Catherine Clément : "Je ne supporte plus cette atmosphère de dénonciation, même pour une bonne cause"

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Catherine Clément : "Je ne supporte plus cette atmosphère de dénonciation, même pour une bonne cause"

La philosophe Catherine Clément s'insurge contre un climat de délation
La philosophe Catherine Clément s'insurge contre un climat de délation
© Getty - Jean-Marc ZAORSKI

"Lorsque le 'Name and Shame' s’applique à des personnes individuelles, je suis prise d’une frayeur incontrôlable venue des années 1940". Invitée d'Augustin Trapenard dans l'émission "Boomerang", la philosophe a lu un texte personnel très fort sur la délation - quelle qu'elle soit.

Catherine Clément : 

"Mes grand-parents juifs ont été dénoncés en avril 1944 par un bedeau et un chevrier français. Georges et Sipa suivirent le chemin Drancy-Auschwitz, ils moururent au mois de mai, aussi vite que possible, j ‘ai calculé environ vingt minutes. 

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Ma mère, pharmacien à Paris, fut dénoncée en 1944 par la pharmacie d’à côté pour collaboration avec l’ennemi. C’était parfaitement vrai. Le médecin des services secrets allemands la prévenait chaque fois qu’elle allait être arrêtée par la Gestapo - après la Libération, la pharmacie d’à côté considéra cette dizaine de sauvetage comme une faveur ! Mais non. Ce médecin de l’Abwehr était un allemand et un Juste, avec une majuscule.  

Pendant le confinement, au printemps dernier, en Anjou, mon frère fut dénoncé par une lettre envoyée à la mairie parce qu’il avait fait 1 km hors de son périmètre légal. 

Les Français, il faut dire, ont la passion de la dénonciation. 

À réécouter : "Délation"
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C’est pourquoi j’ai toujours un frisson dans le dos quand je vois se mettre en marche la mécanique américaine du Name and Shame, nommer et faire honte à celui, ou celle que l’on veut dégommer. Oui, je sais que c’est bien quand il s’agit d’une firme, d’une entreprise ou d’un fabricant que l’on veut critiquer. D’accord. 

Mais lorsque Name and Shame s’applique à des personnes individuelles, je suis prise d’une frayeur incontrôlable venue des années 1940. Et puis, en écrivant ce livre sur les sorcières, j’ai vu (les archives en témoignent) qu’une femme supposée sorcière était toujours dénoncée par un voisin. Ou une voisine. Ou une sœur du même couvent. Ou un prêtre. Nous ne sommes plus au XVIIe siècle et les bûchers sont bien éteints. Je ne supporte plus cette atmosphère de dénonciation, même pour une bonne cause. Mais je sais bien qu’elle a souvent pour but de protéger les femmes des agressions masculines. Cela ne me console pas. Cela reste une parole de dénonciation. 

J’ai été prudente, vous voyez, j’ai employé le mot « dénonciation ». Mais le vrai mot est « délation » et ça, non merci. Sans moi."

ECOUTER | Boomerang avec Catherine Clément 

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