BLACK SWAN. Pendant des années, les hommes ont pensé qu'un cygne noir ne pouvait pas exister. Mais au 17ème siècle, des explorateurs européens ont découvert pour la première fois de tels oiseaux en Australie, induisant ainsi un changement brutal d'opinion dans la population. En référence à cette anecdote historique, le philosophe Nassim Nicholas Taleb nomma "cygne noir" un événement statistiquement peu probable et avec de profondes conséquences sur de nombreux individus. Si normalement cette théorie est utilisée dans la finance, des chercheurs de l'Université de Washington (Etats-Unis) et de l'Université Simon Fraser (Canada) expliquent dans un article paru le 7 mars 2017 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, que des "cygnes noirs" peuvent également se produire au sein des populations animales.
Une hécatombe d'ampleur et imprévisible
Un cygne noir n'est pas vraiment un événement positif... En effet, en finance il définit généralement un effondrement bancaire et en sismologie, la métaphore est parfois utilisée pour caractériser un tremblement de terre particulièrement puissant. Ainsi, rien d'étonnant à ce que les chercheurs parlent de cygnes noirs pour la décroissance brutale d'une population animale. Dans ce cas, ces événements n'ont pas de causes internes (espérance de vie, taux de reproduction) mais sont le fruit de facteurs externes comme par exemple un changement climatique ou la présence d'agents pathogènes. Ainsi, pour les chercheurs, l'épidémie qui a ravagé la population d'antilopes Saïgas en 2015 est un exemple type de cygne noir : une hécatombe imprévisible et causée par une bactérie. Dans cette étude, les chercheurs ont mis en place un modèle mathématique permettant de détecter, d'estimer la fréquence et l'ampleur de cygnes noirs et de découvrir leurs causes chez 609 populations animales. Ils ont ainsi trouvé des cygnes noirs dans le passé d'environ 4 % d'entre elles. Les animaux les plus touchés sont les oiseaux avec 7 % des populations déjà affectées par un événement de ce type. Les mammifères sont seconds avec 5 % des populations déjà touchées par un cygne noir, suivis des moustiques avec 3 %.
Un événement négatif pour des raisons biologiques
Mais pourquoi donc un événement rare et avec de profondes conséquences ne peut-il être que néfaste ? Pourquoi, à l'inverse, ne peut-on pas découvrir la croissance rapide d'une population animale ? En raison de la "biologie", répliquent les auteurs de l'étude. Ils expliquent qu'il n'y a pas de limite à la vitesse de déclin d'une population en réponse à une catastrophe. Cependant, la croissance d'une population est restreinte par un ensemble de caractéristiques biologiques tels que l'âge de reproduction, la mortalité ou encore le nombre de naissances. Un événement de type cygne noir a donc beaucoup plus de chances d'être synonyme d'une mort massive d'animaux que d'une croissance. Trevor Branch, l'un des auteurs de l'article, explique : "Tout le monde suppose qu'une population animale a autant de chances de croître que de décliner, mais nous avons découvert que cela est faux".
Des cygnes noirs plus nombreux en raison du réchauffement climatique
La nature même de ces événements ne permet pas de les prédire et n'offre donc pas de possibilité d'y échapper mais les scientifiques déclarent que des moyens doivent être mis en œuvre afin d'éviter l'extinction des espèces qui en sont victimes. Par exemple, les auteurs de l'étude proposent de veiller à ce que les populations animales comptent toujours un nombre minimum d'individus, ce qui leur permettrait de supporter une hécatombe. De même, maintenir une certaine diversité génétique pourrait permettre d'éviter une extinction en cas de cygne noir. Des mesures d'autant plus importantes que les scientifiques s'attendent à une recrudescence du nombre d'événements de ce type en raison du réchauffement climatique. Ainsi, ils déclarent qu'"ignorer la présence de cygnes noirs peut engendrer une sous-estimation des risques d'extinction des populations animales, tout particulièrement face au changement climatique pendant lequel des événements extrêmes sont susceptibles d'augmenter en fréquence et en amplitude".