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Bernadette Chirac, la revanche de la « tortue »

En avril 2002, à l’Élysée, un mois avant la réélection de Jacques Chirac. Bernadette a été la seule à lui prédire un face-à-face avec Jean-Marie Le Pen au second tour.
En avril 2002, à l’Élysée, un mois avant la réélection de Jacques Chirac. Bernadette a été la seule à lui prédire un face-à-face avec Jean-Marie Le Pen au second tour. © Derek Hudson
Catherine Nay

Témoin privilégié de la vie politique française, la journaliste ne pouvait qu’être sensible à cette nouvelle version de la comédie du pouvoir. Catherine Nay revient sur le rapport si particulier qui unissait Bernadette et Jacques Chirac.

Excellente dans le rôle de Bernadette, Catherine Deneuve avertit : « Ce n’est pas un biopic. » C’est en effet une ­comédie inspirée du modèle, réductrice forcément comme peut l’être une bande dessinée. On rit souvent. La vraie Bernadette mériterait d’être la vedette d’une série pour Netflix. On n’imagine pas Jacques Chirac sans elle.

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C’est à Sciences po qu’ils se sont connus. Jacques Chirac y est déjà une célébrité. Les filles badent devant ce grand garçon séduisant qui ressemble à un acteur américain. Il s’agite beaucoup. On l’appelle « l’hélicoptère ». Mlle Chodron de Courcel est une fille rangée, au grand front et à l’air sévère. Elle doit vaincre une timidité maladive. Lors de la première conférence, le maître propose deux exposés pour la semaine suivante. « Qui veut le faire ? » Elle lève le doigt. Jacques Chirac l’a remarquée.

Un jour qu’elle travaille à la bibliothèque, il l’interpelle. Voudrait-elle participer à son groupe de travail chez lui ? « Nous serons quatre », lui indique-t-il. Il lui annonce déjà la couleur : elle fera des fiches de lecture (avec lesquelles et ça, il ne lui dit pas, il pourra briller devant le maître comme s’il avait lu les ouvrages). D’emblée, elle est sa collaboratrice. Il la vouvoiera toujours. Jacques Chirac a toujours vouvoyé ses collaborateurs. Lui fait-il sa cour ? En tout cas, il la poursuit au téléphone. Cela peut durer des heures. Ses parents fulminent contre ce garçon sans gêne qui accapare leur ligne.

Été 1953. Le mythe de l’American way of life se porte bien en France. Jacques Chirac s’inscrit à la Harvard Summer School avec deux amis. Ils ont obtenu une bourse. Les cours ont lieu de 8 heures à 16 heures. Pour améliorer l’ordinaire, le soir, il est plongeur dans un restaurant. Sur le campus, il a rencontré une jeune étudiante venue de Caroline du Sud. Ils tombent amoureux, parlent même mariage. Il l’écrit à ses parents. Son père le somme de rentrer. Sa mère, angoissée à l’idée de perdre son fils adoré, appelle Bernadette. « Mademoiselle, aidez-moi, je ne veux pas d’une belle-fille américaine qui roule en décapotable ! »

Il est à Alger. Pendant un an, Bernadette l’attend

Deux mois plus tard, en octobre, Jacques et Bernadette se fiancent. Ils n’ont pas 21 ans. Elle est très amoureuse. Et lui ? Il ne sera jamais un homme que l’on enferme. Le voilà néanmoins engagé. Diplômé de Sciences po, il réussit le concours de l’Ena du premier coup. Mais avant d’entrer à l’école, il doit faire son service militaire. Sorti major de Saumur, le sous-lieutenant Chirac refuse une planque, il veut rejoindre, et vite, l’Algérie avec son escadron. Juste le temps d’épouser Bernadette. Mariage rapide. Pas de voyage de noces. Il embarque pour Alger, « l’expérience la plus exaltante de [sa] vie ». Pendant un an, Bernadette l’attend. Apprend à taper à la machine. Ce qui rendra bien service à son mari lorsqu’il intégrera l’Ena. Elle est bien sa collaboratrice.

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« Mais Jacques, c’est moi qui vous ai fait. »

« Mon fils aurait pu faire n’importe quel mariage », Mme Chodron de Courcel n’a jamais oublié cette pique de Mme Chirac. Toute leur vie ou presque, chaque matin, Jacques Chirac dira à Bernadette dans la salle de bains : « Vous avez de la chance de m’avoir épousé. » Lassée du refrain, un jour, devant des proches, elle réplique : « Mais Jacques, c’est moi qui vous ai fait. »

De la chance ? Elle en a sûrement eu, Bernadette. Il est rare de mener une vie si longtemps préservée de l’ennui. Jacques Chirac a connu une carrière politique époustouflante. Ponctuée d’échecs mémorables, deux fois la présidentielle. Mais de succès grandioses, comme le grand chelem dans la capitale. Il a été maire de Paris pendant dix-huit ans. Avant d’être élu et réélu président. Et Bernadette a adoré être la première dame de France. Il fallait avoir des nerfs et de la santé pour vivre à ses côtés et soutenir son rythme d’enfer.

Les ­Chirac sont un couple indissociable pour la conquête du pouvoir

« Pourquoi avez-vous appelé votre femme “la tortue” ? » Réponse : « Nous n’avons pas, mon épouse et moi-même, le même rapport au temps nécessaire. » Qu’ont-ils en commun, ces deux-là ? « Je suis lente, très lente. J’ai toujours tendance à être en retard alors que lui est toujours pile à l’heure, reconnaît Bernadette. Mon mari n’aime pas sortir le soir, se couche tôt et dort bien. Il se réveille à 6 heures, toujours de bonne humeur. Moi j’aime sortir, veiller car je ne dors pas beaucoup et, le matin, j’essaie de lui parler. Il m’envoie balader : “Bernadette, vous êtes la mouche du coche.” »

Mais voilà, les ­Chirac sont un couple indissociable pour la conquête du pouvoir. Elle est pour lui une compagne d’armes comme on dit un frère d’armes, une guerrière. Elle se compare même à une femelle de crocodile qui monte la garde pendant que le mâle reste disponible pour passer à l’attaque. « J’ai ­consacré ma vie à aider mon mari », déclare-t-elle.

Bernadette Chirac, le 5 juillet 2017, lors de cérémonie d'hommage national à Simone Veil aux Invalides
Bernadette Chirac, le 5 juillet 2017, lors de cérémonie d'hommage national à Simone Veil aux Invalides Michel Euler/AP/SIPA / © Michel Euler/AP/SIPA

Las, Chirac plaît tellement aux femmes. « Jaaaacques me trompe » deviendra son antienne. Parfois elle peut en rire : « Je les connais toutes et j’en veux à trois particulièrement. Et vous savez ce qui me fait plaisir, elles sont aujourd’hui aussi laides que moi. » L’humour d’une épouse humiliée. Jacques Chirac sera un mari courant d’air. « Je file. » Et un père trop souvent absent. La maladie de leur fille Laurence sera leur autre combat commun, celui qui les a sans doute le plus rapprochés.

 Mon mari n’est pas un spécialiste de la félicitation conjugale 

Bernadette Chirac

Personne n’a jamais plaint Bernadette. Elle est si lunatique. Un jour elle peut se montrer aimable, presque chaleureuse, pleine ­d’humour (toujours vache). Le lendemain, on la voit fermée comme une huître, ne répondant pas, l’air revêche et suspicieux comme si on lui avait volé quelque chose. Elle s’est ainsi fait beaucoup d’ennemis et y a perdu des amis. « Mon mari aurait aimé que je sois plus cool », ­reconnaît-elle.

Son grand regret est qu’il ne lui a jamais fait de ­compliment. « Mon mari n’est pas un spécialiste de la félicitation conjugale », m’avait-elle confié, contente de sa formule. Au fond, le seul cadeau de Jacques Chirac est de lui avoir permis de conquérir un siège de conseiller général en Corrèze. Elle va y acquérir une légitimité politique, le droit de se sentir libre d’agir et de parler à sa guise. Et aussi, une autre raison d’être. Elle sera toujours réélue jusqu’à ce que ­François Hollande supprime son canton.

Le film traite d’un moment particulier, entre 1995 et 2005. L’époque où elle est au sommet de son art. Et pourtant, comme le rapporte « Bernadette », elle a cette désagréable surprise d’être écartée par sa fille, Claude, qui juge que sa mère a forci et qu’elle est ringarde. Qu’elle s’occupe des jardins et des cuisines ! Son couvert est retiré quand son mari reçoit des jeunes pour une réception du 14 juillet, « cela ferait trop papa et maman reçoivent les petits-­enfants ».

Tout est vrai. Mais elle ne craint pas d’afficher ses préférences pour ceux que son mari tient en disgrâce. Elle déteste « le meilleur d’entre nous », Alain Juppé, « un fruit sec », dit-elle, et encore plus ­Dominique de Villepin, secrétaire général de l’Élysée qui aura l’idée folle de la dissolution. Elle ne l’appelle plus que « Néron » ou « le grand stratège ». ­Lionel Jospin s’installe à Matignon en 1997. Bernadette n’a plus qu’une idée : conspirer à la réélection de son mari en 2002. Il y a les pièces jaunes, son franc-parler. Elle devient la femme politique la plus populaire. Les maires RPR sollicitent son soutien pour les municipales. Autant de scènes du film qui ne sont pas du cinéma. Son livre, « Conversation », sort en octobre 2001. C’est un best-seller. Jacques Chirac est réélu. La tortue a gagné.

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