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Bertrand Lavier : objets de scandale

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«Giulietta», 1993.

«Giulietta», 1993.
© M. Bertola
Interview Elisabeth Couturier

Alors que le Centre Pompidou lui consacre une grande rétrospective, ses sculptures facétieuses et iconoclastes continuent de créer la polémique.

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Paris Match. Que répondez-vous à ceux qui ont du mal à comprendre qu’une pierre posée sur un frigo soit considérée comme une œuvre d’art ?
Bertrand Lavier. Ils ont bien raison de réagir ainsi s’ils ont une autre idée de l’art. Mais l’art est un territoire singulier, en perpétuel mouvement, et les artistes en redessinent constamment les frontières. Une pierre posée sur un frigo, on peut effectivement trouver cela scandaleux mais aussi très beau. On ne peut pas nier que c’est une sculpture. Il s’agit bien d’un objet posé sur un socle. Ça répond précisément à la définition élémentaire de ce qu’est une sculpture.

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Jouer avec les mots et les choses, est-ce le ressort de votre travail ?
Faire de l’art, c’est un jeu de l’esprit. Vous mettez les choses en abîme. Par exemple, en 1994, pour apporter ma pierre à l’histoire de la peinture abstraite, j’ai réalisé une grande surface monochrome intitulée “Mandarine par Duco et Ripolin”. J’ai juxtaposé deux aplats de couleur orange afin de démontrer que, sous l’étiquette “mandarine”, il existe deux tons différents parce qu’issus de deux fabricants différents. C’est aussi une façon de prendre à contre-pied la notion de transcendance, trop souvent associée au monochrome.

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Pourquoi mettez-vous rarement la main à la pâte ?
Seulement pour les objets peints ! En fait, le savoir-faire qui existe en art n’est pas forcément de l’ordre de la main. C’est de l’ordre du choix. Un artiste fait des choix audacieux ou risqués. C’est à ce niveau-là que ça se joue. Il peut s’agir du choix de deux couleurs, comme lorsque Matisse réalise un portrait en juxtaposant un rose et un vert. Moi, quand je mets une pierre sur un réfrigérateur, je dois trouver la bonne pierre sur le bon réfrigérateur. Question de forme, de densité et de volume. Le bon accord de couleurs ou le bon accord d’objets, c’est pareil.

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« Je montre autrement les choses que les gens ne voient même plus »

Vous sentez-vous une dette envers Duchamp et ses ready-mades ?
Duchamp a considéré qu’on pouvait prendre un objet banal et en faire de l’art, ça a été un véritable big bang. Il a prôné la beauté d’indifférence. Après lui, toute une famille d’artistes ne peint plus de la même manière. Ou plus du tout. Moi, j’ai voulu réintroduire de la chair, du tragique, de l’émotion. C’est le cas, par exemple, avec “Giulietta”, une voiture accidentée exposée telle quelle, avec “Teddy”, un vieil ours en peluche que je présente comme un objet
d’art primitif, ou encore avec le grand kayak du XXe siècle restauré comme une pirogue océanienne d’il y a cinq cents ans.

Vous associez ou “hybridez” des objets, vous pratiquez des greffes. Est-ce l’influence de vos études d’horticulteur ?
Sûrement, mais je ne m’en suis rendu compte qu’après. Durant mes études, deux cours me passionnaient, ceux des greffes et des champignons. S’il fallait résumer de manière simple et globale ce que je fais, je dirais que j’opère des greffes qui se présentent sous différentes formes. Je montre autrement les choses que les gens ne voient même plus. J’essaie de rendre poétique ce qui est familier. C’est aussi simple que cela.

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Pourquoi êtes-vous finalement devenu artiste ?
Les artistes ont un devoir : faire ce qu’ils veulent. Ce n’est jamais gagné, mais c’est le seul domaine où c’est possible.
« Bertrand Lavier, depuis 1969 », au Centre Pompidou, Paris IVe, jusqu’au 7 janvier 2013.

Photo: Bernard Lavier (M. Lagos Cid)

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