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Les ambitions vertes du plan aéronautique sont-elles tenables ?
Dans la cadre du plan de soutien de 15 milliards d’euros accordé au secteur aéronautique, l’Etat annonce le développement d’un appareil neutre en carbone en 2035. Les industriels peuvent-ils vraiment réussir ce pari ?
Et si le secteur aéronautique parvenait à sortir de la crise par le haut ? C’est l’espoir que fait naître le plan de soutien annoncé mardi 9 juin par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno le Maire. Si l’objectif premier des 15 milliards d’euros mis sur la table est de sauver quelque 100 000 emplois sur les 300 000 que compte la filière en France, ce plan affiche un autre défi tout aussi ambitieux, mais sur le terrain technologique : celui de parvenir à mettre au point entre 2033 et 2035 un appareil zéro émissions de CO2, qui serait le successeur de l’actuel Airbus A320.
Soit une accélération de près de 15 ans sur le calendrier prévu par les différents acteurs de la filière aéronautique, et ce grâce à une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur trois ans accordé au Conseil pour la Recherche Aéronautique civile, le CORAC, qui chapeaute la recherche publique et privée.
La ministre de la transition énergétique et des transports, Elisabeth Borne, a esquissé les contours de ce futur avion. Il pourrait miser sur la sobriété énergétique, avec un gain de 30% de consommation de carburant et un usage à 100% de biocarburants, ou bien faire la part belle à l’hydrogène.
Quoi qu’il en soit, un démonstrateur de cet avion neutre en carbone devrait voir le jour entre 2026 et 2028. Outre ce projet, la ministre a également évoqué les autres segments de l’aéronautique (avec un nouvel appareil régional pour 2030, le successeur de l’hélicoptère Ecureuil ou bien encore les jets d’affaires), avec pour dénominateurs communs l’usage accru de l’électrification et de l’hydrogène.
Une enveloppe importante
Cet objectif est-il tenable ? Il est évidemment louable : le transport aérien représente environ 2 à 3% des émissions mondiales de CO2 et sa croissance, momentanément freinée, promet d’augmenter encore ces émissions. C’est pour diminuer son empreinte carbone, et par la même occasion augmenter la compétitivité des compagnies aériennes en rendant les moteurs de plus en plus efficaces, que le secteur s’est donné à l’échelle mondiale en 2008 l’objectif de diviser par deux ses émissions de CO2 en 2050, par rapport à 2005. Et ce malgré la croissance du trafic aérien. Un effort qui se trouve de surcroît poussé par la contestation sociétale qui n’a cessé de flamber concernant les émissions de CO2 du secteur.
Reste que l’accélération de calendrier promise par le plan, que l’on imagine avoir été définie en concertation avec les industriels, relève de la mission quasi impossible… Certes, l’aide apportée par l’Etat est substantielle. Alors que le budget annuel public est d’environ 135 millions d’euros, indique à L’Usine Nouvelle une source au sein du Corac, la nouvelle aide représente équivalent à 500 millions d’euros par an constitue donc une multiplication du budget par 3,5. Mais les industriels en ont bien conscience : ils vont devoir faire sauter de nombreux verrous, en particulier technologiques, pour respecter cette nouvelle feuille de route. "Il est probable que les nouveaux avions qui seront mis en service dans les années 2030 seront en rupture par rapport à ceux d’aujourd’hui", expliquait en décembre dernier à L’Usine Nouvelle Jean-Brice Dumont, directeur de l’ingénierie et membre du comité exécutif d’Airbus, et président du Comité de Pilotage du CORAC. Probable ? Désormais, c’est certain.
Les limites de l'électrique
D’abord parce qu’avec les technologies actuelles, l’amélioration des moteurs, la source d’émissions des avions, s’effectue pas à pas. Lors d’une rencontre avec la presse organisée en décembre 2019, le directeur général de Safran, Philippe Petitcolin, l’avait même chiffré : on assiste en moyenne à une amélioration de 1% par an en moyenne, soit un gain estimé de 10% d’ici 2030. Or le plan de gouvernement évoque un gain de 30% à l’horizon 2035… L’industrie va donc devoir mettre les bouchés doubles et plancher sur des moteurs en rupture, tels que l’open rotor : la suppression du carénage augmente le taux de dilution de 15% voire 20%, comme on l’assure chez Safran. Le motoriste français qui teste cette solution depuis 2017, via un démonstrateur à Istres (Bouches-du-Rhône) et affirme que les problèmes de nuisances sonores sont derrière eux.
La seule efficacité du moteur – de même que de nouvelles architectures d’avions – ne pourra pas elle-seule permettre d’atteindre la neutralité carbone, il faut également s’attaquer à la source d’énergie. Afin de réduire la consommation de kérosène, l’électrification des appareils pourrait voir le jour. Si les grands industriels s’activent tous dans cette direction, comme en témoigne le projet d’avion hybride EcoPulse, développé par Airbus, Safran et Daher, les performances des batteries vont limiter durablement son essor. "Il faut tuer un cliché : les avions ne voleront pas que grâce aux batteries", assénait Jean-Brice Dumont l’an dernier. Les industriels, Safran en tête, estiment que l'électrification partielle ne pourra servir que pour les avions effectuant des vols de moins de 1000 km.
L'hydrogène fait encore pschittt
Dans son projet d’avion zéro émission, le plan cite donc également l’usage des biocarburants. Une solution séduisante qui reste balbutiante : ils ne représentent que 0,1% de la consommation de carburant dans l’aéronautique, seules quelques compagnies aériennes en faisant usage (United Airlines, Air France-KLM…). Et alors que l’organisme de normalisation ASTM a validé un taux d’incorporation de 50% pour les filières certifiées, le plan présenté parle d’un avion consommant 100% de biocarburant. Sur ce volet, le défi ne sera pas tant technologique qu’économique : les biocarburants sont aujourd’hui environ cinq fois plus chers que les carburants traditionnels.
Production, acheminement, infrastructure de distribution… En 2019, le cabinet de conseil en stratégie BCG estimait qu’ils resteraient 150% plus chers que les carburants traditionnels à l’horizon 2050. Il faudra donc sans doute passer par des aides publiques pour en favoriser l’usage. L'impact sur l’environnement mettra du temps mettra du temps à être effectif quand on sait que l’aviation consomme environ 7 millions de barils de pétrole brut par jour… En outre, leur essor suppose une collaboration qui reste à mettre en place entre les industriels de l’aéronautique et ceux du monde pétrolier.
Maintenir les compétences
Dernière carte à jouer pour l’aéronautique, citée précisément dans le plan de soutien dévoilé ? L’hydrogène. Mais là encore, si son usage pourrait se démocratiser dans l’automobile, les contraintes propres au secteur aéronautique douchent quelque peu les espoirs. Notamment en raison des volumes nécessaires : à performance comparable avec le kérosène, il faut un réservoir entre 4 et 6 fois plus grand… Pour réduire ce volume, une solution est déjà envisagée : le stockage cryogénique avec de l’hydrogène liquide à -253 °C, comme dans le cas de la fusée Ariane. "Mais cela suppose un système d’une grande complexité qui constitue un défi pour l’aviation civile, tant au niveau de l’architecture aéronef que de l’infrastructure de distribution", détaillait fin décembre à L’Usine Nouvelle Stéphane Cueille, directeur R&T et innovation Safran, également au sein du comité de pilotage du Corac.
Les industriels français parviendront-ils à développer un appareil commercial de plus de 100 places zéro émission carbone en 2035 ? "La France peut être dans les années à venir le pays d’Europe où se concevront et où se produiront les avions de demain", a assuré Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances. Au-delà de ce souhait très ambitieux, le budget de 1,5 milliard d’euros poursuit un autre objectif, moins visible mais tout aussi crucial : le maintien sur le sol français de compétences de haut niveau, qui pourraient sinon disparaître. "Ces aides permettront également de garantir l’emploi des ingénieurs hautement qualifiés sans qui l’industrie aéronautique française n’aurait pas d’avenir", a d’ailleurs précisé Bruno Le Maire. La filière emploie aujourd’hui en France près de 35 000 personnes dans les activités de R&D. C’est aussi pour leur donner un avenir, ainsi qu’aux milliers d’étudiants lorgnant du côté de l’aéronautique, que ce plan pourra ne pas être inutile.
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