Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir - La Recherche n°917-918, daté juillet-août 2023.
La faiblesse des pluies de l'hiver 2022-2023 a ravivé de mauvais souvenirs. Les pompiers surveillant le million d'hectares de la forêt landaise savent que les conditions sont favorables pour le retour du feu. Les images sont encore dans toutes les mémoires des torches enflammées embrasant en juillet et août 2022 les pins maritimes des communes girondines de La Teste-de-Buch et de Landiras : 40.000 hectares en cendres. Et une question existentielle : est-il bien raisonnable de continuer à produire du pin en monoculture quand le changement climatique rend les sécheresses plus longues et augmente l'inflammabilité du résineux ? Depuis 2017, plus d'un tiers du territoire français a été concerné par des mesures de restriction d'eau et depuis août 2021, seuls trois mois ont connu une pluviométrie normale, tous les autres étant déficitaires.
Pourquoi une telle virulence du feu ?
Pour éviter qu'un épisode d'incendie incontrôlable ne se reproduise, les sapeurs-pompiers de Nouvelle-Aquitaine resserrent donc leur surveillance. Mais au-delà de cet objectif, les scientifiques explorent des solutions à plus long terme. Il leur a certes d'abord fallu répondre à des questions d'urgence. Pourquoi une telle virulence du feu ? "Ce que l'on constate, c'est que les parcelles de La Teste-de-Buch étaient mal entretenues, avec des sous-bois embroussaillés de fougères et de bruyères, ce qui a donné du carburant au feu. Pour Landiras, il s'agit plutôt de plantations jeunes où les arbres n'étaient pas assez hauts pour se protéger des flammes", explique Hervé Jactel, directeur de recherche en entomologie forestière et biodiversité à l'unité de recherche Biodiversité, gènes et communautés (Biogeco, Inrae/Université de Bordeaux).
Pinus pinaster est en effet une espèce pyrophyte. Pour réduire l'impact du feu, l'arbre se débarrasse de ses branches basses au fur et à mesure de sa croissance pour conserver un houppier (les branches sommitales) peu fourni et hors d'atteinte de la combustion des végétaux proches du sol. Or, à Landiras, les pins n'avaient qu'une quinzaine d'années, soit un tiers de leur vie avant abattage ; les houppiers étaient donc en contact avec les fougères et bruyères. "Si on était dans une telle situation, c'est parce que ces zones venaient d'être replantées après les grandes tempêtes de 1999 ", poursuit Hervé Jactel. Le changement climatique a ainsi affecté le massif forestier, d'abord par une augmentation de la violence des tempêtes, ensuite par la sécheresse, et ce à trente ans d'intervalle.
Les coopératives forestières qui ont la haute main sur la gestion du plus grand massif européen de monoculture d'arbres se sont naturellement tournées vers les chercheurs pour obtenir des réponses à leurs interrogations. Le lien est ancien et institutionnel par l'intermédiaire du Groupement d'intérêt scientifique pour l'amélioration génétique et la sylviculture du pin maritime. "Les forestiers nous ont d'abord demandé une méthode pour savoir quels arbres étaient morts et devaient être abattus et ceux qui pouvaient être gardés", expose Sylvain Delzon, chercheur au Biogeco. Sans surprise, les dégâts se sont révélés moins importants sur les peuplements de plus de 20 mètres, où le feu n'a ravagé que les végétations basses. "Puis nous avons pu déterminer par la technique d'épifluorescence, qui nous indique si une cellule végétale est morte ou vivante, qu'une très faible vitalité au niveau des racines implique une survie nulle et donc l'abattage, poursuit Sylvain Delzon. Nous avons également établi qu'en dessous de 70 % de destruction des épines du houppier, l'arbre pouvait continuer à faire circuler sa sève et donc survivre. "
Au-delà de cet apport technique, le laboratoire Biogeco étudie depuis de très nombreuses années la résistance des arbres à la sécheresse. La principale menace pour ces êtres tout en longueur, c'est l'embolie. L'eau puisée dans le sol est apportée par pression jusqu'aux feuilles ou épines où se produit la photosynthèse grâce à un réseau de conduites solides formées de lignine, le xylème. Cette sève se charge ensuite en glucides diffusés dans l'arbre grâce à un réseau de tissus vivants, le phloème.
"Lors d'un épisode de sécheresse, l'arbre doit faire un arbitrage. Garder son eau implique de fermer ses stomates, les petits opercules qui permettent la captation du CO2, et dans ce cas, la photosynthèse s'arrête ", détaille Sylvain Delzon. L'arbre évite ainsi que l'eau venant à manquer dans le xylème soit remplacée par de l'air qui provoquerait l'embolie. Pour étudier ce phénomène, les chercheurs du Biogeco soumettent des branches à une centrifugeuse, ce qui permet de reconstituer les effets d'une sécheresse intense. Ces rameaux sont ensuite soumis à un examen par synchrotron pour repérer les vaisseaux touchés par l'embolie.
Une sélection génétique des pins les plus résistants
Résultat : mieux que le hêtre ou le chêne, le pin résiste bien à la sécheresse. Son aire naturelle de répartition autour du bassin méditerranéen le prédispose à pallier le manque d'eau. Si bien que les individus de l'île de Pantelleria, au large de la Sicile, se contentent de 300 millimètres de pluie par an. Mais cette résistance est-elle la même pour le pin landais ? Celui-ci est en effet issu de programmes d'amélioration génétique.
"Depuis les années 1960, on sélectionne les pins qui poussent le plus vite, ont un tronc droit plus facile à exploiter et des branches petites pour éviter les nœuds dans le bois, assure Annie Raffin, ingénieure de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Mais pour les trois générations développées (la quatrième est en cours), le caractère de résistance à la sécheresse n'a jamais été recherché. " En utilisant le cavitron, les chercheurs du Biogeco ont pu comparer les qualités des pins naturels et sélectionnés. "Leurs capacités de résistance sont les mêmes, se réjouit Sylvain Delzon. La recherche d'une croissance plus rapide a conduit à sélectionner par un heureux hasard des arbres qui avaient un système de transport de sève le plus performant." Les pins sont aujourd'hui coupés à l'âge de 45 ans, contre 60 ans au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
La hausse des températures devrait cependant amener le pin à la limite de ses capacités physiologiques. Aussi, les chercheurs préparent la plante à affronter un climat plus chaud et sec. Ils ont donc été chercher en Espagne, au Portugal et au Maroc des graines d'arbres déjà confrontés à des étés longs et caniculaires. "Deux populations, l'une en Catalogne, l'autre à Leiria au Portugal, montrent des capacités supérieures aux autres ", révèle Sylvain Delzon. En 2022, deux jeunes chercheurs, Thomas Caignard et Deborah Corso, ont ainsi planté plus de 400 pins de sept provenances différentes sur le site de l'ancien Observatoire aquitain des sciences de l'Univers à Floirac, dans la banlieue de Bordeaux, auxquels son propriétaire, l'Université de Bordeaux, cherche une nouvelle destination. "Nous allons étudier la croissance de ces pins, notamment leur système vasculaire, explique Deborah Corso. Tout le site sera d'ailleurs consacré à la réponse des arbres aux sécheresses et à leur résistance à l'embolie. " Un appareillage déjà en place sur des chênes mesure les contractions des troncs lorsqu'il fait sec, leur gonflement lorsqu'il pleut, "perceptible même sur 24 heures entre l'humidité de la nuit et l'ardeur du soleil le jour", assure Deborah Corso.
Un rôle d'atténuation du changement climatique
Ces études menées sur la "respiration" des arbres prennent un tour crucial. Les espèces invasives d'insectes comme le scolyte tuent des forêts entières à la façon d'une "tempête silencieuse" , ainsi que l'expriment les forestiers. Les sécheresses, quant à elles, épuisent les arbres et les rendent plus sensibles au feu, si bien que le puits de carbone que représentait la forêt peine à garder son rôle d'atténuation du changement climatique. Ainsi, l'arbre a une vie longue qui lui donne une place singulière dans le temps climatique. Les pins plantés aujourd'hui en Aquitaine seront récoltés autour de 2070, sous un climat plus chaud de 2 à 3 °C. Ils seront alors plus exposés aux incendies et aux tempêtes. Les feux de Landiras de 2022 doivent donc être considérés comme de sévères avertissements.
Un méditerranéen adapté aux Landes
Le pin maritime est présent dans les Landes depuis la fin de l'ère glaciaire, il y a 20.000 ans. Occupant seulement le pourtour méditerranéen sur toute la surface du globe, l'arbre est remonté peu à peu vers le nord avec le réchauffement des températures. La Gironde constitue la limite nord de son aire de répartition, d'où sa capacité à s'adapter à des températures plus élevées. C'est au 19e siècle que sa monoculture s'est imposée sur des landes marécageuses autrefois dévolues à l'élevage.