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Stephan Eicher : l’Helvète underground

Stephan Eicher
Stephan Eicher © Julien Faure/Paris Match
Interview Benjamin Locoge

En conflit avec Universal, le musicien avait dû mettre sa carrière en veilleuse. Il signe son grand retour avec un album inspiré. Et en profite pour régler quelques comptes.

Paris Match. Sortir deux disques en 2019, c’était pour rattraper le temps perdu ?
Stephan Eicher. Oui et non. J’ai été dans un conflit douloureux, complexe et incompréhensible avec Barclay [un label d’Universal, NDLR]. Je considérais que nous, les musiciens, n’étions plus bien traités. J’ai laissé un juge voir si j’avais raison d’avoir mal. Or pour cela, il faut du temps, de l’argent et des avocats. J’ai donc utilisé cinq ans de ma vie pour me battre. Alors j’ai vécu sur scène, j’ai fait une tournée avec des automates, une autre avec une fanfare bernoise. Financièrement, j’ai survécu comme ça.

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Avec un arrière-goût d’inachevé ?
Au début, c’était de la déception. Mais cela amène toujours les plus belles chansons. Si elle ne part pas, il n’y a pas “Ne me quitte pas”. [Il rit.] Je crois que le malheur a été inventé pour que les poètes aient quelque chose à dire. Mais j’ai continué à écrire, j’ai fait une pièce de théâtre chantée en Suisse, un livre avec Martin Suter. J’ai passé beaucoup de temps à lire mon contrat, et j’ai compris qu’il donnait toujours raison à celui qui l’écrit. Au final, j’ai claqué une petite fortune pour ne pas avoir raison.

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Car vous avez fini par renouer le dialogue avec Universal.
Oui, mais chez Polydor, une autre de ses filiales, quand j’ai compris que je pouvais encore perdre cinq autres années. Donc c’était dans mon intérêt de trouver une solution. C’est là qu’Universal m’a demandé deux albums “et après on te fout la paix”. Je m’y suis plié pour revoir mon public. Mais j’ai un truc pour moi : je ne suis pas rancunier.

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Au final, ces cinq années furent bénéfiques ?
[Il rit.] “Homeless Songs” ne serait pas arrivé sans tout cela. Le conflit a engendré la créativité. D’autant que les artistes de mon âge n’ont plus besoin de combler les radios populaires. J’ai fait ce que je voulais, en dehors du titre le plus pop, “Prisonnière”, qui n’était pas prévu pour ce disque. Mais je suis faible et taquineur.
Il est signé de Philippe Djian.
C’est rare, un intellectuel français qui peut se construire une maison avec ses propres mains. Durant le conflit, il a été très présent, il a continué de m’envoyer des textes.

Ce qu’il écrit vous colle à la peau ?
Probablement... On a organisé nos vies de manière à se retrouver à Genève, au milieu de l’Europe, dans une maison où il y a une cuisine. Et c’est là que les choses se passent.

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Entre vous, c’est une histoire qui dure depuis 1991…
Une amitié, c’est du travail. Il est devenu mon âme frère. Mais il y a une chose sexy chez nous : on se jette dans la vieillesse, on n’est pas là pour faire des remix avec des gamins dans des appartements à Berlin. Il suffit d’écouter “Je n’attendrai pas”, une chanson très dure, sur la fin. Mais elle ne dure que deux minutes trente !

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Le rock, c’est une attitude parfaite quand vous avez 17 ans. Après, le corps vous -demande autre chose

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Musicalement, vous êtes dans l’épure, l’acoustique, bien loin du rock d’“Engelberg” ou de “Carcassonne”, vos deux plus grands succès.
Le rock, c’est une attitude parfaite quand vous avez 17 ans. Mais après, vos mouvements deviennent plus lents, le corps vous demande autre chose. On peut encore travailler avec une formation rock, mais c’est une blague quand les artistes essaient de revivre leur jeunesse.

Donc haro sur les Rolling Stones ?
Eux, non. Parce que Charlie Watts a toujours été vieux, Keith Richards a toujours été mort et Mick Jagger a toujours été chaud. Je suis impressionné par un Springsteen qui a su rester dans l’attitude rock, sans pour autant donner les mêmes concerts qu’à 25 ans. Mais c’est une question que je me pose : qu’est-ce que je peux faire avec cette guitare électrique qui est au mur ?

Regrettez-vous certaines périodes de votre carrière ?
Ah oui, quand j’ai voulu plaire et que j’ai écouté les maisons de disques. Je sortais d’énormes succès, j’avais réalisé “1 000 vies” pour détruire ma notoriété. J’avais si peur de devenir sédentaire musicalement. Les albums “Louanges” et “Taxi Europa” ne correspondent pas à ma période la plus heureuse. En réalité, je voulais faire des bouquets de fleurs pour ma femme, voir grandir mon deuxième fils, apprendre à cuisiner. Qu’on me foute la paix.

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L’homme n’est pas fait pour être libre, sinon il flippe

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Vous avez révélé récemment vos origines yéniches.
C’était quelque chose dont mon père ne parlait pas. Les familles yéniches ont été séparées avant la guerre, certains enfants ont été donnés et, dans mon cas, mon arrière-grand-mère a été stérilisée dès son mariage. Heureusement, elle avait couché avant ! Mais ça a été une vraie violence de découvrir tout cela, de voir que mon père, qui a 85 ans aujourd’hui, ne veut toujours pas qu’on évoque l’époque. Et c’est le hasard qui fait que je suis là.

Où votez-vous ?
En Suisse. Mais je paye mes impôts en France. Je suis violemment un démocrate qui ne croit pas à la démocratie telle que vous la concevez en France. Car nous, on vote pour des lois, pas pour des personnes. Notre but est de trouver un consensus. En cela, je suis très suisse, je suis un homme de consensus. [Il rit.]

Sauf en musique, dernier espace de liberté ?
Pas du tout. L’homme n’est pas fait pour être libre, sinon il flippe. Je suis le premier à être connecté et dépendant. Alors, oui, sur scène je suis vraiment libre. Mais dès que j’en sors, il y a des choses qui me mettent hors de moi.

Comme quoi ?
Spotify ! Chez eux, un million de streams est payé 4 000 dollars. Mais je ne reçois que 15 % de cette somme. Combien Apple nous paye ? 5 000 dollars. Juste pour emmerder Spotify. Tidal, le service de Jay-Z ? 11 000 dollars. Tout le monde devrait aller chez Tidal, parce qu’ils nous traitent mieux. Si on le faisait, Apple s’alignerait ou proposerait 15 000 dollars.

Vous vivez encore des ventes de disques ?
Non. Je vis des concerts et du livre, qui s’est vendu en Suisse à 40 000 exemplaires. Ce qui m’a permis de financer une partie de la retraite de mes parents. L’an passé, il y a 3 970 personnes qui se sont inscrites à une playlist Stephan Eicher et qui payent 10 euros pour cela. Je ne perçois que 15 % parce que tout l’argent va chez Universal, qui redistribue l’intégralité des sommes à tous ses artistes pour qu’ils restent chez eux. Or on devrait être de vrais partenaires. Quand on est à 80-20, cela réduit l’artiste à de l’esclavage. Prenez une calculette et regardez ce qu’Universal gagne chaque heure, c’est phénoménal.

Il faut continuer à se battre ?
Il faudrait que je la ferme. Mais c’est énervant. Parce qu’on joue de la guitare, on doit être maltraité ? Arrêtez de nous prendre pour des putes. Nous sommes d’abord des humains… Mais c’est un peu fatigant de devoir sans cesse le rappeler. 

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©

« Homeless Songs » (Polydor/Universal)

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