Histoire : Le destin sulfureux de Philippe d’Orléans, l’extravagant frère de Louis XIV

Longtemps resté au ban de l’Histoire, Philippe d’Orléans – plus connu sous le nom de « Monsieur » – a trop souffert de sa légende noire. Certainement parce qu’il ne répondait pas aux codes et aux normes imposés à la cour de son frère, le Roi Soleil.
Pierre Mignard Portrait du duc d'Orlans frère de Louis XIV muse des beauxarts de Bordeaux.
Pierre Mignard, Portrait du duc d'Orléans, frère de Louis XIV, musée des beaux-arts de Bordeaux.

Un petit garçon loin du pouvoir

Toute son enfance, il sera le « petit Monsieur », appelé ainsi pour le distinguer de son oncle Gaston de France, alors nommé « grand Monsieur ». Né deux ans après son frère Louis-Dieudonné, futur Louis XIV, Philippe ne trouvera jamais sa place au côté de cet enfant chéri destiné un jour à régner. Comment ne pas être dans l’ombre de celui qui se prendra un jour pour le Soleil ? Les deux garçons ne se ressemblent d’ailleurs en rien. « Il y a jamais eu de frères plus différents que le feu Roi et Monsieur : cependant, ils s’aimaient beaucoup. Le Roi était grand et cendré, ou d’un brun clair; il avait l’air mâle et extrêmement bonne mine. Monsieur n’avait pas l’air désagréable, mais il était fort petit, il avait les cheveux noirs comme du jais, les sourcils épais et bruns, de grands yeux bruns… », écrira plus tard la Princesse Palatine, véritable commère de Versailles.

Le petit Monsieur ne reçoit pas tout à fait la même éducation que son aîné. Autre curiosité : on habille, plus longtemps que de coutume, Philippe en fille. Certains diront qu’ainsi le Cardinal Mazarin et Anne d’Autriche voulaient le rendre efféminé, pour qu’il ne soit jamais attiré par le pouvoir. Une théorie depuis mise en doute par quelques historiens, dont Elisabetta Lurgo. Pour autant, Monsieur ne développera jamais de passions régaliennes : toute sa vie durant, il détestera la chasse et l’équitation. Il ne montait d’ailleurs à cheval que par obligation, sur le champ de bataille où il savait malgré tout s’illustrer par sa bravoure. À ces occupations jugées viriles, il préférait amplement les parures et les fards à paupières.

Philippe est constamment entouré de femmes, dont il apprécie particulièrement la compagnie. Mais aucun témoin de l’époque ne semble douter de la véritable nature des relations qu’il entretient avec toutes ses favorites. « Il se divertissait en la compagnie des dames : mais il paraissait, à son procédé, avoir dans le cœur tant d’innocence à leur égard, que les plus dangereuses par leurs charmes vivaient avec lui, et lui avec elles, aussi modestement que s’il eût été lui-même une dame », écrit ainsi Françoise de Motteville.

Un goût pour la fête et le travestissement

Dès son plus jeune âge, Philippe aime les bijoux et les jolies robes. C’est avec son « compagnon de jeu », l’abbé de Choissy, qu’il laisse rapidement libre cours à son goût pour le travestissement. Pour les bals et les soirées, Monsieur n’hésite d’ailleurs pas à se présenter habillé en femme. Sa cousine germaine, la Grande Mademoiselle, raconte d’ailleurs l’une de ces fêtes : « Quand j’arrivais au Louvre, Monsieur était habillé en fille, avec des cheveux blonds ; la Reine me disait qu’il me ressemblait. » Car si les habitudes du frère du roi font jaser beaucoup de courtisans, d’autres, à commencer par sa mère, s’en accommodent très bien. Une autre fois, la Grande Mademoiselle se souvient : « Il me conta qu’il avait été en masque habillé en demoiselle, qu’il avait trouvé un monsieur qui lui avait dit des douceurs dont il avait été fort aise, et qu’il s’était fort bien diverti. »

Le « vice italien »

Si la sodomie est à l’époque passible du bûcher, l’homosexualité de Monsieur est à peine dissimulée à la cour. Même Louis XIV ne s’en fâchera jamais. On raconte que c’est avec un certain Philippe Mancini, un neveu du Cardinal Mazarin, que Philippe d’Orléans aurait découvert le « vice italien » – c’est le terme alors employé, même si la Princesse Palatine lui préfère le qualificatif de « mal français. » Les amants de Monsieur sont ainsi connus de tous, à commencer par le comte de Guiche, et surtout le chevalier de Lorraine avec lequel il restera de longues années.

Deux mariages agités

En tant que frère de monarque et héritier présomptif au trône de France, Philippe d’Orléans accomplit tout de même scrupuleusement son devoir dynastique. Il n’aura pas moins de six enfants, nés de deux femmes différentes. En 1661, il se marie à Henriette d’Angleterre, fille du roi Charles Ier d’Angleterre, longtemps éprise de Louis XIV avec lequel elle eut vraisemblablement une liaison mais qui dut se contenter de son cadet. Contre toute attente, les témoins de l’époque affirment que Monsieur et Madame étaient bien assortis. « C’est le plus joli couple du monde que ce prince et cette princesse », s’enthousiasme même Mme de Sablé. Pourtant, Henriette se lasse rapidement des lubies et des préférences de son mari. Elle se réfugie à Saint-Cloud, loin de Versailles, où elle s’offre tous les divertissements. C’est dans cette demeure qu’elle trouve mystérieusement la mort en 1670, alors qu’elle n’a que 26 ans, après avoir bu une tasse de chicorée. « Madame se meurt ! Madame est morte ! », s’écrie alors Bossuet, dans son oraison la plus célèbre. Pendant ce temps, à la cour, les rumeurs vont bon train : on suppose un empoisonnement, dans lequel pourrait être impliqué Monsieur.

Dès 1671, Philippe d’Orléans convole en secondes noces, avec une femme des plus étonnantes : Élisabeth-Charlotte de Bavière, plus connue sous le nom de Princesse Palatine, remarquée et remarquable pour son franc-parler. Cette noble née au bord du Rhin est tout ce que Monsieur n’est pas… La Palatine aurait d’ailleurs aimé être un homme, et reproche donc à son époux « ses manières de femme. » Malgré tout, ce couple discordant et original finit par s’apprécier et par s’amuser ensemble. Un an après leur mariage, la Princesse Palatine ne s’en cache d’ailleurs pas dans une lettre envoyée à sa tante : « Monsieur est le meilleur homme du monde, aussi nous entendons-nous très bien. » Elle reconnait surtout à Philippe son caractère de bon père, attentionné et aimant. Une qualité plus que rare pour un homme du Grand Siècle. Rien qu’en cela, Philippe d’Orléans mériterait une bien meilleure réputation dans l’Histoire.