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Pierre Etaix a voué sa vie au burlesque - Mort à l'âge de 87 ans

Pierre Etaix dans les années 60.
Pierre Etaix dans les années 60. © Leemage
Jacques Borgé , Mis à jour le

L'acteur, clown, cinéaste et dessinateur Pierre Etaix est décédé vendredi matin à l'âge de 87 ans. Paris Match lui avait consacré un portrait en février 1963. Le voici en intégralité.

Avant même d'être projeté en public, « le Soupirant » a déjà remboursé les 100 millions qu'il a coûtés. Il a été vendu dans le monde entier bien que son auteur Pierre Etaix soit tout à fait inconnu, que son générique ne comporte aucun nom de vedette et que son budget de publicité soit à peu près égal à zéro. Y a-t-il dans ce film un enfant prodige ? Non. Des couleurs phosphorescentes ? Non. Un document humain bouleversant ? Non. Le projette-t-on en relief sur un écran ovoïde ou trapézoïdal ? Non. Il y a tout simplement un phénomène beaucoup moins scientifique mais beaucoup plus rare : un comique, un vrai, dans la grande tradition des Chaplin, Harold Lloyd, Buster Keaton et Tati.

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Un blouson noir s'allonge sans le faire exprès sur la toile fraîche d'un peintre, abandonnée dans l'herbe. Quand il se relève, il a le Sacré-Coeur peint dans le dos. Eperdument amoureux d'une chanteuse, le héros colle sur les murs de sa chambre l'effigie de sa bien-aimée grandeur nature. Il tire deux boutons au niveau du buste qui avance : c'est le tiroir. Captivé par la télévision, il place le toast sous sa tasse, beurre la soucoupe, la trempe dans la tasse et la mange. Voyant une femme séduite par la voiture luxueuse de son admirateur, quand une .autre femme s'approche, il s'accoude négligemment à la portière d'un cabriolet. Malheureusement, c'est elle qui en est la propriétaire... Tous ces gags, on les retrouve, au rythme de dix par minute, dans une histoire basée sur un thème banal, usé, pourrait-on dire mais éternel : celui de l'amoureux maladroit.

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Comme Chaplin, Buster Keaton ou Tati, Pierre Etaix, auteur du film en joue aussi le rôle principal. Les premières images nous le montrent, jeune homme seul, occupé à d'obscures recherches scientifiques. Son père vient le déranger dans sa chambre pour lui suggérer (timidement) de se marier. Ce conseil ne tarde pas à produire son effet. I l décide de se marier sur-le-champ. Dans la hâte, il s'adresse d'abord à la jeune Suédoise qui vit au pair dans sa famille. Hélas ! elle ne comprend pas le français. Alors, résolument, il se lance à l'assaut du sexe faible. Il n'a aucune expérience en ce domaine, et tente d'imiter les séducteurs qu'il rencontre. Après mille aventures amoureuses qui vont de la passion la plus exclusive à la fuite éperdue, la jeune Suédoise entre-temps, connaîtra assez notre langue pour répondre à cette phrase qu'il lui dit sans relâche : — Voulez-vous m'épouser ? Voilà. Cela paraît mince, mais c'est « bourré » de gags, ajustés, précis, qui font mouche à tous les coups.

Un clown a décidé de sa vie

Et l'on y retrouve cette loi sacrosainte du comique, à savoir qu'une situation donnée doit être exploitée jusqu'au bout, dans ses moindres rebondissements. C'est ainsi qu'en 1925, il ne fallait rien de plus à Laurel et Hardy, qu'un sapin de Noël et une voiture pour bâtir un scénario entier. Mais qui est donc ce clown-soupirant juste et sensible, qui est ce Pierre Etaix inconnu du public ? A l'écran, c'est un Buster Keaton qui sourirait quelquefois. Dans la vie, un jeune homme timide et assez triste. Il n'a rien à dire. Il est arrivé il y a dix ans de Roanne (Loire, 50 000 habitants) sa ville natale. Il s'y consacrait au dessin humoristique, à la fabrication de vitraux (nativités, vies de saints). I l jouait dans la troupe de théâtre (d'amateurs) locale. Il pensait qu'il avait une vocation de comique depuis qu'il avait vu un clown au cirque Pinder, à l'âge de cinq ans. A Roanne, ces choses-là soutiennent. On s'y raccroche avec l'énergie du désespoir, et, quoique ses parents fussent négociants en cuir, et malgré son accent à la Fernand Raynaud.

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Pierre Etaix se voua au burlesque et commença à étudier dans un miroir, les possibilités de son visage, à faire de la prestidigitation et de la musique. C'était, pensait-il, l'a b c du métier. Un jour, au palais des Fêtes, on projeta « les Vacances de M. Hulot ». Ce fut une révélation pour l'apprenti clown. « Bouleversé par le génie de Jacques Tati, il se sentit l'âme d'un disciple, n'y tint plus, et « monta » vers la capitale. Tati l'engagea aussitôt comme dessinateur. (Avant d'être tournées, les scènes de « Mon Oncle » étaient mises au point à l'aide de croquis.) Cette collaboration dura quatre ans et c'est chez Tati qu'Etaix a pu voir sous ses yeux, monter et démonter cette extraordinaire mécanique de précision qu'est le gag : un angle mal choisi, un pas de trop, un regard trop appuyé et c'est fini, l'effet est raté, personne ne rit plus et l'on ne sait même pas pourquoi. Ce petit homme avait la ténacité des paysans de la Loire (aux hivers rudes). Plus que jamais, il pensait que l'on ne s.'improvise pas comique, qu'il n'y a qu'une école, celle des « grands » du muet : le music-hall.

Aussi, dans la chambre tapissée de journaux où il vit avec sa femme Denise, fille de l'animateur du théâtre de Roanne, il bûche ses gags comme un étudiant en chimie. La nuit, il se relève pour mimer une scène et Denise, qu'il réveille en sursaut, le croit somnambule. Il prépare un numéro de music-hall, un numéro qui dure huit minutes. Il débute en public au « Cheval d'or », rue Descartes, pour 5 francs par soirée. Quelques mois après il passe à l'Olympia où il va- rencontrer sa grande chance. Elle se nomme Paul Claudon, producteur, quarante-deux ans, diplômé de Sciences-Po et de l'I.D.H.E.C. et Claudon n'a qu'un désir : faire des films comiques comme autrefois, au bon vieux temps du muet. C'est de cette rencontre qu'est né « le Soupirant ». C'est une aventure merveilleuse : un petit Roannais têtu, monté à Paris pour faire du cinéma réussit à devenir vedette. Rastignac version comique, voilà un excellent thème du prochain Etaix. Mais ceux qui voudront le produire devront s'armer de patience. Pierre Etaix a déjà déclaré : « La précipitation et l'improvisation sont incompatibles avec le gag ; je ne pense pas sortir mon second film avant deux ans. »

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