Politique : Les « années VGE » expliquées aux moins de 25 ans

Si Jacques Chirac jouissait d’une incroyable popularité auprès de plusieurs générations, Valéry Giscard d’Estaing, troisième président de la Cinquième République de 1974 à 1981, semble moins connu, voire complètement oublié, par les plus jeunes. Il était pourtant un dirigeant réformateur et moderne, qui a dépoussiéré beaucoup d’institutions.
Giscard cover
Francis Apesteguy/Getty Images

Les origines

Pour comprendre Valéry Giscard d’Estaing, il faut remonter à la source. Celle d’une famille de la bourgeoisie qui s’est toujours rêvée en aristocrate. « L’obsession nobiliaire », comme la qualifie Georges Valance, journaliste et biographe de VGE, une vie (Flammarion, 2011). En 1922, les Giscard sont d’ailleurs autorisés par le Conseil d’Etat à ajouter une particule à leur nom : ils deviennent les Giscard d’Estaing. Mariée à Anne-Aymone Marie Josèphe Christiane Sauvage de Brantes, fille de comtesse, Valéry, fils d’un inspecteur des Finances, goûte alors à la vie de château. Si, une fois candidat à la présidence de la République, il ne reniera jamais ses origines, il tentera toutefois de toujours paraître plus simple qu’il ne l’était vraiment.

Une carrière fulgurante

Participant à la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, Valéry Giscard d’Estaing s’engage dans la première armée française en 1944 et combat en Allemagne et en Autriche. Il sera d’ailleurs décoré de la Croix de guerre. Après Polytechnique et l’ENA, il débute en politique et devient, à 29 ans, directeur adjoint au cabinet du président du Conseil, Edgar Faure. Député dans le Puy-de-Dôme, il entre au gouvernement sous le Général de Gaulle. Après avoir été secrétaire d’État aux finances auprès d’Antoine Pinay, il devient, à 36 ans, ministre des Finances et des affaires économiques de Georges Pompidou. Reconnu pour sa précocité et son talent oratoire, il nourrit rapidement de plus hautes ambitions. Candidat à l’élection présidentielle de 1974, il passe devant le gaulliste Jacques Chaban-Delmas au premier tour, et l’emporte au second, le 19 mai 1974, face à François Mitterrand. Avec seulement 50,81% des suffrages - le scrutin n’avait jamais été aussi serré - il devient, à 48 ans, le plus jeune président de la République, depuis Napoléon III en 1848, et bien avant Emmanuel Macron, en 2017.

« Vous n’avez pas le monopole du cœur »

C’est une de ces petites phrases politiques à jamais gravées dans l’Histoire. Lors du débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle de 1974, face à François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing lance cette réplique qui fera date : « Je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, monsieur Mitterrand, le monopole du cœur. J’ai un cœur comme le vôtre qui bat à sa cadence et qui est le mien et ne parlez pas aux Français de cette façon si blessante pour les autres. » Dans ses Mémoires, Le Pouvoir et la Vie (Editions Compagnie, 1988), VGE assure que ces quelques mots lui auraient permis de gagner le scrutin. Il racontera également, dans un entretien accordé au Parisien en 2012, que François Mitterrand lui avait confié, après ce débat : « Votre phrase “Vous n’avez pas le monopole du cœur” m’a déstabilisé, elle m’a coupé le souffle. Ce soir-là, j’ai perdu 300000 électeurs. » Le candidat socialiste tiendra pourtant sa revanche. Lors du débat de l’entre-deux-tours en 1981, il sortira à Valéry Giscard d’Estaing une réplique restée, elle aussi, dans la postérité : « Si je suis un homme du passé, vous êtes l’homme du passif. »

Un président réformateur

Durant son septennat, Valéry Giscard d’Estaing - qui a tenté d’être un président ni de droite, ni de gauche, bien avant le macronisme - a effectué de nombreuses avancées sociales. La première grande réforme de son mandat, dans la lignée d’une campagne placée sous le signe de la jeunesse, a été d’abaisser de 21 à 18 ans l’âge légal de la majorité. Il est aussi celui qui a dépénalisé l’avortement et légalisé l’Interruption volontaire de grossesse (IVG), loi portée par Simone Veil.

Il a aussi remanié l’audiovisuel, en éclatant l’ORTF en plusieurs chaînes (TF1, Antenne 2, etc). Avec la loi du 11 juillet 1975, il instaure le divorce « par consentement mutuel » ou « pour rupture de la vie commune ». Auparavant, seul le divorce « pour faute » était possible. Il a également réformé l’éducation, avec une grande refonte du collège, mais aussi le Conseil constitutionnel.

Sur le plan culturel, il lance les premières Journées du patrimoine, et transforme la gare parisienne d’Orsay en musée. Sa politique internationale est, quant à elle, marquée par le renforcement de la construction européenne.

Un président communicant

Après De Gaulle et Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing veut faire souffler un vent de nouveauté sur la fonction présidentielle. Très inspiré par les Kennedy, il ne va pas hésiter à se mettre en scène, lui mais aussi sa famille. Il se laisse ainsi filmer skiant sur les monts enneigés de Courchevel, tapant dans la balle sur un court de tennis, ou encore en maillot de bain au fort de Brégançon. C’est le début de la peoplisation du politique. Lors des vœux du 31 décembre 1975, il invite son épouse, Anne-Aymone Giscard d’Estaing, à se joindre à lui : la séquence inédite, et jamais renouvelée, est restée dans les mémoires.

Il marque sa différence dès sa photo officielle, qu’il confie à un photographe à la mode, Jacques Lartigue, découvert dans le Time. « Giscard pose en tenue de ville sur le perron de l’Elysée. La photo est tirée en large et non plus en hauteur », explique Georges Valance. En autres symboles, il corrige l’orchestration de La Marseillaise, afin de rendre son rythme plus lent, et déplace le défilé du 14-juillet à la Bastille.

Le 24 décembre 1974, Giscard organise un petit-déjeuner avec des éboueurs de Paris. Si l’initiative est présentée comme « improvisée », les caméras ont tout de même été conviées. Sa grande spécialité a été les dîners à la « fortune du pot », chez des Français moyens. Il était ainsi invité à la table d’un enseignant, d’un agriculteur, d’un pompier, pour partager un humble repas et évoquer quelques sujets de société.

Un duel pour l’Histoire

Tout au long de leur carrière politique respective, Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing se sont livrés une guerre sans interruption, faite de vacherie et de coups bas. Pourtant, le premier a été nommé chef de gouvernement par le second en 1974, avant de démissionner en 1976. C’est un épisode fameux de la Cinquième République qui aurait d’ailleurs amené Jacques Chirac à cette décision. Lors du week-end de la Pentecôte 1976, les Giscard avaient invité les Chirac à les rejoindre au fort de Brégançon, résidence méditerranéenne du président. Durant ce court séjour, le Premier ministre se serait senti humilié, notamment parce que VGE avait également convié son moniteur de ski, mais aussi parce qu’il se serait assis dans un « trône », laissant le couple Chirac sur de vulgaires chaises. Un comportement monarchique que le locataire de Matignon n’a jamais digéré. Cette version des faits a toujours été démentie par le clan Giscard d’Estaing. Toutefois, Jacques Chirac s’est désuni de Valéry Giscard d’Estaing lors de la présidentielle de 1981, le menant tout droit vers la défaite.

Les diamants de Bokassa

Un an avant l’élection de 1981, Giscard est donné favori dans les sondages. Mais une affaire va venir obscurcir la fin de son septennat. En octobre 1979, Le Canard enchaîné l’accuse d’avoir reçu, alors qu’il était ministre des Finances, des diamants en guise de cadeaux de Jean-Bedel Bokassa, président de la République centrafricaine. VGE est certes connu pour son amour de l’Afrique - il se baptise lui-même « Giscard l’Africain » dans ses Mémoires - où il se rend régulièrement pour des voyages officiels ou privés. Il participe notamment à de nombreux safaris, où il chasse l’éléphant et le lion, qui font régulièrement scandale dans la presse. Mais cette fois, avec cette affaire des diamants, c’est son intégrité qui est remise en cause. Cette histoire participera sans nul doute à sa défaite.

« Au revoir »

Reprise dans le générique de l’émission Les Enfants de la télé, cette séquence a été un mème, avant même que le phénomène ne soit inventé. Lors de sa dernière allocution en tant que président de la République, le 19 mai 1981, Giscard avait en effet prononcé ce « Au revoir » grave et solennel, avant de se lever et de rejoindre le fond de la pièce d’un pas lent, tandis que retentissait La Marseillaise. La séquence semblait avoir été préparée pour marquer les esprits, pourtant, il expliquera des années plus tard qu’il ne savait pas que la porte de sortie était si loin. Dans ses Mémoires, il s’interrogera également : « En ai-je trop fait dans ce mot de la fin ? »