L’EFFET TUNNEL – LA PERTE DE REPÈRES DANS LE JEU

DÉFINITION

Il ne s’agit pas ici de l’effet connu des physiciens quantiques. L’effet tunnel qui est décrit ici est celui que des intervenants subissent en situation de stress et qui se retrouvent incapable d’apprécier une situation dans son ensemble. Grossièrement décrit, cette réaction naturelle liée au stress est due à une focalisation du regard sur un point précis, comme si on regardait à travers un téléobjectif. En pratique, c’est un effet souvent observé dans les situations de conflits armés notamment : la vision périphérique se réduit au fur et à mesure que le stress de l’agression augmente.

Il ne me viendrait pas à l’idée de comparer le sport et la guerre. Néanmoins, il est possible de recycler le concept et d’en utiliser une partie pour expliquer certains effets sportifs de perte d’efficacité.

ORIGINES DU CONCEPT

Durant mes années de pratique du rugby, je n’ai jamais été un joueur avec la meilleure vision périphérique. On m’a rapidement mis dans un rôle de « va-tout-droit » et je dois dire que je m’en suis bien accommodé, souvent par facilité.

Paradoxalement, depuis que j’entraine, je m’efforce d’enseigner la vision périphérique à mes joueurs, car j’estime qu’elle revêt une importance primordiale, notamment pour éviter de stéréotyper le jeu. Du coup, je me suis interrogé d’où venait ma sempiternelle habitude du « tout-droit » et je ne suis souvenu d’un fait particulièrement marquant:

Lors d’un de mes derniers matchs contre une équipe assez faible et au moment où mon club survolait un peu les débats, je reçois un ballon sur un coup d’envoi. Le premier défenseur monte trop haut et rate son plaquage, un espace énorme s’ouvre et je me lance quasi jusqu’à 20m de la line de but. Durant toute ma course de genou mal dégrossi, j’ai le soutien d’un partenaire le long de la ligne de touche à ma droite. Je l’ai vu au démarrage, je l’entends durant ma course et je sais de qui il s’agit : il est plus jeune que moi, plus rapide et il est bien placé. J’arrive en face du dernier défenseur, je n’ai plus qu’à faire ma passe et mon partenaire va marquer en moonwalk ! Bien entendu, je vais finalement m’emplâtrer contre le dernier défenseur, en oubliant mon partenaire… hideux.

Juste avant « d’enterrer le ballon » comme on dit dans le jargon, je me souviens que je ne voyais plus rien d’autre que ce pauvre arrière de 65 kilos sur lequel j’arrivais – ma vision est devenue toute rouge et j’ai complètement oublié mon coéquipier sur ma droite. Résultat, je me sui fait plaquer comme un idiot et je gâche une belle occasion facile.

Par la suite, je me suis longuement posé la question : « pourquoi tu as enterré ce ballon !? ». J’avais tous les paramètres pour bien faire et j’ai lamentablement échoué. Tout simplement parce que j’ai été victime de l’effet tunnel !

Sous l’effet du stress, du manque de condition, du manque de confiance, notamment, j’ai oublié d’alimenter ma vision à 360° et l’effet tunnel a fini de gâcher le travail.

UN TERREAU FERTILE

Le stress

est l’un des facteurs déterminant dans l’effet tunnel. On peut être stressé de mal faire ou pressé d’accomplir l’action ou être pris par la vitesse par exemple (vitesse et précipitation). On tendra alors souvent à se rabattre sur quelque chose de facile ou de naturel – dans mon cas, on va tout droit. A ce moment, la logique de la prise de décision dans la situation ne se fait plus et on y va à l’instinct. Sur un malentendu, cela peut marcher, mais honnêtement, c’est rare.

Il en va de même pour le joueur qui rate systématiquement le plaquage facile ou qui fait tomber le ballon alors qu’il ne prend aucune pression. L’effet tunnel se manifestera dès le moment où l’action dominera la conscience du joueur dans la situation.

C’est pourquoi je préconise toujours des mises en situation à l’entraînement sans trop de consignes afin d’habituer les joueurs à s’adapter et à réagir dans un canevas, mais appliqué dans une situation réelle et à pleine vitesse.

La condition physique

Dieu sait que je ne suis pas un aficionado du « cardio » mais force est de constater qu’une bonne condition physique peut souvent faire la différence. Le rugby a une fâcheuse tendance à beaucoup se baser sur le volume de jeu de ses joueurs , notamment dans les niveaux amateurs. A mon avis un équilibre doit exister entre le volume physique et la lecture du jeu.

En pratique, l’effet tunnel apparaît quand le joueur sera en situation s’asphyxie ou presque. Physiquement pris de court, la vision périphérique du joueur diminuera très rapidement pour être remplacée par une vision partielle, faible et focalisées sur ce qui se passe devant lui, voir à se replier sur l’instinct, donc la peur.

La respiration

Elle jouera ici un rôle prépondérant. La respiration est bien entendu liée à la condition physique et au stress. La plupart des sports confondent respiration et capacité cardio-vasculaire. Il est intéressant de faire un parallèle avec certains sports de combat. J’ai en effet eu l’occasion de pratiquer récemment un le jiu-jitsu brésilien, un sport de combat qui se déroule majoritairement au sol. Etant débutant, je me retrouve très fréquemment à me faire « monter » c’est-à-dire à me retrouver cloué au sol sous le poids de mon adversaire. Dernièrement, j’ai notamment eu affaire à un lutteur d’une centaine de kilos qui m’a véritablement cloué la face au sol. A ce moment, j’ai vraiment ressenti un moment de panique avec cette impression de ne plus pouvoir ni bouger, ni respirer. Une sorte de claustrophobie, qui s’est traduite par des mouvements rapides et désordonnés, sans aucune utilité pour me sortir de là. 

J’ai néanmoins réussi à mobiliser mon attention et à me focaliser sur ma respiration afin de la maîtriser. En trois souffles, je ne paniquais plus, je parvenais à retrouver une analyse rationnelle de la situation et à essayer de réfléchir sur la stratégie pour me dégager de cette prise – sans succès, mais c’est une autre histoire.

Avant de me ressaisir, j’ai non seulement subi un effet tunnel (je ne voyais plus rien) mais carrément un effet « cercueil » : l’impression d’être totalement coincé et d’étouffer à petit feu. Finalement, le point central ici a été de se refocaliser sur soi-même afin de faire redémarrer le cerveau. La situation n’était pas meilleure, mais la perception s’était améliorée.

La confiance en soi et en ses partenaires

La confiance en soi est l’un des basiques de n’importe quel sport, au même titre que la mise en condition du pratiquant (technique et physique) et la mise en condition de l’équipe par l’entrainement régulier en situations réelles.

Deux cas de figure peuvent se présenter ici ;

Premièrement, le joueur qui n’a pas confiance en son propre bagage technique et qui se rabat automatiquement sur un réflexe (garder le ballon, passer systématiquement) mais le choix de jeu ne sera pas fait en conscience de la situation. Ce joueur compte sur ses coéquipiers pour prendre la bonne décision à sa place.

Deuxièmement, le joueur qui a trop confiance en lui et qui voudra la jouer en solo; il va réussir mieux que ses coéquipiers dans certaines situations mais il oubliera la plupart du temps son environnement et ses partenaires et tentera de réussir lui-même, mais avec un échec du mouvement collectif.

Dans les deux cas de figure, l’effet tunnel fait qu’une forme de panique cèdera la place à l’analyse et donc que le résultat sera aléatoire. Il faudra une bonne dose de gestion pour convaincre chacun des types de joueur de modifier et d’améliorer leur confiance. 

CONCLUSION

Comme on l’a vu, l’effet tunnel est une façon d’expliquer certains mauvais choix dans un sport collectif. De plus, cela peut également survenir dans un sport individuel. Il serait intéressant de prolonger la réflexion en interrogeant un sportif de vitesse et / ou de précision pour avoir son ressenti.

Quoi qu’il en soit, je reste persuadé que l’effet tunnel peut être limité, voire éradiqué. Comme à peu près tout, ceci se fera par un entraînement régulier individuel et / ou collectif.

Le stress peut être combattu par la mise en condition réelle à l’entrainement et par diverses techniques de visualisation qui sont très à la mode depuis quelques années : à un niveau amateur, je conseille toujours que les joueurs possèdent un certain nombre de skills basiques et de patterns qui puissent être applicables dans diverses situations. De plus, ceci devra être appliqué dans des situations réalistes à l’entrainement.

La condition physique est bien sûr primordial. Attention, le « cardio » que prônent certains coachs s’avère souvent être un oreiller de paresse. En effet, l’équipe sera en grande forme, rapide et forte mais elle se cassera les dents tôt ou tard contre une équipe qui lira mieux le jeu ou s’adaptera mieux. Il est important d’équilibrer la tête et les jambes.

Finalement, la confiance en soi et en ses partenaires est le dernier élément à développer. L’entraîneur aura un rôle primordial de gestion pour faire en sorte que les joueurs collaborent. L’entraineur devra également être un enseignant capable de voir les forces et les faiblesses individuelles de chacun et d’y remédier.

Si ces éléments parviennent à être assemblés dans un savant dosage, il sera sans doute possible de lutter contre l’effet tunnel ou au moins d’en diminuer les effets. Finalement, le simple fait que les joueurs soient conscients de l’existence de cet effet et parviennent à l’identifier pourra également les faire franchir un pas dans leur gestion individuelle et collective de la performance.

Rédaction par Vincent Prébandier