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Académie française : la malédiction du fauteuil 19

Rendez-vous chaque jeudi… Sous la coupole de l’Institut de France, quai de Conti, le temple de la langue française. Napoléon, en tenue de sacre, surveille.
Rendez-vous chaque jeudi… Sous la coupole de l’Institut de France, quai de Conti, le temple de la langue française. Napoléon, en tenue de sacre, surveille. © Vlada Krassilnikova / Paris Match
Gilles Martin-Chauffier , Mis à jour le

Déjà trois élections blanches sous la Coupole pour trouver un successeur à Jean-Loup Dabadie. L’immortalité, ça se mérite.

L’Académie française fait rêver. Songer que, sous le règne de Louis XIV, Corneille et Racine y siégeaient, tout comme La Bruyère et La Fontaine, ainsi que Bossuet et Fénelon… Et j’en oublie. C’était le plus tentant des clubs. D’autant que les membres ne se tuaient pas à la tâche. Leur seule mission était de rédiger un dictionnaire de la langue française.

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Parfois, franchement, ils bâclaient. Dans leur première édition, le mot « âne » était défini comme « bête de somme à longues oreilles ». En 1878, embarrassés par une telle pauvreté, leurs successeurs avaient ajouté « du genre cheval ». À se ­demander s’ils méritaient leur statut exceptionnel.

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Hugo ne fut élu qu’à sa cinquième candidature

Pourtant, au XIXe siècle, tous les grands talents faisaient partie des immortels. Aucun n’échappait à cet honneur. Ni, d’ailleurs, aux petites blessures d’amour-propre que cet adoubement exigeait. Hugo ne fut élu qu’à sa cinquième candidature. Vigny à la huitième. Seul Zola fut obstinément rejeté, bien qu’il se fût présenté plus de vingt fois.

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Plus tard, au XXe siècle, l’institution perdit un peu de son éclat. Des adversaires se mirent à rire de son archaïsme. D’abord les surréalistes. Pour André Breton et son gang, ces vieilleries relevaient d’un patriarcat décrépit. Puis vint la « NRF ». Certains d’incarner seuls la vraie littérature, Gide et ses amis se firent un honneur de ne pas plier le genou devant cette auguste ruine. Ne parlons pas, ensuite, de Sartre et des existentialistes : l’habit vert et l’épée n’allaient pas avec leurs fantasmes de guérilleros de la pensée. Sans omettre le bicorne !

Le Clézio, Modiano ou Houellebecq n’y sont pas

Les choses se sont arrangées quand Paulhan, le dictateur des éditions Gallimard, se trouva flatté d’être de la Compagnie. Depuis 1960, la Coupole a retrouvé son prestige et fait à nouveau rêver les plumes à lauriers. Pas toutes, néanmoins : Le Clézio, Modiano ou Houellebecq n’y sont pas. Des exceptions qui confirment la règle. Ils seraient pourtant assurés d’une élection de maréchal. Ce qui est rare. L’Académie se fait une joie de rabaisser le caquet de ceux qui frappent à sa porte.​

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Récemment, l’élection au siège 8, le fauteuil de Michel Déon, mort en 2016, a laissé de nombreux cadavres prestigieux sur le terrain. Au premier affrontement, Frédéric Mitterrand, Bruno Racine, Jérôme Clément et François Taillandier ont été invités à revenir plus tard. Au deuxième, ce sont Luc Ferry, Charles Dantzig et Alain Duault qui rentrèrent chez eux panser leurs plaies. Finalement, Daniel Rondeau l’a emporté en 2019. Sous la Coupole, les successions prennent leur temps.

Actuellement, cinq sont ouvertes : celles de Jean-Denis Bredin (fauteuil 3), de Marc Fumaroli (fauteuil 6), de Valéry Giscard ­d’Estaing (fauteuil 16), de René de Obaldia (fauteuil 22) et, ces jours-ci, celle de Jean-Loup Dabadie.​ Une malédiction semble planer sur son fauteuil, le 19.

Le fauteuil 19 : tous ceux qui ont voulu s’y inscrire ont été priés de repasser l’épreuve

Avant lui, y avaient siégé les célèbres François de Porchères d’Arbaud, Olivier Patru et Nicolas Potier de Novion. Je plaisante. Il y eut aussi Marie-Joseph Chénier, Chateaubriand, Paul Deschanel, un président de la République, Maurice Paléologue, diplomate et descendant des basileus de Byzance, René Clair. Un très beau générique. Sauf que tous ceux qui ont voulu s’y inscrire ont été priés de repasser l’épreuve.

Franz-Olivier Giesbert, en mai 2022, au moment du premier vote. Un candidat malheureux.
Franz-Olivier Giesbert, en mai 2022, au moment du premier vote. Un candidat malheureux. Paris Match / © Patrick Fouque
Frédéric Beigbeder, 8 voix le 10 novembre 2022: pas assez pour être élu.
Frédéric Beigbeder, 8 voix le 10 novembre 2022: pas assez pour être élu. Paris Match / © Julien Faure

Elle a déjà donné lieu à trois élections blanches. Premières victimes : Franz-Olivier Giesbert et Olivier Barrot. Deuxième vague d’éclopés : Frédéric Beigbeder (8 voix) et Benoît Duteurtre (11 voix). Ce dernier, arrière-petit-fils de René Coty et romancier très doué pour peindre à l’acide des aquarelles de la société française, semblait assuré d’une victoire facile. Avoir bu, enfant, des chocolats à l’Élysée n’a cependant plus suffi quand, à la dernière minute, Frédéric Beigbeder, autre excellent romancier bêchant les mêmes sillons, est entré en lice et a pioché dans son réservoir d’électeurs.​

Éric Neuhoff dans son appartement parisien, le 10 mars 2023. La veille, il a raté de peu l’élection.
Éric Neuhoff dans son appartement parisien, le 10 mars 2023. La veille, il a raté de peu l’élection. Paris Match / © Vlada Krassilnikova

La semaine dernière, pour la troisième élection, tout semblait promettre une victoire facile à Éric Neuhoff. Héritier des Hussards à la Nimier, armé d’une ironie cinglante, couvert de prix littéraires, il est en prime un critique respecté de cinéma – ce qui convenait à merveille pour succéder à René Clair et Dabadie. D’autant que c’est l’Académie elle-même qui lui avait suggéré de concourir le soir où elle lui avait remis le Grand Prix de littérature Paul Morand, sa plus haute distinction et la mieux dotée (45 000 euros). Mais les promesses ­n’engagent que ceux à qui on les fait. On connaît la phrase de Mauriac : « Je lui avais promis ma voix, je n’allais pas en plus la lui donner. »

Trente-trois lettres à envoyer. Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie

Éric Neuhoff

Or, à quelques semaines du vote, Neuhoff a vu apparaître un nouveau candidat, Alain Borer, spécialiste peu connu mais reconnu de Rimbaud. Soudain, les jeux n’étaient plus faits. Personne n’osait parier sur le résultat. Quand il est tombé, au quatrième tour, Neuhoff avait 11 voix. Or il en fallait 14, puisque, jeudi dernier, 27 immortels s’étaient déplacés. La règle est exigeante : une moitié des votants plus une voix. Ne restait à Éric Neuhoff qu’à prendre son malheur avec élégance – ce qu’il a fait chez son éditeur, Albin Michel, où, autour de Francis Esménard, d’Amélie Nothomb et de la Veuve Clicquot, des dizaines de journalistes et d’auteurs sont venus, sourire en coin, lui taper sur l’épaule. Son seul commentaire : « Trente-trois lettres à envoyer. Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie. »

Très importantes, ces lettres de candidature. Celles de François Weyergans, élu sans faire campagne, passent pour avoir été géniales : débordantes de flatteries sans jamais une ligne de compliment direct. L’humour de Beigbeder a aussi fait grande impression. Soucieux du détail, il avait collé sur sa lettre à Jean-Marie Rouart un timbre représentant son grand-père dessiné par Degas.​

Les visites aux membres de l'Académie : un exercice de haute voltige

Après les lettres, on est parfois invité à rendre visite aux membres de l’Académie. Neuhoff en a ainsi rencontré six. Ni fou ni découragé, il n’en dit rien. Tous ceux qui en ont parlé évoquent un exercice de haute voltige. C’est à la fois un entretien d’embauche, une visite de Noël au vieil oncle ratiocinant dont on guigne l’héritage et un rendez-vous plein de promesses et d’appréhension avec une jeune fille à laquelle on proposera, après le dîner, de la raccompagner chez elle. Un seul conseil : marcher sur la pointe des mots.

Attention : tous ne prennent pas les résultats avec le cachet de Neuhoff. Choqué que son élection ait été accompagnée de 10 croix (signifiant qu’aucun des prétendants ne convenait à l’électeur), Alain Finkielkraut, pourtant philosophe, s’en était ému le lendemain au micro de Jean-Pierre Elkabbach. L’entretien avait fait monter la tension sous la Coupole.

La cooptation de Mario Vargas Llosa est mal passée

Bien moins, cela dit, que l’entrée récente de Mario Vargas Llosa, ardemment soutenue par Marc Lambron et François Sureau, deux amis intimes dont l’entregent fait des miracles au point que quelques-uns les surnomment Zig et Puce. D’abord parce que le Prix Nobel péruvien avait plus de 75 ans. Un âge limite fixé pour en finir avec les agaçantes candidatures à répétition de Pierre Bergé, de Claude Lanzmann et de Paul Lombard. Ensuite, parce qu’il n’a jamais écrit en français. Du coup, sa cooptation est mal passée. À sa réception, seuls quinze académiciens firent acte de présence. Même Dominique Bona, la biographe la plus perçante mais la personne la mieux élevée ­d’Europe, s’était fait porter pâle.

On se serait cru revenu aux grandes heures de l’élection de Valéry Giscard ­d’Estaing quand le parti gaulliste, mené par Maurice Druon, avait fait campagne urbi et orbi contre lui. Jusqu’à publier une lettre ouverte dans « Le Figaro ». Un affront comme on n’en avait plus connu depuis Chateaubriand et Napoléon.​

Car il y a des factions à l’Académie. Longtemps, il y eut le clan des ducs, puis celui des cardinaux et celui des maréchaux. Depuis, on a parlé d’une coterie franc-­maçonne à laquelle on attribuait l’élection de Jean-Loup Dabadie. À voir. Les homosexuels aussi formeraient lobby mais discrètement, sans boule à facettes. Dans les années 1960, nul ne pouvait ignorer la puissance de feu du « Figaro » : Thierry Maulnier, François Mauriac, André Frossard, Michel Mohrt, Pierre Gaxotte… Le rond-point des Champs-Élysées était le dernier virage avant le quai de Conti. Virage à droite, bien sûr, même s’il y a aussi une gauche dont Danièle Sallenave est aujourd’hui la chef de file, contrariée par l’élection de Vargas Llosa.​

Une opposition de fond entre universitaires et romanciers

Pas de guerre ouverte cependant. L’ère des affrontements violents entre pétainistes et gaullistes est révolue. L’opposition de fond, s’il y en a une, serait plutôt entre universitaires et romanciers. Avec un avantage pour les premiers. De Georges Duby à Antoine Compagnon en passant par Fernand Braudel, Georges Dumézil ou Marc Fumaroli, leur carrière parle pour eux. Seul Yves Coppens, parmi ces géants, a mordu la poussière. Les immortels ne voulaient pas parmi eux d’un spécialiste des fossiles. Rien de tel avec les romanciers. Grimpé sur les échasses de sa vanité, n’importe quel lilliputien peut mettre en doute le talent de Jean d’Ormesson, de Marguerite Yourcenar, de Patrick Grainville. Les écrivains relèvent de chapelles. On s’y excommunie. L’aléatoire règne.​

Tout le mystère de ces élections réside dans ce mélange de promesses, de calculs, d’enthousiasmes et de jalousies. À la surprise générale, Angelo Rinaldi, romancier subtil et arachnéen mais critique féroce, fut élu à sa première candidature. Jean-Marie Rouart, aussi sensible dans ses livres mais plus souple dans ses critiques, dut attendre la cinquième.

Tout ce qu'on vous demande réellement, c'est d'être de bonne compagnie est d'abord facile

On se disait que le premier n’oserait plus lapider les compagnons qu’il croiserait le jeudi, tandis qu’on redoutait que Rouart, lui, oubliât de leur rappeler par écrit son amitié. Et ne prenez pas ce dernier mot à la légère. C’est lui qui tient la clé d’une élection. L’Académie est un club. Tout ce qu’on vous demande réellement, c’est d’être aimable, de bonne compagnie et d’abord facile. Les membres doivent s’apprécier. Pour géniaux qu’ils soient, les bavards, les sentencieux, les tristes et les vaniteux ne sont pas reçus. Les prétentieux, non plus. Il ne reste plus grand monde.

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