Ho Chi Minh ville : entre ruelles et gratte-ciels : épisode • 3/3 du podcast Les nouvelles cités géantes

Restaurant le long de la rivière Saïgon en septembre 2020 à Ho Chi Minh Ville (Vietnam). La ville symbolise la montée en puissance économique du Vietnam. ©AFP - NHAC NGUYEN
Restaurant le long de la rivière Saïgon en septembre 2020 à Ho Chi Minh Ville (Vietnam). La ville symbolise la montée en puissance économique du Vietnam. ©AFP - NHAC NGUYEN
Restaurant le long de la rivière Saïgon en septembre 2020 à Ho Chi Minh Ville (Vietnam). La ville symbolise la montée en puissance économique du Vietnam. ©AFP - NHAC NGUYEN
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Ho Chi Minh-ville, 12 millions d'habitants, est le visage de la réussite économique vietnamienne contemporaine. Ancienne ville coloniale aux ruelles étroites, l'ex-Saigon se définit aujourd'hui par de nombreux projets urbanistiques verticaux qui renforcent les ruptures spatio-sociales de la ville.

Ho Chi Minh-Ville constitue l'espace urbain le plus important, mais surtout le pole économique le plus dynamique du Vietnam, devant la capitale Hanoi, la "rivale" du nord. L'ancienne Saigon, capitale historique de l'Indochine française, représente aujourd'hui 40% du PIB et 60% du budget national, d'où son poids stratégique dans le développement vietnamien.  

En 1986, lorsque le Parti Communiste Vietnamien (PCV) décide d'entamer le Đổi mới , soit une politique de libéralisation économique visant à décloisonner des structures productives encore largement imprégnées du dirigisme étatique du PCV, l'insertion du pays dans la mondialisation se renforce considérablement, et ce, de manière exponentielle.
Dans les années 1990, Ho Chi Minh-Ville devient donc la vitrine de ce changement de paradigme et accueille l'essentiel des investissements et des capitaux étrangers, attirés par les opportunités économiques qu'offre ce pays de 65 millions d'habitants [94 millions aujourd'hui],  aux couts de production très faibles. 

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[Avec le  Đổi mới], Il y a surtout l'idée de libéraliser l'économie, de diminuer la part des usines d'Etat. On est donc sur une logique de privatisation. [Les autorités vont ] aussi privatiser peu à peu le logement. Différentes lois immobilières vont permettre aux habitants d'être propriétaires, non pas du foncier, ce qui n'est toujours pas autorisé aujourd'hui, mais des droits d'usage du sol. L'ensemble de ces processus vont peu à peu permettre de libéraliser l'économie et de faire entrer le pays dans la mondialisation à partir des années 1990-2000. Marie Gibert-Flutre 

Sous l'impulsion du Premier ministre Võ Văn Kiệ, les projets d'installations d'entreprises internationales et de constructions immobilières affluent dans la région d'Ho Chi Minh-Ville qui voit donc sa morphologie économique et spatiale se transformer radicalement. Définie, de par son histoire, par une urbanisation spontanée et formée de ruelles étroites, la métropole devient le théâtre d'une construction effrénée de tours d'habitations et de bureaux; ce qui modifie radicalement son visage urbain. La Vincom Landmark 81, tour haute de 461 mètres, symbolise cette transformation. 

[La construction de la Vincom Landmark 81] est un des marqueur de la mondialisation. Mais ce qui est intéressant avec cette tour, c'est qu'elle accompagne un vaste projet immobilier de construction de 10.000 logements et d'un parc urbain. Il s'agit du premier projet mené à Hô-Chi-Minh-Ville qui présente une telle densité et une telle importance. Il constitue, véritablement, l'un des reflets de la modernité; modernité qui passe par cette verticalisation de la ville. Clément Musil 

Cette vision d'Ho Chi Minh-Ville, en tant que champ d'expérimentation d'une "verticalisation" extrême, reflète les évolutions économiques et sociales du Vietnam depuis les années 1990, avec le développement d'une certaine classe moyenne, d'autant que le PIB par habitant de la ville est quatre fois supérieur à celui du reste du pays. Par ailleurs, la montée en puissance des secteurs financiers, des hautes technologies, du marketing et de l'innovation renforce l'idée d'une ville dorénavant placée sous le signe du hiện đại, soit de la modernité. 

La relocalisation de productions high tech, de la Chine vers le Vietnam, se poursuit et s'accélère.  Par exemple, Samsung ou Intel se sont installés dans une zone high tech située à l'est d'Hô-Chi-Minh-Ville. Cela s'explique par le fait que la ville présente des zones industrielles, une main d'œuvre ainsi que des capacités portuaires et aéroportuaires et de fret de marchandises performantes pour assurer le déploiement et le développement de telles industries.  Clément Musil 

Cependant, cette réussite économique fulgurante pose de nombreuses questions autour de l'intégration des classes populaires dans un espace économique local de plus en plus inégalitaire et qui doit prendre en compte ses vulnérabilités environnementales, dans une région fortement exposée aux inondations. 

[On ne peut pas véritablement parler de ségrégation spatiale] à Hô-Chi-Minh-Ville. On est plutôt sur de la pauvreté interstitielle, c'est à dire une pauvreté qui se niche dans chaque quartier, ce qui favorise d'une certaine manière la mixité sociale. Cependant, les nouveaux grands quartiers de tours, par nature beaucoup plus exclusifs car plus chers, remettent en cause ce modèle. Pourtant, Il existe des porosités très fortes entre les catégories sociales, qui se reflètent aussi au travers de la forte présence dans l'économie informelle d'employés ou d'enseignants qui cherchent à compléter une partie de leurs revenus. On estime ainsi que 30% de la population de la ville vit de l'informalité pour subvenir pleinement à ses besoins. Marie Gibert-Flutre 

Pour comprendre les réussites et les paradoxes de cette métropole d'Asie du Sud Est, nous avons le plaisir de recevoir en studio Marie Gibert-Flutre, maîtresse de conférences en géographie à l’Université de Paris et chercheuse au laboratoire CESSMA (Centre d’Études en Sciences Sociales sur les Mondes Africains, Américains et Asiatiques) et Clément Musil, chercheur associé à L'UMR (Unité Mixte de Recherhe) AUSser (Architecture Urbanisme Société : Savoirs Enseignement Recherche) et à l'IPRAUS ( l’Institut Parisien de Recherche : Architecture Urbanistique Société) de l’Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Belleville en duplex, directement depuis Ho Chi Minh-Ville.  

Références sonores

* Lecture d'un extrait de l'Amant de Marguerite Duras (1985) par Tiphaine de Rocquiny 

* Chute de Saigon, INA, 29 avril 1975
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i18352822/guerre-du-vietnam-la-chute-de-saigon

* Témoignage de Monsieur Lu, commerçant du quartier chinois, qui commente l’ouverture de l’économie, 20 après la fin de la guerre du Vietnam, France Inter, 23 avril 1995

* La pluie et le mélange de gratte-ciels et de maisons traditionnelles : témoignage de Dong Thuy, jeune écrivaine, France Culture, 16 mars 2014

Références musicales

Saigon - Bernard Lavilliers (1991)
https://www.youtube.com/watch?v=DZJE4Lyh5aE

C'est pas le moment - Ichon (2021)
https://www.youtube.com/watch?v=VKBFeU2CxT8

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