Guillaume Gallienne : «Quand je joue en anglais, je n'ai plus d'étiquette»

Dans la série HBO The Regime, Guillaume Gallienne incarne avec brio l'époux d'une dictatrice d'un pays européen fictif. De sa rencontre avec Kate Winslet, sa partenaire à l'écran, à ses envies de cinéma, il se confie à Vanity Fair.
Guillaume Gallienne   «Quand je joue en anglais je n'ai plus d'tiquette»»
Manu Fauque

Vanity Fair. Comment avez-vous rejoint ce projet ?
Guillaume Gallienne. J’ai rencontré Leo Davis, la directrice de casting de Stephen Frears (Les liaisons dangereuses), en 2014. À l’époque, nous présentions Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, dans lequel je jouais Pierre Bergé. Depuis, elle m’appelle tous les ans pour me dire « Guillaume, I have something amazing for you !» (« J’ai un projet incroyable pour toi !») Et tous les ans, je devais dire « non » parce que je n’étais pas libre. Là, il se trouve que je devais tourner dans une série internationale. J’avais anticipé en demandant à Eric Ruff, l'administrateur (de la Comédie-Française), de me donner un congé à cette période-là. Le projet a été décalé et, entre temps, Leo Davis m'a recontacté. Sans avoir lu le scénario, je lui ai dit que je n’étais pas disponible. Mais son opiniâtreté a payé. Elle a contacté mon agent qui m’a rappelé en disant : « Euh Guillaume… Une série de Stephen Frears avec Kate Winslet, on va peut-être la lire ? »

Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario ?
J'ai halluciné en lisant les deux premiers épisodes. Je savais que le créateur de la série, Will Tracy, était l'un des auteurs de Succession. Mais cela ne m’était jamais arrivé auparavant d'éclater de rire et en même temps d'avoir la mâchoire qui se décroche. Quelque temps plus tard, je me suis retrouvé à faire un entretien par Zoom, dans ma loge. Je m’étais habillé comme le personnage, dans une tenue décontractée chic. Il m’a demandé ce que je pensais du personnage, et je lui ai répliqué : « C’est intéressant de jouer les consorts. La vraie question est : comment existe-t-on, quand on est toujours dans l’ombre ? » Et c’était réglé, sans même faire de lecture. À la base, le personnage était britannique, mais ils l’ont réécrit. Comme si c’était impensable qu'un Français puisse jouer un Anglais. Par contre, je les ai suppliés de ne pas m’obliger à prendre un accent.

«On a l’impression que Kate Winslet n’a peur de rien»

Comment s’est passée la première rencontre avec Kate Winslet ?
En sortant de ma loge pour boire un café, j’ai tourné la tête et croisé Kate Winslet. Elle m’a accueilli d’un « Oh my god ! Hello ! » enthousiaste. Et puis après la lecture, elle s’est tout de suite prêtée aux confidences. Elle est tellement intelligente et bienveillante. Dès qu'un acteur débarquait, elle s'arrangeait toujours, l'air de rien, pour se retrouver avec lui à la machine à café. Elle le mettait si à l’aise qu’au bout de deux minutes, la glace était déjà brisée et il lui racontait que sa femme était enceinte. Il n'y avait pas de tension, ni d'appréhension sur le plateau. Nous avons beaucoup ri aussi, notamment en tournant la scène de la betterave.

Qu’est-ce que vous avez appris en travaillant à ses côtés ?
La simplicité, car ce n’est pas mon fort. Elle dit souvent : « Learn your lines, focus and deliver » (« apprends tes répliques, concentre-toi et donne tout »). On a l’impression qu’elle n’a peur de rien. Elle repère chaque détail. Une fois, après une scène, elle m'a glissé : « On va le refaire parce que la caméra est trop haute ». Moi, je suis bien trop élevé, trop intello ou psychologique des fois.

Kate Winslet et Guillaume Gallienne.

Comment avez-vous appréhendé ce personnage de l’ombre ?
J’ai beaucoup joué le côté routinier. On prenait le petit-déjeuner dans une salle à manger de 500 mètres carrés tout en or, mais tout ce qui m’intéressait, c’était la cuisson des œufs. J’étais dans une espèce de nonchalance chic. Après tout, la série s’appelait The Palace à l’origine. Le génie du réalisateur Stephen Frears est d’utiliser beaucoup de plans larges pour accentuer le côté comique et absurde. Cela met d’autant plus en relief les egos narcissiques, l’immaturité crasse, de ces gens déambulant dans un palais énorme et hyper luxueux. Même les deux premiers ministres ont l’air d’avoir quatre ans et demi. D’où sortent-ils ? Au fond, cela raconte aussi quelque chose du pouvoir autoritaire.

La série fait-elle écho à des événements réels ? On sent parfois une dénonciation de l’impérialisme américain…
Il ne faut pas l'interpréter de cette manière à mon avis. La rencontre entre Elena Vernham - le personnage joué par Kate Winslet - et la sénatrice américaine, Judith Holt, est intéressante parce qu’elle est confrontée à une autre figure d’autorité. Évidemment, le public va dresser des parallèles avec la réalité. Qu’ils se sentent libres de le faire. Mais l’équipe nous a dit d’emblée qu’il s’agissait d’une fiction. Il ne voulait pas que nous cherchions à tout prix des modèles, des inspirations réelles. Cela nous a permis d’être drôles et davantage dans l’absurde. À la fin, nous vivions comme une troupe de théâtre. La production avait loué une maison pour Kate Winslet et sa famille. Elle m'a proposé de venir chez eux, on répétait ensemble. Parfois, on se taquinait sur le plateau. Je lui disais : « Elena, sors de ce corps ! »

«Quand je joue en anglais, je n’ai pas d’inconscient»

Le choix du quasi-huis clos renforce l’impression que ces personnages sont complètement déconnectés de la réalité…
Effectivement, c’est une prison dorée. C'était un peu la même idée dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, où je jouais Vergennes. Personne ne changeait, mais mon personnage grossissait et vieillissait. J’en ai compris la raison plus tard : en tant que ministre, j’étais le seul à être en contact avec le monde extérieur.

Peut-être que l’ancien titre de la série, The Palace, avait plus de sens finalement ?
Non, car cela suggérait un pouvoir établi et immuable, un peu comme The Crown. The Regime laisse entendre un danger et un changement possible. Pour nous, Français révolutionnaires, le palace aussi peut sauter. Mais pas dans l’esprit des Anglais.

Vous avez tourné dans The French Dispatch de Wes Anderson. Y a-t-il un désir de privilégier les rôles anglophones à l'avenir ?
Je ne suis pas obsédée par l’idée de faire une carrière internationale. Sur le plateau de The Regime, j’ai adoré le professionnalisme et la gentillesse des gens. Quand je joue en anglais, je n’ai pas d’inconscient, ni d'étiquette, ni même de reste de colle. Personne ne sait qui je suis. J’ai l’impression d’être un acteur débutant, mais avec 30 ans de métier. J'adore tourner en France, mais depuis le triomphe des Garçons et Guillaume, à table !, deux réalisateurs seulement m’ont proposé des rôles. Les sollicitations viennent souvent d'acteurs devenus cinéastes. Des millions d'entrées, cinq César, c'est peut-être trop. Sans parler de ceux qui vous désirent pour les mauvaises raisons, juste pour financer leur projet par exemple. Incha'Allah, il fallait peut-être dépasser le cap des dix ans.

Quid de votre projet de réaliser un film en anglais ?
Je travaillais dessus au moment du Covid. Il m’a fallu deux ans pour comprendre que le Brexit allait être un vrai frein, que le film ne se ferait pas si je restais à la réalisation. Tout simplement parce que j’étais français. Je me suis retiré et, deux mois plus tard, ils finançaient le film avec des acteurs moins connus.

Avec qui auriez-vous envie de travailler désormais ?
Le plus important, ce sont les rencontres. 50% de mon travail se fait dans un désir de l’autre. J’ai regardé la cérémonie des César, et j’aurais envie de travailler avec la moitié de la salle : Justine Triet, Sandra Hüller dans La Zone d’intérêt… Wow. Raphaël Quenard, la langue de ce mec, la boîte à troubadour, la générosité, l’implication, le fait d’être pleinement là.

The Regime, disponible sur Prime Video via le pass Warner.