Claire Lasne-Darcueil : "Est-ce qu'on cesse d'être un artiste quand on se tait ?"

Portrait de Claire Lasne-Darcueil - © Frédéric Pickering
Portrait de Claire Lasne-Darcueil - © Frédéric Pickering
Portrait de Claire Lasne-Darcueil - © Frédéric Pickering
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La comédienne, metteuse en scène et première femme à diriger le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris, Claire Lasne-Darcueil revient, lors d'un entretien au long cours avec Arnaud Laporte, sur l'ensemble de sa carrière et ses méthodes de travail.

Avec
  • Claire Lasne-Darcueil Directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique

Après avoir suivi une formation de comédienne à l'Ensatt - École de la rue Blanche, puis au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique (1990), Claire Lasne-Darcueil fonde, en 1993, avec Mohamed Rouabhi, la Compagnie Les Acharnés. Elle devient par la suite codirectrice, avec Laurent Darcueil, du Centre dramatique régional Poitou-Charentes de 1998 à 2007, puis, avec Vincent Gatel de 2007 à 2010. Le Printemps Chapiteau connaît dix éditions ; la plupart des spectacles sont repris au Festival d'Avignon. Claire Lasne-Darcueil travaille aussi pendant ces dix ans avec des personnes multi handicapées, et dirige avec Vincent Gatel, de 2011 à 2013, La Maison du comédien Maria-Casarès, un centre culturel de rencontres à Alloue (Charente). En parallèle, elle poursuit son activité de metteuse en scène au sein de sa compagnie Dehors / dedans, à Poitiers, pour monter ses propres spectacles.

Claire Lasne-Darceuil a de nombreuses fois mis en scène des pièces d'Anton Tchekhov : " Être sans père (Platonov)", "Ivanov", "L'Homme des bois", "La Demande en mariage" et " La Mouette". Elle a également mis en scène Shakespeare avec " Hamlet", Molière avec " Dom Juan", des auteurs contemporains tels Michel Ocelot, Marie-France Marsot, Claude Guyonnet, Mohamed Rouabhi… Et ses propres textes, "Joyeux anniversaire" ; "D'ici là, on peut rêver" ; et "Pour le meilleur".

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Quand le ministère la contacte, en 2013, elle s'apprêtait à arrêter le théâtre pour se lancer dans des recherches sur l'art thérapie. Devenue la première femme à diriger le Conservatoire national supérieur d'art dramatique depuis sa création, en 1874, Claire Lasne-Darcueil est une femme de dialogue et d'écoute, souhaitant ouvrir le théâtre au plus grand monde, diversifiant les promotions en termes de couleurs de peau et de classes sociales.

Découvrir l'improvisation à 10 ans

"C'est Monsieur Zacot, mon professeur de français et d'histoire-géographie en classe de sixième qui m'a donné des cours d'improvisation de théâtre. J'avais dix ans et il se trouve que je n'ai aucun souvenir d'avoir fait du théâtre avant. Réellement, c'est tout blanc. Monsieur Zacot croyait beaucoup en moi, il me l'a dit et il est revenu me le dire des années plus tard, au moment où je montais "Platonov". Je ne sais pas où il est maintenant mais c'est quelqu'un qui a littéralement changé ma vie. Les enseignants sont très importants, et lors des concours (du Conservatoire National d'Art Dramatique) je l'entends beaucoup aussi, quand les candidates et les candidats racontent leur parcours, ils disent que ça a été galère pendant toutes ces années. Et tout d'un coup : 'J'ai rencontré ce prof de maths extraordinaire !'Claire Lasne-Darcueil

À réécouter : L'Amante anglaise (1ère diffusion : 29/03/1967)
Les Nuits de France Culture
2h 34

Travailler l'espace forain

Alors codirectrice du centre dramatique de Poitou-Charente, les spectacles de Claire Lasne-Darceuil sont créés en milieu rural et conçus pour un chapiteau : "C'est possible d'être heureux professionnellement. (...) On est heureux quand on est dans des choix cohérents. Et là, je l'étais tellement dans ces villages, à monter des textes très exigeants, risqués, avec une équipe, avec une bande, à vivre cette chose extraordinaire qui est qu'on a besoin des autres pour monter le chapiteau, c'est-à-dire demander aux gens qui sont autour, 'Est-ce que ça vous intéresse ce que je vais faire ?'. Nous étions bien obligés de le faire parce que sinon, on ne pouvait pas monter le chapiteau, on ne pouvait ni manger, ni être logé. Cette aventure-là, totalement horizontale, où personne n'est supérieure à l'autre et où l'on ne rencontre aucune démagogie, ni d'un côté ni de l'autre, c'était le bonheur absolu. C'est pour ça qu'un jour, comme dit Jane Birkin, il faut fuir le bonheur avant qu'il ne se sauve. Il faut partir. Parce que c'est sûr, quand on est aussi aimé qu'on l'était et qu'on se sent si bien qu'on peut faire n'importe quoi, il faut s'arrêter, il faut absolument s'arrêter." Claire Lasne-Darcueil

Le théâtre comme oasis de protection

"Ce n'est pas par hasard que je me suis attachée à monter un auteur qui était médecin, Anton Tchekhov, presque toute ma vie. Et après à écrire, ce qui est encore un autre geste. J'ai bien pu constater que le théâtre n'empêchait pas les gens de mourir et ça ne les guérissait pas, ni du cancer, ni de rien du tout. Et malgré tout, il y a quelque chose qui sauve, un peu comme les dessins de Sempé grâce à leur manière de prendre du recul sur le ridicule absolu de nos douleurs au regard de l'immensité de l'univers ; et d'en rire ensemble, d'être complices ensemble. Former une communauté où les gens sont égaux, ce qu'on est. Je crois qu'on a réussi à faire cela au Conservatoire où les gens se parlent comme on rêverait que le monde se parle. J'ai cette ferveur du rêve, de l'oasis d'un endroit. On a tous des rêves de société. Et au théâtre, on a cette chance de pouvoir le mettre en œuvre à plusieurs niveaux : dans la rencontre avec le public et dans la manière de travailler avec une équipe. (...) Nous ne sommes absolument pas obligés de subir l'existence. On peut créer un espace protégé, comme on protège les animaux en voie de disparition, que nous sommes.Claire Lasne-Darcueil

À réécouter : Tchekhov l'écrivain
Les Nuits de France Culture
44 min

Ouvrir grand les portes du Conservatoire

Après trois mandats à la tête du Conservatoire National d'Art Dramatique de Paris, Claire Lasne-Darceuil fait le point. "Apporter de la diversité au Conservatoire, il n'y a rien de plus simple. C'est une manière provocatrice de dire que quand ça ne se fait pas, c'est qu'on n'a pas envie de le faire. On a informé sur le fait que c'était l'école de la République, ouverte à toutes et tous, qu'elle coûtait le prix d'une entrée en université, avec un même système de bourses, qu'on pouvait octroyer des aides pour accompagner les élèves qui ne venaient pas de Paris. Donc on a beaucoup informé. Deuxièmement, ce sont les outils. Pour se préparer à passer un concours comme ça, les écoles privées étant très chères, on a accompagné la création de classes préparatoires gratuites, dont une à Bobigny, et l'autre qui s'appelle "Horizon Théâtre" à Arcueil. (...) Nous sommes passés de 1000 à 1850 candidates et candidats, des personnes nouvelles par leur talent, par leur engagement et leur capacité à évoluer. (...) Ça a mis du temps, mais maintenant, nous sommes dans une représentation du monde normal.Claire Lasne-Darcueil

Ses actualités :

* Deux ateliers de 3e année auront lieu au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique :

- " Le rameau d'or" Écrit et dirigé par Simon Falguières, du 9 au 15 décembre 2022, au Théâtre du Conservatoire.
"Le Rameau d’Or est une œuvre sans temporalité ni lieu précis. Une pièce écrite sous le motif de 'La Catabase', 'La descente de l‘esprit' dans le monde des morts chez les Grecques. Une fable épique, mêlant les genres théâtraux et réunissant cinquante personnages, dieux et humains en un rêve introspectif."

- " Douce est la terre" Dirigé par Rodolphe Dana et Katja Hunsinger, du 12 au 15 décembre 2022 à 19h30
Salle Jouvet.
"Ulysse et ses aventures. Ulysse le rusé, Ulysse le cruel. Ulysse le traumatisé. L’odyssée. Faire de ce mythe un théâtre. De cette langue une folie. Ulysse en a fini de Troie mais non de Poséidon. Ulysse l’endeuillé doit rentrer chez lui. La route est encore longue et périlleuse. Ulysse doit réapprendre à vivre. Il n’est plus un héros, il aspire à redevenir humain. Les siens l’attendent. Tout est à recommencer."

* Des " Assises de l’égalité" se dérouleront au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique jusqu'au jeudi 10 novembre (10h-12h30) "Universalisme(s) et mythe de l’égalité"
Table ronde avec Mame-Fatou NIANG, Associate Professor of French and Francophone Studies – Carnegie Mellon University, et Réjane SENAC, directrice de recherche CNRS/Science Po CEVIPOF.

Sons diffusés lors de l'émission :

- Extrait de la pièce de théâtre "L'amante anglaise" de Marguerite Duras, mis en scène par Marie Louise Bischofberger, enregistré au Théâtre de la Madeleine le 01/01/2010 et diffusé sur France Culture le 24/01/2010.

- Extrait de la pièce de théâtre "Être sans père (Platonov)" de Tchekhov, mis en scène par Claire Lasne Darceuil Enregistré au Théâtre de la Villette le 09/04/1997 et diffusé dans les "Fictions" sur France culture le 19/10/1997.

- Chanson "Cette route-là" de Noé Preszow. Album "À nous" (2020) - Label : Tôt ou tard

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