Photographie

L’histoire fascinante du Baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau

Le tumulte de la rue de Rivoli, les passants pressés, l’ombre majestueuse de l’Hôtel de Ville parisien en fond et au milieu, un instant de tendresse presque divin. Le baiser le plus célèbre de l’histoire de la photographie fête ses 73 ans. Voici tout ce qu’il faut savoir sur le cliché romantique de Robert Doisneau.
Robert Doisneau Le Baiser de l'Hôtel de Ville Paris 1950
Robert Doisneau, Une rétrospective incontournable, Danielle Leenarts et Virginie Devillers, Edition bilingue, éditions Racine Lannoo Crédit photo : Robert Doisneau, Le Baiser de l'Hôtel de Ville, Paris 1950 © Robert DoisneauRobert Doisneau, Le Baiser de l'Hôtel de Ville, Paris 1950 © Robert Doisneau, courtesy of éditions Racine

Au milieu du flux des passants parisiens, un homme et une femme s’embrassent et suspendent la course du temps. Iconique, cette photo signée du photographe français Robert Doisneau est une commande du magazine américain Life, spécialisé dans le photojournalisme. Le thème de ce numéro publié en juin 1950 ? L’amour à Paris au printemps. Pendant plus de trente ans, la photo disparaîtra des radars avant de ressortir en 1986.

L’amour à Paris selon Robert Doisneau

S’il y avait bien un photographe capable de remplir la mission donnée par le magazine Life, c’était Robert Doisneau. Après la Seconde Guerre mondiale, le Gentilléen consacre une grande partie de sa carrière à la Ville Lumière. La dernière valse du 14 juillet, La marchande de fleurs, Les tabliers de la Rue de Rivoli… Ses clichés en noir et blanc sont mythiques et empreints d’une nostalgie presque magique. Pour Life, Robert Doisneau écume la ville à la recherche de l’instant parfait à capturer avec son objectif. C’est là que naîtra l’un de ses clichés les plus célèbres. Observateur chevronné, il est connu pour saisir des instants intimes depuis sa chaise de bistrot ou son coin de rue. Mais derrière ce cliché qui semble pris sur le fait se cache une petite histoire. Assis à un café, il repère un jeune couple enlacé à quelques tables de lui. Instinctivement, le photographe les aborde et leur propose une séance photo, rémunérée 500 francs (l’équivalent aujourd’hui de 1460 euros). Ils sont jeunes, amoureux et l’étreinte - bien que mise en scène - reste aussi romantique que si elle avait été spontanée. La magie opère alors que ces deux inconnus s’embrassent sur le trottoir bondé. Au moment de la capture, Robert Doisneau ne connaît pas l’identité de ses modèles qui restera longtemps secrète.

Une sombre histoire d'argent

À partir de 1986, le cliché jusque là mis de côté, réapparaîtra lorsque Life décide de le commercialiser sous forme de poster. Le Baiser de l’Hôtel de Ville bat tous les records : 410 000 affiches sont vendues à travers le monde et font entrer la photographie de Robert Doisneau dans la légende. La réputation du virtuose de l’objectif dépasse les frontières du milieu de la photographie et imprègne la culture populaire. Les amateurs comme les néophytes admirent ce cliché nostalgique qui ne plaisait pas particulièrement à son auteur. Robert Doisneau essaie d’expliquer cet engouement : « Cette photo m’inquiète un peu. Ce succès montre que c’est un effet facile. Pourquoi tant de gens s’identifient sur cette photo ? Parce que c’est le symbole d’un moment heureux. » Cette jolie histoire aurait pu s’arrêter là. Mais c’était sans compter sur les intérêts financiers qui se sont mêlés à l’histoire de ce cliché célèbre. En 1992, le couple Lavergne revendique être les modèles du Baiser de l’Hôtel de Ville et réclame 500 000 francs au photographe pour violation de sa vie privée. En quatrième protagoniste de l’affaire, Françoise Delbart surgit de l’ombre avec en sa possession la photographie originale, numérotée et signée de la main de l’artiste. Elle demande elle aussi 100 000 francs de rémunération. Robert Doisneau la reconnaît et l’identité des amants parisiens est enfin dévoilée. En 1950, Françoise Delbart (alors Françoise Bornet) était étudiante en théâtre au Cours Simon avec son petit ami Jacques Carteaud. Tous deux avaient été repérés par Robert Doisneau alors qu’ils s’embrassaient dans un café de la capitale. Alors qu’elle réclame sa part de fortune, son ancien compagnon Jacques Carteaud refuse de « transformer cette histoire photographique en histoire de fric ». Finalement, les trois demandeurs sont déboutés par le tribunal de grande instance de Paris. Le couple Lavergne n’a pas réussi à prouver qu’ils étaient les amants originels et le visage de Françoise Delbart n’étant pas visible, elle ne pouvait prétendre aux droits à l’image. La chance sourira de nouveau à l’ancienne étudiante en théâtre. Le 25 avril 2005, Françoise Delbart met en vente son tirage original. C’est la maison de vente aux enchères Artcurial qui s’occupera de la transaction et la somme tirée est titanesque : la photographie sera vendue 185 000 euros en présence de sa propriétaire.

Robert Doisneau et les baisers

Tout au long de sa carrière, le photographe français a capturé de nombreux moments d’intimité. Le Baiser de l’Hôtel de ville n’était ni son premier, ni son seul bécot. Les amoureux aux poireaux, ceux aux oranges de la rue Mazarine, le baiser du Pont Neuf ou encore celui de l’opéra… Dans les années 1950, Robert Doisneau met du baume au cœur à ceux qui ont vécu la guerre en capturant ces jolies étreintes. Sa signature : du noir et blanc parce que c’était moins cher à faire développer, une touche d’humour, de nostalgie et surtout beaucoup de tendresse.

Pour aller plus loin, on vous recommande ce superbe livre qui réunit les plus belles photographies de Robert Doisneau, dont certaines très rares comme celles témoins de vacances à Palm Springs au creux de l'été 1960.

Robert Doisneau, Une rétrospective incontournable, éditions Racine

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