"L'indépendance ou la mort !" Construire la nation brésilienne : épisode • 3/4 du podcast Histoire du Brésil en quête de liberté

Illustration qui représente l'acclamation de Don Pedro, empereur du Brésil, le 12 octobre 1822 lors de la fin de la guerre d'indépendance du Brésil. ©Getty - DeAgostini
Illustration qui représente l'acclamation de Don Pedro, empereur du Brésil, le 12 octobre 1822 lors de la fin de la guerre d'indépendance du Brésil. ©Getty - DeAgostini
Illustration qui représente l'acclamation de Don Pedro, empereur du Brésil, le 12 octobre 1822 lors de la fin de la guerre d'indépendance du Brésil. ©Getty - DeAgostini
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Le 7 septembre 1822, le prince Pedro de Portugal pousse le cri d’Ipiranga, aujourd'hui considéré comme la déclaration d’indépendance officielle du Brésil. Tandis que l'ancienne colonie s’émancipe de la métropole portugaise de façon singulière, comment se construit l'identité nationale brésilienne ?

Avec
  • Armelle Enders Historienne, professeure à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, spécialiste de l’histoire du Brésil contemporain
  • Sébastien Rozeaux Historien, maître de conférences à l’université Toulouse Jean Jaurès, spécialiste de l’histoire de l’Europe et de l’Amérique latine

Le 20 mai 1822, Giuseppe Pecchio se trouve à Lisbonne, au Portugal, quand ce patriote italien, en exil depuis l’année précédente, commente les événements au Brésil : "Au moment où je vous écris, un grand nombre de personnes s’embarquent sur le Tage pour se rendre à la séance des Cortes. La discussion qui doit s’y entamer est du plus haut intérêt, puisqu’il s’agit de l’indépendance du Brésil. Rio de Janeiro menace de se séparer de la mère-patrie ; le prince régent a lui-même levé l’étendard de la rébellion." Le 7 septembre 1822, le Brésil proclame son indépendance.

Une indépendance unique à l'échelle des indépendances américaines

Terre peuplée par des populations amérindiennes, colonisée à partir de 1500 par les Portugais, le Brésil est la pièce maîtresse de l’empire colonial portugais et un rouage essentiel de la traite et du commerce triangulaire. En 1808, après l’invasion du Portugal par les armées napoléoniennes en 1807-1808, Jean VI de Portugal et la cour royale de Lisbonne fuient le Portugal et s’installent à Rio de Janeiro. Jean de Portugal encourage l’autonomie du Brésil quand il en fait en 1815 un royaume associé à la métropole portugaise, le "Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves".

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En 1821, Jean VI de Portugal finit par retourner à Lisbonne avec la cour, mais laisse derrière lui son fils, le prince Pedro de Alcântara, qu’il nomme régent du vice-royaume du Brésil. Pedro doit faire face à l’hostilité du Parlement portugais, les Cortes, qui voient d’un mauvais œil l’autonomie grandissante du Brésil et veulent qu’il redevienne une simple colonie. Les Cortes ordonnent au prince régent de rentrer à Lisbonne, mais Pedro décide de rester. Sa désobéissance marque le début de la guerre d’indépendance, qui voit s’affronter la jeune armée brésilienne et les troupes coloniales portugaises. L'historienne Armelle Enders, spécialiste du Brésil contemporain, précise que "Don Pedro n'a sans doute pas crié "L'indépendance ou la mort !"", comme la vulgate brésilienne a pu le reconstruire. "Il s'efforce surtout de ne pas apparaître comme un libertador, un révolutionnaire. Il se présente plutôt comme un rempart contre les révolutions."

L’Empire du Brésil est proclamé le 12 octobre 1822. Paradoxalement, c’est le prince hérité de la couronne portugaise qui déclare l’indépendance et instaure une monarchie constitutionnelle, ce qui est absolument unique à l’échelle des indépendances américaines. Pedro de Alcântara devient le premier empereur du Brésil sous le nom de Pedro I ou Pierre Ier. La première constitution brésilienne, commandée par l'empereur, est promulguée en 1824. L'année suivante, le Portugal reconnaît formellement l’indépendance de son ancienne colonie par la signature du traité de Rio de Janeiro. "La spécificité du Brésil par rapport aux possessions espagnoles, indique Armelle Enders, c'est que l'Amérique portugaise est restée compacte, ce qui explique l'immensité du pays. L'autre spécificité est que le Brésil a vécu sous un régime monarchique de 1822 à la chute de l'Empire en 1889."

L'abolition tardive de l'esclavage

Jusqu’en 1889, le Brésil est gouverné par Pedro I, puis, après son abdication, par son fils Pedro II. Sous l’Empire, la toute jeune nation brésilienne se constitue peu à peu et doit affronter plusieurs crises politiques et culturelles. L'esclavage est l’une des questions essentielles de la période. Malgré la volonté d’affranchissement du joug colonial qui s’est exprimée lors de la guerre d’indépendance, les populations noires esclavagisées restent exclues du vaste mouvement de fraternité, de liberté et d’égalité qui s’empare du Brésil au XIXe siècle, puisque l’abolition de l’esclavage n’intervient qu’à la fin du siècle, avec la Loi d’Or du 13 mai 1888. Cette loi tardive fait du Brésil le dernier pays occidental à abolir l’esclavage.

La Série musicale
58 min

Construire une nouvelle identité brésilienne

Alors que le nouveau régime de l’Empire se met en place, la littérature et les arts sont mis à contribution pour fonder une culture et une identité nationales nouvelles, spécifiquement brésiliennes, et non plus portugaises ou coloniales, afin de consolider le nouvel appareil politique. La culture brésilienne, qui est pourtant le résultat d’hybridations complexes entre l’influence des populations autochtones amérindiennes, des colons portugais et des populations noires esclaves, doit trouver une expression unifiée. "Les Indiens jouent un rôle cosmétique dans la construction symbolique de l'Empire du Brésil. L'allégorie du continent américain, toujours figuré comme un jeune Indien ou une jeune Indienne, se transmet au Brésil impérial, dont l'allégorie est à son tour un Indien.", remarque Armelle Enders.

L’émergence des Letras Pátrias en témoigne. Cette littérature patrie ou littérature nationale se fixe pour objectif de construire et de nourrir une identité nationale brésilienne après 1822. Toutefois, elle tend à occulter la présence noire et la culture afro-brésilienne, et a ainsi pu être qualifiée de "littérature du blanchiment". L'historien Sébastien Rozeaux souligne que "les premières œuvres littéraires ne circulent pas dans tout le Brésil. On est dans une sorte d'archipel où plus de 80 % de la population est analphabète. Le petit monde des écrivains est lui-même le reflet du petit monde des élites brésiliennes, minoritaires dans leur pays où la majorité de la population est soit métisse, soit esclave, affranchie ou descendante d'esclaves."

Malgré l’ambition revendiquée de construire une représentation littéraire de la nation brésilienne, les Letras Pátrias ne sont pas représentatives de la diversité du Brésil et les écrivains brésiliens ne parviennent pas à s’accorder sur une définition plus inclusive de la nation.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Pour en parler

Armelle Enders est professeure d’histoire contemporaine à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, chercheuse au laboratoire de l’Institut français de géopolitique (IFG Lab), spécialiste de l’histoire du Brésil contemporain.
Elle a notamment publié :

Sébastien Rozeaux est historien, maître de conférences en histoire moderne et contemporaine à l’université Toulouse Jean Jaurès, spécialiste de l’histoire de l’Europe et de l’Amérique latine.
Il a notamment publié :

Le Pourquoi du comment

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Références sonores

  • Archive de La Tribune de Paris avec Michel Bouquet dans le rôle de Don Pedro, RTF, 17 février 1960
  • Extrait de Hino da Independência do Brasil, hymne de l'indépendance composé par Pedro Ier
  • Archive du sociologue et anthropologue Roger Bastide dans Heure de culture française, RTF, 7 mars 1960
  • Chanson Aquarela do Brasil par Francisco Alves, 1939
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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