Les limites de l’effet Biden sur le pétrole et le gaz
L'élection de Joseph Robinette Biden Junior à la présidence des Etats-Unis ne laisse pas de marbre les acteurs du pétrole et du gaz. Bien que souvent agacés par Donald Trump, ils étaient tout de même bien servis par ce soutien inconditionnel des énergies fossiles. Son successeur, qui a promis de remettre les Etats-Unis sur la voie de l'Accord de Paris sur le climat et d'une future neutralité carbone, n'aura pas les mains totalement libres.
Le résultat de l’élection présidentielle américaine, qui fait de Joe Biden le 46e président des Etats-Unis, semble avoir plus surpris les pétroliers que d’autres secteurs économiques. D’un patron de major à un analyste d’envergure mondiale, ils étaient plusieurs à avoir parié, hors micro, sur une réélection du président sortant. De là à penser que les acteurs de la filière analysaient la situation avec des œillères pro-Trump, il n’y a qu’un pas. A moins qu’ils aient pris leur désir pour une réalité…
Même l’Opep, qui entretient des relations fluctuantes avec les Etats-Unis, regardait Donald Trump avec plus de mansuétude, après que celui-ci avait fini par soutenir leur politique de réduction de l’offre et, surtout, renforcé les sanctions contre l’Iran, pour le plus grand bonheur de l’Arabie saoudite, chef de file du cartel des pays exportateurs de pétrole.
Des investissements massifs dans l’énergie propre
Joe Biden, lui, inquiète le monde des hydrocarbures. Sa promesse de campagne d’investir 2000 milliards de dollars dans l’énergie propre et les infrastructures "résistantes au climat" est un virage à 180 degrés pour Washington, après l’engagement sans faille de son prédécesseur en faveur du charbon, du gaz et du pétrole. Son programme de campagne prévoit, au premier jour de son mandat, de durcir les limites d’émissions de méthane des projets gaziers et pétroliers, nouveaux comme existants.
Dans le débat télévisé qui a précédé l’élection, Donald Trump a demandé à son rival s’il entendait "en finir avec l’industrie pétrolière". Joe Biden a répondu qu’il comptait effectivement lancer "une transition, parce que l’industrie pétrolière pollue de manière significative". Et ajouté que les carburants fossiles devaient être remplacés par de l’énergie renouvelable au fil du temps, et les Etats-Unis avancer vers la neutralité carbone. Des propos tempérés par la suite, notamment par sa vice-présidente Kamala Harris qui a précisé que le candidat entendait s'attaquer aux subventions au pétrole et au gaz, et non interdire la fracturation. Ce qui reste une très mauvaise nouvelle pour les compagnies exploitant les schistes, dont l'équilibre financier reste fragile depuis la baisse des prix du pétrole et du gaz.
Cela n’a pas empêché Joe Biden de remporter la Pennsylvanie. "Une surprise" pour Moez Ajmi, associé EY, expert du secteur oil & gas, qui souligne "le grand nombre d’emplois liés au gaz de schiste dans cet Etat". Il était visiblement difficile de croire qu'on pouvait provoquer les énergies fossiles, nouvel outil de domination économique des Etats-Unis, et gagner l'élection présidentielle.
Accord de Paris et neutralité carbone
Le président élu devrait revenir à une diplomatie plus multilatérale, ce qui laisse entrevoir le retour des Etats-Unis dans un certain nombre d’accords internationaux. Cela concerne l’Accord de Paris sur le climat, qu’ils ont quitté officiellement le 4 novembre et que Joe Biden a promis de rejoindre 77 jours plus tard, soit le 20 janvier, jour de son investiture. Il entend convaincre le Congrès d’adopter, dès 2021, un texte qui mettra les Etats-Unis sur la voie de la neutralité carbone en 2050.
Un possible retour aux négociations avec l’Iran…
Joe Biden s’est prononcé plusieurs fois contre l’usage de sanctions unilatérales. A plus long terme, la levée des sanctions contre l'Iran et une tentative de raviver les négociations sur le nucléaire permettraient le retour du pétrole iranien sur le marché. Les majors pétrolières, qui ont vu s'effondrer les cours en raison d'un surplus de production, ne sont pas pressées de voir revenir cette production concurrente.
… mais pas avec la Russie
En 2016, alors vice-président de Barack Obama, Joe Biden avait dénoncé, à propos du gazoduc North Stream 2, un "mauvais accord" pour l’Europe, rendue plus dépendante encore du gaz russe qui transiterait par ce pipeline. La position des Démocrates américains n’a pas changé depuis. Il faut dire que l’Europe est devenue une destination de choix pour le gaz de schiste américain, transformé en gaz naturel liquéfié (GNL) et exporté. Le Congrès américain prépare actuellement de nouvelles sanctions contre les participants à la construction et au fonctionnement de North Stream 2, visant cette fois les assureurs et organismes de certification. Ce projet est soutenu à la fois par les Républicains et par les Démocrates, mais crée des tensions avec l'Allemagne, où débouche le gazoduc.
Rien ne dit, en effet, que le successeur de Donald Trump renoncera au protectionnisme qui a transcendé les alternances entre Républicains et Démocrates. Le voudrait-il, que le Sénat probablement conservé par les Républicains ne le laisserait pas faire. L’arrivée au pouvoir de Joe Biden devrait en revanche stabiliser l’action gouvernementale, donc les marchés qui avaient pris l’habitude de sursauter à chaque tweet du président sortant.
Le marché du pétrole a d'autres préoccupations
L’élection, même après épuisement des recours lancés par Donald Trump, ne devrait pas avoir d’impact majeur sur les cours du pétrole et du gaz. Les Etats-Unis ne renonceront pas à leur nouveau statut d'exportateur net d'hydrocarbures. Au niveau mondial, le secteur est plus préoccupé par la nouvelle vague de la pandémie de Covid-19 en Europe et aux Etats-Unis, qui affecte la demande, que par la future politique américaine. Pour preuve, les cours avaient bondi avec les Bourses à l’annonce par Pfizer du franchissement d’une étape vers le vaccin.
Pour cette fin d'année, cela ne suffira pas. L’Agence internationale de l’Energie vient de revoir à la baisse ses prévisions de demande pour l’année 2020. Et l’Opep+, une alliance Arabie saoudite - Russie qui avait d'abord déplu aux Etats-Unis, envisage de prolonger ses coupes de production au-delà de janvier 2021, en fonction de l’évolution de l’équilibre offre-demande en attendant le vaccin.
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