Michèle Gazier : "Je crois que l'essence de la famille c'est le secret"

Portrait de Michèle Gazier - John Foley
Portrait de Michèle Gazier - John Foley
Portrait de Michèle Gazier - John Foley
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Michèle Gazier, qui fut une grande signature de la critique littéraire, a également été traductrice et fait découvrir en France des auteurs espagnols contemporains. Alors qu’elle publie un nouveau roman, “Les silences d’Alexandrie”, nous revenons sur son oeuvre et sur ses sources d’inspiration.

Avec

En parallèle de ses activités de professeure d’abord puis de critique ensuite, Michèle Gazier traduit et contribue à faire découvrir des auteurs espagnols majeurs du XXe : Manuel Vasquez Montalban, Juan Marsé, Francisco Umbral. A partir de 1983 et pour plus de vingt ans, elle est critique littéraire à Télérama où elle s’attache à faire valoir aussi bien les auteurs et les autrices depuis longtemps inscrits dans le paysage artistique que des premiers ouvrages. De son œuvre de critique, récompensée en 1993 du prix de la critique de Cognac, quelques lignes de force se dégagent : un intérêt marqué pour les frontières (celles des langues, des pays, des cultures et des genres), une certaine attention portée à la musicalité de l’écriture, et l’ambition d'inscrire une œuvre en particulier dans une perspective plus large. Après la parution d’un premier recueil de nouvelles En sortant de l’école (1992) Michèle Gazier publie l’Histoire d’une femme sans histoire, qui contient déjà tous les thèmes à l’oeuvre dans ses ouvrages à venir ; l’apparente banalité des sujets et des vies, l’entrecroisement des récits, les silences contenus dans les paroles et la famille comme cadre dramatique. Alors que paraît Les Silences d’Alexandrie, Michèle Gazier revient au micro d’Arnaud Laporte sur son riche parcours de femme de lettres.

Recréer par la traduction

« La traduction c’est la barre de la danseuse. C’est l’exercice qui oblige à connaître parfaitement la langue d’arrivée. La langue d’arrivée doit être ciselée, elle doit sonner juste. » Michèle Gazier

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« Traduire c’est aussi trahir, puisqu’on doit trahir la lettre pour garder l’esprit. Le travail qui consiste à traduire des jeux de mots, et dieu sait qu’il y en avait dans mes traductions, fait se situer sur un autre chapitre de langage, sur une autre partition. Le traducteur est aussi un créateur. Mais quand j’ai commencé à écrire, le nom du traducteur n’était pas forcément sur les livres. On s’est battu pour qu’il existe, qu’il soit sur les livres à la première page et pas seulement relégué dans un coin. Le traducteur est un re-crétaeur du livre. » Michèle Gazier

Cheminer à l'intérieur des oeuvres : l'écriture critique

« On reçoit des tonnes de livres toutes les semaines et il faut aller pêcher là-dedans parce qu’on a un certain nombre d’heures à accorder à ces lectures. Moi je faisais trois piles : la pile des auteurs qu’on attend parce qu’on les connaît, la pile de ceux dont on savait qu’ils n’étaient pas pour nous, éliminés d’office, et au milieu la pile de ceux qu’il faut aller chercher. Dans le fond c’est là où il faut aller chercher que c’est formidable. J’ai adoré lire et sortir un premier roman, une traduction, un livre dont personne n’a encore jamais parlé. » Michèle Gazier

« On pense qu’il y a une écriture mais c’est faux. Il y a des écritures. Il y a une écriture pour la critique : on trace un chemin dans l’œuvre, et on donne au lecteurs des petits cailloux pour aider à avancer dans l’œuvre. En revanche, quand on écrit pour soi, ça vient de l’intérieur. L’écriture critique consiste à lire un texte et à rentrer à l’intérieur, tandis que l’écriture littéraire, ça sort de soi, c’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Il m’arrive parfois de me dire, en relisant longtemps plus tard une page que j’ai écrite, que ce n’est pas moi qui l’ai écrite, que cela s’est écrit dans mon dos. Ça s’écrit. » Michèle Gazier

Franchir les frontières: l'écriture littéraire

« Parce qu’il y avait eu une frontière entre les ancêtres et nous qui habitions la France, j’avais le sentiment que quelque chose allait se perdre dans cette histoire. Ma tante était une des personnes dans la famille dont j’étais la plus proche. Sa vie était une vie dite minuscule et pourtant c’était un personnage. J’ai eu le sentiment que cette histoire qui la concerne et dont elle est l’héroïne, j’allais en sauver quelque chose. C’est mon côté Don Quichotte : vouloir conserver, vouloir éclairer, et donner à ceux qui viennent derrière des morceaux de cette histoire. Toute immigration est une histoire déchirée. Les reprises sont toujours des reprises, les tissus ne se collent pas, mais si il y a un morceau de tissu pour dire l’origine c’est bien. » Michèle Gazier

« L’idée de cette frontière qui coupe les racines m’a beaucoup hantée dans mes premiers romans. J’ai eu très envie d’essayer d’aller chercher de l’autre côté de la frontière une partie de l’histoire qui était cachée. Je crois que l’essence de la famille c’est le secret. Le secret c’est le lieu où naissent les fantasmes, où nait l’imaginaire. Cet espèce de magmas du secret de famille qui cache des choses qui peuvent nous paraître dérisoire avoir le temps et le sont peut-être, mais qui ont cristallisé des haines, des séparations, des drames aussi parfois. C’est un noyau auquel nous appartenons et qui nous a fabriqué. On nait de cette matière-là. » Michèle Gazier

« Le personnage n’est pas premier, il vient avec les mots. Ce sont les mots qui donnent le personnage. La seule chose qui est nécessaire c’est la géographie. J’ai besoin d’avoir un lieu, que je connais et dans lequel je me sens fixe. Je ne peux pas écrire d’un lieu dont j’ignore tout. Le lieu va faire sortir un certain nombre de choses. J’en avais discuté avec Michel Tournier il y a fort longtemps, et il m’avait dit qu’il y avait des écrivains historiens et des écrivains géographes. Il m’avait dit que, comme lui, j’étais un écrivain géographe. Je crois qu’il y a un génie du lieu. Les mots et le lieu me donnent les personnages et, d’une certaine manière, me racontent l’histoire. » Michèle Gazier

Actualités :

"Elle était Séréna l’énigme, la petite Égyptienne jamais contente et, me semblait-il, malheureuse. Celle qui cherchait dans les romans, les nouvelles, les poèmes des morceaux de vie à coller sur sa propre vie pour en modifier les contours et lui donner du sens. Comme si son existence de jeune fille issue d’un milieu apparemment aisé ne lui suffisait pas, trop étroite pour ses rêves, ses désirs, sa rage de vivre."
Au départ, la brève apparition d'une silhouette blanche dans la foule d'un aéroport. Celle d'une femme qui obsède la narratrice et dont elle va dérouler l'histoire tressée à la sienne depuis des décennies.
Jeune professeur de français dans un lycée de Montpellier, la narratrice est intriguée par une élève arrivée en cours d’année, Séréna, qui prétend être née à Alexandrie. Des années plus tard, elle retrouve Séréna dans l’atelier d’écriture qu’elle anime désormais. Mais la femme nie être l’adolescente et dit s’appeler Thérèse. Pourquoi cette double identité et ce refus d’avouer qui elle est ?
Variation sur le mensonge, la vérité et le silence, le roman de Michèle Gazier est aussi un hommage à la littérature.

  • Les éditions Mercure de France organise une série de rencontres autour du nouveau livre de Michèle Gazier :

Le 10 mai 2023 à 19h30 au restaurant Le Trumilou : 84 Quai de l'Hôtel de ville, 75004 Paris

Le 13 mai 2023 à 15h à La Terrasse de Gutenberg: 9 Rue Emilio Castelar, 75012 Paris

Le 7 juin 2023 à 18h45 à La Boîte à livres: 19, rue Nationale 37000 Tours

Le 8 juin 2023 à 18h à Les Cahiers de Colette : 23/25, rue Rambuteau 75004 Paris, France

Sons diffusés pendant l'émission :

  • Umberto Eco dans l'émission "Tout un monde" diffusée sur France Culture, en 2012
  • Jean-Pierre Richard dans l'émission "Entretiens avec" diffusée sur France Culture en 1977
  • Le choix musical de l'invitée : "Gracias a la vida", de Violeta Parra, chantée par Joan Baez (enregistrement de 1974)
  • Anne-Marie Garat, dans l'émission "Le pays d'ici" diffusé sur France Culture en 1994

L'équipe