Arthur Mitchell, le premier danseur étoile noir qui a dynamité le ballet américain
Par Alexis MagnavalUn charisme hors-norme, une énergie débordante, une volonté de transmettre la passion de la danse : Arthur Mitchell n’est pas seulement le premier danseur étoile noir américain. Décédé il y a 3 ans, il a marqué la danse classique de son empreinte.
“La danse, c’est ma vie. C’est ma manière de m’exprimer, de militer.” Voilà comment le new-yorkais résumait son rapport à sa discipline, lors d’une interview en 1994.
“Grâce à l’obstination d'Arthur Mitchell, la question des minorités ethniques est rendue visible. Il a ouvert la possibilité à d’autres danseurs noirs d’accéder à des troupes très institutionnalisées comme le New York City Ballet.” Emmanuelle Delattre-Destemberg, maître de conférences en histoire contemporaine.
Le danseur est parti de loin mais n’a jamais caché sa fibre artistique. Dans le Harlem des années 40 et 50, il chante dans des chorales et prend des cours de claquettes. Plus tard, il intègre une école d’art à Manhattan. Travailleur acharné, il se déchire les muscles de l’estomac à force d'infliger des étirements à son organisme.
Fraîchement diplômé, il décroche une bourse pour intégrer le School of American Ballet, le tremplin vers le prestigieux New York City Ballet, qu’il intègre en 1955.
Dès sa première représentation, il subit des commentaires racistes du public, dont il va se relever rapidement.
Très technique, il monte les échelons rapidement. À tel point que George Balanchine, le directeur du New York City Ballet, lui propose le rôle principal dans "Agon". Il l’interprète avec la danseuse blanche Diana Adams, du jamais vu à l’époque.
“Balanchine, dans le style et ses créations, s’intéressait vraiment au corps en tant que danseur, expressivité, réalisation technique, et pas à la couleur de la peau. Et je pense qu’en ça, Balanchine, qui était d’une certaine façon aussi une minorité aux États-Unis parmi d’autres minorités, puisque c’était un immigré russe, a largement contribué à cette promotion des corps différents, quelle que soit la différence.” Emmanuelle Delattre-Destemberg, historienne spécialiste de la danse
En 1962, Mitchell devient le premier danseur étoile noir, le plus haut rang hiérarchique possible dans le ballet.
Redonner à Harlem
Bouleversé par l’assassinat de Martin Luther King en 1968, il décide de co-fonder le Dance Theatre of Harlem, dans le quartier qui l’a vu grandir.
“Lorsque le Dr King a été assassiné, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose, qu’il fallait que j’essaye de sortir les enfants de la rue, non pas forcément pour en faire des danseurs, mais pour leur donner un but dans la vie.” Arthur Mitchell
Il débute dans un ancien garage, portes ouvertes pour attirer les enfants dans la rue. Il autorise les élèves à porter des jeans et engage des batteurs au lieu de pianistes. Résultat : en 4 mois, 800 étudiants affluent au Dance Theatre of Harlem.
“C’est un vrai acte politique. Réussir à fonder une troupe aux États-Unis, ça ne demande pas les mêmes contraintes qu’en France où on a quand même de nombreuses troupes qui sont soutenues et subventionnées par l’État.” Emmanuelle Delattre-Destemberg, maître de conférences en histoire contemporaine
Sa compagnie deviendra une des plus réputées au monde. Elle est invitée au festival d’Arles en 1986, se produit en Afrique du Sud au sortir de l’apartheid en 1992, et s’ouvre les portes de la Maison blanche en 2006, sous les yeux du Président Bush.
L'avancement tardif de la représentativité
Malgré son influence, la question de la représentativité dans le ballet n’avance que tardivement. La première danseuse étoile noire, Misty Copeland, n’est nommée qu’en 2015.
Avec le Dance Theatre of Harlem, Arthur Mitchell est le premier à avoir ajusté les coloris des pointes et des collants à la couleur de la peau des danseurs, une pratique à laquelle souscrit désormais l’Opéra de Paris, tout comme l’arrêt du blackface.
Références