Musée Bourdelle : les ateliers du maître fidèlement sauvegardés et une nouvelle scénographie des collections

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Musée Bourdelle : les ateliers du maître fidèlement sauvegardés et une nouvelle scénographie des collections

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Donnant sur le jardin intérieur du musée Bourdelle, les anciens ateliers du sculpteur, ces rares vestiges des cités d’artistes de Montparnasse sont aujourd’hui bien préservés.
Donnant sur le jardin intérieur du musée Bourdelle, les anciens ateliers du sculpteur, ces rares vestiges des cités d’artistes de Montparnasse sont aujourd’hui bien préservés.
© Radio France - Benoît Grossin

La rénovation des ateliers d’Antoine Bourdelle s'est faite dans le respect du patrimoine architectural, pour une restitution des lieux au plus proche de la vie du sculpteur. La réouverture du musée passe aussi par un nouveau parcours des collections et une subtile introduction d’outils numériques.

La maison-atelier d’Antoine Bourdelle, édifiée en 1878, est un des derniers témoignages des cités d’artistes de Montparnasse, à Paris. Ce bâtiment fragile, à la structure précaire, nécessitait une importante rénovation. Il se trouve au cœur du musée qui vient de rouvrir ses portes ce mercredi 15 mars 2023, après deux ans de travaux et sept mois de fermeture totale au public.

Le chantier de rénovation de 5 millions d’euros a été lancé d’abord pour protéger les structures les plus anciennes de toute menace d’affaissement ou d’effondrement. Sans grand changement visible de l’extérieur. Et à l'intérieur, tout a été fait pour que la maison-atelier du sculpteur, élève de Rodin, reste dans son jus.

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"Le but était de tout restaurer dans l’atelier de sculpture, sans que rien ne se voit” : Valérie Montalbetti-Kervella, historienne de l'art, responsable des collections au musée Bourdelle

9 min

Avec des jardins de part et d'autre, le bâtiment historique a été consolidé, dans le respect du patrimoine architectural. Et une toute nouvelle scénographie plus lumineuse comporte également une touche numérique de modernité, avec discrétion, dans la salle des techniques et dans le parcours des collections.

L'atelier de sculpture a été consolidé et reconstitué au plus proche de ce qu’il était, lors de la disparition d’Antoine Bourdelle, en 1929.
L'atelier de sculpture a été consolidé et reconstitué au plus proche de ce qu’il était, lors de la disparition d’Antoine Bourdelle, en 1929.
© Radio France - Benoît Grossin

L’atelier de sculpture consolidé et restitué à l’identique

Rares vestiges des cités d’artistes de Montparnasse, les anciens ateliers d’Antoine Bourdelle, élevés sur des fondations légères, avec des pans de bois et des briques, n’étaient pas conçus pour durer. Comme le décrit Colin Lemoine, responsable des sculptures, dans le jardin intérieur du musée : "On voit ici des ateliers empilés les uns sur les autres, sur deux niveaux. Une sorte de ruche alvéolée occupée par Bourdelle pendant plus de quarante ans et dans laquelle il plaçait ses praticiens, tailleurs de marbre et mouleurs. Ce sont des ateliers extrêmement modestes que nous avons décidé de restituer dans leur splendeur, dans leur intégrité physique aujourd’hui. Ce qu’était la bohème artistique - une faune industrieuse qui travaillait côte à côte - et l’architecture fin XIXe, une architecture très précaire vouée à être détruite, mais que le temps a préservé."

Mais la sauvegarde de ce patrimoine architectural, rongé par l’humidité, ne pouvait être garantie que par de grands travaux, sur une surface de 170 m2, que détaille Martin Dior, chef de projet à la Direction des Services Techniques de Paris Musées : "Pour rendre le bâtiment pérenne, nous avons décaisser le sol pour faire des semelles filantes, avant de bien consolider l'ensemble en remplissant les carrières par injection de béton. Nous avons aussi remplacé toute la partie structurelle en bois par une structure métallique qui ne se voit pas de l’extérieur. Elle est apparente uniquement à l’intérieur du bâtiment. À cela s’ajoutent le remplacement des poutres - dissimulées dans les planchers et les plafonds - l’isolation des combles, le changement des verrières en toiture et de la production de chauffage, par une centrale de traitement d'air reliée au chauffage urbain. En touchant au minimum les lieux, pour conserver leur ambiance d'origine, tous ces travaux permettent d’avoir un bâtiment stable et de renforcer sa performance thermique."

Les nouvelles structures métalliques sont visibles uniquement à l’intérieur des ateliers, dans le bâtiment du XIXe siècle.
Les nouvelles structures métalliques sont visibles uniquement à l’intérieur des ateliers, dans le bâtiment du XIXe siècle.
© Radio France - Benoît Grossin

Et ces travaux ne dénaturent pas le centre névralgique du musée, au rez-de-chaussée : l’atelier de sculpture d’Antoine Bourdelle est rendu identique au contraire à ce qu’il était lors de la disparition du sculpteur en 1929, souligne la directrice Ophélie Ferlier-Bouat : "C’est un véritable sanctuaire. Il est très important dans cette pièce emblématique qu’il n’y ait pas de cartel, pas d’explication, mais qu’il y ait cette atmosphère de création ! On voit qu’Antoine Bourdelle mélangeait en fait ses propres œuvres, comme le Centaure mourant, à du mobilier acheté chez des antiquaires, à des objets d'art, à des statues médiévales chinées, comme ce Christ en croix accroché à la mezzanine. Et ce qui est très intéressant dans cette idée de l’accumulation et de la récupération, c’est de voir aussi qu'il mettait ses propres sculptures sur des socles de remploi, socles médiévaux, socles néogothiques, voire sur une meule de moulin. Tout est resté ici un peu comme dans la maison de campagne de vos grands-parents. Et la rénovation s'est faite de la manière la plus discrète qui soit pour qu'on ait l'impression que ce lieu n'a absolument jamais bougé."

De la peinture des murs au parquet, en passant par la disposition du mobilier et des œuvres, l’atelier de sculpture d’Antoine Bourdelle a été restitué, comme il était de son vivant, grâce à des photographies d’époque.
De la peinture des murs au parquet, en passant par la disposition du mobilier et des œuvres, l’atelier de sculpture d’Antoine Bourdelle a été restitué, comme il était de son vivant, grâce à des photographies d’époque.
© Radio France - Benoît Grossin

L’atelier de sculpture a été reconstitué, élément par élément, grâce à des photographies d'époque d'Antoine Bourdelle, qui avait lui-même pensé la disposition de ses œuvres. Tout a été replacé exactement au même endroit, tant et si bien que l’on pénètre dans une pièce tout à fait fidèle à ce qu'elle était du temps de l'artiste en création, au début du XXe siècle. "Ce qui est très rare. C’est un atelier totalement unique en France et presque même dans le monde", souligne Ophélie Ferlier-Bouat : "On a souvent affaire à des recompositions, alors qu’ici nous avons cherché à arrêter le temps. Cette armoire ou cette table paysanne, par exemple, sont là comme elle l'était du vivant de Bourdelle. C’est le cas aussi de toutes ces œuvres créées ici-même. La continuité de l'histoire des lieux a fait que l'atelier de sculpture n'a jamais été modifié, jamais été repeint. Tous ces travaux structurels ont forcément conduit à enlever le parquet, mais il a été numéroté et reposé latte par latte. On a enterré tous les réseaux et supprimé une grosse gaine de chauffage très inesthétique qui était le long du mur. La rénovation a permis d’alléger l’atelier de choses qui étaient venues s'ajouter au fil du temps, sans modifier des aspects essentiels. Nous n'avons surtout pas repeint les murs. La peinture d’époque a été consolidée, refixée sur les murs pour conserver cette patine du temps. Cela permet de se sentir comme dans un véritable cocon et de sentir aussi véritablement l'âme de la création. Pour nous, c'est comme si l'âme de Bourdelle était encore dans cet atelier de sculpture."

La salle des techniques dispose désormais d’une série d’écrans discrètement installés en vitrine, pour fournir des explications sur le processus complexe de création du sculpteur et les différents métiers de l’atelier.
La salle des techniques dispose désormais d’une série d’écrans discrètement installés en vitrine, pour fournir des explications sur le processus complexe de création du sculpteur et les différents métiers de l’atelier.
© Radio France - Benoît Grossin

Une délicate introduction d’outils numériques

Le parcours innovant du musée Bourdelle débute véritablement dans la salle des techniques, attenante à l’atelier de sculpture. Complètement repensée sur ses 60 m2, elle permet toujours de toucher des matériaux et des œuvres, mais en s’adressant à tous les publics et notamment les plus jeunes, par une nouvelle offre de jeux et de dispositifs interactifs.

L’approche “à travers les sens“ est bien conservée, assure Sybil Meunier, la responsable du service des publics : “Nous proposons aux visiteurs de faire une découverte tactile de trois bronzes originaux d’Antoine Bourdelle, notamment Daphné changée en laurier, en écoutant d’abord à l’aveugle un commentaire sonore pour laisser libre cours à son imagination. Le public peut s’en faire une image mentale, avant de faire coulisser le cylindre qui dissimule l'œuvre, la voir et la toucher en détail et se rendre compte en particulier qu’un satyre est caché derrière les jambes de la nymphe.

L’approche “à travers les sens” est conservée dans la salle des techniques, avec ce bronze de Bourdelle, Daphné changée en laurier, dévoilé après un commentaire sonore pour l’imaginer avant de le voir et le manipuler.
L’approche “à travers les sens” est conservée dans la salle des techniques, avec ce bronze de Bourdelle, Daphné changée en laurier, dévoilé après un commentaire sonore pour l’imaginer avant de le voir et le manipuler.
© Radio France - Benoît Grossin

C’est une salle qui dispose de cartels, de panneaux et désormais aussi d’une série d’écrans discrètement installés en vitrine, pour fournir des explications sur les étapes de fabrication et les différents métiers de l’atelier que Sybil Meunier décrit comme "une véritable fourmilière, avec des metteurs au point, des mouleurs, des praticiens... Nous voyons comment chacun a un rôle éminemment important dans la réalisation de l’œuvre finale et comment Antoine Bourdelle en supervise la création.

La médiation écrite s’accompagne d’une offre numérique qui n'est pas centrale, mais complémentaire. Elle est répartie de manière fine et parcimonieuse, à l’exception de trois espaces de consultation mis en avant pour comprendre le processus complexe de création du sculpteur. Chacun de ces postes permet avec des contenus multimédia de “donner à voir ce que l’on ne peut pas voir physiquement dans le musée”, explique Sybil Meunier : “En appuyant sur les différents onglets, les enfants et les plus grands vont de manière très imagée et très simple pouvoir comprendre le principe de la sculpture à travers le multiple - comment une œuvre se diffuse dans le monde entier - en étant par exemple embarqués dans l’histoire de ce chef-d'œuvre Héraklès archer, de sa naissance à sa reproduction sur les cahiers d’écolier. Le dispositif permet aussi de montrer que Bourdelle est un sculpteur du monumental, avec l’exemple du Monument au Général Alvear, pour la ville de Buenos Aires, de montrer comment lors de sa création il l’agrandit progressivement, successivement, du tout petit jusqu'au gigantesque dans son atelier. Il suffit de cliquer sur les différentes pages et de se laisser guider pour voir les différentes échelles utilisées par le sculpteur. Nous avons volontairement représenté Antoine Bourdelle à côté de ce monument qui fait 14 mètres de haut dans sa version définitive.

Le numérique fait également son apparition dans la salle d'introduction du nouveau parcours des collections permanentes, pour raconter la vie et l’œuvre d’Antoine Bourdelle.
Le numérique fait également son apparition dans la salle d'introduction du nouveau parcours des collections permanentes, pour raconter la vie et l’œuvre d’Antoine Bourdelle.
© Radio France - Benoît Grossin

Le numérique prend une grande place également dans la salle d’introduction du nouveau parcours des collections permanentes, pour raconter l’histoire, la vie et l’œuvre d’Antoine Bourdelle. Des animations sur plusieurs écrans permettent d’en savoir plus sur ses débuts, ses grands projets et sa reconnaissance internationale, avec des dessins, des photographies et documents d’archives provenant du fonds que possède le musée Bourdelle et qui est donc ainsi mis en valeur.

Avec un camaïeu de gris dans les salles et un délicat éclairage artificiel, la nouvelle scénographie “rend justice à la qualité chromatique des ateliers de la fin du XIXe siècle” : Colin Lemoine, responsable des sculptures au musée Bourdelle.
Avec un camaïeu de gris dans les salles et un délicat éclairage artificiel, la nouvelle scénographie “rend justice à la qualité chromatique des ateliers de la fin du XIXe siècle” : Colin Lemoine, responsable des sculptures au musée Bourdelle.
© Radio France - Benoît Grossin

Une nouvelle scénographie pour illuminer délicatement les œuvres de Bourdelle et de ses contemporains

Dans le nouveau parcours des collections, les sculptures de Bourdelle sont aujourd’hui présentées sous un angle chrono-thématique et non plus chronologique, comme c’était le cas auparavant. Et pour la première fois, elles sont contextualisées, associées à des sources d’inspiration, à des œuvres de ses contemporains (Rodin) et aussi à celles d’élèves (Germaine Richier, Alberto Giacometti) issues des réserves du musée ou grâce à des prêts. “Nous déployons un accrochage avec des œuvres exogènes à la stricte création de Bourdelle. Nous avons convoqué des artistes de la modernité pour montrer sa filiation et son rôle dans l’histoire de l’art”, explique Colin Lemoine, responsable des sculptures.

La directrice du musée, Ophélie Ferlier-Bouat en donne deux grands exemples : “Avec Héraklès archer de Bourdelle mis en regard avec L’homme qui marche de Rodin, ou encore une magnifique tête de Jean Arp mise en regard avec la Tête d’Apollon de Bourdelle.

Le chef-d'œuvre de Bourdelle, Héraklès archer, est aujourd’hui mis en regard avec L’Homme qui marche de Rodin.
Le chef-d'œuvre de Bourdelle, Héraklès archer, est aujourd’hui mis en regard avec L’Homme qui marche de Rodin.
© Radio France - Benoît Grossin

Et c’est aussi en fonction de la disposition des œuvres que l’architecte Dominique Brard a élaboré avec sa consœur Sandra Coutine la nouvelle scénographie, avec un travail à la fois sur la couleur des murs et l’éclairage artificiel, "pour réintégrer l’atelier de sculpture, emblématique du musée dans un ensemble, avec une conception minimaliste afin de ne pas trancher et donc s’insérer complètement à l’intérieur. Le principal défi a été de tout changer sans rien changer, d’intervenir en gardant cette sorte de magie extraordinaire qu’a le musée, très intimiste. En remplaçant le blanc dans les salles par des palettes de gris, cela permet aux plâtres et marbres de se révéler et aux bronzes de ne plus arriver en contre-jour. Les ateliers avec leurs verrières au nord sont déjà construits pour avoir un éclairage optimum pour la sculpture. Le nouvel éclairage artificiel par le plafond que nous avons étudié et mis en place en complément, apporte un délicat éclairage d’ambiance des salles mais aussi d’accentuation sur un certain nombre d’œuvres, de manière à ce que leur modelé réapparaisse."

Le responsable des sculptures, Colin Lemoine, apprécie notamment "le camaïeu de gris très subtil dans les salles qui étaient auparavant dans un blanc immaculé. Cela rend justice à la qualité chromatique des ateliers de la fin du XIXe siècle."

À l’instar de l’introduction discrète du numérique dans le musée, il n’était pas question pour Dominique Brard de faire du “bling bling”, mais d’être “très modeste et très sensible par rapport aux œuvres et au lieu, pour leur redonner de l’éclat, sans que cela paraisse trop neuf ou trop présent. Nous avons réutilisé l’existant, en le détournant légèrement.

Le jardin intérieur du musée Bourdelle accueille toujours deux de ses bronzes, le gigantesque Vierge à l’offrande et le Centaure mourant.
Le jardin intérieur du musée Bourdelle accueille toujours deux de ses bronzes, le gigantesque Vierge à l’offrande et le Centaure mourant.
© Radio France - Benoît Grossin
Au sommet du bâtiment historique, l’ancien appartement de la fille d’Antoine Bourdelle a été transformé en café-restaurant et baptisé "Le Rhodia”, pour lui rendre hommage.
Au sommet du bâtiment historique, l’ancien appartement de la fille d’Antoine Bourdelle a été transformé en café-restaurant et baptisé "Le Rhodia”, pour lui rendre hommage.
© Radio France - Benoît Grossin