Guy Cassiers : "Je cherche dans le spectateur l'artiste qui est en lui"

Guy Cassiers ©AFP - Emmanuel Dunand
Guy Cassiers ©AFP - Emmanuel Dunand
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Guy Cassiers, metteur en scène et directeur artistique de la Toneelhuis d'Anvers, est au micro d’Arnaud Laporte. Le temps d’un entretien au long cours, il raconte ses inspirations et son parcours d’artiste passé maître dans l’art de conjuguer théâtre et vidéo.

Metteur en scène et directeur de la Toneelhuis d'Anvers, Guy Cassiers a su se démarquer dans le paysage du théâtre européen par son approche multimédia et multisensoriel du sixième art qui mêle avec virtuosité l’image, le texte, la vidéo, la musique et les innovations technologiques. 

Pour sa première collaboration avec la Comédie Française, l’illusionniste flamand s’est emparé du texte Les Démons de Fiodor Dostoïevski et transforme ainsi la salle Richelieu en un palais de verre sur lequel les comédiens, isolés de chaque côté du plateau, se font face sur les écrans surplombant le plateau. En parallèle, il re-crée, dans le cadre du Festival d’Automne, le diptyque « Antigone à Molenbeek/Tirésias » où les mythes tragiques résonnent avec le terrorisme contemporain. Une double occasion donc de revenir en sa présence sur son parcours et ses méthodes de travail.

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Ce qui est important à la comédie française, mais aussi à l'opéra, c'est qu'on ne doit pas voyager. On crée quelque chose spécifiquement pour une maison. Ça donne d'autres possibilités aussi pour créer un environnement et un univers qui peuvent transformer le spectateur.  

Le théâtre comme point de rencontre

Comme d’autres metteurs en scènes de sa génération, parmi lesquels on compte Jan Versweyveld, Jan Fabre, Jan Lauwers, Alain Platel ou encore Ivo van Hove, Guy Cassiers s’est d’abord formé aux arts graphiques aux Beaux-Arts de sa ville natale. Ces années d’apprentissage furent marquées par une émulation constante. Entouré d’artistes de tous les arts, il s’est acheminé peu à peu vers le théâtre, non pas par amour des mots qui n’étaient d’ailleurs pas son fort, sinon par intérêt pour la combinaison des genres et des gens.

Les études étaient si importantes pour voir et comprendre ce que je vois. On parle maintenant du temps des années 1980 où il y avait les performances et des choses comme ça. Et pour nous, ça, c'était vraiment le commencement. Une combinaison, créer un dialogue entre les artistes et en même temps, trouver des moments où on peut s'amuser les uns avec les autres pendant le temps de l'école. Doucement, c'est devenu théâtre. 

A ses débuts, Guy Cassiers fut le directeur artistique de la maison de théâtre jeune public Oud Huis Stekelbees à Gand. Il a ainsi travaillé avec des enfants, des adolescents et des handicapés mentaux, c’est-à-dire des publics à la marge des théâtres. Il poursuit ensuite sa carrière en tant que metteur en scène indépendant, d’abord pour le Kaaitheater à Bruxelles, puis pour le Toneelschuur à Haarlem, avant d’être nommé en 1998 à la tête du Ro Theater, une des trois grandes compagnies théâtrale néerlandaises de Rotterdam. Huit années plus tard, il revient dans ses Flandres natales pour prendre les rênes de la Toneelhuis d’Anvers, un théâtre phare de la vitalité artistique flamande. En tant que directeur artistique de cette institution, il a fait de la scène de théâtre un espace capital de prise de parole.

Je travaille dans des grands théâtres mais en même temps, pour moi, c'est toujours découvrir pourquoi je suis ici et pourquoi je cherche ma langue dans ce médium.

L’image vidéo est un des outils de prédilection de Guy Cassiers. Durant les huit années qu’il a passé à la tête du Ro Theater, le metteur en scène a développé un style scénique qui mélange au jeu théâtral les technologies les plus pointues de l’image et du son. Les voix des comédiens sont souvent sonorisées et leurs visages sont filmés en gros plans. Ces effets relaient, amplifient, accompagnent et bousculent les codes du jeu, et servent ainsi la création d’un univers sensoriel inédit. La musique joue également un rôle décisif dans son art, comme en témoignent les différents opéras dont il a signé les mises en scènes.  

De la littérature et de la politique au théâtre

Depuis le milieu des années 1980, Guy Cassiers tisse une réflexion artistique de fond sur le rapport entre littérature et théâtre, mais aussi la construction de l’individu, la mémoire et l’histoire. 

On doit être un peu idéaliste dans le théâtre pour aider le spectateur à ne pas confirmer toutes les choses qui sont déjà là, mais de trouver de nouvelles solutions pour un futur qu'on peut développer ensemble. Et ça, c'est aussi une vraie responsabilité de théâtre.

Du côté de la relation entre littérature et théâtre, il a notamment signé l’adaptation en 1999 du roman Anna Karenina d'après Léon Tolstoï, mais surtout le cycle de quatre pièces consacrées à La Recherche du temps perdu de Proust au début des années 2000 qui a posé les jalons décisifs de son théâtre multimédia mis au service de l'expérience littéraire et intime. Pour Guy Cassiers, la littérature est un outil autant qu’un matériau artistique grâce auquel il peut pousser le théâtre dans ses retranchements. 

Qu'est-ce qu'on voit sur scène et qu'est-ce qu’on ne voit pas ? Avec un petit détail, on peut explorer un grand univers comme la petite Madeleine que Proust mange et qui provoque le retour de toute sa jeunesse. Pour moi, ça, c'est aussi le jeu dans le théâtre. Comment le spectateur peut retrouver son histoire, mais dans une angle peut être différent. 

Du côté des thématiques politiques, le théâtre de Guy Cassiers travaille beaucoup la question de « l’autre ». Ses pièces ont souvent de grandes résonnances avec la situation contemporaine. Citons notamment son Triptyque du Pouvoir de 2006 à 2008, composé de Mefisto for ever, Wolfskers, et Atropa. La Vengeance de la paix, trois pièces sur le rapport des sociétés aux hommes qui les dirigent, sur les manipulations à l’œuvre et les manières d’y résister. Les œuvres du metteur en scène interrogent souvent la fabrique du fascisme, comme dans Le Sec et l'Humide de Jonathan Littell pour lequel il avait utilisé des innovations sonores de l'Ircam afin de matérialiser la métamorphose d'un conférencier en tribun fasciste, mais aussi Les Bienveillantes de Jonathan Littell, où, là encore, le spectateur se trouvait plongé dans la tête du bourreau grâce à la technologie déployée. 

Ses actualités : 

  • Spectacle : « Antigone à Molenbeek/Tirésias ». Mise en scène Guy Cassiers. Avec Ghita Serraj (Antigone) et Valérie Dréville (Tirésias). Du 5 au 14 novembre à la MC93 puis les 7 et 8 décembre aux Points communs, nouvelle scène nationale de Cercy Pontoise (Avec le Festival d’Automne à Paris).  
  • Spectacle : « Les Démons » d’après Féodor Dostoïevski. Mise en scène Guy Cassiers. Avec Christophe Montenez, Jérémy Lopez, Dominique Blanc, Hervé Pierre, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Claïna Clavaron... Du 22 septembre au 16 janvier à la Comédie Française.

Sons diffusés pendant l'émission : 

  • Extrait du spectacle "Les Démons" de Guy Cassiers, dans lequel on entend Claïna Clavaron, qui interprète Dacha, et Christophe Montenez, dans le rôle de Nikolaï. 
  • "Fugue en sol mineur BWV 578" de Bach interprétée par l'ensemble de cuivres Blindman sur l'album "32 Foot - The organ of Bach”.
  • Heinz Wismann au micro d'Adèle van Reeth dans l'émission “Les chemins de la philosophie”.

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