Rembrandt se raconte dans ses multiples autoportraits

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Rembrandt se raconte dans ses multiples autoportraits

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L'Autoportrait, coiffé d’une collerette et d’un chapeau noir de Rembrandt signé et daté de 1632 n'a été authentifié qu'en 1996. Il a été vendu ce mardi soir à Londres par Sotheby's 14,5 millions de livres (16 millions d'euros).
L'Autoportrait, coiffé d’une collerette et d’un chapeau noir de Rembrandt signé et daté de 1632 n'a été authentifié qu'en 1996. Il a été vendu ce mardi soir à Londres par Sotheby's 14,5 millions de livres (16 millions d'euros).
© AFP - Stringer / Sotheby's

Le maître néerlandais Rembrandt n’a jamais cessé de se peindre lui-même. Sur la centaine d’autoportraits peints, gravés ou dessinés en l’espace de quarante ans, trois seulement sont entre les mains aujourd’hui de particuliers. L'un d’entre eux a été vendu chez Sotheby’s ce mardi à Londres.

Né à Leyde et mort à Amsterdam le 4 octobre 1669, Rembrandt van Rijn, l'un des plus importants peintres de l'École hollandaise du XVIIe siècle, a réalisé plusieurs centaines de tableaux, gravures et dessins, en utilisant et en perfectionnant la technique du clair-obscur inspirée du Caravage.

Connu pour la matérialité de sa peinture et son style rugueux, le maître flamand montre, dans des scènes intenses et vivantes, la compassion et l'humanité, à travers ses personnages, parfois indigents ou usés par l'âge.  

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L’autoportrait tient une place majeure dans son œuvre. Coiffé d’un béret, d’une toque ou d’un turban, il apparaît en prince, en mendiant, en apôtre ou en soldat. Tout au long de sa vie, Rembrandt interroge son miroir, pour tenter de trouver la justesse d’expressions ou de sentiments. 

Cette monomanie lui permet aussi de se faire connaître davantage, de "se vendre" ou d'affirmer le prestige de sa profession. 

Un des trois autoportraits encore détenus par des particuliers et qui a été vendu ce mardi soir à Londres par Sotheby’s 14,5 millions de livres (16 millions d'euros), _Autoportrait, coiffé d’une collerette et d’un chapeau noir__,_ a été réalisé par le peintre, dans sa jeunesse, pour séduire la bourgeoisie d’Amsterdam. La maison de vente précise que le précédent record pour un autoportrait de l'artiste date de 2003, pour 6,9 millions de livres.

Un des premiers autoportraits de Rembrandt, "Autoportrait aux yeux hagards" réalisé en 1630.
Un des premiers autoportraits de Rembrandt, "Autoportrait aux yeux hagards" réalisé en 1630.
© Getty - Ashmolean Museum of Art and Archaeology

Un des derniers autoportraits de Rembrandt en mains privées

La quasi-totalité des autoportraits de Rembrandt sont aujourd’hui conservés dans les musées.  

Un des trois encore détenus par des particuliers a été vendu en 2003, un autre fait l’objet d’un prêt à long terme à la National Gallery of Scotland, et Autoportrait, coiffé d’une collerette et d’un chapeau noir, mis aux enchères chez Sotheby’s à Londres, est une œuvre de jeunesse.   

Cette toile de 15 cm sur 20 cm, signée et datée de 1632, représente le grand maître flamand à l'âge de 26 ans en tenue d'apparat, vêtu de noir avec un chapeau en feutre et une grande collerette de dentelle blanche.  

Le tableau n'a été authentifié qu'en 1996, après une analyse ayant montré qu'il avait été réalisé sur le même bois de chêne que le support d'un portrait de son ami Maurits Huygens réalisé par Rembrandt.  

Selon le coprésident du département Old Master Paintings and Drawings de Sotheby’s Worldwide, George Gordon, la tenue formelle, peu habituelle parmi ses dizaines d'autoportraits, suggère qu'il avait peut-être voulu se montrer sous son meilleur jour, en vue de courtiser sa future femme et muse Saskia et convaincre ses parents qu'il était un bon parti.  

A cette période, au début des années 1630, le jeune Rembrandt qui commence à connaître un grand succès, vient tout juste de s'établir à Amsterdam.

Le tableau a été réalisé en un temps très court, selon George Gordon, car l'arrière-plan n'avait pas encore fini de sécher lorsque l'artiste a apposé sa signature.  

D'acquéreurs en acquéreurs, Autoportrait, coiffé d’une collerette et d’un chapeau noir, dont l’actuel propriétaire se sépare_,_ selon Barnebys.fr, a été vendu pour la première fois à Paris en janvier 1891 à Henry Robert Brand, 2ᵉ vicomte Hampden et vingtième gouverneur de Nouvelle-Galles du Sud. Un descendant l'a cédé en 1970 à l’expert parisien Jacques Leegenhoek, lors d’une vacation chez Sotheby’s. L'épouse de Leegenhoek l'a ensuite revendu à un collectionneur privé, qui s’en est séparé grâce au marchand Noortman Master Paintings à Maastricht, aux Pays-Bas. Avant une dernière revente en septembre 2005. La toile était estimée ce mardi entre 13 et 18 millions d'euros.

Les Chemins de la philosophie
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Rembrandt sous toutes ses faces

L’autoportrait a été avec le portrait et les scènes bibliques, l’un des principaux thèmes de prédilection de Rembrandt, qui se peint lui-même souvent plusieurs fois par an.

Tout au long de sa vie, le génie de la peinture baroque a cherché à fixer les traits de son visage, en n’hésitant pas à se caricaturer, très jeune, dans son célèbre Autoportrait aux yeux hagards, signé en 1630, à l’âge de 24 ans. 

On peut le découvrir plus tard enroulé dans un manteau doré et paré d'une coiffure orientale surmontée d'une aigrette et dans sa vieillesse à nouveau enturbanné, mais pour cette fois dissimuler sa calvitie et les rides sur son front.

L'”Autoportrait en Apôtre Paul”, daté de 1661, appartient à une série d'autoportraits montrant le vieillissement de Rembrandt.
L'”Autoportrait en Apôtre Paul”, daté de 1661, appartient à une série d'autoportraits montrant le vieillissement de Rembrandt.
© Corbis - VCG Wilson

La centaine d’autoportraits qu'il a réalisés pendant quarante ans permet de suivre son parcours personnel. Selon George Gordon, de Sotheby’s, le visage de Rembrandt nous est immédiatement reconnaissable à chaque étape de son âge adulte, bien plus que tout autre peintre. Dans chaque autoportrait, il révèle autant de lui-même qu'il le souhaite, mais toujours dans sa maîtrise unique de la peinture.

Il ne s'agit pas en effet de voir dans les autoportraits de Rembrandt une introspection "psychanalytique" de l’artiste par lui-même, alors qu'il se transforme, se rajeunit, se vieillit... en se déguisant.

Le miroir permet d’abord au maître néerlandais de disposer d’un modèle toujours disponible et grâce auquel il peut étudier les expressions (colère, peur...) dont il a besoin dans ses grandes peintures d’histoire ou dans ses tableaux religieux.  

Le philosophe Paul Ricœur en 1994 déclarait  :

Le tableau dit autoportrait de Rembrandt, il n'est pas écrit sur le visage peint de celui dont on dit qu'il l'a peint est le même. Et d'abord, parce qu'il y a un intermédiaire aboli qui est le miroir. Le peintre se voit dans le miroir et peint ce qu'il voit dans le miroir. Si bien qu'il y a, si je peux dire, trois visages en rapport : le visage qui ne se voit pas de celui qui est en train de peindre, le visage reflété dans le miroir mais qui disparaît et le visage peint. C'est ce visage peint qui est celui sur lequel Rembrandt scrute les ravages de l'âge, de l'échec, de la misère et, par conséquent, il ne se connaît qu'à travers un miroir aboli et en se créant comme œuvre.

Pour représenter un calvaire, Rembrandt se sert de l’autoportrait pour parvenir à rendre une certaine idée de la douleur et à donner une expression la plus juste possible aux bourreaux et aux autres protagonistes de la scène. 

Le maître apparaît même directement au milieu des spectateurs de sa plus ancienne peinture connue datant de 1625 La lapidation de Saint-Etienne.

En se peignant lui-même, il cherche aussi à mettre au point des figures de caractère, les tronies (études de tête, de l'ancien français troigne) comme le mendiant, la vieille femme et le militaire... d’où les nombreux autoportraits dans lesquels Rembrandt est habillé d’un hausse-col de métal brillant. 

Le philosophe Michel Guérin estime dans Les Chemins de la philosophie, le 3 mars 2020 sur France Culture, que le réalisme est trompeur :

Rembrandt n'a pas peint dans ses autoportraits quelqu'un d'autre que lui, mais en même temps, la ressemblance avec soi est extrêmement flexible, est extrêmement variable. Il suffit de très peu de choses, d'un tout petit angle et tout change. Vous ne reconnaissez pas véritablement le sujet en question, parce que le sujet est en quelque sorte dévoré par quelque chose de plus que lui !

Dans sa longue série d'autoportraits, Rembrandt s’inspire entre autres de l’artiste phare de la Renaissance, Raphaël, après avoir vu le fameux Portrait de Baldassare Castiglione du maître italien, lors d’une vente à Amsterdam, en réalisant, à partir d’un dessin, plusieurs peintures et gravures où il prend la pose, le coude en dehors du tableau, et en troquant le chapeau contre un béret, symbolique de son personnage.

Rembrandt dans sa jeunesse aime se déguiser en guerrier ou en prince dans “Autoportrait au béret avec une plume”, tableau de 1629.
Rembrandt dans sa jeunesse aime se déguiser en guerrier ou en prince dans “Autoportrait au béret avec une plume”, tableau de 1629.
© AFP - Fine Art Images

Et pour affirmer le prestige de sa profession, Rembrandt prend régulièrement la pose, le poitrail barré d’un ou deux colliers d’or, pour s’identifier à d’autres maîtres, Titien et Van Dyck, qui s’étaient vu offrir ces mêmes bijoux par leurs mécènes royaux.

Autoportrait, coiffé d’une collerette et d’un chapeau noir, a aussi pu lui servir de "carte de visite", pour ses potentiels clients.

Lorsqu’il s’installe à Amsterdam, Rembrandt en se représentant dans la fameuse tenue noire relevé de dentelle blanche, selon la mode de l’époque, veut conquérir la clientèle bourgeoise, avide de se faire portraiturer fraise au cou. 

Et est-ce volontaire ? A force de se peindre, à la place d’autres modèles, Rembrandt fait connaître son visage, parvient à être reconnu et à se vendre. 

Ses autoportraits d’abord acquis par des amateurs sont très vite achetés aussi par de riches collectionneurs, autant fascinés par les peintures que par la personnalité artistique de leur auteur devenu célèbre. 

Il existe d’ailleurs un grand nombre de faux Rembrandt issus pourtant de son atelier, des tableaux qui ne sont pas de la main du maître, mais de ses élèves, appelés à peindre des autoportraits, pour répondre à la demande.  

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