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Jeff Koons: «Les objets sont mieux préparés que nous à survivre»

«Balloon Monkey » (2006-2013).
«Balloon Monkey » (2006-2013). © Julien Weber / Paris Match
Benjamin Locoge , Mis à jour le

Alors qu’une rétrospective de son œuvre a été inaugurée au Qatar, le créateur américain nous a reçus pour revenir sur ses quarante années de carrière. Rencontre sous forme de bilan.

Paris Match. Vous êtes au milieu de vos œuvres les plus iconiques. Que ressentez-vous ?
Jeff Koons . Oh ! c’est toujours très stimulant visuellement. J’aime aussi beaucoup la manière dont elles interagissent entre elles. J’ai même l’impression qu’elles dialoguent ensemble, et que ce dialogue est finalement plus important que les œuvres elles-mêmes. Et c’est ce que j’ai toujours cherché à faire. (...)

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Était-ce votre idée dès le début de votre carrière?
Pas forcément. Mais, peu à peu, je me suis rendu compte que le sens de tout mon travail dépassait les œuvres. Elles sont des stimulants, mais le discours qui sous-tend tout cela est: “Que p

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Depuis le début de la matinée, vous enchaînez les interviews et les séances photo. Aimez-vous cette partie de votre travail où vous devez expliquer ce que vous faites pour être compris ?
Oui, c’est quelque chose que j’aime faire. Parce que, à un moment, il m’est apparu nécessaire de contextualiser mon travail. Au moins de décrire mes intentions, plutôt que de m’en remettre à un regard extérieur… Donc j’essaye de raconter l’idée initiale, ce que j’ai ressenti. Mais ce n’est pas nécessairement le sens de l’œuvre. Ce qui compte c’est ce que le spectateur met dedans. Chacun la contextualise comme il l’entend et lui attribue une signification. On se crée une fiction à son contact.

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Ici, à Doha, vos premières œuvres sont exposées : votre portrait enfant, les aspirateurs. Que vous inspirent-elles quarante ans plus tard ?
À l’époque de “The New Jeff Koons”, je travaillais sur les ready-made et je voulais apporter ma pierre à l’édifice imaginé par Marcel Duchamp. Donc utiliser les objets pour ce qu’ils sont. Je montrais ainsi l’intégrité d’un aspirateur comme symbole de la modernité d’une époque. Mais ce qui compte c’est que ces aspirateurs interpellent, ils nous renvoient à notre condition humaine limitée dans le temps, alors qu’ils ont une durée de vie a priori illimitée. Se crée ainsi ce dialogue que j’évoquais. L’important, c’est d’y participer. Après ces aspirateurs, j’ai fait la série “Equilibrium”, où je voulais intégrer plus d’éléments biologiques. Et je crois que l’aspect philosophique de mon travail est devenu encore plus évident à ce moment-là. On dépasse l’objet pour vivre la confrontation avec lui, et cela engendre un désir d’art comme une énergie de vie. Parce que les objets sont mieux préparés que nous à survivre. Ils durent plus longtemps. 

“Celebration”, dites-vous, n’est pas une œuvre qui parle de l’enfance. Mais n’est-ce pas une invitation à la fête?
L’une des choses qui est devenue très importante pour moi, c’est l’acceptation et l’absence de jugement. Dès l’enfance, j’ai pris des cours de dessin, j’ai essayé les pastels, j’ai peint. Mais, en intégrant une école d’art, j’ai compris que je ne connaissais rien à l’histoire de l’art. Et j’ai été capable de surmonter cela. De m’accepter ainsi et de ne pas être jugé. Chaque expérience individuelle, quel que soit le parcours de chacun, est parfaite, dans le simple fait d’exister. Quand j’ai assimilé cette donnée, j’ai pu avancer, ce n’était pas seulement comme un mécanisme de vie, mais une manière de faire en sorte que le monde entier en profite. 

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Lorsque vous êtes plus jeune, une petite figurine a autant de sens qu’une œuvre majeure de l’histoire de l’art. Elle vous excite, elle vous stimule

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Quelle ambition…
Le monde entier est à votre disposition, tout est là pour vous donner du pouvoir. Alors que si vous tombez dans le jugement, vous êtes confronté à la ségrégation. Lorsque vous êtes plus jeune, vous acceptez bien plus de choses: une petite figurine a autant de sens qu’une œuvre majeure de l’histoire de l’art. Elle vous excite, vous stimule, et tout ce qui donne du potentiel à votre vie est fantastique. L’art vous encourage à rêver, provoque des réactions chimiques, des émotions au sein de votre corps. Vous n’êtes plus le même être humain. C’est comme une plante qui reçoit les premiers rayons de soleil, qui grandit petit à petit. Eh bien, c’est ce que j’ai ressenti très jeune. 

D’où cela vient-il ?
D’un peu de tout, de votre famille, de l’environnement dans lequel vous grandissez, choses très importantes dans la manière dont vous allez commencer à regarder le monde. Puis vient le temps des mentors que vous rencontrez. Mais la chose la plus importante est l’acceptation de soi. 

Ce mentor, c’est Salvador Dali?
Vous le débusquez dans son hôtel new-yorkais alors que vous n’avez que 18 ans… Aviez-vous suffisamment confiance en vous pour l’interpeller? Je fréquentais déjà une école d’art. Dali, pour moi, représentait l’avant-garde, quelqu’un qui montrait vraiment les possibilités que l’art peut offrir. Il a fait preuve de générosité en acceptant de me rencontrer. Il m’attendait dans le hall de son hôtel et m’a invité à une exposition de son travail. Il a donné une interview à un journaliste français, puis il a posé pour quelques photos pour moi devant l’une de ses œuvres. Et je l’ai quitté en pensant vraiment que l’art pouvait être un art de vivre ma vie. 

Vous veniez d’arriver à New York. Était-ce un tournant, pour vous, de vous installer dans cette ville ?
Manhattan a-t-il fait de vous un artiste? J’étais déjà un artiste. Mais je voulais évoluer. Et, pour cela, il fallait que je m’implique dans un dialogue plus subjectif avec moi-même, donc de manière plus objective dans la communauté du monde de l’art. J’avais été marqué par la manière dont le pop art symbolisait le dialogue avec le monde extérieur. Et je sentais que c’était vraiment ce dont j’avais besoin.

Mais cela n’aurait pas été possible en dehors de New York?
Dans les années 1970, c’était la ville qui attirait la jeunesse, puisqu’il était encore peu coûteux d’y vivre. J’aimais l’énergie proposée par la new wave, par exemple. L’art avait toute sa place dans l’émulation que l’on ressentait. Et évidemment je voulais faire partie de ce mouvement, je ne voulais plus être isolé, aliéné, mais impliqué. Si je regarde les pièces qui sont montrées ici à Doha, elles symbolisent parfaitement tout cela; elles ne représentent pas que mes idées, mais celles de toute une génération. On était très vivants, on échangeait, on partageait. Mais je ne vois pas ce que je peux dire de plus. 

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Après ma rencontre avec Salvador Dali, j’ai compris que l’art pouvait être aussi un art de vivre ma vie

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Ici, au Qatar, une partie de vos œuvres ne peut pas être exposée. Pourquoi acceptez-vous la censure?
Dès que vous montrez votre travail, il y a des pièces qui sont plus appropriées que d’autres selon les situations. Ce qui est évident dans cette rétrospective, c’est qu’il ne manque rien pour me comprendre. Je ne changerais rien à ce qui est présenté ici. Cette exposition est parfaitement appropriée, en tenant compte évidemment des traditions et de la culture locales. 

Donc pas de provocation inutile?
La provocation ne m’a jamais intéressé. Elle ne va nulle part, si ce n’est de faire parler momentanément, mais souvent pour les mauvaises raisons. Ce qui m’intéresse, une fois encore, c’est le dialogue que je crée sur nos potentiels.

En quoi votre travail est-il politique?
Il ne l’est pas ouvertement. Mais essayer de faire prendre conscience au spectateur qu’il a du pouvoir, qu’il n’est pas seul dans ce monde, c’est ma manière d’être politique. Et aussi faire comprendre qu’il faut ôter à nos vies toute forme de jugement. 

Certaines de vos œuvres ont nécessité vingt ans de travail. À quel moment savez-vous, in fine, qu’elles sont terminées?
Quand l’intention originelle est devant moi. Quand nous avons réussi à créer au plus près de ce que j’avais en tête. Dès le départ, j’ai les couleurs et le design, je travaille sur les besoins que nous allons avoir pour mener à bien la réalisation de la pièce. Prenez par exemple “Party Hat”, qui a l’air d’être une œuvre relativement facile à produire puisqu’il s’agit d’un cône posé. Mais c’est une réalisation technique extrêmement complexe. Pour la plupart de mes pièces, nous avons dû inventer des machines pour les construire, certaines il y a plus de vingt-cinq ans. Aujourd’hui que mon travail est popularisé, cela semble évident. Mais, à l’époque, ça ne l’était pas. 

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Les pièces montrées à Doha symbolisent toute une génération. On était très vivants, on échangeait, on partageait

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Êtes-vous parfois limité par la technologie?
Quand une machine ne permet pas de créer ce que j’ai en tête, nous cherchons à y remédier. Et c’est une partie du travail qui me plaît infiniment. Par exemple, j’ai adoré ma collaboration avec BMW: d’un côté comme de l’autre, nous avons dû repousser nos propres limites. Ce qui pourrait passer pour du perfectionnisme n’est qu’une manière de montrer du respect au spectateur, de lui dire à quel point on pense à lui. 

Êtes-vous toujours en train de penser à la suite ?
Une idée en amène forcément une autre. En ce moment, je travaille sur ce que j’ai appelé les “Porcelain Series”, inspirées des porcelaines du XVIIIe siècle. Mais les œuvres sont produites en acier, le défi technologique me passionne. Quand les choses résonnent entre elles, c’est là où ce que je fais trouve le plus grand sens.

Lorsque vos œuvres se retrouvent sur des sacs à main, des voitures ou des tee-shirts, est-ce une forme de consécration?
Je ne sais pas si c’est une forme de consécration, mais c’est une manière comme une autre d’atteindre le public. La plupart de l’argent que je touche de ces produits dérivés va à des œuvres de charité. Et notamment à des fondations qui aident l’enfance. 

En quoi êtes-vous un digne représentant des États-Unis, vous dont le travail est montré dans le monde entier ?
J’ai grandi dans la culture américaine, j’ai vu les Beatles chez Ed Sullivan en 1964, j’ai vu le développement de mon pays, son explosion post-baby-boom, j’ai pu vivre le New York dont nous parlions. Tout cela a forcément eu un impact sur l’homme que je suis et sur ce que je fais. Cela dit, mon désir, ma croyance en l’art font que je pense qu’il existe une communauté mondiale d’artistes. Ce que je fais est profondément international. Je crois à la culture globale et je me sens bien plus inscrit dans ce mouvement. 

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