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Soudan du Sud / Politique

Roland Marchal: «La création d’un nouvel Etat s’inscrit dans le temps long»

Au Soudan du Sud, pays indépendant depuis juillet 2011, le président Salva Kiir serre la vis. Il a procédé tout à tour au limogeage de l'ensemble de son gouvernement, remerciement du vice-président Riek Machar, et du responsable du MPLS le parti au pouvoir. Pagan Amun est aussi consigné à Juba avec interdiction de parler aux médias. Un grand coup de balai qui à deux ans de la présidentielle révèle les tensions au sein même du parti. Pour en parler, Charlotte Cosset reçoit Roland Marchal chargé de recherche au CNRS, enseignant à Sciences Po Paris.

Roland Marchal.
Roland Marchal. France 24
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RFI : Roland Marchal bonjour, l’ensemble du gouvernement a été remercié en début de semaine. Le secrétaire général du parti du MPLS (Mouvement populaire de libération du Soudan) aussi. Qu’est-ce qui explique ce grand nettoyage ?

Roland Marchal : Je crois (que c’est) la lutte pour le pouvoir et l’actualité, c'est-à-dire la nécessité pour le parti dirigeant, le MPLS, de déterminer son candidat pour l'élection présidentielle. Et évidemment, le président en titre aujourd’hui, Salva Kiir, s’est rendu compte qu’il y avait de potentiels rivaux dangereux, peut-être, pour sa réélection.

Qu’est-ce qui explique que le président Salva Kiir ait autant de pouvoir ? Cela veut-il dire qu’actuellement il n’y a aucun contre-pouvoir à celui du président ?

Oui, on peut le dire comme ça. C’est une situation très compliquée parce que, je crois, il faut repartir de l’histoire. L’histoire, c’est le fait que le MPLS, qui est au pouvoir aujourd’hui comme parti, a été, dans son histoire, relativement peu une organisation politique. Donc il y a une habitude du verticalisme, de l’obéissance, c’est d’abord, et peut-être exclusivement, une organisation militaire. Ce qui fait que l’idée qu’il puisse y avoir un débat interne, l’idée que dans une situation comme celle d’aujourd’hui, plusieurs candidats, y compris des gens qui ont été proches de l’actuel président, puissent faire acte de candidature, c’est visiblement quelque chose qui révulse les plus hautes autorités du pays et ils agissent.

Evidemment, c’est très dangereux à la fois parce que ça montre que ce pouvoir n’est finalement pas grand-chose, si on le compare avec d’autres pouvoirs en Afrique, on est finalement très loin de la démocratie promise en 2005 et en 2011 ; mais ça démontre aussi que toute une série de répertoires, de mobilisations ethniques – par exemple la contradiction entre Nuers et Dinkas, les Dinkas étant le principal groupe du Sud-Soudan, les Nuers le second – ça reste, finalement, des arguments qui font partie de la lutte politique, y compris dans le gouvernement actuel. Ce qui est quand même assez détestable.

Quelles conséquences peut avoir ce grand nettoyage de Salva Kiir ? Devient-il le seul homme au pouvoir ?

Je pense qu’à l’heure actuelle, les interlocuteurs habituels du MPLS, c'est-à-dire les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, peut-être la France, très certainement les Nations unies, s’activent pour essayer de remettre de l’ordre dans ce chaos, et de trouver une sortie de cet incident qui n’humilierait personne et permettrait que les choses repartent, pour quelque temps en tout cas. Donc on peut espérer qu’il va y avoir une autre solution que, simplement, le pouvoir absolu de Salva Kiir.

Je crois que la communauté internationale essaye d’agir parce qu’elle se rend compte que, si on allait vers ce second scénario – le pouvoir absolu de Salva Kiir – on aurait, de nouveau, un scénario de division. Riek Machar n’est pas du tout un homme politique isolé, il a des soutiens très forts, à commencer par celui de son groupe ethnique, qui est présent dans l’armée, qui est présent à Juba aussi. Et là on aurait une véritable fracture, qui serait à la fois synonyme de combats à l’intérieur de l’armée, des organes de sécurité, mais également, qui toucherait la population. Et je crois que cette population a assez souffert, elle voudrait peut-être simplement avoir la paix, faute d’avoir l’argent du pétrole, puisque celui-ci reste quand même partagé, fondamentalement, au sein des élites dirigeantes.

Nous sommes deux ans après l’indépendance du Soudan, est-ce que vous considérez que c’est une faille du processus politique et de la création du Soudan du Sud ?

Non. Si vous voulez, la création d’un nouvel Etat s’inscrit dans le temps long. Donc la description qu’on peut faire de la situation sociale, politique et économique au Soudan du Sud, elle est assez calamiteuse. Mais ça n’enlève rien au fait que, dans 10 ans, 50 ans ou 100 ans, on aura peut-être des leaders éclairés, des démocrates sincères, qui essayeront de remplir leurs mandats avec la meilleure foi, et peut-être avec un sens des responsabilités plus grand qu’aujourd’hui.

Sur le court terme, ce qu’on voit, c’est que la communauté internationale s’est un peu fait piéger par ses bons sentiments. C'est-à-dire qu’on a pensé finalement que l’indépendance était la seule solution puisque Khartoum ne se conduisait pas le mieux possible, et on ne s’est pas rendu compte que, peut-être, en donnant l’impression aux dirigeants du MPLS, en les reconnaissant comme victimes de l’histoire, on leur donnait un blanc-seing pour agir. Et pas pour agir simplement vis-à-vis de Khartoum, ce qu’ils font de façon relativement irresponsable de temps en temps, mais également, vis-à-vis de leur propre population. Et là, c’est assez terrible parce qu’il y a beaucoup plus de gens qui meurent au Soudan du Sud qu’ailleurs, dans ce qui était le Soudan du Nord, soumis à un régime très dur.

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