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Guillaume Gallienne : “Sans l’analyse, je me serais flingué”

Anne Laure Gannac
Publié le 27/05/2016 à 16:12 Modifié le 24/01/2022 à 17:55
Guillaume Gallienne : “Sans l’analyse, je me serais flingué”

En 2013, le grand public découvrait sa biographie torturée et hilarante dans “Les Garçons et Guillaume, à table !”. Trois ans plus tard, à l’affiche d’“Éperdument” de Pierre Godeau, ce comédien brillant se révèle sensuel et séducteur dans les bras d’Adèle Exarchopoulos. Il est comment, le nouveau Guillaume Gallienne ? Pas si simple. Confidences.

Tour à tour charmant et agaçant, parfois les deux en même temps : voilà Guillaume Gallienne en résumé, sachant que cet étiquetage expéditif l’horripilerait. Car de toute évidence cet homme déteste être là où on l’attend. D’ailleurs, il a plus d’une heure de retard quand il arrive, confus, courtois et immédiatement volubile, dans les bureaux de la Comédie-Française, sa deuxième maison depuis plus de quinze ans. Il profite de l’ascenseur pour nous livrer quelques anecdotes sur les fondateurs de l’institution. L’histoire, il en a la maîtrise (le diplôme !), le goût, voire les gènes. Fils d’un grand bourgeois et d’une aristocrate russo-géorgienne, il confie n’avoir jamais aimé la familiarité : « Quand on me demande des selfies, je ne suis pas à l’aise. Mais je peux comprendre. Quand j’ai vu Sylvie Guillem pour la première fois, si j’avais pu faire un selfie, je ne me serais pas gêné ! » Son truc, on l’aura compris, c’est moins Johnny que le ballet.

Une banquette, deux sièges, une salle de bains minimaliste : on se croirait dans une garçonnière ou un cabinet de psy, si la vue sur les colonnes de Buren ne nous ramenait pas à la réalité. Une cigarette et il plonge aussitôt au cœur de la matière intime, sans fausse pudeur. Sexe, mère, père, femme… En une dizaine d’années de psychanalyse, il a eu le temps d’affûter son souci de la sincérité. Cette quête ne passe pas que par les mots : la posture, les mouvements des bras, l’intensité changeante des regards… Il raconte moins qu’il incarne. On a parfois l’impression de le perdre : s’adresse-t-il toujours à nous, à un public invisible, ou à lui-même, comédien en exploration ? Puis cette voix, si particulière : tonalité grave, rythme endiablé, mélodie précieuse, elle prend un malin plaisir à brutaliser un penchant pour les formes littéraires surannées en les traversant de jets grossiers (« cul », « fuck », « chatte »…). Finalement, Gallienne, c’est autant de rondeur que de piques ou, pour le citer, du « convexe » et du « concave ». Une ambivalence que son actualité met encore en lumière.

Au cinéma, dans Éperdument, il incarne un directeur de prison qui tombe fou amoureux d’une détenue. Il y est beau, très viril et sensuel ; on le lui dit, il s’étonne. « Bizarrement, je pensais plus à la virilité en jouant Pierre Bergé [dans le film Yves Saint Laurent de Jalil Lespert]. » Ne pas être là où on l’attend, jamais.

Psychologies : avec ce nouveau rôle, j’ai cru que vous vouliez tourner la page de l’ambiguïté, en mettant en avant votre côté « hétéro viril ». Puis j’ai vu que vous repreniez au théâtre celui de Lucrèce Borgia. Pourquoi aimez-vous tant incarner les femmes ?

Guillaume Gallienne : Sans doute parce que je n’ai jamais eu aucun problème avec ma féminité – et c’est peut-être ça, mon problème ! Souvent, les hommes qui jouent des femmes ne peuvent pas s’empêcher, plus ou moins consciemment, d’ajouter une touche de ridicule, pour signifier : « Attention, c’est un travestissement, je suis un homme ! » Pas moi. Pour moi, tout est travestissement.  

Vous assumez votre part féminine…

Guillaume Gallienne : … Je n’ai pas le choix ! [Sa voix monte instinctivement.]

Et votre part masculine ?

Guillaume Gallienne : Tout autant, mais ça a pris plus de temps. Il faut dire qu’on ne m’y a pas aidé. Longtemps, j’ai été entouré par des hommes brutaux, dans ma famille, à l’école… Il m’a fallu du temps et du travail avant de considérer que ma masculinité valait le coup que je m’y intéresse.

Du travail sur votre voix, notamment ?

Guillaume Gallienne : Oui. Pendant quatre ans, la phoniatre Claude Fugain [sœur de Michel] m’a aidé à trouver ma tessiture : baryton ! Incroyable ! Cela dit, dès qu’elle me parlait de ma mère, je repassais en voix de tête dans la seconde. [Il rit aux éclats.] Avec elle, j’ai trouvé mes graves, ma résonance… Surtout, j’ai relié ma tête et mon corps. Jusque-là, mon corps n’existait pas : c’était du mystère, de l’incompréhensible, de l’ingérable. Or, la voix est l’élément du corps humain le plus lié à l’inconscient.

Quand avez-vous eu la sensation d’être le plus puissamment masculin ?

Guillaume Gallienne : Quand j’ai rencontré ma femme. Immédiatement. Elle est la seule femme au monde que j’ai voulu conquérir. Puis quand mon fils est né : je suis devenu gorille, ma cage thoracique a triplé de volume. [Silence.] Cela dit, qu’est-ce que la masculinité ? Parfois, je trouve que les hommes ne sont jamais plus virils que lorsqu’ils sont… très calmes. En avion, dans les trous d’air, ma femme a peur, pas moi. Voilà l’homme. Sauf que quand je suis seul dans l’avion, j’ai la trouille…

La construction de votre identité sexuelle a-t-elle été aussi difficile ? Vous avez dit être bisexuel…

Guillaume Gallienne : J’ai dit ça par réaction à des étiquettes qu’on a voulu me coller après Les Garçons et Guillaume : des gens m’ont dit homophobe. D’autres me jugeaient avec l’idée qu’on ne peut pas être efféminé, aller au ballet… et aimer une chatte. C’est tellement étriqué ! Vous en connaissez, vous, des gens qui n’ont jamais eu aucune interrogation sur leur sexualité ? S’ils existent, je doute que ce soient les plus drôles au lit. Oui, j’ai connu la bisexualité, parce que, ado, j’étais tiraillé par des peurs et que le meilleur moyen de les apprivoiser, c’est de se confronter à leur objet. Mais il se trouve que j’aime ma femme depuis quinze ans.

Ce qui l’apaise

Pour aller plus loin

Lire, lire, lire « de tout mais à choisir, Proust, À la recherche du temps perdu. Je l’ai lu pour la première fois tardivement, vers 28-29 ans, depuis il ne me quitte plus et j’y replonge souvent avec délice ».

Écouter « la radio, la musique, des voix. Je n’aime pas la “musique en fond” : quand j’en écoute, je ne fais que ça. Je parle beaucoup, mais je suis aussi très à l’écoute, y compris visuellement. Je me nourris de ce que je perçois ».

Prier, « il m’arrive souvent de pratiquer la prière, dans de très courts instants, pour remercier. J’aime les actions de grâce. Faire preuve de reconnaissance. Cela me semble essentiel. Nous ne sommes que des passeurs. Des témoins ».

Regarder la nature, « pas la campagne française, quoique… ça commence à me plaire. Mais j’ai une vive préférence pour l’océan. Et pour la campagne anglaise ! Qu’il pleuve, neige ou vente, cela me procure un état de bien-être inégalable ! ».  

Vous avez un enfant ensemble. Quel père êtes-vous ?

Guillaume Gallienne : Un peu trop tactile à son goût. Il va avoir 9 ans, alors les câlins de papa… Il me fait jouer au foot, même s’il sait que ce n’est pas ma tasse de thé. Au tennis, je le fais marrer parce que je suis une brêle alors que lui est plutôt bon. J’essaie d’éveiller son goût pour les voyages, les spectacles… Surtout, je l’incite à se faire confiance, à se lâcher, à danser s’il en a envie, à dire ce qu’il a à dire. Mais, vous savez, il est déjà tellement lui-même depuis sa naissance. Je ne suis qu’un accompagnateur.

Vous arrive-t-il d’être avec lui le père que vous avez eu ?

Guillaume Gallienne : Pas du tout ! Enfin si, ce matin, je suis monté dans les tours comme un con… De vieux schémas reviennent parfois. Mais je vois un psy depuis suffisamment d’années pour avoir su éviter les pires : je ne suis ni tyrannique ni humiliant. Le soir de la première de mon spectacle, une dame m’a demandé : « Pourquoi n’avez-vous pas écrit sur votre père ? » J’ai répondu : « Parce que ça n’aurait pas été drôle. » Mais qui sait ? Mon père pouvait être drôle, à sa façon. Il est mort avant la sortie du film, mais il avait vu la pièce. Sauf qu’il avait oublié son Sonotone. Bel acte manqué.

La psychanalyse vous a-t-elle aidé à lui pardonner ?

Guillaume Gallienne : Je me souviens d’avoir, un jour, demandé à une grand-tante : « Quand est-ce qu’on règle tout ça ? » Elle m’a regardé avec tendresse : « On ne règle pas, on accepte. » C’était très beau et sans résignation. Accepter, c’est actif : comprendre d’abord, puis admettre. Voilà, ça s’est passé comme ça. Alors, qu’en ai-je tiré de positif ? Finalement, à partir de 27 ou 28 ans, je m’entendais plutôt bien avec mon père. Le plus difficile a été après sa mort. J’ai pris la mesure des dommages collatéraux qu’il avait causés, pas tant à moi qu’à des personnes que j’aime… Mais bon, il est mort dans d’atroces souffrances. Il a payé très cher.

Et aujourd’hui, quelle relation avez-vous avec lui ?

Guillaume Gallienne : Il me manque parfois. L’autre jour, on m’a proposé de faire une lecture publique, ça ne m’arrangeait pas, j’ai tout de même demandé : « De quel auteur ? » « Simenon. » « Alors oui. » C’était son auteur préféré. J’aime lui faire ce genre de clin d’œil.

Actu

Pour aller plus loin

Un homme et une femme

Au cinéma. Directeur de prison, Florent Gonçalves a été condamné à deux ans de prison en 2012 pour avoir entretenu une liaison avec une détenue (il relate son histoire dans un livre, Défense d’aimer, Presses de la cité). De ce fait divers, Pierre Godeau a fait un film d’une sensualité renversante, grâce à la rencontre miraculeuse entre Guillaume Gallienne et Adèle Exarchopoulos.
Éperdument de Pierre Godeau. En salles le 2 mars.

Au théâtre. Lucrèce Borgia, meurtrière, mère incestueuse. Denis Podalydès a voulu en donner le rôle à Guillaume Gallienne, sans chercher à le travestir. La réussite est totale.
Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène de Denis Podalydès. Jusqu’au 30 avril à La Comédie-Française.

À la radio. En 2009, la direction de France Inter lui donne carte blanche pour animer une émission. Il opte pour la lecture. Il choisit les textes, mais découvre les extraits à l’antenne.
Ça peut pas faire de mal, tous les samedis à 18h10, sur France Inter.

Quel est votre rapport à la psychanalyse ?

Guillaume Gallienne : J’ai fait ma première thérapie de 11 à 13 ans, qui m’a sorti d’une dépression. Puis j’y suis revenu à 16 ans. Sauf que cette fois je suis tombé sur un cinglé qui m’a bloqué. Jusqu’à 23 ans. Là, j’ai enchaîné quatre ans sur le divan. Sans la psychanalyse, je me serais flingué.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui était le plus difficile pour vous ?

Guillaume Gallienne : D’abord, j’ai mis longtemps à comprendre qu’il fallait s’aimer et ce que cela voulait dire. Puis, j’avais plein d’envies, mais qui me semblaient impossibles à atteindre. Tout était une montagne face moi. Cela peut encore m’arriver. Par exemple, juste avant de jouer Lucrèce, si je pense à une scène : « Mon Dieu ! Comment vais-je arriver à faire ça ? »

Pourtant, j’imagine que vous travaillez beaucoup en amont ?

Guillaume Gallienne : Je travaille l’intime, mais pour le reste, non, je plonge. En sachant que je peux compter sur les autres pour me sauver.

Je peux comprendre que ce soit source d’angoisse…

Guillaume Gallienne : … et d’un plaisir intense ! Refaire une scène soixante fois avec la même intonation, j’en serais incapable. Moi, ce que j’aime, c’est l’éphémère. Vous êtes lacanienne ? L’éphémère, « l’effet-mère ». Mon père était un grand paranoïaque, qui nous obligeait à tout anticiper. Je n’ai jamais su faire. Chaque fois que j’essaie de faire des calculs sur l’avenir, je me plante en beauté. Je suis dans le présent. Cela m’a souvent sauvé : dans les moments de mon enfance où il n’y avait pas de quoi rire, je pouvais m’asseoir au fond de moi-même, regarder et pouffer.

Vous êtes russe orthodoxe, n’est-ce pas ?

Guillaume Gallienne : Oui, j’ai été baptisé catholique, mais ma mère est russe orthodoxe. J’ai fait ma conversion à 29 ans. J’ai toujours adoré ce rite, l’encens, sa philosophie… Elle ne pose pas de mystère en Dieu. Ce qui est mystérieux, c’est votre chemin de chrétien. Ainsi, dans la confession, on n’énumère pas tous ses péchés, on confesse plutôt ses difficultés sur sa voie, cela permet d’obtenir des réponses concrètes. Par exemple, un jour, je dis à mon confesseur : « Je n’arrive pas à faire le Notre Père. Le Je Vous salue Marie, sans problème, mais le Notre Père, ça ne sort pas. » Il m’a répondu : « Y a-t-il quelqu’un d’âgé ou de malade autour de vous ? » « Oui, ma grand-mère. » « Occupez-vous d’elle, ça ira mieux. » Et en effet, en quelques jours, c’était réglé. « Tu es trop dans l’ego », voilà ce qu’il m’avait dit, sans me culpabiliser mais en me proposant un chemin, concret, actif. Son conseil, je l’applique encore.

Avez-vous le sentiment de souvent lutter contre trop d’ego ?

Guillaume Gallienne : En permanence, c’est un vrai problème. Jusqu’à présent, j’ai trop été dans le me, myself and I, je n’ai pas assez donné par rapport à tout ce que j’ai reçu. Il est temps que je m’ouvre à plus large.

Quel est le remède ?

Guillaume Gallienne : Trouver le calme. Apprendre à lutter contre le remplissage, le mouvement perpétuel… Less is more. Dans le jeu, je commence à y parvenir. Dans la vie, j’ai encore du boulot.  

Bio de Neuilly aux Césars

Pour aller plus loin

1972 : naissance à Neuilly-sur-Seine, troisième garçon d’une fratrie de quatre. 1990 : mort d’Alicia, sa cousine de 20 ans. Il s’inscrit au Cours Florent. 1993 : maîtrise d’histoire. 2000 : Jet Set de Fabien Onteniente. 2005 : mariage avec Amandine, coloriste de tissus. 2007 : naissance de leur fils, Tado. 2008-2010 : Les Bonus de Guillaume (Le Grand Journal, Canal +). 2008 : spectacle Les Garçons et Guillaume, à table !. 2014 : cinq césars pour son adaptation au cinéma.