Parcours Derrière le masque

Les paroles de Poker face, son plus gros tube, donnent le ton. Personne ne peut deviner qui est Lady gaga. La journaliste, originaire de Saint-Avold, Marielle Cro tente de percer le mystère.
par Claire PIERETTI - 20 mars 2011 à 05:00 - Temps de lecture :
Stefani Germanotta, alias  Lady Gaga, possède au plus haut point l’art de faire parler de soi.  Photo AFP
Stefani Germanotta, alias Lady Gaga, possède au plus haut point l’art de faire parler de soi. Photo AFP

N ew-York, l’été. Une soirée chaude et moite. Le Bitter End, club ultra-populaire de Greenwich Village, est bondé. Sur la scène minuscule, plusieurs jeunes artistes se relaient sous l’attention molle du public. Dans une arrière-salle, pas une loge, juste un endroit éclairé au néon, une jeune femme aux longs cheveux bruns, vêtue de noir, essaie d’ignorer son stress en faisant des exercices vocaux. Elle se lève, se rassoit, s’approche du miroir douteux pour rosir ses joues et rougir sa bouche. Son mascara coule. De trop longues minutes s’écoulent avant qu’on ne l’appelle. A son tour de monter sur scène. Les premières notes sortent du synthé. Stefani, 18 ans, fait entendre sa voix, puissante, sûre, comme s’il s’agissait de l’ultime fois. Elle enrage de passer inaperçue. L’ego écorché, elle arrête, et retire son corset. Silence. Elle reprend, le brouhaha revient aussi. Alors elle fait glisser la fermeture de sa jupe. La salle se tait. La jeune femme de Manhattan vient de comprendre que pour être écoutée, il faut provoquer. Le phénomène Lady Gaga est né.

Marielle Cro raconte cette éclosion dans Lady Gaga, naissance d’une idole. «  J’avais déjà suivi plusieurs artistes, notamment Sanseverino et Claude Montana, le créateur de mode, explique cette journaliste – parisienne, mais originaire de Saint-Avold – spécialisée dans la presse people et féminine. Quand un éditeur m’a demandé de décrypter l’arrivée de Lady Gaga sur le devant de la scène, cela m’a interpellée. Comment a-t-elle fait pour s’imposer partout dans le monde en si peu de temps ? Alors j’ai dit oui. »

Quelques chiffres résument cette notoriété : Lady Gaga a écoulé à travers le monde 11,5 millions d’exemplaires de ses deux albums, The Fame et The Fame monster et 40 millions de singles. L’ensemble de ses clips a été visionné plus d’un milliard de fois. En trois ans seulement, une tornade blonde aux tenues extravagantes a pris la tête des charts avec ses tubes dance-pop aux paroles faciles qui mettent en avant le plaisir de s’amuser et l’affirmation de soi. Genèse d’une star, qui est même devenue un sujet d’étude, à l’université de Caroline du Sud.

Stefani Germanotta de son vrai nom est issue du quartier aisé de l’Upper West Side. Ses parents ont fait fortune dans les télécommunications. L’éducation est surveillée, studieuse. Inscription au Couvent du Sacré-Cœur, une école huppée pour filles (Nikki de Saint-Phalle en a aussi connu les bancs), où le port du chemisier blanc est obligatoire. Ses moments de détente, elle les passe au piano à réviser ses gammes. Elle peut reproduire une partition à l’oreille. Le dimanche, après le plat de pâtes, on écoute les Stones, les Beatles. Du jazz aussi. À 17 ans, elle rejoint la Tisch School of Art, célèbre pour avoir formé de nombreux cinéastes tels Woody Allen et Martin Scorsese, et se forme à la comédie grâce à la méthode Strasberg. «  C’est ce qui la différencie de ses consœurs Britney Spears ou Rihanna. Toute sa scolarité lui a forgé une culture solide, estime Marielle Cro. Elle ne jure que par Andy Warhol, elle a lu tous les ouvrages le concernant, et connaît le Bauhaus. Le collectif de designers qui crée ses looks ahurissants, regroupé sous l’appellation Haus of Gaga, en est la preuve. »

Au matin de ses 18 ans, sa décision est prise : fini l’école, place à la musique. Son père lui propose un marché. Il lui paiera le loyer de son studio dans le Lower East Side pendant un an, le temps qu’elle signe un contrat avec une maison de disques. Si elle échoue, elle retourne à ses études. Lady Gaga frappe aux portes. Dans son sac, quelques maquettes et la certitude de son succès. En septembre 2006, elle signe avec la maison de disques Def Jam, spécialisée dans le hip hop. Un album est enregistré. Un sentiment d’accomplissement l’envahit, il sera de courte durée. Rihanna vient de sortir Umbrella et décroche son statut de star internationale. Def Jam rompt le contrat de Lady Gaga. La New-Yorkaise, vexée, rachète ses enregistrements avec une partie de son avance. Le reste servira à remplir son nez de cocaïne. Elle en profite aussi pour se faire tatouer en allemand quelques vers des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke.

Quelques mois plus tard, elle croise la route de Lady Starlight, une chanteuse aussi délurée qu’elle. Ensemble, elles écument les festivals en multipliant les extravagances scéniques. Une série de photos où elles singent des positions sexuelles va vite circuler sur le net. Lady Gaga poursuit sa construction. «  Elle a été nourrie au puritanisme américain. Elle sait exactement ce qui choque et s’en amuse. Son univers tourne autour du sexe et du sang. Du handicap aussi, ce qu’on peut voir notamment dans le clip de Paparazzi où elle évolue à l’aide de béquilles. Elle cherche à exorciser ses peurs de cette façon. »

Le concept Lady Gaga est désormais prêt. Cette fois, c’est RedOne qu’on lui présente, célèbre collaborateur du rappeur Akon. Ils écrivent Just dance en dix minutes, lui demandent de se teindre en blonde pour ne pas être confondue avec Amy Winehouse. C’est le carton. Poker face et Love game viendront confirmer quelques mois plus tard. The fame, son premier album, s’arrache partout dans le monde. Elle séduit aussi bien le public populaire que les critiques pointus de Rolling Stone, qui lui consacrent une interview fleuve de six pages dans leur magazine. «  Elle a l’œil à tout. Rien de ce qu’elle dit ou fait n’est laissé au hasard. Quand elle se produit au Royaume-Uni, elle multiplie les effets visuels, les décors. Au contraire, lors de son passage à Taratata , elle est arrivée, très sobre, avec une prestation piano-voix. Elle sait ce qui plaît et s’y plie, mais de son plein gré, personne ne lui dicte sa conduite. »

De son arrivée, vêtue de rumsteacks, aux MTV vidéo music awards en déclarations fracassantes, Lady Gaga sait comment faire couler l’encre. «  Elle énerve déjà, elle finira sûrement par lasser à force d’aller toujours plus loin. Mais elle a travaillé sur tous les moyens d’expression, du théâtre à la réalisation. Elle a des atouts pour rebondir. Je suis sûre qu’un jour, on ne se souviendra plus de ses chansons mais son nom, lui, restera. »

Lady Gaga, naissance d’une idole,

de Marielle Cro (Leduc.s Edition).