Le Cygne Noir, une énigme de notre temps, ou la prévision prise en défaut

Cygne noir sur la rivière Yarra à Melbourne. ©Getty - © Grant Faint / The image bank
Cygne noir sur la rivière Yarra à Melbourne. ©Getty - © Grant Faint / The image bank
Cygne noir sur la rivière Yarra à Melbourne. ©Getty - © Grant Faint / The image bank
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Inventée par l'essayiste Nassim Nicholas Taleb, l'expression "Cygne Noir" est passée dans le langage courant. Plus que le seul imprévisible, elle désigne l'événement statistiquement presque impossible mais qui se produit tout de même.

Avec
  • Erwan Queinnec Enseignant-chercheur en sciences de gestion à l'université Sorbonne Paris Nord
  • Bruno Tertrais Directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique et conseiller géopolitique à l'Institut Montaigne
  • Cynthia Fleury Philosophe et psychanalyste française

Le désastre en cours est en train de transformer en objet culturel grand public cette notion jusque-là réservée aux initiés. Qu’est-ce que le cygne noir ? C’est une expression inventée par l’essayiste Nassim Nicholas Taleb qui l’illustre de la façon suivante. Si vous vous postez au bras d’une rivière où passent des cygnes, et que vous commencez à les compter, le nombre d’oiseaux blancs vous fera déduire que tous les cygnes sont blancs – jusqu’au jour où contre toute attente, un cygne noir apparaîtra. Autrement dit, le cygne noir, l’oiseau, est, dans cette histoire, le signe de la dissonance statistique, que les anciens appelaient le destin, et les mathématiciens, le hasard – le signe d’un accident d’autant plus inimaginable que tout a été prévu et calculé, mais accident qui arrive quand même, et dont les conséquences sont impensables.

Les prédictions sérieuses sur l’émergence de contagions planétaires par des virus inconnus ont commencé à se multiplier dans les années 1990/2000. Vers cette époque, on s’est mis à considérer que la multiplication des échanges permise par la globalisation aboutirait un jour ou l’autre à la transmission de nouvelles maladies. La grippe aviaire, le virus H1N1, sont venus confirmer l’intuition. Ces dernières années, en Occident, pas un seul document de prospective n’a négligé cette hypothèse. Pourtant, depuis que la pandémie a bel et bien frappé, la plupart des gouvernements sont pris de court. En dépit, ou à cause de leur sophistication, nos sociétés modernes se voient ainsi renvoyées à la vieille question de l’histoire humaine – la question de Job, reformulée en 1756 par Voltaire, dans son poème sur le tremblement de terre qui venait de faire près de 60 000 morts à Lisbonne : pourquoi « Dans le mieux ordonné des univers possibles, u_n désordre éternel, un chaos de malheurs, mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs » ?_

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Pour en parler, Marc Weitzmann reçoit Cynthia Fleury, philosophe, Bruno Tertrais, politologue, spécialiste de l'analyse géopolitique et stratégique et Erwan Queinnec, enseignant-chercheur en sciences de gestion à l'université Sorbonne Paris Nord.

L'une des caractéristiques du cygne noir, c'est justement le biais rétrospectif. Taleb [...] l'applique aux crises financières et l'applique, plus en creux, aux accidents nucléaires [...] pas tellement aux épidémies. Donc, les épidémies ne sont peut-être pas des cygnes noirs et [...] le cygne noir ne peut pas être la fatalité et c'est là, toute son ambiguïté. Il est imprévisible, radicalement imprévisible, mais doit être prévu. Erwan Queinnec

Je ne crois pas qu'un type de régime politique, là, pour le coup, soit meilleur en anticipation qu'un autre. [...] L'urgent l'emporte toujours sur l'important et pour un scénario d'une importance donnée, si sa probabilité est faible et sa conséquence potentielle énorme, c'est toujours la faible probabilité qui l'emportera, dès lors que le décideur doit essayer de prévoir. [...] Je ne pense pas qu'on soit en présence d'un cygne noir. Tout ceci était parfaitement, non seulement prévisible mais prévu, sauf peut-être, l'ampleur de la réaction humaine. Bruno Tertrais

On voit très bien une scission entre la théorisation, la capacité de verbalisation, même de la pire des catastrophes, comme si c'était sur une sorte de route parallèle, et puis, de l'autre côté, ce qui est véritablement attrapé, digéré, émotionnellement par le cerveau et qui renvoie à un vécu. Et en fait, le passage de l'un à l'autre n'est pas du tout évident, parce que, ce que nous pouvons théoriser, nous ne voulons pas nécessairement le digérer émotionnellement. Cynthia Fleury

Extraits musicaux 

" Sur la place " écrit par Jacques Brel et interprété par Rosemary Standley (du groupe Birds on a wire) et Dom la Nena feat. Lionel Suarez - Album " Ramages " (2020) chez Editions Universal / MCA Music Publishing / Ed. Jacques Brel.

" The future " par Léonard Cohen - Album " The future " (1992) chez Sony Music.

Pour aller plus loin

Articles d'Erwann Queinnec : " Covid-19, ou l'Occident malade du cygne noir " (2 avril 2020 / Revue Contrepoints) et  " Covid-19 : cygne noir ou cygne blanc ? "(8 avril 2020).

L'éditeur Gallimard a créé spécialement pendant cette période de confinement une collection Tracts de crise, publiant des textes accessibles par abonnement numérique gratuit. Cynthia Fleury (Répétition générale - n° 3 - 19 mars 2020) et Bruno Tertrais (L'épreuve de faiblesse - n° 52 - 20 avril) y ont contribué.

Quelques explications autour de la théorie du cygne noir.

Page biographique et bibliographique de Cynthia Fleury.

Page biographie et bibliographique de Bruno Tertrais.

CV d'Erwan Queinnec

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