« A Cappella » est le titre du dernier livre de Philippe Vasset, un ouvrage aux accents autobiographiques qui sonde son rapport personnel à la voix, depuis l’expérience des chœurs dans le Cantique de Jean Racine de Fauré, jusqu’à l’écoute obsessionnelle de la voix de Roland Barthes parlant de… voix.
Lecture
Extrait de A Cappella de Philippe Vasset
Or la voix qui chante s’adresse à tous, c’est-à-dire à personne.
Elle ne parle pas, elle éparpille, nuage d’explosion ou frange de jet d’eau.
Écouter ses albums, c’était dérouler le film d’une vie parallèle : sa voix de chanteuse n’avait ni agenda ni amis, elle ne répondait pas à l’interphone et ne laissait pas de message sur mon répondeur.
Cette séparation des espaces résonnants est, quand on y réfléchit, évidente : il n’y a que Mary Poppins pour chanter toute la journée.
Pourtant on préfère l’ignorer, envisageant les chanteurs sous un régime d’exception, leur prêtant une vie de spécimen, tout entière façonnée par leurs attributs.
Dans la cohue d’un entracte, j’ai un jour entendu deux amateurs d’opéra qui, insensibles à la foule se pressant autour d’eux, partageaient les fantasmes que leur inspirait l’interprète du rôle titre, et notamment celui, longuement ressassé, de l’entendre, au plus fort des transports, jouir en trille de contre-ut, ces mêmes trilles qu’elle venait de proférer dans la salle et que mes deux mélomanes libidineux s’imaginaient pouvoir déclencher en chambre.
Comme si l’opéra n’était, finalement, qu’un spectacle pornographique, et ceux qui le pratiquent, des monstres de foire, esclaves de leurs luettes disproportionnées. C’était plutôt pathétique, mais somme toute pas très étonnant : le spectacle lyrique n’est-il pas tout entier construit sur ce mythe ?
Dans l’opéra, tout, indifféremment, se chante, l’amour aussi bien que les tâches domestiques, et on imagine aisément les aficionados se persuader que le chant est, non pas une performance, mais un plan parallèle, une dimension où des êtres hybrides, encombrés de leurs appendices, vocalisent sans même s’en rendre compte.
Je me souviens d’avoir vu, aux États-Unis, une publicité où le caverneux crooner Barry White était surpris chez lui par un coup de téléphone. Depuis son canapé de cuir blanc, il attrapait le combiné et bourdonnait : « White residence. » À l’autre bout du fil, une femme se figeait de surprise en reconnaissant le timbre inimitable de l’interprète de « Let the Music Play ».
Alors White, câlin, l’entreprenait de sa sourdine : « Talk to me baby. » L’interlocutrice s’évanouissait aussi sec. J’aurais, pour ma part, volontiers perdu mes moyens, et pourquoi pas ma connaissance, mais personne ne m’appelait, elle moins qu’un autre, et je me consolais en écoutant ses albums, rêvant de sa voix délivrée de la glace de l’enregistrement et s’animant, souple et vive.
Programmation musicale
Henry Purcell : Didon et Enee :
- Prélude des sorcières / Wayward sisters (Acte II, scène 1 - Duo La magicienne et 1ère sorcière)
- Harm's our delight (Acte II, scène 1 – Chœur)
- The queen of Carthage (Acte II, scène 1 - Récitatif de la magicienne)
- Ho, ho, ho ... (Acte II, scène 1 – Chœur)
Cappella Mediterranea dirigée par Leonardo García Alarcón
Ambronay AMY022
Missa de Nativitate Jesu Christi - Introitus cum tropis ''Quam queritis in praesepe / Puer natus est''
Ensemble Organum
CD Le règne du chant Grégorien
Gabriel Fauré : Cantique de Jean Racine
Vincent Warnier, orgue
Maîtrise de Radio France dirigée par Sofi Jeannin
Alpha Classics 253849
Enfant, je ne pouvais pas écouter le "Cantique de Jean Racine" sans pleurer, ce qui provoquait une grande honte … Je savais exactement à quelle mesure les larmes me montaient aux yeux. C’était la première chanson qui provoquait cet effet en moi.- Philippe Vasset
Clément Janequin : Voulez ouyr
Ensemble Clément Janequin
Harmonia Mundi HMC 901 072
Je suis fou de ce morceau. A mon ado une personne me parle des cris de Paris. Brusquement deux parties de moi-même se sont réconciliées. J’ai donc écouté tout Janequin, La Bataille. - Philippe Vasset
Josquin des Prés : Plusieurs regretz - pour haute-contre baryton et violes
Dominique Visse, haute-contre
Ensemble Clément Janequin
Harmonia Mundi 901279
Je pense que la voix de tête est éloignée de l’enfance, pour moi ce sont des voix d’adulte. J’adore la voix de Dominique Visse et j’ai longtemps cru que c’était une femme !
Quand je l’ai vu en concert j’ai compris que j’avais un peu de sable dans les oreilles.
J’ai une passion pour cette voix que je trouve incroyable… - Philippe Vasset
Claudio Monteverdi : Vespro della Beata Vergine :
- Diffusa est gratia (antienne)
- Nigra sum
La Tempête dirigée par Simon Pierre Bestion dirigée par Eugénie de Mey
Alpha 336851
Billy May / Moises Vivanco : Taki Rari
Yma Sumac, chant
EMI 4832692
J’ai une passions faussement exotique des musiques des années 50. On refaisait des remastering de musique classique et Yma Sumac a une technique vocale incroyable…- Philippe Vasset
Ziad Rahbani : Li Beirut
Fairouz, chant
Arrangements : Rahbani Brothers
Relax International REL 505
Fairouz est l’anti-Yma Sumac. Tout est millimétré sur scène : elle ne sourit jamais, tout pourrait sembler ridicule mais pour moi le beau est souvent ridicule, par exemple dans la musique baroque ou il y a trop de fioritures et d’ornementations.
Ça croule sous son propre poids et on entend la beauté craquer. - Philippe Vasset
Archive INA – Atelier de création radiophonique (1977) par Roland Barthes
Chanson : Gabriel Fauré : la lune blanche luit dans les bois extrait de la bonne chanson opus 61 n°1
Henri Duparc : L'invitation au voyage
Charles Panzera, baryton
Madelein Panzera-Baillot, piano
LYS 003/4
Notre propre voix en général nous terrifie.
C’est au-delà de la répulsion, c’est une gêne, je pense que c’est de cela dont Roland Barthes parle quand il parle des voix neutres.
C’est toute une éducation que d’entendre notre propre voix. - Philippe Vasset
Meredith Monk : Memory song
Meredith Monk et Vocal Ensemble
Bang on a can all-stars Ensemble
Cantaloupe CA21153
Philip Glass : Koyaanisqatsi
Albert de Ruiter, basse
Ensemble Philip Glass
Nonesuch 7559-79660-2/1
J’ai énormément de mal à aimer l’opéra mais j’ai vraiment aimé Einstein on the beach, Akhenaton et Nixon in China.
Tous les 6 mois, je vais à l’opéra en me disant : cette fois c’est la bonne ! … mais il y a toujours quelque chose qui ne marche pas. - Philippe Vasset
Patrick Modiano / Hugues de Courson : Étonnez-moi, Benoît… !
Françoise Hardy, chant
Virgin 8406382
Actualité de Philippe Vasset
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