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Sophie Calle et les fantômes de Picasso

Le «Guernica » de Sophie Calle : un mur où sont réunies des bribes de sa collection. Annette Messager, Germaine Krull, David Rochline…
Le «Guernica » de Sophie Calle : un mur où sont réunies des bribes de sa collection. Annette Messager, Germaine Krull, David Rochline… © Patrick Fouque
Anaël Pigeat

Le musée Picasso a donné carte blanche à l’artiste française dans l’ensemble de ses espaces. Une exposition en forme de réflexion sur l’absence du maître.

C’est une drôle de fête que Sophie Calle a composée pour les 50 ans de la mort de Picasso, toute une cérémonie peuplée d’ombres et de fantômes. Cette artiste internationalement célébrée, qui avait occupé le pavillon français de la Biennale de Venise en 2007, se confronte à l’œuvre du maître dans un jeu du chat et de la souris dont on n’est pas sûr de savoir qui est le chat et qui est la souris. D’ailleurs, Sophie Calle aime les chats. Le sien s’appelait Souris.

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En 2019, l’ancien président du musée, Laurent Le Bon, l’avait invitée à s’emparer de l’ensemble des espaces du lieu. Et si elle rend aujourd’hui hommage à Picasso, c’est à son esprit carnassier, à sa présence absente, au côté magique de son œuvre au bord de la superstition, plutôt qu’à ses formes révolutionnaires. « À toi de faire, ma mignonne » est un hommage irrévérencieux et sans fard. Plutôt un geste de défiance. Une exposition (presque) sans lui.

Un hommage à l’esprit carnassier du peintre, au côté magique de son œuvre

« Le cénotaphe de Sophie », de Serena Carone, 2017.
« Le cénotaphe de Sophie », de Serena Carone, 2017. © Béatrice Hatala

Comment la conversation a-t-elle débuté ? « Elle n’a jamais ­commencé, répond-elle. Mais la réflexion sur la possibilité de faire une exposition est apparue lorsque je suis entrée dans le musée en plein confinement. » Ce jour-là, les tableaux étaient recouverts de tissus protecteurs. En est restée une série de photographies : les « Picasso confinés ». Il est ici question d’images cachées, volées, effacées. Seuls trois autoportraits de Picasso sont à découvert, autour d’un livre de la Série noire présenté dans une vitrine au centre d’une salle, comme une image de Sophie Calle qui a souvent mis en scène des histoires de polars orchestrées à sa manière – elle vient d’ailleurs de publier un livre d’artiste chez Gallimard intitulé « Noire dans Blanche ». Quelques autres peintures sont recouvertes de voiles brodés et imprimés de leur description par des acteurs du musée, comme des souvenirs insaisissables.

Pour affronter Picasso, Sophie Calle a fait son « Guernica ». Sur un mur de la taille du célèbre tableau, elle a réuni des morceaux choisis de sa collection, d’artistes amis et admirés. « J’ai imaginé de venir accompagnée de ceux qui ­m’entourent », raconte-t-elle, en référence à un geste du peintre Arshile Gorky : après avoir découvert « Guernica » au MoMA, ce dernier avait réuni une dizaine d’artistes dans l’atelier de De Kooning pour apporter une réponse commune à ce chef-d’œuvre. Annette Messager, Germaine Krull, Tatiana Trouvé, David Rochline et bien d’autres composent la garde rapprochée de Sophie Calle. D’ailleurs, au rez-de-chaussée, l’exposition s’intitule « Picalso » comme si elle avait avalé un adversaire pour s’en approprier les vertus.

Une rétrospective de son travail

La suite est comme une rétrospective de son travail, à travers d’abord la question du regard. Plusieurs séries se ­succèdent, ­réalisées sur et avec des aveugles. ­ « ­Cocteau disait de Picasso qu’il ne peint pas ce qu’il voit mais ce qu’il pense qu’il a vu », souligne-t-elle. Comment décrire le vert lorsqu’on ne le voit pas ? À quoi ressemblait la dernière image ? Le sort des objets, soumis aux avanies du temps, se mêle aux récits pour créer de nouvelles histoires. Sur les murs, des phrases d’elle et de quelques autres en guise de texte pédagogique.

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Pour finir, dans les greniers du musée, Sophie Calle a entrepris de montrer ses biens, en faisant appel aux services de Drouot, comme dans un inventaire après décès. Ils sont dans des vitrines : tableaux, livres, autographes, ex-voto, robes, bottes (rouges), ­animaux empaillés, photographies… « C’est le Picasso qui garde tout… Cette idée m’est venue lorsque j’ai découvert la vente des possessions de mon ami Jean Lafont : ces objets devenus froids. Pour Picasso, le presque achevé, c’est la vie ; l’achevé, c’est la mort », dit-elle. Comme des portraits de criminels, elle montre aussi ses réserves de projets ­inachevés, achevés par cette exposition. Seule issue : dans la ­dernière salle, elle s’est installé un bureau, une arène, peut-être une chambre ou un atelier – des sujets chers à Picasso. En conclusion, quelques œuvres sont en sursis. De là, et d’ici la fin de ­l’exposition en ­janvier, ­sortiront des ­créations, dont la ­première ­s’intitule « La légende de l’artichaut. »

«À toi de faire, ma mignonne», au musée Picasso à Paris, jusqu’au 7janvier 2024.
«À toi de faire, ma mignonne», au musée Picasso à Paris, jusqu’au 7janvier 2024. © DR

 

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