“Le Côté de Guermantes” : la saga de Marcel Proust (trop) parasitée par le culot de Christophe Honoré

En se risquant du côté de chez Proust, le metteur en scène n’évite pas quelques maladresses d’adaptation, bien rattrapées par l’intensité d’interprétation de la troupe de la Comédie Française.

« Le Côté de Guermante », mise en scène par Christophe Honoré à la Comédie française.

« Le Côté de Guermante », mise en scène par Christophe Honoré à la Comédie française. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

Par Fabienne Pascaud

Publié le 06 octobre 2020 à 10h00

Lespace, déjà, est saisissant. Le gigantesque hall d’entrée, élégant et couleur crème, de l’hôtel particulier fin XIXème siècle des Guermantes. Y donne aussi l’entrée de l’appartement où vit le narrateur du spectacle, jeune amoureux mélancolique de la duchesse Oriane de Guermantes, et qui la guette sans cesse. Pendant la représentation, le hall s’ouvrira souvent sur les jardins du Théâtre Marigny, sur ces Champs-Elysées où Marcel Proust jouait enfant. Emotion garantie quand la fiction tout à coup prend l’air et se mêle de réel...

Il fallait du culot à Christophe Honoré pour se risquer, sur scène, du côté de chez Proust. Mais le romancier et cinéaste n’en manque pas, qui a osé une ambitieuse épopée autour du Nouveau Roman (2012) ou des artistes morts du sida (Les Idoles, 2019). Il a l’immense avantage, ici, pour pénétrer le très déliquescent faubourg Saint Germain d’avant 1914 – un petit monde fermé où tous se regardent et s’observent comme la cour de Louis XIV décrite par Saint-Simon – de bénéficier d’une troupe forgée depuis Molière à jouer aussi et vivre ensemble : la Comédie-Française. Miroir dans le miroir. Les acteurs se glissent à merveille dans la peau de leurs modèles, cette micro-société aristocratique dont ils connaissent de par leur vie artistique même jeux sociaux et cultes de l’apparence.

Une galerie humaine aux relents balzaciens

Belle idée que de faire de la compagnie même - exilée au Théâtre Marigny pour cause de travaux dans la maison mère - le reflet de l’univers proustien, où futilité et tragédie s’épousent sans fin. Jubilant plaisir de découvrir ainsi Elsa Lepoivre en Duchesse de Guermantes façon Célimène, presque vulgaire à force de vouloir séduire ; Serge Bagdassarian, snobissime baron de Charlus à l’homosexualié en devenir ; Loïc Corbery triste Swann blessé, Laurent Lafitte imbécile duc de Guermantes ; Gilles David en ridicule Marquis de Norpoix. Si choisir le très costaud et épais Stéphane Varupenne pour incarner le maladif Marcel relève du défi inutile, tous les personnages de cette galerie humaine aux relents balzaciens sont superbement incarnés dans leur complexité et leurs troubles, leurs identités en insondable devenir …

De quoi oublier les maladresses de l’adaptation où il ne se passe pas grand chose, avec de pesants et vains tunnels autour de l’affaire Dreyfus ou de la stratégie militaire. Proust n’était guère politique... De quoi ne plus s’interroger sur des affèteries de mise en scène : ces micros omniprésents avec perchiste à la rescousse (clin d’œil au cinéma ?), ces interprétations saugrenues de My lady D’Arbanville (1970) et Nights in white satin (1967) par Marcel, s’accompagnant lui-même à la guitare. Pourquoi ces allusions aux années 1970 et un Marcel chanteur ?

Quantité de gags viennent, sans l’électriser ni la réveiller, parasiter ainsi la représentation. On n’y attend plus que les réjouissants et ponctuels morceaux de bravoure de la faune proustienne, vrai théâtre social dans le théâtre d’art, jeu dans le jeu et mise en scène permanente de soi qu’observe un Marcel fasciné et voyeur. Découpée par Honoré en séquences-clé, tel un scénario, la mise en abime est certes audacieuse. Au moment du confinement et des répétitions, il a d’ailleurs fait un film du spectacle qu’on devrait voir bientôt sur France-Télévision. Mais si sa pièce donne ainsi à rêver aux liens ciné-théâtre, il n’est pas sûr que s’y retrouvent les non familiers de la Recherche du Temps perdu. Etait-ce même l’intention ?

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