Jean-Jacques Schuhl : "Je revendique d'être un pop romancier"

Jean-Jacques Schuhl - J Sassier / Gallimard
Jean-Jacques Schuhl - J Sassier / Gallimard
Jean-Jacques Schuhl - J Sassier / Gallimard
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Cinquante ans après la parution de son premier roman, l’écrivain underground Jean-Jacques Schuhl signe “Les apparitions”, son sixième livre seulement. Le temps d’un entretien au long cours, il lève le voile sur son mystérieux parcours, entre ombre et lumière, et sur son processus créatif.

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Jean-Jacques Schuhl est de ces météorites qui passent tous les vingt ans avec fulgurance et disparaissent aussitôt, laissant une onde de choc derrière elles. Avec seulement cinq livres publiés en l’espace de cinquante ans, l’écrivain à l’élégance underground couronné du prix Goncourt en 2000 pour "Ingrid Caven" s’est imposé comme un des fantômes les plus reconnus de la littérature. Il revient en majesté avec “Les apparitions” chez Gallimard, son sixième livre. L’occasion de lui consacrer cette émission pour tenter d’en savoir un peu plus sur un des écrivains les plus discrets qui soient et les moins prolixes.

Portrait d'un dandy en creux

Fils unique d’une famille de la grande bourgeoisie marseillaise, Jean-Jacques Schuhl s’implante rapidement dans le Paris des années 1960 où il fréquente les soirées chez Castel, lit les quatre éditions quotidiennes de France Soir, et cultive une inactivité délibérée et radicale avec son grand ami Jean Eustache. En 1972 néanmoins, inspiré par le maquillage des filles sur les barricades en Mai-68 et les boots des gardes mobiles, il signe Rose Poussière, sorte de chronique indirecte et dépersonnalisée de la fin des sixties. Télex n°1, paru chez Gallimard quatre ans plus tard, est fait de la même étoffe, celle d’un livre-machine qui semble s’être écrit tout seul.

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"Des gens comme Eustache, ou j'espère comme moi, sont transfusés en tout genre 24 heures sur 24" Jean-Jacques Schuhl

Erigé en pape de l’underground en seulement deux livres, Jean-Jacques Schuhl oppose néanmoins à son succès un silence de près de trente ans. En 2000, il revient en majesté avec Ingrid Caven, biographie romancée de l’actrice et chanteuse allemande, également sa compagne, qui lui valu le prix Goncourt. Il n’est depuis réapparu qu’en 2010 avec Entrée des fantômes, en 2014 pour le recueil de nouvelles oniriques Obsessions, et dernièrement pour Les apparitions à l’occasion duquel nous le recevons.

"J'aimerais bien écrire encore deux ou trois livres parce qu'il y a une chose que j'arrive peu à peu à installer dans mes livres, c'est une certaine forme de lyrisme. Pas le lyrisme romantique, ni le lyrisme du bel canto. Un lyrisme moderne, d'aujourd'hui, qui n'a aucun écho de nostalgie rétro. Je suis à la recherche d'un nouveau lyrisme" Jean-Jacques Schuhl

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A bien des égards, Jean-Jacques Schuhl est ainsi aussi célèbre pour ses mots que pour les longues périodes de respiration qui les accompagnent. Dans sa carrière, partagée entre ombre et lumière, le silence se fait caisse de résonnance.

"Je considère que le silence a une valeur. Les paysagistes chinois disaient que ce qu'il y avait entre une montagne et un cyprès sur la toile comptait autant que la montagne ou le cyprès" Jean-Jacques Schuhl

Un artisan-monteur-chiffonnier

Ajusteur, monteur, chiffonnier … les titres dont se revendique Jean-Jacques Schuhl sont nombreux, mais toujours puisés du côté de l’artisanat plutôt que de l’art.  L’écrivain s’envisage en effet davantage comme un récepteur et émetteur de choses extérieures que comme un auteur. Une apparente coquetterie qui trouve toute sa légitimité au regard de son processus créatif. Aux stylos ou à la machine à écrire, il préfère des ciseaux et un tube de colle pour pouvoir découper un passage dans une feuille et le placer ailleurs. La citation et le montage sont ses deux opérations littéraires phares.

"J'aime beaucoup travailler avec ce qui est déjà là, ce qui est une attitude un peu pop. Avec ce qui est déjà écrit, déjà filmé, déjà chanté, des objets trouvés ou des ready-made si on préfère, j'essaye de composer mes petits objets "Jean-Jacques Schuhl

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Au terme de chapitre, il préfère celui de séquence. Au terme de description, celui de plan. Le cinéma occupe une grande place dans ses romans, tant du point de vue du processus créatif que des thèmes et des personnages qui les traversent. Son goût pour le détail et l’échantillon renvoie également à la technique du « sample » employée en musique. L’écrivain parvient toutefois à éviter le pot-pourri en tirant un fil qui tient l’ensemble, celui de sa pensée et de sa sensibilité.

"Je ne peux pas rester longtemps homogène. Je suis pas un vrai vrai romancier au sens traditionnel et balzacien, car je ne peux pas suivre trop longtemps un personnage. Je suis assez volage, dirons-nous " Jean-Jacques Schuhl

Son actualité :

  • LivreLes apparitions paru le 3 février 2022 chez Gallimard. 
    Résumé: "Un soir de novembre 2020, dans une petite ville balnéaire au bord de l’Océan où j’étais venu passer quelques jours pour finir d’écrire un autoportrait, j’ai été victime d’une violente hémorragie interne entraînant une perte d’oxygène dans le cerveau. On m’a emmené en urgence dans un hôpital, en haut d’une colline, qui me rappelait quelque chose…Entre veille et sommeil, dans les parages de la mort, de brèves scènes hypnotiques se déroulaient. Des blocs de réalité autonomes, étrangers à moi mais dont je faisais partie, très élaborés, comme mis en scène. Ils étaient menaçants et sauvages, reflets de notre temps. D’où venaient-ils ?"

Sons diffusés pendant l'émission :

  • Jean Eustache dans l’émission « Mardis du cinéma » sur France Culture en juin 1985 qui évoque son film “La maman et la putain”.
  • « Chambre 1050 », par Ingrid Caven, parue sur l’album « Chambre 1050 ».

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