Mazarine Pingeot nous apprend à vivre sans

La journaliste, écrivaine et philosophe Mazarine Pingeot, 2018 ©AFP - XAVIER LEOTY
La journaliste, écrivaine et philosophe Mazarine Pingeot, 2018 ©AFP - XAVIER LEOTY
La journaliste, écrivaine et philosophe Mazarine Pingeot, 2018 ©AFP - XAVIER LEOTY
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Mazarine Pingeot s'inquiète du manque qui envahi notre société dans un nouvel essai, "Vivre sans - Une philosophie du manque" (Flammarion). Elle livre aussi un pièce, co-écrite avec Léonie Pingeot, pour combler notre manque de Gréco.

Avec

Mazarine Pingeot est autrice de romans et d'essais philosophiques. Elle vient d'écrire sa première pièce de théâtre sur Juliette Gréco et de publier le livre Vivre sans, une philosophie du manque (Climats, Flammarion).

Le manque est au cœur des relations humaines et de la pensée et il n'est pourtant pas si simple de le définir. Dans son nouvel essai, Mazarine Pingeot planche sur cette notion, portant sa réflexion de la notion marketing du "sans" au manque philosophique. C'est aussi à une grande icône, qui nous manque : Juliette Gréco, à laquelle elle s'attaque avec sa cousine Léonie Pingeot dans une pièce qu'elles ont co-écrite et qui se jouera au Théâtre du Rond-Point du 31 janvier au 10 février.

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Dans un dialogue entre ses deux œuvres, Mazarine Pingeot s'interroge sur le manque et le mystère en prenant appui sur la figure de Juliette Gréco, qui hante Saint-Germain-des-Prés.

Le manque, une philosophie

Quel manque définit Mazarine Pingeot ? "C'est un manque dans le sens où on n'a pas une identité fixe, pleine, où on est toujours différent de soi-même, etc. Et c'est dans cet écart à soi-même que d'une certaine manière se loge le désir, la création, les rencontres."

La réflexion de cet essai philosophique est partie d'une méditation au supermarché. Pourquoi et comment le manque et le "sans" sont devenus un argument marketing ? Le sans gluten, le sans sulfites, etc. Et qu'est-ce que ça veut dire sur notre rapport au manque ?

Dans son dernier livre Vivre sans, une philosophie du manque, elle s'inquiète de notre tendance générale, que ce soit via la science, le fondamentalisme et même dans le marketing, à vouloir combler le manque, à vouloir qu'il disparaisse. Elle part d'un présupposé qui dit que l'homme est défini par le manque.

Mazarine Pingeot : "Par définition, l'homme est dépendant. Déjà, lorsqu'il naît, le nourrisson a besoin de sa mère ou a besoin d'un adulte pour survivre. Et donc c'est une première chose. Il naît dans le manque et en même temps, ce manque va devoir se symboliser. Parce qu'une fois que le besoin est satisfait, ça ne suffit pas. Dans la demande du nourrisson, il y a quelque chose d'autre, il y a un appel, il y a une demande de reconnaissance d'être, de reconnaissance d'existence. Donc, en réalité, ce manque va être symbolisé dans le langage. Et donc nous sommes tous des êtres de langage. Et le langage, qu'est-ce que c'est, sinon combler un manque ? Et donc par le langage, on essaye de produire du sens. On a besoin de produire du sens, précisément parce qu'il n'est pas donné et donc c'est dans ce cheminement en creux, dans cette espèce de béance, de faille, qu'il me semble qu'on peut trouver des choses intéressantes à vivre, et non pas dans des réponses toutes faites à des questions qui ont déjà été posées."

Faut-il combler le manque ?

Pour Mazarine Pingeot, on n'a pas besoin d'être super riche pour être dans un fantasme d'abondance : "La réponse économique qui est celle du capitalisme, c'est celle de la consommation. Et ça, il n'y a pas que les super riches, parce que les classes moyennes ont été abreuvées, en tout cas pendant les 30 Glorieuses, de cet idéal de vie. Maintenant, on en revient parce qu'on voit bien quelles sont les limites de ce système économique. Mais il n'empêche qu'il y a cette idée que des objets peuvent combler un manque. Je pense que des idées peuvent déjà beaucoup plus facilement combler un manque. Après l'idée, ce n'est pas forcément de combler le manque, mais au contraire de le nourrir. Plus on creuse les questions, plus on nourrit le manque et plus il s'ouvre à une dimension qui est justement celle de la recherche des idées, de la création peut-être."

Pour l'invitée, le manque est annulé momentanément par la consommation, quelle qu'elle soit - de choses, de nourriture, de sexe, etc. Mais il renaît nécessairement de ses cendres. Quand le manque est orienté non pas vers l'objet, mais vers la raison pour laquelle il est, c'est-à-dire cette faille existentielle, alors oui, pour elle, il peut peut-être être alimenté.

Une pièce sur Juliette Gréco

À partir du 31 janvier, se jouera au Théâtre du Rond-Point à Paris, la première pièce de théâtre que Mazarine Pingeot a écrite, en collaboration avec sa cousine Léonie Pingeot. Ça s'appelle "Je suis Gréco". C'est sa cousine Mazarine Pingeot qui a eu l'idée de cette pièce. Elle voyait au départ Juliette Gréco seulement comme la muse de Saint-Germain-des-Prés, enfermée dans cette image, mais elle a découvert un personnage fascinant.

Mazarine Pingeot : "Ce qui nous a passionné, c'est que c'est une femme à la fois d'une liberté extraordinaire et qui est drôle, qui a un langage d'une précision hallucinante. Je ne sais pas si c'était une bonne cliente pour la radio parce qu'elle était capable de grand silence. Et puis tout à coup, d'avoir une pique extrêmement ciselée, un langage comme seuls l'ont ceux qui n'ont pas parlé. C'est quelqu'un qui est resté mutique très très longtemps. Elle raconte que c'est Boris Vian qui l'a sortie de son silence et aussi la chanson. C'est par la chanson qu'elle est arrivée au langage. Donc on entend bien le silence derrière le choix de chacun de ses mots."

Par ailleurs, ce qui intéressait les deux autrices, c'était aussi que Juliette Gréco est une interprète et donc elle est toujours précédée par une image qui est à la fois elle mais pas elle, ce qui peut l'enfermer. Elle a besoin de cette reconnaissance de son public et en même temps, elle est sans cesse enfermée dans le regard des autres. Comment échapper à la fois au regard des autres tout en en ayant toujours besoin ? Le spectacle est donc fragmenté, éclaté sur la question de l'identité justement, l'impossible assignation à une identité.

-> Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

La Bande originale
1h 16
52 min

-> Question du jour : les murs gardent-ils la trace de nos existences ?

En écho à la marque laissée par Juliette Gréco dans nos esprits que sert de matière à la pièce écrite par Mazarine et Léonie Pingeot, nous nous intéressons aux lieux qui sont imprégnés de son histoire.

Ecrivaine, Charlotte Saliou est aussi réceptionniste à l’hôtel La Louisiane de Saint-Germain-des-Prés, qui était fréquenté par nombre d'artistes qui ont fait l'effervescence du quartier, de Rimbaud à Verlaine, en passant par Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jim Morrison... et Juliette Gréco qui y a même habité.

Charlotte Saliou a publié en avril dernier son premier roman “Le Refuge des étoiles” chez Blacklephant dans lequel elle consacre un chapitre à celle qu'elle appelle "l'oisillon Juliette", qui habitait dans la chambre 10, la seule avec une baignoire, où elle a vécu sa romance avec le trompettiste Miles Davis.

Qui êtes-vous Juliette Gréco ? C'est la question qui pose Mazarine Pingeot dans sa pièce. Arpenter les couloirs de l'hôtel La Louisiane nous apportera peut-être des éléments de réponse, si le lieu est toujours imprégné de ses visiteurs mythiques qui lui ont donné son éclat.

Programmation musicale :

  • BONNIE BANANE - Franchement
  • SUFJAN STEVENS - Will Anybody ever Love Me?
  • MICHEL BERGER - Mon Piano Danse

L'équipe

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