Toxicomanie et devenir de l'humanité
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Toxicomanie et devenir de l'humanité

Claude Olievenstein

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Toxicomanie et devenir de l'humanité

Claude Olievenstein

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Pour le trentième anniversaire du Centre médical Marmottan, créé par le Pr Claude Olievenstein, grands savants et intellectuels se sont réunis autour de lui pour tirer le bilan de cette expérience toujours pionnière et proposer une réflexion prospective sur la toxicomanie. Contributions de Boris Cyrulnik, Jacques Derrida, Jean Dugarin, Dominique Gillot, Michel Hautefeuille, Albert Jacquard, Nicole Maestracci, Louise Nadeau, Jeremy Narby, Claude Olievenstein, Bernard Roques et Marc Valleur.

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Information

Publisher
Odile Jacob
Year
2001
ISBN
9782738161895

Trente ans d’intervention en toxicomanie


par MARC VALLEUR

Mme la Ministre,
Mme la Présidente,
Chers collègues,
Merci à tous d’être là…
Je suis très fier d’ouvrir cette journée, et très impressionné par la qualité des intervenants, qui ont, avec beaucoup de chaleur et de spontanéité, accepté de venir réfléchir avec nous, comme par le nombre et la qualité des personnes inscrites, de M. Aalam à Mme Zyserman… et il faut souligner que nombre de participants aujourd’hui sont venus de très loin, comme nos amis du Portugal, d’Italie, de Belgique, de Suisse, de Tunisie, du Maroc, d’Algérie, de Hongrie, du Liban…
Une telle célébration serait étonnante, pour une institution de taille (et de budget) modeste, si nous ne savions pas qu’elle est devenue, grâce à Claude Olievenstein, le symbole d’un type d’approche et d’une éthique de l’intervention en toxicomanie…
Lorsque je suis arrivé comme interne au centre Marmottan, en 1974, Claude Olievenstein m’a dit que c’était le dernier endroit à choisir pour faire une carrière de psychiatre, et que, de toute manière, il ne savait pas combien de temps cette expérience allait pouvoir survivre…
C’est dire que l’idée d’en fêter un jour le trentième anniversaire était hautement improbable, tant la légèreté et la fragilité de l’institution, comme la marginalité de ses positions, nous apparaissaient évidentes.
Ce sentiment de fragilité et de marginalité tient à plusieurs ordres de faits :
– Tout d’abord, et c’est sans doute le plus important, la difficulté de l’intervention en toxicomanie au quotidien, qui constitue un engagement, et une remise en question personnelle permanente, source de surmenage et d’usure, de ce qu’on appelle aujourd’hui le burn-out. Je me souviens par exemple d’une équipe de Montréal qui avait organisé une grande fête pour cet événement exceptionnel : un de ses membres atteignait dix ans d’ancienneté…
Cette journée est donc celle de Claude Olievenstein, qui a battu tous les records en la matière, et dépasse les trente ans d’intervention. Mais elle est aussi celle de tous les intervenants qui, malgré toutes les querelles de chapelles et les conflits idéologiques, partagent au quotidien la difficulté de ce travail, et méritent tous, quels que soient leur profession ou leur lieu de travail, d’être considérés avec respect.
– Un autre aspect de cette question provient de ce que les intervenants partagent avec leurs clients une sorte de statut social de marginaux, sinon dans la réalité, du moins dans les représentations sociales : la force de ces représentations fait que nous sommes souvent considérés, de même que nos clients, comme des marginaux ou des psychopathes, peu enclins à respecter les règles et les lois, et peu soucieux de rigueur scientifique… Les soignants de toxicomanes seraient forcément un peu des voyous, comme les gens qui essaient de travailler sur la question du jeu pathologique passent, forcément, pour peu sérieux, tant la représentation du jeu comme contraire du sérieux est ancrée dans les esprits…
– Un troisième volet tient, indéniablement, aux origines historiques, voire idéologiques de notre travail : Marmottan ne renie pas ses origines libertaires, son côté post-soixante-huitard, ni son lien originel avec les courants antipsychiatriques.
C’est en effet de ces influences et de ce contexte que provient le souci constant d’une alliance entre professionnels et « clients », dans une volonté permanente de réduire la dissymétrie inhérente à la relation soignant-soigné.
Il faut souligner que la référence à l’antipsychiatrie fut, à l’origine, en partie légitimée par l’inadéquation des structures existantes à la prise en charge des toxicomanes, sinon à celle de nombreuses formes de souffrance psychique : Olievenstein a toujours utilisé la référence négative à l’asile, comme exemple de ce qu’il fallait éviter de reproduire, comme il a toujours refusé un rôle de « chien de garde de la société ».
Ce n’est sans doute pas du tout par hasard si notre ami Umberto Nizzoli, élève de Franco Basaglia, est aujourd’hui l’un des piliers du service public de soins pour toxicomanes en Italie.
Les discours libertaires, nourris de la critique des Asiles par Goffman, du Foucault de Surveiller et Punir, ne furent pas à l’époque simplement la production de doux rêveurs au romantisme exacerbé par la surconsommation de drogues douces. La toxicomanie posait nombre de problèmes, et notamment celui de ne pas entrer, sous peine de réductionnisme excessif, dans les cadres théoriques de la science, et dans l’ordinaire des pratiques médicales ou psychiatriques.
Les premiers intervenants furent sensibles à l’idée, soutenue par T. Szasz, que la « maladie toxicomaniaque » était en grande partie métaphorique, et laissèrent ouvert ce champ aux interrogations d’autres disciplines.
L’antipsychiatrie elle-même, en lien notamment avec la psychanalyse, a donc constitué un mouvement autocritique, à l’intérieur de la psychiatrie, et ne fut pas simplement dénonciatrice, mais aussi source de propositions alternatives.
Le type d’alliance que nous avons pu soutenir avec nos clients depuis trente ans rejoint nombre de revendications très actuelles sur la citoyenneté et le droit des patients, sur l’humanisation de l’hôpital, bref, sur le fait que le souci de l’humain ne soit pas éclipsé par la nécessité technique du traitement des maladies.
Nous sommes très heureux que notre approche n’ait rien de clandestin, et de l’appui qui lui est apporté par le ministère des Affaires sociales et par la MILDT, sans le soutien de laquelle cette journée n’aurait pu avoir lieu…
Et nous sommes fiers de représenter un mode d’intervention du service public : je dois souligner que nous avons toujours été soutenus par notre administration, celle de l’établissement public de santé de Perray-Vaucluse, comme nous avons été soutenus par de nombreux confrères psychiatres. Je tiens par exemple à rendre hommage à l’un de mes maîtres en psychiatrie qui est présent ce jour, et qui incarne à la fois une clinique complexe, influencée par la psychanalyse, et le versant le plus humain de la psychiatrie de secteur, le docteur P. Bailly-Salin, auteur dès 1969 d’un texte très actuel sur la drogue1.
Nous sommes, et tenons à le rester, un service du secteur public hospitalier, médical, et, à l’heure où les structures de soins pour toxicomanes doivent entrer dans le cadre d’un financement par l’assurance maladie, il faut souligner l’importance que revêt pour nous le fait que les structures hospitalières restent dans le cadre sanitaire…
Nous sommes très impressionnés par la qualité de tous les intervenants à cette journée, qui ont accepté de partager avec nous leurs réflexions, et nous les avons laissés totalement libres quant au contenu de leur intervention.
Nous avions initialement conçu le programme de cette journée en trois parties principales :
– une réflexion sur la fonction même de l’intervention en toxicomanie,
– une réflexion clinique,
– une réflexion sur les drogues et la civilisation.

Les débuts de l’intervention (le toxicomane comme minorité)

Pionnier dans la construction même de la toxicomanie moderne comme entité sociale méritant un abord sanitaire, Claude Olievenstein se vit confier la tâche de fonder une institution expérimentale, dans le cadre de la loi du 31 décembre 1970, qui a entériné un statut extraordinaire du toxicomane, à la fois délinquant et malade. Il faut parfois rappeler qu’aujourd’hui encore le rapport du professeur Henrion n’a pas été suivi d’effets, que le simple usage de stupéfiants, y compris de cannabis, est passible d’un an de prison, et que le droit à la gratuité des soins est assorti d’un droit à l’anonymat qui souligne le caractère hautement stigmatisé de la toxicomanie.
Pourtant, si la création de Marmottan correspond au versant sanitaire de la loi de 1970, il faut souligner que ce n’est pas la redécouverte ou la reconstruction d’une simple maladie qu’a effectuée Claude Olievenstein.
Selon lui, le toxicomane est « à la fois malade et non malade », et la toxicomanie correspond avant tout à une forme de statut anthropologique très particulier, l’intervention ne pouvant être conçue indépendamment d’une réflexion sur son impact social.
Michel Foucault, à propos de la prison, dit que son but fut d’emblée, parmi la masse des infracteurs, de produire la délinquance. Nous pourrions accepter l’idée, de la même façon, que le but des institutions spécialisées serait, parmi la masse des usagers de drogue, de produire la toxicomanie. Le sentiment de fragilité de notre champ d’intervention se double donc d’une inquiétude permanente sur la fonction sociale de notre travail. À nous de faire que ce statut de toxicomane soit plus enviable que les alternatives possibles, qui seraient celui de malade ou celui de délinquant…
Les toxicomanes représentent d’abord la part rejetée, exclue, de la jeunesse, et le fait qu’Olievenstein soit né à Berlin en 1933 explique son engagement auprès de ce qu’il a vécu comme une minorité opprimée et stigmatisée.
Le professeur Jacquard dénonce l’excès d’exigence de la société envers les jeunes, l’ambiance de compétition élitiste, dans laquelle les plus faibles sont laissés au bord de la route.
L’usage de drogues est lié à cette problématique de plusieurs manières : il peut être, comme le dopage, un moyen de « suradaptation », un outil du culte de la performance.
Il peut aussi, comme dans le cas de la plupart de nos clients, être signe de rupture, de marginalité subie, ou d’anesthésie et de tentative d’automédication.
Mais les toxicomanes ne sont pas simplement des exclus, ou des victimes passives d’une société de consommation et de compétition.
Il peut exister dans leur démarche un choix de révolte ou de marginalité active, un refus d’acceptation des modèles dominants, une revendication d’un style de vie différent.
La recherche d’une liberté absolue qui s’abîme dans la dépendance, la relation au plaisir, au risque, à la mort : autant de thèmes philosophiques, posés à chaque fois, de façon différente, par chacun de nos clients, qui justifieraient des journées entières de travail avec Jacques Derrida…
Le droit à un plaisir autre, la revendication d’une existence en marge : ceci peut justifier de parler du droit, non seulement des usagers de drogues, mais des toxicomanes, à le rester. Malgré bien des malentendus, il faut continuer à rappeler que le but du traitement n’a jamais été pour nous l’abstinence, mais ce que Claude Olievenstein nomme la « démocratie psychique », la capacité à faire et à assumer ses choix.

Les dix ans de Marmottan

Si nous ne renions rien des principes issus de cette époque pionnière, il faut souligner que tant Marmottan que l’ensemble du dispositif de soins n’ont cessé d’évoluer, en parallèle aux modifications des modalités de l’usage de drogues et des toxicomanies.
Les dix ans de Marmottan, en 1981, ont correspondu à un tournant important, que le sociologue H. Bergeron2 résume un peu rapidement par l’avènement de l’hégémonie du paradigme psychanalytique.
Ce fut, d’une certaine manière, la fin de la période pionnière, et le constat d’une professionnalisation et d’une institutionnalisation de l’intervention.
En 1981, Marmottan, l’établissement antipsychiatrique, tint un séminaire à Sainte-Anne, le plus haut lieu symbolique de la psychiatrie française.
Ce fut aussi la création du centre Monceau de thérapie familiale : force était de constater que les toxicomanes n’étaient plus tous en rupture radicale avec leurs familles, et que la souffrance de celles-ci devait être prise en compte.
Ce fut aussi l’époque de la création de l’ANIT, signe que Marmottan s’inscrivait dans le cadre d’une véritable chaîne thérapeutique. Je remercie la présidente actuelle de l’ANIT, Mme Marie Villez, tant pour sa participation à cette journée que pour son soutien constant…

Les vingt ans de Marmottan

En 1991, nous avons fêté à la Sorbonne les vingt ans de l’institution, autour du thème : « Marmottan est-il toujours adapté ? »…
Le sida avait bouleversé le champ de l’intervention, remettant en question son caractère peu médicalisé, et démontrant la nécessité d’approches pragmatiques, regroupées sous le terme de politique de réduction des risques.
Je rappellerai que Claude Olievenstein avait, sans doute le premier, milité pour la mise en vente libre des seringues, et qu’il fut aussi, même à contrecœur (« en désespoir de cause3 »), l’un des premiers à soutenir l’extension des programmes méthadone.
En 1991, Marmottan put se doter d’un véritable service de médecine générale, visant à permettre l’accès aux soins des usagers de drogue actifs comme des toxicomanes en démarche de soin, et qui constitue aussi un lieu de prévention et de promotion de la réduction des risques.
C’est plus récemment, et après plus de débats internes, que nous avons intégré la mise à disposition – toujours anonyme et gratuite – de produits de substitution dans la palette de nos outils thérapeutiques.
Il semble que les querelles entre tenants et adversaires de la substitution soient aujourd’hui en grande partie dépassées.
Cela ne veut pas dire qu’il y a – ni qu’il doive y avoir – unicité d’approche en toxicomanie.
Et, parmi les questions qui ont agité notre champ autour des traitements de substitution, il faut noter que non seulement certaines restent d’actualité, mais qu’elles vont se reposer, inchangées, dans le cadre des addictions…
Ces débats qui ont fait rage autour de la substitution nous ont poussés à poser plus clairemen...

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