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Guillaume Gallienne, le fils prodige - Portrait par Claire Chazal

Macho nonchalant, angoissé du sport, gentleman à l’abri, danseur ou quadra chic et décontracté : ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre.
Macho nonchalant, angoissé du sport, gentleman à l’abri, danseur ou quadra chic et décontracté : ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. © Sébastien Vincent
Claire Chazal , Mis à jour le

Sociétaire de la Comédie-Française,  il va faire rire la France en racontant son adolescence tourmentée dans un film autobiographique

Quand je rencontre Guillaume Gallienne, nous n’avons pas le temps de nous ­asseoir qu’il m’enveloppe déjà d’un tourbillon de mots, allant droit au but sans fausse pudeur, sans impudeur non plus, ­attaquant dans le dur de l’enfance, de la famille et du rapport à la mère. « C’est au cours d’une séance chez un psychothérapeute que j’ai soudain ­réalisé que pendant toute sa vie ma mère avait prononcé cette phrase ­névrotique et fondatrice : “Les garçons et Guillaume, à table !” »

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Le visage de l’acteur s’illumine, et le récit de sa vie, ponctué d’imitations irrésistibles, ne va plus s’interrompre, émaillé d’anecdotes et d’expressions savoureuses que sa mémoire restitue sans une hésitation. A 41 ans, Guillaume Gallienne a donc voulu se mettre à nu et exorciser son passé, au théâtre et au cinéma. Un tour de force réussi, un cas unique, grâce à une écriture personnelle, à la fois drôle et poignante. « J’étais un garçon passif, je ne ­racontais à mon psy que des histoires où je me faisais humilier, il fallait que ça cesse. »

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Non pas que le jeune Guillaume ait voulu quitter cette famille bourgeoise et un peu loufoque, il admirait trop sa mère. Mais il fallait en sortir ! En général, il s’en échappait en tombant soudain dans les pommes, c’était sa façon à lui de se distinguer de deux frères qu’il jugeait plus beaux que lui, un peu trop garçons, et d’un père sursportif, grimpant l’Himalaya et champion de rugby. Guillaume, lui, avait le verbe facile, presque trop, et aimait par-dessus tout imiter sa mère (ou sa grand-mère, la flamboyante Babou d’origine russe). Une mère « pas très tendre, mais très franche, sans complaisance ni snobisme, dont la dureté apparente cachait une immense pudeur ».

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En fait, Guillaume Gallienne n’imitait pas, il incarnait sa mère. Et c’est pourquoi le film (comme la pièce) ­raconte avant tout l’histoire de la naissance d’un acteur. C’est ainsi qu’à l’écran le comédien ­devient un adolescent un peu naïf, puis un jeune homme avide d’expériences sexuelles ou bien une mère embijoutée et autoritaire. Une performance ? « Pas du tout, répond-il. Dans le film, j’ai plutôt cherché l’épure, j’ai chassé la posture et l’habileté. Quand j’ai choisi d’interpréter tous les personnages au théâtre, j’ai pensé à mes lectures de Proust, l’auteur qui sait mieux que personne rendre l’élasticité du temps et de l’espace. J’ai toujours essayé de travailler à l’économie du signe et du geste, avec de très ­légers mouvements du corps. »

Et puis, le comédien-réalisateur s’est ­entouré à l’écran de toute une famille d’acteurs qui imposent une écriture plus complexe. Il y a le trouble du père (formidable André Marcon) qui ne comprend décidément pas un fils qu’il surprend dans sa chambre singeant « Sissi impératrice » enveloppé dans sa couette. On aperçoit aussi Reda Kateb en petit loubard gay, avec lequel Guillaume voudrait s’initier à l’homosexualité mais dont il s’éloigne en courant. Il y a Diane Kruger en ­infirmière allemande, « une bombe qui ressemble à celle qui avait voulu me faire un lavement lors d’une cure en Autriche ». Enfin ­Françoise Fabian, en impériale grand-mère russe qui perd peu à peu la tête.

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C’est grâce à eux que l’on comprend dans quelle microsociété Guillaume Gallienne a grandi. Pour tout dire, une ­famille avec ­château, domestiques et traditions qui, très vite, envoie le plus jeune fils en pension en ­Angleterre, ce qui donne lieu d’ailleurs à quelques jolies scènes proches de l’univers de James Ivory. Cette grande bourgeoisie, Gallienne la décrit avec ­humour, mais sans rejet. « C’était plutôt une chance, dit-il, je n’étais pas du tout en rébellion. Mes ­parents ne méprisaient personne, et je ne veux aujourd’hui ­délivrer aucun message politique. » A peine Guillaume Gallienne a-t-il pu rêver un temps d’une société plus égalitaire et d’engagements pour les autres. « J’ai voulu devenir missionnaire, mais j’ai vite compris que je ne pouvais pas vivre sans sexualité. »

“Je sentais une part féminine en moi. Les choses ne sont jamais vraiment fixées. Tout s’est arrangé quand j’ai épousé Amandine”

Alors nous y voilà ! Quelle sexualité ? C’est l’un des sujets centraux du film et de la pièce. Toute son adolescence, Guillaume Gallienne avait bien conscience d’une ambivalence apparente. Parfois traité de « pédale » dans la cour du collège, il aimait davantage la lecture que le sport. Il maniait si bien la langue qu’on le crut surdoué. Un intellectuel, un garçon singulier. Certes amoureux de sa mère, et même fasciné par elle, mais qui n’avait pas peur des femmes et qui ne comprenait pas pourquoi cela pouvait poser un problème. « Mes premiers ­fantasmes étaient résolument féminins, très tôt. Je ne me suis pas vraiment interrogé. Je sentais une part ­féminine en moi, mais aucune frustration à l’égard des hommes. De toute façon, je pense que les choses ne sont jamais vraiment fixées. La fidélité et l’amour, oui, mais pas le reste. »

Quand tout cela a-t-il été résolu ? « Quand j’ai annoncé à ma mère que ­j’allais me marier. » Et voilà, Guillaume Gallienne a rencontré Amandine. Ils ­ont eu un petit Tado et, en chef de ­famille, il s’est senti instantanément d’une ­incroyable virilité. « Quand mon fils est né, j’aurais pu me croire aussi fort qu’un ­gorille, comme si mon dos s’élargissait, avec la conviction de porter et non de ­supporter. Je suis très “mec” en face de ma femme et de mon fils qui, eux, sont tous deux la grâce et la poésie incarnées. »

L’acteur sourit tranquillement, comme si tout s’était apaisé. L’homme a osé raconter son histoire. Il a vu que, grâce à elle, il pouvait faire rire et toucher, mais aussi se comprendre un peu mieux. Quant au comédien, il a atteint une sorte de ­sérénité. Certes, il peut encore s’emporter avec un metteur en scène ou sur un ­tournage. Mais il se sent bien à la Comédie-­Française, en communion avec la troupe, loin des petites guerres du début. Sublime dans « Oblomov », génial dans « La trilogie de la villégiature » ou « Un fil à la patte », il s’apprête à incarner « Lucrèce Borgia » sous la direction de Denis Podalydès avec qui il avait eu le bonheur de jouer « Fantasio ». Son jeu se simplifie, il se rend compte, à la faveur d’un remplacement dans « Les trois sœurs » et avec pas mal d’humilité, qu’on peut être aussi touchant en cherchant moins l’effet. « Je travaille l’imprévisible, l’imparfait, l’improbable, c’est une route... Il faut se débarrasser de l’affectation. »

Et toujours chercher la sincérité : dans le film sur Yves Saint Laurent, qu’il vient de tourner avec le réalisateur Jalil Lespert et l’acteur Pierre Niney, ­Gallienne a pris très à cœur son personnage de Pierre Bergé. Il reste bouleversé au souvenir de cet amour éprouvé pour un génie mais aussi pour un homme malade. Il pourrait encore en pleurer en l’évoquant. Désormais, Gallienne affiche la bienveillance de celui qui a trouvé sa place. Il a découvert la joie de la réalisation au cinéma (il ­prépare d’ailleurs un deuxième film). Il a conquis son public et s’impose ô combien dans sa maison de théâtre. Il a trouvé un havre sentimental et il est à peu près en paix avec l’ombre maternelle ­tutélaire. « Elle m’appelle encore “ma chérie”, dit-il en souriant, mais on peut toujours se ­parler en confiance. »
Guillaume Gallienne ne se plaint pas, il a cette politesse-là. Il conserve son ­mystère, mais on l’imagine heureux.

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