Cédric Klapisch face au succès d’“En Corps” : “Les gens ont pu ressentir comme jamais ce plaisir du mouvement”

Lancé au sortir de la crise sanitaire et alors que débutait la guerre en Ukraine, ce film pétillant sur l’univers de la danse a déjà attiré plus de 1,3 million de spectateurs. Il est désormais disponible en DVD. Son réalisateur analyse ce succès inattendu.

Image extraite d’« En corps » : « L’aspect découverte a joué très fort pour ce film, les gens m’ont beaucoup dit qu’ils ne pensaient pas qu’ils aimaient la danse, le film les a pris par surprise », Cédric Klapisch.

Image extraite d’« En corps » : « L’aspect découverte a joué très fort pour ce film, les gens m’ont beaucoup dit qu’ils ne pensaient pas qu’ils aimaient la danse, le film les a pris par surprise », Cédric Klapisch. Photo Emmanuelle Jacobson-Roques/CE QUI ME MEUT

Par Frédéric Strauss

Publié le 03 août 2022 à 18h00

Mis à jour le 21 février 2023 à 17h43

Un film français original qui explose la barre du million d’entrées : la carrière d’En corps, sorti le 30 mars 2022, a tout, aujourd’hui, d’un véritable phénomène. À l’occasion de la sortie de son film en DVD, Cédric Klapisch revient sur ce succès, la manière de le comprendre et les perspectives qu’il ouvre en pleine crise de la fréquentation.

Le succès d’En corps s’est construit sur la durée, au point que votre film est toujours projeté en salles plus de quatre mois après sa sortie avec plus de 1,3 million de spectateurs. Comment avez-vous vécu ce phénomène au long cours ?
C’était un peu fou. J’étais évidemment heureux de l’impact du film mais c’est aussi pendant cette période qu’on a pris la mesure du ralentissement de la fréquentation, avec des salles fragilisées et qui risquent, pour certaines, de fermer.

La carrière progressive de votre film laisse penser que c’est le bouche-à-oreille qui l’a porté aussi haut…
Il y a bien eu un effet boule de neige avec le bouche-à-oreille. Beaucoup de gens sont même retournés voir En corps plusieurs fois et on peut être sûr qu’ils en ont parlé autour d’eux. Il y a eu quelque chose d’heureux, une envie de partage. Mais ça n’était pas donné d’avance et ça ne l’est jamais. Mon film était considéré comme art et essai, donc pas d’emblée dans la catégorie commerciale. Est-ce que les gens allaient s’intéresser à cette histoire qui parle beaucoup de danse ? Mon distributeur, StudioCanal, croyait beaucoup au film même s’il n’était pas sûr qu’il soit grand public. Une sortie à double détente a été préparée, avec une possibilité d’élargissement si ça prenait. Et ça a pris.

Cédric Klapisch, réalisateur d’« En corps » : « Ce qui a beaucoup compté dans le succès du film, c’est le moment où se trouvait notre société. »

Cédric Klapisch, réalisateur d’« En corps » : « Ce qui a beaucoup compté dans le succès du film, c’est le moment où se trouvait notre société. » Photo Jérôme Bonnet pour Télérama

Quel a été l’élément fédérateur ? Est-ce la danse, parce que vous l’avez abordée d’une façon très vivante ? Le parcours d’une jeune fille et son rapport avec son père ?
J’ai l’impression que le cinéma, ce n’est jamais une chose, mais toutes sortes de choses. Le réalisateur n’est pas le seul responsable de ce que son film provoque. Le film appartient aux spectateurs, qui en font ce qu’ils veulent. Les gens disaient que mon film leur faisait du bien. Mais on ne peut pas réduire cela à un effet « feel good movie », une expression que je déteste d’ailleurs, avec l’histoire d’une jeune danseuse qui se blesse, qui doit se reconstruire et puis qui va mieux. Il y en a plein, des films qui veulent faire en sorte que les gens se sentent bien.

Ce qui a beaucoup compté dans le succès d’En corps, c’est le moment où se trouvait notre société. Nous avions été à l’arrêt à cause de la crise sanitaire et nous l’étions encore, la guerre en Ukraine était déclenchée depuis un mois au moment de la sortie, elle marquait aussi un coup d’arrêt, une difficulté à se projeter dans l’avenir, et voilà que mon film arrive et qu’il parle de danse, de mouvement. À cause de la peur de devoir rester chez soi et de fermer toutes les portes, les gens ont eu la possibilité de ressentir comme jamais ce plaisir du mouvement.

La première danseuse Marion Barbeau tient le rôle principal dans « En corps », de Cédric Klapisch.

La première danseuse Marion Barbeau tient le rôle principal dans « En corps », de Cédric Klapisch. Photo : Emmanuelle Jacobson-Roques – CE QUI ME MEUT

Ce plaisir, l’avez-vous ressenti en faisant ce film ?
J’ai toujours voulu faire quelque chose avec la danse. Il y a trente ans, quand je tournais Riens du tout, mon premier long métrage, je travaillais avec Philippe Decouflé, qui préparait la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques. J’ai adoré accompagner ce chorégraphe. Pour moi, les spectacles de Pina Bausch ont été, à partir de l’âge de 15 ans, de véritables repères dans ma vie. Et à chaque fois je me disais que le cinéma n’arrivait pas à retranscrire la puissance de ce qu’on ressentait face à la danse. Quand, en 2010, j’ai tourné un documentaire sur Aurélie Dupont, j’ai passé beaucoup de temps dans les coulisses de l’Opéra de Paris, j’ai filmé à la fois de la danse classique et de la danse contemporaine et je me suis dit qu’il faudrait que je fasse un jour une fiction à partir de tout ce que je voyais. C’est tellement génial de filmer la danse, j’avais envie de partager cela avec le public.

L’aspect découverte a joué très fort pour En corps, les gens m’ont beaucoup dit qu’ils ne pensaient pas qu’ils aimaient la danse, le film les a pris par surprise. On ne voit pratiquement jamais la danse dans les films de fiction, même ceux où il en est question. Black Swan parle d’une danseuse mais ne montre que peu la danse à proprement parler ; La La Land non plus. Il y avait vraiment une sous-représentation de ce milieu de la danse et des chocs émotionnels qu’il provoque. La vie des danseurs, ce qui se passe dans les coulisses d’un spectacle, très peu de gens connaissent cela. Faire entrer cette réalité dans une fiction, c’était un moyen de rendre accessible cet art qui peut paraître élitiste et qui ne l’est pas. Ce qui a a permis a tout cela de prendre forme, c’est ma rencontre avec le chorégraphe Hofesh Shechter, à qui le film doit beaucoup, et avec Marion Barbeau, qui a réussi à être danseuse et actrice, ce qui était un pari délicat et compliqué.

Avec « En corps », Cédric Klapisch espérait contribuer à « démocratiser la danse ».

Avec « En corps », Cédric Klapisch espérait contribuer à « démocratiser la danse ». Emmanuelle Jacobson-Roques – CE QUI ME MEUT

Votre film a-t-il suscité des vocations de danseuse, de danseur ?
Les gens disent que les cours de danse seront très demandés à la rentrée, on verra ! Ce qui est sûr, c’est que lorsque Hofesh Shechter annonce un spectacle, les réservations sont prises d’assaut. J’aurais tendance à penser que mon film va aider l’Opéra de Paris aussi, même s’ils n’ont pas besoin de moi pour remplir la salle. En tout cas, En corps participe à une volonté générale de démocratiser la danse.

Quelles leçons le cinéma français peut-il tirer du succès d’En corps ?
Tout le monde doit comprendre qu’il faut cultiver la curiosité et la transmettre au public pour qu’il retourne au cinéma. C’est notre responsabilité à tous, les réalisateurs et tous les gens qui travaillent dans le milieu du cinéma, scénaristes, producteurs, directeurs de festivals, exploitants… et les critiques, eux aussi. Notre époque fabrique un manque de curiosité, c’est ce qui me paraît le plus grave. Les cinéastes s’interrogent beaucoup aujourd’hui. Comment inciter le public à venir en salles ? Jusqu’à présent, cette question était un peu taboue parce qu’on part toujours du désir du réalisateur, en se disant que ce désir finira par rencontrer celui des spectateurs.

Aujourd’hui, on est obligé de voir les choses d’une façon nouvelle, de se demander d’emblée à qui on parle et comment. Comment fait-on évoluer les choses sans se mettre à genoux devant ce que le public est censé aimer ? Quand on fait du cinéma du côté de la tentative artistique, on ne peut pas se dire que les gens aiment Fast and Furious et qu’on va donc leur donner ça. C’est plus compliqué. Mais toute crise est, en général, bénéfique pour l’art. Les moments de remise en question créent une effervescence. Ce qui se passe me fait réfléchir au cinéma et à ce que j’ai envie que soit l’expérience d’un spectateur. Je tournerai l’année prochaine et je sais que je ne ferai pas un film comme je l’aurais fait il y a cinq ans.

À voir

r En corps, de Cédric Klapisch. Toujours en salles. DVD et en Blu-ray StudioCanal.

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