme principe général, que le système des lois locales et de<br />

l'administration devait être conservé tel qu'il existait.<br />

« Les lois rédigeant l'administration civile et criminelle de la justice ne devaient pas subir de<br />

changement.<br />

« Les tribunaux qui avaient à administrer la justice d'après les lois françaises devaient donc être<br />

maintenus.<br />

« Il avait à créer et mettre en activité des mesures qui devaient mieux garantir la sûreté publique et<br />

privée contre les désordres que pourrait faire naître une émancipation imprudente, puisant son origine<br />

dans cet esprit démocratique et révolutionnaire qui régnait en France.<br />

« L'administration de la Colonie devait être maintenue dans toutes ses formes. Ses employés<br />

devaient rester à leurs postes respectifs sous la condition absolue qu'ils prêtassent serment de fidélité.<br />

«Ces clauses ne défendaient pas au Gouverneur de nommer des sujets anglais aux différents postes<br />

que, en son opinion, ces derniers devaient occuper afin d'assurer le salut et le bien-être de la Colonie. En<br />

ce cas, il devait s'arranger à ce que leurs appointements fussent réglés d'après la plus stricte économie.<br />

« Le Gouverneur devait maintenir les lois et les privilèges qui avaient été garantis aux habitants,<br />

etc, etc. »<br />

Tels sont les termes de la convention que le Gouvernement Britannique s'est imposé lui-même, et<br />

de son propre consentement, envers les habitants de l'Ile de France.<br />

Nous devons maintenant examiner s'ils ont été fidèlement observés.<br />

81 Dans une proclamation qui figure au No. 33 du Code Farquhar, mais qui ne porta pas de date précise.<br />

222


Avant la période de la Révolution l'Ile de France était privée d'une représentation coloniale<br />

proprement dite, et ses habitants n'avaient aucune part dans l'administration de la Colonie. Ils<br />

possédaient pourtant des garanties contre les abus du pouvoir en général, autant de la part des<br />

gouverneurs que des intendants.<br />

Ces garanties émanaient, premièrement de la nature même de la composition du Gouvernement<br />

Colonial, l'administration duquel était entre les mains de deux magistrats - dont les pouvoirs respectifs<br />

étaient sagement tracés et définis.<br />

Ils émanaient, de plus, de la création d'un Conseil Supérieur, composé d'hommes bien informés, de<br />

citoyens de principes approuvés, de chefs de famille, de Colons appelés à administrer la justice, à<br />

examiner les lois proposées par les gouverneurs et les intendants. Ces Colons avaient le droit de refuser<br />

l'enregistrement de telles lois qui seraient contraires aux droits, mœurs et intérêts de la Colonie. Etant<br />

eux-mêmes Magistrats et Législateurs, ils étaient à même de réprimer les différents abus, chose que<br />

permettaient les règlements fixés « arrêts «de réglements», par conséquent rendant l'administration de la<br />

justice plus sûre et expéditive, par le fait protégeant la paix des familles et les droits des habitants.<br />

La Révolution changea la Constitution Coloniale, qui prit sa forme d'après celle de la Métropole.<br />

L'Ile de France eut alors une Assemblée Coloniale et montra qu'elle était non seulement capable de<br />

pourvoir à son administration intérieure, mais à celle de tout son Gouvernement. L'Assemblée Coloniale<br />

manifesta une énergie considérable en des circonstances bien difficiles, elle n'a pas été polluée par ces<br />

passions tumultueuses qui agitèrent la France, et les lois données par elle peuvent être classées comme<br />

des modèles de sagesse, de prudence et d'humanité. Sa conduite sage et admirable a préservé la Colonie<br />

contre ces excès qui ont ravagé St Domingue.<br />

Quand la main d'un despote saisit les rênes du Gouvernement Français, le premier effet qui se fit<br />

ressentir fut la dissolution de l'Assemblée Coloniale.<br />

Le nouveau Gouvernement cependant n'a pas poussé la honte jusqu'au point de priver les Colons<br />

des différentes garanties, qui sont spécifiées dans un acte constitutionel du Gouvernement des Iles de<br />

France et de Bourbon daté du 13 pluviose an XI.<br />

Ces deux Colonies étaient gouvernées par trois magistrats: un capitaine général, un préfet colonial,<br />

et un commissaire de justice; leurs pouvoirs étaient cependant définis et distincts: le genre de contrôle<br />

que chacun exerçait, leur incapacité de se mêler aux fonctions les uns des autres était une sorte de<br />

protection contre les mesures violentes et arbitraires.<br />

Il ne paraît pas que la nouvelle administration eut le pouvoir d'imposer des taxes, - mais si jamais<br />

elle eut recours à ces moyens, elle trouva, du moins, des excuses dans l'urgence des circonstances et dans<br />

les difficultés du moment.<br />

Ce qui suit est un abrégé de ce que contenait la nouvelle constitution coloniale au sujet des taxes:<br />

« ART. XII. En ce qui concerne la distribution des contributions à être prélevées par le<br />

Gouvernement, le préfet ne doit pas les mettre en vigueur sans le consentement de trois des principaux<br />

223


habitants et du même nombre des marchands les plus éminents de l'île, qui, cependant, devront<br />

seulement exprimer leur opinion en conseil. Un résumé de leur avis sera dressé ainsi que les raisons<br />

qu'ils «auraient pu émettre afin d'être envoyé au Ministre. »<br />

Le Trésor colonial fut en peu de temps épuisé; grâce aux calamités de la guerre, les taxes ne<br />

pouvaient pas suffire aux besoins de l'administration; attendre du secours de la Métropole aurait été<br />

inutile.<br />

Dans de telles circonstances, le Gouverneur et le préfet se crurent autorisés à établir -des lois<br />

fiscales qui n'avaient pas été faites pour les Colonies, tel que droit d'enregistrement et de timbre.<br />

Tel était l'état de l'administration lorsque la Colonie tomba au pouvoir du Gouvernement Anglais,<br />

qui promit avec beaucoup de solennité de préserver ses lois, sa religion, sa constitution, ses mœurs, ses<br />

habitudes et ses privilèges et de respecter les propriétés de toute nature.<br />

Malgré tout, au mépris de ces formelles promesses, l'exercice religieux a subi des changements<br />

sévères, les lois ont été violées, les institutions changées, les privilèges annulés, les propriétés menacées<br />

et envahies, les droits les plus sacrés mis en doute.<br />

Le premier devoir d'un citoyen est de prendre une part aux dépenses du pays, d'où son droit d'être<br />

informé du but des taxes, de leur nécessité, de leur distribution et de leur usage.<br />

Tous les devoirs ont toujours été fidèlement et respectueusement remplis par les Colons envers le<br />

Gouvernement. Leur obéissance passive à cet effet a été portée beaucoup plus loin que tous les autres<br />

Colons (l'ont portée), à un tel point que l'administration en abusa.<br />

Quant à leurs droits, ils ont été constamment et des plus injustement méprisés.<br />

On avait promis de respecter ces lois, et la plus importante de toutes, quoique très imparfaite (cette<br />

ombre de garantie accordée par l'article XII du décret des Consuls du 13 pluviose an XI), a été la<br />

première violée. Quelque franc que soient les actes du despotisme, ils n'en sont pas moins odieux, s'ils<br />

surchargent et oppressent le peuple. Ils sont au moins sans humiliation (pour les Colons). Mais lorsque<br />

d'un côté ils permettent aux lois de subsister et d'autre part ne les exécutent pas, - agir pareillement n'estce<br />

pas dire à ceux pour qui elles ont été promulguées qu'ils ne sont pas dignes d'elles, qu'ils ne méritent<br />

même pas d'être avertis qu'ils en seront privés désormais?<br />

Tel est le genre de mépris qui, de toutes les insultes, est la plus insupportable.<br />

La loi qui régit la distribution des taxes existe toujours, mais n'est pas mise en vigueur. D'après<br />

cette loi, trois des principaux marchands de la Colonie devront être consultés. Et pourtant, voilà près de<br />

vingt ans pendant lesquels il a non seulement été question de règler les taxes, mais aussi d'en imposer de<br />

nouvelles, et pas un seul Colon n'a été consulté à cet effet.<br />

Dans tous les pays civilisés - dans toutes les colonies - on règle et établit les taxes chaque année;<br />

les lois locales de l’île Maurice l'exigent - auparavant les autorités condescendaient au moins à les<br />

promulguer chaque année - mais pendant plusieurs années le Gouvernement Anglais s'est dispensé<br />

224


d'informer les Colons de leur continuation. Les Colons étaient donc en droit d'en refuser paiement - ils se<br />

sont pourtant abstenus d'une telle mesure, leur soumission étant tellement grande et entière.<br />

C'est seulement depuis quelques années que le Gouvernement a jugé convenable d'avertir les<br />

Colons de leur continuation.<br />

Nulle loi promulguée à Maurice ou, du moins, connue des habitants ne permet au Gouverneur de<br />

créer de nouvelles taxes et, malgré cela, il sera démontré que depuis la conquête les revenus du fisc ont<br />

augmenté de cinq fois plus.<br />

Les sources de revenus, telles que l'on les publia au temps de la conquête, étaient: les droits de<br />

douane, les droits du port, la taxe de la capitation, des taxes sur les maisons et terrains, droits<br />

d'affranchissement, droits d'enregistrement, affranchissements postaux, taxes sur les marrons, droits sur<br />

les transferts de terres et quelques petites taxes prélevées sur le marché.<br />

Une proclamation datée du 31 janvier 1811, qui fut un des premiers actes du Gouverneur Farquhar,<br />

augmente de moitié l'impôt direct de la taxe de la capitation et de celles sur les maisons et les terrains.<br />

Ainsi donc, même pas deux mois après, par une violation ouverte des promesses solennelles, les<br />

habitants étaient déjà victimes d'un acte des plus arbitraires envers les mêmes lois que l'autorité avait juré<br />

de maintenir.<br />

Depuis lors ils ont vu la création graduelle, et non moins arbitraire, de taxes et d'impôts inconnus<br />

jusqu'alors: impôts sur les brevets d'alambics,-droits de cantines - privilèges pour la presse - impôts sur<br />

les pêcheries - patentes de corvées - impôts pour l'Eglise -- impôts pour le vaccin - droits de quai -<br />

impôts sur le lest - taxes sur les voitures - impôts pour le maintien des condamnés - droits sur<br />

l'exportation des sucres - taxes pour les pauvres - taxes pour l'enregistrement des esclaves, à un tel point<br />

que l'Ile Maurice gémit sous le poids d'une quantité d'impôts directs et indirects qui n'ont jamais été<br />

imposés en France et en Angleterre.<br />

Et cette Colonie infortunée, qui, en 1811, (date à laquelle le Gouverneur Farquhar doubla l'impôt<br />

intérieur sans inclure les droits de douane) payait déjà 127,700 piastres, paie maintenant pour les mêmes<br />

avantages la somme énorme de 362,995 piastres 33½ centimes. En totalité les revenus des douanes et<br />

l'intérêt inférieur se montaient à 263.838 piastres 40½ centimes en 1811 - et s'évaluent en 1829 à<br />

855,935 piastres 48½ centimes.<br />

Des taxes que le général Decaen avait établies sur sa propre responsabilité en des moments<br />

d'extrême urgence ont été rétablies et appliquées à la Colonie, quoique ces taxes (qui prélèvent trois pour<br />

cent sur les ventes de propriétés inamovibles, et deux pour cent sur les propriétés personnelles, un pour<br />

cent sur les contrats civils et commerciaux et un, et quelquefois cinq, pour cent sur les jugements rendus<br />

par la cour, malgré que ces derniers aient été annulés par des jugements ultérieurs) aient été diminuées<br />

d'une façon considérable en France en 1822.<br />

225


Ainsi donc, les habitants de l'Ile Maurice paient une taxe française qu'eux seulement, dans tout<br />

l'univers, aient à subir.<br />

Plusieurs personnes, aveuglées par l'ingratitude, ont faussement imaginé qu'elles pouvaient<br />

opposer avec succès des arguments aux Colons, et les faire taire par la simple raison d'une augmentation<br />

des revenus.<br />

Il est certain que la main d'œuvre pour l'agriculture est à présent plus productive qu'à toute autre<br />

période à l'IIe Maurice. Mais la Colonie est-elle plus riche? Non! Est-elle aussi riche qu'elle devrait<br />

l'être? Non! Est-elle heureuse? Nous répondons: encore non! la preuve en est extrêmement facile.<br />

Sous le Gouvernement Français l'Ile possédait des richesses considérables, qui ne devaient pas tant<br />

leur origine à l'agriculture qu'au commerce qui avait tant d'extension que la Colonie possédait 3,000<br />

marins; ce fait pourrait paraître invraisemblable, s'il n'était attesté par des preuves indéniables existant<br />

encore.<br />

Le commerce a décru maintenant dans l'Ile Maurice jusqu'à devenir insignifiant. Les marchands<br />

sont pauvres; les planteurs gagnent un argent considérable, mais afin d'atteindre ce but ils ont contracté<br />

des dettes non moins considérables. Est-il donc possible de dire, que, pour cette seule raison, ils sont plus<br />

riches que s'ils n'avaient rien?<br />

L'Ile Maurice doit l'augmentation de ses produits à la paix et non au Gouvernement. L'Ile Bourbon<br />

sa voisine vend ses produits avec un double profit, Elle ne paie pas de droits d'exportation, elle n'a pas le<br />

quart des taxes qui sont imposées à l'Ile Maurice, et elle est sous tous les rapports plus florissante.<br />

L'Ile Maurice, comme nous l'avons déjà dit, n'est pas heureuse, et l'on ne peut donner comme<br />

meilleure preuve de cet état de choses que l'augmentation de l'émigration; pas un navire ne quitte l'île<br />

sans emporter plusieurs des riches familles pour l'Europe. Les habitants d'un pays riche et heureux<br />

n'émigrent jamais.<br />

Ce fait qui est incontestable parle de lui-même avec plus de force que mille arguments.<br />

Comme tous ces Colons émigrants sont précisément ceux qui ont réalisé de la fortune, il en résulte<br />

que la Colonie devient de plus en plus pauvre.<br />

Tels sont les effets produits par les lois faites en Europe pour une Colonie Africaine, le refus de<br />

permettre aux Colons de prendre part à l'administration locale, de l'injurieuse distinction qui leur ferme<br />

tout accès aux postes publics, enfin un impôt énorme qui écrase un peuple infortuné.<br />

Et quel peut-être le but de cet impôt écrasant, et allant toujours en augmentant? C'est pour défrayer<br />

cette administration coûteuse, qui impose dix fois plus de charges qu'on ne connut jamais sous le<br />

Gouvernement Français, quoique les instructions données au Gouverneur de l'Ile Maurice et promises<br />

aux habitants étaient que les nominations aux emplois gouvernementaux devaient être réglées « avec la<br />

plus stricte économie »-- Ces mêmes instructions, que le nouveau Gouvernement avait solennellement<br />

promis d'exécuter avec fidélité, donnaient au Gouverneur le pouvoir de nommer des sujets anglais<br />

seulement aux postes que ces derniers rempliraient plus avantageusement pour les intérêts de la Colonie.<br />

226


Cependant, nous avons vu tous les emplois supérieurs donnés à des Anglais, à l'exclusion des<br />

Colons,- sans même vérifier s'ils étaient capables de remplir les fonctions qu'imposaient ces places. Le<br />

nom de créole ou d'ancien Colon semble être un titre de proscription. - Les services de ces derniers<br />

doivent en réalité être indispensables afin de leur assurer le moindre emploi.<br />

La première chose que l'on doit attendre d'un juge c'est la connaissance de la langue, des lois et des<br />

mœurs du pays où il doit administrer. - Eh bien ! Qu'un Anglais, quoique ignorant, postule un siège<br />

judiciaire, il sera certainement préféré au plus capable des Colons.<br />

Depuis vingt ans pas un seul créole, ni un Colon, n'est arrivé même à un poste inférieur dans<br />

l'administration, malgré ses capacités, ou l'ancienneté de ses services. - Un nombre considérable de ces<br />

derniers est cependant employé dans les bureaux publics, où l'on ne peut se passer d'eux, et où ils<br />

remplissent les fonctions du nouveau venu qui occupe le rang supérieur et reçoit un salaire plus élevé, et<br />

conséquemment jouit d'une parfaite sinécure.<br />

Le Gouvernement Anglais promit aux Colons de les traiter comme les sujets anglais les plus<br />

favorisés, et cependant on leur refuse toute part dans l'administration, comme s'ils n'étaient rien moins<br />

qu'un peuple conquis.<br />

Il a juré de maintenir les établissements locaux, nous verrons dans les pages suivantes quel a été<br />

leur sort.<br />

RELIGION<br />

La religion catholique était exclusivement prédominante à l'Ile Maurice jusqu'à l'époque de la<br />

conquête.<br />

Le Gouvernement Français avait créé les plus sages règlements afin de l'investir du respect qu'elle<br />

mérite -- Un « Préfet Apostolique» résidait dans l'île afin de maintenir la discipline ecclésiastique. - Ce<br />

prêtre n'était qu'un simple curé « primus inter pares », ses émoluments ne dépassaient pas ceux qui<br />

suffisaient à tout autre prêtre; l'ordre et l'harmonie existaient parmi le clergé,- Les lois locales, ou plutôt<br />

les lois fondamentales de l'Etat, imposaient qu'il fut gallican et élevé dans les principes salutaires de<br />

l'Eglise gallicane. Le «Préfet Apostolique Il avait à prêter serment, devant le Roi, qui! chérirait et<br />

maintiendrait ces dogmes salutaires, qui avaient été promulguées par la célèbre déclaration des évêques<br />

en 1682.<br />

Après la conquête la Religion Catholique cessa d'occuper l'attention de la nouvelle administration<br />

et ce fut seulement quand le scandale et le désordre, portés à l'extrême, soulevèrent des plaintes et des<br />

représentations de toutes parts, - et après dix ans de négligence absolue, que le Gouvernement résolut<br />

enfin de nommer des curés aux églises coloniales, afin d'établir l'ordre et de faire prospérer l'Eglise.<br />

Le remède qu'on adopta fut plus désastreux, peut-être, que le mal lui-même.<br />

227


Les habitants virent arriver tout-à-coup un évêque et deux prêtres anglais et un curé italien.<br />

Naturellement la présence d'un évêque dans l'île occasionna des dépenses plus grandes et, afin de<br />

subvenir à cela, on imposa à la Colonie déjà surchargée d'impôts une taxe additionnelle.<br />

Les Colons de l'Ile Maurice avaient besoin de prêtres gallicans, capables de les instruire ainsi que<br />

leurs enfants dans les maximes révérées de leurs pères,- et on envoya des prêtres italiens qui avaient en<br />

horreur les doctrines de l'église gallicane, qu'ils tenaient comme plus répréhensibles que l'hérésie des<br />

Luthériens ou des Calvinistes.<br />

Afin de les instruire convenablement, de leur donner les consolations religieuses, de les instruire<br />

dans les vérités de la religion, les Colons avaient au moins besoin de prêtres qui parlassent la langue du<br />

pays; contrairement à leurs besoins, on envoya des curés tout à fait ignorants sur ce point. On vit<br />

nommer à une paroisse d'un des districts un curé ne disant pas un mot de français, et connaissant<br />

imparfaitement sa langue mère.<br />

Dans le conflit de cette mixture hétérogène est sortie une classe parfaite. La haine éclata bientôt<br />

dans l'Eglise, le public fut témoin d'iniquités les plus scandaleuses; -les membres du clergé (nous en<br />

parlons avec regret) ont plus consulté les intérêts séculiers que ceux la Religion. Le chef est en guerre<br />

ouverte avec ses subordonnés, il les a accusés en plusieurs reprises, et ces mêmes accusations ont été<br />

portées contre lui; - ses manières repoussantes et mondaines ont éloigné de lui tous les cœurs.<br />

Ainsi donc, ces endroits sacrés où doit régner la paix pleine et entière sont depuis lors devenus le<br />

siège des passions et de l'intrigue; - il en résulte que la religion n'a jamais été tant méprisée à l'Ile<br />

Maurice que depuis l'existence de ces dissensions; des neuf prêtres qui sont dans la Colonie, il y a trois<br />

Anglais, deux Français et quatre Italiens.<br />

La Religion Protestante fut introduite dans l'île peu après la conquête; étant la religion du<br />

Royaume Uni, on devait naturellement s'attendre à cela, puisque dorénavant l'île y était annexée. Pour<br />

cela il était indispensablernent et impérativement nécessaire de faire une exception dans les lois<br />

fondamentales de la Colonie. Mais ce qui ne pouvait être considéré comme indispensable ni impératif,<br />

puisque plusieurs de nos lois qui n'avaient pas encore été abrogées le défendaient en termes significatifs,<br />

c'était l'importation dans la Colonie de toutes sortes de sectes sans distinction.<br />

Si à cela on répondait qu'une entière liberté de conscience était une loi fondamentale de la<br />

constitution anglaise, on peut opposer, avec une double force d'argument, que la liberté de la presse, que<br />

le consentement du peuple à l'imposition des taxes, que l'habeas corpus, que l'inviolabilité du domicile,<br />

que le concours des habitants à la formation des lois et leur libre admission aux emplois publics, qui sont<br />

non moins les principes fondamentaux de cette même constitution, ne sont pas accordés aux habitants de<br />

l'Ile Maurice qui, conséquemment, sont privés de ces avantages politiques.<br />

Qu'on leur accorde tout ou rien, dans le premier cas ce serait exercer de la justice, dans le second<br />

règnerait l'injustice, mais pour tous et avec consistance.<br />

228


Il n'est permis à personne de vendre des munitions et des poisons sans autorisation du<br />

Gouvernement, et cependant on permet, on a même l'air d'encourager ces misérables empoisonneurs<br />

d'âmes, ces hommes imbus d'un excès de fanatisme, ces jacobins à l'étendard évangélique; après les<br />

désordres qu'ils occasionnent dans la Métropole, ils se dirigent maintenant dans les Colonies, où ils<br />

sèment des doctrines qui conduisent à la ruine des habitants et de leurs propriétés.<br />

C'est de cette façon que la religion et les croyances des Mauriciens ont été respectées et<br />

maintenues.<br />

CAISSE DE BIENFAISANCE<br />

Le 8 septembre 1806 le Gouvernement Français établit une institution charitable, sous la<br />

dénomination de « Caisse de Bienfaisance. » L'objet de cette institution était de porter assistance aux<br />

personnes indigentes, ou à celles incapables de travailler.<br />

Elle jouissait de fonds que le Gouvernement tenait à sa disposition; ces fonds consistaient en<br />

amendes, dons, legs, produits des droits d'affranchissement, et des représentations données au profit des<br />

pauvres.<br />

Les aumônes sont maintenant données aux églises, les dons et legs sont une source insignifiante.<br />

L'affranchissement des esclaves se fait maintenant gratuitement les expositions ne sont plus<br />

permises : par conséquent les amendes et les dons faits à la Caisse de Bienfaisance sont maintenant les<br />

seules ressources dont jouit cette institution.<br />

Sagement administrée au temps des Français, la Caisse de Bienfaisance répondait largement à ce<br />

qu'on attendait d'elle, elle avait même accumulé des fonds qui la mettaient à l'abri de tout besoin.<br />

Aussitôt après la conquête cette institution fut négligée; elle était administrée par un fonctionnaire<br />

public et non pas par un nombre de Colons attentifs à leurs intérêts, qui l'avaient administrée jusqu'ici.<br />

Ses fonds tirèrent bientôt à leur fin. Ce fut seulement par des plaintes répétées qu'on obtint enfin une<br />

réorganisation de la Caisse de Bienfaisance sur le pied de son origine première. Un certain nombre de<br />

Colons devait en avoir la direction, et devait rendre un compte annuel de l'état de l'institution à une<br />

assemblée publique convoquée spécialement pour cela. Mais ces promesses ne furent jamais accordées,<br />

et le comité dirigeant la Caisse de Bienfaisance est en ce moment sous le controle du Premier Secrétaire<br />

du Gouvernement, qui en est le président.<br />

La nouvelle administration trouva les fonds de la Caisse presque épuisés et on ne put imaginer une<br />

méthode plus ingénieuse que celle d'établir une nouvelle taxe, « taxe de bienfaisance », pour remédier à<br />

cet état de choses.<br />

Néanmoins, il existait une source de revenus capable de subvenir à la moitié des besoins de<br />

l'institution; cette source, la plus pure de toutes, était la loi; elle ne provient pas de la sueur des classes<br />

laborieuses, non plus de l'industrie, mais des amendes sur le vice et le crime.<br />

229


L'Ile Maurice est le seul pays au monde où les amendes imposées par les décrets de la justice ne<br />

sont pas payées, et cependant il y a des fonctionnaires qui reçoivent un salaire pour recouvrer ces<br />

amendes, mais ces fonctionnaires sont bien au-dessous de leur devoir. Les amendes seraient certainement<br />

bien mieux recouvrées si cet argent était destiné au coffre du Gouvernement. Mais elles sont négligées à<br />

ce point parceque les pauvres qui doivent en jouir n'ont ni faveur à offrir ni emplois à donner.<br />

Voilà pourquoi les Colons sont sujets à une nouvelle taxe, en conséquence de la négligence que<br />

portent les fonctionnaires du Gouvernement à leur devoir; n'est-il pas donc suffisant que le Trésor<br />

colonial leur accorde une rétribution pour leur négligence et leur inactivité, faut-il encore que les Colons<br />

aient à supporter les conséquences de leur mauvaise conduite? .<br />

En 1829 seulement, les tribunaux imposèrent en amendes l'énorme somme de 3,000 livres sterling;<br />

les personnes qui avaient été condamnées à payer cela n'en ont rien fait, on ne le leur a même pas<br />

reclamé.<br />

Le résultat en est scandaleux à l'extrême, ce n'est rien de moins que l'impunité du crime.<br />

C'est de cette façon que les lois, les privilèges, les coutumes et les institutions des habitants de l'Ile<br />

de France ont été respectés et maintenus.<br />

ADMINISTRATION JUDICIAIRE<br />

COURS<br />

Quand on promet de maintenir et de préserver les lois d'une Colonie, il est clair qu'on ne doit pas<br />

toucher au fonctionement ou conformation de la constitution de leurs institutions judiciaires.<br />

Le principe primaire et fondamental de toutes les institutions judiciaires consiste en la liberté<br />

entière de la Magistrature; cela se base premièrement sur l'inamovibilité, puis un salaire compétent et le<br />

privilège de retraite aux Magistrats- telle est la dette d'un Gouvernement envers un Magistrat, qui, de son<br />

côté, afin de mériter ces avantages, doit prouver qu'il possède les qualités nécessaires, c'est à dire, une<br />

conduite approuvée, des habitudes pures, une parfaite connaissance de la langue et un jugement sain; en<br />

un mot, ce qui est de la plus grande importance c'est d'avoir une profonde connaissance des lois qu'il doit<br />

appliquer 82 .<br />

L'indépendance de la magistrature a souffert les violations les plus graves, les Colons ont vu le<br />

Président d'une Cour suspendu de ses fonctions pour avoir exécuté strictement ce que lui prescrivait la<br />

82<br />

Ce chapitre a été écrit en entier à l'Ile Maurice à l'époque où couraient toutes espèces de rumeurs mensongères.<br />

Cependant, il donne une idée, correcte de l'état des choses dans la magistrature d'après la nouvelle organisation - Je pourrais<br />

peut-être le considérer comme défectueux en maints endroits -mais si on l'exécutait sagement il remédierait à beaucoup d'abus<br />

existant dans ce département.<br />

(Note d'Adrien d'Epinay).<br />

230


loi; en agissant ainsi, il avait provoqué le déplaisir d'un favori. On a vu chose plus forte: le Président de<br />

la Haute Cour, le Vice-président et le chef-clerc suspendus et déplacés par un simple caprice du<br />

Commissaire de Justice.<br />

Tous les fonctionnaires d'une Cour supérieure à Bourbon ont été révoqués pour avoir refusé,<br />

comme leur prescrivait leur devoir, d'appliquer une loi que l'on n'avait pas encore promulguée.<br />

Mais il y a un cas qui pourrait sembler incroyable si sa réalité n'était pas appuyée par des<br />

documents au-dessus du moindre doute. Un Chef-Juge anglais a eu le courage de solliciter et un<br />

Gouverneur celui d'accorder qu'on promulguât un règlement par lequel les Cours n'avaient pas le droit de<br />

prononcer un décret sans avoir obtenu l'assentiment du Chef-Juge lui-même, qui, sans avoir entendu les<br />

parties, avait le droit de décider les questions en litige; - de plus, le Chef-Juge pouvait restreindre et<br />

annuler les décrets de la Cour, ordonner une nouvelle procédure et rendre un second jugement sur une<br />

même affaire.<br />

Ce qui semble encore plus extraordinaire, c'est qu'on a trouvé des Magistrats qui n'ont pas craint de<br />

se prosterner devant de tels règlements! Voilà jusqu'où la tyrannie peut polluer et dégrader l'esprit<br />

humain.<br />

Et qu'est-ce qui peut mieux démontrer l'infamie d'une action sans exemple dans les annales de<br />

l'histoire? C’est que le créateur de ce règlement extraordinaire en a rougi rien qu'à la pensée et ne l'a<br />

jamais mis à exécution.<br />

Les salaires fixés pour les Juges ne peuvent être comparés proportionnellement aux émoluments<br />

accordés aux autres départements. Un premier Président, qui, d'après les lois locales, est au même rang<br />

qu'un Major Général, est la personne la plus mal payée parmi les chefs de l'administration. Ses salaires<br />

s'élèvent à près d'un quart de celui du Commissaire de Justice (qui est la seule personne dans la Colonie<br />

qui prend rang au-dessus de lui) et s'élèvent exactement au quart de ce que gagne le Chef-Secrétaire du<br />

Gouvernement, et ne surpassent que d'une moitié les salaires du dernier fonctionnaire dans le<br />

département de la justice.<br />

Un Juge de la Cour Suprême ne reçoit que 540 livres sterling par an, quoique de simples assistants<br />

dans les bureaux du Gouvernement soient quelquefois mieux rémunérés; - même le plus inférieur parmi<br />

les chefs des différents départements reçoit un salaire presque deux fois plus considérable.<br />

Ces moyens ne sont pas propres à permettre aux magistrats de tenir leur rang dans la société,<br />

surtout quand on pense qu'ils sont presque tous de vieux Colons qui ont passé leur existence au Barreau<br />

et ont une nombreuse famille à leur charge.<br />

Les magistrats ont droit à une retraite honorable et à une pension qui a été fixée par les lois<br />

précédentes à 192 livres sterling par an, une somrne qui suffit à peine à défrayer l'entretien d'une<br />

modeste demeure.<br />

.<br />

231


On s'est plaint fréquemment, et non pas sans raisons, de l'insuffisance et du mauvais état de<br />

l'administration judiciaire à l'Ile Maurice. La responsabilité en doit retomber sur le Gouvernement local<br />

qui est le plus à blâmer puisque les lois sont bonnes et que le seul soin à prendre était de confier les<br />

fonctions judiciaires à des personnes capables et pleines de probité.<br />

On affirme que, pendant que l'île appartenait à la France, on avait songé à donner un poste à une<br />

personne qui était chaleureusement recommandée par le Gouvernement de la Métropole. Le Gouverneur<br />

trouva qu'elle n'avait pas les aptitudes voulues pour entrer au département de la Guerre, ni même pour<br />

remplir un poste dans l'armée. Le Préfet avait des raisons particulières pour ne pas la prendre dans ses<br />

Bureaux. Mais le premier Commissaire de Justice trouva qu'elle était certainement capable de prendre<br />

place dans son département. Il serait assez difficile d'avoir pleine et entière confiance dans les détails de<br />

cet incident, quoique tous les Colons s'accordent à le dire. Mais il est incontestable qu'en maintes<br />

occasions une nomination au département judiciaire a été considérée comme un « pis aller» et que toutes<br />

les personnes qui n'étaient pas capables de remplir des fonctions dans les autres départements étaient<br />

casées dans celui-ci. Des personnes qui, pendant toute leur vie, avaient été marchands, planteurs,<br />

courtiers, soldats, et marins et qui n'avaient jamais ouvert un livre de loi de toute leur existence, ont été<br />

soudainement envoyées au banc des juges ou au Ministère public. Et cependant, dans tous les pays<br />

civilisés, on a toujours regardé comme indispensable (et les lois coloniales en ont fait une règle<br />

invariable) qu'il fallait avoir été continuellement occupé à l'étude des lois, avoir pris ses diplômes et, de<br />

plus, pouvoir revendiquer une réputation vertueuse et sans tâche, afin d'avoir des droits au grand honneur<br />

d'administrer la justice à ses concitoyens, et de décider du sort de leur fortune, de leur liberté et de leur<br />

existence.<br />

Le système introduit par le Gouvernement Français fut malheureusement adopté par les<br />

gouverneurs anglais; il s'ensuivit qu'on blama la défectuosité des lois, tandis que les personnes ellesmêmes<br />

étaient fautives, et que l'on a trouvé soi-disant des lacunes dans ces institutions qui sont peut-être<br />

les moins défectueuses qui soient en existence, et que tout un chacun s'est cru justifié de demander une<br />

nouvelle organisation judiciaire et finalement de dire qu'il existait dans la Colonie la plus complète<br />

désorganisation.<br />

Ce qu'il y avait de bon a été détruit, et toutes les défectuosités et les vices ont été préservés.......<br />

Nous devons ici le répéter de nouveau (La vérité ne peut être trop souvent dite), on ne trouvera<br />

jamais un homme assez instruit pour administrer comme juge les lois d'un pays étranger, écrites en une<br />

langue qui n'est pas la sienne, dans le langage d'un peuple dont il connaît imparfaitement les coutumes et<br />

les mœurs; des lois qu'il a à peine étudiées et contre lesquelles il est inévitablement prévenu. Permettez<br />

que nous fassions mention de cette vérité. Un Juge anglais qui a simplement entendu les plaidoiries de<br />

deux avocats français discutant des points de lois ne peut consciencieusement donner jugement sur la<br />

cause en litige.<br />

232


Le chef actuel de l'administration judiciaire à l'Ile Maurice mérite le plus grand respect; celui qui<br />

ne reconnaîtrait pas en lui des sentiments vertueux les plus remarquables serait lui-même un parfait<br />

étranger à toute inspiration honorable. En effet, on ne pourrait montrer une plus grande preuve<br />

d'ignorance que de douter de ses talents et de la profondeur de ses connaissances ... mais nonobstant ses<br />

qualités distinguées qui, en réalité, ne peuvent servir comme preuve de ses connaissances en<br />

jurisprudence et ne peuvent convaincre qu'il est à même d'appliquer infailliblement les lois françaises et<br />

leurs principes.<br />

Nous devons dire, sans hésitation aucune, que ces défectuosités dans l'administration locale de la<br />

justice, qui ont été si judicieusement exposées, proviennent spécialement de la composition faible et<br />

défectueuse des Cours de Justice et que la plus certaine conséquence de la nouvelle organisation, loin de<br />

mettre fin aux lacunes actuelles, sera infailliblement d'être la source de beaucoup d'autres.<br />

Mais cette nouvelle organisation n'est-elle pas une violation des lois coloniales? Est-il juste<br />

d'imputer aux lois ce qui doit, en réalité, être mis sur le compte des fonctionnaires de l'administration?<br />

De quoi les Colons se sont-ils plaints? Est-ce des lois ou de ceux qui les administraient? Ont-ils<br />

demandé l'abolition de leurs Codes? Une réforme absolue et entière aurait dû être effectuée "dans les lois<br />

et les Cours de Justice, et des lois et Cours Anglaises établies dans la Colonie; cela, sans nul doute, aurait<br />

été une violation des lois reconnues, mais n'importe, en agissant ainsi on aurait remplacé un système de<br />

lois parfait par un autre système aussi parfait et complet. Mais qu'est-ce que cet étrange amalgame de<br />

lois françaises et anglaises et cette œuvre multicolore de cours de justice qui ne sont ni anglaises ni<br />

françaises et dont les fonctions sont d'appliquer des lois françaises d'après leurs précédents? Bien peu<br />

d'expérience suffirait pour démontrer les imperfections d'un système si mal combiné, mais ce système<br />

aura tout de même causé beaucoup de mal qui sera sans remède.<br />

Le Gouvernement Anglais s'est engagé à respecter et préserver, sans chargement aucun, les lois, les<br />

institutions et les mœurs des habitants de l'Ile Maurice; ainsi donc, il ne peut effectuer aucun changement<br />

sans leur consentement, ou, s'il le fait, ce serait une violation de la Justice.<br />

Comme il se trouve différentes carrières dans la vie auxquelles les jeunes gens de Maurice ne<br />

peuvent aspirer, il est de toute justice que celles qui leur sont ouvertes ne leur soient ravies, On peut<br />

même remarquer ici qu'il serait de bonne politique de donner un peu d'attention à cette observation, car<br />

ces Colons sont Anglais par traité, par serment et, à cette heure, la nouvelle génération a acquis ce titre<br />

par sa naissance. Leur refuser une part dans l'administration serait les traiter comme des étrangers et en<br />

même temps créer un privilège en faveur d'une partie de la population aux dépens de l'autre, un privilège<br />

qui, par sa nature, est des plus odieux, car ceux qui en jouissent sont précisément ceux qui ne contribuent<br />

pas à l'impôt énorme qui a été établi simplement pour subvenir à leurs énormes salaires.<br />

Que devrait penser un Colon qui verse dans les coffres du Gouvernement la majeure partie de ses<br />

revenus quand il pense que toute cette contribution sera employée à rémunérer une personne<br />

nouvellement arrivée d'un pays lointain afin de prendre un poste d'où les fils des planteurs sont exclus,<br />

233


quoique souvent plus à même de remplir ces fonctions, et que l'exclusion dont il souffre provient de la<br />

simple circonstance qu'il est né créole?<br />

Est-ce par de telles menées qu'on obtiendra sa confiance ?<br />

Ces personnes qui amassent l'humiliation et l'injustice sur les Colons ne trahissent-elles pas la<br />

confiance mise en elles par leur Souverain, quand elles ont l'audace d'imputer les plaintes qu'elles<br />

énumèrent parmi leurs souffrances à un sentiment de peu d'affection chez les Colons? Soyez juste et vous<br />

serez certain d'obtenir le respect et l'estime. Protégez ceux qui souffrent et soyez sûr qu'en agissant ainsi<br />

vous inspirerez confiance dans tous les cœurs, mais surtout faites que tous vos engagements soient<br />

inviolables ...<br />

Les habitants de l'île Maurice ont suffisamment prouvé leur fidélité envers le Gouvernement ; ils<br />

en ont adopté les principes et y sont attachés; depuis qu'ils sont devenus Anglais ils veulent rester<br />

Anglais ; mais ils demandent ce qu'il est difficile de refuser à un sujet anglais, c’est-à-dire, la justice, la<br />

sécurité pour leurs droits et leurs propriétés, la protection contre les abus du pouvoir et, en un mot, rien<br />

de plus que ce qui leur a été promis.<br />

Pourquoi les priverait-on de ces avantages? N'ont-ils pas accompli leur devoir? Ont-ils été les<br />

premiers à rompre leurs engagements avec le Gouvernement? Où et quand ont-ils été coupables d'une<br />

telle conduite? Quand ont-ils agi comme des sujets mécontents? Est-ce après avoir été victimes de<br />

malheurs sans nombre causés par la tempête, le feu et la peste? Ils n'ont jamais un instant hésité à payer<br />

au Gouvernement des impôts et des taxes qui n'étaient point dûs, n'ayant pas été autorisés par la<br />

législation ni même par une ordonnance imparfaite? Est-ce quand ils ont accepté toutes les lois qui ont<br />

été envoyées de la Métropole afin d'être mises en vigueur dans la Colonie, des lois qui mettaient en<br />

danger leur fortune et même leur existence? - Est-ce quand ils se sont si patiemment soumis à plusieurs<br />

mesures violentes prises par différentes autorités coloniales? Est-ce, en un mot, quand ils se reposèrent<br />

entièrement sur leur Gouvernement afin de défendre leur réputation contre les imputations les plus<br />

calomnieuses?<br />

N'est-ce pas du joug insupportable qui les opprime, du poids de la profondeur et de l'amertume de<br />

leur chagrin qu'ils puisèrent la détermination de sacrifier des sommes considérables afin de faire<br />

entendre les cris de détresse de plusieurs milliers de familles dans les conseils même de leur Souverain?<br />

DÉPARTEMENT DE LA POLICE<br />

Pendant la plus désastreuse période de l'administration française, la Colonie possédait, du moins,<br />

une police suffisante-le Gouvernement sentit qu'en refusant aux Colons le privilège de concourir à<br />

l'administration de la Colonie, il devenait responsable du maintien de la sécurité publique.<br />

234


A l'heure actuelle l'assurance de cette sécurité n'existe plus, le désordre règne sur tous les points de<br />

l'île, le métier de voleur et de receleur est maintenant à l'ordre du jour, c'est une profession reconnue, la<br />

licence et la dépravation règnent sans aucun frein, le vice sans honte aucune marche la tête haute, on<br />

serait tenté de croire que les lois municipales ont été abolies sur tous les points de l’île quand, au<br />

contraire, elles sont des plus nombreuses dans le Code Colonial qui n'est jamais mis en vigueur. - Si,<br />

parfois, quelque mesure absurde rappelle l'existence d'une police aux habitants de la ville, dans les<br />

différents districts sa présence est problématique.<br />

Les Officiers des départements les plus importants de tous ne sont, pas moins vrai, les plus mal<br />

rémunérés de tous les employés de l'administration coloniale. - Ce qui suit est une énumération de son<br />

composé:<br />

Le Chef de ce département, qu'on appelle « Chief Commissary of Police ", est investi de pouvoirs<br />

considérables. Il peut décider de tous les cas de contravention où l'amende ne doit pas dépasser £1 et où<br />

le coupable ne doit pas être condamné à plus de trois jours de prison. Son devoir est de veiller à la sûreté<br />

publique, l'observance des ordonnances relatives à la salubrité, à l'entretien et au nettoyage des rues, et,<br />

en un mot, de voir à ce que toutes les lois municipales soient observées.<br />

De telles fonctions demandent une grande intelligence et une grande activité, une connaissance<br />

particulière des mœurs de la population et spécialement celles des classes inférieures dont un tel<br />

fonctionnaire doit connaître toutes les habitudes. Un employé appelé à remplir ce poste doit aussi<br />

posséder la science et les talents d'un magistrat et d'un administrateur.<br />

Comme magistrat, le « Chief Commissary of Police» devrait connaître le Code civil et criminel<br />

aussi bien que les ordonnances municipales. Comme administrateur, il devrait avoir une parfaite<br />

connaissance des besoins et des ressources du pays, car c'est à lui à toujours veiller sur l'état des<br />

provisions publiques afin d'éviter tout danger de famine. Ses fonctions sont les plus difficiles de toutes à<br />

remplir; il ne doit pas être moins sévère que vigilant, et il doit en même temps jouir d'une grande<br />

popularité afin d'avoir la confiance des habitants. Ce poste demande au moins autant de connaissances et<br />

d'habileté qu'exigent les plus hautes fonctions judiciaires.<br />

La Colonie possédait auparavant un Conseil Municipal et on s'aperçut que rien de moins qu'une<br />

assemblée de plusieurs hommes capables, dévoués au bien-être de la Colonie, bien informés et fort<br />

désintéressés pouvaient convenablement remplir de telles fonctions, comme le demandait la sûreté<br />

publique en un pays où le nombre des esclaves dépasse de dix fois celui des blancs.<br />

Il n'existe plus de Conseil Municipal maintenant, ce ne sont plus les Colons qui ont charge de<br />

veiller à leur propre tranquillité - le Gouvernement a trouvé qu'un« Pay-Master» de régiment était<br />

parfaitement à même de remplir les fonctions de la plus importante magistrature de la Colonie.<br />

235


Nous sommes loins d'imputer le moindre doute sur l'intégrité, sur les talents et sur les dispositions<br />

de l'officier qui est en ce moment à la tête du Département de la Police; nous disons simplement de lui ce<br />

que nous avons déjà dit de plusieurs personnes placées dans les mêmes circonstances: jamais un homme<br />

qui n'a pas spécialement étudié les lois, qui n'a qu'une imparfaite connaissance de celles du pays, qui ne<br />

connaît pas la langue ne pourra remplir les fonctions d'un Magistrat dune manière satisfaisante.<br />

Mais que résulte-t-il d'une telle combinaison? C'est qu'à chaque fois qu'il a à donner une décision<br />

sur un point de loi le « Chief Commissary » se voit forcé de consulter un avoué ou un autre magistrat, et,<br />

comme il arrive souvent, s'il reçoit des opinions tout à fait opposées, il devient irrésolu de crainte de se<br />

compromettre, le public souffre de son incapacité et de son manque de connaissances.<br />

Voilà d'où proviennent les plaintes sans relâche contre cet officier; ces plaintes sont<br />

malheureusement trop fondées, comme on l'a vérifié en maintes reprises. Voilà d'ou proviennent son<br />

impopularité et la méfiance qu'on a envers toutes les branches de l'administration qui sont dirigées et<br />

remplies de la même façon.<br />

Le « Chief Commissary» recevait un salaire pour remplir des fonctions dont il était incapable et<br />

pendant longtemps d'autres émoluments pour d'autres fonctions qu'il est prouvé qu'il est incapable de<br />

remplir. Comme Commissaire civil il devait tenir un livre d'enregistrement pour les naissances, les<br />

mariages, les mortalités, chose qu'il n'a pas faite, - mais, comme il avait fallu lui trouver une sinécure, en<br />

récompense de ses services inutiles ...<br />

Après dix-huit ans on s'est enfin aperçu qu'un tel état de choses était tout, excepté juste; et que les<br />

Colons, pour un salaire très minime, remplissaient des fonctions dont les émoluments revenaient à un<br />

supérieur; le Gouvernement s'est enfin décidé à accorder une compensation aux Colons pour l'injustice<br />

marquée dont ils avaient été victimes pendant longtemps.<br />

Au-dessous du « Chief Commissary » vient un assistant, et, comme il est absolument nécessaire<br />

que ce fonctionaire soit intelligent et instruit, on l'a pris des rangs - et, par le fait, en l'absence du « Pay<br />

Master », c'est un capitaine de Grenadiers qui décide des questions des lois municipales ... Ces deux<br />

personnes étant les chefs de ce département, il n'est pas étonnant que le Chef Brigadier de Police soit un<br />

sergent du Régiment. Il est vrai que ce dernier ignore complètement la langue française, mais on doit<br />

espérer qu'il l'apprendra sous peu; en attendant, il se dispensera de faire les entrées des différentes<br />

contraventions imposées par la loi, puisqu'elles doivent être faites en français.- Nous ne devons pas<br />

oublier de dire que, comme l'assistance de plusieurs Français est absolument indispensable dans ce<br />

département, il y a trois fonctionnaires qui sont rémunérés d'une manière très minime - ils sont<br />

surchargés de travail à un tel point qu'il leur est impossible de tout faire; malheureusement, ces trois<br />

employés n'ont pas une plus parfaite connaissance des lois que leurs supérieurs,- En outre de ceux-ci, il y<br />

a une douzaine de gardes que le chef du département est souvent obligé de renvoyer, à chaque fois qu'il<br />

s'aperçoit qu'ils commettent plus de désordre qu'ils n'en empêchent. Il y a aussi plusieurs inspecteurs<br />

d'esclaves qui, en majorité, ont été condamnés aux galères.<br />

236


L'esquisse de l'administration de la Police a maintenant été exposée dans sa couleur réelle ...<br />

Les différents officiers appartenant à ce département, qui ont été ci-dessus énumérés, sont plus<br />

spécialement attachés à la ville du Port-Louis. Il serait curieux d'examiner les branches de ce<br />

département dans les différents districts de la Colonie.<br />

L'Ile Maurice est divisée en 8 districts à peu près de la même grandeur dont le plus petit contient<br />

une population de 1,500 âmes, les esclaves inclus, et le plus grand de 16 à 18,000 habitants Il y a le même<br />

nombre de gardes dans tous les districts et, par conséquent, on n'a fait aucune différence entre eux.<br />

Ainsi donc, dans chaque district il y a un Commissaire civil, qui, comme officier de Police, est<br />

sous le contrôle du « Chief Commissary », quoique ne tenant aucun pouvoir de ce dernier. Ses fonctions<br />

ne dépassent pas celles de rapporter les différentes contraventions et les délinquants; il n'a pas le droit<br />

d'imposer aucune amende ni punition; la moindre offense commise dans le coin le plus éloigné de l'île ne<br />

peut pas être jugée ailleurs qu'au Port-Louis.<br />

Comme il est nécessaire, afin de vérifier et de rapporter une offense, d'aller sur les lieux, le<br />

Commissaire a à s'éloigner parfois, pour une chose insignifiante, de plusieurs lieux de sa résidence, à<br />

écrire autant, à prendre autant de peines et faire autant de dépense qu'il faudrait pour un crime atroce; on<br />

doit naturellement penser qu'avec tous ces désagréments ces choses d'importance secondaire sont<br />

négligées la plupart du temps,<br />

Il en résulte que dans les districts il s'est formé plusieurs petits villages dont les habitants n'ont<br />

d'autre ressource d'existence que le vol et la violence, ou exercent la profession de receleurs.<br />

On doit aussi se rappeler que dans ces districts il est difficile, sinon impossible, de trouver une<br />

seule prison où l'on pourrait retenir pendant une heure seulement un voleur pris flagrante delicto.<br />

Les nouvelles lois à l'Ile Maurice ont promulgué la création d'un bureau pour l'enregistrement des<br />

esclaves, et d'un Protecteur et gardien de ces derniers, Ces places ne sont pas remplies par des Colons<br />

pour la bonne raison que ce sont des sinécures trop importantes pour être données aux habitants de l'île,<br />

mais, comme on a jugé convenable de nommer des assistants, afin que ces derniers fassent la besogne<br />

qu'exige chaque district, on n'a trouvé rien de mieux à faire que de donner ces fonctions aux<br />

Commissaires civils qui déjà ne pouvaient remplir convenablement leur tâche. Par le fait, une seule<br />

personne dans un district de 18,000 âmes est, en même temps, Commissaire civil chargé de tenir un<br />

registre pour les naissances, les mariages et les mortalités; de remplir les fonctions de juge en ayant à<br />

dresser un rapport des crimes dans son district; de présider aux conseils de famille; de mettre les scellés<br />

sur les meubles de personnes décédées, en faire l'inventaire et les vendre. Il doit aussi veiller à la Police<br />

de son département, recevoir les rapports et déclarations qui sont nécessaires pour la collecte des taxes. -<br />

être le protecteur des esclaves et veiller à leur enregistrement et, pour ces nombreuses fonctions, il ne<br />

reçoit pas la moitié du salaire dont jouit le chef du département qu'il représente.<br />

On doit convenir de deux choses rune, ou que le Commissaire civil du district le plus populeux<br />

remplit ses nombreuses fonctions d'une manière irréprochable - ou qu'il ne les remplit pas<br />

237


convenablement. En admettant la première supposition ... pourquoi ne reçoit-il pas un salaire supérieur à<br />

celui que reçoit le Commissaire civil du district le moins populeux qui d'après la supposition la plus<br />

libérale, n'a que la quinzième partie du travail à faire? En admettant la seconde hypothèse ... il est<br />

absolument nécessaire d'augmenter le nombre des gardes. Il est vrai que dans chaque district le<br />

Commissaire civil a un assistant et deux gendarmes à sa disposition; à proprement parler, ces gendarmes<br />

ne sont rien de plus que deux courriers et ne sont même pas capables de faire toutes les commissions<br />

qu'on leur demande.<br />

Indépendamment du Commissaire civil, il ya les Commandants de quartier, institution inutile,<br />

chose qu'il faut remarquer en passant.<br />

Sous le Gouvernement Français, les Colons étaient organisés en milice et le chef de chaque<br />

régiment s'appelait Commandant de quartier, il avait le grade de lieutenant-colonel. Ce poste avait<br />

toujours été gratuit, mais il n'était pas sans importance parceque le commandant avait le droit<br />

d'assembler la milice et d'appeler l'assistance des troupes régulières quand les circonstances le<br />

demandaient. Sous ce rapport, leur institution était d'une extrême utilité.<br />

Sous le Gouvernement Anglais, les Commandants ont été, en certains cas, retenus, en d'autres<br />

renvoyés, d'après leur plus ou moins grande docilité envers le Gouvernement qui avait l'intention de les<br />

employer car c'étaient des personnes influentes dans leur district.<br />

A l'heure actuelle, il ya seulement cinq districts de la Colonie sous l'autorité des Commandants et<br />

le Gouvernement ne semble pas disposé à en nommer dans les districts où il n'yen a pas… En effet, il ne<br />

serait pas nécessaire de le faire, car il serait difficile de trouver la nécessité d'un Commandant de quartier<br />

qui commande à cinq gendarmes, en comptant les deux qui sont au service du Commissaire civil Placé<br />

en de telles circonstances, le Commandant ne possède pas plus de pouvoir militaire qu'un caporal à la<br />

tête de son détachement.<br />

Tel est donc le composé du Département de la police, parmi une population de 100,000 âmes.<br />

Ceux qui en avaient charge auparavant jouissaient d'une plus grande importance et déployaient plus de<br />

zèle que ceux qui y sont aujourd'hui. Leur vigilance était beaucoup plus remarquable, quoiqu'on pourrait<br />

faire remarquer avec raison que cela n'était pas d'aussi grande utilité qu'à l'heure actuelle. Les<br />

propriétaires avaient alors plus de contrôle sur leurs esclaves, et, chaque habitant prenant soin de sa<br />

propriété ainsi que des personnes à son service, la Police n'avait qu'à garder les grandes routes, les forêts<br />

et les endroits très éloignés des plantations.<br />

De nos jours, le maître a perdu toute l'autorité dont il jouissait sur son esclave, et il y a des offenses<br />

qu'il ne lui est pas permis de punir; il doit mener l'esclave devant le magistrat, où il faut énumérer les<br />

différents sujets d'accusation; suivent une longue procédure et des débats sans fin, conséquences<br />

inévitables d'un procès: ajoutez à cela l'impossibilité d'obtenir des témoignages satisfaisants, etc. Tous<br />

238


ces inconvénients ne font qu'encourager les délinquants, et font perdre aux maîtres les services de leurs<br />

esclaves pendant leur incarcération. Une offense qui, sur la propriété du maître, serait punie par une<br />

détention de quinze jours, portée à la connaissance de la justice, devra être punie de plusieurs années<br />

d'après le Code de la Colonie. Il en résulte que le maître traduit rarement son esclave en cour de justice et<br />

que l'esclave manque de plus en plus d'obéissance et de discipline. Les fautes, les offenses et les crimes<br />

augmentent de jour en jour, le commencement d’un procès a lieu à la campagne et ne peut se<br />

terminer qu'en ville où le jugement est donné et la punition infligée - d'où nécessité pour la Police de<br />

montrer plus d'activité et de vigilance que jamais, et, cependant, elle n'a jamais été plus défectueuse.<br />

Il suffirait, afin d'illustrer cet état de choses plus clairement, de dire que le nombre de<br />

condamnations sur les esclaves pour crimes s'évaluait en 1810 ,année de la conquête de l'île) au nombre<br />

de quatre (deux cas de meurtre, un de vol, et un d'empoisonnement) et qu'en 1828 il Y a eu 124<br />

condamnations (dont 6 cas d'assassinat, 70 de vol, 4 de tentative d'incendie, 2 d'attaques de personnes<br />

libres, 2 d'empoisonnement, 7 de révolte contre l'autorité légale et 33 fautes, id est accusations<br />

mensongères contre les maîtres). En comptant sur le même pied et d'après les mêmes proportions, nous<br />

arrivons à la conclusion que le nombre des crimes qui sera probablement commis par les esclaves dans<br />

dix ans ne sera pas moins de 14,480 par an.<br />

Ce sont là les conséquences d'une administration de police et de justice tout à fait défectueuse, ce<br />

sont là les résultats des lois faites en Europe par des personnes n'ayant aucune connaissance des localités,<br />

tel est, en un mot, le résultat du refus obstiné d'accorder aux Colons une participation à la rédaction de<br />

leurs lois, ou à la conduite de leur gouvernement intérieur.<br />

TAXES SPÉCIA<strong>LES</strong> ET PRIVILÈGES<br />

TAXE POUR L'ÉGLISE DU PORT-LOUIS<br />

En 1813 le marquis d'Hastings d'illustre mémoire, allant dans l'Inde comme Gouverneur général,<br />

passa à l'Ile Maurice. Profondément touché de l'accueil qu'il reçut des habitants et des égards respectueux<br />

qu'on eut pour lui, il voulut leur laisser un souvenir de sa reconnaissance. Il demanda, donc, et obtint<br />

facilement du Gouvernement que la seule église du Port-Louis, alors en ruines, fût réparée et ré-édifiée·<br />

Il voulut y poser la première pierre lui-même, et le souvenir de cette cérémonie publique, une des plus<br />

imposantes qui ait jamais eu lieu à Maurice, sera toujours présent à la mémoire des Colons avec un<br />

profond sentiment de reconnaissance.<br />

Aussitôt après le départ de Son Excellence, on informa les habitants par proclamation que le seul<br />

moyen de mettre à exécution les généreux désirs du marquis serait d'imposer une nouvelle taxe, qui fut<br />

par conséquent recouvrée à raison d'un dixième en plus des taxes déjà prélevées sur la ville du Port-<br />

Louis.<br />

239


L'église fut bientôt restaurée et, dans l'espace de quelques années, les fonds avancés par le<br />

Gouvernement furent bientôt remboursés. Il y a maintenant 17 ans que le Gouvernement a imposé cette<br />

taxe, il est certain qu'il a été remboursé en entier, et pourtant la taxe pour la réparation de l'église existe<br />

encore. Puisse le ciel préserver les habitants d'un second don de cette nature!<br />

On doit cependant dire que, lorsqu'il arrive à un membre du Gouvernement local de demander une<br />

explication sur cet état de choses si injuste, on lui répond que les sommes qui proviennent de cette taxe<br />

servent à défrayer les dépenses faites pour fournir de l'eau à la ville du Port-Louis, Cet argument ou<br />

plutôt cette mauvaise plaisanterie est très facile a réfuter. Quel est le but et l'objet de toute taxe, si ce n'est<br />

d'aider aux dépenses publiques ? Et ne doit-on pas classer comme dépenses publiques celles faites pour<br />

leur donner une des premières nécessités de la vie, la plus importante de toutes? A quoi donc servent ces<br />

grosses sommes recouvrées chaque année? Le département le plus nécessaire de l'administration, celui<br />

de la justice, ne reçoit pas de salaires suffisants, à l'exception de celui du Chef-Juge.<br />

Les salaires accordés au département de la Police sont également insuffisants, si ce n'est celui du<br />

chef et de son député. Cependant, on juge convenable de donner d'énormes salaires aux chefs des<br />

différentes branches de l'administration dont les fonctions pourraient être exercées pour la moitié de ce<br />

qu'ils touchent, on accorde des émoluments excessifs à des personnes qui pourraient être remplacées par<br />

des Colons bien plus capables de remplir leurs places et qui sont disposés à entreprendre cette besogne<br />

pour la moitié de ce qu'on paie en ce moment; donner une rémunération coloniale à trois régiments dont<br />

la besogne pourrait facilement être effectuée par un seul, payer dix colonels et d'autres officiers<br />

inférieurs, c'est un luxe trop excessif pour un petit pays comme l'Ile Maurice.<br />

L'Ile Bourbon, qui est presque deux fois plus grande, est modestement administrée par un<br />

capitaine, elle a une garnison commandée par un lieutenant-colonel et la moyenne de ses fonctionnaires<br />

militaires et civils ne coute pas plus que le Gouverneur de Maurice et sa suite Qu'en résulte-t-i1? C'est<br />

qu'au cas où plusieurs autres régiments ou fonctionnaires civils seraient envoyés à l'Ile Maurice les<br />

Colons seraient forcément obligés de défrayer leurs dépenses, puisque les taxes déjà imposées seraient<br />

insuffisantes pour le budget de la Colonie. Mais peut-être s'imagine-t-on qu'il est plus facile d'accorder<br />

d'énormes salaires pour peu de travail que de faire réparer les bâtiments publics, d'entretenir les routes et<br />

les rues en bon état, de construire et d'entretenir des canaux et des aqueducs, d'avoir une administration<br />

de justice effective, d'établir une bonne police et, en un mot, de faire pratiquer des lois assurant la<br />

propreté et la salubrité.<br />

Qu'on le dise ouvertement, les habitants de l'Ile Maurice ont autant, si ce n'.est plus, de taxes qu'ils<br />

ne peuvent supporter; et qu'il n'est ni juste ni équitable de leur imposer une taxe spéciale pour des<br />

nécessités qui leur sont dues. Il sera prouvé dans les pages suivantes qu'il existe plusieurs de ces taxes<br />

spéciales qui ont plus qu'atteint le but pour lesquelles elles avaient été décrétées, et qui, cependant,<br />

continuent à remplir les caisses du Gouvernement, au lieu de servir à diminuer les charges publiques.<br />

240


TAXES SUR <strong>LES</strong> MARRONS.<br />

Il existe depuis longtemps sous cette dénomination un impôt ayant deux choses pour buts: (1°) de<br />

rémunérer les personnes ayant capturé les esclaves en fuite, et (2°) de défrayer le Gouvernement des<br />

dépenses pour l'incarcération de ces esclaves après leur capture, aussi pour les soins médicaux donnés et<br />

pour les faire reconduire chez leur maître.<br />

Les produits résultant de cette taxe s'évaluent pendant trois années (1826,27 et 28) à £ 13,898. Les<br />

dépenses faites pour effectuer son but s'élèvent à £ 4,818. Il restait donc une somme de £ 9.080 pour ces<br />

irais années, c'est à dire £ 327 par an.<br />

N'aurait-il pas été plus juste d'appliquer ce surplus (qui plus ou moins a toujours existé)<br />

premièrement à diminuer la taxe imposée pour l'Eglise et secondement à amortir celle du canal?<br />

TAXE SUR LE QUAI.<br />

Le Gouvernement Anglais a créé une taxe pour bâtir des quais à la ville du Port-Louis. Le quai a<br />

été construit, le Gouvernement remboursé, et cependant, comme la taxe de l'Eglise, celle-ci continue à<br />

être payée ... et, si les rumeurs sont vraies, ces fonds servent à autre chose. En 1829 ils s'évaluaient à<br />

28,503 piastres. Les Colons n'ont plus qu'à recevoir plusieurs dons comme ceux de l'Eglise, du canal et<br />

du quai et leur ruine sera certaine.<br />

Les habitants de Bourbon ont vu construire chez eux un magnifique pont en fer comme on n'en a<br />

jamais vu à l'Ile Maurice. Une partie de leur île, jusqu'ici aride, est devenue très fertile par la construction<br />

d'un canal. Une Eglise splendide a été élevée dans leur vive principale, et on n'a jamais augmenté leurs<br />

taxes pour cette raison. Si quelqu'un en demandait la raison, il serait tout simple de la dire: ils ont moins<br />

de sinécures et d'épaulettes à leur charge.<br />

PRIVILÈGE DE LA PRESSE.<br />

Quand les Anglais prirent possession de l’île, le nouveau Gouvernement y établit une imprimerie<br />

qui était sa propriété particulière ... Deux ans plus tard l'administration eut l'idée de louer cette<br />

imprimerie à bail-- et, afin d'en tirer un plus grand profit, on fit un monopole du droit d'imprimerie, une<br />

mesure décidément injuste et illibérale, car il était évident que la ruine des autres imprimeurs s'ensuivrait<br />

et qu'il serait impossible à l'avenir de tenter une pareille entreprise.<br />

Les matériaux de l'imprimerie du Gouvernement sont hors d'étal de service depuis plus de dix ans,<br />

et toute l'installation est devenue tout à fait inutile, et cependant, avec beaucoup d'ingénuité, cette masse<br />

morte et sans profit est revendue au public qui devient acquéreur non pas pour s'en servir mais bien pour<br />

jouir du monopole qui y est attaché. En un mot, l'imprimerie du Gouvernement, qui en 1813 réalisait<br />

7,749 piastres 75 cts et ne produisait en 1819 que 1,500 piastres, et réalisé un profit qui se montait à<br />

13,125 piastres en 1825, et cette année la somme de 6,957 piastres 59 cts 1/4.<br />

241


Nous ne pouvons nous imaginer sans étonnement comment un Gouvernement peut s'aventurer<br />

dans une entreprise si extraordinaire: spéculer sur la Presse, l'institution la plus libérale en Angleterre,<br />

qui est un monopole dans une de ses colonies.<br />

Ce n'est pas tout, cette même presse a été sujette à la censure la plus rigide et on ne permet même<br />

pas aux Colons de réfuter et de mettre un terme aux accusations journalières et aux basses insultes dont<br />

ils sont victimes, et pourtant c'est le seul moyen qui puisse donner de la publicité à leur défense.<br />

PRIVILÈGE AUX CAFÉS.<br />

Le Gouvernement a fait un monopole du droit de vendre des spiritueux et liqueurs, bien que ce<br />

soient produits coloniaux, si bien que les propriétaires de distilleries sont déjà obligés de payer des droits<br />

pour chaque alambic qu'ils possèdent.<br />

Cette taxe produisit 4,422 piastres en 1829 et le privilège pour la vente des spiritueux en ville<br />

seulement se montait à 38,200 piastres.<br />

PRIVILÈGE AUX BATEAUX.<br />

Les navires à l'ancre dans le Port-Louis n'ont pas toujours eu le droit de charger et de décharger<br />

leur cargaison avec leur propre équipage. Ils ont été forcés pour cela d'employer des bateaux privilégiés,<br />

et ce privilège a été acheté en 1822 pour la somme énorme de 26,880 piastres. A présent on ne donne<br />

plus de privilège exclusif, mais le Gouvernement vend des permis, ce qui revient à peu près à la même<br />

chose.<br />

PRIVILÈGE POUR LE <strong>LES</strong>T.<br />

Même les bateaux et les petits vaisseaux faisant la côte n'ont pas le droit de se procurer leur propre lest,<br />

ils doivent racheter d'une certaine personne qui, à son tour, a acheté du Gouvernement le droit exclusif<br />

de fournir cet article.<br />

PRIVILÈGE POUR LA PÊCHE.<br />

Anciennement le droit de pêcher appartenait à tous les Colons en générai, ce qui était un grand<br />

avantage, et particulièrement aux esclaves; maintenant ils sont obligés de payer pour avoir le droit de<br />

prendre un poisson.<br />

TAXE SUR LE VACCIN.<br />

Sous le Gouvernement Français le vaccin employé était sous la sauvegarde des médecins attachés<br />

aux hôpitaux publics - mais il arrive maintenant que les Colons ont à payer une taxe annuelle pour une<br />

chose qu'ils obtiennent avec beaucoup plus de difficulté qu'auparavant, et qui, en réalité, devrait être<br />

fournie gratuitement.<br />

242


DROIT SUR <strong>LES</strong> SUCRES EXPORTÉS.<br />

On n'a pas trouvé suffisant de prélever un droit de 27 (maintenant 24) schellings sur les Colons<br />

pour l'exportation de leur sucre en Angleterre: ce n'est pas assez pour eux d'avoir à paver Je fret une<br />

prime d'assurance et une commission, qui sont des sujets considérables puisque les sucres viennent d'une<br />

distance de 4,000 lieues de la métropole : ce n'est pas assez qu'il leur soit défendu de charger leurs sucres<br />

ailleurs qu'au Port-Louis alors qu'il leur serait moins coûteux de les charger dans les ports voisins de<br />

leurs usines. - Il faut encore qu'ils aient à payer 1 schelling par 56 kilogs de sucre qu'ils exportent, peu<br />

importe la qualité; il s'ensuit donc que les produits de vente de sucre de qualité inférieure ne peuvent pas<br />

couvrir le fret et la commission en Angleterre, et cependant ils sont sujets à la même taxe imposée sur les<br />

sucres de la plus belle qualité.<br />

DROITS D'ENREGISTREMENT ET DE TRANSFERT.<br />

Une des taxes les plus lourdes et les plus odieuses qui aient jamais été inventées par le<br />

Gouvernement Consulaire est celle qui va bientôt occuper notre attention.<br />

En prenant connaissance des discours et des rapports faits au sujet de sa création, il est facile de<br />

voir que cette loi n'avait jamais été faite pour les Colonies. Cependant, il plut au Général Decaen de<br />

l'appliquer à l'Ile de France sous la nécessité impérative provenant de l'extrême détresse qu'avait amenée<br />

la guerre. Les Colons n'avaient pas le moindre doute que la paix prochaine amènerait l'abrogation entière<br />

de cette mesure, mais, à la prise de l’île, les Anglais la conservèrent dans toute sa vigueur, quoiqu'elle ait<br />

été bien modifiée en France et par conséquent à Bourbon. .<br />

Ce droit, par lequel les ventes et les transferts des propriétés sont continuellement arrêtés, d'où<br />

provient un nombre infini de procès, et malgré le langage précis du Code Civil, cette taxe a été<br />

maintenue à l'Ile Maurice, le seul pays ; au monde où elle existe dans sa forme la plus révoltante.<br />

Nous ne devons pas oublier que le recouvrement de cette taxe demande un département particulier,<br />

tout à fait distinct des autres, parcequ'il faut tenir un registre officiel pour les hypothèques. Le chef de ce<br />

département doit nécessairement avoir une parfaite connaissance des lois civiles et particulièrement de<br />

celles qui se rapportent aux hypothèques, car il est tenu responsable de la moindre erreur ou négligence.<br />

Au temps de la conquête, ce département était sous la direction d'un vieux Magistrat (à qui l'Ile Maurice<br />

doit la seule collection qui existe des anciennes lois Coloniales) : ce très honorable fonctionnaire fut<br />

déchu et un Anglais le remplaça; ce dernier avait osé accepter une place qu’il lui était impossible de<br />

remplir, à un tel point qu'il ne s'en est jamais occupé, et donnait une petite portion de son salaire à un<br />

clerc français qui conduisait tout le département.<br />

Tel était l'état des choses jusqu'en 1828, quand on s'aperçut qu'il était injuste et impolitique de<br />

confier des fonctions à des personnes incapables de les exercer, et, comme nul autre qu'un Français ne<br />

pouvait administrer ce département, c'est à un Français qu'on en donna la direction.<br />

243


Mais voyez cet exemple extraordinaire d'inconsistance. Comme le principal but de ce département<br />

est de recouvrer des droits qui s'élèvent à £ 20,000 par an et qu'afin d'évaluer convenablement il faut<br />

avoir une profonde connaissance du Code Civil, le Gouvernement reconnaît qu'un Anglais est incapable<br />

de le faire, -- pourtant ce même Gouvernement donne l'administration de la justice, c'est à dire du droit<br />

de décider de la vie, de la liberté et de la fortune des Colons, à des hommes ignorant tout-à-fait ces<br />

mêmes lois qu'ils sont payés pour appliquer, et ce Gouvernement trouve que ces mêmes hommes ne<br />

connaissent pas suffisamment une partie du Code qui puisse leur permettre d'administrer le département<br />

des hypothèques.<br />

N'est-ce pas là confirmer que le Gouvernement local est plus désireux de remplir les coffres du<br />

Trésor que de voir la Colonie convenablement administrée? Mais est-ce que tout l'or du monde vaut<br />

autant que la justice? Enfin, un Anglais qui ne peut être Procureur du Roi, ni son député, ni un avocat du<br />

Barreau, ni même un huissier dans les Cours Coloniales est pourtant un juge ! ! ! Et un juge qui ne<br />

connaît pas autant que le dernier employé de son département.<br />

Maintenant, qu'on se· plaigne aussi haut qu'on voudra de l'administration de la justice à l'Ile<br />

Maurice, mais qu'on se souvienne que c'est le Gouvernement Anglais qui en est la cause.<br />

DÉPARTEMENT DES POSTES.<br />

Anciennement la Poste était une des branches les moins importantes de l'administration, mais elle<br />

était cependant bien dirigée et n'était pas à la charge du Gouvernement ni des habitants. Le chef de ce<br />

petit bureau recevait un salaire mensuel de 30 piastres. On l'appelle maintenant emphatiquement « Le<br />

Département des Postes, » car il est maintenant d'une inévitable nécessité d'avoir des départements<br />

partout et de mettre un fonctionnaire anglais à leur tête avec un gros salaire, peu importe si ce dernier<br />

possède ou non les aptitudes voulues. Un jeune créole reçoit 50 piastres et bâcle la besogne.<br />

Voilà comment les Colons paient toujours et ne reçoivent jamais aucune compensation - ils<br />

pourraient prendre tout aussi bien pour devise : sic vos non vobis.<br />

PATENTES.<br />

Ceci est une innovation du nouveau Gouvernement qui produisit 27,915 piastres et 68 sous en<br />

1829.<br />

LOCATIONS D'ESCLAVES.<br />

Le Gouvernement Français avait un nombre considérable d'esclaves, un genre de propriété dont<br />

l'origine est injustifiable: car ils avaient été pris des Communes auxquelles ils appartenaient, - mais,<br />

comme ils étaient généralement occupés aux travaux publics, les Colons n'avaient aucune raison de s'en<br />

plaindre. Le Gouvernement actuel a établi des taxes spéciales afin de payer la construction de ces mêmes<br />

travaux, et a loué ces esclaves à différentes personnes dont quelques unes ont joui du privilège sans<br />

244


jamais en payer la location. Cette source de revenus est maintenant perdue, le Gouvernement ayant<br />

résolu d'affranchir ces esclaves.<br />

CORVÉES DES ESCLAVES.<br />

Les corvées avaient été établies par le Gouvernement Français pour l'entretien des routes et des<br />

rues de la ville.<br />

Cet impôt a été confirmé et augmenté par le nouveau Gouvernement, mais on doit reconnaître que<br />

si, d'une part, les routes à travers l'île n'ont jamais été en meilleur état, d'autre part, celles de la ville n'ont<br />

jamais été si négligées. La ville du Port-Louis, généralement parlant, est devenue très malsaine.<br />

DROITS SUR LE BAZAR (MARCHÉ).<br />

De ces flammes qui dévorèrent la moitié des maisons du Port-Louis, le 25 septembre 1816, jaillit<br />

une nouvelle source de gain pour le Gouvernement.<br />

Le vieux marché où les habitants se procuraient les nécessités de la vie, fut détruit par cette<br />

incendie. Il aurait été facile pour le Gouvernement de le reconstruire, prenant en considération<br />

l'accroissement énorme des taxes et plus particulièrement la calamité qui avait récemment frappé la<br />

Colonie, une calamité qui n'amena aucune diminution dans les charges publiques.<br />

Le Gouvernement aurait pu comme nous l'avons déjà dit, rebâtir un marché sans créer un impôt<br />

additionel. - Mais, loin de là, depuis 1819, (sans compter les années précédentes) le Bazar a produit près<br />

de £ 30.000; cette somme est trois fois plus grande que celle qu'on a déboursée pour sa construction. La<br />

taxe imposée pour le nouveau marché s'évalue à trois fois plus du coût et cependant, comme il en est de<br />

l'impôt pour le quai, de la taxe pour les marrons et l'Eglise, la contribution imposée pour le marché sera<br />

recouvrée à perpétuité.<br />

Les Colons n'ont jamais reçu un seul bénéfice qui n'ait été converti en une source de calamités par<br />

la création d'une taxe éternelle.<br />

ENREGISTREMENT DES ESCLAVES.<br />

Le Gouvernement a trouvé une autre source de revenus dans l'enregistrement des esclaves, une<br />

mesure tout à fait ineffective de nos jours puisque la traite a été abolie pour toujours. Mais comment<br />

pourrait-il se dispenser de donner un énorme salaire à un chef de « Département » anglais, et à son<br />

assistant anglais, pour faire un travail qui retombe sur les employés inférieurs ?<br />

TAXE POUR <strong>LES</strong> PAUVRES.<br />

245


Dans le cours de nos observations sur la Caisse de Bienfaisance nous avons déjà parlé de cette taxe<br />

spéciale qui a été établie afin de remédier à la négligence qu'on mettait à recouvrer les amendes, ou afin<br />

de réparer les conséquences provenant de la négligence des fonctionnaires publics.<br />

Nous ne répéterons pas à nouveau les mêmes vérités, mais nous devons ajouter une remarque que<br />

nous considérons être de la plus haute importance.<br />

Les pauvres de la population de l'le Maurice ne se trouvent pas parmi les esclaves, mais bien parmi<br />

ceux qui ont été émancipés - l'esclave comprend d'ordinaire la liberté comme étant identique à l'inertie<br />

absolue - à vaguement parler, on ne voit pas un seul esclave affranchi s'employer soit aux plantations,<br />

soit dans les manufactures, soit dans les maisons de travail, soit à la journée ou comme domestique -<br />

mais il vit d'habitude de vol, de mendicité, de fraude et de recèlement.<br />

Les autres pays ont des lois spéciales contre le vagabondage, les habitants de l'Ile Maurice sont les<br />

seuls privés de cet avantage qu'ils ont sollicité en vain.<br />

TAXE POUR ENTRETENIR <strong>LES</strong> RUES DE LA VILLE EN BON ÉTAT.<br />

Le moindre des devoirs que doit remplir un Gouvernement envers la communauté qui dépose<br />

annuellement dans ses coffres une somme dépassant £ 150,000 est de tenir les rues de la ville en bon état<br />

afin d'assurer la santé et de faciliter les communications dans toutes les parties; et, cependant, au moment<br />

où le Trésor Colonial possédait un surplus de fonds s'évaluant à £ 100,000 (une accumulation d'espèces<br />

sans exemple dans la Colonie et qui, loin de suggérer une augmentation des taxes, devait faire voir à<br />

l'administration qu'il était absolument nécessaire de réduire l'impôt du pays), en de telles circonstances le<br />

Gouvernement déclara l'impossibilité d'assurer la santé publique sans l'imposition d'une nouvelle taxe.<br />

Les Communes du Port-Louis n'appartenaient pas au Gouvernement, mais bien à la communauté -<br />

malgré cela le Gouvernement s'est emparé des places publiques et, loin d'accorder une compensation à la<br />

communauté pour de tels empiètements, il a imposé de nouvelles taxes auxquelles on n'aurait pas songé<br />

si la propriété des habitants était restée entre les mains de ses possesseurs légaux.<br />

Nous ne pouvons quitter ce sujet sans parler des différents procédés qui eurent lieu quand un<br />

comité des habitants votèrent cette taxe qui est imposée sur les voilures élégantes et coûteuses, aussi bien<br />

que sur les chevaux, les mules et autres bêtes de somme.<br />

Depuis la capitulation de l'île ce fut la première fois que les Colons furent consultés par les<br />

autorités locales. Le Gouvernement n'avait pas la moindre crainte d'assembler quarante notables choisis<br />

parmi les habitants, ni de soumettre à leur considération plusieurs mesures locales sur lesquelles il<br />

n'hésitait pas à demander leurs opinions individuelles. Les notables se réunirent comme une réelle<br />

Assemblée Coloniale, élurent un Président, un Secrétaire et choisirent un local. Leurs séances étaient<br />

conduites avec beaucoup d'ordre, de jugement et de gravité imposante, qui prouvaient, au-dessus de<br />

toute contradiction, que l'île Maurice, toute petite qu'elle était, possédait des hommes suffisamment<br />

informés pour assister et conseiller un Gouvernement sur les mesures d'administration intérieure.<br />

246


Le principal but de cette réunion était de chercher à éviter les conséquences désastreuses d'une<br />

consommation excessive des opiats et des liqueurs coloniales chez les classes inférieures et<br />

particulièrement chez les esclaves. Les membres assemblés avaient aussi en vue de découvrir les moyens<br />

qui assureraient la subsistance de la Colonie pendant la famine qui devait infailliblement arriver si les<br />

provisions de l'extérieur venaient à manquer d'un moment à l'autre. Troisièmement, le Comité devait<br />

examiner les différents changements à effectuer sur la loi des marrons que les circonstances avaient<br />

rendus nécessaires. Et enfin, ils avaient à bien considérer une demande faite par le Gouverneur pour une<br />

nouvelle contribution des habitants afin de défrayer l'entretien des rues.<br />

Sir Charles Colville a acquis un droit considérable à la gratitude des Colons, en leur permettant de<br />

déployer ainsi leurs aptitudes à conduire les affaires publiques, et, en même temps, d'exprimer leur<br />

obéissance aux vues du Gouvernement.<br />

Cette assemblée fournissait une bonne occasion « aux sujets mécontents, « aux esprits<br />

récalcitrants, et aux opposants systématiques du Gouvernement» (comme les personnes intéressées à<br />

calomnier le caractère des habitants de Maurice les ont décrits), c'était, disons-nous, une bonne occasion<br />

pour eux, s'ils étaient tant disposés à créer une opposition aux desseins du Gouvernement, - ce qui,<br />

cependant, aurait été justifiable pour des raisons très plausibles, - c'était le moment d'illustrer leur grief<br />

en sa plus sombre couleur, de déclamer une infinité de plaintes accumulées depuis vingt ans, dont ce<br />

récit peut donner à peine une faible idée.<br />

Mais il arriva tout le contraire. Les notables savaient très bien que le remède de toutes leurs<br />

souffrances n'était pas entre les mains de leur Gouverneur, ils savaient que ses intentions étaient des plus<br />

justes et des plus humaines, mais ils savaient aussi qu'il ne possédait pas autant de moyens qu'il avait de<br />

bonnes intentions; ils prirent donc une autre route, la seule à suivre dans les circonstances critiques et<br />

difficiles du moment.<br />

Sur le premier point soumis à leur considération, ils créèrent les bases d'une nouvelle loi, en firent<br />

un sommaire et décrivirent les causes de son origine et les différents débats qui précédèrent sa formation.<br />

Une telle besogne était immensément laborieuse, car il était nécessaire d'éclaircir un amas de lois se<br />

rapportant au sujet en discussion, de les placer méthodiquement, de les tirer de leur confusion et de leur<br />

obscurité, de créer une nouvelle loi, une nouvelle façon d'imposer les taxes, une nouvelle classification<br />

d'offenses et de contraventions, en un mot, d'effectuer un changement complet et absolu du système<br />

inconsistant et impraticable suivi jusqu'ici pour l'enregistrement, les jugements, et la violation des lois<br />

criminelles ainsi que des simples règlements de Police.<br />

Ce travail fournit des preuves incontestables non seulement des grandes capacités, mais aussi des<br />

connaissances considérables que possèdent ses auteurs et prouva en même temps la docilité et la fidélité<br />

des Colons, car les lois promulguées à cette occasion étaient évidemment contraires aux intérêts<br />

financiers des propriétaires de distilleries, mais comme l'humanité et les intérêts généraux de la<br />

communauté en demandaient le sacrifice, on le fit sans hésitation.<br />

247


Nous avons toute raison de croire que ce projet de loi a été envoyé au Gouvernement de la<br />

Métropole afin d'en recevoir la sanction.<br />

Les observations ci-dessus se rapportent à la loi pour les marrons et à celle des<br />

approvisionnements coloniaux. Au sujet de la seconde question du présent article, c'est à dire la taxe<br />

pour l'entretien des rues, elle fut votée à l'unanimité par les habitants puisque la salubrité publique<br />

rendait cette mesure impérative.<br />

Mais ce qui est particulièrement digne d'observation en ce cas c'est que la loi promulguée pour<br />

cette nouvelle contribution fut mise en vigueur sans aucun délai, car c'était une règle établie qu'une loi<br />

créée pour l'imposition d'une nouvelle taxe est la seule qui puisse être mise en vigueur avant d'avoir reçu<br />

la sanction du Gouvernement de la Métropole.<br />

RECOUVREMENT DES TAXES<br />

La distribution de l'impôt direct et indirect est réglée par un « Collecteur» qui, comme son<br />

assistant, n'est pas un Colon. Il recevait auparavant autant que, ou peut-être plus, que tous les autres<br />

fonctionnaires publics ensemble.<br />

Ce fonctionnaire n'est sous le contrôle de personne, quoique la découverte d'un grand déficit dans<br />

les fonds qu'avait entre les mains son prédécesseur aurait dû servir d'exemple et faire qu'on rétablisse le<br />

contrôle et le pouvoir de revision qui existaient au début.<br />

Ce n'est pas là la seule lacune qui existe dans ce département. Le bureau où doivent se payer les<br />

contributions générales est situé au Port-Louis. 11 n'y a pas de « sous-collecteurs» dans les différents<br />

districts de la Colonie, comme il devrait y en avoir; d'où provient le délai qu'on met à payer les taxes, et<br />

la fâcheuse nécessité qu'éprouve la classe pauvre d'avoir à voyager douze lieues afin de payer sa part de<br />

contribution, qui est fréquemment doublée par les dépenses de déplacement.<br />

Les retardataires sont exposés à recevoir une assignation qui dépasse en frais le montant de la dette<br />

elle-même.<br />

Ne serait-il pas bien plus préférable et plus dans les intérêts du Gouvernement et dans ceux des<br />

Colons d'établir des collecteurs spéciaux dans chaque district, afin d'éviter aux habitants l'ennui et la<br />

dépense d'un voyage en ville simplement pour payer la part de contribution qui leur revient? Afin de lui<br />

éviter les frais excessifs d'une assignation, d'accélérer le paiement des taxes, et d'en rendre plus facile le<br />

recouvrement, ne serait-il pas mieux d'effectuer cette amélioration? Cela éviterait d'autant plus cette<br />

accumulation considérable de taxes non-payées, qui provient bien plus de la négligence des<br />

fonctionnaires qui en ont charge que du mauvais vouloir de ceux qui paient.<br />

Comment se fait-il que chaque district n'ait pas un officier résidant ou un bureau recevant les<br />

contributions des habitants? Il y en a où les Colons sont obligés de faire six lieues afin de faire une<br />

déclaration au Commissaire civil pour le baptême d'un enfant, ensuite de faire encore douze lieues afin<br />

d'arriver à l'Eglise où doit avoir lieu la cérémonie; en cas que ces personnes, placées où elles sont, aient<br />

248


esoin du « Commandant de quartier » par des circonstances imprévues, elles auraient encore à faire six<br />

à sept lieues-et tant de longues courses dans une île n'ayant pas plus de trente lieues de circonférence et<br />

une population de 100,000 âmes.<br />

En agissant ainsi, n'est-ce pas traiter avec un trop grand mépris une Colonie à laquelle on impose<br />

sans cesse de si lourdes contributions?<br />

PENSIONS.<br />

Le Gouvernement Anglais a montré d'une manière remarquable sa justice et son libéralisme envers<br />

les enfants et les veuves des braves qui se sont distingués au service de leur patrie.<br />

Mais, hélas! rien ne peut causer un plus profond et sincère regret que la courte liste des pensions<br />

accordées aux veuves de ces vieux Colons qui ont fait le plus grand bien à la communauté. La veuve<br />

d'un officier anglais reçoit plus d'émoluments que ceux accordés par une humiliante pitié aux femmes de<br />

vieux généraux ou de vertueux magistrats, dont l'indigence était la preuve d'une vie probe et<br />

désintéressée.<br />

Ainsi, nous rencontrons à chaque occasion cette distinction pénible et marquée, qui blesse si<br />

cruellement une population qui supporte d'innombrables charges, sans jamais recevoir quoique ce soit en<br />

retour.<br />

EDUCATION PUBLIQUE.<br />

Ce serait priver le Gouvernement Anglais d'un juste éloge en gardant le silence sur la protection<br />

qu'il a accordée à l'éducation des jeunes créoles, et, sur ce sujet, on lui doit beaucoup de reconnaissance.<br />

Les mœurs ont été préservées par l'encouragement que l'on donne à l'étude de leur langue mère.<br />

Le Collège Royal est la seule institution qui soit confiée aux soins des Colons. Mais, par une sorte<br />

fatalité, quelques unes de ces distinctions injurieuses, dont nous avons parlé a plusieurs reprises, se<br />

retrouvent ici.<br />

Il y a un professeur anglais récemment envoyé à cette institution qui touche un salaire trois fois<br />

plus important que celui d'autres professeurs dont la réputation est plus grande et qui ont, en outre,<br />

rempli leurs fonctions pendant 30 ans. Il est presque indéniable que cette institution est arrivée au plus<br />

haut degré d'amélioration, et il est certain que, si le Gouvernement la favorise toujours de sa généreuse<br />

protection accordée jusqu'ici, le Collège Royal ne cessera pas de répondre à la confiance et aux<br />

espérances des habitants.<br />

Mais il existe là une difficulté très délicate, mais qui n'est pas insurmontable, et qu'on doit traiter<br />

avec beaucoup de sagesse, de délicatesse et de prévoyance.<br />

Le Collège Royal, qui ne peut être compris dans les propriétés de l'administration, fut fondé par les<br />

membres de la Commune du Port-Louis en 1798 et jusqu'ici a été le rendez-vous des enfants de la<br />

population blanche. En vertu d'un Ordre en Conseil récemment promulgué, toutes les personnes libres de<br />

249


la population de couleur doivent jouir de tous les droits civils; cette mesure qui anciennement avait fait<br />

naître des craintes les plus inquiétantes, ou même une grande terreur, a été tranquillement acceptée par<br />

les Colons au moment ou tous les fantômes de préjugés disparaissent devant la lumière grossissante de<br />

l'éducation et de la civilisation. Ce changement n'a causé aucune plainte, les habitants ne se sont pas<br />

récriés, car ils étaient convaincus de la grosse injustice qui privait une partie de la population de certains<br />

droits civils et de l'injurieuse distinction que causent les préjudices envers des familles dont l'éducation,<br />

la respectabilité et la fortune leur donnaient droit à ces avantages dont elles avaient été privées<br />

jusqu'alors.<br />

Mais, d'après l'Ordre du Conseil, qui était conçu en termes absolus et sans réserve, le plus bas des<br />

esclaves, dont l'émancipation est souvent effectuée par des moyens fort injustes, avait le droit de prendre<br />

place au niveau des plus anciens et des plus éminents Colons. - Il n'y avait pas un seul père de famille,<br />

peu importe son origine ou sa couleur, qui n'a pas tremblé à l'idée que, par cette mesure, ses enfants<br />

pouvaient devenir les camarades de celui ou ceux d'un autre qui avait élevé les siens avec des principes<br />

de corruption et d'immoralité dont la contagion devait infailliblement se propager.<br />

Voilà les raisons qui ont forcé les Colons de soumettre à la considération du Gouvernement leur<br />

juste antipathie envers cette mesure,- en admettant que leurs observations fussent tant soit peu exagérées,<br />

il nous reste à montrer comment il était possible, sans violer les clauses de l'Ordre en Conseil, d'accorder<br />

l'entrée du Collège aux personnes de couleur, sans admettre un esclave émancipé dans l'enceinte du<br />

Collège. Cette difficulté a été soumise à la considération du Gouvernement local qui a envoyé aux<br />

autorités de la Métropole les représentations des deux parties.<br />

Il existe peut-être un moyen très simple de résoudre ce problème, Ce serait de régler l'institution<br />

sur un pied universitaire en ne recevant ni pensionnaires, ni demi-pensionnaires et en fixant l'heure à<br />

laquelle les classes s'ouvriraient pour les jeunes gens ayant« matriculé. »<br />

Quand aux classes préparatoires, elles seraient laissées aux soins des parents, et, par conséquent,<br />

les classes de lecture, etc. et celles de grammaire, de mathématiques, de dessin, etc., ne seraient plus<br />

faites au Collège Royal. Des Créoles libres s'établiraient bientôt, dans la ville, où les maîtres seraient<br />

libres d'accepter qui bon leur semble, sans autre contrôle que celui du Comité d'éducation dont les<br />

devoirs sont de veiller et d'assurer une bonne morale et de bonnes manières.<br />

Si ce plan était exécuté, aucun élève ne serait admis au Collège sans avoir déjà des connaissances<br />

requises, et alors ses occupations journalières et le peu de temps qu'il y passerait chaque jour ne lui<br />

permettraient pas d'éveiller les craintes dont nous avons parlé.<br />

Nous sommes tentés de croire que, si ce plan est judicieusement exécuté, il rétablirait bientôt<br />

toutes les différences et donnerait une satisfaction générale.<br />

250


ESCLAVAGE DE LA PRESSE.<br />

L'Ile Maurice est le seul pays au monde où la censure de la Presse est préservée sous ses formes les<br />

plus odieuses, et où elle est mise en vigueur avec le plus de sévérité.<br />

Un seul fonctionnaire a le loisir de permettre ou de refuser la publication d'un seul mot; la seule<br />

règle qu'observe le censeur c'est sa propre volonté, et, selon l'état de sa santé, de ses idées et de ses<br />

caprices, ou de sa disposition, accorde ou refuse l'insertion dans la presse quotidienne des idées<br />

contraires aux siennes, et même refuse aux Colons le droit de réfuter les infamies dont on les accuse.<br />

Ils sont injustement privés des moyens de faire connaître au monde les sommes énormes qu'ils ont<br />

à payer comme taxes; des calomnies les plus ignobles contre les Mauriciens ont été publiées dans<br />

plusieurs revues de la métropole, dans les journaux de l'Inde, et ceux des nouvelles Galles du Sud, et<br />

pourtant on ne leur a pas permis de réfuter ces infamies, de crainte qu'en se défendant les Colons<br />

démasquent plusieurs personnages influents dont la vengeance effrayait le censeur.<br />

On ne leur permet pas de publier les causes judiciaires ayant lieu dans l'île; les journaux ne<br />

peuvent pas parler des petits incidents journaliers pouvant intéresser le public; ils n’ont même pas le<br />

droit d'informer les habitants des vols et des brigandages commis dans l'île. Tous ces avantages leur sont<br />

refusés à cause des réflexions que pourraient faire les Colons sur l'incapacité des fonctionnaires publics.<br />

Ce censeur est naturellement un Anglais qui, peu instruit dans la langue française, n'en connait pas les<br />

finesses et, par crainte d'un double sens, abroge tout ce qui dépasse sa compréhension.<br />

Cet exposé fait naturellement croire que le moindre petit pamphlet est soumis à la même rigueur et<br />

à la même mutilation; si parfois une déclamation insignifiante est publiée dans les journaux, c'est<br />

seulement après avoir survécu aux ravages sans merci qui, comme d'habitude, frappent sans distinction,<br />

à moins que ce soit l'éloge copieux et exagéré des membres de l'administration, en un style qui ne permet<br />

pas de douter de la sincérité de l'auteur.<br />

Si l'île avait joui de la liberté de la presse, elle aurait été mieux connue et moins calomniée, mais le<br />

silence sans réveil que gardait forcément la presse encourageait ses ennemis et ses calomniateurs, le<br />

monde jusqu'à ce jour a ignoré tout à fait la violence et la tyrannie qu'a déployées le General Hall<br />

pendant toute la durée de son administration.<br />

Le censeur va jusqu'à empêcher la publication des infamies qu'on a lancées contre les habitants de<br />

Maurice, et, par conséquent, il ne leur est pas possible de connaître les dangers auxquels ils sont exposés<br />

et des infamies qui se débitent sur leur compte.<br />

Quand nous pensons à toutes ces injustices, un effroyable spectacle se présente à nos yeux, nous<br />

voyons un homme avec les mains et les pieds liés jeté nu dans une arène de bêtes sauvages, pendant que<br />

les spectateurs s'écrient ironiquement: « Défendez-vous. »<br />

C'était suffisant, plus que suffisant, qu'une loi, l'œuvre d'inqualifiable tyrans ... (faite au moment où<br />

l'anarchie démocratique était remplacée en France par l'oligarchie directoriale qui fut, el1e-même,<br />

251


anéantie par le pouvoir consulaire) plaçait les fonctionnaires au-dessus de toute punition pour abus de<br />

pouvoir et les protégeait contre l'opinion publique.<br />

Il arrive, par conséquent, que chaque officier du Gouvernement peut librement tyranniser son<br />

département sans crainte des lois locales qui sont tous les jours violées et servent à protéger les intérêts<br />

individuels.<br />

LE COMMERCE DES ESCLAVES.<br />

Nous arrivons maintenant à la question qui est la cause principale des nombreuses calomnies et des<br />

accusations les plus nombreuses qui aient jamais été débitées sur les habitants de l'Ile Maurice.<br />

Quoique ces accusations aient été réfutées d'une façon irréprochable par quantité de mémoires<br />

écrits à cet effet, nous devons, cependant, offrir quelques explications sur la question.<br />

Aucune loi ne doit être mise en vigueur à Maurice sans avoir été promulguée et insérée dans les<br />

archives de la Cour.<br />

Aussitôt après la conquête de l'île, qui a été effectuée par la convention dont les clauses<br />

spécifiaient d'une façon particulière le maintien intact des lois alors, en existence, il ne fut même pas<br />

parlé du commerce des noirs. Le projet d'abolition n'a pas été promulgué à cette époque. Il était<br />

simplement connu du public, mais sans aucune certitude que ce trafic était prohibé par les nouveaux<br />

propriétaires de la Colonie.<br />

Cet état de choses dura jusqu'à 1814, lorsque la Cour Suprême siégeant à Bourbon eut à se<br />

prononcer sur des gens réputés pour faire ce genre de commerce. La Cour se trouva dans l'impossibilité<br />

d'infliger la moindre punition, puisqu'il n'existait pas de loi contraire à cet odieux commerce. On ne doit<br />

pas oublier qu'en cette occasion remarquable la Cour ne put même pas se procurer une copie du projet de<br />

loi à cet effet; il n'yen avait pas une seule à Bourbon, et, cependant, tous les juges furent destitués, par<br />

ordre du Gouvernement, qui n'avait pas légalement le droit de les révoquer; ce dernier s'efforça de<br />

prouver par un sophisme sans exemple qu'il n'était pas nécessaire que la loi fut promulguée pour être<br />

mise en vigueur.<br />

Nous avouons franchement qu'en janvier 1813, l'acte de la 51me année du règne de Sa Majesté<br />

George III, ch.: 23 avait été promulgué à l'Ile Maurice, mais non pas à Bourbon. C'est pour celle raison<br />

que toutes les frauduleuses importations d'esclaves faites dans les deux colonies avant cette période ne<br />

peuvent être atteintes par cette loi. Après cette époque des négriers furent armés et des débarquements<br />

occasionnels furent effectués, nous ne nions pas cela, mais depuis mars 1821 le commerce des esclaves<br />

a été totalement et absolument aboli par les Colons sans condition aucune. Leurs ennemis leur ont<br />

imputé à tous, sans exception, le blâme qui doit retomber sur quelques personnes appartenant au dernier<br />

rang de la société.<br />

Le nombre des importations frauduleuses a été exagéré- les preuves écrites, d'une respectabilité<br />

incontestable, qui ont été fournies par les Colons, ont toutes été rejetées. Tous les Gouverneurs de la<br />

252


Colonie (nous sommes heureux de leur rendre justice) n'ont rien épargné afin d'arrêter cet infâme trafic.<br />

Le Général Hall, plutôt poussé par ses intérêts personnels que par un sentiment de justice et d'humanité,<br />

a eu recours aux plus rigoureux, aux plus violents et aux plus barbares moyens contre les coupables.<br />

Nous allons bientôt vérifier quels ont été les résultats de toutes ces mesures arbitraires qu'on a pu<br />

imaginer afin de mettre un terme au commerce des esclaves ou plutôt de l'étouffer.<br />

Tous les navires, sans exception, qui ont été employés à ce commerce dégradant ont été tôt ou tard<br />

capturés. Le nombre de condamnations sur le dossier de la Cour de l'Amirauté se monte à 23, et la<br />

moyenne des esclaves trouvés à bord de ces navires, et conséquemment mis en liberté, par un décret de<br />

cette Cour, est de 1,260. Pendant l'administration du Général Hall le nombre d'esclaves mis en liberté<br />

s'évalue à 220, et le nombre de navires saisis fut Un ! Ceci est attesté par des documents officiels, légaux<br />

et d'une vérité authentique; le reste est, sinon faux, d'une exagération calomnieuse.<br />

Ces mêmes preuves écrites prouvent que la cargaison la plus considérable qui ait jamais été<br />

importée s'élevait à 160 personnes. Ceci donne une idée de la valeur du rapport de la Commission<br />

d'enquête, qui certifie que chaque négrier portait de 250 à 300 individus, préférant, à ce qu'il paraît, se<br />

baser sur les récits de ses espions que de consulter les dossiers de la Cour d'Amirauté; de plus, ceci est<br />

un exemple de la bonne foi de celui qui, sans rougir, a déclaré à la face de l'Angleterre et de l'Europe la<br />

mensongère affirmation qu'il pouvait prouver qu'en une seule année 30.000 esclaves avaient été<br />

débarqués à l'Ile Maurice, un nombre qui, cependant, aurait occasionné plus de frais aux acheteurs,<br />

s'évaluant à plus que le total des revenus de la Colonie de 1810 à 1821.<br />

Nous constatons, par une autre source non moins authentique, que, pendant le Gouvernement<br />

Français, au moment où la traite des noirs n'était pas seulement tolérée, mais aussi très favorisée et bien<br />

protégée, les importations annuelles se montaient à près de 2,000.<br />

Mais le fanatisme succomberait bien vite sans l'appui du mensonge ...<br />

Espérons, cependant, que bientôt nous aurons le bonheur de voir le triomphe de la vérité.<br />

TRAITEMENT ET RÉGIME DES ESCLAVES.<br />

Les personnes qui ont eu suffisamment de courage pour lire les pages répugnantes de « l'Anti-<br />

Slavery Reporter» et qui ont pu croire la centième partie des calomnies infâmes que sa langue<br />

mercenaire a débitées contre les habitants de l'Ile Maurice doivent avoir bien peu d'estime pour ces<br />

derniers.<br />

Des mémoires spéciaux ont été écrits afin de dévoiler ces infamies horribles, mais ces mémoires ne<br />

peuvent pas espérer inspirer le remords, puisque la nourriture quotidienne de cette feuille n'est que<br />

vitupération et calomnie; elle devra cesser d'exister quand elle aura cessé de mentir. .. Les personnes<br />

honorables puiseront beaucoup d'informations dans ces mémoires, elles penseront que toute la<br />

population d'une île ne peut pas plus être accusée des méfaits de quelques uns que les habitants de la<br />

253


Grande Bretagne ne peuvent être responsables in solidum des crimes qui se commettent chaque jour dans<br />

le Royaume.<br />

On ne croira jamais qu'une population qui s'est toujours distinguée par sa vertu, son énergie dans<br />

des circonstances très difficiles, par sa constance en des jours de détresse, par son scrupule à tenir ses<br />

promesses, en un mot, que la population la plus hospitalière peut-être du monde entier, la seule peut-être<br />

qui ne s'est jamais noircie par des principes révolutionnaires et chez laquelle les arts et les sciences ont<br />

toujours prospéré, pas un seul homme sérieux, nous disons: pas un seul, ne croira un seul mot de toutes<br />

ces accusations de férocité que les diffamateurs les plus résolus aient jamais osé proférer contre sa<br />

réputation .<br />

Mettant de côté l'argument contre la traite, qui est si dégradante à la nature humaine et que rien ne<br />

peut justifier, pas même l'exemple des gouvernements les plus libéraux qui aient jamais existé, Sparte,<br />

Rome, les Etats-Unis, et même l'exemple de Caton, le premier des citoyens, qui, cependant, a été un plus<br />

mauvais maître que le plus sévère des colons modernes, mettant de côté ces arguments, nous pouvons<br />

audacieusement affirmer que les esclaves de l'Ile Maurice sont plus heureux que ceux de toute autre<br />

Colonie, et encore bien plus heureux que les paysans des contrées les plus civilisées. Si leurs fautes sont<br />

punies, leur bonne conduite est récompensée; d'où provient que les affranchissements volontaires<br />

augmentent de jour en jour et que le nombre de ceux qui eurent lieu pendant les années 1827, 1828 et<br />

1829 se montent à 1,500, ce qui coûte aux habitants rien de moins que £150,000. Ce seul fait, qui<br />

donne tant de crédit à l'humanité et à la générosité des Colons, est, de lui-même, une réplique écrasante<br />

aux calomnies du « Reporter. »<br />

Que toutes les autres Colonies montrent autant de libéralité, qu'un nombre équivalent de prétendus<br />

philanthropes fasse autant de sacrifices pour l'humanité.<br />

Les esclaves africains qui ont été mis en liberté par la Cour de l'Amirauté ont été confiés comme<br />

apprentis ou serviteurs à différentes personnes. Ils sont traités de la même manière que les autres<br />

esclaves; au 31 décembre 1828, ils étaient au nombre de 1,647, dont 880 avaient pour maîtres des<br />

Anglais et 767 étaient entre les mains des planteurs et autres Colons. 362 ont terminé leur apprentissage<br />

et, cependant, il n'yen a eu que 16 qui ont discontinué de servir les mêmes maîtres; parmi ces 16<br />

apprentis, 6 avaient été au service d'un Anglais qui occupait un poste influent dans l'administration, 3<br />

autres avaient été serviteurs d'un juge anglais; quant aux sept autres, ils appartenaient à plusieurs<br />

citoyens qui possédaient peu de fortune. Mais tous ceux qui avaient été envoyés dans différents districts<br />

de l'île sur les propriétés, occupés à une besogne qu'on avait faussement représentée comme excessive,<br />

ont renouvelé leur engagement pour continuer le même travail.<br />

Il est donc évident et d'une certitude indéniable qu'on a trouvé des hommes libres à Maurice, qui<br />

ont, de leur propre consentement, entrepris, sans être menacés, de recommencer le même travail qu'on<br />

exige de la part d'un esclave. La raison est qu'à l'Ile Maurice un esclave est certain d'avoir tous les<br />

conforts pendant son existence avec soins médicaux, sans excepter le vieillard et l'infirme qui ne peuvent<br />

254


plus travailler. Il y a plus de 15,000 esclaves dans la Colonie, qui sont placés dans une pareille catégorie,<br />

et qui ne sont d'aucune utilité, et qui, en cas d'affranchissement, deviendraient les créatures les plus<br />

misérables de la terre.<br />

Sur une propriété possédant 200 esclaves il n'y a même pas 100 laboureurs; quant au reste, c'est un<br />

fardeau pour le propriétaire.<br />

Les Colons eux-mêmes avaient prévu et exécuté les nouvelles lois qui, depuis, ont été promulguées<br />

pour l'amélioration du sort des esclaves, et ces lois n'auraient causé aucun mécontentement n'étaient<br />

plusieurs innovations dangereuses qui avaient trouvé leur origine dans l'inefficacité de la Police.<br />

RÉCAPITULATION.<br />

Le lecteur a du déjà s'apercevoir par nos observations précédentes que, malgré ses lois et ses<br />

institutions, l'Ile Maurice est placée dans une plus mauvaise condition que si elle n'en possédait pas du<br />

tout, que le plus grand désordre et la plus grande confusion règnent dans la Colonie.<br />

Il est bien difficile de s'imaginer qu'une machine si mal organisée puisse tenir sur ses fondations.<br />

Les ressorts usés par un service excessif conservent leur élasticité pour un certain temps mais en pareille<br />

condition si on les rudoyait, ils se briseraient bien vite, et la colonie serait perdue sans retour pour son<br />

Gouvernement mal informé.<br />

L'argument favori de ceux qui touchent les plus beaux salaires à l'Ile Maurice, et dont les intérêts<br />

sont de maintenir le pouvoir arbitraire des fonctionnaires publics et, en même temps, le silence imposé<br />

aux Colons par la censure tyrannisant la Presse, est que la Colonie n'a jamais, à aucune période, été plus<br />

florissante, grâce à l'extension de ses produits.<br />

Il est vrai que l'agriculture s'est améliorée d'une façon considérable, mais il n'est pas moins vrai que<br />

cela résulte de la paix qui dure depuis 15 ans et des fluctuations qui se sont opérées sur les marchés du<br />

monde commercial, et non pas des mesures prises par le Gouvernement. Les autorités coloniales n'ont<br />

rien fait pour encourager l'agriculture, leur mesures avaient, au contraire, une tendance à arrêter ses<br />

progrès. Cela semble évident quand nous pensons que jusqu'en 1825 le sucre de Maurice payait 37<br />

schellings de droit d'importation en Angleterre, quoique les sucres venant des autres Colonies n'en<br />

payaient que 27. Les produits coloniaux payaient un droit d'exportation, quoique cette façon de taxer les<br />

marchandises de manufactures n'est connue en aucun autre pays.<br />

Les taxes et les impôts établis à l'Ile Maurice, qui, à leur origine, excédaient ceux de toute autre<br />

colonie, ont été depuis doublés, triplés et même quintuplés.<br />

La Colonie a été ravagée par des ouragans terribles, par un incendie qui a détruit pour plus de :<br />

£2.000·000, par la peste et des maladies qui n'ont pas été des calamités moins grandes que les<br />

255


précédentes - et, malgré leurs sollicitations répétées, les habitants n'ont pas obtenu la moindre réduction<br />

dans le budget de la Colonie.<br />

L'agriculture auparavant n'était qu'un objet secondaire dans un pays qui puisait ses ressources<br />

principales dans son commerce. Qu'aurait été le profit de produits agricoles dans une Colonie qui ne<br />

possédait pas une marine assez puissante pour protéger son commerce?<br />

Les nombreuses fortunes qui augmentaient en très peu de temps par la hardiesse des armateurs<br />

particuliers et les spéculations favorables des autres, ou bien par des armements bien conduits,<br />

inspirèrent aux habitants de l'Ile Maurice un sentiment audacieux, les plongèrent dans les entreprises et<br />

les aventures, et ce sentiment n'est pas encore éteint.<br />

La conquête infligea un coup mortel aux intérêts commerciaux du moment; les dépenses faites<br />

pour la construction des bâtiments étant beaucoup plus elevées à l'Ile Maurice qu'elles ne l'étaient dans<br />

l'Inde, à Java et aux nouvelles Galles du Sud, comme la concurrence devenait plus sérieuse chaque jour,<br />

les armateurs se trouvèrent dans la nécessité d'abandonner cette carrière et d'entreprendre autre chose;<br />

ceux d'entre eux qui persistèrent furent complètement ruinés.<br />

Quand la paix fit qu'une amélioration s'opéra dans les prix des sucres en Angleterre, quand le frêt<br />

fut tombé à un prix très modéré, et que la navigation sur les mers fut devenue libre, l'agriculture devint le<br />

principal objet de spéculation, et, comme les produits de la canne à sucre étaient connus comme les plus<br />

profitables, on s'en occupa exclusivement et industrieusement.<br />

Une quantité considérable de machines fut en peu de temps achetée de la Métropole, plus de 150<br />

machines à vapeur destinées aux sucreries, avec une bonne quantité de machines de tous genres, roues,<br />

alambics, générateurs, etc., etc., furent importés dans la Colonie. La dépense totale pour ces achats de<br />

machines importées à l'Ile Maurice pendant les années 1826,1827, 1828 et 1829 s'évalue à £140,058, ce<br />

qui, d'après Monsieur Huskisson dépasse de beaucoup les achats des Colons des autres Colonies avec les<br />

marchands de la Métropole. Toutes les plantations furent hypothéquées afin de subvenir aux frais de<br />

construction de différentes manu factures et peu des Colons sont parvenus à s'acquitter des premiers<br />

engagements.<br />

L'agriculture s'améliora avec la même rapidité à l'Ile Bourbon, grâce aux même circonstances,<br />

mais cette amélioration fut plus rapide, parceque les taxes y sont bien moindres que celles imposées à<br />

l'Ile Maurice et que les encouragements accordés par le Gouvernement étaient plus sérieux.<br />

On trouve dans les archives du Bureau Colonial une dépêche du Lieutenant" Général qui était<br />

Gouverneur à l'Ile Maurice; ce dernier exprime son profond regret de voir une Colonie française<br />

avoisinante, qui, quoique possédant des ressources bien inférieures, est cependant dans une position plus<br />

heureuse et plus prospère.<br />

Si Maurice produit aujourd'hui 70,000,000 livres de sucre, ce qui est plus qu’el1e ait jamais<br />

produit, on doit aussi reconnaître que les taxes qu'on lui impose s'évaluent à £150,000 per annum, ce<br />

qui dépasse aussi le total annuel de l'impôt qu’elle a payé jusqu'ici.<br />

256


On doit remarquer que la sécurité publique n'a jamais été plus négligée par les fonctionnaires des<br />

départements de Justice et de Police, que l'abus du pouvoir n’a jamais été plus dangereux, que la liberté<br />

de la Presse n'a jamais été si ouvertement et violemment enchaînée, que le commerce n'a jamais été si<br />

stationnaire et improfitable, que les habitants n'ont jamais été si profondément blessés qu'ils le sont à<br />

l'heure actuelle par les distinctions humiliantes et les préférences qui les excluent perpétuellement des<br />

fonctions dont les salaires proviennent des taxes imposées à la sueur de leurs fronts, qu'en un mot les<br />

charges que supporte le public sont immodérées et extraordinaires, que les planteurs ne jouissent même<br />

pas de la vingtième partie des produits de leur propriété.<br />

On doit aussi observer que la dette des planteurs envers les marchands de La Métropole est plus<br />

forte que jamais, que l'intérêt pour les Colonies est de 12 pour cent, que les prêteurs réclament encore 5<br />

pour cent sur le total des produits, ce qui fait que les planteurs n'en ont pas même la vingtième partie. Les<br />

lignes suivantes donneront une parfaite idée de la position d'un planteur dont les dettes se montent au<br />

quart de ses propriétés:<br />

Prenons une propriété de 400 arpents de terre, ayant 100 esclaves et possédant un moulin bien<br />

entretenu. Supposons que cette propriété est placée dans le meil1eur district de l'île et qu'elle vaut 80,000<br />

piastres ou £16,000, son produit annuel sera de 300.000 livres de sucre, c'est à dire, 150 tonneaux.<br />

La liste des dépenses que demande une propriété comme celle dont nous parlons plus haut serait<br />

comme suit :<br />

Piastres<br />

Un administrateur ………………………………………………………………………..800<br />

Un administrateur d'intérieur ……………………………………………………………600<br />

Riz pour les esclaves: 400 sacs à3 piastres ………………………………… …...1200<br />

Deux vêtements par an pour chaque esclave……………………………… ……………400<br />

Lingerie pour lits, etc. ……………………………………………………………………155<br />

Honoraires annuels pour le médecin de la propriété……………………………………. 150<br />

Ordonnances pour les malade……………………………………………………………150<br />

La Nourriture spéciale, vins, vêtements, etc., pour ces derniers…………………………200<br />

L'entretien des machines, du moulin, générateurs, plomb, cuivre, suif, huile, etc………500<br />

Prix des bœufs achetés pour réparer les pertes faites pendant l’année au taux<br />

de 6 pour cent……………………………………………………………………………500<br />

Entretien du propriétaire, de sa famille, vêtements, etc. éducation des enfants……….2000<br />

Intérêts payables sur la dette de 20.000 à 12 pour cent ………………………………..2400<br />

Sacs pour les sucres : 4,000 à 20cts. Chaque……………………………………………800<br />

Frêt ou transport de 150 tonneaux de sucre, au taux de 3 piastres par tonne…………...450<br />

257


Taxes directes……………………………………………………………………........ 250<br />

_____<br />

Total 10,775<br />

_____<br />

300,000 livres de sucre à 16 schellings par 12 livres……………………… 12,000<br />

A déduire 5 pour cent de commission pour les courtiers ou agents ………… 600<br />

______<br />

11,400<br />

Dépenses 10,755<br />

______<br />

Reste 645<br />

______<br />

Nous avons calculé le prix du sucre à 16 schellings par 12 livres, ce qui est le meilleur prix pour le<br />

sucre de qualité supérieure. Il est donc évident que le planteur doit se considérer bien heureux quand les<br />

revenus arrivent à couvrir les dépenses.<br />

Les derniers comptes de vente en Angleterre réduisent la moyenne du prix des sucres mauriciens à<br />

10 schellings, tous frais payés, d'où il résulte que plusieurs propriétaires qui avaient expédié leur sucre<br />

avec des traites de change payables avec le produit de leur sucre qui, d'après leur calcul, devait se vendre<br />

16 schellings, ont eu le désappointement de voir leur traites protestées et d'avoir à payer tous les frais<br />

qu'avait causes ce contretemps.<br />

La consommation du riz pendant l'année 1829 est équivalente à 38, 587. 232 livres de sucre. En<br />

parcourant légèrement la liste des importations faites à l'Ile Maurice, il serait facile à un observateur de<br />

vérifier les dépenses énormes que les habitants sont forcés d'encourir afin de produire une si grande<br />

quantité de sucre, et cela sans profits considérables.<br />

Un lecteur impartial avouera maintenant que rien ne serait plus ridicule et plus imbu de sophisme<br />

que d'essayer de prouver que les Colons sont heureux grâce aux grandes ressources productives de leurs<br />

plantations.<br />

Mais supposons qu'ils deviennent, subitement indolents, quel en serait le résultat? Comment<br />

pourrait-on continuer à les appeler heureux?<br />

Réfléchissons sérieusement sur ce que les habitants de cette petite Colonie gémissent sous le poids<br />

d'une dette énorme, et sont, à cette heure, au moment de perdre tout ce qu'ils possèdent, et que la valeur<br />

de leurs terres diminue tous les jours, à mesure que les prix des produits baissent. Qu'on vienne donc<br />

prédire de leur sort futur si le Gouvernement les abandonnait à la merci de leurs ennemis.<br />

Il est sans doute facile d'imaginer de belles théories et aisé de se bercer d'hypothèses ingénieuses<br />

quand on reçoit un beau salaire d'un Gouvernement puissant, et quand on habite avec parfaite aisance et<br />

258


confort une Colonie dont la prospérité vous importe peu, et où son intérêt vous est passager et indécis.<br />

Mais placez tous ces étranges faiseurs d'hypothèses dans le cas de ceux dont le sort est d'écouler leur<br />

existence dans cette même Colonie, qui possèdent un petit coin de terre dans cette minuscule partie du<br />

monde, qui sont sur le bord du précipice et dont le seul avenir est la mort ou une ruine certaine si le<br />

Gouvernement les abandonnait à la malice, au ressentiment et à 18 vengeance de leurs calomniateurs.<br />

Oh! c'est alors que ces mêmes sentiments d'égoïsme qui les endurcit et les rend indifférents au sort de<br />

ceux qui les entourent, alors ces mêmes sentiments feraient pousser des cris de désespoir mortel<br />

beaucoup plus perçants que ceux qui échappent en ce moment à cette population delaissée, opprimée par<br />

la douleur et s'affaissant sous le poids des malheurs.<br />

Mais quelle est la chose que les habitants de Maurice sollicitent avec plus de chaleur? Ils n'ont<br />

besoin avec tant d'urgence de rien de plus que l'accomplissement des promesses qu'on leur a faites et des<br />

engagements de leur Gouvernement à leur égard: «Vous serez traités de la même manière que les<br />

habitants de nos Colonies les plus favorisées ... » Et, cependant, il n'y a pas une seule Colonie anglaise<br />

qui ne soit plus heureuse sous tous les rapports.<br />

Presque toutes les autres Colonies jouissent du privilège d'une assemblée.<br />

Quoique l'île ait déjà possédé une semblable institution, à qui elle doit son existence et ses bonnes lois,<br />

elle est privée de cet avantage qui est de la plus grande importance. Ses lois sont le travail de personnes<br />

auxquelles l'île elle-même est inconnue et ces lois n'ont rien de commun avec les institutions locales.<br />

Elles consistent en principes généraux dont l'application dépend entièrement du bon vouloir du<br />

Gouvernement, qui est lui-même étranger aux lois, aux coutumes et aux mœurs des différentes classes de<br />

la population qui habite l'île.<br />

Quel peut être le motif qui occasionne qu'on refuse la création d'une Assemblée Coloniale à l'Ile<br />

Maurice? Admettons un instant qu'il soit juste de refuser aux autres les avantages que nous possédons<br />

nous-mêmes; d'après la doctrine des lois politiques, trois raisons seulement pourraient être données.<br />

On pourrait d'abord motiver que la population n'est pas assez éclairée pour avoir des individus<br />

capables de diriger ses intérêts; puis que le tempérament des habitants est trop turbulent pour laisser<br />

croire que leurs représentants les gouverneront avec calme, sagesse et modération; finalement que l'Ile<br />

Maurice ayant été d'abord peuplée par des familles d'origine française et récemment annexée à l'Empire<br />

anglais, ses habitants n'ont aucun droit positif au privilège dont jouissent les sujets anglais.<br />

La première raison est facilement réfutée par les faits. On trouve encore à l'Ile Maurice un certain<br />

nombre de personnes qui siégeaient dans l'ancienne Assemblée Coloniale. La majorité des habitants est<br />

studieuse et loin d'ignorer toutes choses; quand il leur a fallu dresser des mémoires et des rapports sur<br />

différents sujets, ils ont toujours été à la hauteur de leur besogne et l'ont exécutée avec autant d'habileté<br />

(si ce n'est plus) que n'importe quel fonctionnaire civil qu'on ait jamais envoyé à Maurice. Parmi eux se<br />

trouvent les principaux propriétaires ruraux, les marchands les plus éminents, les membres du Barreau,<br />

259


en un mot, les personnes les plus influentes qui, d'ordinaire, en tout pays, sont appelées à représenter les<br />

populations.<br />

Les arts et les sciences et toutes les études qui peuvent orner l'esprit sont étudiées et chéries à l'Ile<br />

Maurice. C'est ainsi que ses habitants sont aussi capables que ceux de toute autre Colonie de choisir des<br />

représentants qui seraient, sous tous les rapports, capables de former une Assemblée qui donnerait au<br />

Gouvernement, en cas de nécessité, des conseils sages et profitables.<br />

La seconde raison est encore plus réfutable, et notre défense se base également sur les faits.<br />

Une population qui a vu violer ses lois et ses propriétés pendant plus de 20 ans, et qui a eu la<br />

patience d'attendre si longtemps pour l'accomplissement des promesses de son Gouvernement, qui a,<br />

sans hésitation aucune, payé des taxes illégales pendant des années sans que le Gouvernement l'en ait<br />

jamais prévenue, une population dont les membres ont conduit leurs délibérations avec tant de calme et<br />

de sagesse à chaque fois qu'on leur a donné l'occasion de se prononcer sur certains cas qui demandaient<br />

leur approbation unamine, une telle population n'est pas turbulente. Qui pourrait croire qu'une Colonie<br />

d'origine anglaise aurait si tranquillement souffert les maux que les habitants de Maurice ont endurés<br />

avec tant de patience?<br />

Qu'on cite une autre Colonie qui ait été frappée d'autant de calamités que celles qui ont ravagé l'Ile<br />

Maurice. Les habitants se sont-ils jamais révoltés contre les autorités légales? Quelle loi, quoique des<br />

plus dangereuses, n'ont-ils pas accepté r<br />

Mais en retour de tant d'obéissance et de soumission, peut-on citer une seule méthode<br />

d'oppression, de tyrannie ou d'insulte dont on n'a pas fait usage à leur détriment ?<br />

La conduite illégale et grossièrement despotique du Général Hall n'est pas encore connue dans la<br />

Métropole. Le genéral Darling, dont l'administration était préjudiciable aux plus grands intérêts des<br />

Colons, a été récompensé par le Gouvernement, malgré l'énormité patente de son injustice.<br />

Tous leurs ennemis ont été libres de dire ou d'écrire sur leur compte ce qu'ils ont voulu avec<br />

l'assurance que, liés et enchaînés comme ils ont toujours été, il serait impossible aux Mauriciens de se<br />

détendre.<br />

Où donc pouvons-nous trouver les preuves de leur caractère immodéré et turbulent?<br />

Ils ont été successivement les victimes de toutes sortes d'oppressions et aucun reproche ne peut<br />

leur être fait, excepté que leur soumission aux mesures tyranniques a dépassé toutes les bornes.<br />

Nous arrivons maintenant au troisième motif d'exclusion; celui-ci ne peut être basé que sur la fable<br />

du loup et de l'agneau, et ne peut être déterminé que sur cette maxime: « La raison du plus fort est<br />

toujours la meilleure ».<br />

Les habitants de l'Ile Maurice sont Anglais ils en demandent les droits, et c'est à cette seule<br />

condition qu'ils trouveront le bonheur -ils ne désirent rien de plus.<br />

260


APPENDICE VIII<br />

Rapport fait par Adrien d'Epinay au Conseil du Gouvernement, en 1832, sur les<br />

moyens les plus propres à obtenir la plus grande amélioration possible de la<br />

condition des esclaves à l'île Maurice et les préparer à jouir de l'état de liberté<br />

sans compromettre le sort de la colonie. 83<br />

(Archives de Maurice, Vol IA 21, N° 3/142)<br />

Lorsque Louis XIII autorisa, en 1615, dans les colonies d'Amérique l'es-clavage détruit en France<br />

depuis déjà plusieurs siècles, il fut entendu que cet esclavage n'aurait rien de comparable à celui des<br />

Romains que relativement aux effets publics de la volonté; car relativement aux personnes des Esclaves,<br />

ils devaient être traités avec douceur, instruits dans la religion, et baptisés. Dès lors, toutes les lois<br />

relatives aux Esclaves pourvurent à leur sûreté, à leur éducation, à leur entretien. C'est dans ce but que<br />

furent rédigées les ordonnances royales, dont la collection formait le Code noir.<br />

Les Habitants de l'Ile de France y apportèrent des modifications, notamment par un arrêté du 4<br />

Décembre 1790 qui abolit comme trop sévères plusieurs châtiments jusque là autorisés. Si ce premier<br />

pas avait été encouragé par une sage politique, l'esclavage lui-même aurait peut-être aujourd'hui cessé<br />

d'exister.<br />

Ce qui se passa à cette époque à l'Ile de France méritait d'attirer l'attention des vrais Philantropes.<br />

Cette colonie, à la différence de presque toutes les autres, avait adopté les principes de la révolution,<br />

mais condamné ses moyens. Des hommes jaloux de leur propre liberté, sagement pénétrés de toute la<br />

dignité humaine, capables de généreux sacrifices pour n'être pas eux-mêmes traités en esclaves, devaient<br />

mieux sentir tout ce que l'Esclavage des Nègres avait d'injuste en principes et d'abrutissant en fait. Ils<br />

devaient rendre à d'autres ce qu'ils revendiquaient pour eux-mêmes, Ils devaient, à peine<br />

d'inconséquence, en échappant à la tyrannie, cesser d'être tyrans,<br />

Voici en quels termes s'exprime l'Assemblée Coloniale de l'Ile de France le 21 Juin 1796 :<br />

« C'était à notre prudence, à notre loyauté, que la république remettait l'exécution d'un des plus<br />

beaux monuments de la révolution, et le soin de la préparer par des mesures organiques qui prévinssent<br />

83<br />

L’impression du présent recueil était déjà très avancée lorsque le hasard nous fit découvrir aux Archives de<br />

Maurice ce rapport jusqu'ici inédit. Nous avons jugé utile de publier cette pièce, car elle montre très bien comment le cas de<br />

l'île Maurice constituait un cas particulier dans l'Empire britannique, mais pas du tout comme l'entendaient les antiesc1avagistes.<br />

261


les secousses et les déchirements. Cette généreuse confiance était la récompense que nous méritait notre<br />

zèle constant pour la Patrie, pour la liberté et l'égalité appropriées à tous les Individus sans exception, car<br />

cette Ile avait devancé même la proclamation des principes qui ont dicté le Décret du 16 Pluviose. Tout<br />

ce que la justice alliée à la prudence avait pu imaginer pour l'amélioration du sort des esclaves avait été<br />

prévu et exécuté. Et les assemblées coloniales s'étaient continuellement occupées des moyens de<br />

ménager sans convulsions ni licence la transition de l'état forcé d'esclavage à la jouissance des droits<br />

imprescriptibles auxquels la nature et la raison appellent tous les hommes. »<br />

Pourquoi la nouvelle métropole n'a-t-elle pas témoigné la même confiance aux Habitants de l'Ile<br />

Maurice? Ils y eussent répondu de la même manière, Ils le disent avec assurance, parceque, déjà, ils ont<br />

répondu noblement au premier appel, et que personne, sans les insulter, ne peut affirmer qu'ils ne feraient<br />

pas aujourd'hui ce qu'ils entreprirent en 1796, ce qu'ils eussent exécuté si l'on n'avait violemment<br />

comprimé l'élan de leurs sentiments libéraux.<br />

C'est à tort que l'on compare Maurice à d’autres colonies, et qu'on la juge par ce qui se passe<br />

ai1leurs. Chez elle tout a un caractère particulier, il y existe une véritable nationalité. Ses habitants<br />

forment un petit Peuple dont l'origine, les mœurs diffèrent de ceux des autres. Sans prétendre s'attribuer<br />

un mérite exclusif, ils peuvent dire qu'il y a autant de dissemblance entr’eux et la plupart des autres<br />

Colons, que les législateurs de la Métropole s'efforcent à établir de parité. Ce qui serait impossible<br />

ailleurs pourrait être facile à Maurice, de même que les choses utiles dans tout autre pays, chez elle,<br />

deviendraient dangereuses.<br />

Les habitudes, en grande partie empruntées à l'Inde, y sont douces. C'est le propriétaire lui-même<br />

qui administre ses biens. Il y vit en famille au milieu de ses esclaves, Il y bâtit pour longtemps. II ne se<br />

considère pas comme un oiseau de passage. S'il use du droit de sévir, il jouit aussi du Bonheur de<br />

récompenser. Les services rendus ne sont point méconnus. De nombreux affranchissements attestent la<br />

bienveillance des Maîtres. Enfin les hommes libres forment aujourd'hui plus du tiers de sa population<br />

totale. Les esclaves diffèrent d'origine. A côté de l'Indien rusé, intelligent, indolent et lâche, est le<br />

Mozambique encore sauvage, tout-à-fait brute, vigoureux, intrépide. Le Malais, vindicatif, facile à<br />

exalter, disposé au fanatisme est à côté du Malgache plus industrieux, doux, mais rapace. Les créoles<br />

sont en général un mélange de ces différentes races et se ressentent plus ou moins de leur origine.<br />

Comment donc comparer un pays ainsi peuplé avec une Colonie d'Amérique, où les propriétaires<br />

ne résident pas, où les biens sont administrés par des hommes qui ont le pouvoir de punir, mais non de<br />

récompenser, par des régisseurs qui ne songent qu'au retour dans leur pays, qui pensent peu à l'avenir,<br />

qu'aucun lien n'attache au sol sur lequel ils sont passagèrement? Là, les esclaves sont tous d'une même<br />

caste, ou d'une même origine. Les chances d'affranchissement sont bien rares pour eux, Ils forment<br />

quelque fois les neuf dixièmes de la population. Là, les habitudes sont plus dures, les maîtres plus<br />

exigeants. Là, il n'existe en réalité aucune nationalité, aucun patriotisme, l'intérêt, l'intérêt seul est le<br />

guide de chacun.<br />

262


C'est très tard, sans préparation et même comme s'il se souciait peu de réussir, que le<br />

gouvernement anglais a parlé, a Maurice, d'améliorer le sort des esclaves ... Mais une fois le premier pas<br />

fait, il a voulu avancer avec une précipitation telle, qu'il a rendu détestable et impraticable un système<br />

qui devait, pour ainsi dire, s'établir de lui-même, si l'on avait agi avec quelque peu de prudence et de<br />

sagesse.<br />

Que l'on consulte tous les Gouverneurs, les Administrateurs, les Magistrats envoyés dans la<br />

Colonie, il n'en est pas un qui ne déclare, en son âme et conscience, qu'il se fût fait fort d'obtenir des<br />

Colons toutes les concessions demandées, et même plus encore, si, au lieu de les lier par des Instructions<br />

faites dans l'ignorance du véritable état des choses, on les eût laissés libres dans leurs moyens<br />

d'exécution, La métropole a sans doute le droit de proclamer le principe, mais elle doit laisser le soin de<br />

son application à ceux-là seuls qui peuvent le faire convenablement et en connaissance de cause.<br />

Les colonies à législature ont peut-être trop de pouvoir pour opérer une véritable amélioration; les<br />

colonies de la Couronne n'en ont pas assez. Le Parlement devrait fixer aux unes et aux autres la mesure<br />

des concessions, le temps dans lequel elles devraient être faites, et leur laisser le soin des détails, la<br />

rédaction de la loi, les moyens d'exécution.<br />

Avant de rien proposer il faut dire les vices de la législation actuelle, le premier de tous, le vice<br />

capital qui la corrompt, qui la dégrade, qui la rend détestable, est l'esprit de méfiance qui y règne. Ce<br />

n'est pas à élever l'esclavage qu'elle s'attache, mais à rabaisser le maître. Elle a moins d'amour pour l'un<br />

que de haine contre l'autre. Elle procède souvent avec colère, l'on peut dire même avec mauvaise foi.<br />

Dans la pensée intime du législateur, le colon est un homme cruel, injuste, sans frein, sans religion, qui<br />

se rit de ses devoirs, se joue de ses serments, qui n'a qu'un désir: celui de tyranniser, qu'un but: celui de<br />

tromper et d'éluder les dispositions de la loi.<br />

Que l'on remarque cependant quel doit être le but de la législation, celui de vaincre les préjugés<br />

anciens, d'obtenir de la propriété un sacrifice à l'humanité. Elle veut enfin le triomphe d'un principe,<br />

Deux moyens se présentent; il n'en existe pas d'autres, l'un de procéder à la manière des barbares, de<br />

commander d'arracher violemment, de tout obtenir par la force, d'employer s'il le faut le fer et la flamme.<br />

L'autre est celui des sages, celui des hommes civilisés, celui qui établit les religions, qui fit triompher<br />

celle du vrai Dieu, c'est la Persuasion. Oui, il faudrait dans chaque colonie une sorte d'apostolat, de<br />

philantropie et c'est aux: Magistrats qu'il faut le confier. Ces Magistrats doivent être des Colons euxmêmes,<br />

des propriétaires afin que leur exemple serve aux autres, afin que personne ne puisse déclarer<br />

inexécutable ce qu'il auront exécuté. Qu'on les environne de considérations, que leurs services soient<br />

bien récompensés, que chaque concession obtenue appelle l'attention du Monarque sur ceux qui auront le<br />

mieux mérité. Alors on aura créé une noble émulation, une rivalité de bienfaits entre tous les Colons. Ils<br />

retrouveront en considération, en satisfaction intérieure, l'équivalent des sacrifices qu'ils auront faits.<br />

Chaque concession sera un bienfait que les esclaves recevront de leurs maîtres, et non une victoire qui<br />

exalte les premiers autant qu'elle humilie les seconds.<br />

263


Les nouvelles lois veulent que le Protecteur des Esclaves ne tienne par aucun lien à la Colonie, La<br />

même exigence atteint les Magistrats. L'on a cru sans doute agir très politiquement; on a espéré que ces<br />

Magistrats, que ces Protecteurs, tout à fait désintéressés dans la question de l'Esclavage, rempliraient<br />

leurs fonctions avec plus de zèle, plus de sévérité et marcheraient plus sûrement au but qu'on se propose<br />

Mais c'est tout le contraire. Le Protecteur, isolé comme il l'est, n'a aucune influence, n'inspire que de la<br />

méfiance. Il est considéré partout comme un ennemi. L'acte le plus consciencieux de sa part est mal<br />

interprété: Si, au contraire, ce Protecteur était le Chef de quelque ancienne famille, s'il était en possession<br />

de commander l'estime et la confiance publique, son influence personnelle ajouterait considérablement à<br />

son autorité. Il en est de même des Magistrats. Qu'est-ce que c'est, en effet, qu'un Protecteur, qui n'a rien<br />

de ce qui impose communément aux hommes? Sans famille, sans richesses, sans prépondérance<br />

personnelle, sans autorité morale, il est, il sera toujours sans considération. II n'est pas un colon qui ne se<br />

place au-dessus de lui, pas un qui veuille se rendre à ses invitations, ou souffrir ses perquisitions. Il n'est,<br />

il ne sera jamais qu'un agent secondaire des pouvoirs, qu'un inquisiteur subalterne. II suffira qu'il veuille<br />

une chose pour qu'on s'y refuse. Trois années d'expérience devraient avoir éclairé le Gouvernement.<br />

Qu'ont fait les Protecteurs, que feront-ils jamais? Rien de bien ; beaucoup de mal. Il faut donner les<br />

fonctions de Protecteur au Procureur Général, lui adjoindre plusieurs substituts et la loi impuissante dans<br />

les mains des Protecteurs actuels sera exécutée.<br />

Lorsqu'il s'agit d’un procès ordinaire, chacun comprend parfaitement ses devoirs. On agit selon sa<br />

conscience, on ne consulte qu'elle et la loi. Mais s'il s'agit d'une question qui concerne un esclave, la<br />

terreur s'empare des esprits, ce n'est pas la loi que l'on considère. On songe à ce que diront les ministres.<br />

Vainement la conscience voudrait parler. Elle est glacée par l'effroi que cause l’Anti-Slavery Society. Un<br />

homme veut-il se perdre? Qu'il donne matière à la plus légère accusation de contravention aux lois<br />

d'amélioration. Un autre, au contraire, aura-t-il commis les fautes les plus graves, des crimes même? S'il<br />

se réclame de l'Anti-Salvery Society, s'il dit qu'il n'a agi que par philantropie, il est assuré d'être absous,<br />

même récompensé, on en a cent exemples.<br />

La première mesure que doive donc prendre le législateur, s'il veut suivre une sage politique, sera<br />

donc d'intéresser le plus de Colons qu'il en pourra rencontrer au succès des lois d’amélioration. Car il est<br />

absurde d'espérer que toute une population se soumette à des mesures qu'aucun de ses membres n'a<br />

intérêt à voir réussir.<br />

Si l'on considère bien l'esprit des premières lois sur l'esclavage, on sera frappé de leur sagesse, et<br />

bien étonné de voir combien les Philantropes d'aujourd'hui ont été éloignés d'apercevoir les bases<br />

qu'elles avaient préparées à l'émancipation générale. Nous avons vu qu'elles accordaient à l'Esclavage,<br />

sûreté, entretien, éducation. Les deux premières conditions ont été remplies; la dernière totalement<br />

négligée. Cependant les lois étaient assez claires et assez positives. Mais on ne les a pas comprises. Les<br />

Rois de France défendaient aux Gentils de posséder des esclaves dans leur Colonie. Pour être<br />

propriétaire il fallait être chrétien car tout esclave devait être Baptisé. Le Baptême était, dans la pensée<br />

264


du premier législateur, la condition de l'Esclavage. Pourquoi cette pensée a-t-elle disparu? Pourquoi ne<br />

revivrait-elle pas? Pourquoi ne serait-elle pas étendue de manière à être plus convenablement encore<br />

appropriée à l'état avancé de la civilisation? Non, tout homme ne peut indifféremment avoir le droit de<br />

posséder des esclaves. Puisque le maître doit protéger, entretenir, instruire, il faut qu'il justifie qu'il est<br />

capable de remplir toutes ces conditions. Le droit de posséder un esclave étant de sa nature exhorbitant,<br />

entraînant de nouvelles et de graves obligations de la part de celui qui le possède, il est juste qu'il donne<br />

à la société la garantie qu'il n'en abusera pas.<br />

Il serait donc convenable que nul n'eût le droit de posséder un esclave, s'il ne justifie 1°. d'une<br />

bonne moralité; 2°. qu'il a les moyens de protéger et d'entretenir son esclave en santé comme en maladie;<br />

3°. qu'il répondra des condamnations auxquelles il serait tenu, si, comme maître, il manquait à ses<br />

devoirs et à ses obligations.<br />

L'Assemblée Coloniale de l'Ile de France avait imaginé et employé, avec un succès admirable, le<br />

moyen le plus certain de punir les maîtres inhumains et de protéger les esclaves. Elle frappait les<br />

coupables dans leur intérêt et dans leur amour-propre, en leur défendant de posséder à l'avenir aucun<br />

esclave. L'expérience que l'on a acquise de l'efficacité de cette disposition milite pour sa remise en<br />

vigueur. Il faudrait donc décréter que tout propriétaire d'esclave, convaincu d'un acte de cruauté, d'abus<br />

de pouvoir graves, de résistance opiniâtre aux lois d'amélioration, serait déclaré incapable de jamais<br />

posséder, de gouverner des esclaves, même de leur commander ; qu'il serait privé, selon la gravité des<br />

cas, de ses droits civiques, même déporté.<br />

Il est certain que l'immense majorité des Colons souffre des fautes de quelques uns, que les<br />

mauvais maîtres sont en très petit nombre, que les grands propriétaires sont en général les plus humains;<br />

que le Créole est doux; que l'intérêt du grand nombre est conséquemment qu'il soit fait une justice<br />

exemplaire de la conduite de ceux qui compromettent tous les autres. Comme cet intérêt est évident,<br />

comme déjà il est prouvé par expérience que les Colons eux-mêmes ont été les juges les plus sévères<br />

dans de pareilles matières, c'est encore à eux qu'il faut laisser le soin d'appliquer la loi. Un jury de<br />

Colons se montrera toujours plus austère en présence des rigueurs de la loi que tous les juges, que tous<br />

les protecteurs envoyés de la Métropole. Ceux-là n'ont qu'un intérêt, le leur; car pour eux la principale<br />

affaire est de conserver leur place. Il en est autrement des Colons. L'attachement à leur pays, la<br />

conservation de leur propriété, l'intérêt de leur famille, le besoin de repousser les calomnies dont ils sont<br />

abreuvés, une bonne politique, le patriotisme enfin, tout concourt à les stimuler.<br />

Les esclaves sont corrompus parceque les lois semblent combinées de manière à provoquer et<br />

entretenir chez eux la corruption. Les hommes sont d'ordinaire contenus par la crainte du châtiment. Ils<br />

savent qu'il est proportionné à l'offense. S'il était une Société où la même peine fut appliquée à tous les<br />

délits, où le voleur ne fut pas plus puni que le paresseux, cette société serait bientôt composée de voleurs.<br />

Eh bien: c'est précisément le cas des esclaves à Maurice. Qu'ils assassinent, qu'ils incendient, qu'ils<br />

violent, qu'ils commettent tous les brigandages possibles, qu'ils commettent l'inceste ou l'adultère, qu'ils<br />

265


se laissent aller à la débauche, à l'ivrognerie, à la dépravation la plus honteuse, il n'y a qu'un châtiment<br />

pour tout cela. Et pourquoi? Parce qu'il existe dans la loi une grave inconséquence. Parce que l'on ne<br />

veut pas concevoir que dans une société où l'Esclavage existe, il faut d'autres lois encore que celles<br />

nécessaires au pays où tous les hommes sont libres; parce que les législateurs Européens tiennent à leurs<br />

préjugés, ne veulent ou ne peuvent concevoir des choses qui ne sont bien connues et bien appréciées que<br />

par ceux qui sont sur les lieux et qu'elles concernent particulièrement.<br />

Lorsqu’un esclave, sur la propriété de son maître, manque à ses devoirs, il commet ou une simple<br />

faute, ou un délit, ou un crime. C'est au maître à qualifier le fait si c'est une simple faute, comme par<br />

exemple la désobéissance, ou l'évasion, il aura mérité une peine dont le maximum est de vingt-cinq<br />

coups de l'Instrument de correction adopté dans le pays. Si c'est un délit comme le larcin, les voies de<br />

fait, des injures graves, la peine sera la même; si c'est un crime comme le vol, l'incendie, l'assassinat, la<br />

peine sera encore la même; car le maître n'en peut infliger de plus forte. Mais, dira-t-on, pourquoi ne pas<br />

alors les livrer aux tribunaux criminels? On peut répondre à cela: pourquoi fait-on que ce ne soit pas<br />

l'intérêt du maître? Pourquoi fait-on qu'il supporte lui-même une partie de la peine? Pourquoi le place-ton<br />

dans l'alternative de ne pas provoquer la punition, ou en la provoquant de se punir lui-même? En<br />

effet, s'il livre à la justice son esclave coupable, il en sera privé pendant l’Instruction et pendant toute la<br />

durée de la peine. Il s’impose à lui-même une amende, il nuit à sa fortune. Il est donc forcé de ne pas<br />

sévir, puisqu'en sévissant il sacrifie son intérêt. Ce n'est pas ici une supposition, c'est un fait, qui se<br />

renouvelle chaque jour sur chaque établissement. Les esclaves sont punis des fautes qu'ils commettent;<br />

quant aux crimes, ils sont assurés de l'impunité. Voilà la source de leurs vices, de leur corruption, de leur<br />

malheur.<br />

Deux moyens se présentent d'obvier à ce déplorable inconvénient; l'un d'indemniser largement tout<br />

maître qui livrerait à la justice son esclave criminel, mais le trésor public n'y suffirait pas. L'autre de<br />

décréter, que tout esclave accusé de crime restera en la garde et possession du maître jusqu'au jour du<br />

jugement et lui sera ensuite remis pour subir chez lui même la peine qui aura été prononcée.<br />

Ceci est contraire, on le sait bien, aux principes des législations criminelles en général, aux saines<br />

maximes d'ordre public Oui, dans tous les pays où les hommes sont libres. Mais là où il existe une<br />

exception aux principes de liberté individuelle, il faut nécessairement d'autres exceptions, qui, loin de<br />

détruire la règle, la confirment au contraire.<br />

Cette mesure est même dans l'intérêt bien entendu de l'Esclave. Il souffrira moins chez son maître<br />

que dans un bagne, il n'y aura que de bons exemples sous les yeux. Sa bonne conduite invoquera la<br />

clémence du maître, qui, s'il le mérite, sollicitera son pardon. C'est surtout vis-à-vis de ces êtres qui<br />

pêchent si souvent par défaut de discernement qu'il faut user de cette précieuse prérogative. Ici donc<br />

l'intérêt de la loi, celui de l'humanité, celui du maître, celui de l'Esclave, seraient tous conciliés.<br />

Il existe parmi les esclaves des différences extrêmes. C'est encore un fait dont le législateur doit<br />

savoir tirer parti. La mesure ne peut pas être la même pour tous. Il en est qui ont de l'intelligence, qui<br />

266


aisonnent, qui sont aptes à jouir de la liberté; il en est d'autres qui sont encore dans l'état de barbarie le<br />

plus complet, et qui, en dépit de tout, n'en sortiront jamais; car telle est leur nature. Ce n'est pas en<br />

Europe que l'on saura bien apprécier un pareil accident; que l'on en saura tirer parti. C'est sur les lieux,<br />

avec l'aide, la coopération de ceux qui possèdent réellement la première condition requise du législateur,<br />

l'Expérience. Ainsi, par exemple : il est une classe d'Esclaves que l'on pourrait rapprocher d'avantage<br />

des hommes libres, en les assimilant à des engagés. D'autres, qui, immobilisés, attachés à la glèbe,<br />

passeraient de la servitude au servage.<br />

Ne serait-il pas possible de créer, pour les Maîtres eux-mêmes, de certains encouragements? De<br />

n'accorder des emplois, des faveurs qu'à ceux qui auront le plus fait pour la cause de l'Humanité, de les<br />

indemniser ainsi des sacrifices qu'ils auront faits? Ne serait-il pas possible d'améliorer le sort de la<br />

Colonie par des privilèges de commerce, des réductions de droit, des franchises, des libertés enfin, en<br />

raison directe de la quantité d'Esclaves libérés, et d'arriver ainsi au moment où l'émancipation totale ne<br />

mettra pas 60,000 citoyens nouveaux et ne possédant rien, en présence de 30,000 anciens qui possèdent<br />

tout.<br />

Parcourons quelques dispositions des lois nouvelles. Il est bien de défendre absolument le travail<br />

forcé le dimanche et de n'en excepter que les travaux domestiques. Mais il est tout-à-fait absurde,<br />

contraire aux mœurs, aux besoins du pays, d'abolir le marché du dimanche. C'est contraire surtout aux<br />

intérêts des Esclaves. Une vérité pareille peut n'être pas comprise par des personnes qui ont été élevées<br />

dans des Idées, dans des Habitudes dans des préjugés contraires. S'il y a offense elle ne touche pas les<br />

hommes. Ils ne doivent pas se mêler de ce qui est affaire de conscience et du Domaine divin. A chacun sa<br />

croyance et son culte Dieu nous jugera tous dans sa bonté divine; n'anticipons pas sur ses jugements. Lui<br />

seul sait de quel côté est l'erreur.<br />

Au lieu de s'occuper du marché du dimanche, il faut donner des Eglises aux quartiers qui n'en ont<br />

pas, donner à ces Eglises, un nombre suffisant de Pasteurs, exiger d'eux qu'ils aillent sur les Habitations<br />

porter l'Instruction religieuse, employer à fonder des Ecoles l'argent perdu à subvenir aux frais<br />

d'enregistrements devenus inutiles et à payer des Protecteurs plus inutiles encore.<br />

Il est bien de se montrer sévère sur le choix et l'emploi des moyens de correction. Il faudrait même<br />

en venir au point qu'il n'y eut de punition permise au maître que l'emprisonnement. On y parviendra<br />

facilement, en établissant dans les quartiers des Magistrats [et des prisons] où le delinquant serait envoyé<br />

sur la plainte du Maître, et puni, si le cas l'exige:<br />

Au moyen de cette Institution, ces registres qui imposent des sujétions si dégoûtantes et si<br />

vexatoires, ces registres que ces Habitans ne tiendront jamais, parceque leur fierté y répugne, deviennent<br />

absolument inutiles. Dès l'instant que les Maîtres sauront où et comment faire punir les Esclaves qui<br />

manquent à leur devoir, ils ne devront plus frapper eux-mêmes. S'ils le font ils deviennent coupables.<br />

267


On a vu dans une proclamation du Gouverneur de la Guiane Anglaise, en date du 12 janvier 1832,<br />

les différens genres de punitions adoptés dans cette colonie pour les femmes esclaves. Il en est de trop<br />

fortes. On obtiendra facilement à Maurice que les propriétaires se bornent au confinement, avec ou sans<br />

travail.<br />

Il est bien d'encourager le mariage des Esclaves, bien encore d'encourager les affranchissemens.<br />

Les anciens dégrevaient des charges publiques les citoyens qui avaient donné à l'état un certain nombre<br />

d'enfans.<br />

Pourquoi ne pas dégrever le propriétaire qui aura affranchi un certain nombre d'Esclaves? Le<br />

mérite de celui-ci serait plus grand, car il y aurait eu sacrifice de sa part.<br />

Toutes les dispositions relatives au droit de propriété accordé désormais aux esclaves, au droit<br />

résultant de ses relations de famille, doivent être mises en rapport avec la loi civile du pays sans altérer<br />

en rien les vues du Gouvernement de la Métropole.<br />

Au lieu de fixer, comme J'a fait la loi, l'âge auquel le maître peut affranchir son esclave, sans<br />

pourvoir à son existence, ce qui nuit à beaucoup d'affranchissemens, il convient mieux de s'en rapporter,<br />

dans tous les cas, à ce qui sera décidé par le Procureur Général, son pouvoir se bornant à s'opposer à<br />

l'affranchissement, si l'affranchi doit rester à charge à la Société.<br />

Le Principe de la manumission compulsoire est bon. Les modifications apportées par les lois<br />

locales à son application doivent être maintenues. On peut en dire autant, en ce qui concerne le<br />

témoignage; seulement il faudrait que la loi s'expliquât d'une manière moins ambigüe.<br />

Le Procureur devrait avoir le pouvoir de sévir, à l'instant même, contre l'Esclave qui viendrait<br />

porter une plainte évidemment fausse, ou tout à fait futile, sauf dans les cas plus graves de calomnie<br />

méchamment combinée, et de parjure à livrer les coupables aux tribunaux.<br />

Ce n’est point par la confiscation du noir qu'il faut punir le maître cruel; car la peine peut retomber<br />

sur ses créanciers. C'est lui qu'il faut atteindre, comme nous l'avons dit plus haut, en le déclarant<br />

incapable de posséder.<br />

Le gouvernement veut que l'on pourvoie aux vêtemens et à la nourriture des noirs. Rien de plus<br />

juste; mais il ne faut pas alors exiger qu'on leur donne ce qui ne leur est pas nécessaire, ce qu'ils ne<br />

demandent point. Il ne faut pas règler en Angleterre ce qui doit être fait à Maurice; que le Gouvernement<br />

l'exige, puisqu'il faut un règlement; mais qu'il en charge le Gouverneur et le Conseil et son but sera<br />

bientôt atteint.<br />

Si des esclaves ont été illégalement introduits, s'il est parmi eux des hommes qui ont des droits à la<br />

liberté, qu'on leur ouvre un libre accès dans les tribunaux; qu'on leur donne à chacun un défenseur<br />

gratuit, qu'on leur accorde toute l'assistance imaginable; mais que l'on n'en fasse pas des cas privilégiés;<br />

quelque favorables qu'ils soient, ils ne peuvent autoriser la violation des lois, et de toutes les Règles du<br />

droit.<br />

268


Le Gouvernement éprouve à chaque pas de nouveaux embarras, c'est ce qui arrive toutes les fois<br />

qu'on s'est engagé dans une fausse route. Ainsi, par exemple, l'on ne sait plus comment soumettre aux<br />

tribunaux, à qui, par qui, faire présenter des milliers de cas accumulés dans le bureau du Protecteur, Estce<br />

au ministère public à les présenter? Dix Procureurs généraux n'y suffiraient pas. L'état serait grevé de<br />

frais immenses. Est-ce au Protecteur des Esclaves? Comme il n'est pas homme de loi, il faudra donc qu'il<br />

emploie un praticien; même embarras pour les dépenses. Il faudrait donc que le Protecteur pût se<br />

présenter et plaider lui-même, C'est ce qui arriverait si le Protectorat était confié, comme on l'a dit plus<br />

haut, aux officiers du ministère public. Alors, voici ce qu'il serait facile d'obtenir: que, dans certains cas,<br />

les membres du Barreau fussent nommés d'office, pour présenter ou défendre gratuitement devant les<br />

Tribunaux les affaires concernant les esclaves. Ainsi les délits intéressant l'ordre public seraient<br />

poursuivis à la diligence du Ministère Public, les simples contraventions seraient jugées par la justice de<br />

paix, enfin les causes touchant les droits civils et les intérêts de l'Esclave, seraient confiées aux membres<br />

du Barreau, qui s'en chargeraient d'office, et plaideraient in forma pauperis. Ce mode de procéder a déjà<br />

été éprouvé dans la Colonie et n'a produit que de bons résultats. Toutes les fois qu'un membre du Barreau<br />

a été nommé patron, ou défenseur d'un Esclave, il s'est identifié à la cause de son client avec un zèle, une<br />

ténacité que l'on ne rencontrera certainement jamais dans aucun Protecteur.<br />

Mais le malheur veut que ce soient là de ces vérités auxquelles on se refuse de croire en Europe.<br />

Quel moyen a-t-on d'en convaincre le Gouvernement de la Métropole si prévenu contre les Colons?<br />

L'Essai fait pendant trois années des Ordres en Conseil et des Protecteurs a complètement échoué.<br />

Il a plutôt retardé qu'avancé l'amélioration du sort des Esclaves. Pourquoi ne pas faire un Contr'essai ? Il<br />

ne peut conduire à des résultats pires, et si, comme la chose est indubitable, on en obtient les plus grands<br />

avantages, on aura trouvé le moyen d'avancer sûrement vers une émancipation générale.<br />

Signé : A. <strong>D'EPINAY</strong>,<br />

Rapporteur.<br />

269


TABLE DES MATIERES<br />

PAGES<br />

PRÉFACE ……………………………………………………………………. …. II<br />

INTRODUCTION………………………………………………………………. V<br />

BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………… XXXVII<br />

CORRESPONDANCE D’ADRIEN D’EPINAY<br />

Première Mission………………………………………………………………… 38<br />

Seconde Mission………………………………………………………………… 103<br />

NOTES…………………………………………………………………………… 181<br />

APPENDICE<br />

I. Réponse de Sir Charles Colville à l’adresse présentée par les habitants,<br />

Le 5 avril 1832……………………………………………………………. 205<br />

II. Dépêche de Lord Goderich, blâmant les auteurs du Code Pénal de 1832… 207<br />

III. Extrait d’une dépêche de M. Stanley exonérant les auteurs du<br />

Code Pénal de 1832………………………………………………………… 210<br />

IV. Lettre de Sir William Nicolay au Sécretaire d’Etat………………………… 213<br />

V. Lettre de Sir William Nicolay au Sécretaire d’Etat…………………………. 215<br />

VI. Lettre de Sir William Nicolay au Sécretaire d’Etat…………………………. 217<br />

VII. Mémoire des colons de l’île Maurice redigé par Adrien d’Epinay<br />

Et presenté par lui à Lord Goderich, le 16 février 1831……………………. . 220<br />

VIII. Rapport fait par Adrien d’Epinay au Conseil du Gouvernement, en 1832<br />

Sur les moyens les plus propres à obtenir la plus grande amélioration<br />

Possible de la condition des esclaves à l’île Maurice et les préparer à<br />

Jouir de l’état de liberté sans compromettre le sort de la colonie…………… 261<br />

270

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