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Le jour où la mort n’a pas voulu de moi. Par Marc Thiercelin

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© Parismatch.com
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Récit. "J’étais l’« entraîneur » d’un groupe d’étudiants dans une régate de l’Edhec à La Rochelle, une course tranquille qui m’a jeté à la mer le 15 avril 1990. Heureusement, j’avais embarqué deux copains, Daniel et Michel..."

Propos recueillis par Caroline Rochman

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Le vent est très fort ce jour-là sur La Rochelle. Il fait beau et froid, il est environ 15 heures. C’est la fin de la course de l’Edhec que je dispute avec des étudiants sur un vieux bateau à grande ­voilure : un « Cirrus III ». Avec mon gros pull et ma salopette en ciré rouge, je me tiens près du mât. Les autres sont répartis tout au long du bateau. C’est la dernière image que j’ai de moi. Tout de suite après, c’est l’accident. Voici ce qu’on m’a raconté. Sans que je la voie venir, la bôme a brutalement changé de bord à 180 degrés, ­balayant tout sur son passage. Elle est arrivée par-derrière et, sans que je me rende compte de rien, m’a frappé à la nuque et projeté dans l’eau, à une vingtaine de mètres. J’étais inconscient, gisant dans l’eau glacée, tout habillé.

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Sur le bateau qui, lui, continue d’avancer, certains étudiants sont en larmes, d’autres font une crise de nerfs, se sentant complètement impuissants. Michel et Daniel commencent à réduire les voiles pour que le bateau puisse faire demi-tour. Comme la plupart des étudiants des 300 bateaux de la compétition chahutent entre eux sur la radio, mes amis mettent un temps fou pour obtenir le silence et demander au comité de course d’appeler les secours. Le bateau a réussi à revenir sur le lieu de l’accident mais on ne me retrouve pas. L’équipage sait que chaque minute perdue met un peu plus ma vie en péril. On finit par me localiser grâce à mon ciré rouge, qui a fait une poche d’air et flotte au-dessus de l’eau, le reste de mon corps étant immergé. Comme je suis ­inanimé, Michel saute dans l’eau et me retourne pour voir si je suis mort ou vivant. Je suis cyanosé, le visage bleu marine et les lèvres ­violettes. Pendant ce temps, ­Daniel, aidé de quelques étudiants, essaie de me remettre à bord, mais la tâche n’est pas facile. Moi qui pèse dans les 75 kilos, avec les ­vêtements mouillés j’en pèse plus de 100. L’hélico arrive pour m’hélitreuiller, mais, à cause du vent, il a peur de s’empaler sur le mât et ­demande qu’on me remette à l’eau. Michel et Daniel disent que cela va me tuer. On finit par faire venir un Zodiac dans lequel on me dépose pour que l’hélico puisse m’attraper.

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Dans l’hélico, on découvre que j’ai plein d’eau dans les poumons et que ma température est descendue à 33 degrés. Le pronostic vital est réservé. Mon cœur s’arrête de battre quelques instants. Je suis en état de mort clinique. Le scanner de La Rochelle en panne, je suis transféré à Niort. Je reste dix heures dans le coma. Je me réveille dans le scanner, les mains attachées et la gorge en feu. Je me dis : « Je dois être mort. » J’essaie de ­remuer les doigts. J’entends une voix féminine me dire : « Ne bougez pas. » Je m’évanouis pour me ­réveiller en soins intensifs. ­Pendant toute la nuit, on me fait recracher l’eau de mer. J’éprouve une sensation de brûlure intense, je crève de soif, mais on m’interdit de boire. J’ai une double fracture du rocher gauche et j’ai perdu l’usage d’une oreille. J’entends un médecin dire : « Il est sourd. »
J’en pleure sur le brancard.


Je passe ensuite un mois à La ­Salpêtrière car j’ai aussi perdu l’équilibre. Je tombe tout le temps. Je ne peux plus traverser la rue seul ni descendre un escalier. Les médecins me disent que je ne pourrai plus jamais naviguer. C’était compter sans mon énergie. J’ai mis des années à m’en remettre. J’ai conservé une oreille sourde et un acouphène, mais j’ai appris à ­remarcher droit, à faire du ski, à ­vivre comme avant et plus encore. Depuis, je considère mon existence comme du bonus. C’est comme si la vie m’avait donné une seconde chance. Ma carrière sportive s’est envolée, j’ai enchaîné vingt transats et quatre tours du monde.


Bio express

1960 naissance à Saâcy-sur-Marne.
1980 élève à l’école Boulle, puis ­illustrateur pour Kenzo et Cerutti.
1996-1997 arrive 2e du Vendée Globe.
1998-1999 arrive 2e d’Around Alone.
9 novembre 2008 départ du 4e Vendée Globe sur son monocoque tout neuf « DCNS ». Avec, hélas, un ­retour au port pour démâtage après douze heures de course. Il a pour projet de transmettre son savoir à travers les ­filières du talent du DCNS. Le skipper victorieux barrera le bateau à sa place dans la Route du rhum 2010.




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