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Cache-cache avec Lénine à Genève

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Genève le 14 février 2017Lieux ou Lénine a vécu à Genève. 3 rue Plantaporrêts.© Steeve Iuncker-Gomez
La salle Ami Lullin, à la Bibliothèque de Genève
Un portrait peu connu de Lénine jeune et grimé lors d'un retour incognito en Russie.

Maudits rails de tram qui font tomber les cyclistes! Une bicyclette lancée à vive allure et dont la roue s'engage dans le piège d'acier mène tout droit son conducteur à la chute. Le destin de la Russie n'aurait pas été le même si Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, s'était tué ce jour d'octobre 1903 à Genève.

Tombé violemment sur le visage, c'est en retard, le sourcil coupé et l'œil poché, que le futur père de la Russie soviétique se présenta au Congrès de la Ligue de la social-démocratie russe à l'étranger. La réunion eut lieu dans la Brasserie Landolt, l'un des lieux de rassemblement préférés des opposants au gouvernement impérial, fort nombreux à Genève en ce début de XXe siècle.

Le bâtiment 2, rue de Candolle, devant lequel nous commençons cette balade, a remplacé en 1970 celui qui abritait la Brasserie Landolt de 1903. Mais sa position au cœur du quartier estudiantin en dit long sur l'univers genevois des jeunes Russes d'alors. Il est situé au bas de la rue de Candolle, à deux pas de l'Université et de sa bibliothèque, et non loin de la rue de Carouge, surnommée «Karoujka» par les étudiants russes qui fréquentaient assidûment ces différents lieux.

L'adresse de Georges Plekhanov, théoricien marxiste longtemps admiré par Lénine, est 6, rue de Candolle. Là aussi, l'immeuble n'est plus le même, mais la grille des Bastions qui lui fait face est bien celle que ses visiteurs apercevaient des fenêtres de l'appartement du penseur. Ces quelques pièces où le buste de Voltaire voisinait avec le portrait de Karl Marx étaient le passage obligé de tous les jeunes opposants au régime tsariste. Lénine était du nombre, avant que ses convictions ne l'éloignassent de son aîné plus modéré. La réunion d'octobre 1903 au Landolt cristallisa cette séparation entre deux camps, d'un côté les bolcheviks et de l'autre les mencheviks. Les deux groupes se réunirent dès lors dans deux salles différentes de la même brasserie.

Du bas de la rue de Candolle, les rails qui ont fait trébucher Lénine conduisent à Carouge par la rue du Conseil-Général et le rond-point de Plainpalais. Tout au bout de la rue de Carouge, les façades des numéros 91 et 93 sont les mêmes qu'en 1904, lorsque deux pièces du rez-de-chaussée étaient occupées par un certain Vladimir Ilitch Oulianov.

Y habitait-il ou n'était-ce qu'une adresse professionnelle? A partir d'avril 1903, Lénine passa d'un logement à l'autre avec sa femme, Nadejda Krupskaïa. D'abord une chambre dans la Pension Morhard, au 15, avenue du Mail (le même immeuble qu'aujourd'hui, à l'angle de la rue des Vieux-Grenadiers). La sympathie de la patronne pour les révolutionnaires russes était bien connue dans la communauté. On louait aussi les bons offices d'une autre femme, Vera Velitchkina, qui avait le don d'aplanir les difficultés entre les locataires russes et les propriétaires genevois. Son mari était Vladimir Dmitrievitch Bontch-Brouïevitch, qui fut le secrétaire de Lénine à Moscou après la révolution. Ils habitaient aux numéros 91-93 de la rue de Carouge, où se trouvaient aussi la bibliothèque et les archives du parti bolchevik (actuellement à Moscou) et une cantine russe tenue par les époux Lépéchinski.

Lénine et sa femme eurent leur premier domicile à Sécheron, dans une maisonnette qu'ils eurent hâte de quitter. On les retrouva ensuite à Carouge, où ils occupèrent en mai et juin 1903 une maison qui existe encore au 2 bis, rue de la Tannerie. Ce coin de quartier a gardé son caractère banlieusard. Une inscription sur la façade blanche rappelle le passage de Lénine en ces lieux.

En automne, ils furent en ville – de retour à la pension Morhard? – d'où Lénine enfourcha à nouveau son vélo. Cette fois-ci, c'était pour se rendre à Onex, afin d'y solliciter un parrainage nécessaire à son admission dans la très distinguée Société de lecture. Celui de Paul Birukov, l'ami de Tolstoï, qui recevait volontiers Paul Plekhanov et bien d'autres compatriotes exilés ou de passage dans sa «Villa Russe» (toujours debout au 154, route du Grand-Lancy).

Le 2 bis, rue de la Tannerie n'est pas le seul bâtiment genevois jugé digne de porter la marque du séjour du fondateur de l'Union soviétique. La façade du 3, rue des Plantaporrêts rappelle que de 1904 à 1905, Lénine a vécu là.

Après son séjour en Russie et en Finlande, suite à la révolution de 1905, il s'installa d'abord au 17, rue des Deux-Ponts, de janvier à avril 1908, puis jusqu'en décembre au 61, rue des Maraîchers. Parti pour Paris, Lénine voyagea beaucoup jusqu'à son départ définitif de Suisse, en avril 1917, en train plombé de Schaffhouse à Petrograd.

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Un Russe blanc à Genève

Tribulations d'un prince en exil

Apartir du milieu du XIXe siècle, Genève accueillit des flots nourris et successifs d'exilés russes. Débarquèrent ainsi des rebelles au tsar, intellectuels et poseurs de bombes, des familles juives échappant aux pogroms, des aristocrates fuyant la révolution de 1905, des mencheviks en cascade et des bolcheviks en pagaille. La révolution d'octobre 1917 n'enraya nullement ce flux, puisqu'elle poussa plus d'un million et demi de personnes à quitter la Russie et son nouveau régime, souvent dans des conditions rocambolesques, voire dramatiques. Bon nombre d'entre elles s'installèrent en France, 400 000 environ. Beaucoup passèrent par Genève, quelques-unes y posèrent leurs valises au cours des années qui suivirent.

Ce fut le cas du prince André Gortonakof Kourakine, jeune pousse d'un très vieux chêne de la noblesse russe plein de diplomates et d'hommes d'Etat. Ledit André émigra en France en 1921, où il devint officier de l'armée. «Beau garçon de deux mètres de haut, d'aspect sympathique, parlant russe, français et anglais, doué d'une bonne mémoire», il collabora à l'Entente internationale anticommuniste (voir ci-contre) en 1928 et s'installa à Genève l'année suivante. Il y épousa une demoiselle de très bonne famille locale, Françoise de Budé. Puis se remaria, après le décès de celle-ci, avec une autre bien née autochtone, Denise Marguerite Deonna. Voilà donc bien un exemple d'intégration roucoulante.

Kourakine continua ses activités anticommunistes jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Puis se lança dans un business horloger avec l'URSS. Il joua au bridge aux Bergues, excella au Ball-trap Club de Genève, rafla des coupes de golf et donna des conférences à la Société de lecture. Il trouva aussi le temps d'écrire ses mémoires. Bref, l'exil fut doux autant que doré. Le prince s'éteignit à Cologny en 1983. J. EST.