Nancy : la villa Majorelle, retrouve toute son authenticité

Le Républicain Lorrain - 07 févr. 2020 à 05:00 - Temps de lecture :
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Par Valérie Susset

Les fantômes sont venus à la rescousse. Ceux de la volute des luminaires d’époque, qui s’étaient imprimés sous les plafonds de la salle à manger, ont permis d’en restituer la forme exacte avant de les faire refaire et de les replacer. La tonalité d’origine des murs a été retrouvée grâce à un microscopique morceau de papier peint extirpé à la pince à épiler d’une boiserie. Les sondages du ferronnier sur la somptueuse porte du vestibule en ont révélé l’étamage sous la peinture, cette humble technique d’application d’une couche d’étain qui servait tout aussi bien à fabriquer des arrosoirs ! « Avant de faire les travaux, nous avons effectué d’innombrables sondages pendant un an pour compenser le peu d’archives dont nous disposions », explique Camille Gerome-André, architecte du patrimoine de l’atelier Grégoire André en charge de la campagne de restauration. Après mûre réflexion, il a en effet été décidé par le comité scientifique de restituer à la villa Majorelle, première maison entièrement Art nouveau de Nancy, son état de 1926. L’année où Louis Majorelle, né à Toul en 1859, s’y est éteint dans la chambre à coucher. Sans toutefois nier ses apports personnels, comme la baie menuisée par laquelle il avait décidé vers 1907 de fermer la terrasse que l’architecte, sous-estimant sans doute la rigueur du climat, avait imaginée ouverte sur le jardin…

Ainsi l’émotion est-elle à son comble dès que l’on pousse les grilles simplement martelées de gris et ornées de Monnaie-du-Pape. Identiques désormais à celles que poussaient Jeanne et Louis Majorelle, leur fils Jacques ou leurs invités. Non seulement on se retrouve de plain-pied dans l’ambiance domestique de l’époque, mais en plus on plonge en art total. Car la maison est conçue comme un ensemble, dont chaque élément qui compose sa structure et son décor a été imaginé en étroite interdépendance avec le reste de l’édifice. La fluidité des formes et des motifs décoratifs, le jeu continu de l’articulation entre extérieur et intérieur font de la villa Majorelle un exemple d’application de la notion d’unité de l’art. « Au vu des techniques employées, aussi courantes qu’économiques, comme l’étamage ou les pochoirs, on est parfaitement dans l’esprit prôné par le mouvement Art nouveau, qui revendiquait l’art dans tout et pour tous », rappelle Valérie Thomas, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du musée de l’École de Nancy et de la villa Majorelle.

« Sa maison était un vrai support de création avec des mises en œuvres très innovantes »

Le musée de l’Ecole de Nancy n’avait pas manqué d’acquérir en 1984 le mobilier de la chambre à coucher provenant de la villa, puis en 1996, celui de la salle à manger. Et les photos de famille ont achevé de permettre un réaménagement complet de l’espace sur la base d’une rigoureuse sélection d’objets au sein de ses collections. Des œuvres conçues par Louis Majorelle et d’autres, réalisées par des manufactures avec lesquelles il a collaboré : Daum, Keller et Guérin, Rambervillers ou les Frères Mougin. Car cette exceptionnelle maison avait été commandée en 1898 par Louis Majorelle au jeune Henri Sauvage (1873-1932), qui allait devenir l’un des pionniers de l’architecture du XXe  siècle, aussi bien pour en faire son domicile familial que son emblème commercial. Son atelier était en effet à quelques mètres, au fond du parc immense qui cernait alors la bâtisse. Des dessins de meubles retrouvés sous le papier peint des murs témoignent d’ailleurs du talent de décorateur ensemblier de Louis Majorelle. « Sa maison était un vrai support de création avec des mises en œuvres très innovantes », relève Camille Gerome-André. Si la villa Majorelle est l’une des rares maisons École de Nancy à ne pas avoir été trop modifiée pendant la longue période de désaffection de l’Art nouveau, c’est qu’elle a eu la chance d’être dévolue à des services administratifs jusqu’en 2017, dès qu’elle a été vendue par Jacques Majorelle au ministère des Ponts et Chaussées après la mort de son père. Des particuliers en auraient évidemment fait un domicile plus fonctionnel, adapté aux goûts et au confort de chaque époque… Classée monument historique en 1996, la villa Majorelle est propriété de la Ville de Nancy depuis 2003.

Certes, les boiseries et les peintures murales ont beaucoup souffert de la chaleur excessive qui régnait dans les bureaux. Certes, le bow-window qui avait été créé sur la terrasse pour agrandir l’espace intérieur gâchait le spectaculaire garde-corps en gré émaillé, et le fantôme en restera sur le mur « pour n’oublier aucun passé », précise Camille Gerome-André. Mais après ces nouveaux travaux de rénovation, la villa éMajorelle, d’abord pensée pour ses habitants et leur confort quotidien, a pu retrouver toute son authenticit. Et réserve donc beaucoup de surprises à l’occasion de sa réouverture, même à ceux qui l’avaient visitée en 2017 à l’issue d’une première phase de travaux de rénovation intérieure. Une ultime intervention prévue en 2021-2022, qui ne nécessitera pas de fermeture au public, permettra de faire aboutir le projet, avec, en particulier, la création d’espaces pédagogiques et d’interprétation.